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D’Helen Brooks
1.
— Je suis désolé de me mêler de ce qui ne me regarde pas,
mais vous n'avez pas l'air bien, mademoiselle. Auriez-vous
eu un accident? Avez-vous besoin d'aide?
La tête lui tournait affreusement mais, au prix d'un terrible
effort, Catherine parvint à comprendre qu'un homme
s'adressait à elle. S'adossant avec dif iculté au banc public
sur lequel elle s'était réfugiée, elle leva les yeux et ixa son
interlocuteur.
Elle croisa alors le regard gris acier d'un inconnu à la
silhouette athlétique, qui se penchait vers elle.
— Je..., commença-t-elle dans un balbutiement.
Elle dut s'arrêter, incapable de se concentrer suf isamment
pour construire une phrase correcte.
— Je ne sais pas ce qui m'est arrivé, reprit-elle en in d'une
voix à peine audible. Je me sens bizarre, mais je ne... je ne
me souviens de rien. Où suis-je?
L'homme continuait à la dévisager, de plus en plus
perplexe, et Catherine songea dans un éclair de lucidité
qu'il devait la prendre pour une faible d'esprit.
— Est-ce votre bagage? s'enquit-il en désignant le sac de
voyage posé aux pieds de la jeune femme.
— Oui, mais...
Cette fois, elle ne parvint pas à conclure. D'ailleurs, elle ne
savait même plus ce qu'elle s'apprêtait à dire...
— Etes-vous accompagnée? poursuivit l'homme.
Un soudain élancement dans le dos tira à la jeune femme
une mimique de douleur, mais elle s'efforça de ré léchir
pour pouvoir répondre à la question qui lui était posée.
— C'est-à-dire que..., marmonna-t-elle, les traits crispés.
Non, je ne crois pas, ou plutôt : j'en suis sûre. Il faut que je
me repose un peu, et tout ira bien, ajouta-t-elle à la hâte.
L'attention soucieuse que lui portait l'inconnu commençait
à lui peser. Elle aspirait à être seule dans l'espoir de
recouvrer enfin ses esprits.
L'homme resta silencieux un moment, son regard presque
minéral toujours rivé sur elle.
— Vous avez une vilaine blessure au front, reprit-il en in.
Vous avez dû subir un choc et perdre connaissance. Vous
souvenez-vous d'être tombée? Vous aurait-on frappée?
Soudain effrayée, elle se redressa aussi vivement que le lui
permettaient ses muscles endoloris.
— Non, répondit-elle en mobilisant le peu d'énergie qui lui
restait. Personne ne m'a frappée, j'en suis certaine. Mais
pour le reste...
— Votre nom? Vous souvenez-vous de votre nom?
La question acheva de la désemparer. Longtemps, elle
chercha sur les traits virils de son interlocuteur la réponse
que ses neurones endormis refusaient de lui transmettre.
Ce faisant, elle nota presque mécaniquement l'harmonie
parfaite du visage de l'inconnu. Avec ses cheveux bruns
coupés court, sa bouche bien dessinée et ses yeux gris
aussi mystérieux qu'insondables, il avait un physique hors
du commun, songea-t-elle, admirative.
Quelle question lui avait-il posée ? se dit-elle soudain. Ah,
oui, son nom !
Paniquée, elle prit conscience qu'elle avait oublié jusqu'à
son propre nom. Mais au moment où elle allait s'effondrer,
saisie d'angoisse, un éclair lui traversa l'esprit.
— Catherine ! s'exclama-t-elle avec un intense
soulagement. Je m'appelle Catherine. Et...
Elle chercha son nom de famille — en vain.
En proie à un profond découragement, elle se passa la
main sur le front, puis la retira aussitôt avec une grimace
de dégoût. Elle avait touché quelque chose de chaud et de
gluant.
Etonnée, elle regarda sa paume et comprit avec horreur
qu'il s'agissait de sang. Ainsi donc, elle était blessée...
Comment s'était-elle fait cette plaie?
L'homme s'éloigna d'un pas et, l'espace d'un instant, elle
crut qu'il allait l'abandonner. Elle ne le connaissait pas,
mais dans l'état de détresse où elle était, sa seule présence
la rassurait. Que ferait-elle, s'il partait? Elle ne savait ni où
elle était, ni comment elle s'appelait! Désormais, elle
souhaitait plus que tout qu'il ne passe pas son chemin.
— Je pense que vous avez dû subir un traumatisme
crânien, décréta-t-il alors, l'air soucieux.
— Un traumatisme crânien? Mais je n'ai pas perdu
connaissance !
— Peut-être que si, répliqua-t-il. Je parie que vous ne savez
même pas depuis combien de temps vous êtes là, et
comment vous êtes arrivée sur ce banc.
Elle fouilla désespérément dans sa mémoire, et fut dans
l'incapacité de protester : le passant avait raison. Il dut voir
la lueur de panique qui traversa son regard, car il reprit
d'un ton rassurant :
— Ne vous inquiétez pas : je n'ai pas l'intention de vous
laisser à votre triste sort. En fait, j'ai rendez-vous pour
déjeuner avec ma sœur, qui est in irmière. Elle vous
conseillera et vous indiquera le médecin ou l'hôpital
approprié. Vous allez me suivre, et nous en aurons bientôt
le cœur net.
