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Le corpus des inscriptions

étrusques de la
« nécropole préromaine » :
nouvelles lectures et nouvelles
inscriptions
Dominique Briquel & Gilles van Heems
Université Paris Sorbonne, UMR 8546 (AOrOc) Université Lyon 2, UMR 5189 (HiSoMA)

Résumé Plus de vingt ans après la parution de la seconde


Dans le cadre de la reprise de l’étude du corpus épigra- livraison des « graffites » de la nécropole de Ca-
phique de la nécropole de Casabianda fouillée par L. et sabianda, par Jacques Heurgon1, l’heure paraissait
J. Jehasse, et riche de quelque 300 inscriptions étrus- venue de reprendre ce dossier, dont l’importance,
ques, différentes nouveautés (corrections à des lectures pour les étruscologues, n’est plus à démontrer2 :
proposées et inscriptions inédites) ont émergé, dont aussi avons-nous lancé le réexamen exhaustif de
nous présentons ici brièvement les plus intéressantes : l’ensemble du corpus épigraphique de la nécropole
au total, 9 documents, compris entre 375 et le iiie siècle en 2017, d’abord dans l’idée que nombre de lectures 475
av. J.-C. de J. Heurgon pouvaient être amendées ou cor-
rigées, mais aussi parce que nous pensions que le
Abstract récolement des collections apporterait son lot de
Within the framework of the project of a new study nouveautés. Le présent article entend faire un ra-
of the epigraphic corpus of the Casabianda necropolis pide point d’étape sur ce travail que nous a permis
excavated by L. and J. Jehasse, which numbers ca. 300 d’effectuer le PCR, et illustrer quel type de nou-
Etruscan inscriptions, various novelties (corrections to veautés est susceptible d’apporter un tel travail.
proposed readings and unpublished inscriptions) have Il faut dire que l’impossibilité d’accéder au
emerged, of which the most interesting are briefly pre- matériel archéologique issu des longues fouilles
sented here. A total of 9 documents, ranging from 375 des époux Jehasse sur la nécropole (publié pour 475
to the 3rd century B.C., are re-examined here.
Fig. 4 Pied de cratère à colonnette attique à figures rouges attribué au Peintre de Cette recherche a été effectuée dans le cadre du domaine
Léningrad, vers 480, de la tombe 90. 3 (La nécropole), axe 4 (Les inscriptions) du PCR Aleria et ses
territoires : approches croisées. Nous tenons à remercier très
sincèrement J.-M Bontempi et A. Jurquet, ainsi que J. Tristani,
directrice du musée J. Carcopino d’Aleria, et S. Gregori, directeur
du musée de Bastia, pour leur travail et l’aide qu’ils nous ont
apportée pendant l’étude de ces documents. Sauf indication
contraire, toutes les datations s’entendent av. J.-C.

1. J. Heurgon, Les graffites, dans Jehasse 2001, p. 330-


363. La précédente livraison (Les graffites d’Aleria, dans Jehasse
1973, p. 547-575) était parue en 1973. Publiée en 2001, la der-
nière étude de Jacques Heurgon, mort en 1995, a donc au plus
tard été conduite dans la première moitié des années 1990.
2. L’importance de ces inscriptions a très tôt été
soulignée après la publication, en particulier par M.
Cristofani, qui a produit plusieurs études à partir de ce corpus
(en particulier Cristofani 1976, p. 96-97 et Cristofani 1981,
p. 439-440 ; voir également van Heems 2012).

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l’essentiel en 1973 et 2001), de nombreuses an- l’idée de Johnston avec de nouveaux arguments10,
nées après la fin des opérations archéologiques sur qui confirment pleinement cette hypothèse, et doit
le site, fit que les épigraphistes avaient pour seul pousser à exclure cette partie du graffite, non seu-
outil la publication – certes de très haute qualité, lement du corpus étrusque, mais même du groupe
pour l’époque – de J. Heurgon, et en particulier ses des inscriptions onomastiques.
dessins (l’apparat photographique, en particulier En effet, il faut voir dans cette seconde partie
celui proposé dans Jehasse 1973, se révélant assez Fig. 1 Fond de skyphos Fig. 2 Pied de cratère du graffite d’abord deux lettres grecques de ductus
attique à figures noires à colonnette attique à
peu utile en raison de la piètre qualité des clichés, daté vers 475, figures rouges attribué au dextroverse, ον, dont Johnston comme Agostiniani
et surtout de leur sélectivité). Or les propositions de la tombe 91. Peintre de Léningrad, vers font l’abréviation d’un nom de vase, puis, à la place
de correction n’ont pas manqué de fleurir – en 480, de la tombe 90. de la séquence problématique <θnliia>/<θnaia>,
particulier dans le recueil des Etruskische Texte une série de chiffres, composée d’un lambda (= ‘5’),
de H. Rix et de son équipe (1991) –, à partir des de deux barres verticales (valant chacun ‘1’) et en-
seuls dessins, qui, on le verra, sont souvent fautifs, 1. Problèmes d’identification skyphos attique à figures noires de la tombe 91, fin d’un delta en forme de flèche (= ‘10’). Il faut par
alors même qu’il était impossible de proposer des
relectures autoptiques des graffites publiés par
linguistique. daté des environs de 475, et dont il livre la lecture
suivante :
conséquent lire ce graffite de la manière suivante :

