Vous êtes sur la page 1sur 13

Cours de Marwan Rashed – Paris IV

Le monde dans
l’antiquité
Ce cours doit permettre d’aborder des thèmes comme « pluralité, unicité du monde », « meilleur des mondes,
théodicée », « auteur des mondes », « mondes possibles », « mathématisation du monde (physique, mathématique) »,
« monde comme objet perceptiviste » (monde comme ce sur quoi nous avons un point de vue) », « éternité du
monde ».

Cosmos, chaos, eros 

Le monde est une construction philosophique qui peut s’opérer de multiples manières. L’histoire de la philosophie
grecque illustre doublement cette proposition : tout d’abord, en ne traitant pas du monde ès qualité (dans les premiers
temps de la philosophie présocratique : le mot manque encore), en s’opposant, en étant le théâtre d’affrontements
répétés sur la question de ce qu’il faut traiter comme monde. La question qui va nous intéresser est la querelle qui
commence au début du 5ème siècle avec Parménide, puis Démocrite, Anaxagore et Empédocle, puis Platon et Aristote
au 4ème siècle. Cette querelle sera structurante dans les systèmes hellénistiques (épicurisme, stoïcisme) et agira
puissamment jusqu’à l’âge classique. Il ne faut pas exagérer les contrastes, c'est-à-dire trop régler la philosophie sur
l’usage des mots et penser que parce que le mot n’existe pas, le monde n’était pas : l’accès des anciens à l’idée de
monde passe par deux notions limitrophes, la totalité (to pan, ta anta) et celle de nature (phusis).
Dans Paideia, Werner Jaeger a essayé de reconnaitre dans ANAXIMANDRE l’inventeur de la notion de monde, qui
sera plus tard désignée comme cosmos en grec. C’est dans un témoignage, le « dit d’Anaximandre » que Jaeger
localise l’apparition du monde, rompant avec la vision hésiodique, archaïque. T1 et T2. Trois idées essentielles :
- Distinction de l’usage du mot cosmos et l’usage de la notion
- Invitation à définir le monde comme l’homogénéité de la règle (entre régularité et normativité)
- Invitation à ne pas interpréter la régularité comme une loi physique au sens moderne du terme mais comme
une norme mondaine, c'est-à-dire comme l’expression d’un rapport éthiquement et théologiquement normé
entre les événements (une norme éthico-théologique et non une loi physique). Le schème n’est pas celui de la
cause et de l’effet physique, mais celui de la rétribution : l’objectif d’Anaximandre est de justifier le tout.
C’est la première doctrine du monde d’après Jaeger : un monde est un tout justifié – un tout où règne la
Dikè.
Ce n’est pas le monde qui appelle à la théodicée, c’est plutôt la théodicée qui permet de déduire que monde il y
a. Au plan philologique, dans la terminologie des premiers penseurs grecs, le verbe diacosmein (mettre en ordre) est
antérieur à l’utilisation du mot cosmos (monde). Diacosmein est d’un usage courant et classique avant que le mot
s’impose. Cosmos s’impose comme le déverbatif, c'est-à-dire qu’on a besoin de créer un substantif au verbe usité,
d’offrir un objet à diacosmein. La théodicée précède le monde, qui pousse à exhiber les conditions de production du
monde.
Guthrie, école de Cambridge : T3. Ces quatre étapes, quelle que soit leur raideur, ont le mérite de laisser entrevoir les
termes sémantiques de la question du monde en Grèce. L’idée de monde surgit lorsqu’on pense le tout comme bien
ordonné, c'est-à-dire exprimant beauté et bonté (étroitement apparentée chez les grecs), khalos legatos. La justice
d’Anaximandre est une façon pertinente de remonter de l’ordre à sa cause : Dikè est une émanation directe de Zeus.
C’est pour cela que Zeus est si important en termes philosophiques, parce qu’il commande la justice universelle. Le
sens (d) est d’une certaine manière le sens actuel : le monde, ou le cosmos, n’est pas forcément en tant que tel
ordonné ; nous ne ressentons pas l’expression « monde aléatoire » ou « monde pourrie » comme un oxymore, ni
« meilleur des mondes » comme un pléonasme. (Attention de ne jamais poser comme évident qu’il y a plusieurs
mondes possibles).
1
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

