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La Fauconnière
Normandie, fin du printemps 1140
Un brasero éclairait chichement
l’unique pièce du petit pavillon de
chasse. Il n’y avait pas de feu dans la
cheminée, mais la chaleur de leur
passion suffirait à réchauffer
l’atmosphère.
Il se glissa sous les fourrures qui
recouvraient le lit de camp et la prit
dans ses bras. Aussitôt, elle blottit son
corps contre le sien.
Sa tête reposait juste en dessous de
son épaule et il sentait le souffle tiède
de son haleine sur sa peau nue. Une
mèche de ses longs cheveux blonds et
bouclés lui chatouillait le cou.
Sa peau était si douce, si soyeuse…
aussi douce que la fourrure d’une
jeune hermine. Il laissa glisser ses
doigts sur ses bras et ses jambes nus,
s’émerveillant à la pensée qu’elle lui
appartenait corps et âme. Elle se mit à
trembler sous la caresse, une nervosité
qui le rendit plein de hardiesse et lui
donna, en même temps, l’envie de la
protéger.
Toute fierté oubliée, il jura de veiller
sur elle jusqu’à son dernier souffle.
N’avait-il pas fait le serment de la
chérir, de la respecter et de la
défendre, même au péril de sa vie ?
Cette nuit, ils partageraient les
mêmes désirs et la même passion. Leur
amour scellerait à jamais les serments
qu’ils avaient échangés devant le
représentant du Seigneur sur la terre.
— Je croyais qu’un Faucon ne baissait
jamais sa garde !
La remarque arracha brutalement
Darius à son rêve. Il s’était endormi en
pêchant au bord de la rivière et n’avait
pas entendu les hommes approcher. Sa
première réaction fut de saisir la rapière
qui était posée à côté de lui. Mais la
pointe d’une épée sur sa gorge l’en
dissuada et, bon gré, mal gré, il dut
rester adossé au tronc d’arbre contre
lequel il s’était assoupi.
A demi aveuglé par la lumière du
soleil, il cligna des paupières et
dénombra huit lames pointées vers lui.
Jetant un coup d’œil vers l’arbre voisin
du sien, il vit qu’Osbert, son capitaine
d’armes, était tenu en respect de la
même manière. Grâce à Dieu, il était
vivant et ne semblait pas avoir été
blessé. Il en fut soulagé, même si, à en
juger à la pâleur de son visage et à ses
grimaces, ce dernier ne partageait pas
son soulagement. Une chose était
certaine : si ces hommes d’armes
avaient réellement voulu les tuer, ils
seraient déjà en train de converser avec
les âmes de leurs ancêtres en enfer ou au
paradis.
— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
demanda-t-il en levant la tête vers
l’homme qui pointait son épée sur sa
gorge.
L’inconnu se redressa et rengaina son
arme.
— Le roi et la reine ont une faveur à
vous demander.
Darius n’était pas mécontent d’avoir
été arraché à un rêve qui n’avait pas
cessé de hanter ses nuits depuis six ans,
mais la façon dont il avait été réveillé
lui avait mis les nerfs à vif.
— Pourquoi ne m’ont-ils pas
simplement envoyé une missive ?
demanda-t-il sur un ton agressif.
— C’est ce qu’ils ont fait, mais ils
n’ont reçu aucune réponse.
Darius réfléchit rapidement. De toute
évidence, la missive avait été envoyée à
la Fauconnière, le château de sa famille.
Cela faisait quinze jours qu’il n’était pas
allé là-bas. Il avait préféré rester dans
sa retraite favorite, un pavillon de
chasse isolé au milieu des bois, près
d’une rivière paisible et poissonneuse.
Pour le moment, la pêche et la chasse
suffisaient amplement à son bonheur.
— Mon frère, le comte, est marié
depuis peu et n’est pas encore rentré
chez lui. Le roi le sait.
— Oui, et votre autre frère est
également occupé ailleurs. C’est la
raison pour laquelle la reine nous a
envoyés auprès de vous. Elle a pensé
que vous pourriez être ici et n’avoir pas
reçu sa missive.
— Elle ne s’est pas trompée,
acquiesça Darius en pestant
intérieurement.
Pourquoi diable avait-il fallu que la
reine se souvienne du pavillon ?
— Que veut-elle de moi ?
Une lueur amusée, qui suffit à mettre
Darius sur ses gardes, brilla dans les
yeux du messager.
— Vous confier une mission.
— Quel genre de mission ?
— Une mission pour racheter votre
trahison.
— Ma trahison ! Quelle trahison ?
demanda-t-il abasourdi.
Le messager haussa les épaules.
— D’après ce que j’ai compris, il y
aurait des preuves de votre implication
dans un complot ourdi par l’impératrice
Mathilde pour détrôner le roi.
Devant la portée d’une pareille
accusation, Darius blêmit et eut
l’impression que son cœur s’arrêtait de
battre.
— C’est faux, entièrement faux !
protesta-t-il avec véhémence. Qui a eu
l’audace de proférer des accusations
aussi calomnieuses à mon égard ?
Le sourire du messager s’élargit.
— La reine.
Darius grinça des dents et ne réprima
qu’avec peine un cri de frustration. Cette
fausse accusation n’était rien d’autre
qu’un jeu cruel inventé par le roi et la
reine pour obtenir sa collaboration
immédiate. Un jeu où il n’aurait rien à
gagner, hormis la vie sauve, mais auquel
il était obligé de participer, bon gré, mal
gré.
— Et… quelle est cette mission pour
laquelle le roi et la reine ont jugé bon
d’employer des moyens aussi radicaux
pour obtenir ma collaboration ?
Le messager hocha la tête.
— Bien. Vous avez l’air de
comprendre l’importance de leur
requête.
Il attendit que Darius eût été rejoint
par son capitaine d’armes avant de
poursuivre.
