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MALAISE DANS L'ARMÉE

L'INTÉGRATION ET L'ÉPURATION
DES CADRES OFFICIERS

Il règne actuellement dans les cadres de l'armée un grave,


malaise ; l'observateur le moins averti peut noter chez l'officier
comme chez le sous-officier un découragement profond, une
sorte de dégoût du métier militaire et une grande lassitude.
f
Les causes de cet état d'esprit sont multiples ; la cessation
des hostilités en est une. Passant brusquement de la fièvre
des combats et des relatives facilités qu'offrait le temps de
guerre pour la résolution des problèmes matériels, au calme
de la paix revenue qui apporte avec elle un surcroît de tra-
casseries de toutes sortes, le guerrier se trouve désorienté.
Sur ses épaules pèse l'inévitable relâchement des époques qui
suivent les guerres et les efforts violents. Nos pères, après
1914-1918, ont connu un marasme analogue, mais aujourd'hui
le phénomène prend plus d'ampleur parce que d'autres raisons
viennent encore accroître l'inquiétude des coeurs et le désarroi
des esprits.
.
Tout d'abord, un fossé profond s'est creusé, quoi qu'on
en dise, entre le soldat et la nation. Le guerrier a fini cette
bataille de cinq ans en vainqueur, mais le citoyen et le Français
moyen l'a terminée en vaincu. L'un, après des années
d'humiliation, a connu quelques instants de gloire et de
revanche qui lui ont fait oublier beaucoup d'années en quelques
mois ; mais l'autre, après lin éphémère payoisement, a été
replongé dans des difficultés matérielles et politiques accrues ;
dès lors, la gloire du militaire lui paru d'autant plus insup-
a
portable qu'il ne la partageait point et d'autant plus ruineuse
économiquement qu'il était lui-même appauvri et dominé
par les difficultés matérielles.
La vague d'antimilitarisme que nous voyons déferler sur
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tout le pays a donc des raisons psychologiques et économiques


profondes. Elle a aussi de profondes raisons historiques.
Quel que soit le sursaut patriotique des derniers mois de
l'occupation et de la Libération, il ne faut pas oublier la force
des courants pacifistes pendant la période d'entre les deux
guerres : dans des cercles étendus de ce pays, une génération
a sucé l'antimilitarisme et l'antipatriotisme avec le lait.
Un instant, la jeunesse, dans son enthousiasme, avait oublié
ces vieilles querelles ; les hommes de vingt ans ne pensaient
qu'à se battre ; ils avaient pris leur mitraillette en oubliant
sur leur table Karl Marx... s'ils l'avaient jamais possédé!
Mais avec la Libération les anciens sont sortis de l'ombre ;
ils ont repris les leviers, avec leurs vieilles déformations psy-
chologiques et politiques. Ce n'est pas sans une satisfaction
intime, profonde, que les chefs socialistes les premiers et les
chefs communistes par la suite ont rejeté le manteau de
militarisme et d'héroïsme dont ils s'étaient couverts un ins-
tant pour reprendre leurs vieux habits de partisans, hisser
les couleurs de la lutte des classes, arborer les programmes de
revendications. Dès lors, on a vu fleurir à nouveau les attaques
contre l'État-Major, les officiers de caste, reflet d'une bour-
geoisie décadente, les dépenses militaires excessives qui
ruinent la nation, le colonialisme coûteux qui ne profite
qu'aux banques et aux grandes compagnies coloniales.

L'Impopularité du Militaire
A ces raisons profondes sont venues s'ajouter mille autres
causes d'exaspérations et de malentendus.
Il y a eu tout d'abord, il nous est pénible ici de le noter,
l'incompréhension profonde des milieux politiques et mili-
taires du gouvernement de Londres et d'Alger à l'égard de la
situation française réelle.
Ayant pendant quatre ans mené à la radio une politique
d'opposition, trop peu nombreux, hélas ! ont été les chefs
civils et militaires qui ont été capables, après la Libération
de la France, de se hausser jusqu'à cette impartialité néces-
saire à qui assume la responsabilité du gouvernement : trop
de menaces en paroles, trop d'excitation des esprits, paS
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.