 Certains grecs ont assumé l’oxymore : ils ont dit que le cosmos était régi par les mécanismes de la fortune.
Certes, certains philosophes grecs placent le cosmos sous la « juridiction » de la fortune, mais avec le sens du
paradoxe terminologique de l’expression.
 D’autres penseurs grecs sont allés plus loin encore, et ont tenu cette thèse pour contradictoire. Platon a ainsi
soutenu qu’un cosmos ne pouvait être, par définition, aléatoire (se différant à des questions modales
essentielles – voir épicurisme et stoïcisme). Pour les tenants de cette thèse, l’expression de « meilleur des
mondes » n’a aucun sens puisque le monde est par définition (au sens fort) parfait, optimal. C’est aussi
absurde de dire que notre monde est le meilleur que de dire que le sommet d’un cône est le plus haut de ses
piques ( ?). L’inintelligibilité confine au non-être : toutes les philosophies qui placent l’eidos au centre de la
compréhension tiendront cette thèse.
Selon Jaager, l’idée de monde est intimement liée à la notion de justice et de justification. C’est dire que la
pensée du monde est une théodicée. Penser le monde, dans ce cadre, c’est le justifier, c'est-à-dire expliquer pourquoi
et comment sa structure est la plus juste, la plus belle, la meilleure possible. Le débat grec sur ce qu’est le monde
dépend ultimement d’un débat préalable portant sur ce qu’on doit considérer comme bon et juste.
Au plan doxographique, il y a deux prétendants au titre d’inventeur de la tradition des sens (b), (c), (d) de
Guthrie, c'est-à-dire de dépassement du sens (a) (ornement, décoration, ordre) :
- Anaximène : le fragment a l’air très inauthentique. T4
- Pythagore : encore une fois, la forme du fragment semble inauthentique. T5. Le doxographe se borne à dire
que Pythagore a nommé « monde » l’enveloppe du tout (« ce qui tient tout autour »), c'est-à-dire le ciel étoilé,
et non l’ensemble de la sphère du monde. En toute rigueur ce fragment ne signe pas une innovation
terminologique radicale, mais la première spécification de ce terme à la « voûte étoilée ». Le point est
douteux ; mais si ce fragment était authentique, on verrait pour la première fois une connexion établie entre la
pensée du cosmos et la structure mathématique de l’ordre du ciel, c'est-à-dire la 1 ère association entre une
régularité mathématique (les trajets astraux) et le monde. Nous y reviendrons, car les partitions d’Aristote et
Socrate (division entre supralunaire et sublunaire) s’inscrivent dans cette verticalité, dans cette ligne, initiée
par cette pensée pythagoricienne.
Dans toute la philosophie présocratique depuis Héraclite, cosmos désigne le monde comme structure ordonnée. Il y
a un débat assez vain chez les philologues sur la question de savoir si l’emploi du terme « cosmos » chez les
présocratiques est contextuel ou propre :
- Contextuel : est-ce que c’est toujours le sens d’ordre, d’ornement, parure qui est prioritaire
- Propre : est-ce que l’on parle déjà de l’univers en tant que tel
Ce débat s’appuie sur un sophisme considérant que le terme peut être employé contextuellement par des auteurs aussi
divers, et sur un arc de temps et un espace géographique aussi grand (un siècle et demi, de l’Asie mineure à la Sicile).
A supposer même que l’usage du terme cosmos soit contextuel, le contexte en question est assez fort pour qu’on perde
dès le 5ème siècle la sensation d’une simple métaphore : on en est venu à penser le monde comme ordre ou ornement
sans y penser. A titre d’hypothèse, on pourrait suggérer l’explication suivante : dans les modèles théogoniques
archaïques, notamment chez Hésiode, l’ordre est conçu comme succédant au chaos (T6). Avant toute chose, il y a
béance, chaos primordial, avant que n’apparaisse la terre et Eros. Nous aurions ici la matrice qui explique
généalogiquement les développements philosophiques ultérieurs, l’insistance avec laquelle les philosophes ultérieurs
ont recours au mot cosmos. La désignation comme ordre ou ornement se comprend très bien comme une
déthéologisation d’Hésiode, qui n’en gomme pas le point de départ philosophique. Avec la philosophie proprement
dite, on ne parlera plus de développement à partir du chaos. Mais on inscrira la réflexion entre deux pôles  : le chaos et
son autre. C’est ainsi que s’explique l’usage contextuel du terme cosmos : le cosmos n’est autre que la parure,
l’ornement, dont se revêt le chaos pour devenir l’univers que nous connaissons. Aristote lui-même écrit au Livre I de
la Métaphysique (T7). Aristote cite le vers central de la Théogonie d’Hésiode ; il interprète la théologie d’Hésiode
comme procédant d’un dualisme entre informité primordiale et organisation ultérieure, produite par une forme
amoureuse. Eros, dans ce schème, devient médiateur entre chaos et cosmos : c’est une leçon qui agira en profondeur
dans la première philosophie grecques. Cependant chez Hésiode, la médiation d’Eros est aussi temporelle (phases) ;
dans la philosophie, et son geste d’autonomisation réside en ce point, cette médiation est conceptuelle et non plus
temporelle. Autrement dit, le chaos n’est plus un état chronologiquement primitif voué à être dépassé  ; il est plutôt un
arrière-plan permanent du monde sur lequel l’ordre imprime ses motifs. C’est ainsi que s’explique l’intérêt de Platon
au début du Timée pour la cosmogonie égyptienne (Athéna égyptienne, déesse Net), qui, plus que toutes les autres,

