Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
04 - Le Gros Lot - (Quine)
04 - Le Gros Lot - (Quine)
LE GROS LOT
TEXTE FRANÇAIS DE SUZANNE PAIRAULT
ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE
HACHETTE
DU MÊME AUTEUR
dans « La Galaxie » :
Alice et le pigeon voyageur Alice au manoir hanté
Alice au bal masqué
LE VENDEUR EN FUITE
« Au revoir, Letty, au revoir, Ida ! leur jeta Ann. Vous voyez, les
chevaux ne s’étaient pas sauvés. »
Les deux comploteuses déconfites n’arrivaient pas à cacher leur
déception.
« A tout à l’heure ! » leur cria Liz. En s’éloignant, les deux sœurs
rirent de bon cœur de l’expression penaude de leurs camarades.
« Il faut nous dépêcher, dit Ann. Nous avons encore à arranger
nos costumes, pour la petite fête de ce soir.
— Je n’ai pas oublié. » Liz jeta un coup d’œil à sa montre. « Et il
commence à se faire tard. »
Elles n’étaient plus bien loin de Penfield, heureusement, et en
moins d’une demi-heure elles arrivèrent au collège. Les chevaux
remis au palefrenier, les deux sœurs remontèrent en courant dans la
salle d’étude attenante à leur chambre. Une lettre se trouvait sur la
table.
« C’est de tante Harriet ! s’exclama Ann, en la saisissant pour
regarder l’écriture. Comme c’est curieux qu’elle nous écrive quand
elle sait que nous devons rentrer dans un jour ou deux !
— Elle a peut-être quelque chose d’important à nous dire. »
Ann déchira l’enveloppe et les deux jeunes filles lurent la lettre
ensemble. Comme toujours, tante Harriet commençait par dire
qu’elle était en bonne santé et espérait que ses nièces étaient de
même.
« Je suis sûre, continuait-elle, que vous vous rappelez ma vieille
amie de pension, Mme Elizabeth Flower. Depuis la mort de son mari,
elle habite Rocky Corner, mais en ce moment, elle passe quelques
jours près de moi. La pauvre Elizabeth a eu un gros ennui ; elle était
assez riche, vous vous souvenez peut-être que son mari lui avait
laissé un beau domaine, mais maintenant elle a presque tout perdu.
Elle a vendu le domaine qui représentait la plus grande partie de sa
fortune, et le produit de la vente devait suffire à lui assurer une vie
confortable. Malheureusement, le paiement a été fait entre les mains
de M. Gerrin, l’agent immobilier de Rockville. Or, si nous savons tous
que M. Gerrin est parfaitement honnête, on ne peut pas en dire
autant de son assistant, Ed Carrillo. »
« Encore lui ! s’exclama Liz.
« Carrillo, poursuivait tante Harriet, a disparu ; il a emporté non
seulement tout ce qui avait déjà été payé par les acquéreurs du
domaine, mais tout l’argent du loyer qui aurait dû être versé au
compte de Mme Flower. Evidemment, celle-ci ne reste pas sans rien,
mais la perte de cet argent est un rude coup pour elle. Je crains qu’il
n’y ait pas grand espoir de retrouver Carrillo, mais M. Gerrin fait son
possible pour découvrir le misérable et le forcer à rendre l’argent, s’il
ne l’a pas déjà dépensé. »
Tante Harriet donnait encore d’autres nouvelles mais rien qui
intéressât les deux sœurs autant que celle-là.
« Quelle chance que nous ayons vu Carrillo, cet après-midi !
s’écria Ann. Oh ! j’espère qu’on pourra le rattraper ! Nous avons bien
fait de téléphoner immédiatement chez M. Gerrin. Mme Flower
finira peut-être tout de même par retrouver son argent.
— Et nous, nous finirons par ne pas avoir de robes pour ce soir si
nous ne nous y mettons pas tout de suite », dit Liz en cherchant dans
le placard les vêtements qu’elles avaient décidé de transformer.
Pendant une demi-heure, elles s’occupèrent à arranger deux
costumes qu’elles avaient déjà portés à la dernière fête du collège.
Puis elles entendirent dans le vestibule une voix perçante : celle de
leur ennemie Letty Barclay.
« … et elles ont filé de l’auberge sans payer leur déjeuner ! disait
Letty.
— Pas Liz et Ann ? demanda une autre voix, qui était celle de leur
amie Evelyn Starr.
— Bien sûr que si ! Je suppose que tu les en crois incapables ?
