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— Oh, si !
— En mieux ou en moins bien ?
N’osant pas répondre, il préféra éluder :
— J’ai pensé que ces quelques roses te
feraient plaisir…
— Et tu as eu raison. Elles sont ravis-
santes, exactement comme je les aime : des
roses thé… Comment as-tu pu deviner ma
couleur préférée ?
— Une idée comme ça…
— Mais entre ! Ne reste pas ainsi planté
sur le palier.
Il était encore tellement abasourdi par la
transformation que ce fut à peine s’il re-
marqua, sur le moment, le bon goût de
l’ameublement et de la décoration. N’im-
porte qui, à sa place, aurait été médusé ! Ce
n’était pas tellement la minijupe qui arrivait
au ras des fesses, ni même la blouse
volontairement déboutonnée jusqu’à un
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— Oui, madame.
— Je vais vous paraître sans doute indis-
crète, mais ce jeune homme qui dînait avec
vous l’autre soir, c’était peut-être votre
fiancé ?
— Oh non, madame ! répondit Sylvie avec
une telle vivacité et sur un tel ton que l’on
comprenait tout de suite que la seule idée
d’avoir un fiancé pareil, aussi mal rasé et
aussi peu soigné, ne l’avait même pas
effleurée.
— Eh bien ! franchement, avoua
me
M Charvin en souriant, je préfère cela… Il
est certainement très gentil ce garçon, seule-
ment je trouve qu’il ne vous convenait pas.
J’en ai d’ailleurs fait la remarque à Jean.
N’est-ce pas, chéri ?
— C’est exact… Seulement, Hélène, j’ai
l’impression que nous nous mêlons de
choses qui ne nous regardent pas.
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— Nullement.
— Mais… Mme Charvin ?
— Encore ! Décidément mon épouse vous
inquiète ! Eh bien, apprenez que le samedi
soir est le jour sacro-saint de son bridge !
Elle revient rarement à la maison avant
minuit.
— Alors c’est d’accord… Où nous
retrouvons-nous ?
— Rendez-vous à 20 heures au bar Alex-
andre, avenue George V… Vous connaissez ?
— Non, mais je trouverai.
— A samedi… Et faites-vous très belle !
Il avait raccroché… Saisie par cette
dernière recommandation qui avait tenu lieu
d’au revoir, et ayant encore le récepteur en
main, elle se demandait si, en disant cela, il
n’avait pas voulu se moquer d’elle. Pourtant,
le ton de voix était à la fois gai et sincère : ce
n’était pas celui de quelqu’un qui se
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— C’est tout.
— Alors bonsoir ! Je me sauve… Et
inutile, désormais, de revenir m’attendre ici
devant le magasin… Quand je pourrai te voir,
je te ferai signe par un pneumatique. Tu m’as
donné ton adresse. Bonne nuit, André.
— Bonne nuit…
— Lequel ?
— Quand j’en aurai terminé avec ces pho-
tos que tu souhaites avoir, tu retireras ta per-
ruque, tu te démaquilleras et tu te laisseras
photographier telle que tu es réellement.
— C’est promis.
Elle fut longue, la séance de photos !
Sylvie prit toutes les poses possibles et ima-
ginables, ordonnant sans cesse à Dédé :
— Prends-moi sous cet angle… Et sous
celui-là… De profil… Maintenant de trois
quarts. De dos aussi : tu ne trouves pas que
j’ai une très jolie chute de reins ? Ça ne te
choque pas trop que je me mette toute nue
devant toi ? Oh ! Je sais bien que vous
autres, les photographes de mode, vous en
voyez de toutes les couleurs ! Mon nu n’est
pas si mal ! Et il y a des façons de porter le
nu qui ne sont qu’à soi… Ce n’est que quand
la femme est nue que peut s’affirmer sa vérit-
able personnalité…
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— C’est un marché ?
— Prends-le comme tu veux.
— Bon. Alors je vais retirer ma perruque
et me démaquiller dans la salle de bains.
Pendant ce temps-là sers-toi un whisky, bien
tassé… J’ai l’impression que tu en as le plus
grand besoin ? Tu es tout pâle, André…
— C’est normal : ce que tu viens de dire
m’a bouleversé : répandre des photos de toi
nue dans les journaux… Pornographiques
peut-être ?
— Tu sais très bien qu’à notre époque la
pornographie est devenue l’un des facteurs
de la réussite !
