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Alain Drouard
DOI : 10.4000/books.editionscnrs.5380
Éditeur : CNRS Éditions
Année d'édition : 2010
Date de mise en ligne : 20 juin 2016
Collection : Anthropologie
ISBN électronique : 9782271091192
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782271066275
Nombre de pages : 155
Référence électronique
DROUARD, Alain. Le mythe gastronomique français. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions,
2010 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/
editionscnrs/5380>. ISBN : 9782271091192. DOI : 10.4000/books.editionscnrs.5380.
Le
mythe
gastronomique
français
CNRS EDITIONS
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I l existe un mythe gastronomique fran-
çais. On entend ici par mythe un récit
imaginaire forgé à partir d’un ensemble
de croyances et de représentations collec-
tives sur la cuisine française, son excellence
et sa prééminence séculaire par rapport
aux autres cuisines nationales.
Ce mythe est né après la Révolution
française avec la mise en place de ce qu’on
peut appeler le « système de la cuisine fran-
çaise », c’est-à-dire un ensemble de relations
de dépendance entre trois acteurs princi-
paux : les critiques gastronomiques, les cui-
siniers et les amateurs de bonne chère.
En effet, il n’y a pas de gastronomie sans
critiques gastronomiques c’est-à-dire sans
discours sur l’art de faire bonne chère et
donc sans une littérature gastronomique
faite de guides et de revues gastronomiques.
Il n’y a pas de gastronomie non plus sans
restaurants « gastronomiques », où l’on sert
à une clientèle aisée une Haute ou Grande
Cuisine, c’est-à-dire une cuisine luxueuse
et fastueuse, telle qu’elle fut codiiée, au
début du XIXe siècle, par Antonin Carême
et revue par Auguste Escofier au début du
XXe siècle.
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les distinguer. Et, les exemples récents de de la démarche de Pascal Ory qui afir-
cette confusion ne manquent pas. mait : « Faire l’histoire de la gastronomie,
Mais, un effort de déinition ou plutôt de c’est faire l’histoire d’une littérature » ?, ou
redéinition s’impose aujourd’hui, d’autant de celle de Jean-François Revel qui disait à
plus que la gastronomie n’est plus seule- propos de son Histoire littéraire de la sen-
ment un discours, une littérature ou une sibilité gastronomique de l’antiquité à nos
critique. Elle est désormais une industrie de jours : « Histoire littéraire, ai-je dit, histoire
luxe avec ses chefs étoilés, devenus grands par les textes. » ?
entrepreneurs, ses produits haut de gamme, Si l’analyse des liens entre littérature
ses produits dérivés et ses « marques ». entendue au sens large et gastronomie est
riche d’enseignement, elle ne saurait suf-
Comment, dans ces conditions, abor- ire. Le mythe doit, en outre, être confronté
der l’histoire du mythe gastronomique ? à la réalité des pratiques culinaires aussi
Comme celle d’une « passion » française bien des professionnels de la restauration
parmi d’autres, pour reprendre le titre des que de la population ainsi qu’à l’évolution
livres de Theodor Zeldin et de Jean-Robert de l’alimentation et plus précisément à celle
Pitte ? ou de Jean Vitaux. Faut il s’inspirer de la consommation alimentaire.
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Cuisine royale
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle nourriture des ménages qui ne font qu’une
et au début du XVIIIe siècle un ensemble dépense réglée et modérée. »
de livres de cuisine sont publiés qui reven- Or, il se trouve que d’autres titres, portant
diquent l’identité de la cuisine française, eux aussi l’adjectif françois voient le jour
déinie comme cuisine aristocratique et dans la décennie 1650 : le Jardinier fran-
bourgeoise, et afirment sa prééminence çois (1651), Le Pastissier françois (1653) et
sur les cuisines étrangères. Le Coniturier françois (1660).
Florent Quellier [La table des Français]
◗ Les règles du bon goût
nous éclaire sur cette coïncidence :
« Elle [la cuisine] acquiert une vraie person-
Le premier livre, le plus important, nalité française à mesure que le prestige poli-
parait en 1651 sous le titre : Le cuisinier tique, diplomatique et culturel de la France et
françois enseignant la manière de bien de ses monarques s’affermit en Europe et que
apprêter et assaisonner toutes sortes pâlissent la puissance militaire espagnole et
de viandes grasses et maigres, légumes, l’éclat culturel de l’Italie. […] Bien que desti-
pâtisserie et autres mets qui servent tant née à l’agrément des privilégiés, la cuisine en
sur les tables des Grands que des parti- principe ne devrait être qu’un art mécanique
culiers. Son auteur, François Pierre dit La participant à l’ignoble travail productif. Ici la
Varenne est écuyer du marquis d’Uxelles, nouvelle génération de livres de cuisine née
gouverneur de Chalon-sur-Saône. L’aver- avec Le Cuisinier françois a joué un rôle pri-
tissement du libraire précise que l’auteur mordial : en contribuant à la codiication et à
présente des recettes : « qui se servent la théorisation de l’art culinaire, elle a hissé
sur les tables des Grands », mais aussi « les la cuisine au rang des Beaux-arts. La même
préceptes des choses plus communes et année 1674 paraissent L’Art de bien traiter de
plus ordinaires qui se débitent dans la L.S.R. et L’Art poétique de Boileau ; il n’est
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François Vatel ¢
François Vatel (1631-1671). Maître d’hôtel de Nicolas Fouquet, au château
de Vaux-le-Vicomte, puis « contrôleur général de la Bouche » du Grand
Condé au château de Chantilly. Créateur de la crème Chantilly, il est aus-
si connu comme grand organisateur de festivités. Mais il entre dans la
légende à la suite de son suicide, que raconte la Marquise de Sévigné :
« Il est dimanche 26 avril; cette lettre ne par- ville : « La tête me tourne, il y a douze nuits que
tira que mercredi; mais ceci n’est pas une lettre, je n’ai dormi ; aidez-moi à donner des ordres. »
c’est une relation que vient de me faire Moreuil, Gourville le soulagea en ce qu’il put. Ce rôti qui
à votre intention, de ce qui s’est passé à Chantilly avait manqué, non pas à la table du Roi, mais aux
touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu’il vingt-cinquièmes, lui revenait toujours à la tête.
s’était poignardé: voici l’affaire en détail. Le Roi Monsieur le Prince [le Grand condé] alla jusque
arriva jeudi au soir; la chasse, les lanternes, le dans sa chambre, et lui dit : « Vatel, tout va bien,
clair de la lune, la promenade, la collation dans rien n’était si beau que le souper du Roi. » Il lui dit :
un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à sou- « Monseigneur, votre bonté m’achève; je sais que
hait. On soupa; il y eut quelques tables où le rôti le rôti a manqué à deux tables. - Point du tout, dit
manqua, à cause de plusieurs dîners où l’on ne Monsieur le Prince, ne vous fâchez point, tout va
s’était point attendu. Cela saisit Vatel; il dit plu- bien. » La nuit vient : le feu d’artiice ne réussit
sieurs fois: « Je suis perdu d’honneur; voici un pas, il fut couvert d’un nuage; il coûtait seize
affront que je ne supporterai pas. » Il dit à Gour- mille francs. À quatre heures du matin, Vatel s’en
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personnes de premier Ordre. Et montrant de chez le Roi qui y ont travaillé ; ainsi l’on
ensuite ce qui composait tous ces repas, il peut dire que c’est tout ce qu’il y a de plus
donne les véritables manières des oficiers à la mode et de plus exquis. »
La nouvelle cuisine
Quelques décennies après la parution du les différents goûts de ceux qu’on est obligé
Cuisinier royal et bourgeois, était lancée de servir. Quoique le Cuisinier françois dit
une polémique autour de la « nouvelle cui- Royal et Bourgeois est trop ancien et d’une
sine française », anticipant en quelque sorte nature à ne plus pouvoir être suivi, n’ayant
celle des dernières décennies du XXe siècle. point été augmenté ni diminué depuis plus
Vincent La Chapelle, chef de cuisine du de trente années, cela n’a pas empêché celui
chevalier de Chesterield fut le premier à qui en a le privilège de mettre à la tête de
s’engager en faveur d’une nouvelle cuisine son livre qu’il est Nouveau : ceux qui seront
en publiant Le Cuisinier moderne, qu’il curieux et qui voudront prendre la peine
écrivit d’abord en anglais, The Modern de l’examiner verront bien le contraire. […]
Cook [Londres, 1733], avant d’en don- Pour ce qui est de moi, je n’emprunte rien
ner une édition française : « La table d’un des livres imprimés et je ne donne que mon
grand Seigneur, servie à présent de la savoir. »
même manière qu’il y a vingt ans ne satis- Dans un livre publié peu après, Les Dons
ferait point les conviés. Cette manière avait de Comus ou les Délices de la table (1739),
pourtant ses règles que l’on suivait scrupu- François Marin, le cuisinier de Madame de
leusement, et dont la pratique avait un mer- Gesvres, défendait lui aussi la nouvelle cui-
veilleux succès. Il faut donc, maintenant sine « la cuisine moderne » :
que tout a changé, de nouvelles règles qu’on « Il y a cependant plus de deux siècles qu’on
puisse suivre sûrement, et contenter par là connoît la bonne chère en France mais on
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généralement il n’y a pas encore vingt ans. La Cuisine et paru à la même époque : « La
Cuisine moderne établie sur les fondements délicatesse de la table a été augmentée
de l’ancienne, avec moins d’embarras, moins depuis peu par le goût exquis de plusieurs
d’appareil et avec autant de variété, est plus seigneurs qui ont contribué à perfection-
simple, plus propre et peut-être encore plus ner leurs chefs de cuisine ; elle a fourni
sçavante. L’ancienne Cuisine était fort com- matière de réformer les anciens ragoûts
pliquée et d’un détail extraordinaire. La Cui- pour les mettre dans un goût nouveau. Les
sine moderne est une espèce de Chymie. La sauces ines et piquantes, la nouveauté des
science du Cuisinier consiste aujourd’hui à mets recherchés des personnes qui aiment
décomposer, à faire digérer et à mieux quin- les délices de la table, tout cela fait que
tessencier des viandes, à tirer des sucs nour- l’oficier qui travaille dans le nouveau est
rissants et légers, à les mêler et les confondre préféré à celui qui suit l’ancienne méthode.
ensemble, de façon que rien ne domine et que C’est sur cette matière que je me suis pro-
tout se fasse sentir ; enin à leur donner cette posé de travailler ; mais je ne prétends pas
union que les Peintres donnent aux couleurs décrier l’ancienne cuisine, puisqu’elle est la
et à les rendre si homogènes, que de leurs dif- base de la nouvelle. »
férentes saveurs il ne résulte qu’un goût in Toutefois un autre ouvrage de Menon :
et piquant et si je l’ose dire, une harmonie de La cuisinière bourgeoise devait être le
tous les goûts réunis ensemble. » [Les Dons grand succès de la littérature culinaire de
de Comus, Paris, 1739, Avertissement.] la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il y pré-
sentait « des mets simples bons et nouveaux
On retrouve la nouvelle cuisine dans le et en it des explications intelligibles et à la
premier livre d’un autre cuisinier célèbre, portée d’être entendues de ceux même qui
Menon, intitulé Nouveau traité de la ne savent pas la cuisine. »
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Rabelais avait parlé des « gastrolâtres, à la religion, à l’Estat et aux bonnes mœurs
Montaigne de « science de gueule » et M. combattue et renversée par le Père Fran-
de la Mothe Le Voyer de « gastrologie ». çois Garassus]. Forgée sur nomos (loi en
« Gourmand » est encore synonyme de grec) et gaster (le ventre), la gastronomie est
« glouton », de « goulu » dans le Diction- donc la loi ou la règle du ventre.
naire de l’Académie française de 1787, Le mot en lui-même apparaît pour la
et s’y oppose à « gourmet », celui qui sait première fois dans le poème en quatre
apprécier la qualité des vins et des mets. chants de Joseph Berchoux (1765-1839) :
Quelques années plus tard, loin d’avoir « La gastronomie ou l’homme des champs à
disparu, la distinction subsiste mais il faut table. », paru en 1801.
désormais compter avec des mots nou- La gastronomie y est conçue comme une
veaux : « gastronomie » et « gastronome », pédagogie destinée à « l’Homme à Table »,
qui reçoivent aussitôt un accueil favorable, en fait à la nouvelle classe dirigeante, c’est-
même si leur sens ne s’impose pas d’emblée. à-dire à la bourgeoisie et plus particulière-
Tout en distinguant le glouton, le gastro- ment aux nouveaux riches, aux parvenus
lâtre, le mangeur, le gourmand, le friand, le à tous ceux qui ont fait fortune ou se sont
gastronome, l’ivrogne, le buveur, le somme- enrichis par la vente des biens nationaux et
lier, le dégustateur, le gourmet, Balzac, par qui ne connaissent pas les usages de la table.
exemple, note qu’il est pratiquement impos- Le cuisinier, les services de la table,
sible d’être à la fois gastronome et gourmet. l’ordre des mets (potage, hors d’œuvre,
entrées, rôts, entremets, desserts), la
◗ « Gastronomie »
conversation à table, autant de règles et de
prescriptions que Berchoux a mises en vers
En 1623 le mot gastronomia avait été men- dans son poème et qui s’imposent au gastro-
tionné pour désigner « les loix et la police de nome soucieux de faire connaître et recon-
la gourmandise. » [La doctrine curieuse des naître son statut social.
beaux esprits de ce temps ou prétendus tels Le mot gastronome qui désigne l’expert
contenant plusieurs maximes pernicieuses en bonne chère apparaît en 1803 dans le
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Grimod de La Reynière ¢
Né à Paris en 1758, mort un soir de ré- parmi les membres desquels ont trouve
veillon, le 25 décembre 1837, Alexandre Bal- des personnalités comme Cambacéres, le
thazar Laurent Grimod de La Reynière marquis de Cussy et le médecin et gastro-
appartient au monde aristocratique. Tout nome Gastaldy. Ces « jurys » se réunissaient
au long de sa vie, il organisera des dîners dans un restaurant de la rue Montorgueil :
extravagants. Mais c’est avec l’Almanach des le Rocher de Cancale, où fut inventée la sole
gourmands, entrepris sous le Consulat, qu’il normande ; un restaurant bien fréquenté,
acquiert sa réputation, en par la même oc- d’ailleurs, puisqu’il accueillait aussi les chan-
casion invente un nouveau genre, celui de sonniers du Caveau moderne, des écrivains
la critique gastronomique. Dans le même comme Balzac, sans compter le beau monde,
sens, il anticipe les Guides gastronomiques au sortir du théâtre, qui y venait déguster
avec la création de ses « jurys dégustateurs », des huitres.
