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Les pratiques logistiques des entreprises québécoises

Conference Paper · August 2012

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Jacques Roy Martin Beaulieu


HEC Montréal - École des Hautes Études commerciales HEC Montréal - École des Hautes Études commerciales
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Les pratiques logistiques des entreprises québécoises1

Jacques Roy, Ph.D.

Professeur titulaire, HEC Montréal, Canada

jacques.roy@hec.ca

Martin Beaulieu, M.Sc.

Professionnel de recherche, Groupe de recherche CHAINE, HEC Montréal’ Canada

martin.beaulieu@hec.ca

Résumé
Peu d’études se sont attardées aux pratiques logistiques des sociétés québécoises, la
présente recherche vise à corriger la situation. Par une série de 30 entretiens auprès
d’entreprises de différentes tailles et de différents secteurs d’activités, cette recherche a
permis de présenter une liste de pratiques exemplaires. Ces dernières n’ont pas toujours
un caractère spectaculaire, mais elles assurent une performance supérieure. L’étude a
aussi validé un modèle d’analyse qui démontre que les pratiques exemplaires se
complètent mutuellement. Cette dernière réalité démontre la nécessité d’avoir une
stratégie articulée afin que le déploiement des pratiques se renforce de façon cohérente.

Mots clés : Pratiques exemplaires, stratégie, logistique

1
Ce document a été rendu possible grâce au soutien financier du Centre sur la productivité et la prospérité
de HEC Montréal qui a permis à l’équipe de recherche de produire deux rapports : Optimisation de la
chaîne logistique et productivité des entreprises en 2009 et Le comportement logistique des entreprises
québécoises en 2012. Nous soulignons que des passages de cet article s’inspirent de ces deux documents.

1
INTRODUCTION

Wellstein et Kieser (2011) rappellent une vérité simple : les entreprises peuvent œuvrer
dans le même secteur d’activités, réaliser des produits similaires, mais pourtant obtenir
des résultats fort différents. Ils ajoutent que les organisations qui ont du succès
disposeraient d’une masse critique de pratiques supérieures à celles de leurs concurrents
moins performants. Ceci peut expliquer pourquoi les gestionnaires sont à la recherche de
meilleures pratiques ou de pratiques exemplaires afin de rehausser leur performance.
Pour Barclay (2005), le concept de pratiques exemplaires (best practices) est intimement
lié à la gestion de la chaîne logistique.

Les entreprises canadiennes présentent une performance logistique (coût du transport,


niveau des stocks, recours à l’impartition, recours à des technologies de l’information)
inférieure à celle de leurs concurrents américains (Industrie Canada, 2006, 2008). Pour sa
part, la situation des entreprises québécoises semble peu enviable : Le retard des
entreprises québécoises est manifeste à différents égards, que ce soit dans l’adoption des
technologies de l’information, l’approvisionnement à l’étranger, le recours à l’impartition
et à l’intermodalité (Conseil des sciences et de la technologie du Québec, 2010). De ce
qui a été dit précédemment, nous devrions conclure que les entreprises québécoises
déploient moins de pratiques exemplaires. Pourtant, en matière de gestion de la chaîne
logistique, ces meilleures pratiques sont largement connues. La littérature parle souvent
des cas de Zara, Dell, Wal-Mart, Toyota et autres (Blanchard et al., 2008; Hult et al.,
2006, 2007). Dans la mesure où les pratiques exemplaires sont souvent liées au contexte
organisationnel qui les met en œuvre (Ungan, 2004; Wareham et Gerrits, 1999), est-il
possible que ces pratiques ne conviennent pas à toutes les organisations québécoises? Les
organisations québécoises ont-elles des pratiques distinctives?

Cet article s’amorcera par une présentation d’études établissant un lien entre les pratiques
logistiques et la performance des organisations. Cette section explorera aussi le concept
de pratiques exemplaires et elle se conclura par la présentation d’un modèle d’analyse
des meilleures pratiques logistiques. La section suivante présentera la méthodologie de la
collecte et d’analyse des données ainsi que le profil des répondants. L’article enchaînera

2
en présentant les principaux résultats de l’enquête. Une discussion suivra afin de mettre
en évidence les principaux constats qui peuvent être dégagés.

