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De La Ville Antique À La Ville Byzantine. Le Problème Des Subsistances
De La Ville Antique À La Ville Byzantine. Le Problème Des Subsistances
de Rome
Résumé
La cité antique, née en Grèce, mourut brusquement et au même moment, dans ce qu'on appelle l'empire protobyzantin et
l'Occident barbare, au VIIe siècle. Le constat est ancien mais il manquait jusqu'à présent une explication argumentée.
En partant d'un dossier limité mais significatif - celui des villes qui furent byzantines à un moment quelconque entre le IVe et le
VIIe siècle -, l'auteur établit que la survie des populations urbaines dépendait, dans les villes moyennes, comme dans les
capitales et nombre d'autres agglomérations, d'une volonté politique : celle de maintenir, dans un contexte chrétien reprenant
les conceptions païennes, la continuité d'un urbanisme et d'un genre de vie urbain. Cependant, au VIIe siècle, le budget
impérial pressé par d'autres nécessités fut contraint de réduire la part accordée aux villes. De ce fait s'effondrèrent la ville
antique et ses fondements économiques.
, . De la ville antique à la ville byzantine. Le problème des subsistances. Rome : École Française de Rome, 1990. pp. 5-642.
(Publications de l'École française de Rome, 136);
https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1990_ths_136_1
COLLECTION DE L'ÉCOLE
136 FRANÇAISE DE ROME
JEAN DURLIAT
DE LA VILLE ANTIQUE
À LA VILLE BYZANTINE
PRÉFACE
André Guillou
LISTE DES ABRÉVIATIONS
4 Pour des différences entre villes d'une même région, voir Villes et peuplement . . .,
en particulier, B. Bavant, La ville dans le Nord de l'Illyricum (Pannonie, Mésie I, Dacie et
Dardanie), p. 245-288. Pour avoir une idée de l'importance attachée aux systèmes de
datation locaux, voir, entre autres, Inscriptions grecques et latines de la Syrie, éd. L. Jalabert et
R. Mouterde, avec la collaboration de C. Mondésert, t. 4 : Laodicée. Apamée, Paris, 1955
(Institut français d'archéologie de Beyrouth. Bibliothèque archéologique et historique, 61),
p. 375-378.
INTRODUCTION GENERALE 3
eie, plus vastes au Ve, de plus en plus richement dotées au VIe, mais
toujours présentes et remplissant la fonction autrefois dévolue aux
temples désormais abandonnés ou parfois affectés au nouveau culte.
Partout des cadres administratifs, évêques ou curiales, assurant la
direction de la cité, gérant la vie locale, appliquant les lois et autres ordres
émanés du pouvoir central ou de ses représentants. Partout aussi un
minimum de commerce alimenté par les échanges entre artisans
souvent citadins et paysans, ou par les échanges entre productions de la
cité et biens venus de l'extérieur. Enfin on devine que toute ville était la
capitale intellectuelle de la cité, capitale parfois médiocre - tous les
évêques ne connaissaient pas les psaumes et toutes les villes n'avaient
assurément pas d'école - mais capitale malgré tout car, pour
consternante que soit cette médiocrité, elle n'égalait pas celle des villages. Et
c'est là qu'on atteint sans doute l'un des caractères essentiels de la ville
protobyzantine, comme peut-être de toute ville, ce qui la distingue des
villages et bourgs environnants. Ce n'est pas la taille car les villes
d'Afrique par exemple, étaient parfois plus petites que certains villages
syriens, mais la domination des campagnes placées sous son autorité,
puisque la ville accapare les fonctions de défense, de communication
avec le monde extérieur, de relais du pouvoir central, de centre pour la
culture et les loisirs ainsi que de direction administrative pour le plat-
pays, qui formait avec elle le tout organique appelé cité. C'est ce
qu'expriment fort bien les lois romano-byzantines du Digeste aux Basiliques
quand elles définissent la ville non par sa taille ou par l'importance de
ses activités, mais comme la métropole de la cité, sans autre
précision5. On a donc une. ville dès qu'on a une cité. Ainsi, pour reprendre
fonctions urbaines et les différents types de ville, voir, par exemple, J. Beaujeu-Garnier,
et G. Chabot, Traité de géographie urbaine, 2e éd., Paris, 1980. Pour une mise en
perspective globale de l'histoire urbaine, on lira les pages pénétrantes de F. Braudel, Civilisation
matérielle, Economie et capitalisme, t. 1, Les structures du quotidien, Paris, 1979, p. 421-
492. On retiendra la remarque riche riche de sens pour un byzantiniste, comme pour tout
historien de la ville traditionnelle ou précapitalisme : « D'ordinaire (dans les rapports
entre les villes en expansion et les Etats), l'Etat gagne, la Ville reste sujette et sous une
lourde poigne. Le miracle, avec les premiers grands siècles urbains de l'Europe, c'est que
la ville ait gagné pleinement » (p. 450). Il reste à savoir pourquoi. La réflexion sur le statut
des villes dans l'empire romano-byzantin du IVe au VIIe siècle aide peut-être à le
discerner plus clairement puisqu'il permet de voir en quoi leur dépendance vis-à-vis de
l'Empire les maintint dans une situation de langueur qui leur coûta cher.
INTRODUCTION GENERALE 5
6 Je remercie très vivement Monsieur Pierre Toubert d'avoir attiré mon attention
sur la distinction classique dans l'alimentation traditionnelle entre les subsistances, les
denrées indispensables à la vie de tous, pauvres ou riches, et les autres denrées,
inaccessibles aux uns et dont les autres peuvent temporairement se passer. Les subsistances se
limitent d'abord et fondamentalement au blé, puis aux corps gras (l'huile dans notre
espace géographique), aux boissons (ici le vin) et au sel, ce grand absent de notre
documentation. Mais il ne faut pas oublier que, hors le blé qui est toujours une subsistance,
les autres denrées ont un statut variable : l'huile sert pour l'éclairage, la fabrication des
parfums, le sel pour le bétail ; toutes peuvent être des subsistances quand il s'agit de
produits communs, consommés sur place, aussi bien que des denrées de luxe ou de demi-
6 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
luxe quand elles sont de grande qualité ou transportées en petite quantité loin de leur
zone de production. Un cru africain ou syrien n'est pas une subsistance, pas plus que le
vin - dont la qualité importe peu, de ce point de vue - consommé en Angleterre ou en
Irlande.
7 A de rares exceptions près - que l'on peut toujours imaginer - toute ville
protobyzantine dispose à la fois des ressources obtenues par le travail de ses paysans - les
paysans vivant intra muros -, de ses artisans, de ses commerçants, banquiers, artistes, des
rentes perçues par les propriétaires, grands ou petits, et de sommes souvent
considérables versées par l'Etat sous diverses formes : salaires, soldes, pensions, travaux publics,
cérémonies, spectacles, subventions diverses et, pour les capitales, entretien de la cour.
Ces dépenses publiques attirent des bénéficiaires directs: fonctionnaires, militaires,
clercs; mais surtout des bénéficiaires indirects: commerçants, artisans, domestiques,
cantonniers, personnel des bains ... Si l'afflux de population est modéré, la campagne et
le commerce local ont les moyens de répondre seuls à la demande de subsistances
correspondante. Si l'afflux est considérable, se posent les questions des zones
d'approvisionnement, de la régularité des livraisons et celle des sociétés commerciales : sont-elles
capables de maîtriser les difficultés dues aux conditions d'accès aux ports, à la construction
des greniers, des bateaux, aux problèmes financiers tant pour l'obtention des capitaux
que pour la gestion des fonds, leur transfert et la répartition des profits. . . ? En outre
l'Administration se trouve face à une question technique très importante. Ou bien elle
accepte que le prix de vente en ville soit nettement supérieur au prix d'achat à la
campagne ; il en découle à la fois la nécessité de verser en ville des salaires plus élevés, y
compris aux agents de l'Etat et des difficultés pour l'organisation de la coemptio qui suppose
l'achat par l'Etat des produits au même prix sur toute l'étendue de l'Empire (voir index s.
v.). Ou bien les agents de l'Etat font en sorte que les subsistances reviennent en ville
approximativement au même prix que chez le producteur, c'est-à-dire qu'ils paient la
différence entre le prix d'achat et le prix de vente en ville. L'Etat doit alors prendre le
contrôle de l'approvisionnement, quitte à soustraiter cette activité à des sociétés
puis antes certes, mais privées de l'essentiel de leur autonomie. La grosse difficulté, quand une
ville dépasse une certaine taille et dépend beaucoup des fonds publics, c'est qu'elle crée
une demande importante dans une société où l'offre est limitée par la faiblesse des
ressources : on est prêt à donner du blé pour obtenir un araire, des soins médicaux . . .,
même si on a peu de grain ; on n'est guère disposé à en vendre contre de la monnaie qui
n'est généralement pas directement utilisée, sauf pour le paiement de l'impôt.
INTRODUCTION GENERALE 7
Plus difficiles sont les questions qui portent sur la nature profonde
de chaque catégorie de sources et donc sur la place relative que doit
leur accorder l'historien de l'économie et de la société byzantines. C'est
là un travail indispensable à la fois pour concilier les informations
apparemment contradictoires de tel et tel document et pour
déterminer, dans chaque cas particulier, ce que chaque type de documents
peut réellement nous apporter. La réflexion en ce domaine n'est pas
toujours très avancée et ce retard explique pour une large part les
divergences entre historiens qui accordent plus de crédit l'un aux lois,
l'autre aux papyrus, un troisième aux résultats des fouilles . . .
Les textes législatifs 10 dont le vocabulaire particulier fait déjà dif f i-
culté et dont on ne sait jamais comment ils ont été appliqués, nous
restent trop souvent incompréhensibles faute de dépouillements suffisants
donnant une longue liste d'exemples dans des contextes divers et faute
de comparaisons poussées entre le texte de la loi et les documents de la
pratique où elle est mise en œuvre. Certes on n'a pas à se demander si
les lois étaient ou non appliquées. La réponse, positive, ne fait aucun
doute. Mais d'abord que signifient-elles réellement? Les verbes dont le
sens premier est «donner» indiquent-ils un don volontaire fait par une
personne privée sur ses fonds propres ou un versement de revenus
publics effectué par cette personne privée en tant qu'agent de l'Etat?
On ne l'a pas toujours défini avec la précision nécessaire; or, tant qu'on
n'a pas résolu cette difficulté, on ignore l'origine exacte de l'assistance
dispensée à la population. Pour prendre le cas d'une expression
précise, nous verrons que les panes aedium, source de longues discussions,
ne peuvent être définis sans prendre en compte les conditions
particulières du fonctionnement de l'annone, liées à la situation propre des
deux capitales.
Pour interpréter correctement les lois il faut aussi réfléchir aux
conditions d'élaboration des recueils. D'abord on s'est contenté, pour
réduire au maximum la longueur des ouvrages, d'extraits aussi courts
que possible et cette brièveté est souvent excessive pour nous; aussi
faut-il scruter avec la plus extrême attention le contexte dans lequel tel
ou tel passage est présenté; rechercher les autres fragments d'une loi
qui peuvent se trouver ailleurs dans le recueil, considérer la manière
dont elle est reprise, commentée ou développée depuis la rédaction
antérieure transmise par le Digeste jusqu'aux formulations des
Basiliques. C'est ainsi qu'on ne peut espérer résoudre le mystère des 50 sous
qui constituent le seuil d'une certaine pauvreté sans déterminer les
conditions dans lesquelles ce seuil a été établi puis conservé, ainsi que
le type de pauvreté qu'il définissait. D'autre part les codes conservent-
ils la loi la plus ancienne, la plus utile ou celle dont on pouvait se
procurer le plus facilement une copie? Toute l'interprétation de la
politique économique à un moment donné dépend parfois de ce que nous
que avait trop profondément changé - ou un recueil de textes destinés à guider le juge
dans la solution de cas difficiles; le recueil peut, dans ce dernier cas, être utilisé comme
ouvrage de référence, sans, pour autant, être parfaitement à jour. Sur l'ensemble de la
législation byzantine, mise au point pénétrante de N. Svoronos, Storia del diritto e delle
istituzioni, Bari, Corsi di studi, 1, 1976 (1977), p. 177-231.
12 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
id., Les passions des martyrs et les genres littéraires, 2e éd., Bruxelles, 1966 (Subsidia hagio-
graphica, 13b): l'auteur ne traite que d'une question, celle des passions des martyrs, mais
rappelle (p. 8) quelques genres pratiqués par les hagiographes : son argumentation est
excellente pour ce qui concerne directement le point de vue choisi - discuter de la réalité
des passions dont les martyrologes sont encombrés - mais s'enferme inévitablement dans
le dilemme du texte vrai ou faux, qui néglige les informations sur le contexte dans lequel
se sont ou se seraient déroulés les faits ; celui-là peut apporter un témoignage intéressant
sur un certain passé, même si ceux-ci sont faux. Sur les conceptions périmées de vies de
saints qui seraient toutes d'origine populaire, pour un public ignare, voir par exemple E.
Stein, op. cit., p. 698-700. Tentative d'application des méthodes structuralistes par E.
Patlagean, A Byzance : ancienne hagiographie et histoire sociale, Annales ESC, 1968,
p. 106-126.
16 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
soit pas mieux connue quand on fait l'histoire événementielle des années 380-400. On lui
accorderait moins d'importance. Par contre cette vie devient parfaitement significative
de la situation dans la ville de Gaza au VIe siècle et de la manière dont on imaginait alors
la situation vers 400.
16 Sur les homélies, J. Longère, La prédication médiévale, Paris, 1983, p. 24-35. Sur
l'importance et les dangers des textes patristiques, en particulier des homélies, dont on
n'a guère discuté la valeur réelle pour l'historien, malgré la masse considérable de cette
documentation, voir L. Ruggini, Economia e società nett'« Italia annonaria». Rapporti fra
agricoltura e commercio dal IV al VI secolo d. C, Milan, 1961, p. 9-16. Cependant l'auteur
prend parfois pour le diagnostic rigoureux de la situation sociale ce qui représente une
simple exagération oratoire (cf. ci-dessous, p. 518-522).
18 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
17 Les fondements idéologiques des chroniques universelles ont été analysés succin-
tement par F. Dvornik, Early Christian and byzantine political philosophy, Dumbarton
Oaks, 1966, t. 2, p. 611-850. Leurs sources et leurs méthodes de composition posent des
questions délicates ; pour une étude récente de ces problèmes, voir C. Mango, Who wrote
the Chronicle of Theophanes? Zbornik Radova, 18, 1978, p. 9-17. Les chroniques
ecclésiastiques attendent leur historien malgré le grand nombre de leurs historiens et plus
encore des historiens qui les utilisent. Un détail qui illustre la différence de point de vue
entre chroniques universelles et histoires ecclésiastiques, pourtant écrites dans un même
milieu culturel, à peu près à la même époque, est fourni par la rapidité avec laquelle les
premières, rédigées à la gloire de l'Empire, passent sur les persécutions, et de manière
générale sur le Haut-Empire, alors que les secondes ne se lassent pas de rapporter les
prouesses des martyrs. Sur les chroniques locales, voir, pour les chroniques brèves
écrites en grec, P. Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, t. 1, Vienne, 1975. Le
problème d'ensemble de ce genre pourtant riche à tous points de vue, n'a pas encore été posé.
INTRODUCTION GENERALE 19
fication autre que de pure forme. Il l'écrit alors qu'il est clerc, ce qui le
conduit à privilégier le point de vue ecclésiastique, et donc à adopter
souvent la manière des chroniques du même nom. Il faut se placer tour
à tour de ces trois points de vue pour interpréter convenablement son
œuvre.
L'auteur d'une chronique universelle est souvent un annaliste
doublé d'un «philosophe de l'histoire» qui puise dans les annales les faits
remarquables par leur caractère spectaculaire ou leur signification
idéologique : les tremblements de terre et les grandes famines - quand
ils ne sont pas présentés comme la punition divine pour des fautes qui
révèlent le point de vue de l'auteur - appartiennent à la première
catégorie; la piété des empereurs, les grandes victoires de l'Empire ou
même le silence sur l'histoire de l'empire romain entre la mort
d'Auguste et la conversion de Constantin, à la seconde catégorie. On ne
trouvera dans ces œuvres guère plus que dans les homélies, car ces
faits remarquables n'apportent guère plus à une histoire sociale, mais,
si l'on s'impose l'ascèse de les lire toutes en entier, on découvre
certains renseignements de toute première qualité qui ont l'immense
mérite d'avoir été puisés à de bonnes sources, directement dans des archives
ou dans des chroniques locales qui ont recopié des documents
originaux.
Les chroniques de tel règne particulier, parfois ajoutées à une
chronique universelle, sont plus riches de données sociologiques, mais
trop souvent rédigées du point de vue de la cour ou de l'armée,
rarement avec les yeux des provinciaux. On dispose cependant d'un certain
nombre de passages très précis et riches d'informations concrètes,
surtout chez le plus abondant de ces historiens, Procope, témoin des faits :
il les présente avec plus ou moins de vie et de sympathie pour les
acteurs locaux de la vie sociale en fonction d'une idéologie qui est
chaque jour mieux définie, sans qu'on ait pour autant résolu tous les
problèmes qu'elle pose. Théophylacte Simokkatès est de ce point de vue
particulièrement révélateur car, écrivant au début du second tiers du
VIIe siècle, il traite uniquement des régions qui étaient alors un sujet
constant de préoccupation pour l'empereur, oubliant que, pendant le
règne de Maurice, qu'il décrit, l'Empire s'étendait jusqu'en Afrique et
en Italie - provinces qui alors retenaient constamment l'attention des
souverains - et en Egypte dont l'auteur est originaire, mais à laquelle il
ne s'intéresse guère que pour discuter des causes qui provoquent les
crues du Nil. Chez ces auteurs les situations particulières sont
significatives, mais il convient d'être très prudent quand on considère l'impres-
20 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
sion d'ensemble qui ressort de leur œuvre : elle résulte d'une volonté
d'imposer une vision particulière de la situation générale.
Pour leur part les histoires ecclésiastiques tiennent un langage très
spécial, voire spécieux : les biens d'Eglise s'y appellent biens des
pauvres, pour un motif parfaitement légitime du point de vue théologique,
mais historiquement surprenant quand on voit la richesse des clercs
qui les gèrent et en profitent pour une grande part; les clercs
orthodoxes, c'est-à-dire ceux dont on partage les convictions, y ont toujours
raison contre les hérétiques - ceux qui pensent différemment - ou le
pouvoir, quand ce dernier est de leur avis; les faits politiques ou
sociaux qui sont rapportés sont toujours choisis en fonction de leur
valeur exemplaire pour l'idée qu'on prétend imposer . . . Cependant,
comme les vies de saints ou les homélies, ces histoires sont écrites pour
des contemporains qui pouvaient contrôler la valeur des arguments,
elles s'appuient sur des documents d'archives ou des histoires
antérieures, elles-mêmes documentées, et, sous l'habillage idéologique, apparaît
toute une réalité d'autant plus importante pour nous que l'Eglise joue
un grand rôle dans l'approvisionnement.
Enfin les chroniques locales, qui nous sont parvenues le plus
souvent à l'état de simples fragments, conservées dans des œuvres de plus
grande ampleur où elles ont été mises à contribution, parfois connues
par un seul manuscrit plus ou moins médiocre et rédigées dans la
langue locale, ces chroniques n'ont qu'une faible valeur littéraire, mêlent
fable et réalité, manient l'hyperbole la plus extrême, mais aussi
recopient sans le moindre effet des pages entières de documents officiels
avec d'autant moins d'artifice que l'auteur était plus médiocre écrivain.
Le bon grain apparaît très bien conservé et nous livre sur les villes une
foule de renseignements précis, vivants et le plus souvent
incontestables, mises à part les déformations dues au point de vue de l'auteur.
L'alimentation ne peut être étudiée sans les prix des aliments et
autres produits, ce qui conduit à porter une attention particulière aux
monnaies13. Les espèces réelles sont connues d'une manière qui suffit
18 Bilan sur les rapports entre numismatique et histoire dans Moneta ed economia,
Bari, Corsi di studi, 4, 1986. Mon texte était terminé quand parut le travail monumental
de M. Hendy, Studies in the byzantine Monetary Economy, c. 300-1450, Cambridge, 1985.
Il permet de préciser la place de mon travail par rapport à l'état actuel de la recherche :
comment de très grandes villes, et mêmes des villes moyennes ont-elles pu exister si le
commerce était très réduit? Quel rôle tenait exactement dans la vie économique cet Etat
qui est le principal utilisateur de la monnaie qu'il frappe : se contente-t-il de payer des
INTRODUCTION GENERALE 21
largement à notre propos puisque le sou d'or est d'un poids constant,
parfaitement établi, et, pour les monnaies d'argent et de cuivre, la
marge d'erreur est assez faible pour être considérée ici comme négligeable.
Les monnaies de compte, ainsi que les valeurs des monnaies réelles
frappées avec un métal par rapport à celles qui le sont avec un autre,
soulèvent davantage de difficultés qui cependant ne sont pas
insurmontables; et même la connaissance des prix moyens permettra parfois de
confirmer une valeur encore contestée parce qu'elle, et elle seule,
donnera un prix voisin de ceux qu'on calcule à partir d'autres sources.
Hormis les inscriptions et les monnaies, l'archéologie, qui offre des
informations irremplaçables, nombreuses et précises dans beaucoup de
domaines - l'habitat tant urbain que rural, l'urbanisme, l'outillage,
l'occupation des sols ... - ne livre, pour le sujet qui nous intéresse presque
aucune information utilisable dans l'état actuel de la recherche. Elle
n'a pu identifier, peut-être parce que l'usage des méthodes scientifiques
est trop récent, que quelques greniers dont on ne sait jusqu'à quand ils
ont servi. Elle n'a pas permis d'identifier un seul xenodochium, sans
doute parce que ces édifices se distinguaient mal des maisons
particulières dans lesquelles ils étaient souvent établis. Il est donc presque
impossible de se faire aujourd'hui une idée précise du cadre
monumental dans lequel s'effectuaient les distributions ou ventes publiques et
ecclésiastiques19. Peut-être une stratigraphie plus sûre et un inventaire
plus rigoureux de tous les objets trouvés dans chaque construction,
selon les méthodes de l'archéologie actuelle, aideront-ils à préciser la
nature et la durée d'utilisation des bâtiments fouillés. En ce qui
concerne le commerce des subsistances, que nous aurons à évoquer, se pose la
question de l'usage que l'on peut faire des apports de la ceramologie.
Cette question est pour le moins complexe mais il faut préciser dès
maintenant que la longue pratique de ces documents, en particulier par
les historiens de l'Antiquité, conduit à un certain scepticisme en ce qui
fonctionnaires et des soldats ou assume-t-il des charges sociales très lourdes? Comment
fonctionnait un système très complexe dans une société qui disposait de moyens
comptables particulièrement rudimentaires à tous points de vue?
19 Pour l'archéologie urbaine, voir ci-dessus, n. 2-4, ou les travaux de C. Foss, cités
dans la bibliographie. On peut, grâce à eux, reconstituer l'essentiel d'une bibliographie
qui ne traite jamais des cadres architecturaux des distributions de quelque nature que ce
soit.
22 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
vent leur application dans les rares traces qui nous sont parvenues
pour l'époque byzantine, ce qui renvoie à une étude du ravitaillement
dans tout l'Empire. Au vu des seules sources romaines et même des
sources romaines et égyptiennes de langue grecque, la question
essentielle de la diaconie, c'est-à-dire de l'assistance fournie par l'Eglise,
reste mystérieuse et le texte de la source fondamentale, le Liber pontifica-
lis de l'Eglise de Rome, donne lieu à des contresens qu'on ne peut
corriger. On multiplierait les exemples sans peine, pour ce qui concerne la
présente enquête, comme pour d'autres thèmes de recherche21.
Il ne fait donc aucun doute que les études d'histoire sociale
régionale facilitent, mais aussi appellent, des études générales comme on
peut s'en convaincre en reprenant près d'un siècle après Ch. Diehl, leur
dernier historien, avec la même méthode mais avec une documentation
considérablement élargie, toutes les sources relatives à l'Afrique
byzantine, qui exigent à chaque instant le recours aux dictionnaires papyrolo-
giques, aux recueils d'inscriptions italiens ou orientaux, aux codes
impériaux et aux chroniques générales, sans compter l'étude
paléographique des inscriptions, l'analyse comparée des formules de datation ou
celle des symboles gravés, faute de quoi on ne permet pas aux textes de
livrer tout leur message22.
L'histoire locale d'une ville, d'une province, d'un diocèse entretient
donc avec l'histoire d'un aspect limité de la vie sociale dans tout
l'Empire des rapports de complémentarité qu'il faut nettement préciser
pour éviter tout malentendu : l'histoire locale fournit une
documentation exhaustive, affirme sans risque d'erreur que ce qu'elle voit dans la
zone étudiée y a bien existé; mais elle ne peut répondre à toutes les
questions posées par la documentation car il manque souvent les
éléments de comparaison indispensables pour élucider une difficulté.
L'histoire générale d'un aspect particulier répond à des questions en
suspens par l'accumulation des situations semblables ou voisines,
brosse un tableau global en rapprochant les informations connues pour
chaque région particulière, mais ne peut tenir tout le compte souhaita-
21 Sur les diaconies romaines, ci-dessous, p. 164-183. Pour des exemples de ce qu'une
étude globale peut apporter à une enquête régionale, par exemple, A. Guillou,
Régionalisme et indépendance dans l'empire byzantin au VIIe siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la
Pentapole d'Italie, Rome, 1969; J. Gascou, op. cit.; J. Durliat, Les dédicaces d'ouvrages de
défense dans l'Afrique byzantine, Rome, 1981 (Collection de l'Ecole française de Rome,
49).
22 J. Durliat, ibid.
24 DE LA VILLE ANTIQUE À LA VILLE BYZANTINE
23 Ce n'est pas ici le lieu d'étudier cette «crise». Les difficultés sont indéniables mais
on n'a pas encore posé le problème de manière assez précise pour caractériser leur
nature. Quand on postule qu'elles sont de nature fondamentalement économique, on oublie
que c'est à la fin du IIIe siècle que les plus grandes villes, telles Rome, Alexandrie et
Antioche, se voient allouer des suppléments de blé ou d'autres fournitures, et que les
autres, comme par exemple Oxyrrhynchos, ont au moins conservé ce qui leur avait été
octroyé. Comment expliquer une telle générosité en période de déclin de la production?
La crise ne serait-elle pas, pour une part peut-être déterminante, d'abord une crise des
finances publiques liées aux invasions qui désorganisaient la perception de l'impôt sans
nécessairement ruiner l'agriculture pour longtemps, tandis qu'elles contraignaient à un
effort accru pour le paiement des soldes et pour la construction de murailles défensives
efficaces ?
24 Le premier travail qui ait conçu notre période comme un tout, mais d'un point de
vue trop politique, est celui de E. Stein, Geschichte des spätrömischen Reiches, t. 1, Vom
römischen zum byzantinischen Staate (284-476), Vienne, 1928; t. 2, De la disparition de
l'empire d'Occident à la mort de Justinien (476-565), Paris-Bruxelles-Amsterdam, 1949.
Encore très attentif à la crise politique, bien que les aspects sociaux de la période étudiée
occupent une assez large place, R. Rémondon, La crise de l'empire romain de Marc-Aurèle
à Anastase, Paris, 1964 (Nouvelle Clio, 11). La même année paraissait la vaste et riche
fresque de A. H. M. Jones, op. cit.
INTRODUCTION GENERALE 27
romaine; l'intervention de transporteurs privés ne suffit pas à établir que l'Etat leur
livrait le blé perçu au titre de l'impôt et qu'ils commerçaient à leur guise, une fois
distribuée l'annone gratuite, mais montre uniquement que l'association entre l'Etat et les
armateurs privés fonctionnait de manière peut-être proche de celle qui apparaît dans les
sources du IVe siècle.
3 A Rome, on voit souvent la population, et avec elle le préfet de la Ville qui craint
une émeute, scruter avec angoisse l'horizon dans l'attente des voiles qui annonceront
l'arrivée du blé annonaire, le seul de qui on attende le salut (cf. p. 45); à Constantinople il en
était de même et l'on voit aussi l'empereur punir une révolte par la réduction de moitié
des prestations annonaires : quelle qu'ait été la signification exacte de la mesure, elle
prouve l'importance de l'annone pour cette ville (cf. p. 252).
4 L. Ruggini, Economia e società nelV« Italia annonaria» Rapporti fra agricoltura e
commercio dal IV al VI secolo d. C, Milan, 1961, p. 147, reconnaît la force de l'argument e
silentio, et on ne saurait la soupçonner d'avoir omis la moindre source utilisable, tant son
travail est riche d'une érudition quasi exhaustive. Cependant elle croit pouvoir tirer
argument d'un seul texte qui, dans l'analyse qu'elle en donne, semble (noter le nombre des
termes tels «sembra» . . .) montrer l'existence de marchands indépendants vendant du blé
de la plaine du Pô à Rome (p. 112-152, d'après Ambroise de Milan, De officiis, 3, 44-52,
dont le texte est reproduit p. 116-118). Nous aurons l'occasion de montrer que cette
interprétation est abusive (ci-dessous, p. 518-522).
5 L'expression est de A. Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le
Bas-Empire, Paris, 1960, p. 296. Il est tout à fait essentiel, pour apprécier le poids réel de l'annone,
de savoir si le préfet de l'annone assurait la quasi totalité de l'approvisionnement, au
moins en blé; cependant il était difficile d'apporter une réponse en 1960, lorsque les
études quantitatives ccmmençaient à peine, en grande partie à l'instigation de cet auteur
INTRODUCTION 33
situation existant à Rome? En particulier, s'il est vrai qu'à Rome le blé
était distribué non aux pauvres mais à tous les citoyens nés dans la ville
et à eux seuls, comment fit-il sur les rives du Bosphore où, pour créer
une cité aussi populeuse que celle de César et d'Auguste, on devait
impérativement prévoir des distributions en faveur des nouveaux
arrivants, que l'on comptait précisément attirer par les prestations anno-
naires? Le modèle romain était sur ce point inapplicable et le désir de
créer une nouvelle Rome exigeait l'adaptation des lois conçues pour
limiter le nombre des bénéficiaires dans une ville adulte et même
surpeuplée pour les moyens dont on disposait. Ainsi la question des
bénéficiaires jette des lueurs nouvelles sur l'attitude du pouvoir à l'égard de
l'une et l'autre capitale.
Les prestations nous importent de deux points de vue. La nature
des produits distribués ne fait guère problème. Il faut par contre
déterminer le volume global, la part distribuée à chaque bénéficiaire et le
nombre des ayants droit. Si on dispose de deux données, on pourra
facilement calculer la troisième. Ensuite on précisera l'origine de
chaque denrée, le véhicule qui l'acheminait et la longueur du trajet, pour
évaluer le coût du transport qui s'ajoutait à celui de l'achat du produit
transporté. C'est important pour mieux estimer le coût global de
l'annone, mais aussi pour mettre en évidence l'ampleur et la complexité
d'un système qui recouvrait des régions entières de l'Empire tant et si
bien que, d'une part, rares étaient les citoyens échappant à toute forme
de prestation pour les capitales et que, d'autre part, on imagine mal
une ou plusieurs sociétés privées se mesurant avec une pareille
organisation.
On ne devra pas davantage négliger les rouages de l'administration
annonaire, non qu'on veuille conduire une étude institutionnelle, mais
parce qu'il faut connaître exactement les méthodes de gestion adoptées
par l'administration pour rendre à César tout ce qui lui revient et à
l'initiative privée sa juste part : il n'est pas sûr en effet qu'on n'ait pas
surestimé cette dernière, faute d'avoir reconnu dans les prétendus
armateurs indépendants des agents de l'Etat travaillant pour lui dans
des conditions spécifiques qui nous déroutent.
Rome fournit souvent la clé permettant de comprendre ce que
voulait être Constantinople et ce qu'elle fut, mais il ne faut pas se limiter
étroitement à la documentation conservée pour les IVe et Ve siècles.
Plusieurs documents de notre période ne prennent en effet toute leur
signification que si on les compare à ceux du Haut-Empire. L'étude ne
se bornera pas systématiquement à la période postérieure aux réformes
INTRODUCTION 35
d'Aurélien, sans que pour autant on reprenne l'étude déjà menée avec
beaucoup de compétence pour l'époque antérieure6 : tel nombre
resterait mal assuré si on ne pouvait le confronter à un nombre différent
mais concordant, établi par la critique de sources des trois premiers
siècles. La ville de Constantin ne se comprend pas sans référence à
celle d'Auguste et même de César ou des Gracques.
L'annone romaine ne doit pas nous intéresser seulement pendant
la période où elle fut celle d'une capitale, déchue mais toujours
privilégiée, c'est-à-dire jusqu'en 476 - s'il est vrai que, dans ce domaine, la
destitution du dernier empereur soit significative. Par la suite cette ville
offre un exemple relativement bien documenté de cité provinciale7,
chef -lieu du patriarcat d'Occident, qui mena pendant près de deux
siècles la vie d'une ville byzantine parmi d'autres avant de suivre le destin
autonome auquel la conduisit la présence du pape. S'il s'avère que
Rome garda au moins une partie des institutions annonaires après sa
déchéance, il faudra se demander si elle le doit au maintien
d'avantages anciens ou à ce que toutes les villes, ou du moins une partie
importante d'entre elles, surtout les plus grandes, possédaient des services
spécialisés mettant en œuvre des quantités, donc des fonds et un
personnel, beaucoup moins considérables que l'annone des capitales mais
semblables à elle dans leur principe.
Rome, par laquelle l'étude doit commencer, apparaît donc comme
une ville aux multiples aspects, modèle puis égale de Constantinople
avant de devenir un témoin entre beaucoup d'autres de ce qu'étaient les
villes byzantines.
1 Sur l'action d'Aurélien à Rome, on lira encore L. Homo, Essai sur le règne de
l'empereur Aurélien (270-275), Paris, 1904, en particulier p. 78-83; 176-184; 199-208. La visite à
Rome et l'accroissement des prestations annonaires reçurent un accueil mitigé, car ils
constituaient seulement une maigre compensation pour la perte de pouvoir politique par
la ville de Rome. L'anecdote d'après laquelle l'empereur promit - sous la contrainte? -
une couronne de 2 livres aux citoyens qui comprirent qu'elle serait en or tandis qu
'Aurélien les dupa en la leur donnant en pain (L. Homo, op. cit., p. 178 = Scriptores Historiae
Augustae, Vie d'Aurélien, 35, 1-2, éd. E. Hohl, Leipzig, 1927, rééd. 1955 (coll. Teubner),
38 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
p. 175), est vraisemblablement fausse mais significative des relations entre l'empereur et
la population de Rome, peut-être poussée par le Sénat. Le supplément d'annone devait
sans doute faire oublier la perte de prestige à la suite des réformes administratives
promulguées sous ce règne, mais le peuple de la Ville était assez fort pour marchander son
soutien au souverain qui dut faire semblant de promettre plus qu'il ne pouvait tenir. Sur
l'Histoire Auguste voir les Bonner Historia-Augusta colloquia (Beiträge zur Historia-Augus-
ta-Forschung, Antiquitas, Reihe 4) ; en particulier A. Chastagnol, Recherches sur l'Histoire
Auguste, Beiträge . . ., Reihe 4, Band 6, p. 1-37. Quelles que soient les imperfections d'une
source rédigée par un ou plusieurs auteurs utilisant manifestement des sources variées, à
des fins de propagande, favorable au paganisme (J. Sträub, Heidnische
Geschichtsapologetik, Antiquitas . . . Reihe 4, Band 1, 1963), on ne peut mettre en doute les informations
concernant la réforme de l'annone romaine puisqu'elle fut durable, même s'il faut
nuancer et interpréter, comme c'est ici le cas.
2 Vues pénétrantes avec une abondante bibliographie sur le déclin politique de
Rome sous le Bas-Empire dans H. Löhken, Ordines dignitatum : Untersuchungen zur
formalen Konstituierung der Spätantiken Führungsschicht, Cologne, 1982 (Kölner historische
Abhandlungen, 30).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 39
3 Sur les dépenses effectuées par les sénateurs à Rome, cf. ci-dessous, p. 553, n. 188.
Une dépense de 2 000 livres par un consul à son entrée en fonction (144 000 sous)
représente entre 7 000 et 10 000 salaires de personnes aux revenus modestes, de quoi faire
vivre quelque 40 000 personnes. Une grosse partie de la dépense était effectuée ailleurs
(achat de bêtes sauvages . . .) mais nombre de Romains devaient en profiter (personnel
d'entretien, décorateurs . . .). L'Eglise de Rome disposait d'au moins 30 000 sous pour la
construction et l'entretien des églises (Le Liber pontificalis, éd. L. Duchesme, t. 1, Paris
1886, p. 170-187), sans compter les salaires des clercs et les fonds pour des distributions
charitables, peut-être 100 000 sous en tout, presque entièrement dépensés à Rome. Des
dizaines de milliers de Romains profitaient donc des dépenses financées par l'Etat et qui
ne devaient rien au dynamisme des entreprises de la Ville.
4 Pas d'études d'ensemble sur la ville de Rome pendant cette période tourmentée.
Indications générales, textes traduits et bibliographie succinte dans A. Chastagnol, La fin
du monde antique. De Silicon à Justinien (Ve-début du VIe siècle), Paris, 1976. Etude d'un
point de vue particulier, avec des indications bibliographiques sur toute l'histoire de
Rome dans Ch. Pietri, Roma christiana, 2 t. (Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes
et de Rome, 224), surtout le t. 2. W. Ensslin, Theoderich der Grosse, Munich, 1947, p. Ill-
40 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
117, à ccmpléter par O. Bertolini, Roma di fronte a Bisanzio e ai Longobardi, Rome, 1941
(Storia di Roma, 9), p. 1-132, pour l'intermède ostrogothique.
5 Ο. Bertolini, op. cit., passim, pour la situation géopolitique de Rome pendant la
période byzantine. R. Krautheimer, Rome. Profile of a city, 312-1308, Princeton, 1980,
p. 1-108, pour l'évolution monumentale de la ville. B. Bavant, Le duché byzantin de Rome
(sous presse), pour l'histoire administrative et sociale de la ville et de sa région. Sur le
Sénat de Rome, O. Bertolini, Appunti per la storia del Senato romano durante il periodo
bizantino, Annali della scuola normale superiore di Pisa, 20, 1951, p. 26-57.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 41
I - LE IVe SIÈCLE
A - Les prestations
1) Le blé
duits que donne chaque province, la générosité avec laquelle la terre fertile laisse couler
ses dons de son sein fécond, on s'en rend compte d'après les provisions qui sont
distribuées au nom de l'Etat à ta plèbe, ô Rome, et qui nourrissent les longs loisirs d'une si
grande foule». Si on veut montrer la richesse des provinces, on fait allusion à l'annone
qu'elles versent, non au commerce qu'elles animeraient. C'est bien que, s'il existe, sa
place est marginale. Sur les origines des distributions annonaires, d'abord payantes sous les
Gracques, puis gratuites, et sur l'instauration d'un numerus clausus par César (150 000
bénéficiaires) et Auguste (200 000) voir C. Nicolet, Le temple des Nymphes et les
distributions frumen taires à Rome, CRAI, 29, 1976, p. 29-51. La limitation du nombre des ayants
droit découle de la charge énorme que l'annone gratuite représentait pour le Trésor : 1/5
du budget vers 58 av. J. -C. Il faudrait savoir exactement de quel budget il s'agissait mais
il ne faut pas oublier cette indication précieuse. L'annone, dans la capitale et dans les
autres villes, provoque un transfert de richesse considérable.
8 Texte romancé dans l'Histoire Auguste (Scriptores Historiae Augustae, Vie d'Auré-
lien, 47, éd. E. Hohl, 1927, rééd. 1955 (coll. Teubner), p. 182) qui présente l'avantage de
suggérer les raisons qui ont poussé Aurélien en même temps qu'elle fait allusion à sa
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 43
réforme. Notation sèche mais claire dans Chronographiis anni 354, dans Chronica minora,
éd. Th. Mommsen, Berlin, 1892 (MGH, AA, 9), p. 148 : Panetti, oleum et sal populo jussit
dari gratuite ; noter le mot sal, très important car il constitue une des rares mentions du
sel, produit de première nécessité s'il en est, mais dont les sources ne parlent presque
jamais pour quelque ville que ce soit. Nous ignorons tout, en particulier, de sa
distribution à Rome. L. Homo, op. cit. p. 179, pense que cette distribution ne fut pas
exceptionnelle; c'est vraisemblable car on voit mal le commerce privé, tel que nous le décrirons,
satisfaire toute la demande de ce produit vital, mais les sources sont totalement muettes.
Même rappel succint par Zosime, Histoire nouvelle, 1, 61, éd. et trad. F. Paschoud (coll.
Budé), t. 1, Paris, 1971, p. 53 : άρτων δωρεςί έτίμησεν δήμον : il accorda au peuple romain
du pain gratuitement. Blé gratuit et blé payant étaient l'un et l'autre versés sous forme de
pain, car les lois du IVe siècle parlent de panis civilis, panis gradilis ou panis popularis
pour désigner le premier, et de panis fiscalis ou panis ostiensis pour le second (voir ci-
dessous, p. 51-56, avec les notes, pour le sens de ces expressions). Ce n'est jamais du blé,
toujours du pain.
9 Première mention indubitable dans CTh 14, 15, 4, 398. Une allusion de Prudence,
Contre Symmaque, 2, 950, éd. cit., p. 190, permet de remonter sans risque d'erreur
jusqu'au difficultés de l'année 384. Le premier règlement connu, fixant les droits et devoirs
des meuniers, est de peu antérieur à 488 (CIL 6, 1 711). Ces moulins, encore attestés à
l'époque byzantine (Procope, De bello gothico, 5, 19, 19, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963, p. 99),
ont donc fonctionné au moins jusqu'au VIe siècle. Pour ce qui est de leur construction, A.
Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960, p. 311,
reprenant J. -P. Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les
Romains depuis les origines jusqu'à la chute de l'empire romain d'Occident, Louvain, t. 2
1986, p. 86 : cet auteur affirme, sans le prouver, que les boulangers moulaient la farine
eux-mêmes jusqu'au milieu du IVe siècle, ce qui présente deux difficultés. D'une part
nous n'avons nulle mention de la construction de ces moulins dans un siècle où les
sources sont beaucoup plus nombreuses que pour le précédent; d'autre part, on ne voit pas la
raison d'avoir construit ces moulins à ce moment plutôt qu'à l'époque où le pouvoir
décida de donner du pain et non plus du blé. Ici encore, il ne faut pas tirer argument du
silence des sources avant 398 et suspendre son jugement, tout en remarquant que
l'hypothèse d'une réforme de la meunerie au IIIe siècle est plus satisfaisante que celle d'une
réforme au IVe siècle.
44 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
10 Lieu commun souvent repris, jamais discuté : D. Van Berchem, Les distributions
de blé et d'argent à la plèbe romaine sous l'Empire, Genève, 1939, p. 106-108 (= A. Chasta-
gnol, op. cit., p. 301 = G. Dagron, Naissance d'une capitale. Constantinople et ses
institutions de 330 à 451, Paris, 1974 (Bibliothèque byzantine), p. 531). L'auteur pense que toute
l'annone égyptienne allait à Constantinople ou à quelques villes d'Orient. Cependant les
textes sur lesquels il se fonde ne peuvent prouver cette affirmation. Les lettres 349, 350 et
356 de Libanius, dans Libanti opera, éd. R. Förster, t. 10, 1912 (coll. Teubner), p. 331-332
et 338, ainsi que Julien, Misopogôn, 369 b, éd. et trad. C. Lacombrade, L'empereur Julien,
œuvres complètes, 2, 2, Paris, 1964 (coll. Budé), p. 196, prouvent uniquement l'envoi de blé
égyptien à Antioche dans des circonstances exceptionnelles. VExpositio totius mundi et
gentium, éd. et trad. J. Rougé, Paris, 1966 (SC, 124, p. 172, et introduction, p. 71) permet
seulement de dire que vers 360, lorsque ce livre fut rédigé, une partie du blé fiscal
d'Egypte allait à Constantinople et dans des villes d'Orient; Rome et les autres villes
d'Occident peuvent en recevoir une grosse quantité, l'auteur n'a pas à nous en parler à ce
moment de son exposé. Les vers de Claudien, De bello gildonico, 1, 60-62, dans Claudii
Claudiani carmina, éd. J. Koch, Leipzig, 1893 (coll. Teubner), p. 39, disent que les blés
d'Egypte échurent à un autre bénéficiaire après la fondation de la seconde Rome, mais
n'affirment pas explicitement, encore au début du Ve siècle, peu avant le sac d'Alaric, que
tout le blé égyptien allait vers la nouvelle capitale. Il est important de noter qu'aucun
texte ne dit formellement que, avant 410, le blé fiscal ait changé de direction dans sa
totalité, car ce que nous verrons depuis Constantinople prouvera qu'il ne pouvait en avoir
été ainsi jusqu'à cette date.
11 Voir aussi l'analyse quantitative de l'annone constantinopolitaine, ci-dessous,
p. 250-252.
12 Claude Mamertin, Discours de remerciement à Julien, 14, dans Panégyriques latins,
t. 3, éd. et trad. E. Galletier, Paris, 1955 (coll. Budé), p. 27-28.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 45
13 Textes cités et analysés par Ch. Saumagne, Un tarif fiscal au IVe siècle de notre
ère, Karthago, 1, 1950, p. 107-220.
14 Claudien, De bello gildonico, 1, 75-76, éd. cit., p. 40; id, In Eutropium, 1, 399-411,
éd. cit., p. 64.
15 Symmaque, Relatio, 9, 7, éd. O. Seeck, Q. Aurelii Symmachi quae supersunt, Berlin,
1883 (MGH, AA, 6), p. 288 = D. Vera, Commento storico alle relationes di Quinto Aurelio
Simmaco, Pise, 1981, p. 359 : Venerabimur tamquam sacras puppes quae felida onera
Aegyptiae frugis invexerint. On ne saurait mieux dire que l'alimentation romaine dépend
encore de l'Egypte. Mais ce qui pourrait n'être qu'un envoi exceptionnel, pour faire face
aux difficultés de l'année 384, apparaît plus loin comme une opération permanente.
Symmaque, Relatio 37, 2, éd. O. Seeck, p. 310 = D. Vera, op. cit., p. 428, nous montre le préfet
de la Ville réclamant que l'on enquête sur un retard dans l'application de décisions
budgétaires transmises en particulier à l'Egypte et qui n'ont pas été suivies d'effet. Il ne
demande pas un cadeau ou un versement exceptionnel, mais l'application d'une décision
permanente, valable autrefois (prisca) et dans le futur (et quod futurus usus expectat). Le
terme technique illatio (versement fiscal) ne laisse aucun doute sur le caractère public de
la mesure. La seule difficulté pourrait provenir de la nature de l'opération, désignée par
le terme commeatus qui se rapporte le plus souvent aux provisions de l'armée (références
dans R. Rémondon, Soldats de Byzance d'après un papyrus trouvé à Edfou, Recherches
de papyrologie, 1, Paris, 1961 (Publications de la Faculté des lettres de Paris. Série
Recherches, 1), p. 55-56), mais, comme on voit mal le préfet de la Ville s'occuper de la solde en
nature de militaires, mieux vaut donner au terme son sens large, celui de convoi, ici de
convoi annonaire. Allusion à l'annone égyptienne dans Symmaque, Relatio 35, éd. O.
Seeck, p. 308 = D. Vera, op. cit., p. 427; BGU t. 1, n° 27; P. Amh. t. 1, 1900, n° 3 (voir J.
Lallemand, L'administration civile de l'Egypte de l'avènement de Dioctétien à la création
du diocèse (284-382), Bruxelles, 1964 (Mém. Acad. roy bel, 57), p. 188-189). Ambroise Ep.
18, 19, éd. dans PL 16, 978; Rutilius Namatianus, Sur son retour, 1, 145-147, éd. et trad. J.
Vessereau et F. Préchac, Paris, 1933 (coll. Budé), p. 9.
46 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
16 Sur le préfet de l'annone d'Egypte, J. Lallemand, op. cit., p. 92-93 = CTh 12, 6, 3,
349 : praefectus annonae Alexandriae ; P. Ryl. 4, 652, 1. 10; P. Oxy. 2 408, 1. 1, 397; P. Flor.
75. Sur le préfet de l'annone d'Afrique, CTh 13, 5, 12, 369 : praefectus annonae Africae.
17 La coemptio (συνωνή en grec) est un achat forcé qui peut se pratiquer de diverses
manières : le prix d'achat peut être le prix public officiel, identique dans tout l'Empire et
indépendant du prix du marché, ou le prix du marché; l'achat peut correspondre à une
part d'impôt exigée en nature alors qu'il était à l'origine exprimé en espèces, ou à une
levée supplémentaire, mais, dans ce deuxième cas, les denrées achetées sont payées. Pour
des exemples, voir index, s. v. coemptio et συνωνή. Le canon annonaire fixe correspond à
une coemptio permanente, c'est-à-dire au paiement en permanence d'une part de l'impôt
en nature.
18 Symmaque, Relatio 37, 2, éd. O. Seeck, p. 310 = D. Vera, op. cit., p. 428. Claudien,
In Eutropium, 1, 407, dans Claudiani Carmina, éd. cit., p. 64 (mentionne seulement un
secours temporaire pour pallier les dommages {damna) provoqués par la révolte de Gil-
don en Afrique). CTh 13, 5, 4, 324, et 8, 334 traite des naviculaires espagnols sans dire de
quel produit ils doivent assurer l'acheminement, mais c'est vraisemblablement le blé,
comme on doit le supposer d'après le texte très postérieur de Cassiodore, Variae, 5, 35,
éd. Th. Mommsen, Berlin, 1894 (MGH, AA, 12), p. 162, où les fournitures de blé fiscal
espagnol (Hispaniae triticeas copias) sont qualifiées a'antiquum vectigal, de prestation
ancienne, donc datant de l'empire romain.
19 Claudien, De consulatu Stiliconis, 2, 391-396, dans Claudiani carmina, éd. cit.,
p. 162 : seulement un envoi temporaire pendant la révolte de Gildon. Claudien, In
Eutropium, 1, 404-409 : voir à la n. 18 pour l'édition et le commentaire. Rutilius Namatianus,
Sur son retour, (voir n. 1 5), ne peut être considéré ccmme une allusion à des secours de
blé gaulois accordés à la capitale qu'à condition de corriger Rhenus en Rhodanus (Aeter-
num tibi Rhenus aret) ; comment en effet acheminer du blé rhénan jusqu'à Rome ? Si on
refuse la correction ( le poète ayant substitué le Rhin au Rhône pour des raisons de
métrique) et si on veut que ce vers corresponde à une réalité économique, il faut
comprendre que le produit fiscal payé en monnaie par les paysans rhénans servira à acheter
la nourriture de Rome. Contra, L. Ruggini, Economia e società neW« Italia annonaria».
Rapporti fra agricoltura e commercio dal IV al VI secolo d. C, Milan, 1961, p. 129.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 47
20 Prudence, Contre Symmaque, 2, 942-943, éd. cit., p. 190, et Symmaque, Ep. 9, 42,
éd. O. Seeck, p. 248 = S. Rodia, Commento storico al libro IX dell'epistolario di Q. Aurelio
Simmaco, Pise, 1981, p. 343. Les allusions postérieures de Salvien, Paulin de Noie et
Grégoire le Grand (cf. L. Ruggini, op. cit., p. 129) confirment le rôle de la Sardaigne dans
l'alimentation romaine, mais la part relative, au Ve siècle, lorsque l'Egypte fournissait
exclusivement Constantinople et que l'Afrique était conquise par les Vandales, a
vraisemblablement augmenté.
21 Prudence, Contre Symmaque, 2, 940-942 (cf. n. 20). Les références postérieures (cf.
L. Ruggini, op. cit., p. 130) suggèrent, comme pour la Sardaigne, ou bien que l'île était
peu mise à contribution au IVe siècle, au bien que sa part relative augmente par la suite,
ou bien plutôt que les deux phénomènes se conjuguèrent, car, au VIe siècle, le rôle de la
Sicile dans l'annone romaine est considérable tant en volume qu'en part de l'annone
totale. Le silence des sources pendant quatre siècles cache peut-être une longue continuité
dans la pression annonaire sur la Sicile du IIe siècle avant notre ère au VIIe siècle après
J.-C.
22 Pour la Macédoine, Symmaque, Ep. 3, 55 et 82, éd. J. -P. Callu, Symmaque,
Lettres, Paris, 1972 (coll. Budé), p. 58 et 75 : l'empereur prévient la famine en réquisitionnant
du blé macédonien qui n'aurait pas dû quitter la région {fames quant . . . imperator grae-
venit indebitis alieni soli copiis). Les deux lettres se rapportent à la famine de 389. Pour la
Syrie, en 388, sans doute en relation avec la même famine, des bateaux sont envoyés à
Rome : Libanius, Oratio, 54, 40, éd. R. Förster, Leipzig, t. 4, 1908, p. 91-92 (sur ce passage,
voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche au IVe siècle après J.-C, Paris, 1955,
p. 160 et 163).
23 A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 301, et L. Ruggini, op. cit., p. 130 considèrent
que la relatio 40 de Symmaque (éd. O. Seeck, p. 311-312 = D. Vera, op. cit., p. 382-383)
prouve l'existence d'une fourniture temporaire d'annone par la Campanie, alors qu'il
s'agit d'une affectation aux villes campaniennes d'une part d'annone due à Rome et
venue d'au-delà des mers, dont Symmaque demande le retour à sa destination première.
Voir aussi, ci-dessous, p. 429-430.
24 Voir ci-dessous, p. 114-123.
48 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
seule la construction du temple, où les ventes devaient avoir lieu, fut menée à bien
pendant le règne d'Aurélien.
28 A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 322.
29 L. Homo, op. cit., p. 179 : Vie d'Aurélien, 35, 2, éd. cit., t. 2, p. 175. Aurelius Victor,
Livre des Césars, 35, 7, éd. P. Dufraigne, Paris, 1975 (coll. Budé), p. 45 : «II veilla à
introduire la consommation de la viande de porc pour céder aux demandes de la plèbe
romaine». Voir aussi, ci-dessus, p. 37, n. 1, sur les pressions populaires auxquelles l'empereur
peut difficilement résister. Fournitures exceptionnelles de viande par Sévère Alexandre
(Vie de Sévère Alexandre, 26, 2, éd. cit., t. 1, p. 270). Cela laisse supposer que l'Etat avait
les moyens de se procurer de grosses quantités de viande.
30 Sur l'huile africaine, H. Camps-Faber, L'olivier et l'huile dans l'Afrique romaine,
Alger, 1953. L'origine espagnole d'une partie de l'huile, bien que très plausible, ne peut se
déduire de CTh 13, 5, 4 (voir ci-dessus, n. 18); contra, A. Chastagnol, La préfecture . . .,
p. 321.
31 Références dans A. Chastagnol, La Préfecture . . ., p. 322-323. Ajouter la Vie
d'Aurélien, 48, 1-4, éd. cit., t. 2, p. 184-185. L. Ruggini, Op. cit., p. 38-50, a bien montré que le
canon vinarius provenait surtout d'Italie annonaire et peut-être aussi d'Italie suburbicai-
re, à condition d'interpréter CTh 11, 2, 3, 377 comme le fait A. Chastagnol, Un scandale
du vin à Rome sous le Bas-Empire : l'affaire du préfet Orfitus, Annales. Economie,
Société, Civilisation, 1950, p. 161-183; il donne en effet à urbicaria regio le sens de Italia subur-
bicaria. On a l'impression très nette que l'Italie du Nord était spécialisée dans la fournitu-
50 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
re du vin, surtout sa façade maritime «de l'Etrurie aux Alpes maritimes» (Vie d'Aurélien,
48), même si une partie de la boisson arrivait par la voie Flaminienne (d'après CTh 11, 1,
6, 354; cf. A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 322 et L. Ruggini, op. cit., p. 44).
32 Voir A. Chastagnol, Le ravitaillement de Rome en viande au Ve siècle, Revue
historique, t. 210, 1953, p. 18-19 = A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 326, d'après NVal 36,
dans CTh t. 2, p. 153-154 : l'essentiel venait de la Lucanie, du Bruttium et du Samnium;
un complément, de Campanie et de Sardaigne. Pour l'analyse des données chiffrées, voir
ci-dessous, p. 94-95. A. Chastagnol, Le ravitaillement . . ., p. 20 = La préfecture . . ., p. 326,
pense que deux lois (CTh 14, 4, 10, 419 et NVal 36) prouveraient l'existence de prestations
autres que le porc sous forme de viande ou de lard. Mais, si on lit attentivement ces
textes, on constate que la seule viande donnant lieu à des distributions est le porc. Il faut
comprendre que les pecuarii (bouchers vendant du mouton) et les boarii (bouchers
vendant du bœuf) doivent assister les suarii au titre des charges fiscales imposées à leur
corporation : au lieu de payer 950 sous à une autre caisse ou d'effectuer une charge
évaluée à cette somme, ces deux corporations la donneront aux suarii (NVal 36, 2), ou
assumeront en alternance avec ces derniers une partie des charges qui leur incombent (CTh
14, 4, 10). Sur ces lois, voir aussi, ci-dessous, p. 99-100. On n'a ici nulle trace d'une
fourniture publique, gratuite ou payante, de viande ovine ou bovine, mais la preuve que deux
corporations distinctes approvisionnaient le marché libre ; elles devaient à l'Etat un impôt
sur les bénéfices réalisés par leurs membres et en étaient responsables par
l'intermédia re de leurs chefs dont les trois principaux recevront le titre de comtes (au moins ceux des
pecuarii : très hujus corporis principales terti (sic) ordinis comitivam recipiant) ; sur
l'origine de ces chefs de corporations, sans doute des notables, des sénateurs ou d'autres
responsables administratifs et fiscaux de ces métiers, voir ci-dessous, p. 74-80, à propos des
suarii. Même si on manque de preuves formelles, on ne peut rejeter l'hypothèse de
fournitures de viande de mouton ou de bœuf à prix public car Cassiodore semble faire
allusion à de telles prestation au VIe siècle (ci-dessous, p. 104); mais l'indication est tardive et
peu précise.
33 Sur la circulation du vin voir ci-dessus, n. 48. Sur celle des porcs, ci-dessous,
p. 96.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 51
Β - Les bénéficiaires
34 Les lois assez nombreuses concernant les suarii nous les présentent comme de
simples fournisseurs de l'annone gratuite (CTh 14, 4, 1-10). L'existence de ventes
publiques est donc peu plausible. Cependant la corporation travaillait conjointement pour
l'Etat et pour elle-même. On peut difficilement douter que les ventes libres de porc,
comme des autres viandes, aient été pratiquées sur les marchés romains.
52 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
40 Cf. n. 37.
41 Sur l'arca frumentaria (σιτωνικόν en grec), voir p. 66 à Constantinople, ci-dessous,
p. 213-217; ailleurs, p. 458 et index, 5. v.
42 Ci-dessous, p. 134-137.
43 Si du moins, elle fonctionne comme celle des autres villes. Il ne faut pas
confondre le fonctionnement du service qui vendait le blé à prix public constant et l'arca qui le
livrait à prix variable quand les autres fournisseurs faisaient défaut.
44 CTh 11, 2, 2, 365 : L'empereur qui veut étendre les avantages accordés au peuple
(populi usibus profutura provisionis nostrae emolumento) décide une réduction de prix (ut
etiam pretto laxamenta tribuantur) et ordonne donc que les diverses qualités de vin
fournies par l'annone seront vendues avec une réduction de 25% par rapport au prix du
marché indépendant (forum rerum venalium). A. Chastagnol, La préfecture., p. 324-325, a bien
vu que cette mesure ne peut s'expliquer par un désir de venir en aide aux pauvres, mais
essaie d'expliquer la différence de prix par la différence de qualité, contre l'évidence du
texte que affirme le contraire, puisque la réduction s'applique à toutes les catégories de
vin livrées par l'annone et consiste à vendre moins cher que sur le marché : on paiera
donc la même qualité à meilleur prix. La mesure ne vise pas non plus à lutter contre la
cherté pendant une période de difficulté puisque le prix public inférieur est pratiqué en
permanence. On note, pour le blé ou le vin, des écarts d'un même ordre de grandeur,
pendant toute notre période, entre les prix appliqués par l'Etat et ceux du marché, afin
de couvrir les frais de transport des denrées (ci-dessous, p. 497-502).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 55
Ainsi les ventes à prix fixes se font au prix que l'on paierait dans
les provinces, si on achetait directement aux paysans. Personne n'avait
intérêt à venir acheter sa nourriture à Rome et les Romains n'étaient
pas pénalisés par rapport aux provinciaux. Par contre, sans la prise en
charge par l'Etat des frais de transport, la Ville n'aurait pu nourrir une
aussi nombreuse population, car les prix auraient été trop élevés pour
la majorité des humbles qui auraient fui, ou ne seraient pas venus.
L'annone payante vendue à prix coûtant permit à l'empereur
d'entretenir une ville à la hauteur de ses ambitions en procurant à tous ceux qui
s'y trouvaient de quoi y gagner leur vie et de quoi y manger à un prix
raisonnable au moins du pain, du vin, de l'huile et de la viande, sans
pour autant les inciter à venir chercher du travail ici plutôt qu'ailleurs.
Rome restait cependant attractive sur deux points : on pouvait être
attiré par la variété des activités, des distractions, des spectacles; en outre,
si les prix n'étaient pas plus avantageux qu'ailleurs, l'importance des
moyens dont disposait l'annone, en grande partie parce qu'une crise
frumentaire à Rome aurait eu des conséquences politiques
dramatiques, supprimait les risques d'une véritable famine et rendait les
disettes plus rares et moins rigoureuses. Elles n'ont jamais atteint, sauf
peut-être pendant le siège d'Alaric, la violence qui apparaît à Edesse
par exemple51: on souffrait moins des fantaisies du climat
méditerranéen puisque, pendant une disette particulièrement sévère, les
habitants des alentours souhaitaient venir y chercher un secours52.
L'annone payante constituait donc un avantage certain mais limité et, s'il est
vrai que les humbles tiraient sans aucun doute un plus grand profit de
ces distributions, puisqu'ils consacraient une part plus importante de
leur salaire à l'alimentation, le terme de popularis, populaire au sens de
«qui concerne l'ensemble du peuple» c'est-à-dire tous les citoyens de la
cité, ne doit en aucun cas laisser croire qu'elle visait une quelconque
assistance aux déshérités de la cité sous une prétendue influence du
christianisme, qui n'a rien à voir dans cette institution ancienne et
inchangée53.
lares constituent toute la population, à la seule exception des sénateurs et des esclaves,
sauf à supposer une population totale supérieure à 1 000 000 d'habitants.
54 J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 026-1 029.
55 CTh 14, 17, 6, 370: exclusion des esclaves de sénateurs. Mais cela ne signifie pas
que seuls les esclaves de sénateurs soient exclus car CTh 14, 17, 5, 369 désigne le
bénéficiaire comme civis romanus, ce qui suffit à éliminer tous les esclaves.
56 J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 001, contre D. Van Berchem, op. cit., p. 100-101, pense à
juste titre que, si l'Histoire Auguste présente l'admission des proxénètes, prostituées ou
homosexuels par Héliogabal (Vie d'Héliogabal, dans Scriptores Historiae Augustae, éd. cit.,
t. 1, p. 243) comme une décision scandaleuse, c'est, ou bien qu'elle a été imaginée pour
discréditer l'empereur, ou bien qu'elle a été abrogée avant le IVe siècle. Sur ce point
encore, le IVe siècle se situe dans la continuité des pratiques attestées sous le
Haut-Empire.
58 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
57 L'institution des gradins (gradus) où l'on recevait son pain, semble plutôt liée à la
substitution du pain au blé par Aurélien, puisqu'il fallait faciliter des distributions qui
devenaient quotidiennes, et non à une réforme purement administrative de Constantin.
Contra, A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 57 = J.-M. Carrie, op. cit., p. 1 038. Sur les
gradins, voir aussi Prudence, Contre Symmaque, 949-950, éd. cit., p. 190, où apparaît le lien
entre les gradins et le découpage de la ville de Rome en régions; cf. ci-dessous, p. 247-
248, pour la nature des gradins à Constantinople. Dans aucune des deux villes on n'a
trouvé trace de ces constructions ; mais les gradus de Rome étaient-ils semblables à ceux
de Constantinople?
58 Ce nombre sera établi ci-dessous, p. 94-96.
59 Voir la démonstration convaincante de J. -M. Carrié, op. cit., p. 1 013.
60 C'est ce qui ressort tant de la lecture exhaustive de CTh (en particulier CTh 14, 4
et 15-17), que de toutes les autres sources. Jamais une seule formule ou expression ne
suggère une assistance aux indigents.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 59
65 Vie d'Aurélien, 35 (voir à la n. 62). CTh 14, 17, 5 (voir à la n. 65) : A propos du
citoyen qui touche 50 onces, l'empereur ajoute : solarium . . . eorum successoribus
dementia nostra deputavit; ce ne peut être une simple formule vide de sens; contra J.-M. Carrié,
op. cit., p. 1013-1014. Cette législation continue une longue tradition d'après laquelle la
tessere peut être achetée par un ancien maître pour son affranchi (D 5, 1, 52, 1) ou
transmise aux héritiers sous certaines conditions (D 31, 49, 1; 30, 87, pr., 32, 35, pr. ); s'ils ne
peuvent en hériter, ils recevront sur le reste de l'héritage une somme équivalente à la
valeur de la tessere (C. Nicolet, Tessères frumentaires et tessères de vote, Mélanges J.
Heurgon, Rome, 1976, p. 699-690).
66 Ci dessous, p. 329.
67 J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 003. Il y a contradiction entre le fait de reconnaître que
le jeton « restait acquis à la famille pendant la vacance de l'exercice du droit civique, en
attendant la majorité d'un enfant de sexe masculin » et la négation du caractère
héréditaire du droit à l'annone.
68 On ne peut qu'imaginer les conditions de transmission du jeton. L'annone étant
individuelle et indivisible, à la mort du père seul l'aîné des fils majeurs pouvait hériter
(ou la mère, en attendant la majorité de ce fils aîné, s'il était mineur). Les autres enfants
se faisaient vraisemblablement inscrire sur les listes d'attente des incisi. Avaient-ils un
avantage sur les citoyens romains nés hors de la ville et «naturalisés»? On ne sait. Par
contre, tout porte à croire que les places disponibles étaient nombreuses, car la mortalité
était si forte que le nombre de citoyens mourant avant d'avoir eu un fils, ou après les
avoir tous perdus était certainement considérable. D'autre part, on est conduit à
admettre, pour que le nombre des inscrits forme une part importante de la population, et que
cette dernière ne doive pas dépasser le million d'habitants, qu'un fils majeur se faisait
inscrire du vivant de son père et pouvait toucher sa part d'annone. Il faut donc imaginer
des situations telles qu'un grand-père veuf vivant avec son fils veuf et l'unique petit-fils
majeur, sous un même toit aient touché, à eux trois, trois rations d'annone tandis qu'une
grand-mère, sa fille et sa petite-fille ne touchaient rien. Comme les premiers ne pouvaient
consommer tout le pain auquel ils avaient droit, il s'ensuivait des disparités
considérables, des ventes, échanges, dons . . . d'annone, une fois que le bénéfiaire était allé, sur les
gradins, entrer en possession de sa part.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 61
69 On a voulu utiliser CTh 14, 17, 5, 369, pour prouver que l'annone civique fut, au
moins pendant un cours laps de temps, payante (A. Chastagnol, La préfecture .... p. 321,
et J. -M. Carrié, op. cit., p. 1 043-1 044, reprenant tous les commentateurs antérieurs). Les
termes civis et gradus font manifestement référence au panis gradilis et il est dit sans
conteste que le pain mentionné est vendu (emitur). L'exclusion des fonctionnaires,
esclaves et bénéficiaires du panis aedificiorum (sur ce terme, voir ci-dessous, p. 65) et la
distribution aux seuls populäres vont dans le même sens. Cependant ce pain ne paraît pas être
le panis gradilis gratuit car il est dit, dans la suite de la loi que ce pain sera in quo nunc
emitur loco propriis gradibus erogandum, distribué par leurs propres gradins (= par le
personnel des gradins dont dépend chaque popularis), là où il est actuellement vendu. On
doit comprendre qu'il sera donné sur les gradins, là où il est actuellement vendu, car la
vente peut avoir lieu sur les gradins après la distribution. La loi continue en indiquant
qu'on inscrira le nom des bénéficiaires sur des plaques de bronze, avec la qualité du pain
qui leur est versée. Si on faisait allusion à un retour à l'annone gratuite, il serait inutile
de préciser que la distribution sera faite par le personnel des gradins, sur ces gradins,
puisque cela irait de soi, de même qu'on n'aurait aucune raison de graver des listes qui
existaient déjà. Il s'agit donc de distribuer gratuitement, sous forme de pain de qualité
moyenne pesant 3 livres ce qu'on vendait jusque-là sous forme de pain de 50 onces de
pain de dernière qualité (cf. n. 72). Pour expliquer ce changement, on doit comparer cette
loi avec CTh 14, 17, 7, 372, ordonnant de réserver à chaque catégorie de bénéficiaires de
blé public celui auquel elle a droit, même en l'absence de certains ayants droit; c'est-
à-dire que le blé non distribué doit être gardé dans les greniers de l'Etat et, si c'est la part
d'un popularis, elle doit être affectée aux populäres. Sans doute notre loi règle-t-elle un
aspect de cette question : au lieu de vendre le blé auquel un ayant droit, provisoirement
absent, a droit, on constituera des listes de bénéficiaires qu'on pourrait dire « vacataires »,
profitant des conditions de l'annone, mais n'ayant pas la sécurité des incisi «titulaires»
de leur jeton. Même si on ne retient pas cette dernière hypothèse, il demeure assuré
d'une part que les citoyens romains concernés sont assimilés à des bénéficiaires de
l'annone gratuite, mais que le blé distribué n'est pas celui qu'on distribue tous les jours aux
titulaires d'un jeton. On ne peut donc en conclure ni que l'annone fut payante, même
pendant un temps très court avant 369, ni que l'Etat distribuait du pain de troisième
qualité (panis sordidus), mais on peut cependant tenir les dispositions de cette loi comme
significatives des pratiques de l'annone puisque les bénéficiaires de ce blé sont
manifestement assimilés aux incisi.
70 J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, Paris, 1961 (Etudes et commentaires,
38), p. 61-74, d'après Pline, Histoire naturelle, 18, 20, éd. et trad. H. Le Bonniec, avec la
collaboration de A. Le Bœuf fie, Paris, 1972 (col. Budé), p. 86-88.
62 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
exactement 1,1 kg), montant qui était distribué au Ier siècle, qui l'était
sans doute encore à l'avènement d'Aurélien71 et dont on peut montrer qu'il
l'était toujours à notre époque. En effet 1,1 kg de blé donne, une
fois moulu, soit 0,44 kg de fleur de farine (pollen ou flos), soit 0,66 kg
de farine moyenne, soit enfin 0,88 kg de farine grossière. Dans ce
dernier cas, il ne reste que 20% de son (0,22 kg)72. Sachant que avec 1 kg
de farine on fait approximativement 1,5 kg de pain, on obtient soit 0,66
kg de pain blanc (partis siligineus) pesant presque exactement 2
livres (0,645 kg), soit 1 kg de pain de seconde qualité (partis secunda-
rius) pesant près de 3 livres, soit 1,3 kg de pain grossier (partis sordi-
dus). La Vie d'Aurélien nous apprend que l'empereur distribua 2 livres
de partis siligineus, ce qu'on obtient avec 1,1 kg de blé73 et une loi de
369 74 indique que, au lieu de 50 onces de partis sordidus, on distribuera
36 onces de pants mundus, c est-a-dire 0,322—χ 50 = 1,34 kg
, de
, pain
duit aussi par 1,1 kg de blé et qui, dans le second cas, correspond
manifestement à ce qui était versé sur les gradins au titre de l'annone
gratuite. La seule difficulté tient à la nature du partis mundus que les
sources du Haut-Empire présentent comme identique au partis siligi-
neus et qui ne peut l'être à notre époque car il faudrait supposer une
augmentation de l'annone de près de 50%, ce qui est impossible, au
moins parce qu'aucune source ne fait la moindre allusion à une
réforme aussi considérable. Ce partis mundus est donc du partis secundarius.
Ainsi il est clair que, de César à 369 au moins, la ration quotidienne
d'un bénéficiaire de l'annone gratuite était de 1,1 kg de blé et que les
changements consistent d'abord dans le passage du blé au pain, ensuite
dans le passage d'une qualité de pain à une autre. Comme la
distribution de partis siligineus a sans doute été de courte durée, peut-être
limitée à la durée du séjour d'Aurélien dans la capitale, car le gain en
qualité était compensé par une perte en quantité que le petit peuple ne
pouvait guère apprécier, on peut considérer que l'annone a presque
toujours été distribuée sous forme de panes secundarii.
Pour la viande nous savons seulement que les rations étaient de 5
livres de porc par bénéficiaire et par mois pendant les 5 mois d'hiver,
soit 25 livres pour l'année, soit 200 000 χ 25 = 5 000 000 de livres de
viande représentant, comme nous le verrons quelque 8 000 000 de
livres de bête sur pied, en considérant qu'on distribuait de la viande
nette, ce qui ressort d'une lecture attentive d'une loi interprétée à
contresens et sur laquelle nous reviendrons75. L'étude des prix
montrera qu'on distribuait de la viande fraîche et non du lard dont le prix est
75 Le montant de la ration est donné par NVal 36, uniquement pour le Ve siècle, mais
divers calculs concordants permettent d'affirmer qu'il en était de même dès le milieu du
IVe siècle, et tout porte à croire que, pour la viande comme pour le blé, l'administration
n'a rien changé d'Aurélien aux grands bouleversements du Ve siècle, ou même au-delà; si
on voit décroître le nombre des ayants droit au fur et à mesure du déclin de la matière
fiscale qui les approvisionnait, rien ne dit que la part des derniers bénéficiaires ait été
inférieure à celle de leurs prédécesseurs. Analyse de la loi, ci-dessous, p. 94-95. Si les
rations sont distribuées sous forme de viande pendant 5 mois par an, on doit
légitimement supposer qu'une partie au moins était transformée en charcuterie par les
particuliers pour être conservée. De même que pour le blé, la ration est donnée à chaque citoyen
mâle adulte, quelles que soient ses charges de famille. Un célibataire pouvait donc
revendre quelques livres à une veuve élevant seule 2 ou 3 filles.
64 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
76 Ci-dessous, p. 97.
77 La date de la création et la nature des panes aedium est discutée depuis que J. -P.
Waltzing, op. cit., t. 2, p. 21, a affirmé leur existence, mais celle-ci n'a jamais été remise
en question. Voir en dernier lieu, J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 090-1 094. CTh 14, 4, 10 ne
peut être retenu malgré S. Mazzarino, Aspetti sociali del quarto secolo, Rome, 1951, p. 243
et η. 64 (cf. ci-dessous, p. 92, n. 145, pour le commentaire de ce texte). CTh 14, 17, 5 a déjà
été commenté ci-dessus, n. 69. La loi définissant ceux qui auront droit à bénéficier d'une
forme particulière d'annone civique, énumère la liste de ceux qui en seront exclus ita ut
in his nullus habeat officialis, nullus servus, nemo qui aedificorum percipiat panent. Rien
ne permet de supposer que panis aedificiorum soit synonyme de panis aedium et que les
exclus d'une forme d'annone en perçoivent nécessairement une autre.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 65
C - La gestion
1) Le pouvoir impérial
80 Ci-dessus, n. 1.
81 Symmaque, Relatio 40, avec le commentaire que j'en ai proposé ci-dessus, p. 47,
n. 23.
82 Quand l'empereur dit avoir payé une partie de l'annone avec les revenus de son
patrimoine (Mamertin, Discours de remerciement à Julien, 14, dans Panégyriques latins, t.
3, éd. et trad. E. Galletier, Paris, 1955 (coll. Budé), p. 27-28), il ne faut pas croire qu'il ait
puisé dans sa «liste civile»: le patrimoine impérial n'est qu'un des chapitres du budget
général de l'Empire.
83 Voir, par exemple, Symmaque, Relatio 35, éd. O. Seeck, p. 309 = D. Vera, op. cit.,
p. 380. Il n'est pas sûr que les vectigalia (produits des impôts indirects) non reçus en 384,
par la négligence des responsables, et qui auraient dû arriver avec le convoi annonaire
(commeatus) concernent directement l'annone (Symmaque, Relatio 37, éd. O. Seeck,
p. 309-310 = D. Vera, op. cit., p. 380-381 ; contra A. Chastagnol, La préfecture .... p. 317-
319, qui tient l'aerarium, dont il est ici question, pour Varca frumentaria). En 452, c'est
encore une décision impériale qui règle la perception de la viande distribuée par l'annone
(NVal 36).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 67
2) Le personnel dirigeant
communs? Une fois reconnus ces deux traits fondamentaux, les différences entre par
exemple une curie et la corporation des suarii, qui, pour notre mentalité, sont aussi
fondamentalement différentes qu'un conseil municipal et un syndicat professionnel,
n'apparaîtront que pour ce qu'ils étaient, des nuances à l'intérieur d'un cadre commun.
95 Pour les cités d'Orient, P. Petit, op. cit., p. 157-158. Pour l'Occident, C. Lepelley,
Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. 1, Paris, 1979, p. 213-216. On attend sur ce
sujet aussi, des études globales mettant en œuvre les sources des IVe- VIIe siècles, à la fois
pour bien dégager les constantes, et pour noter les évolutions et les nuances régionales.
96 Par exemple, pour rester dans le cadre de notre dossier, CTh 14, 4, 4, 367, où
Yordo, c'est-à-dire la curie, sert d'intermédiaire obligé entre les possessores responsables
de la perception et les suarii.
72 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
97 Nous les retrouverons dans toutes les lois relatives à la perception de la viande.
Textes analysés ci-dessous, p. 74-80.
98 Voir, pour l'Occident, le cas d'Autun dont la capacité contributive fut réduite de
32 000 à 25 000 capita; excellent commentaire de E. Faure, Etude sur la capitation de
Dioctétien d'après le panégyrique VIII, dans Varia. Etudes de droit romain, Paris, 1961,
p. 1-153 (Institut de droit de l'Université de Paris, 20). La cité est donc considérée comme
un tout valant un nombre donné de capita à répartir entre les contribuables, par
l'intermédiaire des possessores-curiaies, responsables d'une partie de la perception (pour la
synonymie, dans le langage administratif, entre possessor et decurto ou curialis, CTh 10, 3,
4, 383 = CJ 11, 59, 5). Voir, pour l'Orient, outre les remarques de P. Petit (cf. n. 95), le cas
particulier des κλήροι άποροι (à Autun, on aurait dit des capita) exemptés d'impôts pour
le budget général de l'Etat parce qu'ils sont affectés aux dépenses locales (J. Gascou,
Κλήροι άποροι (Julien, Misopogôn 370D-371B), Bull, de l'Inst. fr. d'Arch. or., 77, 1977,
p. 235-255. Voir aussi le cas de Cyr, d'après une lettre de Théodoret (Théodoret de Cyr,
Correspondance, Ep. 42, éd. et trad. Y. Azéma, t. 2, Paris, 1964 (Sources chrétiennes, 98),
p. 107), à corriger par le commentaire et la traduction de J. Gascou, op. cit., p. 242-243.
C'est exactement le système que la lecture des papyrus byzantins d'Egypte, de Syrie ou
d'Italie permet de décrire avec beaucoup de précision (voir J. Gascou, La possession du
sol, la cité et l'Etat à l'époque protobyzantine, et particulièrement en Egypte (recherches
d'histoire des structures agraires, de la fiscalité et des institutions aux Ve, VIe et VIIe siècles),
Thèse de troisième cycle, Paris, 1974).
99 Voir, par exemple, CTh 12, 6, 20, 386.
100 Sur la fourniture du vin en général, A. Chastagnol, Un scandale du vin . . .;id., La
préfecture . . ., p. 322-325. Sur le lieu dit Ad ciconias nixas, voir surtout J. Rougé, Ad
ciconias nixas, Revue des Etudes Anciennes, 59, 1957, p. 320-328.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 73
101 Les lois relatives à la fourniture de vin pour l'annone de Rome (CTh 11, 2, 1-3)
sont regroupées dans le chapitre du Code Théodosien qui possède un titre sans
équivoque: Tributa in ipsis speciebus inferri. A. Chastagnol tire argument d'une loi (CTh 11, 1,
6), figurant dans un autre chapitre, relatif aux impôts en général (de annona et tribùtis),
adressée à la curie - qui est ici comme toujours le seul interlocuteur local de l'Etat - de
Cesena, et traitant du vinum, quod ad celiarti usus ministrari solet, pour conclure que,
puisque l'on peut demander Γ adaeratio du vin au cellérier (personnage dont j'ignore la
fonction, mais qui n'apparaît jamais dans les textes relatifs à l'annone), on peut aussi la
demander pour celui qu'exige l'annone. Le seul cas de livraison sous une forme autre que
le vin d'un impôt dû au titre du canon vinarius est mentionné dans CTh 14, 4, 4 (analysé
ci-dessous, p. 94-97). Il concerne i'adaeratio non du canon mais d'une taxe dont le produit
servait à couvrir les frais des suarii. Les quantités disponibles pour les incisi n'en sont en
rien modifiées.
102 A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 324.
103 En l'absence de toute source, on peut supposer qu'il en était du vin comme de
l'huile, qu'il était mis à la disposition des consommateurs dans des échoppes spécialisées,
qui n'étaient pas nécessairement les mêmes que celles où l'on vendait le vin du marché
libre.
74 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
était réparti, selon une procédure inconnue, entre 2 300 mensae olea-
riae. Ces boutiques le donnaient aux bénéficiaires de l'annone gratuite,
dans des conditions qui nous échappent, et en outre le vendaient à tous
ceux qui en désiraient plus que leur ration ou qui n'avaient droit à
aucune ration gratuite 104.
4) Les suarii
110 CTh 14, 4, 2, 326. Les commentaires de J. Godefroy sont, comme toujours, très
éclairants pais laissent croire que Yadaeratio était largement pratiquée, ce qui a trompé
tous les commentateurs postérieurs. Les termes de la loi sont pourtant sans équivoque : le
possessor pourra payer en monnaie au lieu de verser la viande qu'on lui réclame, s'il
s'estime lésé. Il pourra le faire même si ce n'est pas le cas, si volet commente J. Godefroy à
juste titre (s'il en a, par hasard, envie). Pour rendre cette adaeratio possible, on fixera un
prix public au début de chaque exercice. Ainsi, conclut la loi, les suarii n'ont rien à
craindre, car ils pourront se procurer sur le marché les quantités manquantes avec les sous
donnés par les possessores, sans rien perdre, puisque les sous d'or reçus permettront
d'obtenir exactement la même quantité que ce qu'on aurait dû recevoir en nature. Les
possessores pour leur part, ne seront pas tentés de vendre beaucoup de porcs car, quel
que soit le prix obtenu, il devront donner tout ce qu'ils auront gagné aux suarii. Donc ces
derniers n'ont rien à craindre de Yadaeratio et les possessores n'ont aucun intérêt à la
réclamer. Pour bien comprendre, il faut se rendre compte que l'empereur ne vise ici que
la viande perçue par le possessor au titre de l'impôt. Celui-ci peut vendre autant de porcs
qu'il veut parmi ceux qui lui appartiennent, mais, pour ce qui est des porcs perçus au
titre de l'annone auprès des paysans, il n'a que le choix entre les donner ou donner leur
valeur en sous d'or et, dans ce dernier cas, il devra donner la totalité des sous que leur
vente aurait rapportée. On notera qu'il n'est fait nulle mention d'une possibilité de ventes
spéculatives dans une autre province, où le prix public aurait été fixé plus haut. Cela
suggère que la circulation des bêtes de boucherie, comme de la plupart des denrées était
très limitée, et aussi que les prix variaient peu, car la perspective d'un profit substantiel
aurait immédiatement provoqué l'apparition de ces ventes spéculatives. Cependant la
complexité des opérations et la difficulté des contrôles, à cette époque, évoque
inévitablement la possibilité de pratiques illégales et peut-être même d'un véritable «marché noir»
organisé. On touche du doigt la difficulté sur laquelle bute sans cesse la présente
enquête, celle des rapports entre le droit et le fait. Mais tant que nous ne pourrons atteindre le
fait lui-même, il faudra se contenter du droit et surtout, c'est la connaissance du droit qui
permettra, ici ou là, de comprendre la nature du fait, légal ou non, exceptionnel ou non,
livré par d'autres sources.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 77
111 CTh 14, 4, 4, 367. Commentaire des prix mentionnés dans cette loi, ci-dessous,
p. 95-97.
112 Ibidem, pour la justification de ces nombres.
113 CIL 6, 1 690 : Dédicace d'une statue à un haut magistrat de l'Empire, patron des
deux corporations des suarii et des confecturarii par les patrons de ces deux corporations.
Noter la distinction entre le patron protecteur lointain, et les patrons gestionnaires,
proches des membres de la corporation et agissant en son nom. Noter aussi l'existence d'une
corporation qui ne rend apparemment aucun service à l'Etat, mais qui a sans doute été
créée par ce dernier pour assurer au moins la perception des taxes dues par ses
membres. Les confecturarii sont mal connus. Peut-être se contentaient-ils d'abattre les porcs
pour les suarii. Peut-être forment-ils une corporation indépendante qui pourrait traiter la
viande du marché libre, tandis que les suarii s'occuperaient seulement de la viande
fiscale. Sur les confecturarii, voir en dernier lieu A. Chastagnol, Confecturarii, dans Mélanges J.
Heurgon, Rome, 1976, p. 125-130. L'auteur a corrigé le nom et pense, du fait que les deux
78 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
moins sûr que les suarii aient formé un groupe homogène et que le
terme désigne toujours le même type d'individus.
A partir d'un contresens du plus brillant commentateur du Code
Théodosien, on a cru en l'existence d'un ordo suarius114. Le mot ordo
était mal traduit mais l'idée d'un groupe dirigeant, distinct de la masse
des autres suarii, n'est pas nécessairement fausse. On voit mal chaque
charcutier, y compris les plus humbles, se déplacer jusque dans le
Bruttium pour y chercher lui-même la quantité exacte de viande qu'il
aura à traiter et à distribuer. On reste perplexe sur la valeur de
l'hypothèque publique dont sont grevés les biens de ces mêmes petits
bouchers, sans doute dépourvus de propriétés foncières, les plus sûres aux
yeux de l'administration115, et même sur la possibilité pour cette
dernière d'en tenir un compte à jour en permanence. On est enfin surpris que
ces mêmes humiliores aient accès aux dignités auliques puisque cinq
d'entre eux, choisis dans le collège des patroni ont obtenu l'une de ces
distinctions. Est-ce un hasard d'ailleurs si on en trouve un par
circonscription, à condition d'admettre que le Bruttium forme une
circonscription particulière à l'intérieur de la Lucanie, au moins de ce point de
vue116? Bien que l'information date du Ve siècle on peut difficilement
douter qu'elle soit valable pour le IVe, au moins dans ce qu'elle a
d'essentiel, l'existence d'un collège de patroni, nécessairement formé de
plus de cinq membres, qui exercent des responsabilités importantes à
l'égard de toute la corporation et semblent nettement distincts du reste
des suarii puisqu'on est apparemment patronus de droit et non par
corporations sont très liées, que les confecturarii pourraient être les membres de la
corporation des suarii qui abattent les bêtes.
114 J.-P. Waltzing, op. cit., p. 92-3, d'après le commentaire de J. Godefroy à CTh 14, 4,
4. Ordo signifie curie. Cf. CIL 1 771, 1. 9-11.
115 Par exemple CTh 14, 4, 5, 389 parle des fundi et alia praedia possédés par les
suarii. On voit mal des centaines d'artisans bouchers posséder des biens en grand
nombre, et d'une importance telle qu'ils correspondent aux souhaits du fisc. Où les auraient-
ils puisqu'ils sont tous Romains et occupés à exercer leur métier?
116 Sont concernées, au IVe siècle, les provinces de Sardaigne, Campanie, Samnium et
Lucanie-Bruttium. C'est au Ve siècle que les patroni obtiendront des dignités auliques
mais, entre les deux dates, les statuts personnels n'ont pas fondamentalement changé
entre humiliores et honestiores (NVal 36). Les suarii faisaient manifestement partie des
humbles puisqu'on éprouve le besoin de préciser qu'ils sont dispensés des munera
sordida (CTh 14, 4, 6, 389 : porcinarii est ici synonyme de suarii puisque tout le chapitre 14, 4
traite exclusivement de suariis, pecuariis et susceptoribus).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 79
117 Aucune loi ne parle de leur recrutement. Ils désignent seuls ceux qui accéderont
aux honneurs auliques. Il ne faut évidemment pas confondre ces patroni, responsables
collectivement ou à tour de rôle (cf. aussi CTh 14, 4, 9, 417, pour les patroni des caudica-
rii, les bateliers du Tibre) de la bonne marche des services assurés par une corporation,
avec les patroni de très haut rang qui protégeaient ces corporations sans se mêler en rien
de leur fonctionnement. Voir par exemple, le cas de Valerius Proculus, préfet de la ville,
qui est en 337, patronus des suarii, mais aussi des pistores et des confecturarii : CIL 6,
1690, 1 692, 1 693. CIL 1 690 : (huic (= L. Valerius Proculus) corpus suariorum et confectu-
rariorum, auctoribus patronis . . . statuant patrono digno ponendam censuit : les patrons
«effectifs» ont élevé une statue en l'honneur du patron «honoraire». Cf. aussi n. 113.
118 CTh 14, 4, 2-4.
119 Ν Val 36 : On leur laisse le choix de percevoir eux-mêmes la viande annonaire, ou
de se faire assister par les membres de l'office du préfet du prétoire.
120 CTh 9, 30, 3, 365.
80 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
5) Les naviculaires
pereur. Cf. A. Piganiol, L'empire chrétien, 2e éd. Paris, 1972, p. 320-321 et Ch. Saumagne,
op. cit., p. 164-166.
124 His navicuforiis . . . servari privilegia africana decernimus.
125 On les choisira ex administratoribus ceterisque honorariis viris praeter eos qui intra
palatium sacrum versati sunt, de coetibus curialibus et de veteribus idoneis naviculariis et
de ordine primipilario. Et de senatoria dignitate ut, si qui voluerint freti facultatibus,
consortio naviculariorum congreguntur. Aucun des personnages susceptibles de devenir
naviculaire d'après cette enumeration n'a le temps, la compétence et le goût de diriger un
bateau de commerce. On se donne le droit de choisir parmi les candidats, preuve qu'ils
seront plus nombreux que les postes à pourvoir. On n'accepte un sénateur que s'il
dispose de moyens suffisants car l'essentiel est d'offrir une garantie financière sur laquelle
l'Etat puisse se dédommager. Cela donne toute son importance à la remarque faite ci-
dessus (n. 115) quant aux biens des suarii : ce ne sont pas les quelques jardins ou portions
de jardins que peut posséder un boucher qu'on pourra comparer aux revenus des
sénateurs ou des hauts magistrats de l'Etat.
82 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
126 Parmi une foule d'autres exemples, CTh 13, 5, 34, 410 : Les autorités locales (judi-
ces) doivent obliger un naviculaire, qui prétexte le mauvais temps alors que la navigation
est possible, à partir sous peine de poursuites. Il pourra être déporté : navicularii praetera
poenam deportationis excipiant si aliquid fraudis eos admisisse fuerit revelaîum, si on
découvre qu'il transporte un produit en fraudé. Jamais un honoratus n'aurait pu être
passible d'une peine pareille.
127 J. Rougé, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée
sous l'empire romain, Paris, 1966, p. 248.
128 C'est l'interprétation de J. Godefroy et de Ch. Saumagne, op. cit., p. 166 où on
trouvera la présentation des hypothèses les plus surprenantes, proposées par divers
historiens. Cependant Ch. Saumagne ne distingue pas suffisamment entre les assiettes
fiscales sur lesquelles les possessores se contentaient de lever l'impôt sans disposer d'aucun
droit de propriété, et les biens patrimoniaux qui ne sont soumis à cette charge que dans
les limites de l'impôt qu'ils doivent. On donne aux nouveaux naviculaires le produit de 50
juga (uniquement ce qu'ils doivent pour l'annone, et non pour les autres impôts) pour
qu'ils assurent la construction des bateaux nécessaires avec le bois qui leur sera fourni
par l'Etat, qu'ils entretiennent ces navires et organisent le transport chaque année de
10 000 muids de blé : on choisira des naviculaires excusandis videlicet pro denum milium
modiorum luitione quinquagenis numero jugis in annonaria praestatione dumtaxat, ita ut
vestes adque equi ceteraeque canonicae species ab indictione eadem non negentur. Ad
conficienda vero competentia navigia a provincialibus cunctis primitus materiae postulen-
tur, reparationem deinceps per singulos annos isdem naviculariis ex concessa jugorum
inmunitate curaturis {CTh 13, 5, 14). Des calculs, qu'il serait trop long de justifier ici,
permettraient de montrer que 50 juga valent sans doute 500 aroures, en Egypte, soit
environ 125 ha, et qu'ils versaient près de 1 875 muids de blé pour l'annone (1,25 artabe, soit
3,75 muids par aroure, si le taux d'imposition était le même qu'au VIe siècle; cf. ci-
dessous, p. 235). D'autre part, on sait que les frais de transport d'Alexandrie à
Constantinople représentaient 10% de la valeur du produit, pour le blé (ci-dessous, p. 258), c'est-
à-dire 1 000 muids pour 10 000. La différence entre le tarif normal et celui qui est
appliqué ici n'a rien de surprenant car si elle n'avait pas existé, on n'aurait pas éprouvé le
besoin de préciser. D'autre part, elle est sans doute provisoire et parfaitement justifiée
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 83
cription plus vaste que leur propre domaine et, en vertu du principe
constant à l'époque129, affectent directement cet argent à une charge
publique, conformément aux ordres de l'administration. La flotte anno-
naire est une flotte publique puisqu'elle est payée et entretenue par
l'Etat, mais le financement et la gestion comptable sont à la charge des
naviculaires - possessores, tandis que le pilotage revient aux naviculai-
res - capitaines qui commandent les bateaux à leurs risques et périls.
La possibilité d'être volontaire pour exercer cette charge montre que
celle-ci n'était pas épuisante et même qu'elle pouvait être rentable :
toute la législation sur les contraintes imposées aux naviculaires devrait
être relue à la lumière de ce texte essentiel; elle vise sans doute ceux
des naviculaires qui remplissaient mal leur devoir et essayaient
d'abuser de la situation mais ne prouve vraisemblablement pas que la
condition de naviculaire était insupportable.