assez d'actes de justice motivée et exemplaire au débarque-


ment ; d'où, par voie de conséquence, une prolongation mal-
gaine de ce que l'on a appelé l'épuration ; enfin, méconnaissance
du problème de la Résistance et des F. F. I. N'ayant pas cru
avant le débarquement à la réalité de la prise insurrection-
nelle du pouvoir, ils se sont effrayés outre mesure, à la Libéra-
tion, de la tempête qu'ils avaient eux-mêmes soulevée. De
cette méconnaissance et de cette incompréhension a découlé
une politique sans suite, alternative de démagogie et de tra-
casseries inutiles qui ont exaspéré les F. F. I. pour finir par
leur donner plus qu'ils ne demandaient, sans parvenir toutefois
à les contenter.
Que penser également d'un commandement et d'un gouver-
nement qui ont accepté les mascarades des galons à titres
fictifs de la D. G. E. R., de la Mission de liaison administra-
tive, du personnel parfois peu intéressant du ministère des
Prisonniers de guerre, pour finir par cette catégorie dis-
créditée par un certain nombre d'escrocs que l'on appelle
le corps des officiers assimilés d'occupation en Allemagne?
Ce qui rend la position de l'officier et du soldat cle carrière
intenable aujourd'hui, ce sont précisément ces excès et débau-
ches de galons, ce rush des appétits que le gouvernement
a tolérés quand il ne les a pas encouragés et qui constituent
vis-à-vis des principes cle gouvernement et de hiérarchie une
véritable trahison. L'amertume des cadres de l'armée régu-
lière est d'autant plus profonde qu'ils subissent aujourd'hui
le contre-coup d'excès commis
par des catégories d'assimilés
que rien ne distinguait aux yeux du public des vrais officiers :
le mot de « prostitution de l'uniforme » n'est
pas exagéré.
On ne saurait non plus trop réfléchir sur le fait que c'est
l'armée vaincue qui s'est chargée de la liquidation de la défaite
de 1940. L'armée allemande
en 1918 avait forgé la légende
du «
coup de poignard dans le dos » : elle avait été trahie mais
non vaincue ; on la voit aujourd'hui, au procès de Nuremberg,
amorcer une manoeuvre nouvelle tendant à montrer combien
1 état-major
allemand était opposé aux plans de Hitler et
comment il a été forcé à l'obéissance malgré ses plus chers
a été bien éloignée de ces habiletés.
désirs. L'armée française
" y a six ans, c'est l'état-major français qui a signé l'armis-
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.
tice ; c'est l'armée qui a assuré la remise en ordre du pays
au moyen des subdivisions et des circonscriptions militaires
c'est l'Intendance qui a pris en main le ravitaillement de •

l'époque. C'est un militaire, enfin, qui, à Vichy, est devenu


Chef de l'État. Il ne s'agit pas de savoir s'il aurait été préfé-
rable pour le bien public qu'il en fût autrement. On doit
simplement constater qu'il en a été ainsi. Moins adroit dans
la défaite que le militaire allemand, le militaire français
s'est chargé du pouvoir et par conséquent, du même coup, des
responsabilités et de l'impopularité qui en étaient inévitable-
ment le lot en de telles périodes.
Mais l'événement le plus pénible fut sans contredit l'entrée
des troupes allemandes en zone non occupée et l'attitude
incompréhensible des chefs de l'armée à cette occasion.
La façon déshonorante dont les unités furent désarmées
dans leur caserne sans qu'un seul coup de feu ait été tiré, la
condamnation officielle par le gouvernement de Vichy des
troupes d'Afrique du Nord qui s'étaient ralliées aux Alliés,
les remises de décorations en grande pompe aux membres
de la Légion tunisienne ayant combattu avec les Allemands,
le maintien de la flotte à Toulon et bien d'autres faits sont
autant d'erreurs ou de lâchetés que les campagnes de Tunisie,
d'Italie et de France et les actes héroïques accomplis dans la
Résistance n'ont pu faire oublier et que les antimilitaristes
ont beau jeu d'exploiter aujourd'hui.
On comprend mieux dès lors les difficultés dans lesquelles
se débat l'actuel ministre des Armées pour parvenir à une
solution juste, raisonnable et politique du problème des
cadres. Pressé par cette vague d'antimilitarisme puissant
dont nous avons vu les origines, harcelé par les Finances qui
exigent un abattement considérable des dépenses militaires,
lié, gêné enfin dans ses mouvements par les textes et mesures
pris en la matière par ses prédécesseurs, il n'a pu, à priori,
aboutir qu'à des solutions de compromis.
Comme toutes les solutions de ce genre, celles-ci mécon-
tentent les intéressés, exaspèrent les partis politiques, ne
satisfont pas les Finances et aggravent encore le malaise de
l'armée.
Il est trop tôt pour juger définitivement une opération q .
MALAISE DANS L'ARMÉE SI

