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LA VOIX DES
POLLINISATEURS,
ENGAGÉE ET
en liberté
INDÉPENDANTE.
ENQUÊTE
Les abeilles mellifères
sauvages existent-elles ?
VISITE
Au rucher école du Héron (59)
ça bouge !
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1 / 8,90 €
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C’EST VRAI ÇA
POURQUOI ?
méro
>> Le dossier du prochain nu
PRENEZ
LA PAROLE !
POURQUOI IL FAUT SAUVER L’ABEILLE NOIRE
3
LU POUR VOUS
Abeilles mellifères à l’état sauvage
Une histoire naturelle
Vincent Albouy - éd. de Terran
Ce livre apporte une vision neuve et originale sur la vie des abeilles
mellifères quand elles ne sont pas élevées par l’homme. L’auteur
présente leur vie dans la nature (reproduction, essaimage, nidifica-
tion…), pour bien comprendre leurs vrais besoins, les problèmes
qu’elles rencontrent et les menaces qu’elles affrontent aujourd’hui.
Il donne les clés pour détecter, suivre et étudier les colonies à l’état
sauvage, et fournit des conseils pour contribuer à leur protection.
L’auteur nous démontre, preuves à l’appuies, que les abeilles mel-
lifères sauvages existent encore et qu’il faut les aider à survivre. Illus-
tré par une abondante iconographie originale, l’ouvrage est basé
sur vingt ans d’observations et d’expériences de l’auteur, et sur une
bibliographie rassemblant plus de 300 références en français et en
anglais. Editions de Terran, 336 pages, 16 x 24 cm, 25 €, 2019
Sans le concours bénévole des contributeurs, ce n°1 d’Abeilles en liberté n’aurait pas pu prendre son envol. Un
énorme merci à eux tous, y compris ceux dont les contributions sont à paraître…
Nos remerciements chaleureux vont aussi à nos premiers donateurs : La Fondation pour une terre humaine,
L’association Terran terre de partage et L’association Pollinis.
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« On n’est pas seuls »
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ÊTRE À L’ÉCOUTE DES ABEILLES,
une dynamique internationale
En septembre der- vée du varroa dans sa région et vu comment les
nier a eu lieu en Hol- abeilles ont su s’adapter. « La sélection naturelle a
lande la première confé- fait évoluer les abeilles depuis 30 millions d’années.
rence internationale « Learning Elle permet
from the bees » ou « Apprendre des aux abeilles LA SÉLECTION NATURELLE,
abeilles ». Plus de 300 personnes (scientifiques, api- de s’adapter NOTRE MEILLEURE ALLIÉE
culteurs, protecteurs des abeilles, artistes), venues constam-
POUR AIDER LES ABEILLES
des 5 continents et ment et c’est
CHANGER DE REGARD de 30 pays, étaient notre alliée pour les aider. » a-t-il déclaré.
SUR LA NATURE réunis à Doorn Un autre scientifique, Peter Neumann, président
pour explorer et échanger sur les abeilles et notre de l’Institut de la Santé des Abeilles (Institute of
relation avec cet insecte si étonnant. Tous conscients Bee Health) à l’université de Bern confirme l’impor-
de l’urgence dans laquelle se trouve le monde des tance de la sélection naturelle. Les nombreuses
abeilles et l’ensemble des écosystèmes vivants. pertes d’abeilles dans les colonies des ruchers eu-
Cette conférence était organisée par l’association an- ropéens ont été largement étudiées, sans jamais
glaise The Natural Beekeeping Trust, la fondation hol- s’intéresser au rôle de l’apiculture qui fait tout
landaise Smart Beeing et Beetime, résidence artistique pour limiter la sélection naturelle. Peter Neu-
en Andalousie inspirée par les abeilles. Leur inten- mann démontre qu’une « (R)évolution de
tion : transformer notre regard sur l’abeille en interro- l’apiculture » est nécessaire pour retrouver
geant les pratiques apicoles contemporaines et créer des abeilles saines.
une « culture respectueuse de l’abeille ». Leur espoir : Un autre grand axe de réflexion fut l’importance du
« tisser un réseau international d’initiatives, pour réta- lien entre les abeilles et les territoires. Aujourd’hui les
blir la santé et la résilience des abeilles dans le monde pollinisateurs ont faim, les paysages actuels se sont
entier. » Ce fut, dans le cadre du tournage de notre considérablement appauvris. Comment les abeilles
film1, l’occasion unique d’interviewer des spécialistes peuvent-elles prospérer dans des écosystèmes
et amoureux des abeilles du monde entier. dominés par des monocultures intensives ? Com-
Parmi les intervenants prestigieux : le profes- ment pouvons-nous inciter les citoyens à prendre
seur Thomas Seeley de l’Université de Cornell aux part activement à la restauration de la biodiversité ?
USA, l’un des rares scientifiques qui étudie les abeilles Heureusement, de nombreuses réponses créatives,
mellifères sauvages. Depuis plus de 40 ans il les a sui- provenant d’individus et d’associations du monde
vies et observées et connaît parfaitement la façon entier nous montrent qu’au contraire, il y a une pos-
dont elles vivent seules dans la nature. Auteur de sibilité de résilience.
plusieurs ouvrages (dont Following the wild bees ou Et c’est vraiment ce que nous avons ressenti au
The Honeybee democracy), il a pu observer l’arri- travers de cette incroyable concentration de per-
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ACTUS, VOUS
AGENDA,
AVEZ
VOUS
LA PAROLE,
AVEZ LA LA
PAROLE…
VIE DES ASSOCIATIONS…
Prochaine Fête de
l’Abeille et de la
Biodiversité :
29 septembre 2019
à LEDIGNAN
Organisée par
La surmortalité des abeilles est, à n’en pas douter, DES POISONS DANS LA RUCHE,
multi-factoriellle (poisons, malnutritions, famines, NON MERCI !
parasites). En terme d’empoisonnement et de nu- On se demande pourquoi nos responsables sa-
trition (sucre), les ruches elles-mêmes ne sont pas nitaires s’entêtent à imposer des traitements qui
épargnées. Depuis 35 ans maintenant, sévit un re- entretiennent le problème au lieu de le résoudre ?
doutable parasite : le varroa. La réponse sanitaire à La course aux produits chimiques de plus en plus
ce fléau n’a pas tardé : la lutte chimique a été impo- violents continue, la mortalité des abeilles connaît
sée comme seul moyen de le réguler par les auto- une courbe ascendante, l’apiculture ainsi prati-
rités sanitaires, et validée par la profession. Depuis, quée,nous conduit dans un mur de plus en plus
chaque année, des quantités d’acaricides tout aussi proche, le choc est imminent. Il reste pourtant
toxiques pour les abeilles chez nous des souches
que le sont les tristement LES CHIFFRES PARLENT « LA PART DE (sauvages ou élevées
célèbres néonicotinoïdes LA POPULATION D’ABEILLES CUBAINES sans pesticides) résis-
sont introduits directe- INFECTÉES EST PASSÉE DE 20 % À 2 % tantes aux varroas, épar-
ment dans les ruches… Et EN DIX ANS », ADOLFO PEREZ, CIAPI / AFP gnées miraculeusement,
cela pour un résultat peu à partir desquelles un tra-
glorieux : des populations de varroas résistantes aux vail de sélection génétique similaire à celui effectué
pesticides, quand celles de nos abeilles s’effondrent ! à Cuba pourrait être entrepris…
La chimie est-elle une fatalité ? Nous voyons au cours de nos visites des apiculteurs
Aurait-on pu faire autrement ? qui ne traitaient pas contre le varroas (ils sont plus
Les réponses à ces questions nous viennent de nombreux qu’on le croit), se mettre à le faire, pani-
Cuba : NON à la première, OUI à la seconde… qués par des taux de mortalité anormaux dans des
À Cuba, à cause de (ou grâce à…) l’embargo qui a ruchers jusque-là épargnés… C’est dommage, leur
privé l’île de produits chimiques, agriculteurs et api- pratique n’est pas en cause et rajouter du poison
culteurs cubains n’ont pas pu traiter leurs cultures, dans la ruche à celui répandu sur l’environnement
ni leurs ruches. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de ne peut qu’aggraver les phénomènes. Ne cédons
laisser faire la sélection naturelle. ni à la panique, ni à la culpabilité du discours sa-
Adolfo Perez, directeur du Centre d’investigations nitaire officiel, il est urgentissime de préserver nos
apicoles de Cuba écrit en 2010 : « En 1996, Varroa a souches d’abeilles résistantes.
