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PROCESSUS D'ADAPTATION À UNE PRATIQUE SPORTIVE

INTENSIVE : ANALYSE EXPLORATOIRE DU DISCOURS DE DEUX


TYPES DE NAGEURS

Marc Souville et al.

Groupe d'études de psychologie | Bulletin de psychologie

2005/1 - Numéro 475


pages 81 à 90

ISSN 0007-4403
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http://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2005-1-page-81.htm
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Pour citer cet article :


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Souville Marcet al., « Processus d'adaptation à une pratique sportive intensive : analyse exploratoire du discours de
deux types de nageurs »,
Bulletin de psychologie, 2005/1 Numéro 475, p. 81-90.
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bulletin de psychologie / tome 58 (1) / 475 / janvier-février 2005 81

Processus d’adaptation
SOUVILLE Marc* à une pratique sportive intensive :
ALLEGRE Benjamin**
GENTILE Stéphanie*** analyse exploratoire du discours
THERME Pierre** de deux types de nageurs

INTRODUCTION considérer que la situation de compétition,


d’affrontement, relève finalement de la sémiologie
Au cours du XXe siècle, les pratiques sportives ont
des conduites de risque (Adès, Lejoyeux, Tassain,
subi les plus importantes transformations qu’elles ont
1994). La conduite de risque implique l’engagement
jamais connues (Dumazedier, 1992). Sous l’impulsion
dans des situations à forte contrainte ; cet engagement
d’un développement économique important, allié à
peut avoir une dimension pathologique. Le sujet
un accroissement du temps consacré aux activités de
sportif vit un ensemble de situations d’affrontement
loisirs, la seconde moitié de ce siècle s’est caracté-
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qui, de ce fait, induisent l’éprouvé de sensations

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risée par une augmentation sans précédent des acti-
fortes. Dans la pratique sportive, il va s’agir, pour le
vités physiques et sportives et de leur médiatisation,
sujet, d’accroître le risque dans le choix des stratégies
tant du point de vue récréatif que compétitif.
et initiatives, tout en contrôlant et en réduisant ce
Par ailleurs, à ces changements quantitatifs, se risque au maximum dans la réalisation de la perfor-
sont ajoutées de profondes transformations qualita- mance elle-même.
tives. Ainsi, au-delà du « culte de la performance »
Mais il y a également les conséquences à plus ou
mis en avant par Alain Ehrenberg (1991), on a pu
moins long terme de cet engagement total dans la
assister à une internationalisation des pratiques spor-
pratique physique et sportive. Si l’on a quelques
tives, au développement considérable des enjeux
difficultés à disposer de statistiques fiables en matière
politico-économiques, dont ces dernières font l’objet
de suivi médical des athlètes sur le long terme, la liste,
et enfin, à un accroissement de l’intérêt et de l’activité
certes non scientifique, des sportifs « morts pour la
scientifique pour les aspects biologiques, mais égale-
gloire » (par suicide) fournie par Mondenard (2003)
ment pour les processus psychologiques et sociolo-
n’en est pas moins très éloquente. D’un autre côté,
giques impliqués. Tous ces changements ont eu un
Bilard (2003) dans l’éditorial de la même revue,
retentissement sur le sport de haut niveau : le niveau
montre bien comment, processus psychologiques et
de performance requis lors des compétitions et la
santé mentale et physique se retrouvent au cœur de
pression psychologique et sociale exercée sur les
la problématique sportive. De manière plus précise,
sportifs professionnels se sont considérablement
un certain nombre de travaux rapportent également
accrus, conduisant à un recrutement de plus en plus
des corrélations importantes entre une pratique spor-
sélectif, de sportifs de plus en plus jeunes. Cela a
tive d’une certaine intensité et différentes conduites
également suscité, bien évidemment, un entraîne-
à risque. Par exemple, les résultats de différentes
ment toujours plus scientifique et exigeant. Désor-
mais, la vie d’un sportif de haut niveau impose, à un
âge sans cesse plus précoce, d’importants sacrifices,
tant d’un point de vue physique et psychologique * UPRES EA 3294 « Sport et Adaptation », UFR
(développement, accomplissement et épanouisse- Sciences et techniques des activités physiques et spor-
ment de la personne), que d’un point de vue familial, tives, Université d’Aix-Marseille II, 163, avenue de
professionnel et social. Il semblerait que ces Luminy, 13288 Marseille Cedex 9. E-Mail : souville@
contraintes multiples engendrent des processus staps.univ-mrs.fr
** Faculté des sciences du sport, Université d’Aix-
d’adaptation complexes et qu’elles ne soient pas Marseille II.
sans répercussion sur la santé des athlètes. *** Faculté de médecine, Université d’Aix-Marseille II.
Remerciements. Nous tenons à remercier le Professeur
La pratique physique intensive, une conduite à Michel Roux, directeur du Laboratoire de biomathéma-
risque ? tiques et de statistiques de la faculté de médecine de
Marseille ainsi que son équipe pour leur accueil et leur
Le sportif de haut niveau, de part la multiplicité des soutien.
contraintes qui pèsent sur lui, se trouve placé dans une Projet réalisé grâce au financement obtenu dans le
situation permanente de risque : risque identitaire, cadre de l’action cognitique 13B du ministère de la
risque social, risque émotionnel. On peut, donc, Recherche.
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études françaises (Arènes, Janvrin, Baudier, 1999 ; dépendance a, ainsi, logiquement conduit à la
Choquet, Lagadic, 2000 ; Lowenstein, 2000a, 2000b ; recherche d’un concept plus large que celui de toxi-
Lowenstein, Nordmann, Gourarier, Benslimane 1) comanie : celui d’addiction, qui a eu la plus large
montrent l’association entre, d’une part, des pratiques adhésion, tant du point de vue des praticiens de
physiques et sportives d’une certaine intensité et, terrain, que de celui des chercheurs. Si cette notion
d’autre part ,l’engagement dans des pratiques à risque et ses définitions sont, à l’heure actuelle, très discu-
ou des conduites addictives (qu’elles soient conco- tées, un certain consensus se dégage cependant,
mitantes à la pratique sportive ou postérieures à autour des propositions théoriques formulées par
celle-ci). Plus largement, des travaux nord-améri- Goodman (1990). Pour cet auteur, l’addiction est
cains, ayant eu recours aux enquêtes de corrélations « un processus dans lequel est réalisé un comporte-
à grande échelle (Nattiv, Puffer, 1997) montrent ment qui peut avoir pour fonction de procurer du
qu’athlètes et non athlètes (2 298 contre 6 983 tout plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se
venant) peuvent différer, de manière importante, caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa
dans leurs prises de risques, les premiers prenant persistance en dépit des conséquences négatives ».
plus de risques que les autres. Par exemple, si on Aussi, lorsqu’on s’intéresse justement aux princi-
s’intéresse à la conduite sur route, les athlètes inter- pales classifications de références utilisées en matière
rogés, mettent significativement moins le casque de dépendance, que ce soit le DSM IV (Association
pour conduire un deux-roues, utilisent moins la cein- américaine de psychiatrie, 1996), la grille de critères
ture de sécurité en voiture et sont plus nombreux à définie par Goodman (1990), il est frappant de voir
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conduire en ayant bu ou à monter dans un véhicule comment ces critères peuvent être, parfois, transpo-

