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LA NOUVELLE
REVUE FRANÇAISE
riers d'empire.
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
SAINT-JOHN PERSE
(1968)
LE VOSGIEN
pour M. A.
(I)
gement, parce que j'ai repris des forces? Mais c'est aussi
un rythme analogue à celui des jours et des nuits, à celui
de la veille et du sommeil, du raisonnement et du rêve.
Nous allons peut-être de l'un à l'autre pour avancer de
la naissance vers la mort. Il nous faut un mouvement puis-
que nous passons.
Mais c'est bien un mouvement du contraire au contraire.
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
sens, des mots qui sont encore utilisables dans notre langue,
qui n'avait servi jusque-là qu'à exposer, expliquer, ordon-
ner pour dominer. Nous apprenons à vivre ordinairement.
Le premier moment est constitué par des images, sans
qu'elles fassent un discours. C'est l'état d'humilité. Il
fallait cet excès pour détruire la certitude élaborée dans
une réalité aujourd'hui disparue, celle de la vie manuelle,
où l'évidence avait sa place, celle des relations directes et
limitées dans une communauté restreinte, où l'on pouvait
s'orienter facilement. Avec les débris que nous aurons
sauvés, réussirons-nous à reconstituer un langage ayant
une syntaxe, des propositions, des verbes, des adverbes,
des conjonctions? Oui, si nous parvenons à refaire une
société, l'une aidant l'autre. Non, si nous nous dissolvons
dans la dispersion, où il n'y a plus que des solitudes les
unes à côté des autres.
pâle, plat, que les mots donnent aux événements n'est que
le signe de la condition partagée. Il faut s'y faire. Vivre est
banal, depuis le temps. Tout a été essayé, tout a échoué.
Non, tout n'a pas échoué. C'est l'ambition déçue qui le
dit, parce qu'il faut continuer quand même. Mais tout a
toujours été ramené dans une obéissance à des règles qui
répondent sans doute à la structure du réel. On ne peut
pas parler sans finalement se soumettre, à une syntaxe,
à des significations reconnues, reconnaissables. On ne peut
pas gouverner sans une présidence, une armée, une police,
des tribunaux, un code. On ne peut pas vivre uniquement
dans la contemplation des grandes alternances qui régissent
la vie, la naissance et la mort, l'hiver et l'été, le jour et la
nuit, l'effort et le repos, la foi et le doute, l'amour et l'in-
différence, bien qu'elles contiennent toute la vérité que nous
pouvons atteindre. Il faut aussi s'exprimer, travailler,
combattre, exagérer, juger, être injuste, se repentir. Et
cependant l'existence de chacun est scandée depuis tou-
jours, au moins depuis que nous en avons une connaissance,
par la même respiration, le même besoin de se nourrir, de
dormir, d'aimer, de penser. C'est dans cette permanence
que nous communiquons avec les autres époques, avec les
autres continents. Elle est la trame des événements. Elle
BRICE PARAIN
(A suivre.)
LES BONS APÔTRES
J'en ai vu d'autres.»
Elle souffre.
« Mais non.
Tu es fatiguée?
LES BONS APÔTRES
Non.
A quoi penses-tu?
Et vous?
Peut-être à la même chose.
Peut-être. »
« Tu m'appelles ?
Moi? mais non.
Tu n'as rien dit?
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
« Merci, Rose. »
et puis c'est le jour des Rois. Allons la mie de pain
dans l'oreille et tout reprend.
<'
Au trot, au galop,
Sur mon cheval, sur ton chevau
Pie.
Bien, ma tante.
»
Yvonne s'est éloignée. Et nous voici vraiment comme
autrefois, quand.
« Que me disiez-vous, Dussault ? »
quand elle avait trente ou trente-cinq ans, mais déjà un
air de vieille fille, et très consciente de son destin, résolue,
calme, soucieuse du rôle et du nom, sans vanité, non tou-
jours sans distance, avec des pointes de malice et la pure
qualité du cœur.
« Eh bien, monsieur le Consul?»
»
J'entends; cela veut dire « Est-ce tout? ». Et tout,
la voix dans la chambre d'hôpital, la voix dans le désert
de la rue, je lui ai tout raconté (sauf les Apôtres).
« Eh bien, mademoiselle Cécile, que pensez-vous du
Consul?