été diagnostiqué à Cuba et a fait des dégâts impor- La chimie n’est ni une solution, ni une fatalité. Quoi
tants. Après le premier impact, toutes les abeilles sau- qu’on dise, un pesticide sera toujours un tueur de
vages ont (semblait-il) disparu pendant plus de deux vie ! C’est sa définition même…
ans ; puis leur population a commencé à se rétablir. La rédaction
Les apiculteurs ont reconstitué leurs colonies avec Comptage de varroas.
ces abeilles sauvages ayant survécu ». C’est à partir
de ces rescapées que les ruchers locaux ont été re-
© Jean-Pierre Gauthier
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ACTUS, VOUS
AGENDA,
AVEZ
VOUS
LA PAROLE,
AVEZ LA LA
PAROLE…
VIE DES ASSOCIATIONS…
GUÊPE POLISTE ET PETIT HOMME nos têtes, car on se trouvait devant mon « hôtel à in-
La première fois que Tom a vu des abeilles sauvages, sectes », il voulait les attraper. Tom, mon petit-fils de
c’était des petites osmies qui tournaient autour de trois ans, vient souvent dans la serre à tomates « pour
m’aider » à arroser. Alors un jour je lui ai montré les
dix petits nids de guêpes Polistes juste au-dessus de
nos têtes. Toutes les questions d’un enfant de trois
ans sont arrivées : « pourquoi ? »
– Pourquoi les guêpes sont là ?
– Parce qu’elles nous ont choisis, on a beaucoup
de chance !
– Pourquoi elles nous regardent ?
– Parce qu’elles nous ont reconnus !
– Pourquoi elles ne nous piquent pas ?
– Parce qu’elles sont gentilles et qu’on ne les em-
bête pas !
– Pourquoi tu les laisses là ?
– Parce qu’elles sont utiles dans la nature et en
plus elles sont très belles !
– Et pourquoi, pourquoi, pourquoi… ?
Jean-Pierre avec Tom.
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OBSERVER ET COMPRENDRE
SORTIES D’ABEILLES
INTRÉPIDES
dans le froid hivernal
FAB
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CQU
JA Jacques est avioclimatologue naturaliste spécialiste de l’effondre-
ment global des colonies d’abeilles. Il nous propose une série d’ob-
servations de saison, réalisées au trou de vol et à l’extérieur de la
ruche. Ces observations sont précieuses, elles demandent du temps,
de la patience et un sens aigu de l’observation. Elles sont la base
d’un nouveau regard porté sur la ruche, sans la déranger, ni entrer
dans l’espace vital de la colonie, ce qui évite bien des stress.
RÉVERBÉRATIONS ASSASSINES
Depuis toujours il est caractéristique des hivers
enneigés de trouver de nombreuses abeilles
mortes les pattes en l’air sur la planche d’envol et
devant la ruche.
Fascinant spectacle dans le soleil rasant des mois
de novembre à février. L’abeille impatiente qui
se précipite vers la lumière effectue une roulade
avant sur la planche d’envol puis un vol courbe
avec atterrissage sur le dos dans la neige, plus ou
moins loin de la ruche.
Selon la dureté de la neige, elle y creusera sa
tombe en tentant de se dégager ou, ayant réus-
si à se remettre sur ses pattes, tentera une série
de nouveaux décollages qui se termineront sur le
dos par un demi-salto arrière. L’épuisement et l’hy-
pothermie auront finalement raison d’elle.
Ces chutes incontrôlables ne sont pas dues au
froid mais au fonctionnement de l’inéluctable tro-
pisme visuel imposé par les ocelles aux insectes
en vol qui en possèdent : toujours orienter le haut
du corps vers la plus forte luminosité.
Avant, pour éviter la piégeuse réverbération hi-
vernale devant le rucher, on noircissait la neige sur
une bonne dizaine de mètres en la saupoudrant
de cendres.
Aujourd’hui la question de la désorientation se
constate toute l’année. En effet, l’observation at-
tentive et régulière de la planche d’envol et alen-
tour révèle que les carrelettes, le béton, le bois
peint ou vernis, et même l’herbe, provoquent
également cette désorientation brutale, hiver
comme été, en campagne comme en ville.
Cela suggère un changement majeur survenu
dans une luminosité ambiante à regarder désor-
mais de très près.
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LEÇON D’APICULTURE ALTERNATIVE
L’ABEILLE EN AUTONOMIE
Le commencement : quelle ruche choisir ?
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De plus en plus nombreux sont ceux qui souhaitent installer une
ruche dans le fond de leur jardin, sans pour autant vouloir récolter
du miel, juste pour aider l’espèce et contribuer à maintenir cette
biodiversité si menacée. Ils ne savent pas toujours comment s’y
prendre ! Cette rubrique sera leur rendez-vous trimestriel, vous y
apprendrez le b.a.-ba de l’apiculture et, cerise sur le gâteau, dé-
couvrirez qu’avec un peu d’expérience et des conditions favorables,
biodiversité et prélèvement raisonnable de miel ne sont pas incompa-
tibles. Mais voyons d’abord quelles motivations nous poussent à vouloir abriter
une colonie d’abeilles dans notre environnement…
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LEÇON D’APICULTURE ALTERNATIVE
Une ruche de biodiversité peut aussi se prêter à En apiculture de production, les abeilles se re-
une petite récolte de miel. Pour cela, elle devra trouvent avec des cadres « gaufrés », c’est-à-dire
posséder un trou en son sommet, qui recevra avec des plaques de cires moulées industriel-
une hausse pour collecter. Ce trou permettra lement, composées de grandes alvéoles dont
aussi de placer un nourrisseur pour aider une co- profitent les varroas. Lorsque les abeilles confec-
lonie qui manque de réserve, en lui proposant tionnent intégralement elles-mêmes les cellules,
du miel (essaim tardif ou mauvaises conditions d’une part la cire est indemne de tout traitement
météo lors des miellées, qui empêchent la ré- et l’espace est géré de façon à mieux se défendre
colte de nectar). des intrus et des parasites.
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BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS
Dasypode à culottes (Dasypoda hirtipes). Eucères dans une lavatère (Eucera sp.).
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BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS
de plantes butinées est très grande et les com- exemple du sable affleurant, favorise dans cer-
portements de butinage sont très variables. tains territoires la concentration de nombreuses
espèces différentes et de fortes populations
UNE ABEILLE, UNE FLEUR ! d’individus d’une même espèce, sur les rares
Certaines espèces d’abeilles généralistes bu- espaces qui leur sont favorables. Cela rend ces
tinent de nombreuses plantes différentes. populations très vulnérables en cas de modifi-
D’autres en fonction de la taille de leur langue cation de l’habitat (destruction volontaire, plan-
ont des préférences pour certains groupes de tations forestières ou enfrichement spontané).
fleurs (Astéracées ou Fabacées par exemple), Si l’on a pu constater que l’osmie cornue Osmia
d’autres enfin, sont spécialisées dans des genres cornuta pouvait butiner jusqu’à 1800 mètres de
botaniques particuliers (saules par exemple), son nid, la plupart des femelles d’abeilles sau-
voire dans une seule espèce de fleur, comme la vages récoltent nectar et pollen dans un rayon
collète du lierre Colletes hederea ou l’andrène de de 200 à 400 mètres de leurs lieux de nidifica-
la bryone Andrena florea. La seconde exigence tion.
correspond à la présence d’un lieu de nidifica- Guillaume Lemoine,
tion adapté. Il s’agit, comme nous l’avons vu Société entomologique du Nord de la France.
souvent de lieux spécifiques. Le caractère “spé-
cialisé“ de certaines espèces, qui utilisent par >> Pour en savoir plus voir p. 67
Andrène vagabonde (Andrena vaga). Anthidie rousse des carioles (Rhodenthidium sticticum).
Osmie épineuse des carioles (Osmia spinulosa). Collète d’été (Colletes sp.).
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BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS
L’AGENDA DU NICHOIR
épisode 1 : insolite et gratis !
DE
RINE VO
T
KA
Cela fait maintenant trois ans que j’ai un nichoir à abeilles soli-
taires, communément appelé hôtel à insectes, dans mon jardin.
J’y jette un œil de temps en temps et la vie qui s’y installe semble
être en mouvement permanent. C’est en voyant pour la première
fois une drôle de guêpe (Leucopsis) que me vient cette idée de
faire de mon nichoir le lieu d’un véritable observatoire permanent
sur plusieurs années en y passant au moins une heure par semaine.
Pour partager avec vous cette aventure, je vais donc reprendre tout de-
puis le début et revenir sur plusieurs points qui me semblent importants. Je
partagerai avec vous mes observations au fil des saisons (ainsi que sur le site de l’asso-
ciation Apicool).