2
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

représentait la victoire quotidienne de Ra contre les forces de l’informe. A terme, le cosmos des philosophes se
ramènera à ceci : une mise en forme ou l’organisation toujours renouvelée d’un désordre perpétuel.

Parménide, Démocrite, Empédocle

La combinaison du cosmos et du chaos devient un enjeu philosophique, et c’est en terme d’information de l’indéfini
ontologique primitif que se pose la question.
Parménide : unicité absolue de l’étant. L’étant de Parménide est une sphère unitaire, immobile, atemporelle ; une
sphère physique complètement murée dans son unité, sa solitude, sa complétude. C’est l’intuition première
d’Anaximandre qui est radicalisée. On a un projet de théodicée physique ou cosmologique qui tourne court dans
l’extrémisme de Parménide, qui pousse l’idée de Justice à son extrême absolu, qui est l’unité pure, l’absence totale
d’altérité. Si le facteur d’altérité est toujours chaos, le monde, pour en être l’opposé, c'est-à-dire pour être seulement
être, sera être et seulement être – ce qui est le leitmotiv du Peri phuseos de Parménide (Sur la Nature). Dikè ne
s’exerce plus sur l’être et le non-être interne au monde, mais tranche entre l’être et le non-être, qui tombe du côté de
l’impensable. Se demander ce qu’il y a en dehors de la sphère est mal posée, puisque le discours ne peut porter sur le
non-être. Il faut souligner qu’il s’agit pourtant bien d’une physique : on ne peut pas soutenir une interprétation
néoplatonicienne de Parménide (monde comme diakos).
La cosmologie de certains successeurs de Parménide visera à aménager une voie moyenne entre le caractère radical de
Parménide et le maintien de l’autre.
L’atomisme de Leucippe et de Démocrite  : Sur le rapport à l’éléatisme de Parménide des atomistes, Aristote T9.
Aristote va montrer comment leur système procède d’une lecture intelligente de l’éléatisme et faire l’éloge des
atomistes (contre Platon), qui ont donné tous ses droits à la physique. Aristote explique l’atomisme comme une
combinaison des exigences rationnelles de l’éléatisme et des exigences de l’évidence perceptive. Aucune opposition
entre raisonnement et perception : la position de Leucippe est une conciliation. Il y a un sceau éléate qui frappe toute
la cosmologie ultérieure. Il faut néanmoins ajouter que la différence entre ces deux systèmes est telle qu’Aristote ne
pêche pas ici par excès/caricature. Tout réside ici dans le parallèle entre l’Un (ensemble du monde) et l’atome. L’Un
devient atome et est multiplié à l’infini ; reconnaissance du principe selon lequel il n’y a pas de mouvement sans vide.
Le mouvement présuppose le vide pour avoir un lieu où s’exercer. Cette physique de l’infime dicte la conception =
cosmos comme amas d’atomes s’agrégeant les uns aux autres et susceptibles d’engendrer des mouvements ordonnés