— La mission qu’ils désirent vous
confier n’a rien de compliqué.
Osbert émit un grognement.
Manifestement, il ne croyait guère à la
simplicité de cette mission et Darius
partageait son opinion. Il allait devoir
de nouveau risquer sa vie et celle de ses
hommes.
— Pourriez-vous être plus précis et
me dire en quoi cela consiste
exactement ?
— Le baron de Thornson est mort. Il
laisse une veuve derrière lui.
Une veuve qui, vraisemblablement,
avait besoin d’un nouveau mari, songea
Darius.
Il avala la boule qui s’était formée au
fond de sa gorge et fixa le messager du
roi.
— Que faut-il que je fasse ? demanda-
t-il sans laisser poindre son inquiétude.
— Vous devez aller prendre le
château de Thornson et le tenir jusqu’à
ce que le roi et la reine trouvent un mari
convenable à la dame en question.
Comprenant qu’il n’était pas ce « mari
convenable », Darius laissa échapper un
soupir de soulagement. Puis il songea au
fait que le château de Thornson était
situé près de la frontière avec l’Ecosse.
Non seulement il serait à plusieurs
semaines de marche de la Fauconnière,
mais en plus, une fois là-bas, il serait à
la frontière d’un territoire ennemi,
exposé aux attaques des bandes de
pillards écossais.
— Une mission qui n’a vraiment rien
de compliqué, en effet, marmonna-t-il
entre ses dents.
Le messager esquissa un sourire, puis
son visage redevint grave.
— Il y a autre chose.
Comme si cela ne suffisait pas !
songea Darius.
Il ferma les yeux brièvement et secoua
la tête.
— Bien sûr. Ce serait trop facile,
répliqua-t-il d’une voix grinçante.
Chapitre 1
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— Darius ?
En entendant la voix de Marguerite, il
fut rassuré et se détendit. Ce n’était pas
un piège. Il la connaissait trop bien pour
savoir qu’elle n’aurait jamais accepté de
servir d’appât dans un traquenard.
— Oui, c’est moi, murmura-t-il en
faisant un pas en avant.
La porte acheva de coulisser, en
grinçant légèrement. Un grincement qui
lui mit de nouveau les nerfs à vif. Il
tendit l’oreille, mais n’entendit aucun
bruit inquiétant.
Marguerite lui prit la main et l’attira
dans la chambre.
— Darius, murmura-t-elle de nouveau
dans un souffle.
Puis elle referma les deux portes
derrière lui, tandis qu’il posait les restes
de son repas sur une table et fichait sa
torche sur une applique en métal.
Alors qu’il s’apprêtait à se retourner,
il entendit un froissement de tissu. Il
l’imagina brièvement en train de faire
glisser sa robe le long de ses épaules et
de la laisser tomber à ses pieds.
Non, c’était un rêve, bien sûr. Il ferma
les yeux et se secoua mentalement.
N’avait-il pas fait le serment de ne pas
la toucher tant que le fantôme de Henry
Thornson continuerait à la hanter ?
Quand il eut enfin réussi à chasser la
vision par trop érotique qui avait jailli
de son imagination, il se hasarda à
rouvrir les yeux.
Seigneur Dieu, il n’avait pas rêvé !
Aussitôt, un torrent de lave se mit à
déferler dans ses veines et il sentit son
membre viril se tendre douloureusement.
Le froissement qu’il avait entendu ne
l’avait pas trompé. C’était réellement le
bruit de sa robe glissant le long de son
corps. Entièrement nue, Marguerite
s’avançait vers lui, un sourire aux
lèvres, telle Diane chasseresse
approchant sa proie. La fragrance de
lavande qui émanait de son corps enivra
Darius et acheva de lui faire oublier
toutes ses belles résolutions.
En le voyant bouche bée et les yeux
écarquillés, Marguerite sourit et sentit
un délicieux frisson d’anticipation lui
parcourir le dos. Avant qu’il n’ait eu le
temps de reprendre ses esprits, elle lui
enleva son ceinturon et le déposa avec
son épée sur le couvercle d’un coffre.
Ils n’avaient plus de temps à perdre
désormais. La gravité de leur situation
remettait tout en cause, y compris la
promesse que Darius lui avait faite de ne
pas la toucher tant qu’elle n’aurait pas
exorcisé le fantôme de Thornson.
Certes, elle n’oublierait jamais
complètement les années passées auprès
de son défunt mari. Tout ce qu’elle était
maintenant, elle le devait à Henry
Thornson. Mais l’arrivée du comte
venait tout bouleverser. Désormais, elle
était prête à mettre derrière elle cette
période de sa vie pour aller de l’avant.
Et cette nuit lui semblait être le bon
moment pour commencer une nouvelle
vie.
Darius était venu lui parler, faire des
projets pour leur avenir — un avenir
qu’elle savait terriblement précaire. Ils
parleraient… plus tard.
Elle n’avait aucune idée de ce que
demain lui apporterait. Leur avenir
ensemble semblait définitivement
compromis par la volonté du roi. C’est
pourquoi elle avait envie, besoin, même,
de cette nuit. Besoin d’un souvenir
auquel se raccrocher pendant les jours et
les mois à venir.
Immobile, Darius la regardait. Elle
s’approcha un peu plus de lui, assez
pour sentir l’odeur de cuir et de chevaux
qui imprégnait ses vêtements. Elle posa
les paumes de ses mains à plat sur son
torse et lui sourit. Son cœur battait à
grands coups désordonnés. Il avait envie
d’elle. C’était une évidence, quels que
soient les mots qui sortiraient de ses
lèvres.