L’ABEILLE
MELLIFÈRE SAUVAGE,
ALB
cette inconnue
ENT OU
V INC Y
Pour beaucoup, les colonies de « mouches à miel » vivant à l’état
sauvage, auraient disparu de nos écosystèmes de France et de Na-
varre… Rien n’est plus faux, il y a toujours eu et il y a encore des
essaims d’abeilles mellifères sauvages dans nos contrées, sans
doute plus qu’on ne le croit.
25
BIODIVERSITÉ DES POLLINISATEURS
Une colonie logée entre fenêtre et volet, facile à observer Une barrique bordelaise squattée par des abeilles
et à photographier.
sauvage se comportent dans certains milieux entre le socle commun aux diverses populations et
comme une espèce exotique envahissante, ce qui a les originalités apparues dans ces nouveaux mondes.
motivé diverses études.
Remarquable exception, le professeur Thomas See- UNE RICHESSE GÉNÉTIQUE
ley de l’université Cornell dans l’État de New-York En France, si les scientifiques ont fait l’impasse sur les
a étudié tout au long de sa carrière par sa volonté populations sauvages d’abeilles mellifères, les api-
propre, les abeilles mellifères à l’état sauvage. Voici ce culteurs s’y sont beaucoup intéressés pour diverses
qu’il écrit en 2016 dans son ouvrage Following the wild raisons, notamment la récupération des colonies.
bees (En suivant les abeilles sauvages) : « Je ressentais Les revues apicoles sont pleines d’anecdotes et de
alors [au moment de la rédaction de sa thèse dans petits faits très intéressants mais très dispersés. Par
les années 1970] et je ressens encore aujourd’hui exemple à l’arrivée du varroa, contrairement aux
un fort désir de mieux comprendre comment ces prévisions ou aux prophéties des experts, les abeilles
belles petites créatures vivent dans des colonies sau- mellifères à l’état sauvage se sont maintenues et ont
vages dans les forêts, plutôt que dans des colonies pu, pour certaines, développer une résistance ou
domestiques dans des ruchers. À moins de pouvoir une tolérance. Les premiers à signaler ce fait furent
apprendre comment Apis mellifera vit dans son en- les apiculteurs, et le dépouillement de leur presse
vironnement naturel, je ne comprendrai jamais vrai- permet de glaner des témoignages très instructifs.
ment comment sa physiologie, son comportement Le mérite de l’étude la plus poussée, – de la
et sa vie sociale l’adaptent au monde naturel. » seule étude devrais-je dire –, sur les abeilles
Aussi intéressants soient-ils, ces travaux concernent mellifères à l’état sauvage en France, revient au
des populations d’abeilles mellifères qui se sont docteur Robert Canteneur. Vétérinaire des ser-
adaptées à un milieu neuf pour elles. Leur compor- vices départementaux du Bas-Rhin du ministère
tement comme leur génome ont été forcément de l’Agriculture et apiculteur amateur. Il a lancé
modifiés par rapport à ceux des populations euro- en 1978 une vaste enquête sur ce sujet auprès
péennes. Mais là encore, par manque de points de du monde apicole. Ce travail est d’autant plus
comparaison, il est difficile de faire la part des choses précieux qu’il précède l’arrivée du varroa et ses
Les abeilles logent souvent dans les très vieux murs riches en cavités, ici dans celui d’un château du XVIIe siècle.
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PARTICIPONS ! / MIEUX CONNAÎTRE LES « ARBRES À ABEILLES » : ENQUÊTE
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DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
DOSSIER
Ne serions-nous pas
UN PEU RESPONSABLES
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de nos malheurs ?
ILLA E
GU
En guise d’introduction à ce dossier, ce libres propos de Guillaume
Lemoine, apiculteur amateur, en forme d’autocritique, qui inter-
roge nos pratiques… Tenter d’y voir clair dans nos véritables res-
ponsabilités n’est-ce pas la première étape d’une reconstruction
de nos liens aux abeilles et à la Nature ?
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DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
ressemblent à l’élevage intensif des cochons et des À côté des api-cueilleurs coexistent encore une
poules en batterie), où l’animal et le vivant de façon « apiculture intermédiaire » faite entre autres avec les
plus générale sont désacralisés et les rapports af- ruches Warré, des ruches troncs et d’autres modèles
fectifs avec l’animal inexistants. En apiculture, notre alternatifs (attention ici, ce n’ est pas le contenant qui
démarche du « toujours plus » est d’autant plus re- conditionne la pratique apicole mais bien la façon
grettable que la majorité des apiculteurs sont des dont on pratique l’apiculture), et enfin une troisième
“amateurs“ Je prends ici la définition de “non-pro- catégorie d’apiculture : celle que nous connaissons
fessionnel“. C’est-à-dire que nombreux d’entre eux en France, principalement en Dadant et Langstroth
font, je le rappelle, de l’apiculture pour le plaisir. Pré- lorsqu’elle prend exemple sur le modèle nord-amé-
cisons qu’historiquement le mot amateur désigne ricain. Pour Ratia, « cette dernière catégorie est très
quelqu’un qui « aime la discipline, sans en faire sa affectée par son côté intensif et l’on se pose souvent
profession », avant de devenir celui qui « exerce la question de son futur ». En marge des évolutions
une activité de façon négligente et non profession- de l’apiculture qui essaient de s’adapter aux condi-
nelle » (amateurisme). En théorie, les amateurs ne tions toujours plus agressives de l’environnement,
sont pas dans une logique de rendement, de rap- sans rien changer dans ses pratiques, ou en créant
port… Avons-nous donc besoin de matraquer nos des super abeilles OGM… vouées à l’échec, Gilles Ra-
abeilles et d’importer des essaims de tous horizons tia prône ainsi une « slow apiculture » dans le cadre
pour en tirer le maximum, au point de les mettre en d’une approche holistique précautionneuse de
danger. Les amateurs d’œufs frais qui élèvent des l’avenir de la biodiversité, donc de l’humanité.
poules dans leur jardin ne copient pas les éleveurs
industriels en développant des “batteries“. Pourquoi LA DESTRUCTION
donc les “amateurs“ sont-ils donc obliger de suivre DES COLONIES SAUVAGES,
le mouvement d’une apiculture intensive ? UNE ABERRATION !
En suivant l’actualité, je suis effaré de voir que cer-
VERS UNE «SLOW tains apiculteurs alternatifs suisses avaient eu leurs
APICULTURE» AVEC DES ruchers saccagés par des apiculteurs voisins, ou
ABEILLES RUSTIQUES ? d’apprendre que dans certaines villes les apiculteurs
À quand le développement et la reconnaissance locaux refusent les initiatives publiques qui visent à
d’une « slow apiculture » et un minimum de respect développer des ruchers à abeilles noires (frugales
pour ceux qui élèveraient des abeilles d’abord pour et aux besoins réduits) sous prétexte qu’elles al-
le plaisir, et pour préserver et maintenir des polli- laient “polluer“ leurs abeilles sélectionnées. Ne se-
nisateurs dans leur jardin sans rien leur prendre en rions-nous pas en droit d’exiger le contraire, c’est-
échange ? à-dire l’arrêt de l’introduction massive des abeilles
Lors d’une interview donnée à la revue d’api- hybrides ou italiennes ? Devant la perte de rusticité
culture Abeilles et Fleurs en 2016, Gilles Ratia, et la disparition quasi généralisée de l’abeille noire
ancien président d’Apimondia, présente les diffé- native de nos régions, il est étonnant de constater
rents types d’apicultures rencontrés dans le monde. le refus des autorités et de nombreux apiculteurs
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PORTFOLIO
de Myriam Lefebvre
Après avoir passé 20 ans à explorer le comporte- capturé des comportements inédits, qui m’ont
ment des abeilles mellifères, j’ai eu envie de les parfois surprise, tel le plaisir des mâles à se faire
connaître autrement qu’au travers de mon regard ventiler, ainsi que des détails anatomiques mé-
de biologiste. Je voulais les observer dans leur connus de tous les spécialistes des abeilles. Au
environnement naturel, sans intervenir et sans a fil des mois et des années, j’ai eu le grand privi-
priori théorique. J’ai donc troqué ma blouse de lège d’être le témoin de manières d’être et de faire
chercheuse pour un objectif macro. Je me suis plus individuelles, comme si les abeilles sortaient
installée devant l’entrée de ruches et, pendant finalement de l’anonymat que l’être humain leur
plus de 6 années, j’ai observé et photographié les a imposé comme une évidence. De portraits en
allées et venues de dizaines de milliers d’abeilles petites scénettes, celles-ci m’ont dévoilé l’intimité
mellifères. L’objectif macro a ceci de particulier d’un quotidien quelquefois insolite. Insensible-
qu’il nous invite à entrer dans un univers dont ment, je me suis intégrée à leur monde.
nous ne soupçonnions pas la richesse et la beau-
té. Je n’ai pas été déçue. Très rapidement, j’ai >> Pour en savoir plus voir p. 67
DEHORS !
