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Le Globe.

Revue genevoise de
géographie

L'industrialisation et ses problèmes en Afrique occidentale française


Jacques Buchalet

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Buchalet Jacques. L'industrialisation et ses problèmes en Afrique occidentale française. In: Le Globe. Revue genevoise de
géographie, tome 91, 1952. pp. 37-50;

doi : https://doi.org/10.3406/globe.1952.3350

https://www.persee.fr/doc/globe_0398-3412_1952_num_91_1_3350

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L'INDUSTRIALISATION ET SES PROBLÈMES

PAR
Jacques BUCHALET

(Cette étude est la partie principale d'un travail présenté à


l'Université de Genève pour le Prix Universal 4952.)

Introduction
Au sortir de la guerre 1914-1918, le territoire africain
français se trouvait toujours cantonné dans son rôle
traditionnel de fournisseur de matières brutes et la Métropole se
réservait la fourniture de tous les produits manufacturés qui
étaient nécessaires au maintien de cette économie
embryonnaire.
En Afrique occidentale française, l'industrie locale se
bornait aux quelques installations nécessaires à une première
préparation des produits agricoles, en vue d'en améliorer les
conditions d'exportation, et aux quelques ateliers mécaniques
nécessaires à l'entretien du matériel de transport. Il existait
par ailleurs quelques activités artisanales indigènes qui
subsistent encore.
De 1919 à 1939, on assiste peu à peu à la naissance d'une
première industrialisation sous forme d'huileries,
savonneries, fabriques de produits alimentaires, scieries, etc. ; mais
il s'agit, en général, d'agencements faits avec économie : les
moyens étant limités et ne permettant l'acquisition que d'un
matériel rudimentaire ou acheté d'occasion et souvent vieilli,
38 MÉMOIRES — L'INDUSTRIALISATION ET SES PROBLÈMES
insuffisant en tout cas pour une mécanisation des opérations
de manutention. Il n'y a donc aucune comparaison possible
avec les installations techniques qui ont été faites à la même
époque dans les pays industriels.
Cet état de choses était d'ailleurs normal pour un
territoire s'éveillant à la vie économique internationale ; ce n'est
qu'après l'installation administrative, l'organisation de la
paix intérieure, la mise en place d'une première
infrastructure publique de pénétration, que peuvent progresser
l'inventaire des ressources et se stabiliser le travail de l'autochtone.
Il y a alors possibilité de mettre en place les dispositifs de
production qui semblent avantageux et, au fur et à mesure
que croissent les besoins, cette possibilité tend rapidement à
la nécessité.

La main-d'œuvre

« Sans main-d'œuvre utilisable, pas d'industrie ; sans in-


« dustrie, pas de culture riche, c'est-à-dire pas de progrès
« notable à réaliser pour la société indigène et pas de déve-
« loppement économique possible pour les colonies. » '

Telle est, exprimée par Deherme, l'importance de la main-


d'œuvre.
La main-d'œuvre est donc le facteur principal de la
production. De sa répartition sur le territoire et de sa densité
dépendent la distribution et l'importance des cultures, les
industries ainsi que le tracé rationnel des voies de transport,
en particulier des chemins de fer.
S'il existait une main-d'œuvre suffisante et forte,
l'économie de l'A.O.F. serait fort prospère. Mais la médiocrité de
la main-d'œuvre, sa faible densité, l'inexistence de cadres
indigènes, le climat, sont autant de facteurs qui, comme nous
le savons, handicapent fortement les industries de cette
colonie.

1 G. Dehkrme. « L'Afrique occidentale française ». Paris 1908, p. 265.


EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 39

A La main-d'œuvre indigène.

Celle-ci pèche souvent par sa quantité et par sa qualité.

1) le point de vue quantitatif.


La valeur démographique des Etats de l'A.O.F. est plutôt
faible, et par conséquent, les colons ou les industriels
subissent une forte crise de main-d'œuvre. La création
d'entreprises industrielles peut paraître bien prématurée, nous en
avons déjà vu les causes.

2) le point de vue qualitatif.