REVUE DE LITTÉRATURE

Plusieurs enquêtes académiques ou professionnelles concluent que la gestion de la chaîne


logistique a un impact positif sur la performance de l’entreprise. L’enquête menée par
D’Avanzo et al. (2003) auprès de 636 firmes du top 3 000 des entreprises mondiales
révèle que 90 % des répondants considèrent que la gestion de la chaîne logistique est une
dimension critique de la performance d’une organisation. Une autre enquête produite par
PMG (Performance Measurement Group) menée auprès de 70 grandes entreprises
manufacturières conclut aussi que les firmes ayant des pratiques logistiques plus matures
sont 40 % plus profitables que les entreprises manufacturières qui n’ont pas des pratiques
aussi évoluées. Les entreprises avec des pratiques matures seraient plus performantes de
l’ordre de 10 % à 25 % en ce qui concerne les délais de livraison, la flexibilité ou les
temps de réponse. Ces mêmes firmes auraient des coûts logistiques équivalant à 9 % des
revenus comparativement à 10,7 % pour la moyenne des répondants. Cet écart
signifierait une économie de 20 millions de dollars pour une entreprise qui a un chiffre
d’affaires d’un milliard de dollars (Roussel et al., 2003). Une enquête menée auprès de
478 entreprises brésiliennes reprend ce concept de maturité et elle conclut qu’il y a un
lien entre le degré de maturité des pratiques logistiques et la performance d’une
organisation (McCormack et al., 2008). Ceci explique pourquoi le concept de pratiques
exemplaires (best practices) est intimement lié à la gestion de la chaîne logistique
(Barclay, 2005).

Pour Brenan (1998), les pratiques exemplaires dans le domaine de la gestion de la chaîne
logistique prennent la forme de technologies. Plus récemment, Curthbertson et
Piotrowicz (2008) parlent d’initiatives qui font partie d’un processus clé de la chaîne
logistique. En se basant sur cette dernière définition, nous pouvons conclure que les
meilleures pratiques logistiques se déclinent en différentes incarnations. Justement, il
existe une variété de nomenclatures afin de classer les meilleures pratiques en matière de

3
gestion de la chaîne logistique (Andersen et al., 1999; Blanchard et al., 2008). Par
exemple, Trent (2004) présente des meilleures pratiques exemplaires qui tournent
beaucoup autour des compétences du personnel, d’équipes transfonctionnelles, du
déploiement de technologies d’information ou d’indicateurs de performance. Une
enquête de la firme McKinsey (2008) arrive à des conclusions similaires, mais elle
évoque aussi la compréhension des objectifs logistiques par les membres de
l’organisation ou la capacité à reconfigurer la chaîne logistique selon les besoins. Bigras
(2004) a réalisé une importante revue de littérature sur les pratiques exemplaires en
matière de gestion de la chaîne logistique. Cette étude classait ces pratiques selon six
catégories : intégration avec les fournisseurs, automatisation des activités, redéploiement
des activités à travers la chaîne logistique, gestion active des relations avec les clients,
conception de produits et des procédés, et gestion de la performance.

Par ailleurs, ce concept de pratiques exemplaires n’est pas unique à la logistique, il est
exploité pour plusieurs autres fonctions de l’entreprise (Netland et Alfnes, 2011).
Comme les exemples présentés précédemment le révèlent, ce concept recoupe différentes
définitions ou incarnations. Ungan (2004) indique que les meilleures pratiques sont celles
qui atteignent le résultat désiré. Wellstein et Kieser (2011) indiquent que les pratiques
sont une série d’activités qui sont utilisées de façon répétée. Szultanski (1996) complète
cette définition en indiquant que les pratiques impliquent les habiletés du personnel et
des interactions avec d’autres groupes sociaux. En ce sens, les pratiques ont un caractère
délibéré et devraient être reproductibles, à tout le moins dans leur contexte
organisationnel. Enfin, ces pratiques acquièrent un caractère exemplaire si elles génèrent
un résultat optimal (Wellstein et Kieser, 2011).

Nous proposons notre propre cadre conceptuel pouvant faciliter la compréhension des
principaux éléments de la gestion de la chaîne logistique qui ont été mis en évidence lors
de la collecte des données. Ce cadre est illustré à la figure 1 et vise à mieux mettre en
évidence la dynamique interne dépassant la simple énumération de pratiques qu’il
faudrait classer dans une catégorie ou l’autre.

