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Robert Villate.
Foch à la Marne.
.
CHAPITRE VI.
L'ATTAQUE ALLEMANDE
(8 septembre).
L'ATTAQUE ALLEMANDE.
Il fallait que le 8 septembre apporte la victoire aux armées allemandes. Le 7, à 17
heures, le général von Hausen envoie son ordre en vue de l'attaque au petit jour
qu'il a décidé de faire :
L'ennemi a attaqué sur tout le front devant l'armée allemande. Les forces françaises
sont supérieures devant l'aile droite allemande. L'ennemi ne peut pas être fort et
supérieur partout sur tout le front. Seule, une attaque énergique, renouvelée dans
notre secteur, petit éclaircir la situation de l'ennemi, percer son front et parer à
l'offensive supérieure des Français contre l'aile droite allemande. Pour soustraire
l'attaque d'infanterie à l'action possible de l'artillerie française, l'assaut sera lancé à
la pointe du jour, il sera mené à la baïonnette jusque sur les positions de l'artillerie
ennemie. Je charge le général commandant le XIIe corps de réserve de l'attaque
simultanée des XXXIIe division et XXIIIe division de réserve (92), le général
commandant le XIIe corps actif de la conduite de l'attaque des XIXe corps et
XXIIIe division. Les IIe et IVe armées ont été priées de se joindre à notre
mouvement offensif. Elles acceptent. Tout le monde se portera en avant pour
l'attaque. La marche, en avant de la XXIVe division de réserve , de bonne heure,
sera commandée par le général commandant le XIIe corps de réserve. (93)
Cet ordre demande un gros effort aux troupes. Les unités ont perdu beaucoup
d'hommes au cours des combats des jours précédents et des marches, les troupiers
sont fatigués. Le front de la IIIe armée est très étendu, ce qui n'a pas facilité les
ravitaillements. Aussi, la décision de Hausen d'attaquer à la pointe du jour est
diversement appréciée par les intéressés. Un assaut sans bruit dans l'obscurité, sans
préparation d'artillerie, cela paraît bien difficile aux conmandants de division; au
contraire, les troupiers éprouvent comme un sentiment de délivrance a l'idée qu'ils
vont éviter les tirs de l'artillerie française. Le général von Plettenberg a reçu, dans
la nuit, l'ordre d'appuyer avec la 1re division de la Garde---la seule qui lui reste---
l'attaque de von Kirchbach; il demande que l'heure de l'attaque soit reculée pour ne
pas faire un assaut de nuit. Après une conférence avec le général von
H�pplier (94) et le général von Kirchbach, l'heure de l'attaque est fixée à 3 h. 30
pour la 1re division de la Garde, tandis que le général von Kirchbach maintient à 3
heures le départ des unités sous ses ordres (95).
L'ordre d'attaque de la Garde parvient à la 1re division vers 1 h. 15. Elle doit être en
position sur la route Ecury-le-Repos---Morains-le-Petit pour 3 h. 15, prête à partir
quinze minutes après. Le moment est solennel. A 3 h. 30, les régiments de la Garde
à pied se précipitent en avant en poussant le « solide hurrah de la vieille garde », au
son des tambours et des clairons.
Trois régiments sont en ligne, de l'ouest vers l'est, les 1er, 2e et 4e régiments de la
Garde à pied. Le 1er s'ébranle; il est bientôt suivi par le 2e, que le départ de la IIe
division de la Garde a entraîné. Les Français sont surpris par l'impétuosité de
l'attaque, une partie des hommes dorment et sont faits prisonniers encore
déséquipés. La première avance se fait presque sans pertes, en présence d'un
ennemi désorganisé. Le 40 régiment de la Garde à pied avance dans les boqueteaux
de pins qui s'allongent du nord au sud entre Morains-le-Petit et Ecury; les 1" et 2e,
de part et d'autre, progressent au contraire à travers la plaine dénudée, sans aucun
masque pour faciliter la marche. Bien que l'avance soit pénible dans les petits bois,
les Allemands parviennent jusque sur les positions d'artillerie, où les canonniers
sont surpris sur leurs canons. Vers 5 h. 30, la voie ferrée de Fère-Champenoise à
Vertus est dépassée par la droite. Parvenus à la cote 166 (1 kilomètre nord de la
station de Fère-Champenoise), les soldats de la Garde aperçoivent les Français en
fuite dans la direction de Fère-Champenoise. Ce n'est que tardivement qu'ils
reçoivent des coups de canon d'une artillerie paraissant être en position vers le
Mont Août (96). Progressant vers le sud-est pour agir en direction de la ferme
Hozet, les régiments de la Ire division de la Garde, après une avance rendue pénible
par les difficultés de l'orientation et de la conduite du combat, atteignent, vers 9
heures, la route de Bannes à Fère-Champenoise. La division s'arrête, et les hommes
commencent à s'enterrer. Cependant, les unités qui avaient été portées la veille vers
Aulnizeux étaient ramenées derrière l'aile droite de la division. L'artillerie a suivi le
mouvement et, vers 10 heures, se met en batterie vers la Grosse Ferme et la Petite
Ferme.
La IIe division attaque donc plus tôt que la Ire; là aussi, les cors et les tambours
sonnent et battent la charge, entraînant les grenadiers. Sur certains points, les
Français résistent avec acharnement; par contre, en d'autres places, ils sont
complètement surpris. Cependant, des combats très violents s'engagent, qui se
terminent en général par le repli des Français; c'est à la baïonnette qu'il faut
nettoyer les petits bois qui sont sur les deux rives de la Somme, pendant que
l'artillerie française alertée tire avec rapidité pour appuyer son infanterie et arrêter
les Prussiens. La progression pénible oblige le général von Winckler à engager des
réserves à hauteur de Normée. La Somme, atteinte dès 5 heures par les bataillons
du régiment de la Reine-Augusta, est franchie à gué. Sur les pentes sud de la
rivière, la division avance jusqu'à la voie ferrée Fère-Champenoise---Sommesous,
où elle est arrêtée par une énergique résistance d'infanterie, renforcée de
mitrailleuses. Il faut l'appui de l'artillerie pour reprendre la progression dans l'après-
midi.
Le général von der Planitz estime nécessaire de reprendre son monde en mains
avant de recommencer l'attaque. A 8 h. 55, il prescrit de se reformer au sud et au
sud-ouest de Lenharrée; cela permet à l'artillerie de suivre la progression et de venir
prendre position au sud-est de Lenharrée et près de la halte du chemin de fer.
L'artillerie lourde, toujours en batterie au nord de la Somme, prend sous son feu
l'artillerie française aperçue en position vers Connantray.
La XXIIIe division de réserve est arrivée dans la nuit pour prendre ses formations
d'attaque. Le général von Larisch a donné son ordre dans le courant de la nuit. Sa
division doit mener l'assaut des positions ennemies dès l'aube, en agissant sur un
front qui s'étend de Vassimont à Sommesous, en vue d'atteindre Montepreux et les
lisières ouest de Mailly. Le détachement von der Pforte (un bataillon et demi et une
batterie de la XXXIIe division) conserve toujours sa mission de tenir la brèche
entre le XIIe corps actif et le XIIe corps de réserve. La division se trouve prête de
bonne heure, elle est répartie sur un grand front. Le 100e régiment de grenadiers de
réserve est depuis la veille en liaison avec la XXXIIe division vers Lenharrée, plus
à l'est se trouve le 101e régiment de réserve, tandis que le 103e régiment de réserve
se trouve devant Sommesous. Les éléments français de surveillance au nord de la
Somme sont culbutés facilement et la rivière est franchie malgré le feu ennemi
venant des bois situés sur les pentes sud. Vers 9 heures, la résistance est brisée à
l'aile droite; les 101e et 102e régiments de réserve prennent Vassimont malgré un
combat assez dur près de l'église; pendant l'attaque la liaison est perdue avec la
division de droite. Devant la gauche de la division de réserve, il y eut de violents
engagements. Le 103e régiment de réserve attaque Sommesous où l'on résiste
énergiquement. Le village est pris après un combat de rues où le régiment subit de
lourdes pertes, le colonel est blessé. Les Saxons poussent jusqu'aux lisières sud de
la localité, puis s'arrêtent épuisés. La lutte a désorganisé toutes les unités, l'étendue
du front affecté à la division n'a pas permis à l'artillerie de faire véritablement sentir
son action. Au contraire, l'artillerie française, tirant de flanc des hauteurs au sud-
ouest de la Somme, cause des pertes sérieuses. La division reprend haleine.
En fait, si les objectifs prévus ne sont pas atteints, si les pertes sérieuses n'ont pu
être complètement évitées, il n'en reste pas moins que les quatre divisions
prussiennes et saxonnes ont remporté un joli succès, ont complètement désorganisé
notre défense. Leur arrêt est dû, plus à la résistance opiniâtre de combattants isolés
qu'à l'action méthodique et concertée du commandement local.
***
Pourtant, une fois encore, non seulement les ordres du général Foch pour la journée
du 8 restent offensifs, mais ils accentuent cette tendance.
Les corps d'armée et la 42e division feront exécuter, dès la pointe du jour, des
reconnaissances sur tout leur front (infanterie et cavalerie), en vue de déterminer les
points encore occupés par l'ennemi.
C'est, en effet, l'avantage d'une forte culture militaire, que celui qui la possède ne se
laisse pas hypnotiser par les incidents de sa bataille, mais que, sans pour cela
détourner son attention de ces incidents, il voit surtout les ensembles. Ici, le général
Foch sait que l'ennemi recule devant les armées de gauche: ce fait a, à ses yeux,
qu'il garde fixés sur une carte générale du front, la même importance que la
résistance ennemie devant sa propre armée. Il n'a pas été, d'ailleurs, sans sentir
nettement un certain fléchissement, ou du moins un ralentissement des efforts
ennemis, devant sa gauche. Déjà il « voit », par-delà les événements immédiats, la
généralisation du mouvement de retraite commencé à la gauche; il en pressent la
nécessité, parce qu'elle est dans la logique des faits. De cette « prescience », le
général Foch donnera tant de preuves, au cours de la guerre,---à la fin de la bataille
de l'Yser quand, dans ses lettres au général Joffre, il dessinera la suite des
événements; en janvier 1917 quand, par son insistance, il amènera le général en
chef à étudier et à préparer les mesures que nécessiterait une rupture du front
italien; en juillet-août 1918, quand il marquera les phases de la fin de la guerre,
pour nous borner à quelques exemples,---qu'on peut la dire une de ses
caractéristiques essentielles. Osons le dire : n'est-ce pas la caractéristique propre du
génie de franchir d'un seul bond les observations et les raisonnements terre à terre
où nous nous arrêtons?...