C’est la fin de l’été. Les abeilles ont fait leurs provisions pour l’hiver. Les reines sont presque toutes fécondées. La colonie n’a
donc plus besoin des faux-bourdons qui sont devenus autant de bouches à nourrir inutiles. Ce mâle a essayé, de toutes ses
forces, d’échapper à la détermination de l’ouvrière à l’éjecter de la ruche. Grâce à ses muscles thoraciques plus puissants,
il a réussi. Jusqu’à la prochaine fois…
37
TYPE D’ABEILLES / L’ABEILLE MELLIFÈRE SAUVAGE
UN VENTILATEUR IMPROVISÉ
Il faisait beau et très chaud. Ce faux-bourdon est sorti de sa ruche, a regardé autour de lui et s’est dirigé
vers une abeille qui ventilait sur la planche de vol. Sans hésitation, il a placé sa tête sous l’une des ailes
en action, comme on la placerait sous un ventilateur. Il a pris bien soin de l’aérer des deux côtés.
ÉCHANGE DE NECTAR
39
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
ÉTERNITÉ ET INFINI
Confessions d’un apiculteur repenti
I GIO
R RG
HEN I
Je ne sais pas pour vous ! Mais pour ma part l’esthétique de cette
“abeille“ robotisée m’inspire une cruelle vision : elle représente la
silhouette de « La Mort » dans le pire de mes cauchemars.
Pourtant, si mon idée n’est pas ici de m’épancher sur le sujet de
cette aberration technologique, intellectuelle et éthique, il se
pourrait bien que celui-ci en construise la conclusion.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Et pourquoi ?
41
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
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DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
du responsable agricole. Mais nous n’avions qu’une nels, elles n’ont jamais eu à subir les contraintes
réaction immédiate pour nos intérêts de petits ou des sirops spéculatifs, ni celle du clipage (am-
gros producteurs. La vision du futur nous échappait putation) des ailes des reines, ni le marquage
à nouveau. Ce que devenait insidieusement notre et numérotage, ni les sélections transgéniques
environnement empoisonné et au-delà, la planète et autres fécondations artificielles… Je dois
dans son entier, ne nous effleurait même pas. l’avouer en revanche, je n’ai jamais lésiné sur les
transhumances, les mélanges de population par
SENTIMENT DE TRAHISON réunion, la sélection en faveur de la production
Pour ma part, je suis toujours resté sur l’appren- et du non-essaimage.
tissage littéraire et pratique que j’ai reçu des Je ne pensais pas qu’un jour arriverait où je me
différent(e)s maîtres qui m’ont accompagné à dirais :
mes débuts. Par la suite, je n’ai jamais ressenti - Et si tu arrêtais ? Si le temps des abeilles finissait ?
le besoin de me “perfectionner“. Je suivais mes J’étais tellement imprégné des abeilles. Et de-
abeilles dans leur développement naturel et à puis si longtemps ! Pas un jour où je n’aie levé
part quelques écarts expérimentaux occasion- les yeux au ciel pour juger de ce qu’il serait pour
45
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
UN RUCHER ÉCOLE
A RD
QUI BOUGE !
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Partout en France les ruchers écoles sont confrontés à de nou-
velles demandes, inexistantes il y a seulement 5 ou 6 ans : celles
de personnes désirant avoir des abeilles chez elles, sans forcément
avoir un objectif de production, ou bien que celui-ci soit secon-
daire. Est-ce possible ? Comment répondre à ces demandes ?
QUAND LES AMIS DES ABEILLES Un simple constat s’impose : pour avoir et/ou invi-
AFFLUENT ter des abeilles dans son environnement proche,
Les inscriptions sont si fortes que, selon les res- mieux vaut être à l’aise avec elles ; et au moins ne
ponsables de plusieurs ruchers écoles, elles repré- pas en avoir peur, ce qui est souvent le cas des
sentent jusqu’à plus de 50 % des demandes d’ins- débutants. Être capable de capturer un essaim va-
cription et de formation ! gabond, savoir retourner et soupeser une ruche
Les difficultés rencontrées par les abeilles pour en paille, distinguer le couvain du pollen dans la
survivre aujourd’hui ne sont pas étrangères à ce ruche, repérer les mâles, surveiller la varroase, sa-
phénomène, elles en sont même le moteur prin- voir quand une colonie est dynamique, etc. sont
cipal. Tout un chacun veut faire quelquechose des notions simples, faciles à acquérir auprès de
pour sauver l’emblématique insecte, peu importe formateurs expérimentés et qui permettent de
le prix, peu importent les compétences, peu im- faire de l’apiculture sans être (trop) intrusif. Cela
portent les conséquences… correspond bien à la demande de ce nouveau
Face à cet afflux d’amis des abeilles, deux réponses
sont possibles de la part des ruchers écoles : le re- Au rucher école du Héron, Didier Demarcq nous présente leurs
ruches traditionnelles occupées par des colonies.
fus ou l’acceptation et donc l’accompagnement !
Le refus, c’est prendre le risque de livrer à eux-
mêmes des amis des abeilles inexpérimentés (de
plus en plus) nombreux, dont la pratique sera li-
mitée à une observation contemplative, sans ca-
pacité à décrypter ce qu’ils voient. Cela peut se
concevoir si la colonie est vraiment sauvage, par
exemple inaccessible sous un toit.
La problématique est un peu différente dans le cas
« d’une ruche au fond du jardin ». L’accompagne-
ment des néophytes permet un apprentissage à
minima de la vie d’une colonie d’abeilles. Libre à
eux par la suite d’appliquer les enseignements re-
çus ou non, selon leur sensibilité et leurs objectifs.
47
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
© Stéphane Desrumau.
3. le haut de la ruche avec sa plaque de protection en plexiglass 4 : sans la plaque, aucune panique, dès que l’on ne touche pas
et le trou qui permet visite et nourrissage… aux rayons les avettes (ancien nom français de l’abeille dans le
Nord de la France) sont d’un calme exemplaire.
49
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
LA REDÉCOUVERTE
D’UN LIEN MILLÉNAIRE
Les champignons aux petits
soins pour les abeilles
LEF
M EBV
RIA RE
MY
Les raisons de changer notre regard sur les abeilles et sur leurs
difficultés ne manquent pas…
Parmi les quelques-unes évoquées ici, celle de notre méconnais-
sance des sociétés d’insectes, de leur mode de fonctionnement in-
time, de leurs interactions bénéfiques avec le milieu. Les liens étroits
entre abeille et forêt remontent à la nuit des temps, au point que
des synergies insoupçonnées garantissent la vitalité des uns et des
autres… C’est là tout un monde secret, mystérieux, que quelques rares
esprits ouverts commencent à percevoir et tentent d’explorer, prenant le risque
de passer pour de doux illuminés…
L’affection des abeilles pour les mycètes (face cachée du champignon - voir encadré) semble
une formidable piste d’espoir sur laquelle Myriam Lefebvre nous entraîne…
51
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
© Paul Stamets
ce dernier effet, en fonction de l’espèce de mycé-
lium testé, les abeilles éliminent jusqu’à 90 % des
virus et cela en un temps record d’une semaine !