récurrents. Il y a autant de monde dans l’infinité de l’espace que de systèmes anthropiques où el mouvement s’exerce
lui-même. Il y a un nombre indéfini de mondes, de nébuleuses, de galaxies, où le mouvement s’engendre lui-même
dans sa régularité. La conception atomiste du monde conserve l’idée d’un ordre s’imposant sur fond de chaos primitif
(Parménide et Anaximandre) ; la vraie différence est dans la façon qu’ils ont de mettre au 1 er plan la pluralité. Il n’est
plus consubstantiel à la notion de monde d’être unitaire (caractère unitaire interne). Chez Parménide, le monde est
unique et unitaire. Ils pluralisent l’ordre. Ce système est purement mécaniste (pas de hasard à proprement parler  :
équivalence cause pleine / effet entier) : un monde a quelque chose de plus qu’un ensemble de particules régies par
des choses. Il y a deux types de récurrences dans les mondes démocritéens : l’embryologie et les calculs astraux :
cycles des générations et cycles cosmiques, dont la cyclicité est la résultante de chocs initiaux, qui produisent des
régularités qui ont la particularité de s’auto-engendrer. Il y a donc régularité et prévision, mais impossibilité ou refus
d’une providence surplombant les mécanismes réguliers (c’est ce que reprochera Platon). La question se résume donc
au stock de matière disponible.
Empédocle : Lui aussi adapte, comme les atomistes mais dans un sens différent, les exigences rationnelles des Eléates
aux apparences. Empédocle conçoit son univers comme cyclique, avec l’influence deux principes moteurs : l’amour
ou l’amitié (philia, philotes), la haine (leikos). Le conflit éternel entre l’amour et la haine produit l’alternance de
phases de dissociation et d’association. Comment les choses se passent-elles ? Comme chez Parménide, l’univers est
unique et sphérique. La haine (leikos) se tient sur le pourtour externe de la sphère du monde, tandis que l’amour se
tient dans la région centrale du monde. De leur interaction procède les associations et dissociations des 4 éléments  :
feu, eau, air, terre. Tels sont les personnages du drame cosmique d’Empédocle. Il y a un bref laps de temps où il y a
une dissociation absolue, et les 4 éléments sont rangés en 4 ceintures concentriques dans le monde (cf. ordre des
ceintures cosmiques d’Aristote), et la haine qui est partout présente dans la sphère du monde sauf en son cœur, où
l’amour est confiné. C’est à ce moment de l’hégémonie totale de la haine que l’amour recommence à s’accroître, et
progressivement repousse la haine vers l’extérieur. A mesure que l’amour repousse la haine vers l’extérieur du monde,
des mélanges biologiques se produisent. C’est la zoogonie de l’amour, qui se produit de la manière suivante : l’amour
produit des membres biologiques isolés, puis des créatures composées de plusieurs membres, puis le processus
3
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