Faut-il maintenir l'existence d'une troisième catégorie de
naviculaires, les naviculaires-armateurs, propriétaires de bateaux de commerce
avec lesquels ils feraient à la fois du commerce libre et des transports
annonaires? Aucun texte n'en parle. Une loi du Code Théodosien
permet même d'en douter. Quand il est ordonné que les biens, c'est-à-dire
les biens fonciers (fundi) ou les habitations (domos) qui servent de
caution pour l'exécution de la fonction de naviculaire (functio navicularia),
soient restitués au naviculaire propriétaire même s'ils lui ont été ôtés
par le fisc, ou par la cité, ou s'ils ont été donnés par le naviculaire ou
s'ils ont été transférés pour toute autre raison, on voit bien qu'il n'est
jamais question de bateaux. Les naviculaires n'ont pas de bateaux
parmi les biens qui constituent leur fortune; ils sont considérés par le
législateur non en tant qu'armateurs mais en tant que propriétaires
fonciers130. La functio navicularia est un munus attaché à des terres qui
servent de caution à sa bonne exécution; c'est un travail d'honorati,
par le fait que la construction d'un coup de toute une flotte représente un investissement
très lourd non immédiatement productif, alors que, par la suite, on devra seulement
entretenir les bateaux et remplacer ceux qui seront perdus en mer ou condamnés par
leur usure.
129 Pour la définition du possessor, tel que l'entend l'administration, voir ci-dessus,
p. 72, n. 98. Voir aussi, index, s. v., pour d'autres emplois de ce terme.
130 CTh 13, 6, 6, 372 : Fundi omnes ad naviculariorum dominium pertinentium et ad
aliorum jura translaturi fisco vel re publica vel naviculario vel quolibet alio distrahente sive
donante vel ad filios vel propinquos vel extraneos transferente, etsi ad navicularios translati
sint, reddantur dominis.
84 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
131 Augustin, Sermon 355, 5, éd. dans PL 39, col. 1572.Voir F. Martroye, Saint
Augustin et le droit d'héritage des églises, Mémoires des Antiquaires de France, 68, 1908, p. 126-
128 ; J. Rougé, op. cit., p. 246, dont je reproduis la traduction : «Je n'ai pas voulu recueillir
l'héritage de Boniface, non par miséricorde mais par crainte. Je n'ai pas voulu que
l'Eglise du Christ soit naviculaire. Certes, nombreux sont ceux qui s'enrichissent grâce aux
navires (on ne saurait être plus clair: la fonction de naviculaire rapporte et Augustin
hésite à la refuser parce qu'il prive ainsi son église de revenus). Cependant il y avait un
risque : Si le navire allait en mer et faisait naufrage? Nous aurions dû alors livrer à la
torture des hommes, suivant l'usage de l'enquête au sujet de la submersion d'un navire.
Et ceux qui viendraient à être libérés des flots seraient torturés par le juge? Mais nous ne
les livrerons pas. Aucune loi certes ne peut obliger l'Eglise. Mais il faudrait rembourser la
cargaison fiscale, et où trouver l'argent? Il ne nous est pas permis de posséder des
réserves car il n'appartient pas à l'évêque de conserver de l'or et de repousser la main de celui
qui supplie ». J. Rougé (p. 247) voit dans ce texte la preuve des liens qui unissaient le
naviculaire au navire. C'est évident. Mais (p. 248) il y voit un exemple de ce qu'est le
naviculaire - possessor qui doit être «capable de construire ou d'entretenir des navires d'un
certain tonnage, de rembourser, dans certains cas, l'Etat du prix de la cargaison à lui
confiée ». Le lien qui unit ce type de naviculaire au bateau implique seulement la
responsabilité financière du bateau et de la cargaison.
132 D 50, 6, 6 § 3 : Negotiatores qui annonam urbis adjuvant, item navicularii qui anno-
nae urbis serviunt ... La différence est très nette entre les armateurs propriétaires de
bateaux qui «aident l'annone» et les naviculaires qui «sont à son service». Ils ne sont pas
mis sur le même plan car les seconds, qui utilisent des bateaux de l'Etat, en sont
responsables devant lui et sont donc plus directement et plus fermement contrôlés par
l'administration. L'existence de negotiatores frumentarii ne prouve pas nécessairement qu'il
existait des commerçants spécialisés dans le transport du blé acheté sur le marché à
grande distance puisque le Digeste (50, 5, 9) les dispense de munera dans leur cité car ils
servent la ville de Rome. Même s'ils travaillent pour leur compte une partie de l'année, ils
L'ANNONE ROMAINE DAURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 85
ne sont dit negotiatores frumentarii que dans la mesure où ils transportent du blé public.
Voir aussi, ci-dessous, p. 212. Pendant toute notre période, les negotiatores apparaissent
comme les agents normaux des transports publics, en dehors de l'annone des capitales,
mais ils ne sont jamais désignés comme les transporteurs d'un seul produit. On passe,
avec un propriétaire de bateau qui peut effectuer n'importe quel commerce, un contrat
pour l'acheminement de marchandises publiques qui représentent des quantités telles
que, à ce moment, le negotiator n'a qu'un produit dans son bateau. Il faudrait peut-être
revoir la condition des negotiatores frumentarii ou autres pendant le Haut-Empire, pour
aboutir à une vision claire du problème.
133 L'existence de ces chantiers est impliquée au moins par CTh 13, 5, 14, où l'on voit
les naviculaires chargés de payer non seulement l'entretien des bateaux mais aussi leur
construction avec les matériaux qu'on leur fournira (cf. n. 128). On voit mal des
propriétaires terriens faire équiper des chantiers navals.
86 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
134 Sur ces greniers, G. Rickman, Roman granaries and store buildings, Cambridge,
1971, p. 123-160.
135 H. Pavis d'Escurac, op. cit., p. 134-145.
136 Le premier tiers de l'annone doit être expédié dès l'ouverture de la mer (CTh 13,
5, 27, 397). Le dernier envoi doit être antérieur à la fermeture de la mer : CTh 13, 5, 14,
371, où il est affirmé sans discussion possible que l'on construit des bateaux spécialisés
dans le service de l'annone ; il serait surprenant qu'on pût se contenter de les utiliser une
fois tous les deux ans, comme on l'a supposé, par suite d'une mauvaise interprétation de
CTh 13, 5, 26, 396 (voir aussi CTh 13, 5, 21, 392) commenté en dernier lieu par J. Rougé,
op. cit., p. 247. Cette loi dit explicitement le contraire. Constantin n'exigeait pas un
transport tous les deux ans, mais autorisait à ne rapporter les reçus donnant droit au
paiement des indemnités dues pour le transport que concluso biennio, au bout de deux ans,
dans le sens précis de «avant la fin du deuxième exercice budgétaire», comme la loi
l'indique peu après : intra annum quo susceperint inférant species et ejusdem consults securi-
tates reportent quae etiam diem inlationL· edoceant, qu'ils livrent les denrées l'année
même où on les leur a confiées et rapportent le reçu du même consul, qui porte aussi le
jour de la livraison. En clair, on doit normalement faire le trajet jusqu'à Rome pendant
un même consulat, et aussi rapporter le reçu dans son port d'attache, sous ce même
consul. Cela ne veut évidemment pas dire dans les deux ans qui suivent la réception des
denrées, ni même dans les 365 jours qui suivent, mais avant la fin de l'exercice daté par
ce consul, c'est-à-dire, pour les marins, entre l'ouverture et la fermeture de la mer. Cette
disposition s'explique très facilement par le désir d'arrêter les comptes d'un exercice au
31 décembre, de l'année. La loi précise bien que la possibilité d'attendre l'année suivante
ne vaut que pour les naviculaires surpris par le mauvais temps. Comme ces naviculaires
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 87
sont des naviculaires navigants, et qu'ils sont originaires non de Rome, mais d'Egypte ou
d'Afrique, il va de soi qu'ils feront spontanément tout pour rentrer avant l'hiver, sauf s'ils
perdent volontairement du temps pour détourner le bateau public de sa fin propre en
faisant du commerce illégal.
137 CTh 13, 5, 24, 395.
138 L'obligation de transporter le tiers de l'annone dès l'ouverture de la mer donne
l'impression que tous les bateaux annonaires faisaient normalement trois voyages par an ;
on pouvait en outre les contraindre exceptionnellement à circuler en hiver (CTh 13, 9, 3,
380). Ce fait est illustré par une lettre de Paulin de Noie (Ep. 49, éd. dans PL 61, col.
399-408) où l'on voit un naviculaire - possessor qui part à la recherche de son bateau
naufragé.
139 CTh 13, 5, 24, 395 : L'exemption de toute taxe quand le naviculaire transporte des
produits pour lui (cum sibi rem gerere probantur) me semble devoir être pris dans le sens
restrictif de : quand ils transportent des produits pour leur propre usage et non pour leur
commerce personnel. Mais on ne peut rien affirmer d'après ce seul document.
140 C'est ce que l'on constate à Constantinople, et rien ne permet de supposer qu'il en
allait différemment à Rome. Voir ci-dessous, p. 222.
141 CTh 13, 5, 24, 395 : Les naviculaires sont exemptés de toutes les taxes sur le
commerce; donc ils n'en font pas. CTh 13, 5, 26, 396 : ceux qui prennent des marchandises et
les vendent risquent de se retarder et abusent de la possibilité qui leur est laissée par une
décision de Constantin de ne rapporter les reçus dans leur port d'attache que l'année
suivante (cf. n. 136). Ils n'ont donc pas à faire de commerce. CTh 13, 5, 23, 393 : C'est la
loi la plus nette. Les naviculaires sont dispensés de toutes les taxes. Les mercatores y sont
tous soumis. Donc les naviculaires ne sont pas des commerçants.
88 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
142 Sur ces opérations, A. Chastagnol, La préfecture . . ., p. 306-316. Sur les gradus où
s'effectuaient les distributions, voir ci-dessous, p. 247. Sur la question des tessères qui
étaient sans aucun doute doubles, avec un acte écrit indiquant le nom du bénéficiaire et
tous les renseignements utiles pour le retrouver dans les registres de l'annone, et des
jetons échangés sur les gradus contre le blé puis le pain, voir C. Nicolet= op. cit., p. 695-
716. On ignore les conséquences, de ce point de vue du passage du blé distribué chaque
mois au pain distribué plus souvent. On doit supposer que, au lieu de recevoir une tessere
de plomb par mois, le bénéficiaire en recevait autant qu'il y avait de distributions.
D'autre part la liste des ayants droit était gravée sur chaque gradin, ce qui éliminait
pratiquement toute possibilité de fraude (ci-dessus, p. 33).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 89
143 Sur l'identité des prix dans tout l'Empire, voir ci-dessous, p. 497-512. Le fait que
les naviculaires sont des salariés est au moins sous-entendu dans le fait qu'ils doivent
ramener les reçus attestant l'accomplissement de leur mission jusque dans leur port
d'attache, où ils seront payés (cf. n. 136). Les hésitations de saint Augustin montrent bien que
l'affaire était profitable. En outre rien ne dit que ces prescriptions légales étaient suivies
à la lettre, et même tout donne à penser que les naviculaires profitaient de toutes les
occasions pour arrondir leur salaire par des opérations privées plus ou moins licites, du
transport d'une lettre ou d'un étudiant partant faire ses études à Rome jusqu'à des
marchandises dissimulées dans la cargaison publique. Mais faute de sources, nous pouvons
seulement dire le droit et montrer que les naviculaires n'étaient pas des malheureux, sans
aller plus avant dans le détail des pratiques.
90 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
II - ÉVOLUTION QUANTITATIVE
144 Le Sénat est réduit au rang de conseil municipal de la ville de Rome, mais il use
de son prestige, assis sur une fortune foncière considérable et sur des relations avec les
plus hauts personnages de tout l'Empire et de la cour, ainsi que du poids démographique
de sa ville pour exercer de vigoureuses pressions sur le pouvoir; cf. A. Chastagnol, La
préfecture . . ., index, s. v. Sénat, pour les conflits entre l'empereur et cette assemblée.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 91
145 CTh 14, 4, 10, 419 : L'interprétation de ce texte a été élaborée par A. Chastagnol,
Le ravitaillement de Rome en viande au Ve siècle, Revue Historique, 210, 1953, p. 13-22; S.
Mazzarino, Aspetti sociali del quarto secolo. Ricerche di storia tardoromana, Rome, 1951,
(Problemi e ricerche di storta antica, 1), p. 228-230; A. Chastagnol, La préfecture urbaine à
Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960 (Publications de la faculté des lettres d'Alger, 34),
p. 329. La loi traite des suarii avant qu'apparaisse la phrase : Per quinque autem menses
quinas in obsoniis libras carnis possessor accipiat, ne per minutiös exigui ponderis amplius
fraus occulta decerpat. Il revient ensuite aux suarii, en indiquant en particulier le tarif
à'adaeratio qu'ils doivent appliquer aux possessores, pro larido. Enfin la dernière phrase
déclare : Quattuor milia sane obsoniorum, amputatis superfluis ac domus nostrae percep-
tionibus, diurna sublimitas tua décernât, quibus copiis populus animetur. Les deux
phrases qui traitent des rations (obsonia) me semblent avoir été séparées par une étourderie
d'un scribe qui aura recopié la première avant la fin de ce qui se rapportait aux suarii.
C'est sans doute pour qu'elle garde l'apparence d'un sens au milieu d'un passage relatif
aux suarii en général et aux rapports entre suarii et possessores en particulier qu'il a
corrigé populus en possessor, imaginant que le possessor à qui on applique un certain tarif
à'adaeratio reçoit en outre 5 livres par mois. La correction de possessor en populus est
d'autant plus justifiée que ce terme apparaît dans la seconde phrase, celle qui traite du
nombre de rations après celle qui donne le montant de chaque ration. Il est clair que la
ration est de 5 livres par mois et non de 5 livres en 5 mois, soit 1 livre par mois, comme
le supposait G. Mickwitz, Geld und Wirtschaft im römischen Reich des vierten
Jahrhunderts n. Ch., Helsingfors, 1932 (Societas scientiarum fennica, commentationes humanarum
litterarum, 4, 2), p. 96. Outre que le texte est ici suffisamment explicite pour qu'on rejette
cette dernière interprétation, celle-ci est inconciliable avec ce que nous savons du prix
des rations : la livre devrait valoir 5 fois son prix ou les rations être 5 fois plus
nombreuses (1 000 000 de bénéficiaires!). A. Chastagnol, Le ravitaillement . . ., p. 18, estime que
des rations aussi faibles supposent l'existence d'un marché libre de la viande. 25 livres
par incisus pour 200 000 incisi représentaient en effet 5 000 000 de livres pour une
population totale de 800 000 personnes environ, au IVe siècle, soit 6, 25 livres ou 2 kg par
personne ou par an. Si l'on compte la grosse masse des petits enfants qui ne pouvaient en
consommer, et si l'on se souvient que cette distribution n'avait lieu que pendant 5 mois, il
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 93
n'est pas sûr que les plus pauvres aient acheté pendant cette période autre chose que des
œufs et quelques poulets, à moins qu'ils les aient produits eux-mêmes. Donc le marché
libre fonctionnait mais nous ne pouvons nous faire une idée de son importance.
L'expression pro larido conduit A. Chastagnol à supposer que les possessores livraient parfois du
lard (La préfecture . . ., p. 329). Quand on connaît le prix du lard et l'ambiguïté du terme
laridum (cf. ci-dessous, p. 503-504) on doit considérer soit que ces versements étaient
extrêmement rares - l'essentiel étant livré sous forme de «viande» -, soit que laridum
signifie «viande». Il faudrait, pour trancher, connaître la valeur du denier puisque la
livre de laridum vaut ici 50 deniers.
146 Superfluus a souvent, dans les textes juridiques, le sens de «supplémentaire», ou
« en excédent ». Il est ici synonyme de superveniens « qui vient en supplément », appliqué
en particulier aux militaires de passage dont l'entretien n'était pas inscrit au budget
ordinaire (D 50, 4, 3, § 13). Ce sont donc des parts pour des agents de l'Etat passant par
Rome.
147 Sur ces termes, voir ci-dessus, p. 51-53.
148 On ignore cependant ce qu'on appelait «viande» et la manière dont on répartissait
bons et bas morceaux entre les ayants droit. On n'en est que plus libre pour imaginer les
palabres et disputes interminables qui devaient parfois naître entre un suarius et un ci vis
qui s'estimait mal servi.
94 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
149 CTh 14, 4, 4, 367 : Per singulas et semis décimas, quibus suariorum dispendia sar-
ciuntur, damnum, quod inter susceptionem et erogationem necessario evenit, vini, hoc est
septem et decem milium amphorarum percepitone relevetur. Cui rei Mud provisionis
accédât, ut Lucanus possessor et Bruttius, quos longae subvectionis damna quatiebant, possit, si
velit, speciem moderata, hoc est septuagenarum librarum, compensatione dissolvere, quod
ibi debebit inferre, ubi vina fuerat traditurus.
150 Moderatus, appliqué à un prix à l'occasion d'un marché public signifie, comme
certus, legitimus et quelques autres adjectifs, «conforme aux tarifs publics d'adaeratio-
coemptioi). «Là où il aurait dû porter le vin» signifie non qu'on doit le porter jusqu'aux
caisses de Varca vinaria à Rome, mais là où, dans la province, on aurait dû porter le vin,
c'est-à-dire aux représentants locaux de Varca vinaria. En effet on ne voit pas l'avantage
qu'il y aurait à conduire 70 livres (22,5 kg) de viande jusqu'à la capitale plutôt qu'une
amphore (25 1) de vin. En outre on comprend mal pourquoi le vin donné aux curies irait
à Rome pour en revenir. Enfin les suarii ont davantage besoin de vin dans la province,
pour payer les transporteurs, que dans la capitale.
L'ANNONE ROMAINE DAURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 95
les 70 livres sont des livres de viande, puisqu'elles sont versées par les
contribuables devant de la viande aux suarii. Comme la viande
substituée au vin est versée là où on aurait dû porter le vin - dans la province
où l'on est contribuable et non à Rome -, il faut comprendre que 70
livres de viande valent 1 amphore de vin, au prix pratiqué dans la
province où s'effectue la perception, sans tenir compte des frais de
transport jusque dans la capitale. Le passage d'un prix de conversion fondé
sur le prix pratiqué sur le marché à un prix constant suggère que le
second ne devait guère différer du premier, comme nous aurons
l'occasion de le montrer151. Enfin, ce que nous savons par ailleurs des prix
respectifs de la viande et du vin confirme que cette équivalence
correspond à la réalité économique de l'époque, en Italie comme ailleurs, et
très certainement à Rome aussi, car on voit mal comment les prix
auraient brusquement varié de manière inexplicable entre la province
où les denrées étaient perçues et la capitale où elles étaient acheminées
aux frais de l'Etat152. En effet il ne fait aucun doute que, si l'Etat donne
15% de commission aux suarii, c'est pour que le consommateur romain
151 CTh 14, 4, 2, 324 : prix fixé chaque année par le gouverneur de la province, avant
que les suarii viennent effectuer la perception, ; 14, 4, 3, 362 : prix de 6 folles en
Campanie, qui semble sous-entendre des prix différents ailleurs, mais pas nécessairement des
prix fortement différents, d'autant plus que d'autres lois portant le même prix ont pu
être adressées aux autres provinces; 14, 4, 4: prix fixe et identique pour toute l'Italie;
cette nouveauté n'est ni soulignée ni justifiée, preuve qu'elle ne changeait pas grand
chose. Nous verrons que les prix publics étaient identiques pendant de longues périodes, sur
toute l'étendue de l'Empire, du IVe au VIIe siècle, au moins en Italie et en Orient; 14, 4, 5,
419 : Le laridum est estimé par l'Etat à 50 deniers la livre, sans précision de temps ou de
lieu ; c'est donc un prix valable partout ; NVal 36, 452 : même remarque (sur ce texte,
ci-dessous, p. 98-107).
152 CTh 14, 4, 4 dit formellement que les prix sont les mêmes dans les provinces et à
Rome, puisque l'Etat prend à son compte les frais de transport, évalués ici à environ 15%
du prix de la viande ; c'est une évaluation moyenne qui suffit pour que les suarii couvrent
l'ensemble de leurs frais. Dans le cas du commerce privé de la viande, le prix d'achat
moyen dans les provinces était donc inférieur d'environ 15% au prix moyen de vente
(dans le cas du vin nous savons qu'il était inférieur de 25%; ci-dessus, p. 50). Comme nous
verrons (ci-dessous, p. 497-512) que les prix étaient identiques à la ville et à la campagne
dans tout l'Empire, il faut que le commerce privé ait été extrêmement limité, sauf pour
quelques grands centres, comme Rome ou Constantinople, où la demande était telle
qu'un commerce privé à grande distance existait et provoquait une hausse très ponctuelle
des prix. Cependant, même là, les prix moyens étaient relativement constants puisque
l'Etat fournissait de grosses quantités soit gratuitement, ce qui compensait le supplément
du marché libre, soit à prix public, c'est-à-dire en prenant en charge les frais de
transport.
96 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
153 CIL 6, 1 771 : Commme les suarii et les curies (ordines) supportent de gros frais
pour la perception de la viande de porc (suariam), le préfet de la Ville décide qu'ils
recevront 25 000 amphores sur les revenus de l'arca vinaria (ex titulo canonico vinario), à se
partager de la manière suivante : sub ea divisione ut duae partes suariis tenia vero ordini-
bus proficiat qui suariam recognoscunt
154 Voir p. 74-90, pour l'organisation et le rôle des corporations de suarii ou de navi-
culaires, et pour le rôle des curies dans la perception et l'acheminement de l'annone.
155 S. Mazzarino, op. cit., p. 230-231.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 97
156 D'où le refus de A. Chastagnol (La préfecture . . ., p. 328) de considérer que les
17 000 amphores représentaient les 15% accordés aux suarii: ils recevraient 15% de la
valeur de la viande et 17 000 amphores.
157 Hoc est (CTh 14, 4, 4) dit explicitement que les 15% seront payés sous forme de
17 000 amphores.
158 CTh 14, 4, 4 : Pondus porcorum trutinae examine, non oculorum liberiate quaera-
tur. Même disposition, peu de temps avant, pour les transactions sur les moutons vivants,
entre particuliers (CIL 6, 1 770). Les années 360 semblent avoir vu se généraliser l'usage
de la balance pour les échanges de bêtes vivantes. Est-ce dû à l'invention de balances
suf fisament solides pour peser une bête ? Le plus intéressant pour nous se trouve dans le
fait qu'on estimait des bêtes vivantes, comme le précise indubitablement la phrase
suivante : l'animal devra être apporté la veille par le possessor, pour être pesé à jeun, lorsque
la digestion est terminée. La «viande» qui se traite dans les provinces, chez les possessores
chargés de la collecter, est de la viande sur pied.
98 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
159 Pour les prix, voir ci-dessous, p. 497-512. Pour le prix au Ve siècle, voir p. 103-104.
Comme on le verra, en étudiant NVal 36, les suarii reçoivent, pour 1 sou, 15% de plus,
sous forme de vin. Ils couvrent ainsi leurs frais de transport. La fin de la loi CTh 14, 4, 4
montre que les 15% supplémentaires ne sont pas versés par les possessores qui livrent la
viande. En effet ceux qui choisissent de verser la valeur en monnaie de la viande n'auront
pas à payer ce supplément (porro decimae semis, quant statuimus, non petantur ab his, a
quibus fuerit pecunia ministrando). Ils ne donneront que les 100% du prix, c'est-à-dire,
pour eux, à la fois le prix public et le prix moyen dans la cité, et, pour le suarius, à la fois
le prix public et le prix des distributions à Rome. Avec cet argent, le suarius achètera
donc la viande due et en paiera le transport avec une partie des 17 000 amphores de vin.
Cette indication prouve que les possessores chargés de verser le vin ne sont pas ceux qui
donnent la viande car, dans le cas contraire, le possessor qui demande l'adaeratio pour la
viande, devrait payer 15% de supplément d'une manière ou d'une autre, en vin ou en
monnaie. Cela confirme que la conmission est payée par une autre caisse, Varca vinaria,
et que, dans les cités, les curiales se répartissaient les tâches en pratiquant une sorte de
spécialisation.
160 CIL 6, 1 770, pour la définition des morceaux qui reviennent à celui qui abat un
mouton. Des règlements de même nature existaient sans aucun doute pour le porc. Pour
une histoire des animaux domestiques, nous apprenons ici que les porcs donnaient
environ 60% de viande, comme aux époques postérieures (renseignement aimablement
communiqué par M. Raymond Delatouche). Les porcs italiens de la fin de l'Antiquité ne
différaient peut-être pas beaucoup de leurs descendants du moyen âge.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 99
161 Notons seulement (NVal 36) que les suarii distribuaient peut-être dès le IVe siècle
de petits compléments, comme les 100 000 livres prélevées au Ve siècle sur les profits que
leur laissent les commissions accordées par l'Etat. Ces compléments pouvaient permettre
d'accroître légèrement le nombre des bénéficiaires, ou servaient seulement à compenser
les pertes pendant le traitement de la viande, à Rome.
162 NVal 36.
163 Sur cette pratique généralisée de Yadaeratio-coemptio par la comptabilité publique
de l'Empire romano-byzantin, qui éclaire d'un jour nouveau le vieux problème de
l'économie naturelle et de l'économie monétaire, voir J. Durliat, Stato e moneta, Bari, Corsi di
studi, 4, 1986 p. 192-200.
100 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
164 Cf. ci-dessous, p. 497-512, pour l'étude des prix. Les différences, lorsqu'elles
existent, entre divers prix publics, ou entre prix à'adaeratio et prix de coemptio, tiennent à la
manière particulière de prendre en compte les émoluments, commissions et autres
retenues accordées par l'Etat à ceux qui exécutent une opération en son nom; par exemple,
ci-dessous, la viande vaut 200 livres au sou, mais on en fait verser 240 aux suarii pour
compenser les pertes durant le transport des provinces jusqu'à Rome.
165 Centum milia aequi ponderis porcinae de interpretiis juxta priora constituta prae-
beant : II s'agit donc d'une convention ancienne passée entre l'Etat et les suarii,
correspondant peut-être au fait que le changement dans les régions pourvoyeuses diminue le
coût global du transport par livre si, comme on le voit dans le cas de la Sardaigne, ce
sont les provinces les plus difficiles d'accès qui sont dispensées avant les autres.
166 Quoniam certa emolumenta amota solita dubitatione percipiunt : On ignore leur
montant, mais tout porte à croire qu'ils n'ont pas varié, l'Etat préférant à une
modification des tarifs, une reversion de ce qu'on considérait comme un trop perçu, compte tenu
des conditions nouvelles (cf. n. précédente).
167 Quae quantitas in tricies sexies centenis viginti novem milibus libris cum duarum
decimarum colligitur : La quantité de 3 629 000 livres sera rassemblée, compte tenu des
20%. 15% de commissions pour le transport et 20% du reste pour le travail des bouchers
représentent un abattement de 32% au total (cf. ci-dessus, p. 55).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 101
168 Cette imposition de 950 sous prouve que ces corporations effectuaient un
commerce indépendant de la viande de bœuf et de mouton puisque les transports publics
sont exempts de taxes. La viande nette de ces deux bêtes se vendait environ 8 deniers à
l'époque de Dioclétien, soit quelque 200 livres pour 1 sou (sur le rapport entre le denier et
le sou, cf. ci-dessous, p. 497-501). L'impôt seul représente 950 χ 200 = 190 000 livres ou 61
tonnes de viande. Pour passer de l'impôt aux quantités commercialisées, il faudrait
connaître le taux d'imposition et la part de la taxe qui est ici reversée. Pour donner un
ordre de grandeur, notons que, pour un impôt de 5%, on obtient 1 220 t., et pour un
impôt de 10%, 610 t. C'est du même ordre de grandeur que ce que fournit alors l'annone
à titre gratuit, pour la viande de porc (un peu plus de 600 t. pour 2 000 000 de livres
environ). Le commerce indépendant du mouton est attesté par CIL 6, 1 770. Sur les
fournitures publiques qui seraient assurées par les boarii, ci-dessous, p. 105. Une partie des
bœufs venait du Bruttium.
102 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
d'après les papyrus d'Egypte169 mais aussi d'après ce que nous avons
déjà constaté.
L'existence des commissions, appelées émoluments dans le texte
{certa emolumento) ne fait aucun doute. Par contre on peut hésiter sur
leur taux. Le premier mouvement conduit à penser que les 20% dont il
est question à la fin de cette longue phrase {cum duarum decimarum
ratione) représentent le taux des emolumenta 17°. Ce serait la seule
interprétation possible si l'indication du taux suivait directement le rappel
des émoluments. Le mouvement de la phrase suggère au contraire que
ces 20% sont autre chose car le texte donne d'abord le prix officiel de la
perception, puis le montant de la viande ainsi obtenue, enfin le taux
d'un prélèvement de 20% qui paraît donc indépendant du prix de
perception. En outre au IVe siècle, les émoluments ne représentaient que
15% du prix de la viande. L'abattement de 20% représente donc, pour
moi, la valeur de ce qui sera déduit des 3 690 000 livres au titre du
cinquième quartier, estimé par l'Etat au 1/5 en valeur de la viande
livrée (37,5% en poids, pour le sang, les abats, la peau . . .)171. Il faudra
donc diminuer la quantité de viande livrée sur pied de 37,5% pour
obtenir la quantité de viande effectivement distribuée aux ayants droit de
Rome.
La collecte effectuée par les svarii avec les ressources qui leur sont
affectées rapporte 3 628 000 livres. En effet 6 400 + 5 400 + 1 950 +
950 =14 700 sous correspondent, à 240 livres pour 1 sou, à 3 528 000
169 S. Mazzarino, op. cit., p. 169-216, repris par L. Ruggini, Economia e società
neu'« Italia annonaria». Rapporti fra agricoltura e commercio dal IV al VI secolo d. C,
Milan, 1961, p. 232-238. Ces deux auteurs pensent, à tort, faute d'avoir conduit une étude
systématique des prix publics et privés, et faute de savoir que prix d'adaeratio, prix de
coemptio et prix du marché sont très proches les uns des autres (cf. ci-dessous, p. 497-
512), que Yinterpretium provient de la différence entre le prix du marché et le prix
auquel l'Etat exige la fourniture. Or nous avons vu que les suarii reçoivent des possessores
l'essentiel de la viande à un prix défini province par province, puis pour toute l'Italie. Ils
ne peuvent jouer sur la différence entre un prix du marché et un prix public puisque le
prix public est celui du marché, bloqué par le gouverneur. L'interpretium correspond aux
émoluments qui leur sont concédés, sauf dans le cas, limité comme nous l'avons vu, où le
possessor demande l'adaeratio de ce qu'il doit et où le suarius achète la viande due avec
l'argent qu'il reçoit. Dans ce cas, les émoluments sont payés d'une autre manière; ils
l'étaient en vin au IVe siècle.
170 C'est ainsi que S. Mazzarino, op. cit., p. 226, comprend le texte.
171 Sur le fait que le cinquième quartier représente 37,5% du poids du porc, voir ci-
dessus, p. 98.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 103
172 Cette erreur est une simple erreur de copie. Cf. S. Mazzarino, op. cit., p. 223.
173 En comprenant le texte de la loi comme je le fais, on conserve aux émoluments
touchés par les suarii leur valeur du IVe siècle, on explique la restitution des 100 000
livres, tout en retrouvant le prix public de la viande sur pied, 200 livres pour 1 sou. Le
système utilisé par la comptabilité publique paraîtra compliqué. Il permet en fait de
compter la viande pour un nombre constant de sous, du possessor au bénéficiaire, par
réduction progressive de la quantité de viande livrée pour un même sou. Par contre les
paysans n'ont pas donné 240 livres pour 1 sou, puisque le prix public est de 200 livres.
Pour le Trésor la dépense initiale était donc de 1 sou pour 200 livres. L'annone prenait en
compte la viande ainsi perçue à 1 sou pour 240 livres et la faisait distribuer à 1 sou pour
200 livres. Une seule conversion de la somme calculée en sous permettait de tout
comptabiliser du producteur-contribuable au consommateur bénéficiaire. Cette conversion se
faisait chez le possessor. Elle peut se décrire approximativement de la manière suivante
(cf. J. Durliat, op. cit., passim pour un premier essai sur les méthodes de la comptabilité
publique à cette époque). Recevant, par exemple, 288 livres de porc (y compris 48 livres
pour ses frais de perception), le possessor remettait au paysan un reçu pour 1, 44 sou,
inscrivait 1, 44 - 0, 24 = 1, 2 sou dans le compte de tiers du paysan et 1, 2 sou dans le
compte de ses recettes (celles dont il est redevable à l'Etat et qui n'ont pas à comporter la
commission qui lui revient pour payer son travail). Reversant 240 livres aux suarii, il se
faisait remettre un reçu pour 1 sou (puisque pour 240 livres perçues les suarii n'en
doivent que 200, soit la valeur d'1 sou), inscrivait sur leur compte de tiers 1 sou mais portait
dans le registre de ses dépenses 1, 2 sou. Les suarii obtenaient 240 livres de viande sur
pied et livraient 125 livres de viande aux Romains. L'Etat inscrivait seulement dans son
budget de l'annone 1 sou (prix de 125 livres de viande nette) et demandait 1 sou aussi
bien au contribuable qu'au possessor et au suarius, chacun donnant au sou la valeur en
nature prévue par le tarif public constant. Seul le budget général devait inscrire au poste
104 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
au taux de 200 livres / sou. Cela ne fait plus (14 700 χ 240) + 100 000
mais (14 700 χ 200) + 100 000 = 3 040 000 livres. Il faut en déduire le
cinquième quartier, soit 37, 5%. Restent (3 040 000 χ 62, 5%) + 100 000
= 2 000 000 livres exactement. Par rapport au IVe siècle la diminution
est de 60%, et elle est de 1/3 par rapport à 419, comme nous le verrons.
On peut servir, avec cette quantité 2 000 000 : 25 = 80 000 rations.
A cette époque, Rome dispose encore pour son ravitaillement de
toute l'Italie, de la Sicile, d'une partie de la Gaule, de la Sardaigne, et,
en Afrique, des Maurétanies, d'une partie de la Numidie et de la Tripo-
litaine 174.
Une lettre de Cassiodore, datant de la fin du royaume ostrogothi-
que, lorsque Rome ne peut guère compter que sur les ressources de
l'Italie, éventuellement complétées par quelques envois de la Gaule du
Sud ou d'Espagne, suggère plus qu'elle ne montre directement ce
qu'était devenue l'ancienne maîtresse du monde méditerranéen. Ce
document est adressé au cancellarius de Lucanie et du Bruttium,
vraisemblablement le représentant dans ces deux provinces du préfet du
prétoire qui ne s'occupe peut-être que de l'approvisionnement de Rome en
viande, mais qui peut tout aussi bien avoir diverses autres
responsabilités 17S. Le début est un rappel historique particulièrement important par
la qualité de son auteur, à la fois historien de valeur et spécialiste des
questions d'administration romaine, puisqu'il était préfet du prétoire. Il
est évident, dit-il, que la population fut si nombreuse dans la cité
romaine qu'elle était rassasiée par des ressources assises sur des
régions éloignées, car les régions limitrophes pourvoyaient à la
nourriture des étrangers {peregrini) tandis qu'elle se réservait la richesse
importée. La maîtresse du monde ne pouvait qu'être très peuplée comme
l'atteste la dimension du périmètre fortifié, les espaces consacrés aux jeux,
la taille extraordinaire des thermes et l'abondance des moulins qui sont
spécialement affectés à la nourriture. Ce matériel n'aurait aucune rai-
des dépenses pour l'annone 1, 44 sou là où l'annone ne distribuait que la valeur de 1 sou
car le paysan qui donnait 288 livres au tarif public de 200 livres pour 1 sou était libéré de
1, 44 sou d'impôt quand il remettait cette quantité. Cette esquisse théorique pourrait être
précisée à l'aide des papyrus.
174 L'intervention vandale en Méditerranée occidentale, qui aboutit à la conquête des
îles et à la coupure des relations entre Rome et ce qui appartenait encore à l'Empire en
Afrique, date de 455, l'année où Geiséric pilla Rome (Ch. Courtois, Les Vandales et
l'Afrique, Paris, 1955, p. 185-197).
175 Cassiodore, Variae, 11, 39, éd. A. J. Fridh, Turnhout, 1983, (CC 96), p. 456-458.
L'ANNONE ROMAINE DAURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 105
son d'être s'il n'avait été utilisé, puisqu'il ne peut servir à la décoration
ni avoir une autre destination. Bref, il nous renseigne sur les cités aussi
bien que les vêtements précieux sur les corps puisque personne n'irait
construire à l'excès des installation très coûteuses176. De la ville on
passe aux régions auxquelles on s'adresse. La montueuse Lucanie
fournissait des porcs et le Bruttium se distinguait par sa richesse en bœufs 177.
Il est remarquable que de telles provinces aient pu suffire à une si
grande cité qui, grâce à leurs denrées, ignora la disette178. C'était pour
elles une gloire de nourrir Rome. Mais un transport si long entraînait
des pertes qu'on pouvait difficilement prendre en compte. C'est
pourquoi on a procédé à une adaeratio des quantités dues pour que les
sommes versées aux suarii échappent aux aléas de la circulation179. Que les
provinces comprennent leur bonheur, car si les ancêtres furent
empressés à acquitter cette dépense, pourquoi les habitants ne seraient-ils
pas généreux lorsqu'il s'agit d'en verser une partie seulement? Le can-
cellarius assurera donc le versement des deux prestations au fisc, pour
qu'on ne puisse pas dire que du temps de Cassiodore, qui est très lié
aux populations de ces régions, celles-ci n'ont pas été traitées aussi bien
176 Cassiodore, qui disposait de tous les éléments pour connaître l'ancienneté des
moulins de Rome, ne les aurait pas cités comme exemple de sa grandeur passée s'ils
n'avaient été effectivement très anciens, ce qui confirme l'hypothèse que leur
construction précède de beaucoup la date de leur première mention dans les sources, et qu'elle
doit vraisemblablement être mise en rapport avec la décision de distribuer du pain aux
Romains (cf. ci-dessus, p. 43).
177 Les bœufs sont mis sur le même pied que les porcs. De même, plus bas dans le
texte, Cassiodore parle des deux prestations. Donc le Bruttium fournissait du bœuf, et il
le fournissait déjà aux temps de la grandeur de Rome, au moins depuis le IVe siècle. Or
CTh n'en souffle mot, comme toutes les autres sources relatives à l'annone. Leur silence
est pour une fois significatif: l'annone ne fournissait pas de bœuf, à titre gratuit ou
payant. Imaginer qu'elle le fit tardivement va contre le mouvement du texte {contra, A.
Chastagnol, La préfecture . . ., p. 326). Il est préférable de supposer que cette viande
publique était destinée aux fonctionnaires, militaires et autres bénéficiaires indépendants des
incisii de l'annone. Les quantités mises en œuvre devaient être moins importantes que
pour le porc, surtout depuis que Rome avait perdu l'essentiel de ses fonctions
administratives.
178 Cassiodore exagère, car Rome ne fut pas toujours à l'abri de la disette, mais il met
en évidence l'une des caractéristiques principales de l'assistance publique aux
populations urbaines : leur éviter les conséquences des variations de la production. Sur les
disettes à Rome (au IVe siècle), voir H. P. Kohns, Versorgungskrisen und Hungerrevolten im
spätantiken Rom, Bonn, 1961, passim.
179 Redactum est ad pretium : On n'utilise pas pour autant la monnaie autrement que
comme moyen d'évaluer le coût des diverses opérations.
106 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
3) Autres indications
182 Quattuor tnilia sane obsoniorum, amputatis superfluis ac domus nostrae perceptio-
nibus, diurna sublimitas tua décernât, quibus copiis populus animetur : Le préfet du
prétoire fera distribuer 4 000 rations par jour qui nourriront le peuple, à l'exception des
superflui (cf. n. 145) et des fonctionnaires. Les suarii doivent donc fournir l'annone, une
caisse qui alimente certains agents de l'Etat de passage à Rome et les caisses des
fonctionnaires. Cela ne remet pas en cause la validité des calculs effectués car, dans CTh 14,
4, 4 et NVal 36, il est formellement indiqué que les quantités exprimées servent
exclusivement à l'annone. CTh 14, 4, 4 est adressé au préfet de la Ville, qui ne s'occupe pas des
fonctionnaires et modifie CTh 14, 4, 3, promulgué ita ut populo porcinae species praebea-
tur. NVal 36 est destiné à assurer la distribution des obsonia (rations annonaires) pendant
150 jours.
183 Photius, Bibliothèque, 80, 59 b, éd. et trad. R. Henri, t. 1, Paris, 1959 (coll. Budé),
p. 175 : Le préfet de la Ville Albinus écrit à l'empereur Honorius que les quantités de blé
attribuées à la ville ne suffisent plus car (la population de) la ville s'accroît
considérablement (et non, parce que la ville retrouve la masse de sa population) : εις πλήθος ήδη xfjç
πόλεως έπιδιδούσης. Il écrivit en effet qu'en un seul jour on verse 14 000 : έφραψε γαρ εν
μι§ ήμερα τετέχθαι αριθμόν χιλιάδων δεκατεσσάρων. Le texte ne dit pas ce que représente
ce nombre de 14 000. On a supposé qu'il s'agissait de naissances, mais cette information
ne présenterait aucun intérêt car ces nouveaux habitants ne commenceraient à manger
du blé en quantité notable que 4 ou 5 ans plus tard. En outre il aurait fallu donner aussi
le nombre des morts, car seul compte le bilan démographique pour qui gère l'annone. On
108 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
a supposé aussi qu'on venait d'inscrire 14 000 nouveaux bénéficiaires, mais le texte dit
que c'est par jour. En un mois on en aurait déjà 420 000! Résumé de ces hypothèses dans
A. Chastagnol, op. cit., p. 292.
184 J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l'empire romain
tardif, MEFR, 87, 1975, p. 1 069, reprenant la vieille interprétation de H. Pigeonneau, De
convectione urbanae annonae et de publicis naviculorum corporibus apud Romanos, Saint-
Cloud, 1876, p. 101, comprend que le préfet est inquiet parce qu'il compare les stocks
disponibles avec les 14 000 muids qu'il est obligé de donner chaque jour. C'est à la fois
satisfaisant et conforme aux habitudes romano-byzantines : quand on omet l'unité, c'est
une unité de mesure et non le nombre des bénéficiaires (voir, par exemple, NJ, Ed. 13,
avec le commentaire ci-dessous, p. 257-258), car chacun comprenait de quelle unité il
était question, alors qu'il aurait été indispensable de préciser la nature exacte du
bénéficiaire. Cependant J.-M. Carrié, supposant que Olympiodore veut dire que Rome retrouve
sa population antérieure, et tenant compte des 120 000 bénéficiaires qu'on retrouve 5 ans
plus tard, propose un nombre de 116 000 ayants droit pour 14 000 muids par jour, au
prix d'une erreur de conversion entre les 14 000 muids de blé et les 350 000 livres de pain
qu'on pourrait en tirer (cf. ci-dessus, p. 62). Puisque notre source dit que la population
croît rapidement, et qu'on peut calculer une population de 84 000 incisi en 414, rien
n'interdit de penser qu'aux heures les plus noires du siège d'Alaric, ils n'étaient peut-être que
50 000 ou 60 000 et que, en 419, on en comptait 120 000. A ce moment l'empereur aurait
fixé une nouvelle limite à ne pas dépasser.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 109
185 Anonymi Valesiani pars posterior, 67, éd. Th. Mammsen, Berlin, 1891 (MGH, AA, 9),
p. 324 : (en 500, Théodoric) donavit populo romano et pauperibus annonas singulis annis,
centum viginti milia modios. Paul Diacre, Historia romana, 15, 18, éd. H. Droysen (MGH,
AA, 2), Berlin, 1879, p. 215 : Romam profectus a Romanis magno gaudio susceptus est, qui-
bus illic singulis tritici ad subsidium annis CXX milia modiorum concessa. La variante la
plus importante entre ces deux textes porte sur la différence dans la définition des
bénéficiaires : le premier texte parle du populus romanus et des pauperes ; le second,
seulement des Romani, c'est-à-dire du peuple. Le contexte donne l'impression très nette que le
peuple est seul concerné. Les distributions aux pauvres se feraient par l'intermédiaire de
l'Eglise. Nous verrons plus loin ce que signifie cette mention des pauvres, bien que
l'annone ne leur soit pas destinée. 120 000 muids représentent 2 000 rations. Il faut que
l'annone soit tombée bien bas pour qu'on mentionne un si faible supplément.
110 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
1) Incisi et habitants
sentation des jeunes, comme le montre l'espérance de vie de 15,3 ans seulement, à la
naissance, alors que dans le reste de l'Empire (Italie comprise), elle est largement
supérieure à 25 ans. L'étude de H. Nordberg, Biometrical notes. The informations on ancient
Christian inscriptions from Rome concerning the duration of life and the dates of birth and
death, Helsinki, 1963 (Acta instituti romani Finlandiae, 2, 2), montre que ce trait de
mentalité n'a pas changé à l'époque chrétienne. R. Etienne, Démographie des familles
impériales et sénatoriales au IVe siècle ap. J. -C, dans Transformations et conflits au IVe siècle,
Bonn, 1978 ÇAntiquitas, Reihe 1, 29), p. 133-134, critique les chiffres trop faibles obtenus
d'après les inscriptions romaines, mais omet de rappeler qu'ils reflètent un trait de
mentalité spécifique, ce qui ruine les calculs effectués à partir d'autres séries, puisque nous
ignorons les raisons que conduisaient les habitants de ces régions à faire indiquer l'âge
de certains défunts plutôt que d'autres.
187 B. Boyaval, Tableau général des indications d'âge dans l'Egypte gréco-romaine
Chronique d'Egypte, 52, 1977, p. 345-351 : L'âge moyen au moment de la mort, tel qu'on le
calcule, est de 29,3 ans, d'après les documents égyptiens, contre 35,1 ans, d'après les
inscriptions de l'Occident romain (p. 348).
188 M. Hombert et Cl. Préaux, Recherches sur le recensement dans l'Egypte romaine,
Leyde, 1952 (Papyrologica Lugduno-Batava, 5), p. 156-157 : L'âge moyen au moment de la
mort se situe à 26, 6 ans, pour les personnes recensées. Les très jeunes enfants, et surtout
les filles, sont sans doute sous-représentés, ce qui ramène la moyenne aux alentours de 25
ans. Environ 50% atteignaient l'âge de 20 ans.
189 Voir, par exemple, M. Reinhard, A. Armengaud, J. Dupaquier, Histoire générale de
la population mondiale, Paris, 1968, passim : des informations très diverses montrent que,
du néolithique au XVIIIe siècle, sous toutes les latitudes, on retrouve les mêmes
proportions : la moitié de la population a moins de 20 ans.
112 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
Les discussions sont moins rudes pour ce qui est des rations que
pour la pyramide des âges car les informations données par les sources
antiques, par les sources postérieures, et ce que suggère le bon sens,
concordent. On admet qu'un adulte dans la force de l'âge, vivant dans
un milieu traditionnel, consomme environ 1 kg de blé par jour 194. Mais
il serait ridicule de considérer cette moyenne comme valable pour
l'ensemble de la population. C'est compter sans le quart des habitants qui a
moins de 5 ans et qui consomme très peu de céréales, sans les malades,
les femmes, les vieillards qui ont besoin de moins de calories que les
hommes dans la force de l'âge, et sans les classes aisées ou riches qui
ont une alimentation variée. Aussi les nombres assez semblables qu'on
trouve à diverses époques pour des populations urbaines différentes,
donnent-elles l'impression que, dans une société traditionnelle, la
consommation est d'environ 2 qx de blé par personne et par an, soit un
peu plus de 2 qx de panis sordidus 195.
194 Soit entre 1 et 1, 3 kg de pain, si tout le blé est consommé de cette manière. La
quantité varie en fonction de la qualité du pain. Ces nombres correspondent à la ration
annonaire (5 muids par mois = 33 kg de blé = 1, 1 kg par jour), et à la ration d'un soldat
(par exemple, P. Oxy. 1920 : 4 livres de pain par soldat et par jour, soit 1, 3 kg). Voir aussi
J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, Paris, 1961, p. 73-74.A. Jardé, Les céréales
dans l'Antiquité grecque, 1, La production, Paris, 1925, p. 128-136, aboutit
approximativement aux mêmes résultats.
195 1 kg de pain fournit 2 500 calories. Un homme adulte a besoin d'environ 3 500
calories qu'il obtient facilement avec un bon kg de pain accompagné de quelques
légumes, d'un peu d'huile, de fromage, d'œufs et parfois de viande. La population d'une ville
qui comptait environ 1/3 d'enfants, ne pouvait avoir besoin de plus de 2 000 calories par
personne, qu'on obtient avec 500 g de blé, soit 600 g. de pain (1 500 calories) avec son
accompagnement. C'est le résultat auquel aboutissent les calculs de A. Jardé, op. cit.,
114 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
p. 128-136, mais aussi les statistiques plus sûres relatives à des villes de l'époque
moderne, avant la révolution agricole et la révolution de l'alimentation qui l'a accompagnée (F.
Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. XVe-XVIHe siècle, t. 1, Les
structures du quotidien, Paris, 1979, p. 106-107). Je ne méconnais pas le danger qu'il y a à
comparer la Rome antique à Paris ou à Venise des XVIe-XVIIIe siècles, mais, quand on a
affaire à des individus de taille à peu près constante, ayant des besoins énergétiques eux
aussi constants et les assouvissant essentiellement par la consommation d'une même
denrée, le pain, ainsi que le montrent toutes les sources de l'une et l'autre époque, la
comparaison est possible. Comme, en outre, cette ration de 2 qx par personne et par an donne
un nombre d'habitants parfaitement compatible avec celui des incisi, on ne peut que
l'adopter, comme approximation sans doute peu éloignée de la réalité.
196 Aurelius Victor, Epitome de Caesaribus, 1, éd. F. Pichlmayr, revue par R. Gründel,
Leipzig, 1970 (coll. Teubner), p. 133. La valeur de son témoignage a été contestée par G.
Rickman, The corn supply of ancient Rome, Oxford, 1980, p. 231-235. Il préfère à un
compilateur sans passion, recopiant des documents anciens, au IVe siècle, les informations
tendancieuses de Fl. Josephe, Guerre des Juifs, 2, 383-386, éd. et trad. A. Pelletier, Paris,
1980 (coll. Budé), p. 75-76. Ce dernier affirme que l'Egypte ne fournit son blé à Rome que
pour 4 mois, tandis que, pendant les 8 autres, elle dépend de l'Afrique. La combinaison
des deux informations aboutirait à un montant total de 60 000 000 de muids par an pour
l'annone, ce qui est inacceptable, comme l'a bien vu l'auteur - qui s'oppose, en cela, à
l'interprétation assez courante de ce texte. En effet, avec 60 000 000 de muids, soit
4 000 000 de qx, on aurait pu nourrir 2 000 000 d'habitants. Rome n'a jamais pu avoir une
telle population. G. Rickman échaffaude alors une série d'hypothèses qui aboutit à un
résultat cohérent, à condition de faire dire aux sources disponibles autre chose que ce
qu'elles déclarent. Je préfère considérer que Fl. Josephe interprète à sa manière les faits
dont il dispose pour montrer la puissance de l'empire remain, que les Juifs ne peuvent
vaincre en aucun cas. Peut-être l'annone d'Egypte partant en 4 ou 5 mois, à cause du
mare clausum et de la longueur du trajet, fait-il semblant de croire qu'elle fournit
uniquement le tiers du blé consommé à Rome, alors que ne venait d'Afrique, pendant 8 mois,
qu'un appoint limité aux périodes de crise grave.
197 Voir ci-dessous, p. 258. Les sources constantinopolitaines disent que la seconde
capitale fut approvisionnée par le détournement de l'annone qui allait à Rome, et les
sources romaines montrent avec quelle inquiétude on attendait le blé d'Egypte. Tout
donne l'impression que l'Egypte versa toujours les mêmes quantités à l'annone, avec peut-
être des variations minimes, en particulier quand Constantinople grandit. Les sources
confirment ce que suggère le bon sens : il est si difficile de mettre au point un système
aussi compliqué que l'annone, qu'on n'avait aucune raison d'y toucher.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 115
du Ier siècle devient parfaitement digne de foi. Nous savons aussi que, à
l'époque de Septime Sévère, Rome disposait pour son alimentation de
27 375 000 muids, ce qui tend à confirmer que la plus grande partie du
blé romain provenait d'Egypte198. Comme cette dernière livrait des
quantités presque constantes à une ville dont les incisi n'ont guère varié
en nombre pendant quatre siècles, il est clair que l'approvisionnement
de Rome en blé était stable. Comme d'autre part l'annone romaine
reversait une certaine partie de ses stocks aux villes voisines, de même
que celle de Constantinople par la suite199, on peut admettre que
25 000 000 de muids constituent un maximum qui n'était sans doute
pas toujours atteint. Cela représente 1 600 000 qx, de quoi nourrir au
moins 800 000 personnes. On peut donc considérer que Rome comptait
quelque 750 000 résidants permanents, citoyens, esclaves, peregrins
attendant leur inscription sur les listes . . ., et peut-être 50 000 résidants
temporaires. Mais cette population a pu être plus importante aux Ier et
IIe siècles, à cause des nombreux non citoyens, en particulier des
fonctionnaires.
Les nombres obtenus jusqu'ici forment un tout relativement
cohérent. Une proportion d'« adultes» supérieure à 2/3 de la population irait
contre tout ce qu'on sait par ailleurs et imposerait de supposer un
nombre considérable de non citoyens, car 1 600 000 qx nourrissent
normalement plutôt plus que moins de 800 000 personnes. Admettre des
198 Scriptores Historiae Augustae, éd. E. Hohl, Leipzig, 1955 (coll. Teubner) : Vie de
Septine Sévère, 23, 2, t. \, p. 155 (cf. Vie d'Eliogabal, 27, 1, t. 1, p. 243) : moriens septem
annorum canonem ita ut cottidianum septuaginta quinque milia modiorum expendi pos-
sent reliquit. 75 000 muids par jour font 27 375 000 muids par an. Comparé aux deux
nombres qui viennent d'être cités, ce dernier ne peut constituer que la totalité de ce que
l'annone introduit à Rome, et même la somme de ces versements et de ce que
réclamaient tous les versements publics à la garde prétorienne (plus de 1 000 000 de muids
pour H. Pavis d'Escurac, La préfecture de l'annone, service administratif impérial
d'Auguste à Constantin, Rome, 1976 (Bibliothèque des Ecoles d'Athènes et de Rome, 226), p. 168) et
aux autres fonctionnaires. Il devait rester au maximum 25 000 000 de muids pour
l'annone, et c'est cette quantité que Rome devait recevoir après le départ de la cour et de
l'administration centrale, au IVe siècle. Jusqu'à la fondation de Constantinople, l'Egypte
pourvoyait à l'essentiel des besoins de Rome.
199 On doit noter que, si les besoins de Rome sont du même ordre de grandeur que
les fournitures de l'Egypte, tout le blé annonaire ne va pas nécessairement à Rome, et
tout le blé consommé dans cette ville n'arrive pas des bords du Nil. Nous verrons (ci-
dessous, p. 371) que l'Etat accordait à certaines cités une part de l'annone qui pouvait
être celle d'Egypte, et il recevait un complément d'autres régions. Il en sera de même
pour Constantinople (p. 242-243).
116 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
200 P. Salmon, op. cit., p. 11-12. Les estimations les plus vraisemblables proposées
pour le Haut-Empire sont de l'ordre de 800 000 à 1 200 000 habitants. Par contre presque
tous les auteurs s'étaient crus obligés de diminuer fortement leurs estimations lorsqu'ils
parlaient du Bas-Empire.
201 II ne faut évidemment pas se dissimuler ce que ce tableau peut avoir de théorique.
Jusqu'à Auguste, le nombre des ayants droit a beaucoup varié (état actuel de la question,
C. Nicolet, op. cit., p. 87 : 180 000 bénéficiaires vers 70 av. J.-C, 270 000 en 62, 320 000 en
BLE ANNONAIRE VIANDE ANNONAI
annone totale annone gratuite
rations nombre quantités rations nombre q
de rations de rations
Ier siècle ^ 20 000 000 m 60 m 200 000 12000 000m
IIIe siècle ^ 25 000 000 m » » »
IVe siècle » » 25 1 200 000 50
414 10000 000m » 84 000 5000 000m » 84 000 21
419 15000 000m 120 000 7 200 000 m 25 1 120 000 30
452 10 000 000 m 80 000 4 800 000 m » 80 000 20
530 2000 000m 15000 900 000m »(?) 15 0000) 3
Fig. 1 - Tableau récapitulatif de toutes les indications quantitatives relatives à l'annon
(Les nombres soulignés sont donnés par les sources ou calculés directement à partir d
premiers, avec plus ou moins de certitude; cf. le texte).
118 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
58, 150 000 sous César, 200 000 sous Auguste, nombre apparemment maintenu sans
changement jusqu'en 410). L'identité du nombre de ces ayants droit au Ier et au IVe siècle,
jointe à la quasi-similitude des quantités de blé disponibles au Ier et au IIIe siècle (si l'on
tient compte du fait que les 20 000 000 de muids sont versés par l'Egypte seule, et
constituent donc un minimum tandis que les 27 375 000 muids représentent un maximum, y
compris les versements autres que annonaires à Rome ou en Italie) suffit à suggérer,
sinon que la population est restée stable, du moins qu'elle était, à notre époque, d'un
niveau approximativement équivalent à celui du Ier siècle. C'est cette conclusion et elle
seule qui importe. Pour le reste les rapports entre citoyens et ayants droit, de même que
les rapports entre citoyens et non-citoyens ont nécessairement varié (nombre des
sénateurs, des esclaves, des fonctionnaires non citoyens . . .). Cependant le nombre de 800 000
habitants retenus par les meilleurs spécialistes du règne d'Auguste (C. Nicolet, loc. cit.,
citant K. J. Beloch, Die Bevölkerung der griechisch-römischen Welt, Leipzig, 1889, p. 376)
correspondent d'assez près à ce que nous avons pu calculer par d'autres biais. Quant aux
variations conjoncturelles pendant les quatre siècles considérés, il est peu probable qu'on
puisse les évaluer un jour. Elles ont existé, ont certainement eu quelque ampleur, mais le
bilan est suffisamment stable pour qu'on puisse postuler la continuité séculaire de la
population romaine, ce qui seul importe ici.
202 Voir, à ce sujet, la remarque d'un spécialiste, Cassiodore (cf. p. 104 ) : L'Empire
nourrissait les Romains et les environs de Rome, les étrangers qui y résidaient. Dans la
réalité, les choses étaient sans doute moins schématiques, puisque les Romains buvaient
le lait de la région et que les étrangers mangeaint le pain public. Cependant on ne saurait
affirmer plus clairement le rôle de l'Etat dans l'approvisionnement de Rome, car la
richesse importée (ubertas advecta) l'est par l'annone.
203 Les prix à la production, et par conséquent les prix sur les marchés locaux,
étaient toujours les mêmes. Il aurait donc fallu des villes dynamiques, avec une
population à fort pouvoir d'achat, pour susciter une demande forte, capable de supporter la
majoration imposée par les coûts des transports. Au contraire, on voit Rome s'effondrer
dès que l'Etat ne lui fournit plus de la nourriture à bon marché. C'est l'attrait de l'annone
gratuite qui peuple la ville, et non sa population qui attire les produits dont elle a besoin.
Ceci n'est évidemment qu'en partie vrai et ne vaut absolument que pour le pain, la base
de l'alimentation. Certes l'Etat fournit aussi de l'huile, de la viande et du vin, pour rendre
la citoyenneté romaine attirante. Mais il laisse au commerce libre le soin de livrer la
viande de bœuf et de mouton - qui doit coûter 15% de plus que dans les petites villes de
province, si on admet un même prix de transport que pour le porc -, le vin - qui coûte
33% de plus que chez le producteur . . .
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 119
204 Cependant le mécanisme de l'évolution est complexe car toute crise de finances
publiques a dû diminuer à la fois le pouvoir d'achat qu'elles injectaient grâce aux travaux
publics, aux jeux, aux salaires de fonctionnaires . . ., et les disponibilités de l'annone.
Rome déclina à la fois parce qu'on offrait moins de travail et parce qu'on disposait de
moins de blé.
Fig. 2 - Sources d'approvisionnement de Rome en blé
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 121
205 On a la preuve que la viande de l'annone est vendue à Rome, aux IVe et Ve siècles
au même prix qu'en Afrique, en Egypte et dans l'Illyricum (ci-dessous, p. 502-505). De
même on apprend que, au VIIe siècle, le blé public était vendu au prix d'adaeratio-coemp-
tio, qu'on retrouve dans l'Empire pendant quatre siècles. Ces maigres indices suffisent à
montrer que Rome ne se distingue pas du reste de l'Empire et que le prix public y est
identique à ce qu'il est partout ailleurs.
206 10% au moins pour le transport d'Alexandrie à Ostie (puisqu'on donnait 10% de la
valeur du blé aux naviculaires qui allaient d'Alexandrie à Constantinople; ci-dessous,
p. 258) ; 20% est bien le minimum pour le transport du producteur aux greniers
d'Alexandrie et d'Ostie à Rome : le transport du blé par voie de terre sur 20 km majore son prix de
10% environ. Il faudrait aussi tenir compte des frais de stockage.
207 Pour 1 sou, on a, en Egypte, 30 muids de blé (ci-dessous, p. 500-502), soit 2 qx.
1 600 000 qx coûtent 800 000 sous, à quoi il faut ajouter au moins 160 000 sous pour le
transport, soit près de 1 000 000 de sous. La vente de la moitié de ce blé à prix public
rapporte 400 000 sous. Il reste donc 600 000 sous à la charge de l'Etat, 60% de la valeur
du blé consommé par la population romaine, même si cela ne représente que 50% en
volume. Comme le blé représente au moins 60% de la dépense des humbles pour leur
nourriture, l'Etat paie, en le fournissant environ 40% de la dépense totale pour
l'alimentation. Le vin, la viande et l'huile, qu'il fournissait gratuitement ou à des conditions
avantageuses, représentaient bien 10% de plus, soit en tout environ 50%. La contradiction
n'est qu'apparente entre le fait qu'on verse la moitié de l'annone gratuitement, pour
nourrir les seuls citoyens, et que la totalité de l'annone suffise à toute la population. Pre-
122 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
par les pecuarii et les boarii avec les bêtes achetées dans le Sud de
l'Italie, les poulets, les œufs, les légumes frais et secs qui pouvaient venir
du Latium et quelques autres denrées comme le fromage, le miel ou les
condiments. Mais si l'on songe que maints Romains possédaient sans
doute un jardin hors des murs, une terre affermée à un paysan ou des
poules dans une arrière-cour, la part des produits annonaires gratuits
ou vendus à prix public devait approcher, atteindre ou dépasser les 2/3
de ce que la population romaine allait chercher hors de chez elle pour
se nourrir. Les pauvres en dépendaient presque exclusivement, les
classes aisées appréciaient surtout la fourniture régulière et à prix coûtant
d'une part importante de leur nourriture, les plus riches trouvaient
sans doute avantage à nourrir leurs esclaves à meilleur compte et à se
procurer une domesticité de libres vivant largement de l'annone, et qui
se contentait, pour cette raison, de salaires faibles.
De toutes ces analyses il ressort sans discussion possible que Rome
n'a subi aucun des effets des crises économiques réelles ou supposées
entre le Ier et le IVe siècle, mais qu'elle a été frappée de plein fouet par
les conséquences des invasions qui ont réduit par étapes la ville
éternel e au rang de métropole du Latium, sans doute dix fois moins peuplée
en 500 qu'elle ne l'avait été en 400, alors que sa population était restée
stable pendant quatre siècles208. C'est donc bien qu'elle vivait non de sa
nons un exemple purement théorique, mais représentatif de ce que nous avons constaté
pour la pyramide des âges à Rome. Si dans une même maison vivent le grand-père âgé,
les parents et 5 enfants dont 3 de moins de 10 ans, ils reçoivent 2, 2 kg de pain par jour,
gratuitement. Le père en consomme 1 kg. Les enfants de moins de 10 ans, 1/3 de kg en
moyenne, soit 1 kg pour 3. Le grand-père, la mère et les deux enfants restants, 600 g
chacun, soit 2, 4 kg en tout. Ces 8 personnes ont besoin de 4, 4 kg de pain, le double de ce
que leur donne l'annone. Dans la réalité, certaines familles achetaient plus de la moitié
de leur pain, d'autres moins.
208 Où sont allés les habitants? C'est une question à laquelle on ne peut répondre,
sauf pour dire qu'elle a été résolue, et qu'elle ne constitue pas une objection au tableau
qui vient d'être présenté. Les sources décrivent suffisamment bien la panique, les fuites,
les morts à Rome dans les années 408-410, et prouvent suffisamment le déclin de la
population pour qu'on se demande où sont passés ceux qui ne sont pas morts, sans que
notre incapacité à répondre autorise à douter de la réalité des faits. Sur 800 000
habitants, 300 000 environ ont disparu de la ville entre 408 et 419. Le taux de mortalité étant
de l'ordre de 4% dans une société traditionnelle, il suffit de supposer qu'on n'a redonné
l'annone qu'à ceux qui en jouissaient auparavant pour expliquer la disparition en 1 1 ans
de 40% des bénéficiaires. Et nous avons vu qu'on ne pouvait vivre à Rome qu'avec les
denrées fournies par l'Etat. Plus d'annone, plus d'habitants attirés par ses prestations,
mais incapables d'obtenir par leur travail de quoi acheter toute leur nourriture. Les
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 123
morts n'ont donc pas été remplacés par de nouveaux immigrants si l'annone ne
remplaçait pas les incisi disparus. La perte de 200 000 personnes supplémentaires entre 419 et
452 représente une moyenne de 6 000 par an, 8 000 au début et 4 500 à la fin de la
période. Or il mourait 20 000 personnes au début et 13 000 à la fin. Il suffisait sans doute
de ne pas remplacer les incisi disparus par extinction de leur descendance mâle pour
obtenir la diminution des dépenses annonaires. Par la suite, le déclin est encore plus lent.
Ces calculs ne prétendent évidemment pas décrire la réalité, mais montrer que le
passage, en plus d'un siècle, de 800 000 à 100 000 habitants ou moins n'est pas un phénomène
dramatique pour une ville traditionnelle où le renouvellement de la population est si
rapide que l'arrêt de l'immigration ou l'éviction des hommes qui ne descendent pas
directement d'un citoyen inscrit à l'annone, suffit à l'expliquer. La seule période réellement
difficile fut celle du siège d'Alaric, mais là encore, on pourrait multiplier les exemples de
sièges aussi durs, ayant des conséquences aussi dramatiques.
124 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
209 Voir le texte, p. 107, n. 182. C'est aussi au préfet de la Ville que le peuple révolté
s'en prend pendant une famine causée par le siège d'Alaric (Vie de sainte Melanie la
Jeune, 19, éd. et trad. D. Gorce, Paris, 1962 (SC 90), p. 166). Il n'est fait nulle mention des
commerçants privés qui ne jouent aucun rôle dans l'évolution de la conjoncture. La
même mésaventure arriva à Théodose II en 431 (Marcellinus Comes, Chronicon, éd. Th.
Mommsen, Berlin, 1893 (MGH, AA, 11), p. 78).
210 CTh 14 4, 9, 417. Pour la fin de la période, Sidoine Apollinaire, Lettres 1, 10 (468),
éd. et trad. A. Loyen, t. 2, Paris, 1970 (coll. Budé), p. 33. Nous y apprenons que cinq
bateaux chargés de blé et de miel sont partis de Brindisi pour venir soulager Rome.
211 C'est ce que sous-entend CTh 14, 4, 9 : Si la loi précise que le préfet de l'annone
n'aura pas le droit de juger les patrons des mensores et des caudicarii, c'est qu'il est
compétent pour tout le reste des opérations de mesure et de transport du blé de Porto à
Rome.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 125
212 Outre CTh 14, 4, 9, adressée à Palladio praefecto praetorio, CTh 14, 4, 10, 419,
destinée au même, et NVal 36, 452, à Firmino praefecto praetorio.
213 Cf. n. 210 et 211, pour le préfet de l'annone. CTh 14, 4, 9 sera mise en œuvre par
les primiscrinii urbanae sedis, donc par la préfecture de la ville.
214 CTh 14, 4, 9 : On ne sait d'où vient le blé, mais on a la preuve irréfutable que c'est
par gros bateaux nécessitant un transbordement, donc vraisemblablement d'Afrique (et
peut-être encore d'Egypte) jusque vers la prise de Carthage par les Vandales (439),
d'Afrique occidentale et des îles ensuite, et finalement de la seule Sicile, avec un complément
en Italie du Sud.
215 CTh 14, 4, 10 et Ν Val 36, commentées ci-dessus, p. 94-96 et 98.
126 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
Β - La période ostrogothique
1) Continuité de l'institution
216 Toutes les lois citées jusqu'ici émanent de l'empereur. L'intermède d'Odoacre ne
fut sans aucun doute marqué par aucun changement sur le fond, l'usurpateur se
contentant de se substituer à l'empereur, comme après lui le fit Théodoric.
217 Ravenne fut prise en 493, et Odoacre assassiné. Le voyage à Rome de Théodoric
n'eut manifestement pas pour but de prendre possession d'une ville depuis longtemps
soumise, mais de montrer son respect pour l'ancienne capitale, à travers son Sénat et son
évêque. Sur ce voyage, W. Ensslin, Theoderich des Grosse, 2e éd., Munich, 1959, p. 111-
116.
218 Anonymi Valesiani pars posterior, 67, éd. Th. Mommsen, Berlin, 1891 (MGH, AA,
9) : (Théodoric) donavit populo romano et pauperibus annonas singulis annis centum
viginti modios. Les lettres de Cassiodore citées ci-dessous datent de la période où il était
préfet du prétoire, et donc agissait au nom du souverain.
219 Ch. Pietri, Aristocratie et société cléricale dans l'Italie chrétienne au temps
d'Odoacre et de Théodoric, MEFR, 93, 1981, p. 417-467.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 127
ce, à moins que ce ne soit par l'annone seule220. Les quantités sont
dérisoires si on les compare à ce que recevait chaque année la ville pendant
les premiers siècles et nul n'aurait alors songé à rappeler un aussi
faible don mais, en 500, cela pouvait représenter une augmentation de
10%, ce qui n'est pas négligeable pour la population que comptait alors
Rome221. Conjointement on devait tenir compte des possibilités réelles
du royaume : il ne fallait ni trop pressurer les contribuables ni donner
à Rome une trop grande part du budget général de l'Etat; c'est ce qui
explique au moins pour une part la diminution des prestations dues par
la Lucanie et le Bruttium222. Les choix n'étaient donc jamais définitifs
car l'équilibre était difficile à trouver.
Comme toujours, le préfet du prétoire a la charge de préparer, de
mettre en forme et de faire exécuter les ordres du souverain. Il connaît
très bien la situation et il lui arrive, parfois ou souvent, d'influer sur
cette décision en fonction de ses intérêts propres et de ceux qui sont
proches de lui223. Son rôle grandit en Italie si l'on en juge par l'exemple
de Cassiodore, ce qui se comprend en partie par le fait que, étant choisi
parmi les notables romains, il est autant leur porte-parole que le simple
exécutant des décisions royales. Il commande au préfet de la Ville dont
224 Cassiodore, Variae, 6, 18, éd. cit., p. 190-191. Pour A. Chastagnol, La préfecture
urbaine à Rome sous le Bas-Empire, Paris, 1960 (Publications de la faculté des lettres
d'Alger, 34), p. 300, cette lettre prouverait seulement que le préfet de l'annone intervenait
pendant les famines, pour prendre les mesures d'exception réclamées par les
circonstances. Mais Cassiodore, Variae, 11, 5 (éd. cit., p. 430-431) montre que l'annone représente
une préoccupation constante du roi ostrogoth.
225 On notera l'insistance sur tout ce qui prouve le caractère civique de cette activité
(civibus profuisse, ad copiam populi romani, ut sacratissimae urbi praeparetur annona,
tarn magnus populus . . .). Ce qu'on a dit plus haut de l'annone au IVe siècle suffit à
prouver que le contrôle des boulangers, de la qualité du pain . . . sont bien des activités
propres au préfet de l'annone. Cette lettre n'est donc pas un morceau de bravoure, malgré
son style; c'est une lettre administrative correspondant à une situation concrète.
226 In suam reverentiam te honoratum esse cognoscat : On ne saurait mieux
caractériser le prestige retrouvé du préfet de l'annone.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 129
227 Si querela partis, ut adsolet, concitetur ... : Parmi les attributions du préfet de
l'annone, se trouve effectivement la charge de soulager la population en cas de disette, mais
ce qui précède et ce qui suit montrent que c'est seulement l'une de ses activités. Le rappel
de Pompée n'est pas de la pure rhétorique, car Cassiodore avait conscience de vivre dans
la continuité d'une histoire millénaire.
228 Ce passage est particulièrement riche. On y remarque le rôle des deux
corporations, celle des boulangers et celle de suarii (les pistorum jura quae per diversas mundi
partes possessione Ultissima tendebantur ne sauraient être des propriétés, car on imagine
mal les boulangers de Rome propriétaires de biens dans tout l'Empire, mais des revenus
fiscaux, conformément au sens de possessio dans le langage fiscal), les compétences
judiciaires du préfet qui rend la justice pour les affaires de son ressort, la peur des révoltes
de la faim, qui est le fondement ultime de toute cette politique sociale des souverains
ostrogothiques, après avoir été celle des empereurs. Il resterait, sur ce dernier point, à
savoir si le roi ne craint pas une alliance entre certains éléments du Sénat et le peuple,
alors que sous l'Empire, le souverain et le Sénat craignaient ensemble les mouvements
populaires.
1 30 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
cieux229. Qu'il prête attention à ce qui lui est dit; en effet que peut-on
souhaiter de mieux que de chercher à plaire à ce peuple, ce que nous
souhaitons aussi?
La richesse du texte justifie la longueur de l'analyse. On y voit
répétée la hantise de la révolte, constante chez tous les souverains de
l'Italie, et le préfet de l'annone, cheville ouvrière de tout le dispositif
administratif qui assure le ravitaillement, a pour mission d'en assurer
le fonctionnement dans les meilleures conditions possibles. Il n'est
jamais dit que, pour cela, il dispose de fonds spéciaux permettant de
financer des achats supplémentaires. Son but principal, le seul qui lui
soit assigné ici, est de bien gérer le blé que lui livre le préfet du
prétoire. Pour ce faire, il doit payer correctement, en or, ceux qui travaillent
pour lui et à qui il verse un salaire afin qu'ils n'abandonnent pas la
tâche entreprise, mais cette correction à leur égard lui donne le droit
de se montrer exigeant, de tout contrôler avec soin, en particulier le
poids et la qualité du pain pour éviter les contestations qui risquent de
dégénérer; c'est donc qu'on donne toujours du pain et non du grain ou
de la farine à la population romaine. Pour apaiser le peuple, le préfet
de l'annone pourra même, si le besoin s'en fait sentir, accorder
quelques avantages supplémentaires dont nous aimerions connaître la
nature exacte. Le terme Quirites, ainsi que tous les termes par lesquels on
évoque le cadre civique dans lequel s'exerce cette activité230, confirment
le caractère éminemment politique de l'annone qui n'a aucun rapport
avec la charité car elle vise uniquement à donner ce qu'elle attend à
une catégorie particulière de citoyens dans le royaume. L'annone est
toujours conforme à sa finalité première.
Pour accomplir sa mission, le préfet de l'annone dispose de
moyens considérables qui le mettent sur un pied d'égalité avec le préfet
de la Ville dont il partage les honneurs. C'est lui qui reçoit les denrées
mises à sa disposition par le préfet du prétoire, qui surveille les
boulangers et les charcutiers, sans doute aussi les marchands de vin et les
responsables des prestations en huile231, et qui assure les distributions. Sa
229 Noter encore une fois l'archaïsme du vocabulaire qui renforce l'impression de
continuité dans le fonctionnement de l'annone.
230 Cf. n. 225 et 229.
231 Pour les boulangers et les suarii, voir à la n. 228. Les distributions de vin sont
attestées par l'existence de l'arca vinaria qui, sous le règne de Théodoric, est encore
capable de verser 200 livres d'or par an pour l'entretien des bâtiments publics et du palais
(Anonymus Valesianus, 67, éd. cit., p. 324 : (Théodoric) ad restaurationem palatii seu ad
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VII« SIÈCLE 13 1
recuperationem moeniae civitatis singulis annis libras ducenta de arca vinaria dart praeci-
pit). La somme est considérable : 200 livres font 14 400 sous, ou plus de 10 000 hl. Si
l'arca vinaria continue à approvisionner la ville en vin à prix public et obtient les 200
livres par la vente de cette boisson, on a une idée du minimum qui était alors livré par
l'Etat à la ville. 10 000 hl pour quelque 50 000 habitants n'est pas considérable, mais rien
ne dit que tous les revenus de l'arca se limitent à ces 200 livres.
232 CTh 14, 15, 1, 364, commentée par J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires
dans les cités de l'empire romain tardif, MEFR, 87, 1975, p. 1 040-1 043 : L'empereur
donne l'ordre de répartir la pénurie de grain de bonne qualité et non d'assurer à tous du
pain de première qualité. Il ne faut pas oublier que le blé faisait de longs trajets par mer
dans des bateaux qui n'étaient pas toujours bien protégés contre les embruns et l'air
marin. En outre les greniers n'étaient peut-être plus très bien entretenus, dès l'époque
ostrogothique, puisqu'ils n'étaient utilisés qu'au dizième de leur capacité
233 Voir sur ce point, et sur les judices electi, ces fonctionnaires que l'on choisissait
d'un commum accord ccmme juges lorsque l'affaire pouvait être de la compétence de
deux fonctionnaires différents (un clerc contre un militaire, par exemple), J. Durliat,
L'administration religieuse de l'Afrique byzantine, sous presse.
234 Sur le cancellarius, agent du préfet du prétoire, voir ci-dessus, p. 104. Il ne faut
supposer aucune contradiction dans le fait que le préfet de l'annone et le préfet du
prétoire aient tous deux autorité sur les suarii. Le premier peut intervenir uniquement à leur
arrivée en ville, à moins qu'il ait aussi le droit de surveiller le transport. Mais en aucun
cas il ne s'occupe de la perception.
1 32 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
tia Ubi divinitate concedimus). Voir n. 244, sur son rôle dans les inscriptions sur les listes
de bénéficiaires.
243 II en était déjà ainsi au IVe siècle puisque les distributions d'huile se faisaient dans
des mensae, distinctes des gradus ; cf. ci-dessus, p. 74.
244 Cassiodore, Variae, éd. cit., p. 474-475 : Non fiat Latialis pretto, qui civitatis illius
non habet jura nascenda. Honorandum semper est quod nomen gentibus dédit . . . Munera
ista Quiritum sunt . ..». Le privilège annonaire était suffisamment important pour être
recherché par concussion, à moins que le préfet de l'annone n'ait vendu le droit à ces
distributions pour obtenir des fonds utiles à quelque investissement public.
134 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
2) Un nouveau responsable
bards, Justin II quia Roma pericîitaretur fame et mortalitate misit in Egyptum et oneratas
naves frumento transmisit Romae).
247 Gélase Ier, Lettre contre les Lupercales et dix-huit messes du sacramentaire Léonien,
éd. et trad. G. Pomarès, Paris, 1959 (Sources chrétiennes, 65): «Vos Dioscores, eux, au
culte desquels nous n'avez pas voulu renoncer, pourquoi ne vous ont-ils pas donné des
mers favorables pour que, en plein hiver, arrivent ici les navires chargés de blé et que la
cité ne souffre pas de la disette? Est-ce dans les jours qui suivront, en été, que cela se
produira? Mais c'est là un bienfait établi de tout temps par Dieu, non le fait inexistant
qu'on a persuadé les Dioscores». Outre la réalité de difficultés frumentaires, le texte
confirme la nécessité d'un apport de blé venu de loin par des bateaux qui ne peuvent
affronter la tempête, blé que le marché local ne peut fournir. On apprend aussi que le
mare clausum est toujours respecté.
248 A la fin de la notice consacrée au pape, on trouve l'obligatoire enumeration des
consécrations et fondations d'édifices et des nominations de clercs.
136 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
249 Voir, pour l'Italie, Cassiodore, Variae, 9, 5, p. 351-352 et 12, 27, p. 495-496,
commentées ci-dessous, p. 430-432.
250 Le Liber pontificalis s'étend avec beaucoup de détail sur toutes les dépenses
importantes du pape, car le rédacteur avait accès aux registres comptables, où tout était
consigné (en effet, le pape ne pouvait disposer à sa guise des revenus de son église) ; aussi
est-on sûr que l'assistance à la population romaine pendant la famine n'a pas été inscrite
au budget ecclésiastique.
251 Pour Varca frumentaria, voir ci-dessous, p. 213-217.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 137
les où les principales tiennent lieu de Sénat ; il peut aussi la gérer seul,
comme cela semble bien être le cas par la suite252.
Si cette hypothèse, fragile certes mais seule capable de concilier
deux sources apparemment contradictoires, est retenue, on assiste sous
le règne de Théodoric, à la première intervention certaine du pape
dans la gestion de l'annone253.
Son rôle ne fit que grandir à l'époque byzantine, au moment de la
mutation décisive.
252 L'arca frumentaria apparaît d'ailleurs comme identique au σιτωνακόν que l'on
trouve dans les villes de province et qui est géré par l'évêque (ci-dessous, p. 313-317).
253 Aucun indice, dans l'œuvre variée du pape Léon, ne laisse transparaître la
moindre responsabilité dans l'administration civile de Rome. Il en est de même pour tous les
papes antérieurs (voir Ch. Pietri, Roma Christiana, Paris, 1974 (Bibliothèque des Ecoles
françaises d'Athènes et de Rome, 224), passim). C'est peut-être la présence d'une
importante administration impériale et d'un Sénat prestigieux qui a retardé l'intervention de
l'évêque dans l'administration municipale. Sur le rôle des évêques dans la vie de leur cité, voir
ci-dessous, p. 316-317. Sur la puissance, jusqu'à la fin de l'époque ostrogothique, du Sénat
romain, voir, pour le début de la période, A. Chastagnol, Le Sénat romain sous le règne
d'Odoacre, Bonn, 1966 (Antiquitas, Reihe 3, série in 4°, 3).
138 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
254 Les développements qui suivent doivent beaucoup au travail sous presse de B.
Bavant, Le duché byzantin de Rome, dont j'ai pu utiliser le manuscrit. Que l'auteur en soit
remercié. Les informations de Procope, importantes par sa qualité de témoin oculaire
perspicace et bien renseigné, méritent d'être regroupées. Lorsqu'un siège commence en
hiver, menaçant de provoquer la famine, les futurs assiégés règlent la question de
l'alimentation en chassant les civils qui, peut-être, n'avaient nulle envie d'assister aux
opérations militaires et qui sont revenus par la suite {De bello gothico, 5, 25, 2, éd. G. Wirth,
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 1 39
Leipzig, 1963, p. 123). Quand Bélisaire voulut faire remonter le Tibre par les bateaux
annonaires, il éprouva de grandes difficultés, car il se trouvait sur la rive gauche, alors
que la route située de ce côté était inutilisable (6, 7, 6, p. 180) : c'est donc que les bateaux
étaien halés sur l'autre rive, de Porto à Rome. C'est toujours de Sicile qu'on reçoit du blé
pour secourir la ville affamée (7, 15, 9-12; cf. Jordanès, Romana et Getica, éd. Th.
Mommsen, Berlin, 1882, MGH, AA, 5, p. 50, qui indique lui aussi que l'annone de Rome
vient de Sicile. Son acheminement constitue, pour lui, un grand souci pour Bélisaire,
preuve qu'elle joue encore un rôle déterminant dans l'approvisionnement de Rome). Au
cours du siège commencé au printemps, avant que le blé de l'annone ait eu le temps
d'arriver, car le mare clausum était appliqué, les prix atteignent des niveaux
exceptionnels : 7 sous pour 1 médimne de blé ; le médimne valant normalement 6 muids, le prix
serait de 1, 16 sou pour 1 muid. C'est très largement supérieur à tous les prix connus et il
faut interpréter assez fortement cette formulation archaïsante qui utilise une unité de
capacité depuis longtemps abandonnée (cf. ci-dessous, p. 501, n. 33). L'existence d'une
famine à ce moment est confirmée par le fait que la viande, dont le prix n'augmente
normalement que très peu en période de famine, car on peut s'en passer, atteignit elle-
même des records, preuve qu'on n'avait rien à manger puisque la viande était très
recherchée : un bœuf, dont le prix moyen ne dépassait pas 10 sous, s'échangeait contre 50
sous (7, 17, 10).
255 Constitutio pragmatica, éd. dans NJ app. 7, p. 802 : Ut annona ministretur medicis
et diversis. Annonam etiam quant et Theodoricus dare solitus erat, et nos etiam Romanis
indulsimus, in posterum etiam dari praecipimus, sicut etiam annonas quae grammaticis ac
oratoribus vel etiam medicis vel jurisperitis antea dari solitum erat.
140 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
256 Cette distinction, constante dans toute la documentation législative, est nettement
marquée par les traductions grecques de annona : άννώνα traduit ce terme quand il a le
sens de «salaire», alors que plusieurs termes sont utilisés pour désigner l'annone civique
(ci-dessous, p. 195-199).
257 Nous verrons, dans la seconde partie, que l'assistance alimentaire constitue l'un
des postes du budget municipal à côté des salaires de fonctionnaires divers. Ce
rapprochement de l'annone et des annones constitue peut-être un indice qu'à Rome aussi
l'annone n'est plus un poste du budget impérial, mais qu'elle est désormais confiée à
l'administration urbaine, sous la direction de l'évêque. L'ancienne capitale est réduite au rang
de ville provinciale.
258 II faut donc restituer, pour le titre, une formule telle que : Ut annona ministretur
populo annonaeque ministrentur medicis et diversis. Si on préfère ne pas corriger, on se
trouve devant un texte dont le sens ne change pas, mais qui n'est guère correct.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 141
259 L 'Anonymus Valesianus présente l'époque de Théodoric comme un âge d'or (§ 67,
71, 73, éd. cit., p. 17-18): Théodoric restaura les villes, fit régner l'ordre et, sous son
règne, les denrées furent à très bon marché. Procope se fait l'écho de cette réputation
dont Justinien cherche à tirer parti en s'en réclamant {De bello gothico, 5, 1, 31, éd. cit.,
p. 9). Le règne de Théodoric représentait encore l'âge d'or de la société italienne pour
Paul Diacre, Historia romana, 15, 18, éd. H. Droysen, Berlin, 1879 (MGH, AA, 2), p. 215.
260 Procope, De bello gothico, 5, 25, 2, éd. cit. p. 123.
142 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
de l'Eglise et la vente de leur blé261. Cette mesure n'a rien que de très
banal en apparence si, comme on l'a généralement supposé, le pape a
vendu le blé destiné aux distributions gratuites en faveur des pauvres,
pour atténuer les effets de la famine262. La démarche paraît logique :
puisque tout le monde a faim, on fait profiter toute la population du
blé de l'Eglise, mais comme on autorise des habitants disposant de
ressources à en bénéficier, on le vend au lieu de le leur donner, ce qui
procurera des fonds avec lesquels on refera les stocks affectés aux
pauvres; ceux-ci retrouveront finalement tout le blé qu'on leur a attribué et
l'Eglise n'aura rien perdu ni rien gagné. Mais alors on ne peut
expliquer deux détails. Le premier, cité par le Liber pontificalis lui-même,
concerne le long détour imposé à la dépouille du pape de peur de
manifestations, pendant son transport jusqu'à Saint-Pierre263. Accorder
deux lignes à ce récit dans une notice qui en compte seulement six,
suppose que l'événement parut d'importance et témoigne d'un grand
échauffement des esprits. Bien plus, la haine suscitée par ce pape
donna lieu à l'élaboration d'une légende rapportée par Paul Diacre dans sa
vie de Grégoire le Grand264. Le saint serait apparu trois fois à son suc-
261 Liber pontificalis, éd. cit., p. 315 : Eodem tempore fuit famis in civitate romana
gravis. Tune facta pace cum gente Langobardorum et jussit aperire horrea ecclesiae et venun-
dari frumento per solidum unum tritici modios XXX. L'ordre des faits surprend si on
admet que le pape ouvrit les greniers de l'Eglise pour soulager la population. En effet,
une fois le siège terminé, il est moins utile de livrer du blé public. Par contre on peut
comprendre qu'il avait fermé ces greniers pendant le siège, car ils étaient vides, et qu'il
les rouvrit une fois la paix conclue, mais que, pour une raison quelconque, il décida alors
de rendre les distributions payantes.
262 C'est l'interprétation de L. Duchesne, op. cit., p. 315, reprise souvent par les
commentateurs, car ce passage, apparemment banal n'a pas retenu l'attention. Le prix du
blé, 30 muids pour 1 sou, aurait cependant dû intriguer, car il est inférieur au prix
moyen généralement admis, et égal à celui qu'il faut considérer comme exact. A quoi bon
noter un prix aussi banal, surtout quand c'est le seul prix de denrée reproduit dans le
Liber pontificalis ?
263 Liber pontificalis, p. 315, avec le commentaire de L. Duchesne.
264 Paul Diacre, Vie de Grégoire le Grand, 29, éd. dans PL 75, col. 58. Il affirme sans
nuance que le seul crime de Sabinianus fut d'avoir vendu du blé des greniers
ecclésiastiques pendant une famine : cum fames validissima . . . grassaretur, et is qui ei (= Grégoire)
in sede pontificali successerat horrea Ecclesiae èmentibus frumento aperiret. Paul Diacre
continue en précisant que le pape supprima ainsi les ressources que Grégoire avait
données aux institutions d'assistance qui ne peuvent acheter ce blé. On peut mériter l'enfer et
périr sous les coups de la vengeance divine en se comportant ainsi, on ne peut provoquer
des mouvements populaires qui laissent de très longues traces, quand on connaît les
moyens limités dont disposait l'assistance aux pauvres (ci-dessous, p. 540-558). En fait,
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 143
Paul Diacre, qui disposait du même texte que nous, ou d'une notice plus détaillée - dont
le Liber pontificalis donnerait une forme abrégée - et qui, en outre connaissait la légende
circulant dans Rome, a cru d'autant plus facilement ces récits que, de son temps, on
ignorait tout de l'annone civique, depuis longtemps disparue.
265 Ci-dessous, p. 271-275 et 483.
266 C'est l'interprétation retenue, et non explicitée car elle lui semblait évidente, par
l'excellent spécialiste A. Kalsbach dans l'article annona du Reallexikon für Antike und
Christentum, éd. Th. Klauser, t. 1, 1950, col. 443-446.
144 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
sous le contrôle du pape, devenu, ici, comme dans les autres villes, à
l'exception de la capitale, le responsable suprême de la politique
d'assistance publique267.
Depuis longtemps les fouilles révèlent que certains greniers de
l'annone romaine ont continué à fonctionner jusqu'au VIIIe siècle au
moins. Il n'est pas sûr que la totalité des greniers encore utilisés ait été
maintenue en parfait état mais, en sens contraire, nous sommes loin de
connaître tous les greniers antiques encore en service à l'époque
byzantine268. Comme la population, et donc les besoins, ont considérablement
diminué, il nous suffit de savoir que certains fonctionnaient, et non des
moindres, pour supposer que Rome disposait encore d'un nombre
suffisant à'horrea.
Les archéologues ont aussi constaté avec étonnement qu'une partie
de ces greniers était aménagée en lieux de culte. Le début des travaux
coïncide approximativement avec la reconquête puisqu'il se situe vers
le milieu du VIe siècle269. L'église n'occupe jamais la totalité du grenier,
theimer, op. cit., t. 3, p. 81, pour Sainte-Marie-in- via-Lata dont les murs pourraient dater
de la fin du VIe siècle, et par P. Toesca, Storia dell'arte italiana, t. ί, II medioevo, Turin,
1927, p. 220, pour saint-Théodore qui daterait des environs de 600, sans qu'on puisse
préciser davantage. Ces constructions doivent être mises en relation avec la mention des
horrea ecclesiastica à partir du pontificat de Grégoire le Grand.
270 C'est le grand mérite de A. Bartoli et E. Sjöqvist (cf. à la note précédente) de
l'avoir compris, avant la floraison des hypothèses aventureuses sur l'origine des diaco-
nies romaines, qui brouilla le débat.
271 Bélisaire, entrant dans Rome, fit engranger dans les greniers publics (έν οΐκήμασι
δημοσίοις dit notre puriste qui répugne aux néologismes, ici horreum - ώρεΐον) le blé
qu'il avait amené de Sicile dans ses bateaux (Procope, De bello gothico 5, 14, 17; éd. cit.,
p. 78). Cassiodore témoigne qu'ils étaient encore entretenus vers 510 (Variae, 3, 29)
272 Cf. ci-dessus, n. 254.
273 Bien que le texte ait été adressé au représentant de l'empereur, chef de
l'administration civile (Antiocho viro magnifico praefecto per Italiam), la Pragmatique Sanction a
été publiée à la demande du pape, à qui on reconnaissait donc une certaine compétence
dans cette administration civile, au moins à titre de représentant privilégié des intérêts
locaux de toute l'Italie (pro petitione Vigilii venerabilis antiquioris Romae episcopi). Cf. NJ
ap. 7, p. 802 et 799.
146 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
274 Grégoire de Tours, Libri decent historiarum, 2e éd. par B. Krusch et W. Levison,
Hanovre, 1937-1951 (MGH, SRM 1), p. 477 : inondations catastrophiques à Rome ut aedes
antiquae deruerunt, horrea etiam ecclesiae subversa sunt, in quibus nonnulla milia modio-
rum tritici perire. Comme on ne parle jamais à'horrea ecclesiae à Rome avant cette
époque, et comme Grégoire est un contemporain, on ne saurait l'accuser d'anachronisme.
Jean Diacre, qui disposait de documents administratifs de cette époque, parle lui aussi
à'horrea ecclesiastica : l'inondation fut si grave ut . . . ecclesiastica quoque horrea violenter
subverteret in quibus nonnulla modiorum tritici milia periere (Vie de Grégoire, 1, 34, éd.
dans PL, t. 75, col. 77). L'identité des formules chez les deux auteurs suggère, plutôt
qu'un emprunt du second au premier, l'utilisation d'une source commune, d'origine
romaine, et contemporaine des faits. Comme on sait par ailleurs que les greniers de
l'Eglise alimentaient toute la population, il est clair que ou bien les greniers de l'Eglise
gèrent l'annone ou bien l'Eglise gère les greniers de l'annone. L'archéologie montre que
la seconde hypothèse est la bonne (cf. n. 269). Mêmes formules dans Grégoire le Grand,
Ep. 1, 42 et 9, 116, éd. D. Norberg, Registrum epistularum, Turnhout, 1982 {Corpus chris-
tianorum. Series latina, 140 et 140 A), t. 1, p. 50 et t. 2, p. 669. De même dans le Liber
pontificalis, éd. cit., p. 315 (cf. ci-dessus, n. 264). La lettre 9, 115 de Grégoire le Grand met
en scène des greniers ecclésiastiques en Sicile, mais ils sont si intimement liés à
l'administration civile de la ville qu'ils ne peuvent être que les correspondants locaux des greniers
romains dont ils confirment ainsi l'existence.