Heurgon. Le réexamen en cours de ces graffites, Tout épigraphiste qui s’est un jour intéres- ον 5 1 1 10
et cet article devrait le démontrer, permettra donc sé à la classe épigraphique des graffites vasculaires seθnliia
de repartir sur des bases saines, et de proposer un sait combien elle oppose de difficultés à l’établis- L’examen autoptique de ce graffite confirme
corpus complet et à jour des inscriptions (pour sement de textes sûrs : leur brièveté intrinsèque Cette lecture, reprise telle quelle par la pre- en premier lieu l’exactitude du relevé de J. Heur-
l’essentiel étrusques, mais pas uniquement) retrou- (l’espace étant réduit, les abréviations abondent), mière édition du Thesaurus linguae Etruscae (s.v., gon (même si, bien entendu, l’interprétation qu’il
vées dans la nécropole. l’état de conservation des pièces inscrites, sou- p. 313), n’a pas convaincu l’équipe d’H. Rix qui, en propose est à rejeter). Ce qui signifie que la
Comme on le sait, ce corpus, très majoritai- vent lacunaires et à l’état de fragment, ainsi que dans la première édition des Etruskische Texte, la première partie du texte, c’est-à-dire la séquence
rement étrusque, même si le grec et surtout le latin la technique employée (incision après cuisson au corrigea en précédant le groupe <ον 5 1 1 10>, est bien compo-
sont représentés3, est composé de graffites vascu- moyen d’une pointe dure)6 sont autant de facteurs sée de deux lettres étrusques qu’il faut lire non pas
laires en provenance de la nécropole4 : il compte qui expliquent les nombreuses incertitudes qui ceθnaia ce, comme le proposent les éditeurs des Etruskische
à ce jour 300 graffites des ve-iie siècles, composés pèsent sur la lecture et l’interprétation de ces ins- Texte, mais bien se, comme le faisait J. Heurgon.
pour l’écrasante majorité de sigles unilitères ou bi- criptions, non seulement sur des points que l’on selon une proposition de G. Meiser faite De fait, le trait oblique que G. Meiser semble aper-
litères, généralement en étrusque, de symboles gra- pourrait tenir pour secondaires (lecture correcte sur la base de la photographie présentée sur la cevoir sur la photographie et le dessin, et qui per-
vés (croix, pentagrammes, etc.), de marques numé- de tel ou tel caractère, par exemple), mais aussi sur pl. 168 de Jehasse 1973. La seconde édition du re- mettrait de soutenir la lecture d’un <c>, semble
riques, et d’une minorité d’inscriptions à contenu des éléments essentiels de l’interprétation, tels que cueil (2014) conserve inchangée cette lecture8. fortuit.
linguistique élaboré (47, pour l’essentiel des textes l’identification linguistique elle-même (le graffite D’un point de vue linguistique, si la lecture de J. Par conséquent, il faut proposer la lecture
à contenu strictement onomastique indiquant en est-il rédigé en grec, en étrusque, en latin, en pu- Heurgon, comme lui-même le reconnaissait d’ail- suivante de cette inscription :
entier ou abrégé le nom d’individus, dont 9 sont nique ?). Concernant les inscriptions d’Aleria, ces leurs, ne donnait pas entière satisfaction – une
très fragmentaires et se limitent à quelques lettres). incertitudes ont ouvert la porte à des relectures et telle forme oriente vers une finale archaïque de se / ον 5 1 1 10
Dans cette présentation, nous nous attar- propositions de correction qu’il est intéressant de génitif en ‑ia, mais le groupe <θnl> reste un cluster où le groupe <511> vaut probablement <7> :
derons sur deux exemples de relectures, puis pré- regarder de près à la lumière de l’examen autop- difficile à justifier du point de vue phonotactique
senterons quelques-unes des inscriptions inédites tique. Nous commencerons par présenter le cas de à une époque présyncopale –, et pouvait justifier se / ον 7 10
découvertes à l’occasion de ce réexamen, que nous deux inscriptions, les graffites Heurgon nº 1 et 5 (= une tentative de correction, et si la forme ceθnaia
jugeons les plus intéressantes5, soit en tout 9 ins- ET2 Cs 2.1 et 2.2), provenant des tombes 91 et 90 de est a priori plus satisfaisante, une telle lecture reste • Heurgon nº 5 = ET2 Cs 2.211 (fig. 2-4)
criptions (dont 7 inédites), s’échelonnant du ve au la nécropole de Casabianda7, qui illustrent bien ces difficile à justifier du point de vue paléographique. De même, le ou les graffites12 situé(s) sous le
iiie siècle. problèmes d’identification liguistique. Or, dès 1978, A. W. Johnston, dans une importante pied du cratère à colonnettes attribué au peintre
contribution9, ouvrait la voie à une solution bien de Léningrad, daté des environs de 480, de la
• Heurgon 1 = ET2 Cs 2.1 (fig. 1) plus satisfaisante : selon ce spécialiste des Trade- tombe 90 de la nécropole de Casabianda, a sus-
3. L’un des grands apports de ce réexamen consiste en Le premier graffite édité par J. Heurgon marks, il ne fallait pas considérer la séquence lue cité des relectures. Le graffite tel que le publie
la réévaluation de la présence du latin dans ce corpus, qu’il dans Jehasse 1973 se trouve sur le fond d’un petit <θnliia> par Heurgon et <θnaia> par Rix et Meiser Heurgon est composé d’un <a> de grande taille,
faut revoir à la hausse au vu des inédits retrouvés. Par ailleurs, comme une succession de lettres étrusques, mais placé au centre du pied, et d’un groupe de cinq
J. Heurgon note la présence de deux lettres puniques (des bien y voir une inscription commerciale attique ;
alephs) : Heurgon nº 221-222 (Jehasse 2001, p. 358). 6. L’incision avant cuisson offre une plus grande lisi-
4. On ne connaît qu’une seule inscription étrusque en bilité, la surface tendre de l'argile permettant à son auteur de plus récemment, L. Agostiniani est revenu sur 10. L. Agostiniani, dans REE 75, 2009, n. 139, p. 306-
provenance de l’habitat  : ET2 Cs 2.23 (fr. de pied de coupe former plus facilement et plus profondément les lettres. Dans 308.
attique  ; IVe siècle)  ; sur ce corpus, voir, dernièrement, le corpus d’Aleria, les graffites sont presque exclusivement ré- 11. Nous reprenons ici l’essentiel de notre article,
Briquel-van Heems, sous presse 1. alisés après cuisson. 8. Dans les deux éditions, l’inscription porte le numéro Briquel-van Heems sous presse 2, auquel nous renvoyons
5. Les principaux inédits sont présentés dans le 7. Cette présentation reprend pour l’essentiel les Cs 2.1. pour le détail de l’analyse ; voir également REE 81, 2018, n. 71,
volume 81 de la REE (année 2018, mais sortie en 2020), sous conclusions de notre article, Briquel-van Heems sous presse 9. Johnston 1978. L’hypothèse d’une marque p. 392-393.
les nº 50-57, p. 359-365 ; nous reprenons ici en grande partie 1,, auquel nous renvoyons pour plus de détails ; voir également commerciale grecque avait été signalée, mais non retenue, 12. Pour J. Heurgon, le vase porte trois graffites, dont
les analyses et conclusions qui y sont présentées. REE 81, 2018, n. 70, p. 391-392. dans Colonna 1973, p. 571. deux (distincts) sous le pied.