***
Nous avons montré, au chapitre précédent, combien grande était la fatigue des
unités du 11e corps et quel inévitable désordre y régnait après trois journées de
combat défensif. Rappelons que la 21e division, par exemple, constitue en fait trois
groupements : à gauche, la 41e brigade, dont les deux régiments, très étalés quoique
épuisés, n'ont d'ailleurs aucune liaison entre eux; au centre, un groupement aux
ordres du colonel du 93e comprenant le 293e, deux compagnies du 337e et deux
bataillons du 93e , dont le point faible est constitué par ces deux compagnies du
337e, très distendues sur un front mal défini; à droite, le 137e, renforcé d'un
bataillon du 93e et d'un bataillon du 337e, aux ordres du colonel commandant la
42e brigade. Celui-ci, le colonel Lamey, a adressé à 18 heures un compte rendu qui
nous renseigne bien sur l'état physique et moral de ces troupes, et dont certaines
phrases un peu solennelles émeuvent profondément quand on pense qu'elles furent
sans doute les dernières qu'écrivit ce chef :
Depuis un instant, il y a une accalmie dans la rafale ininterrompue des gros calibres
ennemis qui a fait éprouver des pertes sensibles...
Les tranchées de première ligne tiennent très bien; la fusillade aux abords sud de
Normée se fait encore entendre par moments. L'artillerie ennemie nous surveille
sans relâche, et tout mouvement de blessés ou d'isolés au passage à niveau de
Connantray est immédiatement couvert de projectiles.
... Malgré tout, comptez sur nous; mais je crois pouvoir vous demander un
témoignage de la satisfaction du commandement pour la mission de confiance que
vous avez bien voulu donner a un régiment de ma brigade sous mes ordres directs.
Les 1er et 3e groupes d'artillerie, mis à ma disposition, nous ont secondés de leur
mieux; ils ont fait des pertes sérieuses : commandant Frot, tué; capitaine Marquis,
blessé.
Une attaque ennemie qui peut être menée par environ une division peut déboucher
de la région d'Ecury-le-Repos, dans la direction de Fère-Champenoise, ou dans la
direction presque nord-sud entre Ecury-le-Repos et Normée, soit de la région 167
nord de Normée, entre Normée et Lenharrée.
34e brigade : à droite, 114e dans les bois environnant la cote 172, 125e dans les
bois au nord de 179, en arrière à droite du 114e.
Aussitôt arrivée, la 35e brigade reconnaîtra le massif boisé au sud d'Ecury, en vue
d'une occupation par infiltration aussi rapide que possible, soit face au nord pour
taper dans le flanc gauche d'une attaque d'Ecury sur Fère-Champenoise, soit face au
nord-est, pour taper dans le flanc droit d'une attaque (sic).
Prescriptions analogues pour la 34e brigade, pour l'occupation des lisières sud et
sud-est de Normée ou des bois sud et sud-ouest de Lenharrée, pour arrêter toute
offensive débouchant à l'est de Normée et de Lenharrée.
La liaison la plus étroite devra être prise avec les troupes du 11e corps actuellement
aux prises avec l'ennemi sur le front Ecury---Lenharrée, afin de pouvoir, en cas de
nécessité, les renforcer sans nouveaux ordres pour éviter toute retraite de leur part.
En. tout état de cause, chaque brigade ne devra engager dans ce but que la moitié de
son effectif, réservant l'autre moitié pour contre-attaquer l'ennemi, en cas de besoin,
comme il a été dit plus haut. Il est bien entendu que, là où les contre-attaques
doivent être faites par le feu et non par le mouvement, l'action des deux brigades
sera soutenue .
Cet ordre est cité d'après l'ouvrage du général Dubois. Avouerons-nous que, faute
de l'avoir retrouvé aux. archives, nous hésitions à le croire authentique jusqu'au jour
où nous en avons retrouvé des détails essentiels dans les instructions verbales que
reçurent certains des subordonnés du général Lefèvre! Cet ordre touffu, et qui veut
tout prévoir, prête en effet singulièrement à la critique.
Je suis à peu près certain qu'aucun avis officiel ne fut donné à l'état-major de la 21e
division par l'état-major du 11e corps de l'arrivée de la brigade Janin dans le secteur
confié à la 21e division.
C'est seulement dans la matinée du 8 septembre que j'ai appris, par des camarades,
au moment où nous arrivions à mettre un peu d'ordre dans les unités bousculées, la
présence de cette brigade en arrière de la 41e et la mission qui lui avait été donnée.
Aucune liaison n'avait donc été réalisée entre elle et la 21e division (98).
Les troupes bivouaquèrent donc, sans précautions spéciales, sur les emplacements
indiqués ci-dessus.
La nuit, vaguement éclairée par les incendies des villages sur la ligne de combat,
commence dans un calme parfait. Pourtant, d'après certains témoignages, une partie
de nos lignes, en particulier à la 22e division, subit, à partir de 21 heures, un
bombardement lent et continu d'obus de gros calibre, tombant régulièrement à dix
minutes d'intervalle. L'effet matériel de ce bombardement paraît, d'ailleurs, avoir
été nul; mais il eut sans doute pour résultat d'entretenir la fatigue et d'endormir la
crainte de l'attaque ennemie en la prolongeant indéfiniment.
Vers 7 heures, la 21e division et la majeure partie de la 18e, avec des éléments
d'autres divisions, ne forment plus qu'un mélange informe, essayant vaguement de
se rétablir sur une ligne discontinue marquée par la voie ferrée de Vertus à Fère-
Champenoise, par la lisière sud de Fère-Champenoise, puis par la crête au sud de la
route de Fère à Connantray.
Ce n'est certes pas aux comptes rendus du 11e corps qu'il faut demander ce qui s'est
passé! Nous en avons deux, datés de 4 h. 40 et de 7 h. 30; ils décèlent surtout la
préoccupation d'atténuer la gravité de la situation et de rassurer le supérieur.
La 18e division, avec qui il est en liaison, est prête à prendre l'offensive.
et le second
Je prescris à la 18e division. d'organiser, avec une de ses unités, la position au sud
de Connantray, qu'il importe que je conserve pour la liaison de mes unités, et de
prononcer avec tout le reste de ses troupes une vigoureuse offensive sur la rive
droite du ruisseau de Connantray, en se dirigeant vers le nord-ouest.
La 21e division, suivant le mouvement pour réoccuper avec sa droite les positions
162 au nord-est de Fère-Champenoise,
J'ai tout lieu de croire que si cette attaque, exécutée avec des troupes fraîches et
bien en mains, est menée énergiquement, nous pourrons reprendre sensiblement nos
positions premières...
Plus pessimiste, et par conséquent plus près de la vérité, le premier compte rendu
du général commandant la 21e division est faussé à le fois par ses préventions
contre le 65e régiment d'infanterie et par une fâcheuse tendance, malheureusement
trop fréquente, à accuser les troupes étrangères à sa division. Nous croyons devoir,
néanmoins, le reproduire au moins en partie, car rien ne fait mieux saisir les
réactions psychologiques d'un chef que de tels documents, rédigés dans le feu de
l'action et il faut bien savoir que ces réactions ne sont nullement particulières à
celui-ci :
7 h. 30.
D'après les renseignements fournis par un Allemand blessé, l'attaque de cette nuit
par Ecury aurait été exécutée par deux bataillons allemands seulement (102).
Les résultats sont déplorables. Deux compagnies du 317e, placées entre le 93e et le
64e, chargées de la défense des lisières faisant face à Ecury, ont complètement
abandonné au premier coup de fusil et sont parties en tirant dans toutes les
directions. Sur la route de Morains, tout le 65e, dont je constatais d'ailleurs depuis
trois jours l'indiscipline, a abandonné ses positions dans un véritable mouvement de
panique (103)...
Je n'ai pas de renseignements bien certains jusqu'ici sur ce qui s'est passé à ma
droite; mais, à part un bataillon isolé du 93e et dont j'ai d'ailleurs une grande partie
dans la main, qui a abandonné la cote 162, je pense que les colonels Lamey et Hetté
ont dû tenir en arrière de Normée et du passage à niveau de la grand'route Fère---
Normée.
D'après tous les renseignements qui me parviennent, les fractions du 32e et du 66e
engagées vers 5 heures à l'est de Fère-Champenoise, n'auraient rien eu de
vigoureux, au contraire!... (103).
... Il me faudra plusieurs heures pour remettre un peu d'ordre dans mes éléments.
Le renseignement relatif aux deux compagnies du 337e est-il plus exact que les
affirmations, complètement erronées, relatives à l'attitude des 65e, 32e et 66e? Il est
difficile, sinon impossible, de l'établir. S'il était exact, il pourrait être rapproché
d'un incident analogue qui se produisit le lendemain soir, du côté allemand, dans la
région de Marchais-en-Brie. Là aussi, deux compagnies isolées (du 57e), mêlées
aux unités d'un autre régiment (le 158e), furent enfoncées par l'attaque de nuit du
18e corps français et ouvrirent dans le dispositif allemand une brèche; incapable, de
se rendre compte, au milieu de la confusion du combat, de l'importance de cette
brèche, le général von den Borne, commandant la division, donna un ordre de repli,
décision grosse de conséquences, puisqu'elle fut généralisée, quelques heures plus
tard, par le général von Bülow et étendue a toute la IIe armée allemande.
Les renseignements ultérieurs prouvent, d'ailleurs, qu'il n'y avait pas lieu
d'incriminer telle unité plutôt que telle autre, puisque le résultat a été le même sur
tout le front, à la droite comme à la gauche, comme le reconnaissait le compte
rendu suivant de la 21e division :
Le chef d'état-major du 11e corps vous a rendu compte sommairement des pertes
subies par la 42e brigade. Les faits se sont passés de la façon suivante .