D’ailleurs, cela n’avait-il pas été
toujours le cas ? Lors de leur première
idylle, malgré sa jeunesse et son
inexpérience, elle n’avait eu aucune
peine à deviner, à la lueur qui brillait
dans ses yeux et au ton rauque de sa
voix, la violence des désirs qui
embrasaient ses reins. Des désirs
partagés, même si elle avait voulu les
oublier.
Avec un grognement sourd qui
ressemblait à une reddition, il l’enlaça
dans ses bras et la serra contre son
torse.
Elle se blottit avec volupté. Elle
aimait la chaleur de ses bras autour
d’elle, l’abri rassurant de son corps
solide. C’était là où elle avait envie
d’être, envie de rester. Elle avait de la
peine à croire qu’en voyant arriver
Darius à Thornson elle ait pu souhaiter
qu’il s’en aille. C’était pourtant bien le
cas. Même si elle ne l’avait jamais haï,
il avait été la dernière personne qu’elle
ait eu envie de voir revenir dans sa vie.
Tout était différent, à présent, et elle
n’imaginait pas d’autre endroit où elle
pourrait se sentir mieux que dans la
chaleur de ses bras forts et virils.
Ebloui, Darius enfouit le visage dans
ses cheveux.
— As-tu décidé de m’ensorceler, mon
amour ?
Il n’arrivait toujours pas à croire en
son bonheur. Marguerite était là,
pourtant, tout près, le souffle tiède de
son haleine sur son cou faisant naître de
délicieux frissons tout le long de sa
colonne vertébrale.
Pour toute réponse, elle glissa les
doigts dans ses longs cheveux noirs et
bouclés et se blottit un peu plus contre
lui.
— Il n’y a aucune sorcellerie, aucun
fantôme. Juste nous deux, lui chuchota-t-
elle à l’oreille.
Il redressa la tête et scruta son visage.
Elle le regardait avec gravité.
— Tu ne trouveras rien ni personne, à
part moi, murmura-t-elle en remontant
lentement son pied le long de sa jambe.
Seulement moi et une envie urgente de
faire l’amour avec toi.
Elle lui mordilla doucement le menton,
puis suivit le contour de ses lèvres avec
le bout de sa langue, avant de murmurer
dans un souffle :
— Et de sentir tes mains sur mon
corps.
Darius ferma les yeux, saisi. Dominant
avec peine son impatience, il se mit à
pétrir doucement les fesses de
Marguerite avant de la hisser le long de
son corps. Instinctivement, elle enlaça
son cou avec ses bras et sa taille avec
ses jambes.
— Crois-tu ? Que ferons-nous si le
comte ou ses gardes…
Elle l’interrompit avec un petit rire de
gorge.
— La porte est fermée au verrou de
l’intérieur et, grâce à mes femmes de
chambre, le comte dormira comme un
nouveau-né cette nuit.
Darius redressa la tête légèrement.
— Du poison ?
— Seigneur Dieu, non ! Seulement un
peu de laudanum. Juste assez pour qu’il
dorme paisiblement et se remette de son
voyage long et fatigant.
— Rappelle-moi de me méfier de ce
que je mange et bois.
Un sourire erra au coin de ses lèvres
avant qu’il ne conclue :
— Même si j’apprécie ta présence
d’esprit.
Marguerite posa sa joue sur son
épaule.
— J’en suis heureuse, messire, dit-elle
mutine. Si vous étiez en colère, je
pourrais moins facilement agir à ma
guise avec vous.
Agir à sa guise avec lui ? Lors de
leurs premières amours, songea-t-il,
jamais elle n’aurait eu une idée
pareille !
— Agir à ta guise avec moi ?
Darius lui caressa la joue avec la
sienne et reprit :
— Je te laisse tout pouvoir.
Cependant, quand tu auras terminé…
Abandonnant la tiédeur moelleuse de
ses courbes, il insinua un doigt fureteur
dans l’étroit sillon creusé entre ses
fesses.
— Ce sera donc mon tour, ensuite ?
Elle retint sa respiration, émoustillée
par sa voix rauque et par l’audace de la
caresse.
— Oui, murmura-t-elle avec un petit
rire de gorge. Mais tu ne joues pas
franc-jeu : je n’ai pas commencé, et
encore moins terminé.
— Je ne joue pas franc-jeu, moi ?
Comme pour la mettre au défi, il
s’empara de sa bouche et, glissant la
langue entre ses lèvres entrouvertes, il
l’enroula avec autorité autour de la
sienne.
Très vite il la sentit céder et se
cambrer pour mieux répondre à son
baiser.
Il réprima un sourire de triomphe.
Avec ses jambes enlacées autour de sa
taille et son corps renversé, elle était à
présent totalement offerte à ses caresses.
Profitant de l’avantage et avant qu’elle
ait pu se rendre compte de ses
intentions, il glissa une main entre ses
cuisses écartées et trouva l’ouverture
qu’il cherchait.
Surprise par l’invasion soudaine des
doigts qui la fouaillaient, Marguerite se
raidit brièvement, puis elle s’ouvrit à la
caresse et il la sentit se contracter autour
de ses doigts.
De plus en plus excité, il laissa
échapper un grognement rauque, tout en
maudissant les vêtements qui
l’empêchaient de sentir le corps nu de
Marguerite contre le sien.
Pour l’instant, cependant, il avait
l’intention de rendre ce moment
inoubliable, pour elle comme pour lui.
Ayant trouvé le petit bourgeon
dissimulé dans les replis de sa féminité,
il le titilla doucement avec son pouce, le
traquant sans relâche dans son nid moite
et douillet. Puis, quand elle se mit à
onduler doucement sous la caresse, il
accéléra le rythme et étouffa ses petits
cris dans un baiser profond et possessif.
Il avait envie de la posséder
complètement et de jouir en même temps
qu’elle, mais il se retint. Il avait trop
rêvé de ce moment pour l’écourter, et il
prenait un plaisir indicible à la voir et à
l’entendre haleter sous ses caresses.