Un questionnement profond m’envahit. Comment
des centaines de laboratoires de recherche sur les
abeilles mellifères, y compris ceux dont j’ai fait partie,
ont-ils pu ne pas voir qu’elles se nourrissaient du suc
des myceliums présents dans leur environnement ? À
la décharge des scientifiques de l’abeille, la recherche
fondamentale en mycologie est restée pendant
longtemps très discrète. L’essentiel du financement
public et privé a été, et est toujours, consacré à la lutte
contre les quelques mycètes ravageurs des récoltes
humaines. C’est grâce au charisme et à la motivation
d’un petit nombre de chercheurs que le grand public
a finalement entendu parler de mycètes et de leur
rôle fondamental dans l’évolution de la vie sur notre
planète. La tâche des mycologues est loin d’être ter-
minée car, sur les 5 millions d’espèces qu’ils estiment
Les abeilles butinent le mycélium des strophaires à anneaux rugueux. exister, ils n’en ont identifié que 130 000 !
sont bien connus pour dégrader les pesticides, les RETOUR SUR LES DÉFENSES
herbicides et les fongicides. Lors d’une de ses vi- NATURELLES DES ABEILLES
sites, il verra des abeilles s’activer à la base d’un de Revenons à la découverte magistrale de Paul
ces champignons et récolter de la résine et du suc. Stamets et de son équipe : les sécrétions de my-
Le 3e indice arrivera via la publication d’un article céliums font partie de l’alimentation des abeilles et
scientifique sur les propriétés de détoxification du sont tout aussi indispensables au maintien de leur
miel. Paul Stamets a le sentiment intérieur qu’il survie et de leur bonne santé que le pollen et le
n’est pas loin de la solution. Un matin, encore au miel. Que ce comportement soit aussi vieux que
lit, il prolonge l’état de semi-éveil pour trouver le la présence des abeilles sur la planète est une hy-
lien entre ces 3 indices. Et là, ça y est, un déclic pothèse plausible bien que pas encore étudiée. En
foudroyant lui fait voir la scène entière : les abeilles effet, une grande partie de l’évolution des colonies
ont besoin du suc des myceliums pour éliminer d’abeilles mellifères a eu lieu dans l’écosystème fo-
les produits toxiques et renforcer leur immunité ! restier. On l’oublie trop souvent. On ne connaît rien
des premières interactions entre les abeilles et les
UNE BOMBE, RIEN DE MOINS myceliums mais il serait étonnant que ces insectes,
Avec l’aide de deux vétérans de la recherche sur qui ont passé des centaines de milliers d’années
l’abeille, les premières expériences en laboratoire à rechercher des gouttelettes de nectar, d’eau, de
sont menées tambour battant. Les sécrétions de miellat ou les sécrétions des bourgeons des arbres,
trois espèces de champignons sont testées sur soient passé à côté d’une source de nourriture pré-
des abeilles en cagettes : le reishi rouge, l’amadou sente sous la même forme, des gouttelettes, et ex-
et le chaga. Les résultats et leurs implications me trêmement bénéfique à la santé de la colonie.
laissent sans voix. Paul Stamets et ses collègues Comprendre le succès écologique des abeilles
ont mis en évidence trois effets très significatifs de mellifères invite à explorer le fonctionnement de
la consommation des sucs de myceliums : 1) une leur système immunitaire. Au cours de l’évolu-
augmentation de la durée de vie des abeilles ; 2) tion, elles ont d’abord développé une immunité
une diminution de la concentration de produits individuelle, ensuite une immunité sociale. L’im-
toxiques dans leur lymphe et, 3) une diminution de munité individuelle s’exprime au travers de deux
53
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
>> À SUIVRE
dans le n°2 d’Abeilles en liberté
55
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
ARBRES MELLIFÈRES
DU FUTUR
DA
R
ES RIC
YV AU
L’auteur, Yves Darricau, décrit et propose en une série d’articles,
une méthode d’enrichissement de la flore locale. L’apiforesterie, en
offrant une palette de plantes mellifères stratégiques (arbres et
arbustes), devrait permettre à nos abeilles de faire face aux défis
écologiques en cours (réchauffement, pertes d’habitats, disettes
alimentaires…) et de les affronter.
Chacun de ces articles décrira des pratiques d’apiforesterie qui ont
fait leur preuve, ici et ailleurs. Y seront inclus des portraits de plantes
constituant une possible palette d’avenir à privilégier.
INTRODUCTION
À L’APIFORESTERIE !
Face aux grands défis écologiques en cours, au tantes, en alignements urbains ou routiers, ou en
réchauffement climatique, à la disparition des recourant à des plantations nouvelles localisées
abeilles et autres pollinisateurs, il faut mettre comme des îlots de biodiversité dans des zones
en place des actions concrètes, comme celle délaissées.
de planter ! En choisissant ce mot valise bien Avant d’avancer dans cette voie, il faut parler des
pratique et compréhensible, d’apiforesterie, on défis écologiques présents et à venir, et de ce qu’ils
résume bien le propos : il s’agit de la complan- induisent pour nos abeilles. Il y a, en vrac, la surex-
tation d’arbres et arbustes mellifères capables ploitation des milieux de vie humaine urbaine gé-
d’enrichir la flore locale, de la diversifier et de la néralisée (zones commerciales, pavillons, routes et
compléter dans ses apports (nectar, pollen, ré- autres infrastructures) et la surexploitation du milieu
sines) en faveur des abeilles. Un peu comme le rural par l’agriculture dite industrielle qui continue sa
serait une forêt idéalisée, riche de diverses strates marche en avant en agrandissant ses parcelles au dé-
végétales et de plantes à floraisons étagées dans triment des haies et des délaissés semi-naturels, en
le temps et quasi continues, pleine de biodiversi- simplifiant toujours ses assolements et en retardant
té, du sous-sol à la canopée, résistante (résiliente sa cure (finale) de pesticides et herbicides au détri-
plutôt) face aux aléas climatiques à venir. Cette ment de toute la biodiversité environnante. On peut
complantation, grâce à ajouter aussi la gestion
une large palette végé- forestière, qui tarde à di-
tale, incluant des plantes EN VRAC, NOUS DEVONS FAIRE versifier les plantations et
connues, déjà présentes FACE À LA SUREXPLOITATION produit moins d’utilités qu’il
ou introduites encore ET L’EMPOISONNEMENT DES n’est possible de le faire.
rares, pourra se faire à ÉCOSYSTÈMES, LA DISPARITION Le bilan écologique glo-
toutes échelles : en petits DES HAIES, UNE GESTION bal est catastrophique et
jardins, dans des haies FORESTIÈRE INDUSTRIELLE, ETC. vite résumé : côté polli-
nouvelles ou préexis- nisateurs la situation est
connue. En Europe ce sont au moins 37 % des po- ciences alimentaires se conjuguent. Dans ce cock-
pulations d’abeilles, sauvages et domestiques qui tail, la “cause“ alimentaire a semblé la moins mise
sont déjà en déclin, 31 % des papillons, tandis que en avant, alors qu’elle est évidement basique. Une
9 % de ces espèces sont menacées d’extinction (1). étude américaine avançait dernièrement que des
On sait aussi que, ces 27 dernières années, plus de abeilles bien nourries résistaient mieux aux expo-
75% des insectes européens ont disparu (2). Quant sitions aux pesticides que des abeilles en déficit.
aux oiseaux, le CNRS et le Muséum d’histoire na- Rien de bien étonnant à vrai dire, si on met du bon
turelle parlent de « déclin catastrophique », avec sens dans nos analyses.
chute de population d’un tiers en quinze ans (3).
Pour ce qui est de nos sols, les données globales L’ALIMENTATION DES ABEILLES
manquent encore, mais d’évidence elles seraient SE DÉGRADE
aussi en « coup de poing » tant les sols ont perdu Le constat est celui d’une baisse de la quantité, de la
en grand nombre leurs vers de terre et leur humus, disponibilité et de la qualité du nectar et surtout du
ainsi que la microfaune et la microflore (champi- pollen. Dans beaucoup de zones agricoles, la flore
gnons à mycorhizes) qui vont avec. Une séquence et la biodiversité végétale sont réduites à la seule
logique apparaît vite dans ce tableau : une flore végétation dite “utile“ : la culture. Constat simple :
amoindrie et appauvrie veut dire moins d’habitats les plantes nourricières utiles aux butineuses (les
et moins de nourriture. Moins d’abeilles, d’insectes, mellifères) se sont raréfiées, la flore est appauvrie,
de vers de terre à manger induit moins d’oiseaux. simplifiée, alors que c’est elle qui fournit le nectar,
Pour la disparition des abeilles qui a été plus com- pour élaborer la cire et le miel, mais aussi des proté-
mentée ces dernières années, on a aussi parlé ines via le pollen, et enfin des résines pour élaborer
d’effet cocktail, voulant ainsi dire qu’une conjonc- la propolis qui aseptise les ruches.
tion néfaste de divers facteurs expliquerait leur Dans les terroirs de grandes cultures où dominent
disparition brutale. Virus et parasites (le varroa), les immenses parcelles de blé, colza, maïs, luzerne,
pesticides (néonicotinoïdes et autres) et défi- tournesol ; outre le risque d’excès en pesticides,
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DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
les abeilles souffrent d’une offre alimentaire dis- tielles pour son squelette, ses tissus de muscles,
continue. Après le colza qui fournit de grandes ses organes… Il est nécessaire au quotidien pour
quantités de nectar et de miel, plus rien si ce n’est réparer son corps, mais surtout pour la formation
des chaumes à perte du couvain et pour la gelée
de vue… Idem après PLUS DE DIVERSITÉ, D’ARBRES royale qui nourrit les reines.