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conduit par quelqu’un qui a bu. Quel que soit le sables dans le domaine des activités physiques et
domaine (santé, conduites de véhicules à moteur, sportives.
nutrition), les athlètes vont se révéler plus impli- Au-delà des sportifs de haut niveau ou de ceux qui
qués que les autres dans des pratiques à risque. pratiquent la compétition, depuis une vingtaine
d’années, de nombreux auteurs ont commencé à
Du sport… à l’addiction
s’intéresser à la pratique physique et sportive inten-
L’environnement humain du sportif de haut niveau, sive, comme conduite addictive ou comme « activité
ainsi que les médias, valorisent la prise de risque chez compulsive » ou « morbide » (Bradley, 1990 ;
le sportif. Ceci a conduit certains chercheurs comme Escriva, Vassort, 2000 ; Morgan, 1979 ; Pierce,
Zuckerman, par exemple, à conceptualiser la Daleng, McGowan, 1993 ; Pierce, 1998 ; Veale,
recherche de la sensation en montrant qu’elle est 1987). « Le sport est-il une drogue ? » se demande
attachée aux dimensions de base de la personnalité ainsi Riché (1991). S’il est vrai que la dépendance
(Zuckerman, 1983). Il a élaboré une échelle de physiologique, liée à la production d’endorphine par
recherche de sensation en sport, en corrélant les l’organisme peut se retrouver dans certains sports,
types de pratique sportive et les traits de personna- notamment pour la course à pied (Pierce et coll.,
lité, caractérisés par le besoin d’expériences variées 1993), il va s’agir, là aussi, comme pour d’autres
et nouvelles, d’affrontements renouvelés, de mise à addictions, d’une dépendance, essentiellement
l’épreuve de soi dans la compétition. Par ailleurs, les psychologique, avec une centration totale sur une acti-
compétitions, par leur répétition et leur étalement dans vité (Nordmann, 1997).
l’année, rythmées par des calendriers annuels fixes, Cette évolution n’est pas sans conséquence sur la
constituent également un facteur central du renfor- manière dont on peut aborder la question du sport à
cement de la recherche du risque, renforcement du l’heure actuelle. Si les relations entre anxiété, dépres-
potentiel activateur de la conduite. sion et conduites addictives sont désormais avérées,
Parallèlement à ces recherches, d’autres travaux, elles n’en sont pas moins très complexes, notamment
issus du champ de la toxicomanie, ont conduit à une pour ce qui est de l’enchaînement des causes et des
redéfinition et un élargissement des concepts utilisés conséquences. À ce titre, la recherche menée par
avec l’apparition de l’idée qu’il pouvait, notamment, Fernandez, Lafont et Sztulman (1999) sur le tabac est
exister, par exemple, une « toxicomanie sans très illustrative de cette complexité.
drogue », pour reprendre l’expression de Fenichel, Ces associations et cette complexité se retrouvent
cité par Pédinielli, Rouan et Bertagne (2000, p. 5). La également, quand on s’intéresse aux pratiques
reconnaissance de la pluralité des phénomènes de physiques et sportives. Il est très difficile, à l’heure
actuelle, d’avoir des résultats probants en la matière,
1. Lowenstein (William), Nordmann (Frédéric), mais dans des recherches expérimentales menées
Gourarier (Laurent), Benslimane (Mustapha), Intensive
par Morgan, Costill, Flynn, Raglin et O’Connor
sport use and heroin addiction : where are the links ?
Communication présentée à la Xe Conférence internatio- (1988), la privation artificielle d’activités physiques
nale sur la réduction des méfaits de la drogue, Genève, ou l’interruption, pour une durée de quelques jours,
1999. du sport habituellement pratiqué, entraînent inévita-
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blement, chez les sportifs concernés, des consé- que ses potentialités de victoire déclinent jusqu’à
quences négatives au niveau psychologique (anxiété, ce qu’il prenne sa retraite de sportif et retrouve un
dépression). D’autres auteurs rapportent des résultats projet structurant.
similaires, mettant en avant un lien entre interruption Toutefois, à ce stade, le travail explicatif s’appuie
de la pratique chez des sportifs de haut niveau et davantage sur des recherches empiriques de facteurs
perturbations de l’humeur (Mondin, Morgan, Piering, explicatifs que sur un effort d’élaboration théorique
Stegner, Stotesbery, Trine, Ming-Yi, 1996). À solidement étayé.
l’inverse, il a également été démontré que
l’augmentation des contraintes d’entraînement, et, au-
delà, le « surentraînement », peuvent augmenter les OBJECTIFS GÉNÉRAUX
troubles de l’humeur (Morgan et coll., 1988) ; on en DE LA RECHERCHE
arrive même à parler d’un effet « dose-dépendant » Il s’agira, dans cette recherche, de prolonger un
de l’entraînement sur l’état psychologique des
travail exploratoire initial (Clade-Kbaier, 2001 ;
nageurs.
Souville et coll., 2001), qui a pour objectif de décrire
D’un autre côté, d’après nos premiers travaux et d’analyser les processus d’adaptation de diffé-
(Souville, Clade-Kbaier, Reinert, Therme, 2001), il rentes catégories de sportifs, ayant, tous, une pratique
semblerait que, comme dans le cas de certaines intensive. Il s’agit de tenter de comprendre les consé-
conduites addictives (Jacob 2 ; Loonis, Bernoussi, quences psychologiques et psycho-sociales d’une
Fernandez 3), certaines formes, d’activités physiques telle relation à une pratique intensive de la natation.
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et sportives intensives, soient précisément l’une des Cette dernière impliquerait, chez ces sportifs, une