S’il avait été lui-même absorbé par
son propre plaisir, aurait-il autant
profité du spectacle qu’elle lui offrait ?
Aurait-il remarqué l’émouvant
frémissement de sa bouche et la beauté
de son visage dans l’attente de l’extase ?
Non, bien sûr. Pas plus qu’il n’aurait
senti les battements violents et
désordonnés de son cœur contre sa
poitrine ou, plus bouleversantes encore,
les contractions rapides et brûlantes
autour de son doigt.
Elle s’arracha à son baiser et, à bout
de désir, rejeta spasmodiquement la tête
en arrière, tout en plantant les ongles
dans ses épaules. Des gouttes de sueur
perlaient sur son front et son pouls
faisait palpiter une veine sur son cou.
Il baissa la tête et, lentement, enroula
sa langue sur un téton dur et tendu. Elle
gémit et enfonça un peu plus fort ses
ongles dans ses épaules, tandis que ses
jambes se contractaient autour de sa
taille.
— Darius… Oooh…
— Chut, mon amour.
Ne voulant pas que les gardes
entendent ses cris de l’autre côté de la
porte, il s’empara de nouveau de sa
bouche, et, l’emportant jusqu’au lit, la
déposa sur le dos.
Aussitôt, elle se mit à tirer
frénétiquement sur ses vêtements, la
respiration saccadée. Darius repoussa
ses mains et s’agenouilla sur le
plancher, au bord du lit.
— C’était supposé être mon tour,
protesta Marguerite.
— Mais justement, c’est ton tour,
répondit-il en souriant.
Lui écartant doucement les jambes, il
les fit passer de chaque côté de ses
épaules, et enfouit son visage entre ses
cuisses.
Quand elle commença à gémir et à
trembler de plaisir, il ne put réprimer un
petit rire et lui couvrit la bouche d’une
main pour l’empêcher de crier. Si
quelqu’un venait à les surprendre en ce
moment, il ne croirait jamais que c’était
un acte consensuel entre un mari et une
femme.
Il s’était remis à la caresser du bout de
la langue, la traquant dans ses replis les
plus secrets. Abandonnée, elle se
laissait faire. Puis, brusquement, elle se
cambra et ses mains s’accrochèrent aux
couvertures à côté d’elle.
— Darius… Non… Oh ! oui…,
murmura-t-elle d’une voix étouffée
contre la paume de sa main.
Elle retomba sur le dos, pantelante.
Elle se sentait délicieusement bien et
molle comme une poupée de chiffon.
Mais déjà il se positionnait au-dessus
d’elle, en appui sur ses coudes.
Il allait la pénétrer lorsqu’il vit une
larme rouler sur sa joue. Inquiet, il
s’interrompit.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu pleures ?
demanda-t-il en essuyant la larme du
bout de la langue.
Elle détourna la tête.
Lui emprisonnant le visage entre les
mains, il l’obligea à le regarder.
— Réponds-moi. Dis-moi ce qu’il y a.
Elle passa les bras autour de son cou,
comme si elle ne voulait plus jamais le
laisser partir.
— Maintenant que nous nous sommes
retrouvés, je n’arrive pas à imaginer que
tu puisses un jour ne plus être ici avec
moi.
Le cœur de Darius se serra.
— Ah, mon amour, ne pouvons-nous
pas oublier tout le reste jusqu’à
demain ?
— Demain sera vite arrivé. Nous ne
pouvons pas plus échapper aux projets
du comte que nous n’avons pu échapper
à ceux de mon père.
— C’est vrai, acquiesça-t-il. Nous ne
sommes ni l’un, ni l’autre maîtres de
notre destin — c’est la vie. Mais ne
pouvons-nous pas profiter pleinement de
ce moment et ne pas penser à demain ?
Cette nuit nous appartient. Il n’y en aura
peut-être pas d’autres, mais personne ne
pourra nous l’enlever.
Elle frissonna et un sourire timide erra
sur ses lèvres.
— On peut essayer.
— Et réussir.
— Tu as faim ? demanda-t-il en
roulant sur le côté.
— Faim ?
Elle rit.
— Nous avons la chance d’avoir une
nuit d’amour devant nous — peut-être la
seule et unique que nous aurons
jamais — et tu penses à manger ?
Darius se leva et la considéra avec
une fausse sévérité.
— Après ces préliminaires, il me
semble que je vais avoir besoin de
toutes mes forces pour bien terminer
cette nuit. Tu ne voudrais pas que je
défaille en pleine action ?
Marguerite rougit légèrement, mais
soutint son regard.
— Je te rappelle que tu m’as volé mon
tour.
Il hocha la tête.
— Alors, en compensation, j’exige
d’avoir les deux suivants.
Quel homme, sain d’esprit, pouvait
refuser une telle faveur à sa dame ? Pas
lui, en tout cas.
Il lui tendit la main pour l’aider à se
lever.
— Accordé. Tu peux agir à ta guise
avec moi. Je suis ton esclave.
Marguerite se blottit dans ses bras en
riant.
— Bien. Pour commencer, tu vas
prendre un bain. J’en ai pris un tout à
l’heure. Il ne doit pas être encore
complètement froid.
Un bain, même froid, c’était presque
inespéré.
— Tu trouves que je sens mauvais ?
Elle hocha la tête et huma l’air en
grimaçant.
— Oui, messire. Aussi mauvais que
les chevaux à l’écurie — le matin, avant
qu’ils aient été pansés et leur litière
nettoyée.
— Vraiment ?
— Oui.
Elle se pencha et l’embrassa sur le
menton.
— Même si l’odeur de mon étalon
préféré a quelque chose d’excitant…
Darius sentit une légère rougeur
envahir son visage.
— Je te trouve bien hardie, ce soir.