les tournesols ou avec ET DE HAIES, DE ZONES Le pollen se stocke plus dif-
les luzernes qui sont ficilement. Il présente une
fauchées avant florai-
DÉLAISSÉES, DE PRATIQUES forte hétérogénéité (selon
son. Les rotations des CULTURALES LAISSANT DES les plantes) quant à sa te-
cultures simplifiées et COUVERTS VÉGÉTAUX FLEURIR… neur en différents acides
gérées à grand renfort OUI, UNE AUTRE AGRICULTURE aminés dont la variété est
d’agrochimie sont pra- ÉCOLOGIQUEMENT INTENSIVE essentielle. Il doit donc être
tiquées dans de grands EST POSSIBLE. plutôt frais et disponible ré-
espaces ouverts, par- gulièrement, sans grandes
tout en plaines remembrées, elles font fuir (ou pire périodes de disettes. Il doit être d’origine variée
disparaître) les abeilles et les insectes utiles. pour éviter les carences en acides aminés. On dit
Et ce n’est pas en promouvant la plantation d’ar- pour nous qu’il faut cinq fruits et légumes par
bustes mellifères aux pieds des grands pylônes jour pour être en bonne santé eh bien pour pa-
électriques (…si, si, avec fonds et partenariats di- raphraser ce conseil de bon sens et respecter ce
vers !) que la situation va changer. que disent les nutritionnistes, il faut aux abeilles
Il y faudrait plus de diversité végétale, plus d’arbres et trois (cinq !) pollens différents par jour !
de haies, plus de zones délaissées, et des pratiques Les critères pour la palette de l’apiforesterie com-
culturales laissant des couverts végétaux aptes à mencent à apparaître et vont s’éclaircir davantage
fleurir… Une autre agriculture écologiquement in- avec la prise en compte des changements clima-
tensive qui utiliserait au mieux le fonctionnement tiques en cours qui ont fait des années 2010 les plus
des écosystèmes sans altérer leur renouvellement. chaudes de notre Anthropocéne. L’avenir nous ré-
Une agriculture basée sur les capacités productives serve de deux à cinq degrés de plus d’ici la fin du
naturelles du vivant, plus complexe et réfléchie ! siècle. Et, en sus, les végétaux vont devoir affronter
Signe encourageant, celle-ci commence à émerger, des instabilités plus grandes, marquées par des épi-
comme en témoignent de nombreux agriculteurs sodes pluvieux plus forts, des orages plus violents et
qui remettent l’arbre et la haie au cœur du paysage des périodes de canicule et de sécheresse plus nom-
cultivé, prônent la diversité dans les rotations, les breuses. C’est assez clair désormais pour les séche-
couverts végétaux, le non-labour… L’apiforesterie resses - comme l’ont récemment montré 2003, puis
visera cette cause alimentaire qui affecte la chaîne 2005 et 2006 ; la fréquence des canicules, avec des
alimentaire depuis les insectes (pollinisateurs et températures dépassant les 35°C, pourrait concerner
autres), et par voie de conséquence les oiseaux, en y une année sur deux vers 2050.
ajoutant deux axes, l’un lié à la diversité des apports
alimentaires et l’autre lié à la disponibilité face en QUAND NOS TILLEULS
particulier au réchauffement climatique. FLEURISSENT PLUS TÔT
Ils auront aussi à faire face à un renforcement des pré-
TROUVER DES POLLENS VARIÉS cipitations extrêmes sur une large partie du territoire :
L’abeille, comme on le sait, recherche du nectar les fortes pluies provoqueront davantage d’inonda-
et du pollen pour son alimentation. Le nectar, ce tions et d’érosion des sols, (on l’a vécu en 2018 sur
sont des glucides, des sucres, de l’énergie qu’elle une bonne partie du territoire). Nos plantes sont af-
stocke, plutôt facilement. Ainsi, la disette en fectées négativement par ces modifications de leur
nectar - en hiver par exemple - est supportable, environnement bioclimatique. Les plus inadaptées
grâce à la réserve de miel qu’elle consomme, dessaisonnent, et jettent leur force pour des florai-
pour bouger, se chauffer, faire de la cire… Le sons improbables, comme on l’a vu lors de l’ hiver
pollen, ce sont ses protéines, ses briques essen- 2015 - 2016. Pour imager l’impact du changement
en cours, il faut savoir que chaque 1° C de réchauf- les cerisiers qui ont gagné 7 à 11 jours depuis
fement équivaut à une remontée de conditions cli- 1980. Pour les arbres estivaux, les avancées sont
matiques “moyennes“ de vie des plantes d’environ plus fortes : il y a un demi-siècle, le tilleul à pe-
200 km vers le Nord, (ou 200 m d’altitude)… Les 2 à tites feuilles (Tilia cordata) était fêté et récolté le
3°C de plus, attendus pour 2050, correspondent à un 1er juillet, à Buis-les-Baronnies en Drôme ; mainte-
déplacement des conditions de vie de plus de 400 nant, la cueillette s’y déroule mi-juin ; idem pour
km vers le Nord : c’est beaucoup pour des végétaux les floraisons des châtaigniers et des acacias. Ces
- dont seules les graines se déplacent grâce au vent trois grands mellifères voient leurs floraisons se
ou aux animaux - qui vont être eux aussi fragilisés télescoper et surtout gagner en précocité. En fait
et, pour certains, vont délaisser ces territoires deve- pour une très grande majorité de nos plantes, on
nus inadaptés. Et ça va aller plutôt vite ! Nos arbres, peut dire qu’un degré supplémentaire avance
qui ont très généralement des cycles calés sur les de huit à dix jours la floraison. Les autres plantes
sommes des températures subies, répondent à ce dont les cycles sont calés sur la lumière (le pho-
réchauffement global en avançant leurs floraison et topériodisme) et qui fleurissent en jours courts ne
fructification. Pour les arbres printaniers, on observe changent par contre pas leurs habitudes ni leurs
bien une avancée de leurs floraisons, mais dans des dates de floraisons. Pensez au chrysanthème de la
proportions moindre que pour les arbres estivaux Toussaint et surtout au lierre, notre dernier grand
(heureusement, vu les risques de gels impromptus !). fournisseur alimentaire des abeilles, fondamental
pour constituer les réserves d’hiver des colonies.
DES DISETTES DE PLUS L’effet du réchauffement se visualise alors parfaite-
EN PLUS FRÉQUENTES ment : il allonge la période creuse que les abeilles
Ainsi, les poiriers à Angers ont avancé leur florai- doivent affronter, schématiquement, entre la fin
son de 7 jours sur ces cinquante dernières années des fleurs de châtaigniers et la floraison des lierres.
(avec une accélération depuis 1980) ; idem pour Une période de disette se généralise ainsi, de fin
59
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
juin à début octobre, cela d’autant plus que la énergie et autres intrants, (et aller jusqu’à imagi-
flore locale estivale qui assurait la soudure (ronces ner des drones pollinisateurs pour remplacer nos
et fleurs tardives des prairies et des délaissés) est abeilles), mais il serait bien plus judicieux d’aider la
maintenant laminée par un excès de nettoyage nature. Autre constatation, selon l’étude de l’univer-
des abords des parcelles et chemins. Le calcul de sité de Milan, les hivers plus doux pourraient aussi
la période de disette estivale à venir pour les deux stimuler chez les abeilles des couvées précoces ha-
ou trois degrés attendus (ou plus !) pour cette fin bituellement bloquées par le froid. Alors, comme
de XXIe siècle est facile à faire, et la conséquence son cycle biologique est lié au développement du
pour les pollinisateurs facile à comprendre. L’autre couvain, le varroa, ce poux parasite, pourrait avoir
conséquence de ce réchauffement est de nous tiré profit de ces couvées précoces pour devenir
faire vivre des hivers de plus en plus doux… Heu- plus agressif ! Recherche à poursuivre, bien sûr,
reux phénomène diront les frileux, mais qui peut mais observation bien inquiétante aussi.
