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Une crise morale gangrène le monde :

S’y atteler en priorité conditionne notre avenir


Les informations diffusées ces derniers jours ont, une fois de plus, souligné la tolérance de la
société et de ses dirigeants face à des comportements inacceptables et inexcusables, sous le
prétexte d’éviter des conséquences jugées encore plus dommageables. Au premier plan
figure le chantage nucléaire à côté d’un relativisme de mauvais aloi basé sur des
comparaisons historiques douteuses et hors contexte.

Dans ces conditions, il est illusoire de penser que des solutions rationnelles spécifiques
puissent être trouvées aux multiples défis – géopolitiques, économiques, sociaux, financiers,
énergétiques, sanitaires, environnementaux, etc. – dont les causes et conséquences
s’interpénètrent inextricablement. A titre d’exemple, les postures adoptées par le Président
Macron, (qui prétend face à la Chine, incarner la « force stabilisatrice » de l’Union
Européenne dans un ré-ordonnancement de la gouvernance mondiale), apparaissent
irréalistes, grandiloquentes et souvent irritantes pour ses partenaires, même si ces
propositions rencontrent des aspirations que d’aucun jugeront légitimes. Leurs faiblesses ne
résident pas dans leurs objectifs mais dans la prétention du Président français à vouloir
représenter – sans mandat – ses 27 partenaires sur des sujets, notamment ceux de la
souveraineté nationale et/ou européenne, sur lesquels n’existe aucun consensus préalable.

Dans le défi lancé par la Chine « autocratique » et son vassal Russe « totalitaire » aux Etats-
Unis « démocratiques » et ses alliés, chaque pays tiers sera amené à choisir son camp. Or,
sous le couvert de la crise sanitaire (vaccins), de tensions géopolitiques exacerbées
(sanctions) ou de politiques environnementales orientées (IRA), etc.,
le protectionnisme, tant honni, a fait subrepticement son grand retour dans les relations
internationales. On a rapidement oublié les leçons du passé où des tensions similaires
avaient largement contribué à l’aggravation de la crise des années 1930 débouchant sur la
deuxième guerre mondiale.

L’extension progressive du régime de libre-échange, qui a présidé à la mondialisation, a


pourtant – même de façon très inégalitaire – bien servi la planète depuis la fin des années
1950 : elle a, en effet, permis l’alimentation (mal répartie) d’une population qui a doublé,
tout en permettant à des centaines de millions d’êtres humains de sortir de la pauvreté. Les
« objectifs du millenium » fixés à la fin du siècle dernier, laissaient entrevoir la possibilité
d’un monde ou la prospérité et la paix pourraient devenir des biens communs largement
partagés. Cette tendance s’est brutalement inversée depuis la pandémie du Covid. Les
utopies découlant de la chute du régime communiste en URSS (la fin de l’histoire) ont
encouragé une consommation et un gaspillage sans limites des impalpables « dividendes de
la paix » par les nantis, faisant fi de la fragilité des équilibres politiques, sociaux et
économiques ; les appétits des laissés pour compte, ou de tous ceux persuadés de l’être, ont
été attisés par des mouvements populistes avides de pouvoir.

Ainsi s’est développée l’illusion largement répandue, que les autocraties combattent
l’injustice historique perpétrée par l’Occident colonisateur, et qu’à ce titre, elles
bénéficieraient d’un support « majoritaire » au sein de la population mondiale. Or, cette
perception s’applique plus correctement aux nombreux gouvernements autoritaires qu’aux
populations qu’ils dirigent. En effet, ce sont les pouvoirs en place, dont la plupart ne
jouissent d’aucune légitimité démocratique ; ils exploitent des schémas souvent mafieux qui
alimentent toutes formes de commerces illicites (dont les contournements de sanctions), et
dont les bénéfices plantureux ne contribuent en rien au bien-être de leurs citoyens. Cette
réalité doit supplanter le narratif convenu qui responsabilise un colonialisme occidental
révolu pour le sous-développement chronique du tiers monde et qui occulte des exactions
au moins aussi pernicieuses sinon pires, perpétrées par ceux qui s’érigent en nouveaux
« protecteurs ». Si un ré-ordonnancement des ressources planétaires est indispensable, il ne
pourrait que s’inspirer du modèle occidental, de ses valeurs démocratiques et des ressources
qu’il génère afin que de tels transferts soient rendus possibles.