n'est pas achevée : du moins pouvons-nous chercher à en com-


prendre le sens, en exposant les données des deux principaux
problèmes qui sont aujourd'hui d'une brûlante actualité :
l'intégration et le dégagement des cadres.

L'Intégration des Cadres F.F.Ï.


L'intégration des officiers de réserve et des officiers F. F. I.
dans l'armée est un problème technique et un problème
de justice qui a été transformé en machine de guerre politique.
Il aurait pu être profitable pour l'armée d'intégrer dans son
sein des officiers issus de la Résistance et qui avaient souvent
manifesté" de magnifiques qualités morales et de très belles
qualités de combattants ; mais il aurait fallu faire un choix,
opérer un tri pour ne garder que des sujets jeunes possédant un
minimum 'd'instruction ; il aurait fallu surtout opérer rapi-
dement et faire passer tous ces cadres nouveaux dans le
creuset de l'armée française au combat ou dans des écoles
de formation qui aient été véritablement des écoles cle tech-
nique militaire moderne. Or, faute d'une politique ferme et
large en,,ce domaine, plus encore que faute cle moyens, on n'a
réalisé ce programme que très imparfaitement. Seuls les
officiers F. F. I. incorporés à la lre armée ont subi un
sérieux entraînement au combat ; quant aux autres, quelques
rares écoles de cadres mises à part,' les intégrations ont eu
lieu sur dossiers par protection amicale ou politique ; clans ce
domaine, le favoritisme et le bon plaisir ont été rois.
Les retards apportés à la régularisation de cette situation
d'officiers F. F. I. ont dégoûté les meilleurs éléments et les
plus ardents. Là encore, l'armée, par sa lenteur, a opéré une
sélection à rebours, et il y a gros à parier qu'un certain nombre
de ceux qui ont réussi à surmonter les tracasseries adminis-
tratives ont été soutenus plus encore par l'espoir d'acquérir
une situation stable que par la foi qui soulève les monta-
gnes. ' '
,
De nombreux sous-officiers d'aetive ont également été
nommés officiers pour raisons de Résistance sans que l'on ait
Porté attention à leur âge et à leurs facultés intellectuelles.
Enfin, il faut tenir compte des nombreux combattants
ÉTUDES,
avril 1946. CCXLIX. — i
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de Tunisie, d'Italie, d'Alsace, d'Allemagne devenus officiers
par passage dans les écoles inter-armes créées à cet effet.
Cet ensemble de mesures d'intégration et de recrutement
du corps des officiers a abouti à l'intégration au titre de
l'active dans la seule armée de terre, depuis 1945, d'environ
dix mille officiers nouveaux dont la caractéristique est
d'avoir été promus sans passer aucun examen sérieux per-
mettant d'apprécier leur instruction de base. En outre, l'âge
moyen de ces officiers est particulièrement élevé dans les
grades de lieutenant et. de capitaine, ce qui n'est pas sans
présenter de graves inconvénients à un moment où l'on
veut créer une armée jeune et dynamique. Enfin, à une
époque où la technique impose sa loi de plus en plus, dans
l'armée de terre comme dans les autres armées, une telle
masse de chefs possédant une instruction de base sommaire.
peut constituer un poids extrêmement lourd à traîner pour
l'armée moderne de l'avenir 1

Quoi qu'il en soit, on en arrive à cette conclusion que la


physionomie du cadre des officiers a été profondément modi-
fiée ' depuis 1945 ; et il est faux de prétendre que l'armée a
pratiqué une intégration d'officiers F. F. I. sur une échelle
très réduite, puisque, pour la seule armée de terre, 60 p. 100
des dossiers d'intégration dans l'armée active présentés par
les régions ont été acceptés par le ministre.

