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abeilles

LA VOIX DES
POLLINISATEURS,
ENGAGÉE ET

en liberté
INDÉPENDANTE.

UN MAGAZINE AU SERVICE DE LA BIODIVERSITÉ ORDINAIRE


n°1
DOSSIER
POURQUOI CHANGER
NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

ENQUÊTE
Les abeilles mellifères
sauvages existent-elles ?
VISITE
Au rucher école du Héron (59)
ça bouge !

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C’EST VRAI ÇA
POURQUOI ?

méro
>> Le dossier du prochain nu
PRENEZ
LA PAROLE !
POURQUOI IL FAUT SAUVER L’ABEILLE NOIRE

Si vous souhaitez contribuer à Abeilles en liberté, envoyez-nous vos témoignages,


articles, photos sur contact@abeillesenliberte.fr
ÉDITO
https://nousvoulonsdescoquelicots.org

Lettre d’une abeille


à la rédaction
« Dehors, quand je sors de ma ruche, je ne reconnais
plus mon pays. Où sont passées ces prairies dans les-
quelles mon peuple allait butiner il y a 20 ou 30 ans
à peine ? Il ne reste plus que des immensités mornes
et uniformes… Des déserts de céréales et d’oléa-
gineux où la famine s’installe à chaque saison…
L’appel des coquelicots et des pollinisateurs
Où est cette diversité de fleurs, indispensable
à notre bonne santé ? Où sont les 5 pollens
variés par jour dont nous avons besoin ? aurions pu apprendre à nous défendre contre eux !
Au lieu de cela, nous n’avons plus à butiner que, ce- Le pire c’est que l’histoire se répète, d’autres para-
rise sur le gâteau, des fleurs empoisonnées…  sites arrivent sur nos territoires, transportés eux aussi
clandestinement dans vos ruches « de compéti-
Même l’eau que nous buvons est empoisonnée. tion » auxquelles vous demandez toujours plus…
Et quand nous rentrons au nid, voilà que de vilains Jusqu’où irez-vous ? Jusqu’à quand allons nous tenir ?
frelons nous happent en plein vol, des milliers de Il semblerait que cette situation ne dérange que
mes sœurs se font ainsi décimer chaque année ! Sa- de rares personnes. Les pages de vos maga-
vez-vous d’où ils viennent ? zines sont pleines de publicités pour acheter des
Dans nos ruches, ce n’est guère mieux. Nos cires, reines à l’autre bout du monde, pour des produits
notre propolis et notre air sont pollués, tout cela toxiques ou des camions citernes remplis de sirop
fragilise notre santé. Mais nous sommes aussi fragi- de sucre dont vous nous nourrissez pour mieux
lisées par des générations d’exploitation contre na- nous prendre notre miel, sans regret ni remords.
ture qui favorisent les maladies et les parasites, qui “C’est pour leur bien“ dites-vous sans sourciller !
eux pullulent. Les varroas, pour ne parler que d’eux, Ne voyez-vous pas que nous sommes au bout du
sont arrivés sans crier gare, clandestinement, dans rouleau ? Vous nous dites qu’Abeilles en liberté veut
des ruches venues de l’autre bout du monde. En nous aider à faire entendre notre voix, nous donner
moins de 5 ans, ils ont tout envahi et ne craignent la parole… 
pas de faire disparaître les plus faibles d’entre nous. Pourquoi pas ? Nous ne voulons pas empêcher l’Hu-
Soi-disant pour nous en débarrasser, des « amis » manité d’exister, ni de produire, mais nous deman-
déversent sur nos têtes des pesticides, des pro- dons qu’elle le fasse sainement, avec le minimum de
duits estampillés “tête de mort“. Impossible de les respect dû aux êtres vivants à qui elle doit d’exister.
éviter, surtout qu’avec le travail qu’on nous impose, Parce que nous ne pouvons le faire nous-mêmes,
la ruche est en stress maximal ! Nos poux, eux, ont que ce message soit porté par une revue animée
tout le loisir de résister à ces poisons. Depuis 30 ans par des Amis de la Nature est pour nous un signe
qu’ils sont là, les varroas ne se sont jamais portés aus- d’espoir…
si bien, alors que nous sommes plus faibles que ja- Comme vous, nous voulons y croire. Nous voulons
mais ! Cette situation ne vous interpelle pas ? À quoi encore voir des vers de terre dans les champs, des
servent tous vos soins ? Ne sont-ils pas nos pires coquelicots fleurir et des insectes les butiner.  Et des
maux ? Nous savons par des cousines sauvages, moineaux pépier aussi !
que si vous nous aviez laissées tranquilles, nous Alors oui, longue vie à Abeilles en liberté ! »

3
LU POUR VOUS
Abeilles mellifères à l’état sauvage
Une histoire naturelle
Vincent Albouy - éd. de Terran
Ce livre apporte une vision neuve et originale sur la vie des abeilles
mellifères quand elles ne sont pas élevées par l’homme. L’auteur
présente leur vie dans la nature (reproduction, essaimage, nidifica-
tion…), pour bien comprendre leurs vrais besoins, les problèmes
qu’elles rencontrent et les menaces qu’elles affrontent aujourd’hui.
Il donne les clés pour détecter, suivre et étudier les colonies à l’état
sauvage, et fournit des conseils pour contribuer à leur protection.
L’auteur nous démontre, preuves à l’appuies, que les abeilles mel-
lifères sauvages existent encore et qu’il faut les aider à survivre. Illus-
tré par une abondante iconographie originale, l’ouvrage est basé
sur vingt ans d’observations et d’expériences de l’auteur, et sur une
bibliographie rassemblant plus de 300 références en français et en
anglais. Editions de Terran, 336 pages, 16 x 24 cm, 25 €, 2019

La ruche solaire ou sunhive…


de Günther Mancke
La ruche solaire intrigue par sa forme d’œuf, parfaitement adap-
tée à la forme des colonies qui s’installent librement dans un arbre
creux par exemple. Cet ouvrage permet à l’apiculteur d’offrir aux
abeilles un habitat confortable qui correspond à leur besoin ; il en
détaille la fabrication, mais aussi la manière de la gérer… Adoptée
par les biodynamistes, la sunhive semble être la ruche écologique
par excellence.
Éditions de Terran, 96 pages, 17 x 19,7 cm, 16,50 €, 2018

Éloge du ver de terre


de Christophe Gatineau
Lombric et abeilles, même combat…
Comme l’abeille, le lombric est malmené, comme l’abeille il est au bord de
l’anéantissement, comme l’abeille il est une sentinelle de l’environnement,
comme l’abeille il est au cœur de l’économie agricole … et comme l’abeille le
lombric n’a pas de statut dans notre législation hypocrite !
Parce qu’il a le pouvoir (sur)naturel de dévorer les sols, il est indispensable à
leur vie. C’est pourquoi, « l’avenir de nos générations futures repose sur cette
bestiole… » L’Éloge du ver de terre est un livre de sagesse, il nous fait prendre
conscience que notre survie n’est possible que si nous savons composer avec
la biodiversité… Bourré d’infos insolites, plein de bon sens, d’humour, de colère
aussi, cet ouvrage ravira ceux qui, à l’instar de son auteur Christophe Gatineau, ont fait le choix de travailler
avec la nature et non pas contre elle…
Éditions Flammarion, 224 pages - 115 x 185 mm, broché, 2018.

4 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


SOMMAIRE
CARNET D’ADRESSES 2 L’agenda du nichoir
ÉDITO3 Épisode 1 : insolite et gratis 22
LU POUR VOUS 4
L’abeille mellifère sauvage, cette inconnue24
ACTUS, VOUS AVEZ LA PAROLE, Mieux connaître les « arbres à abeilles »,
LA VIE DES ASSOCIATIONS une enquête participative  28
« On n’est pas seuls » : être à l’écoute des abeilles,
une dynamique internationale 6
DOSSIER POURQUOI CHANGER
NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ? 30
Apischool à Rodemack 8
Ne serions-nous pas un peu responsables
Tirer les leçon du passé 9
de nos malheurs ? 32
Nos collaborateurs vous répondent 10
PORTFOLIO DE MYRIAM LEFÈVRE36
OBSERVER ET COMPRENDRE Éternité et infini, confessions
Sorties d’abeilles intrépides dans le froid hivernal 12 d’un apiculteur repenti 40
Un rucher-école qui bouge 46
LEÇON D’APICULTURE ALTERNATIVE La redécouverte d’un lien millénaire, les
L’abeille en autonomie champignons aux petits soins pour les abeilles 50
Le commencement : quelle ruche choisir ?14 Arbres mellifères du futur 56

BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS AGENDA, STAGES ET PETITES ANNONCES 65

Les abeilles sauvages, un monde insoupçonné18

Sans le concours bénévole des contributeurs, ce n°1 d’Abeilles en liberté n’aurait pas pu prendre son envol. Un
énorme merci à eux tous, y compris ceux dont les contributions sont à paraître…
Nos remerciements chaleureux vont aussi à nos premiers donateurs : La Fondation pour une terre humaine,
L’association Terran terre de partage et L’association Pollinis.

ABEILLES EN LIBERTÉ Gauthier, Henri Giorgi, Myriam


Lefebvre, Guillaume Lemoine, Philippe
de la rédaction, ou par courriel :
contact@abeillesenliberte.fr
com, Orin zuu, Juraj Sedlák, Gregor
Cresnar, Adrien Coquet et Bieutuong
Martin. Publicité : auprès du journal. Bay de the Noun Project.
Rédaction Nos partenaires : association Terran, terre
Directeur de publication de partage, Fondation pour une terre Revue trimestrielle, 4 numéros par an.
Les courriers des lecteurs, comme les
et de rédaction : Bernard Bertrand : humaine, Pollinis. 66 p. + 4 p. de couverture.
articles signés, expriment les opinions
bernard.zorties@gmail.com Numéro 1 comportant des encarts
de leurs auteurs et n’engagent pas la
Assistante de rédaction : Christina Otto : Tous les articles non signés sont dus publicitaires aux 2e, 3e et 4e de couverture
rédaction. Sauf mention contraire, les
contact@abeillesenliberte.fr à la plume de la rédaction. Sauf omission et pp. 65 et 66.
photos des articles sont de l’auteur de
Secrétariat et abonnements : toutes les photos non signées sont de la Tirage : 2 000 exemplaires.
l’article.
Aurélie Olivier : rédaction, B. Bertrand ou C. Otto. Commission paritaire : en cours de
L’envoi de textes ou photographies
contact@abeillesenliberte.fr demande
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Maquettiste et graphiste : Coordonnées administratives : Dépôt légal : janvier 2019.
une reproduction libre de droits. Tous
Sabine Facchin : Téléphone : 05 61 94 36 33 droits réservés pour tous pays.
sabinefacchin@gmail.com Courriel : contact@abeillesenliberte.fr Achevé d’imprimer en janvier 2019 par
copyright © Textes et photographies
Relecture et corrections : Site web : www.abeillesenliberte.fr ENCRE & PAPIER - 31100 Toulouse
publiés : leurs auteurs et Abeilles en
Annie Raguideau, Aurélie Olivier. Adresse postale : avec des encres végétales.
liberté. Toute reproduction par quelque
Ont également contribué à ce numéro : Abeilles en liberté, Chemin de Terran, moyen que ce soit est rigoureusement
Vincent Albouy, Perrine Bertrand, Yves 31160 SENGOUAGNET EAN : 3760148060461
interdite sans autorisation préalable. 5
Darricau, Stéphane Desrumau, Karine Petites annonces : Icônes : Kevin, Symbolon, iconsmind.
Devot, Jacques Fabry, Jean-Pierre Par courrier à l’attention
ACTUS, VOUS AVEZ LA PAROLE, LA VIE DES ASSOCIATIONS…

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« On n’est pas seuls »
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ÊTRE À L’ÉCOUTE DES ABEILLES,
une dynamique internationale
En septembre der- vée du varroa dans sa région et vu comment les
nier a eu lieu en Hol- abeilles ont su s’adapter. « La sélection naturelle a
lande la première confé- fait évoluer les abeilles depuis 30 millions d’années.
rence internationale « Learning Elle permet
from the bees » ou « Apprendre des aux abeilles LA SÉLECTION NATURELLE,
abeilles ». Plus de 300 personnes (scientifiques, api- de s’adapter NOTRE MEILLEURE ALLIÉE
culteurs, protecteurs des abeilles, artistes), venues constam-
POUR AIDER LES ABEILLES
des 5 continents et ment et c’est
CHANGER DE REGARD de 30 pays, étaient notre alliée pour les aider. » a-t-il déclaré.
SUR LA NATURE réunis à Doorn Un autre scientifique, Peter Neumann, président
pour explorer et échanger sur les abeilles et notre de l’Institut de la Santé des Abeilles (Institute of
relation avec cet insecte si étonnant. Tous conscients Bee Health) à l’université de Bern confirme l’impor-
de l’urgence dans laquelle se trouve le monde des tance de la sélection naturelle. Les nombreuses
abeilles et l’ensemble des écosystèmes vivants. pertes d’abeilles dans les colonies des ruchers eu-
Cette conférence était organisée par l’association an- ropéens ont été largement étudiées, sans jamais
glaise The Natural Beekeeping Trust, la fondation hol- s’intéresser au rôle de l’apiculture qui fait tout
landaise Smart Beeing et Beetime, résidence artistique pour limiter la sélection naturelle. Peter Neu-
en Andalousie inspirée par les abeilles. Leur inten- mann démontre qu’une «  (R)évolution de
tion : transformer notre regard sur l’abeille en interro- l’apiculture  » est nécessaire pour retrouver
geant les pratiques apicoles contemporaines et créer des abeilles saines.
une « culture respectueuse de l’abeille ». Leur espoir : Un autre grand axe de réflexion fut l’importance du
« tisser un réseau international d’initiatives, pour réta- lien entre les abeilles et les territoires. Aujourd’hui les
blir la santé et la résilience des abeilles dans le monde pollinisateurs ont faim, les paysages actuels se sont
entier. » Ce fut, dans le cadre du tournage de notre considérablement appauvris. Comment les abeilles
film1, l’occasion unique d’interviewer des spécialistes peuvent-elles prospérer dans des écosystèmes
et amoureux des abeilles du monde entier. dominés par des monocultures intensives ? Com-
Parmi les intervenants prestigieux : le profes- ment pouvons-nous inciter les citoyens à prendre
seur Thomas Seeley de l’Université de Cornell aux part activement à la restauration de la biodiversité ?
USA, l’un des rares scientifiques qui étudie les abeilles Heureusement, de nombreuses réponses créatives,
mellifères sauvages. Depuis plus de 40 ans il les a sui- provenant d’individus et d’associations du monde
vies et observées et connaît parfaitement la façon entier nous montrent qu’au contraire, il y a une pos-
dont elles vivent seules dans la nature. Auteur de sibilité de résilience.
plusieurs ouvrages (dont Following the wild bees ou Et c’est vraiment ce que nous avons ressenti au
The Honeybee democracy), il a pu observer l’arri- travers de cette incroyable concentration de per-

6 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


UN FOISONNEMENT sonnes agissant « Devenir une abeille », un voyage dans la ruche à
D’IDÉES POUR dans ce sens. Par- travers nos sens, fut proposé par Jacqueline Free-
CRÉER DES ESPACES mi elles : Deborah, man, apicultrice et auteure2 américaine. Avec elle
MELLIFÈRES jeune apicultrice nous avons écouté les différents sons de la ruche,
hollandaise qui a vu humé ses odeurs de propolis, de cire et de nectar et
ses abeilles mourir de faim dans un pays où la pro- ressenti l’unité de la colonie et son état de santé.
preté et l’uniformisation sont portées à l’extrême… Notre dernière rencontre : la seule enfant présente
Elle est parvenue à convaincre des entreprises et à la conférence, Marom, 10 ans. La jeune israélienne
des politiques de planter des dizaines de kilomètres nous a vraiment touché : « Les abeilles sont des
de fleurs mellifères sauvages le long des autoroutes anges » dit-elle… Depuis l’âge de 7 ans, elle a
et routes du pays. Mathias W., biologiste allemand pour projet de mieux faire connaître et aimer
a, lui, créé un réseau qui se développe dans toute les abeilles aux enfants du monde entier. Nous
l’Allemagne pour encourager chacun à recréer des repartons avec de nombreuses heures d’interviews
écosystèmes résilients et mellifères. Ou encore Shir- d’une grande richesse, alliant des informations scien-
ley V., horticultrice dans la ville de San Francisco qui, tifiques de chercheurs internationaux à des témoi-
avec son projet « Un peu d’espoir pour les pollinisa- gnages d’amoureux d’abeilles. Tous nous relatent
teurs », transforme plates-bandes, toits et balcons des expériences passionnantes et encourageantes
en espaces mellifères. pour continuer à agir en faveur des abeilles et imagi-
Des projets défendent l’idée de créer des réserves ner de nouvelles façons de faire avancer les choses.
sauvages tandis que Le principal message qui
d’autres privilégient les MOINS ON S’OCCUPE DES ABEILLES, se dégage de ce colloque
milieux plus proches des MIEUX ELLES SE PORTENT, ALORS, SI est simple, il rejoint nos
humains. Aux États-Unis, ON LES LAISSAIT VIVRE LIBREMENT ? propres préoccupations :
Michael Joshin Thiele et laissons les abeilles vivre
l’association Apis Arborea installent des ruches librement, elles se régénèreront d’elles-mêmes.
dans les arbres pour «  ré-ensauvager  » loca- Et si apprendre des abeilles, être à leur écoute, c’était
lement des abeilles. L’intervention de l’homme nous réconcilier avec le monde qui nous entoure ?
se limite dans ce cas à leur fournir un habitat, un
nichoir, comme on le fait pour les oiseaux. 1. - Projet de film sur les ruches de biodiversité, sortie
En sortant des conférences, nous pouvions obser- prévue automne 2019.
ver une multitude de ruches différentes, rondes, 2 - Le chant des abeilles, Mama Editions.
carrées, en paille, en bois, horizontales ou verti-
cales, Sun hive, reflétant la diversité des ruches >> Pour voir les conférences
possibles en apiculture naturelle. - https://www.learningfromthebees.org/reflections
Pour prolonger nos réflexions de manière créative,
>> Pour en savoir plus
www.naturalbeekeepingtrust.org
l’exposition organisée par Beetime réunissait les Smart Beeing http://www.smartbeeing.com/
œuvres d’une vingtaine d’artistes, danseurs, peintres, Beetime: http://beetime.net/
vidéastes. Tous ont exploré les relations entre - L’autoroute du Miel Honey Highway http://ho-
Humains et Abeilles, proposant de nouvelles neyhighway.nl/
possibilités de coexistence et de régénération. - Netzwerk Blühende Landschaft ( Réseau Paysage
fleuri) http://bluehende-landschaft.de/
Quand l’un d’eux se laissait recouvrir entièrement
- https://www.apisarborea.com
par un essaim, une autre tentait, par la danse, d’imiter - Les ruches de biodiversité, de B. Bertrand, éd. de Terran.
les mouvements de l’abeille : toilette, compactage - Les sites internet « Ruches de biodiversité » et
du pollen, etc. « Abeilles en liberté ».

7
ACTUS, VOUS
AGENDA,
AVEZ
VOUS
LA PAROLE,
AVEZ LA LA
PAROLE…
VIE DES ASSOCIATIONS…

Apischool à Rodemack ambiance buissonnière avec un fort engage-


(57 Moselle) ment des enseignants et l’aide précieuse de
nombreux parents bénévoles (des plantations,
Une nouvelle année scolaire comme partout ail- un talus de terre, une zone sableuse, un buffet
leurs à l’école Jean-Marie Pelt de Rodemack. Et recyclé en nichoir à abeilles solitaires, délimita-
cette année, comme depuis deux ans, les élèves tions de zones en prairies de fauche tardive,…).
ont un sujet d’étude de choix : les abeilles. La Pour cette troisième et dernière année du pro-
première année, Apicool a emmené les 5 jet qui verra l’octroi du label Apischool à l’éta-
classes à la découverte des abeilles sociales : blissement, c’est le faire-savoir qui sera mis au
Apis mellifera évidemment et les bourdons. La premier plan. Nous allons raconter des histoires,
deuxième année fut dédiée à la création d’un nous allons créer un poster, une fresque géante
jardin pour les abeilles solitaires. Chaque classe et des dépliants d’information. À Rodemack, on
avait choisi sa mascotte et d’autres aménage- sait que le mot Abeilles s’écrit avec un grand A
ments ont été réalisés par les enfants dans une et un petit s. Et ça va se savoir !!!

Prochaine Fête de
l’Abeille et de la
Biodiversité :
29 septembre 2019
à LEDIGNAN
Organisée par

Pour toute information :


06.67.74.93.35

Pensez à nous envoyer votre actualité 3 mois avant la parution de la revue


à contact@abeillesenliberte.fr

8 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


© Jean-Pierre Gauthier

« Les médicaments masquent et renforcent les ef-


fets négatifs du parasite, arrêtant temporairement la
crise ; mais les abeilles fragiles sont devenues viables,
elles ont répandu leurs gènes dans la population,
au détriment des gènes résistants qui ont été per-
dus… » expliquait Adolfo Perez, évoquant la crise
Tirer les leçons du passé généralisée que traverse l’apiculture qui utilise la
chimie, dans un documentaire diffusé sur France 2
LA CHIMIE, UNE FATALITÉ ? au printemps dernier…

La surmortalité des abeilles est, à n’en pas douter, DES POISONS DANS LA RUCHE,
multi-factoriellle (poisons, malnutritions, famines, NON MERCI !
parasites). En terme d’empoisonnement et de nu- On se demande pourquoi nos responsables sa-
trition (sucre), les ruches elles-mêmes ne sont pas nitaires s’entêtent à imposer des traitements qui
épargnées. Depuis 35 ans maintenant, sévit un re- entretiennent le problème au lieu de le résoudre ?
doutable parasite : le varroa. La réponse sanitaire à La course aux produits chimiques de plus en plus
ce fléau n’a pas tardé : la lutte chimique a été impo- violents continue, la mortalité des abeilles connaît
sée comme seul moyen de le réguler par les auto- une courbe ascendante, l’apiculture ainsi prati-
rités sanitaires, et validée par la profession. Depuis, quée,nous conduit dans un mur de plus en plus
chaque année, des quantités d’acaricides tout aussi proche, le choc est imminent. Il reste pourtant
toxiques pour les abeilles chez nous des souches
que le sont les tristement LES CHIFFRES PARLENT « LA PART DE (sauvages ou élevées
célèbres néonicotinoïdes LA POPULATION D’ABEILLES CUBAINES sans pesticides) résis-
sont introduits directe- INFECTÉES EST PASSÉE DE 20 % À 2 % tantes aux varroas, épar-
ment dans les ruches… Et EN DIX ANS », ADOLFO PEREZ, CIAPI / AFP gnées miraculeusement,
cela pour un résultat peu à partir desquelles un tra-
glorieux : des populations de varroas résistantes aux vail de sélection génétique similaire à celui effectué
pesticides, quand celles de nos abeilles s’effondrent ! à Cuba pourrait être entrepris…
La chimie est-elle une fatalité ? Nous voyons au cours de nos visites des apiculteurs
Aurait-on pu faire autrement ? qui ne traitaient pas contre le varroas (ils sont plus
Les réponses à ces questions nous viennent de nombreux qu’on le croit), se mettre à le faire, pani-
Cuba : NON à la première, OUI à la seconde… qués par des taux de mortalité anormaux dans des
À Cuba, à cause de (ou grâce à…) l’embargo qui a ruchers jusque-là épargnés… C’est dommage, leur
privé l’île de produits chimiques, agriculteurs et api- pratique n’est pas en cause et rajouter du poison
culteurs cubains n’ont pas pu traiter leurs cultures, dans la ruche à celui répandu sur l’environnement
ni leurs ruches. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de ne peut qu’aggraver les phénomènes. Ne cédons
laisser faire la sélection naturelle. ni à la panique, ni à la culpabilité du discours sa-
Adolfo Perez, directeur du Centre d’investigations nitaire officiel, il est urgentissime de préserver nos
apicoles de Cuba écrit en 2010 : « En 1996, Varroa a souches d’abeilles résistantes.
été diagnostiqué à Cuba et a fait des dégâts impor- La chimie n’est ni une solution, ni une fatalité. Quoi
tants. Après le premier impact, toutes les abeilles sau- qu’on dise, un pesticide sera toujours un tueur de
vages ont (semblait-il) disparu pendant plus de deux vie ! C’est sa définition même…
ans ; puis leur population a commencé à se rétablir.  La rédaction
Les apiculteurs ont reconstitué leurs colonies avec Comptage de varroas.
ces abeilles sauvages ayant survécu ». C’est à partir
de ces rescapées que les ruchers locaux ont été re-
© Jean-Pierre Gauthier

constitués, et que l’on a réussi à renforcer la sélection


des gènes naturels de résistances au varroa. Partout
ailleurs de part le monde, l’usage de pesticides autour
et dans la ruche a fragilisé les colonies, alors que les
varroas développaient, eux, leurs résistances…

9
ACTUS, VOUS
AGENDA,
AVEZ
VOUS
LA PAROLE,
AVEZ LA LA
PAROLE…
VIE DES ASSOCIATIONS…

VOUS AVEZ LA PAROLE


NOS COLLABORATEURS VOUS RÉPONDENT
QUESTION DE PAUL DE GUICHEN EN BRETAGNE
Depuis peu en Bretagne, la culture d’engrais verts se
généralise. Que pensez-vous de l’arrivée et de la
floraison hivernale des champs de moutarde ou
phacélie ? Quel va être leur impact sur l’hivernage ?