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Fig. 5 Coupe en
céramique commune fine,
IVe siècle (?),
de la tombe 92.

Heurgon comme un <ν> doit être complété 2. Nouvelles acquisitions


par une série de petits traits latéraux (dispa-
rus ou passés inaperçus), qui en font un <n>
épigraphiques.
étrusque ; Dans le cadre du récolement des collec-
3) la barre verticale qui clôt la séquence tions du musée Jérôme Carcopino d’Aleria, J.-
(<ι> pour Heurgon) est elle aussi pourvue M. Bontempi a pu repérer plusieurs graffites qui
d’une barre latérale disparue ou invisible, qui avaient échappé à l’attention des fouilleurs ; à ce
en ferait un <l>. groupe s’ajoute également une importante inscrip-
Mais l’autopsie de l’inscription – qui est tion, conservée au Musée de Bastia, dont nous de-
dans un état de conservation plutôt bon – que vons la connaissance à A. Jurquet, responsable du
nous avons pu pratiquer ne permet de sauver au- pôle scientifique du musée ; Nous présentons ici
cune des hypothèses de lecture des Etruskische ceux qui paraissent les plus importants.
Texte, et confirme au contraire pleinement la lectio
Heurgon – même si, là encore, la justesse du relevé • REE 81, 2018, nº 50 (fig. 5)
Fig. 3 Pied de cratère signes sur le bord, respectivement, de gauche à quiser la lecture dans leurs Etruskische Texte : réfu- n’implique pas qu’il faille accepter l’interprétation Une coupe non vernie provenant du dromos
à colonnette attique à droite, une croix à la hampe centrale très longue, tant une lecture grecque, les éditeurs proposèrent, qu’en propose le savant français. De fait, L. Agos- de la tombe 92, et publiée dans Jehassse 1973 sous
figures rouges attribué au et quatre autres marques qu’il interprète comme à nouveau, sur la base du relevé de J. Heurgon, de tiniani, dans sa contribution citée supra14, offrait le n. 2040, présente un graffite qui était alors passé
Peintre de Léningrad, vers des lettres grecques formant la séquence <οινι>, lire une séquence de cinq caractères étrusques dex- un exemple supplémentaire de graffite commer- inaperçu. Cette tombe, datée du ve siècle, mais uti-
480, de la tombe 90.
qu’il proposait de compléter en Οἰνί[ας]13, et qu’il troverses (ils ne séparent ainsi pas le <a> incluant cial attique, suivant en cela l’interprétation très lisée jusqu’au ive siècle, recueille les restes et le mo-
considérait comme un anthroponyme grec. Dans une croix, des quatre derniers signes lus par Heur- convaincante faite par A. W. Johnston15. Toutefois, bilier de deux défunts, et fait partie des tombes les
son commentaire, J. Heurgon imaginait donc que gon ; ils aboutissent ainsi au texte suivant (ET2 Cs il faut reconnaître que la séquence grecque οινι ne plus anciennes de la nécropole et des plus riches du
cet Οἰνίας était un Grec installé dans la colonie à 2.2) : connaît aucun autre parallèle dans la classe, pour- point de vue épigraphique, puisqu’on n’y compte
la période étrusque (mais peut-être descendant de tant bien fournie, des trademarks ; on peut certes pas moins de neuf vases inscrits (il s’agit de sigles et
l’un des Phocéens présents en Corse au moment de aθial imaginer avoir affaire à un nom de vase abrégé, de marques)17, en plus de celle que nous présentons
la fondation grecque), et qu’il fallait reconnaître mais le seul mot grec qui pourrait convenir est l’ad- ici, qui est donc la première inscription à contenu
dans la forme uinia attestée par deux inscriptions Du point de vue linguistique, cette lecture jectif, par ailleurs très rare, οἴνινος « vineux, relatif linguistique élaboré qu’offre la tombe.
étrusques de la nécropole du début du iiie siècle a le mérite de ranger ce graffite dans le groupe au vin », qui ne semble pas employé pour désigner La coupe d’impasto jaune-orangé, de pe-
(Heurgon nº 50 et 51 = ET2 Cs 2.8 et 2.9), le nom bien fourni des inscriptions composées d’un seul un vase. On pourra alors reproposer l’hypothèse tites dimensions (h. 5,4 cm, diam. 15,5 cm), remonte
d’un des descendants (il y voyait un nom masculin anthroponyme au génitif, typologie bien représen- anthroponymique, dans la mesure où de nombreux à la première moitié du ive siècle, et présente, sous
et non féminin) de cet Οἰνίας. tée dans le corpus. Mais si la finale ‑ial ne pose pas noms de personnes grecs commencent par Oἰνι- : le son pied, un graffite de sept lettres (long. texte :
Toute séduisante que fût cette interpréta- difficulté, il n’en va pas de même pour la base ono- LGPN recense ainsi les formes Oἰνιάδας, Oἰνιάδης, 3,5 cm), réalisé avec une pointe extrêmement fine ;
tion, H. Rix et ses collaborateurs vinrent en étrus- mastique *aθ‑, qui apparaît isolée : il faudrait alors Oἰνίας, Oἴνιλος, Oἴνιλλος, Oἴνιχος, Oἰνίας, Oἰνίων16. même s’il s’avère complet, la fin du graffite est de
rapprocher le nom du prénom extrêmement cou- Mais quoi qu’il en soit de l’interprétation à donner lecture malaisée :
13. Le savant proposait également, comme possibles
restitutions, les noms Oἶνις et Oἰνιάδης, mais préférait Oἰνίας
rant arnθ (arc. aranθ), mais le ‑r‑, contrairement au à cette séquence, il s’agit bien d’un graffite grec et
en raison du rapprochement avec deux inscriptions étrusques ‑n‑ qui est parfois caduc, y est toujours stable (cf. non étrusque. χurtṇẹṣ
d’Aleria portant le nom uinia. Dans son compte rendu à Jehasse ses variantes arθ et araθ). En outre, l’interprétation
1973, G. Colonna (tout en évoquant en passant la possibilité des Etruskische Texte ne peut être admise qu’au prix 14. Agostiniani, loc. cit. note 10, p. 380. Sans grande surprise, on a de nouveau affaire
qu’on ait affaire à une marque commerciale grecque) faisait de lourdes modifications du relevé proposé par J. 15. Johnston 1978, p. 80, en particulier : « With regard à un nom de personne, cette fois fléchi au génitif
remarquer que le nom, plutôt que grec, pourrait renvoyer à to tomb 90 and its single inscribed vase, 1768 column crater by
un Italique hellénisé de Campanie arrivé en Corse comme Heurgon : the Leningrad Painter, I can only say that the interpretation (noté au moyen du sigma, c’est-à-dire suivant la
mercenaire (Colonna 1973, p. 571), mais il reste difficile de 1) il faut supposer que la croix initiale of OINI as a personal name is far from secure […]. I would norme orthographique méridionale), qui consti-
trancher dans un sens ou dans l’autre. On notera enfin que est le reste d’un <a>, auquel il manque la agree with Heurgon in dissociating the + from the following tue un hapax, non seulement à Aleria, mais même
le nom étrusque uinia est maintenant attesté, en dehors des barre latérale, et que la nette séparation que OINI but would entertain the possibility of the latter being dans l’ensemble de l’onomasticon étrusque ; on ne
deux exemples d’Aleria, par un graffite d’Adria, sur une coupe a vase-name abbreviation and not an Alerian, Greek, owner’s
tardo-archaïque de céramique grise, où on lit le génitif uniaś
l’on observe entre ce signe et le reste du graf- mark. »
peut en effet le mettre en rapport avec la forme
(A. Gaucci, REE 79, 2016, n. 56)  ; ce nom est probablement fite n’est pas significative ; 16. Cf. Briquel-van Heems, sous presse 2, pour le détail
d’origine celtique. 2) ce qui apparaît dans le relevé de des formes. 17. Il s’agit des graffites Heurgon nº 11-19.