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Figure 1 : Cadre conceptuel de gestion de la chaîne logistique

Tendances

Fournisseurs Chaîne logistique Clients

Mécanismes de
Intégration des
Configuration

des processus
collaboration

Optimisation
systèmes et
de réseaux

structures
Axes
d’intervention

Résultats
Actions

Modèle Gestion de la
d’affaires performance

Dans ce schéma, la chaîne logistique d’une entreprise est représentée sommairement et


vise essentiellement à livrer les bons produits, aux bons endroits, en bon état, au bon
moment et au meilleur coût possible. Les pratiques sur lesquelles les entreprises appuient
la gestion de leur chaîne logistique s’articulent en axes d’intervention que nous classons
en quatre dimensions : 1) la configuration du réseau, ce qui exige un questionnement
quant aux activités qui devraient être réalisées à l’interne ou sous-traitées, quant à la
localisation des centres de distribution, quant à la définition des routes de transport, etc.;
2) l’intégration des systèmes d’information et structures organisationnelles, soit les
moyens de partage de l’information soutenant les activités logistiques, un partage tant à
l’intérieur de l’entreprise qu’avec les acteurs externes; 3) les mécanismes de
collaboration, soit les différentes formules de collaboration où deux ou plusieurs
entreprises décident d’œuvrer conjointement autour d’une activité en partageant des
ressources; et 4) l’optimisation des processus qui s’incarne dans des activités de

5
réingénierie ou d’amélioration des activités. Pour revenir sur le contexte organisationnel,
le choix des axes d’intervention devrait naturellement être cohérent avec la stratégie
d’affaires de l’entreprise. Aussi, la gestion de la performance permet de faire le pont
entre la stratégie et les axes d’intervention. Elle permet d’orienter les ressources vers les
bons axes et en contrepartie de s’assurer que les axes supportent bien la stratégie. Enfin,
la prise de décision ne peut pas être désincarnée des tendances globales ou spécifiques à
un secteur d’activités. Par exemple, dans la production de vêtements, il y a une vague de
fond favorisant une délocalisation, ce qui peut se refléter dans les choix exprimés par les
répondants.

MÉTHODOLOGIE

Afin de guider les gestionnaires dans l’identification des pratiques qui pourraient être
porteuses pour améliorer leur performance, nous avons mené une série d’entretiens en
profondeur avec des cadres intermédiaires et supérieurs d’entreprises localisées au
Québec. Les entrevues avaient une durée de 90 à 120 minutes. Au total, trente entrevues
ont été réalisées de l’été 2010 à l’été 2011. Les entrevues suivaient le même protocole
composé de trois volets : le contexte général des défis logistiques dans lequel œuvre
l’entreprise, une description générale des pratiques de gestion de la chaîne logistique de
l’entreprise (collaboration avec les partenaires, connectivité, optimisation et gestion de la
performance) et enfin, les approches de mise en œuvre de meilleures pratiques ou de
pratiques jugées exemplaires.

L’échantillon d’entreprises interviewées couvre un spectre large de profils :


manufacturiers, distributeurs, commerces de détail, entreprises de services, transporteurs
et prestataires de services logistiques (3PL). On y retrouve des multinationales tout
comme des moyennes entreprises ou même des micro-entreprises, et des organisations
privées, publiques ou parapubliques.

Pour caractériser nos répondants, l’étude du produit serait un bon point de départ puisque
celui-ci est la réponse tangible de l’entreprise à un besoin de l’environnement externe. En
ce sens, on peut identifier deux types de produits : les fonctionnels et les novateurs

6
(Fisher, 1997). Les produits fonctionnels se caractérisent par une demande plus stable et
un cycle de vie relativement long. À l’inverse, les produits novateurs ont une demande
plus imprévisible et un cycle de vie relativement court. Il faut voir que ces articles créent
les nouvelles tendances ou suivent les plus récents courants de la mode. De cette
première classification, nous caractérisons nos 30 répondants selon deux autres
variables : le secteur d’activités et la taille de l’entreprise. Le tableau 1 résume donc les
caractéristiques de nos répondants.

Tableau 1 – Caractérisation des répondants

Taille de
Secteur d’activités
l’entreprise Total
PME GE Manufacturier Distribution Transport Service
Produit
6 17 11 6 2 4 23
fonctionnel
Produit
2 5 4 2 1 7
innovant

Trois conclusions peuvent être tirées du tableau 1. D’abord, les trois quarts des
répondants offrent des produits (services) fonctionnels. Bien que ces produits présentent
une plus grande stabilité, il n’en demeure pas moins que plusieurs des répondants de
cette catégorie ont indiqué œuvrer dans un secteur d’activités hautement concurrentiel.
Ensuite, la moitié des répondants sont dans le secteur manufacturier. Cette caractéristique
de l’échantillon diffère du portrait de l’économie québécoise qui est centré sur le secteur
des services. Enfin, l’échantillon est dominé par la présence de grandes entreprises (GE),
une caractéristique qui diffère également du portrait de l’économie du Québec où les
PME sont une composante prépondérante du tissu économique.

