Vous êtes sur la page 1sur 221

Atlas militaire et stratégique

Coordination

Bruno Tertrais est directeur adjoint de la


FRS et conseiller géopolitique à l’Institut
Montaigne. Derniers ouvrages parus : La
Revanche de l’histoire. Comment le
passé change le monde (2e édition,
2021), Le Choc démographique (2020),
L’Atlas des frontières. Murs, conflits,
migrations (2e édition, 2020), La Guerre
(3e édition, 2022).

Cartographe

Hugues Piolet est journaliste


indépendant, spécialisé dans la
communication par l’image. Diplômé de
l’École Estienne, il a réalisé un grand
nombre d’infographies pour la presse,
l’édition ou la publicité. Collaborateur de
longue date des mensuels GEO et
Historia, il est aussi chargé de
l’adaptation en français des illustrations
du National Geographic Magazine. Ses
domaines de prédilection sont la
géopolitique, l’écologie, l’histoire, les arts
visuels et les voyages.

Maquette : Twapimoa
Coordination éditoriale : Anne Lacambre,
assistée de Juliette Lesté-Lasserre
Lecture-correction : Carol Rouchès
Fabrication : Chloé Brossard

ISBN : 978-2-0804-2499-0
Numéro d’édition : 558319
© Autrement, un département de
Flammarion, 2023.
82, rue Saint-Lazare, 75009 Paris
www.autrement.com

Dépôt légal : avril 2023


Dépôt légal de la 1re édition : © Éditions
Autrement, 2019.
Imprimé et relié en mars 2023 par
l’imprimerie Pollina, France

Tous droits réservés. Aucun élément de


cet ouvrage ne peut être reproduit, sous
quelque forme que ce soit, sans
l’autorisation expresse de l’éditeur et du
É
propriétaire, les Éditions Autrement.
Atlas militaire et stratégique
Préface

Introduction
L’éternel retour de la guerre

La stratégie, principes et moyens


La stratégie militaire au xxie siècle
Renseignement, systèmes d’information et soutien
Le milieu terrestre
Le milieu maritime
Le milieu aérien
L’espace extra-atmosphérique
Cyberattaques et cyberconflits
La « privatisation » mondiale de la sécurité
Missiles et antimissiles
La planète nucléaire
La dissuasion nucléaire
Maîtrise des armements,
désarmement et non-prolifération
Sécurisation des chaînes d’approvisionnement énergétique
Industries et exportations d’armement
L’environnement et la défense

Les grands acteurs


Les armées dans le monde
Les acteurs armés non étatiques
La puissance militaire américaine
Le nouveau « théâtre » européen
La défense en France : stratégie, budget, équipement
La défense française : l’emploi des forces armées
La puissance militaire russe
La puissance militaire chinoise

Crises et tensions
Le terrorisme et les extrémismes violents
Les tensions en Asie
La crise nucléaire nord-coréenne
Le Moyen-Orient et le Golfe : entre crise et mondialisation
Syrie : d’une révolution à une guerre
Le Proche-Orient en crise
Le Sahel : la guerre comme horizon ?
Afrique : entre djihadisme et violence intranationale
Un Arctique « stratégique »

L’avenir de la guerre
Des « guerres climatiques » ?
Technologies et futur de l’homme dans les opérations

Conclusion
Avenir de la guerre, avenir de la paix

Annexes
Glossaire
Bibliographie
Les auteurs
Préface

L
a précédente édition de l’Atlas stratégique, datant de 2018,
soulignait que si l’état de crise semblait constituer la nouvelle
normalité, le spectre de la guerre de grande ampleur en
constituait plus que jamais la toile de fond. Cinq ans plus tard, force
est de constater que le spectre est devenu réalité. L’agression à
laquelle s’est lancée la Russie contre l’Ukraine en février 2022
marque le passage d’une crainte diffuse à la nécessité de répondre
dans l’urgence à une situation que l’on espérait lointaine et dont les
signes avant-coureurs laisseraient le temps de s’y préparer. La
question des frontières en Europe était déjà posée par les conflits
qui avaient éclaté à la périphérie de l’ancienne Union soviétique
dans le Caucase comme dans le Donbass. Elle l’a été de manière
encore plus éclatante par l’annexion formelle de la Crimée puis
d’une large fraction de la partie méridionale de l’Ukraine par la
Russie, avec son cortège d’atrocités, de destruction et de migration
forcée. La guerre en Ukraine oppose l’une des deux premières
puissances nucléaires de la planète à une nation qui fait mieux que
se défendre grâce à son courage et à l’aide militaire considérable
que lui fournissent les Occidentaux. Que la Russie, membre
permanent du Conseil de sécurité, cible méthodiquement les
infrastructures civiles ukrainiennes afin de faire plier un peuple
qu’elle ne réussit pas à dompter militairement, constitue cependant
une étape supplémentaire dans le mépris des lois internationales.
Pour les Européens, le conflit rappelle que la dissuasion demeure
dépendante de l’alliance américaine et de la garantie de l’article V
de l’OTAN, si souhaitable que soit une plus grande autonomie
stratégique de l’Union : en témoigne de façon spectaculaire la
décision de la Suède et de la Finlande de mettre fin à leur politique
historique de neutralité. Les disparités dans l’aide apportée à Kiev
soulignent toutefois à quel point les modèles d’armée européens
doivent être repensés à la mesure des enjeux. Ce conflit multiforme,
dans lequel la Russie cherche à utiliser tous les leviers possibles,
notamment politiques et économiques, à sa disposition, confirme en
tout cas le diagnostic qui était porté sur le caractère désormais
hybride de tout affrontement entre puissances, où chacun vise à
affaiblir l’autre, que ce soit par des sanctions qui vont à l’encontre
du processus de mondialisation globale d’un côté, des opérations
cyber, de désinformation, de chantage énergétique voire de
sabotage de l’autre. L’invasion russe et ses ratés spectaculaires ne
manqueront pas d’être étudiés avec la plus grande attention par les
dirigeants chinois, pour lesquels la conquête de Taïwan semble
constituer non pas une formule rhétorique mais un véritable objectif
militaire à une échéance moins lointaine qu’on ne pouvait le penser
il y a quelques années. D’autant que la pression militaire constante
qu’exerce la République populaire de Chine, loin d’induire les
Taïwanais à la soumission sans combat, semble plutôt les
galvaniser. Certes le foyer européen est actuellement le plus aigu
mais la nostalgie impériale de la Russie constitue à certains égards
un anachronisme : c’est en Asie que se situe la compétition
majeure, où les gesticulations nord-coréennes contribuent à
maintenir en permanence un niveau de tension élevé, sur fond
d’engagement américain accru et de réarmement japonais. L’Afrique
et le Moyen-Orient ne sont pas oubliés dans ce panorama où le
terrorisme demeure actif. Le pourrissement de la situation dans le
Sahel touche directement notre pays, contraint de repenser sa
stratégie et son dispositif militaire en fonction d’une nouvelle donne
politique que Moscou s’active à promouvoir à nos dépens. Le
Moyen-Orient, quant à lui, illustre le rôle croissant d’acteurs pour
lesquels le terme de puissance moyenne tend à devenir obsolète.
Alors que la Turquie entend jouer la carte militaire contre les Kurdes
qui ont tant contribué à la défaite de Daech et que la politique
israélienne est de plus en plus influencée par une droite
intransigeante, l’accession de l’Iran à une forme plus ou moins
complète de capacité nucléaire militaire, en consacrant de manière
spectaculaire l’affaiblissement de l’influence américaine dans la
région, ne peut qu’entraîner une redistribution des cartes. Autant
dire qu’en donnant un nouvel « instantané » de la situation
mondiale, cet atlas stratégique conçu sous la direction de Bruno
Tertrais permet d’appréhender les dynamiques à l’œuvre, avec leur
lot d’accélération et parfois de surprise inhérent à toute histoire en
cours.

Bruno Racine
Bruno Tertrais

INTRODUCTION
L’éternel retour de la guerre

I
l existe un paradoxe de la guerre. Le nombre de conflits dans le
monde est plutôt en régression, et la proportion des victimes
des guerres est sans doute la plus faible depuis les débuts de la
civilisation. Pourtant, on évoque régulièrement un « retour de la
guerre ». Les conflits, même peu nombreux, sont très médiatisés et,
avec le développement des nouveaux moyens de communication,
attirent quotidiennement l’attention des opinions. La fin de la guerre
froide avait suscité l’illusion d’un nouvel ordre mondial pacifique.
Chaque épisode conflictuel fait ainsi figure de rappel de réalités
douloureuses : la persistance de l’incapacité des sociétés humaines
à régler pacifiquement leurs différends, la force des idéologies et
des passions qui animent la volonté de combattre.

Qu’est-ce que la guerre ?


La guerre est une forme de violence politique : il s’agit d’un conflit
armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains
organisés. La guerre est classique lorsqu’elle met en œuvre des
armées en uniforme. La guerre non conventionnelle implique
l’emploi de moyens dits asymétriques : guérilla, terrorisme, missiles,
armes chimiques, cyberattaques…

Aux termes de la Charte de l’ONU, l’emploi de la force n’est autorisé


qu’en cas de légitime défense (individuelle ou collective) ou en vertu
d’une résolution du Conseil de sécurité.

Il peut être utile de distinguer guerres locales et « interventions


internationales ». Les premières peuvent être des conflits
interétatiques classiques (affrontement entre pays mitoyens,
interventions « de voisinage ») ou des guerres internes, avec ou non
le gouvernement comme partie prenante, et souvent
internationalisées. Les secondes peuvent être menées par des
grandes puissances militaires, en coalition, ou par une organisation
internationale. Elles ont pour but de soutenir un allié, de réduire une
menace, de porter secours à une population ou de rétablir la
stabilité.

Les causes des guerres


Dans l’idéal, il serait souhaitable de pouvoir distinguer les causes
des conflits entre groupes humains des causes du passage à la
violence organisée pour tenter de résoudre ces conflits. Dans les
faits, cette distinction n’est pas facile à établir. Les conflits ont, la
plupart du temps, des ressorts multiples : origines lointaines,
motivations profondes, causes immédiates, buts avoués et objectifs
cachés… Les démêler est rarement aisé – sans compter qu’elles
sont parfois irrationnelles.

Les facteurs identitaires sont aujourd’hui plus importants que les


déterminants matériels. Ce que l’on appelle « conflits frontaliers » ne
sont pas des guerres « pour » la frontière (sauf dans de très rares
cas), mais plutôt pour l’identité et la cohésion des pays concernés.
Les guerres de conquête territoriale ont été délégitimées, et la
prédation des ressources est tombée en déshérence (notamment du
fait de la libéralisation du commerce international), sauf pour les
conflits internes.

L’analyse de la guerre fait apparaître quelques grandes tendances :


les grands pays, les régimes autoritaires et les pays pauvres sont
les États plus impliqués dans les guerres ; il existe des corrélations
importantes entre démographie et conflictualité ; les démocraties ne
se font pas la guerre entre elles ; et les transitions tendent à être
belligènes, qu’il s’agisse de transitions internes (démographiques,
économiques, politiques) ou du système international.

Il importe de garder en mémoire la dimension passionnelle de la


guerre. Peu de phénomènes humains mettent en jeu autant
d’émotions, tant au niveau individuel et collectif, pour le meilleur et
pour le pire. Ainsi, les formules proposées par les grands analystes
pour résumer les facteurs amenant les hommes à combattre
prennent-elles en compte à la fois les dimensions rationnelle et
passionnelle des conflits : « la peur, l’honneur et l’intérêt »
(Thucydide) ; « la puissance, la sécurité et la gloire » (Aron).
L’évolution de la conflictualité
Le nombre annuel de conflits en cours fait l’objet d’estimations
diverses selon la méthodologie employée (nombre de morts…).
Ainsi pour 2021 le SIPRI comptabilisait-il 23 conflits mais l’université
d’Uppsala 54 (dont 51 guerres civiles).

Toutes les analyses montrent depuis 1945 :

Une montée progressive de la conflictualité depuis 1945 jusqu’en


1990, suivie par une décroissance assez rapide (fin des conflits
alimentés par les tensions Est-Ouest), puis une remontée récente.
Essentiellement due à des conflits « mineurs » (allégeances à
Daech…), elle conduit, du fait de l’intensité des guerres de Syrie et
d’Ukraine, à un accroissement du nombre de morts par an à des
niveaux que l’on n’avait pas connus depuis 1990 ou bien pendant la
guerre froide (plus de 100 000 morts par an).
Une stabilité du nombre de guerres majeures et un déclin de la
guerre interétatique. La quasi-totalité des conflits contemporains
sont des guerres civiles, notamment en Afrique, et la guerre
interétatique classique tend à disparaître (en 2021, trois seulement
étaient actifs : Inde/Pakistan, Arménie/Azerbaïdjan,
Kirghizistan/Tadjikistan) même si la politique russe (Géorgie,
Ukraine) l’a rendu de nouveau d’actualité en Europe.

Une décroissance de la proportion de la population mondiale


tuée par les guerres. Toutefois, si les opérations occidentales
causent assez peu de victimes directes, les conflits touchent
aujourd’hui essentiellement des civils, notamment parce que les
militaires sont mieux protégés.

Les guerres s’installent souvent dans la durée : 90 % d’entre elles


ont lieu dans des pays qui ont connu la guerre dans les trente
dernières années. Ainsi nombre de conflits sont-ils anciens, et
certaines zones de conflit endémiques (Afrique subsaharienne,
Moyen-Orient, Afghanistan-Pakistan…).
La stratégie, principes et moyens
La stratégie consiste à définir la meilleure
manière de combiner des moyens militaires
pour atteindre un but opérationnel ou politique.
Si ses éléments fondamentaux n’ont guère varié
au cours des siècles, elle s’exerce dans des
champs de plus en plus vastes et avec des
moyens de plus en plus diversifiés. Après la
terre, les mers et les airs, l’espace extra-
atmosphérique et, désormais en permanence,
le cyberespace sont devenus des terrains de
confrontation. Les actions sont dorénavant
souvent plus rapides et plus précises du fait
des développements technologiques, même si
nombre de combats se déroulent encore avec
des armes rudimentaires. La captation des
ressources n’est plus au centre des rivalités
guerrières, sauf dans les conflits internes. La
maîtrise des armements et la non-prolifération
tentent de limiter la dissémination et l’emploi de
certains moyens, notamment ceux dits de
« destruction massive », même si la dissuasion
nucléaire demeure non seulement un élément
structurant des rapports de forces
internationaux mais aussi, pour bon nombre
d’observateurs, un facteur de stabilité de nature
à limiter les risques de guerre entre grandes
puissances.
Jean-Jacques Patry

La stratégie militaire au xxie siècle


La stratégie est l’art de combiner des moyens militaires au
service d’un but politique. Au xxie siècle, elle se diversifie :
extension du domaine de la guerre à de nouveaux
espaces, apparition de nouveaux moyens, recours
croissant à des instruments particuliers (forces spéciales).
Toutefois, la stratégie « classique » demeure pertinente, et
tous les grands États déploient des forces terrestres,
maritimes et aériennes. L’emploi de ces dernières est de
plus en plus intégré (opérations « interarmées ») et le
champ de bataille est désormais « numérisé ».

La pensée stratégique a atteint son apogée au milieu du


xxe siècle

En effet, l’arrivée à maturité des sociétés de l’âge industriel et les


guerres totales qu’elles ont générées ont étendu la stratégie militaire
à tous les milieux accessibles aux technologies (terrestre, maritime,
aérien, spatial et électronique). La mobilisation des ressources pour
la confrontation globale a obligé les États au développement de
techniques s’inspirant de la planification stratégique militaire pour
organiser l’ensemble des activités humaines des nations en temps
de guerre ou en préparation du temps de guerre. Avec l’apparition
de l’arme nucléaire, la stratégie militaire classique dont le but
consistait à transformer les buts politiques en guide pour la
conduite des campagnes est devenue moins importante. La
stratégie s’est immiscée dans des domaines nouveaux comme la
course aux armements ou a été remplacée par la gestion de crise ;
l’objectif des stratégies de dissuasion consistant moins à gagner
des batailles qu’à prévenir la guerre. En conséquence, les conflits
ne pouvant plus être réglés « directement » par l’emploi de
l’instrument militaire classique, du moins dans l’hémisphère nord,
des formes « indirectes » de violence collective se sont affirmées
avec les guerres révolutionnaires et populaires, générant des
pratiques insurrectionnelles et contre-insurrectionnelles, elles-
mêmes menant à la théorisation de stratégies indirectes
(subversion, terrorisme, coup d’État). La dernière moitié du xxe siècle
s’est accompagnée d’une diversification croissante des méthodes
inspirées par la stratégie militaire, mais cette fois à usage privé
principalement des entreprises.

ORGANISATION CLASSIQUE DES BUTS ET TYPES DE


CAMPAGNE/OPÉRATION
Le xxie siècle se situe dans la continuité du siècle
précédent mais avec un net glissement vers des formes
plus indirectes de stratégie
La décennie de guerre contre la terreur initiée en 2001 par les États-
Unis correspond pour les États interventionnistes occidentaux à un
intense recours aux stratégies directes militaires (changement de
régime et stabilisation) du fait de leur supériorité technologique.
Mais les conflits contre-insurrectionnels en Irak, en Afghanistan, les
guerres civiles du monde arabe (Libye, Syrie, Yémen) montrent leur
coût exorbitant.

Pour les États interventionnistes, la supériorité des forces militaires


expéditionnaires numérisées, reposant sur l’utilisation massive de
l’aviation, est contrebalancée à terme par le recours à des stratégies
d’interdiction de la part de puissances globales et régionales
(déploiement de défenses antiaériennes et antinavires, d’une
puissance de feu balistique longue portée). Ces forces
expéditionnaires ont par ailleurs trouvé leurs limites par les
stratégies d’évitement adoptées par des organisations non
étatiques – terrorisme, recours aux IED (Improvised Explosive
Device), guérilla urbaine. Il a donc fallu évoluer vers des stratégies
indirectes moins risquées en utilisant des auxiliaires locaux formés
et équipés pour se battre dans leurs fiefs en remplacement des
troupes régulières (Capacity Building). Ce même recours aux
auxiliaires s’opère pour les États soucieux de défendre leurs
frontières ou d’établir une zone d’influence régionale.

Pour les organisations non étatiques paramilitarisées comme


Hezbollah au Liban Sud ou Daech, toute la gamme possible de
stratégies est utilisée : stratégie directe de manœuvre contre un
groupe rival ou des forces régulières faibles ou guérilla contre un
ennemi puissant et stratégie indirecte inspirant la terreur sous toutes
ses formes, incluant agressions chimiques et même missiles à
longue portée.
Un large usage est fait de la « guerre de l’information » incluant tous
les éléments de la guerre électronique contre les forces, de la guerre
cybernétique, mais aussi des campagnes d’influence des opinions
par médias et réseaux sociaux au niveau politique et stratégique. Le
champ stratégique cyber va se diversifier et se renforcer avec la
possibilité d’opérations de perturbation à large spectre dans les
sociétés modernes, rajoutant un outil de stratégie indirecte
remarquable.

En ville : le retour en force des stratégies de siège et


d’action souterraine
Les stratégies les plus anciennes sont même revenues en force, en
raison de l’extension des conflits civils, essentiellement dans le
monde arabe. La guerre de siège, redécouverte à la fin du siècle
précédent à Sarajevo est de pratique courante au Proche et au
Moyen-Orient. En effet, les sociétés humaines qui se sont
massivement urbanisées depuis les années 1960 deviennent des
zones tendancielles d’engagements. Il s’agit alors de conserver un
quartier ou une agglomération à une communauté et en interdire
l’accès aux autres. Les organisations irrégulières sont
essentiellement à la manœuvre sous la forme de milices
d’autodéfense ou de « seigneurs de guerre ». Les forces régulières
peuvent y être impliquées, comme l’une des factions à
l’affrontement civil. Les belligérants ne disposant pas de la
puissance nécessaire pour venir à bout de vastes zones urbaines
rebelles ont alors recours à des stratégies d’anéantissement par
bombardements ou d’isolement pour affaiblir les défenseurs avant
de tenter de l’emporter par des assauts directs. Les combattants
s’enterrent et transforment les quartiers en blocs défensifs
inexpugnables dans lesquels on ne peut pénétrer sans livrer de durs
combats tactiques, lents et meurtriers. Se développe alors une
« guerre des mines et de contre-mines » pour le contrôle des
espaces souterrains, tout à la fois abris et sanctuaires, zones de
stockage des approvisionnements et couloirs de circulation pour
récupérer une mobilité rendue impossible à la surface. C’est aussi
dans cet univers urbain qu’ont été remises en pratique des
stratégies psychologiques visant à répandre la terreur par l’emploi
d’armes chimiques directement contre les populations des quartiers
adverses.

Toutefois, il serait faux de penser que la stratégie ne varie pas. Sous


ses formes opérationnelles, elle mute sous l’influence des
combinaisons technologiques dites de la « révolution industrielle
4.0 » : introduction de la robotique, utilisation de l’intelligence
artificielle, de nouveaux nanomatériaux… Pour les deux décennies à
venir, il s’agit essentiellement d’accroître les capacités du
combattant par l’ajout de la « réalité augmentée » dans les
équipements. Des interfaces hommes-machines permettent une
surmultiplication de l’efficacité des sens humains et un traitement
adapté des données recueillies pour maximiser les effets recherchés
du combat sur les cibles choisies. L’entrée massive de systèmes
automatisés (drones aéroterrestres et aéromaritimes) pour des
missions de reconnaissance, de soutien et de combat semble ainsi
ouvrir une nouvelle ère pour les engagements. La prochaine étape
consistera à faire travailler en « meutes » ou en « essaims » des
ensembles de machines autorégulées par l’adjonction de strates
successives d’intelligence artificielle. La crainte de « robots tueurs »
s’est donc répandue avec, en contrepoint, des projets d’interdiction
par traités internationaux. La stratégie s’applique donc désormais et
pour longtemps au monde cyber, mais sa réalité réside moins dans
les engins non habités que dans la confrontation des algorithmes
d’usage général, aussi bien dans les mémoires des machines que
dans les réseaux. La « guerre robotique » est déjà commencée.

Au final, s’il doit y avoir révolution dans la stratégie militaire au


xxie siècle, c’est indubitablement avec l’arrivée de la robotique et
l’avènement de l’intelligence artificielle dans les systèmes de
commandement et de conduite. Jusque-là, le cerveau humain
calculait imparfaitement les prises de risques, intuition et talent
contribuant à un « art des opérations ». Si l’intelligence
biosynthétique prenait le relais, la stratégie pourrait devenir un
champ d’application privilégié du calcul probabiliste.
Philippe Gros

Renseignement, systèmes
d’information et soutien
Disposer de brillants généraux et d’excellentes unités de
combat ne suffit pas au succès des opérations. Trois
fonctions sont absolument vitales pour leur exécution : le
renseignement, le soutien, et les systèmes d’information et
de communication.

Le renseignement
Le renseignement est une information ou une évaluation nécessaire
à la prise de décision et visant une cible « non coopérative »
(ennemi, environnement) nécessitant un travail de recherche et
d’analyse. Il appuie différents cercles institutionnels : décideurs
politiques, forces armées (on parle alors de « renseignement
d’intérêt militaire »), forces de police et justice. Il peut revêtir des
formes assez variées : note ou briefing de situation, documentation,
analyse de systèmes ou de réseaux, évaluations thématiques ou
géographiques, etc. En règle générale, son élaboration procède
d’un cycle d’activités. Il s’agit tout d’abord d’orienter les efforts de
renseignement en hiérarchisant les besoins des différents « clients ».
Si le renseignement n’est pas déjà disponible, les opérations de
recherche des informations manquantes sont exécutées. Dans les
domaines stratégique et militaire, cette recherche passe par
l’orientation des « capteurs » : capteurs d’imagerie des aéronefs et
des satellites, dispositifs d’interception et de localisation des
émissions radars et des télécommunications ; agents ou unités de
reconnaissance, renseignement d’origine cyber. L’information
recueillie peut nécessiter un traitement (interprétation des images,
traduction des écoutes, etc.). Certains capteurs tactiques (drones
par exemple) sont gérés de façon dynamique et fournissent des
informations en temps proche du réel aux centres opérationnels.
L’information est ensuite exploitée pour produire le renseignement.
Cela étant, la plus grosse partie des informations provient de
sources ouvertes. Les échanges de renseignement avec d’autres
agences et services sont également d’une importance critique.

Le nombre et la qualification des analystes techniques et des


experts géographiques et thématiques qui réalisent cette
exploitation importent donc tout autant que les capacités de
recherche. Le renseignement contemporain fait face à la masse
croissante d’informations numériques disponibles dont la prise en
compte génère une transformation des méthodes d’exploitation :
Geospatial Intelligence (GEOINT) à la confluence de la cartographie
et du renseignement d’origine image, recours à venir à l’intelligence
artificielle, etc.

Les systèmes d’information et de communication (SIC)


La transmission des ordres et des comptes-rendus entre le général
et ses unités a toujours représenté une fonction critique du champ
de bataille. La diffusion des technologies de l’information lui confère
un rôle central, illustré par les concepts d’opération en réseau ou
d’info-valorisation. On peut distinguer deux grandes catégories de
systèmes. Les premiers sont les systèmes d’information qui
permettent aux états-majors d’exploiter les informations
opérationnelles et renseignements nécessaires, d’alimenter, de
visualiser et de partager avec les unités une image commune de la
situation. Les seconds sont les systèmes de télécommunication qui
recouvrent les communications radio ou par satellite et les liaisons
de données tactiques. Les données de positionnement, de
navigation et de « timing » – des radars et réseaux de
télécommunications – fournies principalement par les systèmes
spatiaux comme le GPS sont également devenues indispensables
aux opérations contemporaines. Ces SIC sont maintenant fondés
presque entièrement sur des technologies commerciales. Les
grands défis actuels des SIC ont trait à l’interopérabilité, c’est-à-dire
à l’aptitude de ces différents systèmes, conçus selon des projets
spécifiques, à échanger leurs données mais aussi à leur résilience
face à la guerre électronique (brouillage ou usurpation des signaux)
et à la lutte informatique.
Le soutien des opérations
Il est indispensable pour toute opération militaire et se décline en
différentes activités. Citons :

• Le transport. Il inclut tout d’abord les capacités aériennes, navales


voire terrestres (ferroviaire) de projection sur le théâtre d’opérations.
Les avions sont les plus réactifs mais leur capacité est plus réduite
que celles des autres modes. Ces capacités incluent souvent la
contractualisation avec des entreprises privées de logistique pour
les équipements les plus lourds et les énormes volumes de biens
nécessaires aux opérations. La mobilité est également « intra-
théâtre » avec les unités du train, les avions de transport tactique et
les hélicoptères de manœuvre (de dimension moyenne) ou de
transport lourd.

• Le ravitaillement en vivres, munitions, carburant et équipements


divers. Ses contraintes ont dicté dans l’histoire le déroulement de
bien des guerres. Dans les opérations modernes, cette fonction
comprend aussi les ravitailleurs en vol, indispensables aux avions
de combat dont ils étendent le rayon d’action à des milliers de km
ou la durée de présence sur zone à plusieurs heures. Il inclut
également les pétroliers et ravitailleurs d’escadre sans lesquels les
forces navales ne peuvent mener leurs opérations plus de quelques
jours ou semaines.

• Le « maintien en condition opérationnelle » (MCO) des matériels,


pratiqué par une chaîne de maintenance allant d’unités militaires sur
le terrain aux industriels de défense. La guerre en Ukraine en
rappelle toute l’importance, a fortiori dans un conflit de haute
intensité. Dans nos armées modernes, les coûts de ce MCO tendent
à augmenter en raison du vieillissement des parcs d’équipements
anciens, de cadres réglementaires plus contraignants mais aussi
des nouvelles générations de systèmes d’armes dont la technologie
nécessite un personnel et des infrastructures plus pointus. Les
capacités de MCO étant concentrées sur les matériels déployés en
opérations, la disponibilité des équipements des unités non
déployées est souvent réduite, ce qui peut dégrader les capacités
de formation et d’entraînement de leur personnel et, in fine,
l’aptitude à « régénérer » la force sur le temps long.

• Le service de santé. Il inclut dans nos armées modernes une


chaîne complète comprenant des postes médicaux sur le terrain,
des unités chirurgicales jusqu’à des hôpitaux de campagne dont
certains services n’ont rien à envier aux centres hospitaliers civils.
Dans bon nombre d’opérations, la disponibilité de ces services peut
être une condition sine qua non du déploiement des forces.

• Le génie. Il appuie directement la mobilité des forces (déminage,


aménagement du terrain) et contribue à la contre-mobilité de
l’adversaire. Plus généralement, il bâtit ou entretient les
infrastructures permettant aux forces d’opérer.

Les engagements multinationaux sur des théâtres d’opérations


nécessitent de complexes arrangements financiers et juridiques
avec les alliés, les structures multilatérales et les « nations-hôtes »
qui accueillent les forces déployées.
Jean-Jacques Patry et Philippe Gros

Le milieu terrestre
Dans un monde hautement connecté et globalisé, l’idée de
territoire reste plus vivace que jamais. L’environnement
terrestre est perçu comme un enjeu majeur, y compris
dans nos sociétés occidentales ; les forces terrestres
reprennent donc une place centrale.