se trouvera alors avoir résolu le problème que La gastronomie est aussi à ses yeux un
l’intendant d’Harpagon proposait à Maître code de politesse gourmande qui permet
Jacques, et qu’aucun cuisinier, passé, présent de légitimer la nouvelle hiérarchie sociale
et futur n’a jamais voulu comprendre et ne issue de la Révolution française : « D’un
comprendra probablement jamais : celui de côté cette longue interruption de l’exercice
faire bonne chère avec peu d’argent. On voit des fonctions gourmandes, de l’autre cette
que sous ce dernier rapport, notre Almanach révolution opérée dans les fortunes, qui
ne deviendra pas moins utile aux fortunes en les faisant presque toutes changer de
bornées qu’aux maisons opulentes. » mains, avait mis les nouvelles richesses à la
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la phagotechnie, science unique, universelle lui furent servies dans un repas mais dont
dont la racine explique le but suprême : c’est l’étonnement augmenta beaucoup lorsque
l’art de bien manger qui conduit à l’art de bien son hôte lui jura que tout ce qu’on lui avait
vivre, et l’homme qui sait la phagotechnie sait servi n’était que de la chair de porc diver-
tout autant d’histoire, de physique, de philoso- sement préparée ; on rappela le cuisinier
phie, de littérature qu’il lui en faut pour briller de Néron qui avec du cochon seul servait
dans les plus illustres cercles. Une séance suf- des tourterelles, des poulardes, des canards
ira pour vous en convaincre. » » [Cours gas- et même du poisson ; enin on demanda
tronomique ou les Dîners de Manant-Ville.] quelle était la meilleure façon d’accommo-
der le porc frais : on se partagea entre la
Comment être gastronome si on ne purée de lentilles et les choux…
connaît pas les aliments et si l’on ne sait Nous ne faisons point un repas sans nous
pas en parler ? La science ou la connais- livrer à des rélexions édiiantes… » [Ibid.]
sance des aliments est au cœur de la gas-
◗ Brillat-Savarin
tronomie, tout comme les techniques de
préparation et de cuisson : « Vous voyez
que nous agitons souvent ici des questions Après Grimod et Cadet Gassicourt, on
gastronomiques ; c’est un de nos plus doux s’accorde pour voir en Jean Anthelme
amusements. On tua il y a quelques jours Brillat-Savarin, l’auteur de la célèbre Physio-
un porc à la ferme du château et l’on tint logie du goût (1826), l’un des fondateurs de
conseil sur la meilleure manière de le pré- la gastronomie. La gastronomie, cependant,
parer et de le servir sur table. D’abord on n’était pas encore un sujet sérieux si l’on en
it l’éloge de l’animal qui était autrefois croit ce que dit Brillat-Savarin dans ce Dia-
l’emblème de la paix et dont les Romains logue entre l’auteur et son ami : « L’auteur :
avaient sculpté l’image sur leurs enseignes ; Et cependant je ne le ferai pas imprimer -
ensuite on cita Titius Quintius qui étant à L’ami : Et pourquoi ? - L’auteur : Parce que
Chalcis, ville d’Étolie, fut surpris du grand voué par état à des études sérieuses, je ne
nombre et de la variété des viandes qui crains que ceux qui ne connaîtront mon
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Définition de la gastronomie
« La gastronomie est la connaissance raison- ✓ A la cuisine, par l’art d’apprêter les mets et de
née de tout ce qui se rapporte à l’homme en tant les rendre agréables au goût
qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conser- ✓ Au commerce, par la recherche des moyens
vation des hommes au moyen de la meilleure d’acheter au meilleur marché possible ce qu’elle
nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant consomme et de débiter le plus avantageuse-
par des principes certains tous ceux qui recher- ment ce qu’elle présente à vendredi
chent, fournissent en préparant des choses qui ✓ Enin à l’économie politique par les ressources
peuvent se convertir en aliments. Ainsi c’est elle qu’elle présente à l’impôt et par les moyens
qui, à vrai dire, fait mouvoir les cultivateurs, d’échange qu’elle établit entre les nations. »
les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la
nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit Brillat-Savarin, La physiologie du goût.
le titre ou la qualiication sous laquelle ils dégui-
sent leur emploi à la préparation des aliments.
La gastronomie tient :
✓ A l’histoire naturelle, par la classiication
qu’elle fait des substances alimentaires
✓ A la physique, par l’examen de leurs composi-
tions et de leurs qualités
✓ A la chimie, par les diverses analyses et dé-
compositions qu’elle leur fait subir
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pourrait aimer, comme la qualité sociale leur récompense consiste à savoir qu’ils ont
agréable à l’amphitryon, proitable aux reculé les bornes de la science et procuré
convives, utile à la science et on a mis les aux hommes des jouissances nouvelles. »
gourmands à côté de tous les amateurs qui [Ibid., Méditation XXX.]
ont aussi un objet de prédilection. » [Physio- La gastronomie est un culte célébré aussi
logie du goût, Méditation XXVIII.] bien par des prêtres, des savants, des rois que
Mais la gastronomie n’est pas seulement par le peuple car : « il n’est point de véritable
une science de synthèse ou une connais- fête quand le peuple ne jouit pas. Des tables
sance pluridisciplinaire. Elle est un des dont l’œil n’aperçoit pas la in sont dressées
beaux-arts puisque Brillat-Savarin la place dans toutes les rues, sur toutes les places, au
sous la protection d’une muse : Gastéréa, « la devant de tous les palais. On s’assied et on se
dixième Muse » qu’il imagine « sous la igure retrouve ; le hasard rapproche les rangs, les
d’une jeune ille belle comme Vénus. » âges, les quartiers : toutes les mains se rencon-
Cette Muse a son temple et ses autels à trent et se serrent avec cordialité ; on ne voit
Paris qui est aux yeux de Brillat-Savarin la que des visages contents. Quoique la grande
capitale gastronomique : « De tous les lieux ville ne soit alors qu’un immense réfectoire,
où Gastéréa a ses autels, celui qu’elle pré- la générosité des particuliers assure l’abon-
fère est cette ville, reine du monde, qui dance tandis qu’un gouvernement paternel
emprisonne la Seine entre les marbres de veille avec sollicitude pour le maintien de
ses palais. Son temple est bâti sur cette l’ordre et pour que les dernières limites de la
montagne célèbre à laquelle Mars a donné sobriété ne soient pas outrepassées. »
son nom ; il est posé sur un socle immense En invoquant Gastéréa et son culte,
de marbre blanc, sur lequel on monte de Brillat-Savarin inventait ce qu’il appelait une
tous côtés par cent marches. C’est de là que « mythologie gastronomique ». Une mytho-
s’échappent, à des époques déterminées, logie alimentée tout au long du XIXe siècle
des recettes merveilleuses dont les auteurs par la presse, les livres, les revues, les chan-
aiment à rester inconnus, parce que leur sons ainsi que par de nombreuses associa-
bonheur est dans leur conscience et que tions, clubs et sociétés gourmandes.
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pas le blanc et le jaune des œufs ensemble d’Yvetot pour les tourtes et les nougats.
avec la brutalité que les cuisinières mettent Comme il débutait dans le pays il avait
à cette opération. On devait selon lui, faire soigné les choses et il apporta, lui-même
arriver le blanc à l’état de mousse, y intro- au dessert une pièce montée qui it pous-
duire par degrés le jaune et ne pas se servir ser des cris. […] Jusqu’au soir on mangea.
d’une poêle mais d’un cagnard en porce- Quand on était trop fatigué d’être assis, on
laine ou en faïence. Le docteur avait aussi allait se promener dans les cours ou jouer
trouvé le moyen d’empêcher l’âcreté des une partie de bouchons dans la grange puis
roux. » [La Rabouilleuse.] on revenait à table. Quelques uns vers la in
s’y endormirent et ronlèrent. » [Madame
Le repas de noces de Madame Bovary Bovary.].
est un véritable hymne à la table et à la cui- Dans l’Éducation sentimentale Flaubert
sine normande : « C’était sous le hangar de décrit le riche dîner de la maréchale au Café
la charreterie que la table était dressée. Il Anglais composé d’« un simple tournedos,
y avait dessus quatre aloyaux, six fricas- des écrevisses, des truffes, une salade d’ana-
sées de poulets, du veau à la casserole, trois nas, des sorbets à la vanille. »
gigots et, au milieu, un joli cochon de lait,
lanqué de quatre andouilles à l’oseille. Zola nous a donné, lui aussi, à voir les
Aux angles se dressait l’eau de vie dans les mœurs des Français à table. Et, il n’y a pas
carafes. Le cidre doux en bouteilles pous- que Pot-Bouille qui mérite d’être cité. En
sait sa mousse épaisse autour des bouchons, dehors du roman, le terme est employé
et tous les verres d’avance avaient été rem- pour la première fois dans L’Assommoir :
plis de vin jusqu’au bord. De grands plats de Copeaux va manger la pot-bouille chez
crème jaune, qui lottaient d’eux-mêmes au les Lorilleux. Si l’on en croit le Grand
moindre choc de la table, présentaient, des- Dictionnaire universel du XIXe siècle de
sinés sur leur surface unie les chiffres des Pierre Larousse, la pot-bouille est « l’or-
nouveaux époux en arabesques de nonpa- dinaire du ménage, la cuisine de tous les
reille. On avait été chercher un pâtissier jours ». Paul Alexis, ami de Zola, la déinit
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la plus digne des artistes en rafinement est table les sentiments d’indéracinable affec-
assurément la gourmandise. De création pu- tion, ininiment plus indissolubles que les
rement humaine, inconnue aux premiers sentiments qui naissent entre compagnons
vivants, perfectionnée d’âge en âge, gran- de lune de miel. » [Amoureux et primeurs in
dissant avec les civilisations, dédaignée des Le Gaulois, 30 mars 1881.]
barbares et de la plèbe, incomprise des mé-
diocres, méprisée des sots, ce qui est une De son côté Théophile Gautier écrivait :
gloire ; peu appréciée des femmes, ce qui « Je réhabilite la gourmandise et je lui rends
l’idéalise ; variable à l’inini malgré les siècles sa place parmi les vertus reconnaissantes.
et les travaux des grands cuisiniers, la gour- Je prends l’un après l’autre chacun de nos
mandise réside dans l’exquise délicatesse du mets usuels et j’en explique la saveur par-
palais et dans multiple subtilité du goût, que ticulière ; j’en décris l’entrée triomphale
peut seule posséder et comprendre une âme dans le palais, son séjour aux enchante-
de sensuel cent fois rafiné. Les véritables ments prolongés et son règne éphémère ;
gourmands sont rares comme les hommes je pose les règles de ce poème de gueule
de génie. Il n’en existe à Paris qu’une di- qu’on nomme un menu » [Émile Bergerat-
zaine. La gourmandise a sur l’amour mille Théophile Gautier, Entretiens, souvenirs
avantages. Mais le plus important c’est qu’il et correspondance.]
importe d’être deux pour s’abandonner à ce- L’auteur du célèbre Grand Dictionnaire
lui-ci ; tandis qu’on pratique celle-là tout seul de cuisine Alexandre Dumas se vantait, lui,
[…] C’est qu’en effet, pour bien apprécier la de ses talents culinaires : « Je vois avec plai-
saveur des choses il faut dîner avec des com- sir que ma réputation culinaire se répand et
pagnons tranquilles, réléchis, ne parlant promet d’effacer bientôt ma réputation litté-
guère que des plats servis (ce qui centuple la raire […] Je vous annonce donc qu’aussitôt
sensation) et connaisseurs experts, subtils. débarrassé, et ce ne sera pas long, de cer-
Tous les hommes de lettres sont gourmands. tains droits qu’ont encore mes éditeurs sur
La gourmandise a encore l’inestimable avan- mes publications, je mettrai sous vos yeux
tage de développer entre compagnons de un livre de cuisine pratique à l’aide duquel,
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En 1806, le Caveau moderne s’installait parmi lesquelles on ne peut pas ne pas citer
chez Baleine, au restaurant du Rocher de Les Rois de la terre.
Cancale. Son objectif était déini dans l’une Une autre chanson dédiée à Jules Gouffé,
de ses premières chansons : ancien oficier du Jockey Club, auteur du
Buvons disait Anacréon, Livre de cuisine, du Livre des conserves et
Buvons, disait Horace, du Livre de pâtisserie, commençait par la
Les Grecs, les Romains du bon ton strophe :
Les suivaient à la trace À toi, Gouffé, cette chanson
Pour nous réchauffer le cerveau À toi, dont le savoir extrême
Pour bannir l’humeur noire, Élargit encore l’horizon
Invoquons de nouveau Découvert par Carême
Le Caveau Gloire à vous, Carême et Gouffé !
Et les chansons à boire Votre juste prépondérance
Dans tous les pays a greffé
Chacun des quarante membres du Caveau Le renom de la France
était tenu d’acquitter le dîner mensuel par
des chansons qui devenaient la propriété de À côté des chansons, de nombreuses
l’éditeur. publications – revues, journaux – se consa-
L’un des chansonniers les plus connus, crèrent à la gastronomie dès les premières
Desaugiers, interpréta la chanson compo- décennies du XIXe siècle. En 1806 Le Jour-
sée par le comte de Ségur qui donne le ton nal des Gourmands et des Belles ou l’Épicu-
du Caveau moderne : rien français précisait qu’il était : « Rédigé
Rions, chantons, aimons, buvons par quelques littérateurs gourmands, plu-
En quatre points c’est ma morale sieurs convives des Dîners de Vaudeville ou
Docteurs en médecine. »
Desaugiers et d’autres chansonniers Mais il faut citer aussi Le Gastronome,
comme le célèbre Béranger composèrent journal universel du goût rédigé par
pour le Caveau des centaines de chansons une société d’hommes de bouche et
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d’hommes de lettres ; Le Gastronome , Innombrables encore furent les écri-
journal des gens du monde et des prin- vains, journalistes, bourgeois et ren-
cipaux oficiers de bouche de la France tiers qui participèrent alors au culte de
et de l’étranger ; Le Gastronome à Paris ; Gasterea.
Le Gastronome cosmopolite ; Le Gastro- Dans Les Soupeurs de mon temps,
nome français ou l’art de bien vivre par Roger de Beauvoir alias de Bully les décrit
les anciens auteurs du Journal des Gour- en train de fréquenter les restaurants à la
mands. Comme le rappelle Vicaire, « Gri- mode tout comme Eugène Briffault, dans
mod de la Reynière et Cadet Gassicourt son Paris à table, qui ne manque pas de
ont collaboré pour une large part à cet souligner la primauté gastronomique de
ouvrage. Balzac en a rédigé le discours pré- la France et la situation exceptionnelle de
liminaire. » Il faudrait aussi ajouter Gastro- Paris qui concentre toutes les richesses
nomiana : recueil d’anecdotes, rélexions, du pays : « Quand Paris se met à table, la
maximes et folies gourmandes ; Gastro- terre entière s’émeut ; de toutes les parties
nomania de Charles-Yves Cousin d’Aval- de l’univers connu, les choses créées, les
lon ; Le Gastrophile ; La Gastronomie : produits de tous les règnes […] accourent,
rédigé par une Société de gens de lettres se pressent et se hâtent ain d’obtenir la
et de gastronomes formés à l’École de Gri- faveur d’un regard, d’une caresse ou d’un
mod de la Reynière et de Brillat-Savarin ; coup de dents. Pour la France, le dîner
La Revue gastronomique ; Le Gourmet : de Paris est la grande affaire du pays. La
Charles Monselet, célèbre gastronome, fut plaine, la colline, la montagne et la vallée,
le rédacteur en chef du premier numéro et le bois, la forêt, le vignoble et les guérets,
y participa avant de lancer, en 1866, une le potager ou le verger, la terre et l’eau
autre publication : l’Almanach gourmand sont ses tributaires. Tous ne désirent la
qui devait paraître jusqu’en 1870 ; La Salle fécondité et n’enfantent des prodiges que
à manger : fondée par le baron Brisse, gas- pour plaire à cette ville souveraine dont la
tronome célèbre, cette revue n’eut qu’une voracité les réjouit et fait leur opulence et
brève existence… de deux années. leur félicité. »
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Le cochon
Car tout est bon en toi, chair, graisse, muscle, tripe !