Par ailleurs, il ne faut pas surestimer l’impact de ces deux derniers écarts entre les
caractéristiques de l’échantillon et celles de leur milieu. Ils s’expliquent par la nature
même de la recherche. Nous souhaitions avoir des entretiens avec des organisations qui
voudraient partager leurs pratiques. Ensuite, nous ne souhaitons pas prendre les résultats

7
des entrevues afin de tracer le portrait logistique du Québec. Nous rappelons que
l’objectif de cette recherche était de comprendre le concept de pratiques exemplaires en
logistique.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Le tableau 2 résume les principales pratiques mises de l’avant par les répondants à notre
enquête. Les pratiques sont positionnées selon les quatre axes d’intervention en incluant
la dimension de gestion de la performance. À côté de chaque pratique, le lecteur peut
voir un chiffre entre parenthèses qui indique dans combien d’entreprises une pratique
similaire est mise en œuvre.

Tableau 2 – Liste des pratiques répertoriées

Dimension Pratiques
• Délocalisation de la production
• Centre de distribution géré par les transporteurs

Configuration du réseau • Impartition de la production et du transport


• Prise en charge des activités d’assemblage des
commandes par le centre de distribution.

• Présence d’un système ERP (6)


• Fonction « supply chain » intégrée (5)
• Recours à un système de gestion d’entrepôt ou WMS (5)
• Équipe multifonctionnelle de planification (2)
Intégration des systèmes • Déploiement du cycle de paie électronique
et des structures • Interface avec le système de gestion des stocks
• Paiement électronique
• Rester en contact électronique avec les clients
• Module de gestion des prévisions
• Structure intégrée de gestion des retours

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• Intégration de la prise de commande chez le distributeur
• Recours à la technologie RFID
• Chariot automatisé
• Logiciel de gestion du transport interne

• Système de VMI (3)


• Certification des fournisseurs
• Approvisionnement en réseau avec la collaboration de
concurrents
• Transfert des données sur le niveau des stocks aux
clients
• Collaboration avec les fournisseurs d’énergie

Mécanismes de • Collaboration avec le transporteur

collaboration • Système de codification des produits pour suivre les


garanties des produits
• Gestion des stocks chez le client
• Prise en charge de la gestion du transport pour le client
• Forum d’échange avec les fournisseurs
• Recours à la consignation
• Programme d’assemblage des commandes selon les
besoins des utilisateurs chez le distributeur

• Optimisation du transport (6)


• Équipe d’amélioration (3)
• Système de suggestions des employés (2)
• Équipement de production optimisée (2)
Optimisation des
• Reconfiguration des centres de distribution
processus
• Gestion rigoureuse de la planification de la production
• Uniformisation des pratiques d’achat
• Réduction du nombre de fournisseurs
• Standardisation des achats

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• Modification des produits pour faciliter leur production
• Recours à des analyses de produit de type ABC

• Suivi de la performance des fournisseurs (7)


• Utilisation de benchmark (3)
Gestion de la
• Gestion de la performance des manutentionnaires et des
performance activités d’entreposage et de distribution (3)
• Suivi des coûts de transports (2)

Sur la base de ce modèle, les résultats du tableau 2 mettent en évidence des pratiques
dans chacun des quatre axes d’intervention mis de l’avant. Certaines de ces pratiques
sont largement connues, comme les systèmes de gestion d’entrepôts, alors que d’autres
sont plus inusités, comme la collaboration avec des concurrents pour améliorer le
pouvoir de négociation auprès des fournisseurs.

Les pratiques présentées dans notre étude ne sont pas toutes spectaculaires, elles
pourraient donc être aisément mises en œuvre dans d’autres milieux. Ces pratiques se
caractérisent aussi par des niveaux d’investissements ou de complexité de mise en œuvre
très variables. Certains des répondants investissent depuis de nombreux mois dans
l’implantation d’un progiciel de gestion d’entreprise (ERP) alors que d’autres ont recours
à des analyses ABC.

Bien que la gestion de la performance ne soit pas un axe d’intervention, il ressort


clairement de nos entrevues que cette dimension est critique. Ainsi, les entreprises
consultées ont développé des indicateurs de performance adaptés à leur situation et elles
les utilisent sur une base régulière pour évaluer leurs résultats et devenir plus
compétitives. À cette fin, plusieurs entreprises ont également recours à de l’analyse
comparative ou « benchmarking » pour se comparer avec les meilleures et améliorer leur
performance logistique. La gestion de la performance devient un fondement à la mise en
œuvre de pratiques exemplaires en permettant de mettre en lumière des contre-
performances qu’il faudra corriger par l’entremise de différents axes d’intervention.