275 Nonnulla milia modiorum, cf. n. 274. Le désastre a dû être particulièrement grave
pour que Grégoire de Tours et Jean Diacre ne mentionnent que les greniers parmi les
bâtiments touchés. C'est évidemment parce qu'ils contenaient l'essentiel de la nourriture
des Romains.
276 Inutile d'illustrer le fait que les revenus du patrimoine de l'Eglise de Rome
servent à l'entretien des pauvres (Grégoire le Grand, Ep., passim). Par contre la lettre 1, 2
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VII« SIÈCLE 147
(éd. cit., p. 2) dit bien que toute la population est en danger {non unus quilibet homo sed
cunctus simul populus trucidatur). En septembre 590, on ne pouvait se permettre de
laisser détourner le moindre muid de blé après l'inondation qui avait détruit les réserves en
novembre 589, et tout retard pouvait être mortel. Pour les rapports entre l'annone et le
patrimoine, voir ci-dessous, p. 155, n. 297. Bien noter que, pour le pape, comme pour les
fonctionnaires du IVe siècle, l'essentiel de l'alimentation en blé vient de l'annone.
277 Sur l'obéissance de Grégoire le Grand aux ordres impériaux, qu'il ne saurait être
question d'outrepasser, voir, parmi de nombreux exemples, Ep. 5, 36, éd. cit., t. 1, 306;
Ep. 9, 115, t. 2, p. 669-670.
278 Cf. ci-dessus, n. 269.
148 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
ne gratuite, entre 604 et 606 279. Rome perdait alors la dernière marque
distinctive de son ancien statut de capitale. Désormais Constantinople
serait la seule ville à ne pas être administrée par son évêque. Une lettre
du pape Pelage (579-590) à l'exarque d'Afrique pourrait laisser croire
que, sous son pontificat encore, le pape ne s'occupait que des pauvres,
mais on peut légitimement le soupçonner de mettre cette seule activité
en avant pour impressionner son correspondant, alors que le
patrimoine servait déjà tant à l'annone civique qu'à l'assistance aux
indigents280.
281 Grégoire le Grand, Ep. 5, 36, éd. cit., t. 1, p. 306 : Quia nos qui intra civitatem fui-
mus, Deo protegente, manus ejus (= Agilulphi) evasimus, quaesitum est unde culpabiles
videremur cur frumenta defuerint quae in hac urbe diu multa servari nullatenus possunt
sicut in alia suggestione plenius indicavi . . . Sed de gloriosis viris Gregorio praefecto praeto-
rio et Casto magistro militum non mediocriter afflictus sum qui et omnia quae potuerunt
fieri nullo modo facere neglexerunt, et labores vigiliarum et custodiae civitatis in obsessione
eadem vehementissimos pertulerunt . . . Sur cette lettre, voir L.-M. Hartmann,
Untersuchungen zur Geschichte der byzantinischen Verwaltung in Italien (540-750), Leipzig, 1889,
p. 100. Sur la fonction de Castus, voir, en dernier lieu, Β. Bavant, op. cit., sous presse. On
notera que, dans ce texte, il n'est nullement question de blé pour l'Eglise. Grégoire traite
de l'annone qui aurait dû être amassée dans les greniers publics, et non de la subsistance
des clercs et des pauvres.
282 II faut bien noter la distinction entre le blé, qui concerne le pape seul, et la
défense, dont sont responsables les autres fonctionnaires. Dans aucune autre source on ne voit
un fonctionnaire qui soit le supérieur du pape, pour ce qui concerne l'alimentation de
Rome. Le pape a donc une situation privilégiée par rapport aux autres évêques. Ailleurs,
c'est le gouverneur - ou le duc, lorsqu'il eut pris le pas sur lui - qui supervise l'action de
l'évêque en ce domaine (ci-dessous, p. 461-462).
283 Sur le rôle des ducs, et d'autres fonctionnaires dans la défense des villes, voir J.
Durliat, Les dédicaces d'ouvrages de défense dans l'Afrique byzantine, Rome, 1981
(Collection de l'Ecole française de Rome, 49), p. 98-99.
1 50 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
286 Sur la nature des biens d'Eglise, qui commande l'idée qu'on peut se faire des
rapports exacts entre l'institution ecclésiastique et la société protobyzantine, voir, en dernier
lieu, A. Guillou, Le monde carcéral en Italie du Sud et en Sicile aux VIe- VIIe siècles, JOB,
33, 1983, p. 79-86 (bibliographie, p. 79, à compléter par J. Durliat, Les attributions civiles
des évêques byzantins : l'exemple du diocèse d'Afrique (533-709), 16e congrès
international d'histoire byzantine, JOB 32, 1982, p. 73-84).
287 C'est ce qui apparaît dans l'épisode célèbre où Léon III affecta à un autre poste
budgétaire les 3,5 talents (350 livres d'or = 25 200 sous) que recevait l'église de Rome
(Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, Leipzig, 1883 (coll. Teubner), p. 410.
152 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
288 Grégoire le Grand, Ep. 1, 2, éd. cit., p. 3 : De frumentis autem quae scribitis longe
aliter vir magnificus Citonatus asserit, quia solummodo tanta transmissa sunt quae pro
transactae indictionis debito ad replendum sitonicum redderentur. De qua re curant gerite
quia si quid minus hic transmittitur non unus quilibet homo sed cunctus simul populus
trucidatur.
289 Sur le sitonicum de Sicile, voir ci-dessous, et p. 432.
290 Grégoire le Grand, Ep. 9, 116, éd. cit., t. 2, p. 669 : Scripta suscepimus in quibus
indicastis sollicitudini vestrae . . . curam sitonici fuisse mandatam atque praeceptum esse ut
omnis tritici quantitas quae in horreis ecclesiae nostrae suscepta fuerat vobis tradì per
omnia debuisset et scripsistis ut hoc ipsum parari in specie faceremus . . . Ai quamquam
durum ac erat omnino difficile ut res quae nec servari nec eo tempore ad emendum poterat
inveniri, in specie restituì peteretur, verumtamen ut exui ad hujus rei sollicitudine valere-
mus, studii nostri fuit, etsi cum majori omnino dispendio, frumenta ipsa, sicut voluistis, in
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 153
tion, a ordonné que tout le blé consigné dans les greniers de l'église de
Rome fût versé au sitonicum. Le pape ne s'attendait pas à devoir
effectuer la totalité du versement en une fois. Aussi a-t-il des difficultés à
rassembler la masse exigée au cœur de l'hiver, alors qu'on ne trouve
pas de blé à acheter; cependant il s'exécute car il le doit. D'autre part,
la quantité totale consignée dans les greniers de l'église de Rome a été
inscrite dans les registres publics. Les defensores, agents de l'Eglise
travaillant sur place, ont donc demandé ce qui leur a paru utile, à savoir
un contrôle de cette quantité inscrite afin que personne ne profite de la
situation (en faisant inscrire une créance trop forte sur l'église de
Rome), ce qui permettrait au fraudeur de ne pas payer sa part d'impôt.
Les defensores jugent aussi utile que l'on établisse des reçus pour que
les éventuels dommages subis par le blé dans le sitonicum (le grenier
public de Sicile) ne soient pas imputés aux horrearii, aux
administrateurs des greniers ecclésiastiques, car ni eux-mêmes ni les habitants de
la ville où ils perçoivent le blé ne pourraient prendre ces pertes à leur
charge. Que le curator examine l'affaire avec soin pour que cette
opération qui est sous la responsabilité de l'Eglise romaine n'occasionne
aucun dommage supplémentaire aux pauvres (c'est-à-dire à l'Eglise
qui, chargée d'assister les pauvres, s'identifie à eux puisque, dit-elle,
toutes les pertes qu'elle subit sont dommageables pour les pauvres).
Le blé consigné dans les greniers de l'Eglise ne peut être que le blé
dont elle doit assurer la perception et la conservation jusqu'à ce qu'on
lui en réclame le versement. Elle le perçoit sur le territoire d'une cité
déterminée ou d'un ensemble de cités, en collaboration avec les
responsables de la cité ou des cités, puisqu'elle partagerait avec eux les
inconvénients nés d'une surimposition abusive291. La perception est bien faite
sur les terres du patrimoine puisque les defensores de l'église romaine,
qui sont les administrateurs du patrimoine, en sont chargés et que les
horrearii de l'Eglise doivent assurer le stockage. Ces derniers
personnages sont les plus intéressants pour notre point de vue actuel. Ils conser-
295 L'Italie du Sud faisait partie du même ensemble que la Sicile; cf. Liber pontifica-
lis, éd. cit., p. 366 (685-686) : L'empereur rétablit le droit de pratiquer la coemptio du blé,
c'est-à-dire la perception d'une partie de l'impôt sous forme de blé, en Sicile et en Cala-
bre, au profit de l'Eglise de Rome. Le clergé de cette ville, pour nombreux qu'il ait été,
n'avait pas besoin de grosses quantités de grains. Pour moi, cette coemptio servait à
l'annone payante, maintenue à Rome après la suppression de l'annone gratuite.
296 Cf. n. 287. Après la suppression des revenus siciliens, Rome ne fut plus, pour ce
qui concerne son alimentation, que la capitale du Latium, vivant des ressources de ses
alentours. D'un point de vue politique, elle rompit avec l'Empire.
297 L'Eglise lève la pensio integra, le montant total de l'impôt, sur les terres dont elle
a reçu la responsabilité fiscale (Grégoire le Grand, Ep. 1, 42, éd. cit., t. 1, p. 50 ). Avec ces
fonds, elle doit payer les charges publiques locales auxquelles sont affectées certains
revenus (par exemple les prisons : voir A. Guillou, Le monde carcéral . . .), les dépenses
civiles de la ville de Rome, dont l'annone, comme le prouve la mention des horrea
ecclesiastica à deux reprises dans cette lettre, les dépenses liées au fonctionnement de l'Eglise
de Rome, ce que montre à profusion toute la correspondance, sans doute aussi les
dépenses inscrites au budget général de l'Empire, ce qui suppose l'envoi d'espèces ou de
denrées à Constantinople. Notre source ne fait pas allusion à cette dernière sorte de dépenses
qui est, par contre, bien attestée à Ravenne : les patrimoines siciliens rapportaient 31 000
sous, dont 15 000 allaient dans les caisses impériales; cf. Agnellus, Liber pontificalis eccle-
siae Ravennatis, éd. O. Holder-Egger, Hanovre, 1878 (MGH, Script, rerum Langobardica-
rum et italicarum saec. VI-IX), p. 350 = A. Guillou, Régionalisme et indépendance dans
l'empire byzantin au VIIe siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la Pentapole d'Italie, Rome,
1969 (Istituto storico italiano per il medioevo. Studi storici, 75-76, p. 176). Pour un autre
exemple de répartition des revenus fiscaux entre plusieurs bénéficiaires, voir P. hai. 2.
298 Dans la lettre citée à la n. précédente, l'impôt est dû en or, mais une partie est
levée en blé par le biais d'une coemptio permanente (voir ci-dessus, p. 46, n. 17).
156 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
299 Deux cas sont à envisager : ou bien on achète aux paysans un complément
d'annone, en sus de l'impôt dû, et on doit alors pratiquer le prix du marché (Grégoire le Grand,
Ep. 1, 70, éd. cit., t. 1, p. 78) ; ou bien on exige la contrepartie en nature de l'impôt
exprimé en or mais on doit s'en tenir aux pretta publica, aux prix d'adaeratio-coemptio (ibid., 1,
42, t. 1, p. 50).
300 Grégoire le Grand, Ep., 1, 42 : On n'exigera pas plus de 18 setiers pour 1 muid dû
et on reversera seulement 16 setiers. De même, pour les perceptions en or, on exigera
73,5 sous pour 1 livre de 72 sous et on ne reversera que 72 sous. La différence dans
l'importance de la commission (2/16 et 1, 5/72) provient de ce que les frais sont moins
lourds pour la collecte et le transport de pièces de monnaie, que pour le blé.
301 Grégoire le Grand, Ep. 13, 35, éd. cit., t. 2, p. 1037 : Cognovimus quia modium ad
quem coloni ecclesiae frumenta dare compellabantur viginti et quinque sextariorum inve-
neris . . . Ces commissions excessives (25 setiers pour 1 muid, au lieu des 18 légaux) sont
imposées par les conductores dans le cadre des massae, lorsque le contrôle des recteurs
du patrimoine faiblit.
302 Fundus, colonia (ou colonica), mansus sont au cœur de toute la discussion sur la
nature du «grand domaine», grande exploitation ou assiette fiscale. L'importance du
dossier italien d'époque byzantine tient à ce qu'il montre l'existence, dans un milieu romano-
byzantin, sans aucune possibilité de contacts avec le royaume franc tels que celui-ci ait
pu exercer son influence dans le domaine des institutions, de notions, et sans doute de
réalités que l'on croit parfois d'origine barbare. Grégoire le Grand écrit dans un contexte
administratif qui est le même que celui de P. liai. 3, document souvent cité et commenté
dont on n'a pas suffisamment noté qu'il doit s'inscrire dans la tradition séculaire du
monde antique et non du monde médiéval.
303 Sur l'importance du cadre municipal, voir Grégoire le Grand, Ep. 9, 115 (cf.
n. 274).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 157
Cependant la majorité des transports est effectuée au VIe siècle par des
negotiatores au service de l'Etat. A l'époque ostrogothique le roi utilise
leurs bateaux qui reçoivent des privilèges et effectuent les coemptiones
publiques. Ils semblent former une catégorie particulière qui a peut-
être le droit d'effectuer du commerce pour son compte mais qui doit
obéir à tout ordre309. De même, à la fin du siècle, le recteur du
patrimoine n'éprouve aucune difficulté à les mobiliser, tant pour les
transports habituels que pour les exceptionnels; aussi «les bateaux qui ont
toujours été recommandés à la sainte Eglise» peuvent être des bateaux
privés ou publics, pour ce qui est de leur financement, mais forment
une catégorie à part de recommandés touchant un salaire en échange
de cette recommandation; ils obéissent sans discuter aux ordres qui
leur sont donnés et apparaissent entièrement consacrés aux opérations
que leur confie l'Etat310. Leur intervention est déterminante pour le
ravitaillement de Rome. Bélisaire, en guerre et dépourvu de flotte, avait
pu faire transporter du blé par terre pour son armée à partir de l'Italie
du Sud jusqu'à Rome, mais le blé annonaire n'utilise que la voie
maritime, au moins lorsqu'il vient de Sicile311. De Porto à Rome, il est halé
jusqu'aux greniers de la Ville devenus greniers de l'Eglise312. A partir de
là, on ne sait plus rien, ni s'il était donné sous forme de grain, de farine
ou de pain - bien que le fonctionnement des moulins du Janicule fasse
tien. Nous n'avons pas la preuve formelle qu'aient existé des naviculaires italiens. Le
second texte montre seulement un naviculaire portant une lettre.
309 Les negotiatores qui transportent le blé public bénéficient de l'interpretium (Cas-
siodore, Variae, 2, 26, éd. cit. p. 75-76, ; sur le sens de interpretium, index s. v. ) ; ils
disposent d'un monopole pour la vente de surplus si seulement ils acquittent le siliquaticum;
ils forment un corps particulier puisque l'Eglise de Milan demande qu'on lui en accorde
un ( Variae, 2, 30, p. 78-79) ; ils remplissent une mission publique, puisqu'ils obéissent au
comte des largesses sacrées et cette mission est vitale pour l'Etat {Variae, 4, 7, p. 234 :
negotiatores quos humanae constat necessarios) .... De même, dans la pragmatique
sanction (éd. dans NJ, p. 802) § 26, les coemptiones publiques sont effectuées par les
negotiatores et, si les contribuables (collatores) ne peuvent livrer les produits ce sont ces
transporteurs qui doivent se les procurer chez les mercatores.
310 Grégoire le Grand, Ep 1, 70, éd. cit., t. 1, p. 78 : Les naves commendatae peuvent
être réquisitionnées facilement et bénéficient en échange de la protection pontificale et
de celle de l'administration civile. Bien que les détails nous échappent, on sent que ces
bateaux ont un statut proche de celui des anciens naviculaires. D'ailleurs celui qui se
recommande, et se met, de ce fait sous les ordres de l'Eglise en permanence reçoit un
salaire (Ep. 1, 42, p. 58; continentia a ici le sens de salaire).
311 Procope, De bello gothico, 6, 5, 2-3, éd. cit., p. 170.
312 Cf. ci-dessus, p. 125.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 1 59
313 Procope, De bello gothico, 5, 19, 8, éd. cit., p. 97. Si les moulins publics
fonctionnent encore, c'est évidemment qu'on livre aux Romains au moins de la farine et non du
grain à moudre.
314 Sur la persistance du cadre des régions civiles, voir ci-dessous, p. 176. Sur son
existence à Constantinople, à la même époque, ci-dessous, p. 190.
315 Grégoire le Grand, Ep., 1, 70, éd. cit., p. 78; pour le texte, voir à la n. 299.
316 Avec 3 600 sous, on peut se procurer 7 200 qx de blé, de quoi nourrir 3 600
personnes pendant un an. Mais l'envoi de février servira uniquement à attendre les envois
normaux du printemps. Ils peuvent suffire pour 20 000 personnes pendant 2 mois et ne
constituent qu'un complément des quantités alors disponibles.
317 Sur l'arca frumentaria de Constantinople, voir ci-dessous, p. 213-217. Elle avait un
budget de 610 livres d'or au moment où la ville était déjà importante. Celle de Rome
pouvait avoir un budget plus considérable car il n'est pas sûr que le pape ait engagé
toutes ses disponibilités dans l'achat de blé en Sicile. La comparaison est donc suggestive
sans permettre, pour autant, des conclusions indiscutables.
160 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
318 R. Krautheimer, Roma. Profile of a city, 312-1308, Princeton, 1980, p. 62, propose
une estimation de 90 000 habitants, sans apporter la moindre justification.
319 Sur les diverses confiscations et restitutions de patrimoines de l'Eglise que l'Etat
attribue à l'armée avant de les affecter à nouveau à l'Eglise, voir Liber pontificalis, éd.
cit., p. 366, 369, 385, 398.
320 Cf. ci-dessus, n. 287.
321 B. Bavant, op. cit., sous presse.
322 Sur la position de Rome dans le monde méditerranéen vers 750, O. Bertolini,
Roma di fronte a Bisanzio e ai Longobardi, Rome, 1941 (Storia di Roma, 9), p. 515-545.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 161
CONCLUSION
L'évolution que nous venons de suivre est unique à plus d'un titre,
au moins par la richesse exceptionnelle de la documentation qui,
malgré toutes les lacunes que peut lui trouver un historien des époques
postérieures, et, plus généralement, l'esprit exigeant de nos
contemporains et de nous-mêmes, dépasse en variété et en précision ce que l'on
pourra dire des autres villes des IVe- VIIIe siècles, mais plus encore elle
se distingue par la diversité des situations dans lesquelles se trouva
Rome. Elle nous apparaît d'abord comme la capitale de l'Empire ou du
moins comme l'héritière de ses privilèges, puis comme une grande
métropole régionale qui vit se réduire parallèlement le territoire d'où
elle pouvait faire venir sa nourriture et sa population jusqu'à n'être
plus que le chef -lieu du Latium, résidence d'un pontife dont l'influence
s'étendait jusqu'aux extrémités du monde connu sans qu'il ait les
moyens d'entretenir une ville à la mesure de son autorité morale et
diplomatique.
De cette évolution ressortent deux données complémentaires.
D'abord une corrélation rigoureuse entre taille de l'Empire et
importance de la population telle qu'elle ressort des calculs fragiles mais
significatifs que nous avons pu effectuer et des quelques autres
nombres - supplément d'annone accordé par Théodoric, dépense de
Grégoire le Grand pour assurer un complément de blé à la ville - qui
n'auraient aucune valeur par eux-mêmes mais qui correspondent
suffisamment à ce qu'on attend pour confirmer les estimations faites
indépendamment d'eux. Ainsi toutes les indications convergent sans la moindre
exception pour suggérer fortement, sinon prouver définitivement, un
déclin parallèle de la population romaine et de l'espace politique sur
lequel elle pouvait percevoir l'annone en grains, au moins jusqu'à la fin
du VIe siècle. Mais le mouvement s'est sans doute poursuivi, au-delà de
la décision du pape Sabinianus, jusqu'à la suppression de toute
livraison de blé fiscal, même payante.
Cela ne signifie pas que la survie de la Ville dépendait uniquement
de l'annone qui assure le ravitaillement et en diminue le coût mais ne
donne ni le vêtement ni le logement. Cependant on constate que Rome
162 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
A première vue, les diaconies romaines n'ont pas leur place dans ce travail,
pour deux raisons : d'abord elles apparaissent dans la documentation à la fin
du VIIe siècle et au VIIIe siècle, à un moment où Rome cesse progressivement
d'être byzantine; ensuite les diaconies sont des institutions chargées de
l'assistance ecclésiastique qui ne nous intéresse qu'indirectement, pour évaluer son
importance à côté de l'assistance publique. Cependant on a affirmé que les
diaconies entretenaient des rapports avec l'annone. Il faut donc voir ce qu'il en est
et se demander si, d'une manière ou d'une autre, elles n'ont pas pris sa
succession.
A - DlACONIE ET DIACONIES
Pour rendre compte de tous les documents dans leur diversité, il faut
indiquer dès maintenant que diaconia peut avoir plusieurs sens, sens que les
sources romaines, trop elliptiques, n'explicitent pas suffisamment et qu'on peut
uniquement déterminer par une enquête très large. A l'origine, la διακονία
constituait le service au sens le plus large du terme. Les chrétiens ont gardé cette
définition en grec mais elle n'a pas été retenue lorsque le mot a été utilisé en
latin {diaconia). Par contre, quand on a donné à διακονία le sens de service par
excellence, c'est-à-dire de service des pauvres, il a reçu plusieurs acceptions qui
ont été reprises en latin : διακονία-iitacoma peut désigner soit le service
episcopal de l'assistance, soit le service d'un monastère qui soulage les pauvres de
passage, soit une association de pieux laïcs assurant le service des malades et
des indigents dans des bâtiments gérés de manière autonome sous le contrôle
episcopal1.
1 Pour une liste incomplète, mais importante, des sens de διακονία diaconia, voir
H.-I. Marrou, L'origine orientale des diaconies romaines, MEFR, 57, 1940, p. 142. Ce
travail, en élargissant le champ de l'enquête à l'ensemble du monde méditerranéen, a
montré la voie à suivre. Voir aussi ci-dessous, p. 545-551, pour la diaconie episcopale.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 165
Ce dernier sens pourrait convenir aux diaconies qui, d'après Jean Diacre
dans sa vie de Grégoire le Grand, existaient dès le pontificat de ce pape, et sans
doute avant puisque notre auteur ne dit pas qu'elles soient apparues à ce
moment2. Peut-on cependant ajouter foi à ce texte hagiographique, rédigé
plus de deux siècles après les événements? On en a douté parce que Jean
Diacre aurait attribué à Grégoire des pratiques courantes au moment où il écrivait
et parce qu'on n'entend plus parler des diaconies dans aucune source avant la
fin du VIIe siècle3. En fait, nous verrons qu'il faut même attendre le début du
VIIIe siècle pour que les diaconies apparaissent dans des sources irréfutables.
Rejeter le texte de Jean Diacre soulève cependant trois objections. D'abord,
une lecture rigoureuse des deux phrases en cause aurait montré que les
diaconies sont rapprochées des xenodochia et non des églises, alors que, à partir du
VIIIe siècle, c'est l'église de la diaconie qui l'emporte sur l'institution à laquelle
elle est liée : autant il était normal de rapprocher diaconies et xenodochia tant
que la fonction charitable l'emportait, autant cela devenait difficile lorsque
l'église de la diaconie fut considérée comme plus importante que le service
rendu par cette diaconie4. Donc Jean Diacre n'assimile pas la situation vers 600 à
2 Jean Diacre, Vie de Grégoire le Grand, 2, 27, éd. dans PL, t. 75, col. 97 :
conformément aux dispositions du polyptyque de Gélase, Grégoire faisait donner de l'argent quatre
fois par an collatis omnibus ordinibus ecclesiasticis vel palatinis, monasteriis, ecclesiis, coe-
meteriis, diaconiis, xenodochiis urbanis vel suburbanis; ibid., 2, 51, col. 109: Prudentissi-
mus paterfamilias Christi Gregorius singulis diaconiis vel xenodochiis viros idoneos deputa-
vit. Noter, dans le premier passage, le fait que les ordines ecclesiastici et les palatini sont
mis sur le même plan; le pape est bien le trésorier-payeur tant des clercs que des
fonctionnaires, comme nous l'avons constaté maintes fois. Noter, dans le second passage, que
diaconies et xenodochia sont considérés comme suffisamment semblables pour être
regroupés dans une même formule; de même, dans le premier texte, ces deux sortes
d'institutions sont citées à la suite l'une de l'autre. Même remarque à propos de l'allusion
rapide aux diaconies dans Paul Diacre, Vie de Grégoire le Grand, 29, éd. dans PL t. 75,
col. 58 : Sabinianus supprime les distributions organisées par Grégoire per monasteria et
xenodochia seu diaconias vel hospitia. Les diaconies auxquelles il est fait allusion sont
assurément des institutions spécialisées dans l'assistance. Une comparaison avec
l'ensemble de la documentation protobyzantine montrerait que ce sont sans doute de simples
associations privées de bienfaisance, qui touchent des subsides de l'évêque.
3 O. Bertolini, Per la storia delle diaconie romane nell'alto medio evo sino alla fine
del secolo Vili, Archivio della società romana di storia patria, 70, 1947, p. 14-15, rejette le
témoignage de Jean Diacre. Les autres auteurs négligent ou ignorent ce texte.
4 Dès la fin du VIIIe siècle, la diaconie est constamment associée à une église (ci-
dessous, p. 173), nettement distinguées des xenodochia (voir, par exemple, Le liber pontifi-
calis, texte, introduction et commentaire, par L. Duchesne, t. 2, Paris, 1886, p. 1-34, pour
166 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
2) La diaconie episcopale
des dons faits à des églises ou des diaconies. On ne mentionne qu'un seul xenodochium,
et encore le fait-on par l'intermédiaire de l'oratoire qui s'y trouve et qui reçoit un don).
5 Liber pontificalis, éd. cit., p. 364 (Benoît II, 684-685) : Hic dimisit omni clero,
monasteriis, diaconiae et mansionariis auri libras XXX; p. 367 (Jean V, 685-686) : Hic
dimisit omni clero, monasteriis, diaconiae et mansionariis solidos MDCCC{C\ ; p. 369 (Co-
non, 686-687) : Hic dimisit omni clero, monasteriis, diaconiae et mansionariis benedictio-
nem in auro, sicuti praecessor ejus Benedictus papa; p. 410 (Grégoire II, 715-731): Hic
dimisit omni clero, monasteriis, diaconiae et mansionariis solidos IICLX. On sait que la vie
des papes était écrite de leur vivant ou immédiatement après leur mort, depuis le milieu
du VIIe siècle. Les trois premières notices n'ont pu être rédigées au même moment,
même si c'est par le même secrétaire, ou par plusieurs secrétaires utilisant un même
formulaire. Par contre l'auteur de la notice sur Grégoire II est assurément différent des
précédents (Liber pontificalis, p. CCXXXII-CCXXXIV). En outre on n'aurait pas pris soin
d'indiquer exactement le montant des sommes distribuées si la formule avait été vide de
sens. Sur la ponctuation, et sur la correction de MDCCCC en MDCCC, voir ci-dessous.
6 Liber pontificalis, éd. cit., p. 364-365, n. 7 : le commentaire de L. Duchesne mérite
d'être cité en entier, car il a fourni la base de toutes les réflexions postérieures : « Les
monastères de diaconie (noter le singulier) sont marqués ici à l'exclusion des monastères
ordinaires. Cette distinction ouvre une perspective sur l'organisation des services (noter
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 167
singulier en pluriel pour que les monastères de la diaconie soient des diaconies
telles qu'on les voit dans de nombreux documents du VIIIe siècle. En outre les
archéologues qui ont étudié les diaconies ont trouvé des églises, parfois des
bâtiments annexes de nature indéterminée, mais jamais la moindre trace de
monastères7. De même aucun texte relatif aux diaconies, ne fait allusion à des
le pluriel) de charité à Rome et en même temps sur l'origine des diaconies cardinalices
(noter le pluriel qui est dorénavant constant) . . . Les diaconies furent d'abord des
établissements analogues à nos bureaux de bienfaisance, ayant dans leur ressort
l'administration des hôpitaux, des asiles de vieillards, des hospices pour les pèlerins et voyageurs
pauvres, mais surtout les distributions d'aumônes en nature aux indigents de la ville. Ce
dernier service correspondait à la frumentatio du Haut-Empire, et au partis gradilis du
IVe et du Ve siècle. Sur ce point, comme sur tant d'autres, une institution ecclésiastique
préexistante s'était peu à peu substituée à une institution civile d'objet analogue.
Cependant, en parlant d'une institution ecclésiastique préexistante, je n'entends pas dire que les
services charitables de l'église romaine aient été, dès les premiers siècles, rattachés aux
diaconies dont je m'occupe en ce moment. Sur celles-ci, je ne connais aucun document
antérieur à la vie de Benoît II. Saint Grégoire ne parle jamais, au moins en termes exprès,
des diaconies romaines. Les églises qui en étaient comme les chapelles sont loin de
remonter à une antiquité aussi haute que les églises presbytérales titulaires; plusieurs
d'entre elles ont été installées dans des édifices antiques dont l'église romaine n'avait
certainement point la libre disposition au IVe ou au Ve siècle; quelques-unes, qui ne sont
devenues diaconies que longtemps après leur fondation, n'ont pas été fondées avant le
VIe ou le VIIe siècle. La formule monasteria diaconiae, employée par le biographe de
Benoît II, suppose que les diaconies ont d'abord été organisées en forme de monastères;
les moines fournissaient le personnel de l'administration et du service (diaconitae); à la
tête de chaque diaconie était un supérieur, moine aussi le plus souvent, qui portait le titre
de pater ou de dispensator. Les prêtres attachés à l'établissement relevaient de lui au
point de vue du temporel et du service . . . (Les) dix-huit diaconies étaient très
inégalement réparties entre les sept régions ecclésiastiques . . . Cette circonstance concourt à
prouver que les diaconies du VIIe siècle n'ont rien à voir avec les ressorts diaconaux
institués par le pape Fabien (f 250) ».
7 L. Duchesne, Notes sur la topographie de Rome au moyen âge, MEFR, 7, 1887,
p. 236-237, fait une allusion rapide aux monastères qui ont dû servir les diaconies, sans
fournir la moindre preuve de leur existence, alors que p. 239-243, il montre avec de bons
arguments que ces diaconies se sont installées dans des édifices antiques. A. Bartoli, Gli
horrea agrippiana e la diaconia de San Teodoro, Monumenti antichi pubblicati per cura
della R. Academia nazionale dei Lincei, 27, 1922, p. 373-402, a fouillé de manière
critiquable les grands horrea, mais avec suffisamment de soin pour qu'on le suive lorsqu'il
affirme que ces greniers ont continué à être entretenus jusqu'aux VIIe- VIIIe siècles, et qu'on y
a seulement construit une église, à l'exclusion de tout monastère. Si le monastère ne se
trouve pas dans les horrea, alors qu'on disposait d'un espace considérable, c'est qu'il n'a
jamais existé. E. Sjoqvist, Studi archologici e topografici intorno alla Piazza del collegio
romano, Opuscula archaeologica, 4, Lund, 1946 (Istituto storico svedese, 12), p. 132-133, a
parfaitement vu que les fouilles ne révèlent pas de traces de monastères, en particulier à
Sainte-Marie-in-via-Lata ; il s'est posé la question et se montre fort embarrassé de devoir
168 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
conclure que le monastère n'a pu fonctionner que 50 ans environ et disparaître sans
laisser la moindre trace archéologique; on peut difficilement admettre une telle hypothèse.
O. Bertolini, op. cit., p. 141, n. 1, prenant connaissance du travail de E. Sjöqvist, alors que
son article était terminé, a fort bien compris la force de l'objection, mais réplique en
citant les passages du Liber pontificalis (cf. n. 4) qui ne prouvent rien, la présence de
diaconi tes, qui n'est pas concluante (cf. n. 44) et le lien que révélerait une formule du
Liber diurnus dont nous verrons ce qu'il faut en penser (cf. n. 22). Surtout il renvoie aux
p. 111-114 de son article, où il avait pris grand soin de montrer que, si l'on excepte les
passages du Liber pontificalis, les diaconies romaines n'ont rien à voir avec celles
d'Egypte, car la diaconie est indépendante du monastère à laquelle elle serait associée. Il est
obligé de supposer une évolution entre la fin du VIIe siècle, où les influences orientales
auraient introduit des monastères gérant des diaconies, et le VIIIe siècle, où les diaconies
se seraient émancipées.
8 H.-I. Marrou, op. cit., p. 110-115, 120-136, et surtout p. 137: «Dans le jargon
monastique (diakonia a le sens) d'office, fonction spécialisée, à l'intérieur d'un couvent».
Il existe donc des diaconies de monastères, mais nulle part des monastères de diaconie,
une fois rejetée l'exception romaine (l'auteur n'a pas modifié son point de vue dans la
réédition de son article, avec quelques compléments, dans Patristique et humanisme,
Paris, 1976 (Patristica sorbonensia, 8), p. 81-117). Il est sûr qu'un monastère n'est jamais le
monastère d'une institution quelconque puisque, par définition, il se suffit à lui-même,
même s'il est vrai qu'on lui assigne des tâches aussi éloignées de sa finalité essentielle que
l'entretien des soldats (J. Gascou, P. Fouad 87 : Les monastères pachômiens et l'Etat
byzantin, Bulletin de l'IFAO, 76, 1976, p. 163-184).
9 Sur les quatre parts du budget ecclésiastique, et leur existence réelle, en
application de la legislation religieuse, voir ci-dessous, p. 545.
10 Cf. n. 5. Benoît II donne 30 livres; Grégoire II en donne autant (72 χ 30 = 2 160
sous). D'après le texte transmis par les manuscrits, Jean V aurait donné 1 900 sous, et
Conon, autant que lui. Comme cette somme ne fait pas un nombre entier de livres, alors
que 1 800 en font exactement 25, on est tenté de corriger le texte. Ainsi conçue la diaconie
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 169
continue l'institution antique dont on voit le fonctionnement dès avant le IVe siècle : en
dernier lieu sur la diaconie antique, Ch. Pietri, Roma Christiana, Rome, 1976
(Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome, 224), p. 129-137.
11 O. Bertolini (op. cit., p. 108), qui veut faire apparaître les diaconies à Rome dès la
fin du VIIe siècle, voit dans leur création la conséquence des intentions charitables des
papes; ils auraient créé ces institutions pour les réaliser. On en aurait la preuve dans
l'indication que Léon III (682-683), le prédécesseur de Benoît II, fut paupertatis amator et
erga inopem provisione non solum mentis pietate sed et studii sui labore sollicitus. On
connaît cependant d'une longue série de formules semblables, appliquées depuis
longtemps aux papes : Gélase (492-496, Liber pontificalis, p. 255) aimait les pauvres; Symma-
que (498-514, Liber pontificalis, p. 263) rachetait les prisonniers et multipliait les dons;
Théodore (642-649, Liber pontificalis, p. 331) aimait les pauvres et se montrait envers tous
plein de largesse, de bonté et de miséricorde; Eugène (654-657, Liber pontificalis, p. 341)
distribua des aumônes et ordonna que le jour de sa mort on fît des distributions en
faveur des pauvres et du clergé. L'étude des épitaphes pontificales allongerait la liste des
références. La seule question consiste à savoir de quelle charité on parle, celle de la
personne privée où celle de l'évêque de Rome, et si la formule est toujours méritée.
12 La générosité du pape envers son clergé est encore plus souvent mentionnée que
celle dont bénéficièrent les pauvres {Liber pontificalis, passim, avec une préférence pour
la formule clerum ampliavit). Sur les consuetudines (συνήθειαι en grec) que les évêques
170 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
total des dons faits non seulement aux clercs mais aussi aux moines et aux
agents laïques de l'Eglise, évidemment pour indiquer qu'il est considérable. On
peut aller plus loin dans la mesure où des sommes de 25 ou 30 livres d'or sont
illégales puisqu'elles dépassent le maximum défini par Justinien pour les
consuetudines versées par le pape à l'occasion de sa consécration13. Les
pontifes ont certainement fait des dons aussi considérables pour s'assurer le soutien
le plus fort possible parmi les clercs et, à travers eux, dans toute la population,
à une époque d'affrontement assez violent puis très violent avec le pouvoir
impérial M. Les rédacteurs des notices pontificales avaient sans doute l'ordre de
rappeler ces «générosités» excessives qui tiennent de la corruption; on devait
d'autant moins insister pour qu'ils s'exécutent qu'ils avaient leur part de ces
libéralités en tant qu'agents du pape. Ainsi le service de la diaconie apparaît au
moment où la papauté commence à prendre ses distances avec le pouvoir cons-
tantinopolitain ; sa mention témoigne de manière indirecte de cette opposition
et absolument pas d'une quelconque création de monastères, de diaconie ou de
diaconies.
peuvent verser à l'occasion de leur consécration, voir NJ 123, 3. A Rome ces distributions
étaient faites à la mort du pape, ce qui revenait au même pour les bénéficiaires, et pour
le budget ecclésiastique. En effet, d'une part cette indication se trouve à la fin des notices
et, pour Eugène (654-657, Liber pontificalis, p. 341), on nous dit qu'il ordonna des
distributions (presbyteria) à sa mort, pauperibus vel clero seu familiae. Si l'on considère que les
mansionnaires font partie du personnel de l'évêché (familia), on retrouve notre liste,
mais, ici, on n'emploie pas les termes techniques de la comptabilité pontificale (pauperes
pour diaconia, familia pour mansionarii).
13 NJ 123, 3 : Si, d'après la coutume, on donnait moins de 20 livres dans l'un des
patriarcats, dont celui de Rome, qu'on continue à ne verser que cette somme coutumière !
Si on versait davantage, qu'on réduise les libéralités à la somme maximum de 20 livres,
désormais imposée par la loi !
14 Voir O. Bertolini, Roma di fronte a Bisanzio e ai Longobardi, Rome, 1941 (Storia di
Roma, 9), p. 387-416. C'est le moment où l'empereur commence à vouloir récupérer
certains patrimoines. C'est aussi le moment où le développement du régionalisme italien se
manifeste dans tous les domaines (A. Guillou, Régionalisme et indépendance dans l'empire
byzantin au VIIe siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la Pentapole d'Italie, Rome, 1969 (/s-
tituto storico italiano per il medio evo. Studi storici, 75-76), passim ; pour l'aspect
monétaire de ce régionalisme, au moins en Sicile, C. Morrisson, J. N. Barrandon, J. Poirier,
Nouvelles recherches sur l'histoire monétaire byzantine : évolution comparée de la monnaie
d'or à Constantinople et dans les provinces d'Afrique et de Sicile, JOB, 33, 1983, p. 277).
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 171
existaient et que leur petite taille les rendait négligeables. Il est par la suite
souvent rapporté soit qu'une diaconie existe, sans autre précision, ce qui laisse
penser qu'elle est relativement ancienne, soit qu'elle a été restaurée, ce qui est
parfaitement explicite19. Cependant, dans ce dernier cas, on ne peut exclure
taient vraisemblablement depuis longtemps. Le silence des sources ne peut être invoqué
puisque, nous l'avons montré, le Liber pontificalis ne veut pas parler de ce qui n'est pas
une église avant le VIIIe siècle et que, d'autre part, les extraits de comptes pontificaux du
VIIe siècle se ramènent à quelques lambeaux. Par contre Jean Diacre et Paul Diacre
parlent de diaconies dès le pontificat de Grégoire le Grand. Je ne vois aucune raison de ne
pas les croire, d'autant moins qu'il existait des diaconies - aussi bien diaconies épiscopa-
les, centres de gestion de toute la charité dans la cité, que diaconies, centres d'assistance
(ci-dessous, p. 545-547, pour les premières; exemples dans H.-I. Marrou, op. cit., pour les
secondes) - dans tout l'Empire, et en particulier en Italie, dès avant 600; pourquoi Rome
seule en aurait-elle été privée? On trouve même depuis le IVe siècle, en particulier en
Italie, des centres d'assistance qui présentent toutes les caractéristiques de nos diaconies
(Ambroise de Milan, Ep. 41, 13, éd. dans PL, t. 16, col. 1 117; cf. V. Monachino, San
Ambrogio e la cura pastorale a Milano nel secolo IV, Milan, 1973, p. 270). Le seul argument
qui reste en faveur d'une introduction tardive de la diaconie en Occident est d'ordre
philologique : H.-I. Marrou, éditant des papyrus d'Egypte et sans doute au courant des
travaux de R. Vielliard, qui aboutirent aux Recherches sur les origines de la Rome chrétienne,
Mâcon, 1941 (en particulier, p. 110-120) constata qu'on trouvait dans les deux régions un
même vocabulaire (diaconia, diaconita, lusma) qui était d'origine grecque; il fallait donc
que les origines le fussent aussi, ce qu'on ne saurait nier, pas plus que l'origine orientale
du diaconat, du presbytérat ou de l'épiscopat, mais ces apports orientaux sont tous très
anciens, peut-être antérieurs au IIIe siècle, et sans aucun doute à la paix de l'Eglise. Ils ne
sauraient prouver que la diaconie a été introduite au VIIe siècle, d'Egypte en Italie.
19 Les deux diaconies attestées sous le pontificat de Zacharie (741-752), successeur
de Grégoire III, existaient lorsqu'il fut consacré : à Saint-Georges-in-Velabro, il dépose la
tête de saint Georges {Liber pontificalis, éd. cit., p. 434, où il n'est pas dit que Zacharie ait
fondé la diaconie); Sainte-Marie-Antique eut, à la même époque, un dispensator qui ne
peut l'avoir fondée, puisqu'il offrit seulement la décoration d'une chapelle. Par la suite,
plusieurs diaconies furent restaurées ou agrandies. La notice relative à Hadrien (772-795)
raconte l'histoire de la petite diaconie de Saints-Serge-et-Bacchus, menacée d'être écrasée
par le temple de la Concorde. Le pape voulut faire détruire le temple sans endommager
l'édifice religieux, mais celui-ci fut anéanti; on le reconstruisit donc plus grand (Liber
pontificalis, éd. cit., p. 512). Le temple devait être en piteux état depuis longtemps et on
n'aurait pas construit une diaconie nouvelle au pied d'un bâtiment tombant en ruine. On
doit donc supposer que la diaconie était ancienne. Cela suggère qu'elle pouvait bien avoir
40 ans ou plus, même si on ne peut le prouver. On notera cependant, pour cette diaconie,
comme pour beaucoup d'autres, qu'elle était de petite taille avant sa reconstruction, car,
dit l'auteur, de la notice, hic praesagus antistes a fundamentis in ampliorem restauravit
décore nimio statum : le nouvel édifice n'a plus rien à voir avec l'ancien, trop petit et trop
pauvre pour qu'on en parlât avant sa transfiguration par l'intervention pontificale. J.
Lestocquoy, Administration de Rome et diaconies du VIIe au IXe siècle, Rivista di archeo-
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 173
logia cristiana, 7, 1930, p. 288, a justement insisté sur cette transformation des diaconies
au VIIIe siècle.
20 Cf. n. 19, pour les reliques de saint Georges.
21 L. Duchesne, voir aux n. 5 et 6, croyait que les diaconies avaient été créées au VIe
et au VIIe siècle, en même temps que les églises auxquelles on les a par la suite
rattachées. J. Lestocquoy en a tiré des conséquences si extrêmes (des diaconies civiles prenant
la succession de l'annone, au moment où cette dernière s'effaçait, à la fin du VIe siècle,
op. cit., passim, surtout, p. 270 : «elles ont été fondées au VIIe siècle par des organismes
civils distincts de l'Eglise et qui, par là-même, n'ont pas laissé de documents semblables
au Liber pontificalis ») que les commentateurs postérieurs se sont attachés à montrer que
les églises apparaissent longtemps avant qu'on parle pour la première fois de diaconie à
Rome, et que, lorsqu'elles apparaissent, le vocabulaire qui définit leurs activités est
purement religieux (H.-I. Marrou, op. cit., passim, surtout, p. 140-141, qui fait apparaître les
diaconies seulement à la fin du VIIe siècle, comme des institutions exclusivement
charitables; O. Bertolini, op. cit., passim, surtout p. 134-135, qui les fait apparaître à la même
date comme des institutions monastiques à qui on aurait confié, sous le pontificat de
Grégoire II, la charge de gérer l'annone dont il postule la persistance jusqu'à cette date).
L'argument e silentio, qui ne vaut rien quand on veut établir la date d'apparition des
diaconies, retrouve une certaine force quand on cherche à déterminer les rapports entre
les diaconies et les églises auxquelles elles sont associées. En effet il est surprenant que
rien dans le décor, le contexte archéologique ou l'épigraphie ne suggère le moindre lien
entre églises et diaconies avant le VIIIe siècle. En outre les diaconies du VIIe siècle, telles
qu'on peut les imaginer d'après ce qu'on nous dit de leur restauration au VIIIe siècle,
peuvent difficilement dépendre d'églises de quelque ampleur, sauf si une distinction
existait entre des diaconies épiscopales, assurant le service de la diaconie episcopale, et des
diaconies privées, les premières, riches et importantes, pouvant donc être associées à
Sainte-Marie-in-Cosmedin ou à Sainte-Marie-Antique, les autres, pauvres et sans lieu de
culte autre qu'éventuellement une petite chapelle. Sur la pauvreté des diaconies du VIIe
siècle, ci-dessus, n. 19 et Liber pontificalis, éd. cit., p. 506 : Hadrien (772-795) restaure les
diaconies de Sainte-Marie-in- Adrianio, de Saint-Hadrien et de Saint-Silvestre qu'il trouve
à l'abandon (in abditis sine misericordiae fructu). Son prédécesseur (Etienne II, 752-757)
avait déjà associé deux xenodochia à la première et à la dernière (Liber pontificalis, éd.
cit., p. 441). Elles sont «vénérables», ce qui peut vouloir dire respectables par leur
ancienneté, mais aussi décrépites. Les xenodochia complètent l'action charitable des diaconies
sans qu'il soit précisé qu'ils dépendront d'une quelconque église de la diaconie.
174 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
importance telle que l'église voisine fut affectée à leur service exclusif, d'où elle
retira un grand prestige. Quoi qu'il en soit, on ne voit jamais apparaître le
moindre monastère mais on note au contraire des relations d'interdépendance
entre une église et une diaconie. Le fait mériterait peu d'attention si l'évolution
postérieure n'avait été marquée par le déclin des institutions d'assistance qui
constituaient la diaconie au profit de l'église, au point que cette dernière finit
par être uniquement l'église des cardinaux-diacres, sans rapport avec
l'assistance22.
De cette description, il ressort que les diaconies sont sans doute totalement
indépendantes de l'annone pour ce qui est de leur origine, puisque ce sont des
institutions ecclésiastiques chargées de la charité et non des établissements
distribuant à tous les citoyens du blé public gratuitement ou à faible prix, et que,
en outre, les diaconies devaient exister déjà lorsque l'annone gratuite disparut,
et a fortiori l'annone payante. Cependant il convient de préciser la nature
exacte des diaconies au moment de leur première gloire, avant de trancher
définitivement : cette importance qui leur est brusquement conférée au VIIIe siècle ne
22 Le fait est déjà sensible au VIIIe siècle. L'église l'emporte sur la diaconie qui
dépend d'elle, même si c'est cette autorité sur une diaconie qui donne à l'église un statut
particulier dans la ville de Rome. C'est ce qu'exprime exactement la formule 88 du Liber
diurnus, éd. Th. Sickel, Vienne, 1889, p. 115-116 : On nomme quelqu'un à la tête de
prefata venerabilia loca ill. beatorum ill. posila in loco ill. (c'est ainsi qu'on désigne une église
indéterminée)., tibi per hujus nostrae perceptionis paginant omnibus diebus vite tue
temporibus ad regendum ac dispensandum commitimus, tuae religiositati et successoribus tuis in
perpetuum, adunantes ei monasterium ill. situm in locum ill., cum quo pariter consociantes
ei et diaconiam ill. qui ponitur in loco ill., cum omnibus ad eisdem venerabilibus locis
pertinentibus ... Le centre principal est constitué par l'église à laquelle on unit
{adunantes) ou associe {consociantes, même terme que pour l'association d'un xenodochium et
d'une diaconie : sociavit, Liber pontificalis, éd. cit., p. 441) un monastère et une diaconie.
Les deux établissements n'ont aucun lien direct entre eux. Ils ne sont réunis que par leur
dépendance commune à l'égard de l'église (contra, O. Bertolini, op. cit., p. 29, qui voyait
dans cette formule l'expression d'un lien organique entre diaconie et monastère). La
diaconie n'est pas géographiquement proche de l'église, et encore moins accolée à elle, ce
qui explique l'absence de toute trace archéologique d'une diaconie auprès d'une église
désignée comme diaconie, ainsi que le prouve la formule diaconiam ili. qui ponitur in
loco ill. : si le formulaire prévoit d'indiquer la position de la diaconie sur le plan, c'est
qu'elle n'est pas au même endroit que l'église dont elle dépend. L'évolution de
l'institution doit donc être la suivante : une diaconie fort ancienne se trouvait près d'une église
plus ou moins récente, le plus souvent une église du VIe ou du VIIe siècle, installée dans
un édifice antique; au VIIIe siècle, on a associé les deux; par la suite, la diaconie a
disparu ou s'est transformée pour devenir une institution d'assistance médiévale, tandis que
l'église accaparait le nom de diaconie grâce auquel elle obtenait un statut privilégié dans
la hiérarchie des églises romaines. Sur cette évolution, voir O. Bertolini, op. cit., p. 108.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 175
1) Bénéficiaires et prestations
Nul doute n'est possible et sur ce point l'unanimité des historiens est sans
faille : les diaconies sont destinées par nature à soulager la misère des
pauvres23. Elles ressemblent fort au premier abord aux xenodochia auxquels elles
sont souvent associées24. Cependant des nuances apparaissent rapidement : un
xenodochium est normalement pourvu de lits car il accueille des malades, des
indigents sans toit, des étrangers . . . 25. Des diaconies, nous apprenons
seulement qu'elles nourrissent les pauvres, apparemment selon un cahier des
charges précis qui suppose des registres et une certaine fixité des bénéficiaires26.
Malgré l'absence d'indications formelles à ce sujet, tout suggère que ces
secours ne constituent pas l'unique raison d'être des diaconies ni même
l'activité qui est mise le plus nettement en valeur. En effet on insiste plus sur les bains
qui sont offerts aux pauvres que sur les distributions de nourriture, et on dit
même une fois que ces dernières ont seulement lieu le jour où l'on conduit les
pauvres au bain27. Conduire les pauvres au bain était l'une des préoccupations
23 C'est l'opinion unanime de tous les historiens; seule diffère l'idée qu'on se fait des
rapports entre cette charité chrétienne et l'annone civile d'origine païenne.
24 Pour l'association xenodochium-diaconie, cf. n. 22 : cette association suffit à
prouver que, si les éléments de ressemblance existent, sans lesquels elle aurait été impossible,
des éléments de différence subsistent, qui seuls peuvent expliquer une fondation
originale au lieu d'une simple extension de l'institution existante.
25 Cf. ci-dessous, p. 550.
26 Les diaconies doivent distribuer des aumônes (Liber pontificalis, éd. cit., p. 505),
nourrir les pauvres (ibid., p. 419: pro sustentatione pauperum; p. 509: ut refocillentur;
inscription de Sainte-Marie-in-Cosmedin, éd. O. Bertolini, op. cit., p. 143-145 : pro
sustentatione Christi pauperum ; Liber diurnus, formule 95, éd. cit., p. 123-125 : pro sustentatione et
alimoniis fratrum). Toutes les sources (Liber pontificalis, Liber diurnus, épigraphie) qui
nous parlent des diaconies utilisent les mêmes formules vagues.
27 Voir H.-I. Marrou, op. cit., p. 116-120. Liber pontificalis, p. 506 : Hadrien restaure
trois diaconies (cf. n. 22) et leur affecte des revenus pour que tous les jeudis les pauvres
se rendent au bain en chantant des psaumes, et que là ils soient soulagés par une
distribution et reçoivent une aumône. Liber pontificalis, éd. cit., p. 510: Le même pape
transforme deux églises en diaconies avec mission de faire manger les pauvres à l'occasion du
bain. H.-I. Marrou comprend qu'on les aide par l'organisation du bain; il me semble
préférable de traduire ut . . . lusma diaconiae perficientes pauperes Christi refocillentur : de
sorte que les pauvres, après avoir pris le bain de la diaconie, soient restaurés. Le texte
176 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
précédent montre en effet qu'on les nourrit après le bain et donc que ce dernier ne
constitue pas la seule forme d'assistance, même si c'est à l'occasion de ce bain qu'ils reçoivent
un secours.
28 Cf. H.-I. Marrou, op. cit., ibid., citant les diaconies de Naples qui fournissent du
savon. On pourrait de même citer plusieurs exemples orientaux, si l'on conduisait une
étude exhaustive des diaconies. Le bain est l'une des activités fondamentales de la
diaconie à une époque où on se lave souvent et abondamment grâce au grand nombre de bains
publics. Il est significatif que, par deux fois, le Liber pontificalis mentionne la
restauration d'aqueducs (p. 503 et 510) pour le bain des pauvres. Le pape agit là en tant que chef
de l'administration civile, mais on indique tout spécialement que les pauvres profiteront
de ces travaux autant que les autres citoyens. On aimerait savoir si les bains étaient
encore gratuits ou si la diaconie, outre le savon et autres produits indispensables, payait le
droit d'entrée.
29 Cf. n. 27 : on se rend au bain en chantant des psaumes. Liber diurnus, formule 95,
éd. cit., p. 124 : Sed dispensator qui pro tempore fuerit in eadem venerabili diaconia, id est
quando lusma perficitur in eadem diaconia, pro remissione peccatorum nostrorum omnes
diaconite et pauperes Christi qui ibidem conveniunt, exclamare studeant, mais (qu'en
échange de ce qu'on lui donne) le dispensator qui se trouvera dans ladite vénérable
diaconie à ce moment y - c'est-à-dire quand s'accomplit le bain dans cette diaconie - ainsi que
les diaconites et les pauvres du Christ qui s'y rassemblent, s'appliquent à faire retentir
(leurs prières) pour la rémission de nos péchés.
30 Sur les xenodochia, on verra provisoirement, D. Constantelos, Byzantine
philanthropy and social welfare, Rutgers university press, 1970, surtout p. 152-184.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 177
une louche de ragoût par personne. C'est donc un repas correct mais servi en
plein air à des indigents peut-être inscrits dans un registre après enquête des
diacres31.
Il ressort de cette esquisse nécessairement floue, compte tenu de la
documentation dont on dispose, que l'assistance dans les diaconies diffère
radicalement des distributions effectuées par l'annone. D'abord on s'occupe au moins
autant de l'âme que du corps des pauvres. Ensuite et surtout on ne s'occupe
que des indigents. La notion de « citoyen » ayant droit à une assistance quel que
soit son niveau de fortune a entièrement disparu. En outre on a depuis
longtemps noté qu'il n'y a pas de diaconies dans toutes les régions ecclésiastiques
de Rome, pas plus que dans toutes les régions civiles32. Cela semble exclure
que les diaconies soient instituées dans la continuité directe de l'assistance
dispensée autrefois par les diacres établis dans les régions religieuses, mais
n'interdit pas de supposer qu'elles aient pris le relais de l'assistance civile, car, si
on n'en trouve pas dans certaines régions civiles, plus petites que les régions
religieuses, c'est peut-être uniquement parce que ces dernières étaient
dépeuplées33. Compte tenu aussi du fait que les diaconies sont souvent installées
dans des bâtiments publics et en particulier dans des greniers de l'annone et
même dans les bureaux de celle-ci, on en vient à se demander s'il n'y a pas une
certaine continuité entre annone et service des diaconies non dans la finalité
mais dans le financement34.
31 Liber pontificalis, éd. cit., p. 502 : Comme on donne 100 porcs, rendant environ
120 livres de viande nette, pour 100 pauvres pendant une année, on peut admettre qu'ils
reçoivent 1/3 de livre de viande par jour, soit environ 100 g. C'est plus que les rations de
l'annone gratuite au IVe siècle. Il faut cependant noter que, si on nourrit 100 pauvres par
jour, ce ne sont sans doute pas les mêmes tous les jours. Ils ont un bon repas de temps en
temps, peut-être une fois par semaine. Ces rations, minutieusement décrites par notre
source, nuancent l'opinion générale qui supposait une population romaine affamée
attendant tout du pape : s'il soigne ainsi ses pauvres, c'est que le reste de la population a au
moins autant à manger.
32 L. Duchesne, op. cit., (n. 6), repris par tous les commentateurs.
33 L. Duchesne, Notes sur la topographie .... p. 237-239, a classé les diaconies en
fonction de leur situation dans les régions civiles. Seules la première et la quatorzième
région n'ont pas de diaconie. Il a bien senti les relations qui devaient exister, sans qu'on
puisse les établir de manière formelle, entre l'organisation de l'assistance et l'ancien
cadre des régions civiles de Rome. De même le personnel régionnaire des patrimoines
(cf. n. 37) était sans doute réparti en fonction non pas des régions ecclésiastiques, mais
des régions civiles.
34 La description que nous venons de faire des distributions - à des pauvres, non à
tous les citoyens ; à l'occasion de bains accompagnés de prière, comme on le faisait dans
les institutions pieuses chrétiennes depuis au moins le début du IVe siècle - exclut toute
continuité directe entre annone civique et diaconies. L'installation de l'annone dans des
bâtiments publics est établie depuis les recherches de L. Duchesne, Notes sur la topogra-
178 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
phie . . ., p. 240. Cependant on ne doit pas exagérer la place qu'y tiennent les bureaux ou
greniers de l'annone. Sur 18 diaconies recensées par cet auteur, et 12 installées de
manière sûre dans des lieux publics, seules Sainte-Marie-in-Cosmedin (statio annonaé), Saint-
Théodore (horrea Agrippiana), Sainte-Marie-in-via-Lata (horreum inconnu) occupent des
édifices de l'annone. Peut-être faut-il y ajouter Saint-Georges-in-Velabro, établie sur le
forum boarium. Mais les agrandissements attestés pendant tout le VIIIe siècle, et
l'importance plus considérable accordée aux diaconies lorsque Rome se séparait de l'Empire,
suggère qu'on a donné aux diaconies non seulement des bâtiments, mais aussi des
revenus publics.
35 Sur les domuscultae, voir B. Bavant, op. cit., sous presse. Ce sont des domaines mis
en culture par les agents de l'Eglise, associés à des assiettes fiscales beaucoup plus
étendues que les terres en exploitation directe; l'ensemble des revenus était concentré dans
une caisse unique et affecté de manière permanente à diverses dépenses, en particulier à
l'entretien des diaconies. Pour un exemple particulièrement concret de domusculta, voir
Liber pontificalis, éd. cit., p. 501-502. Une comparaison entre ces grandes unités
économiques et fiscales, et les dons faits par les particuliers montrerait la faible place des
seconds dans le budget général de l'Eglise de Rome.
36 Sur les patrimoines de l'Eglise de Rome, qui attendent leur historien, voir
provisoirement P. Fabre, De patrimoniis romanae ecclesiae usque ad aetatem carolinam, Paris,
1892.
37 On connaît l'épitaphe d'un sous-diacre régionnaire et recteur du patrimoine de
Campanie (Annales ecclesiastici, an. 713, éd. Plantin, t. 9, Anvers, 1612, p. 5; le même
personnage apparaît dans Liber pontificalis, éd. cit., p. 400) et d'un notaire subrégionnaire de
l'église de Rome, recteur du patrimoine de Sardaigne (cf. ci-dessus, p. 154, n. 294).
38 Cf. n. 35. Pour une interprétation plus précise de ces «grands domaines» romains,
il faudrait comparer les textes et le résultat des fouilles (A. H. J. Megaw, The British
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VIP SIÈCLE 179
2) Evolution de la diaconie
School abroad 1962, Antiquity, 37, 1963, p. 38-39 et les comptes-rendus de fouilles dans
les Papers of the British School at Rome).
39 C'est ce qu'on constate en étudiant les diaconies du IVe siècle et qu'on noterait
encore dans les diaconies romaines du IVe au VIIe siècle, si nous disposions d'une
documentation suffisante.
40 Voir ci-dessous, p. 554-555, et J. Durliat, L'administration religieuse du diocèse
byzantin d'Afrique, sous presse.
41 Ci-dessus, p. 154, n. 297.
42 Ci-dessus, p. 151-157.
43 Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, Leipzig, 1883 (coll. Teubner), p. 410;
commentaire de A. Guillou, La Sicile byzantine. Etat de recherches, Byzantinische
Forschungen, 5, 1977, p. 105-106. La récupération par l'Etat de revenus fiscaux qui allaient
jusque-là à l'église de Rome constitue un épisode dans le conflit entre le pape et
l'empereur à propos de l'iconoclasme. On aimerait savoir à quel poste ces 350 livres d'or furent
affectées. L'énormité des dépenses militaires, à cette époque, permet de supposer qu'ils
passèrent directement de l'Eglise à l'armée, avec toutes les conséquences économiques et
sociales que l'on peut imaginer.
180 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
nourrir un plus grand nombre de pauvres. C'est ainsi qu'une partie au moins
des fonds autrefois destinés à l'annone urbaine a servi à l'entretien des
assistés dans les diaconies.
La réaction contre la tendance ancienne à expliquer les changements de
structures par des «événements» politiques incite à se montrer méfiant à
l'égard de ce rapprochement entre les relations de plus en plus difficiles du
pape et de l'empereur et les modifications de la gestion pontificale.
Cependant, outre qu'on ne voit pas en quoi l'autonomie grandissante du pouvoir
pontifical n'aurait pu avoir de conséquences sur la manière dont il
administrait sa ville, il suffit de considérer la manière dont fonctionnaient les
diaconies pour comprendre l'intérêt que le pape avait à cette transformation et
donc justifier le rapprochement entre son affranchissement du pouvoir
imperial et l'établissement de relations plus intimes avec les notables locaux.
En effet les diaconies attirent au pape les faveurs populaires par
l'extension de l'assistance, de même que l'accroissement des dons faits au clergé lui
garantissent de sa part un soutien plus net. En outre elles rapprochent le
pouvoir ducal du pape. Peu importe ici que le personnel de la diaconie porte le
nom de diaconitae44, peu importe la nature exacte des pouvoirs respectifs des
deux personnages qui se partagent la direction de la diaconie45; ce qui importe
c'est l'origine sociale de ces derniers. Les seuls qui soient connus se trouvent
être des ducs de Rome dont l'un fut seulement dispensator de Sainte-Marie-in-
44 H.-I. Marrou, op. cit., voyant des diaconites dans les monastères d'Egypte, en a
conclu que leur existence constituait une preuve de l'existence de monastères attachés
aux diaconies. En fait, s'il existe des moines diaconites, c'est-à-dire des moines
effectuant un service quelconque dans le monastère, que ce soit l'accueil des étrangers, la
cuisine ou toute autre tâche, et des diaconites au service des moines, c'est-à-dire des
agents d'un monastère remplissant pour lui diverses charges, dont la perception de
l'impôt qui lui revient ou qu'il a l'obligation de faire rentrer, on trouve aussi des
diaconites d'ermites portant quelques provisions à ces derniers, qui ne sont pas des
moines et qui ne pratiquent aucune forme de charité particulière, hormis celle de partager
éventuellement leur maigre pitance avec une personne qui traverse leur solitude. Je
donnerai prochainement une liste d'exemples qui, sans être exhaustive, montrera la
variété des sens du terme : est diaconite toute personne qui effectue un service pour
une institution religieuse, qui remplit une diaconia à l'un des divers sens religieux du
terme. On trouve à côté des diaconites, des actionarii qui contribuent au bon
fonctionnement de la diaconie (Liber diurnus, formule 95, éd. cit., p. 124, avec le commentaire
erroné de J. Lestocquoy, op. cit., p. 292, corrigé par O. Bertolini, op. cit., p. 34,
n. 1).
45 La diaconie a un poter qui est un clerc, et un dispensator qui est un laïque. L'un et
l'autre participent à la direction, mais on ignore la répartition de leurs pouvoirs (O.
Bertolini, op. cit., p. 35-39).
L'ANNONE ROMAINE Df AURÉLIEN AU VIIe SIÈCLE 181
en construisait une sur son ordre et avec ses fonds le droit de se faire
représenter en bonne place et même de se dire fondateur pourvu seulement qu'il
mentionne dans la formule de datation le pontife qui a financé les travaux52. Les
fresques de Sainte-Marie-Antique expriment à la fois les nouveaux rapports
sociaux existant à Rome après la sécession d'avec l'Empire et le rôle que les
diaconies tenaient dans cette situation nouvelle53. Le pape est le plus
prestigieux des notables locaux, tous proches sinon parents les uns des autres, qui se
partagent le pouvoir ici comme dans le reste de l'Empire, avec cette seule
nuance que leur appartenance à l'Empire n'est plus que formelle54.
Pour conclure sur les rapports entre l'annone et les diaconies, il apparaît
qu'on a très justement insisté sur leur réalité mais qu'on a mal interprété leur
nature faute de définir exactement la diaconie puis les diaconies et faute de
savoir que le pouvoir religieux était investi de manière parfaitement légale, de
responsabilités civiles. On ne voit ni substitution de l'Eglise à une
administration en complète décrépitude55, ni utilisation de moines pour assurer la
continuité d'un service public de l'annone56, ni importation par des papes d'origine
orientale d'institutions qui auraient été spécifiquement orientales57, ni
générosités de particuliers - y compris des papes agissant en tant que pieux dona-
52 Dans le texte de l'inscription citée n. 48, il ne faut pas isoler la formule finale de
son contexte : Theodotus ... α solo edificavit (l'église de la diaconie) laisserait croire qu'il
a tout payé. En fait la datation par le pape {temporibus domini Stephani Junioris papae)
suffit à montrer qu'il a eu la responsabilité des travaux financés par le pape à qui revient
en définitive la décision. Cf. CJ 8, 11, 10, qui autorise les fonctionnaires à faire figurer
leur nom sur des bâtiments publics payés par l'empereur pourvu que le nom de
l'empereur soit mentionné. Le pape a fait de même, comme tous les évêques qui laissaient
figurer le nom de l'exécutant pourvu qu'il soit accompagné du leur.
53 Sous le Christ en croix, on voit au centre la Vierge entourée de saint Pierre et de
saint Paul, à sa droite le pape et sainte Julitta, et à sa gauche le donateur et saint Cyricus,
offrant l'église. Les deux personnages sont de même taille; le dispensator a reçu le droit
de se faire représenter offrant l'église, alors qu'il a seulement payé une chapelle et fait
exécuter la décoration à sa gloire. On sent ici l'expression d'une classe dominante soudée,
qui se partage les pouvoirs, les honneurs et les revenus de Rome. Le pouvoir impérial
n'apparaît nulle part. Rome n'est plus byzantine.
54 B. Bavant, op. cit., sous presse.
55 C'était l'hypothèse de L. Duchesne (cf. n. 6), partiellement reprise par O. Bertolini,
op. cit. De manière générale, toutes les études citées ci-dessus et qui traitent directement
des diaconies, imaginent une ville de Rome ruinée, une population affamée, attendant
tout de la charité pontificale. La capitale a perdu ses privilèges, les distributions gratuites
de l'annone ont disparu, mais ce qui est resté de population trouva apparemment de quoi
se nourrir avec les productions du Latium qu'elle se procurait de diverses manières.
56 J. Lestocquoy, op. cit., passim.
57 H.-I. Marrou, op. cit., passim.
L'ANNONE ROMAINE D'AURÉLIEN AU VII' SIÈCLE 1 83
58 O. Bertolini, op. cit., p. 118-119. On lira cependant avec le plus grand profit cette
minutieuse enquête qui analyse toutes les pièces du dossier. Son auteur a vu toutes les
difficultés (différence radicale avec les diaconies orientales, et cependant vocabulaire
identique et introduction apparente de ces institutions par des papes d'origine orientale ;
assistance qui fait penser à l'annone, et cependant caractère éminemment religieux des
diaconies ; donations soigneusement mises en évidence des notables romains et cependant
autorité sans conteste du pape sur les diaconies . . .) mais écrivait à une époque où on ne
connaissait pas l'existence des diaconies épiscopales, où on ignorait que la gestion de
l'annone par l'Eglise ne lui avait pas ôté son caractère public, et où on croyait encore que
les donations privées jouaient un rôle déterminant dans les finances ecclésiastiques.
1X5
CHAPITRE 2
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE
2 Sur les domus -οίκοι de Constantinople, outre G. Dagron, op. cit., p. 525-528, Ch.
Strube, Der Begriff domus in der Notitia urbis Constantinopolitanae, Studien zur
Frühgeschichte Konstantinopels, sous la direction de H.-G. Beck (Miscellanea byzantina Monacen-
sia, 14), Munich, 1973, p. 121-134. La Notitia urbis Constantinopolitanae (éd. O. Seeck,
Notitia dignitatum. Accedunt notitia urbis Constantinopolitanae et laterculi provinciarum,
Berlin, 1876, p. 227-243) est beaucoup trop allusive pour qu'on parvienne à une
approximation satisfaisante. Il ne fait aucun doute, comme on l'a souvent remarqué, que les
domus ne peuvent être des palais ou de riches demeures, mais sont, pour la plupart, des
immeubles de rapport, à preuve le fait que les palais sont recensés à part : domus Placi-
diae Augustae, domus nobilissimae Marinae . . . Mais que sont les vici sive angiportus, les
quartiers ou ruelles? Sont-ce les ruelles le long desquelles s'élevaient les domus, ou celles
que bordaient les petites maisons individuelles non répertoriées dans la liste? La question
est d'importance et on regrettera d'autant plus de ne pas pouvoir lui apporter de réponse
satisfaisante, car on ne sait pas ce que signifie l'obligation d'être propriétaire pour
bénéficier de l'annone : si les grands immeubles prédominent, cela consiste à acheter un
appartement dans l'un d'eux; si ce sont des habitations individuelles, cela suppose qu'on
les construise. En outre, dans le premier cas, il est vraisemblable que les «promoteurs»
capables de mettre en chantier les grands immeubles en louaient une bonne part et
disposaient donc des annones, cédées avec la maison ou conservées à d'autres fins; dans le
second, ce sont les petits propriétaires qui touchent chacun la sienne. Mais est-on sûr que
ces domus correspondent exactement à des immeubles? Ne pourraient-elles être des
unités comptables, correspondant à un immeuble, s'il possède la taille convenable, à une
partie d'un très grand immeuble, et à plusieurs petits immeubles? On pourrait alors avoir
plusieurs maisons individuelles regroupées pour former collectivement une domus, ce
qui expliquerait que tous les logements de la capitale soient comptés en domus.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 187
Seuls nous intéressent ici ceux qui touchent des denrées au titre de
l'annone civile de Constantinople. Aussi convient-il de bien les
distinguer d'une part de ceux qui en touchent en guise de salaire, qu'ils
188 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
4 On rencontre très souvent, surtout en grec, des termes dont l'emploi dans un sens
donné est limité à une région particulière. Dans le domaine de l'annone, εμβολή ne figure
que dans les sources égyptiennes, pour le blé qui est acheminé vers Constantinople.
5 Je ne connais aucun emploi des termes mentionnés ci-dessous comme désignant
un salaire ou une annone, qui soit utilisé pour une distribution charitable.
6 P. Cairo-Masp., P. Oxy. . ., index s. v. Analyse du terme en particulier dans A. C.
Johnson et L. C. West, Byzantine Egypt. Economie studies, Princeton, 1949 (Princeton
university studies in papyrology, 9), index, s. v. annona.
7 J. Lallemand, L'administration civile de l'Egypte de l'avènement de Dioclétien à la
création du diocèse (284-382), Bruxelles, 1964 (Mém. Acad. roy. belg., 57), p. 92-93.
8 Par exemple, P. Oxy. 1 192.
9 Reçu εις λόγον των άννωνών : P. Cairo-Masp. 67 043 ; reçu εις λόγον κανονικών καί
παντοίων χρυσικών τίτλων καί άννωναακών (sic) είδων : P. Cairo-Masp. 67 038 et 67 039
(dans ces trois cas, le montant de l'annone est indique en sous, car on délivre à la
collectivité de la κώμη un reçu global pour l'ensemble de ses prestations, et le plus simple
190 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
quent puisqu'on le trouve dans une loi du VIe siècle où les πολιτικού
άννώναι, désignées comme σιτηρέσια à la ligne précédente, et gérées
par les άννονέπαρχοι ne peuvent être que les annones civiques de la
ville de Constantinople10.
"Αρτος désigne normalement le pain concret que l'on reçoit pour le
manger, souvent le ou les pains qui constituent la ration quotidienne
due surtout aux militaires au titre de leur annone11. Ce nom n'a jamais
le sens abstrait de salaire payé sous forme de pains réels : on parle
alors de l'annone annuelle ou mensuelle du fonctionnaire ou du
militaire, jamais de son άρτος. Par contre, complété par πολιτικός, άρτος a le
sens de partis civilis dont il est la traduction littérale, et désigne le droit
de percevoir chaque jour la ration annonaire composée d'un ou de
plusieurs pains concrets et d'autres denrées : c'est ainsi qu'un Constantino-
politain peut posséder un ou plusieurs «pains», c'est-à-dire le droit à
une ou plusieurs rations annonaires 12.
Les noms dérivés de σίτος sont totalement ambigus, nommant
aussi bien un salaire que l'annone municipale, payante ou gratuite, et
même les distributions charitables. Cette multiplicité de sens peut
avoir des conséquences graves pour l'interprétation de quelques
textes importants et surtout pour la question de savoir si les prestations
dues au titre de l'annone et les distributions charitables librement
décidées par l'Eglise ou le pouvoir doivent ou non être mises sur le
même plan.
Une loi de 528 environ parle de la στρατιωτική σίτησις, c'est-à-
dire de l'annone qui sert de salaire aux militaires. C'est la traduction
grecque de annona militaris, dont les exemples abondent13. Une
novelle de 536, parmi beaucoup d'autres, prévoit que le proconsul de
consiste à tout convertir en or, quel que soit le mode de paiement). Voir aussi P. Flor. 377,
1. 15...
10 CI 1, 44, 1-2 (532): Une loi a défini clairement les conditions d'attribution des
πολιτικών αννονών et de transmission des σιτηρεσίων. Cette même loi abroge la
diminution ancienne des πολιτικοί άρτοι, et annule les ventes effectuées par Γάννονέπαρχος et
les secrétaires des régions (οι λογογράφοι των ρεγεώνων). Il ne fait aucun doute que
άννώνα, πολιτικός άρτος et σιτηρέσιον désignent la même réalité, l'annone, placée sous la
responsabilité du préfet de l'annone.
11 Par exemple, P. Oxy. 1920, parmi une foule d'autres exemples, qui sera analysé
ci-dessous, p. 508.
12 Sur cette particularité de l'annone de Constantinople, voir ci-dessous, p. 207-211.
13 CI 1, 2, 20: Interdiction, sous quelque prétexte que ce soit, de donner, à des
établissements religieux, l'annone des militaires absents.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 191
23 Eusèbe de Cesaree, Vita Constantini, 4, 28, éd. I. A. Heikel, Leipzig, 1902 (Griech.
christl. Schriftst. ), p. 128. Le Chronicon Paschale, éd. G. Dindorf, Bonn, 1832, t. 1, p. 544
(a. 360) rappelle le don de Constantin à propos de son accroissement par Constance, mais
n'emploie que le terme neutre de σιτομέτριον : don de blé. Thémistios, Discours 23, 291
d-292 d, éd. cit. t. 2, p. 86-87, dit que l'empereur σιτοδοτεΐ, donne du blé, aux habitants de
la cité. Cette indication ne suffit pas à prouver que le nom de la même famille, σιτοδοσία,
désigne aussi l'annone.
194 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
Β - Panis aedium
27 Pour la bibliographie sur ce sujet, voir en dernier lieu J.-M. Carrié, Les
distributions alimentaires dans les cités de l'empire romain tardif, MEFR, 87, 1975, p. 1090-1091.
Pour Constantinople, G. Dagron, Naissance d'une capitale .... p. 534-535 et index, 5. v.
28 Ci-dessus, p. 64-65.
29 Ci-dessus, p. 57-58, d'après J.-M. Carrié, op. cit., p. 1026-1029.
196 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
panes aedium et le panis civilis qui n'apparaît pas dans cette loi et
semble radicalement différent, puisqu'il suit la personne. Cependant cette
disposition correspond exactement aux intentions que nous avons
prêtées à l'empereur : si on donne l'annone à ceux qui viendront habiter
Constantinople, il va de soi que celui qui vend la maison grâce à
laquelle il a obtenu cette allocation perd de ce fait le droit d'en bénéficier et
que, au contraire, celui qui achète la maison y a droit, sans pouvoir
solliciter une seconde annone pour la même maison; il faut que le
vendeur cède l'annone avec la maison : l'une suit l'autre. Surtout la loi 1 1
de ce chapitre prouve que l'annona civica ne fait qu'un avec les panes
aedium : la bienveillance impériale a accordé des annonae civicae aux
militaires dans le but que ceux qui touchent un salaire augmentent la
taille de la ville par leur zèle à construire33. On ne saurait être plus
clair. En donnant aux militaires la possibilité d'arrondir leur salaire
par la perception de l'annone on les incite à construire, au lieu sans
doute d'être simplement locataires, parce que l'annone leur sera versée,
comme aux autres bénéficiaires, pour autant qu'ils construiront une
maison. La mesure est particulièrement habile car elle pousse des
hommes qui, par définition, ne seront pas des habitants permanents de
virgule entre liceat et ut, et comprend qu'il n'est permis à personne que les annones
suivent les maisons. Si on respecte le mouvement du texte, on ne peut le prendre pour une
annulation, en 364, de la législation instaurée par Constantin et continuée par Constance
II. Au contraire, le législateur confirme le lien étroit entre pains et maisons, établi dès
l'instauration de l'annone, et qui est toujours valable.
33 CTh 14, 17, 11, 393: Annonas civicas ad hoc militaribus vins beneficium divale
distribuii, ut qui emolumento perciperent, aedificandi studio magnitudinem urbis augerent.
Ac proinde, ne frustra deputatis commodis perfruantur quorum ope incrementa moenium
non juvantur, id super his annonis quae scholis erogari soient, servandum est, ut H tantum
qui domus habent, deputata suo nomini commoda consequantur, aliae retractatae adque in
suspenso habitae nostrae munificentiae reserventur, his tantummodo, etiam si liberalitas
sacra extiterit, deputandae, qui ex numero militarium virorum annonas pro extructis domi-
bus beneficio nostrae adnotationis acceperint ut et parata sui munera habeat largitas et
superfluis nécessitas non gravetur. L'empereur a accordé des annonae civicae à des
militaires pour que ceux qui recevraient ces biens augmentent la taille de la ville par ces
constructions (donc l'annone civique va à ceux qui construisent ; c'est un panis aedium).
Pour faire respecter la loi, il est décidé que les scholes, qui touchent ces annones les
conserveront uniquement s'ils ont effectivement construit une maison, et que, dans le cas
contraire, ils les perdront, même s'ils ont obtenu une faveur particulière de l'empereur.
Les annones ainsi récupérées seront à la disposition de l'empereur. Il est indubitable que
les annonae civicae ne vont qu'à des possesseurs de maisons; elles sont toutes des panes
aedium.
198 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
34 CJ 11, 32, 3, 469 : Si qua hereditatis vel legati seu fideicommissi aut donationis titu-
lo domus aut annonae civiles aut quaelibet aedificia vel mancipia ad jus inclitae urbis vel
alterius cujuslibet civitatis pervenerunt sive pervenerint, super his licebit civitatibus vendi-
tionis pro suo commodo inire contractum : Si, par héritage, don, ou d'autre manière, la
capitale ou une autre cité reçoivent des maisons, des annones, divers édifices ou des
esclaves, elles pourront les vendre à la condition d'affecter les fonds à la restauration des
bâtments publics. Ces annones sont dites annonae civiles. Il reste donc à cette époque de
nombreuses annones appartenant à des particuliers, à la ville de Constantinople et à
d'autres cités. Il est dans ces conditions difficile de souscrire à l'affirmation selon laquelle
«l'Eglise finit par contrôler l'essentiel des distributions et par cumuler les parts» (G.
Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 540). Cette proposition repose sur la confusion
entre distributions charitables et distributions annonaires.
35 II faut bien noter que la loi ne définit d'aucune manière les annones qui sont
susceptibles de revenir à d'autres cités. On ne trouve qu'une seule sorte d'annones, les
annonae civiles (ou annonae civicae, ou publicae), que le Code appelle panes gradues et qui, à
Constantinople, sont liées à des maisons, ce qui conduit à les appeler parfois panes
aedium, sans que le terme paraisse avoir été employé par l'administration de manière
systématique. Les annonae civiles sont donc des panes aedium. CTh 14, 17, 1 (cf. n. 32)
parle des panes earum à propos des aedes, mais pas directement des panes aedium. CTh
14, 17, 12, 393, traite des annonae concédées aux domus habentibus . . . Pour prouver
l'existence de panes aedium différents des panes gradues accordés à des individus, comme
à Rome, ou liés à des aedes, domus ou autres aedificia, il aurait fallu prouver que la
formule était effectivement utilisée par les fonctionnaires de l'annone.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 199
On ne trouve donc qu'une seule sorte d'annones, les annonae civiles (ou
civicae, ou publicae) que le Code appelle aussi panes gradues et qui, à
Constantinople uniquement, sont liées à des maisons, ce qui conduit à
les appeler parfois panes aedium, sans que le terme paraisse avoir été
employé par l'administration de manière systématique. Il apparaît ainsi
que les panes aedium constituent la seule sorte de distribution qu'ait
connue la seconde capitale, si l'on veut bien considérer que toutes les
lois traitant de l'annone de Constantinople nous la présentent comme
liée à des maisons chaque fois que le sujet abordé s'y prête.
Cette conclusion appelle quelques éclaircissements. Il ne faut
d'abord pas confondre aedes (logement) avec domus (maison). Si seule
la possession d'une domus donnait droit à l'annone gratuite, on n'en
distribuerait que 4 000 environ, ce qui est impossible puisque
Constantin ouvrit un droit à 80 000 parts et que certaines personnes
possédaient plusieurs annones. Donc Yaedes peut n'être qu'une partie de la
domus, immeuble vendu par appartement. Comment expliquer
autrement que tout schole possédant un aedes avait droit à une annone? Ces
militaires étaient en effet plusieurs milliers et une part par domus leur
aurait assuré un quasi-monopole des panes aedium. De même il est
absolument impossible que les annones aient été réservées aux
habitants originaires de Constantinople pour la raison très simple que leur
finalité était précisément d'attirer de nouveaux habitants. On a ici un
bon exemple de ce qu'était la politique économique dans l'empire
protobyzantin : elle vise toujours un but politique par une incitation
économique, jamais le progrès économique; l'Etat exploite autant qu'il le
peut, en fonction de ses objectifs une économie qu'il se sent incapable
de conduire à de meilleurs résultats et dispose, pour parvenir à ses fins,
de l'impôt qui absorbe une part considérable de la production brute et
lui donne un moyen d'action considérable36.
36 Sur les 4 000 domus, voir ci-dessus, p. 186. Elles étaient censées regrouper tous les
habitants de la capitale au début du Ve siècle, ce qui implique plus de 50 personnes en
moyenne par domus. Une division en aedes, ou l'existence d 'aedes à côté des grandes
maisons est indubitable. Pour le reste, ce qu'on vient de dire prouve suffisamment que le but
de l'empereur ne visait absolument pas à servir une rente aux habitants installés, mais à
en attirer de nouveaux par un privilège particulier, la distribution d'une annone qui
devait nécessairement avoir une nature différente de celle de Rome. Il faur donc
dissocier totalement domus et aedes, au moins au nom du principe d'après lequel
l'administration ne donnait pas deux noms différents à la même réalité.
200 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
faite à l'Eglise d'aliéner des annones parce qu'elle n'a pas le droit
d'aliéner ses maisons fournit une preuve que le rapport entre maison et
annone n'a pas été remis en question39. L'équivalent en monnaie du
montant de la prime était d'environ 3 sous d'or par an, comme nous le
verrons, somme non négligeable si on se souvient qu'une famille
humble vivait avec une quinzaine de sous par an40. A cela s'ajoutait le prix
de vente de cette annone obtenue gratuitement mais aliénable lorsqu'on
vendait la maison, ce qui majorait la valeur de cette dernière. Le succès
de la politique impériale sanctionné par l'explosion démographique de
la capitale suffit à montrer que ces avantages étaient appréciés des
contemporains et en ont poussé plus d'un à venir s'installer dans la
ville impériale. Ce trait fait d'ailleurs ressortir la différence entre
l'annone romaine, servie à une population constante, qu'on veut satisfaire
sans l'inciter à se développer, et celle de Constantinople dont on
cherche d'abord la croissance.
Une autre particularité met en évidence le caractère original de la
nouvelle annone. A Rome, on ne peut cumuler les parts et ceux qui se
trouvent au sommet de la hiérarchie sociale, en particulier les
sénateurs, en sont exclus. A Constantinople, c'est exactement le contraire.
Les plus riches habitants ont droit à autant d'annones qu'ils ont de
maisons, ce dont témoigne l'exemple d'Olympias qui distribue, entre
autres, ses maisons de Constantinople avec leurs annones civiques
(άρτοι πολιτικοί)41. Pour donner plusieurs annones, il faut les posséder.
Olympias, qui appartient à l'une des plus importantes familles, gère
donc ses pains civiques comme tout autre revenu. De même le rhéteur
Thémistios, sénateur influent, raconte qu'il va sur les gradins recevoir
sa ration journalière à côté des luthiers, cordonniers . . ,42. Il n'est pas
sûr qu'il se soit réellement déplacé et que cette indication n'ait pas
pour seul but de montrer sa connaissanse de la vie quotidienne du
peuple constantinopolitain, mais ce qui est indubitable, c'est qu'il n'aurait
pas raconté cette anecdote s'il n'avait eu le droit d'aller toucher sa part
comme tout autre citoyen de la ville. La remarque dépasse de très loin
le simple point de vue de l'alimentation dans la capitale pour révéler
un trait inportant des rapports entre l'empereur et le Sénat : ici le
prince ne craint rien d'un Sénat sans prestige qu'il a créé à son gré; il n'a
aucun intérêt à l'opposer au reste de la population et tire même
avantage des investissements immobiliers que ses membres peuvent réaliser et
auxquels il les incite par le versement de ces annones; ainsi
Constantinople croîtra plus vite et ceux qui veulent s'y installer sans avoir les
moyens de faire construire un logement trouveront des maisons ou des
appartements. La même remarque vaut pour l'Eglise qui touche des
άρτοι πολιτικοί attachés à diverses maisons qu'elle possède, soit qu'elle
les ait fait construire elle-même, soit qu'elle les ait achetées ou qu'on
lui en ait fait don43. Elle a donc le droit d'accumuler ces annones que
l'on doit distinguer soigneusement des salaires versés aux membres du
clergé44. L'interdiction de vendre les annones ne doit pas faire croire
que, par cette accumulation, l'Eglise a fini par accaparer l'essentiel des
annones de la capitale tant qu'aucune source n'apportera au moins le
début d'une preuve de cette affirmation. D'ailleurs, comme l'annone
suit la maison à laquelle elle est attribuée, pour détenir la plupart des
annones, il faudrait avoir la plupart des maisons, ce que l'Eglise n'a
jamais réalisé, à Constantinople comme ailleurs. En outre les maisons
finissaient par tomber en ruine, de multiples exceptions accordées par
l'Etat permettaient au patriarche de vendre les maisons qu'il possédait,
tions et des réductions pour renforcer l'argumentation - avec toutes les autres sources,
surtout les lois qui, en ce domaine, apparaissent comme les plus sûres. Il est donc
préférable de considérer que Thémistios joue sur le fait que certains petits artisans étaient
propriétaires pour laisser entendre qu'ils constituaient l'essentiel de la population. Le
mouvement du texte confirme d'ailleurs que l'orateur veut insister sur le fait qu'il côtoie
les plus humbles. Ces derniers peuvent d'ailleurs être les locataires à qui les propriétaires
de plusieurs aedes ont loué, en même temps que le logement, le droit à l'annone qui lui
est lié. Cette phrase, importante pour comprendre l'animation autour des gradus, et peut-
être suggérer les risques encourus par le pouvoir s'il ne donnait pas satisfaction, par des
distributions suffisantes à cette foule rassemblée, ne prouve rien quant aux conditions
d'accès aux gradus.
43 Références à la n. 39.
44 Cf. ci-dessus, p. 192.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 203
ce qui diminuait son patrimoine immobilier. Quant aux dons faits par
les particuliers, ils n'étaient sans doute pas si nombreux que les sources
ecclésiastiques ou hagiographiques le laisseraient croire45.
« Cf. n. 34.
46 Cf. n. 38.
47 CTh 14, 17, 13, 396 : Eos quos in hac urbe domos non habere cognoveris, annonis
novis quolibet titulo acceptis privari tua magnitudo praecipiet nec ullis emolumentis civicis
adjuvari. Neque enim fas est ut qui urbis adfectum domus indicio monstrare neglexerint,
ejus commodis perfruantur. Sin vero quisquam est qui se aedes spondeat habiturum, nisi
intra sex menses instruxerit, nequaquam publicarum annonarum modum potiatur. Après
enquête, le préfet de la ville doit priver de l'annone les nouveaux inscrits qui n'ont pas
fait construire de maison car il ne convient pas d'accorder cet avantage à ceux qui n'ont
pas montré leur attachement à la ville par une construction. On accordera néanmoins un
délai de six mois à ceux qui s'engagent à construire. Les annonae novae ne sont
évidemment pas des annones d'un type nouveau (contra, J.-M. Carrié, op. cit., p. 1091, qui y voit
la preuve que les panes aedium constitueraient une forme nouvelle d'annone par rapport
à l'annone civique), mais des annones nouvellement créées et attribuées à des personnes
qui les recevaient à condition de construire une maison dans un certain délai. Peut-être
avaient-ils plusieurs années pour le faire. Cependant s'il suffit d'un délai de six mois aux
retardataires pour se mettre en règle, on a la preuve que Constantinople ne comptait pas
uniquement des immeubles de grandes dimensions, solidement bâtis. On comprend que
l'incendie allumé pendant la sédition Nika ait fait de gros dégâts. On notera enfin que
l'intention est bien, encore à la fin du IVe siècle, alors que la ville a déjà pris une grande
extension, de donner l'annone pour accroître ses dimensions. Ces annonae novae sont
peut-être celles que l'empereur a créées en 392. CTh 14, 17, 14, 402, en garde le souvenir
(Notre père - c'est-à-dire Théodose - a augmenté le montant (solitum canonem) de
l'annone gratuite (certum annonarum modum de novo canone addendum esse), de même que
CTh 14, 16, 2, 416 : L'ancien canon de l'annone doit être livré entièrement, y compris ce
que Théodose Ier y a ajouté (nec non a divo pietatis meae avo auctus). Bizarrement le Code
Théodosien n'a pas conservé le texte même de la loi et CJ 11, 25, 2, 392 indique non l'aug-
204 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
mentation du canon annonaire, mais sans doute celle des commissions accordées aux
responsables des greniers. Ainsi s'expliquerait le contraste que l'on a noté (G. Dagron,
Naissance d'une capitale .... p. 539) entre l'importance de la mesure, encore rappelée en 416,
qui soutient la comparaison avec l'annone instituée par Constantin, et la modestie des
quantités données par CJ 11, 25, 2. En effet, à 5 muids par personne et par mois,
125 muids par jour correspondent à = 750 rations, moins de 1% des 80 000
annones créées par le fondateur de la ville. Pour un commentaire de CJ 11, 25, 2, voir
ci-dessous, p. 255, n. 195.
48 Sur cette suppression, ci-dessous, p. 271-273.
49 Voir, pour des références, G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 520-522.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 205
50 Les émeutes de la faim ne sont jamais dirigées contre les « accapareurs », preuve
qu'ils n'existent pas, mais contre l'unique responsable de tout l'approvisionnement,
l'empereur ou ses fonctionnaires. Parmi les plus importantes : celle de 409 qui provoque
l'incendie de la préfecture de la ville; celle de 431, accompagnée de manifestations contre
Théodose II; celle de 463, qui fit monter le prix du pain, mais dont on ignore les
conséquences sociales (G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 539).
206 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
4) Evolution
52 CTh 14, 9, 2, 372 : On donnera à ces bénéficiaires particuliers des annonae dites
caducae, ou bien des annones dont le bénéficiaire a disparu (départ définitif, mort sans
héritier . . .), avant qu'on ait désigné un remplaçant, ou bien dont le bénéficiaire est
provisoirement absent : on réserve son droit à l'annone, mais on distribue sa part quotidienne
jusqu'à son retour.
53 Cf. n. 49. Pour Thémistios, Constantinople est mangeuse d'hommes; pour Zosime,
son expansion aurait provoqué le dépeuplement des autres cités.
208 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
54 CTh 14, 17, 7, 372. L'annone civique est désignée par l'expression annona popula-
ris, car elle revient au peuple, c'est-à-dire au corps civique.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 209
55 Clh 14, 17, 8, 380 : C'est une mesure d'exception qui assure au corps des scholes le
droit de conserver un nombre constant d'annones pour ses membres. Sa seule
justification tient au fait que les listes d'attente s'allongeaient et que, par ce moyen, ils étaient
servis plus vite que la moyenne de la population. C'est un signe net de la raréfaction des
annones, et sans doute du fait que les bénéficiaires potentiels étaient désormais plus
nombreux que les annones disponibles.
56 CTh 14, 17, 9, 389 : Ces annones sont dites civicae, preuve qu'elles sont bien
identiques à celles des autres citoyens possesseurs d'une maison.
57 CTh 14, 17 10, 392 : Les annones ne doivent pas être distribuées en fonction de la
dignitas mais des merita singulorum. Les bénéficiaires ont cependant le droit de
transmettre leurs annones par la vente ou par l'héritage. C'est ramener les scholes à la
situation commune et enlever à ce corps la garantie de disposer en permanence d'un nombre
constant d'annones.