L'A.O.F. a pour caractéristiques d'être actuellement un
pays agricole. Ses ressources naturelles sont nombreuses et
exigent une main-d'œuvre importante.
Or, le sentiment dont l'Européen est pénétré en
parcourant l'Afrique est celui du peu de travail que fournit
l'agriculteur noir, en comparaison de celui que rendent les patrons
et ouvriers agricoles en France ou en Europe.
L'influence du climat sur l'organisme, la fertilité du sol, le
jeu des besoins des indigènes sont les principales causes qui,
ensemble ou séparément, créent cet état de faits. Encore
faut-il faire certaines réserves ; le défrichement de la grande
forêt, le labour des rizières sont des travaux pénibles. Or, il
faut un climat tempéré et frais pour pousser une population
à l'action et au travail.
Mais, selon les dires de nombreux colons et industriels, il
est admis que la main-d'œuvre laisse beaucoup à désirer. Le
noir est incurablement paresseux, malveillant parfois,
ivrogne et lascif, assez souvent voleur.
Même dans les travaux agricoles, son rendement est très
faible.
D'autre part, que le noir soit paresseux, c'est fort
possible, mais il faut tenir compte de sa mentalité fort différente
de la nôtre. C'est un être dont les besoins sont
essentiellement élémentaires ; dès qu'il les a satisfaits, il a perdu du
40 MÉMOIRES — L'INDUSTRIALISATION ET SES PROBLÈMES
même coup toute raison de travail. Se contentant de peu,
imprévoyant, incapable d'effort continu et d'esprit de suite, le
noir ne se met pas au travail de son propre gré ; tant qu'il
n'entrevoit pas la menace de la faim, il trouve plus agréable
de dormir. C'est pourquoi beaucoup de personnes le jugent
paresseux.
Pour qu'une entreprise ait un bon rendement, il faut
lutter contre les nombreux gaspillages, sinon le prix de revient
sera trop élevé et les frais seront considérables. De ce fait,
il faut parfois deux nègres pour faire l'ouvrage d'un blanc et
l'on voit à quel prix revient le travail médiocre qu'on
obtient d'eux. Si le rendement du noir est inférieur à celui de
l'Européen, ceci tient en bonne partie à sa
sous-alimentation, à l'insuffisance de l'outillage mis à sa disposition et à
la modicité des salaires.

a) la sous- alimentation de V indigene.


Nous avons vu que l'alimentation de l'indigène est simple.
Il se contente de son couscous. On en est arrivé à ce que
l'employeur fournisse lui-même la nourriture à ses ouvriers,
qui se compose en général de viande ou de poisson, de riz
ou de mil, de bananes, de manioc, de corps gras, de
condiments x, tout cela afin que l'ouvrier puisse affronter son
travail dans de bonnes conditions et qu'il ne soit pas miné par
une sous-alimentation excessive. Ce procédé entraîne
naturellement des frais généraux supplémentaires pour
l'entreprise.

b) V insuffisance de l'outillage mis à la disposition de


l'indigène.
Bien souvent, on n'ose pas confier au noir un outillage
moderne et délicat. Cependant, dans certaines régions, le
noir conduit des locomotives, sans accident, et il a soin de
ses machines.

1 cf. La colonisation de l'A.O.F. « Petit Guide du Commerce et de


l'Industrie ».
EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 4l

c) la modicité des salaires.


Tout être humain, quel qu'il soit, est attiré par l'appât du
gain. Si l'indigène a suffisamment pour vivre, il se rend
cependant compte qu'on l'exploite. D'autre part, on fait
souvent des jaloux en étant trop généreux envers quelques-uns
et pas assez envers les autres. C'est ainsi qu'avant 1914, les
porteurs étaient payés, pour une journée, 50 centimes, voire
25 centimes. En 1931, le prix de la journée de travail
variait selon les colonies. Il s'agit de manœuvres ' :
Dakar de Fr. 8.— à Fr. 20 —
Sénégal » 5.— * 12.—
Guinée » 2— » 6.—
Côte d'Ivoire ... » 6.— » 10.—
Soudan » 2.50 » 5. —
Haute- Volta ... » 1.75 3.—
Dahomey » 4.50 » 6.50
Mauritanie .... » 5. — » 7. —
Niger » 1.50 » 3.—

En 1935, le prix d'une journée pour un manœuvre, à


Dakar, atteignait 25 francs.
Aujourd'hui, pour donner un exemple récent, le
Gouverneur d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, a fixé le salaire quotidien
d'un manœuvre à 100 francs, ou 65 francs si le patron
fournit la nourriture et le logement. 2
En conclusion, il faut reconnaître que le noir ne s'adapte
que fort mal à nos méthodes de travail : présence régulière
au chantier, fidélité au contrat passé. En outre, il est
quelquefois impossible de lui confier des tâches délicates ou
difficiles. Chaque fois qu'un poste exige un ouvrier qualifié, il
faut s'adresser à un Européen, au moins pour le moment.
Mais, grâce au contact avec des blancs, grâce à la
vigilance des services sanitaires, à l'extension des écoles
professionnelles, à la rationalisation, aux procédés modernes
d'industrialisation, la main-d'œuvre noire s'améliore lentement.