— Mais..., protesta-t-elle.
Elle répugnait soudain à se mettre entre les mains d'un
inconnu, même s'il semblait animé des meilleures
intentions du monde.
Il fronça les sourcils, visiblement agacé.
— Vous n'avez rien à craindre, assura-t-il sèchement. Je
n'ai pas l'intention de pro iter de la situation, et vous avez
besoin qu'on prenne des décisions pour vous. Alors, êtes-
vous prête à me suivre ? Le restaurant est au coin de la
rue, vous pourrez y boire un verre d'eau et vous
rafraîchir. De toute façon, il n'est pas question que je vous
laisse ici, à la merci de n'importe qui. Selon toute
vraisemblance, ma sœur vous conseillera de vous faire
admettre à l'hôpital pour y subir quelques examens et
suturer votre blessure.
L'hôpital? Mais elle n'était pas grièvement malade! pensa-t-
elle, effrayée par la tournure que prenaient les
événements.
— Allons, Catherine, suivez-moi ! Ma sœur vous donnera
un avis autorisé, insista l'inconnu d'une voix qui
n'admettait pas la réplique. Je vais vous aider à faire les
quelques pas qui nous séparent du restaurant. Tout ira
bien, vous verrez.
Convaincue, à la fois par ses paroles et par l'autorité qui
émanait de toute sa personne, elle comprit qu'elle n'avait
pas le choix.
— Entendu, acquiesça-t-elle d'une voix lasse. Emmenez-
moi où vous voulez. Je n'ai de toute façon pas la force de
m'opposer à quoi que ce soit.
D'une main, il saisit alors le sac de voyage et, de l'autre, il
aida Catherine à se lever.
— Appuyez-vous sur mon bras, ordonna-t-il. Faites-moi
con iance et laissez-vous guider. Ne craignez rien, vous ne
tomberez pas. Je m'appelle Kevin Durrell, ajouta-t-il
soudain. Je suis le vétérinaire de Towerby.
Elle se tint un instant sur ses jambes tremblantes, puis la
tête lui tourna, et elle dut s'accrocher au bras de son
compagnon pour ne pas tomber. Avec une patience et une
délicatesse étonnantes pour un homme de sa carrure, il
l'incita à marcher, réglant son pas sur le sien, et ils
traversèrent lentement la petite place aux pavés disjoints
qui les séparait de l'auberge. Sous le chaud soleil de juin,
de rares passants déambulaient sans hâte. Rien ne
semblait pouvoir troubler le calme de cette tranquille
bourgade du Yorkshire. ,
— Janice sera certainement déjà arrivée, déclara Kevin
Durrell en poussant la porte de l'auberge.
Serrant les dents, Catherine marchait avec peine. Elle
craignait de se donner en spectacle en chutant, et le simple
fait d'avancer un pied après l'autre lui demandait une
intense concentration. Aussi éprouva-t-elle un réel
soulagement quand, après l'avoir aidée à pénétrer dans
une petite salle aux boiseries de chêne, Kevin lui it signe
de s'asseoir à une table où était déjà installée une
ravissante jeune femme brune.
— Kevin ! Te voilà en in ! s'exclama-t-elle. Je commençais à
me demander si tu avais oublié notre rendez-vous.
— Non, pas du tout, dit-il. Je t'expliquerai... Je te présente
Catherine.
Esquissant avec peine un sourire, la jeune femme ferma les
yeux, sur le point de perdre connaissance. Dans un
brouhaha, elle perçut des bruits de voix, des murmures, et
devina que Kevin mettait sa sœur au courant de la
situation. Cette courte marche l'avait épuisée, et des
élancements de plus en plus fréquents lui vrillaient le
crâne.
Soudain, elle sentit une main se poser sur son bras et
comprit que la sœur de Kevin lui parlait.
— Catherine... Vous avez subi un choc, af irma une voix
douce et apaisante. Je pense qu'il serait préférable de vous
conduire à l'hôpital. Me permettez-vous de regarder dans
votre sac pour chercher vos papiers ? Peut-être pouvons-
nous prévenir quelqu'un?
Dans son état de demi-conscience, Catherine eut envie de
crier qu'elle était désormais seule au monde, et qu'ils
perdaient leur temps. Personne ne s'inquiéterait pour
elle...
— Faites, murmura-t-elle simplement, incapable d'articuler
la moindre phrase.
Elle comprit que Janice ouvrait son portefeuille.
— Catherine Prentice, murmura-t-elle en lisant sa carte
d'identité. C'est bien votre nom, n'est-ce pas ?
Catherine eut tout juste la force de hocher la tête en signe
d'assentiment.
— Nous allons vous emmener aux urgences. Ne vous
inquiétez pas. Laissez-vous faire et...
Soudain, tout se mit à tourner, et Catherine perdit
définitivement connaissance.
— Catherine?
Une voix qu'elle ne connaissait pas la tira de sa torpeur.
Elle ouvrit les yeux. Aussitôt, une lumière blanche et froide
l'agressa désagréablement.
— Je vais vous faire une piqûre, reprit la voix, et vous allez
vous rendormir. Ne vous inquiétez pas, je ne vous ferai
pas mal.
Elle sentit un picotement dans le bras, puis tout redevint
trouble, et elle sombra dans un profond sommeil.