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Fig. 7 Coupe à vernis
noir estampillée,
IIIe siècle,
Musée de Bastia.

de Casabianda, parmi lesquels une coupe estam- mais qui est dans la plupart des cas composée d’un
pillée à vernis noir de 18,5 cm de large (12,5 hors seul nom, comme dans le graffite qui nous occupe.
anses), 6 cm de haut (diamètre du pied circulaire : En revanche, l’interprétation s’avère moins
6 cm) ; le fond de la coupe porte quatre palmettes simple : la forme zipie est un hapax (contrairement
imprimées et un décor incisé. Le vase, en très bon à la forme vipie). On peut sans difficulté l’analy-
état de conservation, comporte une inscription si- ser comme une formation anthroponymique en
nistroverse parfaitement lisible : ‑ie (suffixe dérivatif dit « patronymique », ser-
vant à former par dérivation des noms de per-
zipie sonnes masculins à partir d’autres noms propres)
sur la base *zip‑ /tsip-/ qui intervient par ailleurs
même si pour des raisons linguistiques, l’on dans la formation du théonyme zipna (et ses va-
peut hésiter avec une lectio difficilior riantes zipnu, zipanu, zipunu)23. Cette déité, géné-
vipie ralement considérée comme une personnification,
puisqu’elle apparaît sur une série de miroirs24, est
Du point de vue paléographique, en effet, malheureusement mal connue, mais on constate
le sens descendant des ailettes latérales de la pre- qu’on a affaire avec zipie et zipna à un couple paral-
mière lettre, et non descendant comme pour <p> lèle, ces noms étant tous deux formés sur la même
Fig. 6 Coupe à vernis *χur(u)na et ses variantes, bien attestées en Étrurie En tout état de cause, cet élément onomas- et <e>, oblige à y voir un <z> septentrional plutôt base *zip‑, à partir des deux suffixes adjectivaux
noir estampillée, septentrionale18, et peut-être liées au méridional tique doit être considéré comme un gentilice en qu’un digamma, d’abord parce que le <v> étrusque isofonctionnels ‑ie et ‑na, le premier servant à for-
IIIe siècle, curuna ; en revanche, on pourrait établir de ma- raison de la présence du suffixe ‑ne, et là encore a normalement un tracé solidaire de ceux du <p> mer un théonyme (sans doute par personnification
Musée de Bastia. nière plus solide un lien avec le gentilice *curtine nous nous trouvons dans la norme des pratiques et du <e>, mais aussi parce qu’à Aleria le <v> a tou- d’un adjectif ), le second un anthroponyme (pré-
(et variantes), qui apparaît dès l’époque archaïque onomastiques observées dans la nécropole, qui jours des ailettes descendantes22. nom ? Gentilice ?). Malheureusement, à nouveau,
sous diverses réalisations orthographiques : kurti- privilégient, comme souvent dans l’épigraphie sur En l’absence de contexte archéologique, le sens de la base – sans doute encore sensible dans
naś (ET2 Cl 2.4, viie siècle), kuritianaś (ET2 Cl 3.1, instrumentum20, les formules onomastiques à un la datation de l’objet et de l’inscription ne peut le théonyme, s’il s’agit bien de la personnification
viie siècle), qurtiniie (ET2 Ve 3.14, vie siècle), kurteś seul élément : sur l’ensemble des inscriptions d’Ale- guère être plus précise qu’un générique première d’une qualité – nous échappe totalement (mais on
(ET2 Vt 1.71, vie siècle), curtines (ET2 OA 2.49, ria qui permettent ce type de calcul, 3 seulement moitié du iiie siècle – même si la production de ce peut penser à une qualité morale ou physique sus-
ve siècle). Pour expliquer la forme χurtnes que nous présentent une formule onomastique à deux élé- genre de céramique se prolonge jusqu’au début du ceptible d’être valorisée dans le mundus muliebris :
trouvons ici, il faut postuler, outre la chute du ‑i‑ ments (souvent anomale, qui plus est : une seule est iie siècle –, époque à laquelle appartient une partie beauté, pudeur, honnêteté, grâce…)25.
interne tout à fait attendue (« syncope » vocalique véritablement conforme aux pratiques « continen- non négligeable de la production épigraphique en Inversement, l’hypothèse de lecture, paléo-
du ve siècle), une formation gentilice en ‑na+‑ie à tales »), tandis que 20 privilégient un seul nom (il langue étrusque de la nécropole. graphiquement plus difficile, vipie est, du point
partir d’une base prénominale *curte (‑naie > ‑ne), s’agit dans 13 d’entre elles d’un prénom, et pour les L’inscription est donc composée, comme
23. Ces dernières présentent une voyelle d’anaptyxe.
et un passage /k/ > /kh/ à l’initiale. C’est ce dernier 7 autres du gentilice)21. Ce nouveau graffite vient c’est fréquemment le cas dans les graffites sur ins- 24. zipna : ET2 Um S.2, OI S.23, S.38, S.45 ; zipnu : ET2
accident phonétique qui est le plus difficile à justi- ainsi confirmer ce que nous observons dans le cor- trumentum, d’un unique mot, qui s’avère être un OI S.78 ; zipanu : ET2 OI S.29, S.110 ; zipunu : ET2 OI S.101. Sur
fier, étant donné qu’il n’y en a pas d’autre exemple pus déjà connu. nom de personne masculin à l’absolutif. On est là le personnage portant ce nom sur les miroirs, voir Lambrechts
à Aleria19 ; le rapprochement demeure donc pour le dans la « norme » des formulaires épigraphiques 1997 ; Grummond 2006, p. 94 et 98.
moment, et en l’absence d’ultérieures attestations, • REE 81, 2018, nº 57 (fig. 6-7) attestés à Aleria : toutes les inscriptions longues 25. Au regard de la distribution de la lettre <z> dans
le corpus des inscriptions étrusques d’Aleria, extrêmement
purement hypothétique. Le musée de Bastia a acquis en 1978 un lot du corpus comportent au moins une désignation rare (on n’en trouve qu’un autre exemple, dans un graffite
d’objets provenant probablement de fouilles clan- onomastique, dont la forme peut certes varier, encore inédit porté sur un petit skyphos, qui ne permet pas
18. Voir, entre autres nombreux exemples, ET2 Cl 1.259, destines d’une ou plusieurs tombes de la nécropole de trancher sur la valeur phonétique de la lettre), il est peu
1.260, 1.481, 1.539, 1.540. 22. Cf. Heurgon dans Jehasse 1973, nº 10, 37, 38, 48, probable que cette lettre note ici une sifflante sourde du type
19. En revanche, le phénomène inverse (/kh/ > /k/) 20. Maggiani 1992, p. 183 (Populonia). 55, 74, 83  ; dans Jehasse 2001, nº 168, 209, ainsi que deux /s/ ou /ʃ/, comme c’est notamment le cas dans les inscriptions
semble attesté par la forme antuce (ET2 Cs 2.11), qui est sans 21. Pour le détail de ce calcul, voir REE 81, 2018, p. 361. inscriptions encore inédites. Les ailettes, selon le modèle étrusques du Sud de la Gaule (cf. Briquel-van Heems 2018,
doute l’étruscisation du nom gr. Ἀντίοχος (sur ce phénomène, Pour les pratiques onomastiques en vigueur à Aleria, van « corsivizzante » identifié par A. Maggiani (Maggiani 1990, p. 403) ou à Volsinies à l’époque hellénistisco-romaine (van
voir nos explications dans Briquel-van Heems sous presse 1). Heems 2012, p.454-456 ; Briquel-van Heems sous presse 1. p. 177-217), sont même parfois quasi-verticales. Heems 2003).