d’unification avançant une unité cosmique toujours plus grande. A son paroxysme, le monde est une unité parfaite des
4 éléments, et la haine est repoussée à l’extérieur du monde. S’ouvre alors une période caractérisée par l’unité pleine
et entière du monde sous l’égide de l’amour. Cet état d’unité parfaite est divin : un Dieu est produit, dénommé
Sphairos, sphère unitaire, qui dure un certain laps de temps, jusqu’à ce que la haine reprenne l’offense et introduise de
la pluralité et de la division dans la sphère parfaite du monde. L’unité se fissure, des différenciations s’opèrent : des
créatures asexuées (scission des hermaphrodites) sont peu à peu produites, divisant de plus en plus en allant vers le
centre. Nous vivons les derniers temps de l’expérience de la haine, dans la division, en attente de la résorption de toute
chose en particules.
Au vers 267, Empédocle décrit comme « cosmos » (« monde unifié ») ce sphairos, cet état d’unification totale. Ordre
même, beauté même du moment d’unité totale du monde. T10. L’argument est parménidien : on va décrire comme
cosmos le moment où la sphère est parfaitement unitaire, c'est-à-dire le moment où le monde est parfait, parménidien,
ressemble à la sphère de Parménide. Quel plus bel ornement pour le monde que l’unité totale, c'est-à-dire le moment
où le monde rejoint la simplicité éléate ? C’est en ce sens qu’Empédocle amende Parménide : oui, il y a une unité de
l’étant, mais il faut aussi faire la part de l’altérité, qui se déploiera dans la zoogonie de l’amour croissant et la
zoogonie de la haine croissante. Cette histoire rappelle le mythe d’Aristophane dans le Banquet de Platon, où Platon
joue avec Empédocle. L’intuition générale d’Empédocle est qu’il faut attribuer la production du monde au principe
surplombant (bien qu’interne) qu’est l’amour/l’identité/ le lien harmonique entre les êtres, atteignant son paroxysme
dans la fusion totale, la résorption dans l’unité et au principe de l’altérité. L’unité éléate est devenue un moment du
cycle du monde.
On a donc deux adaptations de l’unité éléate :
- L’un éléate finissant dans l’atome démocritéen
- L’adaptation démocritéenne où l’Un finit comme Un cosmique, non plus isolé spatialement comme chez
Démocrite, mais isolé chronologiquement, c'est-à-dire dans les phases du cycle cosmique d’Empédocle.

Platon : le parricide de Parménide dans le Timée

Sophiste de Platon : l’étranger, qui est le porte-parole de Platon, évoque l’apparence d’un parricide à l’encontre de
Parménide (qui considérait l’Un comme une sphère unique). Voir T13, T14.

Selon Xénophon, Platon se serait détourné des recherches sur le cosmos : T11. Pour certains historiens, sans doute à
tort, l’extrait suggère que l’usage cosmologique du terme cosmos n’était pas encore en vigueur ; pour d’autres, le
terme « cosmos » dans son acception cosmologique appartient à l’idiome des philosophes.
Platon lui emboite le pas quand une telle recherche est menée pour elle-même, par simple souci de polymathie (qui est
l’un des défauts sophistes). T12 : Socrate dans le Phédon dit qu’il a été pris d’une merveilleuse espérance en entendant
parler d’Anaxagore et de son explication du monde, espérance qui a été déçue. L’erreur serait de voir dans ce texte
une critique de la cosmologie sous toutes ses formes. Un texte important du Gorgias nous invite à plus de nuances :
T13.
Opposition entre la brutalité de Calliclès et la sagesse dérivée de la connaissance du cosmos. Une doctrine du cosmos
se loge ici : elle est indissociable du lien proportionnel entre les hommes et les choses. C’est la géométrie qu’exprime
ce rapport que Calliclès ne prend pas en compte. Une moyenne arithmétique est toujours rationnelle, tandis qu’une
moyenne géométrique en général ne l’est pas, car il suffit que le produit a x c ne soit pas un carré, pour que b ne soit
pas une quantité rationnelle (ne soit pas une fraction). C’est donc, dans l’ontologie mathématique grecques, une
grandeur et pas un nombre : cette proportion est géométrique (elle fait ressortir une grandeur et pas un nombre, alors
que dans le cas de la moyenne arithmétique il n’y a pas de nombre irrationnel). La conclusion est la suivante : si
Platon ne rejette pas la cosmologie mais propose un discours sur le monde, c’est tout simplement qu’il s’estime
dorénavant capable de rendre la tâche dont Anaxagore s’était montré incapable, c'est-à-dire montrer que le monde est
le cosmos est le fruit d’une intelligence (nous, intellect). La tâche de la cosmologie est de montrer que notre
monde est celui qu’une intelligence aurait nécessairement engendré.
Cf. La notion de « mythe vraisemblable » dans le Timée : dans la notion de eikos muthos (mythe ayant semblance) il
y a une idée déontique de ce qu’une chose, pour répondre à sa fonction, se doit d’être (au sens de « choix
4
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

