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INTRODUCTION

Succéder à quelqu’un qui arrive en fin de mandat, de carrière ou de vie semble à


priori et en théorie un processus normal. Certaines institutions ont même mis en
place des mécanismes et des procédures permettant d’assurer des transitions ou
des successions apaisées et régulières. Et pourtant la façon plutôt tumultueuse
dont la réalité est vécue dans toutes les aires géographiques et culturelles de nos
sociétés contemporaines est vraiment déconcertante. Si les causes de ces échecs
de succession sont identifiables, les conséquences en revanche sont imprévisibles
et globalement désastreuses.

Certains gouvernants absolutisent les responsabilités somme toute temporaires


qu’ils sont appelés à assumer. Ils développent le complexe du messie ou de
l’homme providentiel, irremplaçable et immortel. Plus aptes à conquérir et à
conserver les postes et si peu enthousiastes à les quitter. Ils réussissent leur entrée
et presque toujours ratent leur sortie.

Certains d’entre eux se résolvent à admettre la succession, mais au mépris des


règles naturelles, conventionnelles ou institutionnelles. Voulant subsister après
eux-mêmes, ils n’hésitent pas à préparer des dauphins à leur image et à leur
convenance. La succession pour d’autres reste un sujet tabou et du déluge qui
pourrait survenir après eux, ils n’en ont cure.

Les conséquences sont palpables à tous les niveaux. Un simple regard sur nous et
autour de nous permet de voir qu’un grand nombre de pays africains (surtout
francophones) connaissent peu ou pas de succession. En un mot c’est loin d’être
des expériences heureuses. Même dans des nations dites démocratiques, quelques
fois la machine s’emballe et on peut avoir le spectacle désolant d’un Bush qui
succède à Clinton ou un Trump succédant à Obama. À une échelle plus réduite,
nombreuses sont les familles aujourd’hui à tout jamais divisées suite aux
problèmes de succession. Et dans bien d’autres pans de la société, les exemples
sont innombrables où les passages de témoins ont été chaotiques. L’Église « cité
de Dieu » cependant composée des hommes, n’est pas à l’abri des affres de ce
problème qui affecte la société entière.

1
Quel éclairage peuvent apporter les Saintes Écritures à cette réflexion nécessaire
sur la succession ? D’abord elles présentent des cas aussi abondants que variés,
certains exemplaires, d’autres peu édifiants mais créant à chaque fois cet effet
miroir où le lecteur est invité à reproduire, avec des adaptations nécessaires ce
qu’ont réussi ses congénères ainsi qu’à découvrir ce qui, en lui et dans sa société,
est perfectible. D’Abraham à sa progéniture, de Moise á Josué, de Saül à David,
d’Elie à Élisée, de Zacharie à Jean le Baptiste, de Jésus à ses Apôtres et des
Apôtres à leurs disciples, la succession est un problème de partout et de toujours.
La présente contribution se propose de montrer avec une certaine rigueur
intellectuelle, la pertinence et l’actualité d’un tel sujet.

Pour mener à bien cette entreprise, la présente publication, synthèse d’un colloque
sur le phénomène de la succession aura une ossature bipartite : La première partie
consistera à examiner en profondeur la question de la succession dans l’Ancien
Testament. Ainsi nous partirons de l’examen du problème de la succession dans
les familles patriarcales de la Genèse et nous déboucherons sur la succession dans
le prophétisme en passant par le passage de relais de Moise à Josué et de Saül à
David.

La deuxième grande partie de notre investigation portera sur la succession dans le


Nouveau Testament. Ainsi, après un bref détour sur la succession dans les
communautés intertestamentaires, cette seconde partie s’attardera d’une part sur
la succession de Zacharie à Jean le Baptiste à celle de Paul à ses disciples en
passant par le passage du témoin de Jésus à ses Apôtres. De la sorte la conclusion
à cette publication apparaîtra comme l’aboutissement normal à une démarche.

Dr Jean Parfait NTSAMA

2
LA DEVOLUTION DU POUVOIR OU LA QUESTION DE LA
SUCCESSION DANS LE LIVRE DE LA GENESE : UNE LECTURE
ANALYTIQUE DE Gn 27,1-45.
Pr Emmanuel LEMANA
Introduction
Le phénomène de la succession inhérent à l’histoire et au fonctionnement des
peuples et des institutions s’insère dans le langage juridique et s’articule donc
avec le droit et les coutumes qui, au fil du temps, imposent des manières de faire
ou les traditions des familles et des peuples comme force de loi. La succession
naturelle des générations conduit les sociétés, les familles à mettre en œuvre des
mécanismes bien définis où les pouvoirs et autres legs se reçoivent sans heurts,
sans bouleversements susceptibles de conduire à des déconstructions des sociétés
et des institutions. Il est question du passage soit du patrimoine matériel d’une
part, soit de la transmission d’une bénédiction d’autre part. Ce qui, dans un cas
comme dans l’autre, relate toujours dans le livre de la Genèse une passation de
pouvoir entre deux générations, l’une ascendante, celle qui quitte la scène et
l’autre descendante, celle qui hérite et entre naturellement en scène. La présente
contribution a pour objet d’étude la question de la succession chez les patriarches
que le livre de la Genèse abrite d’un bout à l’autre de sa narration.

Du point de vue de la forme, le livre de la Genèse qui est la porte d’entrée de la


Bible hébraïque fédère quatre cycles de narrations à la fois indépendants et
entretenant des affinités littéraires et une continuité théologique évidente. Les
différents cycles mis en scène pour rapporter l’histoire des patriarches mettent
successivement en scène : les commencements du monde, de l’homme, de
l’humanité et les timides débuts de la constitution d’Israël comme Peuple. Puis se
succèdent trois autres cycles ou histoires directement rattachés au nom de chacun
des grands patriarches : Abraham, Jacob et Joseph. En chacun de ces cycles se
succèdent de sombres histoires de jalousies familiales qui achèvent le plus
souvent le fil de leur intrigue dans le meurtre, le fratricide. Ce sont le plus souvent
le frère au singulier ou les frères au pluriel qui mettent fin à la vie de l’un des
leurs. Si tous ces cycles en général posent la question de l’espace matériel et
affectif des descendants d’un patriarche dans le cœur de leur père, celle qui répond
au mieux à la question de la succession pour cadrer avec le thème de notre
colloque est celle de Jacob et Esaü. C’est la question de la promesse, chaque fois

3
réitérée à chaque patriarche qui constitue le nœud de la question de la succession.
Il faut tout de suite dire que la promesse dont hérite, à chaque fois, le fils aîné doit
toujours échoir à une seule personne dans la rigueur de la sélection de l’un,
habituellement l’aîné, au détriment de l’autre ou des autres, les cadets. Cela veut
dire que l’un est bénéficiaire et l’autre se considère comme lésé par le processus
de succession. Toute la question consiste donc à savoir dans quelle perspective il
faut examiner le conflit Jacob/Esaü (Gn 27,1-42) qui est le texte-support de notre
contribution à ce colloque.

Je propose un cheminement avec trois étapes à parcourir. Tout d’abord les


narrations de la Genèse et les problèmes littéraires en lien avec la question de la
succession chez les patriarches (I). Ensuite nous prendrons un texte-type de conflit
de succession ou de transmission d’une promesse et d’une bénédiction (II) et enfin
nous tirerons les conséquences sur le plan théologique (III).

1. Les narrations et les problèmes littéraires posés en lien avec la


succession
Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, sur le plan de la lecture diachronique des cycles
du livre de la Genèse, sont les quatre personnages les plus représentatifs des récits
patriarcaux. Ils possèdent chacun un espace narratif. Celui d’Isaac, à l’analyse, est
le moins bien défini par rapport aux trois autres figures. Tout se passe en réalité
comme s’il n’était que le chaînon généalogique qui permet de transmettre la vie à
deux frères jumeaux Jacob et Esaü dont il est le père. Contrairement à ce qui se
passe pour les autres patriarches, il n’existe pas la formule toledot qui inaugure
les généalogies avec Abraham pour introduire l’histoire d’Isaac. L’histoire
d’Isaac est donc incorporée dans celle de Jacob en réalité.

Dans les trois grandes sections narratives du livre de la Genèse, le lecteur fait
immédiatement face à des relations familiales. Abraham est le père d’Isaac, Isaac
est le père d’Esaü et Jacob et Jacob est le père de Joseph et ses frères. Mais le
point central où se focalise l’attention diffère. Dans l’histoire d’Abraham (Gn
11,27-25,18) ce sont les relations père/fils qui prédominent dans une forme de
structure verticale tandis que dans l’histoire de Jacob, le déploiement de l’intrigue
met davantage en exergue les relations entre frères dans une forme de structure
plutôt horizontale. C’est plutôt donc à ce niveau qu’il est possible de poser la
question de la succession puisqu’elle met toujours en scène des frères qui, sur le
plan linéaire, appartiennent à une même génération. Ils ont les mêmes parents le

4
plus souvent. Les questions de succession n’opposent pas Abraham à Isaac son
fils, mais c’est Ismaël et Isaac qui s’opposent face à la promesse. Dans le même
ordre d’idées, Isaac, le père, n’est pas opposé à son fils premier-né (qui porte le
nom de becor en hébreu) encore moins à son plus jeune fils dans la circonstance,
mais ce sont les deux frères, Jacob et Esaü, qui s’affrontent dans une sorte de
rivalité fratricide en quelque sorte qui semble rappeler celle de Caïn et Abel où
une relation fraternelle ordinaire qui devrait aller de soi sombre et achève son
parcours dans le fratricide. Pour achever l’analyse de cette perspective où le
conflit fraternel est plus horizontal que vertical, il y a encore lieu de dire que Jacob
n’a pas pour adversaire les douze fils dans le cycle de Jacob qui s’étend de Gn
37,2 à 50,26, c’est plutôt Joseph qui est vendu en Egypte par ses frères qui
contrarient ainsi un amour de prédilection sur l’un des leurs.

Pris donc dans leur ensemble, les différentes sections narratives du livre de la
Genèse présentent l’histoire d’une seule et même familles, étendue sur quatre
patriarches, et donc de fait constituée de quatre générations successives destinées
à devenir un peuple nombreux1 (Gn 50,20). Si la famille occupe le premier plan
dans cette belle construction littéraire et théologique, il faut reconnaître que c’est
la destinée de tout un peuple qui devient l’enjeu de ces récits comme on pourrait
déjà, sans anticiper les conclusions, dire que les querelles de successions ne
mettent pas simplement en avant des individus assoiffés de pouvoir ou des
querelles familiales se disputant ou se déchirant autour d’un butin à partager ou
s’emparer de façon exclusive par appétit ou goût du pouvoir, ce sont des masses,
un peuple qui, comme toujours voient leur avenir sacrifié et compromis autour
des batailles et des conflits dont on aurait pu ou dont on peut faire l’économie.
Les récits des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph construisent donc des
signes identitaires de la famille des patriarches en particulier et de tout le peuple
d’Israël dans son ensemble. Ce sont là des conclusions et synthèses d’une analyse
qui s’est voulue synchronique, c’est-à-dire qui ne tienne pas en compte les
éléments historiques dont l’âge par exemple des traditions et des incohérences
narratives qui les accompagnent.
Mais disons maintenant dans cette perspective diachronique que le travail de
fédération des traditions établi par les rédacteurs finaux du livre de la Genèse sur

1
Cf. Garcia Lopez, F., Comment lire le Pentateuque, Coll. « Le Monde de la Bible n°53), traduit
de l’espagnol par Corinne Lanoir, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 94.

5
les patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, articule trois thèmes qui, à n’en
pas douter, vont constituer les pommes de discorde ou les éléments
conflictogènes générateurs des violences susceptibles de compromettre l’avenir
d’Israël. Ces éléments sont : la promesse, la bénédiction et le droit d’aînesse. On
fera également remarquer que ces motifs, sur le plan de la critique de la tradition
constituent des enjeux majeurs, comme nous l’avons déjà souligné, qui seront à
la base d’un malentendu dont l’exacerbation conduira souvent à l’issue fatale des
membres d’une même famille ou tout au moins à installer un climat de suspicion
entre eux. Examinons-les succinctement et successivement.

La promesse : La promesse divine, comme l’écrit Jean-Pierre Sonnet, fait son


entrée dans l’interlocution divine avec Noé et c’est dans le cycle d’Abraham
qu’elle donne toute sa mesure.2 La promesse faite à Abraham en Gn 12,1-3
prenant le dessus sur celle qui est faite à Noé prend une valeur plus forte par
rapport à l’avenir d’une nation parce qu’elle embrasse toute l’histoire future d’un
peuple :

Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père et va vers un pays que je
t’indiquerai. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand
ton nom. Sois une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux
qui te maudiront. En toi seront bénies toutes les familles de la terre »

Sur le plan synchronique, une fois de plus, la promesse est l’un des thèmes qui
concourt à l’unité des différents cycles de récits. Mais sur la plan diachronique,
on peut mentionner une triple promesse faite par Dieu (Gn 12,1-9 ; Gn 15,1-7 et
Gn 17,1-8), puis l’obéissance d’Abraham à la Parole de Dieu et
l’accomplissement de la promesse mettent en exergue des éléments déterminants.
Ce qui est le plus important c’est qu’Abraham est sans postérité à un âge avancé.
Ce qui est évident dans la thématique de la promesse, c’est qu’elle introduit déjà
un conflit dont les mères, Sarah et Agar portent une part importante de la
responsabilité. Entre les deux fils d’Abraham, Ismaël et Isaac, c’est plutôt Isaac
plus jeune qu’Ismaël qui est appelé à hériter de la promesse.

A chaque patriarche, la promesse est comme réitérée. Elle est aussi, après
Abraham, adressée à Isaac : « A toi et à ta descendance, je donnerai ces terres et

2
Cf. Sonnet, J.-P., « Dieu et son Christ comme êtres de promesse », dans Nouvelle Revue
Théologique, 136 (2014/3), p. 358.

6
je tiendrai le serment que j’ai juré à ton père Abraham. » (Gn 26, 3-5). Le même
renouvellement de la promesse est fait en faveur de Jacob (Gn 28,13-15 ; 35,11-
12). Les promesses divines vont constituer un enjeu à partir du moment où, en
suivant leur articulation avec les généalogies, elles vont procéder à des
sélections3, donc à des éliminations qui mettent en avant quelques préférences :
Isaac face à Ismaël, Jacob face à Esaü et Joseph face à ses frères.

La bénédiction : Elle aussi est un objet de lutte entre les frères. La bénédiction
d’un père mourant à ses fils est un genre littéraire assez courant dans l’Ancien
Testament. Un homme qui meurt transmet donc sa bénédiction comme son
testament. Il s’agit de la transmission de la force vitale de quelqu’un qui meurt à
un proche, si possible à un fils. Cette puissance de vie n’est, en somme, que le
dernier acte de paternité d’un père transmettant, au moment de mourir toute sa vie
à la génération suivante. Il s’agit là d’une transmission-tradition
indissociablement corporelle et spirituelle, qui se traduit en termes de fécondité,
de richesse, et plus généralement de destinée. Pour les patriarches, il est
indispensable qu’ils aient une descendance pour recueillir cette force
vitale puisque, pour eux, tout prend fin à la mort. La bénédiction fait partie de
l’héritage dans le droit coutumier du Proche-Orient4. Elle a souvent un caractère
rituel. Ce rituel de bénédiction presque magique transparaît dans le trouble d’Isaac
quand il découvre qu’il y a une supercherie dans la transmission de la bénédiction
indue qu’il donne à Jacob et il reconnaît qu’il ne peut plus rien changer à ce qu’il
a accordé au cadet Jacob : « Je l’ai béni et béni il sera » Gn 27,33. Avant de
prononcer les paroles de bénédictions, plusieurs rites sont exécutés :
- l’appel du père,
- l’identification de celui qui va être béni,
- l’approche du fils
- et la bénédiction enfin du père.

3
Cf. Rénaud, B., « Les généalogies et la structure de l’histoire sacerdotale dans le livre de la
Genèse » dans Revue Biblique 97-1 (1990), pp. 5-30.
4
Cf. Marchadour, A., Genèse, Commentaire pastoral, Paris, Bayard/Centurion, 1999, p. 200.

7
Des ruses, comme en Gn 27 sont souvent susceptibles de provoquer des
dénouements différents. A ce niveau également, le processus de sélection et
d’élimination peut être à la base des conflits mortels.

Le droit d’aînesse : Selon la loi patriarcale, relatée en Gn 25,31-34 le premier-né


reçoit toujours un droit d’aînesse, un droit qui comprenait quelques avantages
notamment l’autorité sur tous ses autres frères et une double part dans l’héritage
paternel. Dans le cas des jumeaux comme le relate le cycle de Jacob, c’est Esaü
le premier-né qui disposait tout naturellement du droit de primogéniture. Il est au
contraire supplanté par son frère Jacob.

2. Genèse 27, 1-40 comme archétype des querelles de succession des


récits patriarcaux
Le chapitre 27 reprend en réalité plusieurs thèmes de Gn 25 de façon plus
développée et théâtralisée : rivalité entre deux frères, supériorité du plus jeune sur
son grand frère, le chasseur velu, Esaü, préféré par son père et l’autre Jacob, resté
près des tentes, préféré par sa mère. L’oracle de Gn 25,23 est confirmé : le plus
jeune prend la place de son aîné. Mais durant cet épisode, les deux frères ne sont
jamais en présence l’un de l’autre. Ils sont élus, chacun, par un parent comme il
arrive souvent que des entourages œuvrent dans l’ombre pour le bénéfice d’un
tiers. La géométrie du récit est marquée par la relation verticale de chaque parent
pour un fils au détriment de l’autre. Jacob, le père, préfère Esaü le fils aîné et c’est
le droit de la primogéniture, comme nous l’avons déjà fait remarquer. La mère
Rebecca, quant à elle, préfère Jacob, le fils cadet qui n’est pas disposé par le droit
à recevoir ce qu’il va en quelque sorte arracher indûment à son frère aîné. Ce qui
est susceptible de provoquer une violence engendrée par la frustration.

Les frères Esaü et Jacob sont appelés l’un et l’autre à jouer un rôle dans une mise
en scène par des parents qui apparaissent tous deux soutenus par une parole
divine. Gn 26,23-24 pour Isaac : « Yahvé lui apparut cette nuit-là et lui dit : Ne
crains pas car je suis avec toi. Je bénirai et multiplierai ta postérité en
considération de mon serviteur Abraham » et pour Rébecca, Yahvé lui dit en Gn
25,23 : « Il y a deux nations en ton sein, deux peuples issus de toi se sépareront,
un peuple dominera sur un peuple, l’aîné servira le cadet ». Les agissements de
chacun des parents apparaissent donc, malgré tout comme légitimes. La géométrie

8
du récit est donc dominée par deux éléments complexes. Il s’agit d’abord de la
relation verticale de chaque parent avec son « fils », le préféré, comme le dit tout
crûment Gn25,28a « Rébecca préférait Jacob ». Le texte souligne ces favoritismes
affrontés à l’aide des possessifs révélateurs aux vv. 5,8,11,21-27, mon âme, mon
fils, mon frère, mon père, etc. C’est une position qui privilégie absolument l’élu
du père et celui de la mère. La bénédiction que le père réserve à son aîné prive
l’autre frère, en fait tout autre frère possible, de sa part de bonheur et de bien-être.
La servitude est donc ce qui l’attend jusqu’aux gestes d’adoration5.

Ce long passage du livre de la Genèse, au-delà des autres passages parallèles


évoqués peut, à juste titre, être considéré comme un texte paradigmatique en
matière de succession dans les récits patriarcaux. Le lecteur du cycle de Jacob
peut cependant être frappé par le fait que la rivalité qui oppose les frères jumeaux
Esaü et Jacob n’est pas nouvelle dans la péricope appelée à juste titre « la
bénédiction usurpée ». Les deux sont déjà en conflit dès le sein maternel au début
déjà de l’histoire de Jacob (Gn 25,23-24). Une autre tradition situe le conflit entre
les deux frères dans la légèreté d’Esaü qui porte lui-même la responsabilité
d’avoir vendu son droit d’aînesse. La solution à cette question diachronique se
situe simplement dans le travail de composition et de rédaction finale à partir
desquelles il est possible de dire que plusieurs traditions primitivement
indépendantes ont été fusionnées pour mettre en évidence une finalité théologique
unique, malgré la diversité des matériaux utilisés. On retrouve davantage Jacob,
sur le plan de son itinéraire géographique, dans les localités du Nord comme
Béthel, Penouel, Harran et tant d’autres alors que les itinéraires d’Abraham sont
repérables au Sud à Beershéva.

Le contenu peut être simplement synthétisé dans le rôle des personnages et


l’examen du champ lexical du texte. Le texte met en scène deux parents d’une
part, Isaac, le père, et Rébecca, la mère ; et d’autre part deux fils, frères jumeaux,
Esaü qui, étant l’aîné, doit coutumièrement bénéficier du droit de primogéniture
face à son frère Jacob. L’examen de la péricope en quelques phases de narration :
l’exposition, le nouement/complication et le dénouement nous montrent la mise
en œuvre et le stratagème élaborés par la mère Rébecca pour aider son fils préféré
Jacob à orienter plutôt vers lui le droit de primogéniture qui devait normalement

5
Cf. Smyth, F., « Gn 27,1-40 : Lecture » in ; Jean-Daniel Macchi et Thomas Römer (éd.), Jacob.
Commentaire à plusieurs voix de Gn 25-36. Mélanges offerts à Albert de Pury, Coll. « Le Monde
de La Bible, n°44», Genève, Labor et Fides, p. 66.

9
échoir à son frère Esaü. C’est par ailleurs le champ lexical qui nous permet de
comprendre pourquoi le stratagème mis en place par Rébecca aboutit selon le plan
prévu. La raison est toute simple et elle est donnée dans le texte : « Isaac, le
médiateur de la bénédiction, était devenu vieux et ses yeux avaient faibli » (v.1).

Dans le déploiement de l’intrigue du récit et l’analyse du champ lexical du texte


et même de l’ensemble du cycle de Jacob, tout se passe en réalité comme si nous
étions devant un extraordinaire parcours de combattant6. Le personnage n’a pas
le souci de justifier sa moralité dans les conflits qui l’opposent à son frère Esaü
ou à son oncle Laban7. Il faut atteindre son but à tout prix. Dans la recherche de
ce qu’il désire, Jacob se soucie peu des effets que produira son acte de filouterie.
Quelle que soit, en fin de compte, la destinée qui sera la sienne, il n’en restera pas
moins que le point de départ de sa prospérité matérielle et de sa destinée spirituelle
seront marquées par des actes de tricherie moralement scandaleux. Peut-on par
conséquent tirer la conclusion qu’à la base de certaines grandes destinées
politiques, économiques, spirituelles, etc., il est possible que la tricherie, la
fourberie et intrigues diverses soient les déclics qui font prendre l’envol ?

3. Conséquences et lecture théologique du conflit Jacob/Esaü


Le récit de Gn 27,1-40 est très construit et son insertion au cœur de toute l’histoire
de Jacob est capable de nous livrer quelques conclusions théologiques qui
découlent d’une double lecture synchronique et diachronique. Il y a autant de
versets pour expliquer la ruse mise en œuvre par Jacob et sa mère ((vv. 6-13) que
pour la réaliser (vv. 14-27). La bénédiction obtenue par Jacob comporte un certain
nombre de bénéfices matériel et spirituel : la fertilité au v. 28, eau, terre,
abondance de blé, et de vin. On peut, en outre mentionner la sujétion des autres
peuples au v.29, où l’on retrouve les verbes « servir » avad et « se prosterner »
shachah « Que les peuples te servent et que les populations se prosternent devant
toi ».

La bénédiction est donc le fil conducteur du chap.27 et de l’ensemble du conflit


entre Jacob et Esaü. Après avoir cédé son droit d’aînesse (sa bekhorah), ce dernier

6
Cf. Lanoir, C., Jacob, l’autre ancêtre, Cahiers Evangile 171, « Service biblique Evangile et Vie »,
Paris, Cerf, mars 2015.
7
Cf. Vermeylen, J., Quand le voleur est béni par Dieu. Une lecture de l’histoire de Jacob (Gn 25-
36), Bruxelles, (Publication ronéotypée).

10
se voit maintenant usurper sa bénédiction (berakhah) en Gn 27,3-5. La racine du
verbe bénir (baraq) rythme donc tout le chapitre 27 (vv. 4, 7,10, 19, 23, 25, 27,
29, 31, 33, 34, 35, 38 et 41) soit un total de 14 occurrences. Dans le chapitre
précédent, c’est-à-dire 26, on le rencontre déjà trois fois (aux vv. 3.12.24). Cette
bénédiction est une sorte d’objet : elle est très concrète et ne peut être reprise ou
réattribuée. Même si elle est usurpée, elle produit son efficacité. C’est le parti pris
maternel qui donne une légitimité à Jacob avec la possibilité d’être élu et béni. Ce
qui veut dire que le rôle des femmes dans des stratégies de prises de pouvoir et de
succession n’est pas à négliger. Ce rôle, souvent discret, reste cependant le plus
redoutable et le plus efficace. Le conflit de Jacob avec son frère est alors géré dans
une violence contenue et non grossière comme cela se passe dans les querelles ou
les guerres de succession. La violence contenue, organisée et civilisée rend
inefficace les pleurs et la colère sauvage d’Esaü soutenu par un père trompé, Isaac.
Celui-ci sait sans doute qu’il a transmis une sorte de royauté, dont la qualité
monarchique en monothéisme, exige la continuité dynastique. Voilà pourquoi,
dans la suite du cycle de Jacob, le narrateur nous montre comment cet ancêtre ne
s’insère que dans les traditions qui sont, une fois de plus, enracinées dans le
royaume du Nord. Au gué de Yabboq il ne sera plus Jacob mais Israël (Gn 32,29).
Bien plus que l’accomplissement d’une promesse, l’usurpation d’une bénédiction
et le sevrage d’un droit de primogéniture, c’est la royauté, une dynastie que Jacob
reçoit en héritage quelle que soit la manière. Comment assumer, pour la postérité,
cet ancêtre voleur, tricheur, mais vainqueur ? Ne faut-il pas lui préférer d’autres
modèles d’ancêtre plutôt vertueux ? Faut-il, en fin de compte, intégrer l’histoire
de Jacob dans la grande saga des patriarches qui va précéder le récit de la sortie
d’Egypte et de la naissance du peuple d’Israël ? Telle sont les questions qui
traversent les consciences des générations des fils d’Israël et des lecteurs de la
Bible.

Ce que le narrateur omniscient mais habile théologien veut nous dire, c’est que
chaque pouvoir qui se reçoit ou se transmet comporte un arrière-plan pas toujours
limpide. La victoire est souvent, mais heureusement pas toujours, teintée de vol,
de tricherie et d’obscurité. Le débat arrive cependant jusqu’à nous qui relisons
encore ce parcours du patriarche et qui engageons l’avenir des peuples comme
Jacob avec Israël et tentons d’entrer en dialogue avec cet héritage. Voilà un
exemple typique de problème permanent, interne aux textes bibliques et
notamment aux traditions patriarcales du livre de la Genèse.

11
Succession confirmée de Jacob et gestion post-conflit
Les débuts du chap. 27, notamment les vv. 1-4 et les vv. 16-26, ont montré
comment Jacob, par la ruse, a violé le droit de primogéniture d’Esaü. Ce qui a
conduit à un conflit fraternel aigu qui intègre l’histoire des deux frères dans le
cadre global de l’ensemble du livre de la Genèse envisagé, à cet effet, comme une
réflexion narrative sur la fraternité ; une fraternité presque toujours houleuse :
Caïn tue son frère Abel en Gn 4,1-16 ; Isaac et Ismaël ont des relations
tumultueuses. Et dans le cycle de Joseph (Gn 37,2-50,26) les fils de Jacob ont un
côté jaloux face à leur frère Joseph, sentiment sans doute causé par l’amour
préférentiel de leur père commun Jacob vis-à-vis de Joseph. Dans l’ordre des
cycles narratifs l’histoire de Jacob et Esaü qui, chronologiquement est l’avant-
dernier cycle des narrations du livre de la Genèse, est à lire dans la même
perspective des relations fraternelles habitées par les conflits. Fallait-il que
l’histoire de Jacob et d’Esaü s’achève mal à cause d’une question de substitution
du droit de primogéniture ?

Le récit de Gn 33,1-17 fait partie intégrante des récits qui se penchent sur la
conclusion du conflit entre Jacob et Esaü. C’est un récit qui raconte des
retrouvailles tout à fait cordiales et pleines de courtoisie entre Jacob et Esaü, les
deux frères que le conflit de succession de leur père a opposés8. Les séquences
narratives de Gn 25-27 retracent l’aspect d’un conflit aussi agressif que passionné
au sujet du droit de primogéniture. C’est ce qui, inéluctablement, a séparé Jacob
et Esaü et qui est cause de la fuite du premier chez son oncle Laban (Gn 27,41-45
et 27-29). Le lecteur s’attendrait normalement à ce que le retour de Jacob sur la
terre de l’usurpation en Canaan ne soit possible et ne se fasse qu’après la
réparation du tort causé par l’un des frères à l’autre, lésé. Au-delà des différentes
préparations qui font partie de la narration et de l’histoire tout entière, un fait est
palpable. Jacob s’est préparé à un conflit, à une guerre. Mais rien ne se passera
comme prévu. L’humilité et la soumission vont caractériser l’attitude de Jacob
qui va vers son frère Esaü, qui lui aussi, l’accueille avec bonté. Les deux frères
s’embrassent et se réconcilient. On aurait ainsi tort de ne voir dans l’histoire de
Jacob et Esaü que la spoliation par le rusé du droit de primogéniture ou de
succession. C’est vrai que Jacob a volé la bénédiction et que cette tradition portée

8
Cf. Ngangura-Manyanya, L., « Jacob a gagné toute la bénédiction, Esaü n’a rien perdu », Etude
Théologiques et Religieuses 85, 2014/4, p.479.

12
par le prophète Osée 12, 1-15 renforce la conviction qu’il ne se comporta pas
correctement, mais faut-il en rester là ? La réconciliation opérée en Gn 33,1-17 se
passe dans un climat convivial et le pire peut être évité. La rencontre entre Jacob
et Esaü, pressentie au départ comme une confrontation entre les deux frères
ennemis et rivaux, se déroule dans la concorde et la séparation.9 La rencontre des
deux frères est magnifique, car elle inverse les rôles issus du vol de la bénédiction.
Jacob, le successeur et l’héritier tricheur, arrive devant Esaü, son frère lésé, en se
prosternant devant lui, comme un homme ordinaire le ferait devant un monarque.
Mais Esaü, après une longue période que le narrateur évalue à vingt ans, se jette
sur le coup de son frère et leurs larmes communes signent en fait la réconciliation.
Jacob dépose les armes de la rivalité fraternelle en offrant à son frère la
bénédiction qu’il lui avait prise indûment (Gn 33,11). Chacun des deux frères peut
enfin trouver sa juste place, et une relation plus juste et fraternelle peut, en fin de
compte, s’instaurer.10 L’inversion annoncée entre les deux frères d’abord rivaux
puis réconciliés est maintenant dépassée. La mort d’Isaac, le père dupé, n’aura
pas pour conséquence la vengeance d’Esaü, le véritable légataire testamentaire
(Gn 27,42). La disparition du père Isaac, au contraire, rassemblera, une fois de
plus les deux frères dans une même affection fraternelle et un même lien filial11.
La fin du cycle de Jacob achève le conflit Esaü/Jacob par une belle synthèse très
suggestive : « Isaac mourut. Esaü et Jacob, ses fils l’ensevelirent » (Gn 35, 29).
Quel message peut-on, sur le plan théologique, tirer de ce conflit Jacob et Esaü
par rapport à la question de la succession ?

La question de la succession ou mieux de la dévolution du pouvoir, en général,


est toujours marquée par la ruse, la duperie et le rapt le plus souvent empreints
d’une violence où quelques-uns sont toujours sacrifiés au détriment des autres.
Tout semble indiquer que le pouvoir se prend difficilement dans le respect du
droit. Dans le cas de Jacob et Esaü, nous l’avons longuement démontré, le droit,
la règle, c’est la primogéniture. La prise de la bénédiction par la ruse est
symboliquement une usurpation violente qui ne s’occupe pas de la destinée et
surtout de la réaction violente que pourrait avoir le frère victime de la ruse, Esaü.
La fuite de Jacob, par crainte de représailles, est d’ailleurs significative à cet effet.
Au-delà des questions de personnes, c’est la question de la survie des clans et

9
Cf. Ibid.
10
Cf. Escaffre, C., « Jacob et Esaü, le long combat de la fraternité dans le livre de la Genèse »,
Initiales n°242, p.24.
11
Cf. Ibid.

13
même des nations qui est en jeu. Le début de l’histoire de Jacob montre qu’il faut
dépasser le conflit personnel Jacob /Esaü pour voir qu’il s’agit de deux nations,
Jacob représente Israël et Esaü représente Edom.

La fin du l’histoire de Jacob, marquée par la réconciliation obtenue avec son frère
est, à juste titre, l’heureux dénouement qui souligne un aspect important que le
narrateur veut nous faire tenir devant les yeux : la prise du pouvoir dans la famille,
le clan, et la nation est certes marquée par le péché de la ruse, de la tricherie qui
habite l’humain, mais ce qui importe, c’est sa survie et sa pérennité qui doivent
résister à la violence parfois sanglante qui l’habite. La dispute disperse et menace
l’avenir d’une part et la réconciliation rassemble, sauve et garantit l’avenir de
l’espèce et de la nation.

Un des enjeux théologiques posés par la question de la dévolution du pouvoir dans


le livre de la Genèse ou de la succession tout simplement est la question de la
gestion de la violence. Les dévolutions de pouvoir et les problèmes de succession
se font rarement de façon pacifique. L’homme de la Bible n’est pas un surhomme.
Il reste un homme ordinaire habité par un esprit de grandeur et de noblesse, mais
il est également marqué par le péché et la capacité de nuisance, recourant à la
violence pour résoudre les problèmes ou même les créer. Dans cette perspective,
la violence est une menace à la survie des sociétés ou des clans comme celui du
patriarche Isaac dont les deux fils Esaü et Jacob peuvent prendre la suite. Il faut
cependant se heurter à une évidence. Il y a ici, pour prendre la suite du père Isaac,
une seule place pour deux personnes. Et si la paix ne peut pas régir l’occupation
de cette place, la violence devient le seul moyen naturel pour l’occuper. Les
générations se succèdent et les continuités dans la gouvernance des peuples et des
clans doivent s’opérer dans l’ordre et non dans l’anarchie. La révélation biblique
n’esquive pas la question. La violence se caractérise comme un affrontement entre
deux puissances ou comme une lutte qui oppose des personnes ou des groupes
rivaux. Et la violence, comme abus de la force, détruit la vie qui est la valeur sans
égale, don de Dieu lui-même. Par une sorte de ruse ou de violence symbolique,
Jacob s’emparera du pouvoir. Mais notre récit de Gn 27,1-40, sur le plan
synchronique, se situe au début du long cycle de l’histoire de Jacob, elle-même
très longue. Une leçon plus surprenante doit être néanmoins tirée de l’ensemble
du cycle de Jacob (Gn 25-36). Jacob-Israël et son frère jumeau Esaü vont se
réconcilier. Mais paradoxalement ils vont se séparer et vivre sans craindre l’autre.

14
L’unité fraternelle repose sur une règle comme la séparation.12Il n’est pas possible
de vivre ensemble sans édicter des règles qui instaurent la paix et éloignent autant
que possible la violence. C’est aussi la règle quand il s’agit de la dévolution du
pouvoir ou de la succession.

Conclusion
La succession dans les familles patriarcales est posée dans trois des quatre cycles
du livre de la Genèse. Là où le problème, tel qu’il est libellé par notre colloque,
pourrait se poser avec acuité, c’est dans le cycle ou histoire de Jacob. Quelques
mots-clés et mots-crochets pourraient nous aider à structurer cette histoire de
Jacob et même d’autres : un ou plusieurs héritiers ; la question de l’espace au cœur
de la tribu ou de la communauté. Cet espace peut être matériel ou affectif. Il est
matériel lorsque par exemple Abraham et son neveu Lot sont appelés à résoudre
la question des pâturages entre les gardiens de leurs troupeaux (Gn 13). La
solution sera trouvée dans la décision de se séparer pour vivre uni. L’espace est
affectif lorsque des enfants ayant les mêmes parents se disputent l’amour de
prédilection dans le cœur de leurs parents.

Esaü et Jacob se partageront chacun un de leurs parents communs. Joseph, dans


le cycle qui lui est consacré sera vendu par ses frères pour le soustraire justement
à l’amour de prédilection de leur père commun, Jacob. D’autres mots qui
concentrent la lutte de probables héritiers ont pour noms et centres d’intérêt :
bénédiction, promesse, droit d’aînesse. Comment, dans tous les cas, articuler une
place affective ou matérielle avec un ou plusieurs concurrents ? C’est là tout
l’enjeu de la question de la succession dans les grandes traditions des patriarches.
D’où des luttes fratricides et des intrigues d’arrière-cour pour gagner les faveurs
de celles ou de ceux qui permettent de s’emparer de l’unique espace fermé et
disponible pour une seule personne. Dans tous les cas, les rivalités ont toujours
des conséquences durables et dommageables pour la survie de la famille, du clan
et de la nation. Bernard Renaud, dans un article que j’ai cité plus haut aggrave,
en quelque sorte la question, en parlant d’un processus de sélection exclusive à la
limite. Ce qui est vrai cependant, c’est que quel que soit l’espace à occuper : le

12
Cf. Rognon, F., « Bible et violence : Quelles dialectiques ? » dans Recherches de Sciences
Religieuses 103/4 (2015), p.514.

15
pouvoir à recevoir ou à transmettre en succession, il n’y aura toujours qu’une
place pour une personne. Ce qui importe, c’est la survie du groupe, du clan et de
la nation. Les institutions ont donc le devoir d’établir des règles qui soient
susceptibles d’être respectées de tous pour que subsistent la paix sociale et la
continuité de la tribu et du peuple.