Vers 2 h. 30, c'est-à-dire trente minutes environ avant l'attaque qui s'est produite
par Ecury, une force allemande qu'on n'a pu évaluer, a attaqué vigoureusement les
lignes du 137e. Cette attaque avait été précédée d'une violente canonnade, le tir
ayant été réglé de jour.
La première attaque n'a pas produit un grand désordre. Mais il s'est trouvé que les
Allemands qui avaient traversé les lignes sont tombés sur l'avant-ligne des troupes
de la 18e division qui les a accueillis à coups de fusil. Ils se sont repliés sur
Normée, ont occupé les tranchées préparées dans la journée par nos troupes, et
celles-ci, recevant des coups de fusil dans le dos, se sont alors absolument
débandées. Les choses se sont passées à peu près de la même façon du côté du
passage à niveau (93e). Les résultats sent lamentables.
Le colonel Lamey est tué. Son officier d'état-major, capitaine Pons, blessé. Le
commandant de Ladebat, commandant le 137e, blessé; capitaine Grenouilleau, son
adjoint, blessé... Au 93e, colonel Hetté, blessé; commandant Carrière, tué.
Lorsqu'il vous sera possible de me relever de la garde des crêtes en avant d'�uvy
avec des éléments de toute provenance, je vous demanderai de désigner à ma
division un point en arrière où je puisse en rassembler les débris.
Ici encore, nous retrouvons l'influence fâcheuse du mélange des unités. Loin de
consolider la première ligne, la présence de la 18e division fut une gêne et une
cause de désordre.
Est-il bien nécessaire, après ces documents si significatifs par leurs imprécisions et
leurs inexactitudes mêmes, de citer des témoignages de combattants?...
***
LA RÉSISTANCE.
Au 114e, installé au nord de Connantray, vers 3 h. 30, le colonel Briant, entendant
une violente fusillade sur sa gauche, envoie des patrouilles dans la direction du 32e,
qui se trouve dans la boucle de la voie ferrée de Fère-Champenoise à Sommesous.
Ces patrouilles ne reviennent pas. Vers 5 h. 30, on voit se replier les hommes du
11e corps; leur défilé à travers les lignes dure plus d'une demi-heure. Ce n'est que
vers 7 heures que les Allemands occupent les lisières des bois situés entre Somme
et Vaure, en face de ce régiment. Un feu lent d'infanterie et de mitrailleuses
commence. Vers 7 h. 30, alors que le 114e va exécuter un mouvement offensif qui
lui a été prescrit, le 2e bataillon, à sa gauche, reçoit des obus de notre artillerie qui
le croit replié, les liaisons ne fonctionnant pas. Le bataillon a son chef tué et se
replie. Cependant, le colonel Briant, qui est à son P. C. à 800 mètres au nord de
Connantray, reçoit des coups de fusil venus du village; ce sont des éléments
allemands qui se sont glissés dans la localité et qui prennent à revers les hommes
du 114e. Vers 9 heures, un officier de la 34e brigade, traversant au galop un barrage
d'artillerie, apporte l'ordre de se replier.
Au 66e et au 32e, à peine la fusillade a-t-elle éclaté en avant que les balles arrivent
jusqu'aux points où les régiments ont bivouaqué. Les feux sont convergents.
Presque instinctivement, les unités se portent au secours de la première ligne. Mais
il faut se replier. Le combat et la retraite sont très durs, les Allemands progressent
en filtrant dans les boqueteaux, faisant prisonnier un groupe de blessés légers du
66e. Peu à peu, les hommes se replient isolément et se dirigent sur Fère-
Champenoise.
Au 65e, la nuit s'est passée calmement. A la pointe du jour, une brume légère
couvre le sol, empêchant de voir distinctement à plus d'une centaine de mètres. Une
vive fusillade éclate. Le colonel Balagny se porte dans sa direction, il rencontre des
isolés qui lui racontent que l'ennemi déborde par le sud-est. Il revient en toute hâte,
fait occuper face à l'est la voie ferrée de Vertus à Fère-Champenoise. L'ennemi
débouche à droite, puis, peu après, c'est à gauche qu'il apparaît. Débordée à gauche,
la ligne se replie et, pendant ce mouvement, le colonel est blessé.
Elles s'avancent dans un ordre parfait, par sections en ligne sur un rang, séparées
par de larges intervalles, en arrière venaient d'autres groupes placés en échiquier,
suivis d'autres, fractions sur un ou deux rangs. Derrière chaque groupe, des
officiers, l'épée à une main et le revolver de l'autre, poussent leurs hommes en
avant avec des cris rauques. L'ensemble marche d'un pas ferme et régulier, qui
donne une réelle impression de puissance et de résolution (104).
Entre le 64e et le 65e, un trou s'est produit que le général de Teyssière ne peut
boucher, faute de moyens. Il. envoie un de ses officiers d'état-major rendre compte
au général Radiguet de cette situation. Le commandant de la 21e division prescrit
alors de se replier en pivotant sur la gauche, le 65e venant s'accrocher à la Grosse-
Ferme, pour maintenir à tout prix la liaison avec le 9e corps. Deux officiers sont
envoyés pour porter cet ordre; l'un d'eux, le capitaine Zehrfuss, est tué peu après,
avant d'avoir rempli sa mission (105); l'autre ne trouve plus le général de Teyssières
et ne petit transmettre son ordre. Plus personne devant lui; il sent la ligne allemande
qui progresse, des débris épars de la 21e division passent en proie à une
indescriptible panique. Les hommes de ce troupeau portent les numéros de tous les
régiments de la division. Ils sont inextricablement méIangés. Enfin, on arrive à
regrouper quelques paquets d'hommes. Heureusement, l'ennemi paraît épuisé; il est
environ 10 heures, la fusillade s'éteint.
Au bataillon Lambert, les sections ont été engagées, dès le début de la fusillade «
'face à l'aube ». Au début, on ne voit rien, cependant on tire sur les lisières de bois
qui font face ace à la ligne. Aucune liaison n'existe ni à droite, ni à gauche. Les
feux par salves se succèdent sans interruption, auxquels se mêlent parfois les
crépitements des mitrailleuses. Quand le jour, assez levé, permet de voir plus loin,
on aperçoit, à droite et à. gauche, des éléments se repliant, ce sont les hommes du.
64e et du 65e. Ces feux par salves ont causé de sérieuses pertes aux Allemands,
mais ne les ont pas empêchés d'avancer de part et d'autre. Vers 6 heures, différents
éléments du bataillon Lambert sont repliés derrière la voie ferrée de Vertus à Fère-
Champenoise, continuant à tirer par salves sur un ennemi invisible et que l'on
suppose tapi dans, les bois. Puis ces fractions se replient sur 166, puis sur 161, et,
là, profitent du splendide champ de tir qu'elles ont devant elles pour se réorganiser
et se regrouper.
A la 22e division, la surprise et le désordre n'ont guère été moindres. Là aussi, les
Allemands parviennent jusqu'à certaines batteries en même temps que notre
infanterie et,. après un combat corps à corps, ces batteries, doivent être
abandonnées après avoir été mises hors d'usage sous les yeux des Allemands. A la
gauche de cette division, le désordre est encore aggravé par des tirs de l'artillerie de
la 18e division, qui, ignorante des positions réellement occupées par notre
infanterie, ouvre le feu sur une zone encore tenue par le bataillon, de gauche du
114e et par des fractions de la 22e division. Toutefois, la 34e brigade, dont le
bivouac avait été établi à bonne distance de la première ligne, n'est pas entraînée
dans la déroute : elle est encore dans les bois de la région 172-179 au nord-est de
Connantray, quand déjà des détachements ennemis atteignent cette localité et les
prennent à revers. C'est seulement vers 9 heures qu'elle se replia au sud de
Connantray sur un ordre formel du général Lefèvre.
Bien entendu, les faibles éléments de la 60e division de réserve, qui prolongent le
front de la 22e division, et le 336e , qui tient Sommesous pour le compte de la 9e
division de cavalerie, ont été bousculés dans les mêmes conditions, et d'autant plus
rapidement qu'ils avaient été diminués, l'avant-veille, de leurs meilleurs éléments.
Vers 9 heures, la ligne sur laquelle les généraux et leurs états-majors essayent, non
sans peine, d'arrêter le repli et de regrouper les unités, est à peu près la suivante :
bois au sud de la Petite-Ferme, où des fractions du 11e corps sont au contact
d'unités de la 52e division entraînées dans la débâcle, lisière sud de Fère-
Champenoise, croupe sud de Connantray, en avant de laquelle et très en flèche par
rapport à l'ensemble, se trouvent encore les 114e et 125e régiments d'infanterie,
chemin de Connantray à Montépreux, cote 195 (est de Montépreux). Ce
regroupement va être facilité, nous le verrons, par l'arrivée de régiments de réserve
intacts et bien encadrés, le 290e derrière la 21e division, le 268e derrière la 22e.
La 21e division n'existe pour ainsi dire plus : elle a perdu un de ses brigadiers tué,
trois de ses chefs de corps, dont deux tués et un blessé resté sur le terrain, une
grande partie des faibles cadres qui lui restaient encore, la moitié environ de son
artillerie; ses deux états-majors de brigade sont complètement désorganisés, l'un par
la blessure d'un officier, l'autre par la disparition momentanée d'un officier qui erre
à travers bois à la recherche de son chef. De la 18e division, une des brigades est
anéantie, le 66e régiment ayant perdu 24 officiers et 1.284 hommes, et le 32e un
plus grand nombre encore, dont le colonel et un des deux chefs de bataillon; un des
régiments de l'autre brigade a perdu notamment deux de ses commandants de
bataillon et le capitaine adjoint au chef de corps; le commandant de la division n'a
plus d'état-major. Enfin, la 22e division, moins éprouvée peut-être quant aux
effectifs, a dû laisser sur place une partie de son artillerie.
Ici, pour les Allemands, n'était-ce pas la victoire, s'ils avaient été en état de pousser
leurs avantages, si von Bülow s'était rendu compte de l'étendue de son succès, si la
9e armée n'avait pas eu un chef à l'âme si fortement trempée, si la gauche de cette
armée n'avait pas tenu solidement pendant que la droite s'écroulait?...
***
A LA GAUCHE DE LA 9e ARMÉE.