>> La réponse de Yves Darricau


Moutarde et phacélie sont un plus agronomiques
à généraliser, pour éviter les sols nus en hiver, qui
sans couvert végétal se lessivent et laissent partir Ces cultures agricoles de couverture compensent
leur azote dans les nappes. Elles fournissent en sus en partie l’absence de ce type d’habitats en zones
de la matière organique précieuse pour la vie des de grande culture. Quitte à les voir sortir, autant
sols. Quant aux abeilles, pas d’inquiétude, elles en qu’elles trouvent quelque chose ! Sinon, il faudrait
profiteront si le temps reste chaud, et récu- davantage les nourrir artificiellement pour com-
pèreront nectar et surtout pollens variés qui penser l’énergie perdue à se balader sans rien ré-
favoriseront leur résistance hivernale (plus colter, ou les mettre en chambres froides pour les
de pollens = abeilles plus riches en vitellogénine caler en hiver fictif et éviter leurs sorties !
et plus grasses donc plus résistantes). Par contre, ce que je ne sais pas, c’est si la pro-
En automne, il faut qu’il y ait à manger dehors pour duction de ces couverts agricoles reste consé-
un bon hivernage. L’idéal pour elles est un habitat quente alors que la luminosité décline, et que
semi-naturel, de haies et couverts végétaux variés, les vagues de froid arrivent : elle risque d’être
avec du lierre et autres plantes à floraisons autom- plus aléatoire, contrairement à celle d’habitats
nales et hivernales, comme la viorne tin… arborés…

GUÊPE POLISTE ET PETIT HOMME nos têtes, car on se trouvait devant mon « hôtel à in-
La première fois que Tom a vu des abeilles sauvages, sectes », il voulait les attraper. Tom, mon petit-fils de
c’était des petites osmies qui tournaient autour de trois ans, vient souvent dans la serre à tomates « pour
m’aider » à arroser. Alors un jour je lui ai montré les
dix petits nids de guêpes Polistes juste au-dessus de
nos têtes. Toutes les questions d’un enfant de trois
ans sont arrivées : « pourquoi ? »
­– Pourquoi les guêpes sont là ?
­– Parce qu’elles nous ont choisis, on a beaucoup
de chance !
­– Pourquoi elles nous regardent ?
­– Parce qu’elles nous ont reconnus !
­– Pourquoi elles ne nous piquent pas ?
­– Parce qu’elles sont gentilles et qu’on ne les em-
bête pas ! 
­– Pourquoi tu les laisses là ?
­– Parce qu’elles sont utiles dans la nature et en
plus elles sont très belles !
­– Et pourquoi, pourquoi, pourquoi… ?
 Jean-Pierre avec Tom.

10 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


COURRIER DE DANIEL À HENRI GIORGI, développé dans toutes les colonies domestiques,
SPÉCIALISTE DES RUCHES TRONCS sauvages, noires ou pas (vos colonies ne doivent
Bonjour Henri, pas y avoir échappé). Mais parfois une lueur éclaire
…/… Un sujet de réflexion me tracasse : on dé- l’horizon. Et la lueur pour vous Daniel elle est dans
couvre assez souvent dans la nature des essaims oc- ces deux petits essaims qui survivent dans votre
cupant un lieu depuis de très nombreuses années. toiture. Il existe des abeilles résistantes. Elles
Comment se fait-il que ces colonies, à leur sont rares et on ne sait pas pourquoi, ni comment,
état sauvage ne soient pas meurtries par les elles résistent pendant que d’autres sont éliminées.
varroas… ?  Mais ce que l’on sait aussi, c’est que ces colonies ré-
Depuis plus de 30 ans, deux petites colonies d’abeilles sistantes essaiment comme toutes autres abeilles
sauvages (noires) de terroir résident dans la toiture de et les essaims issus de ses colonies transportent
mon habitation. Lorsque je les observe avec atten- avec eux une grande part de leurs qualités… Les
tion, je n’en vois aucune porteuse de varroa.  mâles, lors de leur accouplement avec des reines
Alors ? La ruche moderne serait-elle un nid à venues d’ailleurs, participent à la diffusion de ces
parasites y compris pour l’abeille noire domes- résistances génétiques. Donc rien n’est perdu.
tique ? Des abeilles en bonne santé ne savent- Je ne vois pas vraiment de danger à intro-
elles pas se débarrasser de leurs parasites comme duire les essaims issus de ces colonies sau-
tout autre animal sait le faire ?  J’avoue être pro- vages dans vos ruche-troncs. Elles doivent être
fondément troublé et je suis en prise à une cer- capables de vivre leur vie en tirant partie de leur
taine angoisse. En effet, si « mes » Abeilles Noires environnement comme elles l’ont fait jusqu’à pré-
sauvages de terroir (altitude 500 - 540 m) sont res- sent cachées dans votre toiture. Si ce n’est pas
tées saines durant plus de 30 ans, l’introduction le cas, elles disparaîtront. Dites-vous que depuis
de 4 essaims “domestiques“ ne va-t-elle pas des millions d’années les choses fonctionnent de
contaminer mes 2 colonies sauvages ? N’ayant cette façon chez les abeilles comme chez tout le
aucune intention de récupérer du miel (pillage), vivant. Et cela jusqu’à ce qu’une, deux, trois colo-
ne devrais-je pas mettre des nichoirs plutôt que nies se démarquent des autres par leur résistance
des ruches ? Ou ne garder que des ruches-troncs, et leurs facultés d’adaptation. Et c’est à partir de
mais je n’ai pas acquis le savoir-faire requis.  celles-ci que devront se faire par la suite vos futurs
Qu’en pensez-vous ?  Daniel D. essaims.
Je ne vois donc aucun danger pour vos « colonies
>> La réponse d’Henri naturelles de toiture ». En revanche, elles sont à
…/… Avec la marche forcée imposée par l’api- surveiller au printemps car si elles vous lâchent
culture dans un système de fragilisation (sous de des essaims, ils ont une grande valeur pour vous.
multiples formes) des abeilles, nous ne retrouve- Si vous parvenez à les attraper, vous propagerez
rons plus la sérénité des années 70 avant la catas- leurs résistances.
trophe de l’arrivée en masse des varroas. Donc il
faut faire avec. Mais le plus rationnellement pos-
sible. L’apiculture aujourd’hui utilise des méthodes
“destructrices“, avec des pourcentages énormes
de perte de colonies. C’est un fait.
Mais il y a une autre apiculture qui elle se fout
pas mal de la production. Son but est la santé, la
sérénité des abeilles. Mais bien entendu les deux
apicultures se confrontent sur le même terrain, sur
les mêmes lieux de butinage et cela favorise bien
évidemment des phénomènes d’osmose qui ne
sont pas vraiment en faveur de cette apiculture de
respect... (Transfert de maladies, de parasites…)
Donc quand je dis qu’il faut faire avec, c’est bien le
cas. Le varroa, fruit de l’apiculture industrielle, s’est

11
OBSERVER ET COMPRENDRE

SORTIES D’ABEILLES
INTRÉPIDES
dans le froid hivernal
FAB
ES RY
CQU
JA Jacques est avioclimatologue naturaliste spécialiste de l’effondre-
ment global des colonies d’abeilles. Il nous propose une série d’ob-
servations de saison, réalisées au trou de vol et à l’extérieur de la
ruche. Ces observations sont précieuses, elles demandent du temps,
de la patience et un sens aigu de l’observation. Elles sont la base
d’un nouveau regard porté sur la ruche, sans la déranger, ni entrer
dans l’espace vital de la colonie, ce qui évite bien des stress.

LA FAUTE À PAS DE CHANCE LE PRIX DE L’INCONSCIENCE


Pas de chance pour cette pauvre guêpe qui Le début de l’histoire est différent pour cette
après de multiples recherches, de valeureux ef- malheureuse abeille en train d’agoniser depuis
forts et une formidable ténacité, avait réussi à se des heures dans le froid à quelques mètres de sa
faufiler au cœur d’une bûche de chêne de près ruche une nuit tombante de janvier.
d’un mètre de long, espérant y hiberner tranquil- En l’absence du gel sévère et durable qui mobilise
lement dans le noir, à l’abri du gel modéré, de toutes les ouvrières de la grappe à la production
l’humidité et des faux redoux. Elle vient de se voir de chaleur pour leur survie et celle de la reine,
brutalement exposée au froid de fin novembre des abeilles d’hiver intrépides sont tentées de se
par le coin d’un bûcheron. permettre quelques brèves sorties de la ruche
Animal à sang froid, elle n’aura pas le temps de se même à des températures proches du zéro ou lé-
désengourdir suffisamment pour trouver une nou- gèrement négatives pour faire leurs besoins avant
velle cachette avant la torpeur de la nuit. Il lui faudrait l’heure, emporter au loin les cadavres éventuels,
beaucoup de chance pour survivre jusqu’à demain. boire ou tout simplement s’enquérir des environs.

12 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Le miel consommé et les contractions musculaires thoraciques ont fourni assez de chaleur pour que
l’abeille puisse entreprendre sans dommage ses expéditions. Sauf imprévu.

RÉVERBÉRATIONS ASSASSINES
Depuis toujours il est caractéristique des hivers
enneigés de trouver de nombreuses abeilles
mortes les pattes en l’air sur la planche d’envol et
devant la ruche.
Fascinant spectacle dans le soleil rasant des mois
de novembre à février. L’abeille impatiente qui
se précipite vers la lumière effectue une roulade
avant sur la planche d’envol puis un vol courbe
avec atterrissage sur le dos dans la neige, plus ou
moins loin de la ruche.
Selon la dureté de la neige, elle y creusera sa
tombe en tentant de se dégager ou, ayant réus-
si à se remettre sur ses pattes, tentera une série
de nouveaux décollages qui se termineront sur le
dos par un demi-salto arrière. L’épuisement et l’hy-
pothermie auront finalement raison d’elle.
Ces chutes incontrôlables ne sont pas dues au
froid mais au fonctionnement de l’inéluctable tro-
pisme visuel imposé par les ocelles aux insectes
en vol qui en possèdent : toujours orienter le haut
du corps vers la plus forte luminosité.
Avant, pour éviter la piégeuse réverbération hi-
vernale devant le rucher, on noircissait la neige sur
une bonne dizaine de mètres en la saupoudrant
de cendres.
Aujourd’hui la question de la désorientation se
constate toute l’année. En effet, l’observation at-
tentive et régulière de la planche d’envol et alen-
tour révèle que les carrelettes, le béton, le bois
peint ou vernis, et même l’herbe, provoquent
également cette désorientation brutale, hiver
comme été, en campagne comme en ville.
Cela suggère un changement majeur survenu
dans une luminosité ambiante à regarder désor-
mais de très près.

13
LEÇON D’APICULTURE ALTERNATIVE

L’ABEILLE EN AUTONOMIE
Le commencement : quelle ruche choisir ?
GA
RRE UT
HIE
- PIE R
JEAN
De plus en plus nombreux sont ceux qui souhaitent installer une
ruche dans le fond de leur jardin, sans pour autant vouloir récolter
du miel, juste pour aider l’espèce et contribuer à maintenir cette
biodiversité si menacée. Ils ne savent pas toujours comment s’y
prendre ! Cette rubrique sera leur rendez-vous trimestriel, vous y
apprendrez le b.a.-ba de l’apiculture et, cerise sur le gâteau, dé-
couvrirez qu’avec un peu d’expérience et des conditions favorables,
biodiversité et prélèvement raisonnable de miel ne sont pas incompa-
tibles. Mais voyons d’abord quelles motivations nous poussent à vouloir abriter
une colonie d’abeilles dans notre environnement…

LES RAISONS D’UN RÊVE


En général, la première raison invoquée est la Il est certain que nous perdons énormément de
récolte de miel et des produits de la ruche afin pollinisateurs, phénomène lié au manque de va-
d’obtenir des aliments sains pour notre santé et riétés de fleurs sauvages, aux monocultures in-
satisfaire notre palais. dustrielles et à leurs cohortes de pesticides dont
Mon petit-fils de trois ans me dit en regardant le beaucoup ont la vocation de tuer des insectes (la
pot de miel « c’est bon ça ! » et il n’a pas tort ! grande et mortelle famille des insecticides).
La deuxième raison, de plus en plus souvent mise La troisième raison complète les deux premières,
en avant, est liée à l’environnement : on veut aider c’est le plaisir personnel… Celui de prendre le
la pollinisation et la biodiversité en favorisant l’es- temps d’observer les abeilles au plus près, le lâ-
saimage naturel d’abeilles locales et résistantes. cher-prise avec notre vie très agitée, comprendre
Prairie en montagne. Abeille sur lychnis fleur de coucou.

14 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


le cycle des saisons tout en observant ces insectes Si votre choix se porte sur une ruche en bois, vous
fascinants. Parmi ceux qui éprouveront ce dé- en trouverez dans le commerce ou pourrez la
sir d’installer une ruche, peu d’entre nous osons construire vous-mêmes. Si c’est une ruche tressée
franchir le pas. Cela paraît impossible, compliqué. en paille ou rejets de bois (osier, bourdaine, etc.) qui
On croit qu’il faut acquérir des connaissances très vous intéresse, même topo, vous pourrez l’acheter,
techniques sur l’apiculture et investir dans du ma- ou la fabriquer en vous formant auprès de van-
tériel adapté. Et puis, surtout, il y a cette appré- nier-nières qui proposent des stages. Construire
hension d’approcher les abeilles, une peur innée soi-même le logis de votre future colonie, c’est à la
de la piqûre qui fait mal… fois fierté, satisfaction et bonheur d’avoir accompli
Soyez rassurés, avec une ruche de biodiversité votre une action positive. Vous ne pensiez pas être ca-
rêve peut devenir réalité, en chassant vos peurs et pable de réaliser cet exploit et pourtant vous allez
sans beaucoup d’investissement. La connaissance inviter un essaim à s’installer dans cette habitation
de la vie des abeilles est un bagage indispensable cinq étoiles ! C’est très gratifiant.
pour ne pas commettre les erreurs qui pourraient Si vous optez pour une ruche tressée, il faut lui pré-
compromettre la survie de la colonie et nuire à voir un abri ou un toit adapté (en chaume, ou caba-
votre sécurité et à celle de vos proches. Il faut non) afin d’éviter sa destruction rapide par la pluie.
prendre le temps de l’apprentissage.
Ruche en paille.

L’ENDROIT IDÉAL DE VOTRE


FUTURE RUCHE…
Le bon sens suffit : recherchez l’emplacement qui
sera le plus agréable pour les abeilles et qui empié-
tera le moins possible sur l’espace de loisirs ou de
jardinage. Idéalement, c’est l’endroit le plus calme
de votre terrain, il sera ombragé, sans humidité
(c’est le principal ennemi des abeilles) et à l’abri des
vents dominants. Le trou de vol sera orienté vers
l’est à une hauteur supérieure à ce que l’on peut
voir dans les ruchers d’apiculture de production.

QUELLE RUCHE CHOISIR


On n’a que l’embarras du choix : ruches-troncs,
ruches en bois, en vannerie, en terre, en plâtre, en
paille, en feuilles de massette, en osier, en châtai-
gnier et clématite recouverte ou non d’un enduit
isolant qu’on appelle le pourget… Abeilles en liber-
té vous présentera tous ces modèles au fil de ses
numéros. Mais sachez que ce sera en fonction de
vos goûts, de vos compétences et des opportuni-
tés aussi !

L’ALLERGIE AUX PIQÛRES D’ABEILLES


Avant d’avoir des abeilles chez vous, si vous n’avez jamais eu de piqûre, demandez à votre médecin de faire
des tests au venin d’abeille, si vous êtes allergique il vaut mieux vous abstenir de la présence d’une ruche dans
votre jardin. En réalité, peu de personnes sont vraiment allergiques, un gonflement de la zone piquée est une
réaction normale au venin d’abeille. Avec le temps, un apiculteur réagit de moins en moins aux piqûres, le corps
s’habitue. Personnellement, après la petite douleur de l’aiguillon, je ressens une sensation plutôt agréable.

15
LEÇON D’APICULTURE ALTERNATIVE

Une ruche de biodiversité peut aussi se prêter à En apiculture de production, les abeilles se re-
une petite récolte de miel. Pour cela, elle devra trouvent avec des cadres « gaufrés », c’est-à-dire
posséder un trou en son sommet, qui recevra avec des plaques de cires moulées industriel-
une hausse pour collecter. Ce trou permettra lement, composées de grandes alvéoles dont
aussi de placer un nourrisseur pour aider une co- profitent les varroas. Lorsque les abeilles confec-
lonie qui manque de réserve, en lui proposant tionnent intégralement elles-mêmes les cellules,
du miel (essaim tardif ou mauvaises conditions d’une part la cire est indemne de tout traitement
météo lors des miellées, qui empêchent la ré- et l’espace est géré de façon à mieux se défendre
colte de nectar). des intrus et des parasites.

DES RUCHES MOINS RÉFLEXIONS SUR QUELQUES


FAVORABLES AUX VARROAS MODÈLES
Dans une ruche de biodiversité, les abeilles La ruche en bois, de forme rectangulaire, s’est im-
doivent construire intégralement leurs alvéoles posée avec le développement de l’apiculture de
sur un support libre, c’est-à-dire qu’il ne doit pas production. Elle est adaptée à l’exploitation du
y avoir de cadres ou de barrettes pour obliger les miel, pas au confort des abeilles…
abeilles à construire leurs langues de cire dans Dans une telle ruche, les angles sont des endroits où
une forme et une orientation imposées. Elles choi- l’on retrouve de la moisissure, nocive pour la colonie.
siront par instinct le développement harmonieux Les ruches taillées dans des troncs d’arbres de châ-
et naturel qui leur convient. taignier sont aussi en bois, mais elles sont rondes
D’ailleurs, il n’est pas rare de constater que dans et épaisses. Les abeilles y construisent librement
une ruche en bois sans cadre, mais à barrettes (de leurs rayons, les problèmes de moisissure dispa-
type “warré“), les constructions de cire ne suivent raissent… C’est la ruche qui se rapproche le plus
pas toujours les barrettes, elles font des vagues des formes que l’on retrouve dans la nature.
ou des coudes, comme dans les ruches sauvages. En vannerie on trouve différentes formes, mais
L’objectif de la colonie est de créer la meilleure presque toujours des formes très arrondies. Vous
ventilation qui soit. Dans ce domaine, elles sont pourrez vous donner une idée sur les différentes
bien plus efficaces que nous, nous devons leur formes de ruches en vous procurant le PDF du n°7
faire confiance. de la revue Le lien Créatif.
Cire naturelle. Varroa sur mâle.

16 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


provoqueraient le renversement. En hiver la colo-
RÉGLEMENTATION nie est perdue, en été, vous aurez beaucoup de
Dès lors que vous installez une ruche, vous mal à récupérer les morceaux de cire qui, en se
devez vous renseigner auprès de votre mairie cassant, laisseront le miel se répandre au sol pour
sur la réglementation départementale et le bonheur de toutes les abeilles des environs qui
communale afin de connaître les distances viendront piller cette manne providentielle.
à respecter entre la ruche et les propriétés Pour dormir sur vos deux oreilles, fixez correcte-
avoisinantes. Vous devez également déclarer la
ment votre ruche.
ruche à la Direction des Services Vétérinaires
de votre département et signaler à votre L’abeille a besoin d’eau, vous devez lui fournir de
assurance son existence, afin d’élargir votre quoi s’abreuver toute l’année pour éviter que la
couverture d’assurance responsabilité civile. piscine de votre voisin ne soit envahie d’abeilles !
Elles vont mémoriser l’emplacement de votre
abreuvoir dès les premières sorties du printemps,
INSTALLATION DE LA RUCHE si c’est la piscine du voisin, vous devrez déplacer
Quel que soit le modèle choisi, si vous avez la pos- votre ruche. Avouez que ce serait dommage !
sibilité de faire un rucher abrité cela va augmenter Pour résumer, une ruche doit être saine, étanche à
la durée de vie de vos ruches. la pluie, isolante en été comme en hiver, ne pas fa-
Pensez-y, dans la nature les abeilles ne recherchent voriser les moisissures, avoir un volume correct, ne
pas de gîte au ras du sol, mais plutôt à une hau- pas être exposée au vent, être bien fixée sur son
teur de deux à trois mètres pour se protéger des support et à une bonne hauteur. En respectant ces
prédateurs terrestres et de l’humidité. règles, vous mettez un maximum de chance du
À cette hauteur il y a peu de risque, les dérange- côté des abeilles, pour qu’elles soient heureuses.
ments sont quasi-inexistants. Lorsqu’elles sortent Reste maintenant à y inviter un essaim, c’est ce
de la ruche, les abeilles se dirigent vers le ciel pour que nous vous proposons d’aborder en avril pro-
aller butiner. chain, juste avant la période d’essaimage…
Installée en position basse, l’entrée de la ruche ne
doit pas se trouver sur un passage, l’abeille ne sup- >> Prochain épisode 
porte pas les gesticulations du jardinier ou les en- Préparer la ruche pour attirer les essaims.
fants qui courent devant la ruche ; cette situation est Cueillette d’un essaim vagabond ou achat d’un es-
saim ?
interprétée comme une agression par les abeilles.
Introduction de l’essaim dans la ruche.
La ruche et le toit doivent être fixés à votre sup- Rendez-vous en avril !
port, c’est important pour éviter les accidents qui
Trichie fasciée insecte pollinisateur.