16
DE MOÏSE A JOSUÉ, UNE HISTOIRE DE SUCCESSION SELON LE
PLAN DE DIEU
Dr Jean Paul ONDOUA
Naissance de Moïse
L’histoire de la naissance peu ordinaire de Moïse est racontée dans le livre de
l’Exode13. Le contexte de sa naissance est celui de la persécution des Hébreux
installés sur la terre d’Egypte et soumis à des travaux forcés par un nouveau roi
qui ne connaissait pas Joseph. Mais le peuple hébreu ne cessait de se multiplier et
de monter en puissance (Ex 1,9-12)14. Ainsi, pour freiner et anéantir l’élan de leur
croissance en vigueur, le Pharaon décida de faire tuer tous les nouveau-nés
garçons de leurs familles (Ex 1,16). Voilà pourquoi l’enfant né du couple Amram
et Yokévèd de la tribu de Lévi (Ex 6,20) sera jeté dans les eaux du Nil par peur
du Pharaon. Cependant, l’enfant sera sauvé des eaux dans une « corbeille » ou «
caisse », ‫תַ בֵֹ֣ו‬. Ce substantif est également utilisé en hébreu pour désigner l’arche
de Noé, elle est partiellement faite de roseaux et ensuite de bitume (Gn 6, 14 ; Ex
2, 3). Ainsi, au temps de Noé, la question posée est celle du prolongement de
l’humanité. Ici le peuple de Dieu est menacé dans sa survie. L’existence de son
futur sauveur ne tient qu’à un fil. Mais voici qu’il est le « premier sauvé »,
anticipant le salut de tout le peuple à travers les eaux15.

Cet enfant jeté dans les eaux n’a pas de nom. C’est la fille du Pharaon qui lui
donnera un nom ainsi qu’on le lit en Ex 2,10 : ‫וַוִֹ קְ ָ֤רא ְשמבֿ֙ מֹ שֶֶׁ֔ ה ַווֹ֕אֹ מֶ ר ִֹ ִּ֥כי ִֹמן־הַ ַ ַּ֖מיִֹ ם‬
‫יתהּו‬
ִֽ ִֹ ‫(מ ִֹש‬elle
ְ appela son nom « Moïse », parce que disait-elle, des eaux je l’ai tiré).
Le nom Moïse signifie donc « retirer, tirer des eaux ». Tiré des eaux, Moïse
grandira aussi dans une logique et un environnement particulier. Il est nourri au
lait maternel de sa propre mère juive mais éduqué au style royal égyptien (Ex 2,9-

13
Nous lisons cette histoire de façon claire dans le deuxième chapitre (Ex 2). Le narrateur, dans
un style relevé et bien pesé, ne fait pas l’économie des détails pour montrer comment en réalité
l’histoire est conduite de bout en bout par Dieu.
14
En posant en parallélisme sémantique les deux verbes ‫( רבה‬devenir grand en nombre) et ‫( פר ץ‬se
multiplier en fructifiant), l’auteur veut signifier une certaine mystique de la croissance et de la
puissance des Hébreux, indépendamment et nonobstant les outrages et persécutions subis des
Egyptiens.
15
Y. Saout, Le grand souffle de l’Exode, Paris, Fayard-Mame, 1977, 54.

17
10)16. Devenu homme, Moise semble se reconnaître et se retrouver en humanité
et en fraternité avec les Hébreux. C’est ainsi qu’il prendra le parti d’un Hébreu
molesté par un Egyptien ; il vengera la vie de son frère (Ex 2,11-12). Le texte
massorétique traduit « ַ‫ י ֵֵּּצֵ֣אאֶ ל־אֶ ֶׁ֔חיו‬: Moïse sortit vers ses frères ». Cette sortie est
un premier pas, une certaine « exode » déjà. De cette manière, l’auteur sacré
démontre la grandeur et la profondeur du lien maternel, en dépassement
substantiel socio affectif des convenances royales ponctuelles dans lesquelles a
grandi Moïse. Voilà ce qui motive Moïse à la reconnaissance engagée de ses
frères17. Et c’est justement l’engagement à défendre ses frères qui porte à la
trahison de Moïse et à sa fuite à Madian (Ex 2,15-22).

Vocation et mission de Moïse


La fuite de Moïse à Madian, selon l’esprit du texte, semble une aventure vers
l’inconnu. Le jeune Hébreu, élevé à la cour et selon les civilités et les diligences
royales garanties par la fille même du Pharaon, est forcé et obligé de s’exiler vers
une destination a priori inconnue. Il est traqué, voire poursuivi par celui qui a « la
plénitude » du pouvoir dans son territoire. La résistance n’est pas possible, au
risque de subir une mort infâme18.Contraint à l’exil, Moïse cheminera en solitaire
jusqu’au puits de Madian. Le poids de la solitude doublée de fatigue de l’exilé est
répertorié et répercuté dans l’expression : ‫( וַיִּ֥שֶ ב ַ ִֽעל־הַ בְ ִֽאר‬il s’assit au bord du
puits)19. L’histoire de la vocation et de la mission spéciale et spécifique de Moïse

16
Il n y’a pas de raison de douter que Moïse fut « instruit dans toute la sagesse des Égyptiens »,
comme le proclame Etienne dans les Actes des Apôtres (7,22). Ce ne fut sans doute pas comme
fils adoptif de la fille du pharaon, mais comme haut fonctionnaire. Pour accéder à ces postes de
fonctionnaires, hauts ou petits, il fallait apprendre l’écriture, le calcul, le dessin, l’histoire et la
géographie, la médecine, enfin les secrets de la magie où Moïse allait rivaliser avec les devins (Ex
7,8-12) : Cf. Y. Saout, Le grand souffle de l’Exode, 54.
17
C’est une rupture avec sa jeunesse égyptienne ; et l’égyptien mort et caché dans le sable anticipe
les Égyptiens morts qu’Israël dévisagera sur le rivage de la mer rouge (Ex 14, 30). Cf. Y. Saout,
Le Grand souffle de l’Exode, 55.
18
ebrev ud snes el tse’C‫( הרג‬tuer sans ménagement, sans hésitation et sans procès) qui est utilisé
par l’auteur pour décrire la réaction du Pharaon face à l’acte de Moïse.
19
Cette expression, dans le texte biblique, traduit souvent la fatigue, voire l’épuisement du pèlerin,
de celui qui est en marche vers une destination ou un accomplissement d’une mission ; le puits
étant un lieu et une source de rafraîchissement et de ressourcement physique et spirituel. C’est
aussi autour du puits que s’initient et se nouent les grandes rencontres, rencontres de partage de

18
commencera à partir de ce puits. La rencontre avec les filles de Jéthro et l’aide
qu’il leur accordera (Ex 2,18-19), signent avec acuité le nouement de l’histoire
vocationnelle et missionnaire de Moïse. Toutefois, la fuite de Moïse à Madian
marque la rupture avec le passé. Et le voici à nouveau sauveur par anticipation :
les verbes «‫ישַ ע‬: sauver » (Ex2, 17) et « ‫נצִֹ יר‬: délivrer » (Ex2, 19), décrivent
l’action de Moïse en faveur des filles de Jéthro alors que ces dernières le prennent
encore pour un Égyptien. Mais Moïse accentue la rupture avec l’Égypte en
s’intégrant au clan Madianite20.

C’est à partir de ce lieu d’exil que Jahvé se découvre à Moïse, l’appelle et lui
donne une mission. Alors qu’il se déploie dans la conduite et le soin du troupeau
de son désormais beau-père Jéthro, Moïse parvient au pied du Mont Horeb où
Dieu lui apparaît (Ex 3,1-5). La trame narrative de cette théophanie a pour
fonction théologique de montrer la proximité de Yahvé avec son peuple que la
misère en Egypte préoccupe. Il a écouté le cri du peuple (Ex 2,24) 21. Il descend
pour s’occuper de sa libération (Ex 2,23-25 ; 3,7-8). C’est donc la situation du
peuple d’Israël en Egypte qui est fondamentalement mise en exergue ici, Moïse
n’étant dans cette logique, que l’instrument de Dieu pour exécuter et réaliser le
plan de libération de ce peuple. A ce propos, la vocation et la mission de Moïse
n’ont de fondement et de sens qu’en rapport avec la situation d’esclavage du
peuple d’Israël en Egypte et sa libération en vertu de l’alliance conclue avec les
pères : ‫( וַיִֹ ז ָ֤ ְֹכר ֱא הִֹ יםֿ֙ אֶ ת־בְ ִֹר ֶׁ֔יתב אֶ ת־אַ בְ רהַּ֖ם אֶ ת־יִֹ צְ ִּ֥חק וְ ֶ ִֽאת־ ַיעֲקִֹֽ ב‬Dieu se souvint de
l’alliance avec Abraham, Isaac et Jacob, Ex 2,24). L’horizon théologique
fondamental et la finalité de ce plan de libération, concernent l’établissement du
peuple dans la terre de Canaan, celle que Dieu avait juré de donner en héritage à
leurs pères, une terre bonne et vaste où ruissellent le lait et le miel (Ex 3,8).

La mission de Moïse ne relève ni ne dépend d’une planification des instances


humaines. Elle est divine, tout comme sa vocation. Elle est commandée par Dieu.
La rencontre se présente comme une succession de dialogues entre Dieu et Moïse

vie, de conversion et d’engagement à une nouvelle vie (cf Gn 24,10-21 ; 29,2-10 ; Ex 2,15-17 ; Pr
5,15 ; Jn 4,7-9).
20
Cf. Y. Saout, Le Grand souffle de l’Exode, 55.
21
ebrev eL ‫ שמע‬utilisé dans ce verset montre que cette écoute n’est ni fictive ni relative ; c’est une
écoute attentive et mue de compassion qui finit par l’engagement de Dieu à descendre pour libérer
son peuple.

19
et de monologues de Yahvé. Moïse apparaît comme interlocuteur actif, tout en
laissant à Dieu la priorité absolue22. C’est le sens de l’impératif qal ‫ ה ַל‬qui
gouverne cette mission en Ex 3,10 :‫( לְ ֶׁ֔כה‬va !). La forme grammaticale de cet
impératif est curieuse. L’impératif de la deuxième personne du singulier se
termine par le ‫ ה‬paragogique directionnel. Construite de cette manière, cette forme
grammaticale indique que la mission de Moïse est bien ciblée et bien définie ; elle
a une direction incontournable dont on ne peut se détourner. Toute mission initiée
et commandée par Dieu doit être exécutée comme telle. L’homme ne doit et ne
peut ni s’en éloigner, ni l’altérer, encore moins la tronquer.

Par ailleurs, précédé de la particule adverbiale coordonnée ‫( וְ עַוָֹ֣ה‬et maintenant),


l’impératif ‫ לְ ֶׁ֔כה‬s’enrichit d’un sens coercitif d’urgence qui exige une réponse
immédiate de la part de Moïse. Ce dernier est envoyé en urgence chez Pharaon
pour faire sortir d’Egypte les fils d’Israël (Ex 3,10). De fait, la réponse de Moïse
en Ex 3,11 est immédiate. Elle est en forme interrogative. Du point de vue
grammatical, les réponses en forme interrogative peuvent traduire le doute, le
refus ou une mise au point23. Dans le cas précis, la réponse interrogative de Moïse
dénote la crainte, l’abaissement et l’anéantissement devant l’ampleur et l’urgence
de la mission : ‫אבציא אֶ ת־בְ נִּ֥י יִֹ ְשר ַּ֖אל ִֹמ ִֹמצְ ִֽריִֹ ם‬
ִ֛ ִֹ ‫( ִֹ ָֹ֣מי א ֶֹׁ֔נכִֹ י ִֹ ִּ֥כי א ַּ֖ל אֶ ל־צַ ְר ֹ֑ ֹעה וְ ִֹ ִּ֥כי‬qui suis-je,
moi, pour aller vers Pharaon et pour faire sortir les fils d’Israël d’Egypte ?). Deux
situations difficiles doivent être affrontées. D’abord se présenter devant Pharaon
et ensuite faire sortir les fils d’Israël de l’Egypte. D’où la crainte de Moïse si bien
exprimée par la question introspective directe : ‫( ִֹ ָֹ֣מי א ֶֹׁ֔נכִֹ י‬qui suis-je, moi ?) ; une
manière d’exprimer son indignité et son incapacité d’assumer une mission
pareille. La crainte de Moïse est très vite dissipée par les quatre rassurances de
Dieu :

• Sa présence permanente en Ex 3,12 : ‫ּי־אהְ י ֶָֹ֣ה עִֹ ֶׁ֔מכ‬


ִֽ ֶ ִֽ ִֹ (pas de doute, je
serai avec toi).
• La révélation de son divin nom en 3,14 :‫ֲשר ֶ ִֽאהְ י ֶֹ֑ה‬ ָֹ֣ ֶ ‫( ֶ ִֽאהְ יֶ ַּ֖ה א‬je serai qui
j’étais).

22
Cf C. Wiéner, Le livre de l’Exode, in Cahier Evangile 54, Paris, Cerf, 16.
23
Cf F. Crüsemann, « Rhetorische Fragen!? Eine Aufkündigung des Konsenses über Psalm 88:11-
13 und seine Bedeutung für das alttestamentliche Reden von Gott und Tod », in BibInt 11 (2003),
345-360.

20
• Le signe du bâton en 4,2 :‫( בְ י ֶ ֹ֑ד וַיַּ֖ אֹ מֶ ר מַ ֶ ִֽטהמַ ה־זֶ ָֹ֣הוַיּ֧ אֹ מֶ ר אלִ֛יו יְ הוַּ֖ה‬le
Seigneur lui dit : « c’est quoi dans la main ? Il répondit : « un bâton »).
• La compagnie d’aide d’Aaron en 4,1 :‫( ֿ֙ ַויאֹ מֶ רֿ֙ ֲהלֿ֙אֹ אַ ה ֲָ֤רןֹ א ִֹ ֿ֙חי ֿ֙ הַ ל ִֶֹׁ֔וי‬il
dit : « n’est-il pas là, ton frère Aaron, le lévite ?).

Ces quatre rassurances sont fondamentales dans la mission confiée à Moïse. Elles
accompagnent l’action prophétique et missionnaire de Moïse jusqu’à sa
disparition du haut du mont Nébo après avoir embrassé du regard la terre promise
de Canaan (Nb 27,12-23 ; Dt 34,1-12). Avant de mourir, Moïse nomma Josué
comme son successeur (Nb 27,15-22)24.

Vocation de Josué

La tradition biblique connaît au moins trois personnes portant le nom de Josué :


le fils de Nun (Nb 13,6) à qui est attribué le livre qui porte son nom ; le propriétaire
du champ de Betshémesh par lequel transite l’Arche de l’Alliance dont s’étaient
débarrassés les Philistins (1 S 6,14) ; le gouverneur de Jérusalem durant le règne
de Josias (2 R 23,8). La figure de Josué dont il est question dans cet article émerge
aux côtés de Moïse. Elle apparaît la première fois en Ex 17. Ici Josué est
collaborateur de Moïse et protagoniste de la bataille contre Amalek. Il est au
nombre des explorateurs que Moïse envoie à Canaan, et seul avec Caleb, il
soutient le point de vue de Moïse (Nb 13-14). Aussi Caleb et Josué seront-ils les
seuls de toute la génération sortie d’Egypte à pénétrer en terre promise (Nb 14,30-
38). En Ex 24,13 ; 32,17 et 33,11, il accompagne Moïse sur la montagne et il est
à ses côtés en présence de Yahvé dans la tente de la rencontre. Dans le livre des
Nombres, on le trouve comme jeune conseiller de Moïse (Nb 11,28). Il est
également nommé, avec le prêtre Eléazar, dans la distribution de la terre entre les
tribus (Nb 32 ; 34).

Averti qu’il n’entrera pas en terre promise, Moïse demande que Yahvé établisse
sur la communauté des fils d’Israël un homme qui les mène au combat et qui les
fasse sortir et rentrer (Nb 27,15-17). Yahvé répond militairement à Moïse : «
prends Josué, fils de Noun, tu lui imposeras les mains » (Nb 27, 18). Le geste de

24
Il est important de souligner que Aaron, celui que Dieu désigna au départ pour aider Moïse dans
sa mission, mourut aussi avant l’entrée dans la terre promise. On comprend pourquoi Josué est
choisi comme successeur de Moïse (Nb 27,15-22).

21
l’imposition de mains est très significatif. Il peut renvoyer à la consécration et à
la transmission du pouvoir à celui qui est désormais considéré comme mis à part
en vue d’une mission spéciale25 ; il reçoit la bénédiction et est réservé au service
du Seigneur26. Le gouvernement du peuple est remis officiellement à Josué, du
vivant de Moïse, avec l’onction du Seigneur par laquelle Josué réussira dans
toutes ses entreprises (Dt 3,28 ; 31,14-23 ; 34,9). En demandant donc à Moïse
d’imposer les mains à Josué avant de le placer devant le peuple, Dieu en fait un
acte d’identification et de transmission. En tout entendement, c’est véritablement
Dieu qui choisit Josué et implique Moïse dans les orientations de sa succession.
Tout est mis en œuvre et conduit en toute diligence par Dieu lui-même qui fait
ainsi de Josué un anneau essentiel dans la chaîne de transmission de la Torah et
de la conduite de son peuple à partir de Moïse.

Succession de Moïse et mission de Josué


De Moïse à Josué : l’unité d’action conduite par Dieu
Le passage de Moïse à Josué se fait sous le contrôle et la vigilance de Dieu lui-
même. Il est le promoteur de Josué et lui adresse des encouragements pour la
nouvelle mission. Ces derniers sont exprimés par les impératifs de permanence
présents en Jos 1,6 :‫( חֲזַ ַּ֖ק ֶו ֱא ֹ֑מץ‬sois fort et sois courageux)27. La force et le courage
souhaités à Josué par Dieu sont utiles et nécessaires pour continuer la mission de
Moïse et aider le peuple à entrer en possession de la terre promise aux pères.
Seulement, Josué doit faire une option fondamentale, à savoir la fidélité au livre
de la loi de Dieu tel que reçu de Moïse. Il ne doit agir que selon cette loi ; il ne
doit s’en écarter ni à droite ni à gauche ; il doit « la dévorer »28, la murmurer jour
et nuit (cf Jos 1,7-8 ; Ps 1,2). C’est là le secret de la réussite et de la prospérité
missionnaires.

25
A. Strauch, Les Anciens : qu’en dit la Bible ? 2004, s.l. 399.
26
L. A. Schökel – G. Gutiérrez, La mission de Moïse. Méditations bibliques, Louvain-la-Neuve,
Desclée, 1992, 140.
27
,euqitnamés emsiléllarap ne siM ‫ חזק‬et ‫ אמץ‬traduisent la puissance exceptionnelle de
l’encouragement divin adressé à Josué. Pris ensemble, la force et le courage rendent le
missionnaire invulnérable et solidement enraciné dans la parole puissante de Dieu, son mandant.
28
Le prophète Jérémie exprime en ces termes l’irrésistible dévotion à la parole de Dieu : « Quand
je rencontrais tes paroles, Seigneur, je les dévorais ; elles faisaient ma joie, les délices de mon
cœur » (Jr 15,16).

22
Dans sa mission de conduite du peuple de Dieu à la terre promise, les actions de
Josué semblent une répétition de celles de Moïse :

• L’envoi des espions pour explorer le territoire (Nb 13 ; 21,32 ; Dt 1,19-46


; Jos 2 ; 7,2-5).
• La traversée de la mer morte à pied sec (Ex 14) et la traversée du Jourdain
à pied sec (Jos 3).
• La célébration de la Pâques avant la sortie d’Egypte (Ex 12) ; Josué et le
peuple la célèbrent après l’entrée en terre promise (Jos 5,10-12).
• La vision du buisson ardent et l’ordre donné à Moïse d’enlever ses
sandales parce qu’il est sur une terre sainte (Ex 3,5) ; le même ordre est
donné à Josué en Jos 5,15.
• Le geste de la main tendue avec le bâton de Dieu qui procure la victoire
contre les Amalécites avec Moïse (Ex 17,8-13) et contre les habitants de
Aï avec Josué (Jos 8,18-26).
• Les intercessions suite aux offenses contre Dieu (Ex 32,11-14 ; Nb 14,13-
19 ; Dt 9,25-29 ; Jos 7, 69).
• Moïse et Josué sont tous médiateurs de l’alliance (Ex 24 ; Jos 24).
• Les discours d’adieu avant la mort (Dt 32,48-33,29 ; Jos 23-24).
Outre ces parallèles, on trouve des passages dans le livre de Josué où ce dernier
met en pratique les ordres donnés par Moïse :

• La participation des tribus transjordaniennes (Ruben, Gad et la demi tribu


de Manassé) à la conquête de la terre de Canaan (Jos 1,12-18 ; Nb 32 ; Dt
3,12-20).
• L’érection d’un autel sur le mont Ebal (Jos 8,30-35 ; Dt 27,1-26).
• La division de la terre par tirage au sort (Jos 14,2 ; Nb 34,13).

• La création des villes de refuge et des villes lévitiques (Jos 20 ; 21,1-42 ;


Nb 35,1-15 ; Dt 19,1-10).

23
De Moïse à Josué : L’inaltérabilité de l’histoire du peuple de Dieu
La séquence paradigmatique de la succession de Moïse montre que l’histoire du
peuple choisi par Dieu est une et inaltérable. Au-delà des changements des acteurs
et des personnages qui se succèdent à la tête de ce peuple, Dieu reste le vrai
protagoniste de sa vie et de son salut. Moïse a répondu à l’appel de Dieu et a
conduit son peuple selon son dessein. Josué continue la mission de Moïse avec
l’aide du même Dieu et selon sa parole. Il est chef du peuple de Dieu à la suite de
Moïse dont il met fidèlement en pratique l’enseignement (Jos 1,7-8 ; 11,15). Tout
ceci aboutit à la totalité et à la définitivité de la réalisation du plan de Dieu. D’où
la finale du chapitre 21 de Josué où est répété 7 fois le vocable lKo (tout) et la
formule théologique finale d’accomplissement en
: ‫ר־ד ֶבִּ֥ר יְ הוַּ֖ה אֶ ל־בָֹ֣ית יִֹ ְשר ֹ֑אל הַ ַּ֖ ֹכל ִֽבא‬
ִֹ ֶ‫לִֽ אֹ ־נפַ ָֹ֣ל ד ֶׁ֔בר ִֹמכֹ ֿ֙ל הַ דבָֹ֣ר הַ ֶׁ֔טבב אֲש‬45,21 (De toutes les
promesses que Yahvé avait faites à la maison d'Israël, aucune ne manqua son effet
: tout se réalisa). C’est l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu comme
si l’installation d’Israël dans la terre de Canaan devait être lue comme une
nouvelle création : création d’un peuple nouveau sur une terre nouvelle. En cela,
Josué, à la suite de Moïse, devient le prototype du leader idéal d’Israël, celui que
devront suivre les juges et les rois à venir, en particulier David, Salomon,
Ezéchias, Josias. Josué devient en même temps l’antitype des rois fallacieux
comme Saül et tous les rois schismatiques qui défieront la loi du Seigneur (cf. 1
S 13-15 ; 1 R 12-13).

24
LA SUCCESSION AU TRÔNE D’ISRAËL (SAÜL-DAVID) : UN
CONFLIT DECLENCHE PAR L’ONCTION DANS 1 Samuel 16, 1-13

Pr Joseph MAVINGA

Résumé

La succession est un processus de la providence divine dans


la vie des humains qui répond à la passation des fonctions
ou à la transmission des biens d’une personne à une autre.
Dans le contexte de Saül et David, il s’agit d’une succession
au trône d’Israël. Cet article est une analyse de 1 Samuel
16, 1 – 13 qui insinue un conflit, non seulement sur la
succession au trône d’Israël, mais aussi sur l’exercice du
pouvoir d’un roi encore sur le trône. L’article,
premièrement, démontre la providence de Dieu qui hisse les
humains au niveau de successeur. Il discute, deuxièmement,
sur l’intervention divine dans son processus d’installer un
successeur dans son pouvoir. Troisièmement, il décrit la
providence de Dieu sur cet acte d’installation de David au
trône d’Israël. Finalement, il lit la succession de David dans
1S 16ss dans le contexte de la succession en Afrique
Centrale.

Introduction

La succession au trône de Saül par David constitue une longue histoire


dont nous analysons le déclenchement du conflit. L’initiative de Dieu d’oindre un
nouveau roi à la place de Saül, après que ce dernier ait été rejeté, constitue une
cause majeure de ce conflit. Les mots par lesquels Dieu sermonne Samuel pour
le convaincre d’oindre un autre roi suggèrent un conflit. Le Seigneur dit à Samuel :
« Vas-tu longtemps pleurer Saül, alors que je l’ai moi-même rejeté et qu’il n’est
plus roi d’Israël ? Emplis ta corne d’huile et pars. Je t’envoie chez Jessé, le
Bethlehemite, car j’ai vu parmi ses fils le roi qu’il me faut » (1S 16, 1). Le

25
Seigneur est lui-même impliqué à donner la solution au problème de la révocation
du roi Saül. Il prend soin du royaume en choisissant un nouveau roi qui relève
l’autorité de la royauté. A cet effet, Hans Wilhelm Hertzberg argumente que
l’onction sur David est un signe d’appel de la part du Seigneur qui marque un
facteur décisif sur l’autorité de la royauté en Israël.29

Le prophète lui-même avait quelques difficultés à adhérer à la vision et à


la voie secrètes de Dieu, de remplacer le roi Saül par un autre. Il avait aussi peur
que le peuple d’Israël ne souffre des conséquences de cette révocation du roi. Sous
l’ordre de Dieu d’aller oindre un autre roi de son choix, Samuel eut peur, car si
l’information parvenait à Saül, ce dernier le tuerait. Cette peur, de la part du
prophète, suggère le refus du roi en exercice, non seulement de quitter sa position,
mais aussi son désir de se maintenir au pouvoir (v 2).

La proposition voilée de couvrir la raison du déplacement du prophète à la


maison de Jessé, prouve que Dieu ne condamne pas l’hésitation de Samuel, mais
plutôt, souligne les précautions qu’il doit prendre pour oindre David, sans attirer
l’attention de Saül. Le processus de cette consécration souligne, à juste titre, que
la succession d’une autorité par une autre, reste un problème humain dans
n’importe quel milieu social. Pour démontrer cette réalité, j’analyse, avant tout,
le choix par Dieu de David comme successeur de Saül (vv 1 – 3) sur le trône
d’Israël. Je discute, deuxièmement, le déclin de l’autorité de Saül en liaison avec
l’élévation de David.30 Finalement, je décris la façon providentielle de Dieu
d’installer son oint sur son trône de la succession.

La préférence de David sur Saül

Cette section traite de la fin du règne de Saül en tant que roi en Israël et
du choix fait sur David pour le remplacer. La fin de ce mandat n’est pas
déterminée par une clause d’un acte juridique. Elle est le résultat d’une mesure
coercitive prise par Dieu contre Saül. Ce dernier est rejeté et Dieu se choisit un

29
Hans Wilhelm Hertzberg, I & II Samuel: A Commentary, (Philadelphia), The Westminster
Press, 1964, pp.136-137.
30
Ces progrès de David sont caractérisés par une formule qui revient souvent comme un refrain,
« le Seigneur était avec lui [David] » (1 Sa 16. 18 ; 17. 37 ; 18. 12, 14, 28 ; 20. 13 ; 2 Sa 5. 10).

26
autre roi selon son cœur. En effet, « de Saül, le Seigneur a retiré la royauté pour
la donner à un autre, meilleur que lui » (1S 15, 28). Une question se pose, quel est
alors le problème suscité par cet acte de succession à savoir, l’onction d’huile
ordonnée par Dieu, et que Samuel donna à David (1S 16, 13) ?

L’élection de David

Parlant de l’élection de David, certains pourraient se demander le


placement des urnes où le fils de Jessé s’est fait élire. Si la destitution de Saül est
restée l’initiative du Seigneur lui-même, le choix de son remplaçant répond aussi
à sa seule initiative. L’emploi du verbe voir, en hébreu ‫ראה‬, est très significatif
pour comprendre l’élection dont David est l’objet de la part de Dieu. Dieu dit à
Samuel : « Emplis ta corne d’huile et pars. Je t’envoie chez Jessé, le Bethlehemite,
car j’ai vu parmi ses fils le roi qu’il me faut » (1 S 16, 1).

Dieu regarde, voit et perçoit. Ceci s’exprime par l’emploi de l’expression


en hébreu ‫יתי‬ ִ ‫י־ר ִא‬
ָ ִ‫ כ‬qui est composée d’une particule conjonction de coordination
‫כִ י‬, « car, » et du verbe ‫יתי‬ ִ ‫ ָר ִא‬qui est au qa’l parfait, première personne du singulier
qui signifie « j’ai vu, j’ai perçu, j’ai saisi. » La LXX a traduit cette expression par
ότι έόρακα qui est composée d’une conjonction de subordination, « ότι », et du
verbe « έόρακα », à l’indicatif parfait actif, première personne du singulier qui
signifie « j’ai vu, j’ai perçu, il m’est devenu visible. » Cet anthropomorphisme
utilise les réalités d’une forme humaine à ce qui ne l’est pas. Ainsi, le verbe voir
se réfère également à une série de verbes d’action qui s’appliquent à Dieu dans
un langage humain ; il s’agit de « voir, connaître, choisir, élire, s’attacher et
aimer. » Dans le cadre de l’élection divine, ces verbes sont interchangeables. Ils
sont donc utilisés dans certains contextes qui soulignent l’élection divine dans la
Bible. Un choix divin sur une personne concernée précède toujours la conclusion
d’une alliance avec elle.

L’Alliance de Dieu avec Israël tire sa source dans le choix d’Abram.


Amira Meir31 se préoccupe de saisir la raison pour laquelle Dieu a singulièrement
choisi Abram et pas un autre à sa place. Cette raison n’est pas clairement définie

31
Amira Meir, “Why did God choose Abraham? Responses from Medieval Jewish
Commentators,” in Universalism and Particularism at Sodom and Gomorrah: Essays in Memory
of Ron Pirson, Ed. by Diana Lipton, Atlanta, SBL, 2012, p. 53.

27
dans les Ecritures. Toutefois, Néhémie (9, 7 – 8) précise que c’est Dieu qui a
choisi Abram et donne la raison pour laquelle il l’a fait. « C’est toi, le Seigneur
Dieu, qui as choisi Abram, l’as fait sortir d’Our des Chaldéens et lui as donné
pour nom Abraham » (v 7). S’il a pris l’initiative de ne choisir que lui et pas un
autre, c’est pour des raisons du cœur d’Abram trouvé fidèle envers Dieu. Ainsi,
ce dernier conclut-il l’alliance avec lui pour lui donner les pays des Cananéens,
des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Jébusites et des Guirgashites, et les
léguer, ensuite, à sa descendance (v 8).

Le verbe hébreu ָ‫ בָ חַ ְרת‬au qa’l parfait, deuxième personne du masculin


singulier se traduit par « tu as choisi. » Yahvé a choisi Abram parmi plusieurs de
son temps, de sa contrée, de son âge, et de sa famille. Il s’agit d’une élection dans
la souveraineté absolue de Dieu. Pourquoi alors Dieu fixe-t-il son choix sur
Abram et pas sur un autre ? Néhémie (9, 8) donne un élément de réponse qui
justifie ce choix sur Abram. Il indique que Dieu avait trouvé le cœur d’Abram
disposé de lui obéir et de lui rester attaché. En d’autres termes, son cœur était vrai,
sincère, honnête, juste et fidèle envers Dieu.

L’expression hébraïque, ָ‫לְ ָפנֶיָך ֶנ ֱאמָ ן אֶ ת־לְ ָבָ ָבֹו ּומָ צָ את‬, « tu as trouvé son cœur
fidèle envers toi, » donne une raison essentielle pour laquelle Dieu choisit Abram
(Ne 9, 8a). L’histoire de la révélation de Dieu à Abram explique que Dieu choisit
Abram parce qu’il le connaissait ; ainsi que ses dispositions du cœur de
communiquer, à sa descendance, les instructions du Seigneur32.

La préoccupation de Meir de connaître les raisons pour lesquelles Dieu


choisit Abram, plutôt qu’un autre à sa place, est très pertinente. Une telle
préoccupation et la réponse y afférente, s’appliquent pleinement à David que
Yahvé préfère à Saül comme roi sur le trône d’Israël. Sous l’ordre de Yahvé, le

32
Quelques autres raisons pour lesquelles Yahvé avait choisi Abraham sont trouvées dans la
littérature postbiblique, telles que l’apocalypse d’Abraham, les fragments de pseudo-philo, et le
livre de l’antiquité de Flavius Joseph. Genèse 18 et 19 constituent aussi une unité distincte du
livre. Le chapitre 18 comprend trois versets d’une importance particulière. Il s’agit des vv. 17, 18
et 19. Ces versets sont les seuls qui, trouvés dans ces deux chapitres précités, s’articulent
clairement avec la destinée socioreligieuse d’Israël. Ceci se vérifie dans tous les textes bibliques
qui retracent l’histoire des patriarches. Ainsi, nous pouvons conclure que ces textes appuient la
réponse à la question pourquoi Dieu choisit-il Abraham ? Meir, “Why did God choose Abraham?
Responses from Medieval Jewish Commentators,” p. 54.

28
prophète « Samuel prit la corne d’huile et donna l’onction [à David] au milieu de
ses frères et l’Esprit du Seigneur fondit sur lui à partir de ce jour. » (1S 16,13)
Littéralement, « à partir de ce jour-là et dorénavant, il eut l’irruption de l’esprit
du Seigneur sur David qui n’est pas une manifestation passagère, mais inaugure,
plutôt, une situation définitive (Es 11, 2)33.
L’onction de David par Samuel au v.13 introduit une section (vv 14 – 23)
qui présente une structure d’inclusion très caractéristique. La correspondance de
l’onction reçue par l’un et de l’Esprit du Seigneur qui se retire de l’autre, pour être
remplacé par un esprit mauvais est révélatrice (vv 13 – 14). En plus, David, investi
de l’Esprit du Seigneur, Esprit de sagesse royale, est invité au service du roi Saül,
qui est en déclin dans son palais. La reprise des termes des vv. 14 et 23 dans cette
structure d’inclusion (vv 14 – 23), souligne la raison pour laquelle David entre au
service de Saül. Il est celui sur qui l’esprit d’autorité royale en Israël est conféré.
Donc, il est l’unique qui peut apaiser les tourments de celui qui vient de perdre
cet esprit d’autorité.

Cet Esprit du Seigneur, qui quitte Saül, laisse place à un esprit mauvais34.
Le trône royal étant unique en Israël, il est certain que le même Esprit que Saül
reçut autrefois, est le même qui, maintenant est sorti de lui. David, sur ces
entrefaites, qui reçoit l’onction royale, reçoit également l’Esprit du Seigneur qui
lui confère l’autorité que Saül perd. L’Esprit du Seigneur qui sort de Saül pour
être remplacé par l’esprit mauvais est une conséquence directe de l’onction reçue
par David. Cette réception d’onction royale a conféré sur le fils de Jessé, l’esprit
d’autorité royale que Dieu a retiré de Saül.

Bien que l’entrée de David au palais de Saül soit pour une raison
spécifique, elle est surtout une ironie qui ouvre un processus de passation de
pouvoir entre Saül et David. Cet exercice suscite une longue lutte entre les deux

33
Comme sur Saül, puis sur David lui-même (1 S 16. 13 – 14), mais cette fois, l’Esprit vient sur
David d’une façon définitive. Les six attributs de l’Esprit énoncés ici correspondent à ceux de la
sagesse personnifiée dans Pr 8,12 – 14. Ils rendent possible l’exercice de la royauté (cf. Pr 8, 15 –
20) et notamment de la justice royale. A ces six attributs soulignés dans la BHS, la LXX et la
Vulgate ont un septième, celui de la piété. Ceci justifie la liste des « sept dons du Saint Esprit »
de la théologie catholique. Traduction Œcuménique de la Bible édition intégrale, Paris: les
éditions du Cerf, 2007, « note a » sur le v 2 du ch 11 d’Esaïe, p. 814.
34
Il est évident qu’il n’y a pas de vide absolu. Quand l’esprit du Seigneur sort d’une personne, un
esprit mauvais l’occupe en conséquence. L’inverse est aussi vrai. Cf. Mt 12, 43 – 45.

29
protagonistes. Une lutte causée par le désir de Saül de se maintenir au pouvoir et
la réalité de sa situation en face de lui qu’il refuse d’assumer. Ce refus d’accepter
sa défaite, celle de perdre le pouvoir, doit avoir intensifié, chez le roi sortant, les
manifestations de l’esprit mauvais. Cette lutte est celle du type bien connue dans
n’importe quel contexte d’un chef qui refuse de passer le commandement d’un
pays ou d’une institution à son successeur.

L’Esprit du Seigneur qui est maintenant en David s’oppose à l’esprit


mauvais qui habite Saül. Cette situation rendit la cohabitation de ces deux
personnes très difficiles ; au point où l’accession de David au trône devenait quasi
impossible. La section suivante traite du déclin de Saül et l’élévation de David.

Le déclin de Saül et le progrès de David

Nous pouvons nous interroger sur les différentes manières dont ces deux
hommes sont traités par Yahvé, le Dieu d’Israël. Est-ce seulement la
désobéissance de Saül aux instructions du Seigneur qui lui a coûté la mesure
coercitive de Dieu, qui l’a révoqué de ses fonctions ? En d’autres termes, y-a-t-il
une raison plus profonde qui explique la situation présente de Saül et celle de
David ? Le retrait en lui de l’esprit de sagesse qui, seul l’aurait guidé dans
l’exercice de ses fonctions royales, détermine, désormais, que Saül sombre dans
un affaiblissement progressif jusqu’à sa mort.