— Absolument ! répliqua Evelyn. Ann et Liz ne feraient pas tort
d’un sou à qui que ce soit.
— Eh bien, si tu n’appelles pas malhonnête de partir sans payer je
ne sais pas ce qu’il te faut.
— Mon Dieu ! s’exclama Liz horrifiée. Ann, est-ce que tu as payé
cet aubergiste ?
— Non, j’ai pensé que c’était toi qui t’en occupais.
— Et maintenant Letty et Ida vont le raconter dans tout le
collège ! Oh ! je donnerais n’importe quoi pour que ce ne soit pas
arrivé ! »
Un moment plus tard, elles entendirent du bruit dans le vestibule.
Puis une voix appela :
« Elizabeth et Ann Parker ! »
Liz ouvrit la porte toute grande. Letty, Ida, Evelyn Starr et un
groupe d’autres pensionnaires étaient rassemblées dans le corridor.
Doris Harland accourait vers la salle d’étude des deux sœurs. « Tu
nous appelles, Doris ? »
La nouvelle venue semblait mal à l’aise. C’était une amie des
sœurs Parker et elle faisait à contrecœur la commission que
Mme Randall, la directrice du collège, venait de lui donner.
« On vous demande au bureau, dit-elle. C’est sûrement une
terrible erreur. »
CHAPITRE III
A LA FERME DARROW
Une des jeunes filles ricana. Depuis quelques jours, Letty faisait
de mystérieuses allusions à son prochain séjour chez le comte, mais
personne n’y avait cru.
« Mon Dieu ! mais nous voilà un personnage ! railla Doris
Harland. L’aristocratie, une interview… Est-ce que c’est un vrai
comte ?
— Ou un conte à dormir debout ? ajouta Ann Freeman.
— Si vous voulez voir l’invitation, répliqua aigrement Letty, vous
pourrez constater que je ne mens pas. »
Elle exhiba une feuille de papier impressionnante, gravée
d’armoiries. Les jeunes filles l’examinèrent avec respect. La lettre,
signée par le comte Salame, invitait Letty à passer les vacances de
Pâques à New York.
Letty savourait son triomphe. « Comme il n’arrive pas tous les
jours, expliqua-t-elle, que des jeunes filles de Starhurst soient
invitées dans l’aristocratie, Miss Darrow a été chargée de
m’interviewer. »
Peu après le déjeuner, comme Miss Darrow et Mme Randall
avaient terminé la visite du collège, Letty fut convoquée dans le
bureau. Son plaisir d’ailleurs, fut de courte durée. L’interview ne
dura que quelques minutes. En sortant de chez la directrice, Miss
Darrow s’approcha d’un groupe où se trouvaient Liz et Ann Parker.
« J’ai appris, dit aimablement Miss Darrow, que vous aviez à
Starhurst deux jeunes détectives remarquables. Je serais très
heureuse de faire leur connaissance.
— Vous voulez dire les sœurs Parker ? intervint Evelyn Starr. Eh
bien, les voici, en chair et en os. Vous devriez faire un article sur elles
dans votre journal.
— Un article sur nous ! s’exclama Liz très embarrassée. Oh ! n’en
faites rien, je vous en prie !
— Pourquoi pas ? demanda la journaliste. Une jeune fille
détective, ce n’est pas si commun. Mais êtes-vous de vraies
détectives, ou s’agit-il d’une sorte de jeu ?
— Nous ne le sommes pas vraiment, dit Ann. Le fait est que nous
avons eu de la chance…
— De la chance, rien du tout ! s’écria Evelyn. Elles ont eu
l’habileté de résoudre trois énigmes depuis le début de l’année
scolaire, miss Darrow, et si elles ne veulent pas vous en parler, je le
ferai, moi ! »
Elle raconta brièvement à la journaliste l’histoire de la lampe de
bureau, qui avait révélé les talents de détectives des sœurs Parker[1].
Puis elle parla de l’étrange affaire du professeur d’anglais disparu, au
cours de laquelle les Parker avaient réussi à réunir au Cottage de
l’Arbre Seul toute une famille désunie. Miss Darrow les écoutait avec
un intérêt croissant. Quand Evelyn raconta enfin les aventures de
Josie, l’enfant abandonnée que les deux sœurs avaient trouvée à
l’ombre de la tour et qui avait fini par devenir vedette de cinéma, la
journaliste commença à prendre des notes.
« J’aimerais en savoir davantage sur tout ceci, dit-elle aux deux
sœurs. Malheureusement, aujourd’hui, je suis très pressée.