17
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS

LES ABEILLES SAUVAGES


un monde insoupçonné
E LEM
UM OIN
ILLA E
GU Au côté de « l’abeille des ruches » Apis mellifera, aussi nommée
abeille domestique ou abeille mellifère, co-existent une quanti-
té d’autres espèces d’abeilles que l’on va dire sauvages. Ces der-
nières, souvent discrètes par leurs tailles ou leurs mœurs ont quasi
disparu de la scène médiatique tant les lobbies apicoles ont réussi
à nous faire croire que seule l’abeille domestique était indispen-
sable à notre survie. L’action de quelques associations1 permet de
contrebalancer cette déferlante médiatique et de proposer aux diffé-
rents acteurs et usagers des mesures pour enrayer leur déclin généralisé.

950 ESPÈCES SAUVAGES


SUR NOTRE TERRITOIRE !
Des 20 000 espèces d’abeilles sauvages réperto- ment aux « nichoirs à osmies »  et autres hôtels
riées au monde, 2 500 vivent sur le territoire de à insectes. Ce que l’on ignore souvent, c’est que
l’Union européenne. La France accueille un peu près des ¾ des espèces creusent dans le sol pour
plus de 950 espèces différentes. Comme de nom- y construire leurs nids. Elles utilisent des surfaces
breux insectes, elles sont plus nombreuses dans la qui sont planes ou en légère pente ou des parois
moitié sud de l’hexagone, aux températures plus verticales. D’autres espèces forent le bois ou uti-
chaudes et aux territoires plus naturels et mieux lisent d’anciennes galeries d’insectes xylophages.
préservés de l’agriculture industrielle propre aux D’un comportement proche, certaines espèces
plateaux et plaines fertiles du Bassin parisien. dites cavicoles utilisent des tiges creuses ou
Contrairement à l’abeille domestique qui forme pleines de moelle. Certaines espèces utilisent une
de très fortes colonies de plusieurs dizaines de multitude d’autres supports, comme des anfrac-
milliers d’individus, les abeilles sauvages ne vivent tuosités d’un mur, des cachettes sous les pierres
pas en colonie sauf chez les bourdons (qui font ou même des coquilles d’escargot. Pour terminer
partie des abeilles !) et les abeilles de la famille cette présentation non exhaustive, citons égale-
des Halictidae qui, en fonction des espèces, ont ment l’existence d’espèces dites “maçonnes“ qui
des comportements intermédiaires entre abeilles élaborent leurs nids de toutes pièces avec divers
sociales et abeilles solitaires. Chez les abeilles sau- matériaux (petits cailloux, sable, argile, résine…).
vages, la localisation et le type de nidification sont
très variables. Les femelles utilisent une quan- REFUGES URBAINS
tité de supports différents. On pense générale- La plupart des bourdons nichent, quant à eux,
dans la terre, affectionnant les terriers aban-
1 - Observatoire des abeilles, OPIE, Anthropologia, réseau donnés de rongeurs, ou dans la végétation
Apoidea gallica… soutenue par la publication d’un plan na- dense au ras du sol. Toutefois 20 % des espèces
tional d’actions en 2016 « France, terre de pollinisateurs » par d’abeilles solitaires n’aménagent pas de nids et
le ministère en charge de l’Écologie. ne récoltent pas de pollen ! Ces abeilles appe-

18 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


lées « abeilles-coucou » sont, comme on l’ima- Les villes, dans ce sens, ont ainsi un rôle à jouer
gine, des parasites. Elles profitent de la récolte de pour la préservation de nombreuses espèces
leur hôte au bénéfice de leur progéniture. Mises dans les régions très agricoles.
à part les abeilles “sociales“ qui forment des colo-
nies plus ou moins populeuses, les abeilles soli- BESOINS SPÉCIFIQUES
taires ne pondent que 10 à 20 œufs pour assurer AU MAINTIEN D’UNE
leur reproduction. On est ici bien loin des 2 000 POPULATION D’ABEILLES
œufs par jour que peuvent pondre les reines de De façon schématique, pour qu’une population
l’abeille domestique. d’abeilles sauvages puisse se maintenir dura-
Même si les abeilles sauvages se rencontrent blement, l’habitat dans lequel elle s’est instal-
dans tous les biotopes, elles fréquentent préfé- lée doit offrir les deux éléments suivants dans
rentiellement les milieux secs et chauds présen- un espace géographique limité. Le premier
tant une faible couverture végétale comme les correspond à des ressources alimentaires suffi-
pelouses sèches des coteaux calcaires. Ces es- santes tant pour la nourriture des adultes (nec-
pèces fréquentent également d’autres milieux tar) que pour celle des larves (principalement
ouverts, comme certains espaces industriels, sa- pollen). Compte tenu du nombre très impor-
blières, zones urbaines (jardins, parcs et friches). tant d’abeilles sauvages en France, la gamme

Mélitte de la salicaire (Melitta nigricans). Mâle d’halicte de la scabieuse (Halictus scabiosae).

Dasypode à culottes (Dasypoda hirtipes). Eucères dans une lavatère (Eucera sp.).

19
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS

de plantes butinées est très grande et les com- exemple du sable affleurant, favorise dans cer-
portements de butinage sont très variables. tains territoires la concentration de nombreuses
espèces différentes et de fortes populations
UNE ABEILLE, UNE FLEUR ! d’individus d’une même espèce, sur les rares
Certaines espèces d’abeilles généralistes bu- espaces qui leur sont favorables. Cela rend ces
tinent de nombreuses plantes différentes. populations très vulnérables en cas de modifi-
D’autres en fonction de la taille de leur langue cation de l’habitat (destruction volontaire, plan-
ont des préférences pour certains groupes de tations forestières ou enfrichement spontané).
fleurs (Astéracées ou Fabacées par exemple), Si l’on a pu constater que l’osmie cornue Osmia
d’autres enfin, sont spécialisées dans des genres cornuta pouvait butiner jusqu’à 1800 mètres de
botaniques particuliers (saules par exemple), son nid, la plupart des femelles d’abeilles sau-
voire dans une seule espèce de fleur, comme la vages récoltent nectar et pollen dans un rayon
collète du lierre Colletes hederea ou l’andrène de de 200 à 400 mètres de leurs lieux de nidifica-
la bryone Andrena florea. La seconde exigence tion.
correspond à la présence d’un lieu de nidifica-  Guillaume Lemoine, 
tion adapté. Il s’agit, comme nous l’avons vu  Société entomologique du Nord de la France.
souvent de lieux spécifiques. Le caractère “spé-
cialisé“ de certaines espèces, qui utilisent par >> Pour en savoir plus voir p. 67

Collète du lierre (Colletes hederae).

Andrène vagabonde (Andrena vaga). Anthidie rousse des carioles (Rhodenthidium sticticum).

20 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Osmie épineuse de la vipérine (Hoplitis adunca). Osmie bicolore des carioles (Osmia bicolor).

Osmie épineuse des carioles (Osmia spinulosa). Collète d’été (Colletes sp.).

Anthophore obtuse (Anthophora retusa). Andrène des crucifères (Andrena agilissima).

21
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS

L’AGENDA DU NICHOIR
épisode 1 : insolite et gratis !
DE
RINE VO
T
KA
Cela fait maintenant trois ans que j’ai un nichoir à abeilles soli-
taires, communément appelé hôtel à insectes, dans mon jardin.
J’y jette un œil de temps en temps et la vie qui s’y installe semble
être en mouvement permanent. C’est en voyant pour la première
fois une drôle de guêpe (Leucopsis) que me vient cette idée de
faire de mon nichoir le lieu d’un véritable observatoire permanent
sur plusieurs années en y passant au moins une heure par semaine.
Pour partager avec vous cette aventure, je vais donc reprendre tout de-
puis le début et revenir sur plusieurs points qui me semblent importants. Je
partagerai avec vous mes observations au fil des saisons (ainsi que sur le site de l’asso-
ciation Apicool).

LE GÎTE ET LE COUVERT Le monde des abeilles solitaires est vaste, près


Ce nichoir est destiné à la nidification des abeilles d’un millier d’espèces en France dont les 2/3 ni-
solitaires. Ces dernières pondent une dizaine difient dans la terre… Pas dans une ruche, pas
d’œufs dans des tunnels de dimensions variables, dans un hôtel, mais dans la terre… Celles que
suivant les espèces, après avoir déposé un stock nous accueillerons dans notre nichoir ne repré-
suffisant de pollen récolté sur les fleurs. Cette pré- sentent qu’une petite partie des abeilles soli-
cision peut paraître indécente dans une revue dé- taires, celles qui sont dites rubicoles et caulicoles
diée aux abeilles, mais combien de fois m’arrive-t- principalement. Elles font leur nid dans des tiges
il de voir des hôtels à insectes sur du gazon à perte à moelle (ronce, sureau, églantier, framboisier)
de vue. Les abeilles solitaires butinent dans un ou creuses (bambou, renouée, ombellifères, ro-
rayon en moyenne de 300 mètres autour de leur seau, cardères). On pourrait y voir quelques es-
nid et non pas de 3 km comme le font les abeilles pèces xylicoles qui nidifient dans le bois mort
mellifères. Le gîte et le couvert, ça va ensemble ! notamment.

LE PLUS GROS CHALCIDIEN


D’EUROPE
Cette année, fin juin il me semble, je vois un
insecte assez gros qui ressemble à une guêpe. Je
le photographie en long et en large et constate sa
longue tarière s’infiltrant dans le bois à la recherche
d’un hôte à parasiter. J’ai donc affaire à une guêpe
parasite dont je trouverai le nom plus tard, un
leucospis, un des plus gros chalcidiens d’Europe.
Grâce à lui me vient l’idée d’observer beaucoup plus
régulièrement mon hôtel 5 étoiles ! Un leucospis de la famille des chalcidiens

22 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


La collète lapin (Colletes cunicularius), une abeille terricole Nids d’abeilles solitaires dans un tunnel avec reserves de pollen.
visible au moment de la floraison des saules.

NICHOIR OU HÔTEL ? c’est bien un nichoir à abeilles qui prendra sa


Si l’hôtel à insectes peut avoir des vertus péda- place dans mon jardin et qui fera l’objet de toutes
gogiques, il est peut-être bon de rappeler que mes attentions.
la grande majorité des insectes pondent sur les Et là encore je vais au plus simple. C’est à la dé-
plantes là où la descendance pourra assurer ses chetterie que j’ai récupéré un vieux buffet. J’ai
repas. ouvert ses portes, j’ai végétalisé son toit (sedum,
« La grande majorité des insectes pond des œufs. orpin, joubarbe). Surélevé, exposé sud-est, à l’abri
On dit de ces espèces qu’elles sont ovipares. Mais, du vent, le voilà prêt à être rempli. Mais minute
si la reproduction est un acte fondamental pour papillon ! Pas si vite. Pas question d’y poser toutes
l’espèce, il n’a de chance de succès que si l’œuf est les tiges d’un seul coup. Et la raison en est simple.
pondu non pas au hasard, mais en un endroit pro- Les premiers arrivés, les premiers servis. Nous es-
pice au développement de la larve qui va éclore, pérons de la diversité, alors nous prendrons notre
c’est-à-dire à sa nutrition. Reproduction et nutri- temps. Je reviendrai plus précisément sur ce point.
tion vont donc de pair. Il en résulte que le com- En attendant, profitons de l’automne et de l’hiver
portement de ponte comprend trois phases suc- pour faire notre stock de tiges de toutes sortes et
cessives. D’abord la recherche de la plante-hôte, si de toutes tailles ainsi que de bûches à percer.
nous partons de l’hypothèse d’un insecte phyto-
phage (majoritaire chez les insectes).1»

Finalement, je n’ai jamais vu beaucoup d’insectes


dans ces hôtels et je leur préfèrerai toujours un
petit espace fleuri sauvage, un petit tas de bois
et un petit tas de cailloux.
Par contre, si les cavités sont bien réalisées, de
nombreuses abeilles solitaires y trouveront leur
compte et se développera alors un ensemble
d’interactions entre ces hôtes et d’autres in-
sectes comme notre chalcidien. C’est pourquoi

1. Extrait Des insectes et des hommes, Michel Lamy, 1997, col-


lection Sciences d’aujourd’hui par les éditions Albin Michel
(http://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i122lamy.pdf ) Une deuxième vie pour ce vieux buffet, gratis !

23
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS

L’ABEILLE
MELLIFÈRE SAUVAGE,
ALB
cette inconnue
ENT OU
V INC Y
Pour beaucoup, les colonies de « mouches à miel » vivant à l’état
sauvage, auraient disparu de nos écosystèmes de France et de Na-
varre… Rien n’est plus faux, il y a toujours eu et il y a encore des
essaims d’abeilles mellifères sauvages dans nos contrées, sans
doute plus qu’on ne le croit.

DES MŒURS FORESTIÈRES


PRIMITIVES
Ce qui est vrai, c’est que les colonies sauvages ont sectes paru en 1740, je n’ai relevé que quelques
rarement intéressé apiculteurs et surtout cher- allusions à leurs mœurs forestières primitives. Le
cheurs… Est-il encore temps de mieux connaître reste concerne les ruches.
cette population ? C’est ce que croit Abeilles en li- Les populations sauvages semblent être passées
berté et l’OPIE, avec qui nous lançons une enquête presque totalement inaperçues aux yeux des
participative nationale sur les arbres à abeilles, en générations d’entomologistes qui se sont suc-
complément d’une étude locale menée par l’OPIE cédées depuis ce grand ancêtre. Je n’ai trouvé
de 2018 à 2022 en Poitou-Charentes pour mieux presque aucun article traitant de ce sujet dans
comprendre la dynamique démographique des les revues scientifiques ou amateurs françaises
colonies à l’état sauvage. Ces initiatives et leurs du xixe et du xxe siècle. Les quelques références
résultats seront, espérons-le, une première étape existantes décrivent des situations atypiques,
vers une reconnaissance officielle de cette po- notamment des cas de nidification à l’air libre.
pulation non domestique d’abeilles mellifères,
qui permettra ensuite de travailler à sa protec- AUCUN RECENSEMENT
tion. Une urgence absolue, au vu des menaces DES COLONIES SAUVAGES
qui pèsent sur les pollinisateurs. Les abeilles do- En 300 ans d’entomologie scientifique française,
mestiques, c’est-à-dire les colonies d’élevage de il n’existe donc aucune étude de la biologie des
l’abeille mellifère, occupent tout l’espace scien- populations à l’état sauvage, aucun recense-
tifique et médiatique depuis plus de 23 siècles. ment, aucun suivi ! La situation française n’est
En effet, dès Aristote qui le premier écrit sur les pas une exception : il n’y a que très peu d’études
abeilles mellifères, les observations se font à partir sur l’abeille mellifère à l’état sauvage dans le
des ruches. Dans les neuf chapitres que Réaumur reste de l’Europe. Les plus fouillées concernent
consacre aux abeilles mellifères dans le cinquième l’abeille noire, la race d’Europe de l’Ouest et du
tome de ses Mémoires pour servir à l’histoire des in- Nord. Dues au professeur Friedrich Ruttner et à

24 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


ses collaborateurs, elles mêlent observations L’EXCEPTION AMÉRICAINE
faites dans la nature et observations faites dans Dans cette grande nuit documentaire européenne,
un cadre apicole, et il est souvent difficile de brille une petite lumière en provenance des États-
distinguer les unes des autres. Nos amis belges Unis et dans une moindre mesure d’Australie et de
du CARI ont publié la traduction française d’une Nouvelle-Zélande, où les abeilles mellifères ont été
excellente synthèse sur le sujet, librement télé- introduites depuis l’Europe au xviie et au xixe siècles.
chargeable : www.cari.be/medias/autres_publi- Rapidement échappées des ruches, elles sont re-
cations/abeille_noire.pdf. tournées à l’état sauvage dans leurs nouveaux mi-
Ce manque d’études scientifiques est une perte lieux d’adoption. Ces populations sauvages ont fait
irrémédiable, car les conditions de vie de l’abeille l’objet d’études parfois très approfondies depuis les
mellifère comme les paysages ont considérable- années 1970.
ment changé en France depuis un siècle à cause Pour la plupart des auteurs concernés, cette incur-
des évolutions techniques de l’apiculture, de sion parmi les abeilles à l’état sauvage s’explique
l’agriculture et de la sylviculture. Les mœurs des par les hasards de leurs recherches ou des finan-
abeilles ont été affectées ou se sont nécessaire- cements disponibles. La menace représentée par
ment adaptées à ces nouvelles conditions et mo- l’arrivée des abeilles africanisées aux États-Unis
difiées sur certains points. Mais faute d’études a conduit les autorités à financer de nombreuses
anciennes détaillées, il nous est impossible désor- études sur les populations sauvages, notamment
mais d’appréhender l’importance et la nature de dans le Sud du pays, depuis les années 1980. En
ces adaptations. Australie, les abeilles mellifères retournées à l’état

Gardiennes à l’entrée d’une colonie logée dans la niche d’un mur.

25
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS

Une colonie logée entre fenêtre et volet, facile à observer Une barrique bordelaise squattée par des abeilles
et à photographier.

sauvage se comportent dans certains milieux entre le socle commun aux diverses populations et
comme une espèce exotique envahissante, ce qui a les originalités apparues dans ces nouveaux mondes.
motivé diverses études.
Remarquable exception, le professeur Thomas See- UNE RICHESSE GÉNÉTIQUE
ley de l’université Cornell dans l’État de New-York En France, si les scientifiques ont fait l’impasse sur les
a étudié tout au long de sa carrière par sa volonté populations sauvages d’abeilles mellifères, les api-
propre, les abeilles mellifères à l’état sauvage. Voici ce culteurs s’y sont beaucoup intéressés pour diverses
qu’il écrit en 2016 dans son ouvrage Following the wild raisons, notamment la récupération des colonies.
bees (En suivant les abeilles sauvages) : « Je ressentais Les revues apicoles sont pleines d’anecdotes et de
alors [au moment de la rédaction de sa thèse dans petits faits très intéressants mais très dispersés. Par
les années 1970] et je ressens encore aujourd’hui exemple à l’arrivée du varroa, contrairement aux
un fort désir de mieux comprendre comment ces prévisions ou aux prophéties des experts, les abeilles
belles petites créatures vivent dans des colonies sau- mellifères à l’état sauvage se sont maintenues et ont
vages dans les forêts, plutôt que dans des colonies pu, pour certaines, développer une résistance ou
domestiques dans des ruchers. À moins de pouvoir une tolérance. Les premiers à signaler ce fait furent
apprendre comment Apis mellifera vit dans son en- les apiculteurs, et le dépouillement de leur presse
vironnement naturel, je ne comprendrai jamais vrai- permet de glaner des témoignages très instructifs.
ment comment sa physiologie, son comportement Le mérite de l’étude la plus poussée, – de la
et sa vie sociale l’adaptent au monde naturel. » seule étude devrais-je dire ­ –, sur les abeilles
Aussi intéressants soient-ils, ces travaux concernent mellifères à l’état sauvage en France, revient au
des populations d’abeilles mellifères qui se sont docteur Robert Canteneur. Vétérinaire des ser-
adaptées à un milieu neuf pour elles. Leur compor- vices départementaux du Bas-Rhin du ministère
tement comme leur génome ont été forcément de l’Agriculture et apiculteur amateur. Il a lancé
modifiés par rapport à ceux des populations euro- en 1978 une vaste enquête sur ce sujet auprès
péennes. Mais là encore, par manque de points de du monde apicole. Ce travail est d’autant plus
comparaison, il est difficile de faire la part des choses précieux qu’il précède l’arrivée du varroa et ses

26 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


dégâts sur les populations domestiques et sau- vivent leur vie sans l’intervention de l’homme.
vages. Cette méconnaissance scientifique est un Elles subissent sans cesse une forte influence
grave handicap pour tenter de comprendre si les des nombreuses activités humaines avec les-
abeilles mellifères à l’état sauvage parviennent ou quelles elles ne cessent d’entrer en interaction.
non à surmonter les graves défis de notre monde Mais contrairement aux abeilles d’élevage, sans
actuel : pesticides, modification des paysages, raré- cesse soumises aux interventions de l’apicul-
faction des sites de nidification naturels, maladies, teur, elles relèvent seules ces défis. Assujetties
parasites et prédateurs introduits, pollution géné- à une intense pression de la sélection natu-
tique, et si oui de quelle manière. Ainsi nous n’avons relle, elles trouvent par leurs propres moyens,
aucune idée de la densité des colonies à l’état sau- ou ne trouvent pas, les solutions pour tenter
vage dans les forêts et les campagnes françaises de les surmonter. C’est pourquoi mieux com-
d’autrefois, avant l’intensification de l’agriculture et prendre la vie des abeilles mellifères à l’état
de la sylviculture. Faute de point de comparaison, il sauvage aura beaucoup à nous apprendre. Car
nous est donc difficile d’interpréter les densités qui qui mieux que les abeilles peut savoir ce qui
peuvent être constatées à l’heure actuelle. est bien pour elles ?

ELLES RELÈVENT SEULES >> Prochain épisode 


LEUR DÉFI Un suivi sur cinq ans de colonies à l’état sauvage en
Les abeilles mellifères à l’état sauvage ne sont Poitou-Charentes.
rien d’autre que des abeilles “domestiques” qui

Les abeilles logent souvent dans les très vieux murs riches en cavités, ici dans celui d’un château du XVIIe siècle.

27
PARTICIPONS ! / MIEUX CONNAÎTRE LES « ARBRES À ABEILLES » : ENQUÊTE

MIEUX CONNAÎTRE LES


« ARBRES À ABEILLES »
Une enquête participative
En complément de son étude pour essayer de mieux comprendre la démographie des po-
pulations d’abeilles mellifères à l’état sauvage, l’OPIE Poitou-Charentes a conçu une en-
quête sur les « arbres à abeilles ». Abeilles en liberté s’associe à cette initiative en l’étendant
au territoire national, pour en faire une opération de science participative ouverte au plus
grand nombre, une première étape pour une meilleure connaissance et reconnaissance des
abeilles mellifères vivant à l’état sauvage dans nos territoires.