La réponse aux questions ci-dessus touche essentiellement la


connaissance absolue de Dieu de ces deux personnages. Comment pouvons-nous
sonder la connaissance divine au sujet de Saül et de David ? Au sujet de la
connaissance de Dieu, l’analyse du concept ‫יָדַ ע‬, « connaître, » nous aide à
comprendre les deux différentes manières, de la part de Dieu, de considérer Saül
et David. Amos (3, 2), à travers l’expression, ‫יָדַ עְ ִתי אֶ תכֶם ַרק‬, « vous seuls, je vous
ai connus, » souligne l’existence d’une relation spéciale entre Dieu et Israël. Cette
connaissance est celle qui s’identifie à l’élection, à l’amour, voire, au choix que
Dieu porta sur les pères, c’est-à-dire, sur Abraham et sa descendance.
L’expression d’Amos peut aussi se comprendre comme, « vous seuls, je vous ai
aimés, élus, choisis, préférés […]. »

30
Les Ecritures soulignent que Yahvé s’est choisi des personnes, telles
qu’Abraham, Moïse, Jérémie, et David, avec lesquelles il entretint des relations
spéciales. Abraham est choisi « parce qu’il était disposé à responsabiliser sa
descendance de garder les voies du Seigneur, en appliquant l’impartialité et la
justice » (Gn 18, 18 – 19)35. Dieu témoigna à Moïse avoir une relation particulière
avec lui quand il lui dit : « je te connais par ton nom, et tu as trouvé grâce à mes
yeux » (Ex 33, 12, 17). Les expressions de ces versets traduisent l’appel et
l’élection que David également expérimente comme une grâce particulière de la
part de Yahvé (2 S 7. 20 ; cf. 1 Ch 17, 18). David n’a rien à dire devant le
Seigneur, sinon que ce dernier connaît son serviteur. Etre connu par le Seigneur
est synonyme d’être aimé, d’être choisi, d’être élu pour un service spécifique dans
la maison de Dieu. Par opposition, les Ecritures ne déclarent rien dans ce sens en
faveur de Saül.

Cette relation spécifique entre Yahvé et Saül fait défaut dans les Ecritures.
Dieu déclare avoir une relation particulière avec celui dont le cœur est, non
seulement attaché à lui, mais aussi disposé à accomplir sa mission. David est vu
par Dieu dans cette perspective. Il est identifié et localisé parmi les fils de Jessé,
le Bethlehemite (1 S 16, 1). Selon cette déclaration divine, David est le roi qu’il
lui faut pour son peuple Israël. Il n’est donc pas surprenant que Saül échoue à sa
mission, car son cœur n’y était pas disposé.

En reliant le concept ‫יָדַ ע‬, « connaître, » avec les mots équivalents en


Hittite, shek, en Akkadien, idû, en Ugarit, yd‘, les traités du Proche Orient
interprètent le concept de l’Ancien Testament yada‘ comme un terme qui souligne
une mutuelle reconnaissance.36 Dans quelques situations, « connaître, » yada‘
s’emploie comme un terme qui exprime le soin ou la protection que Yahvé
accorde à ses oints, c’est-à-dire, à ses élus.37 Chez Nahoum (1, 7s), par exemple,

35
Cf. Ex 33, 12, 17 ; Dt 34, 10; 2 S 7, 20. Abraham était appelé à garder une relation intime avec
Dieu ; de transmettre son expérience avec Dieu à sa descendance ; c’est-à-dire, d’observer la voie
du Seigneur en pratiquant la justice et le droit. Ces deux vertus fondamentales de l’homme intègre
sont avant tout, dans le Proche Orient ancien, la responsabilité du roi de faire respecter ces deux
piliers de la société. Johannes Botterweck, «‫»יָדַ ע‬, in Theological Dictionary of the Old Testament.
vol. v, Eds. G. Johannes Botterweck and Helmer Ringgren, translated by David E. Green. Grand
Rapids, MI, Eerdmans Publishing Company, 1988, p. 468.
36
Cf. Herbert B. Huffmon & John L. McKenzie cités par Botterweck, p. 468.
37
Cf. Botterweck, “,” ‫ יָדַ ע‬p. 648.

31
dans le contexte littéraire qui structure cet hymne, nous lisons : « Yahvé est bon,
il est un abri au jour de détresse. Il connaît ceux qui prennent refuge en lui. » Dieu
répond à la fois de ceux qui s’attachent à lui en leur accordant la récompense et
les soins nécessaires (Ps 1, 6 ; 31, 8 ; 37, 18 ; 144. 3). Quant à ceux que le Seigneur
connaît, en retour, ils connaissent aussi le Seigneur et s’attachent à lui. Comme
Saül n’est pas compté parmi les élus de Dieu, son attachement au Seigneur et à
son service était aussi aléatoire.

Le principe de succession monarchique prévoyait l’intronisation du fils


héritier à la place du père. Une question se pose : une telle disposition n’avait-elle
pas aveuglé le roi révoqué qui aurait plutôt pensé à la succession par son fils
Jonathan que par David ? Les exploits de David, à ses côtés, ne lui suggéraient-
ils pas un candidat potentiel à sa succession ?

La période du règne de Saül est juste donnée d’une façon approximative.


John Bright suggère qu’elle est située peu avant 1000 av. JC., un temps qui
suggère donc une triste note reconnue sur la fin du règne de Saül. Il laissa Israël
dans une vie sociale disloquée et sans espoir. Bien que les raisons de cette
dévastation sociale soient multiples, la plus évidente, parmi toutes, est le manque
de fidélité du roi dans l’application de la justice sociale et morale.38 En effet, ne
pas connaître Yahvé s’explique par une combinaison des verbes qui traduisent
l’apostasie et l’affaiblissement progressif de respect des valeurs morales ; c’est-
à-dire, de son éthique religieuse. Ainsi, ceux qui ne connaissent pas le Seigneur
pèchent, ‫חָ טָ א‬, contre lui (1 S 2, 25), ils sont rebelles à Dieu (Jb 18, 21).

Par contre, connaître Yahvé se réfère à l’obéissance, c’est-à-dire, à une


pratique des relations qui respectent et consolident les valeurs morales envers
Dieu et envers le prochain. Ainsi, en retour, Dieu rend libre, ‫פָלְ ט‬, et protège, ‫שָ גְ ָב‬,
ceux qui connaissent son nom et s’attachent, ‫חָ שַ ק‬, fermement en lui (Ps 91, 14). Il
y a donc une réciprocité d’attachement dans l’amour entre Dieu et l’homme qu’il
a choisi. En dehors de cette relation mutuelle entre Dieu et l’homme, ce dernier
ne bénéficie d’aucune protection de la part de Dieu.

38
Cf. John Bright, A History of Israel, 3rd Edition, Philadelphia, Westminster Press, 1981, p.191.

32
La colère du Seigneur se répand sur ceux qui ne le connaissent pas et ne
l’invoquent pas (Ps 79, 6 ; Jr 10, 25). Sous une structure d’un parallélisme
synonymique, ces deux versets soulignent une réalité indubitable. Il est donc quasi
impossible que des personnes individuelles, voire, des nations ou des peuples qui
ne connaissent pas le Seigneur, bénéficient d’une faveur spéciale de la part de
Dieu. S’ils en bénéficiaient, elle ne serait jamais pour longtemps, car la colère du
Seigneur est sur eux. Ceux qui ne connaissent pas le Seigneur pèchent souvent
contre lui au point qu’ils finissent par se détruire (1 S 2, 25).

Dans ce contexte, il était donc difficile pour Saül de tenir bon dans
l’exercice de ses fonctions comme il ne semblait pas s’attacher au Seigneur. En
dépit de la vérité qui lui était dite à ce sujet par Samuel (1 S 15, 22 – 23), Saül
était incapable de saisir que c’était bien la fin de sa gouvernance en Israël. Samuel
lui dit : « [Dieu] t’a rejeté, tu n’es plus roi » (v. 23b). En matière de succession au
pouvoir, ceux qui cherchent à se maintenir à leur position d’autorité, entrent dans
une lutte conflictuelle du pouvoir dont Dieu seul apporte une solution. Cette
situation est celle qui aveugle certains dirigeants de plusieurs communautés
aujourd’hui. Cet aveuglement chez Saül est du type spirituel qui l’empêchait de
comprendre et d’accepter que le temps de sa gouvernance sur Israël touchait à sa
fin. L’autorité sur le royaume revenait maintenant à David.
Il fallait la mort de Saül pour que le trône d’Israël devienne libre pour
l’accession de David au pouvoir. Le point suivant centre la discussion sur David,
le successeur de Saül.

David et son processus de succession

Saül a gouverné le peuple d’Israël sur un mandat qui s’est étendu de son
intronisation jusqu'à ce que Dieu l’ait rejeté, c’est-à-dire, lui ait refusé de
continuer à gouverner le peuple Israël. Cette révocation de Saül par Dieu se
confirme par l’onction royale donnée à David par Samuel, et par l’Esprit du
Seigneur qui sort de Saül. Tous ces événements corroborent la fin du mandat de
Saül sur le trône d’Israël. En dépit de toute déclaration divine, par Samuel, sur sa
révocation du trône royal à Jérusalem, Saül se comportait de façon à se maintenir
au pouvoir (I S 15, 23 ; 16. 1).

33
Un esprit mauvais entre en Saül. Cette possession est permise par le
Seigneur (1 S 16, 14) à cause du péché dont Saül s’est rendu coupable devant
Dieu (1 S 15, 23). L’esprit mauvais venu du Seigneur entre en lui. Il s’agit ici de
Saül qui est abandonné à lui-même et devient finalement une proie d’un esprit
impur. L’Esprit de Dieu qui sort laisse un vide qui, en conséquence, se remplit
d’un esprit mauvais. La présence du Seigneur en Saül repoussait l’ennemi, c’est-
à-dire, l’esprit impur. Mais, l’absence de l’Esprit du Seigneur en lui le mettait
directement au prise avec l’esprit mauvais. La situation de Saül se réfère donc au
Seigneur, c’est « sa présence ou son absence, » qui détermine son sort.

Ce roi révoqué est finalement troublé dans ses sentiments, ses idées, son
imagination, et ses pensées, bref, un esprit désoriente désormais son être intérieur.
Un esprit mauvais l’habite et désorganise ses pensées au point qu’il frise la folie.
Cette situation est plus due à une possession de Saül par une haute puissance
maléfique qu’à des simples troubles psychologiques causés par sa révocation du
trône royal39.

Une rencontre spéciale de David et Saül

Cette section est une analyse structurale d’une longue section des récits
narratifs de 1 Samuel 16, 14 – 18. 16. Nous y soulignons les faits remarquables
qui suggèrent la succession de David au trône de Saül. David est sollicité pour
apporter une solution aux tourments de Saül qui est possédé d’un esprit mauvais
(1 S 16, 14 – 17). A cette circonstance, David s’introduit au palais de Saül (vv. 18
– 23) et l’apaise de ses tourments (v. 23). Saül envoya dire à Jessé : « que David
reste donc à mon service, car il me plaît » (v. 22).

Une deuxième rencontre de David avec Saül est à l’occasion du combat


avec le Philistin Goliath (1 S 17, 55 – 18, 5). Le roi reste favorable au jeune
homme au point que son fils Jonathan trouva en David un jeune à qui s’attacher.
Il aima ainsi David comme lui-même (1 S 18, 3 – 4). L’amour de Jonathan est une
véritable ironie où son honnêteté et sa sincérité voilées d’ignorance semblent
signifier une autre réalité. David ignorait-il ce qui se passait ? Toutefois, à la mort

39
Cf. C. F. Keil & F. Delitzsch, “Joshua, Judges, Ruth, I & II Samuel,” in Commentary on the Old
Testament in Ten Volumes, vol. II, Grand Rapids, MI, Eerdmans Publishing Company, 1973,
p.170.

34
de Saül et de son fils Jonathan, la complainte de David à leur sujet est très
significative (2 S 1,17 – 27). La clé de ce cantique est l’arc de Jonathan donné à
David (1 S 18, 4). En effet, la complainte exprime les souvenirs de David qui
mettent en lumière la figure de Jonathan. De façon symbolique, l’amitié de ces
deux jeunes gens et la cession, du manteau, des habits, de l’épée, de l’arc et du
ceinturon à David, justifiaient, aux yeux de celui-ci, son accession à l’autorité
suprême de la royauté40.

La royauté étant un système politique dans lequel l’autorité est exercée par
un roi héréditaire, Jonathan qui cédait ses habits et ses symboles d’autorité à
David, conférait sur lui, non seulement le droit du fils héritier, mais aussi l’autorité
de la royauté. Dès ce moment et dans la suite du temps, « David réussissait partout
où Saül l’envoyait. Ainsi, Saül mit David à la tête des hommes de guerre. Il avait
une bonne réputation auprès de tout le peuple, ainsi qu’auprès des serviteurs de
Saül » (1 S 18, 5).

L’esprit mauvais se manifeste à nouveau en Saül et le conduit ensuite dans


une grande nervosité. Cette fois, la musique s’avère inefficace pour calmer les
excentricités extravagantes du roi. La structure narrative de cette section se
présente dans une forme de parallélisme inversé ou chiasme:41

A l’esprit mauvais de Saül (1 S 16, 14 – 15)


B la rencontre de David avec Saül (1 S 16, 18 – 23)
B’ la rencontre de David avec Saül (1 S 17, 55 – 18, 5)
A’ l’esprit mauvais de Saül (1 S 18, 6 – 16)

Cette longue section de notre récit narratif présente une structure en « parallélisme
inversé, » ou « chiasme. » Une telle structure est en définitive une inclusion (A et

40
TOB Intégrale, « note i » sur le v 17 du ch 1 de 2 Samuel, p. 601.
41
La structure en chiasme ou en parallélisme inversé est une structure très répandue dans l’Ancien
Testament et ressemble au parallélisme régulier ; à la différence près qu’ici les parties A, B, C, …
sont reprises dans le sens inverse. D’où une formule du type ABCC’B’A’. On identifie dans ce
cas une structure en forme de « parallélisme inversé » ou tout simplement de « chiasme. »
Matthieu Richelle. « Comment trouver la structure d’un passage de l’Ancien Testament ? » in
Théologie Evangélique, 12/3 (2012), p.107 ; André Wénin, David, Goliath et Saül : le récit de
Samuel 16 – 18, Bruxelles, Lumen Vitae, 1997, p.6.

35
A’). En effet, l’inclusion consiste en ce que la fin du texte reprenne son début. Une
question se pose : que conclure de cette analyse structurale ? Elle débouche sur la
providence divine qui finit par installer David dans ses fonctions royales en Israël
(2 S 2).

Installation providentielle de David sur le Trône

Après sa consécration par Samuel, David progresse dans son influence,


non seulement auprès du roi et dans sa maison, mais aussi « dans l’espace public
du peuple »42. Ses exploits ont été évidents auprès du roi tourmenté par un esprit
mauvais. Face au géant Goliath qui terrorisait Israël, David a réduit les Philistins
au silence, eux qui se croyaient invincibles en comptant sur leur héros pour
assujettir Israël. David, avec la tête de Goliath en main, est escorté devant Saül,
par Avner, le chef de l’armée (1 S 17, 57).
Le point central du récit est l’autorité de Saül qui, continuellement,
dépérissait. Cet affaiblissement de son pouvoir est essentiellement au profit du
nouvel oint de Yahvé. Cette exclusion de Saül, de ses prérogatives de messie
d’Israël, devient évidente dès après la victoire sur Goliath. La vie de Saül,
désormais, ne dépend que de la présence de David à ses côtés. Ce dernier s’attache
au roi avec amour, et lui fait bénéficier de ses talents de musique en faisant taire
l’esprit mauvais ; ce qui apaisait le tourment de Saül. Dans ce contexte, Saül ne
peut vivre une bonne vie que s’il accepte son échec, et s’il laisse David continuer
à le soutenir, mais aussi, à s’élever devant lui comme Dieu le lui permet.

Ce contraste entre Saül et David est perceptible à toutes les victoires de


David, en particulier, celle sur Goliath, avec le chant des femmes d’après lequel
« Saül en a abattu des mille, et David, des myriades. » Ce chœur déplut à Saül qui
comprit par-là, une manière de réclamer David à la tête de la royauté (1 S 18, 8c).
Dès lors, Saül prit David en aversion, car il le considéra comme un rival au
pouvoir. En dépit de toutes ses tentatives d’éliminer David, il ne réussit pas à
mettre la main sur lui. Ainsi, Saül craignit David, car le Seigneur était avec lui,
alors que le Seigneur s’était retiré de lui-même (1 S 18,12. 28-29).

42
A. Wénin, Op.cit, p.11-12.

36
Devant les attentats de Saül contre David, ce dernier fut sauvé par
Jonathan (1 S 19, 1-10), par Mikal (vv. 11 – 17) ; mais aussi par le Seigneur lui-
même qui transforma la mentalité de trois groupes d’émissaires envoyés contre
David. A la fin, même Saül qui croyait relever le défi des émissaires s’est assimilé
aux prophètes, abandonnant ainsi son projet contre David. David se montra juste
et droit devant tous les attentats de Saül contre sa personne. Il aimait Saül plus
qu’il ne souhaitait lui succéder au trône. Ainsi, à des occasions favorables, il ne
porta pas sa main contre l’oint du Seigneur (1 S 28, 2 ; 19, 3-11). Tenu loin de
son peuple d’Israël, David était totalement impuissant à défendre Israël en guerre
contre les Philistins sur le mont Guilboa. Il fallait bien une telle défaite qui
explique la providence divine à la succession effective de David sur le trône
d’Israël (1 S 31, 2 – 6).

La mort du roi au pouvoir, en Israël, ouvre souvent une perspective


officielle et solennelle à sa succession. Tel est également le cas de succession des
chefs dans la plupart de nos cultures en Afrique, en particulier, en Afrique
centrale. Nous allons considérer les cas des cultures Kongo de la RDC, Beti-Fang
du Centre du Cameroun, et Bamiléké de l’ouest du Cameroun.

La Succession dans les cultures d’Afrique Centrale

Nous n’avons aucune prétention de décrire toutes les cultures d’Afrique


Centrale qui sont quasiment difficiles à dénombrer. Néanmoins, nous nous
limitons à trois cultures que nous jugeons être représentatives pour l’Afrique
Centrale.

37
Le peuple Kongo43 de la RDC

Nous nous limitons ici à la variante de cette culture en RDC. La variante


de la culture Kongo se comprend par sa forme particulière d’application de la
succession chez les Bakongo de la Province du Kongo Central en RDC. Elle est
donc une succession possible parmi d’autres d’un même processus dans cette
vaste culture Kongo qui s’étend en Angola, au Congo Brazzaville et au Gabon.

Pour avoir été évangélisé depuis le 15è siècle de notre ère, la culture Kongo
s’entrelace de plusieurs valeurs de l’évangile. Une particularité de cette culture,
bien qu’elle suive toutes les dimensions de la tradition africaine, est qu’elle se
réfère à la présence de Nzambi a Mpungu Lulendo, c’est-à-dire, « le Dieu, Tout-
Puissant. » L’expression qui désigne Dieu, chez le peuple Kongo, le compare à la
puissance expérimentée de fétiche, « Mpungu. » A cause de cette référence de la
puissance du fétiche à celle de Dieu, la tradition de la culture Kongo a intégré la
sorcellerie comme étant une forme de la sagesse divine.

La succession de l’autorité traditionnelle du peuple Kongo, est une affaire de


passation des symboles représentatifs du pouvoir. Assez souvent, le chef dans son
siège d’autorité voit et se choisit un successeur parmi ses sujets qu’il trouve
compétent et convenable. Le chef tient souvent son successeur à l’œil. Au temps
opportun, que le chef seul connaît, généralement à la veille de sa mort, il remet
les symboles d’autorité à son successeur et lui donne les dispositions de ses
funérailles, voire, de son inhumation.

D’une façon particulière, sans pourtant suivre la voie d’un consensus, le président
Joseph Kabila Kabange a joué sur son pouvoir discrétionnaire pour se choisir un
successeur. Ayant joué, à la fois, un jeu politique et diplomatique, il a engagé tout
le peuple pour fixer son choix d’un successeur qui lui permet de jouir de son pays,
la RDC. Marié à une femme Kongo, Olive Lembe, une telle sagesse
d’aménagement n’est-elle pas d’une inspiration de l’Afrique traditionnelle ?

43
www.congo-autrement.com/page/congo-histoire/mbaza-kongo-capitale-de-l-ancien-royaume-
du-kongo-inscrit-sur-la-liste-du-patrimoine-mondial.html/site/accedé/18.02.2019

38
Le peuple Béti-Fang44 du Centre du Cameroun

Au Centre du Cameroun, les Béti-Fang descendent d’un lignage « Mvog » qui


donne chez les Béti du Cameroun l’ensemble de descendants d’un homme
fondateur d’un groupe. Il s’agit par exemple de « Mvog Atangana, Mvog Manga,
Mvog Ella, Mvog Mbi, […]. » Nous analysons donc la succession chez ces
différents groupes de Béti de la région du Centre au Cameroun.

La succession, chez ces peuples Béti, se fait de manière à éviter le déchirement


brutal de la famille du défunt. Les ayant-droits à la succession sont gérés par les
notables qui, en pratique supervisent la succession. Les exécuteurs de la
succession sont « des hommes mûrs, » les Banyabod-mvié, de la lignée du défunt,
nda-bod. Ils sont munis de leurs symboles du pouvoir à savoir, le chasse-mouche,
la gibecière, le rasoir, la pipe etc. Dans le cas de succession des biens, la justice
distributive est appliquée. Les ntzig ntôl, « les décideurs » qui sont des
connaisseurs en matière de partages sont souvent assistés par les notables. Elig,
« l’héritage, » comporte deux éléments essentiels : le pouvoir ou l’autorité du
défunt, et les biens qu’il possédait, « les femmes, les esclaves, les filles, les
plantations, […]. » La terre ne fait pas partie de l’héritage.

Les enfants légitimes du défunt sont les seuls ayant-droits à la succession du


pouvoir et des biens du père défunt. Les enfants naturels ne le sont pas. Les frères
du défunt n’héritent pas de leur frère car ils sont tous héritiers de leur défunt père.
Mais, un frère peut succéder à l’autorité ou au pouvoir moral de son frère défunt
au cas où les fils de ce dernier manquent le sens de responsabilité.

Dans cette tradition Béti-Fang de la région du Centre au Cameroun, comme dans


la plupart de cultures en Afrique traditionnelle, la succession du pouvoir et des
biens du défunt se fait d’une manière paisible. La section suivante analyse la
succession dans la culture Bamiléké de l’ouest du Cameroun.

44
bonneculture.com/betefang/lasocietetraditionnelleewondo.html/site/accede/18.02.2019.

39
Le peuple Bamiléké45 de l’ouest du Cameroun

Les Bamiléké constituent un groupe ethnique parmi les plus actifs du Cameroun.
Ils sont originaires de l’ouest du Cameroun et s’installent dans toutes les villes et
localités du pays. Quel que soit le lieu où un Bamiléké s’installe, il n’est
généralement pas coupé de son village. C’est un peuple qui reste particulièrement
lié à sa tradition ancestrale et dont nous ne décrivons pas les détails ici. Notre
intérêt sur ce peuple se porte sur leur tradition quant à la succession d’autorité ou
du pouvoir au niveau de la chefferie selon leur organisation sociale.

Sur le plan social, les Bamiléké sont regroupés en chefferies dont le


dénombrement peut atteindre une centaine de sociétés types. Les sociétés sont
comprises ici dans le sens des sociétés secrètes ayant une configuration spirituelle.
Chaque chefferie est dirigée par une société politico-administrative, conseil de
neuf, M’kamvu ; une société de guerre, Madjoung, les Ku’gaing. Les Ku’gaing
sont une police secrète qui est en relation avec les forces invisibles de la nature.

Toute cette organisation, dans la tradition socioculturelle des Bamiléké, joue le


rôle de sécuriser les individus, membres de la communauté, en les protégeant de
toute attaque extérieure. En plus, cette organisation permet aux chefs de bien
diriger leurs peuples. On accède à ces sociétés secrètes par succession ou par
mérite.

La succession, en cas de la mort du chef, se fait suivant une procédure inaliénable


qui tient compte de la rigueur spiritico-traditionnelle de la culture Bamiléké. Il est
tout à fait certain que la succession, chez les Bamiléké, se fait en toute sérénité ;
particulièrement, à cause de leur respect de la tradition. Ceci est vrai autant au
niveau de la famille qu’à celui de la chefferie.

Les Ressemblances sur la Succession dans les deux Contextes

Nous établissons, dans cette section, les liens étroits entre la succession
dans

45
https://tematio.blogspot.com/2012/06/le-peuple-bamileke-origines-
traditions.html/site/accede/18.02.2019

40
1 Samuel 16, 1 – 13 dûment analysée dans son contexte avec celle dans le contexte
des cultures Kongo, Béti-Fang et Bamiléké. La succession, chez les Bakongo,
comme chez les Béti-Fang et Bamiléké, selon leurs traditions et procédures
respectives, ne présente, en général, aucun conflit majeur. La raison en est que la
succession intervient, habituellement, après la mort du chef au pouvoir. En plus,
le respect de la procédure traditionnelle, en matière de succession, réduit toute
possibilité de conflit dans ce domaine.

Dans la plupart des traditions socioculturelles en Afrique, en général, et


en Afrique Centrale, en particulier, l’élément spirituel, c’est-à-dire, « de la
sorcellerie » reste une ligne de force qui soutient le chef dans son exercice du
pouvoir. Dans ce contexte, les membres d’une communauté ne présentent
quasiment pas d’objections quant aux dispositions de la succession qui, souvent,
descendent des générations antérieures.

Pareil au contexte de la succession au pouvoir de la royauté en Israël, Saül,


le premier roi humain au trône, ne connaissait pas les conséquences de la gestion
du pouvoir non conforme aux instructions de Dieu. Si la gestion de l’autorité dans
la tradition des cultures africaines reste conforme aux instructions laissées par les
ancêtres, cette réalité est d’autant plus sérieuse quand il s’agit de Saül d’obéir aux
instructions divines. En Israël, contrairement aux nations environnantes, Yahvé,
par le roi sur le trône, continue à gouverner son peuple. Il fallait donc qu’il y ait,
non seulement, un dialogue entre le roi et Yahvé, son Dieu, mais aussi une réelle
communion entre eux pour une conformité dans les actes qui déterminent la bonne
gouvernance. C’est dire donc que le facteur spirituel est de mise pour la réussite
de l’exercice du pouvoir à Sion-Jérusalem.

La spiritualité, dans le contexte de la succession de Saül par David,


présente une ligne de force qui a conduit au rejet du premier et à l’élection du
second. La section qui suit traite de la lecture interactive sur la succession (1 S
16) avec la succession chez les Bakongo, les Béti-Fang et les Bamiléké.

41
Une Lecture de la Succession dans 1 Sa 16, 1-13 avec le contexte

Une procédure d’inculturation herméneutique

Notre lecture sur la succession de Saül par David est celle de 1 Samuel 16,
1 – 13 dûment analysé dans son contexte comparé avec celui de la succession en
Afrique Centrale. Chacune de ces trois cultures de l’Afrique Centrale sus-
évoquées présente une caractéristique commune, non seulement, aux trois
cultures, mais aussi, à celle du peuple d’Israël. Cette caractéristique est une base
spirituelle qui fonde l’autorité du chef dans la communauté, soit-elle en Afrique
ou en Israël.

Notre approche de la lecture contextuelle de 1 S 16. 1 – 13 s’inspire de


celle de Justin S. Ukpong.46 Ce dernier met en conversation deux contextes, celui
du texte analysé avec celui qui nous concerne en Afrique, c’est-à-dire, du lecteur
que je suis. Sur ce point précis, je me suis dissocié d’Ukpong pour considérer le
troisième contexte que propose Jonathan A. Draper47 et que Gerald O. West48
explique. Joseph N. Mavinga « va plus loin quand il considère les deux contextes
d’Ukpong, non seulement symétriques, mais aussi comme étant deux
protagonistes qui se mirent mutuellement dans une relation de deux face-à-
face »49.

46
Justin S. Ukpong, “Developments in Biblical Interpretation in Africa: Historical and
Hermeneutical Directions,” in Journal of Theology for Southern Africa, 108 (2000), p.16.
47
Draper considère, en plus de deux contextes d’Ukpong, le troisième contexte ou pôle que je
représente comme lecteur dans mon contexte socioculturel de succession en Afrique Centrale.
Jonathan A. Draper, “Reading the Bible as Conversation: A Theory and Methodology for
Contextual of the Bible in Africa”, in Grace & Truth, 19/2 (2002), p.18.
48
West affirme que c’est « le lecteur ou la lectrice » qui facilite le dialogue de la signification du
texte analysé dans son contexte avec le contexte actuel du lecteur. Il ajoute que c’est le lecteur ou
la lectrice qui joue le rôle de modérateur ou modératrice dans le processus d’appropriation du texte
dans son contexte avec le contexte du lecteur. Le modérateur ou modératrice engage les deux
contextes de la succession, de 1 Samuel 16 et de l’Afrique Centrale de « converser » mutuellement.
Gerald O. West, “Interpreting ‘the exile’ in African Biblical Schorlarship : An Ideo-Theological
Dilemma in Post-colonial South Africa,” Exile and Suffering: A Selection of Papers Read at 50 th
Anniversary Meeting of the Old Testament Society of South Africa, Pretoria August 2007, eds.
Bob Becking and Dirk Human, Leiden: Brill, 2009, pp.249-252.
49
Deux protagonistes signifient ici les deux réalités qui jouent un rôle primordial et qui se situent
au premier plan dans le processus de l’inculturation herméneutique ou de la lecture contextuelle
que nous réalisons dans cet article. Joseph N. Mavinga, Exégèse des textes vétérotestamentaires
pour l’étudiant africain dans son contexte, Cotonou, PBA, 2016, p.77.

42
Cette illumination mutuelle de ces « deux contextes ou pôles » joue un rôle
clé dans l’explication ou l’interprétation de la signification du texte analysé avec
la situation de la succession en Afrique Centrale dans le cas qui nous concerne50.
La section qui suit traite de la lecture contextuelle proprement dite.

Une lecture appropriative de 1 Samuel 16, 1-13 dans le contexte

La fin du terme de l’autorité de Saül sur le trône d’Israël a laissé une note
négative, non seulement au peuple choisi de Dieu, mais aussi, au peuple en
Afrique. Ceci est dû au fait que Saül est parvenu au trône d’Israël sans avoir acquis
les vraies dispositions du cœur pour gouverner le peuple de Dieu selon les normes.

Pour diriger une communauté selon le contexte socioculturel africain, le


chef suit les principes traditionnels qui prévoient sa succession à la mort. Saül
était désiré par le peuple d’Israël (1 S 8, 5), toléré (1 S 8, 7) et désigné (1 S 9, 16
– 17) par Dieu qui donna l’ordre à Samuel de le oindre comme chef de son
patrimoine (1 S 9, 27 – 10. 1). Ce processus de nomination de Saül suggérait
certainement l’échec de sa gouvernance à cause de son caractère discret.

La nomination ou la succession d’un chef est souvent assistée d’anciens


et du peuple. Ceci est le cas des cultures Kongo, Béti-Fang et Bamiléké. Dans
chacune de ces cultures, la succession se passait de manière à éviter les conflits
au sein de la communauté. Ainsi, les sages personnes, les m’povi sont, chez les
Bakongo de la RDC, « les porte-paroles » pendant les palabres ou d’autres assises
au sein de la communauté. Les Banyabod-mvié, « les hommes mûrs » et les ntzig
ntôl, « les décideurs » sont ceux qui administrent la succession chez les Béti-Fang.
Les Madjoung ou Ku’gaing désignent, chez les Bamiléké, « les gens de la sécurité
au sein de la communauté. » Ils assurent la sérénité de la succession ou
nomination dans la communauté.

50
Joseph N. Mavinga, “The Influence of the Spirit World on African Leadership: A Contextual
Reading of 1 Samuel 28, 1 – 25,” Journal for Semitics 19/2 (2010): 515 – 516; Ibidem, p.77.

43
David reçut sa nomination comme roi du peuple de Dieu dans un contexte
similaire à celui de l’Afrique traditionnelle. Par contre, la nomination de Saül, par
l’onction d’huile se fit à huis clos, entre lui et Samuel (1 S 9, 27). Concernant
David, Dieu dit à Samuel : « lève-tôt, donne-lui l’onction, c’est lui » (1 S 16, 12b).
Cette identification de David par Dieu est plus qu’une simple désignation comme
ce fut le cas de Saül autrefois (1 S 9, 17). La particularité de la nomination de
David est soulignée par l’identification de sa personne par Dieu comme un roi qui
lui convient pour Israël (16. 1).

La différence entre la nomination de Saül et celle de David qui relève ce


premier roi d’Israël se confirme par le lien qui attache les chapitres 16 et 15 de 1
Samuel. « Tout est bien qui finit bien. » Le chapitre 16 souligne « le début de
l’histoire de l’ascension providentielle de David, qui s’achève en 2 S 5 par son
installation à Jérusalem, comme roi de Juda et d’Israël. »51

Un chef qui prospère, dans le contexte socioculturel en Afrique, est celui


qui jouit d’une réputation irréprochable au sein de sa communauté. Contraire à la
situation de Saül, les récits de 2 S3, 1 et 5, 10 opposent la déchéance de Saül au
progrès de David. Ceci s’explique par « une formule qui se répète sous forme de
refrain, le Seigneur était avec lui [David] »52. Nulle part cette formule est dite au
sujet de Saül, ce qui justifie son manque de soutien au long de l’exercice de son
autorité.

Si les chefs traditionnels de nos cultures africaines s’appuient sur les


esprits de leurs ancêtres et suivent leurs instructions, les rois en Israël sont appelés
à demeurer dans l’alliance avec Dieu en obéissant aux clauses qui maintiennent
cette alliance. La succession de David à Saül a présenté des multiples conflits du
roi sortant vis-à-vis de celui qui entrait. La cause principale de cela est
l’incompatibilité de l’Esprit du Seigneur en David et l’esprit mauvais qui habitait
en Saül.

Dans la plupart des pays d’Afrique, cet esprit mauvais en Saül n’est pas
tout à fait absent dans les personnes de chefs d’Etats, en fin de termes de leurs

51
TOB Intégrale, “note k,” sur le ch 16, page 572.
52
Cf. 1 Sa 16. 18 ; 17. 37; 18. 12, 14, 28; 20. 13; 2 Sa 5. 10. Ibidem, 572 ; (TOB Intégrale, p.571)

44
exercices d’autorité. La manière dont Saül se débattait pour se maintenir au trône,
au point d’attenter à la vie de David, son successeur, est encore une réalité dans
la majorité des pays en Afrique. L’amour excessif de soi et de ses intérêts du
pouvoir valaient plus, pour Saül, que l’amour du prochain et celui de son peuple.

Les bravoures, les exploits et les qualités morales de David étaient bafoués
par Saül pour des raisons de tourment causé par son infidélité à Dieu. Une jalousie
extrême basée sur la méfiance d’un successeur, pourtant très compétent de libérer
Israël, est bien expérimentée, ici et maintenant, dans les milieux sociopolitiques
en Afrique.

Les communautés socioculturelles d’Afrique présentent encore plus de


sérénité en matière de succession en leur sein. La paix expérimentée lors de la
succession dans ces communautés n’est-elle pas due à la mort du chef au pouvoir ?
Quitter ses honneurs et prérogatives pour les passer à son successeur est encore
un point fort d’apprentissage au sein du leadership en Afrique.

En République Démocratique du Congo, RDC, Joseph Kabila Kabange, a


usé d’une diplomatie couverte d’un verni de démocratie pour réaliser un projet de
succession qui a répondu à son pouvoir discrétionnaire. Une telle surprise était
généralement contre les attentes des uns et des autres. Elle a été pourtant accueillie
comme un moindre mal sur un changement désiré pour le pays. Sa politique,
sournoisement jouée, garantit ainsi son séjour dans le pays.

Conclusion

« Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, et Dieu ramène
[aujourd’hui] ce qui est passé » (Ec 3. 15). Il n’y a donc rien de nouveau sous le
soleil. Ce qui s’est passé avant, se passe encore de nos jours. La succession du
temps de Saül, avec tous les conflits causés par la méfiance de ce dernier sur
David, son successeur, revient sous différentes formes ici et maintenant.

La recherche personnelle de maintenir ses intérêts, sa position et son


pouvoir est souvent à la base de tout conflit sur la succession aujourd’hui. La
société traditionnelle en Afrique s’articule sur une différente structure de
succession. Cette dernière n’intervient qu’après la mort du chef en exercice au

45
sein de la communauté donnée. En plus, le caractère homogène du peuple au sein
d’une culture facilite l’unité et l’harmonie dans le processus de la succession. En
dehors de cette réalité, particulièrement, au niveau national, les cultures
présentent une structure composite dont la mentalité diverge plus qu’elle ne
converge vers un consensus.

Cette situation suggère celle de Saül et David, mais aussi celle de la


majorité des pays en Afrique. L’attitude de David vis-à-vis des attentats de Saül
contre sa personne inspire désormais les politiciens d’Afrique de s’en remettre à
la providence divine plutôt qu’aux appuis des grandes puissances. Les solutions
aux problèmes qui se posent au sein des communautés, particulièrement, en
Afrique Centrale, ne peuvent être efficaces que lorsqu’elles sont apportées par les
fils de ces communautés eux-mêmes.