On t’aime galantine, on t’adore boudin
Ton pied dont une sainte a consacré le type
Empruntant son arôme au sol périgourdin,
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écrivains et romanciers composaient
des recettes. Ainsi, pour ne prendre que Recette
quelques exemples, Alexandre Dumas père La salade japonaise
nous a laissé sa recettes de Grives à la Polo-
naise (p.45) ; on doit à Alexandre Dumas ils « Vous faites cuire des pommes de
celle de La salade japonaise ; à Jules Claretie terre dans du bouillon, vous les coupez
celle du clafoutis. Edmond Rostand est connu en tranches comme pour une salade or-
pour sa recette des Tartelettes Amandines. dinaire, et, pendant qu’elles sont encore
tièdes, vous les assaisonnez de sel, de
◗ La promotion de la France
poivre, très bonne huile d’olives à goût de
fruit, vinaigre d’Orléans, un demi verre de
Au-delà de la diversité des œuvres et des vin blanc, Château Yquem si c’est possible.
publications, la gastronomie et les gastro- Beaucoup de ines herbes, hachées menu,
nomes ont cherché dès le début du XIXe menu. Faites cuire en même temps, au
siècle à promouvoir et à défendre la cuisine court bouillon, de très grosses moules (un
« française », la cuisine « nationale ». tiers de la quantité des pommes de terre)
avec une branche de céleri, faites les bien
égoutter et ajoutez les aux pommes de
terre déjà assaisonnées. Retournez le tout,
légèrement. Quand la salade est termi-
née, remuée, vous la couvrez de rondelles
de truffes – une vraie calotte de savant,
cuites au vin de Champagne Tout cela
deux heures avant le dîner, pour que cette
salade soit froide quand on la servira ».
Alexandre Dumas ils, Francillon,
acte I, scène II.
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que les nids d’hirondelle étaient des nouilles rendent notre existence plus honorable et
à la purée de lageolets et que la Barbue plus douce. »
était du cabillaud, les Côtelettes d’isard des Carême parlait du « pénible et dificile
côtelettes d’agneau marinées dans du bitter, métier de cuisinier » mais il ajoutait aussitôt
le Coq de bruyère un dindonneau sur lequel
on avait versé un vers d’absinthe. Quant aux
vins, le Château Larose n’était que du Mâcon
additionné de punch Grassot et le Johannis-
berg un Chablis ordinaire dans lequel on
avait versé un peu d’essence de thym !
Le cuisinier, si l’on en croit Antonin
Carême, le plus illustre cuisinier du XIXe
siècle, met son talent au service des gastro-
nomes, c’est-à-dire de ceux qui connaissent
l’art de faire bonne chère. Mais qui sont
ces gastronomes ? Carême mentionne « les
grands médecins », « les grands musiciens »
mais surtout « les hommes de lettres » et
« les poètes », tous ceux qui savent écrire
et parler de la table et de la bonne chère.
Ils connaissent les restaurants et les cuisi-
niers dont ils peuvent d’autant plus faire
ou défaire la réputation que ceux-ci sont
mus dans leur travail par un sens de l’hon-
neur : « Ce point d’honneur vient de la
conviction que nous avons que nos travaux
sont appréciés par d’illustres gastronomes
qui font notre réputation ; or ces succès
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que les gastronomes seuls pouvaient le faire l’on préfère dans chaque pays. En Angleterre,
oublier en en reconnaissant les mérites : le rosbif, le bifteck, le pouding, la venaison,
« Certes un tel intérieur de maison est un le porter, voilà le grand régal qu’offre un lord
bienfait pour un cuisinier jaloux d’acquérir quand il veut traiter à la mode de son pays…
de la réputation et de la mériter sans cesse En Hollande, où le fromage et le bœuf salé pa-
près des nobles et illustres gastronomes raissent sur toutes les tables... En Allemagne,
français et étrangers qui se rendent avec on me força d’y vanter le saourbrandt, le kir-
empressement aux aimables invitations de chwasser, les keneffes. Et les Polonais me ser-
cette maison opulente : et l’honorable suf- virent des merlans cuits dans le curcuma : on
frage de lady Morgan atteste que l’homme me donna, il est vrai, du vin de Hongrie qui
de bouche dévoué à sa profession est tou- me dédommagea. Les seigneurs hongrois sont
jours récompensé de ses soins et fatigues de solides buveurs et j’en ai connu qui se van-
par l’agrandissement de sa renommée. taient de suer du vin quand ils s’enivraient.
Grâce à vous, Madame, la mienne est agran- Mais en Russie, je ne pus jamais m’accoutu-
die notablement par le récit enchanteur que mer au caviar ; je trouvais les Russes moins
vous avez daigné faire du dîner de B., donné délicats que leurs sobres voisins les Turcs qui
le 6 juillet 1829… » [Dédicace à Lady Mor- au riz, au café, au sorbet joignent le pilau et le
gan de l’Art de la cuisine française.] garum, imaginé par les Romains… En Italie,
je me régalai de polenta (faite ici avec de la fa-
◗ La cuisine française
rine de châtaigne) de macaroni, de lazaignes,
de glaces et fromage de Parmésan (sic) ; j’y
L’afirmation de la supériorité de la cui- savourai aussi les raviolis et le sabaione que
sine française suppose la confrontation les gastronomes français auraient dû adopter.
avec les cuisines des autres pays. Mais je traversai l’Espagne où je trouvai la cui-
Ainsi dans Les Dîners de Manant-Ville sine aussi peu avancée que les autres arts. Il
l’un des participants déclarait : faut être Sancho Pança pour trouver bon le
« Je n’ai parcouru que l’Europe ; mais j’ai été pochero ou l’olla podrida et le gland comes-
frappé de l’énorme différence de mets que tible. Ma foi, m’écriais-je à mon retour, il n’est
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l’arrivée triomphale de la cuisine française mérites des « praticiens culinaires », c’est-
Outre- Atlantique : à-dire des cuisiniers qui sauront « venger la
Amérique, salut ! États-Unis, hurrah ! science par des travaux honorables pour la
Votre gloire naissante a des lueurs aimables gastronomie du XIXe siècle. »
Vos ils sont des gourmets, aimant les belles Le cuisinier est à ses yeux autant un gas-
tables, tronome qu’un artiste : « Le cuisinier est
Et leur ier appétit jamais ne faiblira ; gastronome par goût et par état. »
Car vos fourneaux sacrés, aux succulents Après avoir rendu hommage à la « ména-
mystères, gère » qui « par le simple procédé d’avoir
Ont, pour veiller sur eux et marcher au succès, conduit doucement son pot-au-feu a obtenu
Le souverain talent du cuisinier français un bouillon savoureux et nutritif et un
Cet éternel vainqueur des luttes culinaires ! bouilli tendre et de bon goût », Carême
[Poésies gourmandes.] afirme que les cuisiniers sont capables
d’obtenir un bouillon aussi bon que celui
◗ Le pot-au-feu et la cuisine régionale
de la ménagère. S’il est à la fois la base des
sauces de la Haute Cuisine et un aliment
L’identiication du pot-au-feu comme essentiel pour la population, le pot-au-feu
« plat national » est l’autre volet de la déini- est un plat national pour ne pas dire le plat
tion de la cuisine « française » au XIXe siècle. national puisqu’il est consommé aussi bien
Dans son maître ouvrage L’Art de la cui- par les riches que par les pauvres, par les
sine française au dix neuvième siècle élites que par le peuple.
Antonin Carême consacre plusieurs lignes
au pot-au-feu « nourriture principale de la Plusieurs décennies plus tard, le pot-au-
classe laborieuse de la nation » qui mérite, feu était encore présenté comme un plat
comme tel, les soins du cuisinier. Tout emblématique de la cuisine française.
en afirmant qu’il est au service des gas- En 1883 Philéas Gilbert contestant la
tronomes, il n’admet pas leurs critiques, qualiication de national donné par l’un
dénonce leur ignorance et chante les des collaborateurs de L’Art Culinaire,
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De fait la question de déinition et de la on y mange admirablement et selon moi,
promotion de la cuisine française n’a cessé mieux qu’à Paris. Les légumes surtout y sont
de se poser de manière lancinante aussi divinement apprêtés. À Londres j’ai appris
bien aux cuisiniers qu’aux gastronomes. que l’on cultive 22 espèces de pommes de
La cuisine française est-ce la « Grande cui- terre ; à Lyon j’ai vu 22 manières différentes
sine » ? La « cuisine bourgeoise » ou la « cui- de les apprêter et douze au moins de ces der-
sine de province » ? nières sont inconnues à Paris. » [Mémoires
La Grande cuisine est la cuisine des d’un touriste.]
grands restaurants parisiens ; elle est un Balzac ne dit pas autre chose : « On ne
« art » et une « science » célébrés par tous. dîne pas aussi luxueusement en province
C’est « la gastronomie ». La cuisine bour- qu’à Paris mais on y dîne mieux ; les plats
geoise, appelée aussi cuisine de ménage, est y sont médités, étudiés. Au fond des pro-
une cuisine de femme, une pratique quoti- vinces, il existe des Carêmes en jupons,
dienne et ne jouit pas du même prestige que génies ignorés qui savent rendre un simple
la cuisine parisienne. plat de haricots digne du hochement de tête
Jugée plus « naturelle », la « cuisine de pro- par lequel Rossini accueille une chose par-
vince » n’est pas la cuisine paysanne mais faitement réussie. » [La Rabouilleuse.]
celle des villes de province. Les avis et les
jugements qu’elle suscite n’échappent pas Pour déinir la cuisine « française » les gas-
à l’ambiguïté. D’une part les auteurs jugent tronomes ont tout à la fois exalté et dépassé
« les plats en usage à la campagne » comme la richesse de ses traditions, sa diversité
des mets de qualité inférieure par rapport sociale et régionale.
aux chefs-d’œuvre de la cuisine parisienne. En présentant ainsi l’ouvrage intitulé
Mais les mêmes n’hésitent pas à louer la cui- Cuisine française, l’Académie des Gastro-
sine simple, fraîche et bonne qu’on déguste nomes et l’Académie culinaire insistent
dans les provinces. sur la synthèse qu’elle représente : « Nous
Ainsi Stendhal afirme : « Je ne connais avons cherché à mettre à l’honneur à la fois
qu’une chose que l’on fasse très bien à Lyon, la haute cuisine et la cuisine de tous les
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jours en présentant, sous une forme que des châtaignes et des oranges, du seigle
nous croyons pratique, la recette des plats et des citrons ; qui élève des bestiaux,
retenus, de manière que la ménagère, la ménage son gibier, broie son froment,
mère de famille attentive à la santé des siens cultive une foule de légumes, même ceux
puisse l’appliquer aisément. » de faible ou de mauvais rapport ; invente
Et de son côté Georges Duhamel chante des fromages, distille des eaux de vie, dis-
la diversité tout en la niant : « La cuisine tingue les champignons, récolte du miel,
française est ce qu’on dit qu’elle est, parce pêche des poissons, fabrique du sucre,
que la France est un heureux pays qui pré- honore les œufs, ne méprise rien de ce
pare en même temps l’huile d’olive et le qui se mange, même pas les grenouilles,
beurre in, le vin et la bière, qui récolte même pas les truffes. »
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signaler quatre grandes théories : les inan-
ciers, les médecins, les gens de lettres et les Chanson
dévots. » [Physiologie du goût.] Mes derniers amours
Le Code Culinaire ajoutait à cette liste
les gens d’Église, les magistrats et la classe Las de courir de belle en belle
politique ! On me verra sur mes vieux jours
Fidèle
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de terre et quel prix la paierait-on s’il était honneurs de la séance et des plaisirs qui y
aussi rare que la truffe. Et les œufs, suscep- sont attachés. »
tibles de tant de variété dans leur prépara- Différentes selon les revenus des gastro-
tion ! Les mets délicats ne sont dits délicats nomes, ces éprouvettes donnent une liste
qu’en raison de leur rareté ; les mets dits des recettes et plats censés représenter la
vulgaires ne le sont que parce qu’ils sont gastronomie du début du XIXe siècle.
abondants. En général je me fais fort de
prouver au fourneau que ces derniers Chez ceux que Brillat-Savarin classait
bien préparés sont non seulement les plus parmi les riches, et qui dépensaient sans
sains, les plus nourrissants mais encore les compter pour la table, la passion de la bonne
plus succulents. Tout est dans la prépara- chère pouvait conduire au délire et à la mort.
tion. » [Ibid.] Tel fut le destin d’un riche Anglais venu
dîner au Rocher de Cancale et que nous a
Célébré par toute la bourgeoisie, le culte rapporté Jacques Arago dans Comment on
de la bonne chère prenait donc nécessaire- dîne à Paris. Après avoir commandé, sous
ment des formes différentes. le regard moqueur des serveurs, du pain
Dans la Physiologie du goût Brillat-Sava- rassis et une carpe frite qu’il ne put obtenir
rin se vantait d’avoir découvert ce qu’il parce qu’elle était rayée, c’est-à-dire rayée
appelle des éprouvettes gastronomiques de la carte, notre dîneur solitaire, installé
qu’il déinissait ainsi : « Des mets d’une dans un cabinet, commanda trois lacons
saveur reconnue et d’une excellence tel- de champagne et trois douzaines d’huîtres.
lement indisputable que leur apparition Ce milord engloutit ses huîtres et en com-
doit émouvoir, chez un homme bien orga- manda à nouveau deux douzaines et encore
nisé, toutes les puissances dégustatrices « douze douzaines. »
de sorte que tous ceux chez lesquels, « On les servit et, lorsqu’il n’en restait plus
en pareil cas, on n’aperçoit ni l’éclair du que les écailles, milord en demanda douze
désir, ni la radiance de l’extase, peuvent autres douzaines en disant au garçon :
justement être notés comme indignes des - Laissez-moi maintenant méditer à mon aise
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sur le petit menu de mon dîner. Le garçon par quelques verres de Vermouth et de vin
disparut ; une heure, deux heures se pas- d’absinthe puis de Madère ; on mangeait
sent sans que l’Anglais appelle. Mais feignant jusqu’à minuit : Un potage Crécy, turbot aux
d’avoir entendu sonner, le patron inquiet câpres, ilet de bœuf, gigot braisé, poulardes
entre…. L’Anglais était mort. On descendit en caisse, langue de veau au jus, sorbets au
à grand’ peine le cadavre bondé dans la voi- marasquin, poulets rôtis, crèmes, tourtes et
ture ; son piqueur le voyant arriver dit avec pâtisserie. Chacun buvait six bouteilles de
sang froid : vin de Bourgogne. À minuit après quelques
- Voilà la troisième fois que milord se donne le tasses de thé, on servait un potage à la tor-
plaisir de mourir d’une indigestion. tue, un kary indien de six poulets, saumon
- Il ne mourra pas une quatrième fois, répon- aux ciboules, côtelettes de chevreuil au
dit le maître de maison avec tristesse. piment, ilets de sole au coulis de truffes,
Milord en effet fut enterré le lendemain au ci- artichauts au poivre de Java, sorbets au
metière du Père Lachaise. Ses amis facétieux rhum, gélinottes d’Écosse au whisky, pud-
vont déposer tous les ans auprès des restes ding au rhum, pâtisserie au rhum très épi-
du défunt une énorme quantité de cloyères cée. On mangeait ainsi jusqu’à six heures du
d’huîtres. Ce tombeau est à vingt-cinq pas matin. Après il n’y avait plus qu’une soupe
de celui d’Héloïse et d’Abélard. On lit sur un à l’oignon très poivrée suivie de pâtisseries
marbre noir : Ci gît Peeser, mort pour la troi- non sucrées. Quatre bouteilles de cham-
sième fois dans un duel avec les huîtres du pagne avant le café et l’eau de vie !