être problématique pour les abeilles qui hivernent
à l’abri et sortent si le soleil pointe et si les tempé- UNE FLORE DÉJÀ COMPOSÉE
ratures passent les 12° C… D’ESSENCES EXOTIQUES
À ce stade, le cahier des charges de l’apiforesterie
OBSERVATION INQUIÉTANTE et la palette de végétaux ligneux à privilégier de-
On les voyait ainsi dehors lors du Noël 2015, va- vient très clair… Il nous faut planter des arbres et
quant au soleil : s’il n’y a rien à manger, ce qui est le arbustes à floraisons étagées, stratégiques, face aux
cas avec notre flore, alors elles dépensent en vain défis en cours, allant pour schématiser, de la fin de
de l’énergie - du miel - au détriment de leur au- floraison des tilleuls et châtaigniers à celle du lierre,
to-chauffage intérieur. Comme les pingouins, elles et comblant le trou hivernal jusqu’à l’arrivée du prin-
se regroupent en paquet et tournent les unes sur temps et des pissenlits ; le tout avec suffisamment
et dans les autres, pour se protéger du froid, en de diversité pour un bon apport qualitatif en pollen.
consommant modérément leurs réserves de miel, Bref, il faut modifier notre palette végétale mellifère
et au risque aussi de leur survie. Anecdotique à encore routinière, en choisissant tout de même des
ce jour ici, ce phénomène hivernal est déjà pris “résistants“ face aux mauvais coups à venir : cani-
en compte en Californie, où certains apiculteurs cules plus longues, périodes sèches plus fréquentes
louent des chambres froides en hiver pour y loger et grandes vagues de froid, rares mais toujours pos-
leurs ruches et leur faire croire qu’il fait froid. Par ce sibles, dans ce réchauffement global ; utiliser des
subterfuge, ils leur évitent de sortir et de brûler du plantes locales connues, mais aussi des créations
miel pour rien, alors que la végétation hivernale est horticoles et des introduites oubliées, expérimen-
réduite à néant, en ces zones fruitières spécialisées ter enfin, avec des raretés qui ont fait leurs preuves
en amandiers, strictement désherbées pour pré- dans les parcs et rues des villes (déjà habituées à une
server l’eau, rationnée pour cause de sécheresse plus grande chaleur et à des conditions environne-
extrême. On peut bien entendu tenter de tout mentales plus rudes). Bref, bâtir un nouveau compa-
rectifier avec de la technique et des dépenses en gnonnage écologique en enrichissant la flore locale.
Au cours de notre histoire, on a
LE CAHIER DES CHARGES DE L’APIFORESTERIE ET introduit des arbres d’Asie tem-
pérée (noyer, pêcher, pommier,
LA PALETTE DE VÉGÉTAUX LIGNEUX À PRIVILÉGIER
abricotier) ou d’Amérique (ro-
DEVIENT TRÈS CLAIR… IL NOUS FAUT PLANTER DES binier faux-acacia) pour nos di-
ARBRES ET ARBUSTES À FLORAISONS ÉTAGÉES, vers besoins (alimentaires et uti-
STRATÉGIQUES, FACE AUX DÉFIS EN COURS, ALLANT, litaires). On l’a fait aussi, à grande
POUR SCHÉMATISER, DE LA FIN DE FLORAISON DES échelle dans nos villes pour
TILLEULS ET CHÂTAIGNIERS À CELLE DU LIERRE, ET des raisons esthétiques (Paris,
COMBLANT LE TROU HIVERNAL JUSQU’À L’ARRIVÉE DU Nantes, Toulouse, Nancy, dans les
parcs, arboretum et jardins bota-
PRINTEMPS ET DES PISSENLITS.
niques historiques ; Montpellier,
61
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
Îlot de biodiversité ; l’accent est mis ici sur des arbres et arbustes à floraisons précoces, avec pollen pour la reprise de la ponte des reines.
des lisières forestières, et des délaissés agricoles (les à fleurir tard. Cette flore chinoise a eu la chance
terres trop petites pour être reboisées en forêts, de moins ressentir les glaciations du Quaternaire
pierriers) qui pourraient ainsi être versées dans le que son homologue européenne grandement
domaine collectif. Les parties prenantes peuvent décimée alors. De nombreuses familles végétales
être nombreuses : apiculteurs, agriculteurs, viti- y ont survécu et continué leur diversification. Le
culteurs, chasseurs, ruraux, randonneurs… Un en- Sichuan chinois a ainsi une des végétations tem-
tretien de type forestier devrait permettre de les pérées les plus riches du globe. Les Koelreuteria
maintenir en espace semi-naturel pour des coûts sont de la familles des Sapindacées (des savon-
inférieurs à ceux de l’entretien des ronds-points niers), à fruits riches en saponines, utilisés tradi-
paysagers routiers. tionnellement comme lessive. Cette espèce a été
découverte par le jésuite Pierre Nicolas Le Chéron
UNE PALETTE D’AVENIR : d’Incarville, qui a donné son nom à l’ Incarvilléa.
KOELREUTERIA PANICULATA ET Les arbres issus des graines de Koelreuteria qu’il
KOELREUTERIA BIPINNATA envoyait par caravane via Moscou, chez le bota-
Le premier “trou“ critique dans le calendrier mel- niste russe Eric Laxmann, furent dédiées à Joseph
lifère va de la fin des floraisons des tilleuls et châ- Koelreuter, professeur d’histoire naturelle à Ka-
taigniers à la floraison du lierre. Comme signalé, ce rlsruhe, qui expliqua le rôle des insectes dans la
trou s’agrandit avec le réchauffement qui avance pollinisation croisée. D’Incarville meurt à Pékin en
les floraisons des arbres de notre flore tradition- 1757, il fut un grand découvreur, on lui doit l’intro-
nelle. Pour les arbres à floraisons estivales tardives, duction en Europe (1747) du Koelreuteria panicu-
il faut aller voir du côté de la flore asiatique, plus lata, et de l’extraordinaire Sophora japonica, dont il
particulièrement celle de la Chine qui a une flore sera question dans un prochain article, et d’autres
diversifiée incluant des plantes vivant dans un en 1751 comme l’envahissant ailante, le cedrela…
climat tempéré chaud et surtout plus humide en On lui doit aussi la première description de l’Acti-
fin de saison (climat de mousson) et ayant appris nidia sinensis : le kiwi.
63
DOSSIER / POURQUOI CHANGER NOTRE REGARD SUR L’ABEILLE ?
Le premier Koelreuteria à fleurir est le K. Paniculata. bien plus tardivement encore que le précédent, et
Sa floraison explose après celle des châtaigniers, que tous les arbres à floraison tardive dont il sera
très spectaculaire elle attire les abeilles et les bour- question, en septembre (du côté de Rennes), en
dons. C’est un petit arbre, au port plutôt naturelle- concomitance avec les premières fleurs de lierre.
ment en boule, de 8 à 10 m, adapté à diverses uti- Ces grands panicules de fleurs jaune brillant, parfu-
lisations (isolé, par exemple, dans les petits jardins més, sont suivis, les automnes chauds, de fruits en
et recoins de pelouse). capsules roses, ce qui lui rajoute de l’intérêt. Ponc-
On pourra facilement l’inclure dans des haies ou tuellement visible dans les jardins méditerranéens,
en lisières de bosquets, où il pourra être taillé ré- à l’arboretum INRA de la villa Thuret, et aussi à celui
gulièrement. Ses jeunes feuilles pennées à folioles des Barres à Nogent-sur-Vernisson, il est bien plus
découpées naissent rose rouge, puis passent au rare à voir et à trouver que le précédent. Avec le ré-
vert moyen en été et enfin au jaune à l’automne. chauffement climatique, sa floraison aura lieu plus
En mi-juillet, les grandes panicules aérées, grappes souvent dans le Nord où il apportera une touche
de fleurs jaunes, apparaissent, puis fanent en lais- exotique avec ses grandes feuilles.
sant au sol une pluie jaune de fleurs (the golden rain
tree disent les Anglais), suivie dès le mois d’août de
fruits étonnants, en forme de lanternes vert clair qui 1 : Rapport du groupe d’experts internationaux spécia-
tournent au marron. Ce K. paniculata a une crois- lisés sur la biodiversité -IPBES-, publié en février 2016).
sance assez rapide en sol frais. Rustique, il est facile 2 - Revue scientifique : PLoS ONE ; University of Saska-
à vivre du moment qu’il est installé en sols pas trop tchewan, CANADA ; 2017 ; Hallmann et al.
secs où il végèterait. Il résiste jusqu’à -15°C, tolérant 3 - Centre des sciences de la conservation Cesco – la-
à la pollution urbaine. Fréquent en villes, on com- boratoire conjoint MNHN/CNRS/SU ; communiqué de
mence à le voir en milieu rural. Diffusé par quelques mars 2018.
