Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
chartes
Géraud Hercule. De Guillaume de Nangis et de ses continuateurs.. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1842, tome 3. pp.
17-46;
doi : https://doi.org/10.3406/bec.1842.451644
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1842_num_3_1_451644
GUILLAUME DE NANGIS
ET BE
SES CONTINUATEURS.
i.
GUILLAUME DE NANGIS.
« stérile
« L'histoire
que celle
de ses
de sa
ouvrages
vie. » Guillaume
, dit Sainte-Palaye
de Nangis ,a n'est
laissépas
en aussi
effet
des travaux importants : une histoire de saint Louis et une
histoire de Philippe le Hardi, en latin; une chronique latine qui
s'étend depuis le commencement du monde jusqu'à l'an 1300 et
une petite chronique des rois de France, en langue vulgaire. On
lui attribue aussi une traduction française de sa Vie de saint
Louis, et une autre de sa Chronique universelle.
La Vie de saint Louis n'est pas à proprement parler une œuvre
originale ; l'auteur déclare avoir travaillé d'après plusieurs
historiens, dont les principaux sont Geoffroi de Beaulieu, confesseur
de Louis IX , et Gilon de Reims, moine de Saint-Denis.
L'ouvrage à de
n'est proprement
Geoffroi deparler
Beaulieu
qu'une
, quevie
nous
de saint
possédons
; les événements
encore (2) ,
politiques du règne de saint Louis n'y ont pas trouvé place ; c'est
donc probablement dans Gilon de Reims que Guillaume de Nangis
a pris le récit des guerres de Louis IX et les renseignements qui
concernent l'administration de ce prince. Or, Gilon de Eeims
qui était mort au moment où Guillaume de Nangis prenait la
plume (3) , avait été sans aucun doute le contemporain et peut-
être le témoin oculaire des faits qu'il racontait. Si Guillaume de
Nangis a suivi cet écrivain avec l'exactitude qu'il a mise à copier
Geoffroi de Beaulieu , il ne faut pas regretter la biographie ,
aujourd'hui perdue , que Gilon de Reims avait composée : la Vie de
saint Louis , par Guillaume de Nangis , offre les mêmes garanties
et doit avoir la même autorité.
La Vie de Philippe III mérite peut-être encore plus de con-
(1) On peut principalement citer le tableau de la séance des états généraux de 1302, et
le récit de la bataille de Courtray. Aucun des éditeurs de la Chronique de Nangis n'a
cru devoir publier ce fragment qui méritait pourtant de voir le jour.
(2) Voyez Recueil des hist, de France, t. XX, p. 3.
(3) Préface de la Vie de saint Louis , ibid., t. XX, p. 3(0.
20
fiance. Ici l'auteur n'avait pas besoin de guide ni de témoignages;
il écrivait ce qui se passait de son temps , autour de lui , et pour
ainsi dire sous ses yeux.
Ces deux Vies furent composées en même temps ; la préface
qui précède la Vie de saint Louis est commune à l'une et à l'autre.
A la fin de cette préface , l'auteur adresse les deux ouvrages à
Philippe le Bel , « afin , dit-il , qu'à la vue de ces grands modèles
« de piété et de religion, il s'efforce d'y conformer sa conduite ,
« et qu'il se réjouisse dans le Seigneur qui lui avait procuré une
« si illustre et si sainte origine (1). « Ces pieuses
recommandations semblent s'adresser à un prince dont le règne commence. On
peut au moins affirmer que Philippe le Bel a reçu l'hommage de
notre historien avant 1297, année de la canonisation de saint
Louis ; car Guillaume de Wangis, malgré l'admiration qu'il
professe pour les vertus de son héros , ne lui donne jamais dans son
histoire le titre de saint.
La Vie de saint Louis et celle de Philippe le Hardi ont, été
imprimées en 1596, dans la collection de Pithou ; en 1649 , dans
le cinquième volume du recueil de Duchesne; en 1840, dans le
tome vingt du Recueil des historiens de France.
La Chronique universelle a été publiée dans les deux éditions
du Spicilége de D. Luc d'Achery, et tout récemment dans
le xxe volume du Recueil des historiens de France. Comme
beaucoup d'autres chroniques du même temps , elle
commence à la création ; mais l'auteur déclare lui - même (2)
que jusqu'à Fan 1 1 13 , il n'a été que le copiste d'Eusèbe, de saint
Jérôme et de Sigebert de Gemblours ; aussi les précédents
éditeurs n'ont-ils imprimé que la partie de la chronique qui s'étend
depuis 1113 jusqu'à 1300. On aurait cependant tort de s'en fier
aveuglément à l'humble et candide aveu de Guillaume de Nangis.