Rocher de Cancale. »
◗ Manières de table
Autre exemple de délire sous le Second
Empire, si l’on en croit Alfred Delvau dans Une chose est sûre : quel que soit le
ses Plaisirs de Paris : le Club des Grands niveau social, et même lorsque les prin-
Estomacs, dont les membres passaient dix- cipes d’économie sont pris en compte, la
huit heures à table, de six heures du soir cuisine bourgeoise respectait les règles et
jusqu’au lendemain midi. On commençait les normes édictées par les gastronomes.
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Ainsi l’auteur de La nouvelle cuisinière qui lui est nécessaire de savoir, même dans
bourgeoise, ouvrage paru en 1819, prend les occasions où il s’agira de se signaler par
soin de mettre en exergue la devise sui- un repas aussi délicat que bien servi. »
vante : « Faire avec peu d’argent une excel- Le bourgeois qui n’a qu’une cuisinière à
lente chère / C’est l’utile secret de notre son service assurait le service à table :
cuisinière. » « Le maître de la maison, placé au centre de
Et de préciser : « Avec notre livre, une la table, debout quand la réunion est nom-
cuisinière de bourgeois apprendra tout ce breuse et assis quand le nombre des convives
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est borné, doit distribuer les potages ou les même au besoin servir quelques entremets.
soupes dans des assiettes creuses placées en Le café se prend ordinairement à table mais
pile auprès de lui, commençant par son voi- si c’est au salon qu’il doit se prendre, c’est
sin de droite, ensuite à gauche, ainsi jusqu’à le maître de maison qui donne le signal aux
la in. Son attention doit se porter continuel- convives pour y passer ; c’est lui, ou toute
lement et sans affectation sur chaque convive autre personne qu’il aura désignée qui doit
auquel il s’empresse d’offrir quelque mets remplir les tasses de café et les verres de
aussitôt qu’il le voit en inaction et son assiette liqueur, en laissant néanmoins à chacun de
dégarnie. Il serait inconvenant que le convive la société le soin de servir de ces derniers à
fût obligé de demander qu’on lui servit un volonté. »
mets quelconque ; il faut qu’il soit prévenu
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la bourgeoise ; l’Omelette à la bourgeoise ;
la Compote de pommes à la bourgeoise, etc. Recette
Carré de veau à la bourgeoise
Au tournant du XXe siècle, chez les parti-
culiers comme dans les restaurants, même Parez un carré de veau, et piquez le i-
bon marché ; le menu classique comportait let avec des lardons de lard assaisonnés
plusieurs plats et plusieurs vins. Les plats d’un bon goût et de ines herbes ; mettez
mijotés avaient la cote, tout comme le rôti le dans une braisière avec une carotte
et les sauces « à la main » des cordons bleus et un oignon en tranches et un bouquet
et des grands chefs de cuisine de l’époque garni ; mouillez-le avec une cuiller à pot de
tels que : Urbain Dubois, Philéas Gilbert, consommé, couvrez-le de bardes de lard
Auguste Escofier, Édouard Nignon, Prosper et faites le cuire pendant deux heures et
Salles, Prosper Montagné. demie ; vous le changerez de braisière et
Un menu de réception autour de 1900 vous passez son fond par-dessus, lequel
comprenait à midi et en saison des huîtres vous faites réduire à courte sauce, ain
plates de Marennes, de Cancale, d’Ostende, que le carré de veau glace d’une belle cou-
voire de Belon, du caviar, des œufs sous leur ; vous le servez sur de la chicorée ou de
toutes les formes. Le soir : deux potages ; l’oseille ou avec ce que vous jugez à propos.
un clair comme le consommé Rachel, le
potage tortue clair, le potage oxtail, et un
lié (bisque d’écrevisses, velouté à la Reine,
crème de cresson) ; une entrée de poisson,
par exemple Barbue à la Dugleré, saumon
sauce verte ou sauce Impériale ; une entrée
de boucherie, par exemple des bouchées à
la Monglas ou des ris de veau à la Villeroy ;
un rôti comme le ilet de bœuf à la Talley-
rand ou la selle de chevreuil au Porto ; des
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Soutenir la cuisine française
◗ Les écoles
Qu’elle ait été ou non l’affaire et la pro- cuisiniers issus pour la plupart du milieu
priété des gastronomes, comme l’afirmait rural ne savaient ni lire ni écrire.
Curnonsky, la gastronomie a été aussi apprise Les choses changèrent à la in du XIXe
et transmise tout au long du XIXe siècle. Et siècle du fait de l’institution de l’enseigne-
l’enseignement de la cuisine a contribué à la ment primaire, laïque, obligatoire et gratuit.
diffusion du mythe gastronomique Les futurs cuisiniers devaient désormais
Si, dès le début du siècle, plusieurs cui- fréquenter l’école jusqu’à l’âge de treize ou
siniers célèbres se sont considérés comme quatorze ans et obtenir le certiicat d’études
des gastronomes ou des artistes culinaires, primaires.
il leur a fallu se battre pour faire reconnaître Comment enseigner la cuisine et surtout
leur art. la Haute cuisine ? Comment faire connaître
Quel meilleur moyen que l’éducation et la et reconnaître la cuisine comme un art ?
formation professionnelle pour y parvenir ? Une des premières initiatives est due à
Or jusqu’au milieu du XIXe siècle, et même l’auteur du premier dictionnaire du genre,
jusqu’en 1870, il n’était pas question d’ensei- le Dictionnaire Universel de Cuisine et
gnement ou d’école de cuisine. Cuisiniers et d’Hygiène Alimentaire, Joseph Favre. Né en
surtout cuisinières apprenaient leur métier Suisse en 1849, il fut à l’origine du premier
sur le tard et la cuisine se transmettait orale- journal culinaire rédigé par un cuisinier :
ment, à cette époque, de mère à ille. La Science culinaire qui parut pendant
La formation était empirique. Sans même sept ans à partir de 1877, et il créa en 1879
parler des livres de Carême inaccessibles l’Union universelle pour le progrès de l’art
à la plupart des cuisiniers, les livres de culinaire de laquelle devait naître, le 26 mai
cuisine étaient fort rares et, de plus, les 1883, l’Académie de cuisine.
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Les buts tels qu’ils sont déinis dans les derniers à chercher à faire connaître et à
statuts étaient de : « donner le plus grand diffuser la cuisine bourgeoise dans la popu-
essor possible au développement de l’art lation, quitte à en simpliier les formules.
culinaire, par l’étude de toutes les sciences Ouvrons La Nouvelle Cuisine bourgeoise
qui se rattachent à l’alimentation ; de faire d’Urbain Dubois :
de cet art une science basée sur les proprié- « J’ai tenu à éviter cet écueil de produire des
tés analeptiques que réclame, d’après les recettes qui ne pourraient être pratiquées ni
individus, la répartition de la nutrition. En par les ménagères ni par les cuisinières. J’ai
un mot d’établir la cuisine hygiénique dans préféré les donner simples, mais d’une rigou-
l’intérêt de la santé publique. » reuse précision et bien détaillée, ain que les
Tel était aussi le but de la Société des cui- personnes qui les consulteront puissent non
siniers français en créant L’Art culinaire en seulement les bien comprendre mais encore
1883 : « Par son organe L’Art culinaire, la les exécuter sans de grands efforts, ou tout au
Société des cuisiniers français s’efforce de moins les faire exécuter sous leur direction.
répandre, avec le concours de tous, le goût L’ambition d’une bonne ménagère doit viser à
et la science des choses de la cuisine. » ce résultat méritoire de faire bien avec peu ;
Mais, le projet de création d’une école pro- le but est certainement dificile à atteindre ;
fessionnelle déjà formulé en 1878 par Tho- mais elle pourra cependant y parvenir si elle
mas Génin n’aboutit qu’en 1891, et l’École ne dédaigne pas de s’initier aux pratiques
professionnelle de cuisine et des sciences que j’enseigne, si elle sait s’attacher à cette
alimentaires n’eut qu’une brève existence méthode de procéder qui est la base même
puisque, ouverte en mars 1891, elle fermait de toute économie, consistant à ne rien lais-
ses portes quinze mois plus tard. ser perdre de ce qui peut être utilisé ; si en-
in elle ne veut pas oublier qu’en cuisine les
Les cuisiniers entendaient se réserver la aliments les plus coûteux sont toujours ceux
Haute cuisine. Ils ne voulaient pas d’une qui, préparés sans mesure ou en l’absence de
école professionnelle ouverte aux femmes. connaissances nécessaires ne donnent ni sa-
Mais ils ne furent pas, néanmoins, les tisfaction ni proit. »
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D’autres grands chefs de maison bour- une publication en espagnol. On peut alors
geoise comme Auguste Colombié ou lire dans l’éditorial du 1er janvier 1934 : « Le
Robert Poulain apportèrent leur concours. Cordon bleu peut donc hautement procla-
Marthe Distel a l’idée de publier, dans mer qu’il fut le premier à prévoir la néces-
une revue qu’elle intitule : La Cuisinière sité de la vulgarisation des connaissances
Cordon bleu, les recettes de plat exécutés culinaires puisque le rôle de la Femme
dans les cours et qui sont classés en Haute est de garder le foyer et non de s’ériger en
Cuisine, Cuisine bourgeoise, Cuisine bour- compétitrice de l’Homme. Le Cordon bleu
geoise et ménagère. L’École reprend ces fut aussi le premier à croire à l’application
distinctions. Tout en organisant, dès le du gaz à la Cuisine, le premier à la vulgari-
départ, des cours de cuisine élémentaire, ser par des cours quotidiens de cuisine et
elle ouvre en 1902 un cours spécial de cui- de pâtisserie au gaz, cours auxquels l’élite
sine pour les dames et les jeunes illes de de la société parisienne n’a jamais cessé de
la bourgeoisie conié au Chef Paul Henri venir s’y instruire car, à quelque rang qu’ap-
Pellaprat (1869-1949). Ce chef, auteur de partienne la femme, elle doit aujourd’hui
nombreux livres de recettes dont certains, plus que jamais être initiée aux secrets
comme La Cuisine familiale et pratique, de l’Art culinaire. Pour être bien servie,
furent des best sellers, exercera pendant il faut savoir commander ; pour se servir
trente-deux ans un long magistère au sein soi-même, il faut savoir parer son foyer du
de l’École, en enseignant aussi bien les charme familial, ordonnancer sa table avec
recettes de la cuisine « pratique », « fami- goût, tout en équilibrant son budget. La
liale », « ménagère » que les recettes de Cuisine ? Nul n’ose plus sourire aujourd’hui
Haute Gastronomie. à l’évocation de cet Art et de cette Science
Parisienne au départ l’école s’ouvre rapi- auxquels préside dans le monde, avec son
dement aux étudiants étrangers avant d’es- lumineux génie, notre douce France. »
saimer en Angleterre et aux États-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale
Dans les années trente la revue est diffu- l’École poursuit son développement. Habi-
sée à plus de 25000 abonnés et il y a déjà litée par le Département de la Défense des
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Œuvre de l’afichiste
Sem, ce menu rappelle
que les femmes étaient
admises au banquet
annuel d’assemblée
générale dans un
restaurant célèbre.
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bouillabaisse au Levant, cassoulet au Ponant de leur moyen d’action fut la création de
et les croustades, le conit d’oie en Bigorre clubs et d’associations : « C’est ain d’arrê-
et le clafoutis en Limousin. Mais la contre- ter l’afligeante décadence de notre art culi-
façon de Paris, l’abominable instar ont tout naire, de le protéger, de le défendre non
dévoré ; les « chefs » imbéciles ont abâtardi point par de vains discours mais par des
la saine et pure tradition, noyé dans leur in- actes que s’est fondé le nouveau club (le
fâme « espagnole » ce qui faisait l’orgueil des Club des Cent). »
sauces d’autrefois. Paris, seul, est coupable Le premier, le Club des Cent, fondé en
de cette déchéance. » [Petit Bréviaire de la 1912 existe toujours.
Gourmandise.] Comme l’a montré Julia Csergo (« Du
discours gastronomique comme « pro-
Curnonsky, de son côté, reprenait à peu pagande nationale » : le Club des Cent
près la même antienne de « la décadence » 1912-1930 », in Gastronomie et identité
et de la menace extérieure pour expliquer culturelle française), le Club des Cent
l’intervention salutaire des gastronomes : est une association loi de 1901 créée le
« Vers le début du siècle, l’éminente et mil- 4 février 1912 par « quelques camarades
lénaire supériorité de la cuisine française gourmets émérites et touristes convain-
fut menacée par deux léaux : le snobisme cus » dont les plus importants sont : Louis
de la cuisine anonyme et cosmopolite qui Forest, homme de lettres, Dominique
sévit dans tous les Palaces et les caravansé- Lamberjack, vendeur d’automobiles, et
rails de l’Univers et le goût suranné de cette Édouard Caspari, industriel.
cuisine compliquée et tarabiscotée qui tend Le nombre des membres titulaires est ixé
à dissimuler les saveurs et les arômes et à à cent auxquels seront adjoints, en 1913,
présenter sous des noms bizarres et pré- des stagiaires parrainés par deux membres.
tentieux des plats où la chimie se mêle à la Titulaires ou stagiaires doivent être élus à
prestidigitation. » l’unanimité. Tous doivent une cotisation
Dès lors les gastronomes se mobilisèrent dont le retard de paiement entraîne la
pour la défense de la cuisine française. Un radiation.