Accepteriez-vous de venir passer le week-end chez moi ? J’habite
avec ma mère, près de Spring Corner.
— Nous serions enchantées, répondit Liz après avoir jeté un coup
d’œil à sa sœur. Si Mme Randall est d’accord, bien entendu.
— Je vais lui parler. Venez aussitôt après vos cours. Spring Corner
n’est pas loin d’ici et tout le monde au village vous indiquera la ferme
Darrow. J’espère que vous pourrez venir. »
Miss Darrow rentra dans le bureau et revint au bout d’un
moment annoncer que la directrice accordait l’autorisation
demandée. Il n’y avait qu’un seul point noir : Letty Barclay était
invitée également. Les sœurs Parker se seraient bien passées de sa
compagnie pendant le week-end.
« Si j’avais su qu’elle devait venir, déclara Ann après le départ de
la journaliste, j’aurais trouvé un prétexte pour refuser.
— Ce ne sera peut-être pas si mal », dit Liz résignée.
Letty, de son côté, fit une remarque à mi-voix sur « ces parvenues
qui se faisaient inviter là où on n’avait pas besoin d’elles ». Elle était
visiblement furieuse que l’invitation à la ferme des Darrow eût été
étendue aux sœurs Parker.
Cet après-midi-là, au cours de français, Letty fut particulièrement
malchanceuse. Elle n’était pas bonne élève et préparait rarement ses
leçons. Cette fois, son ignorance exaspéra le professeur.
« Je vais vous signaler à la directrice, déclara celle-ci irritée. Je
demanderai qu’on vous garde en retenue pour étudier votre français.
— Mais… mais je suis invitée pour le week-end…
— Votre invitation attendra. »
Au grand dépit de Letty, Mme Randall fit en effet savoir, un peu
plus tard, que Miss Barclay n’était pas autorisée à quitter le collège.
En partant à pied pour Spring Corner, Ann et Liz étaient
d’excellente humeur. La présence de Letty Barclay, elles le savaient,
n’aurait rien ajouté au plaisir du week-end et elles étaient très
soulagées de n’avoir pas à la supporter. Elles trouvèrent la demeure
des Darrow sans difficulté. Ce n’était évidemment plus une ferme
que de nom, car on ne voyait pas de bétail et la terre n’avait pas été
ensemencée. La maison, cependant, était belle et confortable.
Mme Darrow, la mère d’Edith, accueillit les jeunes filles avec
cordialité. C’était une femme d’âge moyen, fort aimable.
LA GARDE DE MINUIT
LA MAISON VIDE
Elle appela, mais il n’y eut d’autre réponse que le bruit monotone
de la pluie sur le toit. En pénétrant dans une des chambres, elle
constata, à la faible lueur de la fenêtre, que le lit était vide, mais qu’il
avait été occupé. La chambre voisine était vide également, mais là le
lit n’était pas défait.
« Peut-être, se dit Ann, Mme Darrow et sa fille sont-elles
descendues au rez-de-chaussée. »
Elle y descendit elle-même. Mais le rez-de-chaussée était désert.
Ann sentit la panique s’emparer d’elle. Qu’était-il arrivé ?
Pourquoi Edith n’était-elle pas retournée à la grange, après le
passage de la voiture ? Et où était la mère d’Edith ?
On frappa violemment à la porte d’entrée. Ann se dirigea en
tâtonnant vers le vestibule. Une silhouette se détachait contre la
vitre.
« Qui est là ? demanda-t-elle.
— Ouvre-moi ! répondit Liz. Qu’est-ce qui se passe ? »
Ann ouvrit, et Liz s’engouffra dans le vestibule avec une rafale de
pluie. Les deux sœurs se trouvèrent face à face dans la pénombre.
« Liz ! Il n’y a personne dans la maison !
— Personne ! s’écria l’aînée, incrédule. Mais où ont-elles bien pu
aller ?
— Tout cela est joliment mystérieux. Je n’y comprends rien.
— Donnons de la lumière. Il leur est peut-être arrivé quelque
chose. »
Liz découvrit un commutateur derrière la porte. Mais, quand elle
le tourna, rien ne se produisit.
« Il n’y a pas de courant.
— Je me rappelle avoir vu une lampe dans la cuisine. Allons la
chercher », suggéra Ann.
Elles se dirigèrent vers l’arrière de la maison, et Liz trouva la
lampe. Après avoir longtemps fouillé dans des placards, elles
découvrirent aussi quelques allumettes.