A la gauche de la 9e armée, le 10e corps, qui devait agir, d'après les instructions du
commandant de la 5e armée, en direction générale de Bannay, au bénéfice de la 42e
division, ne progressera guère au cours de la journée, en dépit des objurgations
pressantes du général Franchet d'Esperey, du fléchissement de la résistance
ennemie et de l'introduction d'une nouvelle division, la 51e, à la droite de la 20e.
Ralenti surtout par le piétinement du 1er corps, qui, à sa .gauche, est obligé de
changer de direction dans des conditions difficiles, il ne dépassera pas le Petit-
Morin, atteint par la 20e division au Thoult, par la 51e à Corfélix.
Cette faible avance du 10e corps suffit cependant à épauler sérieusement la 42e
division.
La 42e division a passé une nuit tranquille. On a 1'impression que, dans la nuit,
l'ennemi a commencé son repli. Il ne répond pas à notre artillerie qui reprend sous
son feu ses objectifs de la veille. Le canon paraît si loin que le colonel commandant
le 10e chasseurs à cheval profite de ce que son régiment est en avance pour le
rassemblement pour desseller et faire le pansage pair peloton. La discipline est telle
que tout se fait régulièrement et que chaque peloton resselle à son tour sans se
presser.
En conséquence :
---le 8e bataillon et le 10e chasseurs se porteront, par l'est, des bois de Saint-Gond,
sur Saint-Prix; le 10e chasseurs poursuivra. ensuite en direction de Baye et
Champaubert;
Une fois les objectifs fixés conquis, les unités feront une grand'halte pour achever
leur reconstitution.
Vers 7 heures, le 151e sort de La Villeneuve et marche sur les Culots; mais, en
arrivant devant ce village, il se heurte à une forte résistance organisée sur les deux
rives du Petit-Morin. Le 162e réoccupe sans combat le village de Soizy et pénètre
dans les bois de Botraît et des Grandes-Garennes sans rencontrer aucun ennemi. A
sa droite, le 8e bataillon de chasseurs pénètre, lui aussi, dans le bois de Botrait,
fortement ralenti dans son avance par la hantise que cause la crête du Poirier,
supposée occupée par l'ennemi et où celui-ci aurait creusé, d'après les bruits qui
courent, des tranchées si profondes « que les capitaines allemands, y circuleraient à
cheval » (106).
Quant au 10e chasseurs, le général Grossetti lui fait renouveler, vers 9 heures,
l'ordre d'aller par la ferme Montalard reprendre le contact. Précédé par la
reconnaissance du lieutenant Varenne (dont on retrouvera plus tard le corps,
dépouillé par l'ennemi, à la sortie est d'Oyes), le régiment débouche par la ferme
Montgivroux, gagne le petit bois à 1 kilomètre sud-ouest d'Oyes, puis se porte vers
celui qui se trouve à l'ouest d'Oyes. Mais il a été vu par les Allemands. Des obus de
gros calibre s'abattent sur lui. Il faut faire demi-tour et se dégager par échelons en
fourrageurs. Poursuivis par le tir de l'artillerie allemande, les trois escadrons se
rallient à l'ouest du château de Mondement. Les pertes sont relativement faibles : 3
hommes restés sur le terrain et quelques blessés légers; mais on a l'impression que
l'ennemi est encore sur la rive sud du Petit-Morin (106). L'heure de la cavalerie n'a
pas encore sonné. Cependant, comme nous le verrons plus loin, nous occupons
depuis 7 heures Oyes et la crête du Poirier. Une bonne liaison entre la 42e division
et la division du Maroc eût évité au 10e chasseurs ce faux mouvement.
La division s'arrête momentanément, exécute le « long repos » prévu par tous les
ordres de la matinée, et dont elle a effectivement le plus grand besoin, et, à 11 h.
40, le général Grossetti prescrit que :
162e, par deux groupes du 61e, dont l'un est en surveillance au sud-est de Soizy.
Les unités devront aborder les bois sur de grands fronts, en utilisant tous les layons,
et non, comme il a été constaté ce matin, en suivant une lisière et en s'exposant
ainsi aux surprises et au feu des mitrailleuses.
Il sera couvert par le 16e bataillon à Soizy et par le 19e au bois de Saint-Gond.
C'est que la division du Maroc ne tient plus la crête du Poirier, et qu'il parait risqué
de laisser en saillant des troupes aussi fatiguées. L'ennemi ne tarde pas, en effet,
après avoir occupé la crête du Poirier, à s'infiltrer par le bois de Botrait dans le bois
des Grandes-Garennes; mais il ne réussit pas à atteindre la lisière sud de ce bois.
Le 19e bataillon de chasseurs est toujours face à l'est sur la croupe du Poirier; il
repousse les Allemands par une contre-attaque, mais il est obligé de s'arrêter devant
les trous de tirailleurs ou les petits éléments de tranchée déjà creusés par-les
Hanovriens. Il se replie, entraînant avec lui quelques coloniaux et trois compagnies
du 8e chasseurs. Tout ce monde se reforme à l'abri des vues allemandes le long de
la route de Soizy à Oyes.
A la nuit, le 151e d'infanterie occupe Corfélix et les Culots, La division tient les
Culots, les bois des Grandes-Garennes, de Botrait et de Saint-Gond, la ferme de
Montalard et Montgivroux. L'ennemi occupe la rive nord du Petit-Morin et n'a plus
guère d'éléments au sud de la rivière. Des batteries allemandes, vues en position
vers Bannay, sont violemment prises à partie par nos batteries.
L'artillerie a eu fort à faire dans la journée, on en a eu besoin partout en même
temps, il a fallu qu'elle se multiplie pour pouvoir donner satisfaction à toutes les
demandes. C'est ainsi que le groupe Menettrier, du 61e d'artillerie, qui était dès le
matin en position à l'ouest du bois de Saint-Gond, change d'emplacement vers midi;
il s'établit près d'une roue éolienne à la sortie est de Villeneuve, pour mieux voir
son objectif qui est le village de Talus-Saint-Prix. Au cours d'une de ses
reconnaissances, le commandant Menettrier trouve, près du bois, de Botrait, des
emplacements de batteries allemandes abandonnées avec environ 600 projectiles
laissés sur place. A La Villeneuve, les deuxième et troisième groupes appuient
l'attaque sur Corfélix et sur Talus par des tirs systématiques sur les pentes nord de
la vallée du Petit-Morin. A la nuit, ces deux groupes vont bivouaquer à la ferme
Chapton; les chevaux n'avaient pas bu depuis deux jours. Les deux groupes du 46e
d'artillerie travaillent toute la journée au bénéfice de la division marocaine.
La division avait des pertes sérieuses, il y avait plus de 1.250 blessés soignés dans
ses ambulances, et il fallait compter en plus les morts et les disparus. Mais le
général Grossetti a rempli sa mission, il est toujours en liaison avec le 10e corps et
la division marocaine, il s'est accroché à l'ennemi en train de se replier. Il est prêt à
continuer.
***
LE Xe CORPS ALLEMAND.
En face du 10e corps et de la 42e division se tiennent toujours les XIe corps de
réserve et Xe Corps actif. Un ordre du général von Bülow a prescrit au Xe corps de
se replier sur Ia rive nord du Petit-Morin; son exécution est réglée par un ordre de
von Emmich du 7 à 19 h. 30 : la XIXe division s'installera sur la ligne Le Thoult,
Le Reclus, Talus, tandis que la XXe division prendra position depuis le moulin
Thoury jusqu'à Courjeonnet; les deux divisions doivent immédiatement se
retrancher sur ce front. La liaison avec le Xe corps de réserve à droite doit être
effectuée par le 17e régiment de hussards, en même temps que la XIXe division
doit appuyer un détachement du Xe corps de réserve laissé sur la rive sud du Petit-
Morin. vers La Pommerose, pour faciliter le décrochage de ce corps de réserve.
Vers 3 heures, von Lauenstein, chef d'état-major de Bülow, informe le XIe corps
que la XlVe division, qui était jusqu'alors en réserve d'armée, se trouvera à l'aube
avec ses têtes de colonnes vers Joches et Coizard, de façon à pouvoir intervenir
contre la ligne Mesnil-Broussy---Bannes, lors de l'avance de la 1re division de la
Garde. C'est une indication précieuse pour von Emmich d'apprendre qu'une
division fraîche vient s'intercaler à sa gauche pour aider la progression de la Garde;
il en infère qu'il aura à reprendre l'attitude offensive.
L'occupation des rives nord du Petit-Morin se fait sans difficultés : le 78e régiment
est vers le château Belin, en réserve; le 78e est en liaison avec le 15e régiment de
réserve, qui tient le chemin de La Mortière à Le Thoult; le 731, est vers la ferme de
Pisseroles; le 91e et le 74e sont au bois du Reclus et entre Reclus et Talus. La XXe
division est plus étalée; elle a toujours le 92e régiment d'infanterie en réserve de
corps d'armée vers Boye, le 77e s'installant au bois des Usages et vers Villevenard,
tandis que la 40e brigade tient les rives nord des marais jusque vers Coizard. Des
tranchées ont été organisées dès la tombée de la nuit par les pionniers, les régiments
n'ont qu'à les approfondir; pour éviter les pertes, on ne laisse dans ces positions que
le minimum d'hommes, le reste se reposant dans les vallons un peu en arrière;
cependant, l'artillerie allemande, ayant été reportée assez au nord du Petit-Morin,
ne peut pas prendre à partie les batteries françaises qui en profitent, dès les
premières heures du jour, pour bombarder les tranchées de l'infanterie hanovrienne
et lui causer d'assez sérieuses pertes.
Dès que fut connu, dans le courant de la matinée, le succès du groupement von
Kirchbach, avant même l'arrivée d'ordres de l'armée, von Emmich croit devoir se
joindre à l'attaque; vers 8 h. 30, il ordonne à la XXe division de se relier à la XIVe
division et d'attaquer, sur le front Soizy---Mondement; la XIXe division doit
simplement tenir les positions de la rive nord du Petit-Morin et, avec son aile
gauche, se maintenir à hauteur de la XXe division vers Soizy-aux-Bois (107).
Il ne fut pas facile d'obtenir l'exécution de cet ordre. La XXe division avait déjà
subi de fortes pertes, les hommes ne comprenaient pas la nécessité de reprendre par
des attaques pénibles un terrain abandonné dans la nuit presque sans combat.