LES BASES DE DÉPART UNE ENQUÊTE EN RÉFÉRENCE


Une colonie à l’état sauvage choisit librement son Lors de son enquête pionnière lancée en 1978
site de nidification et vit sans aucune intervention (cf. article précédent), le docteur Canteneur a
humaine directe. La provenance de l’essaim, issu rassemblé des données sur 478 colonies logées
d’une ruche ou d’une colonie sauvage, est indif- dans des arbres creux. Pour essayer de mieux cer-
férente. Le site de nidification aussi : sites naturels ner les besoins et les habitudes de nidification
(arbres creux, trous de rocher) ou artificiels (che- des abeilles mellifères en conditions naturelles,
minées, dessous de toit, cavités murales, statues et pour comparer les informations qui seront
ou éléments creux, nichoirs, ruches abandonnées recueillies avec celles de l’enquête “Canteneur“,
spontanément colonisées par un essaim, etc.). nous lançons en parallèle à l’étude démogra-
Sur 117 sites de nidification enregistrés à l’été phique en Poitou-Charentes cette enquête par-
2018 pour l’enquête en Poitou-Charentes, 25 ticipative sur les « arbres à abeilles » étendue à
(21 %) étaient situés dans un arbre creux, contre toute la France.
46 (40 %) dans un mur, 20 (17 %) dans une chemi- Nous invitons les personnes connaissant un ou
née, 13 (11 %) sous un toit, 5 (4 %) dans un nichoir plusieurs arbres occupés ou ayant été occupés par
placé par nos soins et 8 (7 %) dans des lieux divers les abeilles mellifères à (re)copier et à remplir un
(poteaux, statues, ruches abandonnées). La pré- exemplaire du questionnaire par arbre et à nous
dominance des colonies logées dans des cavités le retourner soit par courriel (opiepc@orange.fr)
artificielles d’origine humaine, près des quatre-cin- ou par courrier postal (Opie-PC, 13 chemin des
quièmes du total, s’explique en grande partie par Melles, 17350 Annepont).
la plus grande facilité de repérage, puisqu’elles se Nous remercions d’avance celles et ceux qui vou-
trouvent à proximité immédiate de l’homme. Le dront bien apporter leur aide précieuse à la réali-
nombre relativement faible des colonies logées sation de cette enquête.
dans un arbre creux, leur site naturel de nidifica-
tion, s’explique au contraire par la difficulté de les Vincent Albouy
repérer, mais aussi très probablement par la raré- Coordinateur de l’enquête OPIE-PC/AEL sur les
faction de ces vieux arbres dans nos paysages. abeilles mellifères à l’état sauvage

28 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Enquête pour une meilleure
connaissance des « arbres à abeilles »

L’ARBRE ET LA COLONIE 7. Si elle n’existe plus, la colonie a-t-elle été :


- détruite volontairement 
1. Dans quelle espèce d’arbre se trouve la colonie ? - involontairement
(si connu, indiquez le nom latin) - récupérée par un apiculteur
- disparue spontanément
2. Dans quel milieu  ? (forêt, bosquet, haie, verger,
parc, jardin, bord de route, de cours d’eau, isolé…) 8. Avant l’occupation par les abeilles, avez-vous pu
remarquer si cette même cavité servait d’abri ou de
3. Dans quelle commune et quel département ? nid à d’autres hôtes ? (par exemple loir, écureuil, pic,
étourneau, frelon, guêpe…) :
4. L’entrée de la colonie 
Où se trouve-t-elle située (tronc principal, tronc se- 9. Après la disparition de la colonie d’abeilles, a-t-elle
condaire, branche…) ? été habitée par d’autres hôtes ? (mêmes précisions à
donner que question précédente) :
À quelle hauteur est l’entrée principale ?

Quelles sont sa forme et ses dimensions approximatives ?


Vous pouvez ajouter des renseignements complé-
Son orientation (une approximation comme SSE suffit) ? mentaires éventuels sur feuille libre.
Merci de joindre des photos de l’arbre et de la colonie.
Votre nom et vos coordonnées :
ÉVOLUTION DE LA COLONIE

5. Depuis quelle année connaissez-vous cette co-


lonie ? Connaissez-vous la date d’arrivée de l’essaim ?

6. A-t-elle survécu au-delà : du 1er hiver ? 


du 2e hiver du 3e hiver du 4e hiver Questionnaire à renvoyer par courrier ou par mail à
Elle existe encore ?  l’adresse indiquée page précédente.

Un platane creux habité par des abeilles mellifères.

29
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

DOSSIER

30 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


POURQUOI
CHANGER
NOTRE REGARD
SUR L’ABEILLE ?
31
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

Ne serions-nous pas

UN PEU RESPONSABLES
UM
E LEM
OIN
de nos malheurs ?
ILLA E
GU
En guise d’introduction à ce dossier, ce libres propos de Guillaume
Lemoine, apiculteur amateur, en forme d’autocritique, qui inter-
roge nos pratiques… Tenter d’y voir clair dans nos véritables res-
ponsabilités n’est-ce pas la première étape d’une reconstruction
de nos liens aux abeilles et à la Nature ?

L’APICULTURE FRANÇAISE Il est souvent plus facile d’incriminer des causes


QU’ELLE SOIT extérieures aux difficultés rencontrées. Toutefois,
PROFESSIONNELLE OU si les causes formulées ci-dessus constituent très
AMATEUR NE VA PAS BIEN probablement les facteurs principaux à l’effon-
Les ruches ont du mal à se maintenir et nombreux drement général des colonies d’abeilles domes-
sont les apiculteurs qui renoncent à leur loisir ou qui tiques, il n’empêche que nous pourrions peut-être
doivent remplacer ou acheter à chaque nouvelle sai- y ajouter notre propre responsabilité.
son des colonies ou des essaims pour remplir leurs
ruches tant la mortalité des abeilles est importante. SERIONS-NOUS PRÊTS
Les causes expliquant leur mortalité sont nombreuses À LES ENTENDRE,
et souvent complexes. Il s’agit généralement de l’ef- LES ÉCOUTER,
fet combiné de diverses causes. Les premières citées PUIS À LES ACCEPTER ?
sont bien sûr l’empoisonnement généralisé des éco- Quelle est donc notre part de responsabilité dans cet
systèmes et des espaces agricoles par de nombreux état de fait ? Je ne parle pas ici de nos habitudes de
biocides (insecticides notamment), et la disparition consommateurs qui cherchent quasi systématique-
de nombreux habitats “naturels“ et des ressources flo- ment les produits les moins chers et qui sont peu
rales qui fournissent nectar et pollen aux abeilles. enclins à ne consommer que des produits “respon-
Cadre de corps en cours de construction.
sables“ et, dans le cas des productions agricoles, que
des produits issus d’une agriculture biologique ou
plus respectueuse de l’environnement. Les consom-
mateurs par leurs choix ont, bien évidemment, la
capacité de réorganiser les marchés, et peut-être
qu’en étant plus exigeants sur les produits que nous
consommons, nous favoriserons le développement
de filières agricoles favorables aux abeilles. Sortons
toutefois du cadre général pour arriver au cœur de
la discussion. Lorsque je parle de notre responsa-
bilité, je veux parler de nos pratiques apicoles. Ne
faisons-nous pas tout simplement de l’apiculture
comme on fait de l’agriculture ? Il y a de multiples

32 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


façons de pratiquer l’apiculture. Même si nombre chez nous… On pourra toujours dire qu’il s’agis-
d’entre nous ont des pratiques très respectueuses des sait d’introductions involontaires anciennes…,
abeilles, ce n’est pas le cas de tous, et de fortes marges mais l’histoire ne fait que se répéter. Les « abeilles
de progrès existent. Peut-on être également un peu tueuses » en Amérique sont aussi et toujours le fruit
autocritique, vouloir alimenter un débat et partager de manipulations humaines.
des connaissances ou des réflexions sans que cela soit Le déplacement du Petit coléoptère des ruches
considéré comme du honeybee bashing ? (Aethina tumida) dans diverses régions du globe ne
se fait pas non plus par l’opération du Saint-Esprit.
QUELLE APICULTURE La détection du Varroa dans les ruches de l’île de la
PRATIQUONS-NOUS ? Réunion il y a quelques mois me laisse très dubitatif. Ici
Ne nous voilons pas la face : nos pratiques, même également, j’aimerais que l’on m’explique comment il
pour les apiculteurs amateurs, relèvent majoritaire- a pu se déplacer au-dessus de l’océan Indien… sans
ment de l’apiculture intensive. Les apiculteurs uti- l’aide de l’homme et de certains apiculteurs.
lisent massivement depuis un siècle des abeilles im- Bref, nous sommes partout et toujours responsables
portées comme les Italiennes (Apis mellifera ligustica), de toutes ces situations assez catastrophiques. Mais
Carnioliennes (Apis mellifera carnica) ou encore Cau- sommes-nous prêts à le reconnaître ?
casiennes (Apis mellifera caucasica) et leurs hybrides
comme la Buckfast. Ces introductions ont été faites AGRICULTEURS OU
et sont toujours réalisées dans le but de donner des AMATEURS « GARDIENS
colonies plus productives, plus fortes en nombre D’ABEILLES » ?
d’individus et ayant une plus longue période d’ac- Je le disais, on fait de l’apiculture, comme on fait
tivité (et parfois des individus plus doux). La “course“ de l’agriculture.
à la production de miel est d’autant plus regrettable Le terme même d’apiculture, fait référence à
lorsqu’elle est faite par des apiculteurs “amateurs“ qui l’(agri)culture, à la “production“ comme aviculture,
font de l’apiculture par plaisir et comme loisir. La sé- horticulture, sylviculture…, notion que l’on ne re-
lection artificielle, l’élevage et le clippage des reines, trouve pas dans la langue anglaise avec beeskee-
l’utilisation massive de sirops de stimulation et nour- per : gardien des abeilles. L’élevage est bien sûr une
rissement (dont l’usage en France est plus du double activité agricole, mais les bouviers, chevriers, mou-
en volume que la production de miel), le dévelop- tonniers… développaient probablement un autre
pement de l’usage de ruches en plastique, l’usage rapport avec l’animal. Il y avait probablement là
de cires et sirops contaminés… ainsi que le dépla- plus de respect, voire de complicité avec les bêtes.
cement des colonies (transhumance) sont monnaie Les éleveurs ne cherchaient pas le rendement
courante dans l’apiculture moderne. maximal au détriment de la santé de leurs objets
L’un des gros fléaux de notre apiculture est le Varroa. de production… chose qui change maintenant
Rappelons également qu’il n’est pas venu tout seul avec les projets de « fermes à mille vaches » (qui

Visite d’une ruche Abeilles battant le rappel

33
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

ressemblent à l’élevage intensif des cochons et des À côté des api-cueilleurs coexistent encore une
poules en batterie), où l’animal et le vivant de façon « apiculture intermédiaire » faite entre autres avec les
plus générale sont désacralisés et les rapports af- ruches Warré, des ruches troncs et d’autres modèles
fectifs avec l’animal inexistants. En apiculture, notre alternatifs (attention ici, ce n’ est pas le contenant qui
démarche du « toujours plus » est d’autant plus re- conditionne la pratique apicole mais bien la façon
grettable que la majorité des apiculteurs sont des dont on pratique l’apiculture), et enfin une troisième
“amateurs“ Je prends ici la définition de “non-pro- catégorie d’apiculture : celle que nous connaissons
fessionnel“. C’est-à-dire que nombreux d’entre eux en France, principalement en Dadant et Langstroth
font, je le rappelle, de l’apiculture pour le plaisir. Pré- lorsqu’elle prend exemple sur le modèle nord-amé-
cisons qu’historiquement le mot amateur désigne ricain. Pour Ratia, « cette dernière catégorie est très
quelqu’un qui « aime la discipline, sans en faire sa affectée par son côté intensif et l’on se pose souvent
profession », avant de devenir celui qui « exerce la question de son futur ». En marge des évolutions
une activité de façon négligente et non profession- de l’apiculture qui essaient de s’adapter aux condi-
nelle » (amateurisme). En théorie, les amateurs ne tions toujours plus agressives de l’environnement,
sont pas dans une logique de rendement, de rap- sans rien changer dans ses pratiques, ou en créant
port… Avons-nous donc besoin de matraquer nos des super abeilles OGM… vouées à l’échec, Gilles Ra-
abeilles et d’importer des essaims de tous horizons tia prône ainsi une « slow apiculture » dans le cadre
pour en tirer le maximum, au point de les mettre en d’une approche holistique précautionneuse de
danger. Les amateurs d’œufs frais qui élèvent des l’avenir de la biodiversité, donc de l’humanité.
poules dans leur jardin ne copient pas les éleveurs
industriels en développant des “batteries“. Pourquoi LA DESTRUCTION
donc les “amateurs“ sont-ils donc obliger de suivre DES COLONIES SAUVAGES,
le mouvement d’une apiculture intensive ? UNE ABERRATION !
En suivant l’actualité, je suis effaré de voir que cer-
VERS UNE «SLOW tains apiculteurs alternatifs suisses avaient eu leurs
APICULTURE» AVEC DES ruchers saccagés par des apiculteurs voisins, ou
ABEILLES RUSTIQUES ? d’apprendre que dans certaines villes les apiculteurs
À quand le développement et la reconnaissance locaux refusent les initiatives publiques qui visent à
d’une « slow apiculture » et un minimum de respect développer des ruchers à abeilles noires (frugales
pour ceux qui élèveraient des abeilles d’abord pour et aux besoins réduits) sous prétexte qu’elles al-
le plaisir, et pour préserver et maintenir des polli- laient “polluer“ leurs abeilles sélectionnées. Ne se-
nisateurs dans leur jardin sans rien leur prendre en rions-nous pas en droit d’exiger le contraire, c’est-
échange ? à-dire l’arrêt de l’introduction massive des abeilles
Lors d’une interview donnée à la revue d’api- hybrides ou italiennes ? Devant la perte de rusticité
culture Abeilles et Fleurs en 2016, Gilles Ratia, et la disparition quasi généralisée de l’abeille noire
ancien président d’Apimondia, présente les diffé- native de nos régions, il est étonnant de constater
rents types d’apicultures rencontrés dans le monde. le refus des autorités et de nombreux apiculteurs

Transfert d’un essaim Ruches urbaines

34 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


de laisser des zones sans abeilles “hybrides“ ou la maison (comme le chien, ou les animaux d’éle-
d’importation (zones d’exclusion autour des ru- vage jusqu’à une époque assez récente), ou à qui
chers conservatoires) pour pouvoir monter tout un on donne une maison, un abri (niche, ruche, étable,
réseau de conservatoires pour l’abeille noire… cela écurie…). Une espèce domestique est une espèce
au risque de perdre un jour toutes les ressources proche de l’Homme. La domestication qui est l’ac-
génétiques qui permettront aux abeilles de s’adap- tion qui souhaite rendre une espèce “domestique“
ter aux conditions toujours changeantes (voire dé- au sens littéral, sous-entend l’“assujettir“ ou la
favorables) de notre environnement dont l’artificia- “maîtriser“. La création d’hybrides et le contrôle
lisation est croissante. Garder des souches rustiques de la reproduction en sont des moyens. Chose
c’est se doter d’une garantie pour le maintien de que l’on arrive à faire pour les femelles de l’abeille
l’apiculture, qu’elle soit amateur ou professionnelle. domestique et qui est plus difficile pour les mâles
Dans le même esprit, sous couvert probable de (hors insémination artificielle) lorsque les reines
supprimer des foyers de re-contamination de ru- sélectionnées sont fécondées in natura par des
chers avec le Varroa, on n’hésite pas à détruire les mâles non sélectionnés d’origines variées.
essaims sauvages dans la nature comme cela se fait
au Grand Duché de Luxembourg (obligation régle- CHOISIR SON CAMP
mentaire). Ici, une fois de plus, c’est la destruction La domestication implique également le change-
systématique de souches rustiques probablement ment progressif de comportement : espèces plus
résistantes au Varroa que l’on réalise. dociles, espèces que l’on peut élever en plus forte
densité dans des espaces de plus en plus réduits,
DOMESTIQUE OU MELLIFÈRE ? espèces qui acceptent de nouvelles conditions de
Cela exprime probablement notre refus implicite, vie (nourriture, sirops, abris artificiels, ruches en
voire inconscient, de laisser des abeilles sauvages plastique…), voire espèces qui ne peuvent plus
dans la nature, et sans l’homme pour s’en occuper se passer de l’Homme pour se maintenir en vie…,
ou préoccuper. Je ne veux pas faire de parallèle c’est ce qui est de plus en plus le cas avec nos
trop simpliste… la France et l’Union européenne abeilles de ruches. Dans ce sens, Jean-Paul Fritz
ont progressivement interdit l’usage des “semences dans son article1 nous rappelle (fin janvier 2018)
de ferme“ aux exploitants agricoles, les obligeant à que les abeilles domestiques devraient être consi-
racheter chaque année des graines aux firmes qui dérées « comme du bétail, pas comme de la faune
font la production et l’amélioration des semences. sauvage » en reprenant les propos des deux bio-
L’État français a également interdit la vente de logistes Jonas Geldmann et Juan P. Gonzáles-Varo
graines de variétés anciennes si elles n’avaient pas de la conservation du département de zoologie
fait au préalable l’objet d’une coûteuse inscription de l’université de Cambridge2.
au catalogue officiel des variétés légumières. Veut- L’idéal serait de faire co-exister les deux noms et
on ainsi développer des races “protégées“ et rendre de réserver le nom d’abeille mellifère aux der-
à terme payant l’usage d’abeilles sélectionnées ou nières colonies sauvages (d’abeilles noires), et le
hybrides comme les Buckfast que l’on serait sus- nom d’abeille domestique à nos abeilles de ruche.
ceptible de remplacer régulièrement ? Choisir le nom que l’on donne à Apis mellifera, c’est
Toujours au niveau sémantique, on parle tantôt comme choisir son camp et son projet de société.
d’abeille domestique, tantôt d’abeille mellifère.
1. « Trop protéger les abeilles domestiques serait mauvais
Derrière le nom que l’on utilise se cache probable-
pour les autres pollinisateurs », in L’Obs <https://www.
ment une certaine façon de penser notre rapport à nouvelobs.com>;
l’abeille. Le nom latin Apis mellifera de l’espèce devrait 2. « Conserving honey bees does not help wildlife » in
nous inviter à utiliser la seconde appellation, mais Sciences <http://www.nouvelobs.com/sciences/>
l’usage que nous en faisons et les pratiques agricoles
de l’apiculture que nous réalisons, font davantage >> Article issu de :  Parcs & Réserves (volume 73, fas-
ressembler nos abeilles à une espèce domestique. cicule 3), revue d’ Ardenne & Gaume asbl (Wallonie
Le mot domestique fait référence au latin domos : - Belgique) reproduit avec l’aimable autorisation de
maison. Il s’agit d’une espèce “familière“ qui vit à l’auteur.

35
PORTFOLIO
de Myriam Lefebvre
Après avoir passé 20 ans à explorer le comporte- capturé des comportements inédits, qui m’ont
ment des abeilles mellifères, j’ai eu envie de les parfois surprise, tel le plaisir des mâles à se faire
connaître autrement qu’au travers de mon regard ventiler, ainsi que des détails anatomiques mé-
de biologiste. Je voulais les observer dans leur connus de tous les spécialistes des abeilles. Au
environnement naturel, sans intervenir et sans a fil des mois et des années, j’ai eu le grand privi-
priori théorique. J’ai donc troqué ma blouse de lège d’être le témoin de manières d’être et de faire
chercheuse pour un objectif macro. Je me suis plus individuelles, comme si les abeilles sortaient
installée devant l’entrée de ruches et, pendant finalement de l’anonymat que l’être humain leur
plus de 6 années, j’ai observé et photographié les a imposé comme une évidence. De portraits en
allées et venues de dizaines de milliers d’abeilles petites scénettes, celles-ci m’ont dévoilé l’intimité
mellifères. L’objectif macro a ceci de particulier d’un quotidien quelquefois insolite. Insensible-
qu’il nous invite à entrer dans un univers dont ment, je me suis intégrée à leur monde.
nous ne soupçonnions pas la richesse et la beau-
té. Je n’ai pas été déçue. Très rapidement, j’ai >> Pour en savoir plus voir p. 67

DEHORS !
C’est la fin de l’été. Les abeilles ont fait leurs provisions pour l’hiver. Les reines sont presque toutes fécondées. La colonie n’a
donc plus besoin des faux-bourdons qui sont devenus autant de bouches à nourrir inutiles. Ce mâle a essayé, de toutes ses
forces, d’échapper à la détermination de l’ouvrière à l’éjecter de la ruche. Grâce à ses muscles thoraciques plus puissants,
il a réussi. Jusqu’à la prochaine fois…

36 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


UN LONG MOMENT D’INTIMITÉ
Bien qu’il ait dépassé l’âge d’être pris en charge, ce faux-bour-
don a obtenu les faveurs d’une ouvrière qui l’a nourri pendant
de longues minutes. Les contacts antennaires furent intenses.

37
TYPE D’ABEILLES / L’ABEILLE MELLIFÈRE SAUVAGE

UN VENTILATEUR IMPROVISÉ
Il faisait beau et très chaud. Ce faux-bourdon est sorti de sa ruche, a regardé autour de lui et s’est dirigé
vers une abeille qui ventilait sur la planche de vol. Sans hésitation, il a placé sa tête sous l’une des ailes
en action, comme on la placerait sous un ventilateur. Il a pris bien soin de l’aérer des deux côtés.

ÉCHANGE DE NECTAR

38 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


BALLET IMPROVISÉ

39
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

ÉTERNITÉ ET INFINI
Confessions d’un apiculteur repenti
I GIO
R RG
HEN I
Je ne sais pas pour vous ! Mais pour ma part l’esthétique de cette
“abeille“ robotisée m’inspire une cruelle vision : elle représente la
silhouette de « La Mort » dans le pire de mes cauchemars.
Pourtant, si mon idée n’est pas ici de m’épancher sur le sujet de
cette aberration technologique, intellectuelle et éthique, il se
pourrait bien que celui-ci en construise la conclusion.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Et pourquoi ?