C ontrôler le milieu terrestre consiste à conserver une liberté de


manœuvre minimale en s’affranchissant des obstacles
topographiques et humains pourtant complexes. Le cœur de la vie
d’une communauté humaine reste le territoire : les dimensions
spatiales, aériennes, maritimes et cybernétiques n’en sont que des
prolongements. Qui contrôle le territoire régit une bonne partie des
rapports sociaux. Ces captations d’allégeances voient s’opposer
États et organisations armées plus ou moins paramilitarisées. Mais
le contrôle territorial s’exerce aussi et surtout entre États autour de
l’intégrité des frontières et de zones d’influence (monde russe et
Europe de l’Est, espaces turcophone, arabophone…). Il se joue de
plus en plus dans les villes. En 2050, 70 % de la population du
globe s’agglutinera dans un ruban urbain mondial de 100 km le long
des côtes. Le monde se sépare entre les États encore capables
d’en assurer un contrôle par tout moyen et les autres, remplacés par
des acteurs privés territorialisés et en voie de militarisation.

TYPOLOGIE ET RÉPARTITION DES PRINCIPALES PUISSANCES


TERRESTRES
Le retour en force des moyens aéroterrestres précis,
puissants et létaux
Les forces terrestres reprennent une importance clé. Pour les
organisations non étatiques (guérillas politico-militaires, milices
ethniques ou communautaires, « seigneurs de guerre » et gangs
paramilitarisés) il n’est de puissance que terrestre. Les armements
disponibles (armes de petits calibres) sont complétés par des
armements lourds (blindés, artillerie légère, voire missiles).

Pour les grandes puissances régionales, la formation d’une industrie


nationale de défense et la profusion de producteurs d’armements
lourds ont permis la constitution de capacités blindées et
mécanisées complétées par de puissants moyens d’artillerie de
précision (incluant des missiles longue portée) et de défense sol-air
multicouches. Les puissances les plus avancées ont suivi le modèle
américain de « numérisation » du champ de bataille avec
l’intégration massive des technologies informatiques donnant accès
aux opérations réseaux-centrées (Network-Centric Warfare) : Chine,
Russie, mais aussi Allemagne, France, Royaume-Uni et d’autres
développent des capacités de forces hautement numérisées. Les
armées occidentales vont donc progressivement être rattrapées en
termes technologiques.

Les puissances terrestres en devenir : robots intelligents


et « criminels paramilitarisés »
Deux modèles de forces terrestres sont concevables pour les vingt
prochaines années.

Le modèle numérisé propre aux armées étatiques


professionnalisées, au format réduit et très coûteux, auquel vont
s’ajouter les technologies liées à la robotisation, à l’intelligence
artificielle et aux nouveaux nanomatériaux. L’idée consiste à
augmenter le nombre de plates-formes automatisées pour les
actions les plus exposées et à optimiser les capacités humaines des
combattants disponibles par adjonction d’interfaces machines.

Il peut être complété par des capacités de gardes territoriales moins


bien dotées. En face, le second modèle est plus rudimentaire, fondé
sur des combattants opérant sur leur territoire (milices
d’autodéfense) et une classe de « criminels paramilitarisés » se
taillant des micro-empires par les armes dans des zones échappant
à tout contrôle institutionnel. Le second modèle peut d’ailleurs
emprunter par détournement, vol ou reproduction des capacités au
premier et tirer profit de milices.

Mais les deux fonctionneront sur la même logique : des attaques


par surprise, par saturation (essaims de machines ou essaims
d’hommes augmentés) et des manœuvres d’évitement (techno-
camouflage, zones urbaines denses) ou de contournement (lutte
informationnelle par les canaux cyber). In fine, il faudra empêcher
l’autre d’accéder au territoire ou d’en disposer librement ; donc le
dissuader, lui en interdire l’accès ou l’éliminer physiquement.
Philippe Gros

Le milieu maritime
La mer a toujours eu une importance critique pour la
prospérité des puissances. Son contrôle, ou son
interdiction à l’adversaire, revêt donc un enjeu stratégique
majeur. Cet enjeu ne fait que croître : les lignes de
communication, puis les réseaux de câbles sous-marins
sont devenus les artères vitales du système économique
mondialisé. Les ressources halieutiques d’hydrocarbures
ou minérales sont toujours plus sollicitées pour satisfaire
les sociétés. Cet enjeu sous-tend une prolifération des
forces navales alors que le combat naval connaît
d’importantes transformations.
La « bipolarité » des opérations
La stratégie navale s’articule selon une bipolarité entre deux
aptitudes de temps de guerre : le contrôle de la mer et son
exploitation à des fins de projection de force vers la terre, apanage
des puissances maritimes (ex. : Grande-Bretagne, États-Unis) et
l’interdiction de ce milieu à l’adversaire (contribuant à ce que l’on
nomme depuis 15 ans le « déni d’accès ») auquel se limitent les
puissances continentales. Les opérations navales incluent
également les activités de temps de paix : le déploiement avancé à
des fins d’influence et de soutien à la diplomatie, le renseignement,
mais aussi les activités de sécurité maritime : lutte contre la
piraterie, le terrorisme, les trafics, la pollution, police des mers,
sauvetage et assistance en mer.
La prolifération des capacités
Aujourd’hui, une force navale complète comprend une composante
aéronavale, des aéronefs embarqués sur porte-avions ou porte-
aéronefs et/ou basés à terre, une composante de surface mettant
en œuvre croiseurs, destroyers et frégates lance-missiles
polyvalents, une composante sous-marine disposant
éventuellement de sous-marins à propulsion nucléaire lance-engins
(la composante de la dissuasion nucléaire), de sous-marins
d’attaque eux aussi à propulsion nucléaire (pour les mieux dotés) ou
à propulsion diesel électrique, une composante amphibie en mesure
de projeter des forces terrestres et enfin des navires de second rang
garantissant la sécurité maritime.
La transformation du combat
Le combat naval connaît une transformation importante. Les
missiles antinavires affichent des portées croissantes de plusieurs
centaines de kilomètres. Les missiles supersoniques et, dans la
prochaine décennie, hypersoniques, confèrent un avantage évident
à l’attaquant. Les armes à énergie dirigée vont faire leur apparition,
au moins initialement pour la défense contre les cibles peu
protégées. Le combat naval est devenu « multi-domaines », tirant
parti de la guerre électronique, des capteurs spatiaux et des
opérations dans le domaine cyber. L’action des bâtiments va être
prolongée par les drones non seulement aériens mais aussi de
surface ou sous-marins, à des fins de renseignement, de lutte anti-
sous-marine et de lutte anti-mine. La révolution est aussi
informationnelle : démultiplication des masses de données des
capteurs de nouvelle génération, des capacités informatiques
embarquées en mesure de les traiter, intégration des unités dans de
vaste clouds de combat, etc.

Si l’US Navy restera encore longtemps la maîtresse des mers, on


assiste à une prolifération des capacités navales, de la part de la
Chine et de multiples puissances aspirant à étendre leur aptitude à
sécuriser leurs intérêts. Dans ce contexte, la marine nationale
conserve un avantage non grâce à son volume ou sa technologie
mais à l’expérience et la qualification de ses marins.
Philippe Gros

Le milieu aérien
Les opérations aériennes sont inventées de façon ad hoc
pendant le premier conflit mondial puis théorisées pendant
l’entre-deux-guerres. Toutes les grandes puissances y ont
aujourd’hui recours. Grâce à la rapidité et à l’allonge de
l’aéronef puis du missile, la « puissance aérienne » permet
d’étendre les effets directs de l’action militaire, de
comprimer le cadre espace-temps de la confrontation.

Un siècle de stratégies aériennes


Après la Première Guerre mondiale, émerge une « théorie de la
puissance aérienne » dont le premier axiome est que l’obtention de
la supériorité aérienne sur l’adversaire est un prérequis de toute
opération, une exigence jamais démentie depuis. Un second axiome
est que la puissance aérienne peut être décisive en frappant
directement les centres de gravité adverses. Ce caractère décisif est
un sujet de controverse à l’occasion de chaque guerre depuis un
siècle. De fait, la puissance aérienne a souvent représenté le fer de
lance des stratégies de coercition mais n’est jamais parvenue à elle
seule à annihiler une entité ennemie. La théorie trouve cependant
son aboutissement avec la dissuasion nucléaire dont la puissance
aérienne peut constituer une des composantes.

Au niveau opérationnel, l’emploi des forces aériennes a relevé par le


passé de stratégies de « représailles » (ex. : Grande-Bretagne contre
Allemagne en 1942-1945). Il procède cependant plus souvent et
avantageusement de stratégies « d’interdiction » de la résistance de
l’adversaire consistant à fermer ses options en détruisant ses
moyens militaires, ses capacités de transport, de soutien, de
communication et ses ressources industrielles (États-Unis contre
Allemagne en 1942-1945 ou contre Nord-Vietnam en 1972, OTAN
contre Yougoslavie en 1999). Durant la guerre froide, émerge une
nouvelle stratégie, celle de « l’escalade » : l’ennemi doit renoncer
par anticipation des coûts futurs de son obstination. C’est la
stratégie américaine contre le Nord-Vietnam en 1965-1968. Elle se
solde par un échec, tout comme, plus récemment, les stratégies de
« paralysie » de la prise de décision stratégique adverse (ex. : Irak
en 1991). Cette recherche de la paralysie est également à la source
des opérations d’élimination ciblées qui ont pris de l’ampleur dans
le cadre lutte antiterroriste américaine au Pakistan, en Somalie ou
au Yémen depuis 2001.

Plus largement, dans l’ensemble des crises et des conflits armés,


les forces aériennes fournissent surtout un renseignement essentiel
tant au profit des autorités que des forces de surface, qu’elles
appuient également par leurs feux et dont elles contribuent à la
projection et au soutien.
Un « système de force » aérien en mutation permanente
Les opérations aériennes connaissent une transformation
permanente à l’aune des progrès de la technologie. Lors des trois
dernières décennies, les forces aériennes américaines en premier
lieu, celles des principales puissances européennes en second lieu,
celles d’autres pays désormais, ont connu plusieurs ruptures
capacitaires à l’aune des progrès de la technologie :

• la généralisation de la frappe de précision (de l’ordre du mètre)


grâce aux armements guidés par laser et/ou GPS. Outre
l’amélioration de la qualité des effets, elle contribue au principe
d’économie des forces ;

• la frappe à très longue portée avec les missiles de croisière ;

• la furtivité, principalement radar, qui limite les capacités de


détection adverse et donne un temps d’avance dans la manœuvre
aérienne ;

• la mise en réseau des aéronefs et des centres d’opérations. Elle


permet une plus grande flexibilité des opérations aériennes,
autorisant notamment le ciblage dynamique des objectifs fugaces ;

• la polyvalence des avions de combat, qui deviennent également


des capteurs de renseignement, voire avec la nouvelle génération
(F-35) des nœuds de contrôle tactique des opérations ;

• le recours aux drones qui limite l’exposition des pilotes et


démultiplie le temps de présence dans le ciel (plusieurs heures,
voire jours) et partant de là, les capacités de surveillance et de
frappes d’opportunité. Ces systèmes téléopérés sont en effet avant
tout dédiés au renseignement mais les drones armés connaissent
un développement croissant (émulation du modèle américain avec
des drones bas coût analogues au Predator ou mini-drones armés
qui émergent ces dernières années entre les mains d’acteurs non
étatiques).
Cette puissance aérienne, d’inspiration américaine, se heurte à des
dispositifs de défense antiaérienne et électronique de plus en plus
étoffés, d’inspiration russe, dont les moyens de détection limitent
les avantages de la furtivité, dont certains missiles atteignent des
centaines de kilomètres de portée quand d’autres sont en mesure
d’abattre les munitions guidées. Pour surclasser ces défenses, trois
réponses se dessinent, qui façonneront l’avenir de la puissance
aérienne : la vélocité grâce aux missiles hypersoniques (dépassant
Mach 5) au moins aux États-Unis, en Russie et en Chine ; la
saturation grâce aux munitions « bas coût » et aux essaims de
drones ; enfin la paralysie du C2 adverse avec le recours croissant à
l’attaque électronique et l’émergence de la guerre cyber au niveau
tactique.
Florence Gaillard-Sborowsky

L’espace extra-atmosphérique
L’espace extra-atmosphérique est un milieu aux
caractéristiques physiques très particulières induisant des
contraintes spécifiques. D’un point de vue militaire et
stratégique cela suppose de penser les conditions
particulières de mise en valeur, d’occupation et
d’utilisation par rapport aux autres milieux (terre, mer, air,
mais aussi lieux hostiles : fonds sous-marins, etc.).
L’ espace est caractérisé par une vocation planétaire, qui en fait
un lieu d’expression géopolitique et d’enjeux stratégiques
majeurs : enjeux économiques et industriels de par son utilisation
massive et permanente dans nos sociétés contemporaines ; enjeux
militaires par la nature des technologies développées et utilisées
comme par les potentialités qu’il offre (surveillance, détection,
communications, armes spatiales…) ; enjeu symbolique car vecteur
d’une image de modernité et de maîtrise des hautes technologies ;
enjeux diplomatiques en raison des problématiques sécuritaires lui
étant associées et de l’image de puissance que son occupation
confère.

Les « forces en présence »


La croissance de l’utilisation de l’espace depuis 1957 est rapide.
Onze puissances spatiales disposent de capacités opérationnelles
de lancement orbital mais surtout le nombre de pays propriétaires
de satellite ne cesse d’augmenter (plus d’une centaine). Les
dépenses publiques mondiales pour le spatial sont de plus de
70 milliards de dollars, soit environ 6 % du budget mondial de R&D
très inégalement réparti selon les États. En 2018, 1 886 satellites
sont opérationnels sur les plus de 8 500 satellites lancés dans
l’espace circumterrestre depuis 1957 dont environ un tiers sont
issus de programmes militaires (plus de 400). Si une vingtaine de
pays possèdent des satellites militaires, les États-Unis ont une part
largement prédominante puisqu’ils concentrent 80 % des
utilisations militaires de l’espace avec un budget spatial total
représentant 60 % des budgets spatiaux mondiaux.

L’évolution des questions spatiales militaires


Historiquement liées aux préoccupations de sécurité et de défense,
les années quatre-vingt-dix marquent un tournant dans la « course »
à l’espace sous l’action combinée de plusieurs causes : fin de la
guerre froide, nouveaux acteurs étatiques émergents. Le
phénomène s’est accru depuis 10 ans avec l’irruption en force des
acteurs privés sur la scène spatiale mondiale, la multiplication des
applications civiles et commerciales et les nouveaux usages de
l’espace (véhicules de services en orbites en projet notamment).

Sur le plan militaire, la part de plus en plus prépondérante des


systèmes spatiaux conduit à ce qu’ils ne soient plus seulement un
« multiplicateur » de forces mais un élément essentiel de la
conception et de la conduite des opérations. Si l’espace a eu un
rôle stabilisateur pendant la guerre froide (estimation des capacités
adverses, vérification du respect des traités de limitation des
armements), l’idée qui tend à s’imposer depuis le début des années
2000 est que l’espace, comme n’importe quel autre milieu, est
appelé à devenir un champ d’affrontement direct pour la puissance
y compris dans sa dimension militaire opérationnelle. Il ne s’agit
plus dès lors d’envisager uniquement de combattre depuis l’espace
mais également de combattre dans l’espace. Cette posture est
aujourd’hui principalement tenue par les États-Unis dont la
suprématie spatiale crée paradoxalement une perception de
vulnérabilité accrue conduisant à une évolution de sa doctrine
militaire. Passant d’un concept d’espace « sanctuarisé » aux
concepts de « space control » et « space dominance », elle affiche
trois volets complémentaires : la surveillance de l’espace permettant
l’identification précise de chaque objet en orbite, la protection
passive et le durcissement des satellites, et enfin la mise au point de
moyens sol et spatiaux visant à « dénier à une force hostile toute
utilisation de l’espace en cas de besoin ». De manière
complémentaire, la constitution d’un corps d’arme spécifique, une
« Space Force » est annoncée à l’été 2018. Cette situation
largement asymétrique peut pousser les autres acteurs à s’engager
dans la même voie, alors même qu’ils la dénoncent et qu’elle ne
représente pour eux que des inconvénients dans la mesure où la
faiblesse de leurs moyens spatiaux propres ne la rend pas
indispensable, qu’elle est coûteuse et qu’elle officialise la légitimité
de l’approche américaine qu’ils voulaient initialement empêcher.
Au cœur des préoccupations stratégiques : la sécurité
spatiale
Au-delà de la seule situation des États-Unis, la dépendance accrue
des sociétés contemporaines aux systèmes spatiaux a comme
conséquence stratégique majeure d’inscrire au cœur des
préoccupations de sécurité et de défense la question de la
vulnérabilité des satellites. Vulnérabilité inhérente à la nature
physique de l’espace mais également vulnérabilité aux risques et
menaces d’origine humaine parmi lesquels deux sont
principalement identifiés. D’une part, la multiplication significative
des débris en orbite qui augmente corollairement les risques de
collision avec un satellite. D’autre part, la possible arsenalisation de
l’espace et son corollaire, la guerre dans l’espace.

Protéger les installations spatiales et prévenir toute évolution


pouvant les mettre en danger sont devenus l’un des enjeux clés de
la scène internationale. La préservation de l’environnement spatial
et l’évolution des postures stratégiques et opérationnelles dans
l’espace sont ainsi au cœur de la notion de sécurité spatiale, thème
à l’importance croissante dans les enceintes internationales.

Les conditions de cette sécurité spatiale impliquent de disposer des


moyens d’acquérir la connaissance la plus fine possible de la
situation spatiale. Seuls les États-Unis possèdent aujourd’hui un
système de surveillance globale complet de la situation spatiale,
affichant une volonté relative de transparence via la mise en place
d’abonnements aux données qu’ils génèrent et confortant ainsi leur
hégémonie. Face aux risques futurs et à l’attribution des
responsabilités respectives, la surveillance de l’espace devient
désormais un véritable élément de souveraineté.
Nicolas Mazzucchi

Cyberattaques et cyberconflits
Le cyberespace, s’il n’est pas un lieu de guerre à
proprement parler, est néanmoins devenu ces dernières
années l’un des principaux espaces de conflit. Offrant la
possibilité de se camoufler derrière des identités multiples
et empêchant, pour des raisons techniques, de
juridiquement remonter jusqu’au responsable des faits, il
permet une certaine liberté de manœuvre pour les États et
les organisations non étatiques les plus agressives.

L es attaques menées au travers du cyberespace peuvent cibler


une ou plusieurs des trois couches qui forment ce dernier. La
première est dite matérielle qui regroupe l’ensemble des
infrastructures physiques (câbles, routeurs, serveurs, etc.)
concourant à l’interconnexion. La deuxième couche dite « logique »
comprend l’ensemble des logiciels et protocoles permettant de faire
dialoguer les matériels entre eux et avec les humains. Au-delà de
ces deux couches formant l’architecture technique du cyberespace,
se trouve la couche « sémantique » qui est formée de l’ensemble
des informations qui y circulent. Les différences dans
l’appréhension du cyberespace par les États sont tant un héritage
culturel qu’une présence plus ou moins grande sur telle ou telle
couche. La prégnance des États-Unis et, de manière secondaire,
des pays d’Europe et du Japon dans l’architecture fondamentale du
cyberespace – en particulier les serveurs DNS racine d’Internet et
les câbles sous-marins – oriente ceux-ci vers une approche
technique. D’autres, en revanche, ont des stratégies davantage
fondées sur une combinaison des aspects techniques et
informationnels (Chine) ou plus directement sur l’information
(Russie).

Les modalités des cyberattaques


Trois types d’attaques sont possibles. D’une part les attaques de
sabotage, dont le but est d’empêcher un système de fonctionner. Le
sabotage est une attaque brutale, visible et rapide. Ensuite les
attaques d’espionnage dont le but est de s’introduire dans un
système afin d’y dérober des données. L’espionnage est par nature
de temps long et discret. Enfin les attaques de subversion qui visent
soit à ridiculiser l’adversaire, soit à rallier des gens à sa cause par
ses exploits ou la dénonciation des méfaits de l’autre. La
multiplication des cyberattaques partout sur la planète impose une
prise en compte de plus en plus importante de la cybersécurité au
niveau des États. Le niveau de prise en compte de la menace et,
partant, celui des réponses qui y sont apportées, en termes autant
de doctrines que d’outils de gestion des crises est particulièrement
hétérogène. Les principales puissances sont ainsi celles qui
apparaissent les mieux préparées face aux agressions. En revanche,
il est également patent que ce sont ces pays qui sont les cibles
principales des cyberattaques.

Liberté d’action et effet réel


La dissimulation créée par des conditions techniques (impossibilité
d’attribuer juridiquement) ou organiques (utilisation de faux-nez)
offre aux États une liberté de manœuvre incomparable. Toutefois il
faut souligner que les cyberattaques créent avant tout un effet
perceptuel plus qu’une violence réelle ; aucune cyberattaque n’a à
ce jour causé de morts directs. En ce sens, les actions qui se
déroulent dans le cyberespace s’adressent avant tout au cerveau
humain.
Jonathan-Jay Mourtont et jean-jacques patry

La « privatisation » mondiale de la
sécurité
Depuis le 11 septembre, le marché des Entreprises de
services et de sécurité de défense (ESSD ou Private
Military and Security Companies (PMSCs en anglais)
progresse sur tous les continents, jusqu’en Chine. Les
Nations unies et l’Union européenne y ont recours dans
leurs opérations de maintien de la paix ou de protection de
leurs personnels et infrastructures. Elles sont et resteront
une réalité omniprésente sur l’ensemble des conflits.

Du soutien logistique à l’entraînement et aux missions


de combat au profit des forces occidentales
Au-delà de leur fonction de soutien, un certain nombre d’ESSD
recouvrent des actions de combats dans des zones contestées,
incluant du renseignement multispectre, des interrogatoires de
prisonniers ou encore des actions spéciales. Beaucoup investissent
aujourd’hui le domaine cyber. Bien que l’emploi des ressources
civiles pour mener « une guerre » ne soit pas nouveau, ces
entreprises ont profité de l’ère des forces expéditionnaires pour se
développer à partir de marchés captifs nationaux. La lutte contre la
piraterie a aussi exercé une influence majeure sur leur
développement, incluant un temps la mise en service de navires-
arsenaux privés.
Correspondant à une culture et aux besoins des forces américaines
et de leurs alliés, confrontés à des missions nombreuses et une
baisse tendancielle de leur budget, les ESSD constituent un
complément de ressources capacitaire pour les armées régulières.

Des nouveaux venus dans le « club »


Dans le même temps, l’emploi d’ESSD par la Chine ou la Russie
montre aussi une dynamique « d’auxiliaire » agissant dans l’intérêt
de l’État mandataire. En ce sens, elles renforcent les capacités
d’influence de ces pays et se substituent à des forces
conventionnelles, tout en répondant aux besoins stratégiques de
ces États. Ce fut le cas en 2014 en Crimée, quand une partie des
forces russes engagées sans signe distinctif appartenait à la société
privée moscovite Wagner. La Chine, quant à elle, s’est lancée sur ce
secteur au début des années 2000, en particulier sur le continent
africain, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est pour défendre ses
intérêts économiques et ses ressortissants. En 2009, la modification
de la législation chinoise sur les sociétés de sécurité a dynamisé ce
secteur. L’initiative de « Route de la Soie » ainsi que le terrorisme
auquel est confrontée la Chine entraînera certainement le
développement de cette tendance.

La technologie et le renseignement ; une dépendance


vis-à-vis des ESSD
Le tournant majeur pour le monde du renseignement, comme pour
l’armée, reste l’attaque du World Trade Center. À partir de cet
évènement tragique aux États-Unis, l’externalisation va s’étendre et
devenir une nécessité opérationnelle, pour faire face à l’ampleur de
la tâche que les seuls services existants ne pouvaient remplir.
Environ 70 % du budget dédié au renseignement est utilisé au profit
de contractors. Dans ce contexte, le renseignement de nature très
technique en serait le premier bénéficiaire. La NSA par exemple,
emploie 484 sociétés, notamment dans le domaine de l’innovation.
La National Geospatial Intelligence, de son côté, utilise 14 000
personnes dont 7 000 sont des personnels privés.

Des technologies diverses, drones, avions, systèmes d’armes,


obligent les armées à maintenir une relation étroite avec les
industriels de défense. Mais à mesure que la technologie s’étend et
que les méthodes deviennent révolutionnaires, les armées se
trouvent confrontées à des moyens technologiques d’une telle
avancée, qu’elles deviennent dépendantes des start-ups, des
industriels et des ESSD. Cet essor technologique impose de facto,
une transformation au sein des armées avec le risque d’une perte
d’autonomie et donc de maîtrise.

C’est déjà en parti le cas aujourd’hui, car l’utilisation d’un drone


exige de plus en plus de faire appel à des ESSD. Pour exemple un
Global Hawk nécessite entre 300 et 500 personnels privés pour une
mission de surveillance de 24 heures. Ainsi, pour opérer des
systèmes intelligents, le recours à des personnels privés s’avère
indispensable pour l’armée, puisque certaines expertises ne sont
disponibles qu’à l’extérieur des armées.

Le renseignement
Afin de mieux cerner l’ennemi, ce secteur a nécessité le recrutement
massif de spécialistes parmi lesquels des linguistes, des
spécialistes d’aires régionales ou ethno-culturelles singulières, dont
le savoir-faire ne se trouvait que dans le secteur privé.

Ainsi pour pallier au manque de ressources disponibles en interne,


ces entreprises se révèlent indispensables. Une dépendance et une
asymétrie se créent dès lors que dans la conduite d’une opération,
une armée est subordonnée aux moyens que l’entreprise met à sa
disposition. Une autre vulnérabilité émerge, avec la concurrence des
ESSD vis-à-vis des services institutionnels. En effet, les PMSCs
deviennent attractives, notamment au niveau salarial, par rapport à
leurs homologues gouvernementaux. Par conséquent, de nombreux
cadres expérimentés, des analystes ont fait le choix de rejoindre ces
sociétés, affaiblissant peu à peu la structure des agences
gouvernementales.

La question du contrôle : l’ICoCa et les normes de


certification
Face aux protestations et aux craintes d’exactions commises par
ces sociétés, il fut un temps question de créer un traité international
comme cela avait été le cas pour les mines antipersonnel à Ottawa.
Ainsi est né le « Document de Montreux ». Sentant le danger, les
plus grosses ESSD, avec l’appui des gouvernements anglais et
américain ont investi le processus et l’ont transformé en un club de
discussion de bonnes pratiques : l’International Code of Conduct
Association (ICoCa). L’enjeu : définir des normes de certification des
comportements et des procédures de responsabilité en termes de
formation des personnels ensuite intégrées dans le système des
normes américaines ANSII et internationale ISO. Seules les
entreprises les mettant en pratique peuvent désormais répondre aux
appels d’offres publics américains ou britanniques et des
gouvernements adhérant. Toutefois, le nombre de sociétés inscrites
à ICoCa ne dépasse guère 800 contre des dizaines de milliers
d’autres de plus petites tailles les ignorant. En Europe la volonté de
l’Union est de circonscrire et maîtriser l’activité de ce secteur en
progression. En avril 2014, le concept développé par le Comité
militaire de l’UE au sujet des « contractor support to EU led military
operations », insiste sur l’impossibilité d’externaliser toute activité
inhérente ou constitutive du domaine régalien. Toutefois,
l’intégration d’ESSD au sein de forces militaires traditionnelles est
bien prise en compte.

La France, quant à elle, s’est dotée de la norme ISO 18 788, suivie


d’une loi du 28 février 2017 (2017-258) relative à la sécurité
publique, qui crée le statut « d’agent armé ». Ainsi, ce nouveau
statut propose toute une nouvelle architecture de possibles pour les
sociétés qui offrent de la protection ou du conseil en sécurité à
nombre d’entreprises.

En conclusion, les ESSD sont et seront de plus en plus présentes


pour répondre aux besoins publics et aux besoins privés (ONG,
communautés, entreprises…). La privatisation de la sécurité semble
irrémédiable. Les ESSD sont devenues indispensables comme relais
d’influence pour certains pays et comme soutien pour la conduite
de leurs opérations. Ce processus d’externalisation peut faire
craindre, à terme, une dépendance excessive des armées régulières
à l’égard de ces sociétés.
Stéphane Delory et jean masson

Missiles et antimissiles
Depuis les années 1940, les missiles balistiques font partie
de la panoplie militaire d’un nombre croissant d’États.
Alors que les missiles balistiques à longue portée
(3 000 km et plus) sont généralement réservés à l’emport
d’armes nucléaires, les systèmes de portée inférieure sont
plus systématiquement utilisés pour des frappes
conventionnelles, devenant un élément de frappe tactique
et stratégique de plus en plus courant.
Évolutions contemporaines de la défense antimissile
balistique
La naissance de la défense antimissile est quasiment concomitante
avec le développement des missiles balistiques à capacité
nucléaire. La menace balistique émergente étant alors
essentiellement représentée par des missiles de longue portée de
type IRBM (3 000-6 000 km) ou ICBM (+ 6 000 km), caractérisés par
une très grande vélocité, les premiers dispositifs antimissiles sont
systématiquement des vecteurs associés à ogives nucléaires,
seules capables d’engager ce type de cible.