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Fig. 9 Base de vase à
vernis noir, IIIe siècle (?),
hors contexte.

dans sa variante désaspirée, et peut-être, pour la


seconde, avec une assimilation de /m/ > /n/ devant
dentale. Le prénom était déjà connu à Aleria,
avec et sans aspirée (comp. ET2 2.21 avec <θ> et
Cs 2.10 avec <t>). Du point de vue linguistique,
l’apport majeur de ces nouvelles inscriptions est
de venir renforcer les témoignages de la forme
désaspirée du prénom ramθa : en effet, jusqu’à
présent, l’inscription ET2 Cs 2.10 constituait le
seul exemple de ce prénom avec une désaspiration
de l’occlusive28 (alors que le phénomène est attesté
en étrusque « continental » pour d’autres prénoms,
comme arnθ et larθ, régulièrement réalisés
sous les formes arnt et lart) : ces deux nouvelles
occurrences viennent donc renforcer l’idée que
l’on a affaire à un particularisme graphique qu’il
convient de souligner, même s’il est difficile d’en
donner une explication univoque. De fait, si
l’on peut désormais sans grand risque écarter la
possibilité d’une simple « erreur », qui paraît peu
probable, on peut se demander si cette variante
n’est pas rendue possible par une pression moindre
des normes graphiques (en raison de l’éloignement
d’Aleria des centres continentaux et/ou de la
Fig. 8 Base de vase à de vue linguistique, nettement plus intéressante : • REE 81, 2018, nº 51-52 (fig. 8-9) circulation strictement privée et domestique de
poisson à vernis noir, cette forme et ses dérivés sont en effet des anthro- On signalera enfin deux nouvelles attesta- ces inscriptions), ou si elle doit être imputée à
IIIe siècle, hors contexte. ponymes bien attestés dans l’onomasticon étrusque ; tions d’un prénom déjà connu dans le corpus alé- une véritable volonté de marquer une réalisation
vipie est une forme prénominale (quoiqu’elle soit rin. La première apparaît sur un « plat à poisson » phonétique proprement locale (ce qui est tout à
attestée surtout en fonction de gentilice), qui est à vernis noir (diam. : 27 cm ; diam pied. : 9 cm, h. : fait possible dans un milieu linguistiquement et
à l’origine du prénom vipe, attesté dans quatre ins- 3,5 cm) retrouvé hors contexte (mais une datation culturellement mixte tel que l’Aleria de l’époque
criptions funéraires d’Étrurie méridionale (qui générique au iiie siècle est assez probable) ; c’est hellénistique)29. On signalera en revanche que
oblige à poser une évolution vip‑i‑e > vipe, avec sous sa base, malheureusement incomplète, que se la variante avec <n> plutôt que <m> est, pour
chute de ‑i‑ intervocalique, typique de cette région trouve le graffite sinistroverse de 6 cm : sa part, mieux établie (cf. ThLE I2, s.v.). Ces deux
d’Étrurie (cf. leθaie > leθae ; sminθie > sminθe, etc.). textes permettent en tous les cas d’augmenter la
Même si, comme on l’a signalé, cette forme est sur- ramt[a] proportion de formules onomastiques alérines
tout employée comme gentilice (« Vornamengen- limitées au seul prénom de la personne à laquelle
tile  » : cf. ET2 Vs 6.32), sa fonction initiale de pré- La seconde ne se trouve pas sur un vase iné- elles se rapportent.
nom est assurée par les nombreuses formations dit, mais sur un petit vase à vernis noir (diam.
gentilices auxquelles elle donne lieu (vipina et ses 9,5 cm ; h. conservée : 5,6 cm) déjà connu (nº inv. • REE 81, 2018, n. 53 (fig. 10) Fig. 10 Fragment de
Fond (plutôt que
formes archaïques, vipine, vipinana, et dérivés)26. 2018.0.4625 ; ancien nº 350e), mais dont le graffite On signalera enfin un fragment de base de fond de vase à vernis noir,
« base ») ?
Parmi elles, on signalera tout particulièrement la était passé inaperçu, et datant lui aussi probable- vase à vernis noir (5,1 x 4,8 cm), également hors hautes de 0,6 cm). On peut en proposer la lecture IIIe siècle (?),
forme vipini, qui est attestée précisément à Ale- ment du iiie siècle. Le texte, incisé également sous contexte, mais sans doute lui aussi probablement suivante : hors contexte.
ria par deux inscriptions de la même tombe (ET2 la base, est assez peu soigné (la première lettre du iiie siècle, qui présente une inscription malheu-
Cs 2.16 et 2.17), pour lesquelles on peut restituer est nettement séparée – 2 cm – du reste), et deux reusement lacunaire et de lecture difficile (princi- ]ṣnui
ce nom27 ; il est toutefois impossible de tracer une lettres sont de lecture assez difficile, à tel point palement du fait de la faible dimension des lettres,
connexion directe entre cet éventuel vipie et le vi- qu’on peut hésiter entre deux lectures : Le fragment invite à penser qu’il s’agisse de
pini de la tombe 174. Par conséquent, si séduisante la partie finale d’un nom, ce qui autoriserait la res-
28. Il est certes attesté sous la forme Ramta, qui désigne
soit-elle, cette interprétation doit être mise de côté rạṃta une lautniθa sur une inscription sur tuile funéraire de Chiusi titution suivante :
en l’absence d’autres parallèles. ou (ET2 Cl 1.1716), mais il s’agit d’une inscription étrusque rédigée
en alphabet latin, et l’emploi du <t> s’y explique par l’absence, [tu]ṣnui
rạṇta dans l’alphabet latin, d’une lettre adéquate pour transcrire le
26. Cf. ThLE I2 pour les attestations. <θ> étrusque.
27. Cf. le commentaire que propose J. Heurgon de ces 29. Sur les pratiques graphiques et linguistiques de la
Si elle est correcte, on aurait ainsi une attes-
deux graffites (Heurgon nº 168a et 168b)  ; voir également Dans les deux cas, nous avons affaire au communauté alérine, nous nous permettons de renvoyer à van tation du féminin du gentilice tusnu (avec sigma,
Heurgon 1973, p. 615. prénom féminin panétrusque bien connu ramθa, Heems 2012 ; Briquel-van Heems s.p. 1. c’est-à-dire selon les normes orthographiques mé-

142 143
Fig. 11 Fragment de
base de coupe à vernis
noir, IIIe siècle (?),
nécropole, inédite.