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expressions possibles de mécanismes adaptatifs adaptation psychologique particulière.
destinés à lutter contre un état de malaise ou de
dépression.
HYPOTHÈSES
Quelques tentatives d’explications
Sur la base de ce qui vient d’être exposé ci-dessus
Parmi les points pouvant servir d’ancrage à des et de ce que l’on sait par ailleurs des associations que
tentatives d’explications de ces associations trou- l’on peut trouver entre conduites addictives, d’une
blantes, Duhamel (1996) relève que, chez les spor- part, et dépression, d’autre part (Acton, Prochaska,
tifs de haut niveau, on trouve deux caractéristiques Kaplan, Small, Hall, 2001 ; Green, Freeborn, Polen,
qui reviennent souvent et qui trahissent une coupure 2001), nous nous attendons à trouver, au niveau des
avec le développement relationnel attendu normale- discours obtenus auprès de nageurs pratiquant la
ment chez les adolescents et les jeunes adultes, à natation de manière intensive, des indicateurs langa-
savoir : le temps libre, qui n’existe quasiment plus et giers de processus addictifs et/ou de dépression.
l’éloignement du milieu familial. Nous nous attendons également à trouver des diffé-
En dehors des fragilités liées à l’absence d’une rences sur ces indicateurs, en fonction du contexte de
adolescence normale, comme cela a été relevé précé- la pratique de deux sous-groupes, préalablement
demment, la fragilisation du sportif peut s’actualiser définis (« haut niveau » et « amateurs intensifs »).
à l’occasion de différentes « situations-événements »
de la trajectoire de sa vie. Ces événements inter-
viennent nécessairement au cours de l’itinéraire MÉTHODOLOGIE
sportif de haut niveau. Ce sont les phases de repos ou Sujets
de détente, pendant lesquelles il y a un relâchement
L’échantillon est constitué de douze nageurs de
de la pression et une éventuelle disparition du cadre
structurant (entraîneur, encadrement, équipe, club, sexe masculin, répartis en deux groupes. Le premier
entraînement, compétitions, etc.), les échecs et groupe est composé de six individus de sexe
défaites (y compris lorsque le sportif n’a pas été masculin, âgés de 17 à 22 ans (m = 19,5 ans ; σ =
sélectionné pour participer à une compétition) et la 1,87). Ce groupe correspond à des nageurs inscrits sur
« redescente », lorsque le sportif prend conscience les listes « haut niveau espoir, élite et senior » du
ministère de la Jeunesse et du Sport, ils sont nommés
2. Jacob (S.), Relation entre alexithymie et conduites « Sportifs de haut niveau » (HN). Le second groupe
addictives – deux illustrations : l’hyperphagie compulsi- est constitué de six étudiants inscrits à la faculté des
ve et l’alcoolisme. Communication présentée au Congrès sciences du sport, option natation, âgés de 19 à 23 ans
national de la Société française de psychologie, Aix-en- (m = 20,5 ans ; σ = 1,38). Ils sont nommés « Spor-
Provence, 25-27 mai 1999. tifs amateurs intensifs » (SAI). Ces deux groupes
3. Loonis (Eric), Bernoussi (Amal), Fernandez (Lydia),
diffèrent, donc, selon le type de pratique. Cette diffé-
Les addictions comme système de gestion hédonique.
Communication présentée au Congrès national de la rence se traduit, notamment, par le nombre d’heures
Société française de psychologie, Aix-en-Provence, 25- d’entraînement et par le contexte de la pratique
27 mai 1999. (compétition par rapport à la non-compétition). Les
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nageurs de haut niveau s’entraînent, tous, vingt- pour définir les classes d’UC ; 2° les formes illus-
deux heures par semaine. Les nageurs amateurs tratives (prépositions, pronoms, conjonctions et les
intensifs s’entraînent, en moyenne, six heures par auxiliaires être et avoir) serviront uniquement à la
semaine. description des classes obtenues.
– La troisième étape calcule des tableaux de
Mode de recueil des données
données à double entrée. Ces derniers croisent les UC
Cette phase préliminaire s’appuie sur des entretiens définis lors de l’étape 1 (en lignes) et les formes
non directifs de recherche. Ces derniers permettent réduites répertoriées lors de l’étape 2 (en colonnes).
un approfondissement de la pensée du sujet. L’analyse statistique de ces tableaux est obtenue à
L’entretien est enregistré et anonyme. Un seul entre- l’aide de la classification descendante hiérarchique