C’ÉTAIT HIER… OU L’ÂGE D’OR


DE L’APICUTURE
Nous devons être encore quelques milliers à avoir
débuté l’apiculture il y plus de quarante ans. L’ Âge
d’or de l’apiculture ! Avec le recul et à la vue de
ce qu’est devenue l’apiculture aujourd’hui, ce n’est
pas inexact.
Mais alors, quels sont les éléments qui ont fait que
notre embarcation apicole prenne l’eau de toute
part ? Nous qui avons vécu cet « Âge d’or », ne
serions-nous pas responsables de cette situation ? cellules à disposition. Les jardins et vergers n’avaient
Devons-nous culpabiliser de ne pas avoir su dé- pas encore été anéantis par les lotissements, par-
tecter ses fragilités ? kings, zones industrielles ou commerciales, tous,
Tous vous le diront, à la fin des années 70, les ruchers futurs ravageurs de territoires féconds. En attendant
voyaient le nombre de ruches croître d’année en an- ces inexorables avancées mortifères, les prairies fleu-
née par le seul fait des essaimages naturels. D’avril rissaient, les vergers bourdonnaient, les haies et les
à début juin, des essaims venaient se loger dans les chemins forestiers resplendissaient. Ce n’est pas une
piles de hausses entreposées au rucher. Le ciel des image idéalisée, c’était notre réalité.
villages était sillonné de comètes qui, bien souvent, La nuit tombée, les planches de vol étaient en-
ne faisaient même pas relever la tête du paysan dans combrées d’une population ne trouvant plus
sa cour de ferme. Les ruches “Dadant“ pouvaient être place dans les ruches. Et sous les pattes des ex-
garnies de douze cadres, les “Layens“ de leurs cadres pulsées provisoires, des filets d’eau issus du tra-
démesurés, les hausses se remplissaient de miel vail d’élaboration du miel, coulaient et gouttaient
dans une atmosphère d’abondance naturelle. jusqu’au sol. Oui, les mauvaises saisons d’hier res-
Colza et tournesol n’étaient pas encore ces pièges semblaient aux (très) bonnes d’aujourd’hui.
empoisonnés que l’on fuit aujourd’hui. Les champs Beaucoup d’apiculteurs avaient une démarche api-
fleurissaient, encerclé des bataillons ailés qui du ma- cole des plus simplistes. En effet, pourquoi vouloir
tin tôt au soir tard emplissaient jusqu’aux dernières plus de production alors que la générosité natu-

40 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


relle de la nature comblait déjà largement nos es- sant m’amena tout de même à quelques satisfac-
pérances ? Une, voire deux hausses pleines de miel tions. Mais, bémol, là où le maître “Caillas“ annon-
étaient une moyenne courante pour l’apiculteur çait 500 g de gelée royale par ruche et par an, je
d’hier. Mises en place au printemps, elles étaient re- parvenais, par sa méthode, à en produire, dans le
levées à la mi-août (à l’exception du colza récolté ra- meilleur des cas, à peine 300 g.
pidement) et offraient un miel multi floral commun Après trois saisons, j’arrêtais de pratiquer ces ma-
à presque tous. nipulations. La casse était
Pour les plus “aventureux“, POUR LES PLUS AVENTUREUX, énorme et j’avais de plus
la littérature apicole of- L’ESPÉRANCE DE RÉCOLTES en plus de mal à sacrifier
frait des méthodes aussi FARAMINEUSES… ET TRÈS VITE LES mes meilleures colonies,
variées qu’originales… La PREMIÈRES COLONIES QUI NOUS simplement pour satisfaire
bi-ruche promettait des CLAQUAIENT DANS LES MAINS ! une clientèle empêtrée
récoltes absolument fara- dans le désir irrationnel de
mineuses par le seul fait de faire cohabiter deux la cure de jouvence.
colonies intégrales dans la même ruche… Double Au fond de mon inconscient, les prémices d’un
colonie, donc double récolte en théorie. La pra- mal-être à manipuler et à corrompre des équilibres
tique démontrait bien souvent le contraire… Une que ma passion des abeilles trouvait admirables,
forme de compétition dans le nombre de hausses était en train de naître. Je n’en prendrais conscience
empilées sur les ruches s’instaurait. Nous nous que bien des années plus tard.
plongions alors dans les écrits d’ Alin Caillas et La nature nous offrant abondance en abeilles et ter-
autres précurseurs de l’apiculture dite moderne ritoires floraux illimités, moi et mes collègues étions
pour y puiser LA méthode qui ferait de nous les tournés vers une apiculture à visée de production
champions du printemps suivant… unique qui nous engageait tous, en parfaite bonne
conscience, dans les techniques “d’intensification“
PRODUIRE DE LA GELÉE apicoles.
ROYALE, SUMMUM On nous martelait que l’abeille était naturellement
DE LA MANIPULATION manipulable, une matière vivante propre à progres-
Pour ma part, j’étais fasciné du pouvoir offert par ser dans ses performances, au profit de l’apiculteur.
les méthodes de changement et de renouvelle- Les notions de fatigue, d’épuisement, de renouvel-
ment des reines. Interagir sur le développement lement permanent si nous pouvions les concevoir
et le destin d’une colonie, uniquement par les pour nous-mêmes ou les animaux domestiqués,
quelques manipulations de cadres que cela né- ne s’appliquaient absolument pas aux abeilles. Elles
cessitait, me passionnait. Après quelques stages étaient le “phénix“ qui se renouvelle en perma-
de formation auprès des “Maîtres“ de l’époque, nence, sans jamais montrer le moindre signe phy-
je me lançais dans l’élevage de reines qui allaient sique d’abattement.
remplacer celles que je ne supportais pas de voir Voici le schéma de fonctionnement que je pra-
vieillir dans mes ruches. De là à passer à la produc- tiquais en 1985. J’étais installé en Bourgogne,
tion de gelée royale, il n’y avait qu’un tout petit mon “cheptel“ : environ une centaine de colonies
pas, que j’ai franchi. Cette spécialité de l’apiculture
reste ce qui peut être considéré comme le sum-
L’abeille était naturellement manipulable
mum de la manipulation des abeilles et de leurs et matière vivante propre à progresser dans
équilibres intimes. Je construisais des ruches spé- ses performances. Les notions de fatigue,
cialement équipées pour cette production et sur- d’épuisement, de renouvellement permanent si
tout compatibles avec les manipulations qu’elle nous pouvions les concevoir pour nous-mêmes
impliquait. Les premières colonies sélectionnées ou les animaux domestiqués, ne s’appliquaient
ne tardèrent pas à me “claquer“ dans les mains. absolument pas aux abeilles. Elles étaient le
“képhir“ qui se renouvelle en permanence, sans
L’art du picking ne s’acquiert pas par la seule vo- jamais montrer le moindre signe physique
lonté du pratiquant. De greffages en cupules, de d’abattement.
cupules en cadres portes-cupules, le temps pas-

41
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

Les essaims se développaient sur le colza en plaine


et il était fréquent que ces essaims fassent colonies
dans la saison, voire, donnent une récolte l’été.
Les colonies qui n’étaient pas en plein développe-
ment à la mi-mai étaient réunies deux par deux,
séparées par deux feuilles de papier journal impré-
gnées d’un sirop mentholé. L’édifice des deux ruches
superposées était démonté dans les trois jours qui
suivaient. Ne restait plus qu’une ruche où les deux
populations ne faisaient plus qu’une. Une des reines
avait été sacrifiée par un combat royal. Huit jours plus
tard, après un rapide passage de la population au tra-
vers d’une grille à reine, la reine survivante était sup-
© Bernard Bertrand primée. Trois jours encore, et élimination de toutes les
amorces de cellules royales. Enfin, le lendemain, après
vérification qu’aucune cellule n’ait été oubliée, j’intro-
duisais au centre de la colonie un cadre de couvain
en majorité œufs et très jeunes larves puisé dans une
bonne colonie sélectionnée dans le rucher. Avant
logées en ruches Dadant 10 et 12 cadres, accom- l’introduction, je perçais la bâtisse de trois ou quatre
pagnées de quelques Langstroth et Layens hori- trous au milieu des jeunes larves. À tous les coups,
zontales. c’est à cet endroit que les cellules royales étaient par
Bien qu’entourée des vignobles, côté Saône, la la suite les plus belles. Le devenir de cette opération
plaine offrait d’immenses forêts, des prairies d’éle- était : jeune reine sélectionnée et colonie populeuse
vage bovins et des champs de blé, colza, tournesol, à venir pour les saisons suivantes.
maïs. Le sous-sol humide et la terre alluvionnaire de
la Saône favorisent une végétation nectarifère et DES ABEILLES VENUES
pollinifère : tilleuls, merisiers, chênes, saules, acacias, D’AILLEURS PAR WAGONS
ronces, pruneliers, fruitiers de toutes espèces… ENTIERS
Il était rare que je fasse du nourrissement d’au-
REINES SACRIFIÉES tomne ; exceptionnellement sur quelques colonies
Côté collines, appelées aussi « les côtes et ar- que mon inattention avait laissées pour compte.
rière-côtes » à l’ouest de la plaine de la Saône, Voici donc, à quelques détails près, le déroulé de
au-dessus des vignobles se trouvent des vallons, mon apiculture d’hier.
des combes et des versants d’exposition inadé- Quelques maladies de passage venaient parfois
quate pour les vins d’exception… Et c’est là que s’immiscer dans les rouages bien huilés d’une api-
vivent les véritables trésors végétaux, pour nous culture que je qualifierais de « bon père de famille » :
les apiculteurs… Une flore exceptionnelle faite acariose, nosémose, diverses attaques mycosiques
d’innombrables orchidées sauvages, d’hectares (surtout en forêt). Les démarches étaient simples.
de buis, de framboisiers, d’amélanchiers, d’érables, Le diagnostic se faisait sur la planche de vol et sur
d’acacias, de tilleuls, de cornouillers, de serpolets, une rapide observation du couvain…
etc… Bon an, mal an, malgré ces problèmes sanitaires en-
Inutile alors de pratiquer la transhumance, les ruchers démiques aux abeilles, les ruchers progressaient en
sédentarisés en plaine procuraient trois récoltes par population d’une dizaine de pour cent par an, sans
saison et ceux installés « dans les côtes », deux. pour autant que l’apiculteur soit une pointure.
Dès le printemps, je dédiais une dizaine de mes Pour la partie professionnelle et industrielle de
meilleures colonies à l’essaimage artificiel par divi- l’apiculture, les choses allaient aussi grand train.
sion. Division de deux pour les Dadant 10 cadres et De nouvelles abeilles venues d’outre-frontières
trois pour les 12 cadres. peuplaient déjà des milliers de ruches, tandis que

42 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


nous en étions encore à nos bonnes vieilles abeilles tions des races d’Apis Mellifera pré-citées, aura l’effet
noires, ignorants totalement qu’il puisse y a en avoir d’une bombe.
d’autres ! Nos critères de sélection, appris par cœur D’importations en transhumances, l’infestation se
dans les « modes d’emplois » littéraires de l’api- généralise dans toute l’Europe, France comprise
culture, étaient simples : colonies essaimant peu, dans les années 1980. Dès 1985, la messe est dite :
douces et productives. tous les cheptels domestiques et, pour une grande
Les professionnels de haut niveau, ceux qui ex- part les colonies sauvages, sont infestés.
ploitaient 500 ruches et La “cata“ est bien là et plus
au-delà, étaient déjà eux AUJOURD’HUI NOUS POUVONS rien ne sera désormais
sur un autre registre, fai- NOUS DEMANDER SI À CETTE comme avant.
sant le choix d’adopter des Des milliers de colonies
races d’abeilles supposées
ÉPOQUE DES SIGNES AVANT- sont mortellement tou-
supérieures en tout. Aus- COUREURS DE CE QU’ALLAIT chées et les apiculteurs
si, c’est par wagons et DEVENIR L’APICULTURE DU FUTUR pros et amateurs, sont
camions entiers que se ÉTAIENT VISIBLES. anéantis par l’ampleur du
déversaient dans les cam- désastre.
pagnes, des abeilles venues d’Italie entre autres. Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ?
Mais aussi, puisque la nature était jugée incapable Cette situation était-elle si difficile que cela à éviter ?
de perfection (sic), d’abeilles génétiquement croi- Aujourd’hui, nous pouvons légitimement nous
sées. En une abeille, vous pouviez avoir toutes les demander si à cette époque des signes avant-cou-
prétendues qualités d’Apis mellifera, carnica, cecro- reurs de ce qu’allait devenir l’apiculture du futur
pia, anatoliaca, sahariensis et monticola… En bref, étaient visibles. La réponse est oui. Absolument
une macédoine d’abeilles capable de révolution- oui ! Ces signes existaient, mais nous n’avons pas su
ner la pratique apicole. les interpréter. Notre regard, englué dans les cuves
à miel, ne comportait aucune lueur d’intelligence
AVEUGLÉS PAR LE MIRAGE sur le devenir des abeilles et de l’apiculture.
HYBRIDE Outre l’explosion fulgurante du varroa, qui sou-
Si les professionnels pouvaient briller par leur pro- lignait les dérapages de l’apiculture industrielle,
duction extraordinaire, pourquoi amateurs ou petits d’autres inquiétudes apparurent assez vite, comme
apiculteurs ne le pouvaient-ils pas eux aussi ? la découverte de milliers de cadavres d’abeilles
À cette époque, nous n’avons pas su nous opposer à devant les ruches en pleine période de fleurisse-
ce changement radical de cheptel. Et cela, pour une ment du colza. Certes, colère. Certes, désignation
seule raison : nous ne nous sommes pas
posé la question essentielle du « qu’en se-
ra-t-il demain ? ».
Aveuglés par les promesses d’eldorado
apicole, nous nous sommes tous précipi-
tés dans cette voie…
Carnoliennes, Caucasiennes, Italiennes,
Bukfast… ont donc peu à peu remplacé
« notre noire » ancestrale.
L’ ère de « l’ abeille industrielle » était déjà
en route !
Mais voilà qu’avec ce mélange internatio-
nal d’abeilles est introduit un minuscule
acarien, le varroa, ce parasite qui vivait en
Asie, en symbiose avec l’abeille asiatique
locale (Apis Cerana). Sa rencontre avec
Apis Mellifera, favorisée par les importa-

43
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

FLASHBACK. POURQUOI N’AVONS NOUS RIEN VU VENIR ?


Pour comprendre cette absence de vision à moyen et long terme, il faut revenir à ce que nous étions hier,
à cette vision que nous avions du monde qui nous entourait…
Qui étions-nous ?
Une génération d’après-guerre, issue de la reconstruction d’une société qui sortait d’un chaos mondial, subi
par nos parents. Leur histoire était dramatique, la nôtre avait toutes les couleurs d’un futur qui s’annonçait
infini et se construisait dans un espace illimité. Rien ne semblait pouvoir entraver l’avancée de nos énergies
de découvertes, de défrichements, d’expansion… Aussi, les systèmes de pensée avec lesquels nous nous
engagions sur les chemins de la vie, n’étaient pas faits de délicatesse, ils ne présentaient aucune attention
pour l’environnement. Celui-ci n’était qu’un espace de conquêtes, de productions extrêmes, totalement livré
aux actions des industriels de l’agriculture et de l’élevage. À notre mesure, nous cherchions à les copier. Ainsi,
pour ce qui concerne l’apiculture, l’abeille n’était qu’une matière première que nous devions faire fructifier.
Cette notion même “d’environnement“ n’avait pas franchi la barrière de nos jardins de conscience.
La lente émergence de la pensée écologique
L’ensemencement intellectuel d’une friche demande un certain temps. C’est par René Dumont que j’ai dé-
couvert ce mot qui devait par la suite prendre un bel envol : l’écologie.
Écologie ! Regarder autour de soi de façon différente. Différente parce que les yeux en se posant sur l’environne-
ment ne voient plus simplement un décor, mais l’ensemble des éléments qui le composent, nous compris. L’en-
semble des choses visibles et invisibles, en lien direct les unes avec les autres ; toutes dépendantes de toutes.
René Dumont plaçait d’autres pièces sur l’abaque de l’échiquier mondial, il évoquait une société socialement
plus démocratique, mondialement plus égalitaire et dont le fonctionnement serait en adéquation avec les
règles de la nature. Il fut un vrai visionnaire… Comme tel, il ne fut entendu que par une minorité.
Ainsi va le monde, les opinions ne tardèrent pas à se scinder en multiples courants d’adhésion ou de
rejets. Mais enfin, la graine était semée, l’écologie existait en termes politique et intellectuel. La prise de
conscience que notre environnement et nous-mêmes faisions partie d’une même entité, venait de naître.
Désormais nous savions grâce à cet homme que l’illimité et l’infini n’existent pas plus sur notre planète
que les neiges éternelles sur les cimes des montagnes. Nos actions, quelles qu’elles soient, ont, comme
les ailes du papillon, une influence sur le déroulé de notre avenir et celui de nos enfants.
Pour autant, l’abeille avait encore du mal à nous apparaître comme autre chose qu’une matière première.
Ses facultés d’adaptation à nos pratiques invasives ne laissaient rien paraître qui aurait pu induire une
inflexion de ces méthodes. Le miel, objet principal de l’exploitation, formait un écran épais qui occultait
totalement la fonction première des abeilles : être en tout premier lieu, l’un des pivots du fonctionnement
des écosystèmes dans leur immense majorité.
Bien au contraire, les méthodes d’exploitation n’en finissaient pas de se durcir, de se “moderniser“, de s’immiscer
de plus en plus profondément dans l’intimité de l’abeille et de sa colonie, fragilisant d’autant ses équilibres
vitaux.

du responsable agricole. Mais nous n’avions qu’une nels, elles n’ont jamais eu à subir les contraintes
réaction immédiate pour nos intérêts de petits ou des sirops spéculatifs, ni celle du clipage (am-
gros producteurs. La vision du futur nous échappait putation) des ailes des reines, ni le marquage
à nouveau. Ce que devenait insidieusement notre et numérotage, ni les sélections transgéniques
environnement empoisonné et au-delà, la planète et autres fécondations artificielles… Je dois
dans son entier, ne nous effleurait même pas. l’avouer en revanche, je n’ai jamais lésiné sur les
transhumances, les mélanges de population par
SENTIMENT DE TRAHISON réunion, la sélection en faveur de la production
Pour ma part, je suis toujours resté sur l’appren- et du non-essaimage.
tissage littéraire et pratique que j’ai reçu des Je ne pensais pas qu’un jour arriverait où je me
différent(e)s maîtres qui m’ont accompagné à dirais :
mes débuts. Par la suite, je n’ai jamais ressenti - Et si tu arrêtais ? Si le temps des abeilles finissait ? 
le besoin de me “perfectionner“. Je suivais mes J’étais tellement imprégné des abeilles. Et de-
abeilles dans leur développement naturel et à puis si longtemps ! Pas un jour où je n’aie levé
part quelques écarts expérimentaux occasion- les yeux au ciel pour juger de ce qu’il serait pour

44 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


HEUREUX AU MILIEU
DES ABEILLES…
J’ai bien vécu de mon apiculture. J’ai été heu-
reux au milieu de mes abeilles. Certaines nuits de
transhumances restent gravées dans mes souve-
nirs comme parmi les meilleurs moments de ma
vie. Véhiculer la nuit une cinquantaine de ruches
dans les endroits les plus sauvages, baigner dans
les odeurs nocturnes des garrigues ou des châ-
taigneraies, saisir à bras le corps les ruches bour-
donnantes et les déposer précautionneusement
sur leurs emplacements préalablement préparés,
ouvrir les trous de vol et observer se répandre sur
les frontons la vague des travailleuses outrées
de ce dérangement incompréhensible. Puis rester
immobile, écouter le calme revenir. La nuit est to-
les abeilles. Pas un espace de jardin, de garrigue, tale, le peuple des abeilles ne dormira pas, il sait
de forêt où mon regard n’ait cherché où serait le que le lever du soleil sera une épreuve nouvelle,
« bon endroit » pour y placer des abeilles. une épreuve à laquelle il ne comprend rien mais
Jusqu’à ce jour où il m’a bien fallu admettre que qui se renouvelle périodiquement, sans explica-
tion inscrite dans son histoire.
les saisons pouvaient aussi être vécues sans mes
Le retour nocturne à la maison a toujours un
fabuleuses compagnes. drôle de goût. Le camion et la remorque sont
J’ai donc décidé un jour de septembre qu’il n’y au- vides, légers. Mais il y a toujours une inquiétude
rait pas de quarante-cinquième printemps apicole. dans le fond du cœur de l’apiculteur qui
Drôle de période que celle où l’on se défait de son s’éloigne de ses protégées.
cheptel d’abeilles. Des apiculteurs se présentent
et proposent l’achat de dix, de quatre-vingt, de
cent ruches. Parfois de deux ou de trois… C’est mental et même physique totalement libérateur.
une impression de déchirement, mais aussi un Après un tel parcours, mon histoire « de vie » avec
sentiment de trahison vis-à-vis des abeilles. La les abeilles aurait pu s’arrêter là…
majorité des apiculteurs acheteurs demandaient Mais, souvenez-vous, j’ai évoqué au début de l’ar-
à visiter les colonies (ce qui est bien normal) et ticle les prémices d’un mal-être naissant, alors que
j’observais leurs gestes, leur façon d’enfumer, de je prenais conscience de pratiques irrespectueuses
sortir les cadres, d’observer… Pour certains cela envers mes colonies d’abeilles.
me rassurait. Pour d’autres, je n’avais qu’une en- Après 45 ans d’activité, ce mal-être a grandi. Ma-
vie…les expulser du rucher ! nipuler et corrompre les équilibres de la ruche
que je trouvais admirables, ne m’a jamais satisfait.
UN MAL-ÊTRE QUI GRANDIT Comme on dit, « j’ai fait avec ». Mais, débarrassé
La miellerie étant vidée de tout son matériel, les ru- des contraintes alimentaires propres à toute pro-
chers de leurs ruches, un nouveau et fort sentiment fession, j’ai pu laisser émerger une réflexion sur la
prend alors le pas sur celui laissé par le malaise dû réalité de ce que sont réellement les abeilles. De-
à la rupture brutale d’un métier hors du commun : puis, il est comme une évidence qui s’impose à
celui d’un immense soulagement ! moi : je suis sans aucun doute passé à côté de l’es-
Les inquiétudes liées à la météo, à l’état des colo- sentiel. Cette prise de conscience m’a beaucoup
nies, à ce que sera le prochain printemps, à ce que appris, elle est à l’origine de cette éthique qui au-
seront les récoltes de miel, les maladies éventuelles, jourd’hui me guide, dans ce que nous pouvons
à ce que sera la vente des productions, toutes ces admettre ou non, dans nos actions face au vivant.
préoccupations qui ont rempli 80 % de mes pen-
sées durant plus de quarante années, disparaissent >> À SUIVRE
d’un coup et laissent la place à un relâchement dans le n°2 d’Abeilles en liberté

45
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

UN RUCHER ÉCOLE
A RD
QUI BOUGE !
BE
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R
RN AN
BE D
Partout en France les ruchers écoles sont confrontés à de nou-
velles demandes, inexistantes il y a seulement 5 ou 6 ans : celles
de personnes désirant avoir des abeilles chez elles, sans forcément
avoir un objectif de production, ou bien que celui-ci soit secon-
daire. Est-ce possible ? Comment répondre à ces demandes ?

QUAND LES AMIS DES ABEILLES Un simple constat s’impose : pour avoir et/ou invi-
AFFLUENT ter des abeilles dans son environnement proche,
Les inscriptions sont si fortes que, selon les res- mieux vaut être à l’aise avec elles ; et au moins ne
ponsables de plusieurs ruchers écoles, elles repré- pas en avoir peur, ce qui est souvent le cas des
sentent jusqu’à plus de 50 % des demandes d’ins- débutants. Être capable de capturer un essaim va-
cription et de formation ! gabond, savoir retourner et soupeser une ruche
Les difficultés rencontrées par les abeilles pour en paille, distinguer le couvain du pollen dans la
survivre aujourd’hui ne sont pas étrangères à ce ruche, repérer les mâles, surveiller la varroase, sa-
phénomène, elles en sont même le moteur prin- voir quand une colonie est dynamique, etc. sont
cipal. Tout un chacun veut faire quelquechose des notions simples, faciles à acquérir auprès de
pour sauver l’emblématique insecte, peu importe formateurs expérimentés et qui permettent de
le prix, peu importent les compétences, peu im- faire de l’apiculture sans être (trop) intrusif. Cela
portent les conséquences… correspond bien à la demande de ce nouveau
Face à cet afflux d’amis des abeilles, deux réponses
sont possibles de la part des ruchers écoles : le re- Au rucher école du Héron, Didier Demarcq nous présente leurs
ruches traditionnelles occupées par des colonies.
fus ou l’acceptation et donc l’accompagnement !
Le refus, c’est prendre le risque de livrer à eux-
mêmes des amis des abeilles inexpérimentés (de
plus en plus) nombreux, dont la pratique sera li-
mitée à une observation contemplative, sans ca-
pacité à décrypter ce qu’ils voient. Cela peut se
concevoir si la colonie est vraiment sauvage, par
exemple inaccessible sous un toit.
La problématique est un peu différente dans le cas
« d’une ruche au fond du jardin ». L’accompagne-
ment des néophytes permet un apprentissage à
minima de la vie d’une colonie d’abeilles. Libre à
eux par la suite d’appliquer les enseignements re-
çus ou non, selon leur sensibilité et leurs objectifs.