46
BIBLIOGRAPHIE

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47
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and Hermeneutical Directions”, in Journal of Theology for Southern Africa 108
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Sources internet

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ancien-royaume-du-kongo-inscrit-sur-la-liste-du-patrimoine-
mondial.html/site/accede/18.02.2019

48
LA SUCCESSION DANS LE PROPHETISME, LE CAS D‘ ELIE ET
ELISEE (1R 19, 19-21)

Dr Kisito ESSOMBA KOUNGOU


Élisée a été oint prophète par Élie pour être son successeur. Le récit de 1R 19, 19-
21 montre Élisée, issu d’une famille aisée du Jourdain, à la suite d'Elie. Cette
péricope est extraite des traditions élohistes concernant Élisée et a été rattachée
au récit de la théophanie à l'Horeb pour préparer la transition entre les différents
cycles des deux prophètes. Un premier regard transversal de l’AT nous fait
découvrir des traits mosaïques attribués à Elie en 1R 19 et qui laissent présumer
que la succession Élie-Élisée serait la réception de celle de Moïse à Josué (Nb 27,
18-22 ; Dt 31,7-32,44; 34,9) et de la figure de Moïse. Sur l’ordre de Dieu, il avait
établi Josué continuateur de son œuvre. Il en est de même avec Élisée qui prendra
la relève après l'enlèvement d’Elie (Jos 1,1). Comme pour Josué, le choix d'Élisée
est celui de Dieu. Elie l'évoque dans sa réponse à son successeur. Celui-ci rend
grâce, prend congé des siens et part pour une nouvelle destinée53. Les deux
ministères pouvaient-ils coexister ? Comment Élisée succède-t-il à Élie ? Lorsque
nous suivons l’histoire de ces deux hommes de Dieu, n'apparaît-il pas clairement
que les circonstances liées à l'enlèvement d'Elie aux cieux deviennent la
préparation d'Élisée à son ministère sur la terre ?54
Le récit de la succession d’Elie par Élisée comme prophète (1R 19, 19-21) prépare
celui de l’enlèvement d’Elie en 2R 2, 1-18. L’intrigue de la narration tourne autour
d’Élisée et non d’Elie. À l’Horeb, Dieu avait désigné Élisée comme successeur
d’Elie (1R, 19, 16). Elie investit Élisée comme son disciple en lui jetant son

53
Cf. C. COULOT, L'investiture d'Élisée par Élie (1R 19, 19-21), in Revue des Sciences
Religieuses, tome 57, fascicule 2, 1983. p. 81-92. Cf. J. A. MONTGOMRY, H. S. GEHMAN, A
critical and exegetical Commentary on the Books of Kings, Edinburgh 1960; cf. A.
KLOSTERMANN, Die Bücher Samuelis und die Könige, Nordlingen, 1887.
54
Dans ce récit, Elie cesse d’être le personnage principal, d’abord parce qu’il quitte la scène
terrestre, et ensuite parce qu’il laisse son ministère à un homme qui sera oint d’une double onction
de l’Esprit et qui le fera donc rapidement oublier. L’auteur renforce cette mise à l’écart dans les
faits par sa manière de raconter l’événement. L’intrigue de la narration tourne autour d’Elisée et
non d’Elie.

49
manteau sur les épaules55. Élisée le suit et se met à son service jusqu’au jour où
son maître est emporté aux cieux sur un char de feu.

I- L’origine du texte de la Succession (1R 19, 19-21)

Signalons de prime abord que ce texte a quelques traits particuliers de tous les
écrits prophétiques : (1) Il est le seul à relater, en plus d’un appel, une investiture
prophétique56. (2) C’est aussi le seul récit dans lequel un prophète en investit un
autre57. (3) Certes il s’agit d’une succession prophétique, mais elle reste cependant
un transfert de pouvoir d’un leader à un autre. (4) Enfin 1R 19, 19-21 est l’un des
rares récits de vocation de l’Ancien Testament à évoquer un adieu aux parents.
L’introduction de la péricope (1R 19, 19a) permet la liaison avec le texte
précédent. Elle dénote cependant un manque de cohérence entre la théophanie à
l’Horeb et 1R 19, 19-21. En fait à l’Horeb, Dieu demande à Elie de reprendre son
chemin en direction du désert de Damas pour aller oindre Hazaël comme roi
d’Aram (1R 19, 15) ; le voici maintenant auprès d’Élisée qui est d’Avel-Mehola.
La suite du verset 19 rapporte la rencontre d’Elie et d’Élisée et l’investiture de ce
dernier. Rien à voir avec la fin du récit précédent (1R 19, 15-16).
Nous pouvons constater qu’en 1R 19, 1-18 Elie joue le premier rôle et qu’en 1R
19, 19-21 c’est déjà Élisée qui le joue. Ce qui nous fait dire que ce récit de
l’investiture d’Élisée n’est pas une suite directe à celui de la mission reçue de la
théophanie à l’Horeb. Ce serait une petite unité littéraire qui proviendrait d’une
autre tradition que le Cycle d’Elie.58
La conclusion de cette péricope (v. 21) est le seul long verset qui raconte l’adieu
d’Élisée aux siens. Elle rappelle le récit de la vocation de Gédéon (Jg 6, 11-24) et
relate un sacrifice offert par celui qui a été choisi. Cette péricope ne pourrait être

55
Nous retrouverons le manteau prophétique qu'Elie jette sur les épaules de son successeur en
2R 2, 8-10, 13-14, dans le récit de l'enlèvement d'Elie qui appartiendrait au Cycle d'Élisée, cf. C.
ALCAINA CANOSA, « Panorama critico del Ciclo de Eliseo », in EstBib 23 (1964), p. 217
56
Cf. C. COULOT, Matériaux pour une étude de la relation « maître et disciple » dans l'Ancien
et le Nouveau Testament 1, Strasbourg 1979, p. 87-91.
57
Cf. Id., Ibid., p. 109, 112.
58
Cf. O. H. STECK, Überlieferung und Zeitgeschichte in der Elia-Erzählungen, in WMANT
26, Neukirchen 1968, p. 5-28.

50
rattaché au Cycle d’Elie59.Elle présente des particularités assez éloignées du génie
deutéronomiste et proviendrait d’une tradition différente d’elle. Il est cependant
possible d’observer quelques ressemblances littéraires entre le récit de la vocation
d’Élisée et le cycle attribué à ce prophète.
- La brièveté du récit de l’investiture d’Élisée rappelle celle de plusieurs petites
unités littéraires de la geste du prophète.
- Le motif du manteau prophétique qu’Elie jette sur les épaules de son successeur
se retrouve en 2R 2, 8-10, 13-14, dans le récit de l’enlèvement d’Elie qui
appartiendrait au Cycle d’Élisée.
- Les récits d’Hazaël et de Jéhu (2R 8-13), annoncés en 1R 19, 15-18, sont
attribués au cycle d’Élisée.
- Au plan littéraire, le substantif ‫( אַ דֶ ֶרת‬manteau)60, sous la même forme (‫ אַ דַ ֽרתֹו‬son
manteau) que nous avons en 1R 19, 19-21, ne se retrouve plus qu’en 2R. Et le
substantif ‫( צֶ מֶ ד‬couple de bœufs) ne se rencontre plus en 1R, mais se lit en 2R 5,
17 et 2R 9, 25, dans le Cycle d’Élisée.
Ces arguments synchroniques nous permettent de conclure que le récit de la
vocation d’Élisée a été placé à la suite de la théophanie à l’Horeb pour préparer
la mission d’Élisée et la relier au Cycle d’Elie, ce qui paraît plus cohérent.61

59
La plupart des auteurs rattachent ce récit au cycle d'Élisée cf. A. ALT, Die Literarische
Herkunft von 1R 19, 19-21, in ZAW 32 (1912) 124.
60
Le mot tr,D,a; signifie précisément « le manteau royal » ainsi, selon Jon 3, 6, le roi de Ninive
fit glisser sa robe royale pour se couvrir d’un sac cf. W. GESENIUS, Hebräisches und
Aramäisches Handwörterbuch für das Alte Testament, Berlin/Gottingen/Heidelberg 1962, p. 686.
Il peut aussi désigner le vêtement officiel du prophète cf. J. A. MONTGOMRY, H. S. Gehman, A
Critical and Exegetical Commentary on the Books of Kings, Edinburgh 1960, p. 316. Il s’agirait
d’un vêtement de poil que portait le prophète (2R 1, 7-8). Selon 1R 19, 13, 19 ; 2R 2, 13s, le
manteau revêtirait Elie de l’autorité royale de Dieu, car il aurait rétabli en Israël la royauté de
Yahvé cf. E. HAULOTTE, Symbolique du Vêtement selon la Bible, Paris 1966, p. 165-167.
61
Cf. R. P. CAROLL, The Eljah-Elisha Sagas, some Remarks on Prophetic Succession in
Ancient Israel, in VT 19 (1969), p. 409-415.

51
II- La Succession Elie-Elisée 1R 19, 19-21
Afin de comprendre le sens de cette succession, il faut préciser le sens de
l’investiture d’Élisée comme disciple-prophète et de la séparation du maître Élie
de son disciple.
L’investiture d’Élisée.
La lecture de 1S 24 peut faciliter la compréhension de 1R 19, 19.62 D’après ce
récit il en ressort que le manteau représente la personnalité de celui qui le porte ;
il est le symbole de sa notabilité et de ses prérogatives. Si le manteau représente
la personnalité et les droits de son propriétaire, il peut aussi symboliser son esprit
selon 2R, 1-8.63
À son nouveau disciple qui lui demanda la permission de rentrer dire au revoir à
sa famille, la réponse d’Elie : ‫יתי לְָך‬ִ ‫לְֵּך שּוָב כִ י מֶ ה־ע ִָש‬64a reçu de nombreuses
traductions. Quant à nous, il nous paraît difficile de comprendre l’expression
« va ! Retourne ! » Indépendamment de son contexte. La deuxième partie de la
réaction d’Elie obscurcit de plus en plus le sens ( ‫יתי לְך‬ ִֹ ‫) כִֹ י מֶ ה־ע ִֹש‬. La préposition
" ‫( לְך‬à toi) est au féminin, à la place de ‫ לִֽ ך‬est le signe indicateur de l’emprunt
d’un style non-deutéronomiste65.
Nous choisissons de suivre Luther qui voit en cette réponse une permission et une
mise en garde de la mission reçue. Elie accorde la permission en même temps
qu’il présente le prophétisme avec des exigences qui ne sont pas excessives (va,
reviens ! [Rappelle-toi de] ce que je t’ai fait).

62
Poursuivi par Saül, David s’était réfugié dans une grotte de la falaise d’Ein-Guedi. Saül à sa
recherche y entra pour satisfaire à une nécessité naturelle. Profitant de l’occasion, David coupa
furtivement le pan du manteau de Saül, puis « il sentit battre son cœur parce qu’il avait coupé le
pan du manteau de Saül. Il dit à ses hommes : « Que le Seigneur m’ait en abomination si j’ai fait
cela à mon Seigneur, le messie du Seigneur. Je ne porterai pas la main sur lui car il est le messie
du Seigneur. » Et il ne permit pas à ses hommes de se jeter sur Saül. »
63
R. de VAUX, Elie le prophète, Et. Cann, Bruges 1956, p. 69.
64
FBJ, TOB et DRB traduisent : " Va, retourne, que t'ai-je donc fait ? " Les traductions
anglaises (NAS, KJV) ont “Go back again: for what have I done to thee (you)?” Les versions
allemandes suivront LUT qui traduit „Geh, aber komm dann zurück! Bedenke, was ich an dir
getan habe (va, mais ensuite rentre! Rappelle-toi de ce que je t’ai fait).“
65
Cf. R. P. CAROLL, The Eljab-Elisha Sagas, p. 408-414.

52
Élisée a bien saisi le sens de l’investiture ! Elie lui a jeté son manteau sur les
épaules, il lui a conféré son esprit, sa fonction et ses prérogatives, mais ce n’est
pas lui l’investigateur de l’investiture. Élisée aura compris, il offrira un sacrifice.66
Durant la marche qui précéda l’enlèvement d’Elie, Élisée souhaita recevoir le
double de son esprit. Le souhait fut réalisé lorsqu’il ramassa cette fois-là lui-même
le manteau qu’Elie avait laissé tomber et retraversa le Jourdain après l’avoir
frappé du manteau, comme son maître. À son arrivée à Jéricho, on le reconnut
comme prophète : « L’esprit d’Elie repose sur Élisée. » (2 R 2, 15). En 1R 19, 19,
lorsqu’il reçoit le manteau d’Elie deux fois, non seulement Élisée entre au service
d’un maître, mais il acquiert aussi sa personnalité, son esprit, son enseignement
et sa fonction.

La séparation et la mise à l’écart

Elie veut se séparer d’Élisée, son serviteur, mais celui-ci refuse solennellement
trois fois (2 R 2, 2. 4. 6). L’insistance d’Élisée à suivre Elie suscite beaucoup de
questions. Pourquoi vouloir accompagner Elie à tout prix ? Pourquoi lui désobéir
? Cette désobéissance sera-t-elle sanctionnée par Elie ? Dans le passé, deux
prophètes avaient été frappés de mort pour avoir été infidèles (1 R 13, 21-24 ; 20,
35-36). Manifestement, Elie n’attendait pas le départ d’Élisée. Les fils des
prophètes67 avaient d’ailleurs indiqué que l’enlèvement se ferait « au-dessus de la
tête d’Élisée » (v. 3, 5), confirmant ainsi la nécessité de la présence d’Élisée à ce
moment-là. Elie veut-il alors mettre Élisée à l’épreuve pour voir à quel point celui-
ci lui est attaché ? À la grande surprise, Elie propose tout à coup de récompenser
Élisée : « Demande ce que tu veux que je fasse pour toi avant que je sois enlevé
d’avec toi » (2 R 2, 9).

66
Cf. R. De VAUX, Les sacrifices de l'Ancien Testament, Paris 1964, p.31-33.
67
L’identité des « fils des prophètes » a fait couler passablement d’encre. On parle souvent
d’écoles de prophètes ou de communautés de prophètes. Peut-être s’agit-il simplement de
communautés de fidèles. On parlerait aujourd’hui d’« églises de maisons » pour représenter ceux
qui, insatisfaits du courant officiel, se retrouvent en dehors des structures ecclésiales, pour vivre
et célébrer leur foi. N’oublions pas que dans le royaume du nord, le culte officiel, centré autour
des autels de Béthel et de Dan, était largement corrompu. Ces fils des prophètes n’exerçaient peut-
être pas une activité prophétique particulière, mais suivaient fidèlement l’enseignement des
prophètes.

53
La réponse d’Élisée, qui révèle sa consécration sincère, est purement ministérielle
comme celle de Salomon (1R 3, 9)68. Mais il faudra attendre jusqu’au départ
d’Elie pour être fixé : « Si tu me vois pendant que je serai enlevé d'avec toi, cela
t'arrivera ainsi ; sinon, cela n'arrivera pas » (2R 2.10)69. L’intrigue tourne ainsi
autour des conditions de l’enlèvement qui font en fait la succession entre Elie et
Élisée, et non de l’enlèvement d’Élie lui-même.
Elie est satisfait de la formation de son serviteur Élisée. Jamais dans le passé, il
n’avait offert la moindre chose et voilà qu’il offre « ce que tu veux que je fasse
pour toi ». Aucune limite n’est fixée à la proposition, comme Dieu lui-même à
Salomon au début de son règne. Les deux phrases sont formées de quatre mots, et
seul le verbe change : YHWH propose de donner (‫ )נּתן‬et Elie de faire (‫)עשה‬.
Salomon avait fait le bon choix en demandant la sagesse. Élisée demande une
double portion de l’esprit d’Elie. Désire-t-il dépasser Elie ou simplement recevoir
la part d’héritage du fils aîné, qui était le double de celle des autres fils (cf. Dt
21.17) ? Son désir se réalise dans la double réception du manteau de son maître70.
Pour ce faire Élisée nous enseigne trois attitudes du bon disciple :
- Suivre son maître jusqu’au bout, comme il l’a fait, jusqu’au moment de
l’enlèvement.
- Être témoin des événements significatifs de son maître, comme il l’a été lors de
l’élévation d’Elie au ciel.
- Connaître son maître jusqu’aux petits mots et gestes et rester profondément
attaché à lui.
En outre, il n'y a pas seulement le rappel de grandes vérités importantes pour la
suite de son ministère, des cours doctoraux, dirons-nous aujourd’hui, aux
différentes étapes de ce dernier voyage71, mais la mise à l'épreuve de ses affections

68
Élisée veut être le digne successeur d’Elie, il ne veut pas le dépasser de son vivant. Le
narrateur soulève aussi une autre interrogation, qui n’est pas liée au sens de la requête, mais à son
exaucement.
69
Cf. R. De VAUX, Elie le prophète, 69. Le récit nous montre la réalisation du souhait car
Élisée trouva le manteau d'Elie et retraversa le Jourdain après l'avoir frappé du manteau, comme
son maître. À son arrivée à Jéricho, on le reconnut comme prophète : « L'esprit d'Elie repose sur
Élisée. » (2R 2,15). En 1R 19, 19, lorsqu'il reçoit le manteau d'Elie, non seulement Élisée entre au
service d'un maître, mais il acquiert aussi sa personnalité, son esprit et sa fonction.
70
Cf. Id., Ibid., p. 69.
71
À Guilgal, il est enseigné à Élisée la sainteté de Dieu qui demande le jugement de la chair ;
à Béthel, la grâce immuable de Dieu qui nous bénit, nous garde et nous garantit d'atteindre le but

54
par ces paroles d'Elie, répétées trois fois : « Reste ici, je te prie » (2 Rois 2, 2. 4.
6). Sans doute l’amitié entre Élie et Élisée a aidé les deux hommes à endurer des
moments difficiles.
Son désir de le suivre et de le servir est l’expression de son affection et de la soif
de la connaissance et à la suite l’envie du dépassement de son Maître. À Elie, le
prophète solitaire qui aspire à la solitude, le prophète du jugement, succède Élisée,
l’homme social, le prophète de la grâce. Élisée développe l’aspect effacé du
ministère de son prédécesseur.
En définitive la succession Élie-Élisée est celle d’un disciple studieux,
profondément attaché à l’enseignement et à la personne de son maître. Il a su
apprendre à connaître son maître, cerner le but de ses études, aimer les
enseignements, y a adjoint la régularité, la persévérance devant les obstacles et
l’espérance72.
Mais le ministère d’Élisée a-t-il été supérieur à celui d’Elie (en est-il le double) ?
Certainement, mais après le départ de son maître. Tout de suite nous voyons Élisée
qui agit dans la puissance de sa nouvelle vie. Il retourne vers une nation ruinée,
coupable d'avoir transgressé la Loi, souillée par l'idolâtrie et ayant abandonné
YHWH. Et au milieu de cette scène de misère et de désolation, il présente la
souveraineté de Dieu qui s'élève au-dessus du péché de l'homme et qui agit dans
la suprématie de la grâce.

de notre voyage ; à Jéricho, la grande puissance de Dieu par laquelle nous sommes soutenus ; et
au Jourdain, la séparation du monde, afin que nous puissions entrer sur le terrain céleste et devenir
les témoins d'une vie céleste.
72
Cf. D. ARNAUD, Élisée, Précurseur de Jésus-Christ, Commentaire de 2R, 2-9, Emmaüs,
Paris, 2002, p. 187-195.

55
56
HERITAGE ET SUCCESSION DANS LE ROMAN DE JOSEPH ET
D’ASENETH
Dr Guénolé FEUGANG
Le Roman de Joseph et d’Aseneth a déjà fait l’objet d’une étude sous l’angle de
l’intégration d’une étrangère dans la communauté juive par le mariage. Je renvoie
le lecteur au Chapitre 4 de ma thèse doctorale de 201473 et à l’introduction
générale sur les données diachroniques du livre74. Je propose de lire ce texte de la
littérature intertestamentaire dans la perspective des questions d’héritage et de
succession, non pas des biens matériels ou financiers, mais des visions du monde,
des valeurs, des traditions et de la culture.

Joseph et Aseneth en Gn 41, 37-56

Joseph a trente ans lorsqu’il devient (Gn 41, 46), par décret du Pharaon, le second
homme fort du pays, le majordome du Pharaon. Ce dernier n’est supérieur à
Joseph que par le trône. Le contexte est celui de l’abondance du blé qui contrastera
avec la grande famine. C’est pour tenir pendant les sept années de rude famine et
sécheresse que Joseph se révèle comme l’homme de la situation. Voici le fils de
la vieillesse de Jacob (Gn 37, 1-2), le bénéficiaire et l’interprète des songes (Gn
37, 3-11 ; 40, 1-41, 13), l’étranger hébreu en Egypte (Gn 39, 14), victime de la
jalousie de ses frères (Gn 37, 1-11), de la vente et du rapt (Gn 37, 12-36), acquis
des Ismaélites par l’eunuque du Pharaon (Gn 39, 1-6 ; 41, 12), accusé faussement,
fugitif et prisonnier en Egypte (Gn 39, 7-20), devenu la seconde personnalité du
pays (Gn 41, 40.43).
C’est dans ce contexte que l’hébreu reçoit du Pharaon Aséneth, l’égyptienne, la
fille de Poti-Phéra, le prêtre d’Héliopolis où se célèbre avec faste le culte du Soleil
(Gn 41,45). De cette union sortiront 2 enfants, Manassé et Ephraïm, qui
deviendront les enfants de Jacob, et formeront deux des Douze tribus d’Israël (Gn
48).

73
FEUGANG, G., Récit du salut et de l’intégration des étrangers dans le livre des Actes des
Apôtres. Analyse narrative et interprétation théologique d’Actes 10, 1-11, 18, ANRT, Lille, 2014,
p. 167-190.
74
La Bible. Ecrits Intertestamentaires, « Joseph et Aseneth », Gallimard, Paris, 1987, CXXII-
CXXIV.

57
Si le cycle de Joseph dans la Bible hébraïque voudrait rendre compte de l’essor et
de l’intégration des hébreux dans la société égyptienne, dont l’histoire de Joseph
est paradigmatique, le roman grec de Joseph et d’Aseneth répond à une autre
préoccupation dans un contexte historique différent. Le problème identitaire qui
se pose pour les hébreux et la percée du séparatisme juif dans les milieux
religieux, intellectuels, sociaux et politiques rendent incomestible et indigeste le
mariage de Joseph, l’hébreu, avec Aseneth, l’égyptienne. Puisque la figure de
Joseph est fondamentale, impossible de s’en prendre à lui ni de contester les
Ecritures dont la réécriture est désormais close. Il faut trouver des arguments pour
justifier ce mariage entre celui qui adore le Seigneur et celle qui rend un culte au
Soleil puisque son père est prêtre à Héliopolis.

Le Roman de Joseph et d’Aseneth apparaît ici comme une littérature de précision


et de persuasion. Il est un texte qui précise que si Joseph s’est marié avec une
idolâtre égyptienne, c’est parce qu’elle s’est convertie au Dieu des Hébreux. Il est
un texte persuasif parce qu’il faut convaincre le lecteur de ne pas épouser des
étrangers en prenant un exemple sur Joseph, parce qu’en fait, Aseneth était une
prosélyte et non une « païenne ». Ainsi donc, la nouvelle vision du monde et les
valeurs qui doivent être transmises aux générations présentes et futures, cet
héritage ne peut passer aux générations sans d’une certaine manière réécrire
l’histoire. La succession ici est assurée mais subvertie.

Le conflit entre parents et enfants : qui sera le futur époux d’Aseneth ?

Dans de nombreuses sociétés, il était traditionnel que le père de la fille lui trouve
un époux ou du moins accepte ou rejette le choix de la fille ou du prétendant.
L’économie narrative biblique ne donne aucune information sur les conditions
dans lesquelles Pharaon offre à Joseph la fille du Prêtre d’Héliopolis. Il en est
autrement dans le Roman.
C’est le fils du Pharaon qui, après avoir entendu parler d’Aseneth, voudrait
l’obtenir comme épouse de son père. Mais celui-ci la lui refuse, objectant qu’elle
est de rang inférieur. Pour le Pharaon, son fils doit épouser une fille de sa classe
sociale. Ce ne peut être qu’une fille d’un autre roi. Le Pharaon propose ainsi la
fille de Joachim, le roi de la Palestine. Les princes et les princesses se marient
entre eux (I, 11-14). Le lecteur observe ici une sorte de condescendance du

58
Pharaon envers une fille de prêtre. Or, qu’Aseneth ne soit pas la fille d’un roi
importe peu au fils du Pharaon.

A Héliopolis, c’est le prêtre Pentéphrès qui veut donner sa fille comme


épouse à Joseph, arguant que c’est lui le chef de tout le pays (IV, 8), en plus d’être
pieux, chaste, et vierge comme Aseneth, puissant par sa sagesse et ses
connaissances, ayant l’Esprit de Dieu sur lui et la grâce de Dieu étant avec lui.
Aseneth proteste contre ce projet de son père. Pour elle, c’est le fils du Pharaon,
le roi de tout le pays, qu’elle voudrait avoir pour époux (IV, 15). Il n’est pas
question pour elle d’épouser un fugitif, un esclave et quelqu’un de basse moralité,
et qui en plus n’est pas le véritable chef en Egypte (IV, 12-14). Aseneth
reconnaîtra plus tard avoir eu des paroles méprisantes et mauvaises envers Joseph
(VI, 4.6s).

Le refus de Pharaon de donner Aseneth comme épouse à son fils ouvre la


voie à Joseph qui ne connaît pas les projets du prêtre d’Héliopolis (IV, 10). Le
refus colérique d’Aseneth de répondre au projet de son père, le prêtre
d’Héliopolis, semble fermer la voie à un éventuel mariage entre Joseph et
Aseneth. Mais quelle sera la position de Joseph à l’écoute de ce projet de
mariage ?

Joseph refuse à son tour de prendre Aseneth comme épouse malgré


l’insistance et les arguments du prêtre d’Héliopolis (VII, 8-11). L’hébreu s’y
oppose par fidélité aux paroles de son père Jacob et par obéissance à son Dieu.
C’est perdition, corruption, abomination et péché pour le fils de Jacob d’épouser
une femme étrangère, une idolâtre (VII, 5-6 ; VIII, 1.7).

Le lecteur est confronté ici à deux héritages : une convention sociale de


mariage de classe et une convention religieuse de mariage sacré. Le Pharaon
voudrait transmettre à son fils ces règles et codes sociaux alors que Joseph
voudrait être fidèle à l’héritage religieux reçu de son père Jacob. Il se pose donc
un problème de succession sur le plan socioreligieux. En l’état, les positions du
Pharaon et celles de Joseph sont irréconciliables, alors que la fille du prêtre et le
fils du Pharaon sont sur la même longueur d’onde. Quelles sont les conditions
dans lesquelles la succession ou la transmission se fera ? Y aura-t-il rupture dans
les traditions égyptiennes et hébraïques autour du mariage entre deux personnages
qui s’opposent sur le plan ethnique, religieux et sociologique ?

59
La caractérisation de Joseph et d’Aseneth : pas d’antagonisme
irréconciliable

Comment l’hébreu Joseph, adorateur du Seigneur, a-t-il pu épouser une


idolâtre égyptienne ? Dans un contexte de crise identitaire ou de construction
d’identité, la question de la succession d’une génération par une autre ou de ce
qu’il convient de transmettre aux générations en proie à des interrogations, il est
intéressant d’analyser comment sont construits les personnages. Les jalons du
séparatisme juif se laissent voir.
Les destinataires du roman Joseph et Aseneth sont des hébreux qui
s’interrogent sur le mariage avec les autres peuples. La question du mariage ici
soulève le problème de l’intégration des étrangers dans la communauté juive. Les
figures de Joseph et d’Aseneth sont ici exemplaires ou paradigmatiques
puisqu’elles mettent en lumière les conditions de cette intégration. D’entrée de
jeu, le texte ferme la porte à deux tentations : rejet de toute intégration peu importe
le candidat ; rejet de l’intégration sans conversion au judaïsme ou adoption des
traditions juives. L’auteur du récit ne voudrait pas non plus transmettre en l’état
le texte biblique sans justifier ce mariage qui intrigue tant.

60
DE ZACHARIE A JEAN-BAPTISTE
Dr Patrice MEKANA, SAC

Introduction

Jean-Baptiste est l’une des figures centrales du Nouveau Testament, surtout pour
bien comprendre l’événement Jésus. D’après les récits évangéliques, en effet, le
Fils de Zacharie et d’Elisabeth joue un rôle important dans le ministère public de
Jésus. Il baptise Jésus dans les Synoptiques (Mc 1,9-11 //). Dans le quatrième
évangile, il rend témoignage sur Jésus et le présente comme « l’agneau de Dieu
qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), perdant de ce fait deux de ses disciples
qui se mettront désormais à la suite de Jésus (Jn 1,35-37). Jean-Baptiste se situe à
la charnière de l’histoire du salut. Appelé par Jésus le plus grand des prophètes,
c’est lui aussi qui termine la longue liste des prophètes de l’ancienne alliance, en
même temps qu’il sert de point de départ au ministère de la nouvelle économie.75
De façon imagée, on pourrait dire qu’il a un pied dans l’Ancienne Alliance un
autre dans la Nouvelle. La question qui nous habite dans cette réflexion est celle
de savoir comment le relais de l’histoire du salut est-il passé de Zacharie à Jean-
Baptiste. En d’autres termes, comment la succession est-elle assurée entre le
prêtre Zacharie et le prophète Jean-Baptiste, son fils ? Pour analyser cette
succession toute particulière, nous regarderons tour à tour les éléments de
continuité et de discontinuité dans les vies de Zacharie et de son fils Jean, pour
montrer comment, à travers ces deux personnages, nous avons en œuvre la
transition entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Nous conclurons en présentant
Jean-Baptiste comme le personnage des ruptures.

1. De Zacharie à Jean-Baptiste : Quelques éléments de continuité

La péricope de l’annonce de la naissance de Jean faite par l’ange à Zacharie nous


est connue : Lc 1, 5-20. Comme genre littéraire, elle fait partie des annonces des
naissances des grands personnages dans la Bible : c’est le cas de Isaac, de Samson,

75
Cf. Dictionnaire biblique Jean-Augustin Bost, « Jean », dans
https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-Bost-1159-Jean.htm.

61
de Samuel et de Jésus. Jean-Baptiste sera donc « l’enfant de la promesse divine,
donnée à des vieillards, comme Isaac l’avait été à Abraham et Sara. »76
Notre premier centre d’intérêt porte sur le message de l’ange dont les points
importants sont les suivants :
L’enfantement d’un fils et la dation du nom de ce fils, Jean ;
La destinée de ce fils : il sera source de joie et d’allégresse pour Zacharie et pour
beaucoup de gens ; il sera grand devant le Seigneur ; il sera rempli de l’Esprit
Saint dès le sein de sa mère ; il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur
leur Dieu ; Il marchera devant le Seigneur avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour
ramener les cœurs des pères vers leurs enfants, et les rebelles à la prudence des
justes, pour préparer au Seigneur un peuple bien disposé.
C’est une véritable annonce du salut. En effet, le désir de Zacharie et d’Élisabeth
d’avoir un enfant rencontre la prière du peuple qui attend le salut. Comme le note
François Bovon: « la complémentarité de l’individu et du peuple, l’élection de
l’individu pour le salut de tous, et leur communion ont rarement été exprimées
aussi clairement. »77 La joie qui explosera dans la suite du récit ne sera pas causée
par une naissance quelconque, mais par celle de celui qui, d’une certaine façon va
annoncer le salut au peuple, mieux préparer le peuple à accueillir le salut.
Cette annonce de l’ange se réalise dans la péricope Lc 1, 57-79 qui relate trois
scènes, à savoir : la naissance de Jean, sa circoncision et le cantique de Z acharie.
La première scène est racontée de façon furtive, avec une sobriété étonnante :
« Pour Élisabeth arriva le temps où elle devait accoucher et elle mit au monde un
fils « (Lc 1,57). L’accent est davantage mis sur la deuxième scène, celle de la
circoncision de l’enfant et de la dation de son nom (Lc 1, 59-66).

Nous nous arrêtons sur le chant de louange de Zacharie qui se laisse diviser en
deux parties :
vv. 68-75 : L’action de grâce pour le salut que Dieu offre à son peuple
vv. 76-79 : L’identité et la mission de Jean
En réalité, Zacharie reprend d’une certaine façon les paroles de l’ange Gabriel :
« Tu marcheras par devant sous le regard du Seigneur, pour préparer ses chemins »
(Lc 1,76 cf. 1,15) ; « Tu donneras à son peuple la connaissance du salut par le
pardon des péchés » (Lc 1,77 cf. 1, 16-17). Zacharie, à la suite de l’ange Gabriel,

76
Jean Steinmann, St Jean-Baptiste et la spiritualité du désert, Seuil, Paris, 1955, p. 54.
77
François BOVON, L’évangile selon saint Luc (1-9), Labor et Fides, Genève, 1991, p. 57.

62
esquisse les grands axes de la mission de Jean, sans pour autant donner des détails.
C’est en lisant les évangiles que nous découvrons comment cette mission est
accomplie.

Dans les évangiles synoptiques

C’est effectivement dans le ministère de Jean, tel que décrit dans les évangiles,
que nous voyons la continuité dans la succession entre Zacharie et Jean-Baptiste.
Chez les Synoptiques, en effet, le ministère de Jean est l’accomplissement de la
prophétie de son père Zacharie et de l’ange Gabriel (cf. Lc 3,1-18). Reprenant la
Bonne nouvelle de consolation du prophète Isaïe (Is 40,1-5), Jean ramène les fils
d’Israël au Seigneur. Il forme pour le Seigneur un peuple préparé (Lc 1,17). Il
appelle à la conversion, car le salut est proche. Les fruits de la conversion doivent
toucher le quotidien de chaque personne. A la question centrale : « Que devons-
nous faire ? », Jean répond : Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec
celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même ; les
collecteurs d’impôts ne doivent exiger rien de plus que ce qui leur est fixé ; les
militaires ne doivent faire ni violence ni tort à personne, et ils doivent se contenter
de leur solde ( Lc 3,10-14) : « Au-delà du message apocalyptique (la ‘colère’ et
la ‘hache’), Jean manifeste une sagesse compréhensive. Il ne demande pas la
rupture avec ce monde. Il ne cherche point de recrues pour un monastère. Il invite
chacun à vivre justice et sainteté dans l’état où il se trouve. »78 Cette prédication
s’accompagne d’un geste - le baptême - qui vise le même objectif : préparer un
peuple pour le Seigneur, la conversion.

Dans le quatrième évangile

Dans le quatrième évangile, Jean est un prophète, il n’est cependant pas Le


prophète. C’est Jésus qui est le prophète qui doit venir dans le monde. C’est
d’ailleurs l’un des grands thèmes de l’évangile. Cela se laisse voir dès le prologue
: Jean n’est pas la lumière, il est envoyé pour rendre témoignage à la lumière (cf.
Jn 1, 6-8). Cela transparaît aussi lors de l’interrogatoire des prêtres et des lévites
venus de Jérusalem : Jean n’est pas le Christ, il n’est pas Elie, il n’est pas le
prophète : Il n’est que la voix de celui qui crie dans le désert. La mission de Jean

78
Ibidem, p. 56

63
dans cet évangile est davantage celle de témoin. Il désigne Jésus comme « celui
qui est au milieu de vous et que vous ne connaissez pas » (Jn 1,26) et comme
« l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).
Le Fils de Zacharie est très humble. Il oriente même deux de ses disciples vers un
autre maître, prenant ainsi le risque de les perdre. Ce qui arrivera d’ailleurs (cf. Jn
1,37). Il a été envoyé devant Jésus pour le faire connaître. Il doit donc s’effacer
pour que Jésus prenne la place qui est la sienne. A dessein, le quatrième
évangéliste ne relate même pas le baptême de Jésus par Jean. Bien plus tard,
lorsque Jésus fera plus de disciples que lui, Jean ne s’offusque pas. C’est d’ailleurs
une joie pour lui, semblable à celle de l’ami de l’époux qui écoute la voix de
l’époux (Jn 3,29).

En somme, que ce soit chez les Synoptiques ou dans le quatrième évangile, Jean-
Baptiste précède Jésus et l’introduit dans son ministère. Il le précède dans la
conception et dans la naissance, dans le ministère et même dans la mort. Il marche
devant Jésus. Il marche dans la voie annoncée par Zacharie, son père. La
succession est ainsi assurée.

2. Éléments de discontinuité

Il y a cependant beaucoup d’éléments de discontinuité, par ailleurs très


déterminants, entre Zacharie et Jean-Baptiste.
D’abord le nom. Bien que Jean soit le fils de Zacharie, il ne porte pas le nom de
son père. Nous connaissons la scène lucanienne. Le huitième jour après la
naissance de l’enfant, les voisins et les parents de Zacharie et Élisabeth viennent
pour la circoncision et veulent appeler l’enfant Zacharie, comme son père.
L’objection d’Élisabeth est forte : « Non, il s’appellera Jean » (Lc 1, 59-60). Ce
que Zacharie confirme en écrivant sur la tablette : « Son nom est Jean » (Lc 1,63).
La crainte et l’émerveillement des voisins est donc perceptible : « Que sera donc
cet enfant ? » (Lc 1,66.) Quel sera cet enfant qui brise les codes ? Le nom Zacharie
signifie : « Dieu s’est souvenu », tandis que Jean - Yeho Hanan - signifie « Yahvé
a fait grâce » (ou si l’on veut miséricorde). Et puisque le nom est un présage, une
vocation et la définition d’une existence, on peut déjà déceler la rupture entre
Zacharie et Jean.

64
Cette rupture se confirme dans les professions de Zacharie et de Jean.
Zacharie est un prêtre79 de la classe d’Abia. 7200 prêtres étaient chargés d’offrir
les sacrifices et d’entretenir le parvis des prêtres et le sanctuaire. Répartis en 24
classes de 300 hommes, ils assuraient le service à tour de rôle, chacun pendant
une semaine, (cf. Lc1,8-9), à raison de 50 prêtres par jour, soit au total deux
semaines par an. Les 300 prêtres de chaque classe se réunissaient pour la liturgie
du sabbat. Outre ces deux semaines ordinaires, ils étaient aussi mobilisés les trois
semaines des fêtes de la Pâque (Pessah), de la Pentecôte (Shavuot) et des Tentes
(Soukkot). Ils étaient donc une minorité à habiter à Jérusalem ou les environs
immédiats. Les prêtres vivaient de la part prélevée sur les sacrifices - pendant le
temps de service au Temple -, de la dîme et de menus travaux.
Il y avait aussi quelques 9600 lévites, divisés eux aussi en 24 classes avec deux
semaines annuelles de service. Ils occupaient les postes de chantres-musiciens
(animation de la liturgie) et de portiers-gardiens (entretien des bâtiments, hormis
ceux réservés aux prêtres). Les prêtres étaient donc les principaux acteurs de la
liturgie du Temple, avec un aspect sacrificiel, sacré, hiérarchique prédominant.