Cependant, la force morale de ces troupes est telle que la XXe division reprend
l'offensive. Le 77e régiment doit s'emparer de la lisière sud du bois de Botrait,
tandis que la 39e brigade, profitant de la prise de Broussy-le-Petit par la XIVe
division, gagnera Oyes et les hauteurs à l'ouest. Elle arrête tout d'abord la
progression de la 42e division, puis s'engage dans une série d'actions locales dans
les bois des Grandes-Garennes et de Botrait et sur la crête du Poirier. Mais ses
succès ne sont guère importants, elle a arrêté les Français, elle ne les a pas
repoussés; vers le soir, elle n'a pas atteint Soizy-aux-Bois, elle tient la crête du
Poirier, mais n'a pas pénétré dans le bois de Saint-Gond, et le château de
Mondement, son objectif, apparaît bien lointain sur la côte de Brie.
Or, le général von Emmich n'a plus aucun moyen de pousser en avant ses unités, il
connaît les pertes très lourdes ,de certains de ces régiments, c'est ainsi qu'il ne reste
plus que 671 fusils au 73e régiment; évidemment, il a encore des réserves, deux
bataillons du 78e en réserve de la XIXe division, le 92e régiment et trois escadrons
de sa cavalerie de corps; mais il n'ose les engager. L'armée lui a déjà emprunté
deux escadrons, qui sont en train de combattre avec la Ire division de cavalerie
contre les Anglais à Condé-en-Brie. Peut-être a-t-il déjà été prévenu que les deux
bataillons disponibles du 78e iront le lendemain renforcer la XIIIe division.
***
LE 9e CORPS.
A la gauche du 9e corps, la division du Maroc a exécuté, dès les premières heures
du jour, l'attaque prescrite par l'ordre donné la veille à 20 heures, que nous avons
reproduit au chapitre précédent.
52e, une brigade sur le front Allemant---éperon est du mont Août; une brigade en
échelon entre Fère-Champenoise exclu et la lisière des bois.
S'organiser défensivement. Tenir ferme.
Le maintien sur ces positions du 9e corps est le meilleur soutien de l'attaque que le
10e corps prononce à gauche et qui se poursuit dans les meilleures conditions.
Le 9e corps doit engager avec ses forces disponibles une action commune pour
aider cette offensive.
Les mouvements ainsi prescrits sont en cours d'exécution quand il reçoit un nouvel
appel, de plus en plus pressant, du général Foch : le 9e corps doit porter à sa droite
toutes ses forces disponibles, « même celles du centre qui n'ont rien à faire ».
« Rien à faire ! » Ce n'est pas du tout l'avis du général Dubois quand cette,
instruction de 10 h. 45 lui parvient. Depuis un moment, en effet, une violente
canonnade sur la région de Broussy-le-Petit fait présager une attaque; elle confirme
les renseignements signalant des rassemblements vers Courjeonnet et Coizard.
Cependant, il faut obéir! Ordre a été donné déjà, dès le matin, à la division du
Maroc, de diriger sur Saint-Loup le groupe de la 52e division qui lui avait été prêté
la veille. C'est maintenant le 77e d'infanterie qui lui est repris et qui devra être
dirigé sur le même point.
... Le général Blondlat me rend compte que l'ennemi semble préparer l'attaque de
Menil-Broussy. Je ne peux donc rien disposer de ce côté. D'autre part, la situation
n'est pas assez nette à ma gauche pour que je puisse diminuer l'importance des
forces qui sont sur la crête du Poirier. Mon artillerie est très éprouvée par l'artillerie
ennemie.
Mais le général Humbert est un soldat. Lui aussi, il obéira, car les chefs qui savent
commander sont aussi ceux qui savent obéir, et, à 11 h. 55, c'est-à-dire vingt-cinq
minutes après avoir expédié le compte rendu précédent, il donne l'ordre d'exécution
:
Général Blondlat : reprenant les éléments d'infanterie qu'il avait rendus disponibles
dans la matinée, tiendra le front le Ménil-Broussy---Broussy-le-Petit. Une batterie
de l'artillerie divisionnaire restera à sa disposition;
L'artillerie de corps hâtera l'envoi sur cette position des deux groupes qu'elle a reçu
l'ordre d'y porter;
***
Evidemment, le général Foch est ici loin de la réalité! On ne peut s'en étonner si on
se rappelle les comptes rendus que lui a adressés le 11e corps. Comment pourrait-il,
d'autre part, imaginer l'erreur grave qu'a été la poussée des deux brigades de la 18e
division, et même de celle qui n'avait pas encore été donnée au 11e corps
immédiatement en arrière de la première ligne!... Ne retenons donc de cet ordre que
la volonté offensive.
En même temps, le général Foch fait appel à ses voisins. Au général de Langle, il
téléphone à 7 heures :
Que peut la 4e armée, et en particulier le 21e corps pour aider la droite de la 9e?
Malheureusement, le 21e corps, pour des raisons que le général Legrand a exposées
dans son livre, « Opérations du 21e corps » (111), est en retard : il n'aura sa tête aux
Monts-Marains, c'est-à-dire à 20 kilomètres au sud-est de Montépreux, droite de la
9e armée, qu'à 10 heures. D'ailleurs, la situation difficile de la gauche de la 4e
armée impose, pour ce corps d'armée, une direction d'attaque sud-nord en direction
de Sompuis, et non la direction sud-est-nord-ouest que désirerait le général Foch. «
Il ne pourra rien faire pour boucher l'intervalle entre la 9e et la 4e armée,---conclut
mélancoliquement mais nettement le général de Langle;---cet intervalle est trop
grand. »
La 9e armée a sur sa droite (11e corps) une action combinée du XIIe corps saxon et
de la Garde, la majeure partie de cette dernière se trouvant sur le front du centre (9e
corps).
Cette droite ne pourra pas être soutenue de longtemps dans la journée par la 4e
armée.
Il est demandé à la 5e armée de reprendre, si cela lui est possible, en liaison avec la
42e division et avec la gauche du 9e corps, l'offensive contre le plateau ouest de
Champaubert, en vue de dégager la droite de la 9e.
La mission primordiale du 10e corps reste celle indiquée dans l'ordre d'opérations
pour le 8, c'est-à-dire aider la gauche de la 9e armée à rejeter au nord des marais de
Saint-Gond l'ennemi qui essaye d'en déboucher par Saint-Prix et Soizy-aux-Bois.
Le 10e corps devra progresser vers le nord et s'infléchir vers le nord-est, de façon à
appuyer de la manière la plus vigoureuse l'action de la 42e division.
Il serait grandement à désirer que la 4e armée pût faire agir le 21e corps dès
aujourd'hui dans la direction de Sommesous.
Mais le général de Langle ne peut que répéter ce qu'il disait quelques heures plus
tôt, car il y a là une situation de fait
Notre gauche, engagée depuis deux jours, a été très violemment attaquée ce matin
et est sur le point de fléchir. La 13e division, après avoir parcouru 32 kilomètres, ne
pourra s'engager sur Sompuis cet après-midi pour le soutenir, et, dans tous les cas,
ne pourra atteindre Sommesous aujourd'hui... Le 21e corps ne pourra pousser du
monde sur Sommesous que demain.
Réduit à ses seuls moyens, le général Foch fait de nouveau appel au 9e corps :
Il portera donc de ce côté toutes ses forces disponibles, même celles du centre qui
n'ont rien à faire...
Le général Dubois proteste, pour les raisons que nous avons vues. Le général Foch
écarte ces raisons :
C'est à monter une contre-attaque vers sa droite qu'il apporte désormais tous ses
soins, quoi que l'ennemi puisse tenter sur sa gauche et sur son centre.
***
C'eût été sans doute tâche impossible, étant donnée l'extrême pénurie des cadres
réduits, dans certains régiments, à quelques officiers, si l'ennemi, épuisé, n'avait
ralenti sa poussée, et si les fractions désorganisées par l'attaque n'avaient pu se
raccrocher à des unités restées en ordre; celles-ci furent les piliers grâce auxquels la
digue put être, momentanément au moins, rétablie. Ces unités furent les deux
régiments de la 34e brigade et deux régiments de réserve, le 268e et le 290e.
La 34e brigade exécute sans difficultés cet ordre, donné à 7 heures par le général
Lefèvre :
Nous possédons des comptes rendus qui nous permettent de suivre ce dernier
régiment.
Vers midi, après des velléités d'attaque, les régiments de la 21e et de la 18e -
division ont reçu du 11e corps l'ordre de se retirer au sud de la Maurienne.
L'artillerie peut se décrocher sans autre dommage que quelques chevaux tués au
moment où elle amenait les avant-trains.
En avant de la ligne, il sera constitué un point d'appui très solide sur la hauteur du
moulin de Connantre. Ce point d'appui sera tenu par un régiment de la 18e division.
Ce point d'appui, qu'on tiendra également coûte que coûte, doit relier le 11e corps à
la 52' division, chargée de prononcer une contre-attaque partant des fermes Sainte-
Sophie et Morin vers 161 nord de Fère-Champenoise.
De l'artillerie, dont la position aura été reconnue à l'avance, se portera des hauteurs
de Corroy sur celles du moulin de Connantre, pour appuyer la contre-attaque.
La 21e division s'efforcera alors de lancer des éléments dans les bois de 138, pour
étendre l'action du point d'appui.
Sur toute la ligne, on s'efforcera d'engager l'action d'une façon aussi énergique que
possible.
C'est le 290e qui est désigné pour constituer le point d'appui de la hauteur du
moulin de Connantre. Il a, pour cela, à exécuter un mouvement de flanc assez
dangereux. Utilisant le chemin de terre d'�uvy au moulin et couvert à droite par
une forte flanc-garde, il amène un bataillon à la lisière des bois à l'est de la ferme
Saint-Georges, l'autre en réserve à l'est de Connantre. Les débris du 93e, dont ce
régiment a été renforcé, soit environ 750 hommes, prolongent à gauche le bataillon
de première ligne, de la cote 130 à la Vaure. Un groupe, réduit à deux batteries,
prend position à cheval sur la route de Corroy à Fère-Champenoise, à hauteur de la
ferme Saint-Georges.
Ces mouvements ne sont pas terminés quand le général Eydoux précise ses
intentions au sujet de la contre-attaque, dans des ordres aux 18e et 21e divisions :
3° Par la 52' division, partant des fermes Sainte-Sophie et Morin, pour se diriger
vers la cote 161, au nord de Fère.