1 Statistiques de l'ONU. — « La main-d'œuve en A. 0. F. », p. 30.


2 Renseignements fournis par un industriel d'Abidjan.
42 mémoires — l'industrialisation et ses problèmes
II faut arriver à émanciper le noir. C'est le problème le
plus délicat, celui dont la solution demande le plus de tact.
Il est certain qu'il existe des races supérieures à d'autres.
Le Sénégal est le grand centre de la main-d'œuvre, et à côté
du noir paresseux et amorphe, il y a le noir qui a étudié en
Europe et dont les besoins sont plus compliqués. Revenant
chez lui, il inculque à sa famille, à son clan, les mœurs
européennes. Effectivement, il se constitue dans certaines
régions, pour les grands travaux en cours, une véritable classe
d'ouvriers, vivant de leurs salaires, et sur lesquels on peut
compter en tout temps. C'est le cas dans les industries
pharmaceutiques, métallurgiques de Dakar ou même dans les
imprimeries où il y a des ouvriers spécialisés. A Bamako déjà,
des ouvriers travaillent consciencieusement dans les
fonderies.
Quoi qu'il en soit, le recrutement de la main-d'œuvre
indigène est un problème délicat, car il faut non seulement
savoir recruter les ouvriers, découvrir leurs aptitudes, mais
encore savoir les retenir à leur tâche, ce qui réclame du
doigté et l'expérience du milieu. C'est pourquoi, le choix du
personnel de direction et des agents de maîtrise importe au
premier chef.

B. La main-d'œuvre européenne.

Lorsque nous parlons de la main-d'œuvre européenne, nous


ne parlons pas de la main-d'œuvre nécessaire au travail dans
les ateliers ou sur les chantiers, mais nous entendons parler
ici du personnel de direction. 11 joue un rôle important en
A.O.F.
L'allant, l'autorité, l'esprit d'initiative, apanages
indispensables de tout chef digne de ce nom, sont les qualités que
doivent posséder au plus haut point les directeurs
d'industries coloniales.
Pour donner de la vie à la main-d'œuvre indigène,
amorphe comme nous venons de le voir, il faut que l'Européen qui
EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 43
la dirige soit, avant tout, un homme d'action et qu'il sache
communiquer au personnel qu'il a sous ses ordres son
dynamisme.
Energique, il lui faut aussi être débrouillard. Pour faire
face aux défaillances, incidents mécaniques ou autres qui
peuvent surgir, il ne peut guère compter que sur lui-même. Son
ingéniosité, sa finesse peuvent épargner à son atelier ou à
son entreprise de nombreuses heures de chômage.
« Les coloniaux d'occasion, les dévoyés, les déportés ne
« donnent rien, ne tiennent pas. 1 »

II faut que l'Européen soit capable d'assumer la fonction


du chef administratif ou technique, sans tomber dans la
fiction du prestige européen. Il y a longtemps que les grandes
compagnies commerciales et les industries ont compris ces
nécessités. Le succès d'une œuvre colonisatrice, économique
et sociale, dépend pour beaucoup de la valeur du recrutement
européen. Ceci est tellement vrai que les sociétés coloniales,
aux dires de gens bien informés, doivent en partie leur
succès ou leur échec à la personnalité du directeur technique,
industriel ou commercial.
Mais il y a une difficulté primordiale pour l'Européen qui
désire travailler en A.O.F. : le climat. L'Européen ne
pourra pas travailler huit heures par jour comme en Europe
et d'autre part il sera obligé de rentrer périodiquement dans
son pays, ce qui peut arrêter plus ou moins la marche de
l'entreprise.
Si l'Européen pouvait demeurer sur les côtes, son activité
serait plus grande. Mais il doit naturellement être présent en
tous les points du territoire, tout voir et tout étudier. Il se
produit, il est vrai, une certaine adaptation au climat quant
au rythme et au caractère de l'activité européenne.
Le chef d'entreprise est obligé d'engager des cadres : un
personnel blanc nombreux, très onéreux en raison des in-