Le peuple fréquentait le Temple à différentes occasions : on venait pour les fêtes


de pèlerinages, pour accomplir des vœux (cf.Ac 21,26), les lépreux déclarés purs
y apportaient leurs offrandes (cf. Mt 8,4) et ceux qui étaient atteints d’une
impureté quelconque y accomplissaient les rites de purification. La foule s’y
assemblait en particulier au moment des sacrifices (cf. Ac 3,1) et recevait la
bénédiction sacerdotale après l’offrande de l’encens. A tour de rôle, les fidèles
des différentes villes venaient en députations accompagner la liturgie assurée par
la classe sacerdotale correspondante. En effet, lorsqu’une classe sacerdotale était
de service, les Israélites de la circonscription correspondante formaient deux
groupes : l’un montait à Jérusalem pour s’associer au service du Temple, et l’autre
demeurait dans la circonscription et se réunissait dans la synagogue. Au
fondement de ces députations est l’idée que le culte au Temple est l’affaire de tout
le peuple, dont le prêtre n’est que le délégué. C’est donc le souci de faire participer
la communauté à la liturgie du Temple.

79
Nous tirons ces éléments de Hugues Cousin (éd.), Le monde où vivait Jésus, Cerf, Paris, 1998,
p.267-286.

65
Chaque jour, les prêtres offraient en holocauste deux sacrifices, appelés
« tamids », c’est-à-dire sacrifices perpétuels : celui du matin ouvrait le culte et
celui du soir le concluait. Le chabbat et les jours de fête, il y avait un holocauste
additionnel (moussaf). Les sacrifices particuliers, volontaires ou obligatoires,
prenaient place entre ces deux moments. Les prêtres tiraient au sort pour désigner
ceux qui devaient officier et ceux qui devaient assumer les autres fonctions du
service (sacrifice de l’animal, libation du vin, rite de l’encens, nettoyage et autres
tâches secondaires). La bénédiction sacerdotale (Nb 6,24-26) avait lieu après le
rite de l’encens.

En somme, le Temple était la demeure de Dieu, le lieu de la rencontre entre Dieu


et son peuple à travers les rites de purification, les sacrifices et les bénédictions.
Et les prêtres jouaient le rôle d’intermédiaires. Zacharie, en tant que prêtre, avait
donc un privilège et une situation différente du peuple. Comme le montre le récit
de Luc, « le prêtre est autorisé à entrer dans le sanctuaire du Seigneur pour y
accomplir les cérémonies du culte ; la foule des fidèles doit au contraire rester
dehors et peut seulement prier. »80 Le prêtre est en définitive l’homme du
sanctuaire, celui qui a le droit de toucher les objets sacrés et est admis dans la
proximité de Dieu ; il est l’homme chargé d’offrir des sacrifices, celui dont on
attend des oracles, celui qui donne les bénédictions, celui qui décide les questions
de pureté rituelle.81

Par ailleurs, l’une des fonctions assurées par le prêtre en Israël est d’ouvrir au
peuple la possibilité de la communion avec Dieu et la communion entre tous, car,
comme l’explique Vanoyhe, le sacerdoce se définit comme une entreprise de
médiation : « la possibilité, que le prêtre possède, de s’approcher de Dieu ne
constitue pas un privilège dont il lui serait permis de jouir égoïstement ; elle fait
de lui l’intermédiaire attitré pour les rapports avec Dieu. C’est à lui qu’on recourt
pour présenter à Dieu offrandes et demandes ; c’est lui qui est chargé ensuite de
communiquer au peuple les réponses et les grâces divines. Il met ainsi le peuple
en relation personnelle avec Dieu »82.

80
Albert Vanhoye, Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Coll. « Parole de
Dieu », Seuil, Paris, 1980, p. 16.
81
Cf. Ibidem, p. 35-36.
82
Ibidem, p. 49.

66
Zacharie n’est donc ni grand-prêtre ni même membre d’une famille de grand-
prêtre, il est simple prêtre. Sa classe, celle d’Abia, est la huitième des vingt-quatre
classes sacerdotales, elle n’est donc pas de haut rang83 : « Zacharie n’était pas un
des permanents du Temple. C’était un prêtre de village. Il n’appartenait pas à
l’aristocratie de Jérusalem, mais avait l’honneur d’être de service au Temple
durant deux semaines chaque année »84. La vie de Zacharie oscillait donc entre la
campagne et le Temple. Ce que ne sera pas celle de Jean. Si Jean grandit et son
esprit se fortifie, Luc note discrètement une rupture d’avec Zacharie :
discontinuité entre Jean et Zacharie, son père. « Il fut dans les déserts jusqu’au
jour de sa manifestation en Israël. » (Lc 1,80)

3. Jean-Baptiste, un personnage des ruptures

A la question de savoir qui est Jean-Baptiste, par rapport à son père Zacharie, on
pourrait dire que c’est un personnage aux multiples facettes : prêtre, car fils de
prêtre ; proche des esséniens ; prophète. La réponse la plus appropriée est, à notre
avis, qu’il est un personnage des ruptures.

Jean, un prêtre ?

Jean-Baptiste est fils de prêtre. Elevé dans la maison d’un prêtre, il devait entrer
sans problème dans la filière sacerdotale. Mais sa mission prophétique l’entraîne
loin du Temple, certainement pour une vie de prière solitaire. Jean est l’homme
du désert. Dans la tradition biblique, le désert est le lieu d’où Dieu appelle : Loin
des séductions du monde, il réfère à Dieu seul. Dans un climat d’ascèse et de
dépouillement, il fait rêver d’eau vive et de baptême. Il entraîne vers l’avenir.85
En tenant compte de la géographie de la Palestine, le désert, tel celui autour de la
mer Morte, n’est pas qu’une étendue de sable. Il est aussi un lieu non habité et
non cultivé, un lieu inculte où les bergers allaient faire paître leurs troupeaux.
Dans les évangiles, le désert désigne aussi les espaces tranquilles où les foules
suivaient Jésus qui dut les secourir par la multiplication des pains. (Mc 6,35). En
revenant à Jean, on peut faire nôtre l’affirmation de René Laurentin : « Le désert
était pour lui la route abrupte vers le Dieu transcendant (…) Il ressent la nécessité

83
Cf. François BOVON, L’évangile selon saint Luc (1-9), Labor et Fides, Genève, 1991, p. 54.
84
René Laurentin, Petite vie de Jean Baptiste, Desclée de Brouwer, Paris, 1993, p. 12.
85
Ibidem, p. 42.

67
d’un dépouillement, d’une séparation, d’une privation radicale pour se vouer à
Dieu seul. Car Dieu est tout »86.
Le quatrième évangile mentionne une scène qui fait le lien entre Jean et les prêtres.
Après le prologue (Jn 1,1-18), le récit s’ouvre par la commission d’enquête
envoyée par les autorités juives pour s’informer de l’identité et de l’activité de
Jean. « Les Juifs envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui
demander : ‘Qui es-tu ?’ » (Jn 1,19). Etant donné que la prédication de Jean
concernait le domaine des relations avec Dieu ; il était donc normal que des prêtres
fussent désignés pour vérifier son accord avec la religion traditionnelle : « En tant
que rite de purification, le baptême touchait à la compétence des prêtres juifs,
chargés de contrôler la pureté rituelle »87.

Malgré son ascendance, Jean-Baptiste semble ne pas avoir subi d’influence


sacerdotale et ne témoigne d’aucune préoccupation rituelle ni d’une hostilité
véhémente particulière contre la classe des prêtres ni contre celle du Temple qu’il
ne fréquente d’ailleurs pas. Sa prédication est adressée à tout le peuple, y compris
les prêtres. S’il est vrai que le peuple était dans l’attente et que tous allaient à Jean,
on peut assumer que même les prêtres étaient visés par cette menace de jugement
de Jean : « Engeance de vipère, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère
qui vient ? Produisez donc des fruits qui témoigne de votre conversion ; et n’allez
pas dire en vous-mêmes : ‘Nous avons pour père Abraham.’ Car je vous le dis, de
pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham. » (Lc 3,7-8).
Néanmoins, avec R. Laurentin, on doit noter une rupture d’avec la tradition
sacerdotale de son père Zacharie :

Contre la prêtrise du Temple et son alliance sadducéenne avec le pouvoir,


contre le programme de piété intérieure défendu par les Pharisiens, Jean
affirme que la situation nécessite des mesures d’urgence : la conversion
ou la mort ! Son mouvement proclame donc la faillite des moyens usuels
de salut. Proclamer que seul le baptême au Jourdain sauvera les fidèles
au Jugement dernier, c’est reconnaître que l’appartenance au peuple
d’Abraham n’est plus une couverture suffisante contre l’impureté du

86
Ibidem, p. 43.
87
Albert Vanhoye, op. cit., p. 17.

68
pays et l’infidélité de ses habitants ; le rituel du Temple ne suffit donc
plus pour se prémunir de la colère du Tout-puissant.88

Jean, un Essénien ?89

La question de savoir si Jean-Baptiste était essénien n’est pas nouvelle. Nous ne


ferons pas une étude approfondie de la communauté des esséniens, tel n’est pas
l’objectif de cette réflexion. Nous relevons quelques éléments de leur vie qui
permettent de mettre en lumière le personnage et l’activité de Jean-Baptiste.

De manière succincte, les Esséniens, que Flavius Josèphe considèrent comme


l’une des trois sectes juives - à côté des sadducéens et des pharisiens90 - cherchent
à réaliser le plus haut degré de pureté dans la ligne des prescriptions lévitiques.
Leur grande préoccupation est de se garder de tout ce qui est impur et souillé. Le
moyen pour y parvenir est de se séparer du monde et de vivre sous une discipline
commune :

Dans de longs bâtiments, situés à l’orient de la mer Morte, dans l’oasis


d’En-Guédi, ils trouvaient la solitude nécessaire aux pratiques les plus
rigoureuses du mosaïsme. Ils n’en sortaient que pour se livrer aux travaux
agricoles ou vaquer à quelque office de charité (…) Ils ne montaient
jamais à Jérusalem, ni au temple, ayant en horreur les sacrifices sanglants
qu’on y offrait. Ils n’allaient pas dans les villes, pour ne pas passer sous
les statues qui en ornaient les portes (…) Ils s’abstenaient de vin, d’huile,
de viande. Ils professaient la communauté des biens et étaient liés par des
vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance à leurs supérieurs…91

88
René Laurentin, op. cit., p. 40.
89
Nous tirons largement ce point de L. Monloubou, F.M. Du Buit, « Esséniens », Dictionnaire
Biblique Universel, Desclée, Paris, 1984, p. 231-236 ; Dictionnaire encyclopédique de la Bible
Augustin Calmet, « Esséniens »,, https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-
Calmet-1753-Esseniens.htm; « Esséniens », Dictionnaire Biblique Westphal, in
https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-Westphal-1767-Esseniens.htm ;
Flavius Josèphe, Histoire ancienne des Juifs, XVIII,2.
90
Cf. Flavius Josèphe, Histoire ancienne des Juifs, XVIII, 2.
91
Dictionnaire Biblique Westphal, « Esséniens », in https://www.levangile.com/Dictionnaire-
Biblique/Definition-Westphal-1767-Esseniens.htm.

69
Les Esséniens s’appelaient eux-mêmes « les Fils de la lumière ou de Justice »,
« les pauvres », « le Reste d’Israël » ou « Nouvelle Alliance » et constituaient une
communauté de survie, de résistance spirituelle à « l’empire du Démon », c’est-
à-dire l’âge de l’impiété. Outre l’observance rigoureuse de la Loi de Moïse, ils
pratiquaient beaucoup de rites tels les bains ou baptêmes de purification
renouvelés chaque jour, de prières et des bénédictions. La lecture et le
commentaire des Écritures laissaient voir un certain intérêt pour le messianisme.
L’eschatologie quant à elle a pour point essentiel la certitude absolue que Dieu
accomplira sa justice.92

Certains, à l’instar de Brownlee et Daniélou, ont suggéré que Jean-Baptiste ait été
adopté par les Esséniens, tant il est vrai que les Esséniens, moines sans
progéniture, adoptaient les enfants des autres, à l’âge où l’esprit encore tendre se
pénètre facilement de leur enseignement.93 Ayant fréquenté le désert, on peut
postuler que Jean ait connu les Esséniens. Comme l’écrit René Laurentin, il leur
était apparenté par l’ascèse, le célibat, l’attachement à Dieu et aux Écritures, le
zèle pour la conversion, la rémission des péchés, les ablutions rituelles, la
perspective apocalyptique.94 Selon Jean Steinmann, un prophète ne surgit pas sans
éducation ni préparation.95 A la question de savoir où Jean a puisé son
interprétation eschatologique d’Isaïe, l’idée du rite baptismal et les grandes lignes
de son enseignement, si différents de celui de la Synagogue, l’auteur répond :
« Seuls des contacts prolongés avec les Esséniens permettent d’éclairer un peu
cette longue période de sa vie sur laquelle Josèphe et la tradition synoptique
conservée dans les écrits chrétiens gardent un silence total. »96
Si cette hypothèse est fort logique, il faut cependant reconnaître que la vie solitaire
que Jean mène et son prophétisme, constituent, entre autres, des éléments qui le
différencient profondément des Esséniens :

Jean était un solitaire et ne fonda point de communauté organique.


C’était un homme public, et non un reclus. Il parlait au peuple en
prophète et non en fondateur d’une communauté rituelle. Il était mobile,

92
Cf. L. Monloubou, F.M. Du Buit, « Esséniens », in Dictionnaire Biblique Universel, p. 233-235.
93
René Laurentin, op. cit., p. 39.
94
Cf. Ibidem, p. 38.
95
Cf. Jean Steinmann, op. cit., p. 60.
96
Ibidem.

70
dans les déserts relatifs, proches de la mer Morte, puis à Aenon près de
Samil (Jn 3,23) … Il n’avait point fondé de monastère, et n’était lié à
aucune règle ou communauté connue. Son baptême était donné une fois
pour toutes et non renouvelable chaque jour, car c’était un baptême pour
le Salut éternel dans les derniers temps, et non un baptême rituel de
pureté comme celui de Qumran. Il ne demandait pas un long noviciat à
ses convertis et les astreignait pas à de minutieux règlements, mais à des
consignes simples de justice, pour leur vie de publicains ou de soldats
(Mc 3,13-14). Il était vêtu de poils de chameau et non de lin.97

À supposer que Jean ait appartenu un moment à la secte de Qumran, ce que nous
savons de lui ne pourrait être interprété que comme une rupture avec ce groupe.
Steinmann n’affirme-t-il pas que Jean apparaît comme un dissident de
l’Essénisme ?98 Cette rupture se laisse se voir entre autres par le baptême que Jean
propose à ceux qui vont à lui. En effet, le baptême de Jean n’a rien de commun
avec les ablutions rituelles des Esséniens, qui ne comportaient pas d’élément
moral et qui devaient d’ailleurs se répéter quotidiennement. Le baptême de Jean,
comme expliqué ci-dessus, est donné une fois pour toutes et non renouvelable
chaque jour ; c’est un baptême pour le Salut éternel dans les derniers temps. Le
baptême proposé par Jean peut donc être regardé comme une création originale
du génie religieux du Baptiste, une image de la purification morale
indispensable.99

Cette rupture se laisse aussi vérifier par le contenu du message et le style de vie
du Baptiste. Poussé par l’Esprit, il aurait ainsi quitté les Esséniens pour devenir
alors un prédicateur au message original, et s’appliquant à lui-même le texte du
livre d’Isaïe que la communauté de Qumran entendait au sens collectif. 100

97
René Laurentin, op. cit., p. 40.
98
Jean Steinmann, op. cit., p. 60.
99
Cf. Dictionnaire Biblique Westphal, « Jean-Baptiste », in
https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-Westphal-2681-Jean-Baptiste.htm
100
Cf. Jean Steinmann, op. cit., p. 60.

71
Jean, un prophète.

A la différence du prêtre Zacharie, son père, Jean est un prophète. Sa vocation


n’est pas héréditaire comme celle son père. C’est un appel du Seigneur : « L’an
quinze du gouvernement de Tibère César (…), sous le sacerdoce de Hanne et de
Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert. » (Lc
3,1-2). A côté de l’appel à la conversion et du baptême, sa vocation consiste aussi,
tel que développé ci-dessus, à indiquer le Messie. Ce dernier point ressort
davantage dans le quatrième évangile, lorsqu’il témoigne de Jésus devant ses
disciples : « J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur
lui. Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau,
c’est lui qui m’a dit : ‘Celui sur lequel tu verras l’esprit descendre et demeurer sur
lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.’ Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est,
lui, le Fils de Dieu. » (Jn 1,32-34).

La rupture d’avec le sacerdoce de Zacharie se voit aussi à travers les vêtements.


À la différence des prêtres dont les vêtements sont codifiés (cf. Lv 8), Jean porte
une tunique rugueuse de poils de chameau, qui, dans la tradition biblique peut être
regardée comme la tenue des prophètes juifs ( cf. Za 13,4) : « En ce jour-là, chaque
prophète rougira de sa vision pendant qu’il prophétisera et il ne revêtira plus le
manteau de poil pour tromper » (dans un contexte de disparition de faux
prophètes) cf. 2R1, 8-9 : À la question d Akhazias à ses messagers sur l’identité
d’un homme qui était monté à leur rencontre, ils répondent au roi : « C’était un
homme qui portait un vêtement de poils et un pagne de peau autour des reins. »
Alors le roi dit : « C’est Elie le Tishbite ! »

C’est aussi dans son ministère que cette rupture émerge. Si les prêtres avaient pour
mission principale d’offrir des sacrifices et d’assurer la pureté du peuple, Jean est
un prédicateur. Il annonce la parole de Dieu. Il prépare la voie au Messie et
dispose les cœurs à le recevoir ; il prêche la repentance comme condition du salut
:

Le fond de son enseignement consiste dans l’annonce du jugement


prochain qui prononcera l’anéantissement des pécheurs. À la différence
radicale des apocalypticiens de son temps, il ne considère pas le jour
redoutable qui s’annonce comme la restauration d’Israël opprimé, mais

72
comme l’exécution implacable de la justice divine s’exerçant sur toute
l’humanité. Son messianisme ne ressemble en rien à celui des Zélotes ; il
est tout vibrant de la plus haute passion éthique. La proximité de ce
jugement doit produire au fond des consciences la repentance par laquelle
seul peut être obtenu le salut ; repentance qui n’est pas vague effusion du
cœur, mais choix d’une vie renouvelée, décision de la volonté. Jean veut
provoquer l’angoisse salutaire qui fera « produire des fruits dignes d’une
vraie repentance101.

Il faudrait évoquer ici que le ministère de Jean s’affirme aussi en rupture d’avec
la tradition prophétique à laquelle il se rattache pourtant. Comme l’écrit Daniel
Margerat, on constate que l’activité de Jean rompt sur deux points avec la tradition
prophétique :

D’une part, se reposer sur la filialité d’Abraham est illusoire : ’N’allez


pas dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous le
dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham’(Lc
3,8). D’autre part, prescrire un rite de rémission des péchés par le
baptême signifie que les mesures mises en place autour du Temple, avec
ses sacrifices d’expiation, sont devenues inopérantes102.

Conclusion

La succession entre Zacharie et Jean-Baptiste est la transition entre l’Ancien et le


Nouveau Testament. En tant que prêtre, Zacharie était l’intermédiaire entre Dieu
et son peuple. Son service au Temple assurait cette médiation. Son fils Jean est à
la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : « La Loi et les prophètes vont
jusqu'à Jean ; depuis lors, la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu est annoncée,
et tout homme déploie sa force pour y entrer » (Lc 16,16). Jean-Baptiste annonce
la nouvelle alliance en Jésus, cette alliance que la Lettre aux Hébreux présentera
plus tard en profondeur, avec comme idées fortes, entre autres, le sacerdoce

101
Dictionnaire Biblique Westphal,« Jean-Baptiste », in https://www.levangile.com/Dictionnaire-
Biblique/Definition-Westphal-2681-Jean-Baptiste.htm
102
Daniel MARGUERAT, L’aube du Christianisme, Labor et Fides/Bayard, Genève/Paris, 2008,
p. 40.

73
nouveau et le sacrifice de Jésus, l’inefficacité du sang des bêtes par rapport au
sang de Jésus.

Ce passage entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance se fait en douceur : Il part du


sacerdoce. En effet, Zacharie et Élisabeth sont de famille sacerdotale. La
Nouveauté de Jean, ici la prophétie, surgit donc dans ce cadre sacré traditionnel
du sacerdoce.

La rupture est cependant profonde, pour ne pas dire radicale : le salut est
immédiat, la conversion et le baptême sont les moyens pour y avoir accès. Plus
que cela, il faut ouvrir les yeux pour reconnaître l’auteur du salut qui est au milieu
du peuple. Ce que le sacerdoce visait sera maintenant accompli en celui que Jean
annonce, Jésus. De même que le sacerdoce (Zacharie) était l’intermédiaire entre
le peuple et Yahvé, de même Jean, comme prophète et précurseur est
l’intermédiaire entre le peuple et Jésus.

Au demeurant, la succession entre Zacharie et Jean-Baptiste est faite de continuité


et de ruptures : ruptures d’avec le sacerdoce du Temple, rupture d’avec le
prophétisme traditionnel, rupture d’avec le mouvement essénien de Qumran :
« Par sa formation à la fois piétiste et sacerdotale, par sa stature prophétique
pénétrée d’eschatologie, il reste le témoin le plus original du judaïsme
intertestamentaire vu dans ses diverses tentatives de réforme spirituelle. Ascète et
martyr, il se situe à la jonction du sacerdoce et du prophétisme, de Qumran et de
Jésus-Christ. »103

103
René Laurentin, op. cit., p. 118.

74
LE PROBLÈME DE LA SUCCESSION DANS LA BIBLE : LE PASSAGE
DU TÉMOIN DE JÉSUS A SES APÔTRES (Lc 24, 50-53 ; Ac 1,1-11).

Dr Jean Parfait NTSAMA

INTRODUCTION.

Dans le cadre du symposium biblique sur la thématique de la succession dans la


bible, notre intervention va porter sur le passage du relais entre Jésus et ses
apôtres. La question qui se pose ici est celle de savoir : comment Jésus a-t-il quitté
la scène et comment a-t-il passé le témoin à ses apôtres ? Pour aborder cette
question avec compétence nous commencerons par décortiquer les deux péricopes
de Luc qui nous relatent l’évènement de l’ascension (Lc 24,50-53//Ac 1,1-11).
Ensuite nous donnerons le sens et l’importance de l’ascension de Jésus Christ. De
la sorte la réponse finale à notre interrogation apparaîtra comme l’aboutissement
normal à une recherche.

L’ascension de Jésus dans le Nouveau Testament.

Le silence qui entoure l’événement de l’ascension dans le Nouveau testament est


à tout le moins étonnant. Cette discrétion du Nouveau Testament au sujet de
l’ascension a été d’ailleurs soulignée à grands traits par M.-E. BOISMARD et A.
LAMOUILLE104. Face à ce silence presque total de tout le reste du Nouveau
testament, l’évangéliste Luc suscite l’étonnement. Car il est le seul à raconter le
plus nettement l'ascension de Jésus. Nathalie Requin ne nous démentirait pas à ce
sujet quand elle écrit : « Luc est le seul auteur néotestamentaire à faire le récit

104
Cf. M.-E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, Les actes des deux apôtres Tome III. Analyses
littéraires, Gabalda, Paris 1990, p. 35. Ces deux auteurs montrent que l’ascension est l’aspect de
la victoire du Christ sur la mort à propos duquel les écrits du Nouveau Testament manifestent le
plus de discrétion. Matthieu termine en effet son évangile sans y faire allusion. Marc n’en parlait
pas, et c’est plutôt une main anonyme qui la mentionne dans la conclusion actuelle de l’évangile
(Mc 16,19). Jean n’évoque ce mystère que dans un message assez bref du Christ ressuscité à Marie
de Magdala (Jn 20,17). Dans les écrits pauliniens, l’unique mention explicite se lit dans une hymne
christologique de facture liturgique reprise en 1 Tim 3,16.

75
d’une ascension visible, devant témoins, de Jésus ressuscité »105. Il le fait
d’ailleurs en une double recension : la première se trouve à la fin de son évangile
(Lc 24, 50-53) et la seconde est donnée au début livre des Actes des Apôtres,
second tome, en quelque sorte, de son évangile (Ac 1,3-11). Ces deux textes sacrés
s’expriment sur le sens, le moment ainsi que le mode de l’exaltation céleste du
Christ avec une variété dont la richesse est instructive. Nous allons tenter, à leur
lumière, de percevoir la réalité profonde de ce mystère, en procédant à une étude
synoptique de ces deux textes.

1.Tableau Synoptique.

Lc 24,50-53. Ac 1,3-11
V. 50. Ἐξήγαγεν δὲ αὐτοὺς [ἔξω] V. 3. οἷς καὶ παρέστησεν ἑαυτὸν ζῶντα μετὰ τὸ
ἕως πρὸς Βηθανίαν, καὶ ἐπάρας τὰς παθεῖν αὐτὸν ἐν πολλοῖς τεκμηρίοις, δι᾽ ἡμερῶν
χεῖρας αὐτοῦ εὐλόγησεν αὐτούς. τεσσεράκοντα ὀπτανόμενος αὐτοῖς καὶ λέγων τὰ
περὶ τῆς βασιλείας τοῦ θεοῦ·.
V. 51. καὶ ἐγένετο ἐν τῷ εὐλογεῖν V. 4. καὶ συναλιζόμενος παρήγγειλεν αὐτοῖς
αὐτὸν αὐτοὺς διέστη ἀπ᾽ αὐτῶν καὶ ἀπὸ Ἱεροσολύμων μὴ χωρίζεσθαι ἀλλὰ
ἀνεφέρετο εἰς τὸν οὐρανόν. περιμένειν τὴν ἐπαγγελίαν τοῦ πατρὸς ἣν
ἠκούσατέ μου
V. 52. Καὶ αὐτοὶ προσκυνήσαντες V. 5. ὅτι Ἰωάννης μὲν ἐβάπτισεν ὕδατι, ὑμεῖς δὲ
αὐτὸν ὑπέστρεψαν εἰς Ἰερουσαλὴμ ἐν πνεύματι βαπτισθήσεσθε ἁγίῳ οὐ μετὰ
μετὰ χαρᾶς μεγάλης πολλὰς ταύτας ἡμέρας.
V. 53. καὶ ἦσαν διὰ παντὸς ἐν τῷ V. 6. Οἱ μὲν οὖν συνελθόντες ἠρώτων αὐτὸν
ἱερῷ, αἰνοῦντες καὶ εὐλογοῦντες λέγοντες· κύριε, εἰ ἐν τῷ χρόνῳ τούτῳ
τὸν θεόν. Ἀμήν. ἀποκαθιστάνεις τὴν βασιλείαν τῷ Ἰσραήλ;
V. 7. εἶπεν δὲ πρὸς αὐτούς· οὐχ ὑμῶν ἐστιν
γνῶναι χρόνους ἢ καιροὺς οὓς ὁ πατὴρ ἔθετο ἐν
τῇ ἰδίᾳ ἐξουσίᾳ,
V. 8. ἀλλὰ λήμψεσθε δύναμιν ἐπελθόντος τοῦ
ἁγίου πνεύματος ἐφ᾽ ὑμᾶς καὶ ἔσεσθέ μου
μάρτυρες ἔν τε Ἰερουσαλὴμ καὶ [ἐν] πάσῃ τῇ
Ἰουδαίᾳ καὶ Σαμαρείᾳ καὶ ἕως ἐσχάτου τῆς γῆς.

N. Requin, « L’Ascension du Christ : le Verbe fait homme pour l’éternité », in Nouvelle Revue
105

Théologique, 2017/2, Tome 139, P.192.

76
V. 9. Καὶ ταῦτα εἰπών, βλεπόντων αὐτῶν
ἐπήρθη, καὶ νεφέλη ὑπέλαβεν αὐτὸν ἀπὸ τῶν
ὀφθαλμῶν αὐτῶν.
V. 10. Καὶ ὡς ἀτενίζοντες ἦσαν εἰς τὸν
οὐρανόν, πορευομένου αὐτοῦ, καὶ ἰδοὺ ἄνδρες
δύο παρειστήκεισαν αὐτοῖς ἐν ἐσθῆτι λευκῇ,
V. 11. οἳ καὶ εἶπαν·ἄνδρες Γαλιλαῖοι, τί
ἑστήκατε [ἐμ]βλέποντες εἰς τὸν οὐρανόν; οὗτος
ὁ Ἰησοῦς ὁ ἀναλημφθεὶς ἀφ᾽ ὑμῶν εἰς τὸν
οὐρανὸν οὕτως ἐλεύσεται ὃν τρόπον ἐθεάσασθε
αὐτὸν πορευόμενον εἰς τὸν οὐρανόν.

1.2. Décryptage des Textes.

1.2.1. Le récit de l’Ascension dans le troisième évangile.

Comme il a été souligné plus haut, nous tenons de Luc deux récits de l'Ascension
de Jésus. Le premier, à la fin de son évangile, est christologique : il parle de Jésus.
Venu de Dieu, il repart vers lui. Il est le Fils. L'accent du texte porte donc sur
l'identité de Jésus : "Il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les
bénit. Et il advint, comme il les bénissait, qu'il se sépara d'eux et fut emporté au
ciel. Pour eux, s'étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en
grande joie, et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu" (Luc 24, 50-
53). En analysant systématiquement les faits et gestes de ce texte, nous avons
l’intime conviction qu’ils ne constituent pas un fait de hasard ou une simple
fantaisie, mais ils sont lourds de sens.

Jésus amène (Ἐξaγw) les disciples vers Béthanie, qui d’après l’évangile de Jean,
était un petit village situé à 15 stades (environ 3 Km) à l’est de Jérusalem (Jn
11,13)106, du côté du mont des Oliviers, précisent Mc 11,1 et Lc 19,29. De son
étymologie, Béthanie signifierait la maison des pauvres 107. Elle symboliserait
donc un endroit réservé à la sainteté sur terre.

106
Cf. W. Zwickel, Betanien, in Calwer Bibel Lexikon, Band I, Calwer Verlag, Stuttgart, P. 180.
107
Cf. G. Schneider, Betanien, in Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament, Band I,
Kohlhammer, Stuttgart 1992, P. 511.

77
Ensuite Jésus va lever les mains pour bénir (εὐλόγew). Du grec εὐλόγia et du latin
Benedictio, bénédiction signifie « dire du bien ». C’est un don qui touche à la vie
et à son mystère, et c’est un don exprimé par la parole et son mystère. La
bénédiction est parole autant que don, diction autant que bien, parce que le bien
qu’elle apporte n’est pas un objet précis, un don défini, parce qu’il n’est pas de la
zone de l’avoir, mais de celle de l’être, parce qu’il ne relève pas de l’action de
l’homme, mais de la création de Dieu. Bénir c’est donc dire le don créateur et
vivifiant, soit avant qu’il se produise, sous la forme d’une prière, soit après coup,
sous la forme de l’action de grâces. Ce texte nous montre que le dernier geste
visible du Christ sur la terre, celui qu’il laisse à son Église, c’est sa bénédiction108.
Cette bénédiction que le Christ ressuscité donne à ses apôtres avant de rejoindre
l’intimité de Dieu est une preuve palpable que la séparation du Christ avec les
siens n’est pas un drame109.

Après cette bénédiction, deux autres gestes de Jésus, lourds de sens vont se
produire la séparation d’avec les siens (διέστη, diisthémi) et son enlèvement, son
élévation, son emportement, sa montée au ciel (ἀνεφέρw analemsis). C’est
l’événement de l’ascension. Cet enlèvement de Jésus vers le ciel vient clore la
période des apparitions du Ressuscité et marquer son accession à l’éternité. C’est
justement ce que Nathalie Requin exprime en ces termes : « Par son Ascension,
Le Christ achève son œuvre de médiation en réconciliant définitivement Dieu et
l’Humanité pour nous les hommes et pour notre salut »110.
Et de fait, dans la cosmologie biblique, le ciel (τὸν οὐρανόν) est l’habitat
de la divinité, au point où ce terme sert de métaphore pour signifier « Dieu
». La terre, son marchepied (Is 66,1), est l’habitat des hommes (Ps 115,16
; Qo 5,1)111. D’après cette cosmologie, Jésus qui est exalté par la
Résurrection à la droite de Dieu, où il trône comme Roi, a dû monter au
ciel. De ce fait son ascension apparaît dans les premières affirmations de

108
Cf. J. Guillet, Bénédiction, in Vocabulaire de Theologie Biblique, Sous la direction de Xavier
Léon-Dufour, Cerf, Paris 2003, col. 120.
109
Cf. C. Focant et D. Marguerat, le Nouveau Testament commenté, Bayard, Labor et Fides,
Genève 2012, P. 398.
110
N. Requin, art.cit, P. 192.
111
Cf. P. Benoît, Ascension, in VTB, col. 87.

78
la foi, moins comme un phénomène considéré pour lui-même que comme
l’expression indispensable de l’exaltation céleste du Christ112.
À l’issue de cette analyse, la séparation du Christ et des siens n’est pas un
évènement dramatique puisqu’il les bénit, et qu’il rejoint l’intimité de Dieu qui
l’associe à sa gloire. Voilà pourquoi les disciples l’adorent en se prosternant
(προσκυνήσαντες) et regagnent Jérusalem, pour continuer leurs activités
coutumières pleins d’une grande joie (μετὰ χαρᾶς μεγάλης Lc 24, 52) et
deviennent ainsi des hommes en perpétuel action de grâce (αἰνοῦντες καὶ
εὐλογοῦντες τὸν θεόν).

1.2.2. Le Récit de l’ascension dans le livre des Actes des Apôtres.

Le second récit ouvre les Actes des Apôtres (Ac 1,1-11). Il raconte encore
l'Ascension de Jésus, mais porte un accent différent. La pointe du récit est alors
ecclésiologique : il dit qui est le disciple et quelle est sa mission. Il parle de la
naissance de l’Église, constituée de disciples fragiles, que l'Esprit de Dieu emporte
dans son souffle pour les envoyer jusqu'au bout du monde (Ac 1, 8). Telle est en
effet la mission que Jésus leur donne au moment de son départ. Désormais ils sont
pleinement apôtres, c'est-à-dire envoyés : "Vous allez recevoir, dit Jésus, une
force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins
à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre"
(Ac 1, 8).
Le relais leur est passé, c'est désormais le temps de l’Église.

Tout comme dans le premier texte, il faut analyser les faits et les gestes qui s’y
trouvent pour une meilleure interprétation de ce second récit de l’ascension.

Dès l’entame, il est écrit : « C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa
passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours,
il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu » (Ac 1,3). Ces
mots de Luc dans le livre des Actes des Apôtres font évocation des quarante jours
de présence du Ressuscité parmi les siens et nous obligent ainsi à décoder la
symbolique du chiffre quarante dans la Bible.

112
Cf. P. Benoît, Ascension, in VTB, col. 88.

79
Nous ne le dirons jamais assez, le nombre 40 est symbolique ; et pour qui
s’intéresse aux Saintes Écritures, il est sans surprise qu’on le retrouve à plusieurs
reprises dans la Bible. Dans le livre de la Genèse, il est question du déluge qui a
eu lieu pendant 40 jours : « La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et
quarante nuits » (Gn 7, 12) et au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre qu'il
avait faite à l'arche. (Genèse 8, 6) Moïse se retire dans la montagne pendant 40
jours. Quarante est aussi le chiffre biblique de L’Exode : Moïse entra dans la nuée
et monta sur la montagne. Et Moïse demeura sur la montagne quarante jours et
quarante nuits. (Exode 24, 18) Moïse demeura là, avec Yahvé, quarante jours et
quarante nuits. Il ne mangea ni ne but, et il écrivit sur les tables les paroles de
l'alliance, les dix paroles. (Ex 34, 28) Moise lui-même, pendant son séjour de
quarante jours sur le mont Sinaï, écrit : « J'étais monté sur la montagne pour
prendre les tables de pierre, les tables de l'alliance que Yahvé concluait avec vous.
J'étais demeuré sur la montagne quarante jours et quarante nuits sans manger de
pain ni boire d'eau ». (Dt 9,9)

Le peuple d'Israël marche pendant 40 ans dans le désert : après la sortie d'Égypte,
le peuple hébreu a marché dans le désert pendant 40 années avant de s'installer
sur la terre promise, que ne connaîtra pas Moïse : « Souviens-toi de tout le chemin
que Yahvé ton Dieu t'a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de
t'humilier, de t'éprouver et de connaître le fond de ton cœur : allais-tu ou non
garder ses commandements ? » (Dt 8, 2)

Quarante est aussi le chiffre biblique de la réécriture de la loi par le prêtre Esdras
(Esd 14,23) Élie a aussi connu la retraite de 40 jours : « Élie se leva, mangea et
but, puis soutenu par cette nourriture il marcha quarante jours et quarante nuits
jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb. » (I Rois 19, 8).

Quarante ans, c'est aussi la durée du règne de David et de celui de Salomon (II
Samuel 5, 4 ; I Rois 11, 42). Jésus se retire dans le désert pendant 40 jours :
cette retraite est d’ailleurs racontée par toute la tradition synoptique : « Il jeûna
durant quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut faim (Mt 4, 2 ; Mc 1, 13
; Lc 4, 2).

80
Jésus crucifié revient sur Terre pendant 40 jours, pour affermir la foi de ses
disciples. Quarante est donc en définitive la durée d’une génération. C’est la durée
symbolique d’une période complète vécue avec Dieu113.