La défense antimissile apparaît progressivement comme un élément


déstabilisant, susceptible d’éroder la dissuasion et d’inciter à la
frappe préventive. En 1972, sur la base de ce constat, Soviétiques
et Américains décident, dans le cadre du traité ABM, de limiter le
développement de ces défenses. Ceci se traduit dans le traité par
l’autorisation de déploiement maximal de systèmes stratégiques sur
deux sites, pour chacune de deux superpuissances, les systèmes
non stratégiques n’étant pas concernés. En 2002 toutefois, les
États-Unis, confrontés à une menace balistique en provenance des
États proliférants et cherchant à développer des intercepteurs aux
performances supérieures à celles plafonnées par le traité ABM, se
retirent du traité.

Une modernisation constante


Depuis lors, les systèmes non stratégiques, définis comme des
systèmes de défense de point (type PAC-3, Aster 30 ou S-300)
contre les missiles balistiques de courte portée (SRBM, de moins de
1 000 km) ou de défense de zone (type SM-3, THAAD) contre les
missiles de portée plus longue (1 000 à 3 000 km, de type MRBM et
IRBM) connaissent une modernisation constante. Dans un contexte
d’accroissement constant de la précision des missiles balistiques
qui renforce leur utilité opérationnelle en association avec des
charges conventionnelles, les États-Unis, par l’intermédiaire de
systèmes navals ou terrestres, multiplient les déploiements. Ils
assurent ainsi la protection du territoire européen face aux États
proliférants, celle du Japon et de la Corée du Sud vis-à-vis de la
Corée du Nord et celle des États du Golfe vis-à-vis de l’Iran.

États-Unis et Russie restent à ce jour les seuls États à disposer de


capacités stratégiques capables d’engager les missiles
intercontinentaux (intercepteur GBI aux États-Unis et Gazelle en
Russie), la Russie disposant comme les États-Unis de systèmes de
défense de point performants mais restant en retard sur les
systèmes de défense de théâtre. Ces derniers, de type THAAD ou
SM-3 pour les Américains, sont particulièrement complexes à
concevoir. Israël, qui développe sa défense anti missile avec le
soutien financier et technologique des États-Unis est actuellement
le seul État à disposer d’une architecture intégrée couvrant la
totalité du spectre de la menace à laquelle il est confronté, des
roquettes aux IRBM.

Chine et Inde développent leurs propres systèmes anti missiles. Les


essais pratiqués dans ces deux pays restent cependant limités à
l’interception de missiles de 500 à 1 700 km de portée, réalisés
dans des conditions simplifiées. Sur les portées courtes (moins de
500 km), les deux États se reposent essentiellement sur des
systèmes importés d’origine russe, mais certains d’entre eux ont
déjà été reproduits.

À l’exception de la France, qui avec le SAMP/T dispose déjà d’un


système de défense de point performant et escompte développer
une architecture permettant d’engager les MRBM, l’Europe reste
très en retard. Le choix de l’OTAN de déployer une architecture
capable de protéger le territoire européen des menaces
proliférantes a conduit, à partir de 2010, au déploiement
d’intercepteurs américains de type SM-3 autour d’une architecture
terrestre et navale.

Parallèlement, les États du Golfe restent les principaux


importateurs. S’ils s’équipent avant tout de systèmes américains,
leurs marchés s’ouvrent à la Russie. Plus largement, l’acquisition de
systèmes optimisés pour la défense anti missile est devenue une
priorité pour de nombreux États, suscitant parfois des divergences
au sein des alliances, à l’image de l’acquisition de S-400 russes par
la Turquie.

La multiplication des défenses anti-missiles aura un impact majeur,


la grande complexité des architectures générant des dépendances
à l’égard des États qui les maîtrisent, notamment des États-Unis. La
transformation des menaces accroît d’ailleurs le rôle majeur central
par les architectures de détection mais aussi par les systèmes
informatiques et les algorithmes. La défense antimissile est donc un
important vecteur de discrimination technologique qui s’exerce
directement au détriment des États qui investissent insuffisamment
dans l’ensemble des secteurs technologiques permettant son
développement.
Benjamin Hautecouverture

La planète nucléaire
Un instantané de la planète nucléaire militaire mondiale en
2022 indique une forte continuité de cette histoire depuis
l’ouverture à la signature du traité sur la non-prolifération
des armes nucléaires il y a cinquante ans. Dans le détail, il
s’agit d’une réalité mouvante, tiraillée entre des intérêts
contradictoires. Leur exacerbation actuelle illustre que
l’arme nucléaire est bien un facteur déterminant des
relations internationales.

É É
États dotés, États non dotés
Entré en vigueur en 1970, deux années après son ouverture à la
signature, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
(TNP) est aujourd’hui quasiment universel. Il répartit les États de la
planète entre États dotés de l’arme nucléaire (EDAN) et États non
dotés de l’arme nucléaire (ENDAN), les premiers garantissant de ne
pas aider les seconds à l’acquérir, les seconds s’engageant à ne
pas tâcher de les posséder. Ainsi, le TNP chercha en son temps à
acter la fin de l’histoire nucléaire en limitant les puissances
nucléaires à celles qui l’étaient alors, soit les États-Unis, l’URSS, le
Royaume-Uni, la France, la Chine. Cinquante années plus tard, la
planète nucléaire n’a pas beaucoup évolué, indiquant un succès
historique pour le régime de non-prolifération dont le TNP est
toujours la pierre de touche. Aux cinq États historiquement dotés au
sens du TNP se sont jointes trois puissances nucléaires non parties
au traité, que sont Israël – bien que le pays ne se reconnaisse pas
officiellement comme État nucléaire –, l’Inde et le Pakistan depuis
leurs essais nucléaires respectifs de 1998. Par ailleurs la Corée du
Nord, État partie au TNP depuis 1985 comme ENDAN, a annoncé
sa sortie du traité en 2003 et revendique depuis 2012 le statut d’État
possesseur de l’arme nucléaire, ce qu’attestent plusieurs
campagnes d’essais nucléaires menées entre 2006 et 2017. Outre
ces neuf États, la planète nucléaire est également composée, parmi
les ENDAN, d’un certain nombre d’États sous garantie nucléaire
d’un État doté – les États-Unis au premier chef, soit dans le cadre
d’une alliance multilatérale de défense (l’OTAN), soit dans le cadre
d’alliances bilatérales, telles qu’avec la République de Corée et le
Japon.

Prolifération, déprolifération
Cet instantané de la planète nucléaire en 2022 masque une réalité
en mouvement depuis la fin de la guerre froide. Outre quatre
nouveaux États possesseurs, le principal phénomène à l’œuvre
dans les années 1990 fut a contrario une dynamique de « dé-
É
prolifération » qui vit plusieurs États dotés de l’arme nucléaire
choisir alors de s’en défaire. Ce fut le cas de l’Afrique du Sud qui
démantela son arsenal avec la fin du régime d’apartheid ; ce fut le
cas de l’Ukraine, de la Biélorussie et du Kazakhstan dont les armes
entreposées sur leur territoire furent rapatriées en Russie à la chute
du bloc soviétique en Europe de l’Est. Ce n’est donc pas tant un
mouvement de prolifération nucléaire qui caractérise le monde
contemporain qu’un mouvement de recomposition de la planète
nucléaire sur un socle stable depuis le milieu des années 1960.

Un phénomène structurant
Le nucléaire militaire est un facteur toujours pertinent des relations
internationales de sécurité selon au moins trois modalités :

D’abord, il s’agit d’une réalité des politiques de sécurité et de


défense des États dotés et possesseurs qui tous sans exception
entretiennent ou modernisent leurs forces quels que soient leurs
efforts de désarmement par ailleurs réels au moins aux États-Unis,
en France, en Russie et au Royaume-Uni. Cette affirmation
doctrinale de l’arme nucléaire qui se traduit dans les arsenaux des
États est perçue alternativement comme une garantie de sécurité ou
comme un frein au processus de désarmement qui est l’un des
piliers historiques du régime de non-prolifération (cf. page 34).

Ensuite, il s’agit d’une réalité crisogène au Moyen-Orient et en Asie


du Nord-Est dans les années 1990 et depuis les premières années
du siècle. Le lancement de programmes nucléaires militaires dans
plusieurs pays du Moyen-Orient – Irak, Libye, sans doute Syrie – a
été la source de conflits (première et seconde guerre d’Irak par
exemple) ou d’actions de contre-prolifération armée (Israël contre la
Syrie en 2007). Alors que la crise nucléaire qui opposait depuis 2003
la communauté internationale à l’Iran sur la question du caractère
pacifique du programme nucléaire iranien avait trouvé une solution
temporaire avec la signature d’un plan d’action global conjoint en
juillet 2015 entre l’Iran et les E3/EU+3 (Allemagne, France,
Royaume-Uni, Chine, États-Unis, Russie, et Union européenne),
l’administration Trump a décidé au mois de mai 2018 de s’en retirer,
ouvrant une nouvelle séquence de crise avec Téhéran, qui n’a pas
encore trouvé de solution négociée au début de l’année 2023. En
outre, la crise nucléaire ouverte avec la République populaire
démocratique de Corée (RPDC) en 1993 n’a toujours pas trouvé de
solution diplomatique durable, le pays étant désormais réputé être
doté d’une force de dissuasion nucléaire minimale, mais en phase
d’expansion, s’agissant des vecteurs en particulier.

Enfin, le nucléaire militaire est toujours un facteur de puissance qui


explique pour partie la grande stabilité de l’ordre stratégique
mondial depuis trente ans alors même que des dynamiques
concurrentes de multipolarisation du monde sont à l’œuvre.
L’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014 ainsi
que la tentative d’invasion du reste de l’Ukraine depuis la fin février
2022 en sont les formes agressives les plus récentes.

En définitive, la planète nucléaire en 2022 n’illustre pas la réalité


d’un monde proliféré tel qu’on pouvait le craindre au sortir de la
guerre froide mais sans doute celle d’un monde qui peine à sortir
des cadres établis à l’époque.
Emmanuelle Maitre

La dissuasion nucléaire
Neuf pays détiennent des armes nucléaires, dont cinq
puissances reconnues par le traité de non-prolifération
(TNP). Malgré leur statut contesté, ces armes sont
déployées dans l’optique de prévenir des agressions
majeures dans le cadre de doctrines de « dissuasion » : il
s’agit d’être capable, en toutes circonstances, de menacer
un agresseur de dommages inacceptables au cas où les
intérêts « vitaux » du défenseur seraient atteints. Elles
peuvent également offrir un certain prestige aux États qui
en sont dotés, dans leurs relations extérieures ou aux yeux
de leurs populations.

Un « club » de neuf États nucléaires


Pays ayant fait exploser une arme nucléaire avant 1967, les États-
Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine sont des
puissances nucléaires de droit au titre du TNP. L’Inde et le Pakistan
n’ont jamais signé le traité mais ont revendiqué leur statut nucléaire
après des essais conjoints en 1998. En dehors du régime
également, Israël entretient une opacité sur son statut mais est
considéré comme une puissance nucléaire. Avec six essais
nucléaires à son actif et un programme de missiles développé, la
Corée du Nord peut désormais être perçue également comme un
membre du « club » nucléaire. Enfin, cinq États européens
(Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) accueillent sur leur
territoire des armes nucléaires américaines dans le cadre de l’OTAN.

Des arsenaux en évolution


Au total, les neuf pays détenteurs comptabilisent environ 14 500
armes nucléaires, un chiffre désormais stables mais qui cache de
fortes disparités. À partir des dernières années de la guerre froide,
les arsenaux nucléaires ont largement baissé avec de fortes
diminutions dans les années 1990 pour la Russie et les États-Unis,
deux États qui continuent néanmoins de détenir environ 92 % des
armes nucléaires mondiales. Ces diminutions étaient notamment
prévues dans le cadre de la signature de traités bilatéraux de
maîtrise des armements comme le New Start (signé en 2010 et
renouvelé en 2020). La France et le Royaume-Uni ont également
procédé à des diminutions pour arriver à leur niveau actuel. Côté
chinois, nord-coréen, pakistanais et indien, les arsenaux sont en
revanche en progression et en cours de diversification. Au-delà des
chiffres, les puissances nucléaires veillent également à moderniser
leurs arsenaux pour en améliorer les performances, la fiabilité et la
sécurité.

Différentes options pour déployer les armes nucléaires


Les armes nucléaires peuvent être emportées par différents types
de vecteurs aux atouts stratégiques complémentaires. Les
principales puissances, les États-Unis et la Russie, disposent de
Triade, c’est-à-dire de trois composantes distinctes : une force de
missiles embarqués à bord de sous-marins nucléaires, des missiles
intercontinentaux stationnés au sol dans des silos et des armes
pouvant être larguées par des bombardiers. Certains pays ont choisi
de resserrer leurs arsenaux autour d’une ou deux composantes,
comme la France et le Royaume-Uni, en privilégiant les forces sous-
marines qui grâce à leur discrétion sont très difficiles à neutraliser et
peuvent frapper n’importe où sur la planète. D’autres cherchent au
contraire à diversifier leurs vecteurs et à développer des sous-
marins, des missiles de différentes portées et trajectoires et des
bombardiers furtifs. Les armes nucléaires sont généralement
utilisées comme des armes de dissuasion avec la menace de
représailles massives en cas d’agression. Les pays dotés cherchent
donc généralement à augmenter la portée de leurs vecteurs,
garantir leur capacité de pénétration et de survie à une attaque
préventive et atteindre des puissances de destruction élevées
(armes thermonucléaires). Cependant, certains États comme le
Pakistan ont développé des armes dites « non stratégiques », à
courte portée et puissance explosive plus faible, qui pourraient être
utilisées sur un champ de bataille contre des forces armées
ennemies. Toutes les armes nucléaires recensées ne sont pas
opérationnelles et l’on estime que près de la moitié des stocks
possédés sont aujourd’hui en réserve ou en attente de
démantèlement.
Une doctrine adaptée aux défis du xxie siècle ?
Au cours de la guerre froide et dans un monde dominé par deux
superpuissances, la dissuasion nucléaire est souvent considérée
comme un des facteurs ayant prévenu un affrontement direct entre
les deux blocs. Pour répondre aux évolutions du contexte
historique, militaire et technologique, les puissances nucléaires ont
fait évoluer leurs doctrines. Ainsi, on est passé des représailles
massives à la riposte graduée, avec la volonté de préserver un
équilibre stratégique entre les États-Unis et l’URSS et d’éviter toute
attaque par surprise dévastatrice. Déjà contestée au temps de la
guerre froide, la dissuasion nucléaire a pu être décrite comme
anachronique avec l’effondrement du bloc soviétique. De fait, les
menaces ont largement muté après la fin de la guerre froide. Au
début du xxie siècle, la prégnance de nouvelles menaces a pu
interroger sur la pertinence de conserver ces capacités : terrorisme,
cyberattaques, guerre de l’information, accès au spatial… Par
ailleurs, l’émergence de technologies comme les architectures de
défense antimissile ou le développement d’armes conventionnelles
de plus en plus précises, létales et pouvant toucher des cibles sur
des distances intercontinentales a eu tendance à remettre en cause
la centralité de la dissuasion. Le retour de la compétition entre
puissances et les tensions exacerbées par la guerre en Ukraine
tendent à convaincre les puissances nucléaires que la dissuasion
est plus que jamais pertinente dans le contexte actuel.

Pour les neuf pays nucléaires de la planète, les stratégies de


dissuasion se sont adaptées aux défis contemporains selon des
choix différents. Pour la plupart des États dotés, la dissuasion est
une stratégie envisagée dans des circonstances extrêmes. Les
forces doivent pouvoir survivre à n’importe quelle attaque et mener
des frappes de représailles suffisantes pour dissuader n’importe
quel adversaire. La France se singularise par la possibilité offerte au
chef de l’État de mener une frappe d’avertissement devant rétablir
la dissuasion et marquer la détermination de répliquer. D’autres
pays ont marqué leur attachement au caractère défensif de la
dissuasion en adoptant des doctrines de « non-emploi en premier ».
Caractéristiques de l’Inde et de la Chine, ces doctrines nient toute
option d’attaque en premier et s’accommodent d’arsenaux
restreints. À l’inverse, un pays comme le Pakistan s’appuie sur un
arsenal varié incluant des armes de portée et de puissance plus
réduites pour pouvoir dissuader toute attaque conventionnelle de
son territoire. Israël est un cas particulier puisque le pays ne
reconnaît pas posséder d’armes nucléaires et joue donc la carte de
l’opacité.

Enfin, la dissuasion peut être élargie : il s’agit de protéger des alliés


dans le cadre d’alliance formelle, comme dans le cas de du traité de
l’Atlantique Nord, ou de promesses moins explicites. La protection
d’un allié par des armes nucléaires peut requérir des adaptations
dans la doctrine ou la composition des forces. Le cas de l’OTAN est
particulier puisqu’il prévoit des concertations formelles entre alliés
sur la politique de dissuasion menée ainsi que le stationnement
permanent d’armes nucléaires sur le territoire de cinq d’entre eux.
Benjamin Hautecouverture et Elisande Nexon

Maîtrise des armements,


désarmement et non-prolifération
Si la fin de la guerre froide fût marquée par une forte
diminution des menaces nucléaires, les deux premières
décennies du siècle offrent une réalité plus contrastée.
Pour les armes chimiques et biologiques, les attaques en
Syrie, les soupçons de programmes en Corée du Nord ou
les allégations russes visant des laboratoires ukrainiens
ont rappelé la nécessité de préserver les enceintes
multilatérales de concertation. La maîtrise des armements
classiques est par ailleurs en crise en Europe.

Flux et reflux de l’arms control nucléaire


Apogée de la non-prolifération et du désarmement nucléaires sous
formats unilatéral, bilatéral ou multilatéral, les années 1990 virent
entre autres la conclusion du traité d’interdiction complet des essais
nucléaires (TICE, 1996), la prorogation du traité sur la non-
prolifération des armes nucléaires (TNP) pour une durée illimitée
(1995), la mise en œuvre du processus bilatéral américano-
soviétique de réduction des armes stratégiques START (1991-2009),
ou encore le lancement des initiatives unilatérales de désarmement
américaine, britannique et française.
Durant cette période, nombre d’acteurs, Russes et Américains en
tête, avaient déjà anticipé les risques de prolifération issus d’un ex-
bloc soviétique en déliquescence via des programmes conjoints dits
de « réduction de la menace ». La décennie suivante vit un regain
d’initiatives en matière de lutte contre la prolifération en réponse
aux velléités de prolifération nucléaire régionale (Iran, Libye, Syrie,
Corée du Nord, etc.) et à l’émergence de « nouvelles menaces »
telles que le terrorisme nucléaire, les trafics de matières,
technologies et savoir-faire. L’Union européenne (UE), notamment,
adopta sa stratégie de lutte contre la prolifération en 2003. Au
rythme des conférences d’examen quinquennales, le TNP continuait
à entretenir un régime de non-prolifération et de désarmement
dynamique bien qu’en butte à une tension historique entre
engagements de non-prolifération et de désarmement entre ses
États membres.
À partir de la deuxième décennie du millénaire, le processus de
limitation des armements nucléaires est bloqué à presque tous les
niveaux, et certains acquis majeurs de la fin du xxe siècle sont même
remis en cause. Les États-Unis, qui avaient déjà dénoncé le traité
sur la limitation des systèmes de défense antimissile ABM en 2002,
ont décidé en 2019 de sortir du Traité sur les forces nucléaires
intermédiaires (FNI), arguant de ce que la Russie le violait depuis
plusieurs années. En parallèle, la dynamique multilatérale de
négociation de nouveaux instruments conventionnels est
structurellement dans l’impasse à la Conférence du désarmement à
Genève.
Timidement relancée par l’administration Obama en 2010 avec le
traité New START, la maîtrise bilatérale des armements stratégiques
entre États-Unis et Russie est à l’arrêt, même si ce traité a pu être
prorogé pour cinq ans à l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en février
2021. Enfin, si le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN)
est finalement entré en vigueur en janvier 2021, il y a à ce stade peu
de chances qu’il produise des effets stratégiques, aucun des États
possesseurs de l’arme nucléaire ne l’ayant signé ou ratifié.
L’interdiction des armes chimiques et biologiques
La Première Guerre mondiale fut marquée par l’emploi massif
d’armes chimiques. Dès 1918, dénonçant le risque d’une « lutte qui
dépassera en férocité ce que l’histoire a connu de plus barbare », le
Comité international de la Croix-Rouge lança un appel contre
l’emploi des gaz asphyxiants et vénéneux, « innovation barbare que
la science tend à perfectionner, c’est-à-dire toujours plus homicide
et d’une cruauté plus raffinée ». L’horreur suscitée par la guerre
chimique conduisit à l’adoption en 1925 du Protocole de Genève
sur la prohibition d’emploi à la guerre des gaz asphyxiants, toxiques
ou similaires et de moyens bactériologiques (biologiques). S’il
conserve à l’heure actuelle toute sa pertinence, il ne porte
cependant que sur l’emploi de telles armes et la nécessité de
négocier de nouveaux instruments s’imposa progressivement.
La Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines
(CIAB) fut signée en 1972. Les discussions sur la prohibition des
armes chimiques furent relancées après leur emploi pendant la
guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980. Premier traité
multilatéral associé à un régime de vérification contraignant qui
organise l’élimination d’une catégorie entière d’armes de
destruction massive, la Convention sur l’interdiction des armes
chimiques (CIAC) fut signée en 1993. L’absence d’un mécanisme de
contrôle à l’instar de la CIAC constitue une faiblesse en ce qui
concerne la CIAB.
Les menaces non étatiques
Afin que ces instruments de maîtrise des armements et non-
prolifération restent pertinents, il est indispensable de prendre en
compte l’évolution de la menace, en intégrant par exemple la
dimension terroriste ou l’impact des avancées scientifiques et
techniques. Autre composante essentielle de l’architecture de non-
prolifération, la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des
Nations unies vise ainsi à prévenir l’acquisition d’armes de
destruction massive et de leurs vecteurs par des acteurs non
étatiques. Elle impose en particulier aux États de mettre en place
une législation nationale et des dispositifs de contrôle.

L’importance de la coopération et des initiatives


multilatérales
Le dispositif est renforcé par des initiatives et partenariats
multilatéraux, comme le Partenariat mondial du G7 contre la
prolifération des armes de destruction massive et des matières
connexes (PMG7), l’Initiative des centres d’excellence de réduction
des risques NRBC de l’UE ou les régimes de contrôle des
exportations (cf. Groupe des fournisseurs nucléaires, Groupe
Australie sur les biens chimiques et biologiques).

La maîtrise des armements classiques


Après deux décennies fastes, la maîtrise des armements classiques
est en crise en Europe avec la suspension russe de l’application du
traité sur les forces conventionnelles (2007), le retrait des États-Unis
(2020) et de la Russie (2021) du traité ciel ouvert. Cette crise ne doit
pas masquer les réalisations plus universelles du désarmement
classique pour interdire ou limiter des moyens.
Annabelle Livet et Nicolas Mazzucchi

Sécurisation des chaînes


d’approvisionnement énergétique
La demande énergétique mondiale ne cesse de
s’intensifier en raison de l’accroissement des besoins
existants (mobilité, industrie, armée…) et de l’émergence
de nouveaux besoins tel que l’Internet et la numérisation
des sociétés. En plus d’augmenter, la demande en énergie
se diversifie sous le prisme de la transition énergétique en
ajoutant à la demande historique en énergies fossiles (gaz,
pétrole, charbon) – toujours largement majoritaire –,
d’autres types d’énergies.

Une dépendance inévitable


Les énergies fossiles correspondent à des ressources figées et
géographiquement concentrées sous forme de gisements. Des
coopérations et routes se sont formées suivant le point d’extraction
jusqu’aux foyers de consommation en passant par des stations de
raffinage (qui se trouvent fréquemment dans un endroit tiers). Les
flux énergétiques transitent via des routes et infrastructures,
terrestres et maritimes (pipelines, camions, bateaux). Si les
ressources en énergies renouvelables (vent, solaire, biomasse) sont
spatialement davantage disponibles, les technologies utilisées pour
les exploiter sont, elles, dépendantes de métaux plus ou moins
rares tels que le lithium, le cobalt et le palladium dont la répartition
géographique peut se limiter à quelques pays seulement. De ce fait,
tout pays est pour ainsi dire dépendant des ressources fossiles et
minières pour l’essentiel situées en dehors de ses frontières. En cas
de conflit, les risques pour le pays dépendant sont corrélés avec le
degré de diversification de sa chaîne d’approvisionnement. Dans le
cas où la zone d’approvisionnement énergétique serait touchée, il
est plus aisé de trouver des systèmes alternatifs si d’autres routes
et partenariats ont été établis en amont. La guerre en Ukraine et la
rupture d’approvisionnement en gaz, charbon et pétrole en
provenance de Russie – qui assurait 40 % des importations de gaz,
45 % du charbon et 27 % du pétrole pour l’Union européenne –,
démontre la difficulté, en cas de conflit, de trouver des alternatives
suffisantes et rapides pour combler la perte engendrée par cette
interruption. En outre, ce conflit aura rappelé qu’une crise
énergétique a des répercussions immédiates et fortes pour les
industries, se traduisant par de l’inflation, des délocalisations et des
incertitudes pour toute forme d’investissements, surtout pour les
pays dont le modèle économique se fonde sur un coût énergétique
relativement bas qui permet alors de manufacturer des produits à
forte valeur ajoutée dont la production est énergivore (les industries
automobile et chimique entre autres), comme c’est le cas
notamment pour l’Europe centrale. Dans la perspective inverse, le
contrôle, même partiel, de la chaîne d’approvisionnement
énergétique présente un intérêt stratégique considérable et explique
que des États tels que la Chine, Russie et les États-Unis cherchent
à maîtriser l’ensemble de leur chaîne, mais également à influencer
celle des autres pays par le jeu des normes, partenariats et
planifications de routes de transit au niveau international.
Penser la sécurité des nouveaux systèmes énergétiques
Au-delà de l’aspect de dépendance, la transition bas-carbone
bouleverse la structure même des systèmes énergétiques. La
décentralisation des unités de production (parcs solaires et éoliens,
biomasse, etc.) implique de repenser les infrastructures de
redistribution en conséquence. À titre d’exemples, les parcs
énergétiques offshores sont raccordés aux côtes par câbles sous-
marins installés dans les fonds sur plusieurs kilomètres de
distance ; quant à l’hydrogène, il est nécessaire de construire de
nouveaux moyens de transport (gazoducs, bateaux, etc.) adaptés
aux risques de corrosion, ainsi que des stations de conversion afin
de transformer l’hydrogène en électricité et inversement
(technologies PtX). De même, dans un souci d’efficacité de
l’allocation de la production électrique des énergies renouvelables –
non pilotables –, « l’intelligence » des réseaux (smart) ainsi que des
capacités de stockage pour assurer une flexibilité sur le réseau
deviennent essentielles au bon fonctionnement de l’ensemble du
système. Tous ces cas de figure constituent potentiellement de
nouvelles cibles pour tout acte hostile. La vaste cyberattaque de six
terminaux pétroliers dans les ports allemands, belges et hollandais,
début février 2022, a bloqué l’opération de déchargement de barges
pétrolières sur les côtes. Aussi, la cyberattaque du système
électrique de l’Ukraine fin 2015 qui plongea ainsi 225 000 ukrainiens
dans le noir, ou encore le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et
2 en septembre 2022, montrent qu’il serait techniquement possible
pour un pays hostile d’impacter la chaîne sur terre comme sur ses
fonds marins. Durant la guerre en Ukraine, la Russie a d’ailleurs
montré que l’une de ses tactiques d’attaque principale consistait à
cibler les infrastructures énergétiques de l’Ukraine, soit en
cherchant à détruire le réseau électrique du pays, soit en prenant en
otage des infrastructures critiques, à l’instar de la centrale nucléaire
de Zaporijjia.
Des routes de flux en changement
Les évènements géopolitiques en Ukraine ont un impact profond
sur les routes des flux énergétiques transitant vers l’Europe : à
moyen-terme, celle-ci ne pourra sans doute plus s’approvisionner
auprès de la Russie. Les pays européens doivent trouver d’autres
sources d’approvisionnement énergétique et donc des partenariats
alternatifs. Une décontinentalisation des flux devient alors
observable dans le sens où les sources d’importation se trouvent
hors du continent européen et requièrent des routes maritimes
reliant ainsi l’Amérique, l’Afrique voire l’Asie, à l’Europe. Cela vaut
particulièrement pour le gaz (gaz naturel liquéfié, hydrogène) et pour
les produits pétroliers. Parallèlement, les systèmes
d’interconnexions électriques encouragent l’intégration régionale
multilatérale à plus ou moins grande échelle, à l’instar des
interconnexions réseaux croissantes dans l’UE. Malgré cette
interdépendance due aux raccordements réseaux entre les pays, si
l’un d’eux se retrouve en situation de pénurie, ces interconnexions
offrent une plus grande sécurité énergétique, telle une réserve de
capacité de production répartie entre les pays qui se fonde sur les
principes de solidarité entre les États.
Hélène Masson et kévin Martin

Industries et exportations
d’armement
Dans un contexte de hausse des dépenses de défense au
niveau mondial, en particulier en Europe, en Asie et au
Moyen-Orient, les transferts d’armement connaissent une
croissance marquée. Les États producteurs et
exportateurs historiques font désormais face à la
concurrence de nouveaux entrants sur le marché de
l’armement, une situation contribuant à redessiner le
paysage industriel de défense mondial.
Des États clients en quête d’indépendance et
d’autonomie
Au cours de la dernière décennie le marché mondial de l’armement
a connu des mutations substantielles, avec l’entrée de la Chine,
puis plus récemment de la Corée du Sud, dans le premier cercle
des États producteurs et exportateurs d’équipements de défense,
historiquement dominé par les États-Unis et la Russie. De plus, le
nombre de pays aspirant à davantage d’autonomie et
d’indépendance dans le domaine de la conception, de la production
et de l’entretien des équipements de leurs forces armées (Pologne,
Turquie, Brésil, Inde, Corée du Sud, Japon, Australie, par exemple)
n’a cessé d’augmenter. Pour des États en quête d’un leadership
régional et d’une stature internationale, la détention d’une base
industrielle et technologique de défense (BITD) est en effet
considérée comme un facteur de souveraineté et de puissance.
Cette montée en compétences passe par la signature d’accords de
partenariats stratégiques (intergouvernementaux et interindustriels)
et des demandes d’offsets directs (transferts de technologies et de
savoir-faire) lors de la négociation de contrats majeurs
d’équipements (avions de combat, sous-marins, frégates, véhicules
blindés, systèmes de défense aérienne ou encore systèmes de
drones). Exportation et coopération vont ainsi de plus en plus de
pair.