vraisemblable »). Le mythe vraisemblable = « je vais raconter l’histoire conformément à ce qu’elle doit être ». Le
cosmos vraisemblable, c’est celui qu’une intelligence aurait produit, donc celui qu’une intelligence a produit. La
nécessité telle qu’on en voyait l’expression dans le texte de Xénophon voit son sens se transformer radicalement entre
le pré-socratisme « matérialiste » et la nécessité platonicienne, c'est-à-dire la nécessité déontique qui est au cœur de la
notion d’eikos muthos (ce qui est imposé par des critères déontiques) = passage de la caractéristique même de
mécanisme à la nécessité du monde. En ce sens, Platon n’a pas du tout l’impression de trahir Socrate, mais plus
probablement d’avoir maintenant à sa disposition les outils mathématiques nécessaires pour mener à bien le projet
socratique, qui à y bien réfléchir n’est pas si antithétique avec la physique présocratique, en ce sens que la physique
demeure une théodicée – et cette idée n’a jamais quitté le socratisme platonicien. Lu dans cette perspective où l’on fait
jouer au texte du Gorgias son rôle, le démiurge du Timée n’est autre que la personnification du nous. Cette nouvelle
cosmologie tout entière réglée sur un principe intelligible d’optimum, répond avec des moyens mathématiques
nouveaux au problème d’Anaximandre.
Le problème demeure la question de la dikè, à l’intersection des trois modèles : l’unité éléate, l’antagonisme haine et
amour d’Empédocle, l’anti-providentialisme de Démocrite.
Section consacrée aux 5 grands genres qui permettent la scission de l’ontologie parménidienne (introduire l’Autre
dans le discours). Ce passage est encadré par deux textes qui mentionnent un parricide. T14 : « Notre défi à
Parménide nous a lancé bien au-delà des limites posées par lui… ». L’Un parménidien est une sphère physique ; une
cosmologie extrémiste (de l’unité pure) : le Timée est le véritable accomplissement de ce parricide, car il opère la
véritable division de la sphère du monde, une division réglée, accomplie selon les exigences du nous (intellect) :
pluralité réglée, altérité réglée dans la sphère. C’est l’accomplissement physique, cosmique du parricide de
Parménide, qui était annoncée dans le Timée. Elle exhibe l’égalité géométrique négligée par Calliclés : c’est le
cœur du Gorgias (texte à travailler). Il ne s’agit pas seulement de rendre compte, dans un projet physicaliste, des
phénomènes (Aristote), mais de rendre compte des phénomènes en tant que l’on doit établir via ces phénomènes, ou
en eux, que la dikè peut se réaliser ailleurs que dans l’Un. Les figures rationnelles de la géométrique sont des formes
d’unité : l’unité n’est pas concevable seulement comme l’unité brute et massive éléate, mais il y a une égalité plus
fine, qui se déploie dans le monde. Cette unité profonde de l’analogie géométrique (A/B = B/C), c’est l’unité véritable
qui préside au cosmos. Platon écrit sur le corps du monde (voir d15) : « Il faut en effet qu’advienne au milieu un terme
d’un certain type qui les rassemble… Et celui qui rend un au plus haut point, cette analogie le plus bellement le
réalise ». Le Timée suivra le déploiement de la proportion : le monde n’est pas pure unité, mais division ordonnée de
la sphère ; nous suivons les traces d’Empédocle contre Démocrite. Il s’agit en effet d’opérer comme chez Empédocle
une partition ordonnée, d’introduire de l’autre dans le même en conservant la sphère parménidienne (on la pluralise,
on l’altère). Comme Empédocle, on introduit une puissance démiurgique productrice de l’unité (c’était chez lui la
philia, Aphrodite, Harmonia) ; on construit le monde à partir des quatre racines que sont l’eau, le feu, l’air et la terre,
c'est-à-dire les quatre éléments et l’amitié (lien analogique, proportion géométrique). Calliclés n’a pas saisi
l’importance de cette amitié. Platon se distingue toutefois d’Empédocle : en dépit de l’apparition de personnages
empédocléens est anti-empédocléen car il procède à une évacuation de la haine du paysage cosmologique. Deux
différences avec Empédocle donc  : 1) l’amitié est conçue en termes géométriques, comme proportion, et la haine
disparait.

