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Lecture linéaire du texte de Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la

terre du Brésil

Jean de Léry est un simple cordonnier, de confession protestante. Un beau


jour il part pour le Nouveau Monde, voir si sa vie ne pourrait pas s’améliorer sur
un autre continent. Finalement cela ne se passe pas au mieux une fois sur place.
Il est même exclu du fort dans lequel lui et ses compatriotes ont élu domicile.
Durant les mois où il attend un navire pour revenir vers la France il va faire
connaissance avec un peuple amérindien, les Tupinambas. Des années plus tard
il consacre un ouvrage à cette rencontre dans Histoire d’un voyage fait en la
terre du Brésil. Nous verrons à travers cet extrait combien restituer la fraîcheur
de cette première rencontre lui tient à cœur. On peut décomposer le texte en
trois mouvements, avec tout d’abord les circonstances de la première rencontre
établies, ensuite la rencontre proprement dite et enfin le dialogue entre Jean de
Léry et les Indiens restitué par le narrateur.

Premier mouvement : situation d’énonciation


Le fait que Jean de Léry se déplace seul, en la seule compagnie de son
traducteur, montre que Jean de Léry est téméraire, il n’éprouve aucune crainte à
l’idée de se retrouver avec des Indiens. La mention numérique « quatre ou cinq
villages » montre bien qu’il a très envie d’aller à la rencontre des autochtones, il
se déplace à l’intérieur du pays. Il est donc quelqu’un de curieux. Quand il
appelle le village où il se rend tout d’abord par son nom amérindien
« Yabouraci » on voit qu’il accorde de l’importance à cette civilisation. Ce n’est
que dans un second temps qu’il indique le nom que lui ont donné les Français, en
l’occurrence « Pépin ». Ce qui prime à ses yeux c’est cette nouvelle civilisation.
La première parenthèse, « (à cause du maître d’un navire qui y chargea une fois,
dont le maître s’appelait ainsi) » souligne le désir d’exactitude de Jean de Léry.
On peut donc lui faire confiance quant aux informations données, surtout qu’il a
de toute évidence fait l’effort d’apprendre à prononcer correctement ce mot
« Yabouri » et qu’il s’en rappelle vingt ans après les faits. Autant dire que cette
rencontre l’a marqué.

Deuxième mouvement : la rencontre proprement dite à partir de « me


voyant directement environné des Sauvages »
Dans ce second mouvement Jean de Léry raconte cette rencontre inédite
entre un Européen et un peuple amérindien. Il commence par mettre l’accent sur
le grand nombre de gens qui l’accueillent à travers l’hyperbole « des Sauvages »
et l’autre hyperbole « tout incontinent environné » met en évidence qu’une foule
d’indigènes entoure soudainement Jean de Léry. Ces indiens sont dépourvus de
toute agressivité puisque leur première intention est de faire connaissance avec
Jean de Léry, en lui demandant tout d’abord son nom. Là encore Jean de Léry
donne le mot en langue tupi « Marapéderere » avant d’en donner la traduction en
français, « Comment as-tu nom ? » Il fonctionne vraiment comme un
anthropologue faisant passer la culture amérindienne au premier plan. La
parenthèse « (à quoi pour lors je n’entendais que le haut allemand) » a ceci
d’intéressant qu’elle permet à Jean de Léry de faire preuve d’honnêteté : lors de
cette rencontre il ne connaît pas la langue tupi, il l’a donc apprise au cours des
mois passés avec ce peuple. Il a fait l’effort d’apprendre du vocabulaire. Cela
prouve qu’il s’intéresse à eux. A travers l’énumération « l’un ayant pris mon
chapeau qu’il mit sur sa tête, l’autre mon épée et ma ceinture qu’il ceignit sur
son corps tout nu, l’autre ma casaque qu’il vêtit » le narrateur se remémore un
moment drôle puisque trois indiens le dépouillent littéralement, sans qu’il ait l’air
de s’en émouvoir. On imagine aisément qu’il a été dérouté mais pas angoissé,
face au comportement des Tupinambas. Il est quand même pris de court par leur
attitude, comme le soulignent les participes présents « m’étourdissant »,
« criant » , l’hyperbole « de leurs cris » et le parallélisme « je pensais avoir tout
perdu mais aussi je ne savais où j’en étais ». Les Indiens se comportent comme
des gamins, ils jouent, montrent ce qu’ils ont chipé au Français en brandissant
fièrement leurs trophées dans « leurs villages », autant dire qu’ils vont loin, et
encore n’est-ce pas longtemps comme le stipule l’euphémisme « un peu » . Par
la suite il explique en commençant sa phrase par le connecteur logique
d’opposition « Mais » que les Indiens ne sont pas poussés par de mauvaises
intentions mais c’est leur façon de se comporter ordinairement face à tout
étranger. Le présent de vérité générale « visitent » le suggère. Jean de Léry tient
à ce que le lecteur n’ait pas une mauvaise idée à propos des Indiens, aussi
précise-t-il « ils rapportent et rendent le tout ». L’hyperbole « le tout » souligne
leur honnêteté. Les Tupinambas sont joueurs, ils ne sont pas voleurs. Ils n’ont
pas du tout l’intention de nuire à ceux qui leur rendent visite. Ils sont très
expressifs, « cri[ent] », « cour[ent] », « jou[ent] ». Ces verbes d’action donnent
d’eux la vision de gens très vivants.