Il la prit dans ses bras et l’emporta
vers la baignoire de bois.
— Pour ta peine, tu me savonneras et
me frotteras le dos, à l’instar d’une
servante.
Elle posa la tête sur son épaule.
— C’est bien mon intention.
Quand il s’arrêta au bord de la
baignoire et la maintint au-dessus de
l’eau, elle s’accrocha fébrilement à son
cou.
— Ne fais surtout pas ça ! Ce serait
une farce stupide.
Il se pencha lentement vers la surface
de l’eau. Elle s’accrocha à lui encore
plus fort.
— Si tu me laisses tomber, je hurle !
Il pivota légèrement et la déposa sur le
plancher.
— Tu es sauvée. Pour cette fois-ci.
Le remerciant d’un sourire, elle
plongea la main dans l’eau. Celle-ci
n’avait pas trop refroidi. Elle aida alors
Darius à se déshabiller. Elle lui ôta
d’abord ses bottes, non sans mal, puis
ses vêtements, un à un, tout en laissant le
bout de ses doigts caresser sa peau. Un
contact qu’elle savourait pleinement,
consciente que l’occasion ne se
représenterait peut-être jamais.
En le revoyant, elle s’était efforcée de
le traiter comme un simple ami
d’enfance. Depuis lors, beaucoup de
choses s’étaient passées. Il avait
réveillé les souvenirs de leur idylle de
jeunesse et lui avait prouvé que son
amour pour elle était toujours aussi
vivace.
Entre-temps, Henry Thornson lui avait
montré les usages du monde, les usages
entre hommes et femmes, aussi. Et, au
final, il lui avait donné l’opportunité de
devenir une femme assez fière et hardie
pour prendre ce dont elle avait envie. Et
ce dont elle avait envie maintenant,
c’était ce que Darius était prêt à lui
offrir — la passion, le plaisir, la
sécurité, ainsi qu’un amour infini et sans
partage. Même s’ils risquaient, hélas, de
perdre tout cela de nouveau.
Il l’exhortait, quant à lui, à vivre
pleinement l’instant, à ne pas penser au
lendemain. Devait-elle se laisser
tenter ? Son cœur serait brisé, elle le
savait, si elle venait à tout perdre une
nouvelle fois. Mais au diable l’avenir !
Elle n’aurait peut-être qu’une nuit avec
Darius, et elle voulait la savourer
totalement.
Quand il fut nu devant elle, elle le
contempla un instant le cœur battant.
Puis elle se pencha et déposa un baiser
sur sa poitrine à l’emplacement de son
cœur avant de se blottir contre lui.
Au contact de la peau tiède contre la
sienne, Darius frémit violemment et son
cœur se mit à battre plus vite lorsqu’il la
sentit se frotter langoureusement contre
son membre viril, déjà dur et tendu.
— A ce rythme, ton premier tour va
être vite terminé, murmura-t-il d’une
voix rauque en l’embrassant dans le cou.
— Peut-être.
Elle suivit du doigt la longue cicatrice
qui marquait son dos, tout en se
demandant brièvement quelle blessure
avait pu la causer. Puis, après lui avoir
pétri doucement la hanche, elle insinua
ses doigts entre eux pour caresser son
sexe tendu.
— Mais ce n’est pas grave, car le
deuxième durera plus longtemps.
Echappant aux bras virils qui
essayaient de la retenir, elle se laissa
glisser à genoux devant lui.
— Marguerite…
Un baiser léger sur son bas-ventre
l’empêcha de continuer. Elle sourit en
l’entendant retenir sa respiration.
— C’est mon tour, messire, reprit-
elle. Vous ne devez rien faire, hormis
vous rendre sans conditions.
Il enfouit les doigts dans ses cheveux.
— Je suis ton esclave.
Elle rit et s’empara de son sexe avec
sa bouche. Il était dur et vibrant entre
ses lèvres. Un frisson délicieux la
parcourut en sentant la veine gonflée
pulser doucement. Elle enroula
lentement sa langue autour du membre
viril, allant et venant avec délices. La
peau en était si fine, si soyeuse…
A sa grande surprise, il la laissa
mener le jeu sans broncher, se contentant
de lui caresser doucement les cheveux,
jusqu’au moment où un violent frisson le
traversa.
— Maintenant, supplia-t-il.
Ses yeux brillaient, pleins de fièvre.
Elle était à bout, elle aussi, mais le lit
était loin, beaucoup trop loin.
Le poussant sur le banc à côté de la
baignoire, elle monta à califourchon sur
ses genoux et enfourcha son membre
rigide d’un mouvement rapide et fluide.
Darius émit un grognement rauque et la
serra avec emportement contre lui.
Elle posa la tête sur son épaule.
Jamais elle ne s’était sentie aussi bien.
Leurs cœurs battaient à l’unisson et,
pendant quelques instants, elle resta
ainsi, immobile. Elle avait l’impression
de ne faire plus qu’un avec lui, comme
si leurs corps s’étaient fondus l’un dans
l’autre. Puis, lentement, très lentement,
elle commença à monter et descendre…
Comme il le lui avait promis, il la laissa
aller à sa guise, se contentant de
l’embrasser sur la bouche, sur les seins,
dans le cou.
Une première vague la traversa, puis
une autre, et elle accéléra le rythme,
allant et venant sur lui de plus en plus
loin, de plus en plus vite.
Le plaisir enfla en elle. Se laissant
retomber sur Darius, elle s’empara de sa
bouche pour un baiser plein de violence
et de passion.
Elle jouissait… jouissait…
Puis, presque au même instant elle le
sentit vibrer en elle. Une vibration
merveilleuse qui la fit frissonner
jusqu’au plus profond de son être.