Toute l'artillerie devra préparer cette attaque et toutes les troupes devront y prendre
part dans la mesure du possible.
C'est ainsi que vous aurez à porter en avant, sur la croupe Saint-Georges au nord-
ouest d'�uvy, toutes les troupes dont vous pourrez disposer, pour suivre et appuyer
le mouvement du détachement de Saint-Georges.
Il importe que tous ces mouvements soient faits avec la plus grande énergie et que
tout le monde ait à c�ur de réparer les fautes commises ce matin, de faire oublier
les actes de faiblesse qui se sont produits et qui pourraient faire douter de la valeur
du 11e corps, qui a déjà cependant supporté vaillamment tant d'épreuves.
Quant à la 21e, qui ne reçoit avis de cette intention offensive qu'à l'heure même où
elle eût dû se réaliser, elle est encore dispersée depuis le sud d'�uvy jusque vers la
route de Connantre à Fère où nous trouvons, dans l'après-midi, des débris du 64e,
du 65e et du bataillon Lambert (de la 60e division). Ces fractions, après s'être
arrêtées à mi-chemin entre Connantre et Fère, s'émeuvent de se sentir isolées et se
replient sur Corroy.
Dans ces conditions, peut-on vraiment dire que les ordres d'attaque répétés, donnés
en exécution des instructions du général Foch, étaient justifiés? Nous le pensons.
Dans certaines situations critiques, il n'est pas d'autre moyen que de tels ordres pour
arrêter le recul des troupes, et pour les obliger à regarder vers l'avant quand, par
ailleurs, tout les attire vers l'arrière.
La situation a été d'autant plus grave qu'à la droite de l'armée, la 60e division de
réserve et la 9e division de cavalerie ont été pressées, elles aussi, par l'ennemi. Dès
3 heures du matin, Montépreux a été bombardé par les Allemands, le poste de
commandement de la 60e division est porté entre Montépreux et Haussimont. La
120e brigade reçoit l'ordre de renforcer les avant-postes que l'artillerie doit appuyer.
Du P. C., on voit bientôt les Allemands franchir la grande route de Fère-
Champenoise à Sommesous, le 225e se replier des hauteurs 174, 182 qu'il tient
depuis la veille. L'ordre est donné à ce régiment de reprendre ses positions et de
résister sur place quelle que soit la violence de l'attaque ennemie. Le colonel
commandant ce régiment, qui peut-être, ce jour-là, ne voyant pas la situation,
croyait qu'il était préférable de se replier, fut tué, bravement le lendemain (114).
Cependant, des fractions du 202e qui se trouvaient le matin dans les bois à la droite
du 225e se replient à leur tour. Vers midi, toute la division est en retraite vers
Semoine. Le général Joppé réitère l'ordre à ses brigadiers. de reprendre le terrain
perdu. Une brigade de cuirassiers, mise à sa disposition par la 9e division de
cavalerie, faciliterait peut-être l'exécution de cet ordre, mais cette brigade est
rappelée, pour couvrir vers Poivres le débouché du 21e corps d'armée.
Sommesous, tenu par le 336e, a été évacué après un violent combat. Quand la 9e
division de cavalerie a voulu reprendre ses emplacements de la veille, elle a
rencontré les blessés de ce régiment; elle a été obligée de s'arrêter à 3 kilomètres au
sud du village, d'où son artillerie canonne la localité. Vers midi, elle reçoit un ordre
de 10 h. 40 du général Foch, en vue de manoeuvrer sur la route Sommesous---
Mailly, pour agir dans le flanc de l'attaque ennemie sur Montépreux pour « éventer
et ralentir les attaques enveloppantes de l'ennemi ».
***
Les combats menés, dans la matinée, par le groupement von Kirchbach, ont été très
durs. Certes, à 8 h. 30, le général von Kirchbach rend compte à von Hausen que la
IIe division de la Garde a bousculé les Français; une heure plus tard, que la XXXIIe
division a traversé Lenharrée avec son infanterie et une partie de son artillerie de
campagne, et que la résistance est brisée devant la XXIIIe division de réserve; le
général commandant la IIIe armée peut rendre compte à son tour au
commandement suprême de la bonne situation du combat. Mais la situation n'est
pas si brillante à l'autre extrémité du champ de bataille de la IIe armée allemande.
Vers Soizy-aux-Bois et Mondement, von Bülow n'a pas remporté d'aussi beaux
succès et, plus à l'ouest, il commence à s'inquiéter sérieusement de la brèche qui
existe entre lui et von Klück.
Von Kirchbach. décide alors de repousser l'ennemi au delà des hauteurs de la Vaure
et de converser ultérieurement avec tout son groupement vers le sud-ouest. Les
ordres sont immédiatement donnés dans ce sens. De plus, pour que la IIe armée
puisse agir par elle-même comme le veut le général von Bülow, il rend à celui-ci la
IIe division de la Garde, vers midi (116). Von Bülow ne cesse d'appeler à l'aide.
Vers, 11 h. 45, il adresse un nouveau message :
Vers 14 heures, Bülow reçoit la réponse, conforme à ses désirs; mais cependant
ceux-ci demeurent non satisfaits, car la pression ennemie sur sa droite est toujours
aussi forte et le succès de la gauche et de Kirchbach ne paraît plus aussi important
que le matin. Les Allemands continuent leur progression, mais bien lentement.
Cependant, la IIIe armée fait tout son possible pour soulager la IIe. Elle presse
Kirchbach d'appuyer la Garde, elle pousse la XXIVe division de réserve vers la
ligne de feu. Cette division vient d'arriver avec son gros à Soudron et à Germinon,
elle est mise à la disposition du commandant du XIIe corps de réserve,
reconstituant ainsi un groupement de trois divisions. Mais toutes ces mesures ne
peuvent amener un résultat immédiat. Le combat est trop engagé, les unités trop
éprouvées pour que les succès continuent aussi brillants que le matin.
Le tableau que nous avons fait de la situation française, le matin du 8, ne fait pas
ressortir la défense énergique d'îlots de combattants groupés autour de chefs; il ne
montre pas assez la résistance vigoureuse de ceux qui sont tombés à leur poste de
combat ou qui ne furent faits prisonniers qu'entourés complètement, après avoir
brûlé toutes leurs cartouches. Il y eut des actes d'héroïsme, des sacrifices inconnus,
des mouvements d'abnégation splendides. Il suffit, pour s'en rendre compte, de voir
la situation des unités allemandes, de lire le récit des combattants de la Garde
prussienne ou des fusiliers saxons. Voilà des unités qui ont remporté un succès et
qui ne profitent pas de leur victoire. On les a envoyées sur les positions de
l'artillerie française, elles y sont parvenues, ont pris des canons et elles n'exploitent
pas. Elles piétinent; pendant l'après-midi, elles vont à peine avancer sur un terrain
presque entièrement dégarni de troupes françaises organisées. Elles n'ont plus le
mordant du matin, elles ont subi trop de pertes aussi bien du fait du feu d'infanterie
que des tirs très violents de notre artillerie.
La Garde est arrêtée un peu après midi, la Ire division est le long de la route de
Bannes à Fère-Champenoise, la IIe division est devant ce gros bourg. Il fait très
chaud, le soleil est pesant dans un ciel sans nuage. C'est avec bonheur que les
hommes de la Garde s'arrêtent. Ils tombent de sommeil en plein combat, là où la
halte les a surpris. L'arrêt ressemble plus à un bivouac d'unités désordonnées qu'à
une situation de fin de combat. Cependant, le général von Plettenberg recouvre la
IIe division. Il ordonne une attaque combinée de tout le corps, avec la Ire division à
droite, au nord de la route de Fère-Champenoise---Sézanne, et la IIe division à
gauche, au sud de la route, attaquant sur Corroy et Pleurs. Mais les unités ne
progressent plus. L'artillerie française tire sans interruption et interdit toute avance.
Les fusiliers et les grenadiers de la Garde s'arrêtent. Les bataillons et les
compagnies sont désorganisés; il est impossible de remettre de l'ordre. Jusqu'à la
nuit, le 2e Garde à pied subit des pertes du fait de notre artillerie; il dépasse à peine
Fère-Champenoise, ce qui lui permet d'ailleurs, pendant la nuit, de se ravitailler,
grâce à des fromages de grande taille trouvés dans la localité (117). Le 4e et le 1er
régiments, un peu à l'ouest de la route de Fère-Champenoise à Bannes, n'avancent
pas davantage; ils s'enterrent sous le feu de la 52e division de réserve. Le 3e
régiment a engagé un bataillon dans la région du Champ-de-Bataille, en lisière nord
des boqueteaux qui limitent au nord la région de Fère-Champenoise. A la nuit, ce
bataillon, réduit par ses pertes à trois faibles compagnies, est reporté en arrière,
tandis que les deux autres bataillons du régiment, passablement éprouvés par nos
tirs d'artillerie, prennent sa place.
La IIe division est arrivée devant Fère-Champenoise. Ses quatre régiments ont été
engagés, ils s'emparent sans grandes difficultés de la petite ville, mais ils sont
incapables de continuer leur marche. A la nuit, ils ont leurs premiers éléments à mi-
distance entre Fère-Champenoise et les villages de Connantre et de Corroy. Les
pertes ont été sérieuses et les régiments profitent, vers la fin de l'après-midi, d'un
peu de repos en ne poursuivant pas les Français en retraite depuis le matin.
Pourtant, cette attaque sur Corroy est appuyée par une partie de l'artillerie saxonne
qui tire sur les batteries françaises vues en action vers �uvy. Cela n'est point
suffisant. Il faudrait des troupes d'infanterie fraîches pour reporter tout ce monde en
avant, et Kirchbach ne peut encore faire donner la XXIVe division -qui est trop loin
pour faire sentir son action.