210 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
58 CTh 14, 17, 11, 393: L'empereur semble répéter sous une autre forme ce qu'il
avait décidé l'année précédente. En fait on sent une progression. Certaines annones, en
nombre constant, étaient réservées aux scholes. Ils ont d'abord perdu ce privilège. On
exige maintenant qu'ils aient une maison dans la capitale, comme tous les bénéficiaires.
59 Cf. ci-dessous, p. 253-256.
L'ANNONE CONST ANTINOPOLITAINE 211
60 Bien noter que l'empereur cherche à attirer des habitants, et à faire construire
des logements, mais qu'il ne se soucie jamais de l'emploi. Les auteurs qui critiquent cette
politique d'expansion de Constantinople (cf. n. 49 et 53) lui reprochent de vider les cités,
non de créer du chômage. Il n'y a donc pas de problème de l'emploi dans la capitale. Au
VIe siècle, lorsque la ville atteignit sa pleine expansion, Justinien, dans NJ 80 prend des
mesures pour chasser les «étrangers», mais ordonne qu'on mette au travail, dans des
services publics (travaux publics, boulangeries, jardinage . . .) les « autochtones » en état
de travailler; s'ils refusent, qu'on les chasse de la ville. Justinien s'estime en mesure de
donner du travail à tous et l'Etat a besoin d'une main d'oeuvre si importante qu'il peut
utiliser tous les éventuels chômeurs.
61 Cf. p. 268.
212 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
ser que les particuliers, pour riches qu'ils aient été, aient pu acheminer
des convois de blé jusqu'à la capitale. Reste le commerce. Mais sa place
n'a pu être que limitée, dans le cas des céréales uniquement, et une
phrase significative complète tout ce que nous avons dit et dirons des
marchands privés. D'abord elle est la seule qui, dans toute la
documentation, nous parle de cette activité et ensuite elle le fait en des termes
particulièrement nets. Après un développement sur Varca frumentaria
qui doit intervenir en cas de disette ou de famine, le législateur
poursuit en ces termes : « Si une personne privée veut introduire dans cette
grande ville du blé à son usage personnel, qu'elle ait l'autorisation de
procéder à l'achat»62. On ne dit mot des négociants qui viendraient
soulager la misère du peuple et l'on parle seulement de personnes qui
auraient trouvé hors de la ville du blé à acheter, qui pourront
l'introduire dans la cité sans être inquiétées, mais à condition que ce soit pour
leur consommation particulière. On veut manifestement éviter la
spéculation tout autant que le pillage des greniers privés qui auraient
encore du blé; l'Etat déclare licite l'importation à usage strictement
privé et s'engage apparemment à la protéger, mais se reconnaît peut-
être le droit de saisir, en imposant leur vente à prix réduit, toutes les
quantités supplémentaires. Nulle allusion n'est faite à des commerçants
privés venant en ville avec du blé à vendre, pour la simple raison qu'ils
n'existent pas. Bien plus la loi revient à interdire leurs activités. Quant
aux critiques contre l'argument e silentio elles ne portent pas dans ce
cas particulier car, dans une loi qui analyse toutes les manières de
prévenir une famine, on n'aurait pu que parler du commerce s'il avait
existé.
Bien plus, il est impossible qu'un commerce privé ait joué un rôle
autre que marginal avant le VIIe siècle si l'on songe que l'annone
d'Egypte seule fournissait 8 000 000 d'artabes de blé, soit 1 600 000 qx,
comme nous le verrons63. Sauf à admettre que Constantinople avait
1 000 000 d'habitants ou plus, il faut que l'annone ait représenté beau-
62 CTh 14, 16, 1, 409 : Si quis autem privatim ad nsus proprios intra urbem amplissi-
mam frumentum comparare voluerit, habeat licentiam coemendi. Le pléonasme privatim
ad usus proprios ne laisse place à aucune ambiguïté.
63 Ci-dessous, p. 257-260. Le commerce privé n'a pu être de quelque importance,
comme à Rome qu'aux époques où la capitale était peu peuplée et où une annone de
faible volume pouvait être concurrencée par le négoce, soit dans les premières années qui
ont suivi sa fondation, soit après la suppression de l'annone gratuite et le déclin de la
ville.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLIT AINE 213
la main sur l'arca frumentaria (οατωνικόν en grec) comme très représentative de ses
empiétements sur les prérogatives de son collègue de la ville. En effet, mettre la main sur
la caisse urbaine du blé aurait abouti à prendre le contrôle de l'un des postes importants
du budget urbain. Il ne pouvait y avoir, pour le préfet de la ville, pire abus que de vouloir
s'emparer de «son» budget, celui de sa ville.
69 Sur l'arca de Rome, voir ci-dessus, p. 54.
70 CTh 14, 16, 1, 409 : Quingentas auri libras partim a tui culminis indagine, partim
amplissimi senatus grata inlatione collectas ad prohibendam famem ita huic titulo conse-
cramus ... : rien ne dit que la décision impériale porte sur la création d'une caisse plutôt
que sur la modification de son capital.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 215
71 Ci-dessous, p. 427-434.
72 Ci-dessous, p. 382-389.
73 CTh 14, 16, 3 : Que l'on consacre en permanence 611 livres à l'achat (coemptio) du
blé; que cette somme ne soit jamais diminuée ou affectée à d'autres usages; que les
registres municipaux tiennent le compte de ce qui est prêté aux boulangers et de ce qu'ils
doivent, sans subir aucune exaction (sub gestorum testificatione certum fiat et quod man-
cipibus mutui nomine datum est et quod ab isdem sit excepta omni concussione solven-
dum). Noter le rôle des gesta municipalia, ces registres municipaux, dont on voit
progressivement apparaître toute l'importance. Noter aussi la dépendance financière des
boulangers par rapport à Varca : les prêts que celle-ci leur accorde apparaissent comme une
constante de la vie municipale, et non comme une simple éventualité. On ignore pour
quelle raison les boulangers étaient si fréquemment débiteurs par rapport à l'arca, mais il
faut souligner le fait à cause des moyens de pression qu'il suppose de la part du Sénat de
Constantinople sur la corporation la plus vitale pour toute la cité. Noter enfin que nous
ne savons rien du bilan de l'arca en fin d'exercice. Etait-il normalement déficitaire. Cela
paraît douteux, car on soulignerait l'obligation de combler le déficit chaque année. Etait-
il au contraire bénéficiaire? C'est, pour moi, ce que laisse entendre le mouvement du
texte. Si on ne doit pas dépenser moins de 611 livres, c'est qu'on est souvent tenté d'en
216 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
ne correspond pas à un chiffre rond et qu'on aurait donné soit 100 soit
150 livres mais vraisemblablement pas 111, il est presque assuré que le
supplément par rapport à 409 provient, au moins en partie, des profits
réalisés. L'empereur justifie le contrôle du sénat non seulement par le
fait qu'il a fourni la moitié des fonds, mais aussi par le souci d'éviter
que le préfet de la ville ne détourne l'argent ou le blé. Si l'on veut se
faire une idée des moyens que le Sénat et la préfecture de la ville
pouvaient ainsi mettre en œuvre, il faut se souvenir que 500 livres font
36 000 sous, valant, au prix moyen du marché qui se trouve aussi être
le prix public d'adaeratio-coemptio, 72 000 qx. Sauf catastrophe
extraordinaire, telle que l'occupation de l'Egypte par les Perses au VIIe siècle,
il est évident que Constantinople disposait toujours d'au moins 6 mois
de vivres. Pour les 6 mois restants, avec des rations de famine, on
pouvait vraisemblablement se contenter d'un demi-quintal par personne.
Ces 72 000 qx suffisaient donc pour environ 1 50 000 personnes, la
moitié approximativement de la ville vers cette époque, comme nous le
verrons. C'était un moyen d'action considérable, dont il n'est dit nulle part,
à Constantinople ou dans aucune autre ville, qu'il ait été réservé aux
indigents : en période de famine, toute personne se trouvant là avait
droit à sa part sauf les étrangers à la cité, si on les chassait. Il s'agissait
avant tout d'assurer une continuité de l'approvisionnement au moment
où, la famine régnant partout, les paysans gardaient pour eux
l'essentiel de leur trop maigre récolte. Ils refusaient même de payer l'impôt
en nature et seuls des stocks ou des achats dans des régions épargnées
pouvaient assurer un minimum aux citadins. La question principale,
qui reste difficile à cerner, consiste à savoir si on conservait les fonds
pour procéder à des achats en cas de besoin ou si on disposait en
permanence de stocks régulièrement renouvelés pour qu'ils ne se
détériorent pas. Ce que l'on constate dans les autres villes donne à penser que
les deux méthodes étaient utilisées : Edesse vers 500 et la Sicile vers 600
semblent avoir des greniers régulièrement remplis ; Antioche sous
l'empereur Julien, les villes d'Italie du Nord à l'époque de Cassiodore et
Alexandrie au début du VIIe siècle procèdent à des achats dans des
greniers d'Etat ou sur des marchés libres au moment où l'annonce d'une
disette rend l'intervention urgente.
En conclusion, on constate que, à Constantinople comme à Rome,
dépenser moins, que toute la somme légale doit être utilisée à cette fin et non pour
combler le déficit d'autres budgets de la cité.
L'ANNONE CONST ANTINOPOLITAINE 217
Les prestations sont moins bien connues qu'à Rome, mais ce que
nous savons suffit pour affirmer qu'ici, comme dans l'ancienne
capitale, les «pains» publics se composaient certes de pain, mais aussi
d'autres denrées.
plus leur place dans les codes78. Très vite, sinon dès les origines,
Constantinople aurait été régie par des recueils de même nature que le livre
du préfet, connu pour l'époque macédonienne. Ainsi l'on ne reprend
que deux lois du chapitre sur l'annone de Rome et aucune loi nouvelle
n'apparaît. De même, il est douteux que Varca frumentaria ait toujours
eu un capital de 611 livres jusqu'au milieu du VIe siècle et qu'on n'ait
jamais eu à modifier les rapports entre le préfet de la ville et le Sénat
dans son administration.
Enfin un trait particulier de l'approvisionnement de
Constantinople en vin et en viande finit de justifier la discrétion du code. Les
difficultés étaient fréquentes et les lois nombreuses parce que le vin et la
viande venaient d'Italie même, et par voie de terre dans le cas de la
viande. Il fallait multiplier les règlements particuliers, alors que, pour
le blé et pour l'huile qui étaient sous-traités aux naviculaires, on
appliquait les lois édictées au sujet de ces derniers, sans distinguer le
produit tranporté. Par contre, à Constantinople, l'essentiel venait
apparemment par mer et se trouvait sous la responsabilité des naviculaires. On
peut donc raisonnablement conclure des extraits de lois adressées à
Rome qu'on distribuait vraisemblablement de la viande et du vin, mais
que la preuve doit en être fournie d'une autre manière.
Une loi vient heureusement nous apporter la preuve que l'annone
constantinopolitaine ne fournissait pas que du blé, et elle concerne
l'huile79. Elle est reprise dans le chapitre sur l'annone civique et est
adressée au préfet de la ville, deux raisons pour affirmer qu'elle
concerne une prestation annonaire. L'empereur confirme la décision
du préfet d'adopter un setier de compte plus favorable aux
intermédiaires : il sera ramené à 21, 5 onces, après une diminution de 18 scrupules
(qui valent 0, 75 once). Il ne faut donc pas voir dans cette décision une
diminution des rations distribuées, car le setier ici considéré n'est pas
celui avec lequel on verse l'huile dans les récipients apportés par les
bénéficiaires, mais celui qu'utilise l'administration. Ainsi que nous
l'avons déjà vu pour le blé sicilien par exemple80, le contribuable livre
ce qu'il doit avec un setier officiel qui peut être égal ou supérieur au
setier légal. Nous ignorons ici combien il valait, mais nous savons que
les intermédiaires devaient reverser un setier de 22, 25 onces81 aux
responsables de l'annone de Constantinople. Pour accroître leur marge on
réduit, sans doute à leur demande, la valeur de leur setier; ils gagnent
0,75 once de plus par setier transporté et, par voie de conséquence,
l'administration de l'annone perd une partie de ses revenus, peut-être
compensée par l'octroi d'une subvention, comme celle des suarii de
Rome82. Mais elle ne perd pas tout, ainsi que le montre un rapide
calcul. 1 setier d'huile pèse 0,54 χ 0,9 = 0,48 kg. 21, 5 onces pèsent, pour
leur part 0,322 χ 21,5 = 0,58 kg. Il restait donc un surplus d'environ
20% permettant de payer les frais de stockage, de répartition entre les
divers points de vente, et de distribution83.
79 CTh 14, 17, 15, 408: Dispositionem magnificentiae tuae de olei mensura firmam
manere praecipimus ut decem et octo per singulos sextarios scripults ad certorum ordinum
commodum moderante dispositione tua retentis ac distributis sextarius olei ad viginti
unam semis unciam redigatur. Quam mensuram certum designatis suggestione corporibus
solacium constitutam nullius posthac fraude credimus adtemptandam. L'empereur
confirme une décision du préfet de la ville qui diminue la valeur du setier pour accorder un
avantage (commodum, solacium) aux intermédiaires (ordines, corpora). Il n'est fait
aucune allusion à une éventuelle diminution des rations annonaires, comme on l'a souvent
cru.
80 Ci-dessus, p. 156.
81 Ils verseront désormais 21,5 onces après une ristourne de 18 scrupules, qui valent
0,75 onces. Ils versaient donc avant la loi 22,5 onces.
82 Voir ci-dessus, p. 95-98.
83 Rappelons que la densité de l'huile est de 0,9. Les greniers de l'annone reçoivent
donc 0,58 kg d'huile pour 0,48 kg (1 setier) qu'ils devront reverser. Cela suppose que,
pour 1 setier reversé dans la capitale, on lève dans les provinces au moins 0,58 kg,
compté pour 1 setier par le percepteur. L'ensemble des percepteurs, qui doit s setiers, verse
s χ 0,58 kg d'huile. L'annone livre aux ayants droit le même nombre de setiers, mais ils ne
L'ANNONE CONST ANTINOPOLIT AINE 221
représentent plus que s χ 0,48 kg. En amont, les contribuables ont, eux aussi, payé le
même nombre de setiers, mais ils valaient peut-être 2 livres (24 onces = 0,64 kg). De
l'olivier à l'amphore du bénéficiaire, le nombre de setiers était constant, ce qui simplifiait
considérablement les calculs, mais ces setiers perdaient de leur poids, et donc de leur
valeur à chaque opération fiscale. C'est pourquoi le setier perçu est souvent compté pour
plus cher que le setier normal, pour que le contribuable ne soit pas surimposé (cf. ci-
dessus, p. 156, et ci-dessous, p. 497-512). C'est pourquoi aussi l'annone coûtait à l'Etat
plus cher que la valeur au prix public des quantités distribuées.
84 Entre autres allusions à des denrées diverses formant une ration annonaire, CTh
14, 17, 7, 372 : Quand quelqu'un quitte la capitale, panes ceteraque quae percipit, les pains
et le reste de ce qu'il perçoit demeurent dans les greniers. Ainsi le passage de Thémistios,
Discours, 23, éd. G. Downey, t. 2, Leipzig, 1970 (coll. Teubner), p. 86-87, où il est dit que ce
que lui verse l'annone suffit aux besoins de l'orateur, prend tout son sens : Thémistios ne
sous-entend pas qu'il vit seulement de pain, mais que l'annone lui verse tout ce qui est
indispensable à la nourriture. De même on comprend qu'il veille à bien préciser que ce
qu'il touche n'est pas l'annone militaire, mais l'annone civique, car l'une et l'autre se
compose de denrées variées. Δια ταϋτα ουν δσα την χρείαν μοι άναγκαίαν είχε και οϊς
σιτοδοτεΐ ό βασιλεύς τους οίκήτορας τής πόλεως, ού τους στρατιώτας, απολαύω : ainsi (en
touchant l'annone civique), je dispose de ce qui m'est nécessaire et que l'empereur
distribue aux citoyens, non aux militaires.
85 Nouvelle édition, avec photographie et commentaire, J. Durliat et A. Guillou, Le
tarif d'Abydos, BCH, 108, 1984, p. 581-598.
222 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
90 Laridum, d'où le grec a tiré λόρδος, est parfois employé pour caro porcina jusque
dans les lois impériales, bien que le lard, terme générique pour plusieurs sortes de
charcuterie, se distingue de la viande non traitée, au moins par son prix. Une question se pose
cependant. A Rome, la viande arrivait pour l'essentiel à pied par les routes d'Italie, et on
pouvait la livrer non traitée. A Constantinople, elle arrivait pour partie en bateau, et il
n'est pas sûr qu'on ait pu transporter ainsi beaucoup de cochons vivants. Il est donc
possible que l'annone de la seconde Rome ait distribué parfois ou souvent du lard à côté de
la viande.
91 Voir, par exemple, le cas de Thessalonique où les autorités envoient des bateaux
acheter du blé, mais ceux-ci, n'en trouvant pas, ramènent des légumes secs (ci-dessous,
p. 403). De même, en Egypte, on rencontre, sans pouvoir bien expliquer le fait, des
όσπριγήται (transporteurs de légumes secs) parmi les agents percevant l'annone. Par
exemple, P. Oxy. 2 000 : somme versée à des όσπριγήται, manifestement pour le transport
d'oanpia (cf. G. Rouillard, L'administration civile de l'Egypte byzantine, 2e éd., Paris, 1928,
p. 133, n. 7). En outre des perceptions de fèves apparaissent souvent dans les papyrus. On
retrouve ces subsistances dans une anecdote relative à la capitale : Tibère, au cours d'une
famine, fit distribuer au peuple d'abord de l'orge puis des légumes secs à la place du blé
(Jean d'Ephèse, Historiae ecclesiasticae pars tertia, 3, 3, 45, éd. et trad. E. W. Brooks, Lou-
vain, 1952 (CSCO, 106, Scriptores syri, 54-55), t. 55, p. 179).
92 Cf. ci-dessus, p. 200-203.
224 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
On doit, si l'on étudie l'origine des denrées, s'en tenir aux textes,
notre seule documentation qui soit à peu près sûre en ce domaine.
Comme ils ne nous parlent que des routes suivies par le blé, c'est de lui
qu'on peut traiter ici avec le minimum de risques de se tromper.
Il suffit de considérer les interprétations divergentes au sujet de
l'huile qui, selon certains, aurait été fournie à partir de la Syrie du
96 Sur le coût des transports, manutentions, stockages .... voir le commentaire des
prix publics, ci-dessous, p. 497-512.
97 Ibid., pour ces prix.
98 CTh, 14, 16, 2, 416 : Integer canon mancipibus consignetur, annona in pane cocto
domibus exhibenda. Que tout le montant de l'annone soit versé aux boulangers pour que
l'annone soit livrée aux maisons sous forme de pain cuit.
226 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
102 Edit 13, 6 : On menace le duc de ces provinces d'une amende de 33% (3 artabes
par sou de valeur, pour 1 sou valant 10 artabes) en cas de négligence dans
l'acheminement de l'annone due par sa circonscription.
103 Edit 13, 24 : Mêmes dispositions pour le duc de Thébaïde qui doit, sous sa
responsabilité, fournir le blé prévu par la loi, au duc d'Egypte.
104 Edit 13, 26 : La province à laquelle se rapporte la fin de l'Edit est bien l'Augustam-
nique, quoique le début du paragraphe, où figurait cette indication, ait été perdue (cf. G.
Rouillard, op. cit., p. 31-32). Les obligations de ce duc sont semblables à celles des autres.
Les paragraphes consacrés à l'Arcadie ont disparu, mais on ne peut douter qu'elle ait été
mise à contribution, comme les autres.
105 Edit 13, 18-23 : La Libye paie des impôts mais aucune mention n'est faite de
l'annone parmi eux. Une lettre d'Ischyrion, diacre d'Alexandrie, contre Dioscore, l'accuse de
ne pas avoir livré aux évêques de Libye le blé que l'empereur leur avait accordé, à cause
de la sécheresse qui interdit absolument la culture des céréales (éd. dans J. D. Mansi, N.
Coleti, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. 6, Florence, col. 1013).
106 Cf. ci-dessus, p. 117 et ci-dessous, p. 233.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 229
107 Pour les livraisons à Antioche, voir ci-dessous, p. 371 ; pour celles faites à
Thessalonique, ci-dessous, p. 391-392. Pour des livraisons à d'autres villes de Méditerranée
orientale que Procope présente de manière tendancieuse, voir ci-dessous, p. 233.
108 Thémistios, Discours 27, 336 d, éd. cit., p. 160.
109 Socrate, Histoire ecclésiastique, 4, 16, éd. dans PG 67, col. 501, rapporte que, sous
le règne de Valens, à une époque donc où Constantinople n'avait pas atteint une taille
très considérable et où des apports peu volumineux pouvaient être importants pour la
survie de la ville pendant une famine, des paysans de Phrygie et d'autres provinces
affamées se précipitaient vers la capitale où l'on trouve toujours à manger, car elle dispose
largement des ressources de la Mer Noire, quand le besoin s'en fait sentir. On peut se
demander si la Mer Noire ne se contentait pas de fournir un complément en cas de
besoin, ou si elle approvisionnait régulièrement les greniers de l'annone. Bien noter que
les populations des campagnes fuient vers les villes en cas de famine.
110 Martin Ier, Ep. 17, éd. dans PL 87, col. 203-204 : La famine est si rigoureuse que le
blé vaut entre 3 et 4 muids pour 1 sou (sept à dix fois son prix moyen), et qu'on achète,
pour se nourrir, celui qu'apportent des bateaux venus chercher du sel.
111 Eunape, Lives of the philosophers and sophists, éd. W. C. Wright, Cambridge
(Mass.)-Londres, 1952 (coll. Loeb), p. 382-384 : «Constantinople, l'antique Byzance,
envoyait des convois de blé aux Athéniens et les importations de cette région étaient
surabondantes . . .». Trad, d'après G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 531.
230 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
116 D'après Thémistios, Discours, 27, 336 d, éd. cit., t. 2, p. 160; Vie de saint Marcel
VAcémète, 26, éd. G. Dagron, An. Bol. 86, 1968, p. 308-309. La Thrace ne pouvait livrer que
des quantités faibles puisqu'il fallait acheminer le blé par route jusqu'aux ports ou
jusqu'à la capitale. Lors des guerres qui la ravagent, il n'est jamais fait mention d'un risque
quelconque pour l'approvisionnement de Constantinople. L'Etat y procédait sans doute à
des achats complémentaires pendant les mauvaises années, tandis que les particuliers qui
le souhaitaient y achetaient de quoi confectionner leur pain ou faisaient venir le produit
de leurs domaines, ce qui représentait nécessairement peu de choses par rapport à
l'annone égyptienne (cf. ci-dessous, p. 257-258). Au VIe siècle encore, la Thrace, comme la
Bithynie et la Phrygie, devait fournir du blé lorsque les ressources normales étaient
insuffisantes, ce qui était très difficile pour les habitants de ces régions (Procope,
Anecdota, 22, 17-18, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll. Teubner), p. 137). Il s'agit d'une συνωνή
(coemptio), d'un achat complémentaire à prix public et non d'une prestation annonaire
régulière.
117 Pour l'Asie Mineure, Procope, Anecdota, 22, 18 (cf. n. 116) et 23, 14, p. 143.
232 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
A - La perception
118 Socrate, Histoire ecclésiastique, 2, 13, éd. dans PG 67, col. 209 : Constance II, après
le meurtre du magister equitum Hermogénès αφελών του σιτηρεσίου του παρασχεθέντος
παρά τοδ πατρός αύτου ημερησίου υπέρ τεσσάρας μυριάδας- οκτώ γαρ εγγύς μυριάδες
έχορηγοοντο πρότερον του σίτου έκ τής 'Αλεξανδρέων κομιζομένου πόλεως. Eunape, The
lives of the sophists, éd. W. C. Wright, Cambridge (Mass.)-Londres, 1952 (coll. Loeb),
p. 382 : Constantin vida les autres villes de leurs habitants pour rassembler la foule qui
l'applaudirait dans les théâtres. On ne saurait mieux dégager l'essence d'une capitale
impériale. Sozomène, Histoire ecclésiastique, 2, 3, 7, éd. cit. p. 122, n. 23 : (Constantin)
φόρους τάξας ... εις άποτροφήν των πολιτών . . ., créant des impôts pour l'alimentation
des citoyens.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 233
119 Sur ces faits, G. Dagron, Naissance d'une capitale. Constantinople et ses institutions
de 330 à 451, Paris, 1974 (Bibliothèque byzantine), p. 430-431, d'après Socrate 2, 13 (voir à
lan. 118).
120 Thémistios, Discours 23, 298 a-b et 34, 13, éd. G. Downey, t. 2, Leipzig, 1970 (coll.
Teubner), p. 93-94 et 221-222. Libanius, Ep. 368, éd. R. Foerster, t. 10, Leipzig (coll. Teub-
ner), p. 352-353. Commentaire de G. Dagron, L'empire romain d'Orient au IVe siècle et les
traditions politiques de l'hellénisme : le témoignage de Thémistios, Travaux et mémoires,
3, 1968, p. 205-212; id., Naissance d'une capitale .... p. 535.
121 Voir ci-dessous, p. 254-255.
122 Cf. ci-dessus, p. 213-216.
123 Ibid.
124 Edit 13, 8; éd. dans NJ p. 783.
125 Par exemple, Procope, Anecdota, 22, 18 et 23, 14, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll.
Teubner), p. 137.
126 Jean d'Ephèse, Historiae ecclesiasticae pars tertia, 3, 3, 14, éd. et trad. E. W.
Brooks, Louvain, 1952 (CSCO, 106, Scriptores Syri, 54-55, t. 55), p. 103.
127 Ibid.
234 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
128 Jean de Nikiou, Chronique universelle, 95, éd. et trad, française H. Zotenberg,
Paris, 1883 (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, 24), p. 406.
129 Chronicon Paschale, a. 618, éd. G. Dindorf, Bonn, 1832, p. 711.
130 Sur Varca fruntentaria, ci-dessus, p. 213-216.
131 Procope, Anecdota, 22, 14, 22, éd. cit., p. 136-138 : Pierre Barsymès convainquit
l'empereur de revendre de force aux cités (επέβαλε) le blé en excédent dans les greniers
publics, et qui commençait à se gâter, puis, comme l'année suivante l'annone fournit
moins que ce qu'on attendait, le peuple et l'armée furent mécontents du manque de
céréales, ainsi que les paysans de Thrace, Bithynie et Phrygie auxquels il imposa une
συνωνή. Le polémiste présente de manière caricaturale une procédure qui semble
parfaitement normale. Une certaine quantité de blé fut vendue à diverses cités parce qu'on ne
pouvait le conserver plus longtemps. L'année suivante, des livraisons insuffisantes de
l'Egypte imposèrent de compléter le canon annonaire par des achats extraordinaires. Que
ces opérations aient été accompagnées de malversations est possible, non certain.
132 Voir par exemple l'Edit 13 de Justinien (éd. dans NJ, p. 780-795), adressé au
préfet du prétoire d'Orient qui doit transmettre aux ducs d'Egypte les ordres pour la levée
de l'annone au début de chaque exercice.
133 Voir G. Rouillard, L'administration civile de l'Egypte byzantine, 2e éd., Paris, 1928,
p. 127, pour des exemples : les ducs doivent lever l'annone dans les provinces, les cités
(qu'il faut comprendre au sens romain de circonscription comprenant la ville et la
campagne environnante) et les villages qui dépendent d'eux. Nombreux sont les papyrus qui
nous prouvent que l'impôt annonaire était levé par cité (P. Oxy. 1 909 : Oxyrhynchos et
Cynopolis doivent 350 000 artabes; Heracleopolis, la même quantité; Nilopolis, 10 000
artabes). En outre une foule de papyrus montre des correspondances entre les
gouverneurs ou les ducs et les autorités municipales au sujet de l'annone, comme des autres
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 235
impôts). De même pour les villages (par exemple le célèbre village d'Aphroditô, d'après P.
Cairo-Masp., index 6, 5. ν. εμβολή). Pour une étude des méthodes de perception, voir aussi
J. Durliat, Moneta e stato, Bari, Corsi di studi, 1986, p. 179-200.
134 Edit 13, 24 et 26, pour les ducs de Thébaïde et d'Augustamnique.
135 P. Cairo-Masp. 67 057, t. 1, p. 204.
136 Ci-dessous, p. 257-258.
137 J. Durliat, op. cit. p. 194-196.
ne vojj- ci-dessus, p. 71-72 et p. 156, pour la perception de l'annone en Occident.
On sait au moins par CTh 7, 6, 3, 377 que le jugum a été utilisé comme unité de
perception en Egypte comme dans tout le reste de l'Empire. Il reste à déterminer si
l'on est passé en Egypte, comme en Occident, de l'estimation des propriétés
individuel es en iuga et fractions de iugum à une estimation en unités du même type que le
fundus, avec regroupement des propriétaires pour obtenir un nombre stable d'unités
236 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
fiscales, quel qu'en soit le nom : au lieu de payer pour 1/3 de jugum, on est associé à
deux autres contribuables qui ont la même charge fiscale et on désigne l'un des trois
pour être responsable au nom des autres qui paieront l'impôt par son intermédiaire.
Je suis, pour ma part frappé du nombre de versements fiscaux effectués par Untel
pour le compte d'une ou plusieurs personnes (διά), même quand les sommes sont
faibles : cette personne n'est-elle pas responsable, au nom d'une petite collectivité, dont
l'ensemble détient l'équivalent d'une unité fiscale? Les sommes sont trop faibles pour
qu'on puisse penser, dans tous les cas, à la population d'un hameau, bien que les
hameaux (έποίκια) paient, eux aussi, collectivement, par l'intermédiaire d'un ou
plusieurs responsables. Sur la fiscalité byzantine en général, voir les travaux de J. Gascou,
La possession du sol, la cité et l'Etat à l'époque protobyzantine et particulièrement en
Egypte (Recherches d'histoire des structures agraires, de la fiscalité et des institutions aux
Ve, VIe et VIIe siècle), Thèse de troisième cycle, à paraître; id., La détention collégiale
de l'autorité pagarchique dans l'Egypte byzantine, Byz. 42, 1972, p. 60-72; id., P. Fouad.
87 : Les monastères pachômiens et l'Etat byzantin, Bull, de l'Inst. fr. d'arch. or., 76,
1976, p. 154-184.
139 G. Rouillard, op. cit., p. 132, constatait: «Nous sommes mal renseignés sur le
détail de la perception dans les cités ». Elle cherchait des fonctionnaires, en vain. Voir les
travaux de J. Gascou, cités ci-dessus, qui résolvent la question de savoir qui percevait. Il
faut approfondir celui de savoir sur quelles bases le contribuable était imposé (cf.
n. 138).
140 Sujet souvent abordé. Voir, pour la bibliographie ancienne, les deux derniers
travaux, qui posent la question en termes actuels : R. Rémondon, Le monastère alexandrin
de la Métanoïa était-il bénéficiaire du fisc ou à son service?. Studi in onore di Edoardo
Volterra, t. 5, Milan, 1971, p. 769-781 ; J. Gascou, P. Fouad. 87 . . ., p. 178-183.
141 R. Rémondon a montré (pp. cit., p. 776-777) que, la même année (543-544), le
vil age d'Aphroditô livre 5 759 artabes de blé au monastère de la Métanoïa, et que le duc de
Thébaïde Héphaistos fixe le montant de sa contribution à la même quantité de 5 759
artabes, qu'il faudra apporter rapidement «à l'heureux convoi du blé» qui fait voile vers
Alexandrie (P. Cairo-Masp. , 67 286 Β et P. Flor. 292). C'est donc bien le blé de l'annone
que l'on remet au monastère. De nombreux papyrus font d'ailleurs allusion au bateau du
monastère (P. Cairo-Masp. 67 286 Β . . .) qui touche des ναΰλα (commissions pour les frais
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 237
de transport sur le Nil du blé fiscal), et se comporte donc comme n'importe lequel des
grands propriétaires égyptiens qui acceptait la charge de percevoir l'annone dans la
région où il possédait des biens.
142 Cf. n. 141 : La quantité demandée au village correspond exactement à celle qu'il
verse aux agents du monastère. Ce dernier est donc le seul « percepteur » que connaisse le
village.
143 R. Rémondon, op. cit., soutenait que l'annone ainsi levée par le monastère allait
aux greniers publics d'Alexandrie, qui, eux-mêmes, la transféraient à Constantinople. J.
Gascou, P. Fouad. 87 . . ., a voulu voir dans l'annone ainsi levée une part des revenus
concédés par l'Etat au monastère pour faire fonctionner ses services, en particulier celui
de l'assistance. Le début de son article a fortement souligné que les monastères étaient
intimement liés à l'Etat, et en touchaient des revenus non négligeables (p. 179-180). Dans
le cas présent, pourtant, son seul argument repose sur la présence de διακοναταί du
monastère. Se fondant sur l'article de H.-I. Marrou, L'origine orientale des diaconies
romaines, MEFR, 57, 1940, p. 95-142, il pense que leur présence suppose l'existence d'une
diaconie pour laquelle ils travailleraient. Mais j'ai rappelé que le diaconite est un agent
quelconque du monastère, qui peut, par exemple, être son intermédiaire avec le monde
extérieur, et n'est pas nécessairement le responsable du service de la charité (ci-dessus,
p. 180, n. 44). Toute la difficulté consiste donc, ici, à déterminer si ces diaconites ne
s'occupent que de questions religieuses ou s'ils gèrent les charges civiles imposées au
monastère (perception de l'impôt, entretien de l'armée . . .). Dans le premier cas, le blé qu'ils
lèvent est destiné à la vie propre du monastère; dans le second, ce peut être le blé anno-
naire. En fait, on voit ces diaconites percevoir les impôts municipaux dans P. Cairo-Masp.
67 347 : « II a été mesuré et versé par le très glorieux comte Ammonios, par l'entremise de
son percepteur Apollos, et il a été chargé sur le bateau de la Métanoïa, par l'entremise de
l'abbé très aimé de Dieu, Anastasios, moine et diaconite d'Antaeopolis, pour les taxes
municipales, 74 artabes de blé» (R. Rémondon, op. cit., p. 774, traduit à tort αστικά par
« ses propriétés du territoire de la ville » - alors que le sens fiscal du terme ne fait aucun
doute - et se prive ainsi d'un argument dirimant). Puisque le diaconite lève les taxes
locales en même temps que Γέμβολή (comme le montre le début de ce même papyrus), c'est
qu'il lève tous les impôts publics et pas uniquement ceux qui seraient susceptibles de
rentrer dans les caisses ou les greniers de son monastère. Il semble donc bien lever
l'impôt annonaire. Peu importe, pour notre propos actuel, que cet impôt aille à la capitale ou
à Alexandrie, ou même qu'il soit concédé au monastère. Il nous suffit de constater la
238 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
manière dont l'annone est levée ; or ce qui est important, c'est que le diaconite,
responsable de la levée de tout l'impôt d'Aphroditô, est le seul agent local de la puissance
publique. Vers le milieu du VIe siècle (P. Cairo-Masp. 67 060), un pagarque écrit aux
prôtocômètes (les chefs de l'administration villageoise) que le diaconite n'a donné aucune
information sur la contribution du village (il s'agit ici, à nouveau, non de l'annone mais des
impôts locaux); c'est donc bien le diaconite qui sert d'intermédiaire entre les pagarques
et l'administration locale. En 567 (P. Cairo-Masp. 67 002) le scribe du village (qui écrit
manifestement au nom des prôtocômètes) et le diaconite se plaignent au duc que le
pagarque disperse Γέμβολή déjà rassemblée et en cours de chargement pour Alexandrie,
et le second, qui a délivré le reçu, craint de ne pas avoir à bord la totalité de ce qu'il a
déclaré recevoir. Les premiers redoutent que, dans l'incapacité de faire face à ses
obligations, il ne vienne réclamer un supplément. On ne saurait mieux illustrer le rôle du
possessor dans la concentration et le transport de l'annone.
144 Puisque le monastère perçoit des ναολα et fait charger le blé sur son bateau
(n. 141 et 143), c'est qu'il a la charge de le conduire à Alexandrie.
145 Notons seulement ici que les villages possédaient leurs greniers (SPP 432 :
fragment où l'on note la présence des oppia κώμης) mais surtout que la plupart des cités,
sinon toutes, en possédaient, si l'on tient compte du nombre considérable de mentions
soit des oppia, soit au moins des μεσίται qui en étaient responsables et dont la seule
présence suffit à prouver l'existence d'un grenier. Le travail ancien de G. Rouillard, op. cit.,
p. 135-136 a eu le mérite de rassembler un certain nombre de textes. La liste pourrait être
sensiblement allongée, mais, pour ce qui concerne l'annone, je ne connais que trois
documents : P. Flor. 75 (380) montre comment la cité, par l'intermédiaire de deux de ses curia-
les (bouleutes), passe contrat avec un transporteur qui chargera 1 463 artabes de blé sur
son bateau. Il faut donc pour cela qu'il existe un ou plusieurs greniers municipaux
capables de concentrer le blé annonaire. BGU 838 (577) laisse penser que les greniers étaient
nombreux dans les cités puisqu'un sitomètre (responsable de la conservation de l'annone)
de quartier, à Arsinoè, reconnaît avoir reçu du blé du responsable (épistate) des sitomè-
tres de la cité, dans les oppia δημόσια. SPP 1 195 (722, en pleine époque musulmane)
montre les autorités musulmanes accordant du blé annonaire à un monastère. On ne
précise pas le nom des oppia, mais il est clair, d'après cet exemple, que le même grenier
stockait du blé affecté ensuite à diverses dépenses publiques. De même, quand SB 4 889
mentionne un επικείμενος υπέρ των όρρίων, un responsable des greniers, il est sûr, mal-
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 239
Β - LE TRANSPORT
gré l'état fragmentaire du papyrus, que ce personnage dirige tous les greniers et donc
qu'on n'avait pas de grenier particulier de l'annone; dans le cas contraire, on aurait
précisé la destination des greniers, d'autant plus qu'à la ligne suivante, on indique que notre
homme verse et encaisse des ναΰλα, ces droits de naulages spécifiques des transports
annonaires. Nous verrons l'importance de ces greniers pour l'alimentation des cités, et la
variété des versements qu'ils effectuent (ci-dessous, p. 464-471).
146 Ci-dessus, p. 80-90. Ici, nous ne pouvons étudier que le transport du blé.
147 CTh 13, 5, 7, 334 : Exemption de toutes les charges municipales pour les
naviculaires de la flotte annonaire d'Orient. On ne sait si une telle faveur a été accordée à
l'occasion de sa création, mais c'est un indice en faveur du fait que nous avons ici affaire à des
naviculaires-possessores, car on voit mal un batelier exercer des magistratures dans sa
cité. En outre, en cas de décès, le mari ou la femme survivant hérite l'ensemble des biens.
Là encore on voit mal une femme diriger un bateau ou même une entreprise de transport
maritime, et surtout, si les biens concernés étaient des bateaux on ne voit pas pourquoi
les enfants n'en auraient pas leur part. Enfin, il est dit aussi dans ce texte que les
naviculaires effectueront leur mission nihil paene de suis facultatibus expendentes. S'ils ne
paient rien, c'est qu'ils ne sont en rien propriétaires de la flotte annonaire. CTh 13, 5, 14,
371 : Pour augmenter la flotte annonaire, l'empereur accorde une exemption d'impôt de
la valeur de ce que versent 50 juga pour l'annone, à condition qu'on livre 10 000 muids de
blé. On établira une liste en double exemplaire des noms, résidences et biens des
naviculaires avec l'indication du nombre d'anciens et de nouveaux bateaux qu'ils affrètent. Ces
deux lois montrent l'intérêt de l'Etat à l'accroissement de la flotte annonaire. La
première confirme l'existence de naviculaires-possessores (cf. ci-dessus, p. 80-85).
148 Cf. ci-dessus, p. 80-85. Pour reprendre l'exemple du monastère de la Métanoïa (cf.
ci-dessus, p. 236-237), on peut considérer qu'il est possesseur de ses bateaux, à condition
de donner à possession le sens particulier que les contemporains donnaient à possessor :
240 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
le monastère touche les droits de naulage, affrète les bateaux, est responsable du
transport, mais on ne peut disposer des embarcations à d'autres fins, ni les vendre car elles
ont été payées avec de l'argent public. Parfois les possessores ont préféré louer les
services d'un propriétaire de bateau privé, au moins pour les transports sur le Nil (J. Gascou,
La possession du sol .... p. 106-107).
149 Sur le fait que l'Eglise et les autres possessores ne se sont pas lancés dans des
entreprises capitalistes, en particulier sur le fait que les prétendues flottes
ecclésiastiques de Rome, Ravenne, Alexandrie .... ne sont que des flottes affrétées par l'Eglise
pour un service public, voir J. Gascou, ibid. Les documents les plus «concrets» sont
particulièrement ambigus car ils ne prennent pas la peine de préciser ce que signifiait
«bateau de l'Eglise», pour la simple raison que le contexte suffisait aux contemporains
pour savoir si le bateau était la propriété de l'Eglise, celle de l'Etat ou celle d'un
particulier travaillant pour l'Etat par l'intermédiaire de l'Eglise. Voir quelques exemples
célèbres tirés de la vie de Jean l'Aumônier (Vie de Syméon le fou et vie de Jean de
Chypre, éd. et trad. Par A.-J. Festugière, en collaboration avec L. Ryden, Paris, 1974,
p. 257-637. Au ch. 8 (p. 353-354), l'auteur raconte l'histoire du naviculaire «étranger»
(ναύκληρός τις ξένος) qui, après un naufrage, demanda un secours à l'évêque
d'Alexandrie. Il l'obtient mais fait deux fois naufrage parce que, lui dit le prélat, Dieu veut le
punir d'avoir mêlé ses propres ressources (χρήματα) à celles de l'Eglise. Les richesses
de l'Eglises peuvent aussi bien être les siennes propres que celles qu'elle doit
transporter. La bonté de Jean s'explique mieux si, en réalité, il a remboursé un bateau
travaillant pour l'Etat et qui a fait naufrage pendant son service (ci-dessus, p. 84, n. 131);
quant à l'interdiction de mêler affaires privées et affaires ecclésiastiques, elle rappelle
fort l'interdiction de faire du commerce privé avec les bateaux annonaires (p. 87). On
pourrait encore douter et penser que le naviculaire conduit un bateau donné à l'Eglise
(pour un exemple, p. 84 et n. 131) et que cette dernière possède quelques bâtiments,
sans avoir, pour autant, une véritable flotte. Mais après un troisième naufrage qui
provoque la destruction du bateau, Jean donne un nouveau navire chargé de 20 000
muids de blé. D'où l'Eglise les aurait-elle tirés et pour quoi en faire puisque le grand
commerce du blé n'apparaît nulle part? Un bateau qui ne contient que du blé est pour
moi un bateau annonaire, et le ναύκληρός est un naviculaire. La suite de l'histoire est
plus connue : le capitaine conduit par une main mystérieuse, arrive malgré lui en
Bretagne, où il achète de l'étain à un prix miraculeux, en troque au retour une partie
contre de l'argent (en Espagne?), en vend une autre partie en Libye et le reste en
Egypte. Tout se passe comme si on avait fait une seule histoire d'un récit tiré de la vie
quotidienne des naviculaires et d'un autre relatif au grand commerce de l'étain (cf.
ci-dessous, p. 523) et comme si la main de Dieu avait détourné le naviculaire de son
devoir, qui aurait dû le conduire à Constantinople, pour le mener là où les marchands
indépendants faisaient de fructueuses affaires. Le merveilleux est trop fortement pré-
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 241
sent pour que cette histoire, quoi qu'on en pense, remette en question des données
bien établies par ailleurs. Au ch. 1 1 (p. 359), on remarque deux bateaux de l'Eglise
d'Alexandrie qui arrivent au milieu d'une disette, avec du blé de Sicile. Comme nous
aurons l'occasion de le le voir, ces bateaux travaillent pour l'annone municipale
d'Alexandrie (ci-dessous, p. 332). Rendant un service public, ils ne peuvent être qu'un
bien public ou un bien privé travaillant pour l'Etat si l'on entend par bateaux de
l'Eglise (δύο δόρκωνας των τής εκκλησίας : deux bateaux, de ceux de l'Eglise, insiste
l'auteur) ceux de sous-traitants, mais en aucun cas la propriété privé de l'évêque ou de
son Eglise considérée comme personne morale. Au ch. 28 (p. 380-381), nous assistons
au naufrage de 13 bateaux jaugeant 10 000 muids chacun, survenu en Adriatique, de
bateaux de l'église d'Alexandrie (των πλοίων τής κατ'αύτόν άγιωτάτης εκκλησίας). La
catastrophe est d'autant plus grande qu'ils portent des manteaux imperméables, de
l'argent et d'autres produits de luxe. On croit tenir la preuve que l'Eglise se livre au
grand commerce. Cependant les capitaines, qui implorent la clémence après ce
naufrage, sont les chefs des naviculaires (oi προναύκληροι) ; le désastre provoque une réunion
des curiales (oi τής πόλεως) dans la salle de réunion de l'évêché (το σέκρετον) qui fait
manifestement fonction de curie, et un grand émoi dans la population puisque, dit-on,
la moitié de la ville se rassembla à cette occasion. Ces bateaux sont donc ceux de la
cité gérés par l'évêque en tant que chef de la curie, et conduits par des naviculaires.
Peut-être étaient-ils allés, sur ordre de l'Etat, vendre du blé à une ville de l'Adriatique
à l'occasion d'une disette, non en tant que commerçants, mais comme agents d'une
cité qui répond à la demande des autorités d'une autre cité (sur ces fournitures de blé
entre cités, cf. ci-dessous, p. 470-471). La cargaison de très grande valeur (3 400 livres
d'or, 60 fois la valeur de la cargaison si elle avait été constituée de blé, à condition
que le κεντηνάριον corresponde réellement à 100 livres d'or) ne serait que la
contrepartie du blé livré. L'important, pour nous, réside dans le fait qu'on ne trouve pas de
preuve irréfutable pour l'existence d'une flotte appartenant à l'Eglise d'Alexandrie. Les
bateaux peuvent être soit des bateaux publics soit des bateaux privés affrétés par
l'Eglise et qui se sont «recommandés» à elle. Nous avons rencontré des situations
semblables à Rome au IVe siècle (p. 80-90) et à l'époque où l'annone était gérée par
l'Eglise (p. 156). Pour pousser la réflexion plus avant il faudrait reprendre tout le dossier de
la fortune ecclésiastique pour laquelle nous ne disposons actuellement d'aucune étude
satisfaisante.
150 Ci-dessus, p. 226.
151 Edit 13, éd. dans NJ, p. 780-795, 6, 24> 26, pour les dates auxquelles les ducs
doivent livrer leur blé, § 6 pour l'obligation de faire partir les naviculaire au plus vite. Sur
les contraintes pesant sur les naviculaires, voir ci-dessus, p. 85-90. D'après Jean de
242 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
Nikiou, Chronique universelle, 103, éd. cit., p. 418, Maurice aurait donné l'ordre de ne
plus soumettre à la torture un naviculaire qui faisait naufrage. Mais l'indemnisation des
pertes subies à cause du naufrage était acquise depuis le IVe siècle (contra G. Rouillard,
op. cit.; p. 143), la législation sur les naufrages est transmise par CTh 15, 9 = CJ 11, 6.
152 Cf. G. Rouillard, op. cit., p. 142-143. L'édit 13, 7, fixe les droits de naulage entre
Alexandrie et Constantinople à 80 000 sous pour 8 000 000 d'artabes, soit 1 sou pour 100
artabes. Comme l'artabe vaut 1/10 de sou (ci-dessous, p. 497-502), ce droit est de 10% en
valeur. D'après l'édit de Dioclétien, 1, 1, et 35, 3, éd. M. Giacchero, Edictum Diocletiani et
collegarum de pretiis rerum venalium, 1, Edictum, Gênes, 1974, p. 138-139 et 220-221, le
muid militaire de blé vaut 100 deniers et le prix d'un transport d'Alexandrie à
Constantinople est de 12 deniers, soit 12% de sa valeur.
153 D'après CTh 13, 5, 7, on donnerait aux naviculaires d'Orient la même commission
qu'à ceux d'Egypte (ad exemplum alexandrini stoli, soit 4% (de la valeur du blé) et 1 sou
pour 1 000 muids (quaternas in frumento centesimas consequantur ac praeterea per singu-
las milia singulos solidos). 1 sou valant 30 muids, on verse 1 muid pour 33,3 muids
transportés, soit, en tout, une commission de 7%. Elle est nettement inférieure à celle des
Egyptiens et à ce qu'indique l'édit de Dioclétien (35, 19, éd. cit., p. 220-221 : 12 deniers
pour le transport de 1 muid militaire estimé à 100 deniers, exactement autant que pour
un trajet d'Alexandrie à Constantinople). Sans doute les naviculaires d'Orient touchent-ils
d'autres avantages qui n'ont pas à figurer dans notre loi alors que, pour l'Egypte, on
nous donne le total, non détaillé, des commissions accordées aux naviculaires.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 243
154 Les plus anciens recueils de miracles de saint Démétrius, 1, Le texte, 8e miracle, éd.
P. Lemerle, Paris, 1979, p. 101-103 : Le naviculaire n'est pas un commerçant privé, mais
un transporteur de l'annone car on n'aurait pas fait mention de l'ambassade auprès de
l'empereur si cette dernière n'était pas liée à l'arrivée du blé à Thessalonique. Pour que
l'empereur ait autorité sur les bateaux et puisse donner des ordres imposant leur
détournement, il faut que ce soient des bateaux de l'annone. Pour un commentaire de ce texte,
ci-dessous, p. 391-394.
155 Les plus anciens recueils . . ., 9e miracle, p. 106-108. Alors que, dans le passage
précédent (cf. n. 154), on donne aux transporteurs le nom de ναύκληροι, naviculaires, ils sont
ici désignés comme έμποροι, marchands. L'hagiographe ne fait donc pas preuve d'une
très grande rigueur car il désigne les mêmes personnes de deux noms différents, à moins
qu'on ait affaire, dans ce miracle, à des transporteurs privés au service de l'annone. Quoi
qu'il en soit, ces capitaines qui ont dû obéir aux ordres du comte des détroits ne peuvent
être que des naviculaires acheminant le blé fiscal vers la capitale. Pour le commentaire
de ce texte, voir ci-dessous, p. 395-397. Le fait que les miracles 8 et 9 se situent dans l'île
de Chio s'explique facilement puisque la flotte annonaire suivait très certainement les
côtes de l'Asie Mineure. Chio constituait tout naturellement le point où bifurquait la route
menant vers Thessalonique ceux des bateaux qui avaient reçu de l'empereur l'ordre
d'alimenter les greniers de cette ville.
156 Voir ci-dessus, p. 221-224, pour le rôle considérable du comte d'Abydos. Il
apparaît très différent de celui qu'aurait eu le responsable de la perception de taxes aux
limites d'une circonscription douanière intérieure à l'Empire (contra, A. Antoniadis-Bibicou,
Recherches sur les douanes à Byzance, Paris, 1963 (Cahiers des Annales, 20), p. 203 et index
s. v. Abydos).
244 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
157 Eunape, Lives of the philosophers and sophists, éd. W. C. Wright, Cambridge
(Mass.)-Londres, 1952 (coll. Loeb), p. 384 : «II se trouve que la situation de Byzance
n'était guère favorable à l'approche des bateaux sauf par vent du sud fort et constant»
(trad. G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 532).
»se Procope, De Aedificiis, 5, 1, éd. J. Haury, Leipzig, 1913 (coll. Teubner), p. 151. Ces
greniers permettaient de faire face à toute éventualité par leur taille : 90 pieds de large ;
280 pieds de long, et une hauteur considérable.
159 La loi CTh 12, 6, 15, prévoyant un transport du blé en trois voyages était sans
doute encore valable. L'Edit 13 (éd. cit., p. 782) ordonne que tout soit envoyé avant la fin
du mois d'août, mais ne précise pas que ce doit être fait en un seul voyage. La nécessité
de rentabiliser un très grand nombre de bateaux imposait d'ailleurs leur utilisation
pendant toute l'année, hors du mare clausum.
160 Procope, Anecdota, 23, 11, 14, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll. Teubner), p. 142-
143. Il ne fait aucun doute que les contribuables d'Asie ont dû souvent conduire eux-
mêmes le blé jusqu'à la capitale, mais les brimades qu'on leur aurait infligées à cette
occasion sont manifestement exagérées. C'est tout l'art de Procope de partir de la réalité
pour qu'on le croie, et de la déformer pour imposer son opinion au lecteur.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 245
C - Les distributions
En effet nous avons vu qu'à Rome son prestige ancien avait retardé
sa soumission au préfet de la ville; il jouait donc un rôle et faisait
parler de lui165. A Constantinople cette difficulté n'existait pas et
l'empereur pouvait mettre en place une administration cohérente où tous
les pouvoirs dans la capitale fussent entre les mêmes mains. Le
préfet de l'annone était donc réduit à des fonctions d'exécution - qui
expliquent la discrétion des sources à son égard - bien qu'elles aient
été très importantes pour la vie quotidienne des habitants car il
devait attribuer les annones libérées par une mort sans héritier ou par
le départ définitif d'un ancien bénéficiaire166, et veiller à ce que ses
subordonnés ne les vendissent pas167. A cause de cette position
d'exécutant aucun préfet de l'annone n'a pu se mettre en valeur; quant
aux dispositions qui organisaient leur action, ce n'était apparemm-
ment pas des lois générales mais, comme toujours lorsqu'il est
question d'administration municipale, fût-ce dans la capitale, des
règlements purement locaux.
Dans un cas seulement le préfet de la ville doit discuter avec un
agent de l'Etat avant de prendre une décision, c'est à propos de Varca
frumentaria, de la caisse municipale que nous retrouverons dans les
autres cités et qui est alimentée à la fois par des fonds impériaux et des
fonds municipaux168.
Nous ignorons presque tout du personnel de l'annone. Une loi qui
interdit à tout boulanger de devenir comte des greniers nous apprend
préfet du prétoire, il fut placé dès l'origine dans cette situation. Or les codes n'ont
guère à nous parler de l'administration intérieure de Constantinople. Cependant CJ, qui
tient à dresser, dans son livre 1, la liste aussi exhaustive que possible des hauts
fonctionnaires, traite aussi du préfet de l'annone, comme de celui des vigiles (CJ 1, 43) et
de plusieurs autres fonctionnaires qui, étant agents municipaux, ne recevaient pas
directement de lois impériales. On recopie, à leur sujet, de courts extraits de lois
disparues, où leur nom apparaît. On a, par ailleurs conservé au moins un sceau de préfet
de l'annone de Constantinople, celle du préfet Jean (V. Laurent, Le corpus des sceaux
de l'empire byzantin, t. 2, L'administration centrale, Paris, 1981, n° 1 148, p. 644).
165 Cf. ci-dessus, p. 68-69 et 128-130.
166 CJ 1, 44, 1 : Application par le préfet de l'annone de dispositions dont la
responsabilité ultime incombe à son supérieur, le préfet de la ville. Cf. CTh 14, 17, 13, 396, et 14,
402.
167 CJ 1, 44, 2. Cf. CTh 14, 17, 7, 392.
168 Sur cette caisse municipale dans les autres cités, ci-dessous, p. 291-293, et index, 5.
v. Puisque le Sénat de Constantinople participe au financement, il est naturel qu'il
participe aux distributions.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 247
169 CJ 11, 16, 1, 457-465: Loi unique dans un chapitre de pistoribus. Encore une
fois le code veut rappeler l'existence de ces corporations constantinopolitaines, bien
que ce ne soit pas son objet propre d'en traiter. De même Ο 11, 17, 1 et 2 (= CTh 14,
4, 6 et 7), qui tient à suggérer qu'il existe des suarii, susceptores vini et ceteri corporati,
mais ne peut faire mieux que de recopier deux extraits de CTh relatifs à ces
corporations à Rome, car aucune loi ne les mentionne dans la seconde capitale, même au
détour d'une phrase.
170 CTh 14, 16, 2, 416.
171 Notitia urbis constantinopolitanae, éd. O. Seeck, dans Notitia dignitatum, Berlin,
1876, passim. Critique des nombres par G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 532.
172 Notitia, ibid. G. Dagron, op. cit., p. 533.
173 α 1, 44, 2.
174 Cf. l'installation des diaconies du VIIIe siècle dans le cadre administratif des
régions antiques et civiles de Rome (ci-dessus, p. 178).
175 Thémistios, Discours 23, 292 a, éd. cit., p. 86.
248 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
176 C'est l'opinion commune, en particulier chez les historiens de langue française,
pour Rome. Voir, par exemple A. Chastagnol, La préfecture urbaine de Rome sous le Bas-
Empire, Paris, 1960, p. 315.
177 C'est ainsi que traduisait H. G. Heumann et E. Seckel, Handlexikon zu den
Quellen des römischen Rechts, 9e éd., léna, 1926: le panis gradilis est un «öffentlich (an den
Stufen der Backhäuser) ausgeteiltes Brot». On pourrait objecter que les gradus sont
plus nombreux (117) que les boulangeries de Constantinople (21) mais le gradus
pouvait correspondre à une porte, ou à un guichet, et chaque boulangerie pouvait en
compter plusieurs. Sur le portique de Minucius, mise au point récente de C. Nicolet,
Le temple des Nymphes et les distributions frumentaires à Rome, CRAI, 1976, p. 29-60.
Le vers de Prudence (Contre Symmaque, 1, 582, éd. et trad. M. Lavarenne, Paris, 1948
(col. Budé), p. 155): Vulgus ... quem panis alit gradibus dispersis ab altis, la
populace ... que nourrit le pain distribué du haut des gradins, se comprend mieux si le
peuple est en bas et monte vers les gradins que si on monte vers lui pour le servir. CTh
14, 4, 5 : interdiction d'aller se servir directement à la boulangerie.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 249
IV - PROBLÈMES QUANTITATIFS
178 Malalas, Chronograpbia, éd. G. Dindorf, p. 322-323 : Constantin offrit des tessères
(χάρισμα καλαμών) qui ouvraient un droit permanent à des άρτοι πολιτικοί. Texte cité et
commenté par J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l'empire
romain tardif, MEFR 87, 1975, p. 1072; cf. G. Dagron, Naissance d'une capitale . . ., p. 533.
Compléter par ce que nous avons dit de la double tessere, ci-dessus, p. 88, n. 142. Ce qui
donne droit à une prestation permanente, c'est la tessere écrite, d'où l'étymologie que je
suggère pour καλάμη. Ce terme signifie tige de blé, mais plutôt le chaume que l'épi. Il
pourrait désigner la tessère-jeton, parfois ornée d'un épi; ce n'est cependant pas
évident.
250 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
179 Voir G. Dagron, Naissance d'une capitale. Constantinople et ses institutions de 330 à
451, Paris, 1974 (Bibliothèque byzantine), p. 15-19.
180 P. Oxy. 2 113. Cf. G. Dagron, op. cit., p. 531.
181 CTh 13, 5, 5, 326. Cf. G. Dagron, op. cit., p. 531. Noter cependant que, dans cette
loi, il n'est jamais fait mention explicitement de Constantinople, et que la date proposée
par les éditeurs de CTh ne correspond pas à celle qu'impose la démonstration de W.
Ensslin, RE 22, 2, col. 2499-2501, 5. v. praefectus praetorio Orientis, d'après laquelle le
préfet destinataire de la loi, Ablabius, n'aurait été en fonction que de 329 à 337. Si la loi
considérée se rapporte bien à l'institution d'un corps de naviculaires propre à la nouvelle
capitale, elle est plutôt contemporaine de la dédicace de la ville.
182 Socrate, Histoire ecclésiastique, 2, 13, éd. dans PG, 67, col. 209. Il fallait du blé
pour nourrir les nouveaux résidants qui, n'ayant pas encore construit de maisons,
n'étaient pas «citoyens» de la ville.
183 Chronicon Paschale, éd. G. Dindorf, Bonn, 1832, t. 1, p. 531 : «C'est sous leur
consulat (de Pacatianus et Hilarianus, 332) qu'on commença à distribuer le «pain» aux
citoyens de Constantinople, le 18 mai». Commença-t-on les distributions ou commença-
t-on à exiger la qualité de «citoyen» pour y avoir droit?
L'ANNONE CONST ANTINOPOLIT AINE 251
184 Nous avons vu ci-dessus, p. 247, que les secrétaires des régions tenaient les
registres. On ignore la situation exacte des citoyens originaires de la ville installés avant la
fondation de la nouvelle capitale (cf. ci-dessus, p. 200, n. 38).
185 Sozomène, Histoire ecclésiastique, 2, 3. Pour les références bibliographiques et
pour le commentaire de ce passage, voir ci-dessus, p. 194, avec la n. 24.
186 Socrate, Histoire ecclésiastique, 2, 13, éd. dans PG 67, col. 209. G. Dagron, op. cit.,
p. 535, pour l'interprétation du passage où Socrate donne le nombre de 80 000 sans
indiquer l'unité.
187 Cf. ci-dessous, pour Alexandrie, p. 338-339; pour Antioche, p. 381.
252 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
188 Cf. G. Dagron, op. cit., p. 535 : «Le nombre de bénéficiaires est donc fixé par
Constantin à 80 000, ce qui ne veut pas dire qu'il y avait, en 332 (ou en 337) un nombre égal
d'habitants, mais que l'empereur, nous l'avons dit, prévoit dans un avenir rapproché une
population de l'ordre de 1 50 000 habitants, et cherche à attirer du monde ». Ma
présentation diffère seulement en ce qui concerne le nombre d'habitants nécessaires pour qu'on
distribue 80 000 rations. On ne peut compter moins de 3 personnes par aedes. Supposer
des distributions faites à tous les citoyens, ici à tous les nouveaux résidants, ne change
rien car ils doivent avoir un logement pour lequel quelqu'un touche les rations : eux, s'ils
sont propriétaires, le propriétaire s'ils sont locataires, à moins que celui-ci ne les leur ait
cédées contre un supplément de loyer. Dans tous les cas, supposer que les 80 000 rations
ont immédiatement trouvé preneur aboutirait à une absurdité, et rejeter le nombre
transmis par Socrate n'est justifié d'aucune manière.
189 Socrate, ibid. Commentaire de G. Dagron, op. cit., p. 430.
L'ANNONE CONST ANTINOPOLITAINE 253
λογεΐσθαι. Théodoret, Ep. 15, dans Théodoret de Cyr, Correspondance, éd. et trad. Y. Azé-
ma, Paris, t. 1, 1955 (SC, 40), p. 87 : «Votre sainteté habite une ville ou plutôt un univers
peuplé d'un océan d'êtres humains, et qui reçoit en son sein ceux qui de partout affluent
vers elle comme des fleuves». Quelle que soit l'exagération rhétorique, il ne fait aucun
doute que la ville croît à une vitesse telle que le phénomène est sensible aux
contemporains. Zosime, Histoire nouvelle, 2, 35, éd. et trad. F. Paschoud, t. 1, Paris, 1971 (coll.
Budé), p. 108. Textes littéraires et données quantitatives convergent. Rome devait avoir
environ 100 000 bénéficiaires de l'annone gratuite pour environ 300 000 habitants vers
430, à une époque où Constantinople en avait au moins autant puisque, dès la fin du IVe
siècle, 80 000 rations ne suffisent plus. Sozomène ne se trompe pas. Constantinople a
nécessairement grandi au Ve siècle pour passer de quelque 250 000 habitants à la fin du
IVe siècle à plus de 600 000 au VIe siècle. Théodoret dit juste. Une telle masse, concentrée
dans un espace aussi réduit ne peut que produire l'effet décrit par Zosime.
198 G. Dagron, op. cit., p. 523-525. Il est vrai que l'espace compris entre les murailles
fut relativement peu construit mais on y avait établi les équipements collectifs
(citernes . . .) indispensables à la population urbaine. Ils n'auraient pu trouver place à
l'intérieur de l'enceinte de Constantin et devaient impérativement être protégés.
199 Voir G. Dagron, op. cit., p. 521.
L'ANNONE CONST ANTINOPOLIT AINE 257
1) L'apogée de Varinone
200 Edit 13 (éd. dans NJ, p. 780-795), 8. G. Rouillard, L'administration civile de l'Egypte
byzantine, 2e éd., Paris, 1928, p. 124-126, avait déjà établi que l'unité utilisée était l'artabe.
A. C. Johnson et L. C. West, Byzantine Egypt : Economie studies, Amsterdam, 1967, p. 236-
237, ont confirmé cette démonstration. C'est aussi l'opinion de G. Dagron, op. cit., p. 540.
258 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
205 Sur 51 655 aroures, 40 403 sont labourées et paient 1,25 artabe par aroure, 6 873,5
sont constituées par des «îles» taxées à 1,5 artabe, 200, par des marais qui versent 0,57
artabe, 2 578,5, par des vignobles qui paient 0,58 artabes, et 1 600 par des jardins qui ne
sont pas taxés.
206 L'artabe de 3 muids pèse environ 20 kg, dans le cas du blé et l'aroure vaut environ
0,25 ha. Malgré l'opinion de R. P. Duncan- Jones, The choenix, the artaba and the modius,
Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 21, 1976, p. 43-52, qui donne des valeurs
variables à l'artabe, celle-ci vaut toujours 3 muids dans tous les documents comptables de
notre période. Les légères variations tiennent à ce qu'on utilise des artabes de compte
pour faciliter les calculs d'intérêts, de commissions . . .
207 Cf. A. C. Johnson et L. C. West, op. cit., p. 236-237.
208 Nous ne disposons pas, pour Constantinople, comme pour Rome, à la fois du
nombre des bénéficiaires de l'annone et du volume global du blé fourni tant au titre de
l'annone gratuite que de l'annone payante. Cependant il est peu vraisemblable que le
260 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
régime alimentaire moyen des Constantinopolitains ait sensiblement différé de celui des
Romains. Les calculs effectués pour l'ancienne Rome valent donc pour la nouvelle (cf.
p. 114-116). Nous avons vu, p. 251, que la distribution par civis ou par aedes ne changeait
rien aux calculs. C'est encore plus vrai quand il s'agit uniquement de bouches à nourrir
avec du blé gratuit ou payant.
209 Comparer les tableaux p. 117 et 269. La seuls incertitude grave porte non sur le
nombre total des habitants mais sur celui des bénéficiaires de l'annone par rapport à la
population totale. Pour que la part de l'annone gratuite ait été aussi importante dans les
deux villes, il faut supposer l'existence de près de 200 000 logements à Constantinople.
Tout dépend des normes imposées par l'Etat pour qu'un local mérite de donner droit à
l'annone gratuite. Il est à peu près sûr qu'on a multiplié au maximum le nombre des
logements puisqu'ils permettaient de toucher une annone dont la vente rapportait à peu
près autant que le prix de l'habitation.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 261
210 Sur les estimations de la population de Constantinople, qui vont, pour le VIe
siècle, de 200 000 à 1 000 000 d'habitants, voir G. Dagron, op. cit., p. 518-541, en particulier
la bibliographie, p. 518, n. 1. Pour la réfutation de l'argument selon lequel
Constantinople, qui ne comptait que 4 388 domns (au IVe siècle, ne l'oublions pas; nous ne savons
rien pour le VIe siècle) ne pouvait être très peuplée, p. 526-527 (voir ci-dessus, p. 185-186).
Pour l'étude du surpeuplement de la capitale, p. 527-530 (cf. le texte de Zosime, cité ci-
dessus, n. 197). On ne peut donc suivre D. Jacoby, op. cit., p. 104-105, qui considère que la
capitale ne pouvait avoir plus de 500 000 habitants à cause de la densité excessive (357
h/ha) que cela supposerait. Il faudrait d'ailleurs être sûr que toute la population assistée
se trouvait entre la mer, la Corne d'or et les murailles, et qu'elle ne comprenait pas aussi
les habitants de Sikai ou des quartiers situés sur la côte asiatique. Pour ce qui est de
l'évolution générale de la population constantinopolitaine du IVe au VIe siècle, les
analyses qu'on vient de lire conduisent à des conclusions assez proches de celles énoncées par
G. Dagron, pour ce qui concerne la tendance générale; mais il faut, à mon sens, majorer
tous les nombres : 80 000 rations lui paraissent supposer seulement une population de
100 000 à 150 000 habitants, alors qu'il me semble nécessaire de doubler ces nombres;
8 000 000 d'artabes ne devraient nourrir que 500 000 personnes tandis qu'elles suffisent à
au moins 30% de plus. A. H. M. Jones, The later roman Empire, Oxford, 1964, p. 698,
proposait déjà le nombre de 600 000 habitants qui constitue une estimation acceptable
pour les citoyens résidants, auxquels il faut ajouter les fonctionnaires, les militaires et
autres agents de l'Etat provisoirement domiciliés dans la capitale, les plaideurs, les
mendiants, les esclaves, les commerçants ... de passage ou sans domicile fixe.
211 Admettre l'existence du commerce privé du blé conduirait à majorer d'autant le
nombre des habitants qui le consommerait. Pour que l'annone ne représente que les 2/3
de l'approvisionnement, il faudrait que la population ait été de 1 000 000 d'habitants au
moins et de près de 1 500 000 habitants pour que le commerce indépendant ait été aussi
important qu'elle. Qui oserait imaginer qu'il l'ait dépassée en importance? N'y a-t-il pas
quelque contradiction à écrire (G. Dagron, op. cit., p. 540, reprenant l'opinion générale) :
«Ce sont alors (sous le règne de Justinien) 8 millions d'artabes de blé qui sont prélevées
sur l'Egypte, c'est-à-dire de quoi nourrir une population de 500 000 habitants» (donc
l'annone fournit tout le blé de la ville), et, aussitôt après : « On retiendra la disproportion
croissante entre l'annone et les besoins de la capitale. L'institution annonaire, comme les
autres institutions romaines transplantées à Constantinople, est un instrument politique
qui perd peu à peu de son utilité» (donc il faut des founitures supplémentaires par le
commerce privé). Pour les denrées autres que le blé, nous ne pouvons rien dire de la part
respective de l'Etat et des commerçants privés. Il ne faut pas oublier cependant que les
céréales représentent l'essentiel des denrées consommées.
262 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
212 10 qx/ha me paraît le plus plausible car c'était encore le rendement mentionné
par les vieux ouvrages de géographie de l'Egypte qui par ailleurs décrivent un outillage
agricole peu différent de ce qu'il devait être aux IVe- VIIe siècles. Voir par exemple Ch. de
la Roncière, La géographie de l'Egypte à travers les âges, Paris, 1931, p. 269-279 {Histoire
de la nation égyptienne, sous la direction de G. Hanotaux, 1).
213 J. Durliat, Moneta e stato, Bari, Corsi di studi, 4, 1986, p. 192-194.
214 Sur la valeur de l'artabe de blé, voir ci-dessous, p. 497-502.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 263
215 II est bien connu que les élites dans les deux métropoles orientales ont fort mal
accueilli l'apparition d'une nouvelle capitale et l'ont montré par des luttes théologiques
interminables où la passion politique tenait plus de place que la discussion des dogmes.
Mais le succès des hérésies dans l'arrière-pays ne s'explique ni par l'adhésion à une
conception théologique, dont la masse des paysans ne comprenait pas le sens, ni par
l'hostilité à une nouvelle capitale, car du fond de l'Egypte ou des bords de l'Euphrate on
ne devait guère faire la différence entre Rome et Constantinople. Par contre, il faudra se
demander si la rencontre entre le mécontentement des élites et celui des paysans qui
portaient le poids d'une capitale presque aussi grande que Rome mais nourrie par une seule
moitié de l'ancien Empire, n'est pas l'un des facteurs du particularisme croissant qui
éclate au VIIe siècle après avoir longtemps couvé. Cf. A. Guillou, Régionalisme et
indépendance dans l'empire byzantin au VIIe siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la Pentapole
d'Italie, Rome, 1969 {Istituto storico italiano per il medio evo. Studi storici, 75-76), p. 231-
254.
264 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
216 Sur la valeur de l'annone, voir ci-dessous, p. 268. Je retiens, à titre d'hypothèse, le
nombre minimum d'annones pour obtenir le coût minimum de l'annone. La dépense
pouvait donc être sensiblement plus forte.
217 Le seul prix que je connaisse, et qui soit exprimé en or, donne 80 livres (26 kg) de
pain pour 1 artabe (20 kg) de grain, valant 1/10 de sou (P. Oxy. 1 920). Comme avec 20 kg
de blé on obtient 26 kg de pain (cf. p. 61-63), les meuniers ont gardé le son mais les
boulangers ont été payés par l'Etat, ou plutôt on a donné avec 20 kg de quoi faire soi-même
26 kg de pain. Habituellement 20 kg de pain devaient coûter le même prix que 20 kg de
grain. C'est ainsi que procédaient traditionnellement les boulangers, mais on ne peut
prouver qu'il en était exactement de même à notre époque.
218 Un coût de 33% pour le transport le stockage et la transformation du blé annonai-
re par rapport à son prix sur les marchés locaux n'a rien d'invraisemblable et trouve sans
doute une certaine confirmation dans les deux valeurs données par les sources au sujet
du prix des rations annuelles (ci-dessous, p. 268).
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 265
2) Le déclin de Varinone
Bien que 300 000, ou même 600 000 habitants n'aient représenté
qu'une part assez limitée de la population totale dans la partie orientale
de l'Empire romain, il fallait, pour les entrenir dans une même ville,
des moyens considérables. L'Empire les a longtemps trouvés, puisque,
jusqu'à la mort de Justinien, on entend parfois parler de disette, voire
de révolte de la faim, mais en aucun cas de remise en question de la
politique annonaire220. Les prestations assurées par l'administration
pas manqué de signaler une diminution des prestations annonaires si elle s'était produite.
Il signale une fois que la prestation normale ayant été inférieure à ce qu'on attendait, il
fallut procéder à une συνωνή, car on avait vendu les réserves avariées aux cités de Bithy-
nie, de Phrygie et de Thrace (Anecdota, 22, 17, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963, p. 137). Quoi
qu'on pense de la vente forcée aux autres cités, il demeure que Procope atteste ici le souci
d'assurer constamment à l'annone les ressources qui lui sont indispensables. Plus loin, il
raconte que l'empereur, pour économiser 3 kentenaria (300 livres d'or) sur le prix du
pain vendu par l'Etat, augmenta son prix en faisant mêler de la cendre à la pâte,
provoquant ainsi une situation de famine pour ceux qui ne pouvaient faire autrement que
d'acheter du pain. Il accrut leur malheur en interdisant à quiconque d'acheter du blé
ailleurs et de manger d'autres pains que ceux de l'Etat (Anecdota, 26, 20-22).
L'interdiction d'importer, à un moment où les prix sont élevés, confirme d'abord le faible rôle du
commerce privé et d'autre part le recours à ce commerce uniquement pendant les
périodes difficiles. En outre cette interdiction vise peut-être seulement Varca frumentaria qui
risquait, par ses achats importants, d'accroître la disette dans les provinces. Si le
commerce avait été toujours important, Procope n'aurait pas osé inventer une mesure qui
aurait condamné à mort la plus grande partie de la population, ou bien en aurait décrit
les conséquences, si elle avait été réellement prise. Sur le fond, le récit se prête à deux
interprétations. Justinien a pu effectivement chercher à économiser de l'argent en
abaissant la qualité du pain, non en y adjoignant de la cendre, mais du son, reprenant en cela
l'attitude de certains empereurs du IVe siècle (ci-dessus, p. 61-63). Mais d'abord cette
économie est faible puisqu'elle ne rapporte que 300 livres, alors que le coût total de l'annone
avoisine les 8 000 livres; ensuite on voit mal Justinien avoir augmenté le prix du pain qui
est certainement resté stable. Par contre tout devient clair si on suppose que Procope a
présenté comme une réforme de structure une mesure passagère imposée par une disette
dont il omet l'existence. L'adjonction de son et la hausse du prix ont pour but d'accroître
la quantité de pain et de peser sur la demande pendant une période assez brève. Que l'on
accepte l'une ou l'autre hypothèse, on doit reconnaître, du point de vue qui nous
intéresse, que rien ne permet de supposer une diminution des quantités fournies par l'annone.
Or on peut être sûr que notre polémiste n'aurait pas manqué d'insister sur une telle
décision pour brosser un tableau terrifiant de la situation dans la capitale. L'annone reste la
principale source d'approvisionnement en blé (cf. p. 275-276).
221 Voir en particulier NJ 80, qui institue un quaesitor chargé de contrôler la
population de la capitale. Les étrangers de passage seront hébergés à condition que la raison de
leur présence soit motivée par un procès ou toute autre raison valable. Les pauvres
originaires de la cité seront assistés sauf s'ils sont capables de travailler, auquel cas on les
emploiera dans les travaux publics de la ville. Les mendiants et autres démunis étrangers
qui n'ont aucune raison de demeurer dans la capitale, seront refoulés. Constantinople
dispose donc de quoi nourrir sa population, mais n'a pas de réserves suffisantes pour
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 267
distribuer ou vendre du pain à n'importe quel habitant de l'Empire. Dans ces conditions,
il est exagéré de prétendre que l'empereur n'a pu contrôler le développement de
Constantinople. Il le pouvait par l'attribution d'annones gratuites, mais aussi par la fourniture du
blé et autres denrées à prix public : il était le seul à les livrer et la population ne pouvait
excéder le nombre de ceux qui pouvaient en vivre. Enfin l'empereur disposait d'un
moyen de pression déterminant, dans la mesure où l'essentiel de la richesse disponible
dépendait de son bon vouloir. C'est en effet lui qui payait les fonctionnaires, attribuait
des rentes aux sénateurs et finançait les dépenses du palais et les principaux chantiers
civils ou religieux. Les autres professions (commerçants, artisans, enseignants,
domestiques . . .) ne prospéraient que dans la mesure où les services qu'elles offraient pouvaient
être payés avec les fonds distribués par le pouvoir. La création de richesses par les
professions qui travaillaient pour le monde extérieur (artisanat de luxe travaillant pour
l'exportation, redistribution dans l'Empire des produits qui transitaient par la ville . . .) était
très vraisemblablement fort inférieure à la dépense publique.
222 Que l'on songe à la charge représentée par l'entretien avec seulement la moitié de
l'Empire, d'une capitale presque aussi grande que Rome à son apogée. Etendre l'Empire
pouvait apparaître comme un moyen de diminuer la pression sur chaque habitant.
223 II faudrait cependant, par une vérification systématique de toutes les données
(prix et poids des monnaies de cuivre), contrôler que l'empereur ne donnait pas un cours
forcé, supérieur à la valeur du cuivre, aux folles et à leurs sous-multiples. La
dévalorisation des monnaies de compte (par exemple la drachme ou le talent en Egypte), de même
que les manipulations sur le poids du follis ont une signification qui nous échappe
encore. Je remercie Madame Cécile Morrisson d'avoir attiré mon attention sur cette question
importante.
224 NJ 148, 566. L'intérêt de ce dégrèvement général, l'un parmi beaucoup d'autres,
tient à ce qu'il suggère les difficultés les plus graves auxquelles devaient faire face les
responsables des finances publiques, celles de l'armée, l'un des postes les plus impor-
268 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
tants, et surtout le plus imprévisible, dans tous les Etats, au moins les Etats
traditionnels.
225 Jean d'Ephèse, Historiae ecclesiasticae pars tertia, 3, 3, 14, éd. et trad. E. W. Brooks
(CSCO, 106, Scriptores syri, 55), p. 139-140: Tibère, dès son avènement, ordonne, entre
autres mesures, de faire rendre tout ce qu'ils ont versé à tous ceux qui ont été contraints
par Justin de payer l'annone civique instaurée par Constantin, à raison de 4 sous par
ration.
226 Ci-dessus, p. 264.
227 Tibère fait plutôt figure de souverain faible que de grand politique, même si les
sources font cruellement défaut. Voir, sur son règne, E. Stein, Studien zur Geschichte des
BLE ANNONAIRE
annone totale annone gratuite
rations nombre de rations quantités
ν. 330 ■) ? ? ?
ν. 400 > 10 000 000 m 60 m (?) > 80 000 > 5000 000m
VIe siècle > 20 000 000 m » > 80 000 >5000 000m
Fig. 4 - Tableau récapitulatif des principales indications quantitatives relatives à l'annone et à
(Les nombres en italique sont ceux à partir desquels les autres ont été calculés).
270 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
byzantinischen Reiches, vornehmlich unter den Kaisern Justinus II und Tiberius Constanti-
nus, Stuttgart, 1919.
228 Jean de Nikiou, Chronique universelle, 95, éd. et trad. H. Zotenberg, Chronique de
Jean, évêque de Nikiou, Paris, 1883 (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque
Nationale, 24), p. 406 : « II (Maurice) vendait et convertissait en or tout le grain d'Egypte
de même que le grain destiné à Byzance. Tout le monde le détestait et disait : ' Comment
la ville de Constantinople peut-elle supporter un si mauvais empereur?'». Encore une
fois, il faut distinguer la vérité derrière la présentation outrancière qui en est faite. Il est
clair que Maurice n'a pu vendre toute l'annone d'un coup, sous quelque forme que ce fût.
Il n'a pu non plus procéder au cours de son règne à une adaeratio totale, car les sources
papyrologiques ou autres se seraient faites l'écho d'un bouleversement aussi brutal de
toute la vie économique égyptienne, puisqu'elle touchait environ 10% de la production
brute et le quart, sinon plus, de ce qui était livré sur les marchés. Il faut donc distinguer
entre la vente du blé qui a pu avoir lieu, mais qui portait uniquement sur des quantités
réduites, car il fallait nourrir Constantinople, dont rien ne nous dit qu'elle ait été
dépeuplée, même si les mesures de Justinien et la crise générale avaient pu provoquer un léger
déclin; et d'autre part X adaeratio qui ne supprime ni l'impôt ni la fourniture du blé, mais
les organise différemment.
229 Voir, sur ces procédés, qui constituaient pour l'Etat une source de profits
substantiels, à condition d'utiliser à bon escient X adaeratio et la coemptio sur un marché si étroit
que le moindre changement provoquait de fortes variations des prix, J. Durliat, Moneta e
stato, Bari, Corsi di studi, 4, 1986, p. 193-194.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 271
230 La même année, en hiver, le manque de blé produit une famine dans la capitale et
conduit, à l'automne, l'empereur Maurice à faire hiverner l'armée au-delà du Danube
pour qu'on n'ait pas à lui livrer de blé public (Théophylacte Simoccates, Historiae, 8, 5 et
8, 6, éd. C. de Boor, 1887 (coll. Teubner, p. 292-4). Ce blé, au moins celui de la capitale,
vient d'Egypte comme nous l'apprend l'auteur (Historiae, 2, 14, éd. cit., p. 98) : Sans le
courage des soldats, les «Romains» ού τον Νεΐλον υπηρέτης έκέκτηντο, τον αίγύπτιον
πλοοτον ώρα θέρους ταΐς 'Ρωμαϊκαΐς πελαγίζοντα πόλεσι, και ταΐς όλκάσι ώσπερ άποχερ-
σουντα την θάλασσαν : ne pourraient utiliser les services du Nil qui, en été, conduit vers
les villes romaines la richesse de l'Egypte, ce qui viderait la mer de ses bateaux. On ne
saurait dire plus nettement que, sans convois annonaires, la mer serait quasi deserte.
Bien noter que le blé ne va pas seulement à Constantinople, mais aux villes « romaines »,
sans doute à nombre de villes qui bordent la Méditerranée orientale. L'auteur, d'origine
égyptienne et qui écrit vers 630, sait très exactement de quoi il parle quand il dit que la
mer serait vide. Il lui suffit de comparer la situation d'avant 618, quand de longs convois
de bateaux céréaliers ou de bateaux chargés d'amphores et de viande cheminaient le long
de toutes les côtes, et après 618, où les bateaux de commerce étaient encore nombreux,
mais où ils ne transportaient guère de subsistances (cf. ci-dessous, p. 518-534).
272 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
231 Chronicon paschale, a. 618, éd. cit., p. 711 : Τούτφ τώ ετει άπητήθησαν oi κτήτορες
των πολιτικών άρτων δια διαγραφών καθ' εκαστον αρτον νομίσματα γ' και μετά το παρα-
ς'
σεΐν πάντας ευθέως τφ αύγούστω μηνί αυτής xfjç ίνδικτιώνος άνηρτήθη τελείως ή χορε-
γία των αυτών πολιτικών άρτων : Cette année-là on demanda aux possesseurs de pains
politiques, par des édits, 3 sous par pain, et, une fois que tout le monde eut payé, en août
de la sixième indiction, la fourniture des pains politiques cessa définitivement. L'indic-
tion finissant le 31 août, il faut comprendre non qu'on fit payer à l'avance l'annone de
l'année suivante, mais celle de l'année, et que le paiement fut étalé sur toute l'année
indictionnelle. La cessation du versement des pains politiques signifie la fin de l'annone
gratuite. Rien n'est dit de l'annone payante.
232 Cf. ci-dessus, p. 263-264, pour les calculs. Rappelons que 300 000 sous ne
constituent qu'un minimum, dans le cas où on n'aurait attribué que 100 000 rations gratuites. Il
ne faut pas oublier en outre que les citoyens, qui ne reçoivent plus l'annone gratuite,
coûtent 4 sous de moins par personne au Trésor, mais que la fourniture de l'annone
payante coûtait 1 sou à l'Etat, si du moins il prenait toujours à son compte les frais de
transport.
233 Héraclius aurait diminué de moitié le salaire des fonctionnaires et les aurait payé
en argent (Chronicon paschale, p. 706, avec la bibliographie sur cette question, et le
commentaire le plus récent, dans P. Yannopoulos, L'hexagramme. Un monnayage byzantin en
argent du VIIe siècle, Louvain, 1978 (Publications d'histoire de l'art et d'archéologie de
l'Université catholique de Louvain, 11), p. 9. On a même fondu, pour frapper de la
monnaie divisionnaire, un bœuf en bronze qui décorait jusqu'à cette date le forum bovis. La
signification de la première décision reste bien mystérieuse, mais prouve au moins de
manière incontestable la volonté de réduire les dépenses de l'administration centrale.
234 Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, Leipzig, 1883 (coll. Teubner), p. 302 :
Héraclius puisa dans les trésors de l'Eglise et lui emprunta de fortes sommes. Cela
signifie qu'il se fit remettre des lingots et des objets d'orfèvrerie mais sans doute aussi qu'il
ordonna d'affecter au financement de l'armée une part des ressources publiques
attribuées jusque-là au budget du culte, car les biens d'Eglise proviennent pour l'essentiel de
revenus fiscaux et sont considérés comme des biens publics (voir provisoirement, J. Dur-
liat, L'administration religieuse du diocèse byzantin d'Afrique, sous presse). Le nombre
des clercs de l'Eglise de Constantinople fut à nouveau défini par Héraclius, Novelle 1
d'Héraclius (612), éd. J. Konidaris, Die Novellen des Kaisers Heraklios, Francfort, 1982
(Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte, Fontes minores, 5). Ce nombre est, il est
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 273
vrai, supérieur à ce qu'il était à l'époque de Justinien (674 clercs en comptant les Blacher-
nes, contre 525, d'après NJ 3).
235 ί'έμβολή fut perçue en Egypte jusqu'au VIIIe siècle (voir par exemple, P. Lond. t.
4, index, 5. v.), mais il est peu probable qu'elle ait été encore envoyée à Constantinople à
cette époque. D'ailleurs son montant avait fortement diminué. Le village d'Aphroditô
payait environ 6 000 artabes pour l'annone de Constantinople au VIe siècle: P. Cairo-
Masp. 67 330, 67 058. Elle ne payait plus que 500 artabes dans les années postérieures à
716 : P. Lond. 1 419 (voir, sur ce dossier très important mais qui pose des problèmes
d'interprétation considérables, R. Rémondon, P. Hamb 56 et P. Lond. 1 419 (notes sur les
finances d'Aphroditô du VIe au VIIIe siècle), Chronique d'Egypte, 40, 1965, p. 401- 430 :
l'auteur a rassemblé tous les éléments de la discussion mais un contresens l'a conduit à
imaginer une augmentation des impôts telle entre l'époque byzantine et l'époque
musulmane que toute la production, y compris la semence, aurait dû rentrer dans les caisses ou
les greniers de l'Etat). La question principale que pose l'évolution de Γέμβολή porte sur le
fait de savoir ce qu'elle est devenue après l'occupation arabe en Egypte. Il faudrait
connaître exactement les conditions du traité passé entre l'Empire et l'Islam pour savoir
si l'envoi de blé n'a pas été maintenu pendant quelques temps, de même que les ateliers
monétaires continuaient à frapper de la monnaie imitée de celle de Byzance, et si une
sorte de foedus ne prévoyait pas une certaine collaboration entre les deux pouvoirs. Le
maintien des expéditions de blé aurait servi les deux Etats : Byzance, car on pouvait ainsi
continuer à nourrir la capitale; l'Islam, parce que le blé vendu rapportait de l'or avec
lequel on pouvait payer de nouvelles conquêtes en territoire byzantin. Cependant on voit
mal l'Empire continuer à importer des quantités aussi importantes que par le passé, car,
pour les payer, il aurait fallu lever des impôts considérables sur les provinces qui
n'avaient pas été perdues. Le plus vraisemblable consiste à supposer que la population de
Constantinople dut commencer à décliner dès la conquête perse, qu'elle subit un second
choc avec la conquête arabe puis qu'elle finit de se contracter dans la seconde moitié du
VIIe siècle.
274 L'APPROVISIONNEMENT DES CAPITALES
qu'une telle catastrophe, jetant sans doute 300 000 personnes ou plus
sur les routes, aurait provoqué des troubles ou du moins un
bouleversement si violent qu'il aurait trouvé un écho dans l'une de nos sources.
Leur silence absolu autorise à supposer, avec une certaine
vraisemblance que le déclin se fit par étapes. Par contre, ce qui ne fait aucun doute,
c'est que le déclin de l'annone fut suivi par celui de la population.
D'abord les miracles de saint Artémios, rédigés vers 660, nous montrent
une ville encore animée mais où les fêtes et tout l'apparat d'une
capitale sont absents; en outre parmi les nombreux marchands qui
séjournent dans Constantinople, aucun ne fait le commerce des denrées de
première nécessité ou ne travaille pour l'annone236. On a donc encore
de quoi manger mais les agréments de la vie urbaine diminuent.
Ensuite la vie de saint André le fou, que l'on vient de dater des années 700,
montre des activités plus réduites, une population moins aisée, vivant
dans la crasse237. Enfin et surtout les Brèves notices historiques rédigées
pendant la première moitié du VIIIe siècle présentent le tableau d'une
ville en grande partie abandonnée, donc fortement dépeuplée238. La
courbe est nette. Dès la première moitié du VIIe sièle, les activités de
prestige, liées à la présence du souverain, déclinent, ce qui ne peut
avoir eu que des conséquences néfastes sur la démographie par la
disparition de tous les métiers qui leur sont liés. Vers 700, les spectacles
ont disparu avec les théâtres et on n'entend plus parler de riches
familles, celles qui employaient une abondante domesticité. Elles n'ont
certainement pas disparu mais sont moins nombreuses et moins fortunées.
Surtout on constate que les transports de masse ont pratiquement
disparu, du moins ceux dont la majorité des habitants tire profit soit en
achetant les produits soit en travaillant sur les bateaux ou dans le port.
Nul doute que cette contraction des activités ait provoqué une rétrac-
236 Ce développement reprend les analyses de C. Mango, La vita in città, Bari, Corsi di
studi, 6, sous presse, sauf, peut-être, sur un point. Je serais moins optimiste sur
l'interprétation des miracles de saint Artémius (Miracula sancii Artemii, éd. A. Papadopoulo-Kera-
meus, Sbornik Grecheskikh neizdannych bogoslavikikh tekstov IV-XV bekov,
Saint-Pétersbourg, 1909). On n'y voit certes aucune trace du déclin de la ville, mais on n'y trouve pas,
non plus, d'allusion à tout ce qui faisait le charme de la vie dans la capitale.
237 Vie de saint André le fou, éd. dans PG 111, col. 625-888. Sur ce texte, et en
particulier sur sa date, voir C. Mango, The life of saint Andrew the fool reconsidered, Rivista di
studi bizantini e slavi, 2, 1982, p. 297-313.
238 Parastaseis syntomoi chronikai, éd. A. Cameron et J. Herrin, Constantinople in the
early eighth century : The parastaseis syntomoi chronikai, Leiden, 1984. On y note
plusieurs mentions de l'annone : 12, p. 74; 18, p. 82; 35 a, p. 96; 56, p. 132.
L'ANNONE CONSTANTINOPOLITAINE 275
tion démographique dont nos deux sources, qui parlent des habitants
sans se soucier de leur densité, ne soufflent mot. Par contre au VIIIe
siècle, la description de la ville atteste indiscutablement sa
dépopulation. Au Ve siècle on nous décrivait l'entassement des habitants et
l'afflux désordonné des nouveaux arrivants; au VIIe on ne fait allusion ni à
des encombrements ni à des regroupements importants d'habitants,
que ce soit pour des manifestations ou pour des fêtes civiles ou
religieuses; au VIIIe, on nous décrit abondamment la désolation d'une ville
trop grande pour ce qui lui reste de population. On ne saurait contester
un très fort déclin démographique, étalé sur un siècle,
vraisemblablement du début du VIIe siècle au début du VIIIe. On peut tout aussi
difficilement ne pas le mettre en relation avec le déclin puis la disparition
de l'annone, dont la réalité ne fait aucun doute, même si les sources
sont insuffisantes. Dans le cas de Constantinople, c'est manifestement
la perte de l'Egypte qui constitue la cause immédiate du déclin de la
ville, quelles qu'aient pu être les causes plus profondes, actuellement
indiscernables, qui ont transformé ce moment difficile en
effondrement d'une capitale.
CONCLUSION
240 Un bateau de 10 000 muids chargé de blé porte une cargaison valant 333 sous.
Chargé de soie brute, il porterait une valeur de 1 600 000 sous, et même 12 fois plus avec
de la soie teinte en pourpre.
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
les villes d'Italie veulent conserver une part de l'annone égyptienne qui
leur a été accordée. Rome déchue garde une annone gérée par son évê-
que chef ici comme ailleurs de l'administration locale; pourquoi aurait-
elle conservé cette faveur alors qu'elle n'était plus que le chef -lieu du
Latium si d'autres villes, ou toutes les villes, n'y avaient eu droit elles
aussi? A Constantinople Varca frumentaria porte le nom qu'on donne
ailleurs à la caisse municipale du blé et on fait allusion plusieurs fois à
des distributions ou des détournements d'annone au profit des autres
villes de la Méditerranée orientale.
Doit-on se contenter de généralités de cette sorte ou peut-on au
contraire préciser le rôle du blé public dans la vie des cités, en même
temps que son coût pour le budget de l'Empire? C'est la question qu'il
faut se poser avant d'étudier les implications économiques et sociales
de cette politique dont on peut soupçonner l'importance d'après ce que
nous venons de dire à propos des deux capitales.