tien par sujet est réalisé. Le but de ces entretiens est (CDH). Cette classification itérative maximise un
que le sujet parle librement, sans retenue ni appré- critère choisi : le χ2. La CDH permet de définir une
hension, sur le thème abordé. distribution des classes avec leur contenu lexical.
Pour chaque classe, cette analyse montre les mots les
Procédure plus significatifs et les concordances des mots les plus
L’entretien dure entre 45 à 60 minutes, le sujet doit caractéristiques.
parler librement, à partir de la consigne suivante : – La quatrième étape est une interprétation des
« J’aimerais que vous me parliez du sport, tout ce que classes. L’analyse de ces classes de mots se fait sur
vous pourriez dire sur le sport m’intéresse ». la base des formes analysables (adjectifs, noms et
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verbes) et des formes illustratives. Tout d’abord,
Analyse des données
une analyse principale est réalisée sur la totalité des
Les entretiens sont analysés à l’aide d’un logiciel entretiens (nageurs de haut niveau et nageurs
informatique ALCESTE 4 (Reinert, 1983 ; 1986). amateurs intensifs). Ensuite une analyse est réalisée
Cette analyse détermine la distribution des mots à spécifiquement sur chacune de nos deux popula-
l’intérieur d’un texte ou d’un discours à l’aide d’une tions.
classification descendante hiérarchique (CDH). Cette
technique de classification sélectionne des classes de
vocabulaires, déterminées par un ensemble de mots, RÉSULTATS
mathématiquement reliés les uns aux autres et qui Analyse principale (sur la totalité des entretiens)
possèdent la fréquence d’occurrence la plus signifi-
Lors de cette première analyse, nous avons
cative. Pour ce faire, la CDH maximise un critère
comparé tous les entretiens. Le logiciel d’analyse
choisi : le χ2. Ce dernier est un critère de fréquence,
ALCESTE trouve 3 classes. La première est spéci-
marquant, dans le corpus les mots les plus signifi-
fique aux sportifs de haut niveau (SHN), la troi-
cativement répétés.
sième classe est propre aux sportifs amateurs inten-
L’analyse, réalisée par le logiciel, comporte quatre sifs (SAI). Enfin, la deuxième classe regroupe les
étapes : 1° définition des unités de contexte élémen- deux populations. Le tableau 1 montre l’association
taire (UCE) ; 2° recherche des formes simples, à de chaque classe avec un vocabulaire spécifique.
travers le vocabulaire et création des dictionnaires des
Lors de la première analyse (comparaison haut
formes ; 3° calcul des tableaux de données et analyse
niveau/sportifs amateurs intensifs), deux axes struc-
statistique, réalisée par la classification hiérarchique
turent le discours des sportifs de haut niveau
descendante, et recherche des classes les plus repré-
(tableau 1). Le premier axe correspond à la classe 1
sentatives dans le corpus ; 4° description et inter-
et représente 13,02 % de la totalité des UC. Dans cette
prétation des classes.
classe, les sportifs de haut niveau utilisent un voca-
– La première étape consiste à définir des UCE. Le bulaire mettant en évidence leur envie de participer
texte est reformaté et découpé en segments de à des compétitions et de remporter des titres
quelques lignes. La définition de leur taille dépend (médaille, champion, final, titre, gagner, perdre). Ils
d’un compromis entre la longueur (2, 3 lignes) et le se placent dans une dimension géographique (pays,
respect de la ponctuation. monde, France). Enfin, ils associent le dopage à
– La deuxième étape permet de définir un diction- cette classe (dop). La négation est présente (ne) et le
naire du vocabulaire présent dans le corpus. Les discours est impersonnel (il, lui). De plus les joncteurs
formes réduites sur la base des racines des mots sont d’addition, permettant l’énumération ou la descrip-
réparties en deux classes : 1° les formes analysables tion, sont présents (alors, tout de suite) En revanche,
(noms, verbes, adjectifs et adverbes) seront utilisées les joncteurs de cause, permettant une explication,
sont absents.
4. ALCESTE : Analyse des lexèmes co-occurrents dans Le deuxième axe est commun aux sportifs
les énoncés simples d’un texte. amateurs intensifs et correspond à la classe 2
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Classes et entretiens associés Vocables spécifiques à la classe et χ2 associé