Une consolidation de l’orientation « export » des


entreprises de défense
Une comparaison de la structure des ventes des principaux
fournisseurs européens et américains montre que pour ces derniers
le marché national, également premier marché de défense au niveau
mondial, représente une part dominante de leurs ventes globales
(entre 62 % et 86 % en 2021). A contrario, en raison de l’étroitesse
de leur marché domestique, l’orientation « export » des entreprises
européennes de défense est notable et historique. Ces cinq
dernières années, leurs ventes export ont notamment été tirées par
les contrats remportés dans les domaines aéronautique militaire,
naval et armement terrestre, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie.
Les exigences de contenu local participent également à une
internationalisation toujours plus grande de leurs activités (création
de filiales locales et de coentreprises).
Asie-Pacifique, MENA et Europe, les zones les plus
dynamiques
Sur la période 2017-2021, les États situés en zones Asie-Pacifique
et MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) auront été les plus
dynamiques en matière d’acquisition d’armement, en raison
d’impératifs de modernisation de leur outil militaire et du contexte
géopolitique, au premier rang desquels l’Inde, le Pakistan,
l’Australie, l’Indonésie, la Corée du Sud, le Japon, l’Arabie saoudite,
l’Égypte, le Qatar et les ÉAU.

En Europe, l’année 2022 représente un tournant. Dans le contexte


de la guerre en Ukraine, l’heure est au réarmement. Les dépenses
d’équipement repartent à la hausse et les calendriers d’acquisition
sont accélérés, notamment au nord et à l’est de l’Europe, ainsi
qu’en Allemagne et, dans une moindre mesure, en France. Pour les
États européens se sentant les plus menacés, la priorité est donnée
au respect des objectifs capacitaires de l’OTAN et au renforcement
du lien de coopération défense avec les États-Unis. Déjà fortes
depuis 2018, les positions commerciales des groupes américains en
Europe s’en trouvent renforcées. Avions de combat F35 et F16,
systèmes de défense aérienne PATRIOT, systèmes de lance-
roquettes multiples HIMARS, systèmes de missiles, hélicoptères,
chars lourds, véhicules blindés médians et légers, les ventes se
multiplient, principalement par le biais d’accords de gouvernement
à gouvernement (Foreign Military Sales). En parallèle, les industries
européennes de défense doivent faire face à l’offensive
commerciale sud-coréenne, portée par les deux têtes de pont
industriels Hanwha (systèmes d’artillerie K9 achetés par la Pologne,
la Finlande, la Norvège et l’Estonie) et Hyundai Rotem (chars K2
sélectionnés par la Pologne). En Europe et sur les marchés grand
export, l’offre turque monte également progressivement en
puissance (systèmes de drones, armement terrestre).
Alexandre Taithe

L’environnement et la défense
Qu’elles soient navales, terrestres ou aériennes, les forces
militaires sont profondément ancrées dans leur milieu
respectif. Les changements de l’environnement naturel
modifient à de nombreux égards les pratiques des forces
armées, et ont désormais des conséquences sur
l’essentiel des activités des acteurs de la sécurité et de la
défense : prospective, missions, planification,
consommations énergétiques, conception des matériels…
Une prise en compte progressive
L’environnement naturel a été intégré progressivement par les
acteurs de la sécurité et de la défense. La refonte globale des
doctrines de sécurité après l’effondrement du bloc de l’Est a
conduit à identifier des risques et menaces plus diffus, non
gouvernementaux et non uniquement militaires, dont les aléas
naturels de forte intensité. Parallèlement à ce remodelage des
repères stratégiques, les perceptions de l’environnement ont
également évolué : d’un stock de ressources naturelles nécessaires
à des logiques de puissance ou du simple cadre aux activités
humaines, l’environnement devient une source potentielle
d’instabilités sociales, économiques, politiques pour les États et le
système international. Une série de catastrophes naturelles
majeures depuis 2004 (Indonésie, Nouvelle-Orléans, Japon…), liées
ou non au changement climatique, a confirmé la pertinence des
démarches de sécurisation de l’environnement. Et la mise en
évidence d’un changement climatique global par les publications de
synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC), créé en 1988, a élargi la variété des risques
potentiels liés à l’environnement qui peut affecter la sécurité des
États et la stabilité régionale.

Les conséquences des changements environnementaux pour les


acteurs de la défense ne se limitent pas à la prospective stratégique
(typologie des crises, identification et fréquence des probables
théâtres d’intervention, évolutions possibles des missions). Les
questions environnementales, et notamment climatiques, sont en
effet devenues un enjeu politique, social et économique, objet de
régulations publiques aux répercussions internes et internationales.
Tous les services d’un ministère de la Défense sont ainsi
susceptibles d’être impactés par le changement climatique ou les
politiques publiques qui y affèrent, à l’image de ses activités
« ordinaires » en tant qu’administration, des opérations extérieures,
ou de la conception de systèmes d’armes.
Plusieurs dizaines de ministères de la Défense dans le monde ont
adopté des stratégies climatiques ou de développement durable, à
l’instar des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Finlande, des Pays-
Bas, de l’Australie ou encore du Japon. La France a ainsi établi une
stratégie « Climat & Défense » en 2022. La réduction des
consommations énergétiques et de l’empreinte carbone, la
résilience aux changements environnementaux, le contrôle des
rejets polluants et le démantèlement des matériels, que ce soit sur
leur territoire national respectif ou sur des théâtres extérieurs,
constituent des axes d’action communs à ces différentes stratégies.

Une adaptation des missions, des sites militaires, et des


matériels
Les changements environnementaux en cours pourront conduire à
l’évolution des missions devant être accomplies par des armées.
Qu’il s’agisse de catastrophes (naturelles, accident industriel
majeur…), où l’acteur sécurité/défense est au service en tant que
moyen des autorités civiles, ou de conflits où l’armée est un
protagoniste, nombre de crises se caractérisent déjà par
l’amplification de leur dimension humanitaire (mouvements de
population, privation de l’accès aux services et biens essentiels…).
L’enjeu sanitaire et humanitaire a vocation à être davantage présent
dans les missions forces civiles et militaires, particulièrement en
opérations extérieures. Sur leur territoire national, les forces armées
doivent également se préparer à ces modifications de
l’environnement naturel, car de nombreux sites militaires, qu’ils
soient sur le littoral ou dans les terres, sont exposés à des aléas
naturels d’une intensité et d’une fréquence croissantes.

Si les matériels sont censés fonctionner dans des milieux difficiles,


avec des tolérances allant bien au-delà des variations climatiques
modélisées par le GIEC, les performances de certains systèmes
sont déjà affectées par des modifications de l’environnement naturel
(performances des sonars dans une eau faiblement salée, stockage
de munitions sous de très hautes températures…). L’évolution des
théâtres et des missions pourrait dès lors conduire à de nouveaux
besoins matériels. Les zones d’intervention potentielle esquissées
par les changements environnementaux pourront nécessiter de
développer de nouvelles capacités, par exemple destinées à
l’Arctique (navires à coque renforcée, etc.), ou à la mobilité dans des
zones deltaïques.
Les grands acteurs
Les grands acteurs de la guerre restent
naturellement les principaux États, mais le
paysage stratégique a beaucoup changé depuis
le début du xxie siècle. Les pays occidentaux ne
sont plus les seuls à savoir exploiter au mieux
les évolutions technologiques : la Chine et la
Russie, entre autres, le font aussi, et certains
moyens (cyber notamment) sont de véritables
égalisateurs de puissance. L’Amérique continue
de dominer, notamment du fait d’un réseau
unique de bases et d’alliances – et d’une
dépense militaire inégalée – mais la montée en
gamme des armées d’États émergents, dans un
contexte de moindre appétence des États-Unis
à faire la « police du monde », change la donne.
Dans ce contexte, le nationalisme exacerbé,
voire l’impérialisme, de certaines puissances,
apparaît comme un facteur de déstabilisation.
Parallèlement, les crises et les tensions donnent
un rôle toujours plus important aux acteurs dits
« non étatiques » : organisations non
gouvernementales, sociétés militaires privées,
mais aussi groupes terroristes. Quant aux
organisations internationales (ONU…), leur rôle
dépend généralement du bon vouloir des
grandes puissances.
Philippe Gros

Les armées dans le monde


Depuis la période moderne, les armées permanentes
soldées constituent l’instrument institutionnel basique du
recours à la force de la quasi-totalité des États contre les
menaces pesant sur leur intérêt, voire leur survie. Dans la
période actuelle, l’heure est à l’émergence militaire de bon
nombre de puissances.

Des armées conçues selon des finalités variées


Les instruments militaires des États ne sont pas tous équivalents,
rendant hasardeuses les comparaisons. La nature des modèles
d’armées découle en effet de trois types de finalité stratégique, qui
ne sont pas nécessairement exclusifs, même si l’un d’eux reste
souvent prédominant :

• La finalité, classique, de défense du territoire contre une menace


étatique voisine. Elle nécessite de forts bataillons – donc
généralement un système de conscription – et un volume
conséquent d’armements permettant une manœuvre interarmées à
grande échelle.

• La finalité de la sécurité intérieure, de la lutte contre une


insurrection et/ou des trafics. Le contrôle de zone qu’elle implique
nécessite aussi des effectifs nombreux mais s’accommode
d’équipements plus légers. Elle exige en revanche une forte
intégration avec les autres instruments de l’État.
• La finalité « expéditionnaire » : elle nécessite des capacités
humaines et techniques pointues de projection de puissance
aérienne et navale et de forces terrestres coordonnées par des
moyens de commandement sophistiqués permettant de mener des
opérations interarmées à grande distance du territoire.

Les « émergences militaires » génèrent un étalement du


spectre capacitaire
Le paysage militaire mondial reste largement dominé en budgets et
en capacités par les forces américaines (cf. p. 48-49), archétype du
modèle expéditionnaire. Les armées européennes, qu’elles relèvent
de ce modèle ou soient tournées vers la défense territoriale,
maintiennent des savoir-faire pointus mais ont été réduites à la
portion congrue par les « dividendes de la paix » et peinent à
moderniser leurs capacités.

La période actuelle est a contrario marquée par « l’émergence


militaire » de bon nombre d’autres États ; qu’ils entendent contester
la supériorité occidentale, affirmer leur statut de puissances
régionales ou encore s’inscrire dans des dynamiques de
tensions/proliférations régionales. L’émergence peut se définir
comme le développement d’une volonté, l’articulation d’une
stratégie et/ou l’acquisition de capacités militaires (ou paramilitaires)
permettant à l’acteur considéré d’affecter, de façon réelle ou
potentielle, la situation stratégique de son environnement régional
voire de l’environnement mondial. Les réémergences militaires russe
et chinoise sont les plus emblématiques, se traduisant par des
développements capacitaires, certes sélectifs (dans le cas russe)
mais significatifs, dans les cinq milieux. On peut avancer que l’Iran,
la Turquie, l’Arabie saoudite, les ÉAU, l’Algérie, l’Inde, le Vietnam, le
Japon ou encore le Brésil connaissent, à des degrés divers, une
émergence militaire réelle.

Sur le plan tactique et technique, la modernisation de ces modèles


de défense territoriale ou expéditionnaire s’inscrit largement dans la
lignée des conceptions opérationnelles des armées américaines,
comme la numérisation des forces, le recours aux armements
guidés de précision, alimenté par la diffusion de technologies
développées dans le monde civil. Ils peuvent tenter en parallèle, à
l’image des Russes, de développer des contre-mesures contre ce
type de systèmes de force.

Cette émergence ne touche pas uniquement les États. L’une des


caractéristiques du monde « post-westphalien » qui émerge sous
nos yeux réside en effet dans la multiplication de forces armées
mises en œuvre aussi par des acteurs de violence non étatiques,
émulant en partie les organisations, modes d’action et équipements
(missiles, drones, etc.) « conventionnels » des armées étatiques.
C’est l’une des manifestations de « l’hybridité » c’est-à-dire d’un
certain effacement des distinctions capacitaires classiques.
À É
À l’autre bout du spectre, de multiples États, plutôt centrés sur la
sécurisation de leur espace intérieur, ainsi que la plupart des milices
paramilitaires, peuvent difficilement financer de tels efforts. Au final,
on assiste donc à une poursuite de la tendance séculaire à
l’étalement du spectre capacitaire dans lequel les procédés toujours
plus sophistiqués de guerre cyber-électronique et spatiale
continueront encore longtemps de côtoyer les inusables pick-up et
Kalachnikov.
Jean-Jacques Patry et Philippe Gros

Les acteurs armés non étatiques


L’évolution des sociétés s’accompagne d’une
paramilitarisation diffuse plus ou moins prononcée.
L’autonomisation des individus et des groupes humains
rendue possible par les technologies contemporaines des
transports et des communications participe à une
segmentation des corps sociaux partout où les institutions
sont fragiles ou inexistantes. Quand l’État ne protège pas,
la famille, le clan, la tribu, le privé et les armes le font.

Survivre au xxie siècle : des armes, des hommes, un


territoire
Les « groupes armés » ne sont pas une innovation du xxie siècle,
mais plutôt la réaffirmation d’une réalité tangible politique et
internationale. L’organisation politico-sociale des États-nations n’est
qu’une forme d’agencement des sociétés humaines, certes
dominantes depuis la fin du xviie siècle, mais en reflux depuis le
milieu du xxe car trop coûteuse à entretenir à l’ère de la
mondialisation. La pacification des relations humaines par le
« monopole de la violence interne et externe » de l’État n’a pas
effacé des liens alternatifs que sont lignages, sang et culture. Ils
s’affirment partout où les institutions sont inexistantes, inefficaces
ou perçues comme illégitimes. Y compris dans les États
fonctionnels. Les groupes armés sont la norme et non l’exception
en Afrique, en Amérique du Sud et du centre, au Moyen et Proche
Orient. Ils existent aussi en Asie, aux États-Unis et percent en
Europe de l’Est et en Méditerranée.

Ces groupes organisent un territoire géographique : la zone


autonome temporaire (ou ZAT) et tentent d’exploiter ou d’en
développer les ressources à leur profit. L’idée de ZAT est née des
écrits d’un auteur libertaire, Hakim Bay, en 1997. Elle correspondait
à l’origine à une pratique très libre d’établissement de contrat social
hors institutions d’État sur un territoire et à un instant donné.
Depuis, la ZAT est devenue d’usage général et s’adapte bien à des
sociétés segmentées organisées selon des liens communautaires
(claniques ou tribaux) ou en guerre civile (Libye, Égypte/Sinaï, Syrie,
Irak, Yémen, Afghanistan…). Les environnements urbains dégradés
comme les favelas ou les bidonvilles des grandes mégalopoles
mondiales lui sont propices. Dans ce cas, il s’agit de systèmes
autorégulés par les habitants et servant d’appui et de sanctuaire
aux activités criminelles des gangs. La ZAT peut donc à la fois
constituer un projet politique et une pratique empirique de survie et
de développement.

De l’asymétrie à l’hybridité
Une tendance lourde à la paramilitarisation des groupes est
observée depuis un quart de siècle. Les groupes engagés dans les
conflits et les guerres civiles de la décennie 2000-2010 sont équipés
comme leurs aînés des années 1970 avec des armes légères et de
petits calibres (fusils d’assaut, lance-roquettes, mortiers légers,
mitrailleuses légères et lourdes sur véhicule). Le type d’opération
menée joue sur donc sur l’asymétrie contre des forces régulières
plus puissantes par des actions de harcèlement (guérilla, terrorisme)
qu’il faut contrer par des stratégies de contre-insurrection ou miser
sur des tactiques d’évitement (Improvised Explosive Devices – IED)
difficiles à contrer. Les organisations les plus dynamiques dans
l’exploitation de leur ZAT sont en mesure d’accéder au stade de
proto-État et de détenir des capacités équivalentes à des forces
régulières (Tigres Tamoul au Sri Lanka avant leur destruction, Farc
en Colombie, Hezbollah au Liban Sud, Daech en Syrie et Irak…).
É
Avec l’aide de diasporas et d’États parrains, elles disposent
d’équipements lourds détournés ou achetés, ont accès aux
technologies de la précision (obus guidés, missiles de toute portée),
sont capables d’innover en termes techniques (drones
d’observation et d’attaque, guerre électronique rudimentaire) et
maîtrisent le combat de rencontre de type conventionnel ou en
milieu urbain (guerre de siège). Elles soutiennent leurs actions par
de solides campagnes d’influence (médias, réseaux sociaux, cyber)
et offrent ainsi un profil hybride, mêlant capacités de combat
conventionnel et non conventionnel à partir d’un territoire contrôlé
et exploité en termes de ressources et de population. Certaines
servent d’auxiliaires à des États dans leurs luttes indirectes et
bénéficient de meilleurs équipements et formations (Hezbollah et
Iran en Syrie…). Elles deviennent de ce fait des interlocuteurs
politiques incontournables.

De la Mauritanie à l’Afghanistan, les groupes armés sont les types


d’organisations en guerre les plus répandues. Elles le resteront. Une
fois constitués, ces groupes ne se dissolvent pas d’eux-mêmes ;
l’accaparement des armes donne accès aux ressources et
notamment celles du crime organisé ; un monde urbanisé et en mal
de gouvernance est très profitable à ces groupes qui investissent
ensuite les organismes publics et privés et subvertissent les
institutions locales. Ils ne peuvent être réduits que par un État
puissant et décidé à les éliminer et plus sûrement par leurs rivaux.
Le conflit est donc un moyen normal de perpétuation.
« Swatisation » mondiale des forces de police et irruption
des forces armées dans la sécurité intérieure
Face à l’irruption de modes d’action paramilitarisés généralisés,
comme des attaques terroristes de masse (attaques de Beslan en
Russie, d’In Amenas en Algérie, guerre des hôtels en Afrique de
l’Ouest ou en BSS, guerre des gangs en Amérique latine), les
appareils de sécurité évoluent tendanciellement vers une
« militarisation » accrue de leurs capacités. On assiste ainsi à une
« swatisation » des forces de police, sur l’exemple américain des
années 1960. Ces unités équipées comme des sections d’infanterie
de combat, soutenues par des véhicules blindés et des hélicoptères
d’assaut, équipées de systèmes de commandement et de
communication sécurisés, se spécialisent dans la lutte contre les
groupes armés de toute nature, incluant les gangs urbains et les
narcos. Parallèlement, les forces armées régulières, ou ce qu’il en
reste, dans des États faibles s’investissent dans la sécurité
intérieure et le maintien de l’ordre. Il se crée ainsi un continuum
défense-sécurité, essentiellement en milieu urbain. Les deux
peuvent alors coopérer non plus pour rétablir une gouvernance
d’espaces perdus par les institutions, mais plutôt pour mener des
raids fugaces et brutaux de neutralisation ou de punition contre des
« sanctuaires » de groupes criminels et rebelles : le cas des
épurations épisodiques des favelas brésiliennes offre un parfait
exemple de ce qui s’annonce dans les mégalopoles mondiales.
Nicole Vilboux et Philippe Gros

La puissance militaire américaine


L’appareil militaire américain reste, de loin et pour encore
longtemps, le plus puissant au monde, ce dans tous les
milieux. La suprématie dont il jouissait après la guerre
froide n’est cependant plus. Les réémergences russe et
chinoise incitent les stratèges américains à renforcer à
nouveau l’effort de défense pour conserver un leadership
qu’ils considèrent menacé.

Organisation de l’appareil de défense et niveau de


l’effort
Fortes d’environ 1,3 million de militaires d’active et 816 000
réservistes (la plupart en unités constituées de la réserve et de la
garde nationale de chaque État) en 2018, les forces armées
américaines se répartissent en cinq services, placés sous l’autorité
d’un secrétaire à la Défense civil, qui dirige le Department of
Defense (DoD) le plus important ministère du gouvernement
américain, en termes d’effectifs comme de budget. En consacrant
annuellement désormais plus de 800 milliards de dollars, soit
environ 3,6 % de leur PIB à la défense nationale, les États-Unis sont
en tête du classement mondial des dépenses militaires. L’effort
budgétaire se poursuit à un rythme soutenu sur les cinq prochaines
années. Il vise à rendre aux États-Unis la supériorité militaire affaiblie
durant la dernière décennie par la prolongation des guerres contre
le terrorisme et les mesures de réduction du déficit fédéral.

La stratégie de défense
Si la diplomatie et la coopération internationale sont d’une grande
importance dans la sécurité des États-Unis, cette dernière repose
toujours principalement sur l’entretien d’une puissance militaire
inégalée, destinée à protéger le territoire national et à dissuader
toute agression contre les intérêts américains et les alliés. Après une
dizaine d’années d’adaptation à la contre-insurrection et au contre-
terrorisme, le DoD s’est réorienté progressivement à partir du début
de la décennie 2010 vers la préparation de conflits plus
conventionnels, cette dernière devenant clairement prioritaire à
partir de 2014. En cause, la réapparition de puissances militaires
équivalentes, en premier lieu la Chine et secondairement la Russie,
dont les ambitions « révisionnistes » sont identifiées par les
stratégies de sécurité de 2017 et 2022 comme les menaces
principales à l’ordre international. Sur le long terme, la « compétition
stratégique » avec la Chine pour le leadership mondial est le
déterminant principal de cette stratégie de sécurité américaine. Le
concept principal la structurant est celui de la dissuasion intégrée
(Integrated Deterrence) combinant dispositifs nucléaire,
conventionnel, informationnel (etc.), en mesure de dissuader les
velléités agressives de Pékin et Moscou sur l’ensemble du spectre
de la conflictualité. Les stratégies de défense (National Defense
Strategy, NDS) de 2018 puis de 2022, confirment donc la priorité à
la reconstitution des capacités de combat. Cela implique de
reprendre la modernisation des équipements à court terme et de
soutenir l’investissement dans les technologies jugées décisives
pour l’avenir : systèmes autonomes et intelligence artificielle, armes
hypersoniques, armes à énergie dirigée, forces spatiales, etc.
L’insertion rapide de ces technologies, souvent civiles, dans les
capacités militaires est devenue aussi une obsession des hiérarques
du Pentagone et des parlementaires. Sur le plan des concepts, les
Américains envisagent un espace de manœuvre étendu dans lequel
leurs forces terrestres, aériennes, navals, spatiales et cyber doivent
gagner en efficacité en intégrant mieux leurs actions, y compris au
niveau tactique (concept de Joint All Domain Operations), et en
résilience, en particulier avec la dispersion (Distribution) de leurs
dispositifs.
L’emploi des forces
Environ 200 000 militaires et civils de la défense américaine étaient
déployés à l’étranger et en mer en septembre 2022. Après les
grandes campagnes de contre-insurrections post-11 septembre
2001, en Irak et en Afghanistan qui ont beaucoup usé cet appareil
militaire, l’interventionnisme américain est dans une période de
rétractation structurelle, au moins dans les intentions. De fait, les
crises internationales ont régulièrement amené Washington à
réengager ses forces : destruction de l’emprise de l’État islamique
en Irak et Syrie au milieu de la décennie, poursuite des opérations
spéciales contre les djihadistes au Moyen-Orient et en Afrique. Alors
que les États-Unis désengageaient leurs forces d’Europe il y a dix
ans, l’annexion de la Crimée par la Russie les a poussés à renforcer
à nouveau leurs déploiements par rotation en Europe dans le cadre
de l’OTAN, des déploiements qui se sont nettement accentués dans
le contexte de l’invasion russe en 2022. En raison de ces crises, le
« rééquilibrage » sur l’Asie-Pacifique pour faire face à la Chine s’est
plus traduit par une modernisation des capacités que par un
accroissement massif du volume de force déployé.
Bruno Tertrais

Le nouveau « théâtre » européen


L’Europe est de nouveau un « théâtre » de confrontation.
Le face-à-face n’est plus celui de la guerre froide. La
défense de l’Europe est assurée par l’OTAN, qui dispose
d’une supériorité globale vis-à-vis de la Russie, mais celle-
ci dispose localement d’un potentiel militaire important.
L’Union européenne a entamé, depuis le début des années
1990, une coopération visant à lui donner une plus grande
autonomie et compléter les missions de l’OTAN. Tous les
pays européens augmentent leurs budgets de défense,
avec pour objectif qu’ils atteignent 2 % du produit intérieur
brut.

L’OTAN
L’OTAN est l’organisation militaire de l’Alliance atlantique. Ses
forces restent, en temps de paix, sous commandement national.
Les seules opérations permanentes de l’OTAN sont la police du ciel,
la défense antiaérienne et la surveillance maritime. Elle est
organisée en deux « grands commandements ». Le plus important
des deux est en Belgique (Mons) : le commandement suprême des
forces alliées en Europe, un officier américain, à la charge de la
défense du continent. Aux États-Unis (Norfolk), le commandement
de la transformation prépare les forces aux engagements du futur.

L’OTAN a été conçue comme une organisation dédiée à la défense


collective, et le traité de l’Atlantique Nord (article 5) prévoit que ses
membres se doivent assistance en cas d’agression dans la zone du
traité. Cette clause a été activée après le 11-Septembre.

L’Alliance atlantique a accueilli treize nouveaux membres depuis la


fin de la guerre froide, des États d’Europe centrale et orientale
soucieux de leur ancrage dans l’ensemble occidental et désireux
d’échapper à la tutelle russe.

Si les 30 membres de l’OTAN siègent sur un pied d’égalité au


Conseil de l’Atlantique Nord et qu’aucune décision ne peut être
prise en l’absence de consensus, l’organisation fonctionne dans les
faits sous leadership américain. Les États-Unis fournissent
l’essentiel des moyens de l’organisation, ce qui a toujours conduit
Washington à exiger un « partage du fardeau » plus homogène.

Dans les années 1990 et 2000, l’OTAN a conduit des missions de


soutien de la paix (Balkans, Afghanistan). Depuis 2014, et surtout
depuis 2022, l’OTAN s’est recentrée sur sa mission première de
défense à l’Est. Au sommet de Madrid, en juin 2022, les Alliés ont
décidé d’adapter en profondeur la posture militaire de l’Alliance,
convenant notamment de muscler les dispositifs de défense de
l’avant, de porter au niveau brigade les groupements tactiques
déployés dans la partie orientale du territoire de l’Alliance, de
transformer la Force de réaction de l’OTAN ainsi que d’amener à
plus de 300 000 soldats les effectifs des forces à haut niveau de
préparation. Il s’agit là du plus vaste remaniement de la posture de
dissuasion et de défense collective depuis la guerre froide. L’OTAN
ne participe pas au conflit ukrainien : l’assistance occidentale à Kyiv
est de la responsabilité des pays membres.
L’Union européenne
Depuis le début des années 1990, l’Europe procède, par petites
touches, à l’édification d’instruments communs de défense et de
sécurité. Le traité de Lisbonne (2007) comprend une clause
d’assistance mutuelle (invoquée par Paris en 2015) et une clause de
défense mutuelle. L’Union a également mis en place des
groupements tactiques inter-armées, unités de 1 500 hommes
pouvant être déployées sous 10 jours.