L'Épuration et le Dégagement
A la fin des hostilités, la seule armée de terre comptait
environ 40.000 officiers sous les armes, dont seulement moins
de 10.000 étaient réservistes.
Les nécessités budgétaires ayant réduit les effectifs, le nombre
des officiers doit être ramené cette année à. 25.000 environ.
Comment opérer cette compression autrement qu'en met-
tant en oeuvre tout l'arsenal des mesures à la disposition dun
ministre, à savoir ' l'épuration, les avantages offerts aux
départs volontaires (loi de dégagement des cadres), les déga-
gements d'office en vertu d'un autre chapitre de la même loi,
l'abaissement des limites d'âge, la démobilisation de tous
les officiers de réserve en situation d'activité ?
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Il semble que par une combinaison raisonnable de toutes


ces mesures on pourrait arriver progressivement au dégon-
flement souhaité des effectifs, mais c'est ici que la politique
vient envenimer les choses. Elle est particulièrement violente
dans certains partis en ce-^qui concerne l'épuration ; et c'est
pourquoi il vaut la peine de considérer le problème avec
objectivité. -

Il était normal d'examiner avec sévérité le cas des officiers


demeurés en France et qui n'avaient pas pris une part active
aux combats de la libération du territoire.
Autant, en effet, il a pu paraître à un esprit sensé et dégagé
de toute passion partisane que le devoir du citoyen n'était
pas nettement tracé jusqu'au 8 novembre 1942, sous cette
réserve importante toutefois que rien n'a jamais justifié la
collaboration avec l'ennemi, autant l'attitude d'un militaire r
à partir de la démobilisation de l'armée ne pouvait être autre
chose que la résistance à l'envahisseur, soit qu'il exerçât
cette résistance à l'intérieur du pays, soit qu'il allât rejoindre
les forces combattantes françaises en Afrique ou à Londres.
Il ne faut pas oublier que l'on est en droit d'exiger davantage
d'un officier que d'un simple citoyen.
C'est pourquoi les officiers de l'armée de terre restés en
métropole ont été classés par les soins d'une commission
d'épuration en quatre catégories, selon qu'ils avaient des
titres de résistance certains, peu cle titres cle résistance, pas de
titres de résistance du tout ; enfin, ceux qui avaient collaboré
avec l'ennemi ou s'étaient livrés à des ,actes jugés antina-
tionaux. A l'heure actuelle, les officiers cle cette dernière
catégorie ont été révoqués sans pension ; ceux qui n'ont pas
de titre de résistance sont dégagés progressivement selon
des modalités diverses ; une partie de ceux qui ont de faibles
titres de résistance se verront sans doute pénalisés dans leur
avancement ; ceux enfin qui ont- des titres de résistance
certains ont déjà été réintégrés par la voie du Journal officiel.
On remarquera que sur plus de 10.000 dossiers examinés,
40 p. 100 des
cas seulement ont fait Jusqu'à ce jour l'objet
d'une mesure de réintégration. Il est donc faux cle prétendre
qcîfe l'armée n'a
pas opéré un tri sévère de ses cadres d'officiers

d'activé. Il est inexact également de prétendre que seuls les
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« lampistes » ont été frappés, puisque plus de 150 officiers