10
On a vu également l’importance pour les entreprises d’arrimer leurs objectifs logistiques
sur leur modèle d’affaires. En soi, ce constat semble une évidence, mais Blanchard et al.
(2008), dans leur description du système logistique mis de l’avant par Wal-Mart, font de
l’alignement stratégique la première pratique logistique exemplaire de cette entreprise. À
cet effet, un de nos répondants indique que la reconnaissance de l’importance de la
logistique par la haute direction de l’organisation est un défi de tous les jours. Également,
les entreprises n’échappent pas aux influences de leur environnement spécifique comme
la mondialisation des marchés, les fusions et acquisitions ainsi que la concurrence
internationale. Dans le domaine du vêtement par exemple, la production de masse doit
être réalisée en Asie. Dans de nombreuses entrevues, nous avons vu comment ces
facteurs environnementaux sont souvent à l’origine de décisions portant sur les différents
axes d’interventions énumérés.

DISCUSSION

Le tableau 2 présente une série de pratiques qui sont considérées par nos répondants
comme exemplaires. Ce caractère découle du fait que la pratique en question a permis de
dégager un bénéfice supérieur. Sur cette base, il peut devenir tentant pour un gestionnaire
de puiser dans cette liste pour chercher à rehausser la performance de son organisation.
Notre discussion offre différentes observations qui devraient décourager un gestionnaire
d’aller uniquement dans cette perspective d’imitation.

Il ressort de beaucoup de nos entretiens que les pratiques mises de l’avant n’ont pas un
caractère universel; pour les gestionnaires qui les ont mis en œuvre, il s’agissait de
trouver une solution à un problème donné. En ce sens, la pratique d’aujourd’hui pourrait
être remplacée demain par une mesure plus performante. On dépasse ainsi la simple
transposition de pratiques pour s’insérer très souvent dans une logique d’amélioration
continue. En soi, les gestionnaires rejoignent les propos de la littérature et ils dépassent la
simple recette miracle. Il y a près de 20 ans, Hayes et Pisano (1994) mettaient justement
en garde les entreprises contre cette tentation de copier les meilleures pratiques vues

11
autour d’eux. Ils avançaient que pendant le temps qui est mis à imiter la concurrence,
l’organisation ne développe pas des solutions originales et adaptées à son contexte.

Il faut retenir également que les actions prises sur les différents axes d’intervention ne
sont pas indépendantes. Ainsi, un de nos répondants, qui a choisi de confier une grande
partie de ses activités d’entreposage et de distribution à un prestataire logistique (axe
d’intervention 1), a également pris soin d’intégrer ses systèmes d’information avec ce
prestataire (axe 2) et mis en place des mécanismes de collaboration avec ce même
prestataire (axe 3) afin d’optimiser les processus logistiques au quotidien (axe 4). C’est
donc cet alignement des quatre axes d’intervention avec le modèle d’affaires de
l’entreprise, et ce, en harmonie avec les forces de son environnement, qui nous semble
traduire le mieux ce qui pourrait se rapprocher de l’excellence en matière de gestion de la
chaîne logistique. La performance supérieure s’obtiendrait non par le déploiement d’une
pratique mais par l’orchestration de plusieurs axes autour d’un objectif clairement défini.

Cette juxtaposition d’axes se produit souvent sur plusieurs mois, ce qui rejoint les
observations de Moore (1993) qui avait avancé que les meilleures pratiques prennent du
temps à se développer. Wal-Mart a commencé, rapidement après sa naissance au milieu
des années 1960, à mettre en œuvre des pratiques et des technologies qui ont démontré
tout leur potentiel plusieurs années plus tard. Dans ces circonstances, une stratégie
clairement exprimée permettrait de conserver la cohérence des actions sur une longue
période.