Il ne s’agit pas de remplacer l’OTAN : les pays de l’Union qui en


sont membres ne le souhaitent pas et ceux qui sont neutres ou non
alignés ne veulent pas d’une alliance militaire. Il s’agit de la
compléter en menant des actions de prévention des conflits,
d’assistance humanitaire, de maintien de la paix et de
reconstruction de l’État. L’UE a ainsi réalisé 34 opérations depuis
2003. En 2018, 17 étaient en cours (dont 6 missions militaires). L’UE
dispose de toute la gamme des moyens de gestion des crises. Mais
la plupart des États membres restent réticents à l’idée d’engager
l’Europe de manière autonome pour des missions importantes et
certains craignent d’affaiblir l’OTAN.

La dégradation du contexte international, le départ du Royaume-Uni


– 20 % des capacités de défense de l’Union, voire plus dans
certains domaines : drones, AWACS, avions ravitailleurs… – et les
incertitudes sur l’avenir de la politique américaine ont conduit les
membres de l’Union à passer la vitesse supérieure. L’UE s’est dotée
d’une capacité de planification. Elle a mis en place un Fonds
européen de défense et activé la Coopération structurée prévue par
le traité de Lisbonne. La France a lancé une Initiative européenne
d’intervention réunissant dix pays et visant à accroître la capacité à
intervenir des pays volontaires. De leur côté, neuf pays du nord de
l’Europe, emmenés par le Royaume-Uni, ont constitué une Force
expéditionnaire commune. L’objectif d’une « défense commune »,
inscrit dans les traités, a peu de chances d’être réalisé tant que
l’OTAN sera considérée comme une organisation crédible.
Philippe Gros

La défense en France : stratégie,


budget, équipement
Dans un contexte d’aggravation des facteurs de
déstabilisation, de prolifération capacitaire et de retour du
risque de conflits armés et de haute intensité, la stratégie
de défense de la France reste fondée sur les constantes
de la préservation de l’autonomie stratégique et du
maintien d’un modèle d’armée complet, dont le
financement doit en théorie permettre de réaliser une
modernisation et un épaississement impératifs.

La stratégie de défense de la France et la stratégie capacitaire de


ses armées sont codifiées, en début de mandat du nouveau
président (depuis 2008) par une double production : un document
donnant les grandes orientations de cette stratégie et une loi de
programmation militaire (LPM) précisant le modèle d’armée, son
financement et ses programmes d’équipement pour les cinq ans à
venir. Ainsi, cette stratégie de défense est en cours de redéfinition.
Ses grands axes ont été fixés par la Revue nationale stratégique de
2022 (et une nouvelle LPM 2024-2030 est en cours de préparation.
La France se veut une puissance d’équilibre dans un
environnement stratégique toujours plus menaçant
La revue stratégique de 2022 confirme les menaces et risques
identifiés depuis le Livre blanc de 2013. Elle décrit « le durcissement
de la compétition stratégique, la fragilisation des outils de
l’architecture de sécurité collective, les effets des postures
d’intimidation ou des stratégies agressives, mêlant modes d’actions
militaires et non militaires, manipulation de l’information, voire
menace nucléaire à fins d’intimidation (…) la désinhibition de
puissances globales et régionales poursuivant des agendas
révisionnistes et des politiques militaires opportunistes » mais aussi
« la tendance aux replis isolationnistes ou identitaristes » mais aussi
« la persistance de la menace terroriste » ou encore les impacts du
changement climatique. Le chef d’état-major des armées considère
ainsi que la défense française doit s’adapter à un triptyque de
conflictualité « compétition-contestation-affrontement ». La Russie
avec l’invasion de l’Ukraine serait passée à une logique
d’affrontement. En bref, l’appréciation de situation stratégique
française ne diverge guère de celle de ses partenaires, notamment
des États-Unis. Dans ce contexte, la revue stratégique estime que la
France en 2030 doit constituer une « puissance d’équilibres sur la
scène internationale », « un des moteurs de l’autonomie stratégique
européenne » notamment grâce à une « défense européenne
crédible complémentaire de l’alliance Atlantique ». En cela, elle ne
rompt pas avec les objectifs des administrations précédentes. Sur le
plan militaire, l’ambition est de pouvoir réaliser une opération haute
intensité « multimilieux /multichamps » (traduction française du
concept américain de Joint All Domain Operations).

Après une LPM de « réparation », une nouvelle LPM de


« transformation »
Contre toute attente, la LPM 2019-2025 présentant une trajectoire
budgétaire orientée à la hausse (1,7 milliard d’euros
supplémentaires chaque année) a été bien exécutée jusqu’en 2023.
Cela étant, il s’agissait de rétablir la disponibilité des forces et de
mener à bien les multiples programmes de modernisation
indispensables au simple maintien des aptitudes opérationnelles
françaises, calibrées surtout pour honorer les contrats opérationnels
de la « situation opérationnelle de référence ». Dans le contexte
actuel, le Président de la République a donc choisi d’accentuer
l’effort budgétaire par une nouvelle LPM 2024-2030, allouant aux
armées 413 milliards d’euros suivant les recommandations de son
ministre de la Défense. Cette LPM, présentée comme
« transformationnelle », se construit sur 4 pivots :

Le renforcement du « cœur de souveraineté » : la dissuasion


nucléaire et les autres postures permanentes, avec le doublement
des crédits alloués au renseignement militaire ;

La « préparation à la haute intensité » : être en mesure de mener


un tel engagement impose un saut capacitaire énorme. Il exige tout
à la fois une poursuite des programmes de modernisation existants,
une préparation opérationnelle interarmées adéquate et
l’accroissement de l’épaisseur des armées en volume d’hommes et
de matériels, par le renforcement significatif des inventaires de
munitions et d’équipements, des réserves opérationnelles, enfin la
transformation progressive vers un modèle d’armées en mesure de
combiner des moyens sophistiqués et d’autres moins capables
mais nettement plus nombreux en mesure de faire masse.

Cette LPM doit aussi introduire plus de rapidité et de flexibilité dans


la modernisation des forces ou dans la montée en puissance des
productions industrielles en cas de conflit (appelée improprement
« économie de guerre ») ;
La « protection de nos intérêts dans les espaces communs » (de
l’espace aux fonds marins) ;

Enfin, le « renforcement des partenariats internationaux » en


particulier avec les alliés européens.

Si l’accroissement des ressources financières est important, celui


des ambitions l’est plus encore. Il n’est ainsi pas certain que les
premières, surtout à l’ère de l’inflation, soient à la hauteur des
secondes.
Philippe Gros

La défense française : l’emploi


des forces armées
Environ 30 000 des quelque 200 000 militaires français
sont en permanence et par rotation déployés sur le
territoire national et dans le monde, dans le cadre de
missions de présence, de souveraineté et d’opérations
extérieures qui font de la France l’un des pays les plus
interventionnistes. Ces forces sont employées depuis une
décennie principalement dans des opérations de guerre.
La fin de l’ère des OPEX ?
Pendant trente ans, les forces françaises se sont concentrées sur
les opérations extérieures. Initialement, les déploiements de ces
troupes étaient avant tout consacrés au maintien ou à l’imposition
de la paix (Balkans, Côte d’Ivoire, Liban, République centrafricaine).
Avec Pamir en Afghanistan, les forces terrestres ont glissé à partir
de 2008 dans une ère majoritairement marquée par les opérations
de guerre contre des adversaires irréguliers, la lutte prolongée
contre Al-Qaida et Daech en zone irako-syrienne (Chammal) et dans
la bande sahélo-saharienne (depuis 2013, Serval puis Barkhane).
Sur le plan opérationnel, ces engagements ont pris majoritairement
la forme d’opérations de contre-insurrection, plus rarement de
manœuvre dans la profondeur. Serval début 2013 ou encore l’appui
aux opérations de guerre urbaine conventionnelle menées par les
acteurs locaux (Irak, 2016).

L’emploi des forces armées reste coûteux, risqué et sensible


diplomatiquement. Il s’effectue en coalition la plupart du temps et
procède d’une logique graduelle : les décideurs recherchent
préférentiellement la stratégie indirecte, qui se traduit sur le plan
militaire par l’assistance et l’appui renseignement aux partenaires
locaux. S’ils s’estiment contraints d’intervenir, ils cherchent à limiter
leur stratégie directe aux frappes aériennes et aux opérations
spéciales. Un engagement plus marqué, au sol, d’appui feu et de
soutien logistique de ces partenaires peut s’avérer nécessaire.
L’emploi d’un dispositif aéroterrestre complet exerçant l’effet majeur
sur l’ennemi n’intervient donc qu’en dernier recours. Compte tenu
des lacunes capacitaires de ces partenaires, qu’elles soient
transitoires (forces irakiennes et kurdes) ou plus pérennes (forces du
Sahel notamment).

La relation avec l’État-hôte est donc d’une importance cardinale. Le


manque d’avancés stratégiques, l’insuffisante légitimité des
autorités locales (qui est plurielle !), la défiance entre ces autorités et
la coalition, le manque de vision de cette coalition ou de consensus
entre ses partenaires sont autant de facteurs qui aboutissent à clore
ces engagements. C’est ce qui se passe actuellement avec
l’opération Barkhane au Sahel dont le président Macron a acté la fin
en novembre 2022, lui préférant le retour à une stratégie indirecte
moins couteuse de soutien aux acteurs locaux qui le souhaitent.

Des OPEX rarement décisives au plan stratégique


Bien que souvent indispensables, ces engagements qui sont en
général efficaces au plan militaire enregistrent rarement des effets
stratégiques décisifs. Les opérations de sécurisation (ex. : lutte
contre la piraterie) ou les frappes de diplomatie coercitive (Syrie en
2018) n’ont pas cette finalité. D’autres remplissent leurs objectifs
immédiats mais peuvent s’avérer à terme déstabilisants (Libye en
2011). Quant aux engagements visant la stabilisation, ils
interviennent souvent dans des États faibles où ses véritables clés,
quand elles existent, résident dans une équation politique locale
que la « communauté internationale » n’est jamais en mesure de
dicter. Trois interventions occidentales semblent avoir eu des effets
pérennes (l’OTAN en Bosnie, les Britanniques en Sierra Leone et la
France en Côte d’Ivoire) car la force a agi pour écarter ou prévenir
un obstacle à un mécanisme de stabilisation politique préexistant.
Plusieurs engagements actuels apparaissent donc par essence
interminables… et malgré tout nécessaires pour contrer un
djihadisme dont les vocations locales et mondiales seraient souvent
liées. C’est typiquement le cas de Barkhane.
L’engagement sur le territoire national
Au titre de la fonction « protection », les forces armées sont
engagées en permanence sur le territoire national. Tout d’abord, la
« posture permanente de sûreté aérienne » et la « posture
permanente de sauvegarde maritime » doivent assurer la protection
de ces espaces et la sécurité des activités. La marine nationale
consacre 25 % de ses activités opérationnelles à ces missions.
L’engagement le plus emblématique a cependant trait à la lutte
contre le terrorisme. Lancée à la suite des attentats de janvier 2015,
l’opération Sentinelle peut solliciter jusqu’à 10 000 hommes de
l’armée de terre. La réarticulation du dispositif en 2018 a permis de
diminuer son impact sur la préparation opérationnelle de ces forces.

La préparation à une guerre haute-intensité


Si les armées françaises sont sensiblement moins engagées en
OPEX, elles se préparent plus activement à une éventuelle
campagne de haute intensité au travers de plusieurs exercices à
grande échelle réalisés en coopération avec les alliés, inédits depuis
la fin de la guerre froide. À noter que le Président de la République a
fixé dans le cadre de la LPM 2024-2030 l’aptitude à projet une force
de 20 000 hommes dans un cadre européen, ce qui ne semble pas
rompre réellement avec l’hypothèse majeur d’engagement actuel.
Isabelle Facon

La puissance militaire russe


Guerre éclair en Géorgie (2008), annexion de la Crimée
(2014), intervention en Syrie, multitude d’exercices de
toutes envergures sur le territoire de la Fédération de
Russie comme en coopération avec des partenaires
étrangers : l’armée russe a fait un retour remarqué sur la
scène internationale depuis le début de la décennie 2010.
La guerre que Moscou a lancée contre l’Ukraine en 2022,
la confrontant au combat de haute intensité, a montré les
limites des réformes qu’elle avait entreprises.
Réhabilitation des outils militaires sous Poutine
La Russie a entrepris en 2008 une véritable réhabilitation de ses
outils militaires. Les conséquences du sous-financement chronique
de l’armée entre 1991 et 2005 s’étaient manifestées, entre autres,
dans ses performances médiocres au cours de la « guerre des cinq
jours » en Géorgie. Le président Poutine s’attache dès lors à
restaurer la crédibilité de la puissance militaire nationale, ce qu’il
voit comme une condition non seulement de la sécurité de la Russie
mais aussi de son prestige sur la scène internationale. S’il est
difficile de faire la pleine lumière sur les dimensions réelles du
budget de défense russe, compte tenu de l’opacité des données et
d’autres difficultés méthodologiques, il est avéré que le
gouvernement lui a alloué une part importante du PIB entre 2010 et
2020 (en moyenne 4 % par an). Cet effort a permis un
renouvellement important de l’équipement des forces armées, une
accélération de la modernisation de la triade nucléaire, une activité
d’entraînement beaucoup plus intense, et une professionnalisation
partielle (en 2020, 405 000 soldats sur contrats vs 200-250 000
conscrits). L’intervention militaire en Syrie a servi de terrain d’essai
en conditions réelles pour de nouveaux équipements et bon nombre
d’officiers russes y ont fait un tour opérationnel.

La politique de défense et les priorités stratégiques de


l’État russe
La réforme lancée en 2008 avait pour principal objectif de permettre
à l’armée russe d’être en mesure de réagir à des crises et des
conflits localisés dans les États voisins, où est concentrée la
majeure partie de ses bases à l’étranger. Concernant la « direction
stratégique Ouest », la Russie, consciente de ce que le rapport de
forces avec l’OTAN ne lui est, sur le papier, pas favorable, fait le
choix de la dissuasion nucléaire et de l’asymétrie : constitution de
« bastions » sur les zones stratégiques les plus exposées, incluant
des éléments d’interdiction d’accès (Crimée, Kaliningrad/Baltique,
Grand Nord), recréation de formations de niveau division,
investissement dans des technologies visant à obérer le
fonctionnement des systèmes adverses (moyens de guerre
électronique par exemple), mais aussi entretien du « brouillard » sur
ses intentions stratégiques et sur l’état de ses capacités, et action
politique cherchant à diviser l’Alliance atlantique.
Moscou entend compenser les limites de sa capacité de projection
de force en équipant ses différentes plateformes navales de missiles
de précision longue portée Kalibr. En parallèle, elle s’est lancée
dans une diplomatie de défense plus active et a renforcé ses liens
militaires avec la Chine.

L’armée russe et la guerre en Ukraine


Si l’intervention en Syrie et, dans une moindre mesure, l’opération
de l’Organisation du traité de sécurité collective menée en janvier
2022 en soutien au gouvernement du Kazakhstan ont signé le
« retour » de la puissance militaire russe, la guerre en Ukraine, la
confrontant à la haute intensité, en a révélé les limites. Limites
humaines (quantitatives mais aussi au plan de la qualité –
commandement, formation, discipline, éthique). Limites matérielles
(budget restreint par rapport à celui des autres puissances militaires
majeures, effet des sanctions sur la production d’armement…).
Limites liées aux caractéristiques du système politique russe –
personnel du haut commandement choisi pour sa loyauté au
pouvoir plutôt que pour sa compétence, corruption endémique dans
l’institution militaire et l’industrie d’armement, etc.

Au-delà de la condamnation internationale presque unanime de son


agression à l’encontre de l’Ukraine, la Russie verra certainement
son aura de grande puissance écornée par l’exposition au grand
jour des failles de son outil militaire, sur lequel s’est fortement
appuyée sa revendication de puissance depuis 2010 au travers des
succès en Syrie et de ses nombreux exercices stratégiques ou en
coopération internationale.
Valérie Niquet

La puissance militaire chinoise


Avec un budget de 250 milliards de dollars en 2022, la
République populaire de Chine est aujourd’hui la deuxième
puissance militaire dans le monde derrière les États-Unis.
Ce budget est en augmentation constante depuis 1989 en
dépit de la fin de la guerre froide et du conflit sino-
soviétique. En termes quantitatifs, l’APL occupe la
première place avec un effectif de 2 millions d’hommes et
l’augmentation constante du nombre de plateformes
navales et aériennes.
Des capacités militaires en progression en dépit d’une
posture défensive
Selon les livres blancs de la défense publiés tous les deux ans
depuis 1998, la Chine reste fidèle à une stratégie strictement
défensive de défense active. De même Pékin, puissance nucléaire
depuis 1964, se réfère au principe de non-usage en premier qui la
distingue des autres grandes puissances nucléaires.

Dans ce contexte officiellement strictement défensif, le


développement des capacités militaires de la République populaire
répond à plusieurs objectifs qui découlent d’une double motivation
stratégique et idéologique. L’armée populaire de libération (APL,
fondée le 1er août 1927) demeure l’armée du parti communiste, sous
l’autorité de la Commission militaire centrale du parti communiste
ayant à sa tête le commandant en chef, secrétaire général du parti
communiste, Xi Jinping. Depuis 2012, ce dernier appelle l’APL à
être « prête au combat ».

L’APL est composée de quatre forces, la force terrestre,


historiquement la plus importante, les forces aérienne et navale,
dont les capacités de projection se sont considérablement
renforcées depuis les années 2000, et la force des lanceurs qui
intègre l’arme nucléaire et l’ensemble des capacités balistiques.
Dans une stratégie qui vise à minorer la dimension « militaire » de
ses actions extérieures, l’APL s’appuie également sur les forces
« civiles » de maintien de l’ordre, avec une flotte de garde-côtes de
plus de 200 bâtiments, la plus importante au monde, et la « milice
populaire », dont la traduction navale mobilise plusieurs milliers de
bateaux de pêche en mer de Chine orientale et méridionale.

L’APL fonctionne sous un système de double commandement du


parti communiste et de la hiérarchie militaire et la formation
idéologique occupe une place importante.
Des missions diversifiées
La première mission de l’APL est d’assurer la survie du régime,
notamment avec le maintien de la stabilité interne, en appui des
forces de la police armée populaire (PAP). Au-delà, l’APL doit
garantir l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale, dans un
espace géographique qui dépasse les frontières internationalement
reconnues de la RPC. La lutte contre le « séparatisme » au Xinjiang,
le possible recours à la force pour imposer la réunification avec
Taïwan, font partie de ces missions. En août 2021, l’APL a procédé
à d’importants exercices interarmes dans le détroit de Taïwan,
destinés à marquer l’opposition de la RPC à la visite de Nancy
Pelosi dans l’île. En dépit de leur caractère impressionnant, avec
plusieurs tirs de missiles survolant l’île, cette manœuvre
d’intimidation n’a pas eu les résultats escomptés. L’affirmation de
puissance en mer de Chine méridionale fait également partie des
« enjeux cardinaux » pris en compte par l’APL.
Au-delà, l’APL, et notamment la marine, dont le développement
constitue une priorité symbolisée par le premier porte-avions
chinois lancé en 2012, suivi de deux autres qui souffrent toutefois
d’un manque de pilotes entraînés, doit protéger les intérêts de la
Chine au service de son développement économique, et participer
au maintien de la paix dans le monde. La Chine est aujourd’hui, en
effectifs, le plus important contributeur aux forces de maintien de la
paix de l’ONU.

Pour renforcer l’efficacité de l’APL, le pays procède depuis 2013 à


d’importantes réformes institutionnelles. Le développement cible les
capacités de projection navales et aériennes, toutes les dimensions
de la guerre de l’information, notamment spatiales et cybernétiques.

La Chine poursuit son développement de moyens nucléaires et


balistiques, l’objectif étant d’accroître la capacité d’interdiction dans
un espace géographique situé à l’intérieur d’une première chaîne
d’îles allant des Kouriles aux Philippines. Dans un contexte
asymétrique face à une puissance américaine garante de la stabilité
stratégique en Asie, la priorité chinoise est de se doter d’une liberté
d’action permettant d’atteindre les objectifs à forte dimension
idéologique nationaliste fixés par le régime, au service de sa survie.
Crises et tensions
Le terrorisme a marqué les premières années du
xxie siècle, et sa forme djihadiste demeure une
menace pour nombre d’États. La décennie 2010
a vu le retour de la confrontation interétatique
en Europe. Mais l’immense majorité des crises
ouvertes et des conflits se déroule, depuis
plusieurs décennies, sur un espace allant du
golfe de Guinée à la mer du Japon. L’Afrique
subsaharienne reste le terrain des guerres les
plus nombreuses. Au Sahel, le sous-
développement et le risque terroriste se
conjuguent pour attirer l’attention. Au Moyen-
Orient, les révoltes arabes ont laissé la place à
une forme de stabilité autoritaire, et à la
dislocation de grands États, avec une violence
endémique, y compris du fait d’interventions
hasardeuses. C’est en Asie du Sud et de l’Est
que les risques de conflits les plus graves
demeurent, avec, notamment, des rivalités entre
États nucléaires, souvent assises sur des
contentieux anciens, sur terre et sur mer. Mais
la quasi-totalité des conflits sont des guerres
civiles, souvent « internationalisées », c’est-à-
dire avec l’intervention d’acteurs extérieurs,
voisins ou grandes puissances.
Jean-Luc Marret

Le terrorisme et les extrémismes


violents
Le terrorisme est un mode d’action davantage qu’une
idéologie : il vise, généralement à partir de moyens « non
conventionnels » et sans égard pour les populations civiles
– quand celles-ci ne sont pas directement ciblées – à
obtenir indirectement un résultat politique sans commune
mesure avec son impact direct, en marquant les esprits
(« terroriser »). Le terrorisme « djihadiste » est l’une des
formes les plus courantes de ce mode d’action dans le
monde contemporain.

Une mouvance divisée


La mouvance djihadiste mondiale est toujours divisée en deux
« communautés d’organisations » concurrentes – Daech (État
islamique) et Al-Qaida. Elle ne dispose en revanche plus d’un
territoire sur lequel elle peut exercer son contrôle et attirer des
militants venant du monde arabo-musulman et des diasporas afin
de permettre le développement d’une nouvelle terre de djihad.

La Syrie pour Daech et l’Afghanistan des Taliban pour Al-Qaida en


étaient hier les meilleurs exemples :

• La Syrie fait l’objet d’une partition/fragmentation de fait, y compris


sous influences étrangères, le gouvernement d’Assad n’est pas
tombé et aussi bien Daech qu’Al-Qaida sont pour l’instant réduits à
la portion congrue, aucune des deux entités n’obtenant pour l’heure
un contrôle durable et réel d’une parcelle de territoire syrien.

• En Afghanistan, les Talibans sont bel et bien en train – sans


surprise – de restaurer leur ordre moral – au passage, en utilisant les
matériels militaires et policiers laissés par le gouvernement pro-
occidental et les États-Unis, mais ils semblent à l’heure actuelle
plutôt réticents à faire de l’Afghanistan le havre pro-Al-Qaida élargi
et systématique qu’il était jusqu’en 2001. On parlera ici d’effet
dissuasif post-11 septembre 2001, quand l’Occident envoya une
coalition militaire sur le terrain. De même, les Talibans semblent être
difficilement capables au-delà d’une résurgence de leur moralisme
implacable, de créer un État digne de ce nom. Ils ont ainsi du mal à
protéger certaines composantes de la population : la branche locale
de l’État islamique (Daech) a pris pour cible à plusieurs reprises les
chiites et les Hazaras dans certains quartiers de Kaboul depuis
l’arrivée au pouvoir des Talibans. À d’autres moments, ce sont les
Talibans eux-mêmes qui ont représenté une menace, en effectuant
des raids et des arrestations dans les quartiers où vivent les Tadjiks
du Panchir et d’autres régions où la résistance anti-Talibans est la
plus active.
Au début de l’année 2022, les services de renseignement
américains ont estimé que les Talibans entretenaient toujours des
liens avec les hauts dirigeants d’Al-Qaida, malgré les engagements
qu’ils avaient pris dans l’accord de Doha conclu en 2020. Puis, en
juin, les États-Unis indiquèrent avoir détecté de nouveaux « camps
d’entraînement » en Afghanistan. Lorsque la nouvelle a éclaté en
août qu’Ayman al-Zawahri (qui fut ensuite neutralisé par un drone
américain) aurait été protégé dans un complexe lié au ministre de
l’Intérieur taliban Sirajuddin Haqqani, la preuve d’un certain
« confort » d’Al-Qaida en Afghanistan semblait presque certaine. À
ce jour, la ligne américaine reste toutefois de considérer qu’Al-Qaida
en Afghanistan n’est pas largement autorisé ou favorisé par les
Talibans, qui, eux, combattent Daech sur le terrain.

C’est plutôt en Afrique que le djihadisme se développe, se fondant


sur des variables locales (tribus marginalisées, opposition nomades-
sédentaires, jeunesse déclassée, faiblesses étatiques), etc. On
remarquera toutefois qu’à ce jour, le potentiel d’attraction de
militants diasporiques (et par exemple des jeunes Français) est à
peu près inexistant au regard de ce que fut la Syrie, lieu prestigieux
dans l’imaginaire arabo-musulman.

Le conflit djihadiste du Sahel a commencé dans le nord du Mali en


2012, s’est étendu au Burkina Faso et au Niger en 2015 et
désormais, les États du Golfe de Guinée subissent des attaques
sporadiques, ainsi que le Mozambique.

Dans les trois pays du Sahel, des milliers de personnes ont été
tuées, plus de deux millions ont été déplacées et des dommages
dévastateurs ont été infligés à ces sociétés fragiles. La France et
d’autres missions de maintien de la paix opéraient au Mali depuis
près de dix ans comme un rempart contre la propagation de la
violence islamiste. Mais après deux coups d’État au Mali, la junte
militaire s’est rapprochée de Moscou et a autorisé des mercenaires
russes à opérer. Cela a dégradé les liens avec les partenaires
occidentaux. La France a retiré ses troupes dans le cadre de sa
mission anti-djihadiste Barkhane.
Nouvelles armes au service du terrorisme
Les acteurs terroristes sont constamment en recherche
d’innovations. Pour ce motif, ils observent les progrès
technologiques, non seulement militaires, mais aussi civils et tentent
de les maîtriser afin d’améliorer leurs pratiques opérationnelles ou
leur propagande. Ainsi, l’émergence des drones civils,
professionnels ou de loisir, en particulier de la société chinoise DJI,
ou une prolifération de drones iraniens auprès d’organisations
alliées (Hezbollah, Hamas), sont observés depuis le milieu des
années 2010. L’utilisation actuelle de ces mêmes drones dans le
conflit ukrainien donnera des idées d’emploi supplémentaires, au
même titre que l’amélioration régulière des performances des
drones civils (vitesse, portée, emport, automatisation).

À l’identique, la technologie de l’impression 3D favorise – et d’abord


aux États-Unis – la fabrication d’armes légères anonymes. Certains
modèles sont désormais saisis par les polices du monde entier – en
particulier le Fuck-Gun Control 9 mm (sic), arme semi-automatique
dont ses concepteurs affirment qu’elle peut être fabriquée en toute
autonomie et avec une imprimante 3D d’entrée de gamme.

Ainsi, aussi bien les drones que les armes 3D représentent donc une
des évolutions émergentes de la menace terroriste à travers le
monde.
Valérie Niquet

Les tensions en Asie


Contrairement à l’image de stabilité qu’elle projette, l’Asie
est une zone de tensions qui façonnent l’ensemble des
relations au sein de la région mais également entre la
région et le monde extérieur. On trouve dans la zone
plusieurs types de conflits, anciens ou plus récents,
souvent interconnectés qui sont à la source de ces
tensions non résolues.

Des tensions régionales aux implications globales


Dans la zone Asie-Pacifique, les conflits ont une forte dimension
territoriale, qui recouvre toutefois des éléments plus profonds liés
aux rivalités de puissance et aux conflits idéologiques qui perdurent.
La Corée du Nord, en raison de la nature de son système politique
et de sa stratégie de survie constitue un danger majeur. Le
développement des capacités nucléaires de la Corée du Nord se
poursuit et a des répercussions jusqu’en Europe, avec la
multiplication des tirs d’essai de missiles depuis 2017. Le
développement de ces capacités est également à la source d’une
nouvelle course aux armements en Asie où le Japon, en dépit des
contraintes de sa constitution pacifiste, a adopté une nouvelle
Stratégie de sécurité nationale qui pourrait lui permettre d’acquérir à
son tour des missiles susceptibles d’atteindre les bases de tir
situées sur le continent.