généraux ont vu leur carrière interrompue dans des conditions
diverses. Il convient également de souligner qu'aussi pénible
que soit cette opération elle était à la fois justifiée et néces-
saire; justifiée eu égard au sacrifice de ceux qui ont été mas-
sacrés par l'ennemi dans les rangs de la Résistance, —il ne
faut pas oublier quel. 800 officiers d'activé ont été déportés et
que 1.200 d'entre eux sont morts dansles camps de concentra-
tion ;— justifiée également en raison du sacrifice de ceux qui
ont rejoint la France combattante et qui, au nombre de 1.200
ont franchi les frontières d'Espagne. Cette opération était néces-
saire enfin, car, dans le nombre de ceux qui sont restés chez
eux au moment où la nation tout entière ne vivait que pour
le combat et la libération, il y a certes quelques officiers
qui se sont crûs liés par le serment qu'ils avaient prêté ;
mais il y a certainement beaucoup plus de « pantouflards »
qui n'ont pas voulu prendre de risques. Nous connaissons
tous quelques cas scandaleux de faux résistants ayant passé
à travers les mailles du réseau d'épuration ; nous connaissons
tous également les cas de magnifiques officiers possédant les
plus belles qualités morales qui, pour des raisons diverses et
parfois légitimes, n'ont pas cru devoir prendre part à la Résis-
tance ; mais ces cas particuliers n'infirment pas la justesse
des principes. L'épuration étant instituée sur cette base,
les dégagements qui en sont la conséquence se poursuivent
actuellement.
Tout est loin d'être parfait clans l'exécution : les critiques
les plus sévères peuvent être faites sur la manière dont les
officiers ont été classés par la. commission d'épuration ;
en particulier on peut reprocher le jugement sur pièces sans
que l'intéressé ait eu la faoulté de se faire entendre et sans
.
vérification suffisante des « preuves » de résistance ; mais
il n'en reste pas moins que, pour l'ensemble des cas, les
mesures prises sont amplement justifiées, surtout si Ton tient
compte de la, possibilité qui a été instituée, de faire appel
devant une autre commission qui juge les cas litigieux avec
une conscience et une probité auxquelles il faut rendre hom-
mage. Il est certain que ces mesures apparaîtront toujours
trop dures aux intéressés et à une grande partie du corps
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des officiers ; en revanche, elles paraissent déjà insuffisantes


aux partis politiques qui rêvent par ce moyen d'éliminer, des
cadres de l'armée le plus grand nombre possible d'officiers
de carrière considérés par eux comme des officiers « de
l'ancien régime ».
A la faveur de la compression des effectifs, une manoeuvre
se développe qui tend à réclamer une épuration de plus en plus
sévère, s'étendant désormais même aux officiers d'Afrique
du Nord qui ont par la suite brillamment combattu -en Italie
et en France ; ainsi seraient créés des vides qui permettraient
des intégrations de plus en plus nombreuses d'officiers issus
des F. F. I. ou de sous-officiers. Et le-malaise profond que
ressent l'armée française à l'heure actuelle provient sans
nul doute beaucoup moins des mesures qui ont déjà frappé
les cadres défaillants que des menaces que porte en germe
une extension de l'épuration, si elle venait à être maniée
un jour par des antimilitaristes notoires ou des partis poli-
tiques dont les sympathies pour l'étranger sont malheureu-
sement trop connues.
On peut dire sans exagérer que la vie même de l'armée est
suspendue tout entière à ce double système de l'épuration et
de l'intégration. Conçues sous la forme d'une mesure de rajeu-
nissement des cadres et en quelque sorte comme un courant
apportant un élément plus vif et plus frais dans une masse
qui avait eu tendance à s'attiédir, ces mesures sont doulou-
reuses, mais elles peuvent être fructueuses. Conçues au con-
traire comme un procédé de destruction des élites anciennes,
elles sont un moyen d'une efficacité redoutable, d'autant plus
redoutable que ces mesures sont fragmentaires, n'alertent
pas l'opinion, produisent leur effet d'une façon progressive
et engagent l'avenir pour de longues années. Si l'on n'y prend
pas garde, le cadre général de l'armée paraîtra n'avoir subi
que de légères transformations ; les uniformes seront les mêmes,
les galons auront
peu changé ; le cérémonial militaire se sera
peu transformé, et. cependant la substance même de l'armée
aura été profondément altérée. Un jour prochain, la France
risque de se réveiller devant une inconnue redoutable.

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