DEUXIÈME PARTIE
L'APPROVISIONNEMENT
1 Pour ne citer que les deux manuels les plus complets, et dont les perspectives
diffèrent radicalement, E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. 2, De la disparition de l'empire
d'Occident à la mort de Justinien (476-565), Paris-Bruxelles- Amsterdam, 1949, qui
consacre à cette question quelques lignes aux p. 211-212, 441 et 764. A. H. M. Jones, The later
roman Empire, Oxford, 1964, p. 735.
284 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
2 Nombreux exemples, ci-dessous, dans toutes les monographies qui seront citées
dans le cours de cette partie. A. H. M. Jones, op. cit., reconnaît le rôle important des
autorités provinciales et municipales dans l'alimentation (p. 735), constate l'absence de
transport du blé au-delà des limites de la province, sauf dans le cas des ports (p. 644); ne
mentionne cependant que les marchands privés lorsqu'il traite de l'approvisionnement
des marchés (p. 856). On retire l'impression que le commerce privé est de loin le plus
important, même dans le cas du blé dont l'étude nous retiendra plus particulièrement, et
on ne comprend pas comment on conciliait la nécessité d'un ravitaillement relativement
constant et les aléas de la production locale que rien ne venait compléter pendant les
mauvaises années.
3 C'est pourquoi les pages qui suivent visent seulement à présenter un tableau aussi
complet et cohérent que possible à partir de la documentation que j'ai pu rassembler,
dans l'espoir qu'il attirera l'attention des chercheurs sur une question importante, ce qui
accroîtra le nombre des données disponibles et précisera ou nuancera les conclusions ici
présentées. En effet je ne prétends pas avoir recueilli toutes les indications utilisables
malgré l'ampleur des dépouillements réalisés et la masse des références que l'on trouve
dans la bibliographie récente.
INTRODUCTION 285
sous-estimé leur apport. Il est vrai que, pour notre propos, elles sont
particulièrement laconiques, car les règlements municipaux n'avaient
pas à être repris dans la législation imperiale ; et, de fait, l'organisation
du ravitaillement dépendait d'abord d'une initiative locale. Cependant
si, malgré ces restrictions, les lois parlent de distributions municipales,
c'est vraisemblablement qu'il en existait; sinon il faudrait prouver
qu'elles traitent de situations dépassées, marginales ou strictement
localisées. Or il est important de renverser la charge de la preuve, quand
les arguments sont relativement peu nombreux. D'autre part les lois
nous fournissent le vocabulaire grâce auquel nous pourrons
comprendre les autres textes, déceler parfois la présence d'un
approvisionnement municipal là où on ne l'avait pas remarqué, et remettre les trop
rares détails dont nous disposons dans un cadre qui leur donnera une
portée plus large qu'on n'aurait pu le supposer en les lisant seuls.
Une fois campé le cadre institutionnel, on pourra aborder les
autres documents, mais leur interprétation est si difficile, du fait de
leur caractère trop fragmentaire, qu'on ne pourra en tirer directement
un tableau général de la situation entre le IVe et le VIIe siècle dans
toutes les villes de l'Empire. Il faudra commencer par reprendre les
dossiers maintes fois analysés et enrichis, dont on dispose pour certaines
villes privilégiées. C'est un long chemin qui nous conduira à travers
nombre de régions, à diverses époques. Il nous fera découvrir tantôt un
aspect, tantôt l'autre, d'un phénomène général dont le fonctionnement
apparaîtra d'autant mieux que les indications concrètes rentreront
mieux dans le cadre légal défini au début, confirmant sa validité en
tous temps et en tous lieux.
Alors seulement on pourra tenter de brosser un tableau d'ensemble
qui, reprenant l'apport de chaque dossier particulier et la foule des
traits épars dans la documentation, répondra, dans la mesure du
possible, aux interrogations que suscite cette étude. La nature des
prestations, gratuites ou payantes, portant sur un ou plusieurs produits,
constitue la base indispensable à toute réflexion. Leur gestion par la cité,
avec ou sans subvention et contrôle de l'Etat, posera le problème du
pouvoir dans cette circonscription qui se trouve à la base de tout
l'édifice administratif. En particulier n'a-t-on pas trop souvent lié progrès du
pouvoir episcopal et déclin des institutions municipales antiques? N'a-
t-on pas pris pour de la charité ce qui n'était qu'une intervention de
l'administration civile continuant une très ancienne tradition? Cette
dernière question est liée à celle des bénéficiaires, uniquement des
pauvres venus s'entasser dans des villes refuges où on assurait aux indi-
286 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
L'étude des textes législatifs n'a pas pour but d'épuiser tout leur
apport. Telle loi relative à l'approvisionnement d'une ville particulière
ne prendra sa véritable signification qu'après avoir été replacée dans le
contexte local grâce aux autres types de sources. Telle indication sur sa
gestion exige, pour nous devenir claire, d'être comparée à des papyrus
ou des récits qui mettent en scène les agents responsables.
Par contre on ne peut comprendre les sources non législatives sans
connaître les cadres dans lesquels s'inscrivent les détails qu'elles nous
livrent. La première exigence est celle du vocabulaire qu'il faut définir
avec précision car on n'a pas vu l'intérêt de certains textes uniquement
pour n'avoir pas reconnu un terme technique univoque,
indubitablement révélateur du ravitaillement public dans une cité. Il convient
ensuite de préciser le rôle dévolu à divers personnages, en particulier
pour savoir s'ils agissent en tant que personne privée, chefs d'une
communauté religieuse ou détenteurs d'une parcelle d'autorité civile - et
laquelle? Par-dessus tout, il faut d'emblée établir l'existence d'un
problème général de l'approvisionnement, dont on ne pourra plus négliger
l'importance, afin de justifier l'examen minutieux des sources
dispersées qui n'ont guère retenu l'attention à ce jour. Les buts principaux ici
visés consisteront donc seulement à souligner l'importance de la
question posée et à expliciter les concepts et mécanismes administratifs qui
sont les instruments indispensables de cette étude.
La lecture des divers recueils de lois qui nous sont parvenus révèle
aussi bien une différence de nature entre certains d'entre eux qu'une
évolution dans la manière dont fonctionne ce service public du
ravitaillement urbain, deux raisons suffisantes pour préférer une étude
chronologique à une réflexion globale sur les divers thèmes qu'ils abordent.
C'est d'ailleurs la compréhension exacte des conditions de l'évolution
288 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
1) Les munera
2 Les indications les plus précises se trouvent dans RE, s. v. annona, curatores, fru-
mentum, σιτοφύλακες, σιτώναι, σιτονία. Les références au monde grec d'avant la
conquête romaine l'emportent très nettement sur celles qui se rapportent à la période impériale,
pour laquelle le Haut-Empire est beaucoup mieux documenté que le Bas-Empire. D'où
l'impression de déclin régulier des institutions alimentaires dans les cités. J. Rea, dans
son introduction à P. Oxy. 40, de même que J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires
dans les cités de l'empire romain tardif, MEFR 87, 1975, p. 1070-1071, n'insistent guère
sur la continuité possible du Ve siècle avant notre ère jusqu'à notre période. Le Digeste,
qui reprend exactement le vocabulaire traditionnel depuis 800 ans, tout en décrivant des
situations bien réelles du milieu du IIe siècle au début du IVe siècle, conduit à se poser la
question de la continuité de l'institution tant qu'il y eut des cités. Nous verrons d'ailleurs
qu'on peut difficilement imaginer une cité sans sitonia dans une économie traditionnelle,
telle celle qui prévalut avant comme après le début de l'ère chrétienne. Pour bien
montrer la continuité entre l'Antiquité et le début du moyen âge byzantin, il n'est pas inutile
de rappeler la date des passages du Digeste qui seront utilisés ci-dessous. Certes la
situation a beaucoup changé entre le IIe et le VIe siècle, mais les juristes de Justinien
estimaient qu'on pouvait trouver au moins matière à réflexion dans ces vieux textes. D'après
W. Kunkel, Herkunft und soziale Stellung der römischen Juristen, Graz, Vienne, Cologne,
1967 {Forschungen zum römischen Recht, 4) : -Papirius Justus (D 50, 8, 12) fut le
compilateur des constitutions de Marc Aurèle; -Salvius Julianus (D 3, 5, 29 et 48, 12, 3) vécut sans
doute jusque vers 165; -Papinianus (D 16, 2, 17), le plus grand des jurisconsultes romains,
fut préfet du prétoire à partir de 203 et mourut en 212; -Julius Paulus (D 50, 8, 7),
assesseur du préfet du prétoire Papinianus et lui-même préfet du prétoire, écrivit sans doute
sous le règne d'Alexandre Sévère; -Domitius Ulpianus 0 50, 5, 2; 50, 8, 2; 50, 16, 15)
mourut en 228; -Aelius Marcianus (fl 50, 1, 8; 50, 8, 9) écrivait sous les règnes d'Elagabal
et Alexandre Sévère; -Hermogenianus (D 50, 4, 1) vivait sans doute au début du IVe siècle;
-Arcadius Charisius (D 50, 4, 18) est un auteur tardif dont on ne peut préciser davantage
à quelle époque il vécut. Comme on le voit la majorité de ces juristes vivait à la fin du IIe
et au début du IIIe siècle. D'après E. Levy et E. Rabel, Index interpolationum quae in
Justiniani digestis inesse dicuntur, 3 t. Weimar, 1929-1935, aucun de ces textes ne serait
interpolé.
290 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
l'étude des capitales, on peut présumer qu'elle aura dans les autres
cités une fonction équivalente, moins d'approvisionnement en période
d'abondance, avec du blé fiscal, que d'intervention pendant les disettes
ou les famines grâce à des achats de précaution ou des achats forcés
(coemptio, συνωνή en grec). L'équivalent grec du terme n'est pas donné
dans le Digeste, surtout composé de textes latins, mais nous l'avons
déjà rencontré (σιτωνικόν) 10. Par contre, si la caisse porte un nom latin
clair et bien formé, la charge de la gérer est rendue par une expression
si lourde (cura emendi frumenti et olei)11, de même que le nom du
responsable l'est par une expression si peu répandue (curator frumenti et
olei)12, que les juristes préfèrent utiliser les termes grecs translittérés
(sitonia pour σιτωνία, sitona pour σιτώνης)13 et se sentent obligés de
préciser par le rappel du terme grec quand ils emploient la formule
latine complète14. Cette remarque, rapprochée du fait que, selon toute
apparence, les informations relatives à l'approvisionnement public
dans les cités sont quasi inexistantes dans l'Occident romain (hors
l'Italie et l'Afrique), et du fait qu'on ne rencontre pas de très grandes
métropoles en Espagne, Gaule, Bretagne et provinces du haut-Danube,
conduit à voir dans les institutions alimentaires une création orientale,
antérieure à la formation l'empire romain, sans doute florissante dans
le monde hellénistique, conservée dans la pars Orientis, mais qui connut
dans l'Occident peu urbanisé avant la conquête romaine un
développement apparemment limité15. Il faudrait pouvoir déterminer s'il existe
un rapport entre les limites de l'empire byzantin dans sa plus grande
extension et les limites de la zone où ces institutions municipales sem-
blent avoir été les plus développées16. Par contre, il est peu contestable
que les limites géographiques fixées à notre étude correspondent à une
réalité sociale : les régions que nous étudions étaient à la fois les plus
urbanisées et celles qui possédaient le ravitaillement municipal le plus
développé. Il n'est pas encore temps de se demander quelles relations
causales peuvent exister entre ces deux phénomènes.
La lecture attentive des lois qui nous sont parvenues montre par
ailleurs que la sitonia est très nettement distinguée des autres
opérations de collectes de denrées, que ce soient celles destinées à l'armée, à
l'administration civile ou à la ville de Rome, aussi bien que celles qui
alimentent l'annona. Cette institution figure dans certains textes du
Haut-Empire, semble désigner les fournitures régulières de blé à prix
public et constituait le plus souvent un munus patrimoniale d'après le
Digeste qui y fait allusion sans s'étendre17. En droit, le blé municipal
des cités de l'Empire n'était pas de même nature que celui des
capitales, puisque tout ce qui touche les premières est privé, alors que ce qui
concerne les autres est public18. On ne peut cependant tirer aucune
conclusion de l'emploi de l'adjectif publicus (δημόσιος en grec) qui, en
théorie, ne s'applique qu'aux affaires de l'Etat romain, mais qui, en
fait, désigne aussi bien les affaires des cités ou les biens municipaux
que ceux qui relèvent de l'Etat romain19.
16 Ce sont les élites urbaines qui ont appelé les Byzantins à l'aide contre les
souverains barbares, mais il est vraisemblablement faux de chercher un rapport direct entre
les succès de Justinien et le degré d'urbanisation des régions conquises.
17 Voir ci-dessus, n. 9, pour la distinction nette entre annone impériale et
approvisionnement municipal. Cependant, dans certains cas, on trouve l'expression annona
patriae (D 50, 8, 7) pour désigner l'approvisionnement d'une cité et NJ 7, 8 met sur le
même plan les πολιτικού αιτήσεις de Constantinople et des autres villes. Il en ressort que
l'on considérait l'annone des capitales comme d'une autre nature que celle des villes,
mais que l'on employait parfois les mêmes termes pour l'une et pour l'autre. Comme
annona n'apparaît que dans des textes où il semble désigner l'approvisionnement en blé
public à prix constant, je ne l'emploierai que dans ce sens. Il est cependant fort possible
que ce terme ait eu une acception plus large, mais, actuellement, je ne peux l'établir de
manière formelle.
18 D 50, 16, 15 : Bona civitatis abusive «publica» dicta sunt : sola enim ea publica sunt
quae populi romani sunt. C'est un abus de déclarer « publics » les biens d'une cité : seuls
en effet sont publics ceux qui appartiennent au peuple romain.
19 Les bains municipaux, entretenus par des taxes locales (συιήθειαι) sont dits
δημόσια, de même que l'une des catégories d'impôts pour l'Etat, dans les papyrus d'Egypte
(parmi des dizaines d'exemples, voir P. Cairo-Masp. 67 009 et Edit 13, éd. dans NJ, p. 780-
294 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
1) Le poids de l'Etat
795, passim ; P. Oxy. 26). On ne peut jamais tirer argument de l'adjectif publicus
(δημόσιος) pour conclure au caractère municipal ou étatique d'une réalité quelconque.
20 Voir index, 5. v.
21 D 50, 4, 3, § 15 : Praeses provinciae provideat munera et honores in civitatibus
aequaliîer per vices secundum aetates et dignitates, ut gradus munerum honorumque
antiquitus statuti sunt, injungi, ne sine discrimine et frequenter isdem oppressis simul viris et
viribus res publicae destituantur : Le gouverneur doit veiller à ce que les charges et les
honneurs soient attribués selon l'âge et les dignités, conformément à la hiérarchie
traditionnelle des charges et des honneurs, afin qu'on ne désorganise pas la vie des cités en
imposant sans discernement et trop fréquemment les mêmes personnes et les mêmes
biens.
22 Que le gouverneur applique une législation générale découle de ce que les
empereurs légifèrent et que les lois ont été reprises dans un livre du Digeste ; qu'ils appliquent
cette législation en fonction des lois municipales apparaît dans la proposition ut gradus
munerum honorumque antiquitus statuti sunt, et dans nombre de détails qui seront
analysés ci-dessous : on constate que l'Etat fixe des limites assez larges à l'intérieur desquelles
chaque cité peut choisir la forme qui lui convient le mieux. Mais, une fois la loi
municipale adoptée, les décurions doivent s'y conformer sous l'oeil vigilant de l'administration.
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 295
23 L'huile servait au moins pour l'éclairage municipal, et peut-être aussi pour les
bains publics.
24 Les distributions de denrées aux militaires et aux fonctionnaires, soit résidants,
soit de passage, sont bien connues par le reste de la documentation. Dans les lois relatives
à l'administration municipale, on y trouve quelques allusions : D 50, 4, 18, § 8 : qui anno-
nam suscipit vel exigit vel erogai : recevoir et percevoir l'annone peut se rapporter aussi
bien à l'annone de Rome qu'à celle des agents de l'Etat, mais la distribuer n'a de sens que
si c'est à des personnes résidant dans la cité. Cette distribution peut difficilement
concerner les prestations alimentaires aux citoyens parce que leur cas a été envisagé plus haut
(D 50, 4, 18, § 5; cf. n. 5 et n. 14) et parce que l'on ne peut guère traiter ensemble et dans
une même formule une question qui relève de l'administration locale et une autre qui
dépend de l'administration centrale. Les bénéficiaires locaux sont donc des agents de
l'Etat, militaires, fonctionnaires ... Cf. D 50, 4, 1 § 13 : Eos milites, quibus supervenienti-
bus hospitia praeberi in civitate oportet : Les militaires, à qui, lorsqu'ils arrivent dans une
cité, il faut assurer l'hébergement ... Si on les héberge, on les nourrit.
25 D 48, 12, 3 : Imperatores Antoninus et Verus Augusti in haec verba rescripserunt :
«Minime aequum est decuriones civibus suis frumentum vilius quant annona exigit
vendere». Item rescripserunt jus non esse ordini cujusque civitatis pretium grani quod invenitur
statuere ». Les décurions n'ont pas le droit de vendre le blé à un prix inférieur à celui de
l'annone et n'ont pas, non plus, le droit de fixer le prix du blé qu'ils se sont procuré. D 50,
1,8: Non debere cogi decuriones vilius praestare frumentum civibus suis quant annona
exigit divi fratres rescripserunt. Même interdiction que dans la loi précédente avec
l'indication qu'elle a été imposée par plusieurs empereurs, raison supplémentaire pour
considérer que ce sont les deux mêmes que dans le texte précédent.
296 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
26 D 50, 8, 7 : Decuriones pretto viliori frumentum quod annona temporalis est patriae
suae praestare non sunt cogendi. Le sens est manifestement le même, bien que le texte soit
incompréhensible dans l'état où il nous a été transmis.
27 On peut, par exemple, restituer : Decuriones pretto viliori quant annona exigit
frumentum quod annona temporalis est patriae suae praestare non sunt cogendi. La faute est
facile à expliquer : le scribe aura sauté de quant annona à quod annona, oubliant ainsi un
membre de la phrase.
28 Dans les deux capitales, Varca et l'annone sont suffisamment distinctes pour qu'on
ne puisse guère admettre que les deux termes recouvrent la même réalité dans les villes
de province.
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 297
29 Non debere cogi ; non sunt cogendi. L'évolution du nom annona mériterait une
étude approfondie, tant elle apparaît révélatrice de l'évolution générale de la vie
économique. Vers le début de notre ère, à une époque où le poids de l'Etat n'était pas encore trop
lourd, annona désigne le prix tel qu'il se forme sur le marché. Je remercie Monsieur Jean
Andreau d'avoir attiré mon attention sur ce sens du terme (pour des références, voir le
Thesaurus linguae latinae). Peut-être les auteurs cités par le Digeste entendaient-ils ainsi
annona : il ne fallait pas vendre le blé public à un prix inférieur au prix du marché. Mais,
à partir du IVe siècle, sinon avant, le terme désigne les prestations publiques et, pour
moi, les auteurs du Digeste pouvaient difficilement l'entendre autrement que comme le
prix public uniforme dans tout l'Empire.
30 « II n'est pas juste que les décurions vendent du blé à un prix inférieur à celui de
l'annone» peut s'entendre de deux manières: ou bien ils n'ont pas le droit de baisser
artificiellement les prix; ou bien on les protège contre la pression populaire qui pourrait
exiger des prix trop faibles pour assurer l'équilibre financier de Varca.
31 Voir index s. v. arca frumentaria et σιτωνικόν.
298 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
blé au moment où il est le moins cher soit sur le marché, soit par la
levée d'un impôt en blé, soit par l'achat forcé à prix public, elle le
rassemble, le stocke et attend une période de crise pour le revendre soit au
prix d'achat si les circonstances le permettent, soit plus cher; dans ce
dernier cas, elle réalise un bénéfice qui servira à payer les frais de
gestion et, éventuellement, à alimenter d'autres postes du budget
municipal.
L'Etat ne se contente pas de fixer des prix minimums. Il impose
des règles assez strictes en d'autres domaines pour faciliter le
fonctionnement du ravitaillement municipal. D'abord les décurions n'ont pas le
droit de fixer le prix auquel ils achètent le blé32. On peut comprendre
que le prix d'achat sera obligatoirement celui de l'annone ou, plutôt,
comme le montreront des exemples, qu'ils doivent l'acheter au prix de
l'annone en temps normal et au prix du marché pendant les périodes
de disette. Rien n'est dit sur les moyens utilisés pour obliger les
détenteurs de blé à le livrer au prix qu'on leur propose, mais nous verrons
qu'ils existent. Ainsi la curie agit dans des limites bien définies qui
excluent la démagogie comme les abus pour se procurer soit à l'avance,
à bon prix, soit au dernier moment, au prix du marché, le blé qui
permettra de faire la soudure. Le contrôle permanent qu'indiquent nos
sources ne peut être que celui du gouverneur.
C'est en général par achat sur le marché ou par les versements
d'assiettes fiscales affectées à cette charge qu'on se procure les
quantités nécessaires33. Rien n'est dit sur les limites imposées à cette
dépense. La raison m'en paraît simple. En temps normal, on utilise chaque
année les fonds inscrits au budget municipal, vraisemblablement sous
le contrôle du gouverneur, et il est inutile que ce dernier intervienne
car, d'une part, la population exerce une pression suffisante pour
qu'on dépense les fonds en totalité et, d'autre part, ceux-ci sont limités
par le budget et personne ne peut dépenser plus qu'il n'était prévu. En
temps de crise, le gouverneur pouvait intervenir, mais la pression des
32 D 48, 12, 3 : voir n. 25. Le contrôle du gouverneur, que nous constaterons par la
suite (p. 308-309) devait impliquer aussi un contrôle des prix pratiqués lors d'une coemp-
tio.
33 C'est ce que montreront les exemples concrets, dans le chapitre suivant,
confirmant la répétition, constante dans le Digeste, du verbe emere, de ses dérivés ou de ses
synonymes : D 3, 5, 29 : pretium siliginis quae in publicum empia erat; D 48, 12, 3 : pre-
tium grani quod invenitur; D 50, 4, 1, § 2 : cura frumenti comparandi; D 50, 4, 18, § 5 :
cura emendi frumenti . . .
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 299
affamés suffisait pour qu'on fixe une limite acceptable pour tous aux
achats supplémentaires qui seraient imposés à ceux qu'on soupçonnait
de conserver leur grain à des fins spéculatives.
2) Le personnel municipal
le prix du blé qui a été acheté pour la cité (in publicwn signifie : pour la caisse publique ;
ici c'est celle de la cité).
39 D 50, 4, 18, § 7 : Item episcopi, qui praesunt pani et ceteris venalibus rebus quae
civitatium populis ad cotidianum victum usui sunt, personalibus muneribus funguntur. De
même les surveillants qui sont responsables du pain et autres produits commercialisés,
qui servent à la nourriture quotidienne des population urbaines, s'acquittent d'une
charge personnelle. Praeesse est un verbe trop vague pour qu'on puisse déterminer
exactement les fonctions de Yepiscopus. Il contrôle les marchés comme l'agoranome, mais, s'il
s'occupe de tout ce qui touche aux denrées de première nécessité, il faut qu'il donne au
moins son avis sur l'opportunité d'une vente publique et sans doute qu'il participe à son
bon déroulement.
40 D 16, 2, 17 : Ideo condemnatus quod artiorem annonam aedilitatis tempore prae-
buit, frumentariae pecuniae debitor non videbitur et ideo compensationem habebit. Celui
qui est condamné parce qu'il a fourni une annone insuffisante du temps de son édilité, ne
sera pas considéré comme débiteur pour le versement en blé et ainsi il aura une
compensation. La frumentaria pecunia ne peut désigner l'annone, mais doit être rapprochée des
σιτωνικά χρήματα (cf. ci-dessous, p. 307) qui désignent les fonds de Varca frumentaria. Cf.
aussi, n. 42.
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 301
l'œuvre dans diverses cités, que cette sollicitude n'était pas superflue,
ni totalement désintéressée.
1) Persistance de la sitonia
56 Cf. ci-dessous, l'étude des diverses villes ou régions, pour des exemples de cette
césure insurmontable et injustifiée qui est pratiquée entre les sources antérieures au
règne de Constantin et celles qui sont postérieures à 400. Même A. H. M. Jones, The later
Roman Empire, Oxford, 1964, dont le but est précisément de montrer la continuité des
institutions et de la vie économique du IIIe au VIe siècle, procède ainsi.
57 Par exemple CJ 10, 27, 3, 491-505 :Όταν εν τινι πόλει σιτώνου γένηται χρεία . . .
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 307
charge qu'il exerce est toujours celle de la σιτωνία58 et la caisse qui les
gère porte le nom de σιτωνικόν59, exacte traduction de arca frumenta-
ria60. Quant aux fonds qui lui sont affectés, on les dénomme σιτωνακα
χρήματα61. Les termes n'ont pas changé.
De même pour le fonctionnement. La σιτωνία fait toujours partie
des charges civiles de la cité, au même titre que les aqueducs, les bains,
les ports, les murailles, les routes ou les bâtiments publics62. C'est
presque exactement la liste donnée par le Digeste63. Les fonds qui
alimentent son budget sont d'origine municipale64, ou publique lorsque l'Etat
décide d'accorder une subvention65. En outre le σιτώνης doit obligatoi-
58 Nombreux exemples. Entre autres, CJ 1, 4, 26, 530 : Περί . . . των προσόδων ... εις
σιτωνίαν . . . προσχωρούντων. Par contre le service de Vannona, conçu comme celui de
l'approvisionnement en blé à prix public, n'apparaît pas. Peut-être l'arca frumentaria
(σιτωνικόν) se charge-telle à la fois des prestations régulières et des achats de
circonstance.
59 Entre autres exemples, NJ 128, 16, 545 : (χρήματα) ατινα . . . σιτωνικοΐς . . . άφωρί-
σθησαν . . .
60 Jean Lydus, par exemple, désigne comme σιτωνικόν l'arca frumentaria de
Constantinople (De magistratibus 3, 38, éd. R. Wünsch, Leipzig, 1903 (coll. Teubner), p. 126).
61 Voir a 10, 27, 2, § 12, 491-518 (?) et 10, 30, 4, 530. Le Chronicon Paschale parle,
pour sa part, de ρήματα λόγω σιτωνικοΰ dès 444 (éd. G. Dindorf, t. 1, Bonn, 1832,
p. 585).
62 CJ 1, 4, 26, 530, mentionne, à côté de la σιτωνία, les έργα (les «travaux», peut-être
les corvées dues pour les travaux d'intérêt général), les aqueducs, les bains, les ports, les
murailles et tours, les ponts et l'entretien des routes, avant de préciser que la liste n'est
pas exhaustive : on exécutera tous ces travaux « et, en un mot, ce qui sert aux affaires
publiques». Liste assez semblable dans CJ 10, 30, 4, 530, qui est très proche du premier
texte; réduite aux seuls fonds pour la σιτωνία et aux aqueducs, dans NJ 128, 16, 545. C'est
un indice en faveur du fait que l'approvisionnement (grain et eau) constitue la
préoccupation principale.
63 Si on considère les divers munera, on trouve dans D 50, 4, 18 : la σιτωνία, Γέλαιω-
νία (achat d'huile), le chauffage des bains, l'entretien des aqueducs, la construction et
l'entretien des bâtiments publics, l'entretien des routes. D 50, 10, 16, complète la liste
avec les murailles. Voir, sur ce sujet, N. Charbonnel, les «munera publica» au IIIe siècle,
thèse dactylographiée, Université de Paris II, 5. d., et C. Lepelley, Les cités de l'Afrique
romaine au Bas-Empire, t. 1, Paris, 1979 (Etudes augustiniennes), p. 206-213.
64 Voir ci-dessous, n. 21-22.
65 Le Code est plus précis que le Digeste en signalant de manière explicite l'existence
de subventions accordées par l'Etat pour l'approvisionnement des villes. CJ 10 30, 4, § 1 :
Αυτός ό βασιλεύς, είτε εκ δημοσίου ρήματα έκπέμψη προς τειχοποιίαν ή έτερου παντός
έργου κατασκευήν, είτε ευρη παρ1 ετέρου καταλελειμμένα χρήματα πόλεσι προς άπαξ ή και
διηνεκώς ... Si l'empereur fait verser par le Tresor les fonds pour l'entretien des
murail es ou pour toute autre charge (la liste de ces charges est donnée plus haut dans le texte.
308 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
et la σιτωνία en fait expressément partie), ou bien s'il trouve des fonds disponibles d'une
autre manière, pour un versement unique ou renouvelable, si donc l'empereur agit ainsi,
il devra faire contrôler l'usage des fonds par un logothète. On aura l'occasion de montrer
que cette possibilité fut souvent utilisée et que son absence dans le Digeste ne prouve pas
son inexistence dans les faits.
66 CJ 1, 4, 17, 491-505 = 10, 27, 3, 491-505 : On doit choisir le σιτωνής parmi μόνων
τών έπί χώρας εκείνης ταξεωτών των στρατευομένων καί των αποθεμένων την τάξιν, parce
que ceux qui remplissent depuis longtemps des charges publiques sont les mieux à même
d'exercer une σιτωνία.
67 La σιτωνία est financée par des revenus «publics» (πολιτικοί πρόσοδοι) comme
l'indique CJ 1, 4, 26. Il faut entendre public au sens de «qui concerne l'administration
municipale» et non «qui concerne l'administration de l'Etat». Le fait même qu'on
légifère sur la σιτωνία prouve qu'elle n'est pas une activité privée, ni même une affaire
municipale sans intérêt pour l'Etat. L'attention que le souverain lui prête est confirmée par
l'exemption de taxes sur l'établissement des rôles d'impôt, lorsque ce dernier sert à la
σιτωνία (CJ 12, 63, 1, 530).
68 CJ 10, 27, 2, § 12 : Dans les villes qui n'ont pas de σιτωνικά, c'est le gouverneur qui
donne l'autorisation de procéder à un achat exceptionnel, aux prix du marché et à
l'intérieur des limites de la cité. Il faudra donc savoir, quand une source parlera d'un
gouverneur qui procède à une opération de ce type, que cette source, pour faire court, attribue
au gouverneur l'initiative de ce qu'il a seulement autorisé, et sans doute complété par un
achat financé par le budget général de l'Empire. Noter que toutes les villes n'ont pas de
σιτωνικόν mais que, si ce service existe, c'est lui qui doit procéder aux achats
exceptionnels (cf. n. 8). CJ 1, 4, 26, § 3, 530: Si les σιτώναι ne rendent pas les comptes annuels
qu'on exige d'eux, le gouverneur interviendra. Donc, même quand l'autonomie
municipale est respectée, le pouvoir joue un rôle de protecteur des institutions municipales.
Cependant cette autonomie est assurée car c'est la cité qui décide de créer une σιτωνία et qui
en propose le règlement. L'empereur se contente de le contrôler et de le faire enregistrer
(CJ 12, 63, 1).
69 CJ 1, 4, 26, 530: Chaque année, le σιτώνης, comme tous les responsables de
charges municipales, doit rendre des comptes et, au moment de la rédaction des «actes»
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 309
(υπομνήματα), il doit justifier son action avec précision. Le nom υπόμνημα a des sens trop
variés pour qu'on puisse affirmer que le législateur désigne ici les gesta municipalia, mais
ces actes, qui sont manifestement ce que, en latin, on appelle des acta publica et qui
enregistrent l'exécution des décisions - dont on ne peut raisonnablement douter qu'elles aient
été inscrites dans les gesta - ces acta font partie de l'ensemble de registres qu'on appelle
gesta municipalia, ou en constituent des appendices. La question des gesta municipalia
υπομνήματα est aussi passionnante (car on ne peut connaître la vie des cités si on ignore
la nature et le fonctionnement de leurs archives) que méconnue, faute d'enquête qui
mette à profit la documentation disponible en latin et en grec, vaste mais dispersée.
Indications dans J. Durliat, Taxes sur l'entrée des marchandises dans la cité de Cara/es-Cagliari
à l'époque byzantine, DOP, 36, 1982, p. 7, avec la n. 21). Dispositions dans NJ 128, 16,
545.
70 CJ 10, 30, 4, § 5, 530. Cf. α 1, 4, 26, § 4, 530 : Ces deux textes complètent α 1, 4,
26, § 3 (ν. à la n. 17). Les agents du gouverneur ne peuvent intervenir que à la demande
de la cité ou sur ordre direct de l'empereur. L'évêque a même le droit de demander à
l'empereur confirmation de cet ordre avant de se soumettre au contrôle. Tout est donc
fait pour sauvegarder l'autonomie des cités, sans pour autant y laisser se développer les
exactions des principaux notables : L'empereur se réserve le droit de les réprimer. Lui
seul peut le faire, mais les notables savent qu'il usera de cette possibilité si une
ir égularité est dénoncée.
71 CJ 10, 27, 2, § 12 : Chaque fois que des cités, dépourvues de revenus pour la σιτω-
νία (σιτωνικα χρήματα) ou d'autres revenus, seront dans l'obligation de procéder à un
achat obligatoire dans le cadre de la cité (πολιτική συνωνή, coemptio civica en latin), les
gouverneurs auront le droit de l'ordonner, dans le seul territoire de la cité concernée et à
l'intérieur de ses limites, en appliquant les prix alors en vigueur dans les villages (έν τοις
τόποις). Que les pères des cités (οι πατέρες των πόλεων) et tous les autres responsables de
cette opération respectent les tarifs qui leur sont imposés. On retrouve ici l'ambiguïté de
l'adaeratio-coemptio. Si elle est imposée pour une partie de l'impôt, elle utilise les tarifs
publics, les pretta publica, qui sont identiques à toutes les époques de l'année, sur toute
l'étendue de l'Empire, pendant une longue période ; c'était le plus souvent le cas pour les
denrées livrées aux capitales (voir la première partie); ce pouvait être le cas pour celles
que se procuraient les villes lorsqu'elles avaient prévu dans leur budget la fourniture,
chaque année, de blé par certains contribuables. Ce n'était pas le cas dans un certain
nombre de villes qui avaient uniquement recours au marché. Mais, si on applique le prix
du marché à l'achat, on doit en faire de même au moment de la revente, pour éviter les
profits abusifs (cf. CJ io, 27, 3, 491-505). En outre, il est vraisemblable que le prix du
marché est constaté par un agent du gouverneur, indépendant des autorités municipales,
310 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
comme on le voit au IVe siècle pour la perception de la viande annonaire de Rome (ci-
dessus, p. 75). Pour ménager les pauvres, il est prévu que la συνωνή ne peut être imposée
qu'à ceux qui disposent de surplus : Μηδείς δε άναγκαζέσθω πιπράσκειν πάσαν ρείαν
αύτοΰ, άλλα τα έκπεριττεύοντα είδη (CJ 10, 27, 2, § 4).
72 CJ 1, 4, 26, intr., 530: Enumeration non exhaustive des sources de revenus que
l'on peut utiliser pour financer les dépenses municipales, dont la σιτωνία.
73 NJ 128, 16, 545 : L'empereur insiste sur la nécessité de découvrir et de punir les
détournements de fonds que les magistrats municipaux, dont le-οιτώνης, pourraient
commettre à leur profit, mais aussi ceux qui aboutissent à l'attribution d'une recette
municipale à un poste autre que celui auquel elle est destinée ; il faut s'en tenir à leur affectation
première (ταΐς ρείαις αϊς άφώρισται φυλάττεσθαι).
74 C'est la cité (πόλις) qui a besoin d'un σιτώνης (CJ 10, 27, 2, § 12), c'est-à-dire les
citoyens. La σιτωνία est mise sur le même plan que les travaux publics (έργα πολιτικά : CJ
1, 4, 26, § 15); c'est donc bien une affaire qui concerne le corps civique et non les
deshérités . . .
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 311
2) Généralité de la sitonia
75 CJ 10, 27, 2, § 12, commenté ci-dessus, n. 71. Cette loi ne dit pas si l'absence de
οττωνακόν est la règle ou l'exception. Tout au plus pourra-t-on supposer que c'était
d'autant moins l'exception que la cité était plus petite.
76 Pour les lois, voir ci-dessous, p. 426-428. Elles donnent l'impression d'une pratique
générale de la σιτωνία et de l'existence, presque partout, de σιτωνικά. Ces institutions
sont placées sur le même plan que les travaux publics et autres activités indispensables à
la survie d'une ville. Mais les très petites «villes» n'avaient sans doute ni égoûts, ni
thermes, ni murailles et pouvaient se passer d'un service municipal de l'approvisionnement.
312 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
77 CJ 10, 27, 2, § 12 : Si une ville n'a pas de revenus pour la σιτωνία . . . On peut
comprendre, bien que rien ne l'impose : Si une ville n'a plus de revenus pour la σιτω-
νία.
78 Voir, ci-dessous, p. 433, pour un exemple sicilien de sitonicum provincial sans
doute au service de toutes les cités de la province, sous les ordres de la métropole.
79 Cf. chapitre suivant.
80 NJ 7, 8, commentée ci-dessous p. 441. Voir aussi NJ 168, 512 où il est fait
rapidement allusion à des άρτοι πολιτικοί.
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 3 13
ge sans aucun changement substantiel pour ce qui est des moyens mis
en œuvre, de la finalité ou des avantages pour les citoyens, pour tous
les citoyens.
leur fortune et leur influence dans la cité, deux traits que l'évêque
partage avec eux car, même si, personnellement il mène une vie
pauvre, quelle qu'ait été sa fortune, il ne s'en trouve pas moins, ès-quali-
tés, à la tête de la fortune la plus importante de la cité, au moins par
l'ampleur des revenus publics qu'il gère, celle de son Eglise. C'est
pourquoi le chef de la communauté chrétienne fut progressivement
assimilé à l'un des principaux curiales : il rend la justice dans les
procès ou les clercs sont en cause, il se fait le porte-parole de toute la cité
auprès des autorités, il intervient dans les affaires locales où son
prestige pèse parfois très lourd84. Le législateur en a tiré les conséquences
pour la question de l'alimentation en rangeant le prélat au nombre
des principales-npoix&oovxeç,, comme nous le constatons en lisant les
même dans les régions les plus paisibles, car, chef de la cité, il exprime
ses aspirations autonomistes mais, là encore, les avantages obtenus sont
entérinés par une loi impériale et, au VIIIe siècle, on assistera dans les
régions centrales de l'Empire à une reprise en main énergique91.
CONCLUSION
95 Β 56, 9, 5 = CJ 10, 27, 2; Β 56, 9, 6 = Ο 10, 27, 3; Β 56, 10, 5 = C7 10, 30, 4; Β 56,
17, 67 = α 12, 63, 2; Β 58, 18, 14 = NJ 128, 16.
96 Ce seraient les seules preuves d'une continuité de la sitonia dont tout prouve par
ailleurs qu'elle disparut, ou du moins fut considérablement réduite dès le VIIe siècle. Il en
fut, dans les cités, de même qu'à Constantinople, où l'on a la preuve formelle que l'anno-
LES CADRES JURIDIQUES DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 319
ne a été supprimée alors que les Basiliques reprennent les lois qui en traitent (cf. ci-
dessus, p. 271-274).
97 Par exemple, la loi C/ 10, 27, 3 (= Β 56, 10, 5) qui définit la procédure à suivre
pour choisir un σιτώνης a pu servir de modèle pour le choix de responsables d'achats de
céréales en période de disette, sans que pour autant il se soit agi d'un magistrat
permanent.
CHAPITRE 2
1 Pour les murailles urbaines, excellent point d'observation pour l'étude des villes,
de leur plan, de leurs rapports avec l'Etat et de leur place dans le système défensif de
l'Empire, aucune étude d'ensemble. Voir cependant le travail, fondé uniquement sur les
textes législatifs, de Y. Janvier, La législation du Bas-Empire sur les édifices publics, Aix-
en-Provence, 1969. Sur les finances municipales qui commandent de manière plus
contraignante qu'on ne le croit l'essentiel de la vie sociale, aucune étude poussée de
l'établissement du budget, des différents postes de ce budget, du personnel, des rapports
entre dépenses locales et administration centrale, malgré un très grand nombre
d'informations dans les monographies sur telle ville ou telle ville, en particulier pour ce qui
touche à la perception de l'impôt.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 323
tir de quel niveau une ville a absolument besoin de blé pour survivre.
Les capitales ne peuvent s'approvisionner par leurs propres moyens.
Qu'en était-il des très grandes métropoles régionales, des grandes villes,
des moyennes et des petites?
A - Alexandrie
1) L'alimonia-τρόφιμον
a) Au IIIe siècle
inférieur à celui des personnes de plus de quarante ans, est sans doute difficile car cela
supposerait une diminution de l'ordre de 75%, compte tenu de ce qu'on peut supposer de
la pyramide des âges à cette époque. Par contre, il se pourrait que le nombre total des
bénéficiaires soit descendu au niveau moyen de celui des ayants droits de plus de
quarante ans. Denys aurait volontairement confondu les nouveaux-nés (νήπιοι) avec les «plus de
quatorze ans » (οί άπο τεσσαρεσκαίδεκα ετών). « Conscrits » traduit tant bien que mal ήλι-
κιώται : « du même âge ».
3 Voir ci-dessous, p. 338-339.
4 Voir à la n. 1.
5 Noter l'emploi des termes προσεγγράφεντες (inscrits en sus, ajoutés aux listes) et
συγκαταλεγέντες (inscrits ensemble) qui ne laisse aucun doute sur le sens de ce passage.
6 Voir ci-dessus, p. 188-193, pour l'étude des termes relatifs à l'annone. Si ce qu'on
verse aux Alexandrins est désigné par le même terme que ce que reçoivent les Constanti-
nopolitains, il est peu probable que ce ne soit pas la même chose.
326 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
du blé public ou du blé à prix coûtant fourni par le σιτωνικόν sous les
ordres du σιτώνης. Cependant on hésiterait à ajouter entièrement foi à
un texte aussi excessif, si Procope ne nous livrait des informations
convergentes.
b) D'après Procope
7 Procope, Anecdota, 26, 35-44, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963, p. 164-166. Ce passage
termine le chapitre 26, trop peu utilisé par les historiens, et qui, pourtant, à travers une
charge féroce contre les manœuvres de Justinien pour supprimer tout ce qui faisait la
beauté et le prestige des villes de l'Empire (§ 1), livre des éléments de réflexion
irremplaçables sur la conception qu'on se faisait de la ville pendant la première moitié du VIe
siècle et pourrait bien viser juste, quand il dénonce les restrictions apportées dès cette
époque aux fastes urbains. Il resterait à savoir si Justinien n'avait pas raison de diminuer
ces dépenses au moment où la survie de l'Empire commençait à être en jeu, jusqu'où il
est allé dans cette politique, et quel effet cela produisit sur l'opinion. Pour ce qui
concerne Alexandrie, le passage est connu mais non utilisé par G. Rouillard, L'administration
civile de l'Egypte byzantine, 2e éd. Paris, 1928, p. 121, n. 2. J. Rea, The Oxyrhynchus papyri,
t. 40, Londres, 1972, p. 1-2, se limite aux IIIe et IVe siècles; il n'a pensé à l'utiliser. Simple
allusion dans J.-M. Carrié, op. cit., p. 1078-1080. A. H. M. Jones, The later roman Empire,
Oxford, 1964, p. 735, connaît évidemment le texte, mais se contente de le citer. Ce sont les
seuls études récentes qui traitent des problèmes d'alimentation à Alexandrie.
8 Edit 13 (éd. dans NJ, p. 780-795), 1; cf. G. Rouillard, op. cit., p. 28.
9 Anecdota 26, 36 : Πάντα ευθύς τα τής πόλεως πωλητήρια ες το καλούμενον μονοπ-
ώλιον καταστησάμενος άλλον μέν εμπόρων ούδένα ταύτην δη την έργασίαν έργάζεσθαι εϊα,
μόνος δε απάντων αυτός γεγονώς κάπηλος παρεδίδοτο τα ώνια πάντα, δηλονότι τάς τούτων
τιμάς τή τής αρχής εξουσία σταθμώμενος.
10 La fixation des prix est une prérogative du duc ou du gouverneur. Il peut agir sur
ordre de l'empereur, comme on le constatera à Antioche (ci-dessous, p. 367 : lorsque
l'empereur est présent, c'est lui qui prend la décision ; le gouverneur est sans doute chargé de
la mettre en application) ou de sa propre initiative lorsqu'il accède à une demande de la
curie qui souhaite procéder à une συνωνή (voir, ci-dessus, p. 309, n. 71). Il n'est pas
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 327
impossible que la révolte soit une révolte de la faim et que les mesures aient seulement
visé à limiter les excès de la spéculation.
11 Anecdota, 26, 36-37 : Μάλιστα δε αυτούς άμφί τφ άρτφ έπίεζε. Τον γαρ σΐτον αυτός
εξ Αιγυπτίων ώνείτο μόνος. Le monopole sur tous les produits se ramène donc à un
monopole du blé, ce qui confirme l'impression que nous avons affaire à des mesures
banales pour l'approvisionnement en céréales, et montre que la grande affaire, dans le
ravitaillement, c'est le blé. Noter que l'Etat achète du blé mais livre du pain. A
Alexandrie, comme dans les capitales, les moulins et les fours sont essentiellement publics.
12 Anecdota, 26, 40 : Dioclétien accorda σίτου μέγα τι χρήμα . . . παρά τοΰ δημοσίου
των 'Αλεξανδρέων τοις δεομένοις άνα παν έτος. Ce blé, que l'on dit distribué chaque année
aux «indigents» pourrait apparaître comme une forme d'assistance aux déshérités. En
fait, quand on constate que le montant de l'allocation est égal, ou peut-être supérieur, à
2 000 000 de muids et que la curie répartit cette subvention comme elle l'entend entre les
citoyens, on doit conclure sans hésiter que, une fois de plus, Procope, comme nombre
d'auteurs écrivant dans le contexte chrétien des IVe-VIIe siècles, utilise indigent pour
citoyen, afin d'influencer davantage le lecteur. Il faut aussi noter le vague de la formule
«une grande quantité de blé». Quand notre auteur dit, plus bas, que le duc supprima
2 000 000 de muids sur cette allocation, on doit seulement conclure en toute rigueur
qu'elle était égale ou supérieure à ce montant, sans pouvoir préciser davantage. Mais
comme Procope ne nous dit pas que le duc a supprimé seulement une partie de la somme
totale, j'admets que le nombre donné correspond à la totalité du versement annuel.
13 Anecdota, 26, 43 : 'Ήφαιστος ένθένδε μυριάδας ές διακοσίας επετείους μεδίμνων
(noter l'emploi de médimne pour muid: 2 000 000 de médimnes représenteraient
12 000 000 de muids, la moitié de l'annone de Constantinople!) τους των αναγκαίων ύποσ-
πανίζοντας άφελόμενος τφ δημοσίω έντέθεικε. Si le blé fut versé aux greniers publics,
c'est parce qu'il était public, ce qui confirme l'impression générale qui ressort de tout ce
passage.
328 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
14 Voir à la n. 12.
15 Voir, par exemple, l'estimation de D. Claude, Die byzantinische Stadt im 6.
Jahrhundert, Munich, 1969 (Byzantinisches Archiv, 13), p. 163, qui penche pour une
population supérieure à 100 000 habitants parce que la superficie de la ville était de 920 ha
environ. La preuve est insuffisante, mais l'estimation doit être assez juste (cf. ci-dessous,
p. 336 et 339).
16 Alimonia dans CTh 14, 26, 2, 436 = CM1, 28, 2. Τρόφιμον dans l'Edit 13, 4 et 6.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 329
drie, de sorte qu'il y eut une grande famine dans la ville, et les habitants, en proie aux
souffrances de la faim, voulaient tuer le préfet . . . Les gens d'Aykelâh commettaient
toujours de nouveaux méfaits. Ils saisissaient les bateaux chargés de grain, s'emparaient de
l'impôt impérial et forçaient le préfet du canton à leur remettre les livraisons de
l'impôt ». Le texte n'est pas très précis, et sans doute la traduction éthiopienne du texte man-
que-t-elle de rigueur (qu'est-ce qu'un «préfet de canton»?). Cependant la population se
retourne contre le préfet de la ville (le duc Augustal), quand le blé manque et les révoltés
s'emparent à la fois du blé et de l'impôt - à l'exclusion de tout autre produit -, deux
indices suffisants pour prouver que le blé est d'origine fiscale et que son transport est
placé sous l'autorité du duc d'Alexandrie, ce qui est exact (cf. ci-dessus, n. 8). En outre les
brigands n'en ont que contre l'Etat car on ne parle pas des malheurs subis par les
commerçants indépendants. Donc tout le blé, ou du moins l'essentiel, est fourni par
l'administration.
22 Sur la transformation en pain, par les autorités, du blé qu'elles reçoivent, voir
ci-dessus, n. 11.
23 CTh 14, 26, 2, 436 = CJ 11, 28, 2: Diurnos centum et decem modios alimoniis
Alexandrinae civitatis addi decernimus, ut nemo privetur eo quod nunc usque percepii et
perissochoregiae nomen penitus amputetur et tesserae designentur et nostrae pietatis
nomine censeantur. L'empereur ajoute 1 10 muids par jour à l'alimonia d'Alexandrie pour que
personne n'en soit privé et que le nom même de supplément de prestation disparaisse
définitivement; que des tessères soient émises et validées par l'autorité de l'empereur. Il
faut comprendre que, depuis un certain temps, des rations provisoires étaient distribuées
et que leurs détenteurs craignaient à tout instant d'en être privés. Ils sont en quelque
sorte «titularisés». Nous ignorons qui furent les bénéficiaires mais nous constatons ici
aussi que le droit à l'annone est authentifié par la remise d'un document écrit, la
tessere.
24 Pour les tessères à Rome, ci-dessus, p. 58-59; à Constantinople, ci-dessus, p. 249.
25 NJ 7, 8 : ... τοιαύτας είναι αιτήσεις ού μόνον έπί της βασιλίδος ταύτης πόλεως,
άλλα και επί τής μεγάλης 'Αλεξανδρείας και έπί της θεουπολιτών είναι μεμαθήκαμεν . . .
J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 077, s'étonne de l'emploi du verbe μεμαθήκαμεν: «nous avons
appris » qui lui paraît donner l'impression que l'empereur ne sait pas très bien ce qui se
passe dans son Empire, et en particulier si Alexandrie et Antioche bénéficient bien de
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 331
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute que, dès le IIIe siècle, et
sans doute depuis longtemps, Alexandrie bénéficiait de blé gratuit; que
Dioclétien a réorganisé ce service, en accroissant peut-être la dotation
annuelle, ce qui explique que Procope lui attribue tout le mérite de
cette gratification26; que la décision de Dioclétien a gardé force de loi au
moins jusqu'au VIe siècle, avec quelques aménagements, comme par
exemple l'augmentation des quantités distribuées, en 436; que vers 530
on avait encore le sentiment de vivre sous le régime d'une loi vieille de
250 ans; enfin, que cette loi est sans doute demeurée en vigueur jusqu'à
l'invasion arabe. Il resterait à savoir si l'expansion du Caire et le déclin
relatif d'Alexandrie ne résultent pas, pour une certaine part, de la
décision politique de créer une nouvelle capitale et de lui affecter une part
du blé que touchait l'ancienne27.
Le passage de Procope pose une dernière question, celle de savoir
si les 2 000 000 de muids (133 000 qx) sont effectivement restés dans le
greniers de l'annone ou s'ils ont été vendus au prix public. Il faut
reconnaître que nous n'avons aucune preuve formelle d'une vente
régulière de blé public dans la ville d'Alexandrie. Il semble cependant
difficile d'admettre qu'elle ait eu le privilège, inconnu dans les
capitales, de recevoir gratuitement la totalité du grain qui lui était
indispensable et on voit mal le commerce privé, dont nous n'entendons jamais
parler, assurer seul la fourniture de tout le complément indispensable.
Il faut donc supposer, à côté des distributions de blé gratuit, la
livraison de blé à prix constant par des greniers d'Etat dont l'intervention
était nécessaire pour assurer un approvisionnement régulier, surtout
pendant les années de disette où les paysans rechignaient à vendre et
où les négociants, à supposer qu'ils aient existé en nombre suffisant,
n'auraient donc pu acheminer les quantités indispensables.
distributions de blé gratuit. En fait c'est un verbe très fréquent dans la législation
protobyzantine qui a un sens technique précis : «nous savons» («nous avons fini d'apprendre»)
(par un rapport qui vient d'être fait ou par consultation de documents depuis longtemps
à notre disposition dans les archives impériales).
26 L'auteur du chapitre de l'Histoire Auguste relatif à Aurélien en avait fait de même
à son égard : ci-dessus, p. 59.
27 On connaît bien l'intense développement des villes musulmanes pendant les
premières siècles de l'Islam et l'importance du commerce entre elles. Mais a-t-on réfléchi au
problème des immenses quantités de denrées qu'il fallait acheminer de très loin et avec
une régularité presque parfaite pour éviter la famine? Il ne semble pas, du moins à la
lecture des grands manuels actuellement disponibles.
332 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
28 Ci-dessus, n. 10.
29 II est normalement interdit de faire effectuer des transports au profit d'une ville à
partir d'un lieu qui ne serait pas situé sur le territoire de sa cité (CI 10, 27, 2, intr, 491-
505) et d'effectuer une συνωνή hors de ses limites (§ 12). Cependant la même loi précise
plus loin (§ 14) que ces dispositions ne doivent en rien affecter les règles en vigueur pour
les συνωναί de la ville d'Alexandrie. Ce passage n'est pas clair, mais, rapproché de notre
texte, il prend tout son sens : de mène que Constantinople peut pratiquer des συνωναί
partout où ce sera nécessaire (§ 13), Alexandrie pourra en imposer hors des limites de
son territoire ; elle jouissait des mêmes avantages que la capitale, mais sans doute limités
à l'Egypte.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 333
30 C'est en effet toute son habileté de mettre en avant les malheurs des humbles,
pour, en fait, défendre les intérêts, le plus souvent contradictoires, des notables.
31 Cf. ci-dessus, p. 308-310 : Si une cité, qui ne dispose pas de ressources
particulières, peut imposer une συνωνή et revendre le blé ainsi obtenu, c'est qu'elle le revend au
prix d'achat, fixé par le gouverneur. Pour des exemples, voir à Antioche, p. 367, et à
Carthage, p. 386-387.
32 Voir n. 31 : Le gouverneur a vendu du blé normalement réservé à l'annone
gratuite de Rome. On pourrait tout aussi bien vendre le blé gratuit de la cité mais les exemples
manquent.
33 On pouvait difficilement se permettre de revendre encore plus cher du blé acheté
à un prix élevé pendant une disette. Par contre les autorités municipales peuvent
revendre au prix du marché, pendant la disette, du blé acheté en période d'abondance (cf.
p. 296). Cependant, même dans ce cas, les malversations étaient difficiles car tout était
inscrit au budget du σιτωνικόν.
334 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
34 Vie de Jean l'Aumônier, dans Vie de Syméon le fou et vie de Jean de Chypre, éd.,
comm. et trad, par A.-J. Festugière, en collaboration avec L. Ryden, Paris, 1974 (Institut
français d'archéologie de Beyrouth. Bibliothèque d'archéologie et d'histoire, 95), ch. 11,
texte, p. 357-359, trad., p. 458-460. Cette vie n'en est pas une (voir, en dernier lieu, à son
sujet, C. Mango, A byzantine hagiographer at work : Leontios of Neapolis, Byzanz und der
Westen. Studien zur Kunst des europäischen Mittelalters, Vienne, 1984 (Ost. Akad. der
Wiss. Phil.-hist. Klasse, Sitzungsberichte, 432) p. 25-41). C'est plutôt un recueil de vertus
et de miracles qui présente l'immense avantage de nous montrer le saint dans des
situations normales pour un prélat; même si l'hagiographe embellit la réalité et attribue à
Jean des actes qu'il n'a pas exécutés, il utilise souvent un vocabulaire administratif précis
et donne seulement à des récits vraisemblables des dénouements qui le sont moins. Il
suffit d'oublier ces derniers pour avoir une idée très précise du comportement habituel
d'un grand nombre de prélats.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 335
35 Ibid. : Έδανείσατο άπο πολλών φιλοχρίστων. Pour prêter une telle somme, il ne
suffit pas d'aimer le Christ; il faut aussi être riche!
36 Ibid. : « Au sujet des pauvres qui sont mes frères et au sujet des affaires de la
sainte Eglise» (Περί δέ των πτωχών μου καί των αδελφών μου και περί της αγίας εκκλησίας),
Dieu qui veille sur eux depuis une époque bien antérieure à notre naissance . . .
37 Cf. ci-dessus, p. 239-240, pour la question des bateaux de l'Eglise. Ci-dessus,
p. 144-146, pour les greniers de l'Eglise.
38 Pour offrir 180 livres et 200 000 muids de blé, il ne suffit pas de posséder une
immense fortune, que seuls les plus riches Egyptiens pouvaient détenir et qu'ils
n'offriraient pas en échange d'une simple ordination comme diacre, il faut aussi être un agent
de l'Etat qui fait miroiter la possibilité d'obtenir, d'une manière ou d'une autre, une
avance de fonds et de denrées publics, que l'Eglise rembourserait peut-être par la suite. Il
n'est pas difficile d'imaginer qu'un curiale ou un fonctionnaire désire faire une carrière
ecclésiastique, peut-être pour échapper à la justice civile au bénéfice de celle de
l'évêque ... La tentation était forte car beaucoup de lois visent à freiner le passage de
l'administration civile à l'administration religieuse.
39 Sur la faible importance des budgets épiscopaux de la charité, voir ci-dessous,
p. 553-556; sur l'impossibilité d'admettre que des particuliers aient prêté une somme aus-
336 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
si considérable, voir n. précédente : 1 000 livres (72 000 sous) représentent le revenu brut
annuel de quelque 15 000 ha de terres arables (voir p. 231-233 pour le rendement
approximatif des terres égyptiennes) et le revenu net, à 6% par an (ci-dessous, p. 595) de
250 000 ha. C'est aussi 9% de toute l'annone envoyée par l'Egypte à Constantinople.
Même si le nombre a été exagéré, il ne peut en rien correspondre à ce que des personnes
privées sont capables de prêter. En revanche, si le σιτωνικόν n'a pas le droit de prêter de
l'argent à d'autres caisses de la cité (ci-dessus, p. 300), il peut leur emprunter, si les
circonstances l'exigent, puisque rien n'interdit de le faire. Sur l'action des autorités en
période de crise frumentaire grave et sur leurs motivations, cf. ci-dessous, p. 452. La fin
du chapitre prouve que les achats ont dû être importants puisqu'on annonce l'arrivée de
deux bateaux (environ 40 000 muids de blé à eux deux) ; et le mouvement du texte laisse
clairement entendre que ce ne sont que les premiers d'une flotte plus importante.
40 2 000 000 de muids nourrissent effectivement environ 65 000 personnes à 2 qx par
personne et par an. Mais, pour être sûr que les bénéficiaires de l'annone gratuite sont
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 337
2) Les bénéficiaires
bien environ 33 000, il faudrait que les rations soient effectivement de 60 muids par ayant
droit et par an (5 muids par mois), comme à Rome. Si elles ne sont que de 36 muids,
comme à Oxyrhynchos (ci-dessous, p. 450), les bénéficiaires sont au nombre de 55 000 et
la population totale d'environ 200 000 habitants, ce qui constitue le maximum
vraisemblable (cf. n. 15). 33 000 bénéficiaires et 150 000 habitants est peut-être plus proche de la
réalité (ci-dessus, p. 336). En effet 600000 Constantinopolitains consommaient 10% du blé
égyptien et on peut difficilement imaginer que les paysans égyptiens aient pu supporter
une charge supplémentaire très lourde pour l'entretien de leur métropole régionale. Les
1 000 livres empruntées par Jean l'Aumônier, pour leur part, doivent plutôt correspondre
au total de ce dont disposait le σιτωνικόν et du supplément qu'il a emprunté. En effet,
même si on considère que le quart de cette somme a servi pour le transport du blé et son
traitement, ce qui est un ordre de grandeur raisonnable (voir ci-dessus, p. 264-265 : 30%
du prix du blé représentent environ 25% de la somme totale consacrée à son achat) on
pourrait obtenir quelque 1 600 000 muids (un peu plus de 100 000 qx) avec cette somme, à
condition d'acheter le blé à 30 muids pour 1 sou. Mais si le prix est celui d'une disette
sévère - comme on peut le supposer au vu des sommes considérables qui sont consacrées
pour lutter contre la faim -, de l'ordre de 10 muids au sou, tel qu'on le rencontre
plusieurs fois (ci-dessous, p. 500), Jean n'a pu se procurer qu'un peu plus de 500 000 muids,
soit à peu près autant que ce que Julien donna en son temps à Antioche sur les seuls
greniers d'Asie, avant l'arrivée d'un supplément qu'il avait fait venir d'Egypte (ci-dessous,
p. 371). Je ne vois donc aucun motif de rejeter le nombre indiqué par notre source. Il
suppose seulement que la ville d'Alexandrie était encore importante au début du VIIe
siècle, ce dont rien ne permet de douter, que le commerce privé était pratiquement
inexistant, car on n'en parle pas - et s'il était intervenu, les quantités auraient été excessives -,
que la défaillance de l'Egypte pouvait être compensée par l'utilisation d'autres greniers,
en particulier, sans doute, ceux de Sicile (voir index, Sicile).
41 Pendant les famines les plus dures, les paysans eux-mêmes en profitaient; cf.
p. 376-377 et 416-417.
338 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
a) Le τρόφιμον
42 Vie de Jean l'Aumônier, 11, éd. cit., texte, p. 357, trad., p. 458.
43 Pour l'expulsion des étrangers, ci-dessus, p. 53 ; pour la limitation des rations, ci-
dessous, p. 416-417.
44 Eusèbe de Cesaree, Histoire ecclésiastique, loc. cit.
45 Si les distributions avaient été faites aux pauvres, la diminution de leur nombre
n'aurait pu être mis en relation directe avec celui du nombre des habitants, car leur
mortalité pouvait être supérieure à celle du reste de la population.
46 CTh 14, 26, 2, 436.
47 Ci-dessus, p. 336.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 339
48 Ci-dessus, p. 329. Procope n'aurait pas rappelé le nom de Dioclétien, sans autre
indication, si le volume total du blé donné par l'Etat avait fortement varié. Cependant il a
été légèrement augmenté par Théodose (ci-dessus, p. 330).
49 Ci-dessus, p. 113.
50 Hypothèse avancée par V. Martin et D. Van Berchem, Le panis aedium
d'Alexandrie, Revue philologique, Nelle série, 16, 1942, p. 521. Ces auteurs croyaient retrouver ä
Alexandrie ce qui était postulé à Rome et à Constantinople : une annone liée aux maisons
en sus de l'annone personnelle (ci-dessus, p. 64-65 et 200-203). Hypothèse reprise par J.-
M. Carrié, op. cit., p. 1 090-1 094.
340 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
51 P. Abinn. 22.
52 Voir ci-dessus, p. 195-199, pour l'étude du vocabulaire des pains civiques, qui vaut
aussi pour Alexandrie. Les sources parlent soit de σιτηρέσιον, soit de αίτησις, comme à
Constantinople. Elles devraient aussi parler d'âpxoi πολιτικοί, pour éviter toute
confusion. Il ne faut pas oublier que le papyrus est rédigé par un agent qui connaît un
minimum de vocabulaire administratif, de par la charge qu'il exerce.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 341
53 P. Abinn. 22.
54 La comparaison entre Alexandrie et les capitales a mis en évidence une
ressemblance telle qu'elle aurait dû exister aussi sur ce point.
342 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
a) Le τρόφιμον
Blé gratuit pour les bénéficiaires, le τρόφιμον ne peut être payé par
le budget municipal dont les ressources seraient vraisemblablement
insuffisantes58. En outre on sait que, depuis Dioclétien au moins, et
sans doute depuis bien plus longtemps, c'est le pouvoir impérial qui
accordait 2 000 000 de muids à la ville59. C'est donc bien l'Etat qui
finance cette prestation permanente. En cas de nécessité pressante -
dont nous ignorons la nature - il peut décider, vraisemblablement à la
requête de la curie, un accroissement du nombre des bénéficiaires,
donc des quantités livrées60.
Le blé est perçu au nom de l'empereur par le duc Augustal
d'Egypte, au VIe siècle, et par ceux qui remplissaient la même fonction que
61 C'est ce qui ressort de l'Edit 13, 4 et 6 de Justinien, promulgué peu avant 539. On
manque de sources pour les époques antérieures, mais il ne fait aucun doute que les
divers responsables successifs de l'administration d'Alexandrie ont exercé, sur ce point,
les mêmes responsabilités que le duc Augustal.
62 Edit 13, 1-2.
63 Edit 13, 4 et 6. Commentaire, p. 244, n. 159.
64 Edit 13, 4 : 'Ομοίως δέ και τον (σΐτον) παρ' ημών φιλοτιμούμενον τής μεγάλης των
'Αλεξανδρέων πόλεως τον μέν άπαιτεΐν, όσος εξ Αιγύπτου καθέστηκεν έκατέρας, οίκείφ
κινδύνω και τής ούτοϋ τάξεως, τον δέ ύποδέχεσθαι όπόσος έξ ετέρων άφίκοιτο τόπων και
αύτφ παραδοθείη κατά το μάλλον ετι σαφέστερον έν τοις εφεξής δηλωθησόμενον, και
δαπαναν καθάπερ είσθισται περί το τρόφιμον τής αυτής πόλεως, ώστε το άφθονον αυτήν
βουλήσει θεοΰ δια πάντων εχειν : de même (que pour l'annone de Constantinople), pour
le blé que nous avons accordé, qu'il perçoive celui qui est levé dans les deux Egyptes,
sous sa responsabilité et celle de ses services, et qu'il reçoive celui qui arrive d'autres
régions et qui lui est remis selon une procédure qui sera expliquée plus bas, et qu'il le
dépense, comme de coutume, pour l'approvisionnement de cette ville, de sorte que Dieu
veuille qu'elle ne manque jamais de rien. § 6 : Si le duc ne lève pas le blé dû par les deux
Egyptes et, d'une part, n'envoie pas ce qu'il doit à Constantinople avant la fin août, et
d'autre part, ne livre pas ce qu'il doit à Alexandrie avant la fin septembre, il versera 1 sou
par artabe manquante sur ses biens et ses héritiers seront éventuellement responsables.
Le plus significatif dans cette loi tient, une fois de plus, à ce que le blé d'Alexandrie est
placé exactement sur le même plan que celui de la capitale. Noter l'importance que
l'empereur attache à ces deux prestations à travers le taux de l'amende : 1 sou par artabe
manquante, alors que l'artabe vaut 1/10 de sou.
65 G. Rouillard, op. cit., p. 121, n. 2, a recueilli quelques papyrus qui lui semblaient
faire allusion au τρόφιμον d'Alexandrie. Stud. Pal. t. 3, n° 328 : reçu pour du blé fiscal
destiné à une ville dont le nom a presque totalement disparu: 'Υπέρ τροφίμου τής
ρας πόλεως; il faudrait corriger en Άλεξανδ]ρ(εί)ας πόλεως. Stud. Pal. t. 8, n° 1
208 : état de versements de blé (άνάλωμα σίτου), principalement au profit de σιλιγνιαρίου
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 345
(marchands de farine ou plutôt meuniers qui ont la charge de moudre le blé public,
puisque le versement leur est fait λόγφ άννωνικών, pour les annones, sans doute pour celles
des fonctionnaires) ; on y fait mention aussi de blé δοθέντα εις άγορασίαν λόγω τρ[οφίμου
πόλ]εως ...(?) ζητη ... : donné pour l'achat au titre de l'alimentation de la ville (?) zètè . . .
Bien qu'on ne puisse préciser si ζητη appartient ou non à un nom de ville, il est
impossible d'en faire une partie du nom d'Alexandrie. Stud. Pal. t. 8, n° 1 344 : fragment d'un
texte qui a pu être un reçu fiscal ; on y lit la mention από λόγου τροφί(μου) της πόλεως /
θ[εοδωσίου. Ou la seconde ligne commençait avant θ et le nom de la ville est perdu. Ou
cette lettre appartient effectivement au nom de la ville. Dans le premier cas, rien
n'autorise à attribuer le versement à Alexandrie ; dans le second, cette possibilité est totalement
exclue. De ces textes, dont le premier vient du Fayoum, sans doute au VIe siècle, le
second vraisemblablement d'Hermopolis, sans doute au VIIe siècle, et le dernier du
Fayoum, peut-être au VIIe ou au VIIIe siècle, aucun ne provient des deux Egyptes (qui
sont d'ailleurs trop humides pour que les papyrus s'y conservent facilement). Aucun, en
outre, ne peut être attribué à Alexandrie avec certitude. Ils me semblent témoigner plutôt
de l'existence d'un τρόφιμον dans des villes autres qu'Alexandrie, que dans cette dernière
(ci-dessous, p. 436).
66 Cf. n. 64. La différence s'explique sans doute parce que les bateaux n'auront pas à
revenir avant la fermeture de la mer.
346 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
une loi peu utilisée jusqu'à ce jour prouve que la curie d'Alexandrie
avait la charge de répartir le blé gratuit, comme celle d'Oxyrrynchos le
faisait dans sa ville67. Elle se trouve dans le livre 14 du Code Théodo-
sien qui traite très longuement de tout ce qui touche à l'annone, de près
ou de loin, et dans son chapitre 26 De frumento alexandrino, dont le
titre indique sans ambiguïté qu'il s'agit bien de blé destiné à Alexandrie,
et non de blé qui passe par cette ville pour une autre destination.
D'ailleurs la seconde loi de ce chapitre est celle qui traite de l'alimonia
versée à la ville, et rien dans toute la législation ne montre la curie
alexandrine jouer le moindre rôle dans l'annone des capitales68. Nous
sommes donc en présence d'une loi qui porte sur la partie de l'annone
impériale qui a été accordée à la ville d'Alexandrie. C'est exactement ce
que dit le texte de la loi : « Pour ce qui concerne le contrôle du blé qui
est acheminé vers la ville d'Alexandrie, nous confirmons tout ce que
ton eminence (le préfet du prétoire) a établi à propos de l'évaluation
des grains (crithologia) et du pesage, ainsi que pour la protection des
biens des bateliers. Et, pour ôter aux curiales des motifs d'exactions,
nous ordonnons qu'ils n'aient jamais la possibilité de modifier une
aussi sage disposition, mais que les bureaux responsables appliquent eux-
mêmes cette décision après un contrôle de ta prévoyance»69. Tous les
frais de contrôle du blé, de pesage et de transport du τρόφιμον seront
pris en charge par les agents du préfet du prétoire, responsables
ultimes de l'annone de Constantinople, qui n'a jamais utilisé les services
67 Ce texte, parfois cité, n'a pas fait l'objet d'un commentaire approfondi depuis son
édition par J. Godefroy, Codex Theodosianus, t. 4, Leipzig, 1740, p. 299-300 = CTh 14, 26,
1, 412 = CI 11, 28, 1. A. H. M. Jones, The later roman Empire, Oxford, 1964, p. 735, le cite
sans aucun commentaire. Jugement rapide, qui reprend celui de J. Godefroy, par J.-M.
Carrié, op. cit., p. 1 080 : «II apparaît que les fonctions mentionnées dans cette loi de 412
n'ont pas trait à la distribution de blé dans la ville même; il s'agit plutôt de liturgies
exigées de la classe curiale alexandrine pour l'acheminement de l'annone impériale vers
Constantinople ».
68 Sur la loi CTh 14, 26, 2, voir ci-dessus, p. 330. Nous n'avons jamais constaté le
moindre rôle du Sénat dans l'annone de l'une ou l'autre capitale. Ils n'avaient
compétence que pour Varca frumentaria.
69 CTh 14, 26, 1 : In estimatione frumenti quod ad civitatem Alexandrinam convehitur,
quidquid de crithologiae et zygostasii munere et pro nauclerorum tuenda substentia emi-
nentia tua disposuit, roboramus. Adque ut curialibus praedae auferatur occasio, jubemus
eos ad hujusmodi sollicitudinem adfectandam numquam accedere, sed designata officia
tuis provisionis examinata sollicitudinem praedictam implere. Sur le sens de crithologia,
voir H. Cadell, Sur un hapax grec connu par le Code Théodosien, Atti del XVII congresso
internazionale di papirologia, Naples, 1984, p. I 279-1 285.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 347
des curies locales. L'empereur qui donne le blé, craint les abus des
curiales qui doivent réceptionner cette denrée et donner aux bateliers
du Nil le reçu qui leur permettra de se faire payer à leur retour dans
leur port de départ70. Sans doute a-t-on peur qu'ils sous-estiment la
qualité du blé, faussent les balances et établissent des reçus frauduleux
pour recevoir plus que leur dû et réaliser des profits illégaux en
revendant ce surplus.
Procope, qui n'a aucune raison de nous tromper, lorsqu'il nous
montre un pouvoir libéral envers ses sujets, confirme le rôle des
curiales dans les opérations de distribution du blé ou plutôt du pain71. Le
peuple, c'est-à-dire la curie, et surtout les principales, dressait lui-même
la liste des bénéficiaires72, délivrait les tessères73, en demandait de
nouvelles, si le besoin s'en faisait sentir74 et organisait les
distributions75. A partir du VIe siècle au moins, il est certain que l'évêque était
à la tête de tout ce service car, ici comme ailleurs, il dirigeait
l'administration municipale76. La liberté laissée par l'empereur s'explique
aisément car les règles, qui existaient même si nous n'en savons rien, ne
pouvaient être facilement tournées : la population prêtait certainement
une grande attention à la défense de ses droits. Il suffisait à
l'administration ducale d'attendre les éventuelles plaintes de citoyens mal servis
pour vérifier la bonne marche des bureaux municipaux et prendre les
sanctions qui s'imposaient. Comme toujours dans l'Etat byzantin, la
70 Sur le paiement des naviculaires, qui est sans doute proche de celui des bateliers
du Nil, voir ci-dessus, p. 85-90.
71 Procope, on l'a vu {Anecdota, 26, 35-44), reproche à l'empereur d'empiéter sur les
libertés municipales qui profitent aux notables. Il ne peut être soupçonné de partialité
lorsque son récit montre ces libertés en acte. Sur la transformation du blé en pain, voir
ci-dessus, p. 330, n. 22 et ci-dessous, p. 471. L'Edit 13, 4 et 6 dit sans détour que le duc
remet le blé fiscal à la cité. C'est donc qu'elle a la charge de moudre la farine et de
confectionner le pain.
72 Voir ci-dessus, p. 316-317, sur le rôle et la composition du groupe dirigeant dans
les cités. Comme l'évêque est devenu le chef des principales au moins à partir du VIe
siècle, on pourrait s'étonner de ne pas voir mentionner cette fonction de responsable du
τρόφιμον dans la Vie de Jean l'Aumônier, mais l'exemple d'Antioche nous montrera que
la gestion de cette institution est trop monotone et trop banale pour être fréquemment
évoquée.
73 CTh 14, 26, 2, 436.
74 Ibid. Cf. p. 330.
75 Anecdota 26, 42.
76 On en trouve un bon exemple dans la Vie de Jean l'aumônier, riche de détails en
de nombreux domaines de l'activité administrative de l'évêque (op. cit., passim).
348 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
b) Le σιτωνικόν
77 Pour Rome, Antioche, Thessalonique et des villes d'Orient non identifiées qui
touchent du blé égyptien, voir index, s. v. Egypte.
78 Voir ci-dessus, p. 316-317, 335-336, pour les lois générales. Ci-dessus, p. 205-206,
pour le cas particulier de Jean l'Aumônier. Il agit en tant que chef de l'administration
municipale, mais doit tenir compte de l'avis des principales qui ont leur mot à dire pour
l'attribution de crédits supplémentaires. En effet un évêque ne pouvait pas diriger seul
une grande ville.
79 On doit, dans ces conditions utiliser avec précaution les sources qui mettent des
évêques en scène, car il ne faut pas conclure trop rapidement de ce qu'on ne parle guère
que d'eux, en leur attribuant le mérite de tout, à ce qu'ils auraient réellement éliminé les
curies dont de nombreux indices montreraient, si on les analysait avec soin, qu'elles
gardèrent de très larges prérogatives jusqu'au VIIe siècle.
80 Vie de Jean l'aumônier, 11, éd. cit., cf. p. 335-336.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 349
Β - ANTIOCHE
84 Point de vue surtout descriptif dans : G. Downey, The economic crisis at Antioch
under Julian the Apostate, Studies in economic and social history in honour of A. C.
Johnson, Princeton, 1951, p. 311-321; id., A history of Antioch in Syria from Seleucus to the
Arab conquest, Princeton, 1961, passim (récit rapide des divers épisodes sur lesquels nous
reviendrons à la place qu'impose la chronologie) ; P. Petit, Libanius et la vie municipale à
Antioche au IVe siècle après J.-C, Paris, 1955 (Institut français d'archéologie de Beyrouth.
Bibliothèque archéologique et historique, 62), surtout p. 105-122. Ce dernier ouvrage est
de loin le plus complet sur les crises de la seconde moitié du IVe siècle, mais il ne tient
compte ni des textes antérieurs à 354, ni de ceux qui sont postérieurs à cette date. En
outre il postule dès le début de son chapitre sur « Le ravitaillement de la cité » : « II est
vraisemblable que le commerce de détail suffisait à écouler et répartir librement les
produits du terroir. Toutefois, ajoute-t-il aussitôt, il est curieux de ne trouver aucune
mention des gros commerçants, importateurs et grossistes, qui devraient normalement
s'occuper des marchandises venues de la mer ou des provinces voisines» (p. 107). Cet aveu,
de la part d'un excellent historien, auquel aucun détail n'a échappé, et qui croyait à
l'existence d'un grand commerce privé des denrées, est particulièrement important. Mais
son étude se ramène essentiellement à une illustration de son hypothèse de départ plutôt
qu'à une réflexion sur les conditions réelles de l'approvisionnement, quitte à négliger les
détails qui n'entraient pas dans le cadre préétabli ; ils sont cités, car la rigueur du travail
est incontestable, mais sont considérés comme non significatifs.
352 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
85 Jean Malalas, Chronographia, ch. 12, a. 181, éd. G. Dindorf, Bonn, 1831, p. 289-
290 : Έπί δε του αύτου Κομμόδου, κτήτωρ τις καί πολιτευόμενος 'Αντιοχείας τής μεγάλης,
ονόματι Άρταβάνης, αλυτάρχης, μετά το πληρωσαι το στεφάνιον των 'Ολυμπίων έν
Δάφωνη, έφιλοτημήσατο ρίψας έν τη ίερςί Δάφνη τφ δήμω καλαμιών συντομία πολλά
άρτων διαιωναζόντων, καλέσας τους αυτούς άρτους πολιτικούς δια το τη ιδία αύτου πόλει
τούτους χαρίσασθαι, άφορίσας έκ των ιδίων χωρίων πρόσοδον άναλογουμένην εις λόγον
των αυτών άρτων. Texte repris, en des termes très proches, par le Chronicon Paschale, éd.
G. Dindorf, Bonn, 1832, p. 490.
86 J.-M. Carrié, op. cit., p. 1 074-1 075, comparant ce passage avec celui qui relate la
fondation de l'annone de Constantinople, constate une telle ressemblance que le premier
ne serait qu'un doublet du second. Il en conclut que «Malalas a projeté anachronique-
ment l'institution constantinopolitaine sur une fondation évergétique privée de type
classique ». Il est plus vraisemblable de considérer que cet Antiochéen a utilisé, pour décrire
la création de l'annone constantinopolitaine les formules en usage dans sa ville pour
parler de l'annone qui y avait été instituée. Mieux vaut suivre la tradition qui accepte les
informations livrées par ce texte. Sur les fondations évergétiques confiées à des cités, voir
en dernier lieu J. Andreau, Fondations privées et rapports sociaux en Italie romaine (Ier-
IIIe siècle), Ktèma, 2, 1977, p. 157-209.
87 Sur le sens de άρτος πολιτικός, voir ci-dessus, p. 196. Ce terme ne peut se
rapporter à une fondation privée au moins parce que les sommes nécessaires pour instituer des
pains politiques en faveur des citoyens étaient trop considérables pour qu'une seule
personne, aussi riche fût-elle, ait pu les rassembler.
88 Sur les alimenta, voir ci-dessous, p. 452-455.
89 L'absence de sources sur des distributions publiques à Antioche ne constitue pas
une preuve de leur inexistence avant 181. Comme c'est l'empereur qui peut seul procéder
à leur création, le fait qu'il ne soit pas mentionné donne plutôt à penser qu'elles ont
seulement été élargies ou réformées. On peut se demander si ce curiale (πολιτευόμενος) ne
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 353
94 Les annones sont des αιτήσεις, et elles sont versées par le δημόσιον, terme
technique pour désigner le Trésor impérial, aussi bien l'institution que les diverses caisses par
lesquelles il remplissait son rôle.
95 Théophane, Chronographia, a. m. 5824, éd. C. de Boor, Leipzig, 1883 (coll. Teub-
ner), t. 1, p. 29; cf. Saint Jérôme, Chronique, a. 333 (Die Chronik des Hieronymus. Hiero-
nymi chronicon, éd. R. Helm, Berlin, 1956, p. 233).
96 Voir, par exemple, ci-dessous, p. 376-377, à Antioche, et p. 409, à Edesse.
97 Les sources relatives à l'approvisionnement ne fournissent aucune indication sur
la population d'Antioche. Cependant la comparaison de plusieurs nombres concordants,
donnés par Jean Chrysostome qui avait accès aux archives, permettent de considérer que
la ville comptait environ 150 000 habitants dans la seconde moitié du IVe siècle (W. Lie-
beschuetz, Antioch . . ., p. 92). Toutes les autres estimations sont excessives et sans
fondement (P. Petit, op. cit., p. 310-311).
98 La plus petite pièce d'argent était taillée, à cette époque, à 1/96 de la livre. 40
pièces valent presque 40% d'une livre d'argent, laquelle vaut, pour sa part, 5 sous. Le
muid de blé aurait été vendu à 2 sous, ce qui est excessif. Mieux vaut traduire άργύριον
par « pièce de monnaie » et penser à une pièce de billon, dont on ne peut préciser la
nature exacte. Le muid de blé valant entre 1/10 et 1/5 de sou pendant les famines les plus
dures, cette pièce devait valoir entre 1/200 et 1/400 de sou (ci-dessous, p. 367, pour les
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 355
Des descriptions détaillées ont plusieurs fois été données des crises
survenues pendant la seconde moitié du IVe siècle, du moins pour ce
qui concerne leurs implications sociales. Il suffira de relire, à la
lumière des sources législatives, un dossier déjà constitué, pour mettre en
évidence les mécanismes administratifs sous-jacents aux opérations
concrètes dont parlent en particulier des témoins directs, l'empereur
Julien lors de son séjour dans la ville, Libanius, l'une des figures de la
curie locale, ou Jean Chrysostome, lorsqu'il était prêtre de l'église d'An-
tioche. Ainsi pourra-t-on mieux apprécier l'importance du blé public
dans la vie quotidienne des habitants et dans l'équilibre économique de
la ville.
prix de famine à Antioche; J.-P. Callu, Problèmes monétaires du quatrième siècle (311-
395), Antiquitas, Ie Reihe, 29, Bonn, 1978, p. 103-126, pour des indications sur les pièces
qui circulaient à cette époque).
356 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
Une crise mérite d'être traitée à part, parce qu'elle n'a pas pour
cause directe une difficulté frumentaire et parce qu'elle seule pose une
question particulièrement importante, celle des distributions gratuites
de blé, celle du τρόφιμον.
En 387, la levée d'un impôt exceptionnel provoque la protestation
des principales au nom de la cité, et aboutit, bien malgré ces derniers, à
une émeute dont la cause principale semble être l'exaspération
provoquée par la politique brutale du gouverneur Tisamenus". La famine, à
laquelle aucune source ne fait allusion pour cette année, n'est pour rien
dans les événements, contrairement à ce qui se passe lors de toutes les
autres périodes de tension dont nous aurons à parler.
Face à cette sédition, l'empereur Théodose dut proclamer l'état de
siège et imposer une répression très dure contre les meneurs, mais
finalement, il pardonna à la cité: «(La ville souffre puis) la lumière
d'une lettre revient, dissipe l'ombre, et toute la tristesse est chassée;
nous avons retrouvé notre nom, les spectacles, les bains; la ville a
retrouvé sa terre, et le pauvre sa nourriture»100. Comme on l'a fort
justement noté, une cité ne mérite le nom de cité que si elle a une curie101.
Retrouver son nom, c'est mériter à nouveau le titre de citoyen d'une
véritable cité, c'est-à-dire avoir obtenu la levée de l'état de siège et la
restauration des droits de la curie. Les spectacles et les bains, payés
pour une large part par le budget impérial, font aussi partie des
éléments essentiels à la vie urbaine et sont des services municipaux102. Les
terres de la cité sont évidemment celles dont les revenus assurent le
99 Récit des événements par P. Petit, op. cit., p. 238-244. Cet auteur note seulement, à
propos du passage qui va nous retenir : « Libanius décrit complaisamment la liesse
populaire » (p. 244).
100 Libanius, Discours 20, 7 (Libanius, Operae, éd. R. Foerster, 12 t. Leipzig, 1903-
1927 (coll. Teubner), t. 2, p. 424 : Φως ήκεν επιστολής, άπελαΰνον το σκότος και παν μεν
στυγνόν έξεκεχωρήκει, παν δε εις εύφροσύνην άγον είσεληλύτει και προσηγορίαν τε την
πρίν αύθις εϊχομεν καί θεαμάτων είδη και λούσασθαι δή και την αύτης γην ή πόλις και τήν
αύτου τροφήν ό πένης.
101 P. Petit, op. cit., p. 26. Les disparitions ou destructions de cités dont parlent les
sources ne sont souvent que le résultat de la dispersion de la curie ; les maisons n'ont pas
nécessairement été détruites et la population, chassée.
102 YOir ç Mango, Daily life in Byzantium, Akten des XVI. internationalen Byzantinis-
tenkongresses (Vienne, 1981), JOB 31, 1, 1981, p. 337-354.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 357
103 Sur les revenus fonciers d'Antioche, voir, en dernier lieu, J. Gascou, Κλήροι
άποροι (Julien, Misopogôn 370D-371B), Bull, de Vinsi, fr. d'archéo. or., 77, 1977, p. 235-255.
104 Voir ci-dessus, p. 330.
105 Sur les diverses significations du terme « pauvre », voir ci-dessous, p. 540-542.
358 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
épisode, Libanius raconte aussi que «ceux qui s'étaient cachés (pour
fuir la répression impériale), surgirent à la vue des πινάκια»106. Ce
terme désigne des tablettes ou bien les insignes qui permettaient de
reconnaître des magistrats, à la manière de nos modernes badges. Aucun de
ces deux sens ne convient. Mais πινάκιον peut aussi s'appliquer aux tes-
sères, ces certificats qui donnaient droit aux distributions, dans les
capitales et à Alexandrie 107. Dans ce cas, la formule devient claire : les
fuyards sont revenus précipitamment pour retrouver leurs pains
gratuits. La suite du texte inciterait cependant à une certaine méfiance. On
y voit en effet la foule manger entre les colonnes des rues et des places,
au milieu des larmes de joie 108. Ce détail convient mal à une
distribution de pain municipal. Faut-il alors imaginer des réjouissances
organisées par la cité pour fêter le pardon impérial? L'hypothèse n'est guère
admissible car Libanius aurait dit expressément que la curie, dont il
loue toujours les actions, avait payé un tel festin public, et surtout
parce que Antioche ne pouvait organiser pareille distribution pour
l'ensemble des citoyens : elle n'en avait pas les moyens. Il est posssible que
Libanius exagère la liesse populaire quand il imagine la foule en train
de consommer immédiatement le pain qu'on lui a donné. Le
rétablissement des distributions fut sans doute accompagné d'une explosion de
joie déjà indiquée par la précipitation avec laquelle on revient pour en
profiter, mais il est plus vraisemblable de supposer que l'immense
majorité des bénéficiaires est rentrée chez soi pour consommer le pain.
Encore une fois, derrière la rhétorique de l'expression, on retrouve la
réalité d'un τρόφιμον, attestée au IIIe siècle, qui n'a donc pas disparu et
que nous rencontrerons à nouveau dans la suite de l'histoire d'Anti-
oche. Il est distribué par les services de la curie; les bénéficiaires rece-
106 Libanius, Discours, 22, 37, éd. cit., t. 2, p. 490 : έξαληλιμμένων δη τοις γεγραμμέ-
νοις των χαλεπωτέρων στας ούπερ πρότερον, εύφημίαις έστεφανοΰτο παρά πολύ πλειόνων ή
πρότερον, ήδη των καταδεδυκότων άναδύντων θέοντων εις τα πινάκια : Les lettres
(annonçant le pardon impérial) chassent les difficultés; la ville, qui retrouve son aspect
antérieur, reçoit beaucoup plus de louanges que par le passé et déjà les habitants qui s'étaient
cachés surgissent à la vue des πινάκια. (Larmes de joie et explosion de liesse). Μεστή μεν
δαιτυμόνων ή πόλις, αυτών εαυτούς έν μέσφ των κιόνων έστιώντων : La ville est pleine de
gens qui dévorent en s'installant pour manger, au milieu des colonnes.
107 Pour Alexandrie, voir ci-dessus, p. 330.
toe Voir à la n. 106. Les colonnes sont certainement celles des rues et des portiques de
maisons ou d'établissements publics, plutôt que *des temples. Les bénéficiaires ont dû
s'installer à proximité des lieux de distribution. Peut-être les fouilles seront-elles plus
heureuses que dans les autres villes et nous en révèleront-elles un.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 359
vaient des jetons et devaient évidemment être inscrits sur des listes. La
comparaison avec Alexandrie, la taille de la ville dont l'arrière-pays
n'était que partiellement accessible par voie d'eau à une époque où les
transports par route revenaient si cher que le commerce privé ne
pouvait être considérable109, l'impression de liesse générale que rapporte
Libanius, tous ces détails suggèrent qu'à Antioche aussi la générosité
impériale était grande et qu'elle tenait une place essentielle parmi les
raisons qui expliquent la persistance d'une très grande ville sur les
bords de l'Oronte.
On objectera sans doute qu'on ne parle de ces distributions à
l'occasion d'aucune autre crise de la société antiochéenne. Il ne faut pas
oublier que ces crises sont nées d'une disette, alors que les formes
normales d'approvisionnement étaient défaillantes et qu'il fallait leur en
substituer d'autres. Toute l'attention des témoins se concentre donc sur
ces dernières, comme nous allons le voir, ce qui explique leur silence
sur les premières, dont rien ne prouve qu'elles aient disparu entre la
fin du IIIe siècle et celle du IVe siècle, et dont nous verrons plus loin
qu'elles existaient encore au VIe siècle110.
109 Antioche, située à l'ouest de la plaine fertile dont elle était le chef -lieu, se trouvait
à plus de 50 km à vol d'oiseau de ses extrémités. Un chariot de 1 200 livres (400 kg) aurait
coûté 1/2 sou au titre du transport, pour une valeur marchande de 2 sous, non compris
les pertes et les frais de stockage dans la ville (pour les prix des transports, voir ci-
dessous, p. 513). Le prix sur le marché aurait été de l'ordre de 3 sous pour 2 qx, soit 20
muids pour 1 sou. Antioche serait la seule ville où le blé aurait été vendu aussi cher. En
outre un prix de 15 muids pour 1 sou, pratiqué par Julien (ci-dessous, p. 367) serait à
peine supérieur au prix moyen. Enfin la plaine d'Antioche, avec ses quelque 200 km2 est
dans l'impossibilité de nourrir seule 150 000 habitants avec une charge de 7 citadins à
l'ha, à supposer, ce qui ne pouvait pas être, que tout ait été cultivé en céréales et que le
nombre des citadins vivant dans d'autres villes ait été très faible. Il fallait donc avoir
recours au moins à la plaine d'Apamée qui était elle-même insuffisante pour combler le
déficit en grain. Comment imaginer, avec P. Petit, une ville qui aurait eu 500 000
habitants (op. cit., p. 311), nourrie exclusivement par les ânes, les chariots ou les barques des
paysans privés ou de petits bateliers de l'Oronte qui auraient livré au minimum 1 000 000
de qx par an, soit au moins 2 500 qx par jour, soit encore, pour donner une idée 2 500
chariots chargés de 4 qx chacun pour apporter 1 000 qx et 12 bateaux de 2 000 muids
pour les 1 500 restants? Il faut d'ailleurs doubler ou tripler ces nombres puisque routes
et fleuves ne sont pas toujours praticables. Les grands propriétaires qui auraient vendu
de grosses quantités auraient agi comme les paysans. En fait seul l'Etat pouvait organiser
de tels transports avec régularité et avec le minimum de spéculation.
110 Nous avons déjà noté à Alexandrie que les formules relatives aux distributions
gratuites sont particulièrement brèves et vagues, même si elles ne peuvent en aucun cas
être mises en doute. La grande difficulté d'une histoire fondée sur des récits contempo-
360 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
b) La crise de 354
rains des faits tient à ce qu'ils insistent sur ce qui frappait les esprits, l'extraordinaire, et
négligeaient les réalités quotidiennes. En outre nous verrons le rôle des boulangers (ci-
dessous, p. 373). Le blé n'arrivait pas chez les particuliers, mais chez ceux qui le
transformaient en pain. Il ne fait donc pas l'objet d'un commerce privé important. P. Petit
(op. cit., p. 116, n. 2) remarque le fait sans en tirer parti. Et si l'on s'en prend aux
boulangers pendant une famine, et non aux négociants qui devraient être les premiers visés,
c'est que ceux-ci n'existent pas. Enfin, le seul argument avancé pour identifier et localiser
le quartier où se serait négocié le blé repose sur un contresens : Libanius ne dit pas,
comme le pense P. Petit (op. cit., p. 107), que «le blé se négocie (c'est moi qui souligne) dans la
partie Est de la ville» mais qu'on l'amène par là (Libanius, Discours 11, 250; éd. cit. t. 1,
p. 525 : Λέγουσι τοίνυν oi μέν την προς εω μοϊραν οίκοοντες ότι δή το πλείστον των πυρών
δια τής εκείνων άγεται). C'est ce qu'a vu W. Liebeschuetz, Antioch, p. 96, qui conclut que
l'essentiel du blé arrive des plaines de l'Est. N'oublions cependant pas que ce sont les
habitants du quartier qui le disent et que la majorité commence à 50%; 50% du blé
pouvait en fort bien arriver de l'Ouest, d'au-delà des mers.
111 Récit de la crise dans P. Petit, op. cit., p. 107-109 et 235-237. Cet auteur veut
expliquer les crises frumentaires par la présence des soldats. Ammien Marcellin (voir n. 116)
dit pourtant que Gallus partit pour Hiérapolis et non qu'il y partit avec son armée ;
aucune source ne mentionne la présence de nombreux militaires.