1 G. Hardy. «Les éléments de l'histoire coloniale», p. 110.


44 mémoires — l'industrialisation et ses problèmes
demnités qui lui sont dues pour compenser l'expatriement,
pour les congés réguliers en métropole, pour les soins et
dispenses médicales nécessités par le climat.
Il ne semble donc pas douteux que, lorsque l'enseignement
technique aura pris quelque ampleur, lorsque les industries
et l'agriculture auront reçu un développement capable de
créer une véritable main-d'œuvre qualifiée, l'ouvrier noir
peu à peu éduqué fera preuve de la plupart des qualités
requises pour assurer une marche saine aux entreprises
modernes et pourra prendre les postes réservés jusqu'à ce jour
à des Européens.
C'est pourquoi, la nécessité d'un développement rapide de
l'enseignement dans les territoires d'outre-mer était apparue
aux responsables de ce territoire avant même la fin des
hostilités. Cette préoccupation avait fait l'objet d'une grande
partie des travaux de la Conférence de Brazzaville.
L'instruction publique comporte actuellement en A.O.F. non
seulement des enseignements primaires, secondaires et
supérieurs, mais aussi les enseignements suivants :

— un enseignement professionnel donné dans les Ecoles


normales de Katibougou, Dabou, Sebikhotane, près de
Dakar, qui préparent des agents pour les divers services
administratifs.
— un enseignement technique donné dans les Ecoles
professionnelles au chef-lieu de chaque territoire et à l'Ecole
technique supérieure de Bamako.
— un enseignement artisanal formant des artisans selon des
techniques traditionnelles améliorées et selon des
techniques nouvelles importées d'Europe l.

D'autre part, le centre expérimental d'Abidjan, en Côte


d'Ivoire, a procédé aux premières acquisitions du matériel
et outillage devant être utilisés pour l'enseignement pratique
des écoles techniques2.

21 cf. ««L'équipement
L'A.O.F., Agence
de l'A.O.F.
de la France
». Paris
d'outre-mer,
1951, p. 97.p. 33.
EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 45

Le problème de la force motrice

Parmi les problèmes relatifs à l'équipement industriel de


l'Afrique occidentale française, celui de la force motrice, sans
laquelle un pays moderne ne peut vivre, occupe une place
importante.
A. La pauvreté du sous- sol.
De la force motrice dépendent, en effet, non seulement
l'amélioration des conditions matérielles de la vie, mais aussi
la .possibilité d'échange sur l'étendue du territoire. La
question se pose aussi avec une acuité particulière pour l'A.O.F.
qui est dépourvue de combustibles minéraux et liquides au
moins pour le moment, puisqu'une commission de géologues
travaille aujourd'hui à une prospection systématique.
En attendant, l'absence de charbon ôte à l'Afrique
occidentale française la perspective de devenir un pays de très
grande industrie.
Tout le charbon et tous les carburants doivent être
importés. Cela entraîne des frais considérables et souvent des
retards. N'ayant pas de combustibles sous la main, les
industries sont tributaires des fournisseurs. C'est surtout le cas
pour celles qui se trouvent à l'intérieur des terres, sans
compter les frais considérables qu'entraînent les transports.

B. La force hydraulique.
Il existe bien, en maints endroits, des cours d'eau
susceptibles d'être captés et de fournir de la force électrique, mais
l'irrégularité des débits pose un grand problème.
En 1926 et en 1928, on fit l'étude de nombreux barrages.
En 1929, les chutes du Félou ont été aménagées. Une usine
hydro-électrique donna l'éclairage à la ville de Kayes, au
Sénégal, et procura la force à des usines de pompage, de façon
à permettre l'élévation et la distribution de l'eau de la ville {.

1 cf. La reyue «Le Domaine colonial français : Histoire, Industrie».