Dom Poirier, qui a principalement étudié la partie de sa
chronique antérieure à 1 1 13 , assure qu'elle est bien loin d'être toujours
conforme à celle de Sigebert. On trouve dans celle-ci grand
nombre de lacunes qui n'existent pas dans la première ; quelquefois
même , par exemple dans la question des investitures , les deux
chroniqueurs professent une opinion diamétralement opposée (3).
(1) Ainsi, tous ces manuscrits donnent, à l'an 1349, des statuts, des prières en vers
et autres particularités relatives aux flagellants, qui ne se trouvent pas dans les
Grandes chroniques.
24
Guillaume de Nangis , en effet , ne dit pas qu'il ait traduit sa
chronique latine ; il dit qu'il a mis en français ce qu'il avait
autrefois composé en latin dans la forme d'un arbre généalogique.
Or , rien ne ressemble moins à un arbre généalogique des rois de
France que la chronique universelle écrite en latin par l'historien
de saint Louis . Les autres détails donnés par Guillaume de
Nangis dans sa préface française, s'appliqueraient parfaitement à une
espèce de livret, destiné à faire connaître aux visiteurs de
l'abbaye royale de Saint-Denis, la naissance , la généalogie, les
principales actions des rois ensevelis dans l'église abbatiale. Tel est
précisément le caractère des trois derniers manuscrits que nous
avons examinés. Encore le manuscrit de Saint-Victor et le n° 5696
contiennent-ils des additions considérables (1). Mais la chronique
française de Guillaume de Nangis se trouve certainement , telle
qu'elle a dû être composée par l'auteur , dans le n° 6763 , ainsi
que l'ont reconnu , après D. Poirier, MM. les éditeurs du
vingtième volume des Eistorien s de France, qui l'ont publiée pour
la première fois. Nous avons déjà fait connaître la manière dont
cette chronique est rédigée ; ajoutons qu'elle s'arrête avec l'an
1300 comme la chronique universelle, et que c'est bien la limite
qu'a dû lui assigner l'auteur , puisqu'elle se termine par le mot
amen, équivalent des mots finis ou explicit.
Quant à l'original latin de cette chronique, tous ceux qui en ont
parlé jusqu'ici l'ont considéré comme perdu ; il peut cependant
se faire que nous l'ayons retrouvé. A la fin d'un manuscrit
provenant de l'ancienne Sorbonně, et conservé à la bibliothèque
royale sous le n° 1 260, est cousu un petit cahier de papier , d'une
écriture moderne, intitulé : Excerpta e chronicis Gulielmi de
Nangiaco , descripta ex veteri manu scripto codice qui asservatur
in bibliotheca collegii de Navarra Parisiensis. C'est bien une
chronique latine des rois de France en forme d'arbre généalogique ,
et , chose remarquable , elle finit comme la chronique française
du manuscrit 6763 , à l'an 1 300, sous le règne de Philippe le Bel.
Elle ne débute pas, il est vrai, parle prologue qu'on lit au
commencement de ía version française , et ne donne sur aucun
roi des renseignements aussi détaillés que cette même version.
Mais un auteur , quand il se traduit lui-même , se donne bien
(1) Ce dernier manuscrit aurait même subi, an dire de la Porte du Theil , des
changements et des interpolations. Notices et extraits des manuscrits, t. II, p. 293 etsuiv.
25
plus de liberté que s'il traduisait l'ouvrage d'un autre , et rien
n'empêche de croire que la chronique française du manuscrit
6763 , quoiqu'un peu plus étendue que le texte latin conservé
dans le manuscrit de la Sorbonně , ne fût , dans la pensée
de l'auteur, une traduction libre de ce texte. Quant à l'absence
du prologue, on n'en peut tirer aucune induction ; caria
chronique latine , ne commençant qu'à Valentinien , est
certainement tronquée ; s'il en était autrement , on aurait droit
de s'étonner que le chroniqueur nous eût fait grâce de l'origine
troyenne de nos rois et de la nation, amplement déduite dans la
chronique française.
Nous savons maintenant d'une manière à peu près certaine
quels sont les ouvrages qui appartiennent réellement à Guillaume
de Nangis Ressayons de découvrir les qualités qui les
recommandent, et d'arriver par là, s'il est possible, à connaître un peu le
caractère de Fauteur. Guillaume de Nangis déclare dans sa préface
de la Vie de saint Louis, qu'il était fort peu versé dans les lettres;
il cherche à justifier encore la simplicité de son style en posant
en principe que l'histoire ne saurait jamais être assez claire ni
assez intelligible. Sainte-Palaye lui reproche d'avoir bientôt
oublié cette maxime. Suivant le docte académicien , les récits de
Guillaume de Nangis sont souvent trop peu étendus, quelquefois
confus, embrouillés, presque inintelligibles. Ces reproches , fort
justes peut-être pour la Vie de saint Louis et pour celle de Philippe
le Hardi , ne s'appliquent pas également à la grande chronique
latine. Ici , la clarté se trouve toujours jointe à la simplicité du
style , et si , pour les temps qui l'ont précédé , l'auteur se montre
ordinairement sobre de détails, il les prodigue lorsqu'il écrit
l'histoire de son époque. Il raconte sans juger, et s'abstient de
la louange , même daus les occasions où elle paraîtrait légitime.