112 En fait, comme on constate, lorsque les sources sont plus riches, qu'une disette
s'accompagne d'un afflux de paysans en ville, on doit conclure à une corrélation entre
mauvaise récolte et disette ou famine. Antioche dépend assez largement des régions
voisines, mais peut aussi souffrir durement d'un déficit des livraisons égyptiennes.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 361
113 Sur les idées politiques d'Ammien Marcellin, porte-parole des élites provinciales
contre les abus du pouvoir, E. A. Thompson, The historical work of Ammianus
Marcellinus, Cambridge, 1947, surtout, p. 60-61. Sur celles de Libanius, qui n'aime pas Gallus,
mais recherche souvent un compromis entre les curiales d'Antioche et les empereurs,
voir P. Petit, op. cit., passim.
114 Simple allusion dans le Misopogôn, 42, éd. C. Lacombrade, L'empereur Julien.
Oeuvres complètes, t. 2, 2, Paris, 1964 (coll. Budé), p. 198 : «Je ne veux point vous rappeler ce
que vous avez fait, il y a neuf ans, lorsque vous vous êtes rendus mutuellement la justice :
alors le peuple, à grands cris, a mis le feu aux maisons des notables et massacré le
gouverneur, avant d'expier à son tour une conduite qui, bien que répondant à une juste
colère, avait dépassé toute mesure».
115 La maison d'un πρωτεύων (principalis en latin), Eubulus, fut brûlée (ci-dessous,
n. 116) et le gouverneur massacré (n. 112 et 116). Cela «laisse cependant voir que, dans
une certaine mesure, difficile à apprécier, puisque la foule fut poussée au crime, les
fonctionnaires étaient également responsables, aux yeux de la population, du
ravitaillement» (P. Petit, op. cit., p. 109). En outre «il est bon de noter, dès maintenant, que la curie
est considérée comme maîtresse du ravitaillement» (op. cit., p. 108). Toute la question
posée dans le chapitre de cet ouvrage consacré au «ravitaillement de la cité» consiste
précisément à savoir dans quelle mesure les fonctionnaires intervenaient, et pourquoi la
curie avait la haute main sur l'approvisionnement. Or l'auteur ne peut répondre.
116 Ammien Marcellin, Res Gestae, 14, 7, 2, éd. et trad, par J. Fontaine, Paris, 1968
(coll. Budé), p. 79-80 : «il (Gallus) finit par ordonner la mort, en une seule condamnation,
des chefs du sénat d'Antioche, rendu furieux de ce qu'à un moment où menaçait la
disette, ils lui avaient répondu d'une façon plus rude qu'il n'était convenable, quand il les
pressait, mal à propos, de hâter la baisse des prix. Il auraient péri jusqu'au dernier si le
comte d'Orient, Honorât, ne lui avait résisté avec une fermeté tenace». Id., 14, 7, 5, éd.
cit., p. 80: «Au moment où Gallus s'apprêtait à partir pour Hïérapolis, afin de prendre
362 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
Gallus aurait d'abord été rendu furieux contre les principales d'An-
tioche car ils critiquaient la limitation des prix qu'il voulait imposer, et
aurait, pour cela, décidé de les faire exécuter. Plus tard, la foule
supplia le César de prendre des mesures contre la famine, mais «il ne
suivit pas la conduite habituelle des princes dont le pouvoir largement
étendu peut guérir des difficultés locales»117. Au lieu d'agir, il accusa le
gouverneur de Syrie Théophilus «en répétant plusieurs fois qu'il
dépendait du gouverneur que personne ne manquât de ravitaillement»118. La
population incendia la demeure du principalis Eubulus et tua le
gouverneur119.
Le rôle de la curie est clair. Si elle est «la maîtresse du
ravitaillement», ce n'est pas en tant que regroupement des plus gros
négociants120, mais en tant que gestionnaire de fonds publics. L'incendie de
tions, Libanius aurait présenté un autre argument pour les défendre. La question de la
richesse des curiales, à Antioche comme dans tout l'Empire, est à reprendre. On
constatera que non seulement ce ne sont pas de grands marchands, mais que l'immense majorité
d'entre eux n'avait pas les latifundia qu'on leur attribue parfois. On peut au moins noter
ici que le peuple s'en prend à la boulé, donc à une institution, et non aux riches, à une
classe sociale. Or personne ne peut plus soutenir que boulé et riches forment un seul et
même corps.
121 L'affrontement avait été très violent et le contentieux ne se limitait sans doute pas
à la question de l'approvisionnement : on ne condamne pas à mort pour cela. Ammien
Marcellin nous égare et veut nous présenter Gallus comme un tyran sanguinaire.
364 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
gouverneur n'avait pas besoin de son ordre pour agir122. Qu'on s'en
prenne donc à lui si le pain manque! Le César a pour lui la lettre de la
loi mais non son esprit. En effet, lui présent, c'est de son autorité qu'on
devait attendre des mesures efficaces. Le peuple ne s'y est pas trompé
quand il lui a demandé par deux fois d'agir, mais a fait semblant de le
croire quand il cherchait sur qui passer sa rage de manquer de pain.
Surtout, pour Ammien Marcellin tout au moins, Gallus aurait dû
suivre «la conduite habituelle des princes», qui ont les moyens de
pallier les difficultés d'une disette, en particulier si les ressources locales
sont insuffisantes 123. L'allusion est claire. La curie ne peut agir que sur
le territoire municipal. Le gouverneur peut certes étendre son autorité
à toute la province mais ses limites sont certainement trop étroites
pour nourrir une très grande ville et, en outre, la sécheresse doit
régner dans une assez vaste région. Seul l'empereur, ou le César, a le
droit d'utiliser le blé de provinces plus lointaines, et c'est ce qu'il aurait
dû faire, comme font tous les souverains en de telles circonstances.
Ammien Marcellin reproche donc directement à Gallus d'avoir failli
aux devoirs de sa charge en imposant une solution locale à un
problème trop grave pour qu'on puisse le résoudre sur place. Il aurait dû
appliquer le remède administré neuf ans plus tard par Julien : livrer à
la cité de grosses quantités de blé extérieur. Pour donner raison à
l'historien, il faudrait avoir la certitude que la disette était aussi grave que
celle de 363, ce qui reste à prouver en l'absence de tout indice positif
d'une disette dans les campagnes environnantes.
La crise de 354, à travers ses diverses péripéties, révèle à un
observateur averti le fonctionnement de la σιτωνία et lui seul, mais en
montre les divers aspects : le gouverneur ordonne, sans doute sur
proposition de la cité124, la curie exécute la décision prise en respectant les
122 D'après les lois qui nous ont été conservées (ci-dessus, p. 308-309), le gouverneur
ne peut prendre l'initiative de mesures pour l'alimentation de la cité ; il doit attendre une
initiative de la curie. Ammien Marcellin semble admettre que le gouverneur peut
ordonner de sa propre autorité une συνωνή. Peut-être la foule a-t-elle surtout reproché à ce
fonctionnaire de ne pas l'avoir imposée car il considérait que les ressources étaient trop
faibles pour cela alors que les Antiochéens croyaient à l'existence de stocks.
123 Ammien Marcellin donne, dans une formule parfaitement limpide, la raison pour
laquelle Gallus aurait dû intervenir (cf. n. 116) : Son pouvoir étendu peut réquisitionner
du blé au loin et porter ainsi remède aux difficultés locales. Nous verrons Julien user de
ce droit.
1M Cf. n. 122.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 365
c) La crise de 362-363
Cette crise a souvent été étudiée mais n'a pas, à mon sens, livré
encore tous ses secrets125. Le cadre chronologique est bien connu.
L'empereur Julien, arrivé à Antioche le 18 juillet 362, avait trouvé une
situation difficile, ce dont témoigne l'inquiétude populaire qui s'est
exprimée devant lui, au théâtre. Il n'y avait cependant pas urgence
puisque l'empereur se contente d'avertir la curie en lui demandant
d'agir. Il patiente même trois mois sans protester devant l'inertie de
celle-ci. L'hiver 361-362 avait été sec, la récolte était faible mais il n'y
avait pas lieu de trop s'alarmer car les réserves publiques ou privées
suffiraient vraisemblablement à assurer la soudure, même si les prix
devaient être élevés. Par contre, à l'automne 362, on constate la
persistance de la sécheresse qui compromet définitivement la récolte de 363
et rend inéluctable, sans intervention des pouvoirs publics, une violente
disette, voire une famine, au moins entre la récolte de 363 et celle de
364 126.
125 Voir à la n. 1, pour la bibliographie; tous ceux qui ont étudié le ravitaillement à
Antioche se sont penchés sur cette crise, sauf P. Jonge, op. cit.
126 Misopogôn, 41, éd. cit., p. 196 : «Constatant que la plainte populaire était fondée et
que le marché était bloqué non par pénurie de marchandises mais par l'insatiable avidité
des propriétaires, j'ai procédé à une taxation équitable de chaque denrée et fait publier
un édit. De fait, pour les autres produits, on était largement pourvu : on avait du vin, de
l'huile et tout le reste. Le blé, en revanche, manquait, la récolte étant largement
déficitaire à cause des récentes sécheresses ». G. Downey attribuait à la sécheresse le rôle
déterminant dans l'apparition de la crise (The economic crisis . . ., p. 315). P. Petit a fort
justement remarqué que le passage d'Ammien Marcellin sur lequel s'appuyait son
prédécesseur visait en fait l'automne 362 et non 361 ; il a en outre noté que les passages de Liba-
nius traitant d'une sécheresse sont mal datés (op. cit., p. 111, n. 4). Il a cependant oublié
la phrase parfaitement explicite de Julien, contemporain directement engagé dans cette
crise alimentaire. Antioche connut donc au moins deux années successives de sécheresse.
En face, le texte tardif de Socrate (Histoire ecclésiastique, 3, 17, 2-4, éd. dans PG 67, col.
424) n'a que peu de valeur. Pour lui, la crise alimentaire proviendrait de ce que Julien, en
366 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
provoquant une baisse artificielle des prix, aurait vidé le marché, et de ce que l'armée
aurait absorbé une trop grande quantité de produits. Description de la suite des
événements qui ont provoqué la famine dans P. Petit, op. cit., p. 108-111.
127 Julien a exposé son interprétation de la crise dans le Misopogôn, 41-43, éd. cit.,
p. 195-199.
128 Misopogôn, 41, éd. cit. p. 195 : Πάντα γέμει, πάντα πολλού. Ce slogan paradoxal
devait exciter les manifestants ; il ne faut cependant, pas oublier que c'est un slogan.
129 La meilleure explication que l'on puisse fournir de cette anomalie apparente
réside dans le fait que les oliviers, la vigne et les légumes n'ont pas besoin de pluie au même
moment que le blé. Ils peuvent prospérer alors que celui-ci ne pousse pas. En outre le
manque de blé augmente son prix et réduit la part disponible pour les autres produits;
d'où une diminution de la demande supérieure à celle de l'offre, au moins dans un
premier temps.
130 C'est ainsi que P. Petit, op. cit., explique la promulgation d'un édit général de
maximum alors que tous les produits étaient abondants, sauf le blé. Dans l'alimentation
traditionnelle, c'est le blé qui nourrit; les autres denrées ne font que tromper la faim et
empêcher de mourir.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 367
gisme qui ne lui plaît pas. Enfin on notera que άργύριον désigne non pas l'argent-métal,
mais l'argent-monnaie et plus précisément la pièce de monnaie par excellence, le sou d'or
(πραττόμενος άργύριον ού κατά δέκα μέτρα . . .).
135 Ibid. : « Or, si dix mesures valaient chez vous, cet été, 1 sou d'or, que deviez-vous
nous attendre à les payer à l'heure où, comme le dit le poète béotien, ' II est dur de voir la
disette succéder à la moisson ' ? N'est-il pas vrai qu'à ce prix-là, on n'en aurait eu à peine
cinq ... ?»
136 Avec un revenu inférieur à 20 sous, pour une famille de 5 personnes seulement,
on a 100 muids (6,5 qx) pour 20 sous, soit 1, 3 q par personne et par an, ce qui est
nettement insuffisant.
137 Misopogôn, 41, texte cité à la n. 126. Libanius défend les curiales qui ne sont pas
des négociants (cf. n. 120). On trouve certes des riches dans la curie, et certains doivent
participer à des opérations commerciales mais ils ne trafiquent pas ès-qualités, les
quantités sont trop faibles pour agir sur le marché, même si elles ont une action très
bénéfique pour la fortune du spéculateur, et ces riches sont loin de former toute la curie; cf.
Discours 15, 23, éd. cit., t. 2, p. 128 : (à propos des fautes commises par les curiales
pendant la famine) ήμάρτομεν, όμολογοΰμεν καί γεγόναμεν τής σης βουλήσεως βραδύτεροι.
Οί μεν ήμων άμβλύτερον τους σιτοποιούς έφύλαξαν, οι δε όλως έκαθεύδησαν, οι δέ
έπεθύμησαν αργυρίου πλείονος: Nous avons des torts, nous le reconnaissons, et nous
avons appliqué tes décisions avec retard; les uns ont mal surveillé les boulangers, les
autres ont tout simplement dormi, d'autres ont désiré trop d'argent. L'accusation de
cupidité n'arrive qu'en dernière position et la formule n'est pas claire; rien ne prouve
que ces curiales aient été des spéculateurs, peut-être attendaient-ils des
dédommagements supplémentaires pour exécuter l'ordre impérial, estimant les commissions légales
qu'on leur accordait, insuffisantes vu les circonstances. Cette dernière hypothèse est,
pour moi, la meilleure.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 369
138 P. Petit, op. cit., p. 115, s'étonne que les paysans viennent acheter en ville.
Impossible en effet s'ils «peuvent à peu près subsister grâce a leur production personnelle», et,
s'ils approvisionnent le marché par leurs ventes. Mais la difficulté disparaît s'ils viennent
acheter du blé que la cité a emmagasiné pour faire face aux disettes.
139 Cf. n. 120.
140 Julien reproche aux curiales d'avoir attendu trois mois à partir du moment où il
les a mis en garde (Misopogôn, 41, éd. cit., p. 195-196) et Libanius reconnaît cette
négligence (n. 107). Julien a été alerté par le peuple en juillet. Il a attendu trois mois et a donc
promulgué l'édit de maximum en octobre.
370 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
141 Ammien Marcellin, Res gestae, 22, 14, 1, éd. W. Seyfarth, Leipzig, 1978 (coll. Teub-
ner), t. 1, p. 280. Pour lui c'est cette baisse (vilitas) autoritaire qui vida le marché.
Cependant Libanius lui-même trouve la mesure appropriée (μέτριον). Il ne faut pas oublier
qu'un maximum des prix accompagne normalement une συνωνή. Elle touche, il est vrai
ceux qui ont des réserves, donc les élites dont Ammien Marcellin se veut le porte-parole
(cf. n. 113), mais elle remplit de blé les greniers publics et elle rend les ventes de blé au
marché noir plus difficiles, puisque les céréales, achetées par l'Etat, sont moulues par les
moulins qu'il contrôle et cuites par les boulangers sur lesquels il exerce une surveillance
sévère.
142 Libanius, Ep. 1 379, éd. R. Foerster, t. 11, p. 423 : «Ce que tu as eu le courage de
faire, écrit-il au comte, au sujet du blé est assurément digne de Rome, mais nous
estimons préférable ici de laisser le marché libre». Antioche n'est pas Rome, les mêmes
mesures n'y sont pas applicables, et la curie n'en veut pas. Il ne faut pas oublier que le
comportement de la curie n'est qu'un élément dans le conflit entre l'empereur et elle.
Plutôt que de lui chercher des mobiles spéculatifs, il est préférable de considérer, comme
le lui reproche l'empereur tout au long du Misopogôn, qu'elle veut faire échouer sa
politique par tous les moyens. Libanius suggère la même explication (cf. n. 137).
143 Libanius, Ep. 1 406, éd. cit., t. 11, p. 448 : II faut distinguer entre les commerçants
des diverses denrées, excepté le blé, qui exercent librement leur profession, sauf ceux qui,
éventuellement distribueraient du vin, de la viande ou de l'huile publics, et ceux qui
traitent le blé. Ceux-ci (meuniers et boulangers) sont surveillés de très près (ci-dessous,
p. 373). Les autres ne s'attendaient pas à être contrôlés par les agents du pouvoir (λόγισ-
ται) et n'avaient pas conservé leurs γράμματα (leurs factures pour P. Petit : cette
interprétation est plausible mais non certaine). C'est la preuve que les petits commerçants (κά-
πηλοι) doivent tenir des comptes et avoir un minimum d'archives. C'est aussi l'indice que
les commerçants sont considérés comme les boucs émissaires dont on veut réduire les
marges, pour limiter la hausse des prix, au moment où la vie est la plus chère. Si les
boulangers sont rarement accusés par la foule ou par le pouvoir, c'est qu'on les
surveil ait en permanence et qu'ils n'avaient pas une marge de manœuvre suffisante pour
pouvoir peser par eux-mêmes sur les prix.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 371
144 Misopogôn, 41, éd. cit., p. 196-197 : L'empereur a fait livrer du blé à 15 muids pour
1 sou au lieu de 10. Il ajoute : «N'est-il pas vrai qu'à ce prix-là on n'en aurait eu à peine
cinq, surtout après l'arrivée d'un hiver si rude? En cette circonstance, qu'ont fait vos
riches ? Le blé qu'ils avaient à la campagne, ils l'ont vendu plus cher au marché
clandestin, faisant ainsi supporter à la communauté leurs propres pertes». La dernière phrase
doit être traduite différemment. Λάθρςι άπέδοντο signifie seulement : « ils ont vendu en
cachette» sans qu'il soit nécessaire de suggérer l'existence d'un marché noir organisé à
grande échelle. Έβάρησαν δέ το κοινον τοις ιδίοις άναλώμασι doit être traduit ainsi : « ils
ont imposé à la cité le poids de leurs propres dépenses», c'est-à-dire qu'ils ont acheté le
blé que l'empereur avait livré, au lieu de le faire venir de leurs terres. P. Petit., op. cit.,
p. 114-115, a imaginé une interprétation qui fait la part trop belle aux stocks de blé local
et attribue aux riches curiales des intentions plus noires que celles qu'ils ont eues
réellement : Les riches « revendent une partie (du blé impérial) . . . dans des campagnes plus
éloignées ... Le blé ayant baissé en ville grâce aux importations impériales, les gros stoc-
keurs voyaient fondre leurs bénéfices; ils se rattrapèrent en achetant à bon compte le blé
du gouvernement, et en revendant cher, mais au loin, leur propre blé» (p. 115). Julien ne
s'en prend pas à de gros négociants qui revendraient au loin son blé acheté à Antioche,
mais simplement, si on lit le texte de près, aux riches qui revendent leur blé au prix de 10
muids pour 1 sou, c'est-à-dire au prix de la taxation - ou plus cher, s'ils trouvent des
clients -, et achètent à Antioche ce dont ils ont besoin, à 15 muids : au lieu de faire venir
de leurs terres le blé qu'ils possèdent, ils préfèrent le vendre sur place et «imposer à la
cité le poids de leurs propres dépenses ». La spéculation se borne à revendre sur place ce
qu'on reçoit des fermiers et à acheter en ville ce que l'on veut manger. Ces ventes sont
peu importantes puisque les paysans des alentours se précipitent en ville, preuve qu'ils
manquent de blé sur place et donc que les riches n'en ont vendu que de très petites
quantités. Et même on peut dire que ces ventes n'ont eu aucun effet sur le marché d'Antioche
puisque ce qui a été vendu dans les campagnes directement aux paysans ne manque pas
à la ville, mais est exactement compensé par des achats moins importants des paysans
sur le marché urbain. C'est ce qu'indique la suite du texte : «Aussi bien ce ne sont pas
seulement les citadins, mais surtout les gens accourus également des campagnes qui se
jettent, en achetant du pain, sur la seule denrée qui puisse se trouver ici à bon compte ».
En réalité Julien fait un mauvais procès aux curiales, en les accusant de dérégler la vie
économique alors qu'ils ont seulement tiré un petit profit de leurs revenus en grain.
C'était suffisant pour espérer attiser l'hostilité des humbles qui ne pouvaient se livrer à
cette spéculation. Julien n'a pas réussi puisque toute la population lui est restée hostile,
mais il a trompé nos contemporains qui ont suivi P. Petit (W. Liebeschuetz, Antioch,
p. 127; G. Downey, A history of Antioch, p. 390; H. Schneider, op. cit., p. 64). Julien, en
outre, se berçait d'illusions s'il imaginait que les particuliers n'essaieraient pas de jouer
sur la différence entre le prix taxé (10 muids pour 1 sou) et le prix qu'il pratiquait (15
372 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
muids pour 1 sou). On comprend cependant son amertume lorsqu'il constate que la
faveur faite à la ville ne lui vaut aucune marque de gratitude.
145 Misopogôn, ibid. : Julien fit venir 400 000 muids de Chalcis et Hiérapolis, puis
5 000 muids, 7 000 muids et encore 10 000 muids au moment où il parle, sans qu'on sache
d'où viennent les 22 000 muids supplémentaires. P. Petit, op. cit., p. 114, n. 1, remarque
que l'essentiel de blé vient des villes où l'armée était concentrée à l'époque de Gallus sans
tirer la conclusion qui s'impose : les greniers publics tiennent des comptes particuliers,
mais se prêtent ou se vendent du blé lorsque la situation l'exige. En outre Julien a
«donné » le blé qui lui est dû par l'Egypte, mais qui n'est pas encore arrivé. On peut
comprendre que la livraison sera faite dès que la mer sera ouverte. En effet le discours a été
prononcé en février 363, à un moment où les bateaux n'avaient pas le droit de circuler.
146 Pour une population de 100 000 habitants, à 2 qx (30 muids) par personne et par
an, en moyenne, il fallait 3 000 000 de muids pour l'année. Avec 180 000 muids venus
d'Egypte, on obtient une allocation supplémentaire de 600 000 muids, soit 20% des
besoins annuels et sans doute de quoi tenir au moins 4 mois avec des rations de disette.
Ces estimations hypothétiques donnent une idée du poids des fournitures publiques
exceptionnelles, qui s'ajoutent aux fournitures habituelles et suggèrent une fois de plus
que l'essentiel du blé venait des greniers de l'Etat.
147 Comme il n'est jamais question de commerçants privés et que les livraisons
exceptionnelles sont insuffisantes pour que la ville puisse manger pendant une année, il faut
supposer que les fournitures normales ont été partiellement assurées, malgré l'ampleur
des difficultés. Cependant nos sources ne parlent que de ce qui fait problème, les
suppléments qui combleront plus ou moins bien le déficit enregistré cette année-là.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 373
efficace, et peut-être aussi leur avidité, qui les conduit à profiter des
difficultés148. Est-ce à dire qu'on ne faisait réellement rien?
Certainement pas. Il fallait d'abord assurer les distributions habituelles, dans la
mesure où l'état des stocks les rendait possibles149. Il fallait aussi
vendre les réserves de la cité et le blé accordé par l'empereur. Celui-ci «a
donné du blé à la ville»150, mais ne dit pas avoir assuré lui-même la
vente. Il n'en avait d'ailleurs pas les moyens, faute d'un corps de
fonctionnaires d'Etat capable d'effectuer cette tâche; sur ce point la
situation d'Antioche est semblable à celle de toutes les villes pour lesquelles
nous disposons de sources, et d'abord Alexandrie : c'est la curie qui
gère les denrées qu'elle perçoit ou que l'Etat lui fait verser151. On trouve
de cette action un indice mince mais sûr dans le fait que Libanius
reproche aux curiales un contrôle insuffisant des boulangers152. S'il
s'agissait uniquement des prix, le rhéteur aurait parlé de tous les
détaillants comme il le fait par ailleurs153. Si, au contraire, les boulangers
reçoivent leur blé de la curie, leur faute n'est pas tant d'avoir affiché
des prix trop élevés, ce qu'ils pouvaient difficilement faire sans s'attirer
immédiatement les foudres des consommateurs, puisque les prix
étaient bloqués, c'est d'avoir vendu au marché noir une partie du pain
fabriqué. Le contrôle a dû porter sur le rapport entre les quantités de
farine livrées et les quantités de pain présentées sur les étals. On sait
d'autre part que les curiales sont soumis à la σιτηγία, au transport du
blé public, par les bateaux σιτηγοί, comme on le voit à travers un petit
dossier154. Cette charge profite évidemment surtout à l'empereur, à l'ar-
mée et aux capitales, les plus gros consommateurs de blé fiscal, mais
aussi à la ville lorsque l'empereur lui accorde une allocation de blé
égyptien. La curie fournit donc les responsables de l'acheminement
vers Antioche du blé donné par le souverain. Pour le reste, que pouvait-
elle faire? L'empereur se chargeait de compléter l'approvisionnement;
il était donc inutile que le σιτωνικόν procédât à des achats importants.
L'empereur avait imposé un maximum des prix; il suffisait de
l'appliquer.
La crise de 362-363 illustre donc une situation assez particulière,
celle d'une grande ville de province, devenue résidence impériale, où la
curie perd l'initiative en matière de ravitaillement au profit du
souverain, sans pour autant perdre son rôle d'exécutant. Nous avons ici le
cas d'une mésentente constante entre l'empereur et les autorités
locales, ces dernières effectuant, à n'en pas douter, les missions qui sont les
leurs, mais avec la plus grande mauvaise volonté, ce qui compromet en
permanence l'efficacité des mesures décidées. Aussi le fonctionnement
normal de la σιτωνία antiochéenne est-il peu visible dans les sources
dont nous disposons. Par contre on voit très nettement quelles
conditions provoquent une disette ou une famine. Une mauvaise récolte fait
tripler les prix, au moins à partir de l'hiver suivant la moisson.
Cependant les stocks disponibles doivent normalement éviter la famine. Par
contre, si la récolte suivante est aussi mauvaise que la première, il est
impossible à la ville de survivre par ses propres moyens. Les συνωναί et
le blocage des prix permettent d'accroître un peu les stocks et de
répartir la pénurie, non d'assurer un ravitaillement suffisant. Il faut alors
soit que le σιτωνικόν procède à des achats sur le marché libre dans les
régions épargnées, soit que l'empereur accorde, sur les greniers
impériaux, de quoi attendre la prochaine moisson. A aucun moment on
n'entend parler de négociants qui combleraient le déficit, et cela malgré les
profits considérables qu'ils pouvaient attendre et qui, apparemment,
auraient dû susciter des vocations parmi les marchands. En effet,
quand le prix triple, la cargaison d'un bateau de 20 000 muids, rempli
avec du blé à 30 muids le sou, vaut 666 sous au départ, mais, vendue 10
muids le sou, elle rapporte 2 000 sous à l'arrivée, soit un bénéfice net
d'environ 1 000 sous, une fois payés tous les frais, pour un seul voyage
plique au transport de blé pour Antioche et pour la capitale, et que cette charge
correspond exactement à ce que nous avons dit du rôle des curiales en tant que naviculaires-
possessores (ci-dessus, p. 80-85).
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 375
162 Sur le danger de se fier aux indications fragmentaires des sources, et de croire
qu'une réalité apparaît au moment de sa première mention dans les sources, ci-dessus,
n. 157).
163 Pour la description des faits, voir P. Petit, op. cit., p. 120-121.
164 L'histoire sociale des IVe- VIIe siècles est encore à écrire, pour l'essentiel, car on a
trop insisté sur la différence entre potentes et humiliores, qui ne constituent que très
rarement des groupes homogènes. Ces classifications juridiques ne recoupent pas toujours les
réalités de la vie sociale. On en a ici un exemple. César avait bien joué le peuple contre la
noblesse !
378 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
165 Sur les implications sociales de l'approvisionnement public des villes, voir les
matériaux rassemblés, pour la ville de Rome, par H. P. Kohns, Versorgungskrisen und
Hungerrevolten im spätantiken Rom, Bonn, 1961. L'enquête devrait être élargie à tout
l'Empire, et la nature des crises devrait être exactement précisée, pour qu'on puisse en
tirer des conclusions.
166 Libanius, Discours 54, 40, éd. R. Foerster, t. 4, p. 88.
167 Libanius Discours 4, 35, t. 1, p. 298.
168 Ibid. : il est fou parce qu'il bouleverse ce que des gens de bon sens - évidemment
les amis de l'auteur! - ont établi.
169 P. Petit, op. cit., p. 121.
170 Libanius, Discours 1, 285, éd. R. Foerster, p. 206.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 379
171 Chronicon Paschale, a. 444, éd. G. Dindorf, Bonn, 1832, p. 585 : L'impératrice se
rend à Jérusalem φιλοτιμησαμένη τη των Άντιοχέων πόλει τής Συρίας χρήματα λόγω
σιτωνικοΰ. Le don est évidemment fait es qualités d'impératrice, sur des fonds publics,
qu'elle est chargée de remettre en accord avec l'empereur et ses services.
172 NJ 7, 8, Cf. ci-dessus, p. 329, n. 20.
173 Evagre, Histoire ecclésiastique, 6, 8, éd. J. Bidez et L. Parmentier, Londres, 1898,
p. 227 : και πλήθος δέ άστάθμητον ήλω, και ώς είκαζον εναοι τφ άρτω τεκμαιρόμενοι, άμφί
τας έξήκοντα χιλιάδας παρανάλωσεν ό πόνος ούτος. Trad. A.-J. Festugière, dans Byz. t. 45,
1975, p. 453.
380 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
174 Cf. ci-dessus, n. 97 et 109, pour la critique de nombres trop élevés. Le seul indice
utilisable, en l'absence de toute indication sur le nombre des bénéficiaires du blé gratuit,
du nombre des habitants ou des quantités totales livrées à la ville, tient au fait - bien
fragile - que, à l'occasion d'une crise frumentaire grave, on a pu donner aux deux villes
des quantités équivalentes de blé (ci-dessus, p. 336, n. 40).
175 Libanius, Discours, 11, 173-174, 251-252; 254-255.
382 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
A - Cartahage
1) La loi de Constantin
176 CTh 14, 25, 1 (O. Seeck, Regesten des Kaiser und Päpste für die Jahre 311 bis 476,
Vorarbeit zu einer Prosopographie des christlichen Kaiserzeit, Stuttgart, 1919, p. 167,
propose l'année 318) : Si quis corpora aeneo frumento obnoxia distraxerit, ab omni interpella-
tione liber sit, quamvis alia corpora possèdent sive coemerit libera ab aenei frumenti
inquietudine. Comparatores enim rerum obnoxiarum teneri oportet pro modo ejus rei,
quam adepti sunt, etiamsi extra liberalitatem rem fuerint consecuti. Sed quia plerique ex
magistratibus aenei frumenti pensitationi obnoxii vel ipsi sibi, dum administrant, alios
subrogarunt vel redempti pro aliis alios creaverunt, rescissis subrogationibus ad ejusdem
aenei frumenti pensitationem teneantur. Illos enim solos ex subrogatis perseverare oportet,
quos constiterit idoneos esse facultatibus et minus idoneorum loco non a redemptis
magistratibus subrogatos.
177 C. Lepelley, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. 2, Notices d'histoire
municipale, Paris, 1981, p. 30, n. 68.
178 D 50, 4, 18, § 25 : Praeterea habent quaedam civitates praerogativam, ut hi, qui in
territorio earum possident, certum quid frumenti pro mensura agri per singulos annos prae-
beant. Cf. ci-dessus, p. 291, η. 7.
384 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
179 Ch. Saumagne, Un tarif fiscal au quatrième siècle de notre ère, Karthago 1, 1950,
p. 160. Argument repris par A. H. M. Jones, The later roman Empire, Oxford, 1964, p. 234,
n. 53, et J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l'empire romain
tardif, MEFR 87, 1975, p. 1082-1083. Ch. Saumagne faisait valoir aussi, pour essayer de
prouver que cette loi concerne l'annone de Rome, que le vocabulaire et le formulaire sont
ceux des lois relatives à cette annone. C'est oublier que l'argument peut se renverser et
que, si on prouve, comme j'espère le faire, l'existence de distributions publiques de blé à
Carthage, le fait que le vocabulaire et le formulaire la concernant sont identiques à ceux
de l'annone de Rome, confirmera que les distributions gratuites dans les cités sont de
même nature que l'annone romaine.
180 Cf. ci-dessus, p. 329 et 343.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 385
181 Cette hypothèse a été présentée pour la première fois par J. Godefroy, Codex
Theodosianus, t. 5, p. 298, adoptée ou rejetée par les commentateurs postérieurs dont
aucun n'a proposé une autre explication de la formule principale de cette loi. Pour le
titulus aeneus ou la tabula aenea, voir CTh, 14, 17, 5. Voir aussi, ci-dessus, p. 152.
182 Voir, en particulier, NJ 7, 8, cf. ci-dessus, p. 329 et 356-358.
183 Sur l'emploi de aeneatus pour désigner un bénéficiaire de l'annone gratuite de
Rome, voir J.-M. Carrie, op. cit., p. 1004.
386 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
moyens de payer une telle générosité184. Plus qu'une partie des revenus
municipaux, c'est une part de l'impôt d'Etat, peut-être, comme pour
Alexandrie, une partie de l'annone de la capitale qui est détournée de
son but par l'empereur.
184 Cf. ci-dessus, p. 343 et n. 58, sur l'impossibilité, pour une cité, de payer son blé
gratuit sur sou budget propre.
185 Ammien Marcellin, Res gestae, 28, 1, 17-23, éd. W. Seyfarth (coll. Teubner), t. 2,
1978, p. 63-64 : Carthaginiensibus victus inopia jam lassatis ex horreis romano populo desti-
natis frumentum dédit pauîoque postea, cum provenisset segetum copia, integre sine ulla
restituii mora. Verum quoniam dénis modiis singulis solidis indigentibus (ceux qui
manquent de blé, pas les indigents permanents) venundatis emerat ipse tricenos, interpréta
compendium ad principis aerarium misit. CIL 6, 1 736 : L'ancien gouverneur d'Afrique
Proconsulaire eut droit à l'érection de deux statues dorées, l'une à Carthage, l'autre à
Rome, pour les services qu'il avait rendus à la province, en particulier ob depulsam ab
eadem provincia famis et inopiae vastitatem consiliis et provisionibus, pour avoir écarté de
cette province la faim et les ravages de la disette par ses décisions et ses
approvisionnements. Les consilia sont évidemment les décisions concernant la fixation autoritaire des
prix, le contrôle des boulangers . . . que nous avons vu prises à Antioche et auxquelles il
est fait ici une allusion irréfutable, mais trop discrète.
186 Noter que le blé a été remplacé paulo postea, peu après, donc que la récolte
suivante a été abondante.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 387
Β - Thessalonique
1) De 586 à 618
201 P. Lemerle a édité deux recueils de miracles. L'un est l'œuvre de l'évêque Jean,
prélat de Thessalonique entre une date postérieure à 608 et une date proche de 620 (P.
Lemerle, op. cit., t. 2, p. 80 et 110); l'autre, d'un auteur anonyme écrivant vers 684-685.
Jean rapporte des miracles que l'on peut attribuer à l'épiscopat de son prédécesseur
Eusèbe (vers 586-vers 608) ou au tout début de son propre épiscopat. L'Anonyme raconte
d'une part des miracles survenus sous l'épiscopat de Jean (en 614-615, et vers 618),
d'autre part des miracles postérieurs d'environ soixante ans, en 676-678 et 682-684 (?).
L'historien de Thessalonique est tout naturellement conduit à distinguer fortement le recueil de
Jean et les « récits johanniques du recueil anonyme » (P. Lemerle), des miracles
contemporains de l'Anonyme.
202 Miracles 1,3, 8, 13-15. Commentaire, t. 2, p. 46-69.
203 Miracle 1, 3, § 32 : Dieu frappe d'abord les fruits de la terre (τοις έκ γής καρποΐς)
et les troupeaux (τοις κτήνέσιν), puis les enfants, car les Thessaloniciens ne lui
obéissaient pas, et, enfin, envoya la peste (τον του λοιμού καυτήμα). On peut interpréter
simplement ces faits, en se dispensant d'y voir des prodiges : une mauvaise récolte détruisit
les récoltes et décima les troupeaux. La population affaiblie fut victime d'un retour de
peste et les enfants, non immunisés lors de l'épidémie précédente, furent les premières
victimes. Les faits sont antérieurs au siège des 22-29 septembre 586 (§ 136). Ils se
rapportent à la récolte du printemps 586 dont les conséquences désastreuses proviennent peut-
être en partie de ce qu'elle succède à une mauvaise récolte en 585.
204 § 36-38 : On observe des tumeurs à l'aine, donc une peste bubonique, des hémopti-
sies, donc peut-être une peste pulmonaire, et des délires. Il ne fait ici aucun doute qu'on
se trouve en présence d'une épidémie de peste.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 391
205 On constate que la peste frappa plusieurs fois entre 542 et le début du VIIe siècle,
partout où les sources sont assez nombreuses. Voir J. Biraben, Les hommes et la peste
dans les pays européens, t. 1, La peste dans l'histoire, Paris, 1975, p. 25-48; P. Allen, The
« justinianic » plague, Byz, t. 49, 1979, p. 5-20. Ces travaux ne reposent pas sur un
dépouillement exhaustif des sources. Enquête complète, dans une région particulière (mais qui
ne distingue pas suffisamment les épidémies de peste, les épidémies qui peuvent être de
peste, et les autres) : L. Ruggini, Economia e società nell'« Italia annonaria». Rapporti fra
agricoltura e commercio dal IV al VI secolo D. C, Milan, 1961, p. 478-487. Seule une étude
critique de tous les documents permettrait de poser correctement la question essentielle
de la place tenue par cette maladie dans l'affaiblissement de l'Empire à la fin du VIe
siècle. Il faudra sans doute distinguer entre les grands ports, le long des routes maritimes
fréquentées, et les campagnes reculées, sans doute moins contaminées. Les sources
parlent des grandes villes, mais ce sont les campagnes qui assuraient l'essentiel de la
production économique.
206 Miracle 1, 14, § 137.
207 Miracle 1, 13, § 127.
208 Miracle 1, 8, § 69 : Aucun de ceux qui font du commerce par bateau (μηδένα των
έν πλοίοις εμπορευομένων). L'auteur ne parle pas des seuls bateaux effectuant des
transports publics, car il existait dans ce port, comme dans tous les autres, des commerçants
privés, mais nous verrons que les premiers jouent le rôle principal dans
l'approvisionnement en blé.
209 Miracle 1, 13, § 127 : II suffit de voir l'intérêt porté aux bateaux qui arrivent enfin
pour se persuader que leur rôle est déterminant.
392 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
ne, à ce point du récit, tout au moins210. Il ne fait aucun doute que les
bateaux qui vont vers la capitale en convoi important, qui portent
exclusivement du blé, en grande quantité, nous dit-on211, et dont les
capitaines sont des naviculaires212, sont des bateaux de l'annone partis
d'Egypte et faisant escale dans l'île de Chio, sur le trajet habituel entre
la vallée du Nil et Constantinople, en automne, c'est-à-dire au moment
où il est normal qu'ils se trouvent là, à l'occasion du dernier trajet de
l'année213. Saint Démétrius apparaît à l'un des capitaines qui, frappé de
stupeur, obéit quand il lui ordonne de se rendre aussitôt à Thessaloni-
que en entraînant à sa suite le maximum de bateaux possible214. La
remarque du capitaine, objectant non pas qu'il ne peut disposer du blé
de la capitale, mais que, la ville ayant été prise, on n'a plus aucune
raison de s'y rendre, donne à penser que le blé était destiné, dès l'origine,
à Thessalonique et non à la capitale et qu'il attendait de savoir à qui il
serait envoyé. Le saint se contenterait de lui faire reprendre la bonne
route.
Les bateaux arrivent dans la ville et la sauvent. Jean parle
maintenant de tous les bateaux qui, chargés de produits annonaires ou autres,
arrivent dès qu'ils apprennent que la ville est délivrée215. Il ajoute enfin
un détail qui, à le lire, paraît sans importance puisqu'il est relégué à la
fin du récit : « (les bateaux) devancent le retour de la délégation envoyée
par la ville auprès de l'empereur pour lui faire part des malheurs nés
de la famine»216. Les envoyés de la ville sont évidemment ceux de la
curie et ce qu'ils vont demander ne peut être autre chose qu'une alloca-
Les faits sont si proches que l'auteur ne peut pousser trop avant
l'interprétation hagiographique. L'intervention de saint Démétrius est
si secrète qu'il n'est pas sûr de pouvoir en convaincre le lecteur222.
Le saint aurait montré sa sollicitude au cours d'une «famine»
générale qui frappa apparemment au moins tout le bassin oriental de la
Méditerranée, puisque, au dire de notre auteur, elle fit sentir ses effets
presque partout, c'est-à-dire au moins sur presque toute la côte
orientale de la Grèce et à Constantinople223. Comme le ravitaillement de la
capitale venait d'Egypte pour l'essentiel, il ne fait guère de doute que
cette province aussi était touchée. Les faits se passent
vraisemblablement peu avant ou peu après 610224, et la situation devait être particu-
car, si Jean se la permet, c'est parce que, habituellement, ces réserves existent. La ville,
qui ne doit pas être très peuplée, vit pout une part non négligeable des productions
locales. Sur l'importance de la vigne, Miracle 1, 13, § 127.
220 Ibid. : Le blé manque parce que l'hiver précédent a été trop sec, mais les barbares
peuvent se gaver des fruits et des légumes d'automne, bénéficiant d'une irrigation ou de
pluies de printemps et d'automne.
221 Cf. n. 219. C'est encore une erreur que de prétendre que le blé était resté hors de
la ville si longtemps après la moisson, au moins parce que la population affamée avait
fait venir du grain pour se nourrir après une soudure particulièrement difficile.
222 Les faits sont rapportés dans le Miracle 1, 9. L'auteur ne cache pas son embarras :
le miracle est indubitable (pour lui) parce qu'un prodige a eu lieu, mais comment
l'attribuer avec certitude à Démétrius, car aucun marchand (έμποροι) n'a reconnu avoir eu une
apparition du saint?
223 § 73.
224 Jean écrivit son recueil vraisemblablement au début du règne d'Héraclius, peu
après 610 (P. Lemerle, op. cit., t. 2, p. 44), et insiste, au début de ce miracle, sur la
proximité des faits (tout le monde est au courant ; les faits sont récents, § 73).
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 395
lièrement grave puisque non seulement le blé, mais aussi les autres
denrées, manquaient, ce qui nous vaut une définition de la famine qui
ne recoupe pas exactement la distinction actuelle entre disette et
famine225.
Le miracle commence par une invraisemblance. A l'approche de
l'hiver, le saint fit parvenir à Thessalonique des bateaux pleins à ras
bords de toutes sortes de denrées fraîches et sèches226. Comment l'au-
rait-il fait puisque toute la Méditerranée orientale manquait de tout?
Pour que le saint ait pu intervenir, il faut supposer que le Seigneur fit
tomber des pluies bienfaisantes vers la fin de l'été, permettant la
production de légumes hâtifs. On ne peut cependant tirer de ce fait,
surprenant et narré en quelques phrases fort vagues, la conclusion que des
commerçants privés fournissaient le marché de Thessalonique. En effet
le seul épisode raconté avec force détails et précisions se rapporte une
fois encore au blé annonaire et à lui seul.
Le comte d'Abydos, que nous connaissons déjà227, envoya un de ses
fonctionnaires dans l'île de Chio228, pour hâter l'arrivée des bateaux qui
faisaient voile vers la capitale. Ce sont évidemment des bateaux anno-
naires puisqu'ils sont regroupés en un convoi, qu'ils suivent tous le
même itinéraire et qu'on peut leur donner des ordres. La mission de ce
fonctionnaire se comprend facilement en cas de disette : on essaie
d'emmagasiner le maximum de blé le plus vite possible, alors que la
collecte auprès des contribuables, privés d'une partie de leurs ressour-
225 Cf. n. 219. Ici la distinction entre le blé et les autres denrées est explicite : les
spécialistes (oi έχέφρονες) considèrent que la situation est grave quand on manque de blé,
mais qu'on peut survivre avec les autres productions agricoles, et que la famine survient
seulement quand on n'a ni l'un ni les autres. Le manque de blé conduit à ce que nous
appelons une disette, et l'absence de tout, à la famine; mais, au début du VIIe siècle, on
n'a pas l'idée que la situation puisse être grave tant que le blé ne manque pas. C'est là
une indication importante pour une histoire de l'alimentation, qui confirme, par un
témoignage explicite, tout ce que nous avons pu conclure à partir de preuves indirectes.
Il faut en outre noter que, si les productions autres que céréalières jouent un grand rôle,
c'est que la ville n'est pas très grande, car ces denrées se transportent difficilement et ne
peuvent venir que du « contado ».
226 § 74: Comme pour le miracle 1, 8 (cf. ci-dessus, n. 210), il faut dissimuler que
l'appoint essentiel fut fourni par du blé annonaire. On confond donc les gros porteurs
venus d'Egypte et les barques de la région, en les qualifiant tous de όλκάδες (gros
bateaux de transport).
227 Voir ci-dessus, p. 243.
228 Άνήρ πιστός : un homme pieux (§ 76). Πιστός est un titre attribué aux
fonctionnaires de rang inférieur (en latin, dévolus).
396 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
233 Cela conduit à supposer que le préfet de l'annone d'Egypte a disparu ou qu'il
partage la responsabilité du transport avec le comte d'Abydos, dans des conditions qui
nous échappent.
234 Cette multiplicité de personnes qui peuvent porter le titre d'éparque (le préfet du
prétoire d'Illyricum, le gouverneur de Macédoine, un éventuel préfet de la ville de
Thessalonique) explique peut-être aussi le pluriel οι ύ'παρχοι (voir aussi n. 231).
235 Les Miracles 1, 8 et 1, 9 font diverger la route des bateaux à Thessalonique à
partir de Chio. L'île représentait donc un point de passage pour l'annone, peu avant l'arrivée
à Ténédos.
236 Nous ne savons rien de l'annone gratuite à Thessalonique, mais ce que nous
dirons plus loin de cette institution dans d'autres villes impose au moins de poser la
question (ci-dessous, p. 269-274).
398 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
Le chagan des Avars, aidé par les Sklavènes et les Bulgares, avait
attaqué à nouveau la Macédoine, mettant le siège devant Thessalonique
qui avait dû accueillir une masse de fuyards, accourus de tout le nord
des Balkans237. La ville, qui ne s'attendait pas à l'attaque, souffre vite
de la faim, d'autant plus qu'elle est totalement investie et que son port
est sous la menace des traits barbares238. Elle reçoit alors chaque jour
«des bateaux céréaliers qui portent aussi d'autres produits»239. Les
naviculaires qui les commandent déclarent être guidés par un καγκελ-
λάριος inconnu qui, en outre, faisait souffler pour eux des vents
favorables240.
L'emploi du terme ναύκληρος ne suffit pas à établir que le blé est
d'origine publique. Cependant on voit mal pourquoi l'arrivée de navires
marchands venant tenter leur chance auprès d'une population affamée
serait miraculeuse. Au contraire, le passage de bateaux publics portant
du blé gratuit ou à faible prix, malgré les difficultés d'un siège dont
leur cahier des charges ne prévoit pas qu'ils aient à affronter les
rigueurs241, tient du prodige; on ne s'attendait pas à un secours aussi
rapide. En outre, les naviculaires ne disent pas être venus d'eux-mêmes,
mais avoir été guidés par un fonctionnaire, ce qui serait bien étrange,
s'agissant de commerçants privés, mais qui va très bien à des
transporteurs au service de l'Etat. Enfin, les bateaux spécialisés dans un seul
produit, surtout quand il s'agit de blé, rappellent plus les bateaux anno-
naires que ceux de négociants. Pour moi, c'est du blé public qui a été
237 Les faits sont rapportés dans le Miracle 2, 2. Il faut le dater de 617 ou 619 (P. Le-
merle, op. cit., t. 2, p. 99-103) mais plutôt de 617 car le blé semble avoir manqué après
l'invasion perse en Egypte. Il n'est pas impossible en outre que les Avars aient profité des
difficultés en Asie pour attaquer Thessalonique. Sur les fuyards qui augmentent le
nombre des bouches à nourrir, § 197. Cf. aussi ci-dessous, n. 242.
238 § 209 : Les bateaux qui entrent dans le port ou en sortent, le font de nuit, preuve
que les barbares peuvent les toucher de jour.
239 § 209 : σιτοφόρους όλκάδας μετά και ετέρων διαφόρων είδων πλείστος. Une fois
encore, la formule ne doit pas tromper. Ce sont des bateaux de blé auxquels on a ajouté
d'autres denrées en petite quantité (cf. ci-dessus, n. 211 et 215).
240 Ibid. : Les transporteurs sont dénommés ναύκληροι., naviculaires. Le άγνωστος
καγκελλάριος est le «secrétaire général» d'un haut fonctionnaire, que l'on dit inconnu
pour ne pas dévoiler la procédure administrative grâce à laquelle les transports ont été
organisés. Comme toujours, l'hagiographe dissimule la réalité des faits, mais si mal que
celle-ci transparaît derrière son léger voile.
241 § 210 : L'empereur lui-même ignorait l'attaque.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 399
242 Le récit est plus vague que celui des Miracles 1, 8 et 1, 9. En particulier on ne sait
d'où viennent les bateaux céréaliers, sans doute parce qu'ils ont plusieurs origines. C'est
un indice que l'annone d'Egypte est interrompue, donc que l'on est sans doute en 619,
l'année de l'attaque perse contre la vallée du Nil. Même imprécision sur l'origine du blé
dans le miracle suivant, à la fin du siècle, alors que l'annone a été définitivement
arrêtée.
243 Les faits sont rapportés dans le Miracle 2, 4. Commentaire qui précise le contexte
politique du siège, dans P. Lemerle, op. cit., t. 2, p. 111-136.
244 §231.
245 § 244 : δντος έν τοις ένθάδε δημοσίοις ώρείοις σίτου ούκ όλιγοστοΰ : alors que les
greniers de la ville contenaient une bonne quantité de blé (avant le siège).
246 § 245 : A cause du siège la mer fut fermée, l'agriculture cessa et on en vint à
manger de l'âne ou du cheval.
400 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
247 § 244 : on ne manquait pas de blé car l'empereur avait ordonné de constituer des
réserves quand oi της διοικήσεως xfjç πόλεως τότε λαχόντες κατά επτά μοδίων τοΰ
νομίσματος έπί των ξένων πλοίων κατέπρασαν, καίτοι της κινήσεως των βαρβάρων καταδήλου
αύτοις γεγενημένης. Τη προ μιας γαρ του τα κούρσα γενέσθαι τη εσπέρα διέγνων τα
τοιαύτα πλοία σιτοφόρα άποπέμψαι έκ του ένταΰθα λιμένος, μηδέπω έκφορίου έκ των ενταύθα
γενομένου : Ceux qui avaient reçu l'administration de la ville vendirent (le blé) à raison de
sept muids pour un sou, quoique les mouvements des barbares leur fussent connus. C'est
en effet la veille du jour où les raids commencèrent qu'ils décidèrent de faire appareiller
les bateaux céréaliers, alors qu'on n'avait encore jamais exporté de blé de cette ville.
J. Teall, The grain supply of the byzantine empire, DOP, 13, 1959, p. 121, comprend ainsi
la dernière phrase : « ils emportèrent le grain si vite qu'ils ne s'arrêtèrent pas pour payer
les taxes». Έκφόριον ne désigne pas une taxe sur la circulation mais des taxes diverses
(par exemple, P. Cairo-Masp. 67 021). En outre, on voit mal l'intérêt d'un tel détail. Enfin
le paiement des taxes s'effectuait à terre, avant l'embarquement et ne prenait que peu de
temps. Il faut comprendre, comme l'a senti P. Lemerle (op. cit., t. 2, p. 1 19), que cette
exportation est tout à fait exceptionnelle : on n'avait jamais vu cela ! Le brillant éditeur du
texte voit cependant une objection insurmontable dans le fait que, si on traduit ainsi, on
ne peut expliquer la présence de bateaux «étrangers» dans le port. En fait, la capitale est
assiégée et manque vraisemblablement de nourriture. On a dû envoyer des bateaux en
quête de denrées, comme nous allons voir qu'on l'a fait pour Thessalonique. Ils sont
arrivés dans cette ville où on leur a proposé ce qu'on considérait sans doute comme le
surplus des greniers publics - et qui aurait sans doute été de trop pour attendre la moisson
suivante, si le siège avait été bref - au prix extrêmement élevé de 7 muids pour 1 sou, le
quadruple du prix moyen en année normale, le double du prix pratiqué par Julien
pendant une famine, 50% de plus que le prix de famine à Antioche et à Carthage (ci-dessous,
p. 497-502). Ce ne sont pas des marchands privés qui achètent à des prix pareils, et ce ne
sont pas des particuliers qui ont effectué la vente. En réalité, les autorités ont vendu, à
des bateaux envoyés par l'administration de la capitale, du blé public dans des conditions
qui provoquèrent la colère de la population : Thessalonique ne vendait jamais de blé
parce que la ville était importatrice nette et structurelle de céréales et, la seule fois où on a
vendu, ce fut au seuil d'un siège particulièrement difficile, et en pleine connaissance de
cause. D'où l'indignation du narrateur et l'insinuation que cette opération a été effectuée
pour le profit de ceux qui l'ont organisée.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 401
248 Ce verbe, qui ne me semble pas être employé pour désigner la fonction de curiale
dans les autres sources, évoque la domination ou la conquête sur quelqu'un plutôt que
l'autorité d'un conseil élu sur un corps civique.
249 En outre, l'Anonyme était lié au groupe dirigeant, quel qu'il ait été. On le voit mal
critiquer si ouvertement ses proches.
250 Miracle 1, 13, § 121 : saint Démétrius a tué le premier assaillant qui ait escaladé
les murs de la ville, lors d'un siège, car, malgré l'enquête des autorités, on n'a jamais
retrouvé l'auteur de cet exploit. Une telle enquête peut difficilement être l'œuvre de la
curie. Elle relève plutôt de l'autorité militaire.
251 Voir P. Lemerle, op. cit., t. 1, index, 5. v.
252 Ibid.
253 En particulier lorsqu'il s'agit d'approvisionnement.
254 C'est le sens de ξένος (peregrinus en latin).
255 Cf. n. 247.
256 Voir ci-dessus, p. 386-389.
402 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
son texte, ne reproche aux vendeurs que leur souci du profit et non la
dilapidation du blé public, il faut admettre que les «acheteurs»
n'étaient en fait que des transporteurs de blé public envoyés par
l'empereur pour prélever à un prix de famine une partie des stocks
constitués dans la ville; ils en feraient profiter la capitale qui souffrait elle-
même des attaques arabes, et pouvait fort bien connaître une famine
semblable à celle de Thessalonique. La faute est certainement plus de
ne pas avoir tenu compte des besoins locaux en obéissant
immédiatement à un ordre venu de Constantinople, où on ignorait l'évolution
récente de la situation, que d'avoir pris des initiatives illégales257. On ne
doit pas se laisser abuser par la présentation de l'auteur, aussi habile
chroniqueur que Jean. Si la famine est due à l'impéritie ou à la cupidité
des responsables, il est surprenant qu'elle «ait augmenté»258 au
lendemain du siège qui, lui-même, survient au lendemain de l'exportation
scandaleuse. Il est impensable que les fonctionnaires aient vendu la
totalité de ce que contenaient des greniers «bien remplis» et que,
aussitôt, la population affamée se soit traînée dans les rues, privée de tout, y
compris de l'huile, du vin et des légumes secs qui n'avaient pas été
réquisitionnés259. Nous sommes trompés par un raccourci orienté. En
fait, il faut comprendre que la vente du blé a diminué les stocks et
qu'elle a accéléré l'évolution de la disette puis de la famine, mais que
cette dernière ne s'est produite que longtemps après. N'oublions pas
que le siège a duré deux ans, et qu'aucun grenier municipal ne pouvait
vraisemblablement stocker de quoi tenir plus d'une année entière.
Comme le blocus commença dans l'été 676, il y a fort à parier que les affres
décrits par l'Anonyme ont été ressentis vers le printemps suivant, avant
l'attaque de juillet 677 260. Ils étaient inévitables puisque la ville était
257 Cf. ci-dessus, n. 247. L'hypothèse d'un ordre impérial que l'auteur aurait omis
n'est cependant qu'une hypothèse, même si elle explique l'absence de sanctions lorsque le
souverain est mis au courant de ce qui s'est passé (§ 281).
258 On a l'impression que plusieurs faits sont abusivement rapprochés. L'empereur
avait fait constituer des réserves. Les autorités en vendent une partie avant le siège, sans
qu'on parle de disette à ce moment-là. Cette vente aurait provoqué une disette. N'est-elle
pas survenue tout naturellement, plus tard, lorsque le blocus très strict de la ville fit
sentir ses effets, et non dès le lendemain du siège? Le seul tort des autorités - ou de
l'empereur, si c'est lui qui a donné l'ordre - serait alors de ne pas avoir prévu la dureté et la
longueur de ce siège. Cela n'a rien à voir avec la spéculation dont on les accuse.
259 § 245 : Le départ de bateaux céréaliers aurait provoqué immédiatement le manque
de toute denrée dans la ville !
260 Sur la chronologie des événements, P. Lemerle, op. cit., t. 2, p. 132.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 403
261 Sur les conditions de vie, § 245-246 : l'eau elle-même finit par manquer.
262 § 248.
263 § 251 : II n'est question d'aucune distribution. Les marins sont des hommes de la
marine de guerre à qui on confie la tâche de perquisitionner chez les particuliers pour
réquisitionner tous les grains disponibles (§ 252). Cette mesure, prise par les κρατούντες,
ne relève pas des autorités municipales, mais de la préfecture du prétoire ou du
gouverneur.
264 C'est un exemple parmi d'autres de la valeur que peut atteindre la nourriture
dans une ville frappée par la famine.
265 § 254 : Départ des bateaux; § 268 : Retour avec du blé et des légumes secs. Sur la
date du siège, P. Lemerle, op. cit., t. 2, p. 132.
266 § 281. On ne trouve, dans ce paragraphe, aucun indice de sanctions prises par
l'empereur.
404 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
l'avaient reçu, mais plus encore qu'on n'enquêtât sur le prix qu'ils
avaient obtenu et l'usage qu'ils avaient fait des sommes encaissées.
Le plus important cependant réside dans l'indication sur les
quantités. 5 000 muids auraient suffi, et l'empereur, dans un accès de
générosité, en expédia 60 000 267. Même si l'on admet que le premier nombre
est arbitrairement diminué pour faire ressortir la munificence
impériale, le second a d'autant plus de chances d'être exact que l'auteur écrit
plus prêt des événements, et appartient à un milieu qui avait facilement
accès aux informations administratives de la ville268. Comparés aux
400 000 muids accordés à Antioche, qui sont sans doute inférieurs à la
totalité des quantités versées, ces envois représentent au mieux 15% de
ces quantités et peut-être 10% seulement269. Si la capitale de la Syrie
comptait environ 1 50 000 habitants dans la seconde moitié du IVe
siècle, on obtient une population de 15 000 à 25 000 personnes pour celle
de l'Illyricum, ce qui est très faible et suppose sans doute un déclin
assez sensible par rapport à la belle époque de la ville et même par
rapport au début du VIIe siècle, quand un certain nombre de bateaux
faisait voile vers la ville pour la soulager à la suite d'un siège. Les
60 000 muids tiennent sur trois bateaux de 20 000 muids et sur 6 de
10 000. En faisant un autre calcul, on arrive à des résultats aussi
médiocres. Thessalonique a été délivrée en été, donc après la récolte et
11 fallait attendre la fin du printemps suivant pour avoir une nouvelle
moisson. La campagne ravagée par les barbares n'avait sans doute
produit que très peu de grain, dont une partie avait été emportée par les
assaillants. Or il faut plus de 2 muids par personne et par mois. Même
en supposant que les Thessaloniciens pouvaient trouver sur place la
moitié de leurs besoins, ,60 000 muids ne pouvaient nourrir que 15 000
personnes pendant 4 mois au plus et 25 000 pendant moins de 3 mois.
Comme ces 60 000 muids représentent beaucoup plus qu'on n'espérait
pour parer au plus pressé, il faut admettre qu'ils couvraient
effectivement les besoins de la ville pour plusieurs mois, d'autant plus que
l'Anonyme ne parle d'aucun nouvel envoi.
267 L'unité de mesure n'est pas indiquée, mais ce ne peut être que le muid.
268 L'empereur n'avait pas tant de blé qu'il pût en envoyer sans que ce fût
absolument indispensable. Les faits se passent en 678 et le récit date de 685 environ.
269 Cf. ci-dessus, p. 372. Antioche reçut au moins 420 000 muids de blé, sans compter
le blé d'Egypte qui pouvait représenter une part importante de la quantité totale. 60 000
muids représentent environ 15% de 420 000 muids, 10% de 600 000 muids (si l'Egypte
verse 50% de blé en plus), 7% de 800 000 muids (si l'Egypte verse la moitié du total).
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 405
de blé public et ne pourrait vivre sans lui, même pendant une année
moyenne. Après 670, au contraire, elle semble pouvoir se contenter des
ressources locales quand un siège ou une autre catastrophe de même
nature ne vient pas perturber les conditions du ravitaillement. Le blé
public est surtout un complément nécessaire pour compenser une trop
mauvaise récolte. Entre ces deux dates, il s'est produit un changement
important sur lequel nous reviendrons.
270 Le passage qui nous intéresse a fait l'objet de deux éditions : W. Wright, The
chronicle of Joshua the stylite composed in syriac A. D. 507 with a translation into english and
notes, Cambridge, 1882 (rééd. Amsterdam, 1968); Incerti auctoris chronicon pseudo-diony-
sianum vulgo dictum, t. 1, éd. J.-B. Chabot, Louvain, 1927 (CSCO, 91); trad. J.-B. Chabot,
Louvain, 1949 (CSCO, 121). Je cite d'après la traduction de la dernière édition dont le titre
indique clairement ce qu'il faut penser du nom attribué à l'auteur : nous ne le
connaissons pas. Il n'est pour nous, actuellement, que le pseudo-Josué le stylite dont l'œuvre fut
écrite au lendemain même des événements qu'il narre, sans doute en 507 de notre ère.
Principales études sur ce texte très important pour l'histoire économique : A. Guillou, La
cosiddetta cronaca siriaca di Giosuè lo stilita, Bari, Corsi di studi, 1, 1976 (1977) p. 369-384;
E. Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale à Byzance (IV-VIIe siècle), Paris,
1977, index, 5. ν. Edesse; H. Leclainche, Crises économique à Edesse (494-506), Pallas, 27,
1980, p. 89-100.
271 Chronique, trad, cit., p. 174. Les qualités et la franchise du témoin ne dispensent
pas d'une lecture critique car, nous le verrons, il écrit d'Edesse, avec les yeux d'un clerc
qui porte sur les faits les jugements des hommes de son milieu.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 407
272 Chronique, p. 189. Noter l'expression horreum frumenti. Le même grenier sera
désigné plus loin par le terme d'apothéton (p. 196).
273 Chronique p. 187: Prix donné pour l'année 806 (= 494-495). Il n'est assorti
d'aucun commentaire et correspond exactement au prix public qui est aussi le prix moyen du
marché, chaque fois que nous pouvons le connaître (ci-dessous, p. 497-502).
408 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
274 Ibid. : L'auteur note qu'en mai de l'an 807 (= 495-496), on ne manquait de rien et
que les conditions climatiques étaient clémentes.
275 Chronique, p. 191 : Avant de raconter les malheurs terribles qui fondirent sur
Edesse, l'auteur prend soin de préciser qu'ils ont pour but de punir les habitants de leurs
fautes, et que les sauterelles sont arrivées au moment où on célébrait une fête païenne.
276 Chronique, p. 196.
277 A Carthage, les prix n'ont pas dépassé la valeur de 10 muids pour 1 sou, et, à
Antioche, ils n'auraient dépassé cette valeur que si l'empereur n'était pas intervenu. Dans
les deux cas, ce sont des prix au moment de la soudure et non en cours d'année (ci-
dessus, p. 367 et 386). A Edesse, si notre source respecte l'ordre chronologique, ce qui fait
peu de doute, les prix ont atteint des niveaux très élevés dès le lendemain de la récolte,
puisque leur valeur est donnée avant que l'évêque ne parte pour Constantinople afin de
demander un dégrèvement qui ne peut luì être accordé car les impôts viennent d'être
levés. Le paiement de l'impôt est dû avant le 31 août. L'évêque s'est donc rendu dans la
capitale vers cette époque, car, au-delà du 1er septembre, il était inutile de demander une
diminution, tout ayant été payé. Le prix de 4 muids au sou, qui est indiqué avant le récit
de ce voyage, a été constaté au cours de l'été, à la fin de l'an 811 (été de l'an 500). Le
maintien des prix du blé à ce niveau pendant presque une année entière (de l'été 500 au
printemps 501) rendait cette denrée pratiquement inaccessible à la plupart des habitants.
Avec un budget de 15 sous pour l'alimentation, dont les 50% pour le blé, une famille
humble ne pouvait acheter que 2 qx de blé au maximum, ce qui était insuffisant pour
permettre de survivre à plus de deux personnes.
278 Voir ci-dessous, p. 418-420.
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 409
279 Les légumes secs (pois chiches, fèves, lentilles) augmentent considérablement (sur
ces prix, voir E. Patlagean, op. cit., p. 407), la viande n'augmente pas, tandis que les
autres biens (vêtements, vaisselle) perdent entre 50 et 66% de leur valeur (Chronique,
p. 196). Les bêtes (chevaux, bœuf et moutons) se vendaient à moitié prix (Chronique,
p. 195). On peut en déduire que non seulement la viande n'augmentait pas, mais que son
prix diminuait. De fait, au plus fort de la crise, il sera à peine supérieur à celui des
années normales; à son début, il pouvait avoir légèrement diminué. Cette stabilité ou
même cette diminution s'explique par le manque de nourriture pour les bêtes, les
pâturages ayant été dévorés comme les cultures, mais aussi par les habitudes alimentaires : on
consommait peu de viande, même en période de famine.
280 Chronique, p. 195 : Multi loca deseruerunt et in loca alia septentrionis et occidentis
migraverunt. Qui in pagis debiles erant, senes et pueri, mulieres et parvuli et qui fame tor-
quebantur et non poterant abire et ire in loca remota, ingrediebantur in urbes ut mendica-
rent et viverent. P. 196 : On doit prendre des mesures ob multitudinem rusticorum quibus
repleta erat civitas et ob pauperes qui non habebant panem in suis domibus.
281 Sur le grenier municipal, ci-dessus, n. 273.
410 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
ou, si on préfère, «satisfaisantes» des récoltes qui sont dans un rapport de 1 à 2, de part
et d'autre de la moyenne. Voir, sur ce thème, toute la littérature traitant des formes
traditionnelles de vie rurale dans les régions méditerranéennes (voir, pour une étude
minutieuse, dans une région représentative, J. Despois, La Tunisie orientale. Sahel et basse
steppe, Paris, 1955, en particulier, p. 222-224, p. 241).
412 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
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289 Chronique, p. 196-197: Ces «pauvres» indigents sont nettement distingués des
«pauvres» qui peuvent acheter le plain cuit par les boulangers ou ceux qui les secondent.
Sur les pauvres d'Edesse, voir aussi, p. 416.
290 Sur la définition de la famine à Thessalonique, voir ci-dessus, p. 395.
414 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
raient eu aucun moyen d'imposer la vente aux détenteurs de blé, mais par une συννή si
légale et si banale qu'il est inutile d'en parler.
300 La συνωνή ,doit se faire au prix du marché tel que le gouverneur l'a fait constater.
On peut la pratiquer au titre de l'impôt dû par tel contribuable qui a en outre des
réserves, ou par achat contre des espèces monétaires. C'est pour cela que l'empereur a donné
de l'argent. En outre il n'est pas sûr qu'on ait revendu le blé au prix auquel on l'a acheté,
comme le montre l'exemple d'Antioche, où Julien faisait livrer du pain à un prix inférieur
à celui de la taxation (ci-dessus, p. 367).
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 417
303 Chronique, p. 200 : Avant la récolte de 502, le blé se vendait à 4 muids pour 1 sou.
Après cette récolte, il baisse à 12 muids pour 1 sou.
304 Chronique, p. 207 : Les deux armées de Mésopotamie comptent ensemble 52 000
soldats.
305 Chronique, p. 207 et 211. 630 000 muids représentent 42 000 qx, soit, à 3 qx par
personne et par an, la nourriture de 14 000 soldats (P. Oxy. 1 920 donne des rations de 4
livres de pain par soldat et par jour, 3,5 qx de blé pour l'année). Cependant les soldats ne
touchaient pas toujours leurs rations directement de l'intendance (cf. n. 307).
306 Sur les aulae, les cours qui ont les fonctions des οίκοι voir A. Guillou, op. cit.,
p. 377-378.
307 Chronique, p. 225-226, 228-229. Le blé n'est n'est pas mentionné parmi les
«achats» supplémentaires qui sont tous présentés comme des exactions. Mais, comme
notre source prend toujours le parti des Edesséniens, on peut penser que les achats ont
souvent été librement consentis par les vendeurs. L'armée éveille la jalousie des civils
QUELQUES EXEMPLES DE RAVITAILLEMENT PUBLIC 419
puisque, dit le chroniqueur, on trouve davantage de denrées dans les camps que dans les
villes (p. 221).
308 Chronique, p. 227.
309 Chronique, p. 224 : L'empereur Anastase fit construire un grenier dans chaque
ville, en prévision de nouvelles attaques perses, et fit transporter du blé d'Edesse à Amid. Ce
blé et donc destiné à l'armée.
310 Chronique, p. 217 : On fait envoyer du pain d'Egypte pour l'armée de
Mésopotamie.
311 Sur le coût des transports, cf. p. 512-513.
312 Chronique, p. 215 : Remise d'impôt en 815 (= 504); p. 222 : en 816 (= 505).
L'empereur se sent tenu de compenser par des mesures publiques les dépenses considérées
comme publiques qu'entraîne la guerre (entretien des soldats, déprédations . . .), mais pas le
manque à gagner dû aux intempéries contre lesquelles nul ne peut rien, et dont personne,
pas même le pouvoir, ne doit se croire responsable.
420 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
lés, on lui fait sentir qu'il est inutile d'intervenir pour que des
allégements de charge soient accordés, au moment même où les militaires
reçoivent une aide substantielle313.
L'exemple d'Edesse montre donc l'importance vitale des
institutions municipales en matière d'approvisionnement dans une ville
moyenne de l'intérieur, car, sans elles, Edesse n'aurait pas passé le cap
de la première année de crise et n'aurait pas reçu le faible secours qui
permit la survie de nombreux habitants pendant la seconde année. Il
montre aussi la limite des moyens mis en œuvre qui visent à répartir la
pénurie, non à la compenser par des apports extérieurs. On devait faire
des provisions pour les mauvaises années, d'où le rôle essentiel du
grenier municipal, des achats de précaution et des perceptions
exceptionnelles en céréales, pour alimenter ces réserves. Indépendamment des
distributions gratuites qui ont pu exister sans que notre source en
souffle mot, le blé public permettait seul de faire survivre les populations
urbaines au moment où les agriculteurs, eux-mêmes affamés, ne
pouvaient plus rien livrer. Ce blé venait même au secours des populations
rurales les plus démunies.
CONCLUSION
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT
DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC
I - LES PRESTATIONS
Pour ce qui concerne les denrées livrées sous une forme ou sous
une autre, il faut reconnaître d'emblée que seul le blé apparaît dans
notre documentation. Les sources législatives mentionnaient aussi l'hui-
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 425
4 Voir ci-dessus, le chap. 1 de la seconde partie. Ces lois parlent de la sitonia en des
termes si généraux, et sans jamais définir une catégorie de villes que cette institution
concernerait plus particulièrement, qu'il ne fait aucun doute qu'on la trouvait partout, ou
qu'on pouvait l'y trouver. Peut-être les villes les plus petites se dispensaient-elles d'en
avoir une en permanence.
5 Cf. ci-dessus, p. 329, 384-386.
6 NJ 24, 3 : κήδεσθαι τής των πόλεων αφθονίας. Il (le préteur) doit veiller à ce que
nous avons indiqué ci-dessus, mais aussi prendre soin de l'abondance dans les villes et de
ce que rien ne manque aux citoyens. Il veillera aussi sur les travaux publics des villes, les
aqueducs, les ponts, les murailles et les routes. Noter le pluriel των πόλεων. Le préteur
n'est pas responsable uniquement du chef-lieu de la province.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 427
7 NJ 24, intr. : Justinien donne une liste sommaire d'autres préteurs établis dans
certaines provinces de l'Empire, dont le statut sert manifestement de modèle pour la
définition des droits et devoirs de leur collègue de Pisidie. Il est donc tout à fait
vraisemblable, et même certain, que tous avaient les mêmes prérogatives, en particulier en ce qui
concerne l'alimentation.
8 Voir ci-dessous, p. 433.
9 NJ 25, 4 : Δει δε αυτόν καί τής τών πόλεων εύκοσμίας προνοεΐν . . . του μηδέν τοΐς
ύπηκόοις ένδεΐν πασαν τιθέμενον πρόνοιαν.
10 NJ 26, 4 : Le préteur de Thrace doit veiller sur les ports, les murs, les ponts, les
routes etc., et doit les entrenir avec les revenus de la cité (έκ τών πολιτικών πόρων); sinon
qu'il en réfère à l'empereur. Les trois lois sont datées du 15 des kalendes de juin 535.
428 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
11 Λ7 30, 8 : Φροντιεΐ και xfjç πόλεως και των καλουμένων σιτωνακών και των έργων
των αυτής.
12 NJ 30, 1 : Le texte parle de la région, c'est-à-dire de la province, puis dit que la cité
(τα τής πόλεως) est divisée en deux parties. Ce ne peut être la seule cité de Cesaree, dont il
n'est pas question dans ce paragraphe, mais toute la province.
13 Sur l'autonomie des cités, pour ce qui concerne le fonctionnement des institutions
annonaires, cf. ci-dessus, p. 308-309. Pour l'approvisionnement du σιτωνικόν par l'Etat,
voir ci-dessous, p. 433 et p. 462.
14 Par exemple NJ 26-29 ou α 1, 27, § 1.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 429
2) En Italie
15 Symmaque, Relationes, 40, éd. O. Seeck, Berlin, 1883 (MGH, AA, 6, 1) = D. Vera,
Commento storico alle Relationes de Quinto Aurelio Simmaco, Pise, 1979, p. 382-383.
16 On comprend généralement que les cités campaniennes donnaient une part de
leur production à l'annone romaine parce que la région était riche en céréales et pouvait
être mise à contribution (A. Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le Bas-Empire,
Paris, 1960, p. 61 et 310; D. Vera, op. cit., p. 297). En fait le texte dit bien que Gratien fit
rendre à chaque ville le blé que Céréalis avait réclamé pour le peuple romain (eum
frumenti numerum, quem Cerealis ex multis urbibus romano populo vindicaret, restituì
omnibus impetraret). On ne fait restituer que ce qu'on a donné. En outre ces grains servent à
l'alimonia, c'est-à-dire à la nourriture des villes, sans doute à la fourniture de blé gratuit
(cf. ci-dessous, p. 441 : Y alimonia d'Alexandrie est un versement de blé gratuit, comme le
σιτηρέσιον des capitales et de nombre d'autres villes). Donc le blé était du blé annonaire
donné à ces villes sur les greniers d'Egypte ou d'Afrique car le blé de Campanie pouvait
servir à rétribuer certaines villes, jamais à nourrir la plèbe de Rome. Ce blé annonaire est
à distinguer de ce que les villes de Campanie devaient livrer à Terracina pour payer un
service que cette ville rendait à Rome. Dans ce cas, il est vraisemblable qu'elles versent en
nature, sur leurs ressources propres, une part de l'impôt d'Etat affecté au paiement des
chaufourniers.
430 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
17 Pouzzoles touchait donc 100 000 muids de blé annonaire, sans doute du blé
égyptien. Terracina recevait 5 700 muids sur cette quantité et les villes de Campanie, pour leur
part, bénéficiaient aussi du blé annonaire, pour des quantités inconnues.
18 Le blé ne peut être donné directement à ceux qui livrent du bois ou de la chaux
car nous savons par ailleurs que les chaufourniers ne sont pas payés en blé (cf. ci-
dessous, p. 506).
19 Le pouvoir doit prendre soin ne desii alimonia civitatibus quae super omnia populi
plus requirunt, studentes ventri, non auribus (Cassiodore, Variae, préface, éd. A. J. Fridh,
Turnholt, 1983 (CC, 96, p. 4). Il y parvient en général; ainsi Bélisaire, après un siège de
Rome, y fait apporter de la nourriture, si bien que la population dispersée dans les
environs revient à la fois pour rentrer chez elle et pour profiter de cette abondance relative
(Procope, De bello gothico, 7, 24, 7, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll. Teubner), p. 402-
403).
20 Cassiodore, Variae, 9, 5, éd. cit., p. 351-352 : Cassiodore a appris que certains ont
la détestable habitude dum primo tempore panicii speciem coemptam in propriam recon-
didere substantiam spectantes caritatem mediocribus gravent, ut parcius reponentibus de-
testabilem inférant nuditatem, quando homines in famis periculo constituti rogantes offe-
runt quo se spoliari posse cognoscunt.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 43 1
21 Ibid. : Cassiodore ordonne ut sive in gradu sive in aliis locis frumentorum condita
potuerint invenire, tantum sibi unusquisque dominus vel familiae suae retineat, quantum
se expendere posse cognoscit, reliquum periclitantibus vendat. La familia est constituée par
le personnel des greniers.
22 Sive in gradu, sive in aliis locis . . .
23 Voir ci-dessous, pour d'autres exemples de mobilisation de greniers divers en cas
de manque grave de céréales (p. 467-468). Voir aussi, ci-dessus, p. 369, pour l'usage des
greniers militaires de Syrie, lors d'une famine à Antioche.
432 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
24 Cassiodore, Variae, 5, 16, éd. cit., p. 195-196 : Decrevimus mille interim dromones
fabricandos assumere qui et frumenta publica possint convehere et adversis navibus, si
necesse fuerit, obviare. Ces bateaux ont apparemment une finalité militaire, mais rien
n'interdit de supposer que, parmi les blé publics qu'ils transporteront, se trouveront des
céréales destinées aux villes.
25 Cassiodore, Variae 12, 28, éd. cit., p. 498 : Vendit itaque largitas publica viginti
quinque modios dum possessor invenire non possit decem. Application de cet édit dans
Variae 10, 27, éd. cit., p. 314, et 12, 27, éd. cit., p. 383.
26 Cf. ci-dessous, p. 497-502.
27 Cassiodore, Variae, 12, 27, éd. cit., p. 496 : On croirait à une assistance aux
pauvres de la cité de Milan, en donnant à «pauvres» le sens de nécessiteux qui ne peuvent
subvenir à leurs besoins. Cependant le prix de vente, supérieur de 20% au prix moyen du
marché, exclut que les déshérités puissent se procurer ce blé. Il faut comprendre que la
mesure a été prise pour venir en aide aux pauvres, c'est-à-dire à ceux qui gagnent
difficilement leur vie, la majorité des humbles de la ville, plutôt qu'aux riches, ceux qui
disposent peut-être de quelques stocks et qui se suffisent facilement en toutes circonstances.
Peut-être des mesures seront-elles prises pour empêcher l'accaparement et la spéculation
de ceux qui en auraient les moyens. L'évêque agit donc en tant que chef de
l'administration municipale, en aucun cas en tant que responsable religieux ayant la charge d'assister
les malheureux.
28 Solidi vero, quanti ex suprascripta quantitate panici potuerunt congregari, vestra
nobis relatione declorate ut apud arcarium reconditi ad supra memoratam speciem repa-
randum futuris reservetur, Deo auxiliante, temporibus. Jamais les bénéficiaires de blé
donné aux pauvres n'ont eu à vendre les quantités reçues et à reverser la somme ainsi gagnée
aux responsables d'un grenier.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 433
35 Cassiodore, Variae, 12, 22, éd. cit., p. 489; 12, 24, éd. cit., p. 491-492; cf. le
commentaire de L. Ruggini, Economia e società neu'« Italia annonaria». Rapporti fra
agricoltura e commercio dal IV al VI secolo d. C, Milan, 1961, p. 341-347. Ces denrées sont surtout
destinées aux militaires et aussi aux fonctionnaires; mais Cassiodore dit qu'une partie
d'entre elles va aux simples citoyens (12, 22: médiocres victualium pascit expensis); ce
doit être uniquement du blé puisqu'on ne voit nulle part ailleurs d'autres denrées
destinées à la consommation des populations urbaines.
36 Àgnellus, Liber pontificalis ecclesiae Ravennatis, 111, éd. O. Holder-Egger,
Hanovre, 1878 (MGH, Script, rerum langobardicarum et italicarum saec. VI-IX), p. 350.
37 Donc les documents qui font allusion à des situations concrètes confirment
l'impression tirée de la lecture des lois.
38 On ne doit donc plus faire apparaître ou disparaître les institutions alimentaires
dans une ville donnée, en fonction de leur apparition ou de leur disparition dans les
sources.
39 Voir la carte p. 437.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 435
40 The Oxyrhynchus papyri, vol. 40, éd. J. R. Rea, Londres, 1972 = P. Oxy. 2 892-
2 942. Commentaire de J.-M. Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de
l'empire romain tardif, MEFR, 87, 1975, p. 995-1 101, passim.
41 P. Oxy. 2 928-2 929.
42 P. Oxy., t. 40, passim; cf. index, 5. ν. άμφοδος.
436 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
l'un d'un épisode dramatique de la vie dans la cité, l'autre d'une novelle
de Justinien, prouvent que la capitale de l'Oronte jouissait du même
privilège51. Les deux grandes métropoles sont donc placées sur le
même plan que les capitales. La même novelle précise, dans une
formule vague, que les annones gratuites seront distribuées ailleurs «car
on en trouve dans certaines autres provinces»52. L'empereur et ses
bureaux savaient parfaitement ce qui en était et n'auraient pas
introduit cette clause si un nombre important de villes n'avait touché cette
largesse. La seule manière de comprendre cette formule consiste à
supposer que l'administration s'est dispensée d'une enumeration
fastidieuse; elle a seulement cité les deux plus gros bénéficiaires du blé
imperial, en omettant les autres. Il faut confirmer cette interprétation par
d'autres exemples.
Une loi, qui traite des maisons, annones civiles, autres édifices et
esclaves que la ville de Constantinople ou une autre ville viennent à
recevoir en héritage ou en don, paraît fournir un indice supplémentaire
en faveur de distributions fréquentes de l'annone gratuite dans les
villes de province. Si les quatre types de dons peuvent être effectués non
seulement à Constantinople, mais aussi dans toutes les villes, il serait
difficile de supposer qu'on envisage le cas, nécessairement
exceptionnel, de citoyens de Constantinople qui feraient don à une autre cité de
la part qu'ils auraient touchée de leur vivant, dans cette ville. On est
donc tenté d'interpréter ainsi : les habitants d'une ville quelconque
peuvent donner ou léguer l'annone que leur verse leur cité d'origine.
Cependant, dans ce texte, l'annone, qui figure entre les maisons et les
autres édifices, apparaît intimement liée aux maisons, et ce d'autant
plus qu'elle est transmissible; en effet, nous l'avons vu, les annones
personnelles peuvent être héréditaires, mais reviennent à la cité soit à
la mort du bénéficiaire, soit à celle du dernier de ses héritiers directs53.
comme l'était la plupart des boulangers, ainsi que nous allons le voir.
Enfin le sitonicum de Sicile et les σιτωνικά orientaux peuvent assurer
des distributions, à côté de leur fonction première qui consiste à en
vendre57.
L'existence de distributions gratuites de pain aux citoyens résidants
des villes protobyzantines est donc bien connue pour les capitales et un
nombre suffisamment important d'autres villes pour qu'on puisse
considérer que la novelle de Justinien fait allusion à une situation assez
- ou très - courante dans tout l'Empire et que beaucoup d'autres cités
en bénéficiaient. Cependant rien ne permet d'évaluer précisément
l'importance de ces distributions, ni celle des quantités données ou du
nombre des ayants droit dans chaque cité. Ainsi les indications fournies
par le dossier d'Oxyrhynchos, pour une période immédiatement
antérieure à la nôtre, prennent un relief particulier car elles suggèrent la
manière dont fonctionnait ce service municipal.
Pour ce qui est de son financement, dans tous les cas connus, sauf
à Carthage où nous n'avons pas de renseignements sur ce point, il est
assuré par l'empereur. A Oxyrhynchos, c'est la formule ιερόν σιτηρέ-
σιον qui prouve l'origine impériale de la prestation58. A Alexandrie,
nous le savons parce qu'une source nous apprend explicitement que le
blé donné vient des greniers d'Etat59. En Italie, nos sources précisent
que l'empereur ou le roi fournit le grain, ou bien le sous-entendent,
puisqu'il donne des ordres à son sujet60. A Antioche, et dans les autres
villes, auxquelles Justinien fait allusion dans sa novelle, l'emploi du
terme αίτησις qui désigne des prestations publiques en blé et
principalement l'annone de la capitale, suggère fortement que les distributions
locales provenaient elles aussi des réserves de l'Etat61. Comme la
dépense était assez lourde, on peut penser que partout le pouvoir
central assumait cette charge car les finances municipales auraient été
incapables de s'en occuper.
Dans les sources, ce sont les ventes à prix variable qui sont les
mieux représentées. Elles interviennent à l'occasion d'une mauvaise
récolte, grâce aux stocks que la cité entretient en permanence et aux
achats auxquels elle peut procéder, pour faire face à toute éventualité,
depuis les conséquences d'une guerre jusqu'à celles d'un vol de
sauterelles, en passant par une suite de difficultés climatiques plus ou moins
durables et violentes.
Le prix apparaît toujours fixé par l'Etat en fonction de la situation
pendant la crise. Dans certains cas, c'est le prix public légèrement
augmenté, sans doute pour tenir compte de la pénurie à ce moment-là,
dans la province, comme dans l'Italie ostrogothique en 535-53Ó62. Dans
d'autres cas, c'est un prix intermédiaire entre celui qui serait pratiqué
sans intervention de l'Etat et le prix public, comme à Antioche, en
363 63. On peut alors penser qu'on vend cher pour retrouver de quoi
refaire les stocks à un moment où le blé est très onéreux sur tous les
marchés. Ailleurs, il semble que l'Etat ait livré du blé au prix du
marché local, quel qu'ait été son prix, comme on peut légitimement le
supposer à Edesse, au tournant du Ve et du VIe siècle64. Ici aussi, l'Etat
cherche à se donner les moyens de racheter la même quantité de blé
que celle qu'il a mise à la disposition des consommateurs urbains.
L'avantage pour la population consiste dans le fait que l'administration
impose apparemment la vente des surplus de ceux qui en disposaient,
par le biais d'une συνωνή.
La généralité de cette pratique est confirmée à la fois par les lois
sur la sitonia et par l'existence des σιτωνικα municipaux dont le rôle
consiste précisément à mettre en œuvre les dispositions relatives à la
sitonia65. En outre on imagine mal une ville, même d'importance
miner leur nombre exact. Et si elles recevaient du blé gratuit, il fait peu
de doute qu'on leur en fournissait aussi à titre onéreux. On a de même
constaté que les deux dernières prestations étaient d'autant plus
indispensables que la ville était plus grande car le marché libre ne pouvait
approvisionner plus de quelques milliers de personnes, à cause de
conditions très difficiles imposées aux transports. Comme ces
interventions de l'Etat étaient facilitées par la proximité de la mer ou d'un
grand fleuve navigable, les grandes villes, celles qui pouvaient
bénéficier de l'assistance indispensable pour dépasser le minimum de
population qui était alimenté par les ventes des paysans, étaient toutes des
ports où l'on ne voit jamais aborder des flottes privées de bateaux
céréaliers destinés à assurer le ravitaillement. Les villes importantes de
l'époque protobyzantine dépendent nécessairement des livraisons de
l'Etat, sous les trois formes que nous venons d'analyser.
3) Le blé ou le pain ?
79 Pour Rome, on possède l'étude de J.-M. Carrie, op. cit., passim, surtout, p. 1037-
1047 : II est toujours question du partis distribué à la population. Voir aussi, ci-dessus,
p. 61-64, pour le pain à Rome, au IVe siècle uniquement.
80 Cf. ci-dessous.
81 Pour Rome, cf. ci-dessus, n. 79. Pour Constantinople, voir, par exemple CTh 14,
16, 2, 416 : Integer canon mancipibus consignetur : que tout le montant de l'annone soit
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 447
versé aux boulangers. On ne saurait être plus clair. C'est pourquoi l'annone porte le nom
de άρτος πολιτικός.
82 Cf. ci-dessus, p. 375.
83 Cf. ci-dessus, p. 376-377.
84 Cf. ci-dessus, p. 411 et 415.
85 Cf. ci-dessus, n. 56.
448 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
partie du blé livré sur le marché libre était elle aussi transformée par
les boulangers86. Les pétrins et fours à pain privés étaient donc sans
doute relativement rares, même dans les villes moyennes. On attend de
l'archéologie, plus que d'hypothétiques sources écrites non encore
exploitées, des éléments pour aller plus avant dans la discussion.
Une autre ville moyenne possédait son boulanger municipal, et
sans doute ses boulangers, comme l'atteste une inscription de Sardis87.
Qu'il ait été seul ou qu'il ait fait partie d'un collège d'artisans, il atteste
par son titre le lien intime entre un ou plusieurs boulangers et la cité.
Ils remplissent une fonction municipale. De ce point de vue,
l'inscription de Sardis doit être rapprochée d'un épisode rapporté par la
chronique d'Edesse. Quand l'armée stationne dans la ville ou ses environs,
on a besoin de beaucoup de pain et les boutiques ne suffisent pas; on
doit faire appel aux contribuables pour leur imposer de cuire une
certaine quantité de farine88. Dans ce contexte, le métier de boulanger
correspond effectivement à une charge municipale que certains
exercent en permanence, moyennant sans doute quelques privilèges fiscaux
ou autres, tandis que le reste de la population se la voit imposer de
manière temporaire, peut-être sous forme de main d'œuvre fournie à la
corporation. Une inscription de Sétif où l'on voit, malgré son mauvais
état de conservation, la curie restaurer, sur ordre du gouverneur, les
fours publics qui assurent la nourriture de la population, confirme à la
fois l'importance des boulangers municipaux dans l'approvisionnement
des habitants et le fait que l'entretien des fours constituait une charge
municipale89.
86 Cf. ci-dessus, p. 411. Cette charge fiscale, répartie entre les contribuables
(ci-dessus, p. 415), montre à la fois la nature fiscale de la confection du pain public et
l'existence d'une corporation des boulangers sans laquelle on voit mal comment on pourrait
savoir combien doivent les boulangers de la ville. C'est manifestement en échange d'un
avantage, sans doute le monopole de la fabrication du pain dans les cités, qu'ils acceptent
une charge publique, la cuisson du pain municipal, sans doute avec des bénéfices réduits,
car, dans le cas contraire, ils ne rechigneraient pas devant un travail supplémentaire. Il
resterait à savoir si les particuliers qui sont réquisitionnés ont des fours ou si, plutôt, ils
doivent travailler dans les boulangeries, sous les ordres des boulangers.
87 Cf. n. 56.
88 Cf. ci-dessus, p. 415.
89 CIL 8, 8 480 (peu après 388) : ... unum quod dfecuriones ?) e[t] p[rinci/p]ales ac
cives gravi quatiebantur inco[mmodo, furnarias ad annonam pujblicam a veteribus institu-
tas omn[i perfectju operis, ruinis imminentibus destitutes detersa] I veteris squaloris inlu-
viae, adjfecto novo] cultu, sua instantia reformavit, [instrumento] / pistoris exornatas ad
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 449
II - Les bénéficiaires
1) Le blé gratuit
annon[ae publicae] I coctionem pistoribus tradifdit et ita populum] I pavit Fl(avius) Mae-
cius Constan[s v(tr) p(erfectissimus), praes(es) prov(inciae) Mauretaniae Sitif(ensis), curant
[agente curatore] I rei p(ublicae) splend[i]d(ae) col(oniae) Sitifen[sium] . On notera que
tous les termes qui établiraient avec certitude qu'il est question de l'annone municipale,
et non de celle de l'armée ou des fonctionnaires, que ces termes sont restitués plus ou
moins largement. Cependant la mention du populus, du curateur de la cité, de l'annona
une fois et de l'adjectif publica, un peu plus loin, permettent de conclure
raisonnablement que cette inscription traite de Γ« annone» servie aux citoyens de la ville. C'est le seul
exemple d'emploi de annona pour une ville autre que les capitales, pendant notre période
(cf. C. Lepelley, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. 2, Notices d'histoire
municipale, Paris, 1981 {Etudes augustiniennes), p. 499-500, dont j'adopte les restitutions et suis
les conclusions).
450 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
naires de la cité90. De plus leur nombre est limité, ce qui provoque une
distinction entre ayants droit théoriques et ayants droit réels; et ils
reçoivent des quantités fixes de «blé», c'est-à-dire de pain fait avec ce
blé : à Oxyrhynchos, ils sont 3 000 qui se partagent 3 000 artabes de blé
par mois91; à Alexandrie, ils touchent 2 000 000 de muids par an, à
raison peut-être de 5 muids par personne et par mois, soit 60 muids par
an pour 33 000 bénéficiaires92. Dans la première ville, nous assistons
au choix de nouveaux élus, sans doute en remplacement d'anciens qui
ont quitté la ville ou sont décédés93; dans la seconde, il semble que la
transmission ait été héréditaire à l'intérieur d'une même famille, ce qui
n'a rien de contradictoire avec ce qui se passe à Oxyrhynchos94. Une
chose est certaine : le niveau de fortune et l'état du marché ne jouent
aucun rôle, sauf quand l'approvisionnement est si insuffisant qu'on ne
peut livrer les quantités dues, car on n'a pas plus de chances d'être
inscrit si on est pauvre et on ne touche aucun supplément les mauvaises
années. La situation est exactement la même qu'à Rome, ce que
confirme l'existence de gradins manifestement destinés, en Italie, à assurer
les distributions de la même manière que dans la capitale95.
90 A Oxyrhynchos, on peut se faire inscrire sur les listes d'ayants droit théoriques à
condition d'être un homme, puisqu'aucune femme n'est mentionnée parmi les
bénéficiaires; d'être un citoyen originaire de la ville puisqu'on indique le quartier de chaque
bénéficiaire; d'avoir un âge minimum qui ne peut être supérieur à 16 ans puisque c'est l'âge
du plus jeune parmi les inscrits (P. Oxy. 2 902), mais qui pourrait être de 14 ans (J. Rea,
introduction à P. Oxy., t. 40, p. 13).