On peut penser que Luc a également voulu établir un parallèle entre Jésus et son
Église : comme lui-même s'était préparé à sa mission par les 40 jours dans le désert
lors de ses tentations (Lc 4,1-2), de même à son tour il prépare son Église par ces
40 jours où il les entretient du Royaume de Dieu.

En ce qui concerne le cadre spatial, Luc dans le livre des Actes des Apôtres dit
que l’ascension de Jésus a eu lieu au cours d’un repas (συναλιζόμενος Ac 1, 4) de
sunalizein. Selon Justin Taylor, ce participe peut recevoir plusieurs
interprétations, dans la mesure où il existe en fait deux verbes qui ont la même
vocalisation, la différence portant seulement sur la quantité de l’alpha à la
deuxième syllabe : sunalizein. Avec un alpha long signifierait à l’actif « réunir,
rassembler », et au passif « se réunir, s’assembler », tandis qu’avec le alpha bref,
sunalizein. signifie « savourer le sel avec, manger ensemble, être réunis à table
»114. C’est justement ce sens qui convient au contexte d’après l’analyse de
Wilfried Haubeck et Heinrich Von Siebenthal115. Nous pouvons dès lors traduire
: « comme il mangeait avec eux ». Le repas étant ici un partage de la table qui
crée entre les convives une communauté d’existence et constitue l’expression de
la joie et de la communion. C’est alors au cours de ce repas qui a sûrement l’allure
d’un repas d’adieux que Jésus va leur donner les dernières instructions et
recommandations (παρήγγελw Ac 1, 4) : ils ne doivent pas quitter Jérusalem, mais
attendre la promesse du Père. Étant donné que le judaïsme ancien associe
l’irruption de l’Esprit Saint avec les temps derniers, c’est pourquoi les disciples
s’interrogent sur la restauration eschatologique d’Israël (Ac 1, 6-7). Ils seront
donc détournés de la fixation sur l’avenir pour être réorientés sur le rôle qui les
attend dans le présent : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit
qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la

113
Cf. C. Focant et D. Marguerat, Le Nouveau Testament Commenté, P. 517.
114
Cf. J. Taylor, Les Actes des deux Apôtres, Tome IV: Commentaire historique (Act 1, 1-8,40),
Gabalda, Paris 2000, P. 11.
115
Cf. W. Haubeck et H. Von Siebenthal, Neuer Sprachlicher Schlüssel zum Griechischen Neuen
Testament:
Matthäus-Apostelgeschichte, Brunnen, Giesen, 1997, P. 610.

81
Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8). Ici Jésus s’en
va en confiant aux apôtres une mission : être ses témoins jusqu’aux confins de la
terre. Du grec μάρτυς le témoin est « une personne qui a assisté à un fait matériel
ou à la conclusion d’une opération juridique. Il est informé, parce qu’il était là ; il
a vu ou entendu »116. Dans ce cas présent le titre de témoin revêt un sens actif : il
suppose qu'on témoigne volontairement au service d'une cause devenue chère.
Quand Jésus dit à ses disciples : « Vous serez mes témoins » (Ac 1, 8), c'est à
l'action qu'il les appelle, et souvent au sacrifice, à la lutte et à la souffrance ; pour
les leur rendre possibles, c'est-à-dire pour qu'ils soient des témoins fidèles, Jésus
promet de leur envoyer une force spéciale (Lc 24, 48). Jésus s’efface donc pour
laisser la place aux témoins de l’Évangile. Il disparaît, en s’élevant (ἐπaiρw). Luc
utilise ici un langage symbolique. Car entrer dans le monde de Dieu ne peut se
dire qu'en termes d'élévation. C'est là un langage imagé que nous employons
encore spontanément quand nous disons, par exemple, que quelqu'un « s'élève »
dans l'échelle sociale lorsqu'il reçoit de nouvelles responsabilités. Il s'agit donc
d'une façon symbolique de s'exprimer et qu'il ne faut pas prendre forcément le
récit au pied de la lettre.

Mais ce langage symbolique utilisé par Luc possède aussi une coloration
théologique : c'est dans ce monde « d'en-haut », c'est-à-dire de Dieu, que Jésus
s’élève lors de l’Ascension (Καὶ ταῦτα εἰπών, βλεπόν των αὐτῶν ἐπήρθη, καὶ
νεφέλη ὑπέλαβεν αὐτὸν ἀπὸ τῶν ὀφθαλμῶν αὐτῶν. Ac 1, 9). Soulignons ici que
la manière dont l’ascension de Jésus est racontée dans les Actes évoque un arrière-
plan biblique. Et l'on comprend alors pourquoi, dans un tel contexte, on parle
d’exaltation dans la gloire de Dieu ou de résurrection. Et de fait, aux dires de
Nathalie Requin : « A partir de l’Ascension, l’humanité du Christ est au ciel, et le
Christ a soustrait à ses disciples la présence visible de son corps ». Il est absorbé
par la nuée (νεφέλη Ac 1, 9). Si la Nuée dérobe Jésus au regard des hommes, c'est

116
C. Spicq, μάρτυς, in Lexique Théologique du Nouveau Testament, Cerf, Fribourg, 1991, P.
960.14 Cf. J. Taylor, les actes des deux apôtres, P. 23. Selon cet auteur le récit de l’ascension dans
les actes évoque deux parallèles bibliques : Celui d’Elie qui fut enlevé au ciel dans un char de feu
et un tourbillon de vent à la fin de son ministère terrestre (2 R 2, 1-12). Et de fait , le parallèle est
plus clair dans la scène suivante des Actes où on voit l’esprit de Jésus descendre sur les disciples
qui ont été les témoins de son départ, tout comme l’esprit d’Elie descend sur son disciple Élisée
(2 R 2,13-15). Le second parallèle est celui du Fils de l’Homme de Dn 7,13. Selon cette vision de
Dn, „quelqu’un comme un Fils d’Homme vient avec les nuées du ciel“ jusqu’auprès de Dieu qui
lui confère le royaume universel. 15 N. Requin, art. cit. P. 195.

82
dire qu'il est entré dans le monde de Dieu, qu'il cesse avec nous un certain mode
de présence, charnelle, visible, pour en inaugurer un autre, spirituelle. L'image de
la nuée est présente tout au long de la Bible pour évoquer la présence mystérieuse
de Dieu auprès de son peuple. C'est dans une nuée que le Seigneur accompagne
son peuple à la sortie d’Égypte, dans le passage de la mer et la marche au désert.
Et sous la forme d'une colonne de feu, la nuit ! (Ex 13,21 ; 19,16 ; 33,9-11). Une
nuée entoure Jésus et ses disciples à la Transfiguration. C'est le signe de la
présence et d'une révélation de Dieu. Et c'est bien sûr aussi vers le ciel que Jésus
est emporté, puisque le ciel est ce lieu d'en haut, le lieu de Dieu. Langage
symbolique et langage théologique se rejoignent pour exprimer une même réalité,
mais en insistant sur des aspects différents en même temps que complémentaires.
Après avoir décortiqué ainsi ces deux péricopes, nous allons maintenant dévoiler
les grands enseignements qui s’y trouvent.

2. Le sens et l’importance de l’ascension de Jésus-Christ.

2.1 L’achèvement du mystère Pascal et la conclusion de la vie de Jésus

L'Ascension est également, dans les Actes, l’achèvement du mystère pascal et la


conclusion de la vie terrestre de Jésus117 : par deux fois les anges reprennent le
verbe qui scande l'évangile de Luc, celui de « monter ». Tout au long de l’évangile
de Luc, Jésus « monte » vers Jérusalem, vers son « enlèvement » (ἀναλήμψiς Lc
9, 51), c'est-à-dire vers sa mort et son exaltation. Les anges sont ainsi chargés
d'attester que Jésus est bien arrivé au terme de sa montée : il est dans la gloire du
Père.

Le récit des Actes est donc résolument tourné vers l'avenir : si Jésus cesse avec
ses disciples un certain type de présence, ce n'est pas pour les laisser orphelins,
mais pour être présent avec eux d'une façon plus spirituelle. Par son Esprit, il
continuera désormais à les animer pour qu'ils achèvent sa mission qu'il lisait lui-
même dans les Écritures : « Qu'on prêche en son nom la conversion et le pardon
des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem ». L’ascension
marque donc la fin du ministère terrestre de Jésus. Par amour, Dieu le Père avait
envoyé son Fils dans le monde à Bethléem et maintenant, le Fils retournait au

117
Cf. C. Focant et D. Marguerat, Le Nouveau Testament comment, P. 517.

83
Père. La période pendant laquelle il avait été soumis aux limitations humaines
était terminée
Elle indique le succès de son œuvre sur terre. Il avait accompli tout ce pourquoi il
était venu. Elle marque son retour à sa gloire céleste. La gloire de Jésus avait été
voilée pendant sa vie sur terre, avec la courte exception de sa Transfiguration (Mt
17, 1-9). Elle symbolise son élévation par le Père (Éph 1, 20-23). Celui à qui le
Père avait donné toute son approbation (Mt 17.5) a été accueilli avec les honneurs
et a reçu un nom au-dessus de tout nom. (Phil 2, 9).

2.2 Ascension comme lancement de l’aventure de l’Eglise dans le monde.

C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre ce récit de l’Ascension dans les
Actes des Apôtres : « Jésus viendra de la même manière que vous l'avez vu
s'élever vers le ciel ». (Ac 1,11). Les apôtres l'ont vu s'élever en prononçant des
paroles de mission, mettant le point final à son enseignement en les invitant à
témoigner à leur tour : « Pourquoi restez-vous à regarder vers le ciel ? ». L'erreur
des disciples serait de rester passivement à observer le ciel maintenant vide. Ils
sont explicitement invités à aller par toute la terre pour être les témoins de Jésus-
Christ et les porteurs de sa Parole. Exigence missionnaire qui leur sera encore
rappelée lors de la Pentecôte.

L’enseignement fondamental de l'événement de l’Ascension est donc certes,


d’une part, que Jésus est exalté dans la gloire de Dieu et établi comme Seigneur à
ses côtés, et cet aspect essentiel comporte une constatation « visible » : c'est que
désormais Jésus est invisible. Jésus a cessé le mode de présence vécu pendant une
trentaine d'années pour en inaugurer un autre. Mais, d’autre part, ce récit indique
clairement aussi que c'est maintenant le temps de la mission animée par l'Esprit
de Jésus, exigence à laquelle nul de ses disciples ne peut se soustraire. Elle établit
le modèle de son retour. Jésus reviendra établir son Royaume de la même manière
qu’il est parti : littéralement, corporellement et visiblement, sur les nuées (Ac ;
Dn 7, 13-14 ; Mt ; Ap 1, 7).
Pour l’instant, le Seigneur Jésus est au ciel. Les Écritures le représentent souvent
à la droite du Père, une position d’honneur et d’autorité (Ps ; Éph ; Hé 8, 1). Christ
est la tête du corps de l’Église (Col1.18), il donne les dons spirituels (Éph 4, 7-8)
et il remplit tout l’univers (Éph4.9-10). L’ascension du Christ marque la transition

84
entre son ministère terrestre et son ministère céleste. Nathalie Requin l’avait
compris, qui l’exprimait en ces termes : « À partir de l’Ascension, l’humanité du
Christ est au ciel, et le Christ a soustrait à ses disciples la présence visible de son
corps. Cependant, sa nature humaine, et le mystère de l’incarnation qu’elle porte,
ne doivent pas être considérés désormais comme superflus »118.

2.3 Ascension comme prélude de la Parousie.

Après ces paroles, poursuit le récit des Actes, ils le virent s'élever et disparaître à
leurs yeux dans une nuée. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s'en allait,
voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient :
"Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé
du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller
vers le ciel" (Ac 1, 9-11). Cette parole de l’ange explique non seulement
l’économie du récit de l’ascension, mais elle établit, aux dires de P. Benoît « un
lien profond entre la montée du Christ au ciel et son retour à la fin des temps »119.
Cette communication du ciel, signifiée par les deux personnages vêtus de blanc,
vient sortir les apôtres de leur immobilisme et les renvoie à leur travail de témoins.
Ceci signifie qu’entre l'Ascension et la venue du Christ glorieux, c'est le temps
des témoins de Jésus, c'est le temps de l’Église. Pour le dire autrement : c’est aux
apôtres de jouer ! En attendant le moment connu de Dieu seul où Jésus reviendra
dans sa gloire divine, il convient de témoigner de lui. Aussi les messagers de Dieu
renvoient-ils les apôtres vers la terre des hommes où ils ont une mission à remplir,
une histoire à vivre et à construire.

CONCLUSION : UNE SUCCESSION SANS EFFUSION DU SANG.

Au terme de notre analyse des textes portant sur l’évènement de l’ascension, nous
pouvons affirmer avec conviction que la succession entre Jésus et ses apôtres est
une succession préparée. Le livre des Actes des Apôtres est expressif à ce sujet :
« En effet, après sa mort, c’est à eux qu’il se montra en leur prouvant de bien des

118
N. Requin, l’Ascension du
Christ, P. 195.
119
P.Benoît, Ascension, In VTB, col. 91.

85
manières qu’il était vivant : pendant quarante jours, il leur apparut et leur parla du
Royaume de Dieu » (Ac 1,3). Et dans un contexte plus large, nous pouvons même
dire que Jésus de son vivant s’était déjà choisi un dauphin.

La promesse de Jésus à Pierre à Césarée de Philippe ne nous démentirait pas à ce


sujet : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les puissances de
l’enfer ne pourront rien contre elle » (Mt 16,18).

Ensuite la succession entre Jésus et ses apôtres n’est pas tragique. Plusieurs
arguments plaident d’ailleurs pour cette affirmation : d’une part, le passage de
témoin aura lieu lors d’un ultime repas entre Jésus et ses apôtres. L’atmosphère
semble ici détendue, pas de querelle ni de discussions houleuses entre les
convives. C’est donc au cours de ce repas que Jésus va profiter de l’occasion pour
donner les dernières instructions à ses disciples. D’autre part, avant la séparation
d’avec les siens, le Christ va procéder à un rite de bénédiction de ses disciples. Il
leur donne par ce fait l’onction qui leur permettra d’accomplir la lourde mission
qu’il va leur confier : être ses témoins jusqu’aux confins de la terre. Vous pouvez
donc convenir avec moi qu’il n’y a eu ici, ni un coup d’état constitutionnel, ni une
quelconque effusion de sang. C’est plutôt un passage de relais sans douleur et
avec douceur. Puisse Jésus être notre paradigme dans la préparation des
successions dans nos familles, dans l’église ainsi que dans la société.

86
BIBLIOGRAPHIE.

The Greek New Testament, sous la direction B. Aland/K. Aland et al. Stuttgart
1993.

Novum Testamentum Graece, sous la direction de B. Aland/K. Aland et al.


Stuttgart 1994.

La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l’école biblique de


Jérusalem, Cerf, Paris 1998.

La Bible TOB, Cerf et Société biblique française (Ed. Intégrale), Paris, 1988.

BOISMARD. M.-E et LAMOUILLE. A., Les Actes des deux apôtres Tome III.
Analyses littéraires, Gabalda, paris 1990

FOCANT. C et MARGUERAT D., Le Nouveau Testament commenté, Bayard,


Labor et Fides, Genève 2012

GUILLET. J., Bénédiction, in Vocabulaire de Théologie Biblique, Sous la


direction de Xavier Léon-Dufour, Cerf, Paris 2003, col. 120

HAUBECK. W et VON SIEBENTHAL. H., Neuer Sprachlicher Schlüssel zum


Griechischen Neuen Testament: Matthäus-Apostelgeschichte, Brunnen, Giesen,
1997

REQUIN. N., L‘Ascension du Christ : le Verbe fait homme pour l’éternité, in


Nouvelle Revue Théologique, 2017/2, Tome 139

SCHNEIDER. G., Betanien, in Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament,


Band I, Kohlhammer, Stuttgart 1992, P. 511

TAYLOR. J., Les Actes des deux Apôtres, Tome IV : Commentaire historique
(Act 1, 1-8,40), Gabalda, Paris 2000

87
ZWIECKEL. W., Betanien, in Calwer Bibel Lexikon, Band I, Calwer Verlag,
Stuttgart, P. 180.

88
PAUL ET LA (SA) SUCCESSION
Dr Ephrem BELUI BEYEME

Introduction
Il est souvent plus habituel et quelque peu aisé de parler de la succession
apostolique telle qu’elle s’est effectuée de Jésus aux apôtres. Tandis que celle des
apôtres à leurs successeurs semble ne pas encore susciter l’intérêt qu’il mérite. La
question, aussi intéressante que vaste, nécessite des recherches de plus grande
ampleur. Car en fait il faudrait ratisser large et creuser en profondeur une
question dont les ramifications s’étendent au- delà de notre préoccupation dans le
présent article. Notre propos se veut donc plus modeste. Nous allons nous
intéresser uniquement à la succession de Paul qui, à plusieurs égards, nous semble
pouvoir être une contribution plus significative quant aux objectifs du présent
colloque.

Alors comment s’est effectuée la succession de Paul ou faudrait-il dire la


succession d’après Paul ? Avec une grande lucidité, Paul a conçu et préparé sa
succession dans un cadre pluridimensionnel, avec des personnes compétentes,
pour la plupart choisies par lui-même (5) et à l’aune d’une conviction (2) porteuse
elle-même d’une espérance (3). C’est sous le prisme de ces trois articulations que
nous avons envisagé cette recherche.

I. Dans un cadre pluridimensionnel comme matrice


« Vous ; vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, et la Samarie
et jusqu’aux extrémités de la terre » Ac 1, 8
Des Actes des Apôtres aux Epîtres pauliniennes on voit que Paul conçoit la
succession dans un cadre à trois dimensions : géo-spatiale, temporelle et sociale.

1.1. Dans un cadre géo-spatial


L’espace concerné par la mission des apôtres d’après la « feuille de route » qui
leur a été donné équivaut à la totalité de l’œcoumène. De tous les apôtres Paul est
celui qui, de par son zèle et son engagement missionnaire, donne plus de preuves
d’avoir pris la pleine mesure de cette étendue géographique lorsqu’il expose son
projet de se rendre en Espagne en passant par Rome :

89
« mais maintenant comme je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées et que,
depuis bien des années, j’ai un vif désir d’aller chez vous, quand j’irai en Espagne
… J’espère en effet vous voir lors de mon passage et recevoir votre aide pour m’y
rendre, après avoir été d’abord comblé, ne fût-ce qu’un peu, par votre présence ».
Finalement Paul n’arrivera pas en Espagne et semble ne montrer ni empressement
ni envie de s’y rendre absolument. Il semble avoir fini ses jours dans un
appartement à Rome où il recevait ceux qui venaient à lui leur annonçant Jésus
Christ avec assurance et sans obstacle. Avait-il lucidement réalisé sa finitude et
d’autres limites liées à la condition humaine? Ou alors s’était-il résigné à l’idée
qu’on ne peut pas tout faire et seul ? Toujours est-il que ce vaste espace nécessitait
toujours plus d’hommes engagés dans une conquête qui devait se comprendre
comme une course de relais et non une exceptionnelle performance individuelle.

1.2. Dans un cadre temporel


Avec Paul nous sommes au début des temps apostoliques caractérisés par une
eschatologie immédiate. Ce qui ne laissait pas envisager une génération
successive. Comme la plupart des disciples de la première génération, Paul était
convaincu de l’imminence de la parousie au début de son ministère. Il se comptait
volontiers parmi ceux qui verraient le retour du Christ de leur vivant lorsqu’il
déclare « au son de la trompette, les morts sortiront des tombeaux […] et nous qui
serons vivants nous serons transformés instantanément ». Mais avec le temps qui
passe, on commence à envisager la durée et une durée indéterminée, les stratégies
pastorales s’élaborent et les ministères sont organisés. Dans ses dernières épîtres
authentiques on peut noter que le temps était devenu un paramètre que Paul a
définitivement intégré. Ce qui l’ouvrait inéluctablement à l’éventualité que
d’autres personnes que lui continuerait la mission.

1.3. Dans un cadre social


Le cadre social dans lequel devait se dérouler la succession des apôtres et celle de
Paul en particulier est le même où Paul lui-même a exercé laborieusement son
ministère. Il est marqué d’une part par l’hostilité des judéo-conservateurs en
Palestine. D’autre part par la présence hégémonique et oppressante des politiques,
des cultures et religions gréco-romaines de l’immense Empire romain aux
dimensions du bassin méditerranéen. On peut donc comprendre que le contexte
socio politique de la deuxième moitié du premier siècle n’était pas des plus
sereins. Autant le dire les successeurs de Paul allaient s’ébrouer dans un cadre
social des plus hostiles.

90
Sa stratégie consistera donc à construire un réseau de relations les plus
abondantes, les plus variées et les plus adaptées possibles afin de se constituer une
équipe de disciples compétents et capables de continuer comme lui- même la
mission évangélisatrice. En fin de compte, il forme pour libérer et responsabiliser.

II. En synergie avec des personnes engagées


« Absent de corps, mais en esprit je suis avec vous » Colossiens 2, 5.
Nous avons les noms des collaborateurs de Paul dans la diversité des liens qui les
unissaient à lui. Ce sont ces collaborateurs dans leur ensemble qui ont
immédiatement prolongé son ministère tant dans l’espace que dans le temps.
Cependant la succession de Paul est encore plus évidente et significative dans
l’œuvre littéraire de ceux qui ont écrit sur lui ou en son nom ou encore dans les
dernières consignes qu’il adresse lui-même en guise de testament à tous ses
successeurs. Tels seront les axes de notre réflexion dans cette deuxième partie.

2.1 L’auteur des Actes des Apôtres


L’auteur des Actes des Apôtres et la « dramatisation » du destin de Paul, devraiton
préciser car il est sans doute celui qui renseigne le plus sur la vie de l’apôtre Paul.
Certains font peser sur lui le soupçon qu’il n’aurait peut-être pas bien compris la
théologie de Paul. D’autres peut-être plus diplomates mais non moins critiques
trouvent qu’il s’est autorisé beaucoup de libertés par rapport à la pensée de son
mentor et aussi « pour avoir mis en valeur des thèmes qui ne sont pas pauliniens
(l’histoire du salut), pour avoir simplifié le parcours de Paul et pour avoir laissé
de côté nombre de controverses dans sa vie ».

Nonobstant cela, on ne peut s’empêcher de reconnaître l’extraordinaire


contribution de cet auteur notamment sur trois plans : « il consacre à Paul plus de
la moitié de sa longue description de la naissance et l’expansion du christianisme
», il en fit un des personnages les plus importants à la suite du Christ enfin il a
rassemblé et mis en perspective les différents éléments autobiographiques de Paul
qu’on trouve de manière éparse dans ses lettres. C’est pratiquement lui qui a forgé
assez nettement l’image qu’on a de Paul aujourd’hui dans l’Eglise et en dehors.
De Paul il montre enfin une réflexion théologique déployée de manière tant
ingénieuse que prospective à travers des grandes prédications à Antioche de
Pysidie , à Athènes et à Milet , pour ne citer que celles-là, qu’on ne trouve pas

91
dans les épîtres même de Paul et qui resteront toujours d’une richesse théologique
inspirante pour des générations de lecteurs des Actes des apôtres.

2.2 Les deutéro-pauliniens pseudépigraphiques


L’accord unanime de tous les chercheurs autour de l’idée que parmi les treize
épitres de Paul six sont l’œuvre de quelques disciples passionnés. Ces six écrits
sont conventionnellement qualifiés par bon nombre de commentateurs de
littérature deutéro-paulinienne pseudépigraphique. Il convient de rappeler qu’il
s’agit des épîtres aux Ephésiens, la deuxième aux Thessaloniciens, Colossiens, la
première et la deuxième à Timothée et celle à Tite. Le qualificatif
pseudépigraphique montre que ces disciples écrivains sacrés ont fait le choix
généreux de rester définitivement anonymes. Ils se sont ainsi volontairement
effacés pour faire de la place au grand apôtre parce qu’ils « virent apparemment
en Paul, même après sa mort une autorité durable capable de parler aux églises du
troisième tiers du premier siècle »
En écrivant « tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises
de nous, de vive voix ou par lettre » 2 Th 2, 5, l’auteur sacré de la Deuxième
Epître aux Thessaloniciens, montre à la communauté destinataire et aux lecteurs
que la vie de Paul même en son absence continue d’être un modèle qu’ils peuvent
imiter.

Quant à l’auteur de l’Epître aux Colossiens il « développe avec une profondeur


nouvelle, les thèmes pauliniens en christologie, ecclésiologie et eschatologie »

Une des plus grandes contributions à l’héritage théologique et spirituel de Paul


est celle de l’auteur sacré et anonyme de l’Epître aux Ephésiens. Reconnu comme
le plus talentueux des disciples écrivains de Paul, il montre qu’après avoir bien
assimilé les enseignements de son maître et inspiré par lui, il est allé encore plus
loin. Son écrit est un prolongement tant réactualisé qu’amélioré de l’enseignement
de l’apôtre Paul.

Le dernier groupe de deutéro-pauliniens écrivains est formé par les auteurs des
épîtres dites ‘pastorales’: 1 et 2 Timothée et Tite. Ils sont considérés comme moins
doués que les précédents et leur théologie comme terre à terre et indigne du génie
et grand rabbin qu’était l’apôtre Paul. Néanmoins on ne pourrait occulter les

92
informations qu’ils donnent concernant l’ébauche d’organisation des ministères
aux débuts de l’Eglise.

2.3 Discours aux Anciens d’Ephèse


Du retour de son troisième voyage missionnaire, c’est un Paul un peu vieilli et
surtout affaibli qui descend de Macédoine à Jérusalem. Il préféra la voie maritime
qui était plus directe et lui épargnait beaucoup d’efforts physiques qu’aurait
exigés la descente par la voie terrestre. Pour faire ses adieux aux Anciens
d’Ephèse, il liest fit venir à Milet. Paul avait pleinement conscience que son
ministère en ces régions est achevé mais que pour autant la mission évangélique
devait se poursuivre mais avec d’autres (des successeurs). Ainsi l’intérêt accordé
aux Anciens d’Ephèse et au poignant discours qu’il leur adresse se rattache au fait
que Paul voit déjà en eux des successeurs dans une Eglise appelée à durer. Notons
au passage que parmi les grands discours de Paul dans les Actes des apôtres celui
aux anciens d’Ephèse à Milet est le seul qui est adressé directement aux chrétiens.
Et le fait qu’il s’adresse particulièrement à une catégorie appelée à jouer un rôle
de premier plan dans la prise de la relève et la continuation de la mission en ajoute
à son intérêt.

Le discours couvre l’espace textuel allant du v. 17 au v. 35 du chapitre 20 et il a


trois articulations. La première comprend les versets 17 à 27 et est plutôt centrée
sur la personne de Paul notamment son passé et son avenir. Les deux autres allant
des versets 28 à 35 sont plus pertinente pour notre propos. Elles comportent une
exhortation et une règle déontologique qui dévoilent l’idée que Paul se faisait de
sa succession. Par l’exhortation, Paul rappelle à ces Anciens qu’il leur est confié
le troupeau du Seigneur, charge à eux de le défendre contre les loups. Surtout Paul
les « remet à Dieu et à sa parole de grâce, qui a la puissance de bâtir l’édifice et
d’assurer l’héritage à tous les sanctifiés ». Par la règle déontologique « l’orateur
de Milet légitime d’une double manière cet exemple qu’il lègue aux anciens (v.35)
c’est en donnant qu’on prend soin des faibles (dans la foi ?) et que l’on se
conforme à l’exhortation de Jésus à donner plutôt qu’à recevoir ». Toutefois au-
delà des personnes Paul semble envisager la mission de manière encore plus
exaltante.

93
III. Et à l’aune d’une conviction
« On n’enchaine pas la Parole de Dieu » 2 Tim 4, 6.
Un lecteur attentif du livre des Actes des Apôtres est amené à faire une
observation évidente: ni Pierre ni Paul ‘‘ne meurent ’’ dans ce livre. En ce qui
concerne Paul particulièrement on le voit, à son arrivée à Rome, prendre plutôt un
appartement où pendant deux ans il reçoit tous ceux qui viennent à lui. Un accent
semble plutôt mis d’une manière singulièrement aigüe sur l’assurance de Paul et
la justesse de son propos quant à sa proclamation du Règne de Dieu et à
l’enseignement de ce qui concerne le Seigneur Jésus. La note finale insiste sur le
fait que ce ministère se déroule ‘sans entrave’. L’auteur sacré des Actes montre
ainsi que Paul est dans la même logique et en synergie avec les Douze qui avaient
déjà bien saisi l’enjeu de leur mission dans le récit de l’institution des sept
lorsqu’ils déclarent « il ne convient pas que nous délaissions la Parole de Dieu
pour le service des tables. […] Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière
et le service de la parole ». Ce qui sera exprimé en d’autres termes plus tard par
la formule: « On n’enchaine pas la Parole de Dieu ».
La non mention de la mort de Paul dans les Actes alors qu’il est unanimement
établi que ce livre a été écrit après la mort de tous les apôtres montre à suffisance
qu’il faut y voir une intention délibérée de relativiser les personnes au profit de
l’Evangile qui poursuit inexorablement son périple jusqu’aux confins de
l’œcoumène. A la limite les hommes se succèdent et sont de ce fait
interchangeables et personne n’étant indispensable. Paul a semé, Apollos arrose
et un autre récoltera. Ce qui reste stable, quand passeront ciel et terre, c’est la
Parole. Paul s’efface pour faire place à la Parole qui continue d’être annoncé sans
entrave. L’herbe se dessèche, la fleur se fane mais la Parole de Dieu ne passera
pas. « Cette Parole appelle, rassemble, éclaire. Elle ne nous met pas les uns après
les autres, elle nous rassemble autour d’elle ».

Conclusion
Nous avons envisagé globalement la succession au cours de ce colloque comme
un processus de passage de témoin. Nous venons de voir chez Paul qu’il s’agit
bien de cela ou du moins ce qu’il est convenu d’appeler passation de service.
Dans le cadre ecclésial des premières communautés chrétiennes on ne saurait
parler d’une dévolution de pouvoir. Nous avons aussi noté que c’était une
éventualité que Paul et sa génération n’envisageaient pas dans un contexte
marqué, à ses débuts, par une eschatologie immédiate. Le temps qui passait,
renvoyant sans cesse la parousie à une date indéterminée, Paul a dû se résoudre

94
non seulement à envisager mais encore à organier sa succession. De ce fait il
prendra en compte aussi bien l’espace, le temps que les personnes comme facteurs
importants. Mais il aura surtout montré que la succession doit servir une cause la
pérennité de la parole qui ne saurait se taire quand bien même les hommes qui la
portent sont réduits au silence. En ce qui concerne ses disciples, successeurs
immédiats et ceux de tous les temps, nous concluons avec Brown R.E. que «
Imiter le maître est une forme de reconnaissance ; être inspiré par lui pour aller
encore plus loin est une contribution plus grande encore à son héritage ».

Pour continuer la réflexion


• Brown R. E., Que sait-on du Nouveau Testament, Paris, Bayard, 1997 •
Marguerat D. et Focant C., Le Nouveau Testament commenté. Texte
intégral Traduction œcuménique de la Bible, Paris\Genève, Bayard\Labor
et Fides, 2012
• Marguerat D., La première histoire du christianisme (les Actes des
Apôtres), Lectio Divina 180, Paris\Genève, Cerf\Labor et Fides, 2003
• Rossé G., Atti degli Apostoli. Commento esegetico e teologico, Roma,
Citta Nuova, 1998
• Roberts Gaventa B., Acts (AbingdonNew Testament commentaries),
Nashville-Abingdon, 2003

95
CONCLUSION GENERALE

Quel éclairage peuvent apporter les Saintes Écritures à la question de la succession


qui se pose aussi bien dans nos sociétés, dans nos familles que dans notre Église ?
Telle est la problématique qui a sous-tendu notre colloque. Pour aborder cette
question avec beaucoup de pertinence, nous avons choisi d’analyser le problème de
la succession de l’Ancien Testament au Nouveau-Testament en passant par les
communautés intertestamentaires. Les différentes interventions ont donc débouché
sur les intuitions suivantes :

Ouvrant le bal des interventions, Emmanuel LEMANA s’est chargé de parler de la


succession dans les familles patriarcales. Aussi a-t-il choisi Genèse 27, 1-40 comme
archétype des querelles de succession des récits patriarcaux. De son analyse, on
peut retenir que quelle que soit l’espace à occuper, le pouvoir à recevoir ou à
transmettre en succession, il n’y aura toujours qu’une place pour une personne. Ce
qui importe, c’est la survie du groupe, du clan et de la nation. Dès lors les
institutions ont donc le devoir d’établir des règles qui soient susceptibles d’être
respectées de tous pour une bonne succession, afin que subsiste la paix sociale et la
continuité de la tribu et du peuple.

Jean Paul ONDOUA pour sa part aura démonté que le passage du témoin de Moise
à Josué est une histoire de succession selon le plan de Dieu. Ainsi après avoir mis
en parallèle Moise et Josué, il verra dans la succession de Moise à Josué non
seulement l’unité d’action conduite par Dieu, mais aussi l’inaltérabilité de l’histoire
du peuple de Dieu. L’auteur a donc vu en Josué à la suite de Moise d’une part le
prototype du chef idéal d’Israël et d’autre part l’antitype des rois fallacieux et tous
les rois schismatiques qui ont défié la loi du Seigneur.

Dans son intervention portant sur la succession de Saül à David, Joseph MAVINGA
a choisi d’analyser 1 Samuel 16,1-13. À l’issue de son investigation, il a pu, dans
le contexte de Saül et David, démontrer la providence de Dieu qui hisse les humains
au niveau de successeur et la providence de Dieu sur cet acte d’installation de David
au trône d’Israël. Il rappelle par le fait même cet adage célèbre et à jamais connu de
tous : « Tout pouvoir vient de Dieu ».

96
Pour clôturer les interventions sur la question de la succession dans l’Ancien
Testament, l’exposé de Kisito ESSOMBA portait sur la succession dans le
prophétisme, le cas d’Elie et Elisée en (1R 19, 19-21).
Partant du cas d’Élisée, l’auteur nous a rappelé les attitudes qui devraient
caractériser un bon successeur :
- Suivre son maître jusqu’au bout, comme Élisée l’a fait, jusqu’au moment de
l’enlèvement.
- Être témoin des événements significatifs de son maître, comme Élisée l’a été lors
de l’élévation d’Elie au ciel.
- Connaître son maître jusqu’aux petits mots et gestes et rester profondément
attaché à lui.
L’auteur a vu en définitive dans la succession Élie à Élisée celle d’un disciple
studieux. Profondément attaché à l’enseignement et à la personne de son maître. Il
a su apprendre à connaître son maître, cerner le but de ses études, aimer les
enseignements, y a adjoint la régularité, la persévérance et l’espérance devant les
obstacles.

Avant de passer à la succession dans le Nouveau Testament, Guénolé FEUGANG


va s’investir sur la succession dans les communautés intertestamentaires. Aussi va-
t-il choisir d’intervenir sur l’héritage et la succession dans le roman de Joseph et
d’Aseneth. Ce roman pose ici un problème de succession sur le plan socioreligieux.
Car le lecteur est confronté ici à deux héritages : une convention sociale de mariage
de classe et une convention religieuse de mariage sacré. Le Pharaon voudrait
transmettre à son fils ces règles et codes sociaux alors que Joseph voudrait être
fidèle à l’héritage religieux reçu de son père Jacob.

En ce qui concerne le déploiement de notre thématique dans le Nouveau Testament,


la première intervention qu’a assumée Patrice MEKANA portait sur la succession
de Jean-Baptiste à son père Zacharie. Aux dires de l’auteur, cette succession entre
Zacharie et Jean-Baptiste est faite de continuité et de ruptures : Ruptures par rapport
au nom, ruptures d’avec le sacerdoce du Temple, rupture d’avec le prophétisme
traditionnel, rupture d’avec le mouvement essénien de Qumran. Cependant
continuité par rapport au genre littéraire de la péricope qui fait partie des annonces
des naissances des grands personnages dans la Bible : c’est le cas de Isaac, de
Samson, de Samuel et de Jésus. Continuité aussi parce que Jean-Baptiste sera
« l’enfant de la promesse divine, donnée à des vieillards, comme Isaac l’avait été à
Abraham et Sara ».
97
Enfin, le passage du témoin de Jésus à ses apôtres qui va conclure ce colloque
apparaît à juste titre comme un apophtegme. L’auteur de cette contribution Jean-
Parfait NTSAMA a su démontrer que la succession de Jésus à ses apôtres a été
minutieusement préparée, puisqu’elle a eu lieu le jour de l’ascension de Jésus,
quarante jours après sa résurrection. Elle s’est faite sans douleur et avec douceur
puisqu’elle a eu lieu au cours d’un repas et a été suivie d’un rite de bénédiction. Il
est clair qu’il n’y a eu ici ni d’un coup d’état constitutionnel, ni d’un coup d’état
militaire avec effusion du sang, ni des procédures devant les tribunaux pour
départager les héritiers. Cette expérience de Jésus avec ses apôtres devrait à coup
sûr devenir pour nous paradigmatique dans la préparation des successions dans nos
familles, dans notre Église ainsi que dans sociétés.