Dans un monde profondément interconnecté, structurellement interdépendant et


fondamentalement inégalitaire, la difficulté de s’accorder sur une gouvernance planétaire
acceptable est monumentale. Elle ne pourra être conçue et menée à terme que par des
visionnaires (difficiles à identifier) à l’aune de l’environnement qui inspira les Pères de
l’Europe après la deuxième guerre mondiale. Leur réussite a été largement due à
l’expérience douloureuse partagée d’un conflit où la somme des blessures, destructions et
souffrances subies créa le contexte nécessaire permettant d’imposer la primauté de l’intérêt
général sur les appétits et égoïsmes particuliers ; ainsi a débuté une période de prospérité et
de paix jusque-là inégalée sur le continent européen.

Il serait, cependant, naïf de s’imaginer que les dirigeants, notamment les dictateurs et
autocrates, soient amenés à souscrire volontairement à un projet dont l’apparente utopie les
priverait de leurs pouvoirs. Un tel bouleversement ne peut se concevoir que dans le cadre
d’une reconstruction imposée après le déferlement d’une crise d’ampleur planétaire. Or,
précisément, les risques de crises multiples, qu’on a tendance à traiter en silo vu leur
complexité, s’amoncèlent, qu’ils résultent de causes naturelles (intempéries, pandémies….),
de décisions humaines (guerre, crises financières, immobilières, énergétiques, inflation,
mouvements sociaux….) ou d’une combinaison des deux (réchauffement climatique,
pénuries….). S’il est difficile de prévoir laquelle de ces crises mettra le feu aux poudres, il est
inévitable qu’il s’étendra, créant par un effet domino, la perte de contrôle des évènements et
un effondrement apocalyptique.

L’Union Européenne, si elle subsiste après un tel choc, est particulièrement bien placée pour
initier la tâche herculéenne de reconstruction. Elle impose, cependant, comme condition
préalable d’achever sa propre intégration dans des domaines clés avant de proposer plus
largement son extension à la communauté internationale. C’est ce que le Président Macron
appelle la « souveraineté européenne » qui ne verra le jour que si des fonctions essentielles
dont, par définition, l’ensemble des pouvoirs régaliens, sont confiées au niveau européen
dans le cadre d’une subsidiarité devant rapprocher les niveaux de pouvoirs intermédiaires au
plus près des citoyens.

En développant cette utopie, on peut imaginer s’orienter vers un monde tripolaire où, en
plus des pôles Etats-Uniens et Chinois, le troisième serait représenté par une Union
Européenne de l’Atlantique à l’Oural, incorporant une Russie réformée en son sein et à
laquelle l’hinterland asiatique resterait associé, pour assurer son développement. L’Europe
ainsi élargie, se verrait conférer un degré d’autarcie lui permettant d’exercer pleinement son
rôle stabilisateur sur la scène internationale, en participant au développement d’une
gouvernance mondiale où les conflits seraient résolus par une autorité acceptée et
reconnue, conformément aux ambitions (déçues) de l’ONU.

Dans l’élaboration d’un tel chantier, la diversité des cultures, des croyances et des traditions
doit pouvoir s’exprimer et être respectée. Ces différences doivent, cependant, s’inscrire dans
une hiérarchie de normes acceptables et acceptées par tous. Pour cette raison aucun accord
n’est envisageable aujourd’hui, tant que s’affrontent ceux qui opposent la primauté de la
force à celle du droit. Déjà dans l’antiquité, le Prophète Ezéchiel (Chapitre 4, 2-4) imposait
aux dirigeants des devoirs plutôt que des droits :

2
Fils de l'homme, prophétise contre les pasteurs d'Israël! Prophétise, et dis-leur, aux pasteurs:
Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel: Malheur aux pasteurs d'Israël, qui se paissaient eux-mêmes!
Les pasteurs ne devaient-ils pas paître le troupeau?

3 Vous avez mangé la graisse, vous vous êtes vêtus avec la laine, vous avez tué ce qui était
gras, vous n'avez point fait paître les brebis.

4 Vous n'avez pas fortifié celles qui étaient faibles, guéri celle qui était malade, pansé celle qui
était blessée; vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue; mais
vous les avez dominées avec violence et avec dureté.

Saurons-nous, dans l’intérêt de l’humanité, surmonter la « crise morale » majeure qui


s’insinue et se propage dans notre quotidien ? Comme premier pas, pour limiter la
rétribution inévitable engendrée par nos excès, il faut d’urgence s’opposer sans la moindre
faiblesse, aux exactions inacceptables dont nous sommes les témoins journaliers et accepter
sereinement les risques que s’y opposer comportent.

Bruxelles, le 15 avril, 2022

Paul N. Goldschmidt - Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du « Comité des


sages » de Stand Up for Europe.

Tel: +32 (02) 373 6330 Mob: +32 (0497) 549259


E-mail: pn.goldschmidt@gmail.com Web: www.paulgoldschmidt.eu

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