Troisième mouvement : Jean de Léry mû par un vrai désir de


communiquer avec les Indiens à partir de « Là-dessus, le truchement »
L’interprète de Jean de Léry, appelé « truchement » lui fait part d’un désir
de la part des Indiens : connaître son prénom. On voit que pour eux c’est
important avec l’hyperbole « ils désiraient par-dessus tout ». De toute évidence
savoir à qui ils s’adressent est capital. Cette anecdote est intéressante, car elle
montre deux éléments : les Amérindiens s’intéressent à jean de Léry comme lui
s’intéresse à eux. Dans ces conditions une vraie communication va pouvoir
s’instaurer. Elle révèle aussi un autre trait de caractère de Jean de Léry : il est
précautionneux, il a envie que cette rencontre se passe au mieux. Aussi tient-il
compte de leurs difficultés soulignées par la négation « ne les pouvant ni
prononcer ni retenir ». Il explicite concrètement ce point dans la parenthèse
« ([…] au lieu de dire Jean ils disaient Nian )». C’est une nouvelle preuve donnée
par Jean de Léry de sa délicatesse à leur égard. Il est compréhensif. Et en même
temps il ne veut pas que le lecteur s’imagine que ces indiens sont stupides, il a à
cœur de montrer qu’un son n’est pas commun avec leur langue, tout
simplement. Il tient compte de ses hôtes et apprenant la signification de son nom
de famille en langue tupi, à savoir « grosse huître », il n’hésite pas à se
l’approprier et va même plus loin en s’affublant du surnom comique « Léry-
oussou [qui] signifie grosse huître ». On le voit Jean de Léry est tout sauf
prétentieux. Cela ne le gêne pas du tout de se moquer un peu de lui-même,
puisque « grosse » désignant sa corpulence. Il est fort à parier qu’il a choisi ce
surnom pour faire rire les Indiens et installer une bonne humeur durable. En effet
c’est ce qu’il va se passer, comme l’indique leur réaction avec les mots
appartenant au vocabulaire mélioratif, « bien satisfaits », « admiration » et « se
mirent à rire ». L’ambiance est on ne peut plus chaleureuse.
Jean de Léry est une figure d’exception parmi les Européens ayant
rencontré les Tupinambas. C’est ainsi qu’il faut comprendre la négation
« n’avions point encore vu de Mair […] qui s’appelât ainsi. » Jean de Léry montre
qu’ils sont surpris par son initiative. C’est-à-dire que Jean de Léry est le seul
voyageur à avoir accepté d’associer à sa personne leur vocabulaire. Cela crée
forcément un rapprochement entre les deux peuples. Ceci est souligné par
l’intensif « discourut si bien » : une vraie rencontre a bel et bien lieu. Jean de
Léry termine son texte en mettant l’accent sur une autre qualité des amérindiens
à travers le vocabulaire mélioratif « une si bonne mémoire », renforcé par les
hyperboles « ils seraient cent ans […] sans le revoir, ils ne l’oublieront jamais ».
Ce n’est pas un hasard s’il met l’accent sur leur excellente mémoire. Il suggère
qu’ils n’oublient rien donc ce sont des personnes à part entière que l’on doit
traiter avec humanité, car eux-mêmes sont on ne peut plus conviviaux.

Nous avons vu à travers ce texte qu’une véritable rencontre a eu lieu entre


Jean de Léry et les Tupinambas, une rencontre marquée par le partage, le désir
de communiquer et la bonne humeur de part et d’autre. Le comportement de
Jean de Léry fait malheureusement figure d’exception. En effet tant de
conquistadors et d’explorateurs sont venus avant et après lui dans de mauvaises
intentions, guidés par la seule soif de l’or et pour réduire ces peuples à
l’esclavage.

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