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La grande affaire du Club est la défense nissaient à des tables princières (qui n’étaient
de la cuisine française et la promotion du pas celles des palaces) pour goûter les chefs
tourisme. d’œuvre d’un Carême. »
Comme le dit Louis Forest son fondateur :
« Notre société n’est pas ce qu’un vain peuple Le programme du Club exalte, avec des
pense : une association de gourmets ou de accents nationalistes, « la cuisine locale »,
sybarites ambulants qui n’ont d’autre souci la cuisine régionale, les traditions gastrono-
que de déguster des vins délicats ou des miques de la France.
mets savamment préparés. Non notre but est
plus élevé ! Nous avons voulu avant la guerre Le Club ne veut pas seulement perpétuer
contribuer au développement des richesses des traditions ; il veut mettre la bonne la
nationales ; nous voulons depuis la grande vraie cuisine française au service du tou-
épreuve aider dans la mesure de nos moyens risme et de l’hôtellerie.
au relèvement économique de notre pays. Il se préoccupe aussi de la qualité de
Faire connaître les beautés et les curiosités l’alimentation des Français et préconise un
naturelles et artistiques, les sites pittoresques régime alimentaire à base de produits frais,
de nos contrées ; développer l’industrie hôte- donc sans conserves ni produits indus-
lière sans laquelle il n’y a pas de tourisme pos- triels ou chimiques, où le poisson occupe
sible ; répandre partout les produits de notre une place importante. Lors de la Semaine
sol ; relever les spécialités locales ; soutenir du poisson de Boulogne sur Mer en 1923 à
les vieilles traditions de la cuisine française : laquelle il apporta son concours, un de ses
voilà le programme que nous nous effor- membres, Duplan, traça un portrait du Club
çons de remplir. La cuisine française ! Quel des Cent qui fut fort goûté : « En cuisine
art incomparable auquel la science (surtout nous sommes des radicaux. Nous n’admet-
la chimie) ne peut apporter de progrès ! Il a tons pas qu’on falsiie les produits. On fait la
un renom mondial. Nous voulons lui rendre cuisine avec du beurre, avec de l’huile avec
l’inluence qu’il avait au temps où les diplo- de la graisse, on ne la fait pas avec des pro-
mates des conférences européennes se réu- duits douteux. Chez nous ne se rencontre
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pas un seul type qui prétende remplacer le cordons bleus. La cuisine simple est la seule
beurre. Nous sommes aussi des royalistes, dont on ne fatigue pas. »
dans le genre de Henri IV : nous voulons On croit entendre comme un écho des
que non seulement le paysan mais l’ouvrier aphorismes célèbres de Curnonsky, dont le
français puisse avoir sa part de toutes les premier était à la limite de la tautologie : la
bonnes choses qu’on tire de la terre et de cuisine : « C’est quand les choses ont le goût
la mer. Enin nous sommes plus catholiques de ce qu’elles sont » et : « En cuisine la sim-
que le pape car, pour ce qui concerne le plicité est le signe de la perfection. »
poisson, nous enseignons qu’on devrait en
◗ L’Académie des gastronomes
manger au moins trois fois par semaine,
une fois pour l’Église et deux fois pour la
République. » Bien d’autres académies et clubs gastrono-
Onze ans après en 1923 fut fondé par miques sont nés à cette époque : en 1910 les
scission du Club des Cent, le Club des Purs Gais Gentilshommes Gastronomes, dans le
Cent, qui se donna toutefois les mêmes buts but de « pratiquer la gastronomie dans l’ami-
et adopta la même démarche : tié », en 1942, l’Académie Granet, « ain de sau-
vegarder les traditions régionales et de faire
Président du Club dans les années trente, connaître les richesses artistiques, littéraires
le docteur Robine partageait les idées et gastronomiques des pays de l’Ain. », en
d’un autre membre célèbre, Curnonsky, 1922 l’Académie des psychologues du goût.
puisqu’on lui doit ces préceptes : « La gas- Issue des Dîners Curnonsky, dont le pre-
tronomie ne dépend pas de la mode mais de mier se tint le 9 décembre 1922, l’Acadé-
la race et de la tradition. En cuisine, comme mie réunissait des gastronomes désireux
dans tous les arts, la simplicité est le signe de mieux cerner, dans le prolongement
de la perfection. Il n’y a pas de modernisme de Brillat-Savarin, la psychologie du goût.
culinaire : un bon plat est le résultat de plu- À l’instar de l’Académie française, l’Acadé-
sieurs siècles d’expérience et l’œuvre de mie comptait quarante membres issus du
plusieurs générations de cuisiniers et de monde des lettres, du droit ou de la classe
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politique, qui se réunissaient tous les mois Le Prince et ses amis – le baron d’Aiguy,
sous la houlette de leur Secrétaire perpé- André Robine et Marcel Rouff – décidèrent
tuel, Curnonsky, dans un restaurant dif- le mois suivant, le 22 juin 1927, de réaliser
férent pour célébrer la cuisine régionale. le souhait de Brillat-Savarin : « Et quand
Chaque nouveau membre devait organiser l’Académie promise par les oracles s’établira
le dîner suivant et prononcer un discours sur les bases immuables du plaisir et de la
auquel un ancien répondait. Autant d’occa- nécessité, gourmands éclairés, convives
sions de célébrer l’alliance des plaisirs de la aimables, vous en serez les membres ou les
table et ceux de l’esprit comme le prouvent correspondants. »
ces quelques lignes : « Prince, Excellences, Avec l’élection de son quarantième
Messieurs…. Enin une Académie où l’on membre, le 8 mai 1930, l’Académie était
peut commencer son discours en célébrant au complet et pouvait se consacrer à sa
le Cardinal, non parce qu’il a été notre fon- tâche : la défense et l’illustration de la table
dateur, mais parce qu’il a prêté son titre à française.
une recette de homard… », et le même ora- L’article 16 des statuts précise qu’elle se
teur faisait remarquer que les mêmes mots doit de « travailler avec tout le soin et la
appartiennent à la critique littéraire et à diligence possibles à encourager l’art de la
la critique gastronomique : « savoureux », table et à maintenir, en même temps que les
« délicat », « délectable », « succulent », règles du bien manger et du bien boire, les
« piquant », « truffé » caractérisent aussi bien traditions de la cuisine française. »
des plats que des œuvres. Curnonsky avait cru bon d’ajouter : « En
Toutefois la création la plus importante fondant l’Académie des Gastronomes, j’ai
de l’entre-deux-guerres fut sans conteste voulu réunir une élite de gourmets formée
celle de l’Académie des gastronomes. par des hommes de lettres qui ont le mieux
En mai 1927, Curnonsky avait été élu écrit des choses de la table, les grands spé-
Prince des gastronomes à la suite d’un réfé- cialistes qui connaissent le mieux les mer-
rendum auquel avaient participé plus de veilles culinaires et les bons vins de France,
3 000 toques blanches. les amphitryons qui tiennent à l’honneur de
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Quelle cuisine défendre ?
◗ Les culinographes
Pendant que se multipliaient clubs, asso- entre autres connu pour Le nouveau savoir
ciations et confréries gastronomiques, les manger et Plats nouveaux 300 recettes
cuisiniers jouaient leur rôle d’acteurs de inédites et singulières (Essai de gastrono-
la gastronomie en prenant, eux aussi, la mie moderne).
défense de la cuisine « française » menacée Au-delà de la reprise des vieilles polé-
et attaquée. miques une question lancinante resurgis-
Les cuisiniers n’admettaient pas que sait : qui a le droit de parler de la cuisine
l’on pût parler de « décadence de la cui- française ? Deux cuisiniers célèbres, Auguste
sine française », surtout lorsque ces propos Escofier et Prosper Montagné, conduisi-
émanaient de certains critiques gastrono- rent une enquête sur « Les Nouveaux Pères
miques, que Prosper Montagné appelait de la table » dont la conclusion fut que les
des « culinographes ». À ses yeux les culino- « culinographes » n’ont pas « la compétence
graphes, « guêpes et frelons des cuisiniers », voulue pour parler de la cuisine dans les
jouaient les censeurs mais n’avaient pas de journaux et les revue ».
qualiication pour écrire sur la cuisine.
En fait, le mot it sa première apparition Toutefois le rôle des gastronomes n’était
dans l’éditorial intitulé « Le pavé d’ours », pas nié et le Dr Alfred Gottschalk écrivait :
paru dans l’édition de février 1921 de La « J’estime que les “culinographes” n’ont pas
Revue culinaire. Aucun nom n’est cité mais été inutiles à la cause de la cuisine française
les initiales P.R. identiient Paul Reboux en créant un mouvement “culinophile”,
comme l’un des « culinographes » visé par en remettant en honneur la gourmandise,
la revue. Écrivain prolixe et critique gas- en intéressant les lecteurs, les directeurs
tronomique, Paul Reboux (1877-1963) est de journaux, aux choses de la cuisine,
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reléguées autrefois dans les plus modestes et se bornant à traduire spirituellement
journaux de modes. Évidemment il y en a leurs impressions de table. » Ils « ne s’impro-
parmi eux qui sont loin d’avoir la compé- visent pas plus cuisiniers qu’architectes ».
tence la plus élémentaire ; la mode qu’ils Leurs remarques et conseils sont « toujours
ont mise en honneur est plutôt un snobisme les bienvenus » mais à condition qu’ils ne
mais qu’importe, l’impulsion est donnée, le cherchent point à empiéter sur le terrain
mouvement est en marche, c’est aux cui- des cuisiniers. [« À chacun son métier », La
siniers français de le diriger et de le main- Revue culinaire, n° 35, août 1923.]
tenir dans le bon chemin ; je les connais Les cuisiniers dénonçaient l’ignorance
assez pour être sûr qu’ils ne failliront pas aussi bien présente que passée des cri-
à ce devoir. » [« Notre enquête : quelques tiques et des journalistes gastronomiques.
réponses », La Revue culinaire, n° 54, Ainsi l’article consacré au baron Brisse,
février 1925.] célèbre gastronome du XIXe siècle, était
Philéas Gilbert allait plus loin dans la un portrait à charge. On y apprenait que
reconnaissance : « Une division entre (les le baron Brisse s’amusait « à compliquer
cuisiniers et les gastronomes) serait incon- toutes les recettes qu’il publiait, celles qui
cevable […] le retour au néant culinaire. lui étaient communiquées ou celles imagi-
Sans les gastronomes, le rôle du cuisinier nées par lui, et à les fausser en leur prin-
tomberait à celui de fabricant de nourriture cipe. » Comment ne pas être troublé de voir
[…] Ses œuvres resteraient sans jugement, que des « ignorants écrivains culinaires
et il ne peut être son propre juge, car il se tiennent les rubriques gastronomiques
tromperait sûrement. » [« Cuisiniers et gas- dans les plus importants quotidiens pari-
tronomes français en 1928 », La Revue culi- siens ? » [Mont Bry, « Les culinographes :
naire, n° 99, décembre 1928.] le baron Brisse », La Revue culinaire, n°
Mais il avait précisé, auparavant, que les 18, mars 1922.]
bons gastronomes : « se contentent d’être de En parlant de décadence de la cuisine,
simples conseillers, des convives aimables et des « culinographes » portaient atteinte non
souriant, maniant dextrement la fourchette seulement au prestige de la corporation
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Y a-t-il des recettes déinitives de plats
régionaux ? La Bouillabaisse
Les cuisiniers s’affrontèrent sur cette
« Moi je dis que le cuisinier
grave question et en particulier à propos
Qui sut mélanger le premier
de la bouillabaisse qui allait devenir le plat
Avec mesure, avec sagesse
emblématique de la cuisine provençale. Tel, Ces poissons et ces condiments
qui afirmait que « la vraie recette pratiquée Enin… les divers éléments
est celle donnée par Caillat dans sa chro- Qui constituent la bouillabaisse
nique et par Foucou dans sa plaquette » [M. Mérite une statue en or
Auternaud, « Autour de la bouillabaisse », La Car il établit un record
Revue culinaire, n° 105, juin 1929.], inissait C’était un homme de génie
par reconnaître que Montagné avait raison Et j’estime, qu’à tout jamais
quand il disait qu’il n’y avait pas de recette Par les véritables gourmets
unique et déinitive de la bouillabaisse Sa mémoire sera bénie
mais de nombreuses variations. D’ailleurs, Oui, Debusschère que voilà,
La bouillabaisse et un peu là
comme le disait à la même époque le poète
C’est une des moins contestées
Raoul Ponchon, cette recette appartenait
Culinaires combinaisons,
aussi bien aux Provençaux qu’à tous les Que l’homme ait jamais inventées
Français Esculente en toutes saisons
Auguste Escofier prend des accents Et les Provençaux n’ont pas tort
lyriques pour chanter la cuisine régionale S’ils en hâblent, coquin de sort !
« trésor plus ou moins varié de vieilles Sache bien, que moi qui te parle
recettes » et pour exalter : « le plat tradi- Je la prise le même prix
tionnel, un mets succulent qui se prépare Et je le dis sans parti pris ;
depuis des siècles dans les meilleures N’étant de Marseille ni d’A rles »
familles et que l’on cherchait vainement
partout ailleurs. » [« Cuisine régionale », [Raoul Ponchon, La muse au cabaret.]
La Revue culinaire, n° 67, avril 1926.] Il
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des mères et des grands-mères. En effet la elle le prouve avec le livre qu’elle vient de
cuisine régionale est alors souvent représen- publier … Elle ne se pose pas en professeur,
tée comme une cuisine de femmes. Dans un elle dit bonnement ce qu’elle sait, ce qu’elle
article sur « L’alose à l’oseille », un cuisinier a appris dans le commerce des vieilles cui-
raconte la façon dont il a obtenu la recette sinières périgourdines… Voilà le bon, le
de « L’alose à l’Avignonnaise » : vrai, le livre type de la cuisine régionale à
« Une bonne grand’mère, toute mignonne son état originel et naturel et d’accord avec
et menue, sous sa coiffe blanche m’avait dit : notre rédacteur en chef, M. Montagné, je
“Teu che sies cuisiner (toi qui es cuisinier), conclus en disant : «Bravo, La Mazille !» »
connais-tu cette recette où l’alose remplie [Philéas Gilbert, « La bonne cuisine du Péri-
d’arêtes peut se manger toute, de suite après la gord par La Mazille », La Revue culinaire,
cuisson ?” [M. Auvernaud, « L’alose à l’oseille », n° 106, juillet 1929.]