En Asie du Sud-Est, au sein de l’ensemble des pays de l’ASEAN


(Association of South East Asian Nations), les tensions bilatérales se
sont considérablement apaisées depuis la fin de la guerre froide. En
revanche, en mer de Chine du Sud, la poursuite des avancées
chinoises, avec le remblaiement et à la militarisation de bancs de
sable occupés par Pékin, maintient un niveau de tension
préoccupant. La signature d’un code de conduite interdisant le
recours à la force pour résoudre les conflits territoriaux est toujours
retardée par la République populaire de Chine qui se sent en
position de force face à ses voisins. Comme dans le cas de la
péninsule coréenne, les répercussions de ces tensions s’étendent
au-delà du cadre régional, en menaçant le principe universel de
liberté de circulation en haute mer, dans une zone dont dépend
l’ensemble de l’économie mondiale. Plus de 80 % des échanges
commerciaux de l’Union européenne avec l’Asie transitent en effet
par la mer de Chine méridionale.

Deux couples stratégiques rivaux impliquant des


puissances majeures
En Asie du Nord-Est et en Asie du Sud, deux « couples »
conflictuels dominent le paysage stratégique asiatique. Ces couples
stratégiques répondent à une logique autonome, fondée entre
autres sur les tensions territoriales et un héritage historique non
soldé. La rivalité entre la Chine et le Japon, par-delà une variabilité
conjoncturelle, s’exprime au travers de la question des îles
Senkaku-Diaoyu, administrées par le Japon depuis 1894 et
revendiquées par la Chine depuis les années 1970. La Chine
dénonce constamment les prétentions du Japon à jouer un rôle plus
actif en matière de sécurité sur la scène régionale. Pour le Japon,
c’est la menace d’une Chine particulièrement agressive dans son
environnement régional qui justifie les efforts consentis en matière
de défense, notamment avec la perspective d’augmentation du
budget de la défense à 2 % du PNB à l’horizon 2027.

Le poids de l’histoire, avec la guerre sino-indienne de 1962 et son


héritage de conflits territoriaux, ainsi que la dimension idéologique,
entre la démocratie indienne et un régime de parti unique en Chine
sont aussi forts dans le cas du couple Chine-Inde. Depuis 2020, les
incidents entre forces de l’armée indienne et forces chinoises ainsi
que les incursions de la Chine dans les zones frontalières se sont
multipliées. Et même si l’Inde comme la Chine n’ont pas voulu
condamner l’agression de la Russie contre l’Ukraine, les facteurs
d’apaisement à long terme demeurent limités.
Nouveaux risques : des facteurs internes significatifs
Mais les tensions sont également internes, liées notamment à une
radicalisation de l’islam conjuguée à des tendances séparatistes en
Asie du Sud-Est (Philippines : Mindanao, sud de la Thaïlande). En
Birmanie, les trafics de drogue à la frontière avec la Chine et dans le
Triangle d’or nourrissent des groupes armés toujours actifs. Pour
Pékin, la question de la réunification avec Taïwan constitue une
priorité rendue plus pressante alors que l’opinion publique
taïwanaise se montre de plus en plus réticente à toute forme de
réunification.

La Chine n’a pas renoncé à l’usage de la force en cas de


déclaration d’indépendance de l’ïle et poursuit le développement
rapide des capacités militaires de la RPC tout en multipliant les
exercices et les incursions dans l’espace d’identification aérienne
de l’île.

La situation dans la péninsule coréenne constitue un cas à part.


Dans le cas de la Corée du Sud, la question historique et un enjeu
territorial mineur, celui des Tokdo-Takeshima, administré par Séoul
et revendiqué par Tokyo, pèsent sur les relations nippo-coréennes
en dépit d’un intérêt stratégique commun. De son côté, Pyongyang
est très isolé, en dépit du soutien toujours réaffirmé de l’allié
traditionnel chinois. Avec la guerre en Ukraine, la Corée du Nord
s’est rapproché de Moscou en fournissant notamment des
munitions à Moscou.

Ces tensions stratégiques sont à la source du développement


quantitatif et qualitatif des capacités militaires, notamment navales
(sous-marins), mais également nucléaires et balistiques, dans une
région devenue le premier marché d’armements dans le monde.

Les tensions en Asie sont à la source de nouveaux formats


multilatéraux comme la QUAD qui réunit les États-Unis, l’Australie,
le Japon et l’Inde autour du concept d’Indo-Pacifique libre et ouvert.
Toutes les puissances de la région, y compris la France puissance
du Pacifique ont publié leur stratégie pour l’Indo-Pacifique. Mais en
Asie comme en Europe ce sont bien les États-Unis qui demeurent le
principal facteur d’équilibre stratégique dans la région avec la 7e
flotte et un réseau de bases, d’allian-ces et de partenariats
bilatéraux avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, les Philippines
et Singapour.
Antoine Bondaz

La crise nucléaire nord-coréenne


Protéiforme, la « crise nord-coréenne » a commencé dès la
guerre de Corée (1950-1953). Depuis 2006, date du
premier essai nucléaire, la menace militaire nord-coréenne
n’a cessé de s’accroître. La multiplication des essais
nucléaires et balistiques depuis l’arrivée au pouvoir de Kim
Jong-un fin 2011, et ce malgré l’apparent calme au
premier semestre 2018, a considérablement renforcé cette
menace.
La crise nucléaire n’est qu’une des crises nord-
coréennes
La crise nord-coréenne prend naissance lors de la création de deux
entités politiques adverses au Nord et au Sud de la péninsule
coréenne, en 1948. La guerre de Corée, provoquée par la tentative
de réunification par la force du sud par le nord, est temporairement
interrompue par l’armistice de Panmunjom, signé en juillet 1953.
Aucun traité de paix n’a pour l’instant mis fin juridiquement à ce
conflit armé ayant directement opposé la Chine aux États-Unis. Une
commission d’armistice existe donc toujours, la France en faisant
partie.

Depuis, les incidents se sont multipliés de part et d’autre et le long


de la zone démilitarisée, longue de 250 kilomètres et large de 4
kilomètres, mais aussi au niveau de la zone de démarcation
maritime septentrionale. En 1968, un commando nord-coréen
tentait d’assassiner le président sud-coréen en s’infiltrant au siège
de l’exécutif, la Maison Bleue. Plus récemment, la Corée du Nord
torpillait une corvette sud-coréenne, le Cheonan, en mars 2010
causant 46 morts, puis bombardait l’île sud-coréenne de
Yeonpyeong, faisant 4 morts dont deux civils, en novembre 2010.

Les capacités militaires nord-coréennes incluent un large arsenal


d’armes conventionnelles et chimiques. De nombreuses pièces
d’artillerie mettent Séoul, capitale de Corée du Sud située à
quelques dizaines de kilomètres de la frontière, à portée de tir.
Surtout, la menace militaire s’est considérablement renforcée avec
le développement du programme nucléaire et balistique.

Le régime a radicalisé sa position sous Kim Jong-un


Malgré des accords internationaux, bilatéral avec les États-Unis en
1994, ou multilatéral avec ses voisins en 2005, la Corée du Nord a
procédé à son premier essai nucléaire en 2006, devenant de fait une
puissance nucléaire. Six tests ont été réalisés entre 2006 et 2017, le
tout dernier étant probablement celui d’une bombe à hydrogène,
près de dix fois plus puissante que la bombe américaine ayant
explosé au-dessus de la ville d’Hiroshima le 6 août 1945.

Surtout le dirigeant a radicalisé la position du pays sur les armes


nucléaires. En 2012, le régime nord-coréen a été le premier à réviser
sa constitution pour y désigner le pays comme un État doté d’armes
nucléaires. En novembre 2017, Kim Jong-un annonçait même que
son régime avait « finalement réalisé la grande cause historique de
l’achèvement d’une force nucléaire d’État » suite à l’essai d’un
missile d’une portée sans précédent.

En effet, depuis l’arrivée du dirigeant au pouvoir, fin 2011, les essais


de missiles balistiques, vecteurs indispensables pour crédibiliser la
possession d’armes nucléaires, se sont multipliés tout comme les
sites de lancement. Kim Jong-un a ordonné 85 essais balistiques,
contre 30 pour son père entre 1994 et 2011. Surtout, la Corée du
Nord a diversifié ses vecteurs, testant pour la première fois, en
2017, des missiles à portée intermédiaire (Hwasong-12) et des
missiles à portée intercontinentale (Hwasong-14 et Hwasong-15) qui
pourraient théoriquement atteindre les territoires américains dans le
Pacifique, comme Guam et Hawaï, et même le continent, mais aussi
l’Europe.

La communauté internationale a réagi à cette menace


accrue
Les quelque 28 000 soldats américains stationnés en Corée du Sud
font eux l’objet d’une menace nord-coréenne depuis déjà plusieurs
décennies. Cependant, les essais récents ont conduit au
déploiement d’un système de défense antimissile américain THAAD
en Corée du Sud. Le Japon quant à lui est menacé par les missiles
à portée moyenne de Corée du Nord, une menace renforcée par le
survol à deux reprises en 2017 de missiles nord-coréens.

Cette multiplication des essais, nucléaires et balistiques, a conduit à


un renforcement sans précédent des sanctions internationales
contre la Corée du Nord, adoptées par le Conseil de sécurité de
l’ONU. Après plus de dix ans de sanctions sectorielles visant à
empêcher le régime d’acquérir des technologies sensibles, les
sanctions visent désormais l’économie du pays, dont son
commerce avec le voisin chinois, et les rentrées de devises
étrangères obtenues grâce à l’envoi de travailleurs à l’étranger.

La crise nucléaire nord-coréenne est ainsi devenue la principale


crise de prolifération de ces dernières décennies, mettant en danger
l’avenir du traité de non-prolifération adopté en 1968. En effet, le
pays a ratifié le traité en 1985 avant de s’en retirer en 2003 suite à
des révélations américaines d’un programme d’enrichissement
violant un accord bilatéral de 1994. Légitimer le statut de puissance
nucléaire de la Corée du Nord pourrait donc conduire à un
effondrement de ce traité qui demeure la pierre angulaire de la non-
prolifération nucléaire.
Un optimisme prudent doit permettre une résolution
diplomatique
Malgré l’arrêt des essais nord-coréens depuis novembre 2017 et
l’engagement pris par le président Kim Jong-un dans son discours
de nouvelle année en janvier 2019 de ne « jamais développer et
tester des armes nucléaires, ni de les utiliser ou les faire proliférer »,
rien ne garantit une résolution à court terme de la crise nucléaire et
balistique nord-coréenne. Si l’amélioration des relations coréennes
contribue à un apaisement des tensions, l’évolution de la relation
bilatérale entre la Corée du Nord et les États-Unis semble la clé de
la résolution de la crise.

La solution à cette crise nucléaire ne peut ainsi être que


diplomatique, une intervention militaire pouvant conduire à une
nouvelle guerre dans la péninsule, aux conséquences dramatiques
pour la région mais aussi pour le monde. Une approche graduelle,
basée sur une approche centrée sur des décisions prises au plus
haut niveau, à l’instar de la déclaration de Sentosa prise lors du
sommet historique de Singapour entre les dirigeants américain et
nord-coréen en juin 2018, semble pour l’instant la solution favorisée.
Jean-François Daguzan

Le Moyen-Orient et le Golfe :
entre crise et mondialisation
Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une lente mais
évidente dégradation des termes de la sécurité sur
l’espace Moyen-Orient-Golfe arabo-persique tout en
assistant au développement économique des États du
Golfe.

Le premier coup de boutoir vint de la guerre d’Irak à partir de 2003,


déstabilisant un espace déjà marqué par la présence du terrorisme
d’Al-Qaida. Le suivant fut lié aux printemps arabes et notamment à
la guerre civile syrienne qui facilita l’émergence internationale de
l’État islamique (Daech) et l’effacement (temporaire ?) de l’Égypte
comme acteur régional majeur. Un autre encore procède des
revendications sociales encore hésitantes de populations dont la
majorité a moins de 15 ans et qui est prise entre le carcan des
conventions sociales et la dépendance vis-à-vis de l’État qui assure
son bien-être. Un autre enfin est la confirmation de l’Iran comme
puissance régionale majeure face aux puissances du Golfe – elles-
mêmes en conflit « familial » (Arabie saoudite, Émirats arabes unis
vs Qatar).
L’Iran contre vents et marées
La montée en puissance de l’Iran – qui contribua largement à la
victoire du régime de Bachar El-Assad en Syrie et à la survie de la
guérilla houthie au Yémen – est le grand marqueur stratégique
dominant. Pour le contrebalancer, l’Arabie saoudite poussa (avec
Israël devenu son allié objectif) Trump et son administration à
dénoncer l’accord sur le nucléaire (JCPOA). Malgré la victoire (à la
Pyrrhus ?) de l’improbable couple israélo-saoudien, l’Iran aligne plus
de victoires que de défaites. Son engagement avec la Russie auprès
du régime syrien a retourné la situation. Il soutient à peu de frais les
houthis au Yémen. Il a une position privilégiée en Irak qui s’est
accrue depuis la reprise de Mossoul aux djihadistes de Daech. Le
« croissant chiite » va désormais de la Méditerranée à l’océan
Indien.

L’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis en novembre


2020 avait laissé espérer une reprise des négociations. Mais les
positions semblent irréconciliables alors que le régime s’arcboute
sur une répression accrue envers sa propre jeunesse en quête de
changement.

La fin de la « querelle de famille » ?


De l’autre côté du Golfe, la querelle avec le Qatar a bloqué toute
capacité sérieuse de coopération entre les pays arabes. Ce pays a
redéployé des alliances notamment avec la Turquie qui y a installé
une base et renforcé ses liens avec l’Iran. La situation semble
cependant s’être améliorée à l’occasion de la Coupe du monde de
football tenue à Doha (décembre 2022) et qui aurait conduit à un
réchauffement entres les « frères » ennemis. Les autres pays du
Golfe (Koweït, Oman) essayent de naviguer à vue au gré d’une
situation qui a paralysé pour longtemps le Conseil de coopération
du Golfe (CCG).

Sur le plan stratégique, le seul élément réellement positif est


l’affaiblissement structurel de Daech en Irak avec la reprise de
Mossoul et le nettoyage du nord-ouest de la Syrie où l’organisation
a été repoussée vers les zones du centre-est moins stratégiques.
L’Irak semble donc s’engager dans un processus de stabilisation.
Mais les élections de 2018 n’ont rien résolu et les rapports de force
reste la variable d’ajustement du pouvoir.

Yémen, la guerre sans fin


Engagée en 2014, la guerre civile yéménite n’a toujours pas trouvé
sa fin. L’ONU considère que 374 000 personnes ont perdu la vie. Le
conflit s’est progressivement internationalisé. L’Iran soutient la
rébellion houthie – dont l’orientation religieuse (zaïdisme) est une
branche du chiisme. Les ÉAU et l’Arabie saoudite soutiennent le
gouvernement officiel tandis qu’Al-Qaida joue sa propre partition.
En dépit des sommes vertigineuses engagées par la coalition, la
situation stratégique s’enlise. La seule véritable « nouveauté » est la
réapparition des mouvements séparatistes armés du Yémen Sud qui
É
réclament le retour à deux États comme avant 1990.

Mondialisation et technologie : le pari du futur


Les sommes vertigineuses à leur disposition et la mondialisation ont
permis aux monarchies du Golfe d’acquérir une véritable centralité.
L’image de l’Arabie saoudite a cependant été écornée par
l’assassinat, le 2 décembre 2018, du journaliste Jamal Khashoggi,
par les services saoudiens dans l’ambassade d’Ankara. Mais le
royaume a engagé une bataille de l’image, villes nouvelles
« numériques », accueil des jeux asiatiques d’hiver, etc. L’aspect
sportif est un élément essentiel, comme l’a montré la tenue de la
Coupe du monde de football au Qatar, qui réunit, malgré les
critiques, des milliards de spectateurs. Les ÉAU, jouent de leur côté
sur la culture et l’innovation technologique.

Le déclin de l’empire américain ?


L’autre élément notable est le déclin de l’influence américaine dans
le Golfe. Longtemps les monarchies sont restées dépendantes de la
sécurité proposée par les États-Unis (armement et présence
physique) en échange des hydrocarbures. Mais les « printemps
arabes », pendant lesquels les Américains ont abandonné leurs plus
anciens soutiens (Moubarak, Ben Ali) et le retrait précipité d’Irak ont
laissé planer un doute sur leur fiabilité à long terme tout en
s’équipant massivement de matériel américain. Les monarchies
multiplient donc les contacts pour diversifier l’offre de sécurité. Avec
la Russie, la Turquie et même avec Israël. Le refus en octobre 2022
de l’Arabie saoudite d’augmenter la production de pétrole, en dépit
d’une visite personnelle de Joe Biden sur place alors qu’il avait
promis ne venir jamais, fut un camouflet cinglant à l’encontre de la
superpuissance.

La signature surprise, le 13 août 2013, des « accords d’Abraham »


entre Bahreïn, les ÉAU, le Maroc, le Soudan et Israël a bouleversé le
panorama stratégique traditionnel. Mais l’arrivée d’une nouvelle
majorité décidée à accroître les colonisations en Cisjordanie, met
déjà à mal cet équilibre instable. S’agit-il d’une victoire à la Pyrrhus
pour l’administration américaine ou d’une diversification stratégique
en marche impliquant davantage les acteurs locaux à leur propre
sécurité ?

En conclusion, la région Moyen-Orient-Golfe devrait rester pour les


années à venir à un niveau de tension élevé tout en faisant de cette
dernière un pivot économico-stratégique du Nouveau monde.
Agnès Levallois

Syrie : d’une révolution à une


guerre
Douze ans après le déclenchement d’un soulèvement
populaire pacifique contre l’autoritarisme, la crise syrienne
est l’épicentre d’un conflit où s’expriment des rapports de
forces régionaux et internationaux. Le pays est fragmenté
et le conflit qualifié de « gelé », toute solution politique
étant rejetée par le régime Assad. Ce dernier espère, face
à la fatigue des Occidentaux vis-à-vis de cette situation,
normaliser ses relations diplomatiques sur la scène
régionale et internationale.

Le terrain de confrontation d’acteurs multiples


Très vite après le déclenchement de la révolte populaire, des forces
régionales et internationales se sont impliquées en soutenant le
régime d’un côté et des forces d’opposition de l’autre. L’Iran, le
Hezbollah et des milices chiites se sont engagés du côté des
autorités de Damas ainsi que la Russie qui intervient directement à
partir de septembre 2015. L’opposition, quant à elle, a bénéficié
d’un soutien moins constant de la part des pays occidentaux, des
États du Golfe et de la Turquie. Face à la militarisation du conflit, les
négociations politiques organisées à Genève dès 2012 pilotées par
l’ONU vont progressivement laisser la place à des rencontres à
Astana et Sotchi organisées par Moscou en association avec
Téhéran et Ankara. Le rapprochement russo-turc atteste de la
fluidité des alliances, chaque pays mettant en place une stratégie
pour le contrôle de zones d’influence en Syrie. L’apparition de
l’organisation État islamique en 2014 et les attentats en Europe vont
permettre la mise en place d’une vaste coalition internationale
justifiée par le maintien de la sécurité internationale mais va dans le
même temps détourner l’attention des origines de la crise et le
devenir du pays échapper un peu plus aux Syriens.
Pendant ce temps, Ankara, qui a été un des premiers soutiens de
l’opposition dès 2011, a lancé plusieurs opérations militaires dans le
nord de la Syrie – 2016-17 : Bouclier de l’Euphrate ; 2018 : Rameau
d’olivier ; 2019 : Source de paix ; 2020 : Bouclier de printemps – en
créant une zone tampon d’une trentaine de kilomètres de large sur
120 km de long pour limiter la marge de manœuvre des Kurdes et
avec l’objectif depuis mai 2022 de réinstaller dans cette zone un
million de réfugiés syriens actuellement en Turquie, lesquels sont de
plus en plus rejetés par la population turque. La zone d’Idlib vit
toujours sous les bombardements de l’armée syrienne et de la
Russie, l’objectif de Damas étant de reprendre cette zone et de
pousser près de 3 millions d’habitants vers les zones contrôlées par
la Turquie au nord d’Alep. Stratégie qui va à l’encontre de la
politique d’Ankara visant à stabiliser cette région.
Rapprochement Ankara/Damas
Les annonces de discussions entre appareils sécuritaires turc et
syrien laissent augurer d’un rapprochement entre les deux pays
alors que la Turquie contrôle directement trois zones dans le nord
de la Syrie. Il s’agit pour le régime d’Assad de poursuivre ses efforts
pour normaliser les relations diplomatiques avec ses voisins – les
Émirats arabes unis ont rouvert leur ambassade dès décembre
2018. Les Turcs entendent sortir de leur isolement, raison pour
laquelle le président Erdogan a renoué le dialogue avec l’Égypte, les
É
ÉAU, l’Arabie saoudite et Israël. L’inquiétude est grande chez les
Kurdes car ce rapprochement, s’il se confirme, conduira les
autorités syriennes à reprendre le contrôle des territoires frontaliers
et à fragiliser les forces démocratiques syriennes (FDS) et
l’administration autonome proche du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK) en Syrie. Cela posera également la question de la
présence des soldats américains dans cette région dans le cadre de
la coalition internationale pour soutenir les forces kurdes dans leurs
combats contre les djihadistes du groupe État islamique. Des
combattants sont encore présents dans cette zone et mènent des
opérations pour faire libérer ceux emprisonnés dans les camps
contrôlés par les Kurdes afin de reconstituer leurs forces. Pendant
ce temps, Israël mène régulièrement des frappes aériennes et des
tirs de missiles en Syrie contre des cibles iraniennes qui se sont
développées à la faveur du conflit.
Agnès Levallois

Le Proche-Orient en crise
La situation au Proche-Orient se caractérise par une
reconfiguration des rapports de force et une perte de
centralité du Proche-Orient à la faveur des pays du Golfe.
Un des éléments structurants en est la tension entre l’Iran,
Israël et les monarchies de la péninsule arabique.
Le Liban, État failli, a été et demeure le lieu d’une confrontation
entre l’Iran, à travers le Hezbollah et l’Arabie saoudite même si cette
dernière est moins impliquée en raison de la domination, à ses yeux,
de Téhéran sur la scène politique. Le camp sunnite libanais se
retrouve privé de l’appui de Riyad qui a cessé de soutenir l’ancien
premier ministre Saad Hariri considéré comme incapable de tenir
tête au Hezbollah. Son successeur Miqati a donné des signes de
bonne volonté en médiatisant des saisies record de Captagon
(amphétamine fabriquée en Syrie et largement diffusée dans les
pays du Golfe) qui ont un impact négatif sur les populations du
Golfe.

La surprise est venue de la signature par le Liban et Israël sous les


auspices de Washington d’un accord qualifié « d’historique » sur
leur frontière maritime, alors qu’ils sont officiellement en état de
guerre, afin de lever les obstacles à l’exploitation de gisements
gaziers en Méditerranée orientale. Ce revirement des Libanais et,
tout particulièrement, du Hezbollah s’explique par la profonde crise
économique, financière et sociale que traverse le pays. Il a besoin
de trouver des ressources pour calmer la population même si le
montant des dividendes et la date à laquelle ils seront accessibles
sont inconnus à ce jour.

À la faveur du conflit syrien dans lequel il intervient militairement


comme allié du régime, le Hezbollah a acquis et renforcé ses
capacités combattantes. Il se trouve face à Israël qui bombarde
régulièrement les sites iraniens qui se sont développés en Syrie.
L’État hébreu ne peut accepter le renforcement de la présence
iranienne à ses frontières qui alimente la milice libanaise en
armement. Quant au Premier ministre irakien, Al-Soudani, soutenu
par les milices pro-iraniennes en Irak, il essaie de se tenir à distance
égale entre Téhéran et les capitales du Golfe mais l’équilibre est
périlleux.
Le soulèvement en Iran le 16 septembre 2022 déclenché par la mort
de Mahsa Amini à l’issue de sa garde à vue pour voile mal porté, va-
t-il changer la donne ? L’Iran, affaibli par ce mouvement est très
isolé sur la scène internationale, soumis à encore plus de sanctions
économiques alors que les dernières élections aussi bien
législatives de 2020 et présidentielles de 2021 ont mis au pouvoir
les ultra-conservateurs qui ne veulent rien négocier. En parallèle de
la situation intérieure, la stratégie iranienne en matière de nucléaire
inquiète vivement Israël car depuis la sortie de l’accord par Donald
Trump en 2018, les Iraniens ont repris le cycle d’enrichissement de
l’uranium ne s’estimant plus tenus par les termes de l’accord.
L’arrivée au pouvoir d’une coalition de droite et d’extrême droite à
Tel Aviv sous l’autorité de Benyamin Netanyahou qui avait mis tout
son poids dans la balance à l’époque pour éviter la signature de cet
accord relance les spéculations sur les risques d’opérations militaire
israéliennes contre les sites iraniens à l’image de celle menée fin
janvier 2023 à Ispahan.
Pour les Palestiniens, ce nouveau gouvernement représente une
menace et ce début d’année a été marqué par une recrudescence
de la violence. Le premier acte du ministre de la Sécurité nationale,
Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif, a été de se rendre sur
l’esplanade des Mosquées de Jérusalem afin d’affirmer la
souveraineté israélienne sur ce lieu. Cette démarche, vécue comme
une provocation pour les Palestiniens, va à l’encontre du statu quo
historique qu’Israël s’est engagé à respecter en 1967. Même les
alliés arabes d’Israël ont réagi et les Émirats arabes unis (ÉAU) qui
ont normalisé leurs relations avec Tel Aviv ont demandé la réunion
du Conseil de sécurité de l’ONU à ce sujet. Le processus de
normalisation que Netanyahou entendait poursuivre avec d’autres
pays de la région risque d’être malmené. Enfin, les conséquences
de la guerre en Ukraine sont lourdes au Proche-Orient car Kiev ainsi
que Moscou sont les fournisseurs majeurs de blé. Les risques de
crise sociale ne sont pas à écarter en Égypte ainsi que
l’aggravement de la situation au Liban, en Syrie, au Yémen et en
Palestine.
Jean-François Daguzan

Le Sahel : la guerre comme


horizon ?
En 2011, la déstabilisation de la Libye à l’issue de la
déposition du colonel Kadhafi, immuable « guide » de ce
pays depuis 42 ans, créa une onde de choc qui précipita le
Sahel dans un continuum ininterrompu de crises et de
conflits.

L e Sahel (« le rivage » par opposition à « l’océan » saharien) est


une zone de 5 500 km sur 500 de large qui va du Sénégal au
Soudan (Darfour). C’est une zone sèche et semi-aride, une
rencontre de populations nomades et de fermiers d’origines
diverses (Touaregs, Maures, Peuls, Dogons, Toubous, etc.) avec
quelques ressources du sous-sol (uranium au Niger, pétrole au
Darfour). Cette région est composée des pays suivants : Sénégal,
Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Tchad, Soudan (Darfour, Kordofan)
et les îles du Cap-Vert. Pour des raisons géopolitiques évidentes, la
Libye y est associée en raison de son interaction stratégique tout
comme le Sud algérien.

L’islam confrérique y a toujours joué une place importante, même si


il fut un temps occulté par la colonisation. Les confréries malékites
jouent un rôle majeur. Ce sont ces dernières – la Qadirrya et la
Tidjanya – qui ont conduit le fameux djihad du XIXe siècle et qui
donnèrent lieu, entre autres facteurs, aux empires du Sokoto et du
Macina. Mais ces structures traditionnelles subissent depuis les
années 1980 la concurrence acharnée de l’islam du Golfe où des
pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar subventionnent à grand
frais mosquées et médersas prêchant l’islam rigoriste du Golfe (le
salafisme) qui facilita l’émergence du radicalisme armé (Al-Qaida
puis l’État islamique). La Turquie est désormais également présente.

La déstabilisation libyenne de 2011 avait ouvert une boîte de


Pandore. Les milliers de mercenaires et combattants étrangers à la
solde de Kadhafi et les islamistes libérés descendirent vers l’ouest.
Les organisations djihadistes locales comme le MUJAO, Ansar Dine,
le MNLA, le FNLA et le Front de libération de l’Azawad et d’autres
se retrouvèrent avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) pour
s’attaquer à un pouvoir malien incapable de réagir. En janvier 2013,
les djihadistes poussèrent leur avantage et montèrent sur Bamako.
Face à cette menace, les armées françaises intervinrent dans une
opération combinée et aéroportée (Serval). Les groupes furent
balayés et poursuivis (avec le soutien d’un solide contingent
tchadien) dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas.
Des élections et une période de stabilisation conduite avec l’appui
des alliés européens (MINUSMA) et d’une force africaine suivirent
cette période exclusivement militaire. Mais les groupes
s’éparpillèrent sur l’espace sahélien (Niger, Burkina Faso, lac Tchad)
et conduisirent des attentats jusqu’en Côte d’Ivoire. L’État islamique
(Daech) commença à s’implanter au Sahel au détriment d’AQMI
alors que depuis le Nigeria, Boko Haram poussait vers le Tchad et le
Cameroun.

Face à l’immensité du territoire à couvrir et à une menace en


perpétuelle recombinaison, les autorités françaises mirent en place
une force africaine composée des cinq pays principaux du Sahel et
réunis sous l’appellation G5-Sahel : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad,
Burkina Faso. Après plusieurs coups d’État, les relations entre la
France et le Mali se sont dégradées. La décision du Mali de
demander le départ des forces françaises a conduit à leur repli au
Niger et à la fin de l’opération Barkhane le 9 novembre 2022.