»
Mademoiselle Cécile semble rêveuse.
Julien, orgueilleux!
Fils de Marie Dussault, Mademoiselle. J'ai mon arbre
généalogique, je pense. Et la voix.
Taisez-vous. Vous n'êtes pas le seul.
Mais.
De gros clous.
»
Veut-elle distraire la songeuse? Voilà qu'elle me demande
d'où m'est venue l'idée des fouilles.
« De Tacite, Mademoiselle.
De Tacite! Tu entends, Yvonne?
Au deuxième livre des Annales, lorsque Germanicus
fait camper ses légions près de la Meuse.
Mais la Meuse est longue!
Oui, mais il est parlé d'un mont Mercure. Vous me
direz qu'il y en a beaucoup? Mais pas un autre dans ce
pays, Mademoiselle.
Et cela se passait quand, Dussault ? »
Elle a pris un grand air d'admiration. Yvonne, je la vois
LES BONS APÔTRES
Encore!
« Ça ne va pas, Dussault ?»
Présente à chacun tes excuses, tes remords d'avoir trou-
blé une réunion si intime.
MARCEL ARLAND
LANGAGES
Le tribut de l'ignorance.
Etait-ce parce que les vivants ne marchaient plus sur les pas
des ancêtres, ou que, moins débrouillards et moins sages, le
présent seul comptait pour eux? Depuis trois mois la désola-
tion était générale. Le village se débattait en vain sous les ailes
écrasantes de la calamité. Plus de chant, sinon de deuil, plus
de signe de joie; rien que le râle des mourants assoupissant de
temps en temps l'étendue comme un bruit qui noie en son sein
un grand silence. La famine dévastait le village. Elle dévorait
hommes et bêtes. Le jour, de violents serpents de poussière
montaient vers le ciel, portant dans leur sein les totems des
grands qui venaient de rendre le dernier soupir. La nuit, les
vampires enlevaient les poumons de ceux qui n'avaient pas
encore vidé leurs greniers. Tous les poulets, tous les béliers
avaient été sacrifiés, mais le sort restait entier. Les mères,
affolées, couraient d'arbre-dieu en arbre-dieu jeter leur inno-
cence au front des dieux, des ancêtres.
Tourmenté, mais décidé à mourir debout, car, disait-on dans
le village, un homme ne meurt qu'en se tortillant, qu'en remuant
les pieds, Tamo partit de Baham. Dans les plus grands
malheurs, on se débat pour vivre, on ne se couche pas pour
mourir. La résignation n'est pas humaine. Le dernier soupir
seul, en rendant l'homme inconscient, le contraint à la résigna-
tion. Il partait donc plus pour mourir en luttant que pour un
exploit. La route était pour lui d'autant plus longue qu'il igno-
rait combien de jours de marche le séparaient de Bansoa, vil-
Rentre
fétiche de notre chef
et épargne l'ignorance
l'ignorance est un grand mal
l'ignorance a le poids des montagnes
l'ignorance est comme le termite
qui sape les peuples
l'ignorance est une sangsue
qui suce les nations,
et elles s'effondrent comme sous l'orage
des arbres sans racines.
Rentre
fétiche de notre chef
rentre bredouille
rentre seul
comme une pierre
qui ne laisse pas de progéniture
comme un stérile
qui meurt avec son nom
rentre
Caméléon
tu es mon père
tu es ma mère
tu succéderas à mon père,
et à ma mère
c'est grâce à toi
que j'ai trompé
tout un peuple
SAGESSE ET CHANTS BAMILÉKÉ
tu es ma mère
va
ADIEU.
Va, va
au pays des Esprits
que léger soit ton pas
si tu meurs de ta mort.
Va, va
ait pays des Esprits
ait pays des ancêtres
que léger soit ton pas
et calme ton séjour
va, va
puisque tu as pris le devant
va et à bientôt.
Je vais à la danse,
OM sont mes grelots
ma lance, mon pagne?
Je vais à la danse.
OM ma madone?
Mon foyer est une mare.
le dormais étendit,
je ne me couche plus qu'en boule.
J'étais géant,
me voici nain.
où l'avez-vous laisséef
Voici son plantoir, sa houe,
où l'avez-vous laissée
p
Je tombe,
où ma CSMM~f
Je vais parler,
CM ma langue?