La Revue culinaire, n°92, mai 1928.] Bien d’autres ouvrages contribuèrent
Cette « bonne grand’mère » avec une dans les années vingt à la diffusion et à la
« coiffe blanche », « mignonne et menue », reconnaissance de la cuisine régionale. Ils
qui parle un dialecte provençal et délivre sont écrits par des gastronomes comme la
un grand secret, n’est-ce pas le type idéal, série de monographies de Marcel Rouff et
pour ne pas dire le stéréotype de la cuisine Curnonsky intitulée La France gastrono-
régionale qui se construisit dans l’entre- mique, guide des merveilles culinaires et
deux- guerres en France ? des bonnes auberges françaises, dont la
De l’oral on passa à l’écrit avec La bonne publication, commencée en 1921 et achevée
cuisine du Périgord de La Mazille, que les en 1928, comporte 27 volumes, ou encore
cuisiniers Philéas Gilbert et Prosper Mon- Les Recettes des provinces de France ainsi
tagné saluèrent comme une cuisine « sans que Le Trésor gastronomique de France
beurre et sans reproche » : « La Mazille signé avec Austin de Croze. Mais aussi par
est, à n’en pas douter, une maîtresse de des cuisiniers. F. Foucou rédige la préface
maison joliment au courant de tout ce qui du Manuel pratique de cuisine proven-
concerne le département de la cuisine et çale et publie, en 1928, Quelques recettes
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sole normande a été découverte sur la côte sans estragon à laquelle on n’ajoute pas de
d’émeraude, que le poulet à la crème est jaunes d’œuf. « Ce n’est pas mauvais, c’est
une création de la vallée d’Auge et il en est même bon, si le beurre est de bonne qua-
qui croient que la langouste Winterthur est lité mais ça ne casse rien ; c’est un bon
le plat national du canton de Zürich ! » [« La accompagnement pour un poisson un peu
cuisine régionale », La Revue culinaire, n fade mais il est excessif d’en faire une des
°93, juin 1928.] gloires de la cuisine provinciale… Ah s’il
Et, le même docteur allait jusqu’à contes- n’y avait pas le « secret «, le « tour de main »
ter l’originalité et la qualité de la cuisine auxquels messieurs les gastronomes
régionale : « [Le beurre blanc] « une mer- croient dur comme fer ! » [« Chronique
veille de la cuisine des provinces » ? Ce antigastronomique : le beurre blanc », La
« secret de famille » n’est qu’une béarnaise Revue culinaire, n°100, janvier 1929.]
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le feu sacré. Il ne faut penser qu’à son tra- quatrième épouse, Jacqueline Delubac, le
vail. Imaginez donc en ce qui me concerne, 27 mai 1937 : La crème des mers à ma façon/
mais vous n’allez pas me croire, j’étais à mes Les poulardes de Bresse truffées en vessie/
débuts en cuisine à cinq heures du matin et La terrine de foie gras frais/ La salade Pyra-
je n’arrêtais pas avant onze heures du soir, mide/ Les fromages de Saint-Marcellin/ Pro-
avec seulement deux heures de repos dans iteroles, marjolaine et fruits
l’après-midi. Tels étaient nos horaires avant À côté de cette grande cuisine bour-
1914 à l’hôtel Bristol, à Paris, où j’ai fait mon geoise, il y avait aussi place pour une cuisine
apprentissage. C’est beaucoup trop n’est bourgeoise beaucoup plus « simple » parce
ce pas ? Mais la grande cuisine est impi- que : « Quand on pense à la grande cuisine,
toyable. » [Ibid.] on ne peut pas penser à l’argent ; les deux
Le cuisinier est toujours en quête de per- sont inconciliables. La grande cuisine coûte
fectionnement : « Mon métier est sans doute très cher. Ce qui n’empêche pas que l’on
le plus beau du monde, mais il y a toujours peut faire de la très bonne cuisine avec des
quelque chose à apprendre. Et en ce qui me produits bon marché. » [Ma gastronomie.]
concerne je me rends compte tous les jours Voici à titre d’exemple un menu à 50
que j’ai encore beaucoup de chemin à par- francs « sans le vin » servi en 1956 par Fer-
courir. » [Ibid.] nand Point : Brioche de foie gras - Pâté de
gibier grand Veneur - Filet de sole Napoli-
◗ Restaurants bourgeois
taine - Ou Truite au bleu sauce Hollandaise
- Pintadeau poêlé en cocotte - Gratin dauphi-
À La Pyramide de Fernand Point la grande nois - Ou Poularde de Bresse à la crème - Riz
cuisine bourgeoise était à l’honneur comme pilaf – Fromage - Glace ou sorbet - Gâteau
en témoigne le menu du déjeuner de l’Acadé- succès – Friandises - Corbeille de fruits.
mie des Vins de France du 25 Novembre 1935.
Citons également le dîner préparé à Paris La disparition de Fernand Point, en 1955,
par Fernand Point et sa brigade pour Sacha a une signiication historique parce qu’elle
Guitry, à l’occasion de l’anniversaire de sa coïncide plus ou moins avec la in de la
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cuisine bourgeoise. La France entre alors cuisiniers français les effectifs sont, de nos
dans la modernité. Elle devient une société jours, bien inférieurs à 100.
industrielle puis, dans les années soixante, Mais, si la cuisine bourgeoise a pratique-
une société de consommation. Au-delà de la ment disparu des restaurants, elle a semble
in de la cuisine paysanne déjà bien amorcée, t-il trouvé un dernier refuge dans les cui-
l’arrivée de la Nouvelle Cuisine va consacrer sines des chefs d’État et des princes. Tenues
la disparition de la cuisine bourgeoise. par des cuisiniers conirmés et expérimen-
Ce n’est pas un hasard si les effectifs de tés, elle seule permet de cuisiner les pro-
cuisiniers de maison bourgeoise diminuent duits frais de qualité sans avoir le même
régulièrement depuis les années soixante : besoin d’innover ou de créer que les chefs
de plus de 400 adhérents à la Société des étoilés des restaurants.
La Nouvelle Cuisine
◗ Gault et Millau
« Qu’évoque aujourd’hui exactement l’ex- L’expression de « nouvelle cuisine » n’est
pression « nouvelle cuisine « ? Neuf fois sur pas une nouveauté. Le XVIIIe siècle, par
dix, une grande assiette où se perdent, comme exemple, connut déjà une controverse au
un chalutier dans la brume, une portion lilli- sujet de la « nouvelle cuisine » que Voltaire
putienne et aussi quelques combinaisons fustigea dans une lettre au Comte d’Artois
rocambolesques de produits qu’on a mariés en1765 : « J’avoue que mon estomac ne s’ac-
de force, pour avoir l’air d’être dans le vent. » commode pas de la nouvelle cuisine. Je ne
[Christian Millau, « La révolution culinaire des puis souffrir un ris de veau qui nage dans
années 70 », in Actes du deuxième colloque une sauce salée et ne puis manger un ris
de la Fondation Auguste Escofier, 1998.] d’un hachis composé de dinde, de lièvre et
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clientèle, elle-même porteuse et en quête Henri Gault et Christian Millau étaient des
de nouvelles valeurs. En une vingtaine d’an- nouveaux venus dans le monde de la critique
nées : de 1970 à 1990, la Nouvelle Cuisine gastronomique. L’aventure avait commencé
triompha aussi bien en France qu’à l’étran- pour eux en 1960, à Paris-Presse, quand
ger, et avec elles les valeurs d’innovation et Henri Gault se vit conier par Pierre Charpy
de création culinaires. une rubrique intitulée : « Week-ends et pro-
Ses promoteurs, les journalistes Henri menades », dans la partie magazine du jour-
Gault et Christian Millau, l’ont présentée nal dirigée par Christian Millau. Il y décrivait
comme une « réaction contre le dogmatisme ses découvertes et ses coups de cœur. Le
épouvantable qui régnait » tout en répétant succès fut immédiat car il répondait aux
à l’envi qu’ils ne l’avaient pas inventée : « La attentes d’une clientèle amoureuse de nou-
Nouvelle Cuisine – nous mettons des majus- veautés et avide de sortir des sentiers battus.
cules puisque tout le monde le fait, soit pour Christian Bourgois, directeur littéraire aux
la gloriier soit pour la moquer – mais ce pas Éditions Julliard, leur proposa de publier
nous qui l’avons inventée. Nous avons pro- ces chroniques sous forme de livre. Ce fut,
posé la formule et elle a pris comme une en 1963, le Guide Julliard de Paris puis,
superbe mayonnaise, voilà tout. Le reste, en 1966, le Guide Julliard des environs de
c’est-à-dire le principal, c’était l’affaire des Paris. Quelques années plus tard le Guide
cuisiniers eux-mêmes. Nous sommes et qui portait leur nom sortait des presses.
nous restons des observateurs ». Ensuite, la Haute Cuisine était endormie et
Qu’ont-ils donc observé ? igée dans ses dogmes et ses recettes. « Hélas,
Tout d’abord une place était à prendre dans écrit Courtine, il n’y a guère de plats nou-
le champ de la critique gastronomique depuis veaux à inscrire au palmarès des chefs, et ce
la mort, en 1956, de Curnonsky, chantre de la serait plutôt dans les familles que les ména-
cuisine régionale et de la cuisine de femmes gères se laissant aller à la fantaisie de l’occa-
et dont le disciple, Robert Courtine (1910- sion « inventent»des plats neufs et originaux. »
1998), alias La Reynière, tenait la rubrique [Un nouveau savoir manger] La cuisine et la
gastronomique du journal Le Monde. renommée des grands restaurants reposaient
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◗ Cuisine allégée
On connaît le récit mythique de la
découverte de la Nouvelle Cuisine. Henri
Gault et Christian Millau auraient eu la
révélation de la Nouvelle Cuisine au cours
d’un repas chez Paul Bocuse, qui n’avait
pas encore sa troisième étoile : « Il voulut
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Les deux compères ont quand même Chapel, Alain Senderens, Jean Delaveyne,
l’idée de revenir le soir à l’Auberge de Col- Roger Vergé, Denis, Paul Manière.
longes-au-Mont-d’Or : « Alors Paul Bocuse Tous ces cuisiniers avaient des points
nous servit une simple salade de haricots communs, et tout d’abord leur âge. Ils
verts accompagnés de tomates. Une splen- étaient jeunes encore, puisqu’ils avaient
deur, l’odeur du jardin, une saveur inou- pour la plupart entre trente et quarante ans:
bliable. Ensuite il apporta des rougets de Paul Bocuse est né en 1926, comme Jean
roche peu cuits. Là encore nous fumes Troisgros. Pierre Troisgros, frère de Jean,
comblés de parfums oubliés. Nous venions est né en 1928 ; Michel Guérard est né en
de découvrir la Nouvelle Cuisine. Elle exis- 1933 ; Alain Chapel en 1937. Appartenant
tait, nous l’avions rencontrée et nous ne le plus ou moins à la même génération, ils en
savions pas encore. » [Le Crapouillot, 56, partageaient les préoccupations et les aspi-
automne 1980.] rations : « Les nouveaux cuisiniers avaient
Après Bocuse les deux complices s’en en commun de bannir de tristes pratiques
vont dénicher les autres cuisiniers qui fai- culinaires, tels que les fonds perpétuels, les
saient déjà de la « nouvelle cuisine » sans le sauces empêtrées de farine, les plats prépa-
savoir. À Roanne, les frères Jean et Pierre rés à l’avance avant de devenir des éclopés
Troisgros leur servent des grenouilles aux du réchauffement, les présentations tru-
herbes : « Bien entendu ils les passèrent queuses, destructrices de goût et cent autres
dans la farine mais avec une légèreté incom- façons routinières d’assassiner de bons pro-
parable et les herbes fraîches furent mises duits sous prétexte que nos pères faisaient
au dernier moment. » ainsi et nos grands pères aussi. » [« La Révo-
Christian Millau passa une semaine dans lution culinaire des années 70 », op. cit.]
les cuisines des frères Troisgros. Il y vit qu’il
n’y avait aucune « mise en place ». Tout était La « légèreté » allait être célébrée comme
fait « à la minute ». Une cuisine « sans ilet ». l’une des valeurs clefs de cette nouvelle
Un peu plus tard il se rend chez Michel Gué- cuisine. En 1976 Michel Guérard publiait
rard, à Asnières, et par la suite chez Alain La Grande Cuisine minceur, puis ce fut au
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Raymond Oliver ¢
Né à Langon, en 1909, le 27 mars, et décédé à émissions qui donnent la parole à des chefs
Paris, le 5 novembre 1990, il était propriétaire comme Oui Chef qui it connaître Cyril Lignac,
du Grand Vefour, à Paris. Chef étoilé, 3 étoiles une chaîne de télévision est entièrement
au Michelin, il fut en 1953 le pionnier des émis- consacrée à la cuisine. A la médiatisation a
sions culinaires à la télévision française. succédé la surmédiatisation. L’image du chef
Après Raymond Oliver le relais fut pris est désormais la clef de la réussite et l’em-
par l’un des chefs de la Nouvelle Cuisine : Mi- porte sur toute autre considération, notam-
chel Guérard qui publia Mes recettes de la télé- ment la maîtrise et le savoir faire. Les jeunes
vision. Puis ce fut le tour de Michel Oliver, i ls cuisiniers promus et consacrés Chefs par
de Raymond Oliver et, après lui, de Joel Ro- les médias sont ainsi qualiiés « innovants »,
buchon. De nos jours, en plus de nombreuses « créatifs » et « créateurs ».
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la promotion du cuisinier : « J’ai fait sortir l’entendent sans tenir compte de l’avis des
le cuisinier de sa cuisine. » Bien plus qu’un autres guides. Cette indépendance d’esprit
jeu de mots, la formule a le mérite de souli- encourage plus d’un à franchir le pas et à
gner le lien entre la Nouvelle Cuisine et la aller dans ces restaurants si controversés. La
promotion du cuisinier dans la société fran- Nouvelle Cuisine se propage ainsi à travers
çaise. Paul Bocuse regroupa autour de lui toute la France.
les « nouveaux » cuisiniers pour donner plus Chefs et cuisiniers de la Nouvelle Cui-
de force au mouvement. sine aussi bien que le nouveau media
La « bande à Bocuse », devenue en 1970 visaient une nouvelle clientèle, un nouveau
l’association La Grande Cuisine française, groupe social en expansion dans la société
réunissait en effet autour de Paul Bocuse française qui s’industrialisait et s’enrichis-
les principaux représentants de la Nou- sait : les cadres moyens et supérieurs. Or
velle Cuisine : les frères Troisgros, Pierre et ce groupe, leader en matière de consom-
Jean, Michel Guérard, les frères Haeberlin, mation, est en quête de nouvelles valeurs.