Une détérioration rapide des termes stratégiques


En 2019, nous écrivions dans ce même atlas : « Cependant,
l’horizon est sombre. La France tient quasiment seule, à bout de
bras, la sécurité de cette zone majeure. Les autres Européens ne
souhaitent pas s’engager (sauf financièrement) ou peu. Les États-
Unis (AFRICOM) laissent jouer les Français en dehors d’un soutien
en renseignement. Or, cette situation va continuer de se détériorer.
Les groupes djihadistes vont continuer de proliférer avec des États
ayant du mal à contrôler leur territoire tout en développant des
tentations autoritaires et alors qu’une démographie désormais
galopante va empêcher tout espoir de stabilisation économique. »

Cette « prédiction » s’est révélée globalement exacte, plusieurs


États de la zone, incapables d’assurer une gouvernance efficace du
pays, sont rentrées dans une logique de coups d’État censés
renforcer le sentiment patriotique et l’efficacité managériale. Cette
situation a été favorisée par l’intervention très active de la Russie
qui a détecté dans le Sahel le maillon faible des capacités
stratégiques françaises. Avec le groupe Wagner, société de sécurité
militaire officiellement privée (SMP) mais travaillant en réalité pour le
Kremlin, la Russie pousse hors de Centrafrique d’abord, puis du
Mali et maintenant du Burkina Faso, une France qui s’était trop
endormie sur les lauriers des opérations Serval et Barkhane. Cette
présence longue (2013-2022) et sans résultats politiques probants
pour les populations (autre que l’élimination de nombre de
djihadistes) et facilement instrumentalisable par des États
défaillants, a fini par se retourner contre ses concepteurs. Cette
pression est accompagnée de cybercampagnes visant à discréditer
l’image de la France auprès de populations en désarroi.

Le durcissement politique au Tchad, suite à la mort, en avril 2021,


d’Idriss Déby (remplacé par son fils Mahmat) a ouvert une
incertitude sur la stabilité du pays pivot de toutes les stratégies
françaises au Sahel.

L’avenir du Sahel est sombre ; la situation de la France dans cette


zone, incertaine.
Jean-François Daguzan

Afrique : entre djihadisme et


violence intranationale
L’Afrique, comme d’autres continents sur des millénaires, a
été marqué par la violence inter-communautaire : les
guerres économiques de pillage (le rezzou) et la conquête
(l’empire zoulou ou celui, Peul, du Macina et du Sokoto dit
du « djihad » qui embrassa au XIXe siècle une grande partie
du Sahel).

Une longue histoire de violences


La traite brutale des esclaves par l’enlèvement et le pillage organisé
par les marchands arabes puis européens au profit du Moyen-Orient
et des Amériques, fut un marqueur supplémentaire et spécifique au
continent africain dans une litanie de violences et de conflits petits
ou grands. La colonisation occidentale apporta une autre forme de
conflictualité caractérisée par le gap technique qui surclassa les
armées africaines les plus valeureuses. La paix coloniale qui suivit
fut éphémère et jamais totale. Les guerres de décolonisation qui ne
suivirent balayèrent brutalement le continent. Mais l’histoire ne
s’arrête jamais et l’usage de la guerre et plus largement de la
violence demeure une constante dans la recherche de gains
politiques, sociaux et territoriaux. Après la fin de la Seconde Guerre
mondiale (à laquelle les Africains prirent part à leur corps
défendant), l’Afrique a été parcourue de violents conflits. Les
guerres de décolonisation d’abord (Algérie, Angola, Mozambique,
Cap-Vert, Namibie, Rhodésie, Madagascar, Congo belge, etc.), puis
de violentes confrontations armées entre des pays souvent neufs
aux nationalités sourcilleuses et parfois aux velléités
expansionnistes.

Mais la structure superficielle des États créés par la colonisation


engendra aussi des violences intra-nationales entre groupes
ethniques pour la conquête du pouvoir où régions désireuses d’une
indépendance totale du pays auquel elles avaient été rattachées par
le seul hasard des marches et contre-marches coloniales. Ainsi on
soulignera entre autres :

• les guerres sécessionnistes : Nigeria/Biafra ; Congo


belge/Katanga, Soudan/Soudan du Sud, Éthiopie/Tigré/Ogaden,
Mali/Touaregs, Niger/Touaregs ;

• les guerres de puissance : Maroc-Algérie (1963) et guerre du


Sahara occidental (1975-1984), affrontement égypto-libyen (1977),
guerre tchado-libyenne, libyo-ougandaise (1979), Afrique du Sud-
Angola (1975-1994), Éthiopie-Érythrée (1998-2001), Zaïre-Rwanda
(1996-1997), etc.

Guerres civiles et génocides parcoururent le continent. Le Liberia et


Sierra Leone se sont déchirés dans des violences faisant intervenir
des enfants soldats et financées par le trafic de diamants (les
« diamants du sang »). Dans la région des Grands Lacs, le génocide
rwandais qui voit les Hutus au pouvoir exterminer la partie Tutsi de
la population (800 000 morts au moins) demeure un des scandales
de la deuxième moitié du XXe siècle. Au Burundi, les violences
interethniques entre mêmes ethnies reviennent de façon
sporadique.

Au Nigeria, le groupe djihadiste Boko Haram (« l’éducation


occidentale est un péché ») du prédicateur Mohamed Yusuf,
poursuit une guerre mortifère sans fin contre l’État fédéral dont les
effets se font sentir jusqu’aux pays voisins du Cameroun et du
Tchad.
La guerre civile du Soudan qui conduira à l’indépendance du Sud-
Soudan en 2011 a été remplacée, à partir de 2013, par une autre
guerre civile dans ce nouveau pays entre factions et ethnies rivales
ayant fait selon une ONG britannique 380 000 victimes (violences,
famine, déplacements forcés, etc.) Triste record en si peu de temps
mais incapables d’égaler celui des 5 millions de victimes de la RDC
(morts des mêmes causes).

La Côte d’Ivoire, longtemps considérée comme un modèle politique,


a été le lieu d’une guerre civile entre communautés et forces
musulmanes du Nord liées au Burkina Faso et forces et groupes
chrétiens du Sud. La France, présente en tampon, se verra
contrainte d’intervenir militairement pour sauver ses ressortissants
(opération Licorne, 2002).

La Libye, après l’intervention internationale qui fit tomber le colonel


Kadhafi, est engagée dans une lutte de clans, de villes
concurrentes, de djihadistes (EI et AQMI) de seigneurs de la guerre
soutenues les uns ou les autres par des gouvernements étrangers
dont au premier chef la France, l’Italie et l’Égypte.

En République centre-africaine, les violences intercommunautaires


entre musulmans et chrétiens ont fait de nombreuses victimes,
entraînant l’intervention de l’armée française puis de contingents
africains dont ceux du Tchad qui est désormais un acteur au milieu
des groupes locaux.
Des guerres hybrides
Aujourd’hui, il est difficile de faire une typologie entre guerre externe
et violence interne. Des guerres hybrides mélangent les genres
comme le pillage d’une partie de la RDC par le Rwanda sans que
l’on puisse à proprement parler d’une guerre de conquête.

Les interventions extérieures sous couverts de rétablissement de la


paix et de l’ordre ou pour faciliter des changements de régime sont
nombreuses. En dehors de l’exemple libyen, on peut notamment
citer l’installation de Désiré Kabila en RDC par les armées
rwandaises et ougandaises (1997). Ce pays fera l’objet d’une
deuxième guerre civile internationalisée où les anciens alliés du
nouveau président se déchirent (1998-2002). Il souffrira également
d’une rébellion congolaise/tutsi du Nord Kivu (2004-2006 et 2013).
Des mouvements insurrectionnels continuent de se dérouler dans
plusieurs provinces. Des observateurs soulignent l’action du
Rwanda sur les zones limitrophes riches en minerais.

On notera aussi les incursions de l’Éthiopie en Somalie pour lutter


contre les Shebabs (ce mouvement djihadiste qui sème la terreur en
Somalie et autour, Kenya, Éthiopie…). Par ailleurs, depuis 2020, ce
pays a engagé une lutte féroce contre le Front de libération de la
population du Tigré ; région fédérale qui a souhaité se libérer de la
tutelle d’Adis Abeba.

Enfin, le Sahel est devenu la grande zone conflictuelle de l’Afrique.


Après la chute du dictateur libyen Kadhafi, de nombreux membres
de l’Armée africaine libyenne appointée par le dictateur et largement
formée de Touaregs décidèrent de porter le fer sur le ventre mou du
Mali. Le Nord et le pays touareg, dont les velléités d’indépendance
avaient été brisées plusieurs fois depuis 1964. Reprenant la
bannière du djihad, ces groupes motivés et bien armés balayèrent
les forces gouvernementales incompétentes et détestées par la
population. Les victoires successives et faciles des djihadistes
(terme dans lequel il faut voir dans ce cas particulier un ensemble
composite d’Al-Qaida au Maghreb islamique, d’autres mouvements
religio-ethniques et d’anciens groupes combattants touaregs)
remontèrent vers Bamako ce qui entraîna la réaction française de
l’opération Serval qui détruisit les colonnes rebelles, reprit les villes
et le territoire malien et poursuivit les djihadistes jusque dans leurs
repaires les plus inaccessibles.

La violence sporadique se poursuit et la France tente de juguler le


phénomène djihadiste qui fonctionne en tâche d’huile avec
l’opération Barkhane (3 000 soldats) et ensuite la création d’un G-5
Sahel militaire. Mais les différends politiques avec les nouveaux
gouvernements du Mali et désormais du Burkina Faso influencés
par les stratégies indirectes russes ont obligé la France à une
révision de son dispositif dans la région.

Depuis 2022, les relations se sont retendues entre Algérie et Maroc


au sujet du Sahara occidental sur fond de course aux armements.

Enfin, des coups d’État militaires ont été perpétrés au Tchad, en


Guinée, au Burkina Faso, au Soudan et deux fois au Mali alors que
des tentatives de coups d’État avaient lieu à Madagascar, en RCA,
au Niger et en Guinée-Bissau – toutes situations aggravant la
déstabilisation du continent.

La stabilisation et la sécurité tant prônée du continent est ainsi loin


d’être atteinte.
Alexandre Taithe

Un Arctique « stratégique »
Au cœur de la confrontation entre l’Union soviétique et les
États-Unis, la région arctique ne constituait plus un enjeu
stratégique depuis la fin de la guerre froide. Mais l’Arctique
subit depuis les années 1980 des changements
environnementaux abrupts. Ces transformations avaient
déjà eu des incidences sécuritaires qui impliquent une
présence renforcée de forces militaires ou de sécurité dans
cette région. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022
fait entrer l’Arctique dans une période d’incertitude
sécuritaire et de gouvernance.

L’essor économique de l’Arctique ?


La rudesse du climat polaire a limité l’accès de l’Arctique pendant
des décennies à des chercheurs, des aventuriers et des forces
militaires.

Des changements environnementaux majeurs en Arctique, à la fois


par leur intensité et leur soudaineté, ouvrent des perspectives
économiques qui trouvent un écho politique et sécuritaire pour cette
zone. Le réchauffement climatique y est en effet deux fois plus
rapide que le reste du monde. Signe le plus visible de ces
changements, la banquise arctique a perdu 75 % de son volume
depuis 1980, et sa surface estivale se réduit très sensiblement.
L’océan Arctique pourrait ainsi être libre de glace en été pendant
plusieurs mois avant 2050.
De fait, l’accès à l’Arctique en est facilité, et l’exploitation
économique ne cesse de se développer dans des secteurs variés :
exploitation d’hydrocarbures et de minerais, tourisme, câbles sous-
marins de fibre optique, pêche, brevetage du vivant, transport
maritime… Malgré cette croissance, le niveau d’activités
économiques demeure bas dans l’absolu hormis pour le gaz, car les
conditions climatiques et de vie restent extrêmes.

La Russie a fait du développement de ses territoires septentrionaux


une priorité nationale. D’une part, l’Arctique abriterait les deux tiers
des réserves de gaz de la Fédération de Russie, dont l’exploitation
est la source majeure de revenus pour l’État russe. Et d’autre part,
la Russie accélère la mise en place d’infrastructures le long de son
littoral arctique pour inciter une partie du trafic maritime entre l’Asie
et l’Europe à emprunter la route maritime du Nord (RMN). Face à
d’importantes contraintes commerciales et techniques, le trafic
intercontinental par l’océan Arctique demeure faible (une trentaine
de navires par an en moyenne, avec un pic à 85 en 2021), mais le
trafic de destination, pour rejoindre ou quitter les sites d’exploitation
des ressources naturelles russes en Arctique, continue de croitre, y
compris régulièrement en 2022 malgré le conflit ukrainien.
Une présence militaire renforcée
Les activités militaires n’ont plus l’importance qu’elles avaient lors
de la guerre froide, mais l’Arctique abrite encore des bases radars
destinées à l’alerte avancée pour la défense antimissile. Sa
traversée constitue, en effet, le plus court chemin entre les pays
situés sur des méridiens opposés, dans l’hémisphère nord. Les
tensions avec la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014
avaient déjà ravivé l’activité sous-marine et, pour les pays
occidentaux notamment, la lutte anti-sous-marine dans le nord de
l’Atlantique Nord et aux frontières de l’Arctique.

Le développement des activités économiques, qui a pour corollaire


une plus grande présence humaine en Arctique, nécessite d’être
sécurisé non seulement en cas de crise, toujours possible entre les
É
États, mais surtout en cas d’accident ou de catastrophe naturelle.
L’accès facilité aux ressources naturelles ou aux routes maritimes
conduit les pays arctiques à affirmer leur souveraineté sur les
espaces immenses qui abritent celles-ci (près de 21 millions de km2
à l’intérieur du cercle polaire, dont 14 millions de km2 pour l’océan
Arctique). Mais les différends territoriaux, en particulier avec la
Russie, sont pour la plupart réglés, ou ont une importance
jusqu’aujourd’hui secondaire, à l’image du chevauchement de
plusieurs revendications d’extension de plateaux continentaux dans
l’océan Arctique central. Il existe surtout différentes instances de
gouvernance de cette aire qui avaient réussi jusqu’en février 2022 à
maintenir hors de l’Arctique les tensions géopolitiques provenant
d’autres théâtres hors de l’Arctique (Conseil de l’Arctique, Conseil
nordique, Conseil euro-arctique de Barents...).

Les différends potentiels résidaient dès lors dans l’interprétation des


lois internationales, principalement la Convention de Montego Bay
de 1982 et le traité du Svalbard de 1920.

La préservation de la liberté de navigation constitue une priorité de


nombreuses marines, civiles et militaires, à l’instar des États-Unis,
de la Chine ou de la France.
Une polarisation de l’Arctique depuis février 2022
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 marque une rupture à
plusieurs titres en Arctique. La gouvernance assurée par le Conseil
de l’Arctique depuis 1996 est désormais suspendue malgré
l’urgence des questions autochtones et climatiques. Les demandes
d’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède isolent encore un
peu plus la Russie, acteur pourtant incontournable par l’étendue de
son littoral arctique, des initiatives de coopération régionale. Les
autres membres du Conseil de l’Arctique appartiennent en effet déjà
à l’Alliance atlantique (États-Unis, Canada, Danemark (Groenland),
Islande et Norvège). Le conflit ukrainien entraine par ricochet un
réengagement dans le Grand Nord des États-Unis, qui ont publié en
octobre 2022 une stratégie arctique actant une fracture avec la
Russie.

La Russie renforce depuis février 2022 ses relations avec la Chine et


l’Inde y compris en Arctique. Cette opposition entre la Russie et la
Chine d’une part, et un front occidental d’autre part, composé de
l’OTAN et de l’Union européenne qui affirme son identité arctique,
fait craindre une polarisation durable du Grand Nord.
L’avenir de la guerre
Depuis longtemps, la plupart des conjectures
sur l’avenir de la guerre proposent, sans doute
à juste titre, deux assertions complémentaires :
d’une part, les formes de la guerre continueront
d’évoluer, notamment au gré des
développements technologiques (robotisation,
intelligence artificielle, biotechnologies…) ;
d’autre part, ce que l’on appelle souvent ses
« invariants » resteront inchangés : son
caractère fondamental d’affrontement coercitif
entre acteurs organisés à cette fin, ses
principaux ressorts – « la peur, l’honneur et
l’intérêt », disait déjà Thucydide – ainsi que ses
principaux enjeux – le pouvoir, le territoire. On
peut notamment rester sceptique sur la notion
de « guerres climatiques », même si les
changements environnementaux auront
nécessairement un impact important à la fois
sur les espaces et sur les moyens de la guerre.
Par ailleurs, les évolutions démographiques
prévisibles laissent espérer une diminution de la
violence politique à grande échelle (guerres
civiles) à l’échéance de deux ou trois
décennies, notamment en Afrique
subsaharienne.
Bruno Tertrais

Des « guerres climatiques » ?


Depuis une dizaine d’années, les conséquences
sécuritaires du changement climatique sont devenues un
sujet de préoccupation intellectuelle et politique. Deux
thèses sont avancées : celle des « guerres pour les
ressources », et celle de conflits accrus du fait de la
déstabilisation des États consécutive au changement
climatique. Même si les évolutions climatiques auront sans
doute un impact sur les évolutions géopolitiques, les liens
de causalité apparaissent ténus et il convient de se garder
de tout catastrophisme dans ce domaine.
Faut-il s’inquiéter de possibles « guerres du climat » ?
Y a-t-il un lien entre réchauffement climatique, raréfaction des
ressources et accroissement de la conflictualité ? Les effets du
changement climatique peuvent avoir un impact sur la disponibilité
des ressources et accroître la propension à la violence collective
dans certains pays. Mais à l’examen, ce lien de causalité semble
marginal et rien ne permet d’en tirer des conclusions déterministes.
Les conflits du Sahel, par exemple, montrent bien que ce sont
d’abord et avant tout les facteurs politiques et humains qui sont la
clé lorsque l’on recherche les causes des guerres.

Que penser de futures « guerres pour l’eau » ? Ce thème a gagné en


popularité depuis la fin de la guerre froide. Mais si le réchauffement
climatique conduit sans doute à une modification de la géographie
et du rythme des précipitations, il n’impliquera aucunement une
diminution de la ressource hydrique globale. Et dans de
nombreuses régions, il y aura même un accroissement de la
disponibilité de cette ressource du fait de l’augmentation des
précipitations. L’histoire doit ici encore inciter à la prudence. La
question de l’eau est une dimension importante de nombreuses
crises régionales, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. La
valeur de lieux stratégiques tels que le Golan et le Cachemire n’est
pas pour rien dans les contentieux qui opposent la Syrie et Israël,
l’Inde et le Pakistan. Mais contentieux ne veulent pas dire guerres.
En Asie du Sud, en dépit de quatre guerres, la question du partage
des eaux du Cachemire n’a jamais été vraiment rouverte. Au
Proche-Orient, les différends sur l’eau sont davantage un produit
qu’une cause du conflit.

Climat, ressources et conflits


Une autre thèse, plus élaborée, suggère que le changement
climatique aura un impact indirect sur le risque de conflit :
raréfaction des ressources, migrations environnementales et
catastrophes naturelles conduiraient à une déstabilisation sociétale,
un ralentissement du développement, à un affaiblissement de l’État
qui seraient de nature à accroître les risques de guerre civile. L’idée
est séduisante car elle plus « probabiliste » que « déterministe ». Il
n’est pas déraisonnable de prétendre que le changement climatique
puisse avoir un effet amplificateur de risque dans certains pays,
notamment en Afrique mais aussi au Moyen-Orient. Mais cela ne
signifie nullement que la conflictualité s’en trouve nécessairement
accrue. Tout dépend de l’ampleur de cet effet et des réactions des
sociétés concernées, qu’il est impossible d’anticiper et qui dépend
fortement de leurs institutions. S’il existait un lien mécanique entre
guerre et réchauffement, le nombre de conflits devrait être en
augmentation. Or, au contraire, il tend à diminuer.

En 2010, vagues de chaleur, sécheresses et incendies ont augmenté


le prix mondial des céréales, et notamment du blé. Cela a généré un
mécontentement qui a contribué sans doute au déclenchement des
manifestations dans le monde arabe. Mais d’autres facteurs
entraient en ligne de compte dans l’augmentation des prix :
l’expansion des cultures destinées aux biocarburants et surtout la
spéculation.

Quant aux migrations, si l’on part du principe qu’elles augmenteront


du fait d’une raréfaction des ressources et/ou de la montée du
niveau de la mer, il n’est pas raisonnable de faire de ces
phénomènes une cause de conflit : il n’existe aucun lien robuste
entre migration et conflit.

Catastrophes naturelles et conflits


Il est séduisant d’évoquer plus largement le thème des catastrophes
naturelles liées au changement climatique, et d’émettre l’hypothèse
selon laquelle ces catastrophes pourraient elles aussi, comme les
migrations, conduire à une déstabilisation sociopolitique telle, à
l’échelle d’un pays ou d’une région, que le risque de conflit s’en
trouverait accru. Toutefois, il est loin d’être certain que le
réchauffement soit de nature à accroître le nombre de catastrophes
provoquant de graves conséquences humanitaires. L’augmentation
actuelle de ces catastrophes est une illusion statistique
(accroissement des effets humains et économiques, meilleures
capacités de détection…). Le GIEC lui-même reste d’ailleurs
prudent sur l’évolution des phénomènes climatiques extrêmes
depuis 1950, et n’a qu’une « faible confiance » pour l’avenir dans
l’hypothèse de sécheresses plus intenses et/ou plus longues, ainsi
que pour celle d’ouragans plus intenses. Et lorsque les désastres
liés au climat surviennent, ils ne conduisent pas à la guerre. C’était
parfois le cas dans le passé : mais la modernisation des sociétés a
changé la donne.

Enfin, il n’est guère sérieux d’imaginer que la Russie et les pays


occidentaux pourraient se faire la guerre pour le contrôle des routes
circumpolaires ou celui des ressources non exploitées de l’Arctique.
À échéance prévisible, ces « nouveaux » passages maritimes ne
seront ouverts que quelques mois par an. Quant aux ressources
inexploitées de la zone, elles se trouvent pour la plupart à l’intérieur
des zones nationales. Comme le dit le GIEC, « il existe peu
d’éléments en faveur de la thèse selon laquelle l’Arctique deviendra
un lieu de conflit violent entre États ».

La thèse des « guerres climatiques » souffre donc de faiblesses


méthodologiques significatives, et les études qui viennent l’appuyer
sont peu convaincantes. C’est aussi l’avis du GIEC : le rapport de
son groupe de travail spécialisé estime que l’on ne peut avoir
qu’une « faible confiance » dans l’idée selon laquelle le changement
climatique a un effet sur la conflictualité.

Il est devenu de bon ton de considérer que le changement


climatique aura immanquablement un impact sur les politiques de
défense et de sécurité des pays occidentaux. Les états-majors et
les directions de la prospective dissertent, depuis quelques années,
sur cette « nouvelle menace ». Faut-il compter le réchauffement
planétaire au nombre des facteurs susceptibles d’affecter
l’environnement géostratégique ? Sans doute, mais en ayant
conscience de l’impossibilité d’en prévoir utilement les
conséquences pour les politiques de défense et de sécurité.

En conclusion, s’il n’est pas déraisonnable de dire que le


changement climatique peut avoir un effet amplificateur d’instabilité
dans certains pays, cela n’entraînera pas nécessairement une
augmentation du nombre de conflits. Cet effet dépendra de
l’ampleur des réactions des sociétés concernées. Tout au plus peut-
on dire qu’il n’est pas trop tôt pour prévoir la protection de certaines
bases maritimes contre la montée du niveau de la mer, là où celle-ci
est plus rapide que la moyenne.
Elisande Nexon et Frédéric Coste

Technologies et futur de l’homme


dans les opérations
Bien que les sources du changement dans les armées
soient multiples, un certain déterminisme technologique
imprègne les analyses portant sur ce thème. Pourtant, il
est rare que les innovations technologiques parviennent à
créer des révolutions dans l’art de la guerre. Leur
manifestations sont plutôt progressives et étalées sur de
longues périodes. Les changements actuels sont ainsi
partiellement déterminés par des développements
entamés il y a plusieurs dizaines d’années.

L es feuilles de route en matière de R&T des principales


puissances sont assez convergentes : intelligence artificielle
(IA), big data, robotique, nano et biotechnologies, technologies de
l’information, sciences cognitives, informatique avancée, nouveaux
matériaux, systèmes hypersoniques et lasers. Il s’agit de poursuivre
les efforts initiés il y a parfois 40 ans : améliorer la capacité de survie
des plateformes, en rendant leur détection difficile et leurs
matériaux plus résistants, accélérer la circulation de l’information au
sein des unités, frapper plus loin et plus précisément.

Un constat semble guider certains travaux : l’homme pourrait


devenir le maillon faible des opérations futures. Les réponses à ce
problème se déploient dans deux directions contradictoires. D’un
côté, la recherche d’une autonomie plus grande des machines ; de
l’autre, la volonté de renforcer les capacités individuelles des
personnels. Il s’agit à la fois de diminuer la place de l’humain dans
les opérations, tout en lui donnant de nouveaux moyens pour y
participer.

Autonomiser les machines


L’IA bénéficie de conditions de développement favorables :
méthodes et outils matures, capacités de calcul plus importantes,
abondance des données… Si, pour les applications militaires, les
débats portent surtout sur les systèmes d’armes létales autonomes
(dispositifs armés pouvant décider seuls de la mort d’humains), les
domaines applicatifs investigués sont nombreux : gestion des flux
logistiques, maintenance prévisionnelle des équipements, suivi
médical, analyse des comportements de l’ennemi… Le cyber
concentre notamment une grande partie des efforts en IA.

La ressource humaine se raréfiant, les investigations technologiques


portent aussi sur les robots. Il ne s’agit plus seulement de disposer
d’un agent « intelligent » – l’homme – commandant à des agents
d’exécution qui lui sont extérieurs – des machines télécommandées.
L’opérateur est déchargé des tâches les moins importantes,
transférées au système, afin de consacrer ses ressources aux
« grandes » décisions. L’objectif est de créer des « partenaires », et
de faire de l’homme le « superviseur » de machines décidant seules
des méthodes à utiliser une fois l’objectif de la mission fixé.

Avec la miniaturisation des plateformes, pourrait même s’opérer un


retour à la « guerre de masse ». De petites machines aux fonctions
spécialisées, interconnectées, seraient déployées en grand nombre,
permettant de surveiller de larges espaces et d’agir rapidement en
leur sein, en assurant une présence durable, voire une persistance.
Les personnels serviront essentiellement à la détermination des
missions et à la supervision des machines collectivement capables
de se répartir les tâches.

Renforcer les capacités humaines


Les progrès technologiques offrent aussi de nouvelles perspectives
en termes d’amélioration des performances physiques et cognitives
chez l’homme sain, grâce à des dispositifs divers (prothèses,
interfaces cerveau-machine, molécules…). Leur emploi pourrait
permettre d’augmenter l’endurance et la force musculaire, diminuer
les temps de réaction, améliorer les capacités visuelles ou auditives,
renforcer la vigilance et l’aptitude à prendre des décisions ou encore
induire une résistance accrue au stress, à la fatigue ou à la douleur.

Ce renforcement de la capacité opérationnelle passe par une


meilleure intégration aux réseaux structurant le champ de bataille.
Dès les années 1970, des efforts ont permis de multiplier les liaisons
de données et leurs capacités, pour transférer plus facilement
l’information d’un commandement à un autre. À partir des années
1990, cette logique a été appliquée au plan tactique : les
plateformes (avions, navires…) sont devenues des nodes, des
réseaux de communication. Les travaux actuels visent à réduire
encore l’échelle et interfacer le soldat individuellement avec ces
mailles.
Bruno Tertrais

CONCLUSION
Avenir de la guerre, avenir de la
paix

L
a guerre et la paix changent de formes : les médiations et les
opérations de maintien de la paix se sont multipliées depuis
la fin de la guerre froide ; les conflits, s’ils restent souvent
primitifs, voient les technologies modernes être de plus en plus
utilisées par les belligérants, États et acteurs non étatiques. Si la
guerre semble avoir un « bel avenir », certaines tendances n’en
montrent pas moins une diminution de la conflictualité sur le long
terme.

Comment fait-on la paix ?


Il y a des degrés dans la paix comme il y en a dans la guerre. La
trêve n’est qu’une interruption provisoire des combats. Un accord
de cessez-le-feu implique la fin des combats sans exclure une
reprise des hostilités. L’armistice est un accord intergouvernemental
mettant un terme aux hostilités : il peut déboucher sur un traité de
paix mettant fin à l’état de belligérance.

Le retour à la paix peut résulter d’une victoire, du simple retour au


statu quo ante, notamment dès lors qu’il s’accompagne de
l’épuisement des parties combattantes, ou d’une intervention
extérieure décisive. Le règlement politique du conflit s’avère
déterminant pour le retour à une paix durable. Celui-ci peut se
traduire par la mise en place d’un nouveau pouvoir, ou par un
règlement territorial. Le règlement du conflit peut requérir
l’intervention d’une médiation extérieure. Celles-ci se sont
multipliées depuis la fin des années 1990 ; leur rôle va de celui de
simple intermédiaire à celui de négociateur décisif.