dément sur 4,2 cm le long du peut aussi expliquer cette réalisation par une in-
pied, est composé de 9 lettres fluence sous-jacente de l’étrusque, langue encore
de 0,7 cm de haut, et de deux bien présente dans la nécropole au iiie siècle. C’est
signes d’interponction (dont toutefois surtout le gentilice Voltio qui suscite plu-
un inutile ou fautif ), qui se sieurs remarques. Formellement, d’abord, il s’agit
laissent lire sans difficulté : d’une forme de nominatif en ‑o, typique du latin
« épigraphique » de l’époque républicaine (ive-iiie
Cai. Voltio siècles), et reflétant sans doute la faible articula-
tion de /s/ en position finale35 ; ensuite, on notera
Il s’agit d’un graffite que, si Voltius est un nomen attesté par l’épigraphie
onomastique, composé d’une latine36, ce nom rappelle l’un des prénoms falisques
formule onomastique bi- les plus typiques et l’un de ceux à la longévité la
membre ‘prénom + gentilice’ plus grande, Voltio, que l’on estime généralement
au nominatif. Si le prénom d’origine étrusque (racine *velθ‑ passée à *Volt‑ en
Cai, en tant que tel, ne pose latino-falisque), même si son emploi comme pré-
pas de difficulté – il s’agit du nom (sous les formes Voltio(s) et Volta) est propre
prénom latin Gaius fort bien au falisque37. On notera, enfin, du point de vue pa-
connu –, on peut se demander léographique, l’intéressante forme du <l>, qui n’est
si l’emploi de <c> pour noter pas sans rappeler celle du fameux cippe de Tor
son initiale peut être retenu Tignosa38, ou la forme des <e> sur ces cippes ou
comme un marqueur de da- sur la sors de Fiesole39, généralement datées de la
tation, puisque l’emploi d’un première moitié du iiie siècle.
graphème distinct <g> pour En tout état de cause, cette inscription
noter /g/ n’apparaît pas avant constituerait donc le plus ancien témoignage de ce
le iiie siècle32, et que l’abrévia- gentilice en latin.
ridionales), bien attesté en étrusque30. Comme on tion retenue pour ce prénom est restée C., et ja- nouveau d’une inscription « onomastique », com- Fig. 12 Fragment de
coupe à vernis noir,
l’a vu, la présence d’un gentilice (ici féminin) ne mais G, ce qui indique qu’elle s’est fixée avant l’in- • inédit latin 2 (fig. 10) posée d’une formule onomastique à deux membres IIIe siècle (?), nécropole,
doit pas surprendre. vention de cette nouvelle lettre. De même, pour sa La seconde se trouve sur un petit frag- ‘prénom + gentilice’, qui n’est pas inconnue – et inédite.
finale cette fois, puisqu’on doit exclure une forme ment (2,9 x 1,4 cm) de coupe à vernis noir (n. inv. c’est là le grand intérêt de cette découverte – dans
• inédit latin 1 (fig. 11) de génitif à cause de Voltio, on hésitera entre trois 2018.0.4670), de datation difficile : la paléographie la nécropole : J. Heurgon avait en effet publié un
L’un des premiers apports de ce réexamen interprétations : 1) une forme abrégée de nomina- (et tout particulièrement la forme de <a>40) ne graffite exactement semblable (et complet) porté
a été de réévaluer à la hausse la présence du latin tif Cai(o) ; 2) une assimilation de la voyelle finale contredit pas une datation au iiie siècle, qui semble sur un plat à vernis noir de la tombe 141 (= Heurgon
dans le corpus épigraphique de la nécropole : alors du prénom devant l’initiale labiale du nomen Voltio très plausible (voir infra). La lecture des quatre nº 225), qu’il proposait de restituer en L. Cai(us),
que J. Heurgon n’avait publié qu’une seule inscrip- (transcription phonétique /’gajji’woltjo/) ; 3) une lettres (h. des lettres : 0,5 cm) qui composent ce mais il serait sans doute plus correct soit de res-
tion indubitablement latine (Heurgon nº 225), forme apocopée du nominatif du prénom (Cai), graffite ne pose aucune difficulté : tituer un nominatif Cai(o)/Cai(os) (et non Cai(us)