Dr Jean Parfait NTSAMA

98
NOUVELLES PARUTIONS EN FACULTÉ DE THÉOLOGIE.
LUES ET SYNTHÉTISÉES POUR VOUS.

SYNTHÈSE GÉNÉRALE DES TRAVAUX DU COLLOQUE SUR LE


THÈME « MGR PAUL ÉTOGA ET MGR JEAN ZOA : DEUX GRANDES
FIGURES DE L’ÉGLISE AU CAMEROUN. REGARDS CROISÉS SUR
LEUR HÉRITAGE, 20 ANS APRÈS »,
Pr. Jean-Paul MESSINA

À la suite des deux célébrations commémoratives du 20e anniversaire du décès de


Mgr Paul ÉTOGA, premier évêque natif du Cameroun et évêque fondateur du
diocèse de Mbalmayo et de Mgr Jean ZOA, deuxième archevêque de Yaoundé et
premier prêtre camerounais nommé directement archevêque, respectivement à
Mbalmayo sous la présidence de Mgr Joseph Marie NDI OKALA (Ordinaire du
lieu), et à Yaoundé sous la présidence de Mgr Jean MBARGA, archevêque
métropolitain ; la Faculté de théologie de l’Université catholique d’Afrique
centrale/Institut catholique de Yaoundé a commis un colloque scientifique sur ces

99
deux figures marquantes de l’Église au Cameroun. Ce colloque s’est tenu du 24 au
25 avril 2018 dans l’Amphi du campus universitaire de Nkolbisson à Yaoundé.
En effet, la Faculté de théologie de l’UCAC, fidèle à sa tradition de rendre compte
de la contribution de l’Afrique à l’Église universelle dans le cadre de la
confrontation du christianisme avec l’univers culturel et religieux de ce continent,
plus singulièrement de l’ouverture d’une part de l’Église au clergé africain et
d’autre part de l’apport de ce clergé à l’édification de l’Église locale (des Églises
locales et diocésaines) a saisi le prétexte du 20e anniversaire du décès de ces deux
prélats non seulement pour faire œuvre de mémoire mais encore pour relire, et
explorer et évaluer la nature de l’héritage que ces illustres pionniers ont légué à la
postérité.

Le colloque s’est ouvert le 24 avril 2018 en présence de très hautes autorités


ecclésiastiques dont Mgr Cosmas AMBROSINI, chargé d’Affaires à la Nonciature
Apostolique de Yaoundé au Cameroun et de nombreuses autorités civiles de
l’administration camerounaise. La participation du clergé catholique (prêtres
diocésains, religieux, religieuses), des laïcs, des enseignants et étudiants a été
remarquablement significative. Jamais, de mémoire d’historien, on a connu une
telle affluence à la tenue d’un colloque dans notre Université : près d’un millier de
participants à l’ouverture.

Quatre grandes articulations, comportant des intermèdes musicales de la très


remarquable chorale du Grand Séminaire Immaculée Conception de Nkolbisson,
ont ponctué la tenue de ce colloque au cours de ces deux jours :
- la phase protocolaire et la conférence inaugurale ;

- les conférences consacrées à la figure de Mgr Paul Étoga (Journée Paul


Étoga) ;
- les conférences consacrées à Mgr Jean Zoa (Journée Jean Zoa) ;
- la Table-ronde conclusive.

100
 Journée du mardi 24 avril 2018
Cette journée a été marquée par deux grandes articulations. Il s’est agi
particulièrement de discours d’ouverture et de la conférence inaugurale. Le premier
orateur, l’abbé Professeur Jean-Bertrand SALLA, en sa qualité de Recteur de
l’UCAC a salué les participants au colloque, singulièrement les autorités
ecclésiastiques et civiles dont la présence a rehaussé l’éclat du colloque. Il en est
particulièrement ainsi de la présence de Mgr Cosmas AMBROSINI, chargé
d’Affaires à la Nonciature apostolique. Le Recteur a par la suite remercié et félicité
les organisateurs du colloque.

Prenant la parole à son tour, le Doyen de la Faculté de théologie, l’abbé Dr.


Augustin Germain MESSOMO ATEBA, a situé le contexte et le prétexte du
colloque : le 20e anniversaire du décès des deux prélats et le souci de faire évocation
de la mémoire de ces deux pionniers en revisitant leur champ d’engagement
pastoral sur fond de leur spiritualité propre. Par ces propos, le Doyen de la Faculté
de théologie a déclaré ouvert le troisième colloque de la Faculté de théologie sur
Mgr Paul Étoga et Mgr Jean Zoa.

La conférence inaugurale qui est venue clôturer cette première articulation a été
donnée par le Pr. Jean-Paul MESSINA sur le thème : « Mgr Paul ÉTOGA et Mgr
Jean ZOA : environnement politique et ecclésial de la nomination des deux
Évêques ». L’orateur, après avoir situé l’origine de l’épiscopat en Afrique a montré
le rôle majeur joué par les papes Pie XII et Jean XXIII dans la nomination des
Évêques natifs d’Afrique, le premier par souci de révéler le visage universel de
l’Église malgré le contexte colonial ; le deuxième, tout en assumant le souci du
premier ajoute la nécessité d’avoir des Évêques africains comme Pères du Concile
Vatican II. C’est dans ce contexte ecclésial couplé avec les revendications
nationalistes que sont nommés Mgr Paul Étoga en 1955 et Mgr Jean Zoa en 1961.
Les deux Évêques ayant en commun le destin de pionniers et la responsabilité de
doter l’Afrique et le Cameroun des structures pastorales nécessaires à leur mission.
Ce pari a été remarquablement gagné par un témoignage d’unité et d’engagement
efficace.

Première figure : Mgr Paul ÉTOGA


S’agissant des conférences consacrées à Mgr Paul Étoga, ont pris tour à tour la
parole au cours de la matinée : le père Nicolas OSSAMA (Sj), historien ; l’abbé
101
Benjamin NKOÉ, prêtre diocésain et ancien collaborateur de Mgr Paul Étoga ;
l’abbé Pr. Antoine ESSOMBA FOUDA, Enseignement permanent à la Faculté de
théologie de l’UCAC ; et l’abbé Pr. Jean-Bertrand SALLA, Recteur de l’UCAC.

Le père Nicolas OSSAMA a abordé le sous thème « Mgr Paul ÉTOGA, complexité
et difficultés du ministère d’un jeune évêque auxiliaire ». L’orateur a situé le cadre
biographique de Mgr Paul Étoga (né vers 1911 à Nkolmewut) et retracé son
itinéraire qui a conduit à son ordination sacerdotale en 1939. Prêtre bâtisseur, Mgr
Paul Étoga est remarqué pour sa disponibilité et sa générosité, toutes qualités qui
vont militer en faveur de sa nomination, comme évêque auxiliaire de Mgr René
Graffin en 1955.

Mais, son ministère rencontre de nombreuses difficultés issues de toutes parts. La


haute autorité gouvernementale (le Haut-Commissaire Roland PRÉ) veut lui
imposer de signer une lettre de soutien à ses méthodes répressives. Son refus de s’y
soumettre lui vaudra le qualificatif, non mérité, d’ « évêque anti-blancs ». La
collaboration avec son archevêque est médiocre. D’où son affectation pour fonder
un nouveau diocèse à Mbalmayo en 1961.

Intervenant à la suite du père Nicolas OSSAMA (Sj.), l’abbé Benjamin NKOÉ


partage et prolonge le propos de son prédécesseur en montrant que la création du
diocèse concerné était une manière d’éloigner Mgr Paul Étoga de la succession au
Siège de Yaoundé en programmant son échec pour la mission de fondation du
nouveau diocèse, car lors de son intronisation le 22 août 1961, il se retrouve seul
face à son destin, sans ressource, sans secours ni recours. Et, pour l’abbé Benjamin
NKOÉ, Mgr Paul Étoga est un saint Évêque.
Le Pr. Antoine ESSOMBA FOUDA qui prend la parole après l’abbé Benjamin
NKOÉ, qui fut son Recteur au Petit Séminaire saint Paul de Mbalmayo, aborde
précisément « La création du Séminaire saint Paul de Mbalmayo comme première
audace pastorale » de Mgr Paul Étoga. Le premier drame qui se pose à Mgr Paul
Étoga est, au-delà des structures et infrastructures encore manquants, l’insuffisance
du clergé avec qui il doit travailler. Face aux réticences des missionnaires blancs, il
se résout à former son propre clergé en créant le Petit Séminaire saint Paul, l’année
même de son intronisation. Parti de rien, et grâce à sa foi inébranlable, il réussit à
réaliser son projet avec l’aide des bienfaiteurs que la Providence a mis sur sa route.
Ce séminaire a formé des prêtres de qualité dont quatre sont devenus évêques : Mgr
Jean-Marie Benoît BALLA (ancien évêque de Bafia) ; Mgr Jean MBARGA (actuel
archevêque métropolitain de Yaoundé) ; Mgr Philippe Alain MBARGA (actuel
102
évêque d’Ébolowa) ; Mgr Joseph Marie NDI OKALA (son deuxième successeur
au Siège de Mbalmayo). Sur ce registre, il convient de signaler de nombreux hauts
commis de l’État du Cameroun.

La matinée s’est achevée par la conférence du Pr. Abbé Jean-Bertrand SALLA qui
a exposé sur « Vision et engagement pastoral de Mgr Paul ÉTOGA ». L’orateur a
situé cette vision dans le prophétisme et le charisme de l’évêque fondateur du
diocèse de Mbalmayo. Il s’est inspiré pour cela de l’opuscule intitulé : « Vision et
engagement de Mgr Paul ÉTOGA ». Au cœur de cette pastorale, il y a la pastorale
sacramentelle et la vie de prière.

Au terme des conférences prononcées au cours de la matinée, une messe a été


concélébrée par les prêtres et évêques présents. Elle a connu la participation des
fidèles venus nombreux au colloque.
L’après-midi de la journée du 24 avril 2018 a été ponctuée par quatre conférences.

La première portant sur : « Mgr Paul ÉTOGA : un pionnier bâtisseur d’une pastorale
sociale » délivrée par Mgr Thomas Bienvenu TCHOUNGUI, a révélé que malgré
l’insuffisance des ressources propres du diocèse, l’attention de Mgr Paul Étoga est
restée focalisée sur la promotion intégrale de l’homme, la formation spécialisée du
clergé, la communication sociale et l’action catholique, le Centre de Promotion
Sociale de Mbalmayo (CPS) a joué ici, un rôle majeur.

Cet exposé a été suivi d’un témoignage de monsieur Joseph ATANGANA NDZIÉ,
un des proches collaborateurs laïcs de l’évêque fondateur du diocèse de Mbalmayo.
L’orateur le présente, lui aussi, comme un saint homme et invite à la mobilisation
de tous pour sa Béatification.

Deux importantes communications ont conclu la journée Paul ÉTOGA : celle de


Mgr Jean MBARGA sur « Mgr Paul ÉTOGA : un patriarche africain et un exemple
de charité chrétienne » ; celle de Mgr Joseph Marie NDI OKALA sur « Héritage et
orientations d’un serviteur de l’Église ». Mgr Jean MBARGA, après avoir souligné
qu’entre Mgr Paul Étoga et Mgr Jean Zoa il n’y avait aucune mésentente, a fait une
typologie de patriarches : le patriarche biblique ; le patriarche africain dans la
tradition ; le patriarche de la modernité ; le patriarche de l’Église, (lié à l’histoire) ;
il conclut que Mgr Paul Étoga a été un vrai patriarche incarnant parfaitement les
quatre aspects de la typologie de patriarches.

103
Mettant en exergue l’esprit de générosité, l’orateur confirme les qualités spirituelles
déjà évoquées par les précédents intervenants et conclut son propos par la lecture
de l’homélie que Mgr Jean Zoa avait préparée pour la messe de requiem de Mgr
Paul Étoga.

Mgr Joseph Marie NDI OKALA, dernier orateur de la journée Paul ÉTOGA a
présenté l’héritage et les orientations de ce serviteur de l’Église. Insistant sur
« Fides et Ratio », et foi et culture, il a montré que Mgr Paul Étoga a été l’évêque
de son temps et a remarquablement assumé les problèmes de son temps depuis la
période coloniale jusqu’à sa renonciation en 1987. En témoin privilégié de
l’épiscopat de Mgr Paul Étoga il a rappelé son attention sur la double exigence de
l’enracinement de l’Église et du vécu d’une foi authentique sans cesse approfondie.

Les orientations se déclinent en un certain nombre de points : l’équilibre des zones


pastorales pour une collaboration pastorale harmonieuse ; formation et
spécialisation des ouvriers apostoliques ; autonomie financière ; pastorale sociale ;
quête permanente de spiritualité.
La journée s’est achevée à 18 heures 45 minutes.

 Journée du mercredi 25 avril 2018 : conférences consacrées à Mgr Jean


Zoa.
Deuxième figure : Mgr Jean ZOA
Au cours de la matinée six intervenants se sont succédés. La série a été ouverte par
le Pr. Jean TABI MANGA, qui a situé le Magistère de Mgr Jean Zoa « Entre
orthodoxie et orthopraxie : le magistère de Mgr Jean ZOA, premier archevêque
camerounais ».

Saluant l’initiative du colloque qui porte sur les deux figures à savoir Mgr Paul
ÉTOGA et Mgr Jean ZOA, l’orateur interprète la rencontre entre ces deux grands
hommes d’Église comme « trois moments initiatiques particuliers » : l’abbé Paul
ÉTOGA a accueilli et encadré l’élève Jean ZOA au Petit Séminaire de Mvolyé le
16 septembre 1937 ; Paul ÉTOGA a introduit son élève devenu son confrère dans
la pastoralité et la vie missionnaire ; le décès de Mgr Jean Zoa, au cours de la
première messe d’obsèques de Mgr Paul ÉTOGA en la cathédrale Notre Dame des
Victoires de Yaoundé. Jean Tabi Manga en conclut que ces trajectoires de
convergences et de croisements ne sont pas anodines. Abordant particulièrement le
Magistère, l’orateur a convoqué deux concepts : « l’orthodoxie » qui renvoie à

104
l’authenticité de la doctrine et « l’orthopraxie » qui renvoie à l’action engagée par
fidélité à la mission reçue. Ce qui d’après lui, a donné au ministère de Mgr Jean
Zoa une autorité « magistrale » et une dimension « magistérielle » dans un contexte
où l’homme aspire à la liberté et à la dignité.

Le deuxième intervenant, l’abbé Pr. Emmanuel LEMANA, s’est appesanti sur « La


place de l’Écriture Sainte dans le ministère pastoral de Mgr Jean ZOA ». L’orateur
part du constat que le discours de Mgr Jean Zoa comportait de nombreuses
références bibliques implicites et explicites. L’orateur a expliqué la richesse de ces
références en convoquant la parole de saint Jérôme qui établit que : « Ignorer les
Écritures, c’est ignorer le Christ. » Et de fait, la formation universitaire de l’abbé
Jean Zoa en théologie biblique à l’Urbaniana à Rome dont le parcours s’est achevé
par l’obtention d’un Doctorat est la clé d’explication de la richesse de ces références
qui donnaient aux homélies de Mgr Jean Zoa un relief particulier.

La sœur Dr. CIPPOLINI qui a pris la parole ensuite a parlé de « Marie comme
modèle pour la femme africaine dans les homélies de Mgr Jean ZOA ». Son exposé
très riche et dense a montré que Mgr Jean Zoa était un grand dévot de la Vierge et
qu’à partir de la spiritualité mariale, la femme africaine trouvait des éléments
essentiels à sa dignité. Cette spiritualité mariale a été par ailleurs le lieu de la
fécondation des associations féminines (les bikoan).

Sœur Madeleine OVAH, doctorante en théologie morale a révélé dans son exposé
intitulé « Théologie de la création et perspectives écologiques chez Mgr Jean
ZOA », que ce grand prélat avait de fortes intuitions écologiques à partir de ce qu’on
a considéré chez lui comme théologie de la création, où la rationalité, base du
développement environnemental et économique, occupe une place de choix.

Le Pr. Abbé Jean Marie BODO, empêché, a envoyé sa contribution sur « Mgr Jean
ZOA et le mouvement liturgique au Cameroun ». Cette contribution a été lue par
un de ses collaborateurs désigné, par ses soins, à cet effet.

La matinée s’est achevée par la conférence de sœur Dr. Honorine NGONO sur
« “Me mvende me moni“ de Mgr Jean ZOA : prolégomènes pour l’autonomie
financière dans l’Église particulière de Yaoundé ». Nous rappelant la catéchèse de
Mgr Jean Zoa sur les conditions d’acquérir de l’argent, et le bon usage de cet argent,
sœur Honorine NGONO nous apprend que dans l’horizon de Mgr Jean Zoa, seul
une gestion rationnelle de l’argent peut permettre l’accès à l’autonomie financière
d’une Église locale.

105
Dans l’après-midi de la journée Jean ZOA, trois conférences ont été délivrées. La
première délivrée par l’abbé Dr. Augustin Germain MESSOMO, Doyen de la
Faculté de théologie de l’UCAC), a porté sur « L’Ecclésialité : un concept
mobilisateur d’une pastorale intégrale chez Mgr Jean ZOA ». À partir de la
définition du néologisme « ecclésialité » qui n’existe d’ailleurs dans aucun
dictionnaire, le Dr. Augustin MESSOMO est allé chercher dans l’enseignement
conciliaire la dimension constitutive de ce concept à savoir : la communion. On
retient de cet exposé que l’Église a son fondement en Dieu lui-même et que
l’ecclésialité chez Mgr Jean Zoa, père conciliaire, se comprend en termes de fidélité
au magistère universel de l’Église et se veut garante de l’unité dans la diversité
d’occupation. Elle exprime l’engagement de l’Église au service du monde.

Le deuxième orateur de l’après-midi est le Pr. Jean-Paul BETEGNE. Sa


contribution a pour titre « La synodalité chez Mgr Jean ZOA à la lumière du synode
diocésain 1980-1990 ». En bon canoniste, le Pr. Jean-Paul BETEGNE s’est attaché
à définir la notion de « synodalité » selon le canon 460 du Code de droit canonique
de 1983, avant de situer la place de la synodalité dans le ministère de Mgr Jean Zoa.
Le colloque pastoral de 1970, lui est apparu comme le tournant décisif de la
synodalité chez cet ancien père conciliaire. Il a par la suite indiqué les conditions
qui ont permis de lancer le grand synode diocésain en 1980, dont l’aboutissement
ou dont la clôture intervient le 15 août 1991 par la formulation d’une pastorale en
quatre axes en vue du renforcement organisationnel de l’archidiocèse :
- connaissance de Jésus et de son Église ;
- annonce de Jésus et élan missionnaire ;
- engagement dans les tâches de développement au nom de la foi ;

- prise en charge et autonomie financière et économique des communautés


paroissiales par elles-mêmes.

La dernière conférence de cette journée a été délivrée par Mgr Jean MBARGA,
archevêque métropolitain de Yaoundé et Grand Chancelier de l’UCAC sur le thème
« Mgr Jean ZOA, la parole aux héritiers ». Dans sa trajectoire pastorale conciliaire
et postconciliaire, il y a un legs considérable de Mgr Jean Zoa pour ses héritiers,
que sont ses successeurs les évêques, le clergé, le laïcat et l’ensemble du peuple
camerounais. Ce legs comporte des paroles de sagesse utiles pour chacun de nous.
Inspirées de l’enseignement des papes dont particulièrement « Populorum
progressio » du pape Paul VI, Mgr Jean Zoa s’est investi pour la promotion de
106
l’homme, par l’enseignement et par les actes : humaniste chrétien, bâtisseur,
militant infatigable de la dignité humaine. Homme multidimensionnel qui a su
exploiter les talents que Dieu lui a confié, Mgr Jean Zoa était un visionnaire, un
prophète ; il voyait loin, beau et bien.

La dernière articulation au terme de la journée consacrée à Mgr Jean Zoa a été une
table-ronde autour des deux figures. Le panel d’intervenants était constitué de
l’évêque du diocèse de Mbalmayo (Mgr Joseph Marie NDI OKALA) et de deux
prêtres (Mgr Achille MBALLA KYE de l’archidiocèse de Yaoundé et l’abbé
Apollinaire ÉBOGO du diocèse de Mbalmayo). Ils ont croisé le regard autour du
thème : « Mgr Paul ÉTOGA et Mgr Jean ZOA : héritage spirituel et pastoral », sous
la modération du Dr. Abbé Alphonse Daniel ESSEYI.

Les échanges qui ont eu lieu sur l’ensemble des contributions ont été suivis par le
mot de Mgr Jean MBARGA.

 Observations, regrets, résolutions et souhaits


a) Observations
De l’avis unanime des observateurs avisés, la pertinence du colloque a été saluée et
reconnue. La qualité des contributions et le niveau scientifique général ont été
appréciés. La couverture médiatique a été excellente. Nous remercions tous les
médias qui ont permis la diffusion du colloque à l’échelle nationale et
internationale.

b) Regrets
Le temps consacré aux échanges a été réduit. Certains ont regretté qu’il n’y ait pas
eu un regard spécifique sur l’inculturation.

c) Résolutions
La Faculté de théologie de l’UCAC, après ce colloque, se propose de consacrer
d’autres éditions aux autres Pères de l’Église au Cameroun : nos Seigneurs Paul
VERZEKOV ; Thomas MONGO ; etc.

Le bilinguisme (français et anglais) doit faire désormais partie de notre paysage


académique. La publication des Actes du présent colloque devra se faire avant la
fin de l’année civile 2018.

107
d) Souhaits
- Mobilisation pour l’ouverture d’un procès en Béatification de Mgr Paul
ÉTOGA.

- Création d’une Chaire Jean ZOA au sein de la Faculté de théologie de


l’UCAC, consacrée aux études en pastorale sociale.
- Relance de la Fondation Jean ZOA sous la présidence de Mgr Jean
MBARGA, comme organe pastoral diocésain. À Nkolbisson-Yaoundé ce
mercredi 25 avril 2018.

108
SYNTHESE DU COLLOQUE INTERNATIONAL SUR LE PROBLEME DE
L’AUTONOMIE FINANCIERE DANS LES EGLISES D’AFRIQUE
Frédo Giovani OBAME DEGBOEVI
Master 2 Théologie Pastorale

Dans le cadre de ses activités pédagogiques annuelles, la Filière Théologie


Pastorale de la Faculté de Théologie de l’Université Catholique d’Afrique Centrale
(UCAC), a organisé, ce mercredi, 03 mars 2021, un Colloque International sur le
thème : « Le problème de l’autonomie financière dans les Églises d’Afrique ».

Le colloque a offert un espace de partage intellectuel dans lequel la pensée


théologique souvent théorique a trouvé des points d’ancrage sur le terrain pastoral
pour un développement qui associe la dimension spirituelle à celle dite matérielle
des Églises d’Afrique. Celles-ci sont irréversiblement tournées vers des stratégies
ecclésiales d’acquisitions de biens, et résolument engagées dans la lutte contre
l’assistanat et l’attentisme.

Les travaux du colloque se sont articulés autour de trois axes essentiels dont :

- L’approche théologique de l’autonomie financière ;


- L’angle pastoral de l’autonomie financière ;
- Enfin les portées internationales et locales de l’autonomie financière en

109
convoquant toutes les formes de coopérations susceptibles de soutenir nos
efforts pour l’autofinancement.

Les trois axes principaux autour desquels s’articulent les travaux de ce colloque
ont été introduits par le mot de bienvenu du Grand Chancelier, Archevêque
Métropolitain de Yaoundé, Monseigneur Jean MBARGA.

Dans son adresse de bienvenue à l’assemblée des participants et


communicateurs, Monseigneur a rappelé ce qui suit :

Réfléchir ensemble sur le problème de l’autonomie financière dans les


Églises d’Afrique, c’est anticiper les difficultés auxquelles ces Églises vont être
confrontées dans un avenir proche, parce qu’elles manqueront – et manquent déjà-
de bons gestionnaires et de moyens pour la pastorale.

Une observation attentive du fonctionnement de nos paroisses et de nos diocèses


permet de constater que nous devons partir de l’existant au lieu d’aborder l’objet
du jour comme une problématique in abstracto. Cette problématique est déjà un
projet en cours qui a ses forces et ses faiblesses. C’est dans cette réalité qu’il faut
identifier toute l’expertise nécessaire afin de stimuler vers l’avant la croissance des
Églises d’Afrique.

Il a rappelé à ceux qui ont pris la parole au sein de ce colloque d’avoir le


souci de la pastoralité afin que les évêques et les prêtres puissent tirer un grand
profit des réflexions pertinentes qui ont été proposées.

La présence des spécialistes des différents domaines de la théologie ainsi


que ceux de l’entreprise peut produire, au sortir de ces assises, un modèle de gestion
qui permette au débat sur l’autonomie financière de donner lieu à un projet de
fonctionnement dans les modalités qu’exige la gestion d’entreprise, adaptée à
l’esprit ecclésial.

En outre, il a également exhorté d’aborder la question des sources de


revenus dans la paroisse. Il est peut-être temps de les diversifier en imaginant
qu’une paroisse ou un diocèse peut produire des biens agricoles, des biens d’élevage
et penser à la rationalisation de ces levées de fonds pour qu’elles se fassent dans
l’efficience aujourd’hui.

Les contraintes actuelles de gestions des églises d’Afrique suggèrent de se

110
poser cette question : quelle gestion, quel management et quelle éthique pour celui
ou celle ayant la charge de la gestion des biens de l’Église ?

Enfin, il a souhaité que ce colloque se termine par des propositions


d’effectivité, que nous puissions marcher vers l’efficience d’une autonomie
financière dans nos paroisses, nos diocèses ; et que les recherches et résultats
puissent constituer une base d’inspiration pour tous ceux qui veulent résoudre ce
problème urgent, impératif et nécessaire.

À la fin de son allocution, les conférenciers de l’axe 1, portant sur


l’Approche Théologique de l’autonomie financière, ont pris place successivement
à la tribune. Il comptait trois orateurs modérés par l’Abbé Dr Nicodème ONDOA
MEKONGO.

La première conférence, donnée par l’Abbé Dr Jean Paul René ONDOA, intitulé

« L’urgence et la légitimation de l’apport biblique dans la recherche de


l’autonomie financière de nos Églises locales », est résumé ainsi qu’il suit :

La question de l’autonomie financière trouve son principe et son fondement dans


la Bible.

Le texte Biblique dévoile la dîme, la fête des récoltes et la collecte comme


pratiques instituées de récolte d’argent depuis l’Ancien Testament, non seulement
pour la subsistance des lévites et des prêtres chargés du culte de Yahvé en faveur
des enfants d’Israël, mais aussi pour la maintenance et le rayonnement autonome
du lieu de la shekinah.

Pour répondre à la question du pourquoi de cette démarche, il a esquissé sa


réponse en revisitant les raisons et les motivations, les exigences bibliques, les
critères de vérification et d’authentification d’une bonne mission et la liberté
missionnaire dans l’annonce de l’Évangile.

Dans l’actualité, les perspectives et propositions pour une autonomie


financière dans nos Églises, il a précisé qu’il ne faut pas :

* Avoir peur de parler de l’argent. Dans le cadre purement biblique, on ne peut


parler d’autonomie financière qu’en élucidant la problématique de l’argent ou des
richesses matérielles regardées comme un signe de bénédiction de Dieu.

111
* Ne pas éviter d’organiser des sortes de mutualité entre les Églises à la lumière de
ce que nous avons appris de Saint Paul et qui rend compte de la communion et de
l’unité ecclésiale (Cf. 2 Co 8-9).

* Gérer les structures ecclésiales toujours dans l’optique de plaire à Dieu seul dans
une crainte révérencieuse et non pas de se faire voir ou apprécier des hommes ou
du Supérieur en l’occurrence.

* Se garder d’abuser du pouvoir en faisant l’usage d’une gestion de l’autorité


comme service et don de soi à l’exemple de Joseph fils de Jacob (Cf. Gn 42).

* Ne pas négliger et disposer les services ecclésiaux selon les compétences de tout
un chacun. Aussi, Saint Paul conçoit l’Église comme le corps humain, métaphore
des talents et charismes de chacun, où chaque membre a un rôle spécifique à jouer
selon sa nature et ses prérogatives mais le tout dans l’harmonie, l’inter- dépendance
et la complémentarité (1 Co 12 ; Ep 4, 7-13)

* Travailler à promouvoir la formation spécialisée aux mécanismes économiques


et de gestions. Cette recommandation est corollaire à la précédente et exige de
l’Église, des supérieurs en particulier, de se doter d’une ressource humaine experte
en questions économiques en se rendant attentifs aux avancées des sciences sociales
en la matière.

À la suite de l’Abbé Dr Jean Paul René ONDOA, l’auditoire a accueilli la


deuxième conférence, celle du Professeur Jean Paul MESSINA, portant sur
« Aspect historique : Historique de la problématique de l’autonomie financière
dans les Églises d’Afrique ». De celle-ci nous retenons que la problématique de
l’autonomie est entrée comme sujet de réflexion dans les jeunes Églises d’Afrique
à partir du nationalisme politique, au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
C’est la mise en question de l’impérialisme occidental par les mouvements
nationalistes du continent qui a suscité des interrogations sur les méthodes et les
moyens de l’évangélisation du monde africain. En effet, en 1956 paraît : Des prêtres
noirs s’interrogent. Cette prise de parole, presqu’à l’arraché, nous situe d’emblée
dans la problématique de l’autonomie.

D’abord, de son étymologie grecque autonomia, le mot est dans son

112
acception politico- juridique, synonyme de souveraineté. Mais dans son sens le plus
large, on considère qu’on est autonome, lorsqu’on ne dépend que de soi-même,
mieux lorsqu’on a les moyens de satisfaire ses besoins propres. Appliqué à l’Église
Catholique, le concept d’autonomie doit être manipulé avec prudence en raison des
dérives ou des malentendus qu’il pourrait susciter quand bien même on ne parlerait
que d’autonomie « matérielle et financière ».

La question d’autonomie doit s’inscrire dans la marque d’une Église ayant


atteint une certaine maturité dans sa mission et dans son fonctionnement, gage de
l’approfondissement de la foi des fidèles. Elle est le signe de la communion
ecclésiale consolidée. Deux aspects sont à considérer dans cette problématique : la
ressource humaine et les moyens matériels et financiers. L’histoire et la théologie
de la mission ont révélé des formes de dépendance de l’Afrique vis-à-vis de
l’Occident d’où sont venus les missionnaires.

À partir de l’idée de l’africanisation du christianisme au lendemain de la


Seconde Guerre mondiale, relayée et amplifiée par Vatican II, la question des
moyens locaux de l’évangélisation a été mise en exergue comme un des défis
pastoraux majeurs que les jeunes Églises d’Afrique se doivent de relever à terme.
Tout naturellement, cette question s’est inscrite parmi les sujets de réflexion
majeurs et urgents de la théologie africaine, suscitant alors une prise de conscience
aigüe de cette réalité.

Le numéro spécial de la revue Spiritus : À l’écoute des autres va produire


une enquête sur le ressenti de la présence missionnaire en terres de missions, et les
conditions requises pour que les Églises particulières puissent émerger d’autre part.
L’autonomie financière apparait ainsi comme une condition de liberté et de Vérité
pour une Église locale. Le questionnaire envoyé soulevait ce point en demandant :
« l’autonomie financière est-elle souhaitable ? Comment peut-on la réaliser ?

Pour autant, parler d’un christianisme africain, relever le défi de l’inculturation, va


de pair avec la logique d’autonomie.

La troisième conférence, du professeur Jean-Paul BETENGNE a porté


sur : « Aspect juridico-canonique de l’autonomie financière dans l’Église ».

Pour lui, d’un point de vue canonique, le rappel du Cardinal Luis Antonio
Tagle, Préfet de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, aux Ordinaires

113
des Diocèses des Territoires de mission, sur la nécessité de renoncer aux subsides
ordinaires qui leur sont versés par l’Œuvre Pontificale pour la Propagation de la Foi
relève de la logique d’un processus qui a pris naissance dès les premiers contacts
du continent avec les premiers missionnaires. En effet, rappelle le Décret conciliaire
Ad gentes, « Une communauté chrétienne doit dès le début être constituée de telle
manière qu’elle puisse, dans la mesure du possible, pourvoir elle-même à ses
besoins ». Dès lors, les jeunes Églises ont vocation à évoluer jusqu’à maturité, étape
qui consiste pour elles, et selon le can. 786 du Code de droit canonique, à se munir
«de leurs propres forces et de moyens suffisants qui les rendent capables de
poursuivre par elles-mêmes l’œuvre de l’évangélisation ».

Fondamentalement, la problématique du jour met en lumière, le lien


intrinsèque entre l’ecclésiologie et l’autonomie financière des Églises particulières.
La question de la bonne gestion des biens, fussent-ils maigres ou même insuffisants,
fait écho à l’ambition de parvenir à l’autonomie ou tout au moins à réduire la
dépendance par rapport à l’extérieur.

Dans la poursuite de sa finalité spirituelle, l’Église a besoin des biens temporels


pour se développer et s’épanouir. D’ailleurs, le can. 1254 § 2 du Code de droit
canonique indique clairement à quoi doivent servir les biens de l’Église. C’est dans
cette perspective que le Cardinal Ivan Dias, alors Préfet de la Congrégation pour
l’Évangélisation des Peuples pensait que : « La recherche et la gestion des biens
ecclésiastiques ne sont pas une activité secondaire ou marginale pour l’Église ;
elles font effectivement partie intégrante de sa mission propre ». En effet, en
qualifiant de pleinement constituées seulement les Églises qui « sont munies de
leurs propres forces et de moyens suffisants qui les rendent capables de poursuivre
par elles-mêmes l’œuvre de l’évangélisation », ce canon 786 met chaque
communauté ecclésiale en face de ses responsabilités, celles de maintenir allumé le
flambeau reçu des uns et de le transmettre à d’autres.

De fait, en s’appropriant l’expression pastorale d’engendrement, il a postulé


l’idée que la recherche de l’autonomie financière des Églises poursuit avec
davantage d’assiduité aussi bien la mission ad gentes que la nouvelle
évangélisation. Par conséquent, au-delà de la coopération missionnaire
internationale à laquelle toute Église doit contribuer, la loi canonique rappelle la
nécessité de la coopération interdiocésaine à l’intérieure d’une même conférence
des évêques. C’est pourquoi les Églises particulières ont grand intérêt à promouvoir

114
des mécanismes de mise en commun des moyens pour plus d’efficacité pastorale.

Sur cette dernière conférence du premier axe du colloque international, le


modérateur a pris une vingtaine de minutes pour permettre un échange entre les
conférenciers et l’assemblée. S’en est suivie une pause-café avant d’introduire le
deuxième axe du colloque. Organisé autour de « l’approche pastorale de
l’autonomie financière », cet axe a également réuni quatre conférences sous la
modération de l’Abbé Dr Michel Marc MVOMO. La première de celles-ci :
« Mécanismes pour promouvoir l’autonomie financière dans les Églises d’Afrique »
prononcée par Monseigneur Joseph ATANGA s.j., Archevêque Métropolitain de
Bertoua est partie du constat que les grandes mutations politiques, économiques et
socio-culturelles qui affectent le monde entier depuis plusieurs décennies posent
avec acuité la nécessité de l’autonomie financière des Églises d’Afrique en
particulier. Elles doivent s’adapter afin d’assurer leur ministère spirituel et
préserver la stabilité de leur structure organisationnelle.

En lisant les épitres de Paul, les questions financières avaient déjà un


caractère spirituel ; les problèmes posés par l’apôtre restent d’actualité aujourd’hui.
La manière dont sont abordées les questions financières influence considérablement
la vie des Églises d’Afrique. C’est pourquoi, le plus important demeure l’effet que
produit l’argent sur la vie des fidèles-croyants. Ainsi, les questions financières
relatives à l’autonomie ont une fonction organisationnelle et une fonction
spirituelle.

Ces deux fonctions évoquent l’importance de la richesse matérielle ou


immatérielle dans les Églises. Il est important qu’elles gagnent leur confiance et
travaillent étroitement avec les fidèles-croyants pour avoir les moyens économiques
qui leur permettraient d’atteindre et renforcer leur autonomie financière.

En réalité, l’autonomie au sens d’une Église a deux volets : l’autonomie


financière qui concerne les ressources des Églises, et l’autonomie budgétaire, qui
est celle des dépenses. La relation entre ces deux aspects n’est pas univoque dans
la mesure où l’Évêque demeure souverain et l’unique gestionnaire des finances.
L’autonomie peut garantir la capacité d’une Église à faire des choix pour répondre
aux préférences des fidèles-croyants. Mais là encore, elle ne poursuit pas l’absolue
; c’est plutôt le volume des ressources qu’une Église peut à la marge consacrer au
financement de ses propres choix qui importe.

115
L’objectif de cette réflexion était de proposer des moyens économiques
permettant aux Églises d’Afrique de mobiliser de manière optimale des ressources
tout en conservant leur stabilité organisationnelle et l’exercice libre du ministère
spirituel.

Finalement, les Églises d’Afrique doivent dénicher les projets capables de


valoriser leurs potentialités économiques, s’inspirer des techniques managériales
modernes pour une gestion optimale des finances.

r
À la suite de Monseigneur Joseph ATANGA, l’Abbé D François
NDZANA a pris place pour aborder « l’aspect du développement en lien avec
l’Autonomie financière et approche identitaire de développement pour
l’Afrique ». En réalité, plus d’un siècle après la première évangélisation des peuples
d’Afrique, la question de l’autonomie financière et son corolaire de développement
de ses Églises restent de véritables défis à relever pour les jeunes communautés
ecclésiales du Continent de mission, caractérisé de « continent saturé de mauvaises
nouvelles », selon Ecclesia in Africa n° 14.

Cette exhortation apostolique de Jean Paul II évoque le défi de l’autonomie


financière des Églises locales qui sont royalement installées dans la constance du
sous-tutelat matériel et financier. Leur politique de développement et de gestion des
choses matérielles se fonde sur une politique de demande d’aide en tout et pour
tout. Pourtant, en opérant le passage de l’autonomie financière à l’autochtonie du
développement de nos Églises, nos communautés peuvent espérer sortir de la
dépendance matérielle dans laquelle elles sont installées. Par conséquent,
l’approche identitaire du développement comme un des enjeux de l’autonomie
financière des sociétés et Églises d’Afrique, emprunte trois articulations : les enjeux
de l’autonomie financière, l’exigence du passage de l’autonomie financière à
l’autochtonie des approches ou paradigmes de développement et l’identité comme
humus d’enracinement de l’approche idoine pour le développement de l’Afrique et
de l’Église d’Afrique. De ce qui précède, nous retiendrons que l’Afrique a besoin
des hommes et des femmes de synthèse aux larges vues ; les hommes du concret.
Mais les hommes et femmes de ce profil se forment. C’est pourquoi l’éducation à
l’auto-connaissance et la formation sont fondamentales pour « produire » des
acteurs qui répondent aux défis du progrès ciblé.