— Aurais-tu également l’intention d’en-
voyer ces photos intimes à d’éventuels
admirateurs ?
— J’y pense aussi…
— Ah çà ! Mais c’est toi, Sylvie, qui as
perdu la tête ! Et moi qui ai marché comme
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— Au revoir…
— Au revoir, André… Quand
m’apporteras-tu les photos ?
— Pas avant trois ou quatre jours. De-
main et après-demain je suis pris toute la
journée par le défilé d’une nouvelle collec-
tion… Et il faut le temps de tirer les
épreuves… Quand ce sera fait, j’irai t’at-
tendre à la sortie de ton travail.
— Pas devant la porte ! Tu sais que j’ai
horreur de cela : ça me donne mauvais
genre…
— C’est toi qui dis cela après avoir exigé
d’être photographiée toute nue ?
— Chez soi on a le droit de faire ce qu’on
veut, même l’amour si cela vous chante…
Il la regarda sans répondre. Il dit simple-
ment au moment de sortir :
— Je t’attendrai à l’entrée de la bouche de
métro.
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— Tu me plais…
— Tu trouves que c’est là une raison
suffisante ?
— Pour moi, oui.
— Tu n’as donc pas d’ami ?
— J’en ai un, mais ce n’est pas un amant…
— Tu as envie de faire l’amour ?
— Oui.
— Et c’est moi que tu veux ?
Elle se fit modeste pour dire exactement
le contraire de ce qu’elle pensait :
— En amour ce n’est pas la femme qui
choisit, mais l’homme…
Il la regarda avec curiosité avant de
répondre :
— En tout cas, tu es une drôle de petite
personne… Tu n’es pas jolie, mais tu as
quelque chose qui n’est qu’à toi…
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— Quoi ?
— Ta laideur… Le comble c’est que ça doit
pouvoir plaire !
— Tu es sûr de ce que tu me dis ?
— Absolument !
— Si tu savais, Domingo, comme tu me
fais plaisir ! J’ai envie de t’embrasser…
— Alors qu’est-ce que tu attends ?
Elle le fit maladroitement, presque
comme une écolière. Mais lui sut prendre
son temps pour lui rendre cette toute
première monnaie d’amour. Lorsqu’il
desserra son étreinte, qui la laissa abasour-
die, il dit en souriant de toutes ses dents :
— Ça aussi, il faudra que tu l’apprennes…
J’ai l’impression que, dans ce domaine, tu as
encore beaucoup de choses à découvrir, mon
petit…
— Je sens que tu peux être mon
professeur…
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— De… s’associer ?
— Ça ! Cela demande de la réflexion… Je
ne veux pas m’embarquer dans une aventure
qui tournerait au désastre…
— Dis plutôt que tu es bien tranquille
avec ta blonde et que tu as peur de quitter la
proie pour l’ombre !
— C’est un peu ça… Qu’est-ce que tu veux,
tu n’es pas entretenue, toi !
— Ça peut venir…
Alors qu’il la regardait une nouvelle fois,
elle lut le doute dans ses yeux. Et elle de-
manda, inquiète :
— Tu penses que ce serait très difficile ?
Il ne répondit pas.
— Eh bien, je te prouverai un jour le
contraire ! Toi-même tu l’as dit : je ne
ressemble à personne… C’est de là que peut
venir mon succès… Qu’est-ce qu’ils recher-
chent tout le temps, les hommes ? Une
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— La blonde ?
— Marylin… Justement : puisque tu en
parles il y a une chose que je voulais te dire…
Demain, elle et moi nous partons aux sports
d’hiver pour quelques semaines…
— Ah ? Et moi, qu’est-ce que je vais
devenir ?
— Toi ? Mais tu continueras à travailler
dans ta boutique pour accroître tes petites
économies… Qu’est-ce que tu veux, Marylin a
su se montrer gentille pour moi ces derniers
jours… A croire qu’elle a pressenti que, si elle
ne voulait pas comprendre, je pourrais très
bien la plaquer pour une autre, telle que toi,
qui ne demandait, elle, qu’à se mettre au
diapason…
— Tu ne lui aurais pas parlé de moi, par
hasard ?
— Je ne cache pas que je lui ai laissé en-
tendre qu’il y avait une candidate sur les
rangs… mais, bien sûr, sans te nommer !
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— Tu me gênes…
— Pas tellement ! Tiens !