91 P. Oxy. 2 929 donne la liste par quartier des 3 000 inscrits (κατ'άνδρας των τρισχει-
λίων) alors que le total des bénéficiaires recensés quartier par quartier n'est que de 2 928
ou 2 904 personnes. C'est donc que le total théorique n'a pas été atteint, par suite de
décès ou autres disparitions non encore remplacées. La ration mensuelle est de 1 artabe
par personne, puisque P. Oxy. 2 908 indique que 900 personnes reçoivent 900 artabes.
Mais ces 900 bénéficiaires sont les anciens magistrats de la cité. Peut-être ne touchaient-
ils pas les mêmes rations que les citoyens mais le fait que tous les ayants droit, quelle que
soit leur catégorie, sont mis sur le même plan, rend cette hypothèse peu plausible (J. Rea,
op. cit., p. 6 admet que tous recevaient 1 artabe par mois).
92 Cf. ci-dessus, p. 336-338.
93 P. Oxy., t. 40.
94 Voir ci-dessus, p. 328. L'hérédité tant qu'un mâle peut prendre la succession de
son père n'est pas en contradiction avec le choix d'un remplaçant, quand un bénéficiaire
meurt sans héritier direct.
95 Cf. ci-dessus, p. 430-431. Le fait que le même terme soit utilisé à Rome et dans les
provinces confirme que l'institution est de même nature et a la même finalité. Ce qu'on
rencontre en Italie apparaît comme très proche de ce que les sources égyptiennes nous
révèlent.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 45 1
Une telle similitude avec Rome exclut que le choix ait répondu à un
quelconque désir d'atténuer les effets de la pauvreté sous l'influence de
sentiments humanitaires ou du christianisme. Nous assistons sans
aucun doute à la continuation de pratiques anciennes dont on aimerait
connaître l'histoire antérieure96. Il apparaît que l'Etat, car c'est lui qui
paie la dépense, décide d'accorder à certaines villes les mêmes
avantages qu'aux deux capitales, sans aucun doute pour les mêmes raisons :
on cherche à attirer et retenir en ville une population nombreuse, plus
nombreuse que celle qui y viendrait spontanément en fonction des
possibilités économiques naturelles, parmi laquelle on pourra recruter
tous les fonctionnaires nécessaires à la bonne marche de
l'administration et qui assurera tous les services dont ont besoin les agents du
pouvoir. Peut-être veut-on aussi assurer à l'Etat la parure urbaine qu'on
estime indispensable à sa gloire. La continuité entre des prestations
identiques à Alexandrie depuis une date largement antérieure à notre
période jusqu'au terme de celle-ci renforce le sentiment que, pour
l'histoire urbaine, le passage de l'empire romain à l'empire byzantin ne
modifia pas la conception que le pouvoir se faisait des villes, même si
l'application des principes fondamentaux révêtait des formes
différentes.
II est significatif que les ventes de blé public, sous les deux formes
que nous avons analysées, apparaissent dans la documentation presque
exclusivement à l'occasion de crises frumentaires. Cela révèle leur
finalité essentielle qui consiste à venir au secours des villes au moment où
le marché libre ne peut plus les nourrir puisque les paysans
commencent par garder de quoi manger avant de vendre une part de la récolte.
Si donc celle-ci diminuait de 20 ou 30%, la part mise sur la marché
spontanément risquait de se réduire de 80 ou 90%; pendant les très
mauvaises années, elle finissait par être quasi nulle. On ne doit
cependant pas oublier, même si les sources insistent peu sur cet aspect, que
les ventes à prix fixe complétaient aussi les distributions gratuites car
elles livraient des quantités de grain qui pouvaient être considérables et
que le marché libre aurait été bien incapable de fournir; ces ventes
étaient indispensables pour que la population d'une ville donnée pût
101 Cassiodore, Variae, 10, 27, éd. cit., p. 408-409. Cf. p. 433, n. 25.
102 Sur la res privata, les biens de la couronne, voir la mise au point de M. Kaplan,
Les propriétés de la couronne et de l'Eglise dans l'empire byzantin (Ve-VIe siècles), Paris,
1976, p. 10-11.
103 CTh 11, 27, 1 : . . .Per omttes civitates Italiae proponatur lex, quae parentum manus
a parricidio arceat . . . Si quis parens adferat subolem, quant paupertate educare non possit,
nec alimentis nec in veste inpertienda tardetur . . .
104 CTh 1 1, 27, 2 : Le père dans la misère per fiscum nostrum adjuvetur ita ut procon-
sules . . . stipem necessariam largiantur atque ex horreis substantiam protinus tribuant com-
petentem.
454 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
105 Les sources non législatives ne parlent, il est vrai, jamais des alimenta non
ecclésiastiques ; ce n'est pas une raison suffisante pour penser qu'ils n'ont jamais été mis en
œuvre, au moins par l'intermédiaire de l'Eglise, à qui on aurait sous-traité une forme
d'assistance sociale à une époque assez haute.
106 CTh 11, 27 s'intitule De alimentis quae inopes parentes de publico petere debent.
107 On a insisté sur la différence formelle entre les alimenta de Trajan qui
s'adressaient à tous les citoyens de l'Empire, même si les plus pauvres étaient
vraisemblablement les seuls à demander à en bénéficier, et les alimenta de Constantin qui sont
proposés exclusivement aux pauvres dont l'état d'indigence aura été constaté (P. Veyne, Les
«alimenta» de Trajan, Les empereurs romains d'Espagne, Paris, 1965 (Colloques
internationaux du CNRS), p. 169-170). Faut-il en conclure que Trajan avait des intentions
essentiellement démographiques alors que Constantin aurait surtout voulu lutter contre
l'infanticide et opposer une attitude économique à une attitude morale? Il ne le semble pas
en lisant les lois. Constantin, influencé par l'esprit du temps, dit tout haut ce qui était
implicite dans la pensée de Trajan. En outre, lutter contre l'infanticide est une manière
d'agir sur la natalité.
108 Sur les alimenta, voir aussi F. C. Bourne, The roman alimentary program and ita-
lian agriculture, Trans, of the Amer. Philol. Association, 1960, 43-75; A. R. Hands, Charities
and social aid in Greece and Rom, Londres, 1968, p. 108-115; R. P. Duncan- Jones, The
economy of the roman Empire, Cambridge, 1974, p. 288-319: L'institution des alimenta
aurait disparu au IVe siècle, mais l'auteur n'explique pas d'où il tire cette conclusion.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 455
vin, soit 120 livres ou 40 litres de vin, et un chaudron de ragoût. Avec ces rations on
nourrissait 100 pauvres par jour.
112 Sur la pratique de la charité, voir ci-dessous, p. 540-558.
113 NJ 80, 4-5. L'assistance offerte aux indigents incapables de subvenir à leurs
besoins s'apparente aux alimenta bien qu'elle soit fournie à des adultes et qu'elle le soit
par des établissements pieux.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 457
1) Le financement
114 D 50, 16, 15 : Bona civitatis abusive publica dicta sunt : sola enim publica sunt quae
populi romani sunt. Β 2,2, 14 traduit ce texte en grec. La distinction est purement
financière. Elle revient à dire, comme dans le droit actuel, que les affaires et les finances des
collectivités territoriales, ici les cités, sont distinctes de celles de l'Etat. Cela n'empêche
pas des imbrications si intimes - alors comme aujourd'hui - que, pour un profane ou un
usager d'un service public, quel qu'il soit, la différence n'est pas directement perceptible.
La question du budget total des cités et de la part qui en était consacré aux dépenses
effectuées au profit des cités mériterait d'être étudiée de manière approfondie.
458 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
pour lui verser des subventions, soit pour les contrôler, bien au
contraire.
a) Le financement municipal
115 Voir ci-dessus, p. 366 et 368. La curie aurait seulement dû présenter un plan
d'intervention qui, soumis à l'avis impérial, aurait eu besoin, pour être applicable, d'un visa
du gouverneur autorisant la συνωνή ou d'autres mesures.
116 De même le César Gallus, résidant, à Antioche, en 354, s'est substitué au
gouverneur pour ordonner l'établissement d'un maximum des prix (yilitas). Ce maximum ne
donna aucun résultat car la curie refusa de collaborer avec lui, sans doute pour
pratiquer une συνωνή (voir ci-dessus, p. 364-365). C'est pourquoi, dans les lois, c'est la cité qui
propose la συνωνή et le gouverneur qui fixe le prix permettant de l'effectuer.
117 Inutile en effet de bloquer les prix si on n'a rien à vendre. La révolte de 354 à
Antioche provient précisément de la mauvaise entente entre le pouvoir central et les
autorités locales.
118 Ci-dessus, p. 241, n. 149 et 332-335.
119 Ci-dessus, p. 406-420.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 459
120 Ci-dessus, p. 308-309 : La cité ne peut procéder à des achats forcés hors de son
territoire.
121 Ci-dessus, p. 292, pour la définition du terme.
122 Ci-dessus, p. 418, sur les limites de l'action du σιτωνικόν, dès qu'une crise se
prolonge au-delà d'un an.
123 Ci-dessus, p. 299 et 308-309.
124 En 385, à Antioche, le gouverneur dirige fermement le fonctionnement du ravitail-
lemant bien que, apparemment, il n'ait pas contribué à son financement; il intervient
donc dans la gestion des revenus locaux.
460 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
b) Le financement public
ponction sur les ressources locales pour assurer une forme particulière
et efficace de redistribution des richesses disponibles, l'aide publique
aboutit à une injection de céréales dans un marché asphyxié faute de
ressources suffisantes et faute de pouvoir importer des quantités
notables, avec les moyens dont on dispose sur place. Cette injection se fait le
plus souvent à partir des greniers publics dispersés dans tout l'Empire,
surtout ceux d'Egypte et de Sicile, mais aussi de la plaine du Pô ou
d'Afrique131.
L'intervention de l'Etat s'accompagne d'un contrôle sur l'usage des
quantités ainsi données et sur toute la gestion des prestations, même
quand elles sont d'origine purement locale. Quand le représentant du
souverain décide qu'on vendra du blé à raison de 10 ou 25 muids pour
1 sou, il est clair qu'il vérifie d'une manière qui n'est pas précisée la
conformité de la vente avec ses prescriptions132. De même quand le
gouverneur fait placer un collier au cou des Edessiens, ce n'est pas lui
qui dirige l'opération, mais c'est lui qui a prévu ce moyen de vérifier
que les bénéficiaires n'obtiennent pas plusieurs rations, et les autorités
compétentes obéissent133.
Les indices dont nous disposons imposent donc l'idée que
l'approvisionnement des cités est d'abord une affaire municipale, comme les
textes législatifs le prescrivent, et cela à un double titre : parce que la
cité paie elle-même une part de la dépense sur son budget propre;
parce que l'Etat, quand il finance l'opération, verse les fonds aux autorités
d'une cité particulière. Mais ce que les lois ne disent pas assez
nettement car ce n'est pas leur propos, c'est que l'empereur surveille de très
près toute cette politique de l'approvisionnement car il donne aux cités,
l'ordre d'agir, il les aide ou se substitue à elles quand elles n'ont pas les
moyens d'intervenir efficacement, il contrôle de près que les fonds
affectés à cette mission sont effectivement utilisés de la manière qu'il
avait prévue.
Un tel contrôle montre que l'approvisionnement est considéré corn-
me les autres aspects de la vie municipale dont l'Etat pense qu'ils sont
importants pour le destin commun de l'Empire. Ainsi fait-il en
particulier pour les murailles 134. Dans ces conditions, ce qui apparaissait
comme une affaire locale se révèle être un souci constant de l'Etat, ce dont
témoigne l'ordre donné aux gouverneurs de veiller sur le σιτωνακόν de
leur province135. Le ravitaillement est une préoccupation permanente
de l'empereur qui délègue cette tâche à la cité mais tient à ce que cette
dernière l'exécute sans faille : il lui donne, si nécessaire, les moyens
indispensables pour remplir sa mission. Notons aussi que les villes qui
bénéficient d'une assistance à partir de greniers publics situés hors des
limites de la cité sont le plus souvent des ports méditerranéens et qu'ils
reçoivent du blé venu de régions proches de la mer ou de cours d'eau
navigables, à la seule exception de l'Afrique, dépourvue de cours d'eau
perènnes et qui fut cependant un grenier important de l'annone
imperiale comme de l'alimonia de Carthage, sans compter peut-être les
versements à d'autres cités dont nous avons perdu le souvenir136. L'Empire
dispose de gros moyens mais ne peut aller contre une nécessité
majeure : l'impossibilité d'assurer des transports de masse sur les routes. Il
ne se résoud à utiliser ce moyen de transport que dans les
circonstances les plus graves, et de manière très exceptionnelle137.
134 Les murailles constituent une affaire municipale si on se place du point de vue
financier, puisqu'elles sont payées et entretenues par le budget de la cité. Cependant le
pouvoir intervient en permanence pour que le réseau de défense corresponde exactement
aux besoins généraux de l'Empire. Il en découle une interaction permanente de
l'administration centrale et de la curie, la première fixant les objectifs et affectant d'office une
part du budget local aux fortifications tandis que la seconde doit appliquer ces décisions
en fonction des possibilités au moment où l'ordre arrive. Voir, sur cette question, J. Dur-
liat, Les dédicaces d'ouvrages de défense dans l'Afrique byzantine, Rome, 1982 (Collection
de l'Ecole française de Rome, 49), p. 93-105.
135 Ci-dessus, p. 426-428.
136 Ci-dessus, p. 438-441.
137 Ci-dessous, p. 513-514.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 463
a) La perception
138 Sur les pouvoirs du sitona, tels qu'ils ressortent des lois, ci-dessus, p. 299-300 et
302. Sur le petit nombre de sitonae qui apparaissent dans la documentation, ci-dessous,
p. 474.
139 Ci-dessus, p. 344.
140 Pour Thessalonique, ci-dessus, p. 391-396. A Antioche, on ignore comment le blé a
été conduit jusqu'à la ville; ce peut être par la flotte annonaire ou par des bateaux placés
sous la responsabilité de curiales d'Antioche qui devaient organiser une σιτηγία (cf. ci-
dessus, p. 373).
141 Thessalonique et Alexandrie ont eu recours au blé de Sicile (ci-dessus, p. 334 et
397).
142 Rome et Ravenne reçoivent du blé sicilien, assurent sa perception, sous-traitent
son transport à des armateurs indépendants et organisent le stockage et la vente en ville
(ci-dessus, p. 151-154 et 434). Pour Ravenne les renseignements sont rares, mais les
procédures devaient être les mêmes.
464 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
ie travail partiel, surtout pour la province, alors que les greniers de Rome et
d'Ostie sont étudiés avec soin, de G. Rickman, Roman granaries and store buildings,
Cambridge, 1971.
149 Publiés par N. Duval et N. Popovic, Sirmium VII. Horrea et thermes aux abords du
rempart Sud, Belgrade-Rome, 1977 (coll. de l'Ecole française de Rome, 29, 1), surtout
p. 92 : les horrea du bâtiment A auraient pu être réutilisés au VIe siècle, mais on ne sait à
quelle fin, malgré la présence de débris d'amphores. Les auteurs ne citent aucun
bâtiment comparable, car les dépouillements n'ont pas été effectués pour les époques dites
tardives.
150 Sur l'histoire tardive des greniers romains et leur occupation progressive par des
édifices ecclésiastiques, voir ci-dessus, p. 144-145. On constate une continuité dans
l'occupation. Il serait sans doute intéressant de savoir ce que sont devenus ailleurs les greniers
municipaux et à quelle date ils ont changé d'affectation. On disposerait alors d'un indice
supplémentaire pour une histoire de l'approvisionnement à partir du VIIe siècle.
151 Sur les greniers de Constantinople, voir R. Janin, Constantinople byzantine.
Développement urbain et répertoire topographique, 2e éd., Paris, 1969 (Archives de l'Orient
chrétien, 4 A), p. 181-182. On ignore même, actuellement, la situation exacte des énormes
greniers où était stocké tout le blé de la capitale. Une liste, pour le IVe siècle, en est donné
par la Notitia urbis constantinopolitanae (éd. O. Seeck, Notifia dignitatum. Accedunt noti-
tia urbis constantinopolitanae et laterculi provinciarum, Berlin, 1876, p. 227-243).
466 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
152 CTh 15, 1, 46 : II faut détruire tous les édifices privés qui sont mitoyens d'un
édifice public. CTh 15, 1, 38 : Même disposition pour les greniers. CTh 15, 1, 4 : On construira
toujours les habitations particulières à plus de 100 pieds des horrea.
153 Le ou les greniers ne sont mentionnés explicitement que pour Thessalonique (ci-
dessus, p. 399) et Edesse (p. 407). Cependant le fait même que les trois autres villes aient
une annone municipale implique nécessairement qu'elles aient eu des greniers.
154 II ressort des deux dernières lois analysées (n. 152) que, si on adopte des lois
particulières pour les greniers installés dans les villes, c'est qu'ils devaient être nombreux.
Voir aussi les nombreuses lois de CTh 12, 6, qui traitent des greniers, surtout CTh 12, 6,
33, 430, qui ordonne aux curiales de Byzacène de ne plus veiller sur les horrea de leurs
villes et interdit à un principalis de diriger les greniers de la Proconsulaire. On ne saurait
mieux dire que chaque cité a son grenier. Nous verrons que l'annone et les autres
services qui ont besoin d'un grenier utilisent le même dès que la ville est petite. Que toute ville
ait un grenier ne prouve donc pas qu'elle ait un service de l'alimentation, mais l'absence
de grenier ne pouvait que très exceptionnellement expliquer l'absence d'un tel service. En
fait on trouvait l'un et l'autre à peu près partout. Pour d'autres exemples de greniers,
voir les n. suivantes. Voir aussi ILGS 306 et 2 081 (un grenier public construit par l'évê-
que d'Aréthuse en 503-504) ; K. Hermann et O. Puchstein, Reisen in Kleinasien und
Nordsyrien, Berlin, 1890, p. 405, n. 5 : construction d'un grenier par l'évêque de Constantina
(Wiranschehr) en 542 (je remercie Monsieur Cyrille Mango de m'avoir signalé cette
référence).
155 Edesse ne possède qu'un grenier (ci-dessus, p. 407), mais conserve du blé pour
l'armée (ci-dessus, p. 418-419). Le grenier servait donc à la fois aux civils et aux
militaires. Pour ce qui est des civils, il faut sans aucun doute distinguer entre les citoyens et les
fonctionnaires qui touchaient en nature une part de leur salaire.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 467
ne devait pas être très différente car le gouverneur fait donner du blé
public, pris dans le ou les greniers qu'il dirige, aussi bien aux civils
affamés qu'aux militaires stationnés pour un temps assez court, sans
qu'on dise jamais que les stocks considérés se trouvent en des lieux
différents ou sont soumis à des autorités particulières156. Tout se passe
donc comme si le responsable du grenier tenait à jour des comptes non
seulement de la quantité globale de blé, mais aussi du blé à la
disposition de l'armée, de l'annone des capitales, de l'administration
municipale, de l'Eglise, du σιτώνης . . . 157. La situation était évidemment
différente dans les grandes agglomérations comme Carthage où on nous
cite les greniers de l'annone, vraisemblablement distincts des autres158,
mais, à Darà, Anastase ne prévit qu'un grenier159, de même que dans les
villes de Mésopotamie, après la guerre contre les Perses 16°.
Cette fonction multiple d'un même greniers permet de rendre
compte de l'opération réalisée par l'Eglise de Rome en faveur du
sitonicum de Sicile161. Les agents du pape avaient la charge de conserver
dans leurs greniers tout le blé qu'ils avaient perçu pendant l'année
écoulée et de reverser à chaque grenier public les quantités qui lui
revenaient, au moment où il l'exigerait. Le blé du sitonicum de Sicile
avoisinait celui de l'annone romaine et celui destiné aux agents de
l'Eglise, en Sicile ou à Rome. Mais le curateur du sitonicum lui-même
pouvait fort bien faire déposer ce blé dans le grenier municipal des
diverses cités où, par ailleurs, le tribun conserverait le blé des soldats,
et l'évêque, celui des clercs. Dans nombre de villes, comme par exemple
à Thessalonique, on parle des greniers publics sans préciser leur
affectation, indice que, même là óù ils étaient plus nombreux, ils servaient
156 A Carthage, dans un contexte différent, on voit le même blé servir à des usages
divers, malgré l'existence de plusieurs greniers. En effet le gouverneur utilise le blé anno-
naire pour la population locale tenaillée par la famine (ci-dessus, p. 387).
157 Ainsi, quand les responsables des greniers de Dertona, Pavie, Trente et Trévise
doivent donner le tiers de leur blé aux villes d'Italie du Nord, voit-on bien qu'ils gèrent
une masse indifférenciée dont ils doivent bien connaître l'origine, mais qu'ils affectent à
divers postes, soit de manière constante, soit sur ordre particulier, en fonction de telle ou
telle circonstance particulière (cf. ci-dessus, p. 432-433).
158 Voir ci-dessus, p. 387.
159 Cf. par exemple Historia ecclesiastica Zachariae rhetori vulgo adscripta, 1, trad. E.
W. Brooks, Louvain, 1953 (CSCO, script, syri, 41), p. 25.
160 Incerti auctoris chronicon pseudo-dionysianum vulgo dictum, trad. J.-B. Chabot,
Louvain, 1949 (CSCO, 121), p. 224.
161 Cf. ci-dessus, p. 151-154.
468 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
168 Incerti auctoris chronicon pseudo-dionysianum vulgo dictum, éd. cit., p. 196.
169 ρ yan den Yen, La légende de saint Spyridon, évèque de Trimithonte, Louvain,
1953 (Bibliothèque du Muséon, 33), p. 11 : Dans un texte très riche, l'auteur explique que,
à la suite d'une famine, les σιτώνοα και σιτοκάπηλοι profitaient des malheurs des gens et
que l'un de ces σιτοκάπηλοι est un riche κτήτωρ (possessor, curiale, plutôt que gros
propriétaire) qui vend du blé, de l'orge ou des légumes secs si on le paie sur le champ. Le
saint promet aux pauvres affamés (πένης πείνων, c'est-à-dire le citoyen modeste qui est
touché par la famine et non le mendiant sans ressources) que tout ira mieux le
lendemain. A la suite d'une pluie miraculeuse, on ouvre tout grand le grenier (άποθήκην την
παρά τισιν ώρείον καλουμένην). Outre l'homonymie άποθήκη-ώρεΐον, on remarquera qu'il
n'est pas question de marchands de blé (σιτοκάπηλοι) à côté des σιτώναι, mais que ce
sont les σιτώναι qui se comportent comme des spéculateurs puisque tout rentre dans
l'ordre dès que la pluie miraculeuse a obligé à ouvrir le grenier municipal. Il n'est nulle part
question de greniers privés. L'opposition entre l'évêque et les σιτώναι est plus
vraisemblable au IVe siècle, quand il n'est pas encore devenu leur chef qu'au VIIe siècle, quand la
vie fut rédigée. C'est un argument en faveur du fait que l'auteur a utilisé des documents
anciens, quelle que soit leur origine.
170 PSI 939, cité par G. Rouillard, op. cit., p. 136, suggère un rapport entre l'annone et
une αποθήκη, mais on ne lit plus guère que ώς φθάσαντα την άποθήκην δια μηδέν άλλο
άνελθών ει μη δια την έμβολήν : Quelqu'un qui revient à Γάποθήκη uniquement pour
l'annone est apparemment quelqu'un qui revient dans ce lieu parce qu'on s'y occupe de
l'annone.
171 Basile, Commentaire à Luc 12, 18 : «Je détruirai mes greniers et je les reconstruirai
plus grands», éd. dans PG 31, col 261-277, où grenier, au sens de grenier privé, est
constamment rendu par αποθήκη.
470 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
172 La question de Γάποθήκη et de Γάποθηκάριος est loin d'être réglée. Abusés par le
fait que les sceaux conservés sont surtout ceux du commerciaire de telle αποθήκη, les
historiens ont fait de ce grenier le lieu exclusif du stockage des produits perçus au titre
du κομμερκιον, l'impôt sur la circulation des produits au moins entre l'empire byzantin
et le monde extérieur (voir, en particulier, H. Antoniadis-Bibicou, Recherches sur les
douanes de Byzance, Paris, 1962 (Cahiers des Annales, 20), p. 106, 168, 169, 185, 186, 189, 246).
On trouve cependant, entre autres exemples, un sceau de Γάποθήκη των άνδραπόδων
Φρυγών Σαλουταρίας, le grenier des esclaves de la Phrygie Salutarla (G. Zacos, A. Veglery,
Byzantine lead seals, t. 1, Bale, 1972, n° 187, p. 267) Je remercie Mme Cécile Morrisson
d'avoir attiré mon attention sur ce texte important. Dans ce cas, Γάποθήκη ne peut être
un grenier des douanes. Le terme a donc une grande variété de sens et peut très
facilement désigner le grenier de l'annone, lorsque le contexte l'exige ou le suggère. Dans ces
conditions, κομμερκιάριος αποθήκης signifie plutôt commerciaire de la ville de . . ., c'est-
à-dire commerciaire qui stocke ses revenus dans le grenier municipal de telle ville, dans
un grenier qui sert à une foule d'autres usages. Il n'est pas l'agent d'une αποθήκη conçue
comme un service des douanes. Le grenier, quant à lui, peut n'être qu'une unité de
compte, formée de plusieurs locaux correspondant à autant de greniers réels. La formule
αποθήκη κομμερκίων, pour sa part, désigne sans doute le local concret, ou la partie du
grand grenier qui sert au commerciaire d'une ville pour conserver ce qu'il a perçu.
173 Vie du patriarche Eutychius, 15, Acta sanctorum, avril, t. 1, p. LXIII : L'évêque est
le supérieur de Γώρεάριος, puisque ce dernier lui remet les clefs du grenier et il agit, dans
ce miracle, en tant que chef de la cité car ce ne sont pas les pauvres ou les clercs qui ont
faim, mais toute la population de la cité : Έν τω όρείω σίτος ούκ εστί, και την δχλησιν ού
φέρω του λαού : II n'y a plus de blé dans le grenier et je ne supporte plus les réclamations
du peuple. En outre ni l'évêque, ni le responsable ne reçoivent, dans cette scène de
qualificatifs religieux. Par contre, dans le miracle suivant, où un monastère vient en aide à la
population affamée (p. LXIII), tout le vocabulaire et le contexte sont religieux.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 471
c) Ventes et distributions
Pour être livré aux consommateurs, le blé doit être transformé.
Nous n'avons aucune indication sur la manière dont le grain est moulu,
par les boulangers ou par des meuniers spécialisés qui n'apparaissent
dans aucun document, ce qui ne prouve rien174. La fabrication du pain
est effectuée par les boulangers qui, en échange du privilège de faire
seuls le pain pour toute la ville, s'engagent à en confectionner les
quantités requises au prix fixé par l'administration175. Les autorités
municipales doivent surveiller qu'ils respectent bien les normes établies, et
sont parfois obligés d'engager avec eux une épreuve de force qui
tourne à l'avantage des boulangers s'ils décident de faire la grève et de
quitter la ville 176. L'existence, dans une autre ville, d'un boulanger
municipal177, tend à prouver que la corporation178 était un mode
d'organisation fréquent des boulangers, sous le contrôle de la curie.
174 Tout le travail qu'on lit ici attire l'attention sur le fait que les sources accordent
rarement aux réalités dont elles témoignent la même importance que les contemporains.
En outre le silence des textes peut à tout moment être rompu par une découverte.
Cependant on notera que les moulins à eau exigent à la fois de l'eau et une pente suffisante. On
ne peut en trouver que dans quelques régions particulières.
175 Le monopole des boulangers, au moins dans un certain nombre de villes, se
déduit de ce qu'une grève de leur part paralyse toute une cité et de ce qu'on doit prendre
une mesure particulière pour que tout un chacun puisse cuire du pain (ci-dessus, p. 446-
449).
176 Sur le contrôle des boulangers d'Antioche par la curie, ci-dessus, p. 376.
177 Voir, pour le texte, p. 440, n. 56.
178 Etre boulanger municipal suppose des liens particuliers avec la cité. Dans une
petite ville comme Sardis, on peut imaginer que le boulanger municipal ait été seul, ce
qui est peu vraisemblable si l'on tient compte de ce que nous apprennent les sources
400 km
Fig. 7 - CirculationRome
du blé
auxpublic
IVe etentre
Ve siècles;
le IVe Constantinople
et le VIIe siècle de
à l'exclusion
330 au VIIedusièb
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 473
a) Le σιτώνης et la curie
Les lois anciennes, reprises dans le Digeste, accordaient une
grande place au sitona, choisi par la curie, parfois à titre temporaire, quand
la cité se trouvait dans le besoin179. Par la suite, son intervention est
moins nettement indiquée puisque, au VIe siècle, ce sont l'évêque et
trois principales qui s'occupent de ce service, comme des autres, celui
des murailles, celui des aqueducs ou celui des travaux publics180. Rien
relatives à Edesse. Mais dans les grandes villes, comme à Antioche, une corporation
(έθνος) est nécessaire pour coordonner une action difficile. Sur la corporation des
boulangers au Bas-Empire, voir J.-P. Waltzing, Etude historique sur les corporations
professionnelles chez les Romains jusqu'à la chute de l'empire d'Occident, t. 2, Les collèges
professionnels considérés comme institutions officielles, Louvain, 1896, p. 219-222. Pour l'époque
postérieure, voir Le livre du préfet ou l'édit de l'empereur Léon le sage sur les corporations
de Constantinople, 18, éd. et trad. J. Nicole, Genève, 1893, p. 53-55. Les boulangers
reçoivent leur blé de l'administration, leur bénéfice est fixé par la loi ; leurs représentants vont
chez le responsable administratif quand il faut modifier le prix du pain. Ce règlement,
valable au Xe siècle pour la capitale, n'est pas en contradiction avec ce que nous
apprenons des boulangers de province à notre époque.
179 Cf. ci-dessus, p. 292, 299-300 et 308-309.
180 Pour les lois qui attribuent aux principales et à l'évêque la responsabilité des
services municipaux, cf. ci-dessus, p. 313-315. Les autres sources, toutes hagiographiques,
attribuent le mérite de l'assistance alimentaire à l'évêque. Voir cependant ci-dessus,
474 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
ne dit que chacun des quatre soit spécialisé dans une ou plusieurs de
ces charges, bien que le plus probable consiste à supposer que l'évêque
est le responsable ultime, et que chacun des autres membres de cette
commission municipale est responsable d'une activité dans le cadre
d'une administration collégiale.
Cette conception de la charge du σιτώνης rend assez bien compte
de la discrétion des autres sources à son sujet. On ne mentionne
explicitement son existence qu'à Cesaree de Cappadoce181. A Antioche, on
devine seulement l'action de deux σιτώναι. En 354, la population affamée
s'en prend à l'action de la curie et n'attaque qu'une seule maison, celle
d'Euboulos à laquelle on met le feu182. Pour que cette personne
cristal ise toute la colère populaire, il faut qu'elle joue un rôle particulier dans
l'approvisionnement; c'est pourquoi elle me paraît occuper une
fonction spécialement affectée à cette charge, qui ne peut être que celle de
σιτώνης. De même, en 384, on voit apparaître un principalis
spécialement chargé de surveiller les boulangers, la vente du pain et les poids
et mesures de la cité183. Il est surtout passé à la postérité pour son
comportement cruel envers le boulanger Antiochus, que Libanius
défendit184. Ses fonctions font très vraisemblablement de lui un autre
σιτώνης d'Antioche. On notera que son collègue Kallipos est
responsable des ventes sur le marché, ce qui confirme que le blé et le pain ne s'y
échangeaient pas, mais qu'ils étaient vendus par les boulangers,
directement dans leurs boutiques185.
b) Le σιτώνης et le gouverneur
Le service de l'approvisionnement, fermement tenu par la curie
qui ne délègue pas son autorité au point de se priver de tout moyen de
contrôle, est aussi surveillé par le gouverneur, ou plutôt par son agent,
dont nous connaissons le nom latin : le curator sitonici. Il est bien
fonctionnaire du gouverneur puisque le pape Grégoire le Grand s'adresse
au second pour se qui concerne l'action du premier 19°. Si le curator
sitonici était un sitona, le pape s'adresserait directement à lui ou à la curie
qui l'a nommé. Il faut donc comprendre que Varca frumentaria (σιτωνι-
κόν) provinciale est un service qui supervise, sous la direction du
curator, les arcae urbaines dont le gouverneur a la responsabilité. C'est
pourquoi le curator est nommé directement par les bureaux de
l'administration centrale 191 et se fonde sur les ordres du gouverneur pour
exiger que les responsables locaux lui versent le blé auquel il a droit192 et
qu'il doit reverser aux sitonae de sa province. Ces derniers recevront
par son intermédiaire leur part de céréales publiques. C'est sans doute
à lui qu'ils rendront des comptes, en lieu et place du gouverneur193.
Les rapports entre le σιτώνης et le gouverneur qui lui fait verser
une partie du blé dont il se sert, qui fixe le prix d'achat pour les συνω-
ναί, qui contrôle l'usage des fonds versés et peut même intervenir pour
189 C'est ce qu'ont montré tous les exemples analysés jusqu'ici et qui mettent des évê-
ques en scène.
190 Voir ci-dessus, p. 152-153.
191 Voir ci-dessus, p. 433.
192 Ibid.
193 Puisque le gouverneur a un droit de regard sur la gestion de l'annone municipale
(ci-dessus, p. 461), il a aussi un droit de regard sur celui qui en a la responsabilité. Son
agent chargé de l'annone des cités se substitue tout naturellement à lui.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 477
que des mesures soient prises194, ces rapports sont révélateurs des
rapports existant entre administration ou finances publiques et
administration ou finances municipales. On a déjà vu que la distinction entre les
unes et les autres n'est pas toujours facile; on voit ici qu'elles sont
profondément imbriquées. L'étude de l'annone des capitales nous a
montré le rôle des cités dans le fonctionnement de l'administration
d'Empire puisqu'elle constitue une assiette fiscale dont la curie doit percevoir
les sommes exigées par l'Etat selon les barèmes qu'il a fixés, avant de
les conserver ou de les reverser à qui de droit conformément aux
ordres qu'elle reçoit. Ici nous voyons comment l'administration
impériale se décharge sur la curie de toute l'administration locale. L'antique
autonomie des cités, pour autant qu'elle ait existé, a disparu. Les
ressources sont sévèrement surveillées par les agents de l'Etat qui peut en
disposer pour ce qu'il croit être le plus grand bien de chaque cité et de
l'Empire, ainsi qu'on le voit dans le cas des fortifications195. De même
que les murailles protègent à la fois la ville et l'Empire,
l'approvisionnement municipal assure la continuité des activités locales et par là
même celle des ressources publiques. Les cité sont des pions dans un
vaste ensemble; elles peuvent faire des propositions, comme demander
l'organisation d'une συνωνή, mais ne peuvent pratiquement rien faire
sans ordre exprès du pouvoir. Les secteurs essentiels de la vie
municipale, comme l'entretien des bâtiments publics, des aqueducs, des
murailles et l'approvisionnemnt en blé, sont placés sous la haute
surveillance de l'administration centrale qui fournit une grande partie des
ressources nécessaires. Les finances municipales ne sont plus guère
alimentées que par le produit de recettes concédées ou rétrocédées après
confiscation par le pouvoir impérial; elles contribuent à
l'accomplissement de tâches qui, pour avoir un intérêt local immédiat, concourent
aussi à la prospérité de tout l'Etat. Les lois présentent à juste titre le
ravitaillement comme une activité municipale, car elle concerne direc-
194 C'est du moins ce qu'on peut conclure de ce qu'un gouverneur a été condamné à
Antioche pour n'avoir rien fait à l'occasion d'une famine. Il faut donc qu'il ait eu le
pouvoir de donner des ordres à l'administration municipale (cf. ci-dessus, p. 362-363) ; mais il
ne doit pas dépasser certaines limites (cf. ci-dessus, p. 373).
195 Cf. ci-dessus, n. 134. La question des rapports entre l'administration centrale et
celle des cités devrait être reprise sur des bases plus larges que les travaux trop
juridiques de J. Declareuil, Quelques problèmes d'histoire des institutions au temps de l'empire
romain, Paris, 1911, p. 306-393 et N. Charbonnel, Les munera publica au IIIe siècle, thèse
dactylographiée, Université de Paris II, passim.
478 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
tement les citoyens, et en outre l'Etat laisse aux autorités locales une
certaine marge de manœuvre puisqu'elles sont bien placées pour
apprécier l'urgence des mesures, mais cette activité s'exerce dans le cadre
strict de l'administration provinciale, sous l'œil vigilant du gouverneur
qui veille à ce que personne ne détourne fonds et décisions de leur but
initial.
Il reste à tenter d'apprécier le coût de ces dépenses jugées trop
importantes pour qu'on laisse les cités en décider à leur gré.
IV - APERÇU QUANTITATIF
198 Ibid. Rien ne suggère que des parts du τρόφιμον soient restées longtemps sans
bénéficiaire.
199 La ration moyenne en année normale était proche de 20 kg par personne et par
mois. Cependant, pendant une famine, elle tombait rapidement à 1 livre par personne et
par jour, soit environ 10 kg par mois (cf. ci-dessus, p. 415).
200 Voir ci-dessus, p. 373-375.
201 Voir ci-dessus, n. 196. On constate ainsi combien les évaluations faites pour des
années « normales » sont inférieures à la réalité car la vilitas ne peut au mieux que
diminuer le prix de 50%, tandis que la Caritas le multiplie très vite par deux, souvent par trois,
parfois par dix (voir ci-dessous, p. 497-502).
202 On attendait en effet du blé d'Egypte, pour une quantité qui n'est pas précisée.
480 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
203 Ci-dessus, p. 336. La mention des réfugiés qui fuyaient les Perses a surtout pour
but de rappeler que, à cette occasion, le patriarche a agi en tant que chef de la
communauté religieuse, recevant des étrangers dans sa ville, alors que l'essentiel de la dépense a
été fait au titre de l'administration civile, en faveur des citoyens résidant dans la ville. La
disproportion entre l'assistance à un petit nombre de réfugiés et à la totalité de la
population d'Alexandrie, est flagrante.
204 Cette estimation, à partir d'un nombre douteux, attribue au blé un prix élevé, mais
attesté en pareilles circonstances, et tient compte des frais de transport, au tarif habituel
(cf. ci-dessus, p. 336-337, n. 40).
205 Dans ces conditions, le nombre de 1 000 livres empruntées à l'occasion d'une
disette sévère, qui paraît inventé, tant il correspond à une somme arrondie, pourrait être
sinon exact, du moins vraisemblable, comme nombre d'informations livrées par cette
source. Le fond est vrai ou vraisemblable, mais la présentation est déformante puisqu'on
fait passer pour de la charité chrétienne ce qui n'est en fait que de la bonne
administration municipale, réalisée avec des fonds publics et non avec les dons généreux des fidèles.
Il faut avoir en permanence à l'esprit l'importance du budget civil des cités - dont
l'alimentation ne constitue que l'un des postes - si l'on veut se faire une idée exacte de la
place réelle des dons charitables dans cette société.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 481
soit 144 000 muids en tout206. Au IVe siècle, Pouzzoles reçoit 100 000
muids des greniers impériaux207 et, au VIIe siècle, Thessalonique
obtient, comme premier secours pendant une disette, 60 000 muids208. A la
même époque Ravenne touche 50 000 muids de blé des seules terres
siciliennes dont l'Etat lui concède l'impôt209. Les informations que l'on
peut tirer de ces nombres sont des plus réduites car nous ignorons tout
des populations qui bénéficiaient de ce blé, en particulier leur
importance numérique. Notons seulement qu'on peut vivre avec 3 muids de
blé par mois, mais que cette quantité suffit seulement à celui qui la
touche. Pour le reste de la population, il faut supposer des ventes à prix
public où le recours au marché. Notons aussi qu'avec 50 000 muids on
peut nourrir environ 1 600 personnes, à raison de 30 muids (2 qx) par
personne et par an, et le double avec 100 000. Quel qu'ait été le nombre
des habitants, ces quantités sont insuffisantes pour une population qui
dépassait nécessairement 2 000 personnes, au moins dans le cas de
Thessalonique et de Ravenne. Mais ce blé ne représente que le blé
gratuit dans le cas de Pouzzoles et de Ravenne, et ne constitue qu'un pre-
206 A 30 muids pour 1 sou, 144 000 muids valent 4 800 sous, sans compter les frais de
transport et de stockage, et sans compter les dépenses occasionnées par
l'approvisionnement en blé vendu à prix public. Les dépenses pour l'alimentation se montent, pour une
ville moyenne, à nettement plus de 5 000 sous par an, sans doute de l'ordre de 100 livres
d'or.
207 Voir ci-dessus, p. 429-430.
208 voir ci-dessus, p. 404. Cela suppose que la ville recevait - au moins avant la
réduction des prestations annonaires, au début du VIIe siècle - beaucoup plus de 100 000
muids de livraisons permanentes, gratuites ou payantes, si l'on compare le montant de
l'aide d'urgence et des prestations régulières à Thessalonique et dans les deux grandes
métropoles.
209 Yoir ci-dessus, p. 433. Ces 50 000 muids soutiennent la comparaison avec les
100 000 et les 150 000 muids d'Oxyrhynchos et Pouzzoles, d'autant plus facilement qu'ils
représentent seulement une partie des ressources frumentaires de Ravenne, et qu'ils sont
attribués dans la seconde moitié du VIIe siècle, après le profond déclin de l'annone. On
peut donc supposer qu'un nombre important de villes, grandes ou moyennes, recevaient
entre 50 000 et 200 000 muids de blé (3 300 à 13 000 qx) au titre des prestations gratuites,
et peut-être autant au titre du blé vendu au prix public. Il en résulte que les quantités de
blé transportées par l'Etat étaient tout à fait considérables. Mais, si ce résultat est peu
contestable, on ne peut aller au-delà, au moins parce qu'on ignore le nombre, même
approximatif, des villes qui étaient assistées. L'exemple de Pouzzoles et des villes de
Campanie montre seulement que le chef-lieu de la province n'est pas seul concerné par ces
libéralités.
482 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
210 vojr ci-dessus, p. 391 et 393-394. Néanmoins le blé égyptien compte tout autant,
sinon plus, puisque la situation devient très grave uniquement s'il ne peut plus être
acheminé, et puisque son arrivée suffit apparemment à assurer un approvisionnement à peu
près normal.
211 Voir ci-dessus, p. 408.
IMPORTANCE ET FONCTIONNEMENT DE L'APPROVISIONNEMENT PUBLIC 483
212 Voir ci-dessous, p. 497-502, pour le prix moyen du blé. Les sources donnent, pour
Carthage au IVe siècle, et pour Rome, au VIIe siècle, des prix identiques aux prix à la
production. A Rome, au IVe siècle, le prix de vente de la viande de porc est, lui aussi,
identique au prix public pratiqué auprès des fournisseurs.
484 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
CONCLUSION
L'enquête sur les villes autres que les capitales visait à établir
l'existence d'un service - ou plutôt de trois services - du blé public.
Grâce aux indices accumulés tout au long de cette partie, il me semble
incontestable que l'un au moins d'entre eux existait dans la plupart des
villes et qu'il y jouait un rôle déterminant, même si peu de villes
bénéficiaient des trois prestations possibles. En effet le dépouillement des
sources révèle l'existence en de nombreux endroits, et à toutes les
époques entre le IIIe et le VIIe siècle, d'institutions distribuant du blé
gratuitement ou contre paiement, en toutes circonstances ou seulement en
période de crise213. On ne peut plus douter que les lois analysées dans le
premier chapitre aient été réellement appliquées et qu'elles l'aient été
dans un très grand nombre de villes, sinon dans toutes. D'autre part,
l'importance des quantités dont témoignent les trop rares indications
chiffrées prouvent l'importance de ce service municipal, à la fois pour
la vie et la survie des populations urbaines, de même que pour les
finances publiques de l'empire protobyzantin.
Il ressort d'une étude globale ce qui ne pouvait apparaître que très
difficilement dans le cas particulier d'une seule ville : l'existence d'une
institution jusqu'ici dissimulée par la dispersion des sources qui y font
allusion, mais d'une importance décisive dans la vie économique et
sociale. De ce fait, les détails que nous avons rencontrés prennent un
relief nouveau. Les informations recueillies ici complètent ce que nous
savons là, et l'ensemble donne une impression difficilement contestable
d'uniformité et de continuité. En particulier, il ne peut plus être
question de croire à l'existence épisodique, au moment où les sources nous
en parlent, d'un service municipal alors qu'il est à ce point général et
vital pour chaque cité. On est même conduit à supposer sa présence là
où rien ne le mentionne. Ainsi les recherches à venir d'histoire urbaine
régionale ou locale devront tenir compte de cette nouvelle donnée, dont
elles préciseront le fonctionnement. Pour l'instant, on doit surtout
noter la différence de nature et de finalité entre l'intervention de la cité,
avec ses ressources propres, à l'intérieur du seul territoire municipal,
uniquement pour atténuer les conséquences des mauvaises récoltes, et
celle de l'Etat, beaucoup plus large par ses moyens et l'aire de son
intervention, qui non seulement vient au secours des cités en détresse,
1 Voir, pour Antioche par exemple, les formules convaincues, mais embarrassées de
P. Petit (Libanius et la vie municipale à Antioche au IVe siècle après J.-C, Paris, 1955,
p. 106-107) qui méritent d'être citées à nouveau car elles sont représentatives de tout un
courant de la recherche sur le commerce, et en particulier l'approvisionnement des
villes : « La métropole syrienne ne peut compter que sur l'initiative privée : mais les paysans
et les producteurs font leur devoir, la ville s'alimente aisément. Mieux encore, en période
de famine, les Syriens viennent se réfugier à Antioche . . . Toutefois, il est curieux de ne
488 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
pour étudier en détail tous les aspects du commerce, mais pour estimer
la place qu'il tenait dans l'approvisionnement des villes, sans éluder
l'éventualité selon laquelle il aurait été quasi-nul, dans le cas des
subsistances uniquement, le seul qui nous intéresse ici.
La charité, qu'elle soit ecclésiastique ou privée, s'est vu parfois
attribuer un rôle important dans la redistribution des richesses à
l'intérieur d'un espace économique clos, et dans la fourniture de denrées
gratuites aux populations citadines les plus défavorisées. Cependant,
lorsqu'on veut dépasser le niveau des généralités et des proclamations
parfois grandiloquentes des prédicateurs, on doit reconnaître que cette
forme de redistribution est plus difficile à cerner qu'il n'y paraît. Il
faut donc, encore une fois, prendre le temps de démonter le
mécanisme administratif de son fonctionnement pour se donner des chances
d'interpréter correctement les indications quantitatives qui permettront
de se faire une idée de son poids réel dans la vie sociale, au moins pour
ce qui concerne l'alimentation.
Outre le commerce à grande distance et la charité, la cité recevait
les produits récoltés par des paysans résidant à l'intérieur des murs
qui, soit consommaient eux-mêmes leur production, soit la vendaient à
leurs concitoyens ; elle disposait aussi des loyers que les grands
propriétaires citadins touchaient en nature pour les terres leur appartenant,
mais sur ce point, il faudrait être sûr que ces revenus étaient
suffisamment importants pour tenir une place notable, et veiller en particulier à
ne pas confondre les perceptions fiscales et les revenus privés de ceux
qui recevaient ces sommes. En outre, il faudrait pouvoir établir que ces
personnes avaient la possibilité et le désir de distribuer une part
substantielle de leurs revenus.
Comme on le voit, la préoccupation essentielle ne sera pas de trai-
trouver aucune mention des gros commerçants, importateurs ou grossistes, qui devraient
normalement s'occuper des marchandises venues de la mer ou des provinces voisines».
La contradiction est flagrante, mais insurmontable à partir du seul exemple d'Antioche.
De même, pour Thessalonique, nous avons reconnu des naviculaires, là où on croyait voir
des commerçants privés (ci-dessus, p. 394-399). Pour l'hypothèse de L. Ruggini, Economia
e società nelV« Italia annonaria». Rapporti fra agricoltura e commercio dal IV al VI secolo
d. C, Milan, 1961, voir ci-dessous, p. 518-522. Par contre, A. H. M. Jones, The later roman
Empire, Oxford, 1964, p. 844-845, conclut au terme d'une étude sur les conditions de la
circulation dans l'Empire que les grains ne pouvaient faire de longs trajets par voie de
terre et que, par voie d'eau, ils ne pouvaient être transportés que d'un port à une grande
ville où les prix devaient être nettement supérieurs à ceux de la campagne. Nous allons
voir ce qu'il faut penser de cette dernière condition.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 489
ter au fond tous les aspects des sujets abordés, mais seulement de
suggérer par quelques notes rapides les quantités de denrées qu'ils mettent
en jeu, pour autant qu'on puisse les déterminer. Il va de soi que chaque
thème abordé nécessiterait, pour être correctement traité, un ouvrage à
lui seul. Par exemple, peu nous importera la taille des bateaux2 ou la
persistance tout au long de notre période du mare clausum3, si
d'aventure on parvient à démontrer que les transports maritimes n'approvi-
sonnaient les marchés en subsistances que de façon très marginale. Peu
importera que la charité soit multiforme et que ses prestations soient
très variées si, dans le domaine des distributions de nourriture, elle ne
tient qu'une place limitée. Peu importera, de même le volume des
revenus fonciers si leur paiement s'effectue plus sous forme monétaire
qu'en nature. Notre seule préoccupation est, ici, d'étudier un fait social
précis et limité : la part de l'alimentation urbaine assurée par les
diverses activités qui y concourent. Comme l'essentiel des calories
consommées provenait alors du blé, c'est à lui qu'on s'attachera tout
particulièrement. C'est d'ailleurs sur cette denrée que les sources sont les plus
explicites : une pénurie de vin était contrariante, non dangereuse pour
la survie du plus grand nombre. Nous ne savons presque rien du sel
qui, pourtant, faisait nécessairement l'objet d'un commerce des côtes
vers l'intérieur des terres. Nous ignorons presque tout de la viande
livrée par le marché libre. Nous entrevoyons le commerce du vin et de
l'huile à travers les restes d'amphores, sans avoir le moyen d'apprécier
son importance. En particulier transportait-on au loin les vins de
qualité inférieure, ceux qui étaient le plus largement consommés par la
majorité de la population?
Pour les deux capitales, la réponse est sans ambiguïté dans le cas
du blé, puisque les quantités livrées par l'Etat suffisaient aux besoins
de la population qu'on peut supposer à l'une ou à l'autre d'entre elles.
Le vin et la viande, quant à eux, étaient fournis soit par l'Etat, soit par
2 Indications dans A. H. M. Jones, op. cit., p. 843. Les bateaux qui effectuaient le
grand commerce jaugeaient en général de 10 000 à 20 000 muids (65 à 130 tonnes) et les
plus gros pouvaient atteindre 50 000 muids (325 tonnes). Nous avons déjà rencontré des
bateaux de 20 000 et 30 000 muids (ci-dessus, p. 240, n. 149).
3 Sur le mare clansum, A. H. M. Jones, op. cit., p. 843. La correspondance du pape
Grégoire le Grand révèle, pour sa part, que, jamais il n'écrit à des correspondants qu'on
ne peut atteindre autrement que par mer entre le mois de novembre et celui de février.
Encore les lettres écrites en février ne partaient-elles sans doute pas avant l'ouverture de
la mer, en mars.
490 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
le commerce privé, sans qu'on puisse calculer le rapport entre les deux.
Nous ignorons si le commerce libre de l'huile tenait une place notable.
Pour les autres villes, la réponse sera peut-être moins tranchée; surtout
elle variera vraisemblablement en fonction de la position et de la taille
des unes et des autres.
4 C'est ce que révélerait sans doute une étude du bronze utilisé pour la fabrication
d'ustensiles byzantins et qu'illustre un miracle célèbre de Jean l'Aumônier, au début du
VIIe siècle (Vie de Jean l'Aumônier, dans Vie de Syméon le fou et vie de Jean de Chypre,
éd., comm. et trad, par A.-J. Festugière, en collaboration avec L. Ryden, Paris, 1974
(Institut fr. d'archéo. de Beyrouth. Bibliothèque d'archéo. et d'histoire, 95), 10, p. 353-354 et
452-454). Un capitaine de bateau ruiné conduit un navire de l'Eglise d'Alexandrie (sur les
bateaux de l'Eglise, voir ci-dessus, p. 240, n. 149) jusqu'en Bretagne où règne une famine;
il échange son blé contre de l'étain au prix de 1 muid pour 1 sou - le prix le plus élevé
qu'aucune source indique, sans doute un prix «miraculeux».
5 Le même bateau, sur le chemin du retour, voit une partie de son étain
miraculeusement changé en argent ; l'auteur oublie évidemment de dire qu'il a fait escale dans un
port espagnol pour vendre de l'étain contre de l'argent.
6 Sur la diffusion des marbres de Proconnèse dans tout le bassin méditerranéen,
mais seulement à proximité des côtes, voir J. B. Ward-Perkins, Nicomedia and the marble
trade, Papers of the british school at Rome, 48, 1980, p. 46.
7 Sur le commerce des épices, voir, pour des textes, L. Bréhier, Les colonies
d'Orientaux en Occident, BZ, 12, 1903, p. 1-39.
8 Voir, par exemple, ci-dessous, p. 539. Voir aussi, ci-dessus, p. 43, n. 8.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 491
autant les résultats ne sont pas définitifs peut-être parce qu'on n'a pas
scruté d'assez près chacune des indications pour déterminer
correctement si on avait affaire à un prix de famine ou non, au prix payé au
producteur ou au prix de revient après divers abattements et
majorations; parce que, aussi, on a parfois hésité à embrasser d'un même
regard tous les documents depuis le texte extraordinaire que constitue
l'Edit de Dioclétien, surtout étudié par les historiens de l'Antiquité,
jusqu'aux indications les plus tardives, au VIIe siècle; parce que, enfin, on
a voulu donner la même importance à tous les prix, ceux exprimés en
sous d'or, dont la valeur est constante, comme ceux exprimés en
monnaie divisionnaire, dont la valeur est difficile à préciser, au point qu'on
avancera sans doute plus vite en commençant par calculer la valeur en
sou des principaux produits pour, ensuite, calculer la valeur par
rapport au sou des monnaies divisionnaires, à partir des prix donnés dans
ces espèces12.
Il nous suffira, pour l'instant, d'apprécier la portée de l'Edit de
Dioclétien, de notre point de vue, puis d'étudier certains prix exprimés
en sous d'or relatifs aux principales denrées mentionnées dans cet
quitas, Reihe 1, Bonn, 1978, p. 103-126. Large dépouillement des sources, pour l'Asie
byzantine, dans E. Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale à Byzance (4e-7e
siècle), Paris, 1977, p. 377-409.
12 Pour une esquisse convaincante dans cette direction (étude des prix exprimés en
monnaie de cuivre ou unités de compte fondées sur une monnaie de cuivre) voir J.-P.
Callu, op. cit., p. 116-118. L'auteur a parfaitement vu la difficulté de la tâche, p. 116, n.
79. Prenons un exemple simple. CTh 14, 4, 3, 363, nous apprend que, en Campanie, les
suarii ne pourront appliquer un prix d'adaeratio supérieur à 6 folles pour 1 livre de
viande de porc. Pour établir la valeur du follis, il faut d'abord admettre que ce maximum
correspond au prix moyen du marché, comme le dit, pour moi, le texte, et non au prix du
marché majoré d'une certaine marge au-delà de laquelle il y aurait infraction. Il faut
ensuite se rendre compte que le prix donné est celui de la viande sur pied et non de la
viande nette (ci-dessus, p. 97-98), c'est-à-dire qu'elle vaut 62,5% du prix de la viande nette.
Donc celle-ci vaut environ 10 folles la livre, auxquels il faut ajouter la commission des
suarii, soit 20%. Comme on a, au tarif public d'adaeratio, 125 livres de viande nette pour 1
sou, le follis dont il est question dans cette loi est compté à raison de (125 χ 10) + 20% =
1500 pour 1 sou. Il faut aussi déterminer si c'est une monnaie de compte ou s'il
correspond à une pièce alors en circulation, ce qui relève des numismates et exige, pour être
résolu, que l'on connaisse le taux de fiduciarité relatif de l'or et du cuivre. Comme on le
voit, le prix le plus simple, exprimé par rapport à une monnaie autre que le sou d'or pose
des questions complexes qui exigeraient une enquête très large et de nombreux
recoupements, avant qu'on aboutisse à une interprétation générale, dont le profit serait
considérable tant pour l'histoire des prix que pour celle de la monnaie.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 493
ouvrage, avec une double préoccupation : ces prix ont-ils varié à long
terme? Ces prix étaient-ils identiques d'un bout à l'autre de l'Empire?
La première question vise surtout à légitimer la comparaison entre les
prix donnés pour des époques différentes. S'ils sont stables du IVe au
VIIe siècle, on pourra comparer un prix africain du début de la période
et un prix égyptien ou romain de la fin, un prix à la production et un
prix sur le marché urbain distants de plusieurs siècles.
1) L'Edit de Dioctétien
13 Ce document est connu par de très nombreuses copies dans les régions de langue
grecque de l'empire romain. Un fragment découvert en Italie prouve qu'il fut appliqué au
moins dans cette partie de l'empire d'Occident, soit dans la totalité de l'espace
géographique ici considéré, sauf l'Afrique.
14 La dernière et la plus satisfaisante des éditions est celle de M. Giacchero, Edictum
Diocletiani et collegarwn de pretiis rerum venalium, I, Edictum, Gênes, 1974
(Pub licazioni dell'istituto di storia antica e scienze ausiliarie dell'Università di Genova, 8).
494 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
des prix moyens. Mais il semble possible d'établir que les prix
maximums fixés par le pouvoir sont en fait les prix moyens du marché.
Ce que nous savons des pratiques administratives tend à le
prouver. Les prix auxquels on impose aux populations de vendre à l'Etat
sont ceux du marché et non des prix supérieurs. Les empereurs
ordonnent donc qu'on ne pratique pas des prix supérieurs aux prix moyens
du marché, c'està-dire que l'Etat achète les produits au prix public
à'adaeratio-coemptio17. D'ailleurs il va de soi que des prix maximums
supérieurs à ceux du marché auraient immédiatement provoqué une
hausse des prix publics et auraient eu un effet inflationniste, alors que
le but recherché était exactement inverse. En outre de tels prix auraient
favorisé les contribuables qui se seraient libéré de leur impôt pour
moins que sa valeur s'ils l'avaient acquitté sous forme de produits
divers dont la valeur légale aurait été supérieure à la valeur dans le
commerce. Il ne fait donc aucun doute que les prix imposés sont ceux
du marché, l'Etat se réservant seulement le droit, si les conditions sont
favorables, d'acheter à meilleur compte au lieu d'exiger la livraison au
tarif public : pour obtenir du blé, on n'en percevra pas auprès d'un
contribuable, en lui donnant un reçu pour un montant égal à la valeur
de ce blé au tarif officiel; on réclamera l'argent avec lequel on se
procurera au marché une quantité supérieure de grain18. Cette interpréta-
17 L'empereur fixe un maximum qui est aussi une norme (modum statuendum esse
censuimus). Il est applicable en toutes circonstances, sauf en période d'abondance (cum
plurimae interdum provinciae felicitate optatae vilitatis et velut quodam affluentiae
privilegio glorientur : dans la mesure où il arrive que de très nombreuses provinces
s'enorgueillissent d'une abondance qu'elles ont souhaitée et en quelque sorte d'un privilège de
prospérité), car, alors, l'Etat achètera les produits au prix du marché qui sera inférieur au
prix maximum. Puisque les restrictions ne portent que sur les périodes d'abondance, c'est
que le prix mximum correspond au prix moyen du marché. Le tarif est donc un tarif
d'adaeratio-coemptio, valable sur toute l'étendue de l'Empire. Nous verrons qu'il en fut de
même par la suite, et que tous les prix publics sont identiques en tous lieux, et qu'ils sont
identiques aux prix moyens du marché en un lieu donné, c'est-à-dire partout. Pour un
exemple de la pratique de l'administration qui peut choisir entre le prix public s'il est
plus avantageux, ou le prix du marché si ce dernier est inférieur au prix public, voir CTh
14, 4, 3, 363 : Les suarii recevront la valeur du nombre de livres de porc qu'ils doivent
livrer à Rome, à condition que cette valeur, constatée par le gouverneur, ne soit pas
supérieure à 6 folles. Il est nécessaire que ce prix soit proche de celui pratiqué habituellement
sur le marché car s'il lui était inférieur, les suarii seraient pénalisés et, s'il était supérieur,
ce sont les contribuables qui en pâtiraient.
18 II resterait à savoir si les périodes de vilitas étaient très fréquentes. On a aussi,
pour tenter de diminuer la portée de l'édit, conclu de ce qu'il ne mentionne que l'armée
496 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
I II III IV V VI
I Unité de capacité d'une denrée (en muids et xestes civils; 1 muid militaire = 2 muids
civils)
II référence à l'édition de M. Giacchero
III Prix en denier dans l'Edit
IV Valeur par rapport à 1 muid civil de blé
V Prix en sou d'or
VI Valeur par rapport à 1 muid civil de blé
(1) Pour l'huile ordinaire (cibarus en latin, χυδαίος en grec) le prix est de 12 d dans les textes
grecs, et de 24 d, dans les textes latins. Comme l'huile de seconde qualité ne peut avoir le même prix
que l'huile ordinaire, on admettra que l'auteur de la minute latine recopiée par les scribes, puis par
les lapicides, contenait une erreur facile à expliquer, puisqu'on a reproduit deux fois le même prix.
Fig. 8 - Valeur en deniers et en fractions de sou d'or des quatre denrées annonaires.
D'après l'Edit, 1 livre d'or pur non monnayé vaut 72 000 deniers.
Comme la même livre vaut aussi 2 160 muids de blé à 50 deniers le
muid, elle vaut 108 000 deniers, soit 50% de plus que sa valeur en lingot
d'or. On doit considérer soit que le prix maximum était supérieur de
dans l'introduction au tarif (éd. cit., p. 134-136, 1. 92-106) que ce dernier avait pour
finalité essentielle d'éviter qu'elle ne pâtît des hausses de prix que son passage ne manquerait
pas de provoquer, à cause d'un brusque accroissement de la demande de denrées (voir,
par exemple, G. Mickwitz, Geld und Wirtschaft im römischen Reich des vierten
Jahrhunderts n. Ch., Helsingfors, 1932, p. 70-72). En fait la mesure était trop générale - et
appliquée dans des régions telles que l'Egypte où l'armée de campagne n'a jamais séjourné -
pour qu'on lui trouve une finalité aussi réduite. Le pouvoir voulait seulement disposer
d'un tarif d'adaeratio-coemptio précis, défini dans la nouvelle monnaie, qui supprimât
toutes les exactions liées aux difficultés de prendre en compte les multiples dévaluations
survenues au cours du IIIe siècle.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 497
50% au prix moyen du marché, soit que l'or monnayé valait 50% de
plus que l'or en lingot. Or il se trouve précisément que la valeur de l'or
monnayé était d'environ 100 000 deniers19. La similitude est trop
grande pour ne pas être significative. Pour moi, le taux de fiduciarité de l'or
monnayé était de 50%, la livre d'or valait 100 000 deniers, les prix tels
que les donne l'Edit étaient les prix publics d'adaeratio-coemptio, eux-
mêmes relativement proches des prix du marché en période
«normale».
C'est ce que confirmera l'étude des prix donnés par les sources
postérieures, en même temps que les prix de l'Edit nous aideront à
mettre de l'ordre dans des indications disparates, où il est difficile de
distinguer le prix moyen, le prix de grande abondance, le prix de disette.
Dans le tableau ci-contre les colonnes II et III qui sont établies d'après
d'Edit sont d'une grand secours pour remplir les colonnes III et IV,
établies d'après des textes postérieurs, et ces deux dernières prouvent
la valeur des premières pour une histoire des prix réellement pratiqués
entre le IVe et le VIIe siècle.
bes pour 1 sou, en lui demandant de le rendre dès que possible. Pachô-
me accueille très mal cette faveur car, dit-il, le monastère ne doit être
redevable de rien à personne20. Cette dernière remarque suffit à établir
que le blé vaut sans doute plus de 13 artabes le sou, même en temps
normal, puisque Pachôme considère ce prix comme compromettant
pour ceux qui en bénéficient. Le texte ne contredit pas le prix de 30
muids (10 artabes) au sou que nous rencontrerons souvent21. Il nous
apprend que, pendant une famine, ce prix peut monter jusqu'à 15 ou
16,5 muids pour 1 sou. Nous verrons que c'était plutôt une disette car
l'augmentation par rapport au prix moyen est faible : environ 100%.
En 362-363, à Antioche, Julien vend du blé public à 15 muids pour
1 sou, alors que le prix en ville était de 10 muids, et aurait pu être de 5
muids, sans son intervention22. Le fait de vendre du blé à 15 muids le
20 Vie de saint Pachôme : F. Halkin, Sancii Pachomi vitae graecae, Bruxelles, 1932
(Subsidia hagiographica), III- De sancii Pachomi et Theodoro paralipomena, § 21, p. 147.
Autre version du même miracle : F. Halkin, La vie abrégée de saint Pachôme dans le
ménologe impérial (BHG 1 401 b), Analecta Bollandiana, 96, 1978, § 14, p. 377.
21 Sur la valeur de l'artabe, voir ci-dessus, p. 259, n. 206.
22 Ci-dessus, p. 367. Contra, toute la tradition historique (par exemple, L. Ruggini,
op. cit., p. 372-374 (n. 449) et A. H. M. Jones, op. cit., p. 844) qui en tire la conclusion que
les prix dans les grandes villes étaient supérieurs à ceux qu'on pratiquait dans le plat
pays, ce qui rend vraisemblable l'hypothèse d'un commerce privé de la campagne vers la
ville. L'idée que le prix indiqué par Julien correspondrait au prix moyen à Antioche
repose sur une phrase de cet empereur, à mon sens mal comprise. Il déclare que « ce sont non
seulement les citadins, mais aussi des gens accourus des campagnes qui se jettent, en
achetant du pain, sur la seule denrée qu'on puisse trouver ici à bon compte». Et il
continue : « Cependant qui se souvient chez vous d'avoir vu, à l'époque où la cité connaît
l'abondance, vendre 15 mesures de blé pour 1 sou d'or?» (καίτοι τίς μέμνηται παρ'ήμΐν
ευθυνόμενης της πόλεως πεντεκαίδεκα μέτρα σίτου πραθέντα του χρυσοΰ;) (Misopogôn, 41,
éd. C. Lacombrade, L'empereur Julien. Oeuvres complètes, t. 2, 2, Paris, 1964 (coll. Budé),
p. 197; ma traduction diffère sensiblement pour la seconde phrase). On comprend
généralement que le prix de 15 muids pour 1 sou est si faible qu'on le rencontre rarement,
même en période d'abondance, ce qui revient à dire que ce prix est inférieur au prix
d'abondance, donc au moins inférieur de moitié au prix moyen qui serait d'environ 7 à 8
muids pour 1 sou, le quadruple du prix moyen dans les campagnes, plus que le prix de
disette pratiqué par l'Etat, tant à Antioche (ci-dessus, p. 367) qu'à Carthage (ci-dessus,
p. 386). Il faut donc comprendre autrement. Le mouvement du texte est le suivant. Le blé
est abondant et à bon marché (πολύ και ευωνον), ce qui explique l'afflux des paysans,
mais il l'est seulement par rapport aux autres produits qui font cruellement défaut car si
l'on compare son prix à celui des périodes d'abondance on ne peut pas dire qu'il soit peu
cher ; a-t-on en effet jamais vu un prix aussi fort à Antioche quand les greniers sont
remplis? L'interprétation compliquée de D. Sperber, Cost of living in roman Palestine, Jour-
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 499
nal of the economic and social history of the Orient, 8, 1965, p. 252 est inadmissible : tout,
dans ce passage, prouve que le prix est donné en nombre de muids civils pour 1 sou.
Inutile donc de remettre en cause l'équivalence μέτρον-μόδιος et άργύριον-χρυσός donnée
par Julien.
23 Voir ci-dessus, p. 386.
24 NVal 13, 445.
25 NVal 13, 3 : Comme les provinciaux éprouvaient trop de difficultés à conduire
toutes les denrées nécessaires pour l'armée, ils donneront désormais leur contribution en
monnaie. Ibid., 4 : Pour tenir compte de cette réalité, l'empereur édicté un tarif
particulier (pretta necessariarum rerum sub hoc modo, quo annonam adaeravimus, jubemus
infer i : il fixe le prix des biens de première nécessité, de la même manière qu'il a fixé le prix
de l'annone). Il faut comprendre que les provinciaux ne devaient que 22, 5 muids pour 1
sou, quand ils avaient la charge de livrer le blé dans les casernes. L'Etat prenait à sa
charge 33% de la valeur de ce blé, au titre du transport. Pour 1,33 sou, les paysans
livraient donc 30 muids, qui étaient comptabilisés pour 1 sou par les militaires.
Maintenant les paysans versent 30 muids pour 1 sou, sur place, mais l'Etat ajoute toujours 33%
de leur valeur pour les frais de transport. Les militaires reçoivent donc 40 muids qu'ils
comptabilisent toujours pour 1 sou puisqu'ils devront dépenser l'équivalent de 10 muids
pour amener le blé dans leurs greniers; ils n'en consommeront effectivement que 30
muids.
500 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
26 Cf. ci-dessous, p. 504. Même procédé comptable dans l'Illyricum, au IVe siècle
(ibid.).
27 Cf. ci-dessus, p. 432. Ce prix est trop près du prix public pour être considéré
comme un prix de famine. L'Etat ne vend pas au prix du marché, mais au prix public.
Cependant, le blé qui sort des greniers au prix de 30 muids le sou, sera vendu 25 muids le sou,
car 5 muids serviront à couvrir les frais de transport.
28 Cf. ci-dessus, p. 432, pour le prix en Italie. Nous venons de le rencontrer à Anti-
oche et à Carthage.
29 Anonymi Valesiani pars posterior, 73, éd. Th. Mommsen, Berlin, 1891 (MGH, AA, 9),
p. 18 : Sexaginta modios tritici in solidum ipsius tempore fuerunt. Pendant combien de
temps a-t-on pratiqué un prix aussi faible et sur quelle superficie du royaume ostrogothi-
que? Peu importe ici. Il nous suffit de constater que, si on veut donner l'impression que
le pays vivait très largement, on donne un prix inférieur de moitié au prix moyen. C'est
donc que les prix diminuaient au maximum de 50% quand les récoltes étaient excellentes.
On ne pouvait descendre plus bas car il faut rétribuer le travail du producteur. Par
contre on arrive à des prix dix fois supérieurs au prix du marché en période de famine.
30 Cf. ci-dessus, p. 408 et 303.
31 Voir, pour une liste provisoire, A. C. Johnson et L. C. West, op. cit., p. 176-178, à
compléter au moins par P. Leipzig 63, cité par J.-P. Callu, op. cit., p. 117.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 501
32 II faudrait contrôler tous ces textes de très près, en procédant parfois à une
relecture de l'original. Prenons quelques exemples significatifs. Quand le blé est compté à 6
artabes pour 1 sou, dans un prêt où on emprunte du blé pour rendre de la monnaie, on
dissimule un intérêt de 66%, puisque, pour 3,5 artabes valant 3,5/10 de sou on
remboursera 14 carats, soit 0,58 sou, si on n'est pas capable de rendre le blé; on ne dit pas ce qui
se passe si on peut rembourser en nature (M. Hombert et C. Préaux, Les papyrus de la
fondation égyptologique Reine Elisabeth, Chronique d'Egypte, 41, 1946, p. 121). P. Cairo
Masp. 67 320 : On compte le blé donné à l'armée à 40 muids le sou, selon la procédure qui
a été analysée ci-dessus, n. 25. P. Oxy. 2 033 : On verse 438 artabes pour 33,5 sous au tarif
de 1 sou - 6 carats pour 13 artabes (άπο άρταβων υλη, του νομίσματος α παρά ς (άρτάβαι)
ιγ, νομίσματα λγβ'). On croirait, au premier abord, que 13 artabes valent 1 sou - 6 carats,
soit 18 carats et que le sou vaut 17 artabes. En fait 438 : 13 = 33,7, à peine plus que 33,5
sous. Donc le sou est compté pour 13 artabes. Mais en outre 10 artabes valent 18 carats.
Il faut comprendre que le texte utilise un sou de compte tel que 18 carats de ce sou valent
1 sou courant, c'est-à-dire que le sou de compte est surévalué de 33%. C'est la situation
déjà rencontrée dans le papyrus précédent. Mais ici on indique le rapport entre sou de
compte et sou courant. P. Oxy. 2 024 : 10 artabes valent 1 sou moins 4 carats au taux
privé. Une autre technique comptable est utilisée ici. La formule donne non la valeur du
blé, mais sa valeur (1 sou) moins la commission (4 carats) qui sera conservée par le
responsable de la perception, pour couvrir ses frais de gestion. Le blé qui vaut 1 sou ne sera
pris en compte par l'Etat que pour 24 - 4 = 20 carats, les 4 carats restants allant dans la
caisse de celui qui est responsable de la perception et du transport jusqu'à un grenier. P.
Oxy. 1 907 : On se sert d'une artabe de compte (artabe καγκέλλφ) plus lourde. Le
percepteur reçoit l'artabe καγκέλλφ, évaluée à 1/9,16 de sou, reverse l'artabe légale qui ne vaut
que 1/10 de sou et conserve la différence pour couvrir ses frais. Dans certains cas, A. C.
Johnson et L. C. West ont cru qu'un nombre de sous et un nombre d'artabes écrits à la
suite l'un de l'autre signifiaient qu'ils étaient de même valeur. En fait il ne faut pas
comprendre χ sous valant y artabes, mais χ sous + y artabes, sans qu'il y ait le moindre
rapport entre les deux grandeurs (par exemple P. Baden 95, où le prix varierait, dans un
même texte, de 8 à 12 artabes pour 1 sou).
33 Anonymi Valesiani, 11, 53, éd. cit. p. 316: (Pendant le siège de Ravenne par Théo-
doric) factum est usque ad sex solidos modius tritici. Procope, De bello gothico, 7, 17, éd. G.
Wirth, Leipzig, 1963 (coll. Teubner) : (Pendant un siège de Rome) le prix du blé aurait été
de 7 sous pour 1 médimne. On a tenté de comprendre que, le médimne valant environ 6
muids, le prix aurait été de 1,16 sou pour 1 muid (L. Ruggini, op. cit., p. 371). En fait
Procope, par souci d'archaïsme, ne parle jamais de muid. Il veut donc sans doute dire
que le blé se vendait à 7 sous le muid. Ce prix est peu différent de celui de l'Anonyme.
Peut-être s'est-il trouvé une fois dans chaque ville une personne pour donner l'équivalent
d'un mois de salaire d'ouvrier pauvre contre 1 muid (6,5 kg) de blé. Mais cela n'a pu, en
502 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
aucun cas, être la norme. Par contre, on peut imaginer que, par deux fois, on a donné,
pour impressionner le lecteur, le prix du sou en muid au lieu de l'inverse : 1 sou pour 6
ou pour 7 muids constituent des valeurs qui ressemblent à celles qu'on trouve en période
de famine aiguë.
34 Cf. Ci-dessus, p. 142.
35 Martin Ier, Ep. 17, éd. dans PL 87, col. 203 : Usque ad unum trimisium frumentum
potui comparare, sed nec alterius cujuscumque generis speciem, nisi, ut praedictum est, ex
naviculis quae hue raro veniunt ut sale onustae recédant . . . Usque nunc vero non potui-
mus de novis geniminibus emere, nisi uno nomismate modios quatuor. Ce passage est très
significatif pour une histoire du commerce. On ne voit aucun bateau qui vienne pour
vendre du blé. Par contre les bateaux qui font le trafic régulier du sel profitent de
l'aubaine et amènent du blé. On est incapable d'organiser un transport de blé en grande
quantité, même quand les conditions sont très favorables. Seuls ceux qui doivent circuler
pour d'autres raisons transportent du blé plutôt que de circuler à vide.
36 D'après l'édit de Dioclétien, le muid militaire d'orge vaut 60 deniers (I, 2, éd. cit.,
p. 138-139); donc le muid civil vaut 30 deniers ou 1/50 de sou. Le rapport entre le blé et
l'orge (1/30 à 1/50) se retrouve dans diverses sources (E. Patlagean, Pauvreté économique
et pauvreté sociale à Byzance (IV-VIIe siècle), Paris, 1977, p. 405).
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 503
setiers qui étaient prévus dans la première loi, laquelle ne portait que
sur la partie, 1/4 de la somme due, versée en nature. Dans ces
conditions 5/6 d'amphore valant 1/4 de sou, 5/6 χ 50 setiers = 0,25 sou, soit
165 setiers pour 1 sou56.
Un prix très voisin se retrouve en Afrique en 445, dans la novelle
déjà citée deux fois57. Pour 1 sou, on a 200 setiers, mais il faut tenir
compte de la commission58. Si elle est de 33%, comme pour les autres
denrées, le prix du vin est de 150 setiers pour 1 sou.
L'Italie offre, vers 500, un prix inadmissible dans l'état où il nous a
été transmis. Sous le règne de Théodoric, la prospérité aurait été telle
que le prix du vin serait tombé à 30 amphores pour 1 sou59. Si
l'amphore considérée contenait réellement 50 setiers, on aurait 1 500 setiers
pour 1 sou, 7,5 fois plus que le prix public le plus avantageux. Comme
la demande de vin est plus élastique que celle du blé, et que l'on en boit
habituellement davantage quand il est moins cher, pareille chute des
cours est impossible. Sans doute faut-il considérer que le chroniqueur,
emporté par son ardeur apologétique, a donné à l'amphore une
capacité moindre que la capacité officielle, peut-être celle d'une jarre locale
équivalant à une dizaine de setiers, ce qui donnerait une valeur de 300
setiers au sou, comparable aux 60 muids au sou, indiqués par le même
texte, pour le blé.
On trouve en Egypte des variétés très grandes de jarres, et donc
d'unités de capacité. Il semble que le διπλούν vaille souvent 6 setiers,
c'est-à-dire que le sou valait 150/6 = 25 διπλά, valeur qui est effective-
60 P. Oxy. 1 920.
61 Voir le tableau de L. Casson op. cit., et p. 16, pour les variations possibles du
διπλούν. Il faudrait aussi relire tous les textes de très près pour voir s'ils ne sont pas
établis avec des commissions, des intérêts dissimulés . . .
62 L. Casson, op. cit., p. 5, attribue à Γάγγεΐον une valeur de 5 setiers, et donne des
valeurs de 2/3, 3/4 ou 5/6 de carat pour 1 άγγείον approximativement 1/30 de sou, soit un
ordre de grandeur de 1 50 xestes pour 1 sou.
63 P. Cairo Masp. 67 145-67 146, par exemple, n'indiquent pas le prix du vin, mais le
montant de la commission perçue par l'agent chargé de la distribution des rations. C'est
pourquoi le prix que l'on a souvent calculé, de 1/588 de sou ou de 1/432 de sou le xeste,
selon la valeur retenue pour Γάγγεΐον, ne peut être accepté. Elle diffère d'ailleurs par
trop des prix établis avec les autres documents. Les commentateurs n'ont pas noté que
les versements ne sont pas faits «pour la ration», mais «au titre de la ration» (υπέρ ς
ρ(ογών) εκάστου αγγείου : au titre de 6 rations pour chaque άγγείον; c'est là le sens banal
de υπέρ en grec, comme de de en latin, dans le vocabulaire administratif, sens
définitivement établi par J. Gascou, La possession du sol, la cité et l'Etat à l'époque protobyzantine et
particulièrement en Egypte. Recherches d'histoire des structures agraires, de la fiscalité et
des institutions aux Ve, VIe et VIIe siècles, thèse de 3e cycle, Paris, 1974). Dans ces
conditions, ce qui est versé ne paie pas le vin, mais défraie seulement celui qui a la charge de
le distribuer. Contra, L. Casson, op. cit. et J.-M. Carrié, Monnaie d'or et monnaie de
bronze dans l'Egypte protobyzantine, Les «dévaluations» à Rome. Epoque républicaine et
impériale, Rome, 1980 (coll. de l'Ecole française de Rome, 37), p. 253-270. Ce dernier
suppose inutilement que ρ ne doit pas être développé en ρόγα, mais serait une abréviation de
100.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 509
peut raisonnablement penser que c'est, dans tous les cas, une huile de
qualité supérieure68.
Même si on ne peut rien conclure d'assuré des indications relatives
à l'huile, il ne fait guère de doute que cette dernière ne peut à elle seule
remettre en question les conclusions auxquelles nous sommes arrivés.
Il apparaît donc clairement que Dioclétien avait raison de
promulguer un édit qui fut affiché dans tout l'Empire en des termes
identiques, surtout lorsqu'il s'agissait des prix. Accessoirement, on notera
que les prix restent stables pendant toute la période, c'est-à-dire qu'ils
restent dans les mêmes rapports entre eux et avec l'or, produit de
référence car il constitue la matière première de la monnaie dominante.
Cette stabilité globale n'exclut pas certaines différences. En ville,
les produits devaient être normalement un peu plus cher que dans les
villages car les paysans majoraient les prix de leurs frais de transport.
Cependant il s'agit d'un trafic local et la différence est trop faible pour
être visible dans les sources. D'autre part les prix moyens varient en
permanence en fonction de l'offre et de la demande : en particulier,
lorsqu'une cité ou une région connaissent une mauvaise récolte, les
prix du marché augmentent tandis qu'ailleurs, là où la production est
plus satisfaisante, ils sont moins élevés. Mais quelles que soient ces
incessantes variations conjoncturelles, elles n'aboutissent pas à des
déséquilibres structurels qui provoqueraient des dénivellations durables
des prix; elles se compensent à moyen terme. Enfin les produits qui
doivent circuler se vendent plus cher au loin qu'à proximité de leur lieu
de fabrication : l'Edit de Dioclétien taxe les marbres mais taxe aussi les
frais de transport qui permettront de les acheminer chez les clients69.
Certes nous avons vu à Rome le prix du vin vendu par le marché
libre être supérieur de 33% au prix public qui se trouve être aussi celui
auquel l'Etat vend le vin de l'annone payante70. On en conclut fort
justement que, dans ce cas au moins, les prix dans une grande ville sont
supérieurs à ce qu'ils sont dans la campagne. Mais il faut considérer
très attentivement la situation dans laquelle on se trouve à propos de ce
68 Plusieurs textes (P. Oxy. 1 862, 2 052 . . .) parlent de σπάνσυ ελαίου. Les éditeurs
ont suggéré que ce pouvait être de l'huile d'Espagne. Peut-être était-ce un σπάνιον ελαιον,
une huile «rare» au sens de huile de qualité supérieure, bien que cela paraisse difficile.
Cette huile était chère (33 xestes pour 19 carats, 41 xestes pour 1 sou, soit le prix de l'Edit
pour l'huile la plus chère).
69 Edit, 35, 1-107, éd. cit., p. 220-229.
70 Voir ci-dessus, p. 55.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 511
71 Cf. ci-dessous, le rapprochement que l'on peut esquisser - mais qui devrait
susciter un travail collectif des spécialistes de chacun de ses aspects - entre le développement
de Constantinople, celui de la production d'huile en Syrie du Nord et la création de
l'amphore, sans doute à Antioche, qui transportait cette huile vers la capitale. La question,
importante en Occident, de la complémentarité entre régions qui avaient des climats et
des productions différents, ne se pose guère pour l'Empire, où l'on trouvait presque
partout du blé, de l'huile et du vin (voir l'excellente mise au point de D. Claude, Aspekte des
Binnenhandels im Merowingerreich auf Grund der Schriftquellen, Untersuchungen zu
Handel und Verkehr der vor- und frühgeschichtlichen Zeit in Mittel- und Nordeuropa,
Göttingen, 1985 (Abhandl. der Ak. der Wissensch. in Göttingen. Phil-hist. Kl., 150), p. 9-99.
Noter la formule, écrite après de longue conversations avec les archéologues allemands :
« Die Quellelage zwingt die Forschung (...) eine Darstellung dessen zu geben, was auf
Grund des Schriftquellen ermitteln lässt, wobei Ergebnisse der Archäologie und der
Numismatik zu berücksichtigen sind* (c'est moi qui souligne).
512 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
72 Procope, De bello vandalico, 3, 20, 1 5-22 : les soldats de Bélisaire pillent les bateaux
de commerce en entrant dans le port de Carthage; peu après «la foule des marchands»
obtient une entrevue avec le général. Procope, De bello gothico, 5, 8, 21, éd. G. Wirth,
Leipzig, 1963 (coll. Teubner), p. 42 : Bélisaire traite avec un Syrien, installé depuis
longtemps dans la ville pour y faire du commerce, et qui jouit d'un grand prestige. On
pourrait multiplier les exemples de bateaux circulant d'un bout à l'autre de la Méditerranée,
et même jusqu'à Mérida ou en Bretagne (ci-dessus, p. 240, n. 149). Outre des
marchandises, ils portent des passagers prestigieux, en voyage (ou exilés), le courrier
diplomatique . . .
514 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
-, d'acheminer des produits de grande qualité, comme les vins fins, qui
ne sont produits que dans certaines régions - dans ces conditions, les
humbles, c'est-à-dire la majorité de la population, ne profitent en rien
de ces échanges -, ou d'utiliser les subsistances comme simple appoint
pour des transactions plus lucratives, ce qui entraîne de fréquents
changements dans la nature et la qualité des subsistances qui
constituent un complément, peut-être abondant mais jamais fondamental
pour la population citadine?
76 Si le prix semble bien établi avec un retour à vide, il ne faut pas oublier que le
chariot, qui transporte son chargement sur 100 km en un peu plus de trois jours, a besoin
d'un délai identique pour revenir à son point de départ, non compris le temps du
chargement et du déchargement. Cela fait plus que doubler le nombre des chariots
nécessaires.
77 Procope, Anecdota 30, 5-11, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll. Teubner), p. 181-182.
Jean Lydus, De magistratibus, 3, 61, éd. R. Wünsch, Leipzig, 1903 (coll. Teubner), p. 151-
152.
78 Voir aussi J. Durliat, moneta e stato, Bari, Corsi di studi, 4, 1986, p. 192-200.
516 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
79 Procope, Anecdota, 23, 11-14, éd. cit., p. 142-143. Cf. J. Durliat, ibid.
80 Grégoire de Naziance, In laudem Basila magni, éd. dans PG 36, col. 541 : Cesaree
était plus exposée aux famines que les villes côtières car elle ne pouvait recevoir de
produits de l'extérieur, à la différence de celles-ci.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 517
81 Sur le tonnage des bateaux, voir A. H. M. Jones, The later roman Empire, Oxford,
1964, p. 843. La comparaison minutieuse de toutes les indications concernant les six
premiers siècles de notre ère montrerait peut-être que l'on fabriquait à toutes les époques
des bateaux de capacité comparable. Il resterait à savoir - ce qui est apparemment
impossible - si la proportion des bateaux de chaque type demeurait constant, et si le
nombre total des navires en circulation n'a pas diminué.
82 Edit, 35, 3, éd. cit., p. 220-221. Le prix du passage d'Alexandrie à Byzance était de
12 deniers pour 1 muid militaire qui, dans le cas du blé, valait 100 deniers.
83 Voir ci-dessus, p. 258. La fondation de Constantinople n'a pu qu'accroître la
circulation, et donc diminuer les coûts. En outre, les bateaux annonaires, qui étaient assurés
de naviguer en pleine charge, et de manière régulière, pouvaient se contenter d'un salaire
inférieur. C'est pourquoi les 12 % de 301 sont devenus 10% vers 540 (cf. G. Rouillard,
L'administration civile de l'Egypte byzantine, Paris, 1928, p. 143-144). Noter que le
rédacteur de l'édit 13 utilise le même terme que celui de l'édit de Dioclétien : naulum et ναϋ-
λον).
518 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
a) Le problème du blé
les sources font cruellement défaut. Je note enfin que, outre les esclaves, les parfums . . .
(p. 100), la seule denrée qui apparaisse fréquemment comme objet d'un commerce à
grande distance est le vin (p. 36, 52, 72-96 . . .). Or il circule surtout de l'Italie vers la Gaule, et il
faut interdire aux Gaulois de cultiver la vigne pour maintenir ce trafic. Par contre, il est
certainement vrai que, si on interdit aux sénateurs de commercer, c'est parce que le
commerce existe (p. 33-34) et il est peut-être possible de soutenir (p. 1 1 = M. Rostovtzeff , The
social and economic history of the roman Empire, 2e éd. Oxford, 1957, p. 153) que le
commerce fut, au moins au IIe siècle avant notre ère, la source principale de richesse, ou plutôt
d'enrichissement, si l'on veut dire par là que l'investissement dans le commerce était le
plus profitable de tous. Cela ne signifie ni que le commerce jouait un rôle primordial dans
la vie économique générale, ni que les denrées et surtout le blé constituaient un poste
important dans l'ensemble du commerce. Il faudrait donc, sans doute, établir plus
fermement l'existence du commerce dans le monde romain par une analyse fine des restes
archéologiques (une simple promenade sur un site romain montre la présence de pierres
et de poteries importées alors que J. H. d'Arms utilise uniquement des textes), et, en même
temps, définir précisément le nombre apparemment réduit, des produits transportés et le
volume, certainement faible par rapport à la production totale de l'Empire, du grand
commerce. Sur ces points, il serait peut-être possible de découvrir des constantes à très long
terme. Alors seulement on pourrait poser la question des variations dont il serait naïf de
nier au moins la possibilité. Toute la question est de savoir si on découvrira seulement des
variations d'intensité ou aussi, des variations dans la nature même du commerce. Pour une
vision plus réaliste de la place du commerce dans l'économie antique, P. Garnsey, K.
Hopkins, C. R. Whittaker, Trade in ancient Economy, Londres 1983, surtout les contributions
de P. Garnsey (p. 118-130) et W. Pleket (p. 131-144). Je remercie Monsieur Jea Andreau de
m'avoir signalé cet important recueil. Mes conclusions recoupent largement celles de ces
auteurs. Malheureusement je n'en ai eu connaissance qu'au moment où mon texte était
rédigé. Pour la place réduite du commerce de subsistances en Occident, à la même époque,
voir D. Claude, op. cit., passim. L'empire protobyzantin ne se distingue donc ni de son
ancêtre ni de ses voisins barbares sur la question précise de la circulation des subsistances,
pas plus d'ailleurs que de ses lointains descendants : voir, par exemple F. Braudel,
Civilisation matérielle, économie et capitalisme, t. 1, Les structures du quotidien, Paris, 1979, p. 101-
102; au XVIe siècle, le grand commerce du blé en Méditerranée ne portait que sur 1%
environ de la production. Le commerce privé à notre époque pouvait difficilement faire
plus que les marchands du XVIe siècle mais il n'est pas sûr que la circulation totale des
blés n'ait pas été supérieure, à cause du poids des prélèvements publics. Que l'on songe
seulement au fait que 10% du blé égyptien quittaient alors le pays! L'étude exhaustive de
YExpositio totius mundi (éd. et trad. J. Rougé, Paris, 1966) confirmerait d'ailleurs cette
vision des choses. En effet cet ouvrage accorde la plus grande attention aux productions et
aux exportations de chaque région : les produits rares ou de grande qualité apparaissent
souvent, le blé annonaire parfois ; les subsistances presque uniquement à propos de
l'Espagne, géographiquement éloignée de nos préoccupations (voir aussi n. 1 10 sur la nécessaire
relativité de cette information : l'auteur n'a-t-il pas oublié de préciser la nature annonaire
des exportations?).
520 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
86 Ambroise de Milan, De officiis, 3, 44-52, éd. dans PL 16, col. 158-160. Le texte est
cité in extenso par L. Ruggini, op. cit., p. 116-118. Commentaire, p. 112-152. C'est le seul
texte que l'auteur puisse citer pour la fin du IVe siècle. Le rappel d'épitaphes de navicu-
laires ayant travaillé sur les bords de l'Adriatique ne prouve rien puisque ces marins
peuvent n'avoir effectué que des transports publics (p. 149). Une lettre d'Ambroise (Ep. 18,
20-22, éd. dans PL 16, col. 978-979), où on veut voir une preuve de commerce des grains
et du vin entre la Pannonie et l'Italie, prouverait le contraire, puisque les Pannonies
vendent frumentum quod non severant, du blé qu'elles n'avaient pas produit, sans doute du
blé des greniers militaires (p. 115).
87 La deuxième partie de l'ouvrage étudie l'annone militaire à l'époque ostrogothi-
que (p. 207-525), en citant des textes où le commerce privé n'obtient que la portion
congrue. L'étude des prix, qui suggère leur identité et leur constance en tous lieux et à
toutes les époques (p. 360-379) ruine d'ailleurs la possibilité du commerce que l'auteur
veut démontrer. Elle tire des conclusions qui me semblent erronées des tableaux qu'elle a
réalisés, car elle n'a pas suffisamment poussé l'analyse de chaque texte et grossit les
différences de prix tant entre les régions que d'une époque à une autre.
88 L. Ruggini, op. cit., p. 118.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 521
fait Ambroise mêle tout. Il prend tantôt Rome pour une ville comme les
autres qui vit du blé des alentours et qui doit assister ses paysans pour
assurer la continuité de la production95, tantôt pour la capitale qui
dépend entièrement de l'extérieur et n'a aucun rapport avec le monde
rural voisin96. Son texte vise non à décrire la situation réelle mais à
utiliser tous les arguments pour inciter les notables à se montrer
généreux. A cet effet, il analyse la situation à Rome comme celle d'une ville
de taille moyenne où la survie future de la ville dépend de l'assistance
qu'on porte immédiatement aux paysans du voisinage, utilisant
l'argument qui sera repris par Cassiodore, et demandant ce qu'on a vu en
œuvre à Edesse97. En aucun cas, on ne peut imaginer que les
commerçants mentionnés soient de gros négociants en grains.
De même à Constantinople, à Alexandrie, à Antioche, à Carthage ou
à Thessalonique, nous n'avons rencontré aucun commerçant capable
de soulager les misères de la ville avec une efficacité telle que son
activité ait mérité d'être mentionnée98. Ces grandes villes sont toutes des
ports et jamais on n'y entend parler de grands négociants en
subsistances. Plus significatif que ce silence, le fait que les manifestations ou les
révoltes se font exclusivement contre les autorités. Si le blé manque,
c'est la faute de l'Etat, preuve qu'il est seul à fournir le grain qui vient
de loin, d'autant plus important que la ville est plus grande. Quand au
blé de la région, on ne saurait accuser les paysans de ne pas l'apporter
puisqu'ils meurent eux aussi de faim et viennent demander en ville de
quoi subsister jusqu'aux prochaines moissons. On pourrait faire valoir
que, si on légifère en Italie, à l'époque de Théodoric, sur la circulation
des grains, c'est qu'un certain commerce existe. Certes, mais les
documents, assez nombreux pour être explicites, ne font aucune allusion à
des relations avec l'étranger, preuve qu'il s'agit d'échanges intérieurs
au royaume ostrogothique, donc d'échanges régionaux limités approxi-
103 Pour les negotiatores frumentoni, voir ci-dessus, p. 84, n. 132. Pour le commerce
du blé au XVIe siècle, p. 519, n. 85.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 525
107 Ce sont, comme pour toutes les sources, les questions fondamentales que l'on doit
résoudre avant de songer à tirer quelque conclusion historique que ce soit.