Le général von Kirchbach. aurait voulu repousser franchement l'ennemi vers le sud,
avant de faire sa conversion générale vers le su-ouest. Il ordonne à ses divisions
d'atteindre tout d'abord la ligne Fère-Champenoise---sud de Connantray---la Motte
au sud de Montépreux. Pour soulager la XXXIIe division, qui reste seule à faire
effort sur ce front, ---puisque la IIe division de la Garde, accrochée vers Fère-
Champenoise, va agir vers l'ouest---la XXIIIe division de réserve doit attaquer avec
toutes ses forces dans la direction de l'ouest de Montépreux. Dans le courant de
l'après-midi, la XXXIIe division repousse l'ennemi au delà de Connantray et prend
la hauteur au sud du village. Certaines compagnies sont réduites à quelques
groupes. Une contre-attaque française est arrêtée avant d'avoir pu atteindre les
hauteurs au nord d'�uvy. Il s'agit des éléments avancés de la 18e division, qui se
reportent, à la fin de l'après-midi, sur la rive nord de la Maurienne. A la nuit, la
division saxonne bivouaque dans les environs de Connantray et entre ce village et
�uvy. Les bivouacs français, dont les feux sont visibles à faible distance, sont un
objectif bien tentant pour son artillerie (118).
La XXIIIe division de réserve cherche à exécuter sa mission. Elle n'a pas toujours
été en liaison avec sa voisine dans la matinée. Elle se lance dans de violents
combats, s'empare définitivement des hauteurs au sud de Sommesous et au nord-est
de Montépreux, où elle prend de nombreux blessés. Mal appuyée par son artillerie,
elle est soumise aux violents tirs des batteries françaises. Cependant,. son aile
droite parvient jusqu'à Montépreux et occupe le village libre d'ennemis. Son aile
gauche n'est pas si heureuse; au lieu d'atteindre avec trois bataillons les chemins de
terre qui vont de Montépreux à Mailly, elle n'a qu'un bataillon sur cet objectif. Les
autres bataillons, perdus par des erreurs de direction, restent le long de la route de
Mailly.
En somme, la progression de von Kirchbach n'a pas été aussi sensible l'après-midi
que le matin, mais il n'en est pas moins victorieux. Les Français sont derrière la
Maurienne. Les plus beaux espoirs sont permis pour le lendemain.
Vers 19 heures, le général von Hausen peut rendre compte au commandement
suprême allemand :
***
LA RÉACTION DU 9e CORPS.
L'attaque allemande, que le 9e corps pressentait depuis le début de la matinée, se
produit vers 14 heures. Sous la protection du tir de l'artillerie, l'infanterie ennemie
franchit les marais, tant vers Bannes que vers la Verrerie (occupée depuis 10
heures) et vers la ferme Saint-Gond. Notre propre artillerie, trop éloignée ou
employée à d'autres tâches, ne peut l'en empêcher. Aussi, les pertes subies au cours
de ce bombardement, l'étendue considérable du front et l'incertitude sur la situation
de la droite décident-ils le général Blondlat à donner, vers la fin de l'après-midi, à
ses bataillons, l'ordre d'évacuer Broussy-le-Petit, Ménil-Broussy et Broussy-le-
Grand et de gagner la crête d'Allemant.
Ce serait mal connaître le chef de la division du Maroc que de supposer qu'il ait pu
se laisser émouvoir par ce recul. Que peut un chef dans cette situation, c'est-à-dire
le chef d'une grande unité en position défensive et totalement démuni de réserves?
Tenir très exactement au courant l'échelon supérieur, veiller à l'ordre et, par
conséquent, organiser le commandement et soutenir le moral en maintenant la
mission. Le général Humbert n'y manque pas. Il donne, à 18 h. 15, l'ordre suivant :
Les troupes aux ordres du général Blondlat, écrasées par un feu d'artillerie qui a
duré toute la journée, se sont repliées en bon ordre dans la direction générale
d'Allemant.
Le lieutenant-colonel Cros essayera, par entente avec les unités de la 42e division
qui sont à sa gauche, de se constituer une réserve.
L'artillerie de corps appuiera la défense dans le secteur Reuves inclus Oyes. Elle
tiendra également ces villages sous son feu. Elle s'efforcera de contrebattre les
batteries allemandes établies au nord des marais.
Comme compte rendu de fin de journée, je n'ai à ajouter aux précisions de mon
ordre n° 55 que la division a été soumise toute la journée, à un bombardement
intense, auquel notre artillerie ne peut répondre.
La retraite du général Blondlat s'explique par ce fait, et aussi par le retrait des
éléments qui se trouvaient à sa droite.
Bien entendu, la division fera tout son possible demain. D'ailleurs, l'ennemi a subi
des pertes considérables, à Soïzy et Villevenard notamment, où des unités en ordre
compact ont été broyées par notre artillerie.
Dans le cas particulier, il est loin d'être superflu, car le général Humbert ne tarde
pas à apprendre que le repli de sa première ligne est plus général qu'il ne le pensait :
de sa droite, le mouvement s'est étendu à sa gauche. Il semble que le retrait du 77e
en ait été la cause et non la pression de l'ennemi. Vers 17 heures, les tiraïlleurs du
lieutenant-colonel Fellert repoussent sans difficulté une faible attaque allemande;
mais, peu après, sur un ordre venu d'on ne sait où, une de ces indications vagues qui
se transmettent sur la ligne d'homme à homme, de chef de section à chef de section
« On se replie - c'est l'ordre ! » ils se reportent en arrière. Il en est de même des
unités du lieutenant-colonel Cros, qui ont vu par-tir les fantassins du colonel Eon.
Sans doute, de bonnes liaisons auraient-elles évité ce faux mouvement; mais
comment s'étonner de ce qu'elles n'aient pas été meilleures dans une troupe épuisée
par trois jours de bataille et particulièrement éprouvée dans ses cadres!
Sans s'émouvoir, le général Humbert modifie ses ordres, à 19 h. 30, par son ordre
n° 56 :
***
Pendant ce temps, c'est surtout de sa droite que le général Dubois, confiant dans la
valeur de la position Mondement---Allemant, dans la solidité de la division du
Maroc et dans l'énergie du général Humbert, se préoccupe. De la station de Linthes,
où il a transporté son poste de commandement, il se rend tour à tour auprès du
général Battesti et du général Moussy, qu'il houspille. Souffrant d'un pied, il a un
pied chaussé d'une botte, l'autre d'une pantouffle, et cette tenue étrange lui donne
un air encore plus bourru (124).
La ferme attitude d'un bataillon du 90e d'infanterie dans les bois au sud du Champ-
de-Bataille, l'activité des cavaliers de la 17e division qui s'emploient à arrêter et à
regrouper les isolés dans la région de la ferme Hozet, et surtout l'appui de
l'excellente artillerie de la 17e division ont facilite l'organisation du repli prévu par
les ordres donnés le matin. Peu à peu, l'ordre s'est rétabli, au point que les officiers
de l'état-major du 9e corps se refusent à admettre qu'il, puisse être nécessaire de lier
les mouvements du. 9e corps à ceux du 11e (125).
Mais ce résultat ne suffit pas au général Foch : il laisse subsister un point faible à la
jonction des 9e et 11e corps. A ses yeux, le seul moyen de supprimer ce point
faible, de rétablir une liaison solide entre les deux corps, c'est d'obtenir qu'ils
attaquent simultanément. Depuis le matin,. il ne cesse de leur montrer leur objectif
commun, Fère-Champenoise. A 15 h. 30, dès qu'il a connaissance de l'ordre
d'attaque du 11e corps, il réitère ses ordres au 9e corps, par cette note que le
lieutenant-colonel Weygand porte lui-même à la station de Lïnthes :
Au reçu du présent ordre, le 9e corps prononcera son attaque avec les troupes qu'il
a disposées à cet effet. Il se liera à sa droite. avec le 11e corps.
La sûreté de son flanc sera assurée par ses propres moyens, si elle ne peut être
assurée par cette liaison
Pour exécuter cet ordre, le général Battesti ne dispose guère que de sa 103e brigade,
à la tête de laquelle est placé , depuis la veille, le lieutenant-colonel de Salins, qui
vient de rejoindre avec un bataillon du 348e, séparé de la division pendant toute la
retraite. Même, à vrai dire, cette 103e brigade est réduite à cinq bataillons
appartenant aux deux brigades, au 245e, de la 104e brigade, qui était en réserve de
division au Mont Août, au 347e et au 348e. Ils pourront être étayés par quatre
bataillons de la 17e division, un du 68e et le 135e, mal remis encore de sa coûteuse
retraite du 6 septembre.
Celle-ci paraît avoir été assez décousue; mais elle a lieu, et cela suffit pour en
imposer aux Allemands, épuisés, eux aussi, par une journée de chaleur accablante
et de combats violents, succédant à tant de journées de marches et de combats. Il y
eut d'abord, dans l'après-midi, un mouvement en avant du 348e, qui n'obtint aucun
résultat. Puis, vers 18, heures, le 347e rejoint, à la lisière des bois, vers le puits, le
245e, qui devait régler son action sur celle du 348e, mais qui, faute de pouvoir
prendre à travers bois la liaison avec ce régiment, craignait pour sa droite et hésitait
à pousser de l'avant. Il l'entraîne. Dans la nuit tombante, on se porte en avant; on
franchit la voie ferrée; même, des fractions pénètrent dans Fère-Champenoise, dont
se rapproche le 348e, qui a repris l'attaque en même temps que la colonne du
centre... Mais tout à coup un dragon passe, jetant un ordre, un de ces ordres dont
nous parlions plus haut, nés on ne sait où et déformés en passant de bouche en
bouche, et auxquels la fatigue des soirs de bataille prête trop facilement créance «
On se replie!... Rejoindre les emplacements de départ : le combat reprendra
main !... (126). » On se reporte en arrière, vers. les bois et vers Connantre. La nuit
est venue. Les troupes bivouaquent sur place, couvertes par des avant-postes de
combat.
***
Trop soucieux peut-être de suivre pas à pas les documents, nous n'avons pu mettre
en lumière comme il convenait cette action du général Foch. Celle-ci ne s'est pas
bornée à l'envoi des quelques ordres reproduits plus haut, seules manifestations
d'activité dont les archives aient gardé trace. Nous savons par divers témoignages,
malheureusement insuffisamment précis quant aux heures, qu'il est allé voir au
moins le général Dubois, le général Eydoux, le général Battesti, et qu'au cours de
ces entrevues, il n'a cessé d'insister sur l'urgence et sur l'importance des attaques en
direction de Fère-Champenoise : elle doit, par la convergence des efforts,
transformer en un point fort cette partie du front affaiblie et ébranlée par l'attaque
ennemie.