Et elle lui lança une liasse de billets à la
figure avant de s’enfuir en claquant la porte.
D’abord interloqué, il regarda les billets
qui s’étaient éparpillés sur la moquette. Puis
il se baissa pour les ramasser un par un –
l’argent c’est trop précieux ! Ensuite il les
compta : il y avait trois mille francs en
coupures de cent. Aussitôt il pensa : « Cela
représente un mois de son travail et ça met
« la leçon » à cent cinquante mille anciens
francs… Ce n’est pas si mal payé ! Je suis sûr
qu’elle aurait été généreuse, cette
mignonne… Seulement voilà : avec le
physique qu’elle a, elle aurait eu beaucoup de
mal à « accrocher » un type à fric… Cela
aurait demandé trop de temps ! Moi, je ne
peux jamais attendre : demain j’ai un bon
tuyau pour la troisième à Longchamp Avec
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— Je suis intervenu ?
— Exactement… Puis-je vous poser à mon
tour une question ?
— Toutes les questions !
— Pourquoi avez-vous fait cela ?
Il avala une nouvelle gorgée avant de ré-
pondre, toujours calme :
— A moi aussi ça ne me plaisait pas trop
de vous voir danser avec cet homme…
— Seriez-vous raciste ?
— Pas le moins du monde ! Je trouve sim-
plement qu’il ne vous convenait pas…
— Vraiment ? Et… Si c’était mon mari ?
— Impossible !
— Pour quelle raison ?
— Vous vous embrassiez de beaucoup
trop près en dansant… Les couples mariés ne
s’embrassent pas ainsi en public. Générale-
ment ils réservent leurs effusions à l’intimité.
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— Certainement pas !
— C’est donc que vous auriez estimé que
j’étais déjà une femme comblée par la
nature ?
— Disons : une jolie femme… Ce qui n’est
déjà pas mal ! N’est-ce pas, monsieur
Gabriel ?
Après une seconde d’hésitation, « le
sculpteur » dit :
— Ce qu’il faut souhaiter, c’est que ma-
demoiselle acquière rapidement, dès que la
transformation aura été faite, ce que je me
permettrai d’appeler « le moral » de son
nouveau physique…
— Vous voulez dire, monsieur, un moral à
toute épreuve ? Eh bien, soyez rassuré : je
l’aurai ! Je crois même que je l’ai déjà ! Si
vous saviez comme c’est réconfortant pour
moi de me voir ainsi ! Voilà des années que
j’aurais dû venir vous trouver, docteur !
Quand commencez-vous à m’opérer ?
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— Ravie, docteur !
— Je vous laisse les fils. Je ne les retirerai
que dans une douzaine de jours. D’ailleurs
on ne les remarque pas puisqu’ils sont dis-
simulés derrière les oreilles. Et surtout n’y
touchez pas ! Faites très attention en vous
lavant. Comme pour le nez il n’y aura aucune
trace et ceux qui ne vous ont pas connue av-
ant ne pourront même pas imaginer que ces
oreilles aient pu être moins esthétiques…
— Quand me tirez-vous les yeux ?
— Une douzaine de jours après que je
vous aurai retiré ces fils : mettons dans
quatre semaines.
— Mais vous espacez de plus en plus les
interventions ?
— Je vous ai bien précisé, au cours de nos
premiers entretiens, que la succession des
différentes transformations demanderait
plusieurs mois. Ce serait une erreur de
vouloir bousculer les choses. Tout doit se
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— C’est extraordinaire…
— Et vous pouvez constater qu’un équi-
libre harmonieux est établi entre vos yeux, le
nez et les oreilles… Pour le visage il ne rest-
era plus que le problème de la denture qui a
une grande importance dans la bouche. Ce
sera le travail du Dr Viré à qui je téléphonerai
quand l’intervention des seins aura été faite.
— Vous ne croyez pas, docteur, que l’on
aurait pu d’abord en finir avec le visage ?
— Non, car il vous faudra de nombreuses
séances chez le dentiste pour les poses suc-
cessives des jackets. De plus, j’aimerais en
terminer moi-même complètement avec
vous d’ici à deux mois : date à laquelle je dois
m’absenter assez longtemps pour une longue
série de conférences aux Etats-Unis, pays par
excellence de l’esthétique… Avouez que ça
fait un drôle de changement ?
— Je ne me reconnais plus moi-même !
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