Où ma madone,
mon père et ma mère,
où ma madone,
mon sel et mon /tM!f
p
Je vais au champ,
OM MMK coupe-coupep
Je veux vivre,
mes intestins ont moisi
Adieu Matamgo.
ROGER JUDRIN
CE QUI EST ÉCRIT
A peu près ce que taisent ceux qui ne sont pas fous. A savoir
que, personne, au fond, ne se console de n'être pas Louis XIV.
Les fous seuls, certains du moins, ayant la compensation de se
prendre pour. Car enfin, déclarer, affirmer, monologuer, majus-
culiser, marquer publiquement ses goûts et ses idées, les mettre
sous tous les yeux, tenter de les planter dans les esprits, quoi
de plus autoritaire? Au reste, les écrivains font preuve du
même culot. Qui sont-ils sinon des graphigneurs qui ont
dépassé le mur, et leur humble confrère avec son bout de craie
ou son crayon marqueur un écrivain rentré qui cherche à en
sortir. La paroi choisie lui prête son importance (la porte du
Palais de Justice l'emportant évidemment sur la balustrade
du cirque) et, par voie de conséquence, l'audace de la « dégra-
der ». De même que la matière de poids (bois, pierre, métal)
présente l'avantage sur le papier si périssable d'assurer la
durée, du moins une certaine durée, l'exposition, tentative
de séduction permanente, de persuasion, est un moyen de
lutte contre l'indifférence et l'oubli. La phrase qui traque les
regards, racole le passant, en fait un lecteur obligatoire, c'est
le cri de guerre de la publicité (en anglais slogan).
De toute façon, la patience des graffitomanes est admirable.
Leur application aussi. Il semble que la difficulté, loin de les
rebuter, les stimule. Qui consentirait, de nos jours, à faire
des pages d'écriture? Or, pour les besoins de la cause, on
devient couramment calligraphe; mieux encore, capitalettriste.
Ce qui a une signifiance supplémentaire nostalgie de la
fameuse lettre moulée, de la consécration typographique. Ecrire
en caractères d'affiche, c'est presque le droit à l'affichage;
l'imitation de l'imprimé, de l'affichisme provocant et rancunier.
A voir tant de capitalettristes de trottoirs et de murailles, on
peut faire le compte des amours-propres malades.
Tout ça ne nous sort pas de l'histoire Louis XIV; la plus
simple. Ce serait simple, en effet, si les scripteurs publics
signaient. Or, ils s'en gardent bien. Sans doute, ont-ils besoin
de la liberté et de la sécurité que l'anonymat assure à qui
veut, sans risques, soulager son cœur ou sa tête. Car, il s'agit
généralement de scandale et de défi, ces instruments de ven-
geance amoureuse ou sociale (comme dans les monologues
d'ivrognes). Aussi est-ce bien pour l'authenticité du ton si
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
ELISABETH PORQUEROL
CHRONIQUES
CONSOMMATION ET CONTESTATION
JACQUES BERSANI
1. Au Vieux-Colombier.
CINÉMA LE FESTIVAL DE CARTHAGE
S'il est une critique que l'on doive faire aux organisateurs,
comme on doit la faire aux participants, c'est une critique
qui a trait au choix des œuvres présentées. On discerne mal
quel critère a pu guider la commission responsable du pro-
gramme, ou quels objectifs s'étaient fixés les pays en compé-
tition. L'intérêt par trop inégal des films retenus et l'absence
de réalisation de premier plan ont parfaitement justifié la déci-
sion du jury il n'y a pas eu de Tanit d'or de décerné, ni
pour les longs métrages ni pour les courts métrages. Si on
peut vivement regretter la carence des chefs-d'œuvre, on peut
applaudir un jury qui s'est refusé à galvauder ses distinctions,
a conservé aux Journées de Carthage leur vocation aux ren-
contres ce rôle devrait être essentiel au cinéma africain comme
au cinéma arabe puisque Tunis leur offre une plate-forme qui
leur permet d'être mieux connus et de se mieux connaître.
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
MARCEL SCHNEIDER
NOTES
LA POÉSIE
Au matin
Le f eu bleu attaque les métaux,
Les yeux, les mots amassés.