Classe 1 (SHN) :
Médaille (67,55), champion (29,72), final (24,44), titre (33,59), gagner
13,02 %
(17,65), perdre (15,35), monde (130,97), pays (40,05),
France (190,84), dop (8,57).
Ne (6,99), il (13,21), lui (7,90), alors (15,06), tout de suite (7,65).

Classe 2 (SHN et SAI) : Aquatique (22,61), eau (69,44), nage (26,91), entraînement (63,76),
47,48 % heure (15,83), semaine (29,12), jour (15,37), bras (12,31),
pieds (10,05), sensations (62,29), glisser (13,98), ressentir (29,60),
confronter (16,87), dominer (10,05), douleur (7,8), calvaire (3,33),
manque (15,99), besoin (12,9), dépendre (8,33).
Toujours (10,50), pendant (17,04), quand (17,75), et (6,47).

Classe 3 (SAI) : Citoyen (13,92), dérive (20,06), esprit (14,36), respect (21,78),
39,50 % épanouir (10,81), devenir (16,90), éducation (28,07), dop+ (26,51),
danger (12,36).
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Tableau 1. Vocabulaire spécifique pour les 3 classes de la population sportive totale (pour chaque classe, le vocabu-
laire le plus significatif est présenté. Entre parenthèses le χ2 dʼassociation du mot à la classe est indiqué. Le pourcen-
tage des UC qui compose la classe est indiqué).

(tableau 1). Cette classe est la plus importante et phique du vocabulaire est toujours présente (monde,
représente 47,48 % de la totalité des UC. Cette pays, France). Mais un vocabulaire relatif au dopage
dernière montre un vocabulaire centré autour de la apparaît (dop+, respect, prendre). Le discours est
pratique de la natation (eau, nage, aquatique). C’est marqué par la non-implication du sujet dans son
l’endroit, ou plutôt le moment où les sportifs discours (certains, ils, leur) et la négation (ne, par
s’entraînent (entraînement, heure, semaine, jour) et contre, mais).
éprouvent des sensations (glisser, sensations, Le deuxième axe (classe 7) représente 18,09 % des
ressentir). Ces dernières sont vécues corporellement UC des sportifs de haut niveau (tableau 2). Cette
(bras, pieds). Leur pratique est une relation difficile classe est, elle aussi, axée sur la compétition (compét,
avec un milieu particulier (confronter, dominer, performant). Mais cette classe inscrit l’investissement
douleur, calvaire). Enfin, une relation de dépendance du sportif de haut niveau dans un cadre beaucoup plus
apparaît dans cette classe (manque, besoin, dépendre). général. Ainsi, l’aspect temporel fait ressortir la
Des mots permettant l’énumération (toujours, planification de leur pratique (semaine, année, saison,
pendant, quand, et) sont présents. Deux axes diffé- devenir, commencer, début) et son intensité (dur,
rents transparaissent donc dans cette classe, un sur sérieux, effort, important). La planification et
l’entraînement, l’autre sur les sensations éprouvées. l’intensité ressortent aussi dans les formes illustratives
(moins, plus, très, pendant, et, après). L’aspect fami-
Première sous-analyse (exclusivement sur les
lial émerge avec un vocabulaire spécifique (famille,
sportifs de haut niveau)
parents).
Le tableau 2 montre l’association du vocabulaire Les deux derniers axes (classe 5 et classe 6) sont
en fonction des classes pour les sportifs de haut complémentaires l’un de l’autre, car ils recoupent les
niveau. Cette analyse est effectuée exclusivement thèmes compétitions et entraînements/sensations.
sur les sportifs de haut niveau. Lors de cette analyse, La classe 5 représente 19,13 % des UC (tableau 2).
4 classes sont obtenues. Elle porte sur l’entraînement et sa quantification
Lors de l’analyse réalisée exclusivement à partir (entraînement, jour, heure, nager, soir). Un ques-
des entretiens des sportifs de haut niveau, le double tionnement apparaît clairement (question, pourquoi),
discours (compétitions, entraînement-sensations), le sportif de haut niveau s’interroge sur sa pratique
entrevu précédemment, est affiné. Quatre axes appa- (aller, arrêter, continuer, sortir, rester, essayer,
raissent alors et recoupent les deux axes précédents capable). Dans cette classe, les verbes modaux appa-
(tableau 2). Le premier axe (classe 4) est le plus raissent (pouvoir, falloir et devoir) et traduisent
important, car il représente 48,02 % des UC des toujours un questionnement. La classe 6 représente
sportifs de haut niveau (tableau 2). Cette première 14,76 % des UC (tableau 2). Elle replace les sensa-
classe reprend la dimension compétitive de leur tions dans le cadre de la compétition (finale, sensa-
pratique (médaille, gagner). La dimension géogra- tions, série, réussir, podium, temps). De plus, ce
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Classes Vocables spécifiques à la classe