et deux autres pour lesquelles une interprétation qui n’est pas sans parallèle dans l’épigraphie latine comme le fait Heurgon), soit de considérer qu’il
latine était possible (Heurgon nº 86 et 216)31, il au moins dès la fin du iiie siècle33 ; une telle forme, L. Cai s’agit d’un nominatif en -i ou d’un génitif, formu-
faut, à la lumière du réexamen du corpus, ajouter en outre, est bien attestée en étrusque, en parti- lation qui n’est pas absente de la nécropole41. On
7 autres inscriptions à ce groupe, ce qui fait du la- culier en Étrurie septentrionale34, si bien que l’on Reste cependant ouverte la possibilité que l’inscrip- notera que le nouveau graffite est une copie exacte
tin la langue la mieux attestée dans la nécropole tion soit incomplète (L. Cai[ ?). En l’état, il s’agit à de celui que publiait Heurgon : du point de vue
après l’étrusque. La plupart d’entre elles sont très 32. Cette datation se fonde sur ce que nous disent les paléographique – et contrairement à ce que laisse
lacunaires et ne présentent que quelques lettres ; sources littéraires à propos de cette réforme ; on notera une rassemblées dans le ThLE I2, s.v., auxquelles on peut ajouter sa penser le dessin de J. Heurgon, fautif sur ce détail
proposition de datation plus haute  : del Tutto-Prosdocimi- variante orthographiée kai au Ve siècle, et sa réalisation cae,
deux d’entre elles, néanmoins, quoiqu’extrême- Rocca 2002, p. 160-188. elle aussi très fréquente. Les fonctions occupées par ce nom
–, les lettres sont exactement semblables : l’autop-
ment brèves elles aussi, méritent d’être brièvement 33. Sur ce « nominatif en ‑i », l’étude de J. Kaimio (1969) sont variées, mais il sert souvent de gentilice ou cognomen. sie a bien confirmé que J. Heurgon a omis sur son
présentées ici. reste fondamentale  ; on la complètera par les importantes 35. Clackson-Horrocks 2007, p. 96. dessin la hampe transversale du <a>, encore par-
La première est gravée contre le bord exté- remarques de R. Wachter (1987, p. 203-204). Il est à noter 36. Il s’agit d’un nomen peu fréquent, attesté dans faitement visible. Il faut donc considérer d’abord
rieur d’une base (fragmentaire) de coupe à vernis que la plus ancienne attestation certaine d’un gentilice au diverses régions d’Italie, mais aussi en Afrique, à partir du Ier que le graffite publié ici a de bonnes chances d’être
«  nominatif en ‑i  » (quelle qu’en soit l’interprétation) est siècle ap. J.-C. (on a en revanche à Montebelluna le cognomen
noir, peut-être du iiie siècle (nº inv. 2018.0.4664 ; offerte par l’inscription CIL I2, 607 (dédicace faite par M. « vénète » Voltiio [> lat. Voltio, onis, m.] dès la seconde moitié complet, et ensuite que nous avons probablement
diam. approximatif du pied : 4,5 cm ; dimensions Minuci C. f., désigné comme dictator, et relative donc à M. du Ier siècle av. J.-C. : cf. AE 2005, 551. affaire à deux vases dédiés à, ou possédés par le
du fragment : 5,9 x 4,3 cm). Le texte, incisé profon- Minucius, magister equitum de Q. Fabius Cunctator en 217, 37. Bakkum 2009, p. 253-254. même individu – même si l’absence de contexte
et devenu son collègue)  ; c’est également sous cette forme 38. CIL I2, 2843-2846 ; l’inscription offerte à Lare Aineia sur le fragment inédit empêche de savoir s’il
30. Cf. ThLE I2 aux entrées tusnu, tuśnu, tusnui, et leurs que sont désignés les trois rédacteurs du senatus consultum de est sur le cippe CIL I2, 2843.
formes fléchies. Bacchanalibus de 186, alors que le gentilice des consuls est bien 39. CIL I2, 2841 = ILLRP 1070.
31. Sur la présence du latin à Aleria, voir van Heems en ‑ius (CIL I2, 581). 40. C’est le type de <a> que l’on trouve déjà sur la ciste
2012, p. 451. 34. Voir les nombreuses occurrences de la forme cai Ficoroni, datée des années 360-340 (CIL I2, 561). 41. Voir l’inscription précédente.