Son peu de goût pour la flatterie, queD. Poirier avait remarqué,
se révèle bien clairement dans sa dédicace à Philippe le Bel , des
Vies de Louis IX et de Philippe III. Il se contente d'offrir au
prince régnant un modèle de conduite , sans même se permettre
les éloges que la circonstance semblait autoriser. Ici, comme dans
tous ses ouvrages , s'il loue , il ne loue que les morts. Pour bien
apprécier toute la dignité d'une pareille réserve , il suffit de
comparer les œuvres de Guillaume de Nangis aux sempiternels
panégyriques de Eigord et de Guillaume le Breton.
Il est aisé de reconnaître dans les ouvrages de Guillaume de
26
Nangis , l'esprit de l'époque où l'auteur a vécu. On y chercherait
vainement une idée générale antre que celle de la soumission due
aux puissances civiles et ecclésiastiques. Les plus grandes fautes
des rois de France y sont rapportées sans commentaire , comme
si les rois ne pouvaient avoir tort. L'auteur s'affranchit à peine
de cette réserve lorsque les intérêts de l'Église sont en jeu. A ses
yeux , par exemple , la dîme saladine et les maux qui en
résultèrent pour le clergé, furent les causes qui, rallumant la guerre
entre Henri Plantagenet et Philippe Auguste, retardèrent le
départ de la troisième croisade. Mais tout en attribuant au roi de
France et à ses barons l'idée et l'établissement de la dîme , il a
soin de rejeter sur les collecteurs l'odieux des mesures violentes
dont elle fut l'occasion (1). Moins réservé quand il parle de
princes étrangers , il prend vivement , contre Henri Plantagenet , la
défense de saint Thomas, archevêque de Cantorbéry (2). D'un
autre côté , sa passion pour la délivrance des saints lieux et sa
haine pour les Sarrasins ne l'aveuglent pas sur les belles
qualités de Saladin , et les éloges qu'il donne , comme malgré lui ,
au sultan ennemi de Dieu (3) , sont un sûr garant de
l'impartialité du chroniqueur.
La modestie dont Guillaume de Nangis a fait preuve dans sa
Vie de saint Louis, se montre d'une manière différente, mais non
moins palpable, dans la chronique. Bien qu'il fût témoin oculaire
des événements, ou avantageusement placé pour les bien connaître
depuis 1270 environ, l'auteur ne se met jamais en scène, pas même
pour écrire le mot vidi qui se rencontre si souvent sous la plume
de ses continuateurs. Il fallait pourtant que le nom de Guillaume
de Nangis fût une autorité bien respectable vers la fin du
quatorzième siècle , puisqu'on a mis sous son patronage plusieurs
histoires en français , dont une au moins semblait se
recommander assez par elle-même , puisqu'elle n'était , à peu de chose
près, qu'une copie des Grandes chroniques de France. Il fallait
que même à l'époque où il a vécu, on professât pour Guillaume
de Nangis une estime bien profonde, puisque ces Grandes
chroniques , rédaction presque officielle de l'histoire nationale , ne sont
guère , pour les trente dernières années du treizième siècle ,
IL
(1) Pour le règne de Philippe le Hardi (1270-1285), les Grandes chroniques sont une
sèche traduction de Guillaume de Nangis, dans laquelle on a toujours ou presque
toujours fait disparaître les réflexions morales de l'original et les figures qui, dans le latin,
servent à orner et à relever le style. Pour les seize premières années de Philippe le Bel
(1285-1300), les Grandes chroniques de France sont une traduction littérale de la
chronique latine ; traduction où l'on a intercalé quelques faits peu importants, tels que
la lettre de défi d'Adolphe de Nassau au roi Philippe le Bel , la réponse de ce dernier :
Ceci est par trop allemand, l'histoire du juif de la rue des Billeties, etc.
(2) Spicil., t. III, p. 73.
28
y trouvera (1) l'élection de Louis de Bavière à Francfort, et son
couronnement à Aix-la-Chapelle ; ensuite , il n'est plus question
de ce prince jusqu'à l'année 1317. L'écrivain qui reprend la
chronique à cette année, est donc différent de ceux, illi, qui l'ont
écrite pendant les années 1314, 1 3 1 5 et 1 3 1 6 , ou même
auparavant, et ceux-ci à leur tour sont autres que le premier
continuateur.