La lumière jaune de la lampe éclaira une scène de désordre. On
avait tiré tous les tiroirs du buffet et éparpillé leur contenu sur les
dalles. Dans le salon, un spectacle analogue attendait les deux jeunes
filles. Les chaises étaient renversées, le tiroir de la table gisait sur le
parquet.
« Il s’est passé quelque chose d’affreux ! s’écria Liz. Je vais
téléphoner à la police. »
Elle trouva l’appareil dans le vestibule, mais constata bientôt
qu’elle n’arrivait pas à obtenir la communication.
« Regarde ! dit Ann, on a coupé les fils ! »
Les deux jeunes filles se regardèrent sans mot dire. Le mystère
succédait au mystère. On ne pouvait trouver aucune explication
plausible aux événements singuliers de cette nuit sinistre.
Tout à coup, les deux sœurs entendirent au-dehors le bruit d’une
voiture. Par la fenêtre, elles aperçurent les phares dans la cour.
« Ce sont peut-être elles qui reviennent ! » s’exclama Ann.
Toutes deux se précipitèrent vers la porte. A travers la vitre, elles
virent une voiture s’arrêter devant la maison. Deux hommes en
descendirent et s’avancèrent vivement vers la porte.
« Qui cela peut-il bien être ? » murmura Ann dont les dents
claquaient.
Des pas lourds s’approchèrent, puis on frappa fortement à la
porte. Les jeunes filles ne bougèrent pas.
« Allons, ouvrez, s’il vous plaît ! » cria une voix rude.
Liz était très pâle.
« Qui que ce soit, déclara-t-elle, je n’ai pas peur, dit-elle à voix
basse. Qui êtes-vous ? demanda-t-elle plus fort.
— Police ! annonça un des arrivants. Excusez-nous de vous
déranger, mais on nous a signalé un accident d’automobile près d’ici
et nous devons faire notre enquête. »
Les jeunes filles, poussant un soupir de soulagement,
s’empressèrent d’ouvrir la porte. A la lumière de la lampe, elles
aperçurent deux grands gaillards robustes, vêtus de cirés dégoutants
d’eau. Ceux-là, en tout cas, n’avaient rien de sinistre : c’étaient des
individus un peu bourrus, hauts en couleur ; la lumière faisait briller
leurs insignes de métal.
« Que je suis contente de vous voir ! leur dit Ann. Nous avions
horriblement peur. Nous attendions dans la grange… puis un homme
est arrivé… il était blessé… je me suis précipitée dans la maison… il
n’y avait personne…
— Attendez ! attendez une seconde ! dit un des agents en riant.
Pas tout à la fois ! Il faut que je comprenne. Vous dites qu’un homme
est venu ici ? Eh bien, on nous a prévenus qu’il y avait eu un
accident, près de cette maison, et nous sommes venus voir ce que
c’était. Nous courons les chemins depuis des heures sans arriver à
trouver la victime. Enfin, nous avons vu de la lumière ici et nous
sommes venus aux renseignements.
— L’homme est dans la grange ! déclara Liz. Nous essayions de
trouver du secours. Je crois qu’il est grièvement blessé.
— Dans la grange, hein ? Eh bien, allons d’abord le voir ; vous
nous raconterez le reste de votre histoire ensuite. »
Les sœurs Parker conduisirent les deux agents dans la grange.
Maintenant que la police était là, elles se sentaient rassurées. Un des
hommes éclairait la route avec sa grosse torche électrique.
« Vous dites que cet homme trébuchait et qu’il avait l’air
sérieusement blessé ? C’est sûrement la victime de notre accident. Je
voudrais bien mettre la main sur le chauffard qui l’a renversé. »
L’agent ouvrit la porte. Le rayon lumineux éclaira l’intérieur de la
sombre bâtisse.
« Eh bien, où est-il ?
— Là, dans ce coin… Mon Dieu ! s’écria Liz, il a disparu ! »
CHAPITRE VI
ENCORE L’INCONNU
UN MYSTÈRE
LA SUPERCHERIE DE LETTY
UN INDICE SÉRIEUX
LE DÉTECTIVE
LE GAGNANT DU SWEEPSTAKE
UN VISAGE CONNU
LE TROISIÈME PERSONNAGE
SOUS UN DÉGUISEMENT
UN ESPION
DES PREUVES
PRISONNIÈRES
LES MENOTTES
[1] Voir Les sœurs Parker trouvent une piste, dans la même collection.
[2] F.B.I. = Fédéral Bureau of Investigation, service de la Sûreté des Etats-Unis.