L’intégration des quatre axes n’est pas toujours délibérée. Ainsi, à partir d’une pratique
donnée, les gestionnaires constatent qu’une amélioration de la performance passera par
d’autres axes d’intervention. Nous revenons donc sur cette notion de culture
d’amélioration qui vient en soutien d’une démarche de recherche et d’implantation de
pratiques exemplaires. Cette explication démontre aussi que les pratiques exemplaires
n’offrent pas un bénéfice spontané. Par exemple, il a fallu quelques années à l’entreprise
qui avait déployé les chariots de prélèvement automatisés avant qu’elle n’en tire leur
plein potentiel. La technologie était performante, cependant les données alimentant cette
même technologie étaient peu fiables. L’organisation a mis en place des indicateurs de
performance associés à la fiabilité des données. Ces indicateurs ont permis

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d’entreprendre des actions pour changer des comportements et de là, la performance des
chariots s’est nettement améliorée.

D’autre part, nos entretiens tendent à confirmer que toutes les pratiques ne sont pas de
même niveau. Certaines deviennent un passage obligé menant à d’autres pratiques qui,
elles, produiront des effets plus spectaculaires sur la performance. Ainsi, la gestion de la
performance par le déploiement d’indicateurs de performance ou le recours à des
exercices de benchmarking aide l’organisation à identifier des lacunes ou à se comparer
face à un groupe d’organisations qui peuvent être semblables. En ce sens, cette
observation renvoie au concept de critères stratégiques qualifiants et gagnants (qualifiers
et order-winning) développé par Hill (1994). Les critères qualifiants sont les seuils
minimums pour œuvrer dans une industrie donnée alors que les critères gagnants
permettent de se démarquer de la concurrence. Sur cette base, on pourrait extrapoler ce
concept aux pratiques exemplaires. Ainsi, nous estimons que certaines pratiques peuvent
prendre la forme de qualifiante alors que d’autres pratiques seront considérées comme
gagnantes. Nous sommes d’avis que ces distinctions entre les pratiques qualifiantes et
gagnantes peuvent différer d’une organisation à l’autre. Par exemple, dans (compléter...)
la présence d’un progiciel de gestion (ERP) peut être considérée comme un atout
incontournable.

CONCLUSION

Notre volonté de mieux comprendre le concept de meilleures pratiques logistiques dans


le contexte québécois, nous a amenés à réaliser une enquête qualitative auprès de 30
organisations situées au Québec. Pour classifier nos résultats, nous avons développé un
modèle plus intégré de meilleures pratiques qui permet d’appréhender la complexité du
concept et, du même souffle, ses ramifications ainsi que de tenir compte de son contexte
interne et externe. Ainsi, bien que notre propos soit centré autour d’une enquête produite
à partir d’organisations situées au Québec, nous sommes convaincus que nos résultats
permettent d’aider les gestionnaires, mais aussi les théoriciens, à mieux comprendre la
notion de pratiques exemplaires dans le cadre de la gestion de la chaîne logistique.

13
Par ailleurs, notre étude présente certaines limites. D’abord, le choix de nos participants,
ceux-ci ayant été choisis parce qu’ils avaient déjà démontré des initiatives pour bonifier
leur système logistique et parce qu’ils étaient prêts à recevoir l’équipe de recherche. Dans
ces circonstances, cela teintait le portrait de nos répondants et expliquerait la
surreprésentativité des grandes entreprises dans notre échantillon.

Ensuite, le choix du répondant à l’intérieur de l’organisation influençait le portrait des


pratiques mises de l’avant. Ainsi, nos répondants pouvaient œuvrer en logistique, en
distribution ou en approvisionnement. Leur fonction influencera nécessairement les
pratiques qu’ils communiqueront. À ce stade-ci de nos travaux, nous ne considérons pas
que ces deux limites invalident nos observations puisque l’objectif était de mieux
comprendre le concept de pratiques logistiques exemplaires.

Aussi, notre étude actuelle ne permet pas de conclure en l’existence de groupes cohérents
de pratiques. Nous sommes d’avis qu’une organisation ne peut déployer n’importe
quelles pratiques. Pour un certain nombre de répondants nous constatons que les
pratiques mises en œuvre s’inscrivent dans une stratégie assez claire ou, à tout le moins,
répondent à des objectifs assez articulés, mais nous ne pouvons pas généraliser cette
conclusion.

Ainsi, pour confirmer ou infirmer certains des propos que nous avons tenus dans cet
article, nous devons changer notre stratégie de collecte des données. Nous comptons
lancer une vaste enquête par questionnaire et ce, toujours en sol québécois. Cette enquête
permettra d’identifier des facteurs qui peuvent expliquer le retard dans le déploiement de
certaines pratiques. Elle viendra faire le lien entre les pratiques mises en œuvre et la
performance logistique. Finalement, nous verrons s’il y a des ensembles cohérents de
pratiques qui sont mis de l’avant.

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