pépiniéristes, avec aussi un rare cultivar fastigié qui 4 - Pour ces îlots, on verra l’intéressant travail : Recon-
ne manque pas d’allure, et une sélection américaine quête d’espaces agricoles abandonnés par l’étude et la
de 1960, dite “September“ qui est intéressante car plantation d’arbres et arbustes à intérêt mellifère, orne-
plus tardive (fleurs plutôt mi-août en Île-de-France) mental et cynégétique ; 1999 ; Etude réalisée par Mi-
mais encore très peu diffusée ici. chèle LAGACHERIE et Bernard Cabannes-CRPF Langue-
Ce Koelreuteria est très facile à semer, et surtout à doc-Roussillon).
récupérer par arrachage des nombreux petits pieds
qui ne manquent pas de germer autour des arbres >> En savoir plus
adultes (prolifique, mais sans caractère invasif ) et avec le livre d’Yves Darricau :
dont la reprise est aisée. On notera que la popula- Planter des arbres pour les abeilles disponible
à la boutique de Terran magazine
tion existante de ces Koelreuteria Paniculata est très
hétérogène, avec des floraisons étagées, des pani-
cules et des fruits de diverses tailles ; résultat d’une
hétérogénéité génétique qui mériterait d’être
étudiée et mise à profit pour fournir des cultivars
Yves Darricau
MELLIFÈRES DE DEMAIN
PLANTER DES ARLES
ES
et perm
du Luxembourg à
les »
Alternatives apico
Collection : « renouv aider les abeilles.
anguleuses et cassantes, qui certes se réparent Des pistes « douces
» pour eler l’apiculture et
:©
Conception graphique
19 € Imprimé en France
vite mais qu’il est possible d’éviter en taillant à pro- sur la nature
www.terran.fr
Un nouveau regard
MANIFESTATIONS
Cassagnol en Minervois (34)
4 mai, Fête de l’abeille
Château de Beauregard (41)
11-12 mai, Journées de l’abeille.
Lédignan (30)
29 septembre Fête de l’abeille (cf. p. 8) Ruches en paille et ruches tressées.
Bon à remplir en capitales et à retourner à : Abeilles en liberté, chemin de Terran, 31160 Sengouagnetou par courriel à contact@abeillesenliberte.fr
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Une revue
au service
des abeilles,
engagée, novatrice
et participative
CHAQUE TRIMESTRE DANS ABEILLES EN LIBERTÉ,
DES SPÉCIALISTES TORDENT LE COU À CES IDÉES FAUSSES…
ABEILLES EN LIBERTÉ, POUR UNE APICULTURE PLUS RESPECTUEUSE DES ABEILLES.
abeilles
OUI Je m'abonne à en liberté
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abeilles
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p. 6 / « On n’est pas seuls » Être à l’écoute des abeilles, Abeilles mellifères à l’état sauvage paru aux éditions de Terran
une dynamique internationale
Perrine Bertrand, p. 32 / Ne serions-nous pas un peu responsables
courriel : perrinebertrand31@gmail.com de nos malheurs ?
Guillaume Lemoine
p. 8 / Apischool à Rodemack (57 Moselle) courriel : oggmm.lemoine@orange.fr
courriel : karine@maindanslapatte.eu
p. 40 / Éternité et infini, confessions d’un apiculteur repenti
p. 12 / Sorties d’abeilles intrépides dans le froid hivernal Henri Giorgi,
Jacques Fabry courriel : giorgi.henri@orange.fr
courriel : avionie.jfabry@gmail.com La ruche-tronc paru aux éditions de Terran
France 4€ 5€ 6€ 8€ gratuit
Port et Conformément à la loi « informatique et libertés »,
UE et Suisse 6€ 9€ 12 € 14 € 14 € emballage vous bénéficiez d’un droit d’accès et de rectification
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BOUTIQUE
Planter des arbres
PLANTER DES ARBRES POUR LES ABEILLES
Yves Darricau
L’api-foresterie de demain
Nos paysages changent, les plantes souffrent et dessaisonnent, les abeilles disparaissent
pour les abeilles, L’api-
et leur alimentation devient problématique… Chacun de nous peut agir et planter pour que,
demain, les pollinisateurs survivent et que nos jardins s’adaptent et continuent à faire rêver.
Autour de quelque cinquante portraits d’arbres, d’arbustes et de lianes indigènes et
exotiques (savonniers, tilleuls, lotus, buddleias, kalopanax, tetradiums, cyprès, saules…)
se dévoile une nouvelle diversité végétale qui apportera des solutions écologiques face
Yves Darricau foresterie de demain
www.boutique.terranmagazines.fr
et écologiques adaptées aux canicules et aux hivers doux à venir, et pour assurer aux
abeilles une alimentation saine avec des apports réguliers de nectar, de pollen et de
résines à propolis… Des végétaux beaux, faciles à vivre, mellifères et riches d’histoires à
L’api-foresterie de demain
d’arbres, d’arbustes et de lianes
planter pour demain !
Yves Darricau
Cet ingénieur agronome, diplômé de l’institut national agronomique, AgroParisTech, a travaillé dans
19 € Imprimé en France
Ruches de biodiversité
Bernard Bertrand - éd. de Terran
Les ruches de biodiversité ré-
pondent au désir d’implanter
une colonie d’abeilles sans for-
Abeilles mellifères à l’état La Ruche solaire ou Sun hive, cément en récolter le miel. Les
sauvage, Une histoire naturelle un cocon pour les abeilles construire est facile, à la portée
Vincent Albouy - éd. de Terran Günther Mancke - éd. de Terran de tous et peu coûteux… L’au-
Ce livre apporte une vision neuve Cet ouvrage permet à l’apiculteur teur vous propose plusieurs
sur la vie des abeilles mellifères d’offrir à aux abeilles un habitat modèles simples, à vous de
quand elles ne sont pas élevées par confortable qui correspond à leur choisir ! Dans sa réflexion, il
l’homme. Illustré par une abondante besoin ; il en détaille la fabrication, nous propose de changer notre rapport à l’abeille, d’être
iconographie originale, l’ouvrage est mais aussi la manière de la gérer… plus respectueux de sa vie intime, pour lui permettre de
basé sur vingt ans d’observations Adoptée par les biodynamistes, la renouer avec sa vraie nature sauvage. L’enjeu est de taille :
et d’expériences de l’auteur, et sur sunhive semble être la ruche éco- mieux armée, l’abeille pourra à nouveau s’adapter et résis-
une bibliographie rassemblant plus logique par excellence. ter aux multiples agressions subies. 17 x 19 cm – 112 p. - 16,50
de 300 références en français et en 17,5 x 19,5 cm - 112 p. - 16,50 € €
anglais. 16 x 24 cm – 336 p. - 25 € >> Voir p. 4
>> Voir p. 4
La Ruche Warré
David Heaf - éd. de Terran
La Ruche-tronc S’appuyant sur de nombreuses
Henri Giorgi - éd. de Terran sources, cet ouvrage argumenté
Ce livre est le fruit de l’expérience et de l’ob- cherche à définir une approche
servation attentive et quotidienne des abeilles. plus apicentrique. Le rayon est
L’auteur donne des conseils pour bien com- désormais considéré comme
mencer, puis détaille les interventions utiles au bien plus que le simple sque-
fil des saisons : essaimage artificiel, récolte et lette du super-organisme qu’est
enruchement d’un essaim, nourrissement… la colonie ; il est au cœur d’une
Il n’oublie pas la récolte de miel, et propose apiculture respectueuse de l’abeille à miel, soucieuse de ses
des solutions aux divers parasites et maladies. besoins spécifiques et de son bien-être. L’auteur présente la
La fabrication de la ruche et les points clés de son entretien sont expliqués ruche à barrettes d’Émile Warré comme une alternative pra-
étape par étape et illustrés de nombreuses photos.. 17,5 x 19,5 cm - 208 p. 22 € tique et économique aux ruches à cadres. L’ouvrage contient
des plans pour sa construction et des conseils modernes
pour sa conduite. 17,5 x 19,5 cm - 208 p. - 24,50 €
La Ruche ronde
divisible
Gilbert Veuille- éd. de Terran
En pédagogue averti, Gilbert abeilles
Veuille nous dispense, pas à pas, en liberté
un enseignement accessible à CALENDRIER
tous. Sa méthode garantit à la Calendrier 2019
2019
fois une bonne santé à la colo- Terran magazines
nie, mais aussi une récolte de 12 idées reçues sur les
miel importante… abeilles auxquelles il
La Ruche ronde divisible de Gilbert Veuille nous invite à une faut tordre le cou pour
vraie réconciliation entre l’Homme et l’Abeille ! 17,5 x 19,5 cm 12 IDÉES REÇUES AUXQUELLES IL FAUT TORDRE LE COU POUR AIDER LES ABEILLES les aider.
14 p. - 8,50 €
- 92 p. - 14,50 €
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