108 Cela élimine du champ de notre réflexion toute la céramique fine (lampes,
vaisselles) qui ne servait pas de contenant pour des denrées. Voir cependant n. 117.
109 C'est toute la question posée par le bateau chargé d'amphores vinaires trouvé à
Yassi Ada (G. F. Bass et F. H. Doorninck, Yassi Ada, Volume 1. A Seventh-century
byzantine Shipwreck, Texas University Press, 1982, p. 188). Ces auteurs penchent pour un trajet
du nord vers le sud, alors qu'il est plus vraisemblable que le dernier voyage de l'épave se
soit effectué en sens inverse, et que ce bateau était l'un des οίνηγοί qui faisaient route
vers la capitale.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 527
110 Par exemple, la remarque de G. Pucci, Pottery and Trade, Trade in ancient
Economy, op. cit., p. Ill : «It is more interesting to find a Spanish oil amphora in Africa than in
Rome, the focal point of the imperial annona ».
111 Par exemple, Cassiodore, Variae, 3, 44, éd. cit., p. 127 où le terme est employé.
112 Flavii Cresconii Corippi Iohannidos libri 8, 6, 384-386, éd. J. Diggle et F. R. D.
Goodyear, Cambridge, 1970, p. 128, parmi un grand nombre d'indications du même genre.
113 Voir cependant les questions posées dans les cas particuliers, ci-dessus, n. 109.
114 Sur la notion de «fret d'aller» voir ci-dessus, p. 523-524. Elle veut insister sur le
fait que l'on commerce très vraisemblablement d'abord pour se procurer ce dont on
manque et accessoirement pour vendre un hypothétique surplus. Il a pu se produire -
c'est aux recherches futures à trancher - que les marchands d'une région productrice
d'un produit rare ailleurs aient décidé de profiter de l'occasion de réaliser de fructueux
bénéfices. Ils partaient donc avec la marchandise recherchée ailleurs et prenaient comme
fret de retour ce qui ne constituait pas le moteur premier de leur activité, car trop peu
rentable par soi-même, mais procurait un complément de ressources; ils étaient
d'ailleurs les mieux placés pour savoir ce qui se vendrait bien chez eux à leur retour.
L'existence, dans ce cas, d'un fret de retour, ne met pas en cause la vraie nature du ressort
premier du commerce.
528 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
119 Voir ci-dessus, p. 513. Le commerce à l'intérieur de la mer Egée par exemple ne
me paraît pas constituer nécessairement une forme de grand commerce car des barques
relativement petites pouvaient circuler souvent à vue d'île en île.
120 Cf. ci-dessus, p. 505, n. 50.
121 Cf. ci-dessus, p. 54-55.
122 P. Oxy. 1 913 : 400 jarres pour 1 sou moins 4,5 carats; PSI 474 : 2 400 jarres pour 6
sous ; P. Bad. 95 : divers prix qui vont d'environ 400 à environ 600 jarres pour 1 sou (cf. A.
C. Johnson et L. C. West, Byzantine Egypt. Economie Studies, Princeton, 1949, p. 188-189).
Comme les unités de capacité, pour le vin, sont d'environ 3 1, on peut supposer que les
jarres étaient de cette taille. 133 amphores contiennent environ 4 hl. Pour que leur retour
vide soit rentable, il faudrait qu'elles ne contiennent que 0,75 1, ce qui est impossible.
Même si la fabrication des solides amphores qui circulaient au loin revenait deux ou trois
fois plus cher, par litre de vin transporté, que celle des jarres à usage local, le retour
reviendrait plus cher que l'abandon sur place. Celui-ci est d'autant plus vraisemblable
que l'on pouvait sans trop de difficulté trouver des acheteurs, à faible prix, dans le pays
d'arrivée.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 531
123 Au terme d'une étude particulièrement riche à partir de fouilles dans un quartier
de Benghazi, J. A. Riley (Coarse pottery, dans Excavations at Sidi Khrebish Benghazi
(Berenice), t. 2, Tripoli, 1984, p. 402) constate que : l'étude d'un quartier ne permet aucune
extrapolation pour l'ensemble de la ville, encore moins pour toute une région. Pour le cas
de Carthage, où les résultats ne concordent guère selon les lieux de fouilles, voir ci-
dessous, n. 126.
124 L'étude exhaustive d'Argos par C. Abadie-Reynal offrira une base solide mais cette
ville moyenne, sinon petite, peut-elle être prise pour modèle? Les vastes comparaisons
entreprises par l'auteur, op. cit., apporteront des éléments de réponse.
532 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
125 Cf. n. 106 et les bibliographies des travaux cités ici pour mesurer l'état
fragmentaire de nos connaissances.
126 Pour Carthage, par exemple, on note des différences nettes entre les lieux et les
époques. Si l'on peut un jour dire que dans les ports la part des amphores étrangères
atteint et dépasse rarement 33% et que dans les villes de l'intérieur elle atteint rarement
20%, Carthage sera tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de la moyenne. Ainsi J. A. Riley,
New light on relations between the Eastern Mediterranean and Carthage in the Vandal
and Byzantine periods : the evidence from the University of Michigan excavations, dans
Actes du colloque sur la céramique antique à Carthage, Carthage, 1982, p. 114, obtient les
proportions suivantes d'amphores orientales : fin du IVe siècle, 0,2% ; milieu-3e quart du
Ve siècle, 25,5% (dans une citerne); fin du Ve siècle, 5,9%; début-milieu du VIe siècle,
8,8%; fin du VIe siècle, 14% (citerne); fin du VIIe siècle, 1%. L'auteur {ibid.) note que les
proportions relativement fortes se trouvent chaque fois dans des citernes. M. G. Fulford,
The long distance Trade and Communications of Carthage, dans Excavations at Carthage :
The British Mission, t. 1,2, The Avenue du président Habib Bourguiba, Salambo : The
pottery and other ceramic objects, éd. M. G. Fulford et D. P. S. Peacock, Sheffield, 1984,
p. 258-262: fin IVe-début Ve siècle, 8%; Ve siècle, 15% vers 450, 24%; vers 475-500; fin
Ve- VIe siècle, 26% ; 540-600 : augmentation des amphores orientales. Pendant cette
période, les fouilleurs britanniques ont constaté la présence de 50 à 66% d'amphores
africaines identifiées qui représentent toujours plus du double des amphores d'Orient. Les
amphores non identifiées ne correspondent pas nécessairement à des produits du grand
commerce car on trouve des argiles semblables en Afrique ou en Italie du Sud.
Néanmoins les proportions sont beaucoup plus fortes, en moyenne, que celles des chercheurs
de l'Université du Michigan; cela tient-il au fait que l'avenue du Président Bourguiba se
trouve à proximité de la mer et des ports?
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 533
qui est bien établi pour des époques postérieures127. On dispose ainsi
d'un ordre de grandeur acceptable qui doit même représenter un
minimum si on y inclut l'huile et les autres produits conservés dans des
amphores, et si l'on admet une quantité moyenne de 1 hl par personne
et par an128. Comme l'amphore pèse approximativement la moitié de
son contenu129, il fallait environ 0,5 q d'amphore par personne et par
an, soit 50 qx par habitant et par siècle, pour une ville à population
relativement constante et 200 qx pour l'ensemble de notre période.
Admettons maintenant un nombre résolument élevé pour la durée
d'utilisation des amphores, 20 ans par pure hypothèse. On a donc dû
éliminer d'une façon ou d'une autre 2,5 qx par siècle et 10 qx entre le
IVe et le VIIe siècle pour chaque habitant. Ainsi Rome et Constantinople
à leur apogée ont «produit» quelque 1 500 000 de qx (150 000 t) de
tessons par siècle; Alexandrie et Antioche, approximativement autant
entre 300 et 700; une ville de 1 000 habitants, 250 t par siècle et 1 000 en
tout. Quel que soit le degré d'approximation de ces estimations,
retenons que les quantités d'amphores jetées chaque année se comptent
par tonnes pour les plus petite villes, par dizaine ou centaines de
tonnes pour les autres, uniquement pour l'huile et le vin.
Face à de telles quantités, les études les plus fournies ne doivent
guère porter, pour les centres les plus favorisés, que sur quelques pour
cent de la masse totale des amphores jetées. Pour prendre conscience
de leur faible représentativité, il suffit de comparer, dans une même
ville, les résultats de plusieurs fouilles 13°. Apparemment, on n'a jamais
inscrit dans le questionnaire auxquels ces documents sont soumis les
interrogations qui viennent naturellement à l'esprit quand on a la
pratique des textes : le pourcentage de tessons étrangers n'augmente-t-il pas,
127 P. Oxy. 1920 : Les soldats reçoivent 2 xestes de vin par jour quand ils partent en
mission; les fédérés, 1 xeste; les σύμμαχοι των ριπαρίων, 1/2 xeste, soit, en moyenne, 1
xeste (0,54 1) par jour ou près de 2 hl par an. A la veille de la Révolution, la
consommation par habitant était à Paris de 120 1. par an, ce qui est apparemment élevé (d'après F.
Braudel, op. cit., p. 202).
128 La consommation d'huile n'est pas considérable (environ 1/8 de xeste par soldat
et par jour, en mission, 25 1. par an) mais il faut compter avec l'huile servant à
l'éclairage, aux soins corporels ... Il faut ajouter tous les autres produits transportés par des
amphores, comme le garum, les résines . . . L'identification du produit transporté n'est
pas toujours facile et on prend parfois - ou souvent? - pour des récipients de denrées ce
qui n'en est pas.
129 Cf. ci-dessus, p. 505, n. 50.
130 Cf. n. 126.
534 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
134 Voir D. Manacorda, Anfore, dans Ostia IV, Studi miscellanei, 23, Rome, 1977,
p. 247, qui renvoie à la bibliographie antérieure. P. 247 : déclin, au IVe siècle, des
importations d'amphores orientales et augmentation des amphores africaines à Ostie. P. 185-
180 : déclin de ces importations au Ve siècle, que l'on est tenté de mettre en relation avec
l'invasion vandale, bien que la corrélation chronologique soit difficile à établir de
manière certaine. Noter aussi, p. 262, une excellente carte de la diffusion des solides amphores
africaines que l'on trouve presque exclusivement le long des côtes de cette région et des
côtes méditerranéennes jusque dans la mer Egée.
135 Cf. n. 126.
136 D. P. S. Peacock, op. cit., p. 257, explique l'augmentation des importations
africaines à partir de l'invasion barbare par le fait que les habitants, libérés des versements à
l'annone, ont pu vendre à l'Orient pour en importer ce qu'ils souhaitaient.
137 Ibid. : puisque l'Afrique était réputée pour sa fertilité, elle n'a pu importer des
subsistances, mais seulement des denrées de luxe dont la qualité dépassait ce qu'on
pouvait trouver sur place.
536 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
138 Ibid. : penser que l'Afrique n'a pas à importer de vin commun car c'est une région
fertile conduit à rejeter l'hypothèse, formulée par l'auteur, que l'Afrique ait pu vendre du
blé à la Syrie en échange des denrées de luxe qu'elle achetait. Cependant on peut
reprendre cette hypothèse avec prudence si on se rend compte que la séparation politique entre
l'Afrique et le reste de l'Empire, provoquait une différence de prix en faveur de la
première (cf. n. suivante) : le blé africain pouvait ainsi devenir intéressant. On ne le vendait
sans doute pas pour lui-même, mais il constituait un fret d'aller à bon marché. Mais on
sort ici du cadre dans lequel nous évoluons constamment, celui d'un Etat unique, pour
évoquer le commerce international qui pose des questions radicalement différentes.
139 Une comparaison, qu'il serait trop long de présenter ici intégralement, montre
que les prix dans le royaume vandale (comme d'ailleurs dans le royaume franc, et sans
doute dans tous les royaumes barbares, sauf en Italie) sont considérablement inférieurs à
ceux de l'Empire. Cette comparaison se fonde sur les données précises et convergentes de
T. Alb.
ι« Voir ci-dessus, p. 530-531, sur le rapport entre proportion des amphores et
proportion des sortes de vin consommées.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 537
141 En attendant l'étude de la céramique dans une ville de l'intérieur, voir, outre les
nombreuses remarques sur la présence surtout le long des côtes de la céramique
importée, quelle que soit sa nature, Déhès (Syrie du Nord). Campagne I-IH (1976-1978).
Recherches sur l'habitat rural. Extrait de Syria, 57, 1980, p. 235. La céramique est presque
exclusivement locale. Même si dans les villes le commerce est un peu plus développé, il ne
peut être considérable. Or 80% des citadins peut-être vivaient loin de la mer, si l'on
excepte les capitales et les deux très grandes villes qui se détachaient très nettement des
autres, Antioche et Alexandrie.
142 Ibn Hani présente une situation très intéressante, mais vraisemblablement assez
peu représentative (voir M. Tourna, La céramique byzantine de la Syrie du nord du Ve au
VIe siècle, Thèse de 3e cycle, Université de Paris I, 1984). D'abord, si la céramique
étrangère y est abondante (de l'ordre de 50%, mais à partir d'une série courte de quelque 150
tessons d'amphores), il n'en est pas de même à Laodicée qui se trouve à proximité (p. 3).
En outre le commerce entre Antioche et Ibn Hani ne peut être assimilé à du grand
commerce car la distance est de moins de 100 km, et la route ne s'éloigne jamais de la côte.
538 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
143 H. Delehaye, Une vie inédite de saint Jean l'Aumônier, Analecta bollandiana, 45,
1927, § 10, p. 24; trad. A.-J. Festugière, en collaboration avec L. Ryden, op. cit., p. 327.
Jean déclare, à la fin de l'anecdote : « Verse-moi du vin du lac Maréotide dont le goût
n'ait rien de rare et dont l'achat soit bon marché». On ne peut en conclure que l'Egypte
ne produisait pas de crus réputés mais que pour avoir un vin à bon marché, il fallait le
faire venir d'une courte distance. Sinon Jean aurait accepté n'importe quel vin commun,
fût-il palestinien. Cette interprétation du texte considéré isolément pourrait paraître
excessive. Replacée dans le contexte de tous les documents que l'on vient d'analyser, elle
s'impose.
144 Pour Thessalonique, cf. ci-dessus, p. 391. Comme pour le blé, le prix du vin varie,
à Edesse, en fonction directe de la production locale et jamais on ne parle ni
d'importation ni d'exportation (ci-dessus, p. 414). Cette description contemporaine des événements
sera à mettre en relation avec le résultat des fouilles à venir.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 539
145 Sur le faible développement du commerce des subsistances, voir, pour l'époque
romaine, les réflexions pertinentes et les références bibliographiques de H. W. Pleket,
Urban élites and business in the Greek part of the Roman Empire, Trade in ancient
Economy, op. cit., p. 131-144; C. R. Whittaker, Late Roman trade and traders, ibid., p. 163-
180. Pour notre époque, A. H. M. Jones, op. cit., p. 844-846, et M. F. Hendy, Studies in the
byzantine monetary economy, Cambridge, 1985, dont je note ici seulement qu'il arrive, par
des voies différentes, à des conclusions proches des miennes et surtout qu'il montre la
continuité de la situation pour ce qui est du commerce en Asie Mineure jusqu'à la fin du
XIXe siècle (à propos de ce livre, voir ci-dessus, p. 20, n. 18; pour ce qui concerne le
540 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
A - Le «pauvre» assisté
commerce, voir surtout p. 554-602 et p. 664). Pour l'époque moderne, F. Braudel, op. cit.,
p. 81-228 (noter cependant que l'auteur étudie des régions différentes de la nôtre, qui ne
possèdent pas la même unité climatique et politique; malgré cela, les subsistances
circulent peu).
146 Esquisse sur la charité à l'époque protobyzantine, qui pose les questions
principales et cite l'essentiel de la bibliographie, mais qui, surtout, montre l'urgence d'études
spécialisées pour chacun des thèmes abordés, dans D. Constantelos, Byzantine philanthropy
and social welfare, Rutgers university press, 1968.
147 Voir l'important ouvrage de E. Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale
à Byzance (IVe-VIIe siècle), Paris-La Haye, 1977 (Civilisations et sociétés, 48). L'auteur
RAVITAILLEMENTPUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 541
dégage bien la différence entre l'aspect économique de la pauvreté, qui dépend du niveau
des ressources, mais dont le seuil n'a jamais donné lieu, à l'époque qui nous intéresse, à
une évaluation quantitative rigoureuse, et l'aspect social de la pauvreté, qui touche tous
ceux dont les rapports avec l'Etat sont médiats, par l'intermédiaire de «puissants», de
ceux qui détiennent une parcelle d'autorité publique. Seul nous intéresse ici le premier
aspect, et plus particulièrement la question des moyens mis en œuvre pour venir en aide
aux nécessiteux.
148 Πένης et πτωχός n'avaient pas le même sens, à l'origine, le premier désignant
surtout la pauvreté sociale et le second la pauvreté économique (E. Patlagean, op. cit., p. 17-
35), mais depuis que les Septante avaient utilisé la redondance πένης και πτωχός pour
caractériser la misère totale de l'homme devant Dieu, l'opposition s'était estompée dans
le vocabulaire chrétien, puis dans la langue courante, et même celle des bons auteurs.
Saint Basile (Regulae brevius tractatae, 262, éd. dans PG 31, col. 1 260) est même obligé
d'expliquer la différence entre les deux termes, preuve qu'elle n'allait pas de soi, et le fait
d'une manière originale qui témoigne de sa méconnaissance des sens anciens : le πτωχός
est, pour lui, celui qui est tombé de la richesse dans l'indigence (ένδεια); le πένης, celui
qui est pauvre de naissance. On note très souvent dans les sources, même législatives, que
les deux termes sont employés alternativement, pour éviter les répétitions.
149 Ce sens, purement spirituel, constant dans la littérature théologique, ne nous
intéresse pas ici.
150 E. Patlagean, op. cit., p. 13-17.
151 On pourrait, me semble-t-il montrer, par de longues analyses des trop rares
indications dont nous disposons, que cette somme de 50 sous correspond au capital, le plus
souvent foncier que l'on doit avoir pour pouvoir témoigner en justice, car un témoin est
responsable sur ses biens et doit posséder plus que le minimum vital qu'il serait difficile
de lui prendre. De même pour intenter une action en justice. Cette somme correspond au
542 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
face aux puissants et, pour ce faire, les assimile aux indigents dont elle
assure la subsistance bien qu'ils aient de quoi vivre et ne demandent
pas la charité152. C'est pour n'avoir pas suffisamment pris conscience
de l'existence de ces pauvres qui pâtissent d'une infériorité sociale bien
qu'ils jouissent d'une totale autonomie économique qu'on a parfois
imaginé une société protobyzantine misérable dépendant largement de
l'assistance.
Les indigents sont les pauvres par excellence, ceux qu'exalte la
littérature chrétienne, car ils sont les préférés de Dieu et jouent un rôle
essentiel dans le salut des autres hommes : le don qu'on leur fait aide
l'âme de ceux qui possèdent des biens à se détacher des vanités de ce
monde et à s'ouvrir à la grâce divine. L'un des premiers devoirs de
l'Eglise, celui qui fonde son droit à posséder une fortune, les «biens des
pauvres», consiste à leur venir en aide153.
prix d'une terre d'environ 5 ha de très bonne terre (et même 2,5 ha le long du Nil, là où
on ne pratique pas la jachère) de 10 ha de terre de qualité moyenne et de 15 ha de terres
arables de mauvaise qualité. Un tel bien, dont la valeur doit correspondre à un jugum
fiscal à partir de la création de la jugatio-capitatio, assurait à une famille paysanne une
production dont la valeur semble avoir été de l'ordre de 15 à 20 sous par an, de quoi
survivre quand les récoltes ne sont pas trop mauvaises. Sur ce seuil de fortune de 50
sous, qui correspond à un capital investi et non aux liquidités que l'on a chez soi et qui ne
définit en rien un minimum à partir duquel on aurait droit à une assistance quelconque,
voir E. Patlagean, op. cit., p. 180. Il est attesté dans le Digeste (D 48, 2, 10) et se retrouve
dans toute la législation jusqu'aux Basiliques (B 60, 34, 10).
152 Une étude du vocabulaire utilisé dans les sources ecclésiastiques, principalement
les correspondances et les vies de saints, montrerait que les pauvres assistés ne sont pas
toujours des indigents, car ce sont parfois des orphelins aisés, des contribuables qui ont
trouvé asile dans une église, des réfugiés fuyant les Perses qui n'ont pas nécessairement
tout perdu . . .
153 Une étude du vocabulaire, à travers quelques situations concrètes, montrerait que
tous les biens d'Eglise sont qualifiés de biens des pauvres pour profiter des avantages
réservés à ces derniers (exemptions fiscales, générosités publiques ou privées . . .) sans
tenir compte des distinctions entre les parts de ces biens ecclésiastiques, telles que nous
allons les analyser. Les biens qui servent à soulager les pauvres ne constituent qu'une
partie des «biens des pauvres».
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 543
une longue liste des cas d'espèces, que l'on retrouve dans les types de
sources les plus variés et qui comprend évidemment les indigents, mais
aussi les veuves, les orphelins, les vieillards, les malades, les
prisonniers, les étrangers de passage . . . Tous ne sont pas sans ressources,
surtout les orphelins ou les «étrangers», c'est-à-dire les habitants de
l'Empire qui ne sont pas citoyens de la ville où ils séjournent
provisoirement. Ceux qui disposent de moyens suffisants ont seulement besoin
d'une assistance morale ou d'un correspondant local qui les aide dans
leurs démarches, par exemple l'accomplissement d'un pèlerinage154.
Les autres demandent des secours pour survivre, comme les vieillards
abandonnés de tous. L'importance de cette classification qui tient
compte à la fois des besoins moraux et matériels des individus,
apparaît lorsqu'on constate que la plupart des institutions d'assistance tirent
leur nom de l'une ou l'autre des catégories désignées dans cette liste :
ce sont les ξενοδοχεία, réservés en principe aux étrangers de passage,
les πτώχεια ou πτωχοτροφεϊα, normalement destinés aux indigents, les
ορφανοτροφεία pour les orphelins . . . 155. Une étude de ces termes
montrerait qu'ils sont souvent synonymes, et, en particulier, que le ξενο-
δοχεΐον remplit dans la majorité des petites cités toutes les fonctions à
la fois.
Pour choisir, parmi les indigents, ceux qui seront assistés, les évê-
ques agissaient seuls ou avec l'aide d'une personne, un diacre ou le
responsable du ξενοδοχεΐον (le ξενοδόχος) qui peut être un prêtre 156.
Cette assistance aux pauvres ne vise cependant pas à faire
disparaître la pauvreté. Les chrétiens, pas plus que les autres hommes vivant
154 C'est l'une des fonctions du xenodochium que d'accueillir les «étrangers», même
s'ils disposent de ressources, car, à cette époque, les hôtels n'existaient pas. Il suffit de
songer aux xenodochia de la capitale hébergeant les personnes qui venaient demander à
la cour la solution de leurs difficultés judiciaires ou autres ; ou à ceux de Jérusalem, où se
pressaient des foules denses de pèlerins (voir D. Constantelos, op. cit., p. 159 et 185-188).
iss vojj- provisoirement, au sujet de ces fondations pieuses, D. Constantelos, op. cit.,
passim. Pour une liste partielle des établissements, K. Mentzou-Meïmarè, Institutions
pieuses de province jusqu'à la fin de l'iconoclasme, Byzantina, 11, 1982, p. 243-308.
156 A Rome, avant la conversion de Constantin, les diacres étaient chargés de recenser
et d'inscrire sur des listes les pauvres qui leur étaient signalés. Dans tout l'Empire, au
moins depuis le concile de Chalcédoine, chaque ville devait avoir son xenodochium. On
connaît, dans les pays de langue grecque, plusieurs ξενοδόχοι qui étaient à la tête du
ξενοδοχεΐον municipal et, de ce fait, étaient responsables de toutes les activités
d'hébergement, et peut-être de toute l'assistance episcopale (voir, par exemple, D. Constantelos,
op. cit., p. 219-221).
544 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
157 Les exemples les plus nets de cette tendance, assez rare chez les Pères de l'Eglise,
à imaginer les conditions suffisantes pour la suppression de la misère dans l'Empire, se
trouvent chez Jean Chrysostome; par exemple Homélie sur saint Matthieu 66, 3, éd. dans
PG 58, col. 629 : A Antioche on compte environ 10% de riches et 10% de pauvres qui n'ont
absolument rien. Il suffirait que les premiers donnent très peu pour que les seconds
mangent à leur faim. Homélie sur les actes des apôtres, 11, 3, éd. dans PG 60, 96-98: Si on
mettait tous les biens en commun à Constantinople, on obtiendrait au moins 1 000 000 de
livres d'or, sinon le double ou le triple, alors qu'on ne compte guère plus de 50 000
pauvres ; il serait donc facile de satisfaire tous les besoins. Pour utiliser ce nombre de 50 000
pauvres, afin d'évaluer la population de Constantinople, il faudrait savoir d'abord s'il
correspond à une réalité, et ensuite, pour le cas où il aurait été pris à une bonne source,
qui sont les pauvres concernés. Pour moi, l'évêque de Constantinople ne pouvait pas ne
pas être bien informé. Son nombre doit donc provenir d'une évaluation officielle, fondée
ou non sur un recensement précis. Comme 50 000 pauvres représentent entre le 1/6 et le
1/5 de la population que la ville devait alors avoir, on peut présumer que ce n'étaient pas
des indigents sans aucune ressource mais plutôt l'ensemble de ceux qui avaient moins
que le revenu minimum permettant de vivre décemment, peut-être 15 à 20 sous par an
(ci-dessus, n. 151).
158 Les textes sur le thème de la pauvreté nécessaire parmi les hommes pour que la
charité puisse s'exercer, ont été rassemblés, dans l'œuvre de Jean Chrysostome, par O.
Plassmann, Das Almosen bei Johannes Chrysostomus, Münster, 1961, p. 53. On est loin
d'un «socialisme chrétien».
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 545
Β - La diaconie
1) L'existence de la diaconie
a) L'episcopium
b) La diaconie
161 Sur la distinction fort ancienne entre l'Orient et l'Occident, sur ce point, voir J.
Gaudemet, L'Eglise dans l'empire romain (IVe et Ve siècles), Paris, 1958 (Histoire du droit et
des institutions de l'Eglise en Occident, 3), p. 310.
162 Sur ces services, voir provisoirement, J. Durliat, L'administration religieuse . . .
163 voir ci-dessus, p. 159-170.
164 Grégoire le Grand, Ep. 5, 25, éd. D. Norberg, Turnhout, 1982 (CC. Series latina,
140), p. 292 : ... Adeodatus quemdam civem Pisaurensem . . . deputasse tutorem hanc
conditionem adiciens ut, si forte heredes ipsius in pupillari aetate de hac vita transirent,
omnis ejus substantia per manus antedicti tutoris debuisset pauperibus erogari.
165 NJ 131, 11 : Si quelqu'un laisse un legs pour le rachat des captifs ou la nourriture
des pauvres, et s'il ne dit pas formellement à quels captifs ou à quels pauvres son legs est
destiné, que l'évêque de la cité le reçoive et en dispose pour le mieux.
166 Ibid. : Quoniam dicitur eumdem tutorem velie aliquid in diaconia quae ibidem
constituta est emere, summopere ei solaciari festina (le pape s'adresse à son représentant,
un notaire de l'église de Rome), ut ea quae mercedis intuitu pus causis relicta sunt te
concurrente sine cujusquam possint impedimento compleri.
167 Les diaconies de monastères portent le nom de leur monastère ou de son saint
patronyme (pour des exemples, H.-I. Marrou, L'origine orientale des diaconies romaines,
MEFR, 57, 1940, p. 127). Les autres diaconies, comme tous les édifices et institutions
religieux, étaient placées sous la protection d'un saint dont elles portaient le nom. Lors-
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 547
qu'une source parle d'une diaconie dont elle ne donne pas le nom et que cette diaconie a
un rapport quelconque avec l'évêque de la cité, il fait peu de doute qu'elle ne soit la
diaconie de la cité.
168 Grégoire le Grand, Ep. 10, 8, éd. cit., p. 833-834 : Fertur itaque quod annonas atque
consuetudines diaconiae quae Neapolim exhibetur, eminentia vestra subtraxerit.
169 Grégoire le Grand, Ep. 11, 17, éd. cit., p. 886 : Quia igitur te Iohannem religioswn
intentionis tuae studio provocati mensis pauperum et exhibendae diaconiae eligimus prae-
ponendum.
170 La dernière édition de ce texte est de E. Wipszycka, Les ressources et les activités
économiques des Eglises égyptiennes du IVe au VIIIe siècle, Bruxelles, 1972 (Papyrologica
bruxellensia, 10), p. 125-127.
548 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
171 Γνώσις συ[νηθειών τ]ής διακ(ονίας) της αγίας του θ(εο)ΰ έκκλ(ησίας) Κ ... Je
restitue συνηθειών à la place de συναγομένων. La formule γνώσις συνηθειών (en latin notitia
consuetudinum) est extrêmement fréquente dans des documents de toutes sortes (pour
des exemples, voir J. Durliat et A. Guillou, Le tarif d'Abydos (vers 492), BCH 108, 1984,
p. 586). La diaconie episcopale de Naples touche, elle aussi, des consuetudines, c'est-à-dire
des revenus fiscaux, donc des ressources publiques. Elles constituent une part essentielle
des revenus des églises, qu'elles concernent la charité ou les autres postes du budget
ecclésiastique.
172 History of the patriarchs of the Coptic church of Alexandria, arabic text edited,
translated and annoted by B. Evetts, 3, Agathon to Michael, Paris, 1910 (PO, 5), p. 43 :
D'après Β. Evetts, le patriarche avait un économe à qui il avait confié le soin du διακονι-
κόν, mais le texte arabe porte dïakunîâh. Faute de connaître le terme grec διακονία,
l'éminent arabisant n'a pas su traduire le terme qu'il avait lu très correctement.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 549
2) Le fonctionnement de la diaconie
173 Par exemple, Jean Chrysostome se fait remettre les brefs (τα βρέβια) conservés
par l'économe de l'église de Constantinople. Il trouve que la part de l'évéque (το μέρος
του άναλώματος τοϋ έπισκονείου) est excessive et en fait reverser une partie au profit du
νοσοκομείον (Vie de Jean Chrysostome par Théodore, évêque de Trimithonte, 24, éd. F.
Halkin, Douze récits byzantins sur Jean Chrysostome, Bruxelles, 1977 (Subsidia hagiogra-
phica, 60), p. 136-139. On pourrait conclure de ces exemple que les quatre parts ne sont
pas nécessairement égales puisque Jean peut en diminuer une au profit d'une autre et
que ce transfert de fonds implique des écritures, car les revenus d'une Eglise étaient
affectés à un poste particulier, de manière permanente, si le revenu était permanent, de
manière particulière, si ce revenu n'était touché qu'une seule fois. Cependant on ne doit
pas exclure l'hypothèse selon laquelle Jean aurait fait une sorte de virement permanent
du compte de l'episcopium à celui de la diaconie, à titre viager, sans que l'affectation
première des fonds cesse d'être faite au profit Vepiscopium.
174 Cf., parmi une foule d'exemples, le responsable de la diaconie cité à la n. 172.
550 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
175 Cf. n. 171, sur le fait que les diaconies reçoivent des parts d'impôt.
176 Cf. Les legs pour les pauvres mentionnés ci-dessus, n. 165.
177 Une enquête complète montrerait, à côté des formes connues de l'assistance, le
rôle des bains: Voir, par exemple, H.-I. Marrou, op. cit., p. 116-120; de même, Vie et
récits de l'abbé Daniel le Scétiote, éd. L. Clugnet, Revue de l'Orient chrétien, 5, 1900,
p. 371 (texte grec) et 402 (texte syriaque) : L'orfèvre Andronikos et sa femme Àthanasie
passent plusieurs nuits par semaine à laver les pauvres dans la diaconie. L'importance
des bains dans l'assistance aux citadins pauvres est significative du fait que cette
as istance consiste surtout à faire profiter les indigents des privilèges de la vie urbaine. Elle ne
pouvait que se modifier radicalement quand les bains, élément fondamental du genre de
vie citadin, entretenus par la cité avec des fonds municipaux, disparurent à partir du VIIe
siècle (sur la disparition des bains, voir C. Mango, Daily life in Byzantium, Akten des XVI.
internationalen Byzantinistenkongresses (Vienne, 1981), dans JOB, 31, 1981, p. 339-341).
178 Les vieillards abandonnés et indigents constituent le meilleur exemple de la
première catégorie, les riches syriens fuyant provisoirement les Perses d'Egypte, de la
seconde.
179 Voir, par exemple, C. Butler, The lausiac history of Palladius, t. 2, Cambridge,
1904, p. 126-127. A l'occasion d'une famine à Edesse, le diacre Ephraem, rassemble les
riches de la cité et leur demande d'aider les pauvres au lieu de laisser pourrir leurs
richesses. «Nous n'avons personne, lui répondent-ils, en qui nous ayons confiance pour
assurer le service (προς το διακονήσαι) des affamés». Le saint se nomme ξενοδόχος,
ferme les portiques, y fait établir 300 lits, fait soigner les plus malheureux et leur procure de
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 551
la nourriture. Toutes ces bonnes œuvres sont payées avec l'argent que les riches lui
donnent. Derrière la présentation édifiante du miracle, il faut restituer une pratique qui a dû
exister pour que ce haut fait pût paraître vraisemblable.
180 C'est par exemple ce qui s'est passé à Edesse pendant la grande famine des années
500 (ci-dessus, p. 417).
181 Pour une liste longue et cependant très partielle des xenodochia connus à l'époque
protobyzantine, voir ci-dessus, n. 155. La petite ville de Cara/es-Cagliari en comptait
plusieurs et le nom de deux d'entre eux nous est conservé (Grégoire le Grand, Ep. 4, 8 et 24 ;
9, 197, éd. cit., p. 224, 242 et 755-756).
182 Les délais de construction étaient de un an (NJ 131, 10). Ces établissements ne
pouvaient donc être que des maisons particulières aménagées assez rapidement. La loi
elle-même n'envisageait pas la possibilité qu'ils aient pu être de taille plus considérable
quand ils résultaient d'une fondation privée.
183 Les monastères privés étaient fondés dans les mêmes conditions que les
établissements d'assistance. Ils ne pouvaient être très grands et les revenus de toute la
communauté étaient au mieux égaux à la totalité des revenus du fondateur.
552 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
1) Les dons
184 L'éloge sans doute souvent exagéré des générosités privées, surtout dans les vies
de saints, donne l'impression que la charité était suffisamment importante pour avoir
provoqué une redistribution des richesses, dont l'importance aurait été telle que ses
conséquences économiques se seraient fait sentir dans la vie économique générale de
l'empire protobyzantin, comme d'ailleurs de l'Occident barbare. La question a été posée
en particulier par E. Patlagean, op. cit., p. 196-203.
185 Je ne connais pas de grandes distributions organisées par un individu, que ce
soient des aliments ou de l'argent. Or, du point de vue de l'alimentation, ce seraient les
dons les plus importants. La fausse vie de Porphyre de Gaza, par exemple, présente
comme une offrande personnelle du saint, perpétuée par les dispositions de son testament, ce
qui n'est en fait qu'une distribution de l'évêque ès-qualités, sur des fonds ecclésiastiques
(Marc le Diacre, Vie de Porphyre, évêque de Gaza, 94, éd. et trad, par H. Grégoire et P.-A.
Kugener, (coll. Budé), p. 72-73) : Au début du chapitre, l'auteur écrit d'abord que le saint
faisait verser un subside aux étrangers et aux indigents, citoyens ou étrangers, «sans
compter ce qu'il donnait personnellement». Les subsides ne provenaient donc pas de ses
ressources personnelles. Dans ces conditions, l'affirmation que, dans son testament, le
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 553
saint a affecté une rente perpétuelle à cette forme de don, me semble à la fois sujette à
caution et révélatrice d'une méthode presque constante chez les hagiographes : on
présente plus ou moins habilement et subrepticement comme une décision personnelle du
saint, engageant sa fortune, ce qu'il a exécuté avec les revenus de l'institution dont il
avait la charge. Pour cela on prend souvent la partie pour le tout en attribuant à sa
charité privée, qui est réelle mais limitée par la faiblesse de ses ressources, l'ensemble des
dons qu'il a effectués. Même les dons de l'Etat, pour alimenter la charité ecclésiastique,
ne sont pas aussi importants que ses allocations de vivres au bugdet municipal. Ainsi, à
Antioche, on considère comme un cadeau suffisamment important pour être rappelé, le
don de 36 000 muids de blé par Constantin (ci-dessus, p. 354-355); c'est moins de 9% de ce
que Julien a donné, non compris le blé égyptien.
186 Les taux d'intérêt légaux étaient de 4% pour les prêts entre particuliers, de 8%
pour les prêts liés à des opérations artisanales et de 12% pour les prêts maritimes (CJ 4,
32, 26). L'Eglise de Jérusalem considère comme un taux de profit exceptionnel, un
revenu de 30 livres par an pour un bien, sans doute foncier, valant 390 livres, soit près de 8%.
Le taux moyen de profit d'un investissement agricole devait être proche du taux d'intérêt
légal pour les prêts entre particuliers auxquels on n'ajoutait aucune majoration pour le
risque encouru, faillite de l'entreprise artisanale ou naufrage du bateau.
187 Vie de Porphyre, 6, éd. cit., p. 6.
554 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
res possibilités, du moins pour l'essentiel des biens car les sources ne
nous donnent que peu d'exemples de distributions importantes
effectuées par le donateur en personne.
Le montant de la somme, présentée comme considérable, alors
qu'elle n'a rien à voir avec les milliers de livres d'or qui auraient été
donnés par les très grands propriétaires, suggère une seconde
remarque : les immenses domaines de type latif undiaire n'ont pas existé ; les
plus riches citoyens de l'Empire possédaient des biens valant quelques
milliers ou dizaines de milliers de sous, non pas des pans entiers de
l'Etat 188. Leurs biens étaient donc trop nécessaires pour assurer le train
de vie de leur famille pour que propriétaires s'en soient séparés
facilement, sauf dans le cas d'un héritier célibataire qui veut assurer le salut
de son âme. Et, sans s'en défaire, on ne pouvait en tirer des revenus
tels qu'on ait pu se livrer à de grandes prodigalités. Porphyre, avec ses
188 Nous avons maintes fois évoqué les responsabilités fiscales des grands
propriétaires, qui sont de ce fait des possessores. Il en découle que ce que nous prenons pour leur
richesse se limite souvent à l'assiette fiscale dont ils sont responsables, sans profiter en
rien des sommes qu'ils gèrent. Ainsi leur fortune n'est pas aussi considérable qu'on
pourrait le penser. Ce n'est pas ici le lieu de discuter les nombres que les sources nous ont
transmis. Mais leur interprétation a parfois abouti à des exagérations, sauf peut-être dans
le cas des plus grandes familles, qui vivaient dans les capitales et dont les revenus étaient
d'ailleurs, pour une large part, d'origine publique. Voir, sur ce sujet, le travail pionnier
de J. Gascou, La possession du sol, la cité et l'Etat à l'époque protobyzantine et
particulièrement en Egypte (Recherches d'histoire des structures agraires, de la fiscalité et des
Institutions aux Ve, VIe et VIIe siècles). Pour ne reprendre qu'un texte souvent utilisé, celui
d'Olympiodore affirmant que nombre de maisons romaines recevaient un revenu annuel
de 4 000 livres d'or de leurs domaines et que Symmaque, bien qu'il ne fût pas très riche,
dépensa 2 000 livres quand son fils revêtit la preture, on se croit en présence d'un texte
irréfutable (Photius, Bibliothèque, 80, 50, éd. et trad. R. Henri, t. 1, Paris, 1959 (coll.
Budé), p. 185). Cependant Procope {Anecdota, 26, 12, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963 (coll.
Teubner), p. 159) nous apprend que les nouveaux consuls ne pouvaient certes dépenser
moins de 2 000 livres d'or à leur entrée en charge, mais qu'ils n'en payaient qu'une faible
partie, le reste étant à la charge du Trésor. On peut penser qu'il en fut de même pour
Symmaque. Olympiodore mêle donc dépense privée et dépense publique. Il en fait
certainement autant pour les recettes : les «maisons» voient bien rentrer 4 000 livres dans leurs
caisses, provenant de leurs «domaines», mais on doit se demander si la «maison» n'est
pas, à Rome, comme en Egypte, un centre de perception, et si ses «domaines» ne sont
pas des assiettes fiscales, soumis au paiement de l'impôt au moins autant que d'une rente
foncière. Voir aussi, dans la documentation papyrologique, par exemple P. Oxy. 1918 : les
Apions perçoivent à Oxyrhynchos quelque 20 000 sous dont ils dépensent au moins
quelque 7 000 sous. J'ignore ce qu'on a fait du reste qui a été affecté à d'autres postes.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 555
2) Les fondations
3) La diaconie episcopale
189 C'est le thème de prédilection de toutes les homélies sur la charité, chez presque
tous les Pères de l'Eglise.
190 Cf. n. 185.
556 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
nir et que l'Eglise ne peut, de son propre chef, instituer une συνωνή.
Cette fonction revient exclusivement à l'administration civile, certes
dirigée elle aussi par l'évêque, mais sans qu'il existe la moindre
interférence institutionnelle entre les deux services191. Entre les crises, il
n'était pas nécessaire de faire appel à la charité des chrétiens de
manière aussi pressante et de tels prêts ou dons n'avaient aucune raison
d'être. Voyons ce qui en était des revenus propres des diaconies.
A Rome, Constantin avait donné 29 000 sous pour la fabrique des
églises de la ville 192. A supposer, ce qui constitue apparemment le
maximum possible, que la diaconie ait disposé d'un budget à peu près égal,
approximativement 30 000 sous, cela représentait de quoi acheter
60 000 qx de blé, ou 900 000 muids, 1/25 à peine des 24 000 000 de
muids livrés par l'annone 193. Comme beaucoup plus de la moitié de
cette somme de 30 000 sous servait à d'autres fins que l'alimentation
(entretien des xenodochia, achats de vêtements . . .), la quantité de blé
totale que l'évêque de Rome pouvait distribuer à ses pauvres ne
représentait qu'une goutte d'eau dans les dépenses totales d'alimentation.
Au début du VIIIe siècle, la ville déchue reçoit encore 25 000 sous
sur les revenus de l'Etat en Sicile194. Comme la Sicile tient une place
191 Ce point, tout à fait essentiel, ressort, je l'espère, de ce qui précède. Il faut
distinguer très soigneusement les activités de l'évêque en tant que chef de l'admistration
municipale et en tant que chef de l'administration religieuse. Ses deux activités n'interfèrent
pas, même si les vies de saints nous présentent comme un effet de la charité episcopale
ce qui est en réalité le résultat de son action civile: voir, par exemple, comment l'auteur
de la «vie» de Jean l'Aumônier essaie de mêler une action limitée en faveur des réfugiés
fuyant les Perses à une action beaucoup plus large pour délivrer Alexandrie de la faim
(ci-dessus, p. 334-336).
192 Le Liber pontificalis, texte, introduction et commentaire par L. Duchesne, t. 1, Paris,
1886 (Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome), p. 172-187.
193 II aurait en outre fallu que les sommes affectées à la diaconies fussent réellement
aussi importantes que celles de la fabrique (cf. ci-dessus, n. 173). Dans tous les cas, les
quantités livrées par l'annone étaient telles que rien ne pouvait leur être comparé, même
de très loin, sauf à supposer que Rome ait eu beaycoup plus de 1 000 000 d'habitants.
194 Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, t. 1, Leipzig, 1883 (coll. Teubner),
p. 410 : L'empereur reprend les 3,5 κεντηνάρια, c'est-à-dire les 350 livres d'or, soit 25 200
sous, qu'il donnait chaque année à l'Eglise de Rome et qui constituaient les revenus du
patrimoine de saint Pierre en Sicile. Cette récupération de ses ressources fiscales par
l'Etat au début de la querelle iconoclaste me semble révélatrice de l'une au moins des
causes du conflit entre l'Eglise et l'Etat; on se battait pour la jouissance des fonds qui
jusque-là alimentaient les budgets des Eglises: soit les Eglises prétendaient conserver
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 557
essentielle dans les finances romaines, dire que ces 25 000 sous
représentent les 50% des revenus totaux de Rome est sans doute inférieur à
la réalité. Le budget global de cette Eglise ne devait pas dépasser 50 000
sous, à supposer qu'il les ait reçus chaque année. Si la diaconie est
créditée du quart de ce montant, elle reçoit 12 500 sous, de quoi nourrir en
pain quelque 3 000 personnes à condition que le quart de cette somme
ait servi à acheter du pain et que l'on admette une consommation
moyenne de 2 qx par personne et par an. Comme on ne donnait pas
seulement du pain et comme on ne s'occupait pas seulement de la
nourriture mais aussi du vêtement et de l'hygiène des pauvres195,
comme aussi il faut tenir compte des nombreux étrangers qui avaient droit
à ces prestations, on peut douter que les habitants de Rome aient reçu
une part importante de leur nourriture de l'Eglise de Rome. C'est ce
que confirme le fait qu'on estime notable une distribution journalière
de 50 pains de 2 livres, correspondant sans doute à la nourriture de 50
personnes196. On imagine difficilement que 50 ou 100 centres de même
nature aient fonctionné dans la ville. Quelle qu'ait pu être sa
population au VIIIe siècle, la majorité d'entre elle n'avait rien à attendre des
soupes populaires organisées par l'Eglise.
Un document fort intéressant relatif à la ville de Naples nous
apprend que le nouvel évêque devra distribuer 186 sous de la manière
suivante : 150 sous, à raison de 1/3, 1/2 ou 1 sou - ou plus si nécessaire
- par personne, pour venir en aide à des habitants dans le besoin mais
qui n'osent mendier et 36 sous à des mendiants que l'on pourrait dire
professionnels197. Ce texte ne nous donne pas le montant de ce que la
diaconie de Naples doit verser normalement mais seulement la
différence entre ce que l'on aurait dû donner et ce qui a été réellement
distribué. Cependant il montre que l'alimentation ne constitue pas la
préoccupation directe de la diaconie; elle donne aux nécessiteux ce
leurs privilèges, soit l'Etat s'estimait en droit de les réduire pour assurer la survie de
l'Empire, garant des libertés ecclésiastiques.
195 Voir, sur la diversité des prestations de la charité ecclésiastique, cf. n. suivante
(l'église distribue des repas complets) et p. 549 (importance des bains).
196 Le liber pontificalis, éd. cit. t. 1, p. 435.
197 Grégoire Ep., 11, 22, éd. cit., p. 892-893 : Praebendi sunt . . . hominibus honestis ac
egenis quos publiée petere verecundia non permittit, solidi centum quinquaginta, ita ut
quidam eorum ad singulos tremisses, quidam ad binos, quidam ad singulos solidos ve/, si
visum fuerit, amplius dimittatur; reliquis vero pauperibus qui elemosinam publiée petere
consueverunt, solidi triginta sex.
558 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
A - L'autoconsommation
201 Procope, De bello gothico, 7, 36, 2, éd. G. Wirth, Leipzig, 1963, p. 458.
202 Textes cités par A. Guillou, Régionalisme et indépendance dans l'empire byzantin
au VIIe siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la Pentapole d'Italie, Rome, 1969 (Istituto
storico italiano per il medioevo. Studi storici, 75-76), p. 54. On trouve, de même, de nombreux
jardins dans Thessalonique (Les plus anciens recueih de miracles de saint Démétrius, 252,
éd. P. Lemerle, Paris, 1979, p. 213-214).
560 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
montrent les miracles de saint Démétrius : ils ont fait la moisson, mais
n'ont pas eu le temps de rentrer le blé derrière la muraille; surtout,
l'attaque des barbares empêche de vendanger203. De ces trois exemples,
il ressort que le sol même de la ville était cultivé, ainsi que ses abords,
par des personnes qui disposaient dans des greniers urbains ou
suburbains, de leur propre production. Sans doute les plus petites cités, qui
ne se distinguaient guère des villages environnants, vivaient-elles pour
l'essentiel de cette production locale parce que les activités secondaires
et tertiaires n'y tenaient qu'une place réduite. Cependant dès que la
ville atteint une certaine dimension, cette forme d'approvisionnement est
parfaitement insuffisante. L'armée de Bélisaire ne peut survivre dans
Rome qu'à condition de chasser toute la population civile204. Les Thes-
saloniciens sont désolés de perdre leur récolte, mais ce n'est
manifestement pas elle qui les fait vivre, d'autant moins qu'elle consiste pour une
bonne part en vin; tout dépendra finalement du blé annonaire venu
d'Egypte205. Il semble surtout que les abords des villes aient été
consacrés à des activités plus rentables que la cerealiculture, en particulier
aux cultures maraîchères que l'on doit supposer faute de pouvoir
prouver leur existence206 et à la viticulture, source de profit considérable
quand on connaît la valeur relative d'une terre arable et d'un vignoble,
et la facilité d'écoulement offerte pour la production par la présence
du marché urbain207. Une enquête plus approfondie montrera certaine-
i-dessus, p. 391.
204 Le général réquisitionne les hommes et envoie femmes et enfants en Campanie
(Procope, De bello gothico, 5, 25, 2, éd. cit., p. 123).
205 voir ci-dessus, p. 391-394.
206 Cf., pour l'époque romaine, R. Duncan- Jones, The economy of the roman Empire.
Quantitative studies, Cambridge, 1974, p. 36 : II cite Cominelle d'après qui on ne tire un
gros profit des produits fermiers que si le domaine se trouve à proximité d'une ville. C'est
donc qu'on ne peut se livrer à ces activités loin des villes et qu'on s'y livre d'autant plus
largement qu'on en est plus proche. De même, dans l'Occident médiéval, la ville
s'annonce par une ceinture de vignobles et de jardins.
207 Le Livre de droit syro-romain, éd. J. Furlani, dans Fontes juris romani antejustinia-
ni, t. 2, Florence, 1964, p. 795-796 (§ 121) donne une indication qui doit avoir une portée
assez générale : on compte pour 1 jugum fiscal ou bien 5 jugères de vigne (1,25 ha), ou
bien 20 jugères de terre arable de bonne qualité, ou bien 40 jugères de seconde qualité, ou
bien 60 jugères de troisième qualité. Dans une plaine aux sols légers, on estime donc que
le profit d'une vigne est quatre fois supérieur à celui d'une terre arable, et sur une pente
caillouteuse le rapport et de 12 à 1.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 561
ment que, si la ville demande légumes, lait et vin à ses environs les plus
proches, elle fait généralement venir son blé de plus loin.
215 I. F. Fikhman, Oksirinh, Gorod papirusov, Moscou, 1976, p. 121-136; résumé dans :
Quelques considérations sur les données sociales et économiques des papyrus d'Oxyrhyn-
chus d'époque byzantine, JOB 22, 1973, p. 19.
216 Historia ecclesiastica Zachariae rhetori vulgo adscripta, 7, 6, Trad. E. W. Brooks,
t. 2, Louvain, (CSCO, Scriptores syri, 42), p. 24.
217 Ibid., 7, 5, p. 22.
218 procope, De bello vandalico, 3, 16, 11, éd. G. Wirth, Leipzig, 1962, (coll. Teubner),
p. 383.
219 Voir ci-dessus, p. 391-399.
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 565
220 Cassiodore, Variae, 1, 34, éd. A. J. Fridh, Turnhout, 1983, p. 40: le blé d'une
province doit profiter d'abord aux citoyens, ensuite à l'Etat; seul le reste peut être exporté
par les marchands vers les alienae partes ; opposées à la province, ces régions
représentent plutôt les autres provinces que les pays étrangers. 2, 12, p. 63-64 : interdiction
d'exporter, cette fois hors d'Italie, la lard car suis bonis abundare débet Italia. Mais on ignore
d'où il part et pour quelle destination; celle-ci peut être proche. En outre il s'agit de
charcuterie et non de viande, donc d'un produit qui est relativement cher. 4, 19, p. 155 :
suppression du siliquaticum sur le blé, le vin et l'huile (les subsistances) à titre temporaire
pour faciliter la circulation de ces produits pour le bien des provinciaux. Comme la lettre
est adressée à un gouverneur, les exportations doivent se faire entre provinces assez
proches. 6, 7, p. 233-234 : le comte des largesses sacrées doit surveiller le commerce avec
l'étranger pour le plus grand bien du royaume ; métaux ou soieries apparaissent dans la
liste non exhaustive des objets de ces échanges, mais le sel est la seule denrée
mentionnée. Le commerce international des subsistances est donc marginal malgré l'importance
essentielle du ravitaillement. 9, 14, p. 360-362 : Les gouverneurs doivent fixer les prix
maximums en accord avec l'évêque et les curiales de chaque cité. Le même contrôle
étatique des prix existait à Oxyrhynchos (I. F. Fikhman, op. cit., loc. cit.) : les ventes devaient
se faire exclusivement sur le marché pour qu'on pût surveiller l'application des prix
publics fixés par le logistès sur la base des rapports transmis par les responsables des
corporations qui donnaient les prix du mois précédent.
221 Les plus anciens recueils des miracles de saint Démétrius, § 252, t. 1, Le texte, éd. P.
Lemerle, Paris, 1979, p. 213-214. L'allusion aux perquisitions dans les jardins qui se
trouvent à l'intérieur de la ville suggère que ces «spéculateurs» devaient, au moins pour une
bonne part, être des paysans possédant un champ hors les murs et quelques carrés de
légumes intra muros. On les force à vendre les petites quantités dont ils espéraient un
meilleur bénéfice quelques mois plus tard.
222 J. Durliat, Taxes sur l'entrée des marchandises dans la cité de Cara/es-Cagliari à
l'époque byzantine (582-602), DOP, 36, 1982, p. 1-14.
566 L'APPROVISIONNEMENT DES CITÉS PROTOBYZANTINES
CONCLUSION
comprendre que le blé est une denrée rare et qu'il est difficile d'en
importer. Pour l'huile et le vin, tout dépend du nombre de fois que
servent les amphores locales et les amphores importées. Mais, outre que
ces produits, quand ils sont communs, ne paraissent pas quitter les
zones côtières, il se pourrait que, même là, les importations
représentent une part relativement faible de la consommation.
Le rapport entre les deux principaux protagonistes, le commerce
local ou régional et les livraisons de l'Etat ou de la cité, varie
considérablement en fonction de la taille des villes. Les très grandes villes,
comme les capitales, celles sur lesquelles nous sommes le mieux renseignés
bien qu'elles ne constituent qu'une infime minorité, ne pouvaient
attendre leur salut que de l'Etat car le commerce privé était absolument
incapable de leur fournir plus qu'un appoint pour leur alimentation.
Ces cités considérables étaient nécessairement des ports maritimes ou
fluviaux car aucun moyen de transport autre que le bateau ne pouvait
leur apporter ce dont elles avaient besoin. Seule l'armée pouvait faire
circuler des subsistances sur les routes à de grandes distances. Cette
remarque explique pourquoi ce sont l'Egypte, l'Afrique et la Sicile qui
constituaient les principaux greniers à blés, fortement mis à
contribution par le biais de la perception en nature d'une part importante de
l'impôt.
L'assistance de l'Etat n'était que la conséquence de sa volonté
politique de créer des centres prestigieux entretenus par des injections
massives de pouvoir d'achat, et exigeant de quoi satisfaire la demande
énorme ainsi créée. Si, pour une raison quelconque, cette assistance
disparaissait tout le réseau urbain en serait modifié. Ces villes ne
disparaîtraient pas mais retrouveraient le niveau que leur activité
économique et les possibilités du commerce des subsistances rendaient
possibles. Ici l'écart était important et la suppression de l'intervention
publique aurait des effets spectaculaires, avec la perte de près de 90% de la
population pour les capitales.
A l'opposé, l'immense majorité des petites villes de l'intérieur et les
villes, petites ou moyennes, établies au bord de l'eau, devait vivre de ses
ressources et d'un commerce à faible rayon qui assurait aussi les
échanges entre terroirs complémentaires. Ces villes avaient seulement
besoin, en période de disette, d'envoyer des barques ou des charrettes à
quelques dizaines de kilomètres dans le premier cas, à quelques
kilomètres dans le second, ou de pratiquer une coemptio (συνωνή). Si elles
prenaient cette mesure, qui nécessitait l'autorisation du gouverneur,
elles pouvaient le plus souvent mener l'opération avec leurs propres
RAVITAILLEMENT PUBLIC ET ALIMENTATION URBAINE 569
1 Le blé public est vendu à 15 muids le sou à Antioche (ci-dessus, p. 367), à 10 muids
le sou à Carthage (p. 386). Ce sont des prix nettement supérieurs au prix de coemptio
572 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
auquel ce blé à été perçu (30 muids le sou). Il est vendu à 25 muids le sou en Italie
(p. 431), ce qui doit sans aucun doute s'interpréter comme l'intention de vendre à prix
coûtant, y compris les frais de transport et de stockage. A Constantinople le σιτωνικόν
dispose d'un fond de roulement non renouvelé, ce qui prouve qu'il ne perd pas d'argent
lorsqu'il assiste la population (p. 214-216). Cette institution compte non par son poids
dans le budget général puisque son budget particulier semble équilibré, mais par sa
capacité à assurer, au moyen de coemptiones imposées aux paysans, la continuité du
ravitaillement.
2 Voir ci-dessus, les passages consacrés à chacune de ces villes.
3 L'inconvénient aurait été double pour l'Etat : d'une part il aurait dépensé
davantage mais, comme les subventions aux villes coûtaient encore plus cher, cela ne semble pas
le mobile principal ; d'autre part, il aurait dû tenir compte du coût de la vie dans chaque
ville ou province avant de fixer les salaires, ce qui était impossible avec les moyens
techniques de l'époque. On retrouve donc la primauté des préoccupations comptables dans
l'élaboration de la politique économique. Il faut qu'un salaire identique partout ait
partout un même pouvoir d'achat car on est dans l'impossibilité d'adapter le montant des
rémunérations à une situation économique changeante. Voir, par exemple, l'identité
troublante des salaires indiqués par CJ 1, 27, 2 et par NJ 25-27. L'enquête sur les salaires
publics devrait être poussée plus avant. Comme on note en outre que les gouverneurs et
les ducs ont un même nombre de fonctionnaires, à quelques détails près, on peut
raisonnablement supposer que, là encore, il s'agit d'une exigence des comptables qui pouvaient
se contenter de multiplier le nombre de ces hauts fonctionnaires par le prix de revient
total de leurs bureaux pour savoir facilement à combien revenait toute l'administration
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 573
une bonne part de ce que celui-ci attribuait au titre des ventes à prix
public ou des distributions gratuites. La distribution à Rome de la
moitié de son blé, ainsi que la fourniture du reste à prix coûtant, mettait le
prix des céréales à beaucoup moins cher que le prix de revient,
transport compris, et faisait que le prix total de l'alimentation devait être
assez voisin de ce qu'on constatait dans les campagnes d'Italie ou dans
le reste de l'Empire.
Cette place importante de l'Etat, même dans un domaine qui,
apparemment, n'aurait pas dû être commandé par d'autres lois que celles
du marché, appelle quelques remarques supplémentaires destinées à
mieux dégager les perspectives qu'elle ouvre et celles qu'elle implique
quant à l'organisation de la société protobyzantine.
C'est d'abord l'histoire administrative de l'Empire qui reçoit un
éclairage nouveau. On savait que Byzance était un Etat de droit.
L'étude du ravitaillement des villes le confirme puisque les lois qui
l'organisent y sont appliquées constamment sur toute son étendue. Rome et
Constantinople bénéficient d'un statut particulier, mais il est lui-même
défini par des lois auxquelles leur administration se conforme. Quand
les rapports deviennent difficiles entre le représentant du pouvoir
central et la cité, les partenaires restent généralement dans le cadre légal
et quand, par hasard, une révolte éclate à Antioche contre le César Gal-
lus, elle se déchaîne parce que le souverain interprète la loi de manière
restrictive et ne respecte pas «la conduite habituelle aux princes» qui
ont les moyens de prévenir les famines4. Dans ce cas au moins,
l'auteur veut prouver que l'émeute se produit au nom du respect de la loi
et non contre elle. On ne saurait mieux montrer le sens profond de la
légalité à l'époque protobyzantine.
Ce respect des dispositions légales est d'une grande importante
pour l'appréciation de la valeur réelle des sources. Comme nous avons
constaté que tout se fait conformément aux ordres des codes, lorsqu'on
assiste une fois à leur application, on a une forte présomption qu'il en
était de même partout et toujours. C'est d'après ce principe qu'on a pu
mettre bout à bout des informations relatives à ces villes différentes, à
des époques parfois éloignées et qu'on a pu transformer une série de
données dispersées en un tableau relativement cohérent de ce que fut
maintenir sa position dominante sur le reste de la société, mais les oppositions sont nettes
à cause d'ambitions contradictoires qui veulent dominer le reste de l'assemblée; pour la
population, la curie constitue le médiateur obligé avec l'Etat qui en outre assure la paix
civile, fournit du travail à beaucoup, dispose de moyens de pression considérables et voit
donc son autorité reconnue, non sans discussions, contestations et même révoltes quand
les intérêts sont trop divergents. L'étude du ravitaillement fournit quelques éléments
pour une enquête sur ce thème mais n'a pas à pousser l'analyse plus avant.
10 L'Egypte offrirait sans doute, grâce à la richesse de sa documentation, un bon
observatoire pour étudier les forces politiques locales, leurs choix, leurs relations avec la
cour . . . Vaste dépouillement des sources d'un point de vue exclusivement idéologique
dans J. Maspéro, Les patriarches d'Alexandrie, Paris, 1923. Plus récemment, voir, par
exemple, E. R. Hardy, The Egyptian Policy of Justinian, DOP 22, 1968, p. 23-41.
11 Voir la législation sur les boulangers, qui n'aurait pas de raison d'être s'ils ne
cherchaient à outrepasser leurs droits (CTh, 14, 3 = CJ 11, 16) et les abus, ou du moins les
contestations, à Antioche (ci-dessus, p. 373).
12 Ci-dessus, p. 336.
13 P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche au IVe siècle après J.-C, Paris,
1955, p. 105-122, traite du ravitaillement de la cité sans en tirer toutes les conclusions
pour une description des conflits d'intérêts et des rapports de force dans la ville.
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 577
14 Cf. n. 9.
15 Ci-dessus, p. 265, n. 220, pour les dangers courus si on ne satisfait pas les besoins
de la population et p. 371-372, pour les avantages politiques qu'on attend d'une plus
grande libéralité, bien que, dans ce cas précis, l'empereur Julien n'ait pas obtenu le succès
escompté.
16 Voir, en dernier lieu, sur ce point qui ne pourra plus être remis en question, F.
Vittinghoff, Zur Entwicklung der städtischen Selbstverwaltung. Einige kritische
Anmerkungen, Stadt und Herrschaft. Römische Kaizerzeit und hohes Mittelalter, Göttingen, 1982
(Historische Zeitschrift, Beiheft 7, N. F.), p. 138-142. L'étude du ravitaillement, à
compléter au moins par une étude plus approfondie de la comptabilité municipale, à travers les
papyrus, apporte des indications chiffrées sur les avantages de cette situation de
curiale.
578 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
10 ans, sans doute plus que ce que pouvait rassembler le fisc impérial en 1 an; c'est
égal au total de tout ce que le parcimonieux Anastase laissa dans le Trésor, si l'on en
croit Procope {Anecdota, 19; 7-8, éd. cit., p. 121).
20 Faute d'une étude de la comptabilité publique protobyzantine, et surtout
d'une réflexion approfondie sur la source principale qui se trouve être ici, sans
conteste, la papyrologie et plus largement l'ensemble des données relatives à
l'Egypte, on n'a jusqu'à présent donné aucune estimation fondée du budget pendant
l'époque qui nous intéresse. Il faudrait d'abord bien distinguer les postes, en particulier
toutes les dépenses locales dont le ravitaillement ne constitue qu'une faible partie, à
côté de l'urbanisme, des spectacles ... ; bien identifier ce qui est budgétisé, en
particulier les dépenses ecclésiastiques, qui obéissent aux règles générales qu'elles
révèlent, en même temps qu'à des règles propres à ce budget spécifique; comprendre
exactement les mécanismes de Yadaeratio-coemptio qui s'appliquent aux produits les
plus divers, dont les subsistances, mais aussi aux services - l'hébergement des
soldats, les transports, l'entretien des routes, des aqueducs ou des fossés ... - inscrits
dans le budget central pour un certain nombre de sous d'or, et perçus sur place
sous forme de «corvées»; tenir un compte rigoureux des émoluments, commissions
et autres avantages accordés aux agents de la perception; ne pas oublier,
évidemment les abus, exactions, malversations et dissimulations de la matière imposable . . .
Pour une esquisse de ce que devrait être une recherche sur le budget de l'empire
protobyzantin, voir A. H. M. Jones, The Later Roman Empire, Oxford, 1964, p. 462-
465.Les calculs largement arbitraires de E. Stein, Studien zur Geschichte des
byzantinischen Reiches, vornehmlich unter den Kaisern Justinus II und Tiberius Constanti-
nus, Stuttgart, 1919, p. 141-160, et de A. M. Andréadès, Le montant du budget de
l'empire byzantin, Revue des Etudes grecques, 34, 1921, p. 20-56, permettent, après
un examen critique qui n'a pas à être reproduit ici, de supposer que le budget total
au moment de la plus grande extension de l'Empire, vers 555-560, devait dépasser
10 000 000 de sous, sans qu'on puisse encore préciser. Sans doute était-il inférieur à
4 000 000 et même à 3 000 000 de sous à la fin du VIIe siècle (sur l'époque
postérieure, voir le travail largement arbitraire dans ses estimations de W. T. Treadgold,
The byzantine State Finances in the eighth and ninth centuries, New York, 1982).
Jusqu'au début du VIIe siècle le ravitaillement des villes pouvait représenter 10% de
toutes les rentrées de l'Etat, et Constantinople en absorber au moins 5%. Le
maintien de la ville dans un empire réduit des 2/3 environ aurait fait monter cette
proportion à au moins 15%. Une telle charge était insoutenable pour le budget.
21 Les bains, les aqueducs et les murailles sont mentionnés dans les mêmes lois
et au même titre que l'approvisionnement en blé: CJ 1, 4, 26; 10, 30, 4, 530; NJ 128,
16, 545; CTh 15, 2, 1, 330 précise que les propriétaires de terres sur lesquelles passent
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 581
22 Une telle conception, implicite ou explicite, est présente dans presque tous les
travaux consacrés à la vie économique des cités protobyzantines (voir, par exemple, D.
Claude, Die byzantinische Stadt im 6. Jahrhundert, Munich, 1969, p. 170-178), mais elle
ne peut rendre compte de la contradiction entre le déclin des villes au VIIe siècle (voir
ci-dessous, p. 595-597) et la reprise économique ou du moins le maintien de la vie
économique à un niveau convenable dans les campagnes, à la même époque (voir, en
dernier lieu, A. Guillou, Régionalisme et indépendance dans l'empire byzantin au VIIe
siècle. L'exemple de l'Exarchat et de la Pentapole d'Italie, Rome, 1969 (Istituto storico
storico italiano per il medioevo. Studi storici, 75-76), p. 179-202).
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 583
pouvait croire que le réseau urbain était fondé sur des réalités
économiques immuables23. L'exemple de Constantinople - sans compter Jus-
tiniana Prima, Darà ... - montre cependant qu'il n'en était rien. Le
monde méditerranéen, principalement sa portion nord-orientale, n'était
ni plus riche ni plus pauvre qu'autrefois. Rome, depuis longtemps
privée du pouvoir impérial, qui s'installait dans diverses villes, au gré des
circonstances, n'était ni plus ni moins dynamique que dans un passé
immédiat, puisque - nous l'avons vu - sa population était sensiblement
la même vers 330 que depuis le Ier siècle; les autres villes continuaient
paisiblement une vie plusieurs fois centenaire. Rien n'annonçait un
grand bouleversement quand, soudain, la décision impériale24 de créer
une seconde capitale à l'Est modifia radicalement l'équilibre urbain,
suscitant une rivale à l'ancienne Rome, promouvant à la première
place en Orient une ville nouvelle plutôt que ses rivales, Alexandrie ou
Antioche. Il suffit, pour attirer les foules sur les bords du Bosphore, d'y
établir un palais et des bureaux administratifs, donc un centre créateur
d'emplois - de fonctionnaires, maçons, militaires, donc de domestiques,
commerçants ... - et un gros centre de consommation qui avait besoin
de fournitures considérables de subsistances, pour que, brusquement,
une très grande agglomération surgisse d'un quasi-néant. On ne saurait
mieux illustrer la primauté des choix politiques dans le développement
du réseau urbain, en dehors des petites villes.
L'étude du ravitaillement nous introduit au problème fondamental
de la ville protobyzantine. On trouve dans toute ville de cette époque
- mais une enquête plus large montrerait peut-être qu'il en fut de
23 Nous n'avons pas à discuter ici des causes qui ont provoqué l'apparition de
grandes villes uniquement à l'Est de la Sicile. Elles étaient le plus souvent antérieures à la
conquête par Rome du pays où elles se trouvaient. Ne témoignent-elles pas d'une volonté
politique de doter les Etats hellénistiques de villes dignes de leur puissance? L'absence de
grandes villes à l'Ouest - Rome mise à part - n'est-elle pas un indice en faveur du fait
que l'Empire n'eut pas les moyens ou la volonté d'y créer les grosses agglomérations qui
y manquaient faute de grands Etats préromains? La réflexion sur la destruction d'un
réseau urbain peut éventuellement offrir quelques éléments pour mieux comprendre sa
formation.
24 Quoi qu'on pense des autres villes, il ne fait aucun doute que Constantinople est le
pur produit de la volonté impériale. Elle, et elle seule, sut faire d'une ville moyenne de
province la plus grande ville du monde pendant près de deux siècles. Certes des activités
diverses se sont développées, mais elles n'ont pu le faire qu'à cause de l'immense marché
et des facilités diverses que l'action de l'Etat avait créé pour d'autres fins. Sinon
comment expliquer ce brusque développement que rien ne laissait prévoir?
586 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
très grand nombre jusque dans les cités les plus médiocres29; que l'on
ajoute les dépenses militaires souvent effectuées en ville, là où se
trouvaient les casernes, les greniers, là où les soldats vivaient avec leur
solde; que l'on pense enfin à la construction et à l'entretien des thermes et
autres bâtiments publics, qui représentent tous des dépenses de l'Etat,
financées par l'impôt; ces dernières dépenses étaient en effet
considérées comme indispensables à l'existence du cadre urbain, comme le
montrent divers indices, et l'illustrerait mieux une étude exhaustive;
une ville ne mérite réellement ce nom que si elle possède un certain
nombre d'édifices plus riches que ceux que l'on trouve dans les
campagnes et c'est l'Etat qui les paie30. Toutes les sommes ainsi affectées aux
l'exécution des actes administratifs (CJ 1, 27, 1, 534). Les gouverneurs des provinces
orientales reçoivent au moins 510 sous, pour leur seule administration civile (NJ 25, 535;
26, 535; 27, 535). Il n'est pas sûr que les lois, très succintes sur ce point, aient donné le
total des salaires. Il faut ajouter au moins une somme égale pour les militaires, un
complément pour le clergé et toutes les dépenses pour les travaux publics et autres charges
locales. 1 500 à 2 000 sous font vivre plusieurs centaines de personnes et induisent un
nombre appréciable d'activités dans une ville de quelques milliers d'habitants.
29 II suffit de regarder quelques plans de villes protobyzantines pour prendre
conscience de cette importance des bâtiments religieux. Je montrerai dans un travail en
préparation que les plus vastes, ceux qui servaient au culte public, étaient payés par le
budget ecclésiastique, certes, mais conçu comme une part du budget général de l'Empire.
30 On doit lire avec la plus grande méfiance les dédicaces de bâtiments municipaux
(pour une liste exhaustive des dédicaces africaines, C. Lepelley, Les cités de l'Afrique
romaine au Bas-Empire, t. 1, La permanence d'une civilisation municipale, Paris, 1979,
p. 304-314). Il faut tenir grand compte des dispositions légales qui autorisent les agents
de l'Etat à faire figurer leur nom sur ces inscriptions, à condition que celui de l'empereur
y apparaisse aussi (CJ 8, 11, 10). En général le responsable des travaux s'octroie la plus
belle place et se contente de rappeler l'origine publique des fonds en datant l'inscription
par le nom de l'empereur, accompagné d'une titulature plus ou moins complète. D'autre
part la formule sumptu proprio ne prouve absolument pas que les travaux ont été payés
sur la fortune personnelle de l'exécutant. CTh 15, 1, 51, 413, par exemple, utilise cette
formule pour signifier que les propriétaires de terres soumises à la charge publique de
l'entretien des fortifications devront s'en acquitter sumptu proprio, c'est-à-dire avec leurs
biens, certes, mais au titre de ce qu'ils doivent à l'Etat pour ces biens, et dans la limite de
leur capacité contributive. On peut ainsi expliquer des formules apparemment absurdes.
CIL 8, 20 266 = 8 393, par exemple, affirme à la fois que le praeses instituit, perfecit et
dedicavit une conduite d'eau dans des thermes alors qu'elle fut construite ex sumptibus
de citoyens. La contradiction disparaît si on comprend, en conformité avec les lois, que
ces citoyens ont effectué, sur les fonds publics qu'ils doivent au titre de leurs propriétés,
ou qu'ils reçoivent comme curiales, les travaux ordonnés par le gouverneur. On notera
d'autres cas voisins dans la liste dressée par C. Lepelley, en particulier les nombreuses
dédicaces par le gouverneur de travaux effectués sumptu proprio par des curiales ou des
588 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
magistrats municipaux, avec, au début du texte, la datation par les empereurs régnants.
Les fonds sont publics, comme l'indique la datation, l'ordre vient du gouverneur qui a
surveillé les travaux et qui, à ce titre, place la dédicace, l'exécution a été confiée à des
agents locaux de l'Etat. A peu près toutes les constructions de quelque importance sont
donc payées par l'Etat. Sur le sens très technique des dédicaces, voir aussi J. Durliat, op.
cit., p. 93-104.
31 C'est l'interprétation souvent reprise de W. Sombart, Der moderne Kapitalismus,
t. 1, Munich, 1902, p. 142 : la ville antique serait un centre de consommation (Konsump-
tionstadt). La perspective ici proposée a l'avantage de déplacer le problème : que la ville
soit un centre de consommation des biens de la campagne est une évidence. Encore faut-
il savoir comment elle le fait. Ce peut être par des échanges de biens ou de services
contre des denrées ou par prélèvements imposés aux paysans. Mais ces derniers peuvent
être le résultat de rapports privés (fermages élevés qui engraissent le citadin au dépens
de l'agriculteur) ou de rapports publics (affectation à la ville d'une part de l'impôt). Dans
ce dernier cas, le paysan est certes contraint mais pour payer des biens (thermes,
routes . . .) ou des services (culte, spectacles . . .) dont il peut profiter. Toute la question est-
alors de savoir moins si le paysan est exploité que si cette ponction ne constitue pas un
frein qui bloque toute possibilité d'investissement productif susceptible de provoquer le
passage de l'économie traditionnelle à l'économie «capitaliste».
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 589
32 Ci-dessous, p. 599-605.
33 Sur la crise monétaire, qui est surtout une crise due au déficit budgétaire, voir en
dernier lieu, M. Corbier, Dévaluations et évolution des prix (Ier-IIIe siècle), Revue
Numismatique, 6e série, 27, 1985, p. 69-106, surtout p. 106. Sur la crise de l'urbanisme, C. Lepel-
ley, op. cit., surtout, p. 59-120.
34 Ci-dessus, p. 353.
35 C. Lepelley, op. cit.
590 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
1978, p. 70-106. On attend avec impatience une interprétation d'ensemble de toutes les
découvertes archéologiques faites dans cette ville.
43 Voir S. Ellys, La casa bizantina, Bari, Corsi di studi, 6, sous presse. Pour l'Illvri-
cum, J.-P. Sodini, L'habitat urbain en Grèce à la veille des invasions, dans villes et
peuplement ... p. 341-397.
44 A. Bon, Le Péloponnèse byzantin jusqu'en 1204, Paris, 1951, p. 51-54 (Bibliothèque
byzantine).
45 C. Foss, Byzantine and turkish Sardis, Harvard, 1979; Late antique and byzantine
Ankara, DOP 31, 1977, p. 27-87; Ephesus after Antiquity : a late antique, byzantine and
turkish city, Cambridge, 1979.
46 Théophane, Chronographia, éd. C. de Boor, Leipzig, 1883, p. 634-635 : Constantin
VI (790-797) accorda 100 livres d'or à l'église Saint-Jean d'Ephèse, sur les revenus du
κομμέρκιον de la foire de la ville. Il faut donc qu'elle ait rapporté au moins cette somme,
et sans doute davantage puisque notre source ne dit pas que l'empereur donna tout le
revenu de la foire. La persistance d'un grand commerce international, dont les affaires se
traitaient lors des foires, ne contredit pas le déclin général des activités publiques en
ville. On peut continuer à y négocier bien que les monuments soient laissés en ruine par les
autorités, et que les notables soient déconsidérés parce qu'ils ne traitent plus que des
affaires d'importance médiocre.
47 Voir D. M. Metcalf, op. cit., p. 442-443. Le hasard des fouilles doit expliquer, pour
une bonne part, qu'Athènes connaisse un maximum entre 610 et 668, tandis qu'à
Corinthe, non loin de là, on constate un très fort déclin du nombre des pièces perdues pendant
la même période.
48 On ne trouve plus alors que quelques pièces, en très petit nombre, à Athènes et à
Corinthe.
592 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
49 P. Charanis, The significance of coins evidence for the history of Athens and
Corinth in the seventh century, Historia, 4, 1955, p. 163-172 et P. Kazdan, Vizantijskie
goroda ν VII-XI w, Sovetskaja archeologija, 21, 1954, p. 164-183, frappés par le
synchronisme des évolutions dans des régions très différentes, rejettent l'explication du déclin de
la circulation monétaire par l'effet des invasions qui ont assailli l'empire byzantin à des
dates assez variables, et y voient la preuve indubitable d'un déclin général de l'économie
urbaine. G. Ostrogorsky, Byzantine cities in the early middle age, DOP, 13, 1959, p. 45-66,
a eu le mérite d'insister fortement sur la continuité des villes et sur les preuves de leur
survie, voire même de leur prospérité entre les deux périodes particulièrement brillantes
du VIe et du Xe siècle. On ne peut plus expliquer la disparition de la monnaie de cuivre
par celle des villes.
50 Vivre sans monnaie d'appoint ne signifie pas nécessairement vivre sans monnaie,
car on perd rarement les pièces d'or, ce qui explique la rareté des trouvailles dans les
fouilles de rues, à toutes les époques. Cela ne signifie pas, non plus, la disparition des
échanges car on peut commercer au moyen du troc, surtout sous sa forme la plus
élaborée qui est très proche de la compensation : on donne un bien estimé à tant de follets
contre un autre bien ou plusieurs biens de même valeur, l'égalité pouvant être obtenue au
terme de nombreuses transactions ou par le versement d'une petite somme de monnaie;
la monnaie réelle ne circule pas mais sert de référence pour l'évaluation des produits
échangés.
51 Par exemple, l'absence d'un évêque à un concile prouve seulement qu'il était
absent et non que sa ville a disparu. La faible représentation d'une région, comme les
Balkans, prouve soit que les villes y ont pratiquement disparu, soit qu'elles étaient
provisoirement coupées de la capitale pour une raison à préciser (G. Ostrogorsky, op. cit.,
p. 54-58) ... On pourrait multiplier les exemples et songer tout particulièrement au fait
qu'un évêque soumis aux Slaves, responsable de l'encadrement idéologique dans le pays
où il réside, n'a pas à se rendre à Constantinople dans un pays étranger, pour participer
à un concile.
52 C. Mango, Daily life in Byzantium, Akten des XVI. internationalen Byzantinisten-
kongresses, (Vienne, 1981), dans JOB 31, 1, 1981, p. 337-354.
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 593
les thermes. Leur abandon peut donner l'impression que tout le site a
été délaissé, en l'absence de fouille fine et de moyens précis de
datation, pour les constructions privées, en dehors précisément des
monnaies. En fait, cet abandon témoigne surtout d'une autre manière de
vivre en ville, donc d'une autre conception du phénomène urbain53.
D'autre part, ces bâtiments, payés avec des fonds publics54, attestent
surtout une diminution des dépenses engagées par l'Etat et qui
apportaient à la ville le complément de ressources grâce auquel elle dépassait
le niveau minimum que justifiait son rôle dans la vie économique locale
et dans les échanges entre la campagne et le monde extérieur. L'Etat
était aussi le principal utilisateur de la monnaie car ses agents
recevaient leur salaire sous forme de pièces avec lesquelles ils achetaient
tout le nécessaire alors que les paysans, les artisans et peut-être même
les petits commerçants procédaient à des échanges directs de biens ou
de service avec souvent une évaluation monétaire de ce qui était
échangé, mais sans usage constant de la monnaie55. Une forte diminution des
marchés publics, des salaires de fonctionnaires . . . devait normalement
provoquer une très forte contraction de la circulation monétaire, plus
s6 Ci-dessus, p. 274-275.
57 Ci-dessus, p. 404-405.
58 Les plus anciens recueils des miracles de saint Démétrius, 250, éd. P. Lemerle, 1, Le
texte, Paris, 1979, p. 213.
59 Cf. n. 46.
60 Peut-être faudrait-il accorder une plus grande attention aux traces d'occupation
d'habitations privées, même si les bâtiments publics ont disparu; cf. B. Bavant, op. cit.,
p. 286-287 : si la ville prend un aspect rural, ce n'est pas nécessairement parce qu'elle se
trouve dans un contexte économique déprimé; ce peut être aussi parce que le nouvel Etat
n'éprouve aucun goût pour les dépenses d'urbanisme. Cf. n. 53.
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 595
61 Les régions frontalières, soumises aux passages répétés des armées, certaines
zones en bordure du désert qui ont souffert des variations climatiques, d'autres qui ont
profité d'investissements plus importants à une époque qu'à une autre . . . ont pu voir
leurs rendements varier. Ailleurs un contemporain de César n'aurait pas vu de grands
changements dans les techniques agricoles et dans les profits qu'on tirait de la terre. Il
suffit, pour s'en convaincre, de constater que les taux de profits escomptés d'un
investissement foncier n'ont pas beaucoup changé. Il ressort de NJ 40 qu'un profit de 8% par an
est considéré comme exceptionnellement bon - mais se rencontre parfois -; les
agronomes de l'Antiquité jugeaient un profit de 5 à 6% comme satisfaisant (R. Duncan-Jones,
The Economy of the roman Empire. Quantitative studies, Cambridge, 1974, p. 33). Voir
aussi ci-dessus, p. 553, n. 186.
596 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
mentions d'esclaves décline fortement à partir du IVe siècle et que, de la fin du IIIe siècle
à la conquête arabe, on ne trouve qu'une mention explicite d'esclave producteur. D'après
le contexte on peut conclure qu'il n'existe aucune attestation d'esclave participant aux
travaux des champs. Les esclaves constituaient essentiellement le personnel domestique
(gardiens, porteurs, employés de maison . . .). La correspondance de Grégoire le Grand
donnerait pour l'Italie un résultat très voisin (591-602). Voir aussi P. A. Yannopoulos, La
société profane dans l'empire byzantin des VIIe, VIIIe et IXe siècles, Louvain, 1975, p. 275.
L'esclave est un signe de richesse, un serviteur pour des travaux domestique, rarement
une source d'énergie pour la production, surtout pour la production agricole. Cela pose
en des termes originaux la question des servi dans les « grands domaines » (yillae . . .)
d'Occident : encore esclaves ou déjà serfs?
68 Sur l'existence de πολιτευόμενοι (curiales) au VIIIe siècle, voir P. Apol. Anô, index,
s. v.
69 Les grandes familles «impériales», c'est-à-dire disposant de relations dans
l'ensemble de l'Empire, comme celle des Apions, semblent disparaître au début du VIIe
siècle. Sur la montée du régionalisme, A. Guillou, op. cit., p. 231-254.
70 Ci-dessus, p. 551-554.
BILAN, PERSPECTIVES ET INTERROGATIONS 599
gère très fortement qu'il doit exister une corrélation directe entre les
choix fondamentaux de la politique impériale et leur place dans la
société.
On se trouve donc en présence d'un déclin des activités urbaines
que rien, dans les structures sociales ou dans les productions du monde
rural, ne permet d'expliquer de manière satisfaisante.
C'est dans ce contexte que l'évolution de l'annone municipale
prend toute son importance et sa signification historique dans un cadre
encore mal défini, que la présente recherche contribuera peut-être à
préciser. En effet il semble possible d'établir un rapprochement entre
le déclin du ravitaillement municipal, le déclin des dépenses locales de
l'Etat et le déclin des villes. La ville vivait, pour une part variable, grâce
au pouvoir d'achat injecté par les dépenses publiques (salaires,
constructions, bains, jeux . . .) et satisfaisait en partie ses besoins de
subsistances par l'intermédiaire du grenier municipal. Entrées et sorties
étaient gérées par les curiales qui tiraient de cette activité à la fois de
substantiels bénéfices et un prestige considérable. La remise en
question, à la fin du VIe siècle et au VIIe siècle, de ces dépenses publiques
provoqua une très forte diminution de la disparité entre ce qu'étaient
les villes et ce que les possibilités de l'économie rurale permettaient
d'entretenir sans aide extérieure; en même temps, à l'intérieur de la
ville de nouvelles priorités apparurent, entraînant la fin d'un genre de vie
particulier et des monuments qui lui étaient indispensables, surtout les
monuments publics, parure jugée nécessaire jusque-là mais qu'on ne
pouvait plus entretenir, à l'exception des églises dont le nombre resta
au mieux stable pendant un ou deux siècles. Enfin les curiales et les
principales, dépossédés de certaines attributions, perdaient de leur
autorité.
Nous avons noté que l'arrêt des constructions publiques était
contemporain des premières mesures de restriction à propos de
l'assistance alimentaire. Cela donne un poids supplémentaire à l'affirmation
de Procope d'après laquelle Justinien aurait diminué les dépenses en
faveur des villes, pour les jeux, les bâtiments publics, les médecins, les
professeurs et, au moins dans un cas, aurait affecté les fonds ainsi
récupérés à l'entretien de l'armée71. L'archéologie confirme, pour ce
qui la concerne, les dires du polémiste qui, de ce fait, doivent être
considérés comme en grande partie vrais. Dès le règne de Justinien, la
72 Ci-dessus, p. 574-577.
73 P. 602-603. Les empereurs ont tiré les conséquences des invasions qui diminuaient
d'au moins les 2/3 les ressources du budget (n. 20). Le problème peut se résumer ainsi, de
manière schématique : fallait -il maintenir l'allocation en blé à Constantinople, alors
qu'elle passait (en nombres volontairement arrondis par excès) de 600 000 sous pour un
budget de 12 000 000 de sous (5%) à 600 000 sous pour 3 000 000 de sous (20%), au
détriment de l'armée, ou diminuer non seulement le montant de cette allocation, mais aussi sa
part dans le budget général, avec les conséquences démographiques inévitables, pour la
raison très simple que mieux valait sauver l'Empire que le perdre, ainsi que sa capitale, si
on continuait à donner à celle-ci les mêmes quantités de blé ? La question est simplifiée à
l'extrême car un second problème venait compliquer la prise de décision : était-il possible
de trouver ailleurs qu'en Egypte 24 000 000 de muids de blé, ou même 10 000 000?
74 II existe une relation fort intéressante entre choix politique, situation générale,
rapports sociaux et ravitaillement des villes : la décision de nourrir mieux ou moins bien
une ville dépend des conditions et des groupes de pression dominants, mais, pour nous,
elle constitue un élément intéressant pour une réflexion non encore ébauchée, sur les
groupes de pression et les rapports sociaux dans l'Empire, à une époque donnée.
602 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
Cf. n. 20 et 73.
604 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
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E - Littérature latine
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INDEX
Les noms propres de personnes sont écrits en petites capitales. Les noms grecs sont
transcrits pour faciliter leur insertion dans l'index.
Edesse, 31588, 406-420, 445, 453, 461, 466, Gallus, 360-365, 573.
507-508, 515, 568, 571. Gaza, 16, 552.
628 DE LA VILLE ANTIQUE A LA VILLE BYZANTINE
433, 443, 467, 579, 584, 603. Voir aussi Théophanès, 1817.
arca frumentaria. Théophile, 362.
Sitônika chrèmata, 30040, 307, 30971. Thermes, 301.
Sitos, 221. Thessalonique, 229, 242, 389-406, 444, 452,
Sitophylax, 2892. 463, 467, 481, 483, 522, 559, 572, 594.
Sklavènes, 391, 398. Thrace, 427.
Slaves, 594. Tibère II, 233, 268, 600.
Spectacles, 356. TlSAMENUS, 356.
Suarius, 55, 71, 74-80, 92-107, 125, 218. Titulus, 385.
Subcurator, 299. Travaux publics, 426, 427, 473, 566.
Subsistances, 56, 27. Tremblement de terre, 460130.
Sullectum, 564. Trente, 433.
Superfluus, 93. Trévise, 433.
Superveniens, 93 146, 29524. Trophimon, 294, 324-349, 353, 354, 358,
Susceptor vini, 72, 217. 379. Voir aussi Alimonia.
Symmaque, 45, 429.
synètheiai, 293 19. Urbs, 3.
Synônè, 220, 231, 292, 332, 363, 369, 415,
442, 464, 477. Valentinien I, 386.
Politikè synônè, 30971, 458, 555. Valentinien II, 429.
Syrie, 47, 225-226. Vandales, 564.
Vénétie, 433.
Tabula, 385. Veuve, 542.
Taxation, 371. Victualia, 526.
Ténédos, 244, 245, 258, 397. Vieillard, 542, 549.
Terracina, 429. Vilitas, 370141, 458116, 479201.
Tessere, 249, 347, 351. Vraisemblance, 15.
Tesson, 525-539.
Théodat, 432. Xénélasia, 53.
Theodora, 574. Xénodocheion, Xenodochium, 21, 165,
Théodoric, 40, 126, 134, 431, 522. 17321, 175, 417, 543.
Théodose I, 233, 252-254, 263, 356. Xénodochos, xénodoque, 414, 543, 550179.
Théodose II, 233. Xénos, 401254, 523.
TABLE DES FIGURES
Pag.
Fig. 1 - Tableau récapitulatif de toutes les indications quantitatives relatives à
l'annone et la population romaines 117
Fig. 2 - Sources d'approvisionnement de Rome en blé 120
Fig. 3 - Sources d'approvisionnement en blé de Constantinople 227
Fig. 4 - Tableau récapitulatif des principales indications quantitatives relatives à
l'annone et à la population constantinopolitaines 269
Fig. 5 - Evolution des prix à Edesse de 495 à 505 413
Fig. 6 - Villes et provinces où les prestations de blé public sont attestées entre le
IVe et le VIIe siècle 437
Fig. 7 - Circulation du blé public entre le IVe et le VIIe siècle, à l'exclusion du blé
pour les capitales: Rome aux IVe et Ve siècles; Constantinople de 330 au VIIe
siècle 472
Fig. 8 - Valeur en deniers et en fraction de sou d'or des quatre denrées annonai-
res 496
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface IX-XII
Liste des abréviations XIII
Introduction générale 1-28
Première partie
Introduction 31
I - Le IVe siècle 41
A - Les prestations 42
1) Le blé 42
2) L'huile, le vin, la viande 48
Β - Les bénéficiaires 51
1) Les bénéficiaires de ventes publiques 51
2) Les bénéficiaires de l'annone gratuite 57
3) Les prétendus panes aedium 64
C - La gestion 66
1) Le pouvoir impérial 66
2) Le personnel dirigeant 67
636 TABLE DES MATIÈRES
pages
3) Les transports d'huile et de vin 72
4) Les suarii 74
5) Les naviculaires 80
// - Evolution quantitative 90
Conclusion 161
pages
Chapitre 2: L'annone constantinopolitaine 185
Conclusion 275
Conclusion de la Première Partie 279
628 TABLE DES MATIÈRES
Deuxième partie
pages
Introduction 283
Conclusion 317
TABLE DES MATIÈRES 639
pages
Chapitre 2 : Quelques exemples de ravitaillement public ... 321
A - Alexandrie 323
1) L'alimonia-τρόφιμον 324
a) Au IIIe siècle 324
b) D'après Procope 326
2) Les bénéficiaires 337
a) Le τρόφιμον 338
b) Les prétendus panes aedium 339
3) La gestion du blé public 343
a) Le τρόφιμον 343
b) Le σιτωνακόν 348
B - Antioche 350
1) Avant la crise de 354 351
2) Les crises de 354 à 393 355
a) La crise de 387 et la question des distributions
gratuites 356
b) La crise de 354 360
c) La crise de 362-363 365
d) Les crises de la fin du siècle 375
3) Aux Ve et VIe siècles 378
A - Carthage 382
1) La loi de Constantin 382
2) L'affaire du gouverneur Hymétius 386
B - Thessalonique 389
1) De 586 à 618 390
a) La disette de l'automne 586 390
b) Une famine vers 610 394
c) Le ravitaillement miraculeux de 617 ou 619 398
2) L'approvisionnement de Thessalonique pendant le
siège de 676-678 399
640 TABLE DES MATIÈRES
pages
III - Une ville moyenne : Edesse 406
1) L'an 811 de l'ère des Séleucides (499-500) 407
2) L'an 812 de l'ère des Séleucides (500-501) 414
3) Les années 814-816 de l'ère des Séleucides (502-505) . 418
Conclusion 421
pages
3) Les responsables du ravitaillement municipal 473
a) Le σιτώνης et la curie 473
b) Le σιτώνης et le gouverneur 476
Conclusion 484
B - La diaconie 544
1) L'existence de la diaconie 545
642 TABLE DES MATIÈRES
pages
a) L'episcopium 545
b) La diaconie 546
2) Le fonctionnement de la diaconie 549
A - L'autoconsommation 559
1) L 'autoconsommation des citadins cultivateurs 559
2) L'autoconsommation des revenus fonciers perçus en
nature 560
Conclusion 567
Conclusion générale 571
I - Sources 607
A - Textes législatifs 607
Β - Archéologie 608
C - Papyrus 609
D - Littérature grecque 610
E - Littérature latine 612
F - Autres littératures 613
II - Études 614
Index 625