46 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


public qui se presse aux portes des ruchers
écoles. Celui du Héron de Villeneuve-d’Ascq a Le rucher école du Héron, ferme du Héron chemin
fait le choix d’ouvrir ses formations à tous, sans de la ferme Lenglet 59650 Villeneuve-d’Ascq.
Depuis 25 ans le rucher école de Villeneuve-
distinction d’objectif. Une trentaine d’élèves
d’Ascq s’est installé à la ferme du Héron, propriété
s’inscrivent aux cours théoriques, à raison de 15 de la ville. La lieu accueille l’ENR, organisme qui
séances chaque année. Une partie du groupe gère les Espaces Naturels Régionaux et le Centre
abandonne en cours de route, mais la majori- Régional des Ressources Génétiques qui œuvre
té s’accroche. Lorsque le printemps revient, ils à la sauvegarde des espèces végétales fruitières
peuvent débuter les cours pratiques qui ont lieu (à travers un verger conservatoire unique) et
légumières et des espèces animales domestiques
sur le rucher lui-même. Ainsi, ils découvrent la
locales. Le rucher école du Héron est affilié au
vie des abeilles, les habitants de la ruche et leurs Syndicat apicole de la région lilloise (SARL) qui a
produits, la législation, le matériel apicole… Cet aussi sous sa tutelle les ruchers de Lille métropole,
enseignement pratique s’appuie sur un rucher Tourcoing, Douai, etc.
d’une trentaine de colonies, réparties en deux
entités distinctes.
Les ruches fixes, pour ceux qui veulent s’occu-
LE RETOUR DES RUCHES FIXES per d’abeilles sans forcément récolter de miel,
D’un côté du grillage, la nurserie, une série de offrent la possibilité de s’initier à l’observation
ruchettes pour l’élevage des colonies d’abeilles par retournement, comme celle au trou de vol.
noires, destinées aux adhérents du club. De Elles montrent aussi qu’un suivi sanitaire est
l’autre, un rucher conventionnel où, singulari- possible, tout comme elles offrent la possibilité
té, se côtoient des modèles très différents : des de nourrissement d’appoint.
ruches à cadres Dadant, des Viornot, des ruches Si le rucher école de Villeneuve-d’Ascq accueille
fixes troncs en paille et d’autres en poterie. Cela des ruches fixes en vannerie et en poterie, c’est à
ne pose aucun problème, au contraire, explique l’initiative de l’un de ses membres, Philippe Marcuz.
Didier Demarcq, le président du rucher, les Un marathonien touche-à-tout talentueux, ca-
deux démarches sont complémentaires, elles pable d’enchaîner un entraînement de plusieurs
montrent à quel point l’apiculture est diversi- heures, avec le travail en atelier pour fabriquer
fiée … des ruches à l’ancienne ou des prototypes de

Envol et retour à la ruche tronc Retournement du panier par Philippe Marcuz.

47
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

ruches troncs pédagogiques ! Ce jeune retraité


est aussi un jeune apiculteur qui, n’ayant pas les Le rucher du Héron est impliqué dans la
2 pieds dans le même sabot, est devenu aussi conservation de l’abeille noire locale (écotype de
Chimay/Valenciennes), une tâche difficile dans un
un jeune vannier et à ses heures perdues, céra- environnement où les ruches sont très nombreuses
miste ! et où des professionnels peu enclins au dialogue,
ont installé, sans précaution ni bonnes intentions,
POUR UNE APICULTURE PLUS des ruchers de “buckfast“.
CONTEMPLATIVE Les ruchettes d’abeilles noires accueillent des reines
C’est lui qui fait la une de notre couverture alors sélectionnées en provenance du conservatoire de
Chimay où une station de fécondation produit des
qu’il admire le spectacle d’un essaim entrant dans reines d’abeille noire dans un territoire protégé.
sa ruche en terre. Une ruche fabriquée en colombin
chez et avec Béatrice, une amie céramiste. Pour ce
qui est de la vannerie, Philippe a commencé seul Non loin de là, un rucher plus classique de
par tresser trois ruches. Mais, dit-il, « quand tu n’as ruches à cadres permet à Philippe une récolte
jamais fait de vannerie, faire des éclisses de ronce de miel annuelle. La cohabitation est exem-
ce n’est pas facile ». Alors il s’inscrit au club de van- plaire.
niers de Ronchin, là, il rencontre Claire qui l’initie à Ainsi, à travers les activités du rucher école du
la vannerie spiralée cousue. Il fabrique grâce à ses Héron et celles de ses membres comme Phi-
conseils, ses premières “catoires“, du nom populaire lippe, on voit avec plaisir que peuvent se cô-
des ruches picardes tressées en paille… toyer une apiculture de production raisonnable
Sa passion pour les abeilles fait qu’il entretient plu- et une apiculture naturaliste plus contempla-
sieurs ruchers répartis dans les espaces verts de la tive. Un bel équilibre est ici trouvé et pourra es-
ville, publics ou privés. C’est dans l’un d’eux qu’il pérons-le, inspirer d’autres ruchers écoles vou-
nous montre une ruche tronc imposante et majes- lant œuvrer, dans le respect des abeilles, à leur
tueuse, une ruche d’observation dont le toit trans- bonheur, tout en aidant les apiculteurs novices
parent permet de surveiller l’activité. Les ruches à progresser dans une discipline en plein ques-
fixes, comme celle-ci, recueillent et donnent des tionnement.
essaims qui assurent la dynamique de la popula-
tion d’abeilles locales. >> Pour en savoir plus voir p. 67.

La même ruche couverte de bouse de vache au moment de son


Une ruche/panier enruchement.
© Stéphane Desrumau.

© Stéphane Desrumau.

48 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Chez Philippe, en bon
voisinage, ruche fixe et mobile
ruche tronc d’observation
pédagogique :

1 : vue de dessus 2 : vue latérale avec trou d’envol

3. le haut de la ruche avec sa plaque de protection en plexiglass 4 : sans la plaque, aucune panique, dès que l’on ne touche pas
et le trou qui permet visite et nourrissage… aux rayons les avettes (ancien nom français de l’abeille dans le
Nord de la France) sont d’un calme exemplaire.

49
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

LA REDÉCOUVERTE
D’UN LIEN MILLÉNAIRE
Les champignons aux petits
soins pour les abeilles
LEF
M EBV
RIA RE
MY
Les raisons de changer notre regard sur les abeilles et sur leurs
difficultés ne manquent pas…
Parmi les quelques-unes évoquées ici, celle de notre méconnais-
sance des sociétés d’insectes, de leur mode de fonctionnement in-
time, de leurs interactions bénéfiques avec le milieu. Les liens étroits
entre abeille et forêt remontent à la nuit des temps, au point que
des synergies insoupçonnées garantissent la vitalité des uns et des
autres… C’est là tout un monde secret, mystérieux, que quelques rares
esprits ouverts commencent à percevoir et tentent d’explorer, prenant le risque
de passer pour de doux illuminés…
L’affection des abeilles pour les mycètes (face cachée du champignon - voir encadré) semble
une formidable piste d’espoir sur laquelle Myriam Lefebvre nous entraîne…

de virus ? Étaient-ce les cultures de fin de saison


UNE INCOMPRÉHENSION ou les conditions de butinage peu favorables qui
DE TROP avaient perturbé l’hivernage des colonies ? Cer-
Je ne m’y attendais pas. Il y avait un peu de soleil tains apiculteurs avaient leur petite théorie per-
et plus de chaleur en ce jeudi 3 mars 2016. Je suis sonnelle mais la majorité d’entre eux était dans
partie rendre visite à mes abeilles. J’avais en moi la le brouillard. Ils ont donc fini, comme les années
joie intense de retrouver des êtres chers après une précédentes, par adhérer au fourre-tout de la
longue absence. Elle est retombée bien vite. Sur thèse du “multifactoriel“. C’est rassurant, mais ça
mes six colonies, seules trois étaient actives. Pour ne donne pas de ligne directrice pour agir sur le
être sûre que cette réalité était vraiment deve- réel.
nue la mienne, j’ai ouvert les ruches : plus aucune
abeille vivante. Les moisissures avaient envahi les SORTIR DU BROUILLARD
cadres et les planchers, et les provisions de miel J’étais piquée au vif. Cette fois, je voulais com-
étaient quasi intactes. Pas de doute, elles étaient prendre pourquoi des colonies saines à l’hiver-
mortes au début de l’hiver. Je ne comprenais pas. nage, bien traitées contre la varroase, disparais-
Dans ma région, les hypothèses allaient bon train. saient en quelques mois. Plus fondamentalement,
Produits toxiques, pesticides, trop de varroas ou je désirais aider les abeilles à survivre dans

50 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


l’environnement d’aujourd’hui toujours plus pol- ment il lui a fallu 30 ans pour comprendre le lien vital
lué malgré les grandes campagnes de pub en qui existe entre les abeilles et les myceliums.
faveur des abeilles mellifères. Il faut être réaliste : L’histoire commence dans son jardin, au prin-
ce n’est pas dans l’immédiat que la situation sa- temps 1984. Il y avait installé plusieurs cultures de
nitaire va s’améliorer, le nombre de nouveaux myceliums dans des bacs d’expérimentation. Tout
pesticides qui entrent tellement facilement dans à coup, son regard est attiré par un petit groupe
l’écosystème ne cessant de grandir. En attendant d’abeilles mellifères qui s’activaient à l’endroit où
que les actions de la société civile pour la res- il avait fait pousser des champignons (voir enca-
tauration des écosystèmes, la promotion d’une dré p. 55) géants, appelés aussi strophaires à an-
agriculture respectueuse de la planète et pour neaux rugueux. Intrigué par le comportement des
le développement de sources d’énergie non pol- abeilles, il s’arrête pour les observer. Avec beau-
luantes finissent par assainir l’environnement de coup de détermination, elles déplacent les petits
manière significative, j’avais le sentiment qu’on copeaux de bois posés à la surface des cultures
pouvait déjà agir pour le bien-être des abeilles. pour les protéger et aspirent des gouttelettes
Et si on partait de leurs capacités biologiques sécrétées par les fils de mycelium. Avec l’enthou-
propres, celles qu’elles avaient mis tant de soin siasme du scientifique qui est sûr d’avoir fait une
à développer et qui sont à l’origine du succès de découverte inédite, il les observera butiner les
leur espèce ? Parmi ces aptitudes, j’en identifiais fils de mycelium pendant 40 jours, depuis l’aube
deux qui me semblaient pertinentes en rapport jusqu’au coucher du soleil. Il publie ses observa-
aux causes récentes de mortalités des abeilles : tions à plusieurs reprises, espérant avoir un succès
le système de détoxification et le système immu- immédiat. Curieusement, la communauté apicole
nitaire. et les scientifiques des abeilles l’ignorent.
J’avais trouvé un début de piste. Plus de deux décennies plus tard, Paul Stamets
fera des observations qui lui donneront un 2e in-
DES ABEILLES dice. Il se déplaçait régulièrement dans une des
CHEZ LES MYCÈTES dernières forêts primaires au nord-ouest des États-
Un an plus tard, dans le cadre d’un projet sur les Unis pour y suivre le développement des champi-
bactéries et les mycètes (voir encadré p. 55), je gnons qui poussent sur les troncs des arbres, après
m’installe bien confortablement pour visionner des que ceux-ci aient été entaillés par les ours. De la
petits films sur ces organismes fascinants de com- famille des basidiomycètes, ces champignons
plexité et de capacité
d’interconnexion. Qui
s’intéresse aux mycètes
aujourd’hui croise iné-
vitablement la route de
Paul Stamets, un my-
cologue expérimenté
dont le charisme a fait
le tour de la planète.
Une vingtaine de mi-
nutes plus tard, je l’en-
tends parler d’abeilles
mellifères. Mon atten-
tion redouble. Que
viennent faire des
abeilles dans un expo-
© Philippe Martin

sé sur les myceliums*


(voir encadré) ? Paul
Stamets dévoile com-

51
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

la quantité de virus présents dans les abeilles. Pour

© Paul Stamets
ce dernier effet, en fonction de l’espèce de mycé-
lium testé, les abeilles éliminent jusqu’à 90 % des
virus et cela en un temps record d’une semaine !
Un questionnement profond m’envahit. Comment
des centaines de laboratoires de recherche sur les
abeilles mellifères, y compris ceux dont j’ai fait partie,
ont-ils pu ne pas voir qu’elles se nourrissaient du suc
des myceliums présents dans leur environnement ? À
la décharge des scientifiques de l’abeille, la recherche
fondamentale en mycologie est restée pendant
longtemps très discrète. L’essentiel du financement
public et privé a été, et est toujours, consacré à la lutte
contre les quelques mycètes ravageurs des récoltes
humaines. C’est grâce au charisme et à la motivation
d’un petit nombre de chercheurs que le grand public
a finalement entendu parler de mycètes et de leur
rôle fondamental dans l’évolution de la vie sur notre
planète. La tâche des mycologues est loin d’être ter-
minée car, sur les 5 millions d’espèces qu’ils estiment
Les abeilles butinent le mycélium des strophaires à anneaux rugueux. exister, ils n’en ont identifié que 130 000 !

sont bien connus pour dégrader les pesticides, les RETOUR SUR LES DÉFENSES
herbicides et les fongicides. Lors d’une de ses vi- NATURELLES DES ABEILLES
sites, il verra des abeilles s’activer à la base d’un de Revenons à la découverte magistrale de Paul
ces champignons et récolter de la résine et du suc. Stamets et de son équipe : les sécrétions de my-
Le 3e indice arrivera via la publication d’un article céliums font partie de l’alimentation des abeilles et
scientifique sur les propriétés de détoxification du sont tout aussi indispensables au maintien de leur
miel. Paul Stamets a le sentiment intérieur qu’il survie et de leur bonne santé que le pollen et le
n’est pas loin de la solution. Un matin, encore au miel. Que ce comportement soit aussi vieux que
lit, il prolonge l’état de semi-éveil pour trouver le la présence des abeilles sur la planète est une hy-
lien entre ces 3 indices. Et là, ça y est, un déclic pothèse plausible bien que pas encore étudiée. En
foudroyant lui fait voir la scène entière : les abeilles effet, une grande partie de l’évolution des colonies
ont besoin du suc des myceliums pour éliminer d’abeilles mellifères a eu lieu dans l’écosystème fo-
les produits toxiques et renforcer leur immunité ! restier. On l’oublie trop souvent. On ne connaît rien
des premières interactions entre les abeilles et les
UNE BOMBE, RIEN DE MOINS myceliums mais il serait étonnant que ces insectes,
Avec l’aide de deux vétérans de la recherche sur qui ont passé des centaines de milliers d’années
l’abeille, les premières expériences en laboratoire à rechercher des gouttelettes de nectar, d’eau, de
sont menées tambour battant. Les sécrétions de miellat ou les sécrétions des bourgeons des arbres,
trois espèces de champignons sont testées sur soient passé à côté d’une source de nourriture pré-
des abeilles en cagettes : le reishi rouge, l’amadou sente sous la même forme, des gouttelettes, et ex-
et le chaga. Les résultats et leurs implications me trêmement bénéfique à la santé de la colonie.
laissent sans voix. Paul Stamets et ses collègues Comprendre le succès écologique des abeilles
ont mis en évidence trois effets très significatifs de mellifères invite à explorer le fonctionnement de
la consommation des sucs de myceliums : 1) une leur système immunitaire. Au cours de l’évolu-
augmentation de la durée de vie des abeilles ; 2) tion, elles ont d’abord développé une immunité
une diminution de la concentration de produits individuelle, ensuite une immunité sociale. L’im-
toxiques dans leur lymphe et, 3) une diminution de munité individuelle s’exprime au travers de deux

52 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


mécanismes. Dans le 1er, elles produisent des cel- velle génération de pesticides : les néonicotinoïdes.
lules sanguines qui, en circulant librement dans Par conséquent, des abeilles, souvent déjà affaiblies
la lymphe, phagocytent les envahisseurs étrangers. par la varroase et les produits de traitements as-
Comme 2e mécanisme, elles sécrètent dans la cavi- sociés, vont ramener à la ruche une dose supplé-
té interne de petits composés toxiques qui tuent les mentaire de pesticides présents dans le nectar et
micro-organismes qui s’y sont infiltrés. Progressive- le pollen des fleurs butinées. L’affaiblissement, la
ment, les abeilles mellifères forment des colonies de maladie ou la mort de la colonie ou d’une partie de
plus en plus populeuses qui nécessitent d’autres mé- celle-ci sont les conséquences directes de ces em-
canismes de protection. Le tapissage du nid par la poisonnements répétés. Malheureusement, l’im-
propolis en est un exemple, laissons-les donc propo- munité que les abeilles avaient développée durant
liser abondamment ! Les transformations complexes des centaines de milliers d’années ne les avait pas
du nectar en miel, du pollen en pain d’abeille ou en préparées à une overdose de produits toxiques. Les
gelée royale participent aussi à une bonne immunité travaux récents de la professeure Mary Berenbaum,
de toute la colonie. Quand les abeilles expulsent, par- de l’université de l’Illinois, vont nous éclairer sur
fois de manière très déterminée, les débris, les larves cette inadaptation immunitaire des abeilles à l’en-
ou des individus malades, elles empêchent aussi les vironnement actuel. Mais surtout, ils nous donnent
micro-organismes pathogènes de se développer. En- des clés pour comprendre les effets bénéfiques ra-
fin, le comportement d’agressivité, que les humains pides des extraits de myceliums.
essayent par tous les moyens d’adoucir, participe
également à la défense des colonies contre les enva- LE P-450, UN SYSTÈME
hisseurs. L’éliminer complètement du patrimoine gé- ENZYMATIQUE
nétique des abeilles mellifères peut les exposer à des INCONTOURNABLE
risques futurs qu’on ne soupçonne pas actuellement. L’équipe de Mary Berenbaum est en charge depuis
Tous ces mécanismes de défense développés par les 10 ans de trouver les causes du CCD (Colony Collapse
abeilles au cours de leur évolution ont contribué à Disorder), l’effondrement massif et répété année
faire prospérer l’espèce jusqu’à la fin du xxe siècle sans après année de centaines de milliers de colonies
aucun problème. Puis, en quelques années, les colo- d’abeilles aux États-Unis. La partie de son travail qui
nies se sont effondrées un peu partout en Europe et est pertinente dans la compréhension des effets po-
aux États-Unis. Actuellement, face à la récurrence de sitifs des sucs de mycelium concerne le mode d’ac-
ces mortalités et affaiblissements de colonies, les au- tion physiologique des produits toxiques.
torités sanitaires, impuissantes à apporter la moindre Pour aller à l’essentiel, quand des produits
solution à long terme, préfèrent parler de “surmorta- toxiques arrivent dans le corps des abeilles, ils per-
lité“. Comment expliquer qu’une espèce si prospère turbent leur santé de trois manières différentes :
en soit venue à être menacée d’extinction en moins Les trous d’aération de l’entrée de la ruche sont
de 30 ans ? Dans un premier temps, l’arrivée des var- progressivement bouchés par de la propolis pour lutter
contre les microbes et éliminer les courants d’air.
roas dans toutes les ruches d’Europe a décimé les ru-
© Myriam Lefebvre

chers et a obligé les apiculteurs à recourir à un ou plu-


sieurs traitements acaricides annuels pour éliminer
ces parasites et leurs virus associés. Très rapidement
des résidus toxiques se sont accumulés dans les cires,
créant des problèmes sanitaires supplémentaires
pour les larves et les jeunes abeilles. Aujourd’hui, tout
le monde sait ça. Par contre, ce qu’on sait beaucoup
moins, c’est que la présence permanente d’acaricides
au creux du nid des abeilles va solliciter leur système
de détoxification 24 heures sur 24, créant un grand
stress physiologique. Quelques années après l’arrivée
des varroas, une deuxième grande vague toxique va
s’abattre sur tous les ruchers d’Europe via une nou-

53
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

1) en bloquant le système de détoxification ; exemple. L’acide coumarique se retrouve aussi dans


2) en ralentissant les processus de l’immunité et le miel, ce qui fait dire à Mary Berenbaum que si nous
3) en les empêchant de digérer le pollen, ce qui voulons que nos abeilles survivent aux aggressions
les rend bien sûr immédiatement malades. chimiques actuelles, celles-ci doivent consommer
Le chef d’orchestre du maintien de la santé de exclusivement du miel. Parfois il faut repasser par les
l’abeille est un système enzymatique très com- laboratoires pour découvrir une évidence !
plexe, appelé P-450, qui existe sous des versions dif- Quatre types de problèmes (voir développement
férentes dans tout le règne animal y compris chez dans encadré ci-dessous) vont enrayer le bon fonc-
les humains. Il en existe 3 classes chez les abeilles tionnement du système P-450, mettant à mal la
mais, par souci de clarté, ils ne seront pas détaillés capacité des abeilles mellifères à se maintenir en
dans cet article. C’est donc un système robuste, qui bonne santé.
a eu le temps de faire ses preuves pour des modes 1) Blocage du système P-450 par les pesticides.
de vies très variés dans tous les écosystèmes de la 2) Synergie toxique des acaricides
planète. Le système P-450 assure la biotransforma- 3) Perturbation de la digestion de l’abeille par les
tion et la détoxification des composés toxiques. Il produits toxiques.
régule aussi le bon fonctionnement de l’immunité. 4) Haute-toxicité des fongicides qui inhibent le
système de détoxification, agissent en synergie
L’ACIDE COUMARIQUE COMME avec les autres pesticides et perturbent la diges-
CARBURANT tion des abeilles.
Chez les abeilles, la présence d’acide coumarique
est fondamentale pour faire fonctionner le système LA BOUCLE EST BOUCLÉE
P-450. Cette molécule est présente dans un grand C’est dans ce contexte de toxicité environnementale
nombre de plantes, ainsi que dans la paroi des grains chronique qu’il faut comprendre l’importance des
de pollen. Sa concentration augmente donc de travaux de Paul Stamets. Les premiers résultats pu-
manière significative dans le corps de l’abeille suite bliés par son équipe montrent que c’est la présence
à la digestion du pollen par des champignons bé- d’acide coumarique dans les sucs des myceliums
néfiques dans la fabrication du pain d’abeilles par qui sont à l’origine des effets bénéfiques de ces der-

L’EFFET COCKTAIL DES PESTICIDES, COMMENT ÇA MARCHE ?


1) Quand les pesticides (acaricides, fongicides, herbicides et insecticides) arrivent dans le corps des abeilles,
ils vont rapidement bloquer ou ralentir le système enzymatique P-450 en prenant la place de l’acide
coumarique. Par conséquent, les abeilles se retrouvent non seulement dans l’impossibilité de se détoxifier,
c’est-à-dire à se débarrasser de fipronil ou de l’amitraz par exemple, mais aussi d’éliminer les virus associés
aux varroas. Une diète riche en acide coumarique peut faire pencher l’équilibre vers la santé.
2) Certains acaricides agissent en synergie. Par exemple, aux États-Unis les résidus de tau-fluvalinate
(Apistan) coexistent fréquemment dans les cires avec les résidus de coumaphos. Arrivés dans le corps de
l’abeille, la présence d’un des acaricides va freiner la détoxification de l’autre.
3) Le 3e problème est encore plus préoccupant : les produits toxiques interfèrent avec la digestion et
le biome de l’abeille. Un exemple très utile à connaître pour les accompagnateurs d’abeilles est celui
de la quercétine. Présente en abondance dans le nectar et le pollen, la quercétine est indispensable
à la production d’ATP, “la“ molécule par excellence qui donne de l’énergie là où le corps des abeilles
en a besoin. Or, pas de chance pour celles-ci, les acaricides vont occuper sur le système enzymatique
P-450 le même site actif que celui de la quercétine ! Pire encore, si les abeilles sont en contact avec
des fongicides (toutes marques confondues), on retrouve très peu de molécules d’ATP dans les muscles
thoraciques des abeilles, ce qui les rend inaptes à voler.
4) Les fongicides se révèlent être hautement toxiques pour les abeilles et cela de 3 manières différentes.
Ils inhibent le système de détoxification des abeilles, ils agissent en synergie avec les autres pesticides
c’est-à-dire qu’ils amplifient la toxicité de ces pesticides et, cerise sur le gâteau, ils bloquent la digestion
de la quercétine qui s’accumule alors dans l’hémolymphe de l’abeille.