Les opérations de maintien de la paix (OMP) sont une innovation du


système des Nations unies. Depuis 1948 (première mission au
Proche-Orient, toujours en cours), elles ont connu une maturation
progressive. Depuis la fin de la guerre froide, les Nations unies ont
multiplié les missions, notamment dans les Balkans et en Afrique.
Le budget des OMP de l’ONU est actuellement (2022) de
6,3 milliards de dollars par an. Les États-Unis (27 %), la Chine
(15 %) et le Japon (8 %) sont les plus gros contributeurs. En
personnels, les contributeurs les plus importants sont (2022) le
Bangladesh (7 000), l’Inde (5 700), le Népal (5 800), le Rwanda
(5 700) et le Pakistan (4 300). Il est vrai que ces opérations sont une
source de revenus pour les armées de ces pays.

La guerre du futur
La numérisation du champ de bataille n’en est qu’à ses débuts.
Demain, les soldats de l’infanterie auront chacun leur microterminal,
multipliant l’efficacité de leur action. Les drones sont appelés à
jouer un rôle de plus en plus important, dans les airs et dans les
mers, et agiront en « essaims », capables de prendre des décisions
autonomes (intelligence artificielle). Les opérations verront la mise
en œuvre de réseaux de petites unités (capteurs, effecteurs). La
robotisation terrestre arrivera un jour, permettant le développement
de petites plates formes permettant de porter le feu chez
l’adversaire sans risque de pertes humaines. Mais on en est encore
loin. Et ce n’est pas un robot qui fera le contact avec les
populations locales : la place de l’homme restera centrale. La
propulsion hypersonique se développera. Les nanotechnologies
devraient permettre l’amélioration de la protection des combattants
et des matériels, et le développement d’une nouvelle génération de
capteurs. Les progrès de la médecine continueront d’accroître
l’efficacité des combattants.

Le contrôle des espaces communs – mers, airs, espace,


cyberespace – sera un enjeu essentiel de l’avenir. L’urbanisation
rapide de la planète incitera les forces armées à développer leur
savoir-faire dans le domaine du combat urbain et du contrôle des
foules, y compris en ayant recours aux armes dites « non létales ».

La supériorité traditionnelle des pays occidentaux continuera d’être


mise en cause par les nouvelles puissances majeures (Chine) et par
des acteurs non étatiques mettant à profit les technologies civiles
(drones, GPS…) mais aussi parfois dotés de véritables matériels de
guerre (missiles…).

La guerre peut-elle devenir obsolète ?


L’évolution de la conflictualité fait l’objet de débats nourris entre
experts. Sur la longue durée, il semble en effet y avoir une
diminution de la conflictualité.

D’une part, la guerre interétatique traditionnelle est de plus en plus


rare – l’Ukraine faisant ainsi exception –, et la guerre entre grandes
puissances encore plus. Les explications données à ce phénomène
vont de l’interdépendance économique croissante des États à la
dissuasion nucléaire, en passant par l’évolution des normes de la
société internationale : la guerre serait de moins en moins
considérée comme un mode « normal » de règlement des différends
ou d’expression de la volonté politique. Certains experts mettent
toutefois en garde contre la possibilité d’une « illusion statistique ».

D’autre part, et c’est un phénomène plus récent, le nombre de


conflits internes tend à diminuer depuis 1990. Plusieurs facteurs
sont à l’œuvre : la fin de la décolonisation et des tensions Est-
Ouest, qui alimentaient ces conflits ; les interventions plus
fréquentes d’acteurs extérieurs et de médiateurs, qui conduisent à
raccourcir la durée des guerres ; ainsi que l’effet des transitions en
cours dans le monde en développement : une fois stabilisées, les
sociétés modernes tendent en effet à être plus pacifiques.
L’évolution démographique étant fortement prédictive de la
propension d’un État donné à connaître la violence, deux
chercheurs suggèrent ainsi que la conflictualité mondiale pourrait
connaître une diminution progressive dans les décennies qui
viennent.

Les risques actuels


Les risques de conflit interétatique majeur restent concentrés sur un
espace allant de la Méditerranée à la mer du Japon, mais sont
revenus en Europe du fait de l’agressivité russe. À moyen terme,
toutefois, c’est sans doute en Asie que se situent les risques les
plus significatifs. Entre l’Inde et le Pakistan, la détente reste fragile.
Et la possibilité d’un conflit entre la Chine et les États-Unis ne doit
pas être négligée.

S’agissant des risques de conflit interne, le degré d’instabilité et de


déliquescence des États peut fournir des indications utiles. Sans
surprise, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie centrale restent les
régions les plus préoccupantes.

Enfin, il ne fait guère de doute que les conflits « asymétriques »


entre les forces armées occidentales et des acteurs non étatiques
sont appelés à se poursuivre. On peut débattre de la notion de
« guerre contre le terrorisme », mais il est certain que les opérations
militaires contre les diverses déclinaisons du djihadisme combattant
vont se poursuivre.

En revanche, la notion de « guerre de civilisations » doit être vue


avec prudence : ce concept est presque universellement rejeté, sauf
dans certains milieux extrémistes. De même faut-il se méfier des
projections hasardeuses qui prévoient des guerres causées par les
évolutions climatiques : ni la rareté des ressources, ni les migrations
ne sont, à l’ère moderne, des ressorts majeurs de la conflictualité.
Annexes
Marie-France Lathuile et Bruno Tertrais

GLOSSAIRE
Accord de défense. Texte donnant un cadre juridique aux activités
de coopération en matière de défense, et comprenant parfois une
garantie de sécurité.
Acteurs non étatiques. Acteurs de la scène internationale autres
que les États et les organisations internationales : groupes
terroristes, ONG, réseaux criminels, médias, firmes
transnationales…
Arme nucléaire. Arme reposant sur le principe de la fission (bombe
A) ou de fusion (bombe H) des atomes.
Arme thermonucléaire. Arme reposant sur le principe de fusion
des atomes (bombe « H » pour hydrogène).
Armes à énergie dirigée. Armes capables d’émettre de l’énergie
dans une direction souhaitée sans faire appel à des projectiles
(lasers, micro-ondes, plasmas…).
Armes à sous-munitions. Projectiles destinés à disperser des
munitions explosives sur une large zone.
Armes conventionnelles. Appelées aussi « armes classiques », se
distinguent des « armes de destruction massive » et d’autres
moyens plus modernes (cyber, etc.).
Armes de destruction massive. Par convention (ONU), les moyens
nucléaires, chimiques, biologiques et radiologiques.
Arsenalisation. Implantation, déploiement d’armes ; néologisme
correspondant à l’anglais weaponization ; se distingue de la
militarisation, terme plus général.
Asymétrie. Disparité des buts de guerre, de la nature des moyens
et des modes d’action utilisés.
Attaque préemptive. S’en prendre à un adversaire alors qu’il est
sur le point de le faire lui-même ; peut ainsi relever de la légitime
défense.
Attaque préventive. S’en prendre à un adversaire pour éviter qu’il
ne le fasse, et sans qu’il ait lui-même manifesté l’intention de le
faire ; ne relève pas de la légitime défense.
Autonomie stratégique. Aptitude à décider et à agir militairement
sans recours à un allié ou à un concours extérieur.
BITD. La Base industrielle et technologique de défense désigne
l’ensemble des activités scientifiques, technologiques et
industrielles qui concoure au développement des équipements
relatifs à la défense.
Capteur. Élément central d’un système de détection (radar, optique,
infrarouge…).
Contrat opérationnel. Objectif donné à une force armée en temps
de paix ; ex. : être en capacité de déployer 5 000 hommes en trois
jours.
Défense antimissile. Ensemble des moyens mis en œuvre destinés
à assurer la protection des territoires nationaux et de leurs
populations ainsi que les forces armées déployées sur les théâtres
d’opération.
Défense collective. Système d’alliance visant à se défendre contre
une agression extérieure.
Déni d’accès. Le concept d’A2/AD (Anti-Access/Area Denial) décrit
les actions mises en œuvre par un acteur contrôlant un territoire
pour en interdire l’accès.
Dissuasion. Mode de prévention de l’agression visant à décourager
un adversaire d’y avoir recours, en le persuadant que le coût serait
supérieur au bénéfice escompté.
Djihadisme. Désigne les idées et l’action des fondamentalistes
extrémistes qui recourent au terrorisme en se réclamant de la notion
islamique de djihad.
Domaines. Ensemble des champs opérationnels produisant des
effets. Ils comprennent les champs de la lutte (les milieux
géographiques ainsi que le cyber), plus les moyens de la puissance
(militaire, diplomatie, économie, influence, etc.).
Drone. Engin mobile, sans équipage embarqué, programmé ou
télécommandé, et qui peut être réutilisé.
Entrée en premier. Ensemble des opérations conduites dans le but
de pénétrer ouvertement un espace sans y avoir été précédé par
des éléments amis.
Fonction stratégique. En France, principaux rôles des moyens de
défense et de sécurité (dissuasion, protection…).
Furtivité. Caractéristiques d’un engin terrestre, aérien ou naval, qui
le rendent très difficilement détectable.
Garantie de sécurité. Engagement de protection (envers un allié)
ou de non-agression.
Groupe aéronaval. Force composée autour d’un porte-avions et
pouvant comprendre des frégates, des pétroliers-ravitailleurs, etc.
Groupement tactique interarmes (GTIA). Concept français
désignant une unité militaire composée d’éléments de plusieurs
« armes » (ex. : infanterie, cavalerie, etc.).
Groupes armés terroristes (GAT). Concept français qui décrit,
depuis 2013, les groupes armés de la région sahélo-saharienne
recourant au terrorisme.
Guérilla. Terme emprunté à l’espagnol utilisé pour décrire des
combats d’unités mobiles et flexibles pratiquant une guerre de
harcèlement, d’embuscades, de coups de main menée par des
unités régulières ou des troupes de partisans, sans ligne de front.
Guerre cybernétique. Modèle de conflit qui est apparu avec
l’arrivée sur la scène des nouvelles technologies de l’information et
de la communication (NTIC).
Haute intensité. Lorsque toutes les fonctions opérationnelles sont
susceptibles d’être activées; quand l’ensemble des moyens
classiques aéroterrestres mais aussi des capacités nouvelles dans
le domaine du cyber, du spatial et de l’informationnel sont prêts à
être engagés massivement.
Hybridité. Combinaison simultanée ou séquentielle d’actions
conventionnelles et non conventionnelles.
IED (Improvised Explosive Device). Les engins explosifs
improvisés sont des dispositifs rudimentaires employés,
généralement, par des groupes terroristes.
Intégration multi-milieux/ multi-champs (M2MC). Adaptation
française des concepts de Multi-Domain ou All-Domain Operations
américains. Devant être mise en œuvre à des degrés divers aux
niveaux stratégique, opératif et tactique, cette intégration porte sur
la tenue de situation, les effets, ainsi que sur les actions dans les
différents milieux (terre, air, mer, spatial et cyber) et dans les champs
informationnel et électromagnétique.
Interopérabilité. Compatibilité des équipements, des procédures
ou des organisations permettant à plusieurs systèmes, forces
armées ou organismes d’agir ensemble.
Maîtrise des armements. Démarche bilatérale ou multilatérale
visant à la limiter la croissance quantitative ou qualitative des
potentiels militaires de chaque partie et/ou leur déploiement dans
une zone donnée.
Mesures de confiance. Dispositions adoptées entre États pour
réduire le risque d’attaque surprise ou de mauvaise compréhension
des intentions adverses.
Métaux stratégiques. Métaux regroupant une cinquantaine
d’éléments considérés comme indispensables pour l’industrie et les
technologies de pointe.
Mines antipersonnel. Petits engins explosifs placés sous ou sur le
sol, destinés à tuer ou à blesser.
Missile balistique. Engin autopropulsé dans sa trajectoire initiale,
mais dont la trajectoire repose ensuite sur la force gravitationnelle.
Missile de croisière. Engin autopropulsé sur l’ensemble de sa
trajectoire, dont la propulsion est dite « aérobie ».
Missile hypersonique. Missile de vitesse supérieure à Mach 5.
NBIC (nanotechnologies, biotechnologiques, informatique et
sciences cognitives). Champ scientifique multidisciplinaire.
Numérisation. Adaptation des possibilités techniques offertes par
les nouvelles technologies de l’information et de la communication
et leur mise en œuvre coordonnée en vue d’optimiser l’efficacité des
forces.
Offsets. Compensations industrielles visant à soutenir la création de
capacités nationales de production d’armement chez l’État
acquéreur.
Opérations de soutien de la paix. Opérations visant à prévenir le
conflit, rétablir la paix, la maintenir ou la consolider.
Opérations en réseau. Opérations dont l’efficience opérationnelle
repose sur la mise en réseaux des acteurs et des systèmes, sur un
partage de la connaissance et une maîtrise du processus
décisionnel permettant une combinaison optimale.
Opérations interarmes. Opérations menées par une combinaison
de moyens provenant de différentes « armes » (ex. : infanterie,
cavalerie…).
Opérations interarmées. Opération mettant en œuvre des forces
de plusieurs composantes (ex. : moyens terrestres, moyens
aériens…) provenant d’un même État et agissant en commun pour
réaliser une mission unique.
Opérations multi-domaines. Opérations relevant de l’emploi
coordonné des moyens de toute nature pour une action sur
l’ensemble des capacités ennemies ; le concept vise à intégrer et à
combiner les effets des nouveaux domaines d’action militaire
(convergence des capacités entre domaines, environnements et
fonctions, dans le temps et l’espace informationnel, cyber et spatial)
dans les opérations interarmées aux niveaux opératifs et tactiques
avec un cycle décisionnel adapté, afin de surprendre, saturer ou
déstructurer l’adversaire.
Parapluie nucléaire. Désigne familièrement une garantie de
sécurité pouvant comprendre l’emploi de moyens nucléaires.
Partage du fardeau. Désigne familièrement le partage des
dépenses et des responsabilités dans un système de défense
collective.
Projection. Envoi de moyens militaires à distance de leur lieu de
stationnement habituel.
Prolifération. Expression désignant la multiplication des
armements, ou celle des détenteurs d’un certain type d’armement.
Réassurance. Expression américaine désignant les mesures prises
pour qu’un allié se sente protégé.
Sécurité collective. Système interétatique visant à garantir la paix
en son sein (se distingue ainsi de la défense collective contre une
attaque extérieure).
SIC. Systèmes d’information et de communication.
SNA. Les sous-marins nucléaires d’attaque, à propulsion classique
ou nucléaire, effectuent des missions de renseignement, de
protection et de chasse.
SNLE. Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, à propulsion
nucléaire, sont dotés de missiles balistiques. Ils sont chargés d’une
mission de dissuasion nucléaire.
Stabilité stratégique. Expression américaine désignant un optimum
des relations entre États, en temps de paix (absence de course aux
armements) ou de crise (absence de risque d’escalade).
Stratégie. Art de coordonner l’action de ses forces politiques,
économiques, sociales et militaires dans le but d’atteindre, par la
persuasion ou la force, un objectif déterminé.
Marie-France Lathuile

BIBLIOGRAPHIE
Badie Bertrand (dir.), VIDAL Dominique (dir.), Le monde ne sera plus
comme avant. Paris : Les Liens qui libèrent, 2022.
Baechler Jean (dir.), Malis Christian (dir.), Guerre et technique. Paris :
Hermann, 2017.
Bazin Anne, Tenenbaum Charles, L’Union européenne et la paix :
L’invention d’un modèle européen de gestion des conflits. Paris :
Presses de Sciences-Po, 2017.
Berman Eli, Felter Joseph H., Shapiro Jacob N., Small wars, big
data : the information revolution in modern conflict. Princeton :
Princeton University Press, 2018.
Biddle Stephen, Nonstate Warfare: The Military Methods of Guerillas,
Warlords, and Militia. Princeton : Princeton University Press, 2021.
Bowen Bleddyn E., Original Sin: Power, Technology and War in Outer
Space. Oxford : Oxford University Press, 2022.
Boyer Yves, Lindley-French Julian, The Oxford Handbook of War.
Oxford : Oxford University Press, 2012.
Cattaruzza Amaël, Atlas des guerres et des conflits. Paris :
Autrement, 2017.
Chaliand Gérard, Anthologie mondiale de la stratégie. Paris : Robert
Laffont, 2008.
Chevalier Jean-Marie, Geoffron Patrice, Mestrallet Gérard, Les
nouvelles guerres de l’énergie. Paris : Eyrolles, 2017.
Coutau-Bégarie Hervé, Traité de stratégie (6e éd.). Paris : Economica,
2008.
Daguzan Jean-François (dir.), Valter Stéphane (dir.), Les Armées du
Moyen-Orient face à Daech. Paris : MA Éditions, 2016.
David La Guerre et la Paix, Approches
Charles-Philippe,
contemporaines de la sécurité et de la stratégie (4e éd.). Paris :
Presses de Sciences Po, 2020.
Delamotte Guilbourd (dir.), Tellenne Cédric (dir.), Géopolitique et
géoéconomie du monde contemporain : Puissance et conflits.
Paris : La Découverte, 2021.
Derdevet Michel, Dans l’urgence climatique. Penser la transition
énergétique. Paris : Gallimard, Collection Folio actuel (n° 185), 2022.
Erbland Brice, Robots tueurs : que seront les soldats de demain ?
Malakoff : Armand Colin, 2018.
Facon Isabelle, La nouvelle armée russe. Paris : L’Inventaire, 2021
Frantzman Seth J., Drone Wars: Pioneers, Killing Machine, Artificial
Intelligence, and the Battle for the Future. Brentwood : Bombardier
Books, 2021.
Freedman Lawrence, Strategy : A History. Oxford : Oxford University
Press, 2013.
Freedman Lawrence, The Future of War : A History. New York : Public
Affairs, 2017.
Gautier Louis, bellais Renaud, Boyer Yves [et al.], Mondes en guerre
[Tome IV]. Guerre sans frontières, 1945 à nos jours. Paris : Passés
composés, 2021.
Gayraud Jean-François, Saint-Victor Jacques de, Théorie des
hybrides : terrorisme et crime organisé. Paris : CNRS Éditions, 2017.
Gray Colin S., La Guerre au xxie siècle. Un nouveau siècle de feu et
de sang. Paris : Economica, 2008.
Hartley Keith (ed.), Belin Jean (ed), The Economics of the Global
Defence Industry. Londres : Routledge, 2019.
Heisbourg François, Retour de la guerre. Paris : Odile Jacob, 2021.
Henrotin Joseph, L’Art de la guerre à l’âge des réseaux. Londres :

É
ISTE Éditions, 2017.
Hynek Nik, Solovyeva Anzhelika, Militarizing Artificial Intelligence:
Theory, Technology, And Regulation. Londres : Routledge, 2022.
Lefebvre Claude, Weiszberg Guillaume, Les armes de destruction
massive et leur interdiction. Menaces nucléaires, radiologiques,
biologiques, chimiques, explosives de masse. Paris : L’Harmattan,
2020.
Levallois Agnès, Settoul Elyamine (dir.), Pouvoir des armées, armées
au pouvoir. Paris : L’Harmattan, 2022 (Confluence Méditerranée
n°12).
Lippard Cameron D., Osinsky Pavel, Strauss Lon, War : contemporary
perspectives on armed conflicts around the world. Londres :
Routledge, 2018.
Macmillan Margaret, War: How Conflict Shaped Us. New York :
Random House, 2020.
Malis Christian, Guerre et stratégie au xxie siècle. Paris : Fayard,
2014.
Marange Céline (dir.), Quessard Maud (dir.), Les guerre de
l’information à l’ère numérique. Paris : PUF, 2021.
Marret Jean-Luc, Guérin, Michel, Histoires de djihad. Sainte-
Marguerite-sur-Mer : Éditions des Équateurs, 2015.
Menon Prakash, Ramanathan Aditya (eds), The Sheathed Sword.
From Nuclear Brink to No First Use. Londres : Bloomsbury
Publishing, 2022.
Narang Vipin (ed.), SAGAN Scott D. (ed.), The Fragile Balance of
Terror: Deterrence in the New Nuclear Age. New-York : Cornell
University Press, 2023.
Niquet Valérie, Taïwan face à la Chine : Vers la guerre ? Les clés pour
comprendre. Paris : Éditions Tallandier, 2022.
Noël Jean-Christophe, Intelligence artificielle : vers une nouvelle
révolution militaire ? IFRI (Focus stratégique), 2018.
Pasco Xavier, Le Nouvel Âge spatial : de la guerre froide au New

É
Space. Paris : CNRS Éditions, 2017.
Pourcel Éric, Dronisation et robotisation intelligente des armées.
Paris : L’Harmattan, 2018.
Ramel Frédéric et al., Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris :
PUF, 2017.
Regaud Nicolas (dir.), Alex Bastien (dir.), Gemenne François (dir.), La
guerre chaude : enjeux stratégiques du changement climatique.
Paris : Presses de Sciences Po, 2022.
Scharre Paul, Army of none : autonomous weapons and the future
of war. New York : W.W. Norton & Company, 2018.
Settoul Elvamine, Penser la radicalisation djihadiste : acteurs,
théories, mutations. Paris : PUF, 2022.
Simons Greg, The changing face of warfare in the 21st century.
Londres : Routledge, 2018.
Siracusa Joseph M., Warren Aiden, Weapons of mass destruction :
the search for global security. Lanham : Rowman & Littlefield, 2017.
Sloan Elinor C., Modern military strategy: an introduction. Londres :
Routledge, 2017.
Springer Paul J., Outsourcing war to machines. The military robotics
revolution. Santa Barbara : Praeger Security International, 2018.
Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI Yearbook
(parution annuelle), Stockholm : SIPRI
Taillat Stéphane, Cattaruzza Amaël, Danet Didier, La Cyberdéfense :
politique de l’espace numérique. Malakoff : Armand Colin, 2018.
Taithe Alexandre (dir.), « Arctique : perspectives stratégiques et
militaires », FRS, Recherches & Documents n° 03/2013.
Tertrais Bruno, La Guerre. Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? »,
3e édition, 2022.
Tertrais Bruno, Les Guerres du climat. Enquête sur un mythe
moderne. Paris : CNRS Éditions, 2017.
LES AUTEURS
Antoine BONDAZ est chargé de recherche à la Fondation pour la
recherche stratégique (FRS). Il enseigne à Sciences Po Paris où il a
obtenu son doctorat. Il est spécialisé sur la politique étrangère et de
sécurité de la Chine et des deux Corées.
Frédéric COSTE est maître de recherche à la FRS. Ses travaux
portent notamment sur le développement des technologies de
sécurité et de défense. Il étudie la perception que le public en
développe et leur acceptation par les opérateurs. Ses analyses
intègrent également la gestion du changement et de l’innovation
dans les organisations militaires.
Jean-François DAGUZAN est chercheur associé à la FRS. Vice-
président de l’Institut Choiseul, il est également l’auteur de
nombreus articles et ouvrages : Les Armées du Moyen-Orient face à
Daech (MA Éditions, 2016), et La Fin de l’État-nation ? De Barcelone
à Bagdad (CNRS Éditions, 2016).
Stéphane DELORY est maître de recherche à la FRS. Il travaille sur
les questions antimissiles et balistiques.
Isabelle FACON est directrice adjointe de la FRS. Spécialiste de la
politique de défense et de sécurité russe, elle est également maître
de conférences à l’École polytechnique. Elle est l’auteur de La
Nouvelle armée russe (Les Carnets de l’Observatoire, L’Inventaire,
2021).
Florence GAILLARD-SBOROWSKY est chargée de recherche à la
FRS. Ses travaux portent sur les questions spatiales et s’inscrivent
dans l’étude des interactions entre technologies et société. Ils
portent plus particulièrement sur les pays émergents ainsi que sur
les problématiques transversales telles que le New Space, la
militarisation de l’espace, et la sécurité spatiale.
Philippe GROS est maître de recherche à la FRS. Ses travaux
portent sur les capacités militaires et les évolutions technico-
opérationnelles, les formes de conflits armés, la politique de
défense américaine et les méthodes d’analyse stratégique.
Benjamin HAUTECOUVERTURE est maître de recherche à la FRS.
Il est directeur technique chez Expertise France. Il est également
Senior fellow au Canadian Global Affairs Institute. Il a été maître de
conférences à Sciences Po Paris.
Marie-France LATHUILE est responsable du service de
documentation de la FRS. Elle est docteure en histoire.
Agnès LEVALLOIS, diplômée de l’INALCO et Sciences Po Paris,
est maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche
stratégique (FRS), vice-présidente de l’iReMMO et membre du
comité de rédaction de la revue Confluences Méditerranée. Elle
enseigne à Sciences Po Paris.
Annabelle LIVET est chargée de recherche FRS. Elle travaille sur
les questions liées à l’énergie et aux matières premières. Elle
prépare une thèse en géographie sur la sécurité énergétique en
Europe. Elle a contribué à l’ouvrage Dans l’urgence climatique :
penser la transition énergétique, sous la direction de M. Derdevet
(Gallimard, 2022).
Emmanuelle MAITRE est chargée de recherche à la FRS. Diplômée
de Sciences Po Paris, elle travaille sur les questions de non-
prolifération nucléaire, de dissuasion et de désarmement. Avant de
rejoindre la FRS, elle a travaillé en tant qu’assistante de recherche
au CESIM et à la Brookings Institution.
Jean-Luc MARRET est maître de recherche à la FRS. Il travaille sur
les problématiques État/non-État, ordre/violence, et en particulier
sur les problématiques de l’extrémisme violent, dont le djihadisme. Il
a récemment conçu, dirigé et évalué le programme AMAL de
prévention de la récidive djihadiste en milieu carcéral. Dernier
ouvrage paru : Histoire de djihad (Éd. des Équateurs, 2e édition,
2015).
Kévin MARTIN est chargé de recherche à la FRS, au pôle « Défense
& Industries ». Il est également intervenant dans le cadre de la
formation continue Panthéon-Sorbonne « Industries et marchés de
défense ».
Hélène MASSON est maître de recherche à la FRS, en charge du
pôle « Défense & Industries ». Ses travaux de recherche sont
centrés sur la politique et l’économie de l’armement. Rédactrice en
chef de la revue Défense&Industries, elle intervient à la Sorbonne, à
l’université de Bordeaux ainsi qu’à l’IHEDN.
Jean MASSON est chargé de recherche à la FRS à la suite
d’expériences en démobilisation, désarmement et réintégration en
République démocratique du Congo et Bosnie-Herzégovine. Il est
diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence et de la School of Oriental
and African Studies (SOAS) de l’université de Londres.
Nicolas MAZZUCCHI travaille sur les questions liées à l’énergie, au
cyber, et aux matières premières. Il est docteur en géographie
économique et qualifié aux fonctions de maître de conférences.
Dernier ouvrage paru : Énergie, ressources, technologies et enjeux
de pouvoir (Armand Colin, 2017).
Jonathan-Jay MOURTONT est chargé de recherche à la FRS.
Officier de l’armée de l’air, ses travaux portent actuellement sur les
questions militaires, technologiques, de capacité opérationnelle, et
de sécurité en Asie du Sud-Est et en l’Asie de l’Est.
Elisande NEXON est maître de recherche à la FRS. Elle étudie les
problématiques liées à la lutte contre la prolifération des armes
chimiques et biologiques.
Valérie NIQUET est maître de recherche à la FRS. Spécialiste des
relations internationales et des questions stratégiques en Asie, elle
est également membre du Comité scientifique du Conseil supérieur
pour la formation et la recherche stratégique. Auteure de La
Puissance chinoise en 100 questions (Tallandier, 2017).
Jean-Jacques PATRY est chargé de mission à la FRS sur les
affaires militaires (concepts, doctrines, expérimentation). Il est
également directeur du Master 2 « Géopolitique et sécurité
internationale » à l’Institut catholique de Paris.
Bruno RACINE est président de la FRS. Ancien président de la
Bibliothèque nationale de France et du Centre Pompidou, il a
également dirigé le Centre d’analyse et de prévision du ministère
des Affaires étrangères.
Alexandre TAITHE est chargé de recherche à la FRS. Il travaille sur
l’intrication Eau-Énergie-Agriculture, la gouvernance de l’eau interne
et transfrontalière, et sur les implications sécuritaires des
changements environnementaux.
Bruno TERTRAIS est directeur adjoint de la FRS. Il est spécialiste
de géopolitique et des questions de sécurité internationale. Derniers
ouvrages parus : L’Atlas des frontières. Murs, conflits, migrations
(Les Arènes, 2016), La Revanche de l’histoire. Comment le passé
change le monde (Odile Jacob, 2017).
Nicole VILBOUX est chercheure associée à la FRS. Spécialisée
dans l’étude des politiques de sécurité des États-Unis, elle est
également chargée d’enseignement à l’Institut catholique de Paris.

Vous aimerez peut-être aussi