144 145
­ rovenait également de la tombe 14142 ; on notera
p Abréviations bibliographiques myth, sacred history, and legend, Philadelphie, 2006.
­toutefois que cette tombe, utilisée entre les années
259 et 241 – ce qui permet d’affiner la datation du Bakkum 2009 = G. Bakkum, The Latin Dialect of Heurgon 1973 = J. Heurgon, Nuovi documenti epi-
fragment présenté ici –, ne contenait qu’une seule the Ager Faliscus: 150 Years of Scholarship, Amster- grafici in etrusco, dans Studi etruschi 51, 1973, p. 615-
déposition, qui pourrait être ce *Lucios (?) Caios. dam, 2009. 617.
Dans tous les cas, au vu du nombre relati-
vement restreint de vases portant un graffite, on Briquel-van Heems 2018 = D. Briquel, G. van Jehasse 1973 = J. et L. Jehasse, La nécropole préro-
peut se demander si la coprésence dans la nécro- Heems, Les inscriptions étrusques de Provence-Lan- maine d’Aléria : 1960-1968, Paris, 1973 (Gallia, sup-
pole de l’emploi de *Caios, aussi bien en fonction guedoc : des faits d’interférence graphique, dans E. Hi- pl. 25).
de prénom qu’en fonction de gentilice, n’est pas le riart et al. (dir.), Monnaies et archéologie en Europe
signe, comme on a pu le formuler pour les inscrip- celtique. Mélanges en l’honneur de Katherine Gruel, Jehasse 2001 = J. et L. Jehasse, Aléria. Nouvelles don-
tions étrusques, de pratiques onomastiques « anor- Glux-en-Glenne, 2018, p. 401-406. nées de la nécropole, Lyon, 2001.
males », selon les canons romains, mais propres à
cette communauté : l’ordre des constituants de la Briquel-van Heems s. p. 1 = D. Briquel, G. van Johnston 1978 = A. W. Johnston, Some non-Greek
formule onomastique ou la fonction de chacun de Heems, L’écriture étrusque en milieu “colonial” : les ghosts, dans Bulletin of the institute of classical stud-
ses éléments pourraient en effet n’être pas ceux inscriptions de Corse et de Provence-Languedoc, dans ies 25, 1978, p. 79-84.
que l’on attendrait dans le Latium. Le dossier des M. Coltelloni-Trannoy, N. Moncunill Martí (dir.),
inscriptions latines est résolument trop peu nourri La culture de l’écrit en Méditerranée occidentale à Kaimio 1969 = J. Kaimio, The nominative singular in
pour permettre de répondre à cette question, mais travers les pratiques épigraphiques (Gaule, Ibérie, ‑i of Latin gentilicia, dans Arctos 6, 1969, p. 23-42.
elle doit être posée. Afrique du Nord), Paris, sous presse.
Lambrechts 1997 = R. Lambrechts, Zipna, s.v., dans
Au terme de cette brève présentation, on sera Briquel-van Heems s. p. 2 = D. Briquel, G. van Lexicon iconographicum mythologiae classicae, VIII,
sans peine convaincu, s’il en était encore besoin, de Heems, Dans le prolongement d’une note de L. Agosti- Bâle, 1997, p. 489-490.
l’insigne intérêt que revêtent ces « fouilles » dans niani : remarques sur une inscription d’Aleria, dans A.
les réserves, et plus généralement le réexamen de Calderini, R. Massarelli, Eqo duenosio. Studi offerti Maggiani 1990 = A. Maggiani, Alfabeti etruschi di
dossiers épigraphiques. Les nouveautés sont nom- a Luciano Agostiniani per i suoi 80 anni, Ariodante 1, età ellenistica, dans Annali della fondazione per il
breuses, et de nature à changer notre regard sur 2019, sous presse. museo « Claudio Faina » 4, 1990, p. 177-217.
l’occupation d’Aleria par ces lointains habitants,
qui certes parlaient majoritairement étrusque, Clackson-Horrocks 2007 = J. Clackson, G. Hor- Maggiani 1992 = A. Maggiani, Le iscrizioni di età
mais parmi lesquels les latinophones ne sont pas rocks, The Blackwell history of the Latin language, tardo-classica ed ellenistica, dans Populonia in età el-
absents, du moins à partir du iiie siècle. On ne Oxford, 2007. lenistica. I materiali dalle necropoli, Florence, 1992,
s’étonnera pas de cela, tant les mondes étrusques p. 179-192.
et latino-falisques sont interconnectés dès avant Colonna 1973 = G. Colonna, compte rendu à Je-
la phase « romaine » du comptoir corse. Il reste hasse 1973, dans Studi etruschi 41, 1973, p. 566-572. van Heems 2003 = G. van Heems, <s>/<z> (à Volsi-
à proposer maintenant une étude socio-linguis- nies), dans Studi etruschi 69, 2003, p. 195-219.
tique de l’occupation du site d’Aleria, telle que la Cristofani 1976 = M. Cristofani, Il sistema onomas-
reflète le corpus épigraphique de la nécropole, afin tico, dans Atti del convegno sul tema L’etrusco arcaico, van Heems 2012 = G. van Heems, Dynamiques dia-
de comprendre, au travers d l’examen minutieux de l’examen Florence, 1976 (Biblioteca di « Studi etruschi », 10), lectales en périphérie : le cas d’Aleria, dans L. Hau-
de leurs noms et de leurs pratiques graphiques et p. 92-134. messer, G. van Heems (dir.), Régler l’usage : norme
linguistiques, quelles dynamiques ont parcouru et standard dans l’Italie préromaine, dans Mélanges
­l­’Aleria étrusque.   Cristofani 1981 = M. Cristofani, Geografia del po- de l’École française de Rome. Antiquité 124-2, 2012,
polamento e storia economico-sociale nell’Etruria p. 447-460.
mineraria, dans A. Neppi Modona (dir.), L’Etruria
mineraria, Atti del XII Convegno di Studi etruschi ed Wachter 1987 = R. Wachter, Altlateinische In-
italici, Florence, 1981, p. 429-452. schriften: sprachliche und epigraphische Untersuchun-
gen zu den Dokumenten bis etwa 150 v. Chr., Berne,
Del Tutto-Prosdocimi-Rocca 2002 = L. Del Tutto, 1987.
A. L. Prosdocimi, G. Rocca, Lingua e cultura intorno
al 295 a.C.: tra Roma e gli Italici del Nord, Rome, Crédit des illustrations
2002 [= extrait de D. Poli (dir.), La Battaglia del Fig. 1-2, apographe, J. Heurgon ; fig. 3-4, 8-12, J.-M.
Sentino. Scontro tra nazioni e incontro in una nazione, Bontempi, collection Musée d’archéologie d’Ale-
Rome, 2002, p. 407-663]. ria ; fig. 5, apographe, D. Briquel et G. van Heems ;
fig. 6-7 : photo, Musée de Bastia, J.-A. Bertoz-
42. Jehasse 2001, p. 158-169. Grummond 2006 = N. de Grummond, Etruscan zi-ADGAP ; apographe, G. van Heems. 

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