Les mathématiques jouent un rôle crucial dans le dispositif de l’ensemble. Ce sont elles qui structurent le
sensible, c'est-à-dire assurent la médiation entre les Idées et les éléments sensibles.

Il faut repartir du Parménide et des apories contre l’idée que le sensible soit limitation de l’intelligible. Platon expose
la difficulté logique posée par la Participation logique du sensible aux Formes. On la retrouve dans La République
et le Phédon (période intermédiaire de Platon), qui s’en tiennent à un dualisme assez fort entre l’intelligible et le
sensible. Les apories du Parménide = l’admission par Platon de la difficulté au cœur de sa doctrine. Le Timée semble
reprendre ce cadre ontologique dualiste de la période intermédiaire en affirmant d’entrée de jeu, dès le début du
monologue de Timée, la distinction entre sensible et intelligible, modèle et copie, éternité et devenir . Voici
comment débute le récit de la cosmologie : T16. Au frontispice du discours de Timée se retrouve cette opposition.
C’est à partir de cette dualité que le démiurge se réglera pour produire, par imitation de ce modèle de l’être qui est
toujours, le monde. Cet acte procède de la bonté du démiurge : T17. De ce modèle intelligible, il imite la beauté et
la perfection, c'est-à-dire la cohésion parfaite et l’harmonie.
Le vivant intelligible ainsi constitué est unique (unité totale de ses constituants) : il n’y aurait aucun sens à supposer
l’existence de « deux mondes ». Attention : ne pas parler de monde intelligible pour Platon. C’est sur ce non-sens
que se fonde la preuve de l’unicité du monde : T17, démonstration de l’unicité du monde.