Jean-Pierre et Paul, Charles Barrier, Louis La minceur, la légèreté, la santé, le plaisir,
Outhier, Pierre Laporte, René Lasserre, l’innovation ne peuvent que le séduire. Les
Roger Vergé, Raymond Oliver. mousses sous toutes les formes ont ainsi été
Ensuite, le mensuel et le guide Gault l’une des préparations phare de la Nouvelle
Millau veulaient prendre la place du pre- Cuisine.
mier guide gastronomique de France, alors Déjà dans l’article fondateur de 1973,
le Michelin, et contribuer au renouvelle- Henri Gault et Christian Millau ont déini
ment de la cuisine française. Les deux jour- les dix « commandements » de la Nouvelle
nalistes parcourent le pays à la recherche Cuisine :
des restaurants qu’ils jugent dignes d’inté-
rêt. Leurs critères ne sont ni la richesse du 1. Temps de cuisson réduit pour les poissons,
lieu, ni la qualité de la vaisselle ou du décor les fruits de mer, les gibiers, le veau, les lé-
mais le goût, la présentation et l’imagination gumes verts, les pâtes qui doivent être « al
du chef. Ils notent les restaurants comme ils dente ».
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Une carte plus courte, cela veut dire : « de 6. La Nouvelle Cuisine récuse le faisandage
moindres frais de stockage, une cuisine du gibier et en conséquence les « épices qui
plus inventive, plus fraîche, moins routi- cachent les fermentations honteuses ont dis-
nière, toujours préparée à la commande. paru de leur panoplie »
Et une heureuse élimination des fonds 7. La Nouvelle Cuisine veut en inir avec les
de sauce traînant au bain marie, gloire de sauces riches, les sauces « lourdes », les « ter-
l’avant-guerre. » ribles sauces brunes et blanches, ces inan-
cières, ces grand veneur, ces béchamel, ces
4. Les chefs de la Nouvelle Cuisine ne sont mornay qui ont assassiné tant de foies et
pas « systématiquement modernistes », couvert tant de chairs fades ». Il s’ensuit que
5. Les chefs de la Nouvelle Cuisine ne récu- la « glace de viande, le fond de veau, le vin
sent ni les techniques nouvelles de cuisson ni rouge, le madère, le sang, les roux, la géla-
les nouveaux matériels : tine, la farine, le fromage, la fécule ne sont
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pas inscrits aux tables de la loi. Les chefs manifeste d’abord dans les accompagne-
conservent bien sûr les fumets, la crème, le ments des plats qui ne sont pas condam-
beurre, les jus purs, les œufs, la truffe, le ci- nés à rester éternellement les mêmes : « Ils
tron, les herbes fraîches, les poivres ins et ne croient pas sacrilège de ne pas unir le
honorent les sauces claires, les sauces qui se mouton aux haricots, le homard au riz,
marient, qui exaltent et laissent l’esprit clair la sole aux pommes vapeur, le veau aux
et le ventre léger » épinards, le bifteck aux frites ni d’ailleurs
le vin blanc au poisson et le foie gras à la
Pour lier ses sauces Michel Guérard uti- truffe. »
lise des yaourts et des crèmes allégées en Mais les cuisiniers doivent et peuvent
matière grasse. Il n’hésite pas non plus à aller au-delà, car et c’est un principe fort
se servir de purée de légumes. Mais si la de la Nouvelle Cuisine : « Tout est permis. »
farine est désormais bannie, le beurre est Pour le meilleur et pour le pire ! 1968 n’est
utilisé pour émulsionner et monter les pas si loin avec son slogan : « Il est interdit
sauces. d’interdire. »
La Nouvelle Cuisine associe et combine
8. La Nouvelle Cuisine n’ignore pas la diététique. les produits comme on ne l’avait pas encore
Les modes de cuisson préférés sont la vapeur, fait. Michel Guérard propose ainsi le pot-au-
le court mouillement, le grillé, le rôti. feu de la mer « cousin germain de celui de
9. La Nouvelle Cuisine a des préoccupations la terre ». Il associe aussi le foie gras et les
esthétiques – le décor de l’assiette et la mise haricots verts dans sa « salade folle ». Alain
en valeur du plat – tout en posant des li- Chapel inscrit à sa carte « le pot-au-feu de
mites… qui ne seront pas respectées. pigeons ramiers à l’anis étoilé et raviolis
10. Enin la Nouvelle Cuisine se veut « inven- d’herbes ». Dans son restaurant Le Pactole,
tive » et « créative » Jacques Manière imagine la choucroute de
la mer et pratique une cuisine vapeur ins-
Cette créativité est devenue une valeur pirée de la cuisine chinoise mais aussi par
aussi centrale que la légèreté. Elle se souci d’alléger sa cuisine : « Les diététiciens
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LA NOUVELLE CUISINE
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Les adversaires de la Nouvelle Cuisine « D’autres encore s’appuient à outrance sur ce
ne manquèrent pas de fustiger ces dérives. gadget, au début amusant, baptisé nouvelle
Jean Ferniot dénonça « les coquilles Saint cuisine pour diminuer les portions et servir la
Jacques à l’orange […] ; des ris de veau à la carotte (en bâtonnets, il est vrai, voire en ef-
vanille ; des rillettes de hareng et de foies feuillée ou en siflets –sic !) au prix du caviar.
de volaille ; du pigeon au miel ; une ter- La cuisine allégée, susurrent-ils. Las ! Plus elle
rine de girolles accompagnée d’une sauce est allégée, plus l’addition est lourde ! Ces
au potiron ; de l’agneau au fromage blanc chefs-là ne penseraient-ils plus qu’au fric ? À
et au gingembre ; du foie gras au melon ; la parade ? À la « une « des journaux ? Si ce
des ris de veau aux huîtres ; un ragoût de n’était bien triste, au fond, elles nous amuse-
coquilles Saint-Jacques et de pieds de porc ; raient fort, ces vedettes du Bouf ‘show, prime
du foie de veau aux cerises conites ; des donne des petits légumes ! Ne voilà- t-il pas
rougets à l’oseille et aux poires ; une ter- qu’elles réclament une sorte de SACEM du
rine de langoustines au foie gras ; un lan miam-miam pour se défendre contre les pla-
de brochet aux pruneaux ; une glace à la giats confraternels ! « Nous inventons des
truffe ; un sorbet au basilic ; du homard aux chefs-d’œuvre, sont ils allés dire à je ne sais
pêches jaunes ; un melon chaud aux crus- quel ministre et n’importe qui nous copie.
tacés ; des rillettes d’anguille aux poires ; C’est honteux ! « Comme si le cher homme
une terrine de maquereaux à la groseille ; n’avait rien d’autre à faire ! Et que ne leur a-t-
du foie de lotte aux capucines (mon cuisi- il répondu qu’en cuisine comme au théâtre,
nier-horticulteur avait fait des petits) ; des on n’invente plus : on retrouve et on inter-
aiguillettes d’agneau au thé ; de la raie aux prète ! » [Le Monde, 15 novembre 1986.]
groseilles…... » [Jean Ferniot, « Les farces et
attrapes de la Nouvelle Cuisine », Le Cra- De fait éloges et critiques sont excessifs
pouillot, n° 56, 1980.] car, sans être à proprement parler une cui-
Courtine, alias La Reynière, du Monde sine « nouvelle », la Nouvelle Cuisine a exercé
n’eut pas de mots assez durs pour ce qu’il une inluence profonde sur plusieurs géné-
appelle L’Assiette aux leurres : rations de cuisiniers et de consommateurs.
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dans la course aux étoiles Michelin sont et à l’ambre) et révèle une saveur inédite :
même condamnés à être « créatifs »: l’ambre.
Ainsi, Christophe Michalak, élu meilleur Pour « créer » Pierre Hermé s’aventure
pâtissier de l’année peut-il écrire : « Pour dans le monde des parfums : « Il y a trois
être un bon pâtissier, il ne faut surtout pas ans que j’ai créé le goût de l’ambre ali-
chercher à imiter… » [C’est du gâteau.] mentaire avec le laboratoire de Givaudan.
Et, Pierre Hermé lui fait écho quand il C’est un goût qui n’existait pas. J’ai un ami
déclare son besoin de créer sans cesse de parfumeur chez Patou et c’est au titre de
nouvelles saveurs. l’expérience que j’ai eu envie d’en trouver
Au début de l’année 2007, il lance une transcription aromatique. Et ce n’est
d’ailleurs un nouveau concept : une série de qu’aujourd’hui que j’ai travaillé avec en
4 Émotions à partager, à savoir des desserts créant Inini. Mon ambre à moi est réa-
pour 6 à 8 personnes présentés dans des lisé à partir de cannelle, de coriandre, de
coupes en porcelaine noire et qui changent vanille de Madagascar, de pêche…. En tout
avec les saisons. Il y a « Extase » (pâte sablée une vingtaine de composants dont je tairai
au gingembre, biscuit amandes au pam- le détail ! » [L’Hôtellerie, n° 3046, 13 sep-
plemousse et gingembre conit, gelée de tembre 2007.]
pamplemousse, fraises fraîches) puis « Révé- Les créations de la pâtisserie ont tou-
lation » (pâte feuilletée à la tomate, crème tefois un prix, surtout lorsqu’il s’agit d’un
de mascarpone à l’huile d’olive et mor- macaron à la truffe noire ou au vinaigre
ceaux d’olives noires, compote de tomates balsamique (un vinaigre balsamique tradi-
et de fraises). Ensuite vient pour l’automne tionnel de 25 ans d’âge). Et que dire de la
« Indulgence » (gelée de menthe, maïs assai- Bûche à la truffe noire composée d’un bis-
sonné à l’orge malté, crème de petits pois à cuit moelleux aux amandes torréiées et de
la menthe, crumble à la semoule de maïs). crème mascarpone à la truffe noire ? Le tout
Enin la dernière Émotion s’appelle « Inini » accompagné d’une truffe noire fraîche de
(biscuit macaron au caramel, compote de 15 g est vendu au prix de 245 euros en taille
cassis, crème de mascarpone au caramel 6-8 personnes.
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Comme le disent en cœur les médias et Né en 1956, Alain Ducasse
les critiques, les cuisiniers sont désormais (ici au centre) est l’un des chefs
les plus étoilés au monde (trois
« créateurs », « cuisiniers artistes ». Finis les
fois trois étoiles) et le patron d’une
cuisiniers artisans. La cuisine est « créative » grande entreprise de gastronomie
ou n’est pas. Hors de la « création » point de employant près de 1 500 personnes
salut ! dans le monde entier.
Le besoin de « créer » est partout pro-
clamé et afiché comme une impérieuse
nécessité.
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de saveurs, de mes envies. Quand je me Le groupe Ducasse comprend plusieurs
couche le soir, au moment où je m’apaise, je secteurs ou divisions : les restaurants Alain
vois des plats, les imagine et les devine. Le Ducasse, les autres restaurants (concepts et
processus de création m’est dicté par l’ins- bistrots), les métiers de l’hôtellerie, les édi-
tinct… Créer un plat, c’est comme réaliser tions et le centre de formation. Des gestion-
un fantasme. » [Ibid.] naires spécialisés formés dans les business
Est-il pour autant un « compositeur » ou school françaises et américaines sont en
plutôt un « chef d’orchestre »? charge de la gestion du groupe.
On perçoit des hésitations quant à la Dans le groupe Ducasse, 19 des 27 restau-
nature du travail : « J’aime mes plats jusqu’à rants sont installés dans des hôtels faisant
les détester. À force de les créer, de les faire partie de chaînes ou de groupes interna-
et de les refaire, de les goûter, il arrive un tionaux (le groupe Dorchester possède
moment où la lassitude se fait sentir. J’ai ainsi le Plaza Athénée, à Paris, mais aussi le
besoin d’évoluer tout le temps, d’avancer, Dorchester de Londres, où Alain Ducasse a
de donner un sens à ce que je fais. Je n’in- aussi ouvert un restaurant).
vente rien. J’essaie juste d’interpréter les Les hôtels apportent le capital et Alain
choses à ma manière ». Ducasse « chef d’orchestre et formateur »,
comme il s’appelle lui-même, fait diriger les
◗ Industrie de luxe
restaurants par les cuisiniers qu’il a recrutés
et formés selon le principe que le client doit
À côté de cette créativité artiste, une pouvoir partout retrouver la cuisine d’Alain
autre dimension apparaît : celle de l’indus- Ducasse, même si le chef n’est pas présent
trie. Comme l’a expliqué, il y a déjà quelques dans sa cuisine. Ainsi la marque Ducasse se
années, Alain Ducasse, la gastronomie est décline-t-elle avec des variantes en fonction
devenue une industrie de luxe. [« La gastro- des lieux d’implantation des restaurants. Le
nomie doit devenir une nouvelle industrie restaurant Beige, à Tokyo, veut tout à la fois
de luxe », Le Figaro Entreprise, lundi 12 mai offrir de la cuisine française – de la marque
2003.] Ducasse – mais aussi de la cuisine ayant une
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Ainsi, depuis une vingtaine d’années, longues modiient le goût. Par ailleurs, et si
Fleury Michon commercialise-t-il des pro- l’on tient compte des additifs, des conser-
duits élaborés avec et par Joël Robuchon. Le vateurs, des colorants, des exhausteurs de
grand chef ne se contente pas de mettre sa goût qui sont présents dans les plats cuisi-
griffe, en l’occurrence sa signature, sur la nés ou la charcuterie, on comprend qu’il y
boîte ou le carton mais il intervient dans la a peu de rapport entre les aliments vendus
sélection des matières premières, la mise au sous vide sous le timbre des grands chefs
point de la recette et la production des plats et les produits gastronomiques servis dans
cuisinés individuels. leurs restaurants
Tous ces produits, qui se préparent au En « créant » et en « innovant » le grand
microonde en deux minutes, sont-ils pour chef est devenu un personnage indispen-
autant des produits gastronomiques ? sable à l’industrie agroalimentaire. C’est
Il sufit de lire la composition de cha- que l’innovation est, dans les pays riches,
cun d’eux pour voir que la part du produit la réponse à la saturation des besoins. Il
brut : agneau, poulet, bœuf, est la plus faut créer sans cesse de nouveaux pro-
faible par rapport aux autres ingrédients, duits pour relancer la consommation, et
essentiellement les glucides et les lipides. les cuisiniers sont pressés d’inventer ou
Sel et épices sont présents pour donner le de participer à l’invention des nouvelles
goût. recettes.
Le même Joël Robuchon rappelait, en Il faut donc dépasser l’opposition entre la
outre, que si le sous vide est une excellente création culinaire du grand chef étoilé et la
technique de cuisson, il est une moins production industrielle de produits dérivés
bonne technique de conservation, d’autant car l’une et l’autre sont liées et l’on ne peut
plus que l’industrie agroalimentaire, sou- voir l’une sans voir l’autre.
mise aux règlements européens, doit cuire Désormais industrie de luxe, la gas-
les aliments plus longtemps que les res- tronomie est devenue partie prenante,
taurateurs. [Le carnet de route d’un com- pour ne pas dire acteur de l’industrie
pagnon cuisinier] Or, ces cuissons plus agroalimentaire.