— Oh ! Darius… Darius…
— Mon amour… Je t’aime…
Toute angoisse oubliée, elle
s’abandonna dans ses bras, rompue de
bonheur et de fatigue.
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Rhys tapota nerveusement la table du
bout des doigts.
— Pendant combien de temps encore
allons-nous attendre ?
— Sois patient, lui répondit le comte
en vidant son gobelet de vin et en le
reposant bruyamment, avant de se servir
un autre morceau de porc grillé. Tu sais
aussi bien que moi où ils sont allés.
— C’est justement ce qui m’inquiète.
— C’est ton frère, pas ton fils. Arrête
de le traiter comme un enfant, répliqua
William en s’essuyant la bouche avec la
manche de sa tunique. Au cas où tu ne
l’aurais pas remarqué, Darius est un
homme maintenant. Un homme aguerri et
rompu à tous les combats. A propos,
comment va ta mâchoire ?
— Bien. Merci.
Rhys saisit son propre gobelet et en
but le contenu en grimaçant.
— Seigneur Dieu, comment pouvez-
vous boire ce breuvage atroce ? Ce n’est
pas du vin, c’est du vinaigre !
William haussa les épaules.
— Tu es trop gâté. Le nord de
l’Angleterre n’est pas la Normandie où
tu peux te ravitailler aisément en vins
d’Anjou. Pour ma part, je trouve que
cette piquette n’est pas si mauvaise… Je
m’y suis habitué, faute de mieux, dit-il
en remplissant de nouveau son gobelet.
Rhys demanda de la bière et soupira.
— Je ne peux pas supporter cette
attente.
— Tu n’as pas le choix.
— Et si quelque chose va de travers ?
William secoua la tête.
— Ne t’inquiète pas. Ils savent ce
qu’ils font.
— Cela aurait été plus facile, si c’était
notre plan qui avait été retenu.
— Sans doute. Mais ton frère voulait
agir à sa guise, ce que je comprends.
Qu’aurais-tu fait, toi ? Penses-tu que tu
aurais attendu l’aide de ton frère et de
son allié ? Je ne crois pas.
— Il était supposé rester dans son
cachot. Mais il n’a jamais été capable
d’obéir.
William s’esclaffa.
— C’est un Faucon. Toi-même, si je
ne m’abuse…
Rhys soupira de nouveau.
— Je vous l’accorde.
— Bien. Alors, arrête de te tourmenter
et profite de cet excellent repas.
Avant que Rhys ait eu le temps de se
servir un morceau de venaison, la porte
de la grande salle s’ouvrit et l’un des
gardes adressa un signe de tête au comte.
William se leva, mais, à la grande
déception de Rhys, il ordonna
simplement qu’on enlève les tables et
les bancs. Puis il fit disposer les deux
chaises à dossier sous le dais.
Rhys regarda successivement William
et la porte de la grande salle.
— Que faites-vous ?
— Viens t’asseoir. Nous attendrons ici
que Darius et ses hommes nous amènent
les félons.
Rhys obéit, mais ne put dissimuler son
exaspération.
— Ce n’est pas possible ! Jamais je ne
pourrai…
— Oh ! allons, arrête de te plaindre et
bois une chope de bière. L’impatience a
toujours été ton plus grand défaut.
* * *
* * *
Faucon, début de
l’automne 1140
Allongé sous un grand chêne, sur la
berge herbeuse d’un ruisseau, Darius
jeta un caillou dans l’eau qui courait en
chantant entre les rochers.
Il sourit en entendant les éclats de rire
joyeux de Marcus. Son capitaine
d’armes s’était mis en tête de lui
apprendre à monter à cheval. Pas sur un
poney. Sur un destrier. Le destrier
d’Osbert, un grand cheval puissant, d’un
caractère doux et sans le moindre vice.
Les jambes de Marcus dépassaient à
peine les quartiers de la selle, mais il
avait un excellent sens de l’équilibre et,
comme toujours, il avait l’air de
beaucoup s’amuser. Aussi, Darius
n’était pas inquiet et laissait faire
Osbert.
Il remerciait Dieu chaque matin et
chaque soir de la chance qu’il avait
d’avoir son fils avec lui ici, en
Normandie. Et, après chacune de ses
prières, il ajoutait le souhait que
Marguerite soit en paix malgré la
décision qu’elle avait prise.
— Ça va, tu ne te fatigues pas trop ?
Darius leva les yeux en entendant la
voix de son frère, Rhys.
— Non, pas trop.
Il étira les bras au-dessus de sa tête,
avant de les croiser sur son torse.
— Finalement, l’oisiveté me convient
assez bien.
Tous deux savaient qu’il plaisantait.
Depuis leur retour en Normandie, ils
avaient travaillé d’arrache-pied afin de
remettre en état certaines parties de
l’immense château familial. Ils avaient
beau disposer de nombreux bras pour
les aider, c’était un gros travail et ils
s’écroulaient chaque soir dans leur lit,
complètement épuisés.
Mais, ce matin, Darius avait décidé de
prendre un peu de repos et refusé
catégoriquement de participer aux
travaux. A sa grande surprise, Rhys
avait accepté.
— Je me demandais si tu voudrais
bien me faire une faveur.
— Pas aujourd’hui. Je me repose,
répondit Darius en détournant la tête.
— Il ne s’agit pas de travailler.
Robert s’est blessé à la jambe. Il devait
inspecter les murs d’enceinte ainsi que
ceux des deux pavillons de chasse qui
t’appartiennent et qui n’ont pas été
entretenus depuis longtemps.
Darius soupira.
— Tu as raison. Et le maître maçon
arrive demain, si je ne me trompe pas ?
Rhys hocha la tête.
— Oui.
— Comment va Lyonesse ?
Si Rhys lui demandait ce service,
Darius le savait, c’était parce qu’il
voulait rester auprès de sa femme qui
souffrait de nausées depuis qu’elle
attendait leur enfant.