ELISABETH PORQUEROL
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
GUY ROHOU
Paul Tillich est, avec Karl Barth, une des plus singulières
figures de la théologie protestante contemporaine. Né en 1886,
fondateur à Berlin, après la première guerre, d'un mouvement
dit du socialisme religieux, il fut expulsé d'Allemagne en 1933
et passa aux Etats-Unis les trente dernières années de sa vie.
Théologie de la Culture n'est pas un ouvrage systématique
ni, pourrait-on dire, professionnel, mais, dans un simple et
cohérent recueil d'articles, comme une somme abrégée où la
pensée de l'auteur adopte sans doute à l'intention du lecteur
américain un tour didactique et presque vulgarisateur qui
déçoit d'abord quelque peu chez cet héritier de Schelling. Car,
ainsi que le note M. Gabus dans son introduction, « Tillich a
toujours voulu être en même temps philosophe et théologien ».
Mais on le voit aussi extrêmement impressionné par sa ren-
contre tardive avec le pragmatisme anglo-saxon, par ce souci
constant d'éprouver la spéculation dans ses prolongements pra-
tiques et, en sa double qualité d'Allemand et de philosophe
chrétien, effaré (comme si elle en était plutôt la conséquence)
par la négation hitlérienne d'un siècle et demi de pensée pure
et d'idéalismes.
Au reste, il n'est pas nécessaire qu'un philosophe soit obscur
pour nous convaincre de la gravité de son entreprise, et dans
l'aspect quelquefois sommaire ou hâtif de certaines grandes
synthèses de Tillich (qui, de saint Augustin à Freud, et de
Marx à Bergson, procède sous l'étendard de l'existentialisme
à un rassemblement vaguement tératologique), on trouvera non
seulement de la clarté, mais une hardiesse d'esprit assez réelle.
Même il semble que ces pages, d'où sont absents « le génie et
NOTES
JACQUES RÉDA
Tel est le livre que Rudolf Bultmann avait écrit dès 1926
et qu'il avait intitulé « Jésus ». Les éditeurs l'ont fait suivre
de cinq conférences prononcées en 1951 et dans lesquelles
Bultmann, mettant sa doctrine au goût du jour, semble s'excu-
ser d'avoir fait de l'existentialisme sans le savoir.
MICHEL LÉTURMY
ROMANS FRANÇAIS
JACQUES-PIERRE AMETTE
J.-P. A.
ROMANS ETRANGERS
JACQUES BERSANI
Ici, comme dans son premier livre (La Saison des Renards),
Seuren fond ensemble des thèmes liés aux problèmes propres
à l'Allemagne de la guerre ou de l'après-guerre, et des thèmes
qui résultent d'une réflexion du romancier sur la technique
narrative; une telle conjonction ôte à une forme résolument
moderne son caractère purement expérimental et permet à
l'oeuvre de fiction de ne pas se laisser emprisonner dans le
cadre strict de la prose documentaire.
Deux représentants de la jeune génération (celle qui a
trente ans aujourd'hui et qui s'est dressée contre celle de ses
pères) entreprennent une enquête sur le passé de Lebeck, un
objecteur de conscience désireux de faire la lumière sur une
action qu'il qualifie de « résistance à la tyrannieet qu'il
prétend exemplaire et héroïque. La confrontation de Lebeck
avec l'ancien nazi Senker, lors d'une rencontre d'abord tendue,
puis sombrant dans la mascarade, rapproche singulièrement
ces deux adversaires « Les Allemands sont toujours plus
absolus que les autres. Laisser une trace allemande dans l'his-
toire suffit à nous rendre heureux » elle révèle en outre aux
enquêteurs, étant donné l'ambiguïté des comportements humains
et les interprétations contradictoires auxquelles ils donnent
lieu, que tout acte peut se muer en son contraire et
que le passé demeure illisible pour autrui. De l'action de
Lebeck, nous ne connaissons en effet qu'un effort actuel pour
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
JACQUES-PIERRE AMETTE
LES ARTS
WILFREDO LAM
JANINE BÉRAUD
LA LIBRAIRIE DE CHARLES V
A LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
ANDRÉ SUARÈS
2~ MOfMM&rC ~P<M
'f
MÉMENTO
Proche,
de saisie difficile, le dieu.
Mais en h'~M de péril, grandit
aussi ce qui sauve.