Dans le prologue de la première continuation , on trouve
quelques détails sur celui qui en fut l'auteur. Il était moine de Saint-
Denis, puisqu'il appelle Guillaume de Nangis commonachusnoster.
Son amour pour la vérité se révèle clairement dans la prière qu'il
adresse à ses frères , de corriger les endroits de ses écrits où ils
trouveraient quelques erreurs. Enfin, on peut croire qu'il prit la
plume dans un âge avancé, car il semble prévoir sa fin prochaine,
et supplie ses compagnons, moines de Saint-Denis, de continuer
son œuvre après lui. Nous ne pourrions dire jusqu'où s'étend son
travail ; mais peut-être avait-il déjà fait place à un autre avant
l'année 1310 , car les éloges prodigués à Louis Hutin à l'occasion
de son expédition contre les rebelles Lyonnais , peuvent faire
penser que l'histoire de cette année a été composée sous ]e règne
de ce prince, c'est-à-dire, postérieurement à 1314.
L'auteur qui rédigeait la chronique en 1315 était aussi moine
de Saint-Denis ; il y fut témoin cette année de nombreuses
processions qui s'y firent pendant tout le mois de juillet , pour
obtenir de Dieu la cessation de la pluie et du froid (2). Enfin la
chronique était encore écrite en 1328 par un moine de Saint-
Denis, qui raconte la bataille de Cassel, d'après la relation
officielle envoyée à son abbé par le roi Philippe de Valois (3) .
Les réflexions que le chroniqueur ajoute à la fin de son récit
prouvent qu'il avait aussi consulté, sur la journée de Cassel, des
hommes qui avaient assisté à cette sanglante affaire. Plus loin (4),
il déclare avoir vu lui-même les bulles des hospitaliers du Haut-
Pas, bulles dont l'altération attira sur ces religieux la colère du
souverain pontife. Enfin le chroniqueur qui écrivait en 1328 et
1329 était le même qui avait repris la continuation à l'année
III.
(1) De fugitivis hic me intromittere non est cura, quia de talibus non sum informa-
tus pleuarie. Spicil., t. III, p. 135.
(2) Ab aliis conscribenda derelinquo, qui de his plenius sciunt verilalem. Ibid., p.
132.
(3) Spicilége, prem. éd., t. XI , préface, p. x.
40
du moyen âge, l'histoire s'anime , se colore, revêt enfin une
allure dramatique jusqu'alors inconnue.
C'est surtout en sa qualité d'historien de parti que Jean de
Venette s'offre à nous comme un sujet curieux d'étude. Il
appartenait , sinon par sa naissance , au moins par ses affections , à la
classe la plus nombreuse de la société, à celle du petit peuple. Il
accepte comme un défi le sobriquet de Jacques Bonhomme ,
appliqué par la noblesse à la population des campagnes ( 1 ) , et
Jacques Bonhomme devient aussitôt l'objet de toute sa sollicitude. Il
n'a de larmes que pour les misères du peuple (2) , d'éloges que
pour ses vertus, de chants que pour ses triomphes. Après avoir
rapporté le traité de paix conclu en 1359 , entre le régent et le roi
de Navarre , Jean de Venette poursuit en ces termes (3) : «
Mécontents de cette paix , les Anglais s'efforcèrent de faire encore
plus de mal à la France ; mais leurs desseins ne réussirent pas
toujours aussi heureusement qu'ils l'auraient désiré ; car , avec la
permission du Seigneur, ils eurent le dessous dans plusieurs
combats particuliers. J'en veux rapporter un ici, tel que je l'ai
appris par des témoins dignes de foi ; et je le fais d'autant plus
volontiers , que l'affaire s'est passée près de l'endroit où je suis
né , et qu'elle a été rondement expédiée par Jacques Bonhomme,
et fuit negotium per rusticos, seu Jacques Bonhomme, strenue
expeditum. «Tel est le début d'un épisode éminemment
dramatique , où Jean de Venette a consacré tout le feu de son imagination,
toute la verve de sa barbare éloquence , à immortaliser
l'invincible courage , la hache victorieuse et la mort héroïque du paysan
Guillaume l'Alouette et de son valet Grandferré (4). Essayons
donc de nous rendre un compte exact et précis des idées
politiques de Jean de Venette; nous apprendrons par là quelle était,
au quatorzième siècle , la direction des esprits dans la classe
nombreuse dont il est à la fois le défenseur et le représentant.
Sainte-Palaye , et d'après lui Secousse (5) , ont considéré le
deuxième continuateur de Nangis comme un chaud partisan du
roi de Navarre ; d'un autre côté , les violentes déclamations de ce
chroniqueur contre le régent et la noblesse , ses plaidoyers cha-