À la suite de cette illustration concrète liée aux problèmes de

116
développement, Jean Martin AMOUGOU a introduit la troisième conférence de
cette deuxième série sous le titre de « Aspect managérial : Gestion des ressources
humaines pour une autonomie financière durable des Eglises d’Afrique ». Il
ressort que la gestion des ressources humaines dans les organisations a toujours fait
l’objet de nombreuses préoccupations et plus spécifiquement dans l’Église car elle
caractérise à la fois une discipline et un champ de pratiques, celles de la gestion du
personnel. Pour y parvenir, les Églises doivent s’appuyer sur de nouvelles logiques
et de nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines. A cet effet, certaines
questions urgentes se posent avec acuité. Quelle gestion des ressources humaines
mettre en place pour une autonomie financière durable des Églises d’Afrique ?
Comment y parvenir dans un contexte socio-politique et économique difficile ?
Quelle démarche entreprendre pour attirer et maintenir les meilleures ressources
humaines à l’Église ? Toutes ces questions importantes méritent d’être abordées
pour aider nos Églises à emprunter l’itinéraire menant vers l’autonomie financière.
Ainsi, l’analyse s’est penchée sur quatre axes à savoir la présentation de la gestion
des ressources humaines, la gestion d’équipe, les stratégies à mettre en œuvre par
l’Église et quelques pistes de propositions.

Le thème sur les « Obstacles à l’autonomie financière dans les Églises


d’Afrique et opportunités locales » a été présenté par la Sœur Dr. Honorine
NGONO. Il faut reconnaître que la question de l’autonomie financière est un
élément essentiel dans la constitution d’une Église responsable. Les Églises
d’Afrique sont fortement dépendantes des apports extérieurs en ce qui concerne les
moyens financiers pour mener à bien la mission d’évangélisation. Cependant, le
constat est réel et visible, l’aide financière qui venait des Églises-mères comme des
organismes d’Occident, s’amenuise. Et la dernière en date est une lettre de la
Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples rendue publique le 26 janvier 2021
par le journal la Croix, les diocèses des pays de mission doivent s’attendre à une
baisse drastique de leurs ressources. Nul doute, l’auto-prise en charge s’impose et
devient maintenant une urgence pour les diocèses d’Afrique qui espéraient encore
une quelconque aide venant de l’extérieur. Se prendre en charge n’est plus une
option pour les Églises d’Afrique mais un projet communautaire et une nécessité.
Au vu de cet impératif, quels sont les obstacles ou les freins dans nos Églises
d’Afrique qui empêchent de bâtir ce projet communautaire ? L’intervenante s’est
attelée à présenter avec emphase les obstacles ou freins endogènes à quatre niveaux
: manageriel ; organisationnel ; économique et culturel. Dans une deuxième partie,

117
l’accent a été mis sur quelques opportunités que les Églises particulières du
Cameroun peuvent saisir pour atteindre cette autonomie.
Pour conclure sa présentation qui consistait à proposer une approche
différente permettant aux diocèses d’accéder à l’autonomie par une balance
budgétaire équilibrée, nous retiendrons qu’au lieu de mystifier et d’occulter la
question de la réalité matérielle dans le devenir de nos Églises d’Afrique, il faudrait
plutôt avec Mgr Jean ZOA recourir à la théologie de la création et encourager des
initiatives de production dans l’esprit de Vatican II, c’est-à-dire pour le service de
l’homme (GS64). Pour ce faire, il est important d’instaurer chez les agents
pastoraux une saine émulation basée sur un travail assidu pour une productivité
optimale et une rentabilité efficiente à partir des entreprises collectives. La
catégorisation des paroisses a un double avantage : les paroisses connaitront un
essor rapide grâce au travail et la contribution active des laïcs, tandis que les
décideurs eux, auront des indicateurs probants pour mieux évaluer les agents
pastoraux selon des critères objectifs. Par ailleurs, trois idées saillantes sont à
retenir : l’entité ecclésiale serait-elle uniquement une circonscription pastorale ?
Investir, c’est créer des richesses. Les Églises d’Afrique doivent se mettre à l’école
du placement financier. Enfin, tout chrétien a le devoir de dominer, de soumettre
la terre (Gn 1, 28) et de gagner son pain à la sueur de son front (Gn3, 19).
Concernant les opportunités locales, la communion des diocèses et des conférences
épiscopales est un facteur déterminant pour atteindre l’autonomie financière de nos
Églises par les actions de plaidoyer et d’intégration à la politique de développement
nationale.

Comme pour le premier axe, celui-ci s’est terminé par un échange de 15 minutes
entre conférenciers et l’auditoire, suivi d’une pause-café.

L’Axe 3 : Église et Coopération internationale : Partage d’expérience a été


modéré par l’Abbé Dr Éric NDONGO

Le troisième axe du colloque aura permis de nous enrichir de quelques


expériences ecclésiales de facture épistémologique. Celle de Mgr Nestor Désiré
NONGO AZIAGBIA, Évêque de Bossangoa, Président de la Conférence
Episcopale Centrafricaine, de l’abbé Kisito BALLA, de la Sr Angèle COBI, du Père
Franco PALLADINI, de Mr Joseph BIKOUN et celle de Mr. Pascal LIWIH.
De l’exposé de Mgr Nestor Désiré, il en ressort que, en considérant les décrets
Christus Dominus, Presbyterorum ordinis, et le « Directoire pour le ministère
118
pastoral des évêques », l’Église recommande à l’évêque, en lien avec les chrétiens,
d’accorder une sollicitude paternelle aux prêtres en ce qui concerne leur sainteté de
vie personnelle et leur honnête subsistance. Cependant la conjoncture actuelle
marquée par une globalisation qui consacre l’embourgeoisement tyrannique de la
minorité au détriment de la majorité, a fini par amaigrir l’assiette financière et
conduit l’Église à entreprendre des mécanismes de maturité et de responsabilité
selon les vœux du Saint-Père Paul VI à Kampala et du Saint Pape Jean-Paul II dans
Ecclésia in Africa. Pour Mgr Nestor Désiré, cette maturité passe d’abord par une
gestion exemplaire de nos diocèses, telle que le préconise Africae Munus, par une
solidarité sans frontières émanant des expertises multiformes désormais soucieuses
de l’humain pour déboucher sur une solidarité pastorale, telle que préconisée par la
Congrégation pour l’Evangélisation des peuples dont l’élan dans la mission
évangélisatrice a été freiné cette année par la pandémie de la Covid- 19.
Sur un tout autre plan, la VIIIe assemblée de l’ACERAC aura été un kairos
pour les Eglises de cette sous-région caractérisé par un appel incessant en faveur de
la bonne gestion des biens ecclésiastiques et de l’autonomie financière. Il faut dire
à ce propos que la situation socio-politique délétère et fragile en Centrafrique,
caractérisée par une instabilité chronique qui a plongé le peuple dans le dénuement
et la misère a favorisé un comportement avant-gardiste portée par Mgr Paulin
POMODIMO et sa politique d’auto-prise en charge, engageant par ce fait même
l’Église centrafricaine sur les sentiers de l’autonomie financière. Aujourd’hui cette
quête de l’autonomie financière peut se vérifier dans les structures statutaires mises
en place, l’exigence d’une bonne gestion des biens temporels, la recherche d’une
compétence technique, les créations des ressources à travers des activités
génératrices des revenus.
Pour sa part, la Fondation Caritas Cameroun, par l’entremise de son
Directeur national, l’Abbé Kisito BALLA nous a fait part de son expérience sur la
question de l’autonomie financière. Cette Fondation, inspirée par les Saintes
Écritures, par la doctrine de l’Église Catholique est appelée à rendre des services de
qualité aux populations et communautés plus pauvres et vulnérables afin de
participer à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel. Comment
parvient-elle à répondre financièrement à cet appel, dans un contexte de rareté des
ressources financières et où certaines Caritas d’Afrique se sentent de plus en plus
négativement dépendantes de leurs relations ou coopération avec des organismes
ou organisations plus fortes venues particulièrement des pays ou de l’Église du
Nord ? Elle s’est résolue à mobiliser les fonds au niveau local et les résultats sont

119
prometteurs. Ils le seront encore plus si les stratégies de mobilisation des ressources
financières sont appropriées et si les ressources humaines appelées à ce travail en
sont formées et motivées.
La famille religieuse des Sœurs Servantes du Saint-Cœur de Marie en
Afrique, par la voix de sa Supérieure régionale, a partagé son expérience à travers
un parcours historique de leur congrégation afin de nous situer dans le contexte à
l’intérieur duquel se situe leur partage. Puis elle nous a dit le plus simplement
possible comment elle essaye de vivre et de gérer les finances au sein de leur famille
religieuse. Le thème sur l’autonomie financière est appelé à être discuté dans une
approche systémique qui intègre notre engagement à épouser la forme de vie du
Christ chaste, pauvre et obéissant, qui questionne notre vie communautaire comme
premier lieu de notre apostolat. Nous avons également besoin de garder en vue que
notre recherche d’autonomie financière n’est pas d’abord pour notre aisance
matérielle, mais que nous cherchons des financements en vue de la mission.

Pour le Père Franco Palladini, étalant la stratégie de la Paroisse Saint


Anwarite d’Obeck dans le diocèse de Mbalmayo, le salut matériel de nos Eglises
peut aussi passer par la création des associations promotrices des activités
génératrices de revenus. Le Pape Benoît XVI lui-même dans son encyclique Caritas
in Veritate, convie les chrétiens à renforcer l’expérience de la microfinance en vue
de protéger les couches les plus vulnérables des risques du prêt usuraire ou du
désespoir. La microfinance « solidarité » en est une illustration, structurée sur la
base des principes de la doctrine sociale de l’Église (la responsabilité, la solidarité
et le bien commun). Elle s’est donnée pour but de susciter et de développer parmi
ses membres l’esprit d’entraide et d’initiative personnelle, en favorisant l’épargne
et l’usage prudent du crédit. S’inspirant des caisses populaires initiées dans les
années 70 par le regretté Mgr Jean ZOA et l’expérience des Monts de piété, la
microfinance solidarité est devenue pour les paroissiens d’Obeck et pour Mbalmayo
en général, le creuset d’un développement participatif ecclésial centré sur le suivi
après crédit et un moyen efficace de lutte contre la pauvreté.
L’association Cercle des Amis « Ecclésia In Africa » (CAECA) semble nous avoir
précédés sur les chemins de l’autonomie financière. Elle a un petit pas dans cette
réflexion et même dans l’action dans ce domaine. Le CAECA a exprimé une joie
particulière d’avoir été associé à ce colloque et à partager sa petite expérience du
terrain. Ce Partage a été subdivisé en trois parties : la présentation de l’association,

120
les possibilités d’investissement dans les paroisses et enfin la mise en œuvre d’une
stratégie d’accroissement et d’implémentation de nouvelles sources de
financements pour les diocèses. Notre devoir est d’améliorer substantiellement les
recettes, et minimiser structurellement les charges pour doter nos Diocèses des
moyens suffisants pour l’évangélisation.
Quelques Propositions pour l’autofinancement de l’Église en Afrique à l’issue
du colloque international sur l’autonomie financière des Églises d’Afrique.
À l’issue de ce colloque quelques propositions concrètes émergent :
Le professeur Jean-Paul BETENGNE demande à l’Église d’Afrique de ne
pas s’engager à corps perdu dans le business, mais plutôt de voir comment
développer des unités de production de valeurs à partir des potentialités locales.
Pour lui, le modèle économique et la méthode des OPM pourraient inspirer les
Églises d’Afrique dans leur quête d’autofinancement pour favoriser le financement
des projets pastoraux concrets que les fidèles seraient invités à appuyer. Pour cela,
les diocèses doivent se restructurer en mettant en pratique la règle « de la personne
qu’il faut au poste qu’il faut ».
Pour Mgr ATANGA, les Églises d’Afrique peuvent développer les activités
agricoles, de transformation et de service. S’agissant de l’agriculture il propose en
fonction du régime foncier de mettre sur pied des exploitations agricoles modernes,
l’agriculture de plantation, le fermage, l’agriculture communale, les exploitations
paroissiales et le métayage. Pour la petite industrie, l’Archevêque de Bertoua
propose la transformation des fruits en jus, des noix de palme en huile, du cacao en
poudre ou en chocolat, activités qui peuvent se développer dans le cadre d’une
coopérative communautaire. En ce qui concerne les services il les classe en trois
groupes : l’éducation, la santé et le logement.
Pour Monsieur AMOUGOU, les Églises d’Afrique doivent mettre un accent
particulier sur la gestion des ressources humaines qui reste le point faible dans la
recherche de l’autonomie financière.
La sœur Honorine NGONO invite quant à elle nos diocèses à mettre sur pied
des instances comme : la commission diocésaine des ressources humaines, la
commission immobilière diocésaine et la cellule chargée des projets
communautaires agro-pastoraux diocésains. Elle lance un appel à nos diocèses à
oser faire le placement financier et invite à plus de communion et de solidarité entre
nos Églises locales et régionales dans la production des richesses. Cette dernière

121
proposition rejoint d'ailleurs celle de Mgr Nestor Désiré NONGO qui insiste sur la
solidarité pastorale sans frontières entre les diocèses d’Afrique
En guise de recommandations les Églises d’Afrique doivent observer
scrupuleusement leur environnement pour dénicher les projets capables de valoriser
leurs potentialités économiques, s’inspirer des techniques managériales modernes
pour une gestion optimale des finances.

122
SYNTHESE DE LA JOURNEE DE REFLEXION SUR LA RECEPTION
AFRICAINE DE LA LETTRE ENCYCLIQUE Fratelli Tutti du Pape François
Lucien Péguy KONGOLO

Dans le cadre des activités prévues dans le calendrier officiel pour l’année
académique 2020-2021, une rencontre sur la réception africaine de Fratelli Tutti du
pape François s’est tenue du mercredi 09 au vendredi 11 Décembre 2020, dans
l’enceinte de l’amphithéâtre Franz Kamphaus de Nkolbisson. Après une brève
prière d’ouverture, la cérémonie s’est prolongée par le mot inaugural du recteur de
l’UCAC, le Prof. Abbé Jean Bertrand Salla. Se réjouissant d’accueillir intervenants
et participants au colloque sur la dernière encyclique papale, le Prof. Salla s’est
félicité de voir l’Université Catholique, à travers sa faculté de théologie, poursuivre
et consolider sa mission de diffusion des savoirs savants et innovants. Non
seulement en vue de contribuer au développement intégral de la personne humaine,
mais aussi de participer à l’épanouissement harmonieux des peuples. Dans ce
sillage, il y a à considérer que l’encyclique Fratelli Tutti qui invite à la fraternité et
à l’amitié sociale, est d’un intérêt capital et mobilisateur. Par l’intérêt fondamental
qu’il accorde à la nature chaotique des rapports humains qu’il invite à repenser, le

123
document papal représente un enjeu de taille pour les sociétés africaines qui
continuent de ployer sous le poids injuste d’une marginalisation multiséculaire.
Le mot du responsable du GRITA, le Prof. Abbé Antoine Essomba Fouda,
qui clôturait la phase protocolaire de la cérémonie a placé les échanges du jour sous
le signe d’un prolongement de la réception de l’enseignement social de l’Eglise
auquel Fratelli Tutti contribue de manière décisive en prenant en charge de manière
véridique et pratique la question de la fraternité universelle pour la sortir de l’ordre
des slogans et des vœux pieux.

1. Présentation du document
La phase des communications proprement dite s’est ouverte avec
l’intervention du doyen de la faculté de théologie, le Prof. Abbé Augustin Germain
Messomo Ateba. Elle avait pour principale matière la présentation générale de
l’encyclique Fratelli Tutti. Après avoir renseigné sur les sources ayant motivé la
rédaction de Fratelli Tutti de l’aveu du pape lui-même, notamment sa rencontre
avec le Grand Imam Ahmad-Al-Tayyeb, le Prof. Messomo, a opté pour une
méthodologie restitutive fidèle à la structure et aux thématiques développées le long
du texte papal. Répartie en huit chapitres, Fratelli Tutti, fidèle à la au style
magistériel ordinaire, comporte 287 numéros encadrés par une introduction et
conclusion. Dans le fond, le pape commence par une radioscopie d’un monde
croulant sous le poids de nombreux maux mettant singulièrement à mal l’idée d’une
fraternité universelle réelle dans la société des droits de l’homme. La litanie des
calamités qui se succèdent de manière non exhaustive dans sa description l’ont
décidé à traiter au premier chapitre, des ombres d’un monde fermé. Le deuxième
chapitre est de facture biblique puisque François y revisite la parabole lucanienne
du bon samaritain pour mettre en valeur la nécessité de la prise en charge de la
souffrance du prochain. Le pape considère qu’au fondement d’une telle démarche,
il y a la conscience universelle d’avoir expérimenté, en toute bonne foi, à un
moment ou à un autre de sa vie, la misère ou la prospérité.

Aussi invite-t-il dans le chapitre suivant, à penser la gestion d’un monde


ouvert qu’il faudra prendre en charge en réseau c’est-à-dire de manière solidaire.
La propriété privée est ici critiquée dans sa commodité capitaliste pour la
subordonner au principe doctrinal de la destination universelle des biens de la terre.
Le quatrième chapitre planche sur la solidarité internationale par une critique de la
stigmatisation ambiante du phénomène des migrants, et demande davantage

124
d’honnêteté dans l’exposition des raisons fondamentales de la disparité abyssale
entre les peuples. Sur la base de ce service urgent de la vérité, le chapitre cinq, en
critiquant les populismes, recommande la voie de la vraie politique, celle qui oblige
à intégrer dans une dynamique authentique de rencontre, les faibles qu’on a soi-
même contribué à produire. François considère que le dialogue et l’amitié sociale,
objets du sixième chapitre, sont la seule vraie solution au mal social qui, exacerbé
dans les égoïsmes nationaux et primaires, menacent de front jusqu’à la totalité
cosmique. Au septième chapitre, Sa sainteté milite en faveur d’une inclusion sociale
dans un rapport de vérité. Sur une note d’espérance, le pape estime que les religions
et pas seulement une seule, peuvent positivement impacter le service de la fraternité
dans le monde.

A la suite de cette présentation un panel à plusieurs voies a suivi la mise en


perspective fondamentale de fratelli tutti décliné en deux principales articulations :

2. Fratelli Tutti : une encyclique opportune pour une Afrique en crise


Le regard de l’historien nous a été réfléchi par le Prof. Jean-Paul Messina,
qui s’est intéressé aux sources du document, à sa mise en valeur de la conscience
historique et à son impact possible sur les communautés africaines. Du point de vue
des sources, l’orateur s’est intéressé au message dont était déjà porteur le choix du
nom du pape, tout un programme pastoral déterminé par la foi en la possibilité de
trouver son identité dans un autre que soi-même. En effet, lui le jésuite argentin,
s’est laissé séduire par le mystique italien promoteur de l’idéal franciscain. Une
autre marque de cette ouverture fut la rencontre déjà évoquée avec l’Imam soufi
Ahmad-Al-Tayyeb, dogmatiquement radical certes, mais ouvert par sa formation
intellectuelle à la possibilité d’imaginer dans le dialogue et la rencontre, le service
universel de l’humain que poursuit toute vraie religion. Elle rappelle à 800 ans
d’écart, le geste de François d’Assise à l’époque des croisades. Le saint florentin
avait osé préférer à une campagne militaire sanglante, le risque du dialogue avec
l’ennemi. Il était allé rencontrer le sultan égyptien Malik-El-Kamil pour lui
proposer la paix au nom du Seigneur. Tirant les leçons de l’histoire, le pape François
se donne une chance de construire la fraternité par une démobilisation instauratrice
d’un autre rapport, même à l’ennemi. Une telle démarche, renseigne sur
l’importance de la pédagogie historique, et permet d’apprécier dans une Afrique
injustement présentée comme substantiellement acquise à la fraternité, les défis
d’une incarnation vécue de ces valeurs d’un autre temps. En cela pense l’orateur,
Fratelli Tutti est un document prophétique.
125
Le Prof. Abe avait à aborder le texte papal avec les clés de lecture du socio-
anthropologue. L’orateur l’a fait en considérant la théorie du lien social dont il lui
a semblé que l’encyclique abordait le propos dans une perspective résolument
pacifique à l’opposé des logiques de conflictualité plutôt caractéristiques de nos
sociétés contemporaines. La tonalité critique de l’encyclique a suggéré au Prof. Abe
une lecture socio-anthropologique adossée sur deux modèles théoriques : celui de
la paupérisation anthropologique d’Engelbert Mveng et celui de la restitution de
l’histoire aux sociétés africaines de Jean-Marc Ela. Le premier modèle a permis à
l’orateur de penser la crise institutionnelle généralisée que la globalisation a
introduite en Afrique et qui se donne à voir singulièrement dans la famille. Celle-ci
s’est défamiliarisée à cause d’une nucléarisation qui, dédaigneuse du lien social
s’expose à la violence incestueuse, au travestissement de la solidarité et au
renversement mortifère de la primogéniture. Au niveau du vivre-ensemble, les
ponts cèdent aux murs, la propagande populiste exacerbe une haine que même les
réseaux sociaux n’arrivent plus, malgré leur virtualité, à contenir. L’indifférence se
mondialise, et la société globale n’a jamais été aussi proche de l’état de nature.
Comment en sortir ? L’historicité des sociétés africaines peut, selon le Prof. Abe,
servir comme ferment pour l’avènement d’un monde autre. Il préconise la
cosmopolitisation de la société globale à partir du paradigme africain du vivre-
ensemble. Il est difficile de trouver en Afrique une frontière rigide entre soi et
autrui. Les populations africaines vivent d’un métissage assumé. On y circule
toujours, mais sans jamais perdre ses attaches. Il y a à considérer de ce point de vue
que l’Afrique peut être le laboratoire d’une humanité fraternisante. Mais l’humanité
acceptera-t-elle de souscrire à l’exigence de vérité que nécessite un retour à l’école
africaine ?

Sans répondre à cette question, l’approche médicale développée par le Dr.


Luc Onambélé s’accorde pour ce qui la concerne, à dénoncer les déséquilibres voire
les injustices d’une mondialisation bipolaire qui, dans le domaine de la médecine
postmoderne, traite de l’homme en fonction de la variable économique. Ici, les
systèmes internationaux s’annoncent pompeusement au service de la promotion
d’un service de santé mondial uniforme. Mais dans la réalité, les modèles de santé
implémentés, valorisent impitoyablement la santé comme étant un bien privé, le
patient comme un client et la médecine elle-même comme une prestation de service
à travers la promotion de l’ultra-spécialisation. Contre cette chosification de la
personne humaine, Fratelli Tutti prend fait et cause pour les personnes âgées, les
embryons humains et pour une professionnalisation humanisante. Leur incapacité

126
à se prendre en charge par eux-mêmes dans l’hyper capitalisme ambiant fait
justement des seniors, des embryons et des petits ouvriers, l’essentiel de la marge
sociale aujourd’hui.

« La lueur est sombre et le tableau noir mais dans ce qui semble vibrer du
son discordant d’une évidence et d’une impossibilité, il est possible de tirer même
l’inimaginable » ; c’est cette conviction par l’expérience que nous a partagé le Prof.
Jean Koulagna, directeur de l’institut œcuménique à Rabat au Maroc, un pays où
catholiques romains et protestants évangéliques vivent une fraternité inédite
garantie dans un cadre institutionnel et étatique musulman. Ce laboratoire de
fraternité à ciel ouvert invite à rêver d’une fécondité politique de Fratelli Tutti, à
condition de quitter chacun les bastions d’une irréductibilité foncière en laquelle on
a décidé une fois pour toute d’établir contre les autres, sa propre identité. Sur
l’enseignement de la parabole du bon samaritain, le Pr. Koulagna appelle alors à
sortir du modèle de la tolérance pour embrasser celui de la reconnaissance
fraternelle et du droit à la différence.

Une différence humaine que ne méconnait point l’économiste Pr. Gabriel


Eba, mais qui, de son point de vue, sert de principe à la construction d’un ordre
économique profondément injuste. Son avis est que, par un engagement d’une rare
profondeur diagnostique et critique, Fratelli Tutti permet d’envisager pour
maintenant la troisième évangélisation. Celle qui, sur le même principe
évangélique, rendra enfin justice à un monde tiers chrétien, aux prises avec la
rapacité mortifère d’une solidarité nordique bien préparée. L’érudition de l’orateur
a instruit l’audience sur le scandale d’une mondialisation proverbiale, qui a bon
confort d’une fraternité prospérant sur l’inégalité. Souverains pour la plupart depuis
plus d’un demi-siècle, les pays africains doivent pourtant encore ruser avec leurs
politiques, pour échapper à la tutelle des colons d’antan, nostalgiques des temps
gracieux de leur épopée africaine. Pour l’orateur il est heureux qu’enfin, le Saint-
Siège donne des signaux forts dans le sens d’une humanisation des rapports entre
les nations. Il reste à espérer que sa diplomatie pourra dans un avenir espéré court,
obtenir des résultats concrets dans le sens de cette fraternisation authentique dont
nos peuples ont tant besoin.

Le Prof. Matthias Éric Owona Nguini, intervenait pour jeter un regard


politologique sur l’encyclique papale qui pour lui, révèle des affinités avec la
science politique au titre de l’histoire des idées et des idéologies politiques. Le Prof.
Owona Nguini note d’emblée que le Saint-Père inscrit sa réflexion dans une

127
perspective critique du modèle politique ambiant qui fait peu cas des périphéries
existentielles refoulées à la marge d’un monde faussement globalisé. Le pape
assume courageusement d’engager le monde de manière contributive dans un
libéralisme raisonné et un mutualisme affirmé, aux antipodes d’un réalisme
pragmatique et stratégique, doublée d’un hyper réalisme cynique et
néphistophélique.
Cette approche politologique devait conclure l’étape de l’ouverture
pluridisciplinaire de la réception de l’encyclique Fratelli Tutti, car les échanges de
l’après-midi allaient aborder la matière théologique du document dans ses accents
biblique, systématique, éthique et pastoral.

3. Fratelli Tutti : pour une fraternité universelle authentique


Pour ce qui est de la perspective biblique de Fratelli Tutti, le Prof.
Emmanuel Lemana considère que la fraternité est l’angle particulier sous lequel le
pape aborde la thématique de son œuvre. Avec la mise en évidence de la nouvelle
forme d’esclavage colorée issue d’une lecture inversée du Ps 133 : « qu’il est triste
qu’il est misérable pour des hommes de vivre séparés et dispersés dans le monde »,
l’orateur se pose la question de savoir comment l’encyclique reçoit-elle
l’enseignement biblique sur la fraternité ? Il y répond à partir de trois points.
D’abord la fraternité biblique comme lieu de conflit. Ici à partir d’une lecture
philologique des textes bibliques et en se projetant sur les travaux d’André Wenin,
le conférencier circonscrit les lieux et les frontières de la fraternité. Celle-ci se
déploie dans un axe essentiellement conflictuel aboutissant généralement au
fratricide dont la cause pourrait être la dispute de l’espace affectif (l’amour des
parents ; cf. Esaü/Jacob) ou physique (le terrain Gn 18 ; cf. Abraham/Lot). Ensuite,
le Pr. Lemana nous fait constater que les sources scripturaires usitées par le Pape
favorisent la destruction des barrières et des idées érigées en entraves dans le
processus d’intégration de l’être homme dans sa nature relationnelle. C’est dans ce
sillage qu’il fera une lecture actualisée des différents codes qui jalonnent les écrits
du pentateuque : code de la loi, code de sainteté et le code deutéronomique afin
d’aboutir finalement aux diverses implications tant sur le plan anthropologique, que
sur le plan christologique et ecclésiologique. Le premier met en exergue le principe
de la dignité humaine, le second quant à lui a pour paradigme le Christ comme ainé
d’une multitude de frères, le troisième enfin nous invite à une orthopraxie qui
s’enracine dans une ecclésiologie de communion antinomique aux réplis
identitaires et exacerbateurs de nationalismes et autres particularismes. Au
128
demeurant, la vocation de la fraternité telle que prônée par le Pape François vise à
se rassembler autour de plusieurs valeurs à vocation universelle.
La perspective systématique exposée par le Dr. Charles Moukala a vu dans
Fratelli Tutti un plaidoyer pour une théologie politique en temps de crise. En tant
qu’encyclique sociale, l’orateur a pu établir que les occurrences politiques présentes
dans le document papal font de ce dernier un véritable traité de théologie politique,
qui prend pour référence principale la concrétude politique de notre temps, dominée
par les questions d’immigration, de réformes économico-financières et d’expansion
capitaliste. Pour le Dr. Moukala, la perspective théologique de Fratelli Tutti se
déduit du fondement anthropologico-théologal de l’amour. L’homme, fait à l’image
et à la ressemblance de Dieu est un être fondamentalement relationnel c’est-à-dire,
qu’il ne se réalise comme tel que dans le rapport à l’altérité. C’est cette substance
relationnelle de son être qui justifie pour l’homme la perspective de la fraternité et
de l’amitié sociale non comme des options, mais comme une réelle nécessité. La
personne humaine n’est telle que parce qu’elle est capable de s’identifier à une
communauté et être reçue de celle-ci dans la perspective d’une réciprocité de sens
et d’existence. L’homme n’est donc pleinement lui-même sans la communauté qu’il
forme avec et jamais sans les autres. C’est cette réalité que le pape voit menacée de
déchéance par les fléaux du racisme, de l’individualisme et de la xénophobie. Sans
amour, il est impossible d’envisager avec bonheur toute vie sociale digne de ce
nom. C’est pourquoi, fidèle au magistère ecclésial, François considère que la
politique est le lieu le plus éminent de la charité. En ce sens, il appelle
prophétiquement le monde à entrer dans une mystique de l’amour dont le paradigme
trinitaire constitue pour les chrétiens, la référence indépassable.

Le point de vue de l’éthicien était attendu en raison de la nature du document


papal, unanimement versée au dossier de la doctrine sociale de l’Eglise. Pour le Dr.
Thomas Bienvenu Tchoungui, le pape François prolonge en effet l’enseignement
de ses prédécesseurs en élargissant cependant le spectre de la préoccupation
ecclésiale aux marges du monde moderne. Fratelli Tutti apparait en effet comme
un grand cri de détresse qui en appelle à la conscience du monde d’aujourd’hui, une
conscience universelle, totale et non partisane. L’écho de cet appel, le Dr.
Tchoungui l’a décliné sur quatre principaux points. Le premier touchait à la dignité
humaine dont l’orateur a souligné le caractère sacré méconnu aujourd’hui par
diverses atteintes, les unes plus viles que les autres : injustices, violences,
discriminations, exploitations des couches défavorisées, refus de droits de minorités
etc. Cette approche litanique collant du reste à la description papale, l’orateur l’a
129
saisie ensuite de manière topique dans le problème migratoire. Ce que le
phénomène migratoire met en relief n’est pas seulement le mouvement qui porte un
individu à se déplacer d’un lieu jugé hostile vers un autre plus favorable. Il lève
également le voile sur le scandale de la fausse solidarité entre les nations,
particulièrement visible dans la crise de l’accueil de l’autre. L’hypocrisie de
l’immigration sélective est alors dénoncée avec une précision rare au terme de
laquelle le pape plaide pour une politique d’ouverture et d’intégration de ceux que
la misère et la violence pressent quotidiennement aux portes d’un monde réputé
plus tranquille. Pour le Dr. Thomas Tchoungui, jamais un pape n’aura été si loin
dans la défense des plus pauvres et des plus défavorisés. En montrant comment le
pape relit les principes de la doctrine sociale de l’Eglise, l’orateur y voit une
insistance de principe sur le bien commun et la solidarité, qui l’amène à déceler
dans l’encyclique papale, la dénonciation sans ambages d’une société mondialisée
qui s’est enfoncée dans le cynisme en passant de la promotion d’une culture du rejet
à la promotion d’une culture du déchet. Cette dernière note consternante suffit à
persuader l’auteur de l’urgence d’une prise de conscience et d’un changement
radical de paradigme pour promouvoir la fraternité universelle et l’amitié sociale
prônées par Fratelli Tutti.

Il était important d’envisager les possibilités pratiques déductibles de la


lecture de Fratelli Tutti en termes de résolutions et de performances concrètes. C’est
à cette tâche que va s’employer le Dr. Marc Michel Mvomo. Pour lui, pour relever
le défi de la fraternité universelle et de l’amitié sociale, il faut :

- Valoriser une pastorale de la sortie missionnaire. Cette attitude pastorale


invite à sortir de nos zones de confort pour aller à la rencontre de ceux qui
sont éloignés du Christ, afin de leur témoigner de l’amour de Dieu. La
pastorale de la sortie missionnaire consiste à annoncer, Jésus-Christ, l’offrir
à tous. C’est donc en mot d’une véritable pastorale de proximité dont il est
question. Pour que cette forme de pastorale porte du fruit, il faut, pense le
théologien de la pastorale, adapter nos structures paroissiales aux exigences
actuelles de notre monde ; faire de nos communautés paroissiales des lieux
ouvert à tous et où il fait bon vivre ensemble.

- Approfondir notre service de la charité. L’objectif ici est de faire en sorte


que tous les chrétiens deviennent de bons samaritains pour tous leurs frères
et sœurs qui font face à la dureté de la vie. Cette attitude pastorale favorise

130
les œuvres de charité et une véritable pastorale inclusive de toutes les
composantes de la société.

- Promouvoir une pastorale de la tendresse. Tendresse dans nos rapports les


uns avec les autres, dans le souvenir de la tendresse qu’a Dieu lui-même à
notre égard. Ainsi, il nous sera plus facile de revêtir nos rapports sociaux de
patience et de miséricorde en vue de susciter l’espérance en nos frères et
sœurs en humanité.
- Favoriser des espaces d’expérience d’un dialogue vrai, en vue d’aider les
uns et les autres à bien vivre, à s’exprimer librement et à se sentir épanouis
dans la communauté paroissiale. Le Dr. Mvomo invite ici à mettre sur pied
une dynamique d’échange et de partage entre tous. Ainsi, nous pourrons
nous être proches de l’autre et découvrir en lui toute la grammaire de Dieu
qui se déploie en lui.

- Bannir le cléricalisme pour responsabiliser les fidèles laïcs. Dans l’Eglise


les fidèles laïcs ont la mission spécifique de participer au règne de Dieu par
le travail et l’action dans le monde.

Les résolutions sus-évoquées ont permis d’éprouver le potentiel


d’innovation des rapports inter humains qu’aborde Fratelli Tutti dans la vérité et
l’espérance d’un service de l’Evangile qui ne peut se satisfaire des convenances et
des consensus rapides autour des questions touchant à l’homme et à l’ordre du
monde. En prenant la parole pour conclure les débats du jour, Mgr Jean Mbarga,
Archevêque Métropolitain de Yaoundé et Grand Chancelier de l’UCAC, a tenu à
féliciter les organisateurs du colloque pour leur promptitude à recevoir l’encyclique
Fratelli Tutti et à en mettre les enseignements en convergence non seulement avec
d’autres disciplines au plan de l’heuristie, mais également avec les besoins réels de
nos communautés. Toute personne douée de bonne volonté ne peut ignorer les
aspirations légitimes à plus d’humanité, de justice et d’équité si caractéristiques de
notre époque. Ces requêtes sont davantage fondées en ce qui concerne notre chère
Afrique. Il reste cependant à donner une chance au cri du pape en acceptant par
devers soi, d’accepter de payer le tribut souvent lourd d’un aménagement de
l’existence avec l’autre en toute vérité et en toute sincérité.

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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE……………………………………………………………………………………….. 1

I Les narrations et les probèmes littéraires posés en lien avec la succession……………. 5

II. Genèse 27,1-40 comme archétype des querelles de succession des récits

Patriarcaux ………………………………………………………………………………………………………………. 9

III. Conséquence et lecture théologique du conflitJacob /Esaü………………………………….11

DE MOÏSE A JOSUÉ, UNE HISTOIRE DE SUCCESSION SELON LE PLAN DE


DIEU................................................................................................................................. 17
Naissance de Moïse.......................................................................................................... 17
Vocation et mission de Moïse ......................................................................................... 18
Vocation de Josué ............................................................................................................ 21
Succession de Moïse et mission de Josué ....................................................................... 22
LA SUCCESSION AU TRÔNE D’ISRAËL (SAÜL-DAVID) : UN CONFLIT
DECLENCHE PAR L’ONCTION DANS 1 Samuel 16, 1-13 .................................... 25
Pr Joseph MAVINGA ...................................................................................................... 25
HERITAGE ET SUCCESSION DANS LE ROMAN DE JOSEPH ET
D’ASENETH ................................................................................................................... 57
Joseph et Aseneth en Gn 41, 37-56 ................................................................................ 57
Le conflit entre parents et enfants : qui sera le futur époux d’Aseneth ? .................. 58
La caractérisation de Joseph et d’Aseneth : pas d’antagonisme irréconciliable ....... 60
DE ZACHARIE A JEAN-BAPTISTE .......................................................................... 61
I. Dans un cadre pluridimensionnel comme matrice ............................................... 89
1.1. Dans un cadre géo-spatial ................................................................................ 89
1.2. Dans un cadre temporel ................................................................................... 90
1.3. Dans un cadre social......................................................................................... 90
II. En synergie avec des personnes engagées ......................................................... 91
2.1 L’auteur des Actes des Apôtres....................................................................... 91
2.2 Les deutéro-pauliniens pseudépigraphiques ................................................... 92
2.3 Discours aux Anciens d’Ephèse ....................................................................... 93

132
III. Et à l’aune d’une conviction ................................................................................... 94
CONCLUSION GENERALE ........................................................................................ 96
NOUVELLES PARUTIONS EN FACULTÉ DE THÉOLOGIE. .............................. 99

133
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