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Le cuisinier moléculaire est celui qui Fabrication de billes
« utilise des ingrédients qui étaient absents de gelées parfumées.
des cuisines en 1980 ou des ustensiles qui
étaient absents à la même époque ; idem
pour les méthodes. Oui, les divers géliiants
tirés des algues ou d’autres sources bref, tout
ce qui n’est ni gélatine ni pectine étaient uti-
lisés par l’industrie mais pas par les cuisi-
niers. Oui, les siphons étaient absents tout
comme les centrifugeuses, les colonnes à
distiller, les machines à vide, les thermostats
bien réglés (et je rappelle que les catalogues
de fournitures pour laboratoires compor-
tent des milliers de pages, avec des usten-
siles qui rendraient bien des services aux
cuisiniers, de la cuve à ultrasons au iltre
imbouchable)… La cuisine moléculaire au
fond c’est cela : avoir accepté de changer de
méthodes, d’ustensiles, d’ingrédients. Tout
comme notre société a accepté d’abandon-
ner les bougies pour l’éclairage électrique,
les citernes pour l’eau courante, la marche à
pied pour les trains automobiles, avions… »
Si la cuisine moléculaire est la cuisine de
notre temps, si elle représente la modernité
culinaire, les cuisines du passé n’ont plus de
raison d’être : « Il était indécent de cuisiner
au XXIe siècle comme au Moyen Âge ! »
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En tout cas il n’est plus possible de revenir
en arrière : « De même que nous, qui avons
été élevés dans le confort de l’éclairage à
Programme
l’électricité n’accepterions-nous pas de reve-
nir à la bougie, les jeunes cuisinières et les
établi avec
jeunes cuisiniers qui arrivent aujourd’hui
dans la profession n’accepteront pas de
Nikola Kurti
passer des heures à faire des gelées à partir
de pied de veau s’ils ont à leur disposition
en 1988
des géliiants plus purs, plus eficaces, plus Explorer les recettes. Recueillir et tes-
réguliers, plus pratiques en un mot. » ter les dictons. Inventer des mets nou-
La modernité culinaire est la condition veaux. Introduire de nouveaux outils, us-
sine qua non de la « création » : tensiles, ingrédients. Démontrer à travers
« Les cuisiniers moléculaires restent des in- l’attrait pour la cuisine les beautés des
dividus sensibles qui doivent chercher en sciences en général, de la chimie en parti-
eux-mêmes les façons artistiques de donner culier.
de l’émotion par la cuisine. Oui, des matériels
spéciiques peuvent faire des plats nouveaux,
impossibles à faire autrement : par exemple la
distillation ne se fait pas à l’aide d’une seule ment. En revanche avec les mêmes alginates,
casserole et d’un couvercle ; par exemple on le même azote liquide, les mêmes i ltres, les
ne peut pas cuire sous vide à basse tempéra- mêmes cuves à ultrasons, des cuisiniers dif-
ture si l’on ne dispose que de casseroles et de férents feront des choses différentes parce
fourneaux en bois. De même pour les ingré- qu’ils n’encapsuleront pas les mêmes ingré-
dients : on fait dificilement des perles d’algi- dients (perles de melon, perles de foie gras,
nates sans alginate ! Et l’on fera dificilement perles d’orange…) ; parce que les locons
des mousses de lait sans protéines laitières givrés des uns (on fait un appareil à merin-
foisonnantes. Méthodes, eni n : même traite- gue qu’on laisse tomber dans l’azote liquide,
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◗ L’industrie chimique
colorants et de compositions aromatisantes),
des chefs étoilés (Émile Jung, à Strasbourg ;
A-t-on besoin d’additifs, de colorants, d’al- Heston Blumenthal, en Grande-Bretagne ;
ginates, d’azote liquide, de méthylcellulose Ferran Adria, en Espagne), des établissements
pour « créer » de nouvelles recettes ou de d’enseignement culinaire. Ce dispositif vise à
nouveaux plats ? Et s’il ne s’agissait pas d’art utiliser les cuisiniers « prescripteurs » pour
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rationaliser les pratiques culinaires et la dif- cuisiniers moléculaires mettaient dans
fusion des connaissances rationnelles ; on leurs casseroles. Adria dit que son labora-
espère que les cuisiniers qui participent au toire personnel « invente » des substances
projet produiront des mets et des livres où telles que : Iota, Glice ou Gellan, quelques-
les additifs, préparations aromatisantes et uns de ses produits miracle. Mais der-
colorants seront utilisés puis que le grand rière ces noms se cache tout simplement
public les adoptera. » [Hervé This, « Cuisiner une liste issue de la chimie alimentaire. Il
avec des compositions aromatisantes ? Cuisi- s’agit des additifs alimentaires E 322, E327,
ner avec des additifs ? Cuisiner avec des co- E 331, E 400, E 406, E 407 (Iota), E 415, E
lorants ? », La revue trimestrielle du réseau 418 (Gellan), E 461, E473, E 475 (Glice)
Écrin, n° 59, mars 2005.] ainsi que la maltodextrine, un cocktail de
glucides particulièrement apprécié par les
Le « fondateur » de la gastronomie molé- bodybuilders. »
culaire admettait que l’usage de ces subs-
tances pouvait s’avérer dangereux puisque Il est désormais possible de se procu-
« les molécules sous une forme concentrée rer, via Internet, des kits de gastronomie
sont souvent toxiques » mais s’en remet- moléculaire. Vous pourrez ainsi faire, en
tait aux États pour trouver « les moyens investissant souvent plus de 100 euros
d’encadrer de telles utilisations. » ! Et d’af- par kit, des perles et des raviolis par la
irmer qu’il n’y avait pas de raison de se pri- technique de la sphériication mise au
ver de ces produits de l’industrie puisque point notamment par Albert et Ferran
de toute façon « la cuisine n’est pas natu- Adria dans leur laboratoire El Bullitaler, à
relle puisqu’elle est transformation des Barcelone.
aliments » ! D’après la description parue dans L’Hô-
Comme l’écrit le critique gastronomique tellerie Restauration le 2 mars 2006, la
Jorg Zipprick, dans le magasine Stern de sphériication est une technique culinaire
juin 2008 : « Jusqu’à récemment personne spectaculaire développée au Japon et qui
ne savait vraiment ce que ces soi-disant a été exploitée et médiatisée par El Bulli
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La Slow Food et la nouvelle gastronomie
En 1986 l’opposition à l’ouverture d’un des producteurs (agriculteurs, éleveurs,
Mac Donald à Rome fut le point de départ pêcheurs) et qu’en choisissant tel ou tel
d’un mouvement qui rassemble maintenant aliment nous choisissons tel ou tel type
près de 100 000 membres dans le monde d’agriculture. Le choix est vraiment l’acte
entier, dont près de la moitié en Italie. essentiel du gastronome, choix qui doit
Comme le rappelle Carlo Petrini, le prési- être éclairé par la connaissance et choix
dent de Slow Food international, il y avait : qui est un acte politique :
« Au point de départ, une revendication « La valeur du choix de notre alimenta-
d’un droit fondamental de l’humanité et que tion représente ce que nous avons de plus
le gastronome défend : celui du plaisir, un puissant et communicatif entre nos mains.
droit naturel, physiologique, dont la néga- Dans ce monde où compte surtout le pro-
tion a contribué à favoriser la situation mon- it, le choix de ce que nous allons acheter
diale actuelle. » et consommer est le premier acte politique
S’agit-il d’une nouvelle voie, menant à une fort que nous pouvons accomplir dans la
autre gastronomie ? À une nouvelle gastro- vie. » [Bon, propre et juste.]
nomie qui ne serait ni rétro ni moléculaire ? Fort de ces principes le gastronome doit
choisir les bons produits mais comment
Science de synthèse, réunissant bota- procéder ?
nique, agriculture, écologie, sociologie, « Pour déinir ce qui est bon, deux types
économie, physiologie, etc., la gastrono- de facteurs subjectifs sont déterminants :
mie a besoin de toutes ces disciplines. En la saveur-personnelle – liée à la sphère sen-
citant le poète Wendell Berry : « Manger sorielle de chacun de nous – et le savoir-
est un acte agricole », Carlo Petrini veut culturel, lié à l’environnement, à l’histoire
rappeler que derrière les aliments conte- des communautés, du savoir faire et des
nus dans l’assiette il y a des hommes, lieux. » [Ibid.]
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Au-delà des différents critères de sélec- un produit est propre dans la mesure où sa
tion disponibles (sensorialité, goût, plaisir), ilière répond à certains critères de natura-
tous plus ou moins subjectifs, l’accent doit lité, s’il est durable. » [Ibid.]
être mis sur la naturalité du produit : On le voit : le jugement de durabilité
« L’intégrité “naturelle” de la matière pre- exige des connaissances et des informations
mière sert avant tout à cultiver et à pouvoir qui non seulement ne sont pas facilement
percevoir le caractère bon d’un aliment. Il accessibles mais ne sont pas à la portée de
ne s’agit pas du “biologique” même si le bio- tous.
logique est naturel… On veut parler d’un S’agissant de l’agriculture, concernée au
système global, d’une méthode de produc- premier chef par la question de la durabi-
tion dans sa totalité. Naturel signiie qu’on lité, l’objectif afiché par Slow Food est de
ne doit pas utiliser trop d’éléments exté- la « désindustrialiser », ce qui implique de
rieurs et artiiciels par rapport au système : renoncer aux méthodes de production
environnement, homme, matière première, intensives aussi bien pour les végétaux que
transformation : non aux additifs et aux pour les animaux. Refus des pesticides et
conservateurs chimiques, aux arômes arti- des engrais chimiques, refus des OGM,
iciels ou dits “naturels” ; non aux techno- choix des variétés et des races locales,
logies qui bouleversent la naturalité du refus de la monoculture, autant de choix
processus de production, élevage, cultures, qui signiient : « Le rejet d’un système. Il ne
cuisine… » [Ibid.] s’agit pas seulement d’introduire des tech-
Il ne sufit pas que le produit soit bon niques différentes de celles existantes, il
pour être de qualité. Encore faut il qu’il soit faut surtout planiier la production sur une
propre : « Le produit est propre s’il respecte petite échelle, développer le biologique et
la Terre et l’environnement, s’il ne pollue le biodynamique. La désindustrialisation
pas, s’il ne gaspille pas ni ne surexploite de l’agriculture exige un nouveau rapport
les ressources naturelles durant son par- entre l’homme et la nature, un mode de pen-
cours qui va du champ à notre assiette. Si sée plus ouvert à la complexité et doté de
l’on veut utiliser un terme plus technique, tous les instruments scientiiques modernes
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chances et de la méritocratie. Comme le Toutefois le mythe ne s’est pas effondré
dit Ezra Suleiman : « Toutes les sociétés se dans les années soixante dix ! Il a même été
servent de mythes pour créer des « commu- réactivé par les chefs de la Nouvelle Cuisine
nautés imaginaires « et de symboles pour et leurs successeurs médiatisés et surmé-
garantir l’unité nationale. Plus une société diatisés. Les Français rassurés ont donc pu
est fragile, plus le recours à une mytho- continuer de croire à l’excellence de la cui-
logie de l’unité sera important. Cela a été sine française !
le cas tout au long de l’histoire troublée Mais, dans le même temps, un coup fatal
du républicanisme. Moins il est capable était porté au mythe gastronomique par
de répondre aux nouveaux déis, plus le l’industrialisation de la production agricole
besoin de s’y attacher devient désespéré. et alimentaire, qui a creusé l’écart entre
Mais les mythes ne tiennent pas toujours les représentations et les pratiques, entre
face aux changements de la réalité. Vidés les discours et les réalités, entre le mythe,
de leur force symbolique, ils apparaissent auquel on prétend adhérer, et les compor-
alors pour ce qu’ils sont vraiment, sans plus tements quotidiens qui s’en éloignent sans
aucun mystère ni aucune ambiguïté. » [Schi- cesse : aliments service ou aliments prépa-
zophrénies françaises.] rés par l’industrie agroalimentaire, plateau
Au il des années, cependant, les fon- repas, etc. Si bien que les Français se sont
dements du mythe ont été ébranlés. La transformés en consommateurs qui, dans
Haute Cuisine a disparu après la Grande leur immense majorité, achètent les pro-
Guerre, puis ce fut le tour de la cuisine duits de l’industrie agroalimentaire via les
bourgeoise dont le déclin, amorcée dès grandes surfaces. Des produits de grande
l’entre-deux-guerres, a été effectif après la consommation qui entretiennent des rap-
Seconde Guerre mondiale. De plus, avec ports étranges avec la gastronomie.
la « in des paysans » vint aussi celle de Certes, des chefs étoilés conseillent les
la cuisine paysanne, c’est-à-dire de l’une industriels et les aident à élaborer les plats
des sources essentielles de la cuisine préparés qui sont vendus sous leur timbre.
« française ». Mais en dehors du nom et de la photo du
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Il n’y a pas de gastronomie sans produits repas comprenant deux ou trois plats. Par
frais, bio ou pas, achetés de préférence sur ailleurs, en faisant la cuisine on économise
les marchés mais aussi dans les grandes et on utilise au mieux les sommes que l’on
surfaces. consacre à l’alimentation. En effet, les pro-
Il n’y a pas de gastronomie sans une cui- duits préparés ou élaborés, et souvent por-
sine simple à la portée de tous qui privilégie tionnés pour répondre aux besoins d’une
les produits locaux et de saison sans s’inter- clientèle de consommateurs solitaires, coû-
dire tel ou tel produit « exotique » venu de tent chers.
loin. La cuisine ne consiste pas en des trucs et
Pas de dogmatisme ni de terrorisme bio, des secrets de chefs qu’il faudrait apprendre
végétarien, ou autres. dans les livres ou les émissions de télévi-
Pas de gastronomie sans pratique de la sion ; la cuisine s’apprend en regardant faire
cuisine. et en la faisant. Tous les chefs – étoilés ou
Seule la pratique permet de connaître et non – peuvent être pour les Français les pro-
de goûter pour pouvoir parler et échanger fesseurs et les médiateurs du goût.
autour de la table. L’objectif est clair : il ne s’agit pas plus de
Chacun sait qu’en cuisine on fait toujours revenir en arrière à je ne sais quel âge d’or
plusieurs choses à la fois : il est donc parfai- de la grande cuisine bourgeoise que de se
tement possible de préparer dans le temps lancer dans la cuisine moléculaire. Il nous
moyen consacré à la cuisine quotidienne faut inventer une gastronomie pour notre
(autour d’une trentaine de minutes) un temps et pour tous.
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Remerciements
Mes remerciements s ‘adressent à celles et ceux qui m’ont aidé,
à des titres divers, à faire ce livre :
Crédits photographiques
Page 15, George Barbier, Menu pour la Compagnie générale transatlantique, 1922,
pochoir, DR.
Page 25, L’almanach des gourmands servant de guide dans les moyens de faire
excellente chère de Grimod de la Reynière, 1804.
Page 35, Chez Flicoteaux, illustration de Froment, La cuisine des familles, 1905.
Page 37, A. Fourie, Repas de noce à Yport, 1886, Rouen, Musée des Beaux-Arts.
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Un carré Hermes à la gloire
d’une spécialité française.
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