Classe 4 :
Médaille (11,05), gagner (20,28), France (22,29), monde (16,03),
48,02 %
pays (22,58), dop+ (32,12), respect (6,58), prendre (7,95).
Ne (3,96), par contre (2,37), mais (2,42), certains (15,83), ils (19,18),
leur (16,21).

Classe 5 : Capable (16,19), entraînement (9,15), jour (51,77), soir (25,69),


19,13 % heure (10,41), aller (33,60), arrêter (14,75), continuer (21,36),
rester (11,52), sortir (23,67), falloir (6,18), devoir (2,44),
pouvoir (5,96), essayer (11,52), nager (63,69), pourquoi (3,80),
question (20,36).

Classe 6 : Agréable (10,18), content (10,08), final (18,31), réussir (46,66),


14,76 % podium (29,18), série (29,18), super (52,96), temps (41,83),
sensation (46,98).
Je (14,55), me (6,94).
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Compét (10,10), performant (25,58), dur (29,99), sérieux (26,46),

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Classe 7 :
18,09 % effort (8,82), année (16,27), saison (27,52), semaine (14,61),
commencer (53,92), début (21,93), devenir (32,79), important (67,87),
famille (13,64), parent (22,06).
Moins (6,34), plus (10,79), très (26,25), pendant (14,61),
et (21,63), après (13,44).

Tableau 2. Vocabulaire spécifique aux 4 classes de sportifs Haut Niveau (pour chaque classe, le vocabulaire le plus
significatif est présenté. Entre parenthèses le χ2 dʼassociation du mot à la classe est indiqué. Le pourcentage des UC
qui compose la classe est indiqué).

côté de la pratique est connoté positivement (agréable, sportifs amateurs intensifs (classe 3). Nous ne redé-
content, super) et le sujet s’implique personnellement velopperons pas le discours commun (classe 2). Le
(je, me). Ces deux classes opposent à la fois deux deuxième axe (classe 3) représente 39,50 % de la tota-
versants de la pratique : compétition par rapport à lité des UC (tableau 1). Le discours spécifique de
entraînement et deux impressions différentes : ques- cette classe est axé sur l’aspect éducatif du sport.
tionnement par rapport à plaisir. Le sportif de haut Celui-ci est présenté comme une activité permet-
niveau propose un discours interrogateur sur la répé- tant à la personne de se construire (citoyens, devenir,
tition des entraînements, alors que la compétition éducation). Dans cette classe, sont présentes toutes
est connotée positivement. les vertus du sport (équilibre, esprit, respect,
Pour résumer, le discours des sportifs de haut épanouir). Les sportifs amateurs intensifs dénoncent
niveau, nous pouvons dire que trois classes sur quatre aussi les dérives propres aux sports (dérive, danger,
abordent la dimension compétitive, contre une seule dop+). Cette classe est caractérisée par une impor-
pour l’entraînement. tance des adjectifs et des adverbes.
Lors de l’analyse spécifique aux sportifs amateurs,
Deuxième sous-analyse (exclusivement sur les trois axes se distinguent. Le premier axe, la classe 8,
sportifs amateurs intensifs) représente 40,03 % des UC des entretiens des spor-
Le tableau 3 montre l’association du vocabulaire tifs amateurs intensifs (tableau 3). Ce discours corres-
en fonction des classes pour les sportifs amateurs pond au versant entraînement de leur pratique
intensifs. Cette analyse est effectuée exclusivement (entraîner, évoluer, préparer). Ce discours est très
sur les sportifs amateurs intensifs. Lors de cette structuré temporellement (année, jour, heure, mois,
analyse, 3 classes sont obtenues. temps), gradué (déjà, puis, pendant) et quantifié
Lors de la première analyse (comparaison de la (moins, plus, trop). Le côté social (club, groupe,
totalité des entretiens), deux axes transparaissent encadrer, rencontrer) est caractéristique de cette
dans le discours des sportifs amateurs intensifs classe.
(tableau 1). L’un est commun avec celui des sportifs Le deuxième axe (classe 9) représente 38,16 % des
de haut niveau (classe 2), l’autre est spécifique aux UC (tableau 3). Le discours relatif à cette classe
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Classes Vocables spécifiques à la classe

Classe 8 :
Année (11,08), club (23,08), début (10,58), groupe (21,48),
40,03 %
heure (12,09), jour (14,29), mois (13,69), temps (17,30),
entraîner (40,10), préparer (13,69), évoluer (10,61).
Déjà (2,99), pendant (7,11), puis (3,49), moins (3,07), assez (2,99),
trop (7,10).