Rhys se gratta la tête.
— Ce matin, en se levant, elle n’était
pas trop mal. Mais, après son petit
déjeuner, elle a été de nouveau malade
et a dû se recoucher.
Darius se leva.
— Je vais y aller. Occupe-toi de ta
femme et surveille Marcus jusqu’à mon
retour.
Osbert et Marcus se rapprochèrent et
arrêtèrent leur destrier devant eux.
— Oui, messire ? s’enquit Osbert.
— Je dois aller inspecter des
bâtiments. Pendant mon absence, vous
resterez tous les deux avec le comte. Je
serai de retour à la tombée de la nuit, ou
peu après.
— Je peux jouer avec mon épée ?
demanda Marcus.
Rhys s’esclaffa et lui ébouriffa les
cheveux.
— Bien sûr. Je suis sûr que les autres
garçons du château seront contents de
ferrailler avec un aussi bon bretteur.
— Va t’amuser, acquiesça Darius,
mais fais attention à ne blesser personne.
Pour le moment, Marcus était trop
petit pour faire grand mal à quiconque
avec son épée de bois, mais dans peu de
temps, songea Darius, il en irait tout
autrement.
Il partit au galop. Alors qu’il
approchait du premier pavillon, il
s’arrêta un instant, surpris par la beauté
du lieu. Voilà des années qu’il n’était
pas revenu dans les parages. Malgré la
relative proximité de la Fauconnière
dont on apercevait les toits au loin, il
régnait ici un calme absolu. Il poussa la
lourde porte de bois et son cœur se mit à
battre plus vite tandis que des images
oubliées se pressaient soudain dans sa
mémoire.
Un brasero éclairait chichement
l’unique pièce du petit pavillon de
chasse. Il n’y avait pas de feu dans la
cheminée, mais la chaleur de leur
passion suffirait à réchauffer
l’atmosphère.
Il se glissa sous les fourrures qui
recouvraient le lit de camp et la prit
dans ses bras. Aussitôt, elle blottit son
corps contre le sien…
Cette nuit, ils partageraient les
mêmes désirs et la même passion. Leur
amour scellerait à jamais les serments
qu’ils avaient échangés devant le
représentant du Seigneur sur la terre.
— Non, pas ça !
La porte claqua tandis qu’il ressortait
précipitamment. Il ne devait plus penser
à Marguerite. Mais le temps avait beau
passer, son souvenir ne s’effaçait pas.
Depuis son retour, quelques mois plus
tôt, il n’y avait pas un jour où son cœur
ne s’était serré douloureusement. Pas un
jour où il n’avait maudit son
intransigeance.
Rhys était rentré à la Fauconnière une
semaine après lui. Il avait ramené
Marcus. Darius avait regretté que
Marguerite n’ait pas eu la hardiesse de
l’accompagner.
Mais comment l’aurait-elle pu après
ce qu’il lui avait dit ? Lui avait-il laissé
la moindre chance ? Il regrettait
amèrement son attitude depuis. Quelques
semaines plus tôt, il lui avait même fait
envoyer une missive lui demandant de
venir le rejoindre. Apparemment, cela
n’avait pas suffi. Il allait donc devoir
reprendre la route de Thornson, et aller
la chercher. Pas dans les prochains
jours, hélas, car l’hiver n’allait pas
tarder et il ne voulait pas imposer à leur
fils un voyage aussi épuisant.
Oui, malgré son impatience, il allait
devoir attendre les premiers bourgeons
du printemps. Mais sa décision était
prise : il ramènerait sa femme à la
Fauconnière. De gré ou de force.
Se languissait-elle de lui autant qu’il
se languissait d’elle ? Parvenait-elle à
trouver le sommeil la nuit, seule dans
son grand lit, avec uniquement ses
souvenirs pour la réchauffer ?
Ces souvenirs lui suffisaient-ils ? Ou
la hantaient-ils douloureusement comme
ils le hantaient lui, au point de lui donner
parfois l’impression qu’une main lui
caressait la joue, ou que des lèvres se
pressaient contre les siennes ?
Beaucoup plus que leurs ébats
amoureux, c’était sa présence qui lui
manquait. La présence de la femme
qu’elle était devenue. Six ans plus tôt, il
était tombé amoureux d’une jeune fille
timide et ingénue. Quand on la lui avait
enlevée, il s’était d’abord consumé de
chagrin, puis, peu à peu, son chagrin
s’était estompé, sans qu’il parvienne
jamais à l’oublier complètement.
Quand il l’avait retrouvée, il avait
découvert une femme différente. Une
femme épanouie, volontaire et sûre
d’elle-même et de ce qu’elle voulait,
très différente de la jeune fille dont il
avait gardé le souvenir.
Dans son cœur, elle était restée celle
qu’il avait aimée et il avait retrouvé
dans ses bras tous les plaisirs auxquels
il avait rêvé — et même plus. Mais son
esprit avait mis du temps à accepter la
femme qu’elle était devenue.
Il avait fallu qu’il la quitte pour se
rendre compte à quel point elle lui
manquait. Sans elle, il se sentait sombrer
dans un puits sans fond, incapable qu’il
était d’échapper à la mélancolie qui le
poursuivait.
Seule Marguerite pouvait lui rendre la
joie qui l’avait déserté. Accepterait-elle
de le suivre ? Avant de la revoir, il lui
faudrait traverser un interminable hiver,
tant de nuits froides et solitaires sans
savoir s’il pourrait de nouveau la tenir
dans ses bras et mettre un terme aux
différends qui les avaient opposés.