Paris 1929, p. 340.
46 mémoires — l'industrialisation et ses problèmes
Mais, comme dans les pays économiquement peu évolués,
on sait que l'activité des populations de l'A.O.F. est en
presque totalité absorbée par l'agriculture que les colons ont
orientée principalement vers les plantes industrielles. Il n'est
donc pas étonnant que, dans ce pays à caractère agricole, on
se trouvait encore en 1939, malgré les louables efforts
accomplis, en présence d'une electrification embryonnaire.
Dès 1945, d'autres études furent entreprises pour
répondre aux besoins nouveaux créés par l'industrialisation et
l'augmentation de la population des villes. Ainsi, pour
donner un exemple, la population de Bamako est passée de
33 000 à 75 000 habitants à cause de l'arrivée des
Européens1.
Sous l'impulsion de la commission du Plan
d'industrialisation des territoires d'outre-mer, un vaste programme
d'équipement électrique a été mis en œuvre. Les premières
réalisations sont en cours. Le Ministère de la France
d'outremer a fait appel à la collaboration de l'Electricité de France2.
Les spécialistes ont commencé, dès 1947, à prospecter le
territoire. Mais c'est un travail long et difficile car il faut
procéder à de nombreuses reconnaissances, levers
topographiques, enquêtes hydrologiques et géologiques et ce n'est
pas avant plusieurs années que l'on pourra avoir un
inventaire des possibilités de l'A.O.F. dans ce domaine. Encore
les maigres débits et la très forte evaporation en saison
sèche posent-ils des problèmes aux techniciens actuellement
chargés d'étudier l'équipement hydro-électrique 3.
La tâche en elle-même sera fort ardue et fort complexe.
L'histoire naturelle et la géographie nous en fournissent la
preuve. Ayant étudié le relief dans la première partie, nous
en connaissons les caractéristiques.
La localisation industrielle joue d'autre part un rôle pré-
1 cf. « Encyclopédie coloniale et maritime » (Villes et urbanisme de
l'A.O.F.), p. 273.
2 cf. « L'équipement de l'A.O.F. », Paris 1951.
3 cf. J. Riciuiid-Molard : «L'A.O.F », Paris 1940, p. 190.
EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 47
pondérant dans l'économie d'un pays. Or, en A.O.F., cette
localisation va se trouver cantonnée, soit à des endroits
rentables près des sources d'énergie, mais très éloignés des
débouchés, soit vers la matière première ou les produits, mais
loin des forces motrices.
Plusieurs auteurs disent que les entreprises seront placées
le long des deux grands fleuves de l'A.O.F., à savoir le
Niger et le Sénégal. Ainsi sur le Niger nous pouvons
remarquer les localités industrielles suivantes : Niamey, Gao,
Bamako — et sur le Sénégal : St-Louis et Kayes, l'électrifi-
cation de Rosso étant encore en projet.
Mais le régime de ces deux cours d'eau est fonction des
particularités du climat, comme nous l'avons vu : pauvreté
pendant la saison sèche, énormes masses d'eau au moment
des pluies.
Tels sont les problèmes que soulève l'hydrographie de
l'A.O.F.
C. L'ÉNERGIE THERMIQUE.
Des essais sont en cours à Abidjan pour l'utilisation de
l'énergie thermique des mers, fondée sur la forte différence
des températures de la lagune (entre 27* et 34°) et du
« trou sans fond » où l'eau à 300 mètres de profondeur

oscille parallèlement entre et 12°. Deux groupes de 3500
kilowatts pourraient fonctionner dans deux ans comme
premier essai. Les possibilités de vente d'énergie électrique sont
très élevées par suite de l'accroissement de la production
agricole et forestière de l'arrière-pays et de la création
d'industries de demi-finition des productions précédentes. Nous
pouvons signaler que cette énergie thermique des mers, dont
l'étude est faite par la Société « L'Energie des Mers »,
utiliserait comme source d'eau celle du Port Boue. Des
réalisations du même ordre seraient possibles au nord de Dakar
grâce à la fosse de Cayar l.
1 cf. J. Richard-Molard : «L'Afrique occidentale française». Paris
1949, p. 190.
48 MÉMOIRES — L'INDUSTRIALISATION ET SES PROBLÈMES
D'autre part, des études sont actuellement entreprises en
liaison avec la « Recherche scientifique coloniale » pour
capter la chaleur solaire par d'immenses miroirs concaves en la
concentrant sur des creusets. Les dispositifs imaginés
permettront d'atteindre des températures jamais obtenues dans
les laboratoires ni dans l'industrie *.
En conclusion, la force motrice est encore particulièrement
faible en A.O.F. et il faudra encore bien des années d'études
et de réalisation avant que ce pays ne possède un
équipement répondant aux besoins de l'industrie.