Classe 9 : Citoyen (14,81), danger (13,14), dérive (16,49), devenir (13,74),


38,16 % respect (13,14), santé (16,97), enseigner (11,48), école (16,49),
dop+ (37,02).
Sa (6,32), ses (9,05), certaines (4,22), personne (4,37), je crois
(2,32), je pense (18,38).

Classe 10 : Aquatique (74,25), glisser (40,20), ressentir (41,12),


21,81 % sensation (97,07), besoin (12,31), bien-être (10,23), manque (11,50)
geste (25,40), mouvement (10,81), appui (13,46).
Pas (8,49), mais (4,25), dʼabord (13,46), toujours (21,98),
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quand (6,29), elles (7,88), on (6,94).

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Tableau 3. Vocabulaire spécifique aux 3 classes des Sportifs Amateurs Intensifs (pour chaque classe, le vocabulaire
le plus significatif est présenté. Entre parenthèses le χ2 dʼassociation du mot à la classe est indiqué. Le pourcentage
des UC qui compose la classe est indiqué).

porte sur les risques relatifs à une pratique sportive mêmes vocables ou les mêmes éléments discursifs
(danger, dop+, santé, dérive) et sur l’éducation de la (place de la négation, des adjectifs et adverbes, impli-
personne (citoyen, école, enseigner, respect). Le cation du sujet).
discours est impersonnel (sa, ses, certaines, personne) Pour la discussion, nous retiendrons trois thèmes
et interrogatif (je crois, je pense). de discours : celui de la compétition, celui de
Le dernier axe (classe 10) représente 21,81 % des UC l’entraînement et celui des sensations.
(tableau 3). Il porte sur les sensations éprouvées Le premier thème, celui de la compétition est spéci-
dans l’eau (aquatique, glisser, ressentir). Les sportifs fique aux sportifs de haut niveau (classes 1, 4 et 7). Ce
caractérisent ces sensations au niveau gestuel (geste, thème, caractérisé par l’importance de la spatialisation
appui, mouvement). La relation, qui les unit à l’eau, et de la comparaison, place le cadre de la compétition
est particulière (confronter, dominer). D’un autre dans une confrontation avec autrui. Cette importance
côté, un vocabulaire proche de celui des addictés donnée à un cadre de vie quantifiant est similaire à celle
apparaît (besoin, manque, bien-être). Une présence trouvée dans un travail antérieur (Souville et coll.,
du « on » (on, elles), et de la négation peut être ici 2001). Ces deux classes sont caractérisées, à la fois, par
soulignée (pas, mais). Les joncteurs d’addition sont une impersonnalisation et par des éléments de négation.
très présents (toujours, d’abord, quand). Tout d’abord, pour s’exprimer sur ce thème de la
Pour résumer, les sportifs amateurs intensifs ont un compétition, les sujets ne s’impliquent pas dans leur
discours centré principalement sur l’éthique et sur leur discours (absence du « je »). Dans un discours alexi-
entraînement. thymique, la dimension « intérieure », intime est
absente, comme si le sujet était décentré par rapport à
lui-même (Defontaine-Catteau, Pédinielli, Bertagne,
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
1992). Nous retrouvons cette caractéristique dans la
L’objectif de notre étude était d’étudier les classe 4. Ensuite, dans un discours alexithymique, les
processus d’adaptation pouvant apparaître chez des sujets décrivent et énumèrent plus qu’ils ne donnent de
sportifs placés dans deux situations différentes de sens (Chahraoui, Besche, Lacassagne, 2001). La classe
pratique sportive intensive. Ces mécanismes devraient 7 présente de nombreux joncteurs d’addition (pendant,
se traduire par un processus dépressif et alexithy- et, après) et aucun joncteur de causes. D’après ces
mique plus important chez les sportifs de haut niveau. deux indicateurs, nous pouvons dire que le thème de la
Pour regarder ces différences, un regroupement par compétition porte les traces d’un discours alexithy-
thème est nécessaire. Ainsi, au regard des diffé- mique. Enfin, l’importance de la négation dans un
rences et des points communs sur un même thème de discours peut être en relation avec la dépression ou être
discours, nous pourrons voir si les sujets utilisent les un marqueur privilégié d’un certain fonctionnement de
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sujets soumis à des situations de vie stressantes (Blan- chez les sportifs amateurs intensifs.
chet, Mirabel-Sarron, 1997). Nous retrouvons tout à fait Il est intéressant de regarder les différents thèmes
ce type d’élément discursif dans ce thème. sur lesquels un style de discours alexithymique ou
Les classes 2, 5 et 8 peuvent se rassembler autour dépressif apparait. En effet, les études rapportant des
d’un même thème : l’entraînement. Dans ces trois discours alexithymiques s’appuient sur des sujets
classes, l’aspect temporel est très important. Les ayant subit un stress post-traumatique (Chahraoui et
sportifs de haut niveau et les sportifs amateurs inten- coll., 2001) ou avec des malades respiratoires chro-
sifs présentent l’entraînement dans un cadre rigide, niques (Pédinielli, De Bonis, Somogy, Lebart, 1989).
la temporalité structure leur discours. Néanmoins, les Pour ces deux études, un style alexithymique appa-
sportifs amateurs intensifs parlent de l’entraînement raissait, quand les sujets devaient parler de leur
comme d’un « besoin », alors que les « hauts souffrance vis-à-vis de leur maladie. Dans notre
niveaux » se posent des questions. Si le thème est étude, le style alexithymique apparaîtrait seulement
identique (c’est-à-dire l’entraînement) la manière sur quelques thèmes, lorsque ces derniers provo-
d’en parler diffère. Les « amateurs intensifs » quan- queraient une souffrance pour le sujet. C’est pour-
tifient et qualifient (à l’aide des adjectifs et des quoi le thème de la compétition, très important chez
adverbes) cet aspect de la pratique, il représente un les nageurs de haut niveau, est marqué par des
thème important de leur discours (40,03 %). En marqueurs langagiers de l’alexithymie. La compé-
revanche, les « hauts niveaux » ne qualifient pas tition est le sens que donnent les « hauts niveaux »
leur entraînement et ce thème ne représente que à leur pratique et ce qui leur permet d’endurer les
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19,13 % de leur discours. Pour ces derniers, les entraînements. Les sportifs amateurs intensifs éprou-