54 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


niers sur la santé des abeilles. Les sucs de myceliums
agissent donc sur l’immunité et le système de dé-
MYCÈTE OR NOT MYCÈTE ?
toxification des abeilles. Est-ce le seul composé ac- Les mycètes ne sont ni des animaux ni des plantes,
tif ? Certainement pas. C’est celui qui a été identifié ils constituent un règne à part qui accueille aussi
car on sait qu’il est essentiel pour les abeilles. Il est les levures et les lichens. Ils se composent du my-
très probable qu’il y ait dans le suc des mycéliums célium qui est l’appareil végétatif de l’organisme,
un ensemble de composés actifs, différents pour c’est-à-dire celle qui assure toutes les fonctions
sauf celles de reproduction. Le mycélium est
chaque espèce, qui soient tout aussi indispensables lui-même composé d’un ensemble de filaments
à la santé des abeilles que l’acide coumarique. blancs, plus ou moins ramifiés, appelés hyphes. Ce
mycélium végétatif va produire un mycélium dit
AGIR POUR AIDER NOS “aérien“, le champignon, appelé aussi sporophore,
ABEILLES À SURVIVRE qui est chargé de la production et de la matura-
En découvrant l’existence d’un lien thérapeutique tion des spores issus d’une reproduction sexuée
ou asexuée. Les mycètes assurent une fonction
entre les abeilles et les mycètes, Paul Stamets n’a tellement essentielle sur notre planète, que sans
fait que soulever une partie du voile. Il reste pas mal eux il n’y aurait pas de sols et donc pas de vie
de questions sans réponses. Par exemple, quel est terrestre ! Pendant des centaines de millions d’an-
le nombre d’espèces de mycètes butinées par les nées, ils vont en quelque sorte digérer la pierre.
abeilles dans chaque écosystème, quelle est la quan- Par la sécrétion continue d’enzymes et d’acides,
tité de suc que les butineuses ramènent à la ruche et les hyphes s’introduisent à l’intérieur des roches et
la dissolvent lentement. Petit à petit, du sol friable
où le stockent-elles ? Si c’est dans les cellules à miel, s’accumule et attire d’autres micro-organismes
cela ne le rendrait que plus précieux pour les abeilles ! qui vont, tout aussi lentement, complexifier la
Au-delà de l’intérêt immense pour la santé et la qualité de ces sols.
survie des abeilles, les travaux de Paul Stamets Ensuite les mycéliums vont aider les plantes à
et de Mary Berenbaum remettent la responsabi- sortir de l’eau et à conquérir la terre ferme. Les
lité de la santé des abeilles entre les mains des mycètes transfèrent aux plantes des éléments
nutritifs auxquels elles n’avaient pas accès et, en
apicultrices et des apiculteurs. Il n’y a plus aucun retour, les plantes leur fournissent des sucres et
doute que non seulement nos abeilles ont besoin des molécules de carbone. Peu à peu, les plantes
de cires libres de tout produit toxique mais aussi augmentent considérablement de taille et déve-
d’une seule diète : leur propre miel. C’est ce que loppent toutes les grandes forêts de la planète,
nous pouvons faire dès aujourd’hui pour les aider ce qui, en retour, modifiera la composition de
à survivre dans le monde de demain. l’athmosphère terrestre. Aujourd’hui, plus de 90 %
des plantes terrestres sont associés aux mycètes.
Elles ne pourraient pas vivre sans eux. Ces der-
BONUS : MYCOBEES, UN PROJET niers ont fini par développer un vaste réseau sou-
DE SCIENCE CITOYENNE terrain d’échanges et de communication entre
Ayant trouvé une piste solide pour aider les abeilles eux et entre les plantes parfois sur des centaines
à se maintenir en bonne santé, il fallait agir rapide- d’hectares. Le plus grand organisme au monde est
ment. Avec l’aide de deux collègues, Mycobees, un un mycète qui vit dans le sol de l’Oregon aux US.
Il est âgé de 2000 ans et couvre une surface de
projet de science citoyenne a été lancé fin juin 2018. 1 100 hectares.  
Mycobees vise à à tester les expériences de labo-
Une abeille sur phacélie.
ratoire de l’équipe de Paul Stamets directement
© Myriam Lefebvre

sur le terrain, c’est-à-dire sur des colonies d’abeilles


entières. C’est un projet de science citoyenne dans
la mesure où les expériences sont menées par des
passionnés d’abeilles, volontaires, capables de faire
des observations pertinentes, de suivre un protocole
scientifique et d’analyser les changements de com-
portement et/ou de santé suite à un traitement.

>> À SUIVRE
dans le n°2 d’Abeilles en liberté
55
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

ARBRES MELLIFÈRES
DU FUTUR
DA
R
ES RIC
YV AU
L’auteur, Yves Darricau, décrit et propose en une série d’articles,
une méthode d’enrichissement de la flore locale. L’apiforesterie, en
offrant une palette de plantes mellifères stratégiques (arbres et
arbustes), devrait permettre à nos abeilles de faire face aux défis
écologiques en cours (réchauffement, pertes d’habitats, disettes
alimentaires…) et de les affronter.
Chacun de ces articles décrira des pratiques d’apiforesterie qui ont
fait leur preuve, ici et ailleurs. Y seront inclus des portraits de plantes
constituant une possible palette d’avenir à privilégier.

INTRODUCTION
À L’APIFORESTERIE !
Face aux grands défis écologiques en cours, au tantes, en alignements urbains ou routiers, ou en
réchauffement climatique, à la disparition des recourant à des plantations nouvelles localisées
abeilles et autres pollinisateurs, il faut mettre comme des îlots de biodiversité dans des zones
en place des actions concrètes, comme celle délaissées.
de planter ! En choisissant ce mot valise bien Avant d’avancer dans cette voie, il faut parler des
pratique et compréhensible, d’apiforesterie, on défis écologiques présents et à venir, et de ce qu’ils
résume bien le propos : il s’agit de la complan- induisent pour nos abeilles. Il y a, en vrac, la surex-
tation d’arbres et arbustes mellifères capables ploitation des milieux de vie humaine urbaine gé-
d’enrichir la flore locale, de la diversifier et de la néralisée (zones commerciales, pavillons, routes et
compléter dans ses apports (nectar, pollen, ré- autres infrastructures) et la surexploitation du milieu
sines) en faveur des abeilles. Un peu comme le rural par l’agriculture dite industrielle qui continue sa
serait une forêt idéalisée, riche de diverses strates marche en avant en agrandissant ses parcelles au dé-
végétales et de plantes à floraisons étagées dans triment des haies et des délaissés semi-naturels, en
le temps et quasi continues, pleine de biodiversi- simplifiant toujours ses assolements et en retardant
té, du sous-sol à la canopée, résistante (résiliente sa cure (finale) de pesticides et herbicides au détri-
plutôt) face aux aléas climatiques à venir. Cette ment de toute la biodiversité environnante. On peut
complantation, grâce à ajouter aussi la gestion
une large palette végé- forestière, qui tarde à di-
tale, incluant des plantes EN VRAC, NOUS DEVONS FAIRE versifier les plantations et
connues, déjà présentes FACE À LA SUREXPLOITATION produit moins d’utilités qu’il
ou introduites encore ET L’EMPOISONNEMENT DES n’est possible de le faire.
rares, pourra se faire à ÉCOSYSTÈMES, LA DISPARITION Le bilan écologique glo-
toutes échelles : en petits DES HAIES, UNE GESTION bal est catastrophique et
jardins, dans des haies FORESTIÈRE INDUSTRIELLE, ETC. vite résumé : côté polli-
nouvelles ou préexis- nisateurs la situation est

56 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


La belle fructification rouge du tetradium suit une floraison blanche et parfumée.

connue. En Europe ce sont au moins 37 % des po- ciences alimentaires se conjuguent. Dans ce cock-
pulations d’abeilles, sauvages et domestiques qui tail, la “cause“ alimentaire a semblé la moins mise
sont déjà en déclin, 31 % des papillons, tandis que en avant, alors qu’elle est évidement basique. Une
9 % de ces espèces sont menacées d’extinction (1). étude américaine avançait dernièrement que des
On sait aussi que, ces 27 dernières années, plus de abeilles bien nourries résistaient mieux aux expo-
75% des insectes européens ont disparu (2). Quant sitions aux pesticides que des abeilles en déficit.
aux oiseaux, le CNRS et le Muséum d’histoire na- Rien de bien étonnant à vrai dire, si on met du bon
turelle parlent de « déclin catastrophique », avec sens dans nos analyses.
chute de population d’un tiers en quinze ans (3).
Pour ce qui est de nos sols, les données globales L’ALIMENTATION DES ABEILLES
manquent encore, mais d’évidence elles seraient SE DÉGRADE
aussi en « coup de poing » tant les sols ont perdu Le constat est celui d’une baisse de la quantité, de la
en grand nombre leurs vers de terre et leur humus, disponibilité et de la qualité du nectar et surtout du
ainsi que la microfaune et la microflore (champi- pollen. Dans beaucoup de zones agricoles, la flore
gnons à mycorhizes) qui vont avec. Une séquence et la biodiversité végétale sont réduites à la seule
logique apparaît vite dans ce tableau : une flore végétation dite “utile“ : la culture. Constat simple :
amoindrie et appauvrie veut dire moins d’habitats les plantes nourricières utiles aux butineuses (les
et moins de nourriture. Moins d’abeilles, d’insectes, mellifères) se sont raréfiées, la flore est appauvrie,
de vers de terre à manger induit moins d’oiseaux. simplifiée, alors que c’est elle qui fournit le nectar,
Pour la disparition des abeilles qui a été plus com- pour élaborer la cire et le miel, mais aussi des proté-
mentée ces dernières années, on a aussi parlé ines via le pollen, et enfin des résines pour élaborer
d’effet cocktail, voulant ainsi dire qu’une conjonc- la propolis qui aseptise les ruches.
tion néfaste de divers facteurs expliquerait leur Dans les terroirs de grandes cultures où dominent
disparition brutale. Virus et parasites (le varroa), les immenses parcelles de blé, colza, maïs, luzerne,
pesticides (néonicotinoïdes et autres) et défi- tournesol ; outre le risque d’excès en pesticides,

57
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

les abeilles souffrent d’une offre alimentaire dis- tielles pour son squelette, ses tissus de muscles,
continue. Après le colza qui fournit de grandes ses organes… Il est nécessaire au quotidien pour
quantités de nectar et de miel, plus rien si ce n’est réparer son corps, mais surtout pour la formation
des chaumes à perte du couvain et pour la gelée
de vue… Idem après PLUS DE DIVERSITÉ, D’ARBRES royale qui nourrit les reines.
les tournesols ou avec ET DE HAIES, DE ZONES Le pollen se stocke plus dif-
les luzernes qui sont ficilement. Il présente une
fauchées avant florai-
DÉLAISSÉES, DE PRATIQUES forte hétérogénéité (selon
son. Les rotations des CULTURALES LAISSANT DES les plantes) quant à sa te-
cultures simplifiées et COUVERTS VÉGÉTAUX FLEURIR… neur en différents acides
gérées à grand renfort OUI, UNE AUTRE AGRICULTURE aminés dont la variété est
d’agrochimie sont pra- ÉCOLOGIQUEMENT INTENSIVE essentielle. Il doit donc être
tiquées dans de grands EST POSSIBLE. plutôt frais et disponible ré-
espaces ouverts, par- gulièrement, sans grandes
tout en plaines remembrées, elles font fuir (ou pire périodes de disettes. Il doit être d’origine variée
disparaître) les abeilles et les insectes utiles. pour éviter les carences en acides aminés. On dit
Et ce n’est pas en promouvant la plantation d’ar- pour nous qu’il faut cinq fruits et légumes par
bustes mellifères aux pieds des grands pylônes jour pour être en bonne santé eh bien pour pa-
électriques (…si, si, avec fonds et partenariats di- raphraser ce conseil de bon sens et respecter ce
vers !) que la situation va changer. que disent les nutritionnistes, il faut aux abeilles
Il y faudrait plus de diversité végétale, plus d’arbres et trois (cinq !) pollens différents par jour !
de haies, plus de zones délaissées, et des pratiques Les critères pour la palette de l’apiforesterie com-
culturales laissant des couverts végétaux aptes à mencent à apparaître et vont s’éclaircir davantage
fleurir… Une autre agriculture écologiquement in- avec la prise en compte des changements clima-
tensive qui utiliserait au mieux le fonctionnement tiques en cours qui ont fait des années 2010 les plus
des écosystèmes sans altérer leur renouvellement. chaudes de notre Anthropocéne. L’avenir nous ré-
Une agriculture basée sur les capacités productives serve de deux à cinq degrés de plus d’ici la fin du
naturelles du vivant, plus complexe et réfléchie ! siècle. Et, en sus, les végétaux vont devoir affronter
Signe encourageant, celle-ci commence à émerger, des instabilités plus grandes, marquées par des épi-
comme en témoignent de nombreux agriculteurs sodes pluvieux plus forts, des orages plus violents et
qui remettent l’arbre et la haie au cœur du paysage des périodes de canicule et de sécheresse plus nom-
cultivé, prônent la diversité dans les rotations, les breuses. C’est assez clair désormais pour les séche-
couverts végétaux, le non-labour… L’apiforesterie resses - comme l’ont récemment montré 2003, puis
visera cette cause alimentaire qui affecte la chaîne 2005 et 2006 ; la fréquence des canicules, avec des
alimentaire depuis les insectes (pollinisateurs et températures dépassant les 35°C, pourrait concerner
autres), et par voie de conséquence les oiseaux, en y une année sur deux vers 2050.
ajoutant deux axes, l’un lié à la diversité des apports
alimentaires et l’autre lié à la disponibilité face en QUAND NOS TILLEULS
particulier au réchauffement climatique. FLEURISSENT PLUS TÔT
Ils auront aussi à faire face à un renforcement des pré-
TROUVER DES POLLENS VARIÉS cipitations extrêmes sur une large partie du territoire :
L’abeille, comme on le sait, recherche du nectar les fortes pluies provoqueront davantage d’inonda-
et du pollen pour son alimentation. Le nectar, ce tions et d’érosion des sols, (on l’a vécu en 2018 sur
sont des glucides, des sucres, de l’énergie qu’elle une bonne partie du territoire). Nos plantes sont af-
stocke, plutôt facilement. Ainsi, la disette en fectées négativement par ces modifications de leur
nectar - en hiver par exemple - est supportable, environnement bioclimatique. Les plus inadaptées
grâce à la réserve de miel qu’elle consomme, dessaisonnent, et jettent leur force pour des florai-
pour bouger, se chauffer, faire de la cire… Le sons improbables, comme on l’a vu lors de l’ hiver
pollen, ce sont ses protéines, ses briques essen- 2015 - 2016. Pour imager l’impact du changement

58 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Haie avec savonnier fleuri ; il est ici traité en arbuste et régulièrement rabattu.

en cours, il faut savoir que chaque 1° C de réchauf- les cerisiers qui ont gagné 7 à 11 jours depuis
fement équivaut à une remontée de conditions cli- 1980. Pour les arbres estivaux, les avancées sont
matiques “moyennes“ de vie des plantes d’environ plus fortes : il y a un demi-siècle, le tilleul à pe-
200 km vers le Nord, (ou 200 m d’altitude)… Les 2 à tites feuilles (Tilia cordata) était fêté et récolté le
3°C de plus, attendus pour 2050, correspondent à un 1er juillet, à Buis-les-Baronnies en Drôme ; mainte-
déplacement des conditions de vie de plus de 400 nant, la cueillette s’y déroule mi-juin ; idem pour
km vers le Nord : c’est beaucoup pour des végétaux les floraisons des châtaigniers et des acacias. Ces
- dont seules les graines se déplacent grâce au vent trois grands mellifères voient leurs floraisons se
ou aux animaux - qui vont être eux aussi fragilisés télescoper et surtout gagner en précocité. En fait
et, pour certains, vont délaisser ces territoires deve- pour une très grande majorité de nos plantes, on
nus inadaptés. Et ça va aller plutôt vite ! Nos arbres, peut dire qu’un degré supplémentaire avance
qui ont très généralement des cycles calés sur les de huit à dix jours la floraison. Les autres plantes
sommes des températures subies, répondent à ce dont les cycles sont calés sur la lumière (le pho-
réchauffement global en avançant leurs floraison et topériodisme) et qui fleurissent en jours courts ne
fructification. Pour les arbres printaniers, on observe changent par contre pas leurs habitudes ni leurs
bien une avancée de leurs floraisons, mais dans des dates de floraisons. Pensez au chrysanthème de la
proportions moindre que pour les arbres estivaux Toussaint et surtout au lierre, notre dernier grand
(heureusement, vu les risques de gels impromptus !). fournisseur alimentaire des abeilles, fondamental
pour constituer les réserves d’hiver des colonies.
DES DISETTES DE PLUS L’effet du réchauffement se visualise alors parfaite-
EN PLUS FRÉQUENTES ment : il allonge la période creuse que les abeilles
Ainsi, les poiriers à Angers ont avancé leur florai- doivent affronter, schématiquement, entre la fin
son de 7 jours sur ces cinquante dernières années des fleurs de châtaigniers et la floraison des lierres.
(avec une accélération depuis 1980) ; idem pour Une période de disette se généralise ainsi, de fin

59
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

juin à début octobre, cela d’autant plus que la énergie et autres intrants, (et aller jusqu’à imagi-
flore locale estivale qui assurait la soudure (ronces ner des drones pollinisateurs pour remplacer nos
et fleurs tardives des prairies et des délaissés) est abeilles), mais il serait bien plus judicieux d’aider la
maintenant laminée par un excès de nettoyage nature. Autre constatation, selon l’étude de l’univer-
des abords des parcelles et chemins. Le calcul de sité de Milan, les hivers plus doux pourraient aussi
la période de disette estivale à venir pour les deux stimuler chez les abeilles des couvées précoces ha-
ou trois degrés attendus (ou plus !) pour cette fin bituellement bloquées par le froid. Alors, comme
de XXIe siècle est facile à faire, et la conséquence son cycle biologique est lié au développement du
pour les pollinisateurs facile à comprendre. L’autre couvain, le varroa, ce poux parasite, pourrait avoir
conséquence de ce réchauffement est de nous tiré profit de ces couvées précoces pour devenir
faire vivre des hivers de plus en plus doux… Heu- plus agressif ! Recherche à poursuivre, bien sûr,
reux phénomène diront les frileux, mais qui peut mais observation bien inquiétante aussi.
être problématique pour les abeilles qui hivernent
à l’abri et sortent si le soleil pointe et si les tempé- UNE FLORE DÉJÀ COMPOSÉE
ratures passent les 12° C… D’ESSENCES EXOTIQUES
À ce stade, le cahier des charges de l’apiforesterie
OBSERVATION INQUIÉTANTE et la palette de végétaux ligneux à privilégier de-
On les voyait ainsi dehors lors du Noël 2015, va- vient très clair… Il nous faut planter des arbres et
quant au soleil : s’il n’y a rien à manger, ce qui est le arbustes à floraisons étagées, stratégiques, face aux
cas avec notre flore, alors elles dépensent en vain défis en cours, allant pour schématiser, de la fin de
de l’énergie - du miel - au détriment de leur au- floraison des tilleuls et châtaigniers à celle du lierre,
to-chauffage intérieur. Comme les pingouins, elles et comblant le trou hivernal jusqu’à l’arrivée du prin-
se regroupent en paquet et tournent les unes sur temps et des pissenlits ; le tout avec suffisamment
et dans les autres, pour se protéger du froid, en de diversité pour un bon apport qualitatif en pollen.
consommant modérément leurs réserves de miel, Bref, il faut modifier notre palette végétale mellifère
et au risque aussi de leur survie. Anecdotique à encore routinière, en choisissant tout de même des
ce jour ici, ce phénomène hivernal est déjà pris “résistants“ face aux mauvais coups à venir : cani-
en compte en Californie, où certains apiculteurs cules plus longues, périodes sèches plus fréquentes
louent des chambres froides en hiver pour y loger et grandes vagues de froid, rares mais toujours pos-
leurs ruches et leur faire croire qu’il fait froid. Par ce sibles, dans ce réchauffement global ; utiliser des
subterfuge, ils leur évitent de sortir et de brûler du plantes locales connues, mais aussi des créations
miel pour rien, alors que la végétation hivernale est horticoles et des introduites oubliées, expérimen-
réduite à néant, en ces zones fruitières spécialisées ter enfin, avec des raretés qui ont fait leurs preuves
en amandiers, strictement désherbées pour pré- dans les parcs et rues des villes (déjà habituées à une
server l’eau, rationnée pour cause de sécheresse plus grande chaleur et à des conditions environne-
extrême. On peut bien entendu tenter de tout mentales plus rudes). Bref, bâtir un nouveau compa-
rectifier avec de la technique et des dépenses en gnonnage écologique en enrichissant la flore locale.
Au cours de notre histoire, on a
LE CAHIER DES CHARGES DE L’APIFORESTERIE ET introduit des arbres d’Asie tem-
pérée (noyer, pêcher, pommier,
LA PALETTE DE VÉGÉTAUX LIGNEUX À PRIVILÉGIER
abricotier) ou d’Amérique (ro-
DEVIENT TRÈS CLAIR… IL NOUS FAUT PLANTER DES binier faux-acacia) pour nos di-
ARBRES ET ARBUSTES À FLORAISONS ÉTAGÉES, vers besoins (alimentaires et uti-
STRATÉGIQUES, FACE AUX DÉFIS EN COURS, ALLANT, litaires). On l’a fait aussi, à grande
POUR SCHÉMATISER, DE LA FIN DE FLORAISON DES échelle dans nos villes pour
TILLEULS ET CHÂTAIGNIERS À CELLE DU LIERRE, ET des raisons esthétiques (Paris,
COMBLANT LE TROU HIVERNAL JUSQU’À L’ARRIVÉE DU Nantes, Toulouse, Nancy, dans les
parcs, arboretum et jardins bota-
PRINTEMPS ET DES PISSENLITS.
niques historiques ; Montpellier,