Conclusion

L'étude à laquelle nous nous sommes livrés montre que


l'industrialisation de l'Afrique occidentale française est
retardée par différents problèmes.
De telles difficultés nous paraissent surmontables. Il ne
semble pas que l'Afrique occidentale doivent se maintenir au
stade de l'économie agricole à cause de ces quelques
entraves. Bien au contraire, s'il y a quelques années, elle
apparaissait comme un pays essentiellement agricole, aux cultures
artisanales et dans l'ensemble assez pauvre en industrie, sa
mise en valeur très récente démontre qu'elle est un pays
riche. Richesses encore en gestation et dont l'exploitation est
à peine ébauchée.
Longtemps, l'humanité blanche s'enferma dans son
orgueil. Elle s'effraya devant l'inconnu. Les rigueurs de la mer
et du climat, l'inhospitalité du désert et de la forêt, les
atteintes inévitables des maladies nouvelles blessèrent sa
vanité de puissance perfectionnée. Elle s'en prit à cette autre
humanité terrorisée à laquelle elle se dépitait de ne pouvoir
imposer d'un coup les conclusions d'une évolution qu'elle-
même n'avait pas encore vérifiées.

1 cf. « L'Equipement de l'Afrique occidentale française », Paris 1951.


EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE 49
Mais un jour, son cœur s'est ouvert. Tant de regrets et
tant d'espoirs se sont éveillés sur la terre conquise par elle,
qu'elle a fini par conquérir sur elle-même l'impérissable
notion du devoir.
Les nations occidentales ont reconnu que les noirs ne sont
pas des primitifs et des sauvages et ont fait passer cette
affirmation dans les faits. Au moment où des puissances «
anticolonialistes » imposent d'autres jougs à des pays libres, la
France réalise une révolution libératrice sans précédent dans
l'histoire de l'Afrique noire. Or, dans l'Union française, une
place de premier plan revient à l'Afrique occidentale
française : plusieurs de ses plus authentiques représentants sont
parmi les meilleurs artisans de l'œuvre commune.
L'Union française répond à une nécessité d'évolution
mondiale dont on trouve la marque dans la Charte des Nations
Unies et à laquelle répondait la Conférence de Brazzaville-
Voilà pourquoi cette transformation, cette évolution
économique est la conséquence logique des événements et des
possibilités : cette conséquence est l'aboutissement d'efforts
patients et souvent obscurs, où les critiques ne furent pas
ménagées, mais dont le résultat est d'avoir attiré l'affection
des populations indigènes, non par contrainte mais par le
sentiment qu'on leur a apporté une vie meilleure.
Ainsi se réalise le mot célèbre d'après lequel « le XXe
siècle doit être celui de la mise en valeur de ce territoire tout
entier ».
Chaque jour, effectivement, apporte une réalisation
nouvelle : la création du port d'Abidjan, l'organisation
rationnelle des exploitations minières, la recherche, sur une grande
échelle, de la mécanisation des cultures, l'amélioration des
moyens de communication, etc.. attestent, dans le domaine
économique, une activité croissante. Et nous passons sous
silence les grandes œuvres qui multiplient les hôpitaux, les
écoles, les dispensaires, bâtiments indispensables pour les
indigènes et les blancs.
50 MÉMOIRES
Mais, comme nous l'avons vu, cette mise en valeur sera
plus ou moins entravée par la question financière. La
métropole doit pouvoir procurer, si cela est nécessaire, des
capitaux importants. Sans argent, on ne pourra pas pousser ou
favoriser l'industrialisation de l'Afrique occidentale
française.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons conclure favorablement.
Si jadis la France a eu du mal pour la colonisation de
l'Afrique occidentale, l'action qui a été menée et qui continue à
l'être est une action heureuse et efficace.
Compte tenu des servitudes congénitales infligées par la
nature du pays, dont plusieurs et des plus graves, d'ordre
géographique, ne seront jamais surmontées, et en fonction
desquelles l'on ne sera jamais trop prudent dans l'élaboration
des programmes d'avenir, il reste plusieurs opérations de
base à réaliser, capables d'ouvrir à l'Afrique occidentale
française de très belles perspectives d'avenir quant à son
industrialisation : former une main-d'œuvre indigène efficiente,
aménager les voies de communication et les débouchés ;
réinvestir sur place une partie des bénéfices réalisés par
l'exploitation commerciale ; injecter massivement des
capitaux extérieurs.
Devant les besoins économiques actuels de l'Afrique
occidentale française, son industrialisation progressive est
devenue, qu'on le veuille ou non, une nécessité.
Mais elle ne peut pas s'épanouir miraculeusement. La
persévérance et la patience demeurent les éléments premiers.

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