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entraînements bi-quotidiens sont pourtant leur acti- vent des difficultés à s’exprimer sur les sensations
vité principale. Ce questionnement et cette incertitude ressenties. Ce type de marqueur pourrait s’expliquer
peuvent être interprétés comme un discours dépressif. par la relation addictive entretenue par ces sportifs
Les contraintes sont très importantes et ils ne savent avec la natation. De plus, la place de la négation,
pas s’ils arriveront à surmonter toutes les difficultés. également présente pour ce thème des sensations,
Pour ces derniers, l’entraînement n’est pas assimilé chez les « amateurs intensif » renforce notre hypo-
aux sensations, ni au milieu aquatique. Le discours thèse de départ. La dépendance à l’exercice serait
des sportifs amateurs intensifs et des sportifs de haut associée à une dépression et à une alexithymie.
niveau ne présente aucun marqueur langagier de En résumé, nous pouvons noter que nos deux sous-
l’alexithymie. En revanche, pour ces derniers, il groupes semblent bien se différencier au niveau du
semble bien porter la marque d’une dépression. discours recueilli. Toutefois, ces différences peuvent
Le troisième thème regroupe les classes 2, 6 et 10 se révéler, parfois, difficiles à interpréter. C’est pour-
et aborde les sensations vécues par les sportifs. Les quoi il serait intéressant d’utiliser également des
sportifs de haut niveau expriment leurs sensations outils permettant de documenter plus spécifique-
avec la compétition. En revanche, les sportifs ment certains aspects, comme l’alexithymie. Les
amateurs intensifs l’intègrent dans un discours se échelles, élaborées par Haviland, Shaw, Cummings
rapportant au milieu aquatique. Cette distinction et Macmurray (1988) et Loas et coll. (1996,) pour-
entre les discours des deux groupes se retrouve au raient être utilisées en complément des méthodolo-
niveau de l’implication de la personne. Ainsi, les gies qualitatives et permettraient d’explorer, de
sportifs amateurs intensifs emploient plus de tour- manière plus précise, les différentes relations mise en
nures impersonnelles (« on ») et la négation pour évidence lors de cette étude. La question de la tempo-
exprimer les sensations qu’ils vivent. Elles sont ralité, fortement présente chez nos nageurs, pourrait
vécues par le mouvement et une relation addictive à constituer un axe d’analyse intéressant à développer.
la pratique apparaît pour ces sportifs. En revanche, Ensuite, la relation entre une addiction à la pratique
les sportifs de haut niveau s’impliquent dans sportive et une dépression semble constituer une
l’évocation de leurs sensations (« je ») et les sensa- étude pertinente quant à la compréhension des
tions sont associées à la compétition. Le discours des processus adaptatif mis en place par des sportifs
sportifs amateurs intensifs porte les traces d’un intensifs. Ici aussi le recours à des échelles validées
discours alexithymique (place du on, peu d’adjectif) d’évaluation de l’état dépressif (Fuhrer, Rouillon,
et dépressif (place de la négation), alors que ce type 1989) et des stratégies de faire face (Folkman,
de discours ne transparaît pas autant pour les haut Lazarus, 1980 ; Cousson et coll., 1996). Enfin, la
niveau. Nous observons la forte présence d’un place des sensations et de la compétition semblent
discours relatant des symptômes de dépendance, être un complément indispensable dans la compré-
associés à un discours alexithymique et dépressif hension de ces processus adaptatifs.
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