De même que, trois jours plus tôt, il sacrifiait tout au désir d'appuyer au mieux
l'attaque de la 5e armée, c'est à empêcher la rupture du front à la jonction entre son
armée et la 4e qu'il emploie tous ses moyens, parce que c'est cela qui importe le
plus au général en chef.
Le général Joffre peut se féliciter d'avoir, en ce point délicat, un chef sur lequel il
puisse se reposer aussi complètement, et qui, en dépit des circonstances, conserve
un moral aussi solide. Non seulement ce chef ne l'importune pas de ses appels au
secours, mais il témoigne, dans ses ordres et dans ses comptes rendus, d'une
confiance réconfortante.
Les armées allemandes, qui font face à la 9e armée, ont prononcé .depuis hier une
vigoureuse offensive, dont le but évident est de couvrir la retraite de la Ire armée et
d'une partie de la IIe.
Après quelques indications sur les mouvements des armées allemandes, le général
Foch concluait ce bulletin par ces lignes, qui ont été traduites par la phrase
légendaire, jamais prononcée « Ma droite est enfoncée; ma gauche cède; tout va
bien: j'attaque ! »
La région au nord de cette localité sera traitée de la même façon par le 9e corps.
Les troupes aux ordres du général Lefèvre seront, autant que possible, réunies à la
disposition de cet officier général aux environs d'�uvy.
Cependant le général Foch sent bien que les paroles ne suffisent plus; que, s'il
n'intervient pas personnellement, s'il ne modifie pas par une manoeuvre l'équilibre
des forces, cet équilibre risque d'être rompu demain à son détriment.
Mais, pour manoeuvrer, il faut des réserves, et il n'en a plus. Il cherche bien, nous
le sentons par cet ordre, à en reconstituer avec les régiments de la 18e division;
mais, après le coup qu'a reçu cette division dans la journée, le résultat est bien
aléatoire!
Le général Foch est-il donc désormais paralysé? Son sens de la man�uvre va-t-il
se trouver en défaut?...
« Dieu seul, disait Hoche, peut empêcher d'arriver au but une volonté qui ne se
détourne pas. » Et le colonel Foch a écrit : « Qu'est-ce qu'une bataille gagnée? C'est
une bataille dans laquelle on ne veut pas s'avouer vaincu. » Une volonté aussi
tenace que la sienne, servie par une intelligence aussi active, ne peut pas ne pas
trouver les moyens de se réaliser.
De toutes les grandes unités dont se compose l'armée, une seule paraît, à la lumière
de ces trois jours, assez solide pour attaquer : les divisions du 11e corps ont fort à
faire pour retrouver un peu de cohésion; celles du 9e corps sont dangereusement
étirées sur de grands fronts; seule, la 42e division paraît avoir gardé une réelle
valeur offensive. Mais la 42e division est engagée dans la bataille; elle se trouve à
la gauche de l'armée quand l'objectif qui s'impose est à la droite; et par quoi la
remplacer si on la retire du front, puisque l'on n'a plus rien?
Une fois de pIus, nous allons voir les avantages d'une forte culture militaire : celle-
ci permet au chef une vue des choses qui ne se limite pas à son étroit secteur, et elle
lui donne un sens exact des possibilités. Les difficultés d'exécution, qui eussent pu
arrêter un chef d'une moindre culture militaire, sont mesurées par le général Foch à
leur juste valeur : elles ne comptent pas à ses yeux. La 5e armée, qui est en bonne
situation, ne pourrait-elle pas prendre à son compte la mission actuellement confiée
à la 42e division? Telle est la solution que le général Foch a entrevue. Il la propose
nettement au général Franchet d'Esperey.
Le 10e corps (c'est-à-dire deux divisions actives avec artillerie de corps) est mis,
pour la journée de demain, à la disposition du général Foch.
Q. G. actuel à Clos-le-Roi.
Le 9 septembre seulement, à 6 heures, tous les ordres de détail ayant été donnés, les
commandants d'armée en rendaient compte au général en chef.
***
HAUSEN ET BÜLOW.
En face de cette volonté tendue vers un but unique, de cette fermeté dans l'action,
les deux commandants d'armée von Hausen et von Bülow ne nous offrent pas une
attitude aussi calme, une ténacité pareille pour l'exécution de leurs plans.
Plus tard, quand Bülow actionne directement von Kirchbach, ce que, en principe, il
n'a pas le droit de faire puisque ce général n'est pas sous ses ordres, Hausen ne dit
mot. Il sent la cruelle situation de son voisin, il veut lui venir en aide. Il rend à von
Bülow la disposition de la IIe division de la Garde et il autorise Kirchbach à agir
vers le sud-ouest ou l'ouest; ses directives prescrivent de « maintenir la liaison avec
la IIe armée; il n'y a pas d'inconvénient à un léger changement de direction vers
l'ouest. En cas de changement important, rendre compte... ».
Et dans la soirée, pour venir encore à l'aide de von Bülow, von Hausen décidait
d'engager sa dernière réserve vers Fère-Champenoise, de façon à avoir le
lendemain une masse de trois divisions, dont une fraîche, appuyant l'attaque du
corps de la Garde. A la nuit, après avoir rendu compte de la situation au
commandement suprême, le général commandant l'armée saxonne songe encore à
son voisin, et il adresse à von Bülow le message suivant : « Le groupement droit de
la IIIe armée attaque de bonne heure, le 9, en direction de Sézanne. Où en est la Ire
armée? »
Mais tout cet appui, toutes ses satisfactions ne peuvent rien pour Bülow. Celui-ci
est trop inquiet. De son poste de commandement de Fromentières, il suit la bataille;
il vit avec ses troupes, trop près de ses troupes dont il partage peut-être les émotions
fugitives, quand un incident de combat les fait refluer. C'est peut-être pour cette
raison qu'il voit trop, au début, les difficultés qui attendent ses troupes sur les rives
des marais de Saint-Gond ou vers Talus-Saint-Prix et qu'il ne voit pas assez la
gravité de la situation de son aile droite. Ce n'est pas que certains de ses
subordonnés n'attirent son attention sur ce point. Von Einem, le commandant du
VIIe corps, insiste; il voudrait voir son corps d'armée réuni, ne pas laisser la XIIIe
division, réduite â 6 bataillons, seule avec le corps de cavalerie Richthoffen; en
vain, montre-t-il que la brèche est plus importante à l'ouest, vers Condé-en-Brie,
que près des marais où l'obstacle même permet de laisser un minimum de monde. Il
n'obtient aucun changement dans les plans de von Bülow, et cependant Bülow,
inquiet, prendra des demi mesures pour renforcer son aile droite; c'est ainsi que, dès
le matin du 8, il fait envoyer des escadrons de la cavalerie du Xe corps se battre
avec la Ire division de cavalerie; c'est ainsi que, dans l'après-midi, il fera pousser
deux bataillons du 57e régiment d'infanterie (de la XIVe division) en réserve de la
XIIle division, et que, dans la nuit du 8 au 9, il enverra toujours avec la XIIIe
division deux bataillons du 78e d'infanterie (de la XIXe division). Bülow ne se
trouve donc pas satisfait par sa décision d'attaquer sur sa gauche. A la réflexion, la
situation de sa droite l'inquiète, mais il n'a plus de réserves fraîches à envoyer; il lui
faut expédier des bataillons isolés, rompre les liens organiques des unités, et il sera
surpris de ne pas obtenir de la vaillance de ses troupes de meilleurs résultats.
Vers 8 h. 30, il est toujours près de Fromentières. Les nouvelles qui lui arrivent ne
lui semblent pas très favorables. Les dixièmes corps, actif et réserve, qui sont
devant lui se sont bien repliés sans difficulté dans la nuit; mais, dès le malin, ils
subissent les tirs violents des Français. Ils sont accrochés. Aussi Bülow envoie un
de ses officiers d'ordonnance à von Kirchbach, pour lui signaler les pénibles
combats de la IIe armée contre un ennemi supérieur et lui demander d'appuyer plus
complètement son armée, il n'a plus de réserve et, seule une conversion de
Kirchbach vers l'ouest peut l'aider. Mais sera-ce suffisant? Il a à peine envoyé cette
demande qu'il reçoit des renseignements de l'aviation signalant des colonnes en
marche vers le nord sur la ligne Coulommiers---Esternay, et, vers 9 heures, il
apprend par un message de Richthoffen que le Petit-Morin a été franchi entre Orly
et Villeneuve par les Français et que le corps de cavalerie combat en retraite.
Pourtant, von Kirchbach, approuvé par von Hansen, fait son possible pour soulager
la IIe armée. Il décide de s'emparer des hauteurs qui sont au sud de Fère-
Champenoise et au sud-ouest de Connantray, puis de converser avec tout son
groupement vers l'ouest. Bülow en est averti, cela ne lui suffit pas. A 10 h. 45, il
expédie un nouveau message .:
Tandis que von Hausen expédie, vers 18 heures, les renseignements victorieux,
Bülow, toujours à Fromentières, attend avec impatience les nouvelles du combat de
la Garde et de von Kirchbach. Vers 19 heures, rien n'est arrivé. Bülow craint de ne
pouvoir compter sur une décision grâce à son aile gauche, d'autant plus qu'un
compte rendu du général Fleck, commandant la XIVe division, signale qu'on
n'aperçoit aucune action de la Garde et que la division engagée dans des combats
sérieux devant les villages de Broussy-le-Petit et Broussy-le-Grand, se heurte à un
ennemi ayant une artillerie supérieure. Une panique locale, provoquée par une
nouvelle fausse, se produit à l'aile intérieure des Xe corps de réserve et Xe corps
actif; elle n'a pas de conséquences sérieuses, mais elle provoque une grave
appréhension à l'état-major de la IIe armée. Le soir tombe, von Bülow n'est pas à
Sézanne, comme von Lauenstein l'avait déclaré à l'officier d'ordonnance de von
Einem. Tout le monde est en ligne et la résistance française ne semble pas encore
détruite, puisqu'on apprend la contre-attaque sur Fère-Champenoise en même
temps que les Anglais atteignent La Ferté-sous-Jouarre et que Montmirail paraît
prêt à tomber entre les mains des Français. La situation générale est critique, très
loin des espoirs du 6 au matin.