60 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


FLORE LOCALE
OU FLORE ENRICHIE ?
Encore un mot pour préparer notre végétation à af-
fronter les défis agronomiques et écologiques à ve-
nir : il faut revoir à leur aune les listes administratives
d’espèces et de variétés éligibles aux diverses aides
et subventions régionales et européennes pour l’éta-
blissement de haies, d’infrastructures écologiques et
de pratiques agro-forestières. Chaque région a établi
ses listes qui, lorsqu’on les rapproche, montrent une
prédilection quasi exclusive pour le végétal tradition-
nel, une absence d’ouverture et surtout de logique
claire quant aux possibles enrichissements et aux cri-
tères qui ont prévalu à leur établissement. Pourquoi
la viorne-tin n’est-elle pas partout retenue (elle est lo-
cale !) ? Le Sophora japonica est un inconnu partout,
tandis que le Tetradium est acceptable en Occitanie
et refusé ailleurs, le tulipier de Virginie est étrange-
ment souvent accepté (pour quel apport ?), et des
champions urbains pleins de qualités et sur lesquels
Butineuse au travail sur les fleurs du savonnier. on reviendra (savonniers, tilleuls tardifs, chalef, févier)
sont superbement ignorés…
Des bizarreries administratives, dues certainement
Bordeaux, Les Barres…). De nombreuses plantes in- à de multiples recours à expertises qui se justifient
troduites montrent des floraisons décalées comme comme elles peuvent, à revoir rapidement, sinon à
les Sophora Japonica, Gleditsia, Koelreuteria, Corylus éliminer, pour laisser la possibilité aux demandeurs
colurna et autres tilleuls tardifs, ou encore des créa- de caler leurs listes sur des orientations agrono-
tions horticoles comme le Buddleia weyeriana à flo- miques, économiques et écologiques décidées au
raison estivale continue, ou l’arbousier “andrachne’“ cas par cas du projet apicole et du contexte local !
un hybride entre notre arbousier et celui de Grèce, Ici on choisira prioritairement des compagnons
diverses plantes adaptées à plus de chaleur et de pour attirer des pollinisateurs en été ou pour pri-
sécheresse font leurs preuves. Elles sont esthétiques, vilégier la sortie de l’hiver… Là on visera des mel-
ce pourquoi elles furent introduites en ville, dé- lifères fixateurs d’azote pour sols pauvres.
montrent leur rusticité et confirment leurs apports La biodiversité n’est pas le coeur de cible de ces
très appréciés des insectes pollinisateurs et oiseaux listes administratives qui ajoutent au formulaire
alors qu’elles restent encore trop rares sinon incon- de demande de subvention, pour installer des
nues en milieu rural. Elles devront être mobilisées haies, une recette contrainte, alors qu’il faut pen-
pour face aux défis à venir. ser à expérimenter, et viser la plus grande adapta-
Enfin, le temps est venu de viser des introductions bilité possible face au futur : le cas par cas éclairé
d’arbres et de cultivars à finalités écosystémiques. devrait être la règle !
Pourquoi ne pas commencer par des arbres cham-
pions pour nos abeilles et mobiliser les chercheurs ENCORE UN MOT…
et botanistes pour qu’ils introduisent et sélec- Dans la pratique, Il faut privilégier les arbres car ils
tionnent des cultivars mellifères (avec des critères impactent fortement leur environnement, pour
comme les dates de floraisons, la richesse en nec- peu de besoins en espace (rare partout, en ville,
tar, la qualité des pollens), en particulier parmi les comme à la campagne). Les arbres et arbustes
arbres à floraisons estivales qui deviennent straté- offrent de multiples apports (diversité d’abris,
giques (Tetradium, Sophora japonica, Koelreuteria… de fruits, de fleurs) et affectent en profondeur la
on y reviendra). biodiversité qui les entoure. Leur pérennité et leur

61
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

Îlot de biodiversité ; l’accent est mis ici sur des arbres et arbustes à floraisons précoces, avec pollen pour la reprise de la ponte des reines.

productivité mellifère supplantent largement celles


neliers plantés très serrés pour servir d’abri, cinq
des plantes annuelles et des vivaces utilisées dans
érables, trois tétradium, un merisier, un buddleia,
les jachères apicoles, les rotations des cultures agri-
une viorne tin, un houx, un éléagnus… Le tout en
coles et les jardins. Un sophora et un tetradiumun joli fouillis laissé volontairement libre de s’en-
adultes valent bien un hectare de jachère apicole.
sauvager derrière une petite clôture de protection.
L’enrichissement de la flore locale est facile à toutes
De tels aménagements sont faciles à généraliser
échelles, en glissant dans l’existant des jardins, des
et surtout à spécialiser par rapport à la flore locale
rues et des haies champêtres quelques individus de
et à ses manques, ou à diverses autres contraintes.
la palette mellifère future. Enfin, il y a la solution des
On pourra privilégier les floraisons hivernales ou au
îlots de biodiversité, déjà connue et pratiquée par
contraire seulement les estivales. Ainsi, en zones
les aménageurs d’équipements écosystémiques. viticoles où peuvent s’imposer des traitements es-
Un îlot de biodiversité est à voir comme un bos-tivaux contre la flavescence dorée, on établira des
quet semi-naturel, où seront concentrés arbres et
arbres estivaux : tilleuls tardifs, sophora, Koelreuteria,
arbustes d’apports mellifères divers. Tetradium… avec des arbustes à mêmes caracté-
ristiques, histoire de détourner les abeilles et autres
À TITRE D’EXEMPLE insectes des vignes devenues très dangereuses. Les
Un aménagement parisien (près du camping îlots sont envisageables en situations foncières très
de Paris, en bordure du Pré Catelan) de 20 x 20 contraintes par le micro-parcellaire ou le coût du
m, (voir la photo jointe) foncier. On n’oubliera pas
destiné à offrir du pollen DES ÎLOTS DE BIODIVERSITÉ de les enrichir de points
principalement tôt en EN FORME DE BOSQUETS QUI d’eau où les butineuses
saison abrite six noise- ABRITENT PRUNELIERS, ÉRABLES, pourront se désaltérer (4).
tiers, six saules et osiers On valoriserait ainsi des
SAULES, MERISIER, VIORNE,
différents à floraisons éta- terres publiques margi-
gées, une dizaine de pru- NOISETIERS, ETC. nales, des bords de routes,

62 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


Floraison automnale du Koelreuteria bipinnata ; concomitante de Graines du savonnier dans une enveloppe en forme de lanterne.
celle des chrysanthèmes.

des lisières forestières, et des délaissés agricoles (les à fleurir tard. Cette flore chinoise a eu la chance
terres trop petites pour être reboisées en forêts, de moins ressentir les glaciations du Quaternaire
pierriers) qui pourraient ainsi être versées dans le que son homologue européenne grandement
domaine collectif. Les parties prenantes peuvent décimée alors. De nombreuses familles végétales
être nombreuses : apiculteurs, agriculteurs, viti- y ont survécu et continué leur diversification. Le
culteurs, chasseurs, ruraux, randonneurs… Un en- Sichuan chinois a ainsi une des végétations tem-
tretien de type forestier devrait permettre de les pérées les plus riches du globe. Les Koelreuteria
maintenir en espace semi-naturel pour des coûts sont de la familles des Sapindacées (des savon-
inférieurs à ceux de l’entretien des ronds-points niers), à fruits riches en saponines, utilisés tradi-
paysagers routiers. tionnellement comme lessive. Cette espèce a été
découverte par le jésuite Pierre Nicolas Le Chéron
UNE PALETTE D’AVENIR : d’Incarville, qui a donné son nom à l’ Incarvilléa.
KOELREUTERIA PANICULATA ET Les arbres issus des graines de Koelreuteria qu’il
KOELREUTERIA BIPINNATA envoyait par caravane via Moscou, chez le bota-
Le premier “trou“ critique dans le calendrier mel- niste russe Eric Laxmann, furent dédiées à Joseph
lifère va de la fin des floraisons des tilleuls et châ- Koelreuter, professeur d’histoire naturelle à Ka-
taigniers à la floraison du lierre. Comme signalé, ce rlsruhe, qui expliqua le rôle des insectes dans la
trou s’agrandit avec le réchauffement qui avance pollinisation croisée. D’Incarville meurt à Pékin en
les floraisons des arbres de notre flore tradition- 1757, il fut un grand découvreur, on lui doit l’intro-
nelle. Pour les arbres à floraisons estivales tardives, duction en Europe (1747) du Koelreuteria panicu-
il faut aller voir du côté de la flore asiatique, plus lata, et de l’extraordinaire Sophora japonica, dont il
particulièrement celle de la Chine qui a une flore sera question dans un prochain article, et d’autres
diversifiée incluant des plantes vivant dans un en 1751 comme l’envahissant ailante, le cedrela…
climat tempéré chaud et surtout plus humide en On lui doit aussi la première description de l’Acti-
fin de saison (climat de mousson) et ayant appris nidia sinensis : le kiwi.

63
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?

Le premier Koelreuteria à fleurir est le K. Paniculata. bien plus tardivement encore que le précédent, et
Sa floraison explose après celle des châtaigniers, que tous les arbres à floraison tardive dont il sera
très spectaculaire elle attire les abeilles et les bour- question, en septembre (du côté de Rennes), en
dons. C’est un petit arbre, au port plutôt naturelle- concomitance avec les premières fleurs de lierre.
ment en boule, de 8 à 10 m, adapté à diverses uti- Ces grands panicules de fleurs jaune brillant, parfu-
lisations (isolé, par exemple, dans les petits jardins més, sont suivis, les automnes chauds, de fruits en
et recoins de pelouse). capsules roses, ce qui lui rajoute de l’intérêt. Ponc-
On pourra facilement l’inclure dans des haies ou tuellement visible dans les jardins méditerranéens,
en lisières de bosquets, où il pourra être taillé ré- à l’arboretum INRA de la villa Thuret, et aussi à celui
gulièrement. Ses jeunes feuilles pennées à folioles des Barres à Nogent-sur-Vernisson, il est bien plus
découpées naissent rose rouge, puis passent au rare à voir et à trouver que le précédent. Avec le ré-
vert moyen en été et enfin au jaune à l’automne. chauffement climatique, sa floraison aura lieu plus
En mi-juillet, les grandes panicules aérées, grappes souvent dans le Nord où il apportera une touche
de fleurs jaunes, apparaissent, puis fanent en lais- exotique avec ses grandes feuilles.
sant au sol une pluie jaune de fleurs (the golden rain
tree disent les Anglais), suivie dès le mois d’août de
fruits étonnants, en forme de lanternes vert clair qui 1 : Rapport du groupe d’experts internationaux spécia-
tournent au marron. Ce K. paniculata a une crois- lisés sur la biodiversité -IPBES-, publié en février 2016).
sance assez rapide en sol frais. Rustique, il est facile 2 - Revue scientifique : PLoS ONE ; University of Saska-
à vivre du moment qu’il est installé en sols pas trop tchewan, CANADA ; 2017 ; Hallmann et al.
secs où il végèterait. Il résiste jusqu’à -15°C, tolérant 3 - Centre des sciences de la conservation Cesco – la-
à la pollution urbaine. Fréquent en villes, on com- boratoire conjoint MNHN/CNRS/SU ; communiqué de
mence à le voir en milieu rural. Diffusé par quelques mars 2018.
pépiniéristes, avec aussi un rare cultivar fastigié qui 4 - Pour ces îlots, on verra l’intéressant travail : Recon-
ne manque pas d’allure, et une sélection américaine quête d’espaces agricoles abandonnés par l’étude et la
de 1960, dite “September“ qui est intéressante car plantation d’arbres et arbustes à intérêt mellifère, orne-
plus tardive (fleurs plutôt mi-août en Île-de-France) mental et cynégétique ; 1999 ; Etude réalisée par Mi-
mais encore très peu diffusée ici. chèle LAGACHERIE et Bernard Cabannes-CRPF Langue-
Ce Koelreuteria est très facile à semer, et surtout à doc-Roussillon).
récupérer par arrachage des nombreux petits pieds
qui ne manquent pas de germer autour des arbres >> En savoir plus  
adultes (prolifique, mais sans caractère invasif ) et avec le livre d’Yves Darricau :
dont la reprise est aisée. On notera que la popula- Planter des arbres pour les abeilles disponible
à la boutique de Terran magazine
tion existante de ces Koelreuteria Paniculata est très
hétérogène, avec des floraisons étagées, des pani-
cules et des fruits de diverses tailles ; résultat d’une
hétérogénéité génétique qui mériterait d’être
étudiée et mise à profit pour fournir des cultivars
Yves Darricau

POUR LES ABEIL


LES
champions mellifères et des TER DES ARainBRESdécalées.
PLANfloraisons
resterie de dem
L’api-fo raissent
ent, les abeilles dispa que,
rent et dessaisonn r pour
ent, les plantes souff peut agir et plante
Nos paysages chang ue… Chacun de nous et continuent à faire rêver. Yves Darricau
ES
n devient problématiq

À LA RECHERCHE DES ARBRES PLANTER DES ARBR


et leur alimentatio s s’adaptent
isateu rs surviv ent et que nos jardin indigè nes et
demain, les pollin et de lianes
d’arbres, d’arbustes iums, cyprès, saule
s…)
cinquante portraits
BRES

Autour de quelque eias, kalopanax, tetrad s face


s, tilleuls, lotus, buddl solutions écologique

MELLIFÈRES DE DEMAIN
PLANTER DES ARLES

exotiques (savonnier diversité végétale qui apportera des ettra

ES
et perm

POUR LES ABEILL


se dévoile une nouve
lle
te des amou reux des abeilles les
palet agrico
tique, enrichira la jardins qu’aux espac
es
POUR LES ABEIL

au changement clima adaptée tant à nos


api-agroforesterie
l’émergence d’une
urbain s. t de la flore usuelle, pour
et lémen
choisies, en comp
Le second Koelreuteria est le K. bipinnata, à longues
paysagères
expérimentées, sont très précoces, pour des solutions
demain
L’api-foresterie de
Ces plantes, déjà er aux
es ou au contraire à venir, et pour assur de
leurs floraisons tardiv aux canicules et aux hivers doux et
ées de nectar, de pollen
et écologiques adapt n saine avec des apports réguliers riches d’histoires à

feuilles bipennées, de 40 à 60 cm de long et fo-


et
abeilles une alime
ntatio
aux beaux , facile s à vivre, mellifères
Des végét
résines à propolis…
in !
planter pour dema Darricau
Yves
lioles entiers. Plus grand et plus élancé, jusqu’à 15 e, AgroParisTech, a
travaillé dans
ck

ut national agronomiqu ltant internatio-


∙ Pictos : © Shuttersto

ome, diplômé de l’instit ou des Nations unies comme consu


Cet ingénieur agron éens ulture du jardin
mmes internationaux europ par la Société centrale d’apic

m, sa charpente est fragile car il fait des fourches


divers progra teur formé Gascogne.
également un apicul ne, Île-de-France et
Photos : © Yves Darricau Aurélie Pello & Maxime Copija

nal et conseiller. C’est ur d’arbres en Bretag


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64 Abeilles en liberté / n°1 janvier 2019


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nard Bertrand. Contact : christinaotto31@gmail.com
Barre des Cévennes (48)
- les 25 et 26 avril 2019, «  ruche en paille », forma-
teurs : Christina Otto et Bernard Bertrand. Renseigne-
ments et inscription à : christinaotto31@gmail.com
- les 27 et 28 avril 2019, stage «  fabrication d’une
ruche tronc », formateur Henri Giorgi. Renseigne-
ments et inscription à : giorgi.henri@orange.fr
Stage ruches de biodiversité avec Henri Giorgi.
Lédignan (30)
les 16 et 17 mars 2019 et les 27 et 28 avril 2019
Stages apiculture de biodiversité par Maurice Rouvière
Abeille et Sagesse. Contact : maurice.rouviere30@gmail.com

MANIFESTATIONS
Cassagnol en Minervois (34)
4 mai, Fête de l’abeille
Château de Beauregard (41)
11-12 mai, Journées de l’abeille.
Lédignan (30)
29 septembre Fête de l’abeille (cf. p. 8) Ruches en paille et ruches tressées.

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p. 6 / « On n’est pas seuls » Être à l’écoute des abeilles, Abeilles mellifères à l’état sauvage paru aux éditions de Terran
une dynamique internationale
Perrine Bertrand, p. 32 / Ne serions-nous pas un peu responsables
courriel : perrinebertrand31@gmail.com de nos malheurs ?
Guillaume Lemoine
p. 8 / Apischool à Rodemack (57 Moselle) courriel : oggmm.lemoine@orange.fr
courriel : karine@maindanslapatte.eu
p. 40 / Éternité et infini, confessions d’un apiculteur repenti
p. 12 / Sorties d’abeilles intrépides dans le froid hivernal Henri Giorgi,
Jacques Fabry courriel : giorgi.henri@orange.fr
courriel : avionie.jfabry@gmail.com La ruche-tronc paru aux éditions de Terran

p. 14 / l’abeille en autonomie / Le commencement : quelle p. 46 / Un rucher école qui bouge !


ruche choisir ? Bernard Bertrand
Jean-Pierre Gauthier courriel : bernard.zorties@gmail.com
courriel : nellyjp@wanadoo.fr Ruches de biodiversité paru aux éditions de Terran
Syndicat apicole de la région lilloise (SARL)
p. 18 / Les abeilles sauvages, un monde insoupçonné Site : www.syndicat-apicole-lillois.fr
Guillaume Lemoine Philippe Marcuz, apiculteur et constructeur de ruches anciennes
Observatoire des abeilles : Tél. : 06 38 01 84 26
info@oabeilles.net, Site : http://tinyurl.com/Marcuz-Apiculteur
Site : www.oabeilles.net/OA/index.html
OPIE : Domaine de la Minière, p. 50 / La redécouverte d’un lien millénaire,
78280 Guyancourt, tél. : 01 30 44 13 43 les champignons aux petits soins pour les abeilles
Arthopologia/Urbanbees : Myriam Lefebvre
Site : www.urbanbees.eu courriel : myriam.lefebvre@gmail.com
Apoidea gallica : https://fr.groups.yahoo.com/group/apoidea-gallica/ Les photos présentées dans le portfolio (p. 36-39) proviennent du livre
Être abeille : portraits et petites histoires inédites de la vie des abeilles
p. 22 / l’agenda du nichoir / épisode 1 : insolite et gratis ! mellifères par Myriam Lefebvre.
Karine Devot
Association Apicool : www.apicool.org p. 56 / Arbres mellifères du futur
Yves Darricau
p. 24 / L’abeille mellifère sauvage cette inconnue
Vincent Albouy courriel : darricau.yves@gmail.com
Opie-PC, 13 chemin des Melles, 17350 Annepont Planter des arbres pour les abeilles paru aux éditions de Terran
courriel : opiepc@orange.fr

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Planter des arbres
PLANTER DES ARBRES POUR LES ABEILLES

Yves Darricau
L’api-foresterie de demain
Nos paysages changent, les plantes souffrent et dessaisonnent, les abeilles disparaissent
pour les abeilles, L’api-
et leur alimentation devient problématique… Chacun de nous peut agir et planter pour que,
demain, les pollinisateurs survivent et que nos jardins s’adaptent et continuent à faire rêver.
Autour de quelque cinquante portraits d’arbres, d’arbustes et de lianes indigènes et
exotiques (savonniers, tilleuls, lotus, buddleias, kalopanax, tetradiums, cyprès, saules…)
se dévoile une nouvelle diversité végétale qui apportera des solutions écologiques face
Yves Darricau foresterie de demain

PLANTER DES ARBRES


PLANTER DES ARBRES Yves Darricau - éd. de Terran
au changement climatique, enrichira la palette des amoureux des abeilles et permettra

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l’émergence d’une api-agroforesterie adaptée tant à nos jardins qu’aux espaces agricoles
et urbains.

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leurs floraisons tardives ou au contraire très précoces, pour des solutions paysagères

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et écologiques adaptées aux canicules et aux hivers doux à venir, et pour assurer aux
abeilles une alimentation saine avec des apports réguliers de nectar, de pollen et de
résines à propolis… Des végétaux beaux, faciles à vivre, mellifères et riches d’histoires à
L’api-foresterie de demain
d’arbres, d’arbustes et de lianes
planter pour demain !

Yves Darricau
Cet ingénieur agronome, diplômé de l’institut national agronomique, AgroParisTech, a travaillé dans

indigènes et exotiques se dévoile

Photos : © Yves Darricau ∙ © Eric Isselée, Fotolia ∙ Pictos : © Shutterstock


divers programmes internationaux européens ou des Nations unies comme consultant internatio-
nal et conseiller. C’est également un apiculteur formé par la Société centrale d’apiculture du jardin
du Luxembourg à Paris, et un planteur d’arbres en Bretagne, Île-de-France et Gascogne.

Conception graphique : © Aurélie Pello & Maxime Copija


une nouvelle diversité végétale
Collection : « Alternatives apicoles »
Des pistes « douces » pour renouveler l’apiculture et aider les abeilles.

19 € Imprimé en France

Un nouveau regard sur la nature www.terran.fr


qui apportera des solutions éco-
logiques face au changement
climatique. Voici une api-agroforesterie adaptée à nos jardins
aux espaces agricoles et urbains. Des végétaux beaux, faciles à
vivre, mellifères, à planter pour demain ! 17 x 19 cm – 192 p. - 19 €

Ruches de biodiversité
Bernard Bertrand - éd. de Terran
Les ruches de biodiversité ré-
pondent au désir d’implanter
une colonie d’abeilles sans for-
Abeilles mellifères à l’état La Ruche solaire ou Sun hive, cément en récolter le miel. Les
sauvage, Une histoire naturelle un cocon pour les abeilles construire est facile, à la portée
Vincent Albouy - éd. de Terran Günther Mancke - éd. de Terran de tous et peu coûteux… L’au-
Ce livre apporte une vision neuve Cet ouvrage permet à l’apiculteur teur vous propose plusieurs
sur la vie des abeilles mellifères d’offrir à aux abeilles un habitat modèles simples, à vous de
quand elles ne sont pas élevées par confortable qui correspond à leur choisir ! Dans sa réflexion, il
l’homme. Illustré par une abondante besoin ; il en détaille la fabrication, nous propose de changer notre rapport à l’abeille, d’être
iconographie originale, l’ouvrage est mais aussi la manière de la gérer… plus respectueux de sa vie intime, pour lui permettre de
basé sur vingt ans d’observations Adoptée par les biodynamistes, la renouer avec sa vraie nature sauvage. L’enjeu est de taille :
et d’expériences de l’auteur, et sur sunhive semble être la ruche éco- mieux armée, l’abeille pourra à nouveau s’adapter et résis-
une bibliographie rassemblant plus logique par excellence. ter aux multiples agressions subies. 17 x 19 cm – 112 p. - 16,50
de 300 références en français et en 17,5 x 19,5 cm - 112 p. - 16,50 € €
anglais. 16 x 24 cm – 336 p. - 25 € >> Voir p. 4
>> Voir p. 4
La Ruche Warré
David Heaf - éd. de Terran
La Ruche-tronc S’appuyant sur de nombreuses
Henri Giorgi - éd. de Terran sources, cet ouvrage argumenté
Ce livre est le fruit de l’expérience et de l’ob- cherche à définir une approche
servation attentive et quotidienne des abeilles. plus apicentrique. Le rayon est
L’auteur donne des conseils pour bien com- désormais considéré comme
mencer, puis détaille les interventions utiles au bien plus que le simple sque-
fil des saisons : essaimage artificiel, récolte et lette du super-organisme qu’est
enruchement d’un essaim, nourrissement… la colonie ; il est au cœur d’une
Il n’oublie pas la récolte de miel, et propose apiculture respectueuse de l’abeille à miel, soucieuse de ses
des solutions aux divers parasites et maladies. besoins spécifiques et de son bien-être. L’auteur présente la
La fabrication de la ruche et les points clés de son entretien sont expliqués ruche à barrettes d’Émile Warré comme une alternative pra-
étape par étape et illustrés de nombreuses photos.. 17,5 x 19,5 cm - 208 p. 22 € tique et économique aux ruches à cadres. L’ouvrage contient
des plans pour sa construction et des conseils modernes
pour sa conduite. 17,5 x 19,5 cm - 208 p. - 24,50 €
La Ruche ronde
divisible
Gilbert Veuille- éd. de Terran
En pédagogue averti, Gilbert abeilles
Veuille nous dispense, pas à pas, en liberté
un enseignement accessible à CALENDRIER
tous. Sa méthode garantit à la Calendrier 2019

2019
fois une bonne santé à la colo- Terran magazines
nie, mais aussi une récolte de 12 idées reçues sur les
miel importante… abeilles auxquelles il
La Ruche ronde divisible de Gilbert Veuille nous invite à une faut tordre le cou pour
vraie réconciliation entre l’Homme et l’Abeille ! 17,5 x 19,5 cm 12 IDÉES REÇUES AUXQUELLES IL FAUT TORDRE LE COU POUR AIDER LES ABEILLES les aider.
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