Il s’éclaircit la gorge et s’efforça de
chasser les idées sombres qui
assiégeaient son esprit. Puis il donna un
coup de talon à son cheval et se dirigea
lentement vers le second pavillon. Un
mince ruban de fumée montait de la
cheminée. Il n’en fut guère surpris, car
Rhys, contrairement à la plupart des
seigneurs alentour, autorisait ses serfs à
chasser dans ses forêts. Il leur
demandait seulement de se limiter au
gibier dont ils avaient besoin pour se
nourrir, eux et leur famille. Jusqu’à
présent, aucun d’entre eux n’avait abusé
de sa générosité.
Après avoir mis pied à terre, il attacha
sa monture à un arbre et fit le tour du
bâtiment. Apparemment, il était en bon
état et quelques réparations mineures
devraient suffire pour qu’il supporte
sans dommages les assauts de l’hiver.
Puis il s’approcha de la porte et
frappa.
— Ouvrez sans crainte ! lança-t-il. Je
suis sir Darius et désire seulement
inspecter l’intérieur.
Pas de réponse. Il souleva le loquet et
entra.
L’unique pièce était plongée dans une
demi-obscurité, mais un feu était allumé
dans la cheminée. Accroupie devant
l’âtre, une femme attisait les flammes.
Elle lui tournait le dos, mais il la
reconnut à l’instant même.
Marguerite !… Comment… ?
Incapable de poursuivre, il s’approcha
d’un pas hésitant, le cœur bondissant de
joie.
— Marguerite ! C’est bien toi ? Ce
n’est pas une illusion ?
La jeune femme se retourna et il vit
que son visage était baigné de larmes.
— Darius ! Pardonne-moi d’être
venue, mais je ne pouvais pas vivre sans
toi. Si tu ne veux toujours pas de moi, je
préfère mourir.
En la voyant tirer une dague de sa
ceinture, il se précipita et la lui arracha
des mains.
— Je n’ai rien à te pardonner,
Marguerite, murmura-t-il en la serrant
dans ses bras. J’ai eu tort de t’accabler.
J’étais en colère et blessé.
— Je t’ai menti. Je t’ai trahi.
— Parce que tu as eu peur pour notre
fils.
Les mots de Rhys et du comte William
résonnèrent au même moment dans sa
tête.
— N’importe quelle mère aurait fait la
même chose, reprit-il. Je ne l’ai pas
compris sur le moment, mais maintenant
je le comprends. C’est moi qui te
demande de me pardonner, Marguerite.
Si tu veux bien rester ici et vivre avec
moi, je te promets de ne plus jamais te
reprocher ta conduite passée.
Elle rit et, toute tremblante de
bonheur, se blottit contre lui.
— Je ne te quitterai plus jamais,
Darius. Ma place est auprès de toi.
En la sentant frissonner, il la souleva
dans ses bras et l’emporta sur le lit.
— Tu as froid. Viens, laisse-moi te
réchauffer.
En quelques instants, ils se
déshabillèrent, en s’aidant mutuellement,
et se glissèrent sous les couvertures,
bras et jambes enlacés.
— La dernière fois que nous avons
dormi dans ce lit, le réveil a été brutal,
murmura-t-elle contre son épaule.
— Les années ont passé, mon amour,
et nous sommes de retour là où nous
notre amour a commencé. N’est-ce pas
merveilleux ?
— Si, mais je ne suis plus la jeune
fille que j’étais, Darius. Qu’adviendra-t-
il de notre…
Il s’allongea sur elle et la regarda au
fond des yeux.
— Tu es la femme qui a donné un sens
à ma vie. Et je suis l’homme qui t’aime
plus que tout au monde. Rien d’autre ne
compte.
Puis, sans lui laisser le loisir de
répondre, il s’empara de sa bouche pour
un interminable baiser.
Après toutes ces semaines de
séparation, ils avaient une folle envie
l’un de l’autre et ils s’unirent avec
fièvre, se donnant tout le plaisir qu’un
homme et une femme peuvent se donner
l’un à l’autre.
Leurs sens enfin apaisés, Darius roula
sur le côté, et Marguerite se blottit
contre sa poitrine, s’émerveillant de
sentir les battements du cœur de son
mari contre sa joue.
— Comment va Marcus ? demanda-t-
elle enfin.
— Bien. Tu lui manques, cependant.
— Darius ?
— Oui, ma chérie ?
— Tu as vraiment aimé avoir ton fils
auprès de toi ?
— Bien sûr ! Pourquoi ?
Marguerite lui prit la main et la posa
doucement sur son ventre.
— Parce que Marcus aura bientôt un
petit frère ou une petite sœur. Je voulais
être certaine que le rôle de père te
plaisait.
Darius redressa la tête et la regarda,
une boule au fond de la gorge.
— Si cela me plaît ? C’est mon plus
cher désir, mon amour !
Elle sourit et déposa un baiser sur ses
lèvres.
— Alors, je suis heureuse. Mais, tu
sais, il te faudra être patient avec moi.
Je risque d’avoir souvent des sautes
d’humeur dans les mois à venir…
— Ne t’inquiète pas. Je saurai y faire
face. Après tout ce qui s’est passé entre
nous, j’ai acquis une patience d’ange. Et
puis tu es ma femme, celle dont j’ai
toujours rêvé, Marguerite, ajouta-t-il en
l’embrassant sur le front.
— Toi aussi, mon amour. Tu es ma
vie. Plus jamais je ne te quitterai.
TITRE ORIGINAL : FALCON’S LOVE
Traduction française : LOUIS DE PIERREFEU
HARLEQUIN®
est une marque déposée par le Groupe Harlequin
LES HISTORIQUES®
est une marque déposée par Harlequin S.A.
Photo de couverture
Sceau : © ROYALTY FREE / FOTOLIA
Réalisation graphique couverture : E. COURTECUISSE
(Harlequin SA)
© 2005, Denise L. Koch. © 2013, Harlequin S.A.
ISBN 978-2-2802-9603-8
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