5
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

Pour démontrer l’unicité de notre monde, cette preuve invoque la disjonction du sensible et de l’intelligible
impliquée par le rapport d’original à copie. Est-ce une preuve délibérément imparfaite (comme dans le Phédon il y
a des fausses preuves de l’immortalité de l’âme) ? Dès lors que l’on remarque que le démiurge se tient à mi-marche
entre le ciel intelligible et le vivant sensible, cette thèse ne tient plus. Le problème du rapport entre le démiurge et les
mathématiques serait intéressant à travailler, mais il suffit de dire que le démiurge se tient dans une zone intermédiaire
qui n’est pas aussi vide qu’il pourrait sembler.
Monologue de Timée divisé en 3 sections :
1. Les œuvres du Bien
2. Les œuvres de la Nécessité
3. Bien et Nécessité
Dans la 2ème section, on a un texte important. Deux éléments majeurs  :
- On discerne une pique anti-démocritéenne fondée sur un jeu de mot bien repéré depuis l’antiquité. L’adjectif
apeiros (sans limite + inexpert, incapable) : « des mondes apeiron, il faut être un homme apeiros pour le
soutenir ». Pourquoi tant de mépris ? Parce que Démocrite refuse de voir dans l’univers le résultat d’une
providence.
- Possibilité admise par Platon qu’il y ait 5 mondes. Platon nous dit : il faut être très intelligent pour admettre
qu’il y a un monde et pas cinq ; il admet donc qu’il y est plus intelligent de croire en 5 mondes plutôt qu’en
une infinité. Comment l’expliquer ? T19 : emphase, mystère dont Platon nimbe son discours. Conclusion : Les
5 mondes putatifs seraient ces niveaux ontologiques hiérarchiquement subordonnés les uns aux autres :
1) Corps sensibles
2) Solides mathématiques
3) Géométriques
4) Surfaces deux niveaux supérieurs que Platon préfère taire car il faut être « aimé des dieux » pour les
connaître : nombres de l’arithmétiques
5) Paradigmes, vivants intelligibles.
 Après avoir proposé dans la 1 ère partir du monologue une preuve de l’unicité du monde qui faisait surgir au 1 er plan
les apories parménidiennes, Platon propose une 2 nde preuve de l’unicité du monde profondément ancrée dans ce qui
constitue le cœur de ses intérêts dans le Timée. Thème central de la généalogie qui marque de son empreinte le
Timée : monde comme schème généalogique, infiniment plus compliquée que les théogonies, puisqu’il s’agit de la
généalogie du réel lui-même. A la preuve de l’unicité succède la preuve verticale de l’unicité.
Preuve 1 :
Si : Monde intelligible unique
Alors : Sensible (copie) unique
Problème = résoudre la fracture entre intelligible et sensible.
Preuve 2 :
Monde 1
Monde 2
Monde 3
Monde 4
Monde 5
 Refuser une division verticale, c'est-à-dire considérer ces strates comme autant de mondes. Mise en question de la
fondation généalogique de la cosmologie.
On peut envisager la structure ontologique du réel sous deux aspect : soit en considérant chaque strate comme
irréductible mais complémentaire ; soit en ayant un regard supérieur pour voir comment ces 5 strates conspirent pour
former un monde parfait – ce qui résout l’aporie fondatrice du début du monologue  : Platon prend acte qu’il faut
6
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

expliciter les médiations entre sensible et intelligible. Le moç nde devient « l’hyper-monde » (à ne pas utiliser dans
une copie) qui englobe sensible, modèle absolu, et entité mathématique = un monde qui pour en être véritablement un,
c'est-à-dire pour vérifier les requisits qu’impose la notion très contraignante de monde, suppose que l’on comprenne
comment conspirent les différentes strates du réel.
NB : Analogie avec le vivant ? Les formes totales de ce vivant intelligible sont probablement les « Idées
nombres », c'est-à-dire la capacité qu’ont les nombres de vivre de leur vie propre et de se combiner. Les
formes (les idées) sont des vivants partiels ; le vivant intelligible = l’ensemble de tous ces vivants partiels, de
même que le monde sensible est l’ensemble de tous ces vivants que sont les lignages et les individus. Monde
biologique qui est le nôtre = une image d’une construction mathématique. Mathématisation du biologique
contre laquelle réagira Aristote en déployant une biologie non mathématique en refusant le « mélange des
genres ».
Le vivant total = le modèle.

Le combat anti-démocritéen de Platon

 Types de sujet : monde comme théâtre, monde comme représentation.


Toute la construction du Timée prend soin de distinguer le modèle du démiurge de celui du peinte. Les peintres imitent
le créé, succombent à la beauté sensible. Timée lui-même donnera une représentation du monde fondée sur une
métaphysique en surplomb. C’est le perspectivisme de Démocrite que Platon rejette.
Le plus beau texte sur le perspectivisme de Démocrite par Aristote dans le De Generatione (I, 2) : T24.
Le modèle démocritéen est pensé sur le modèle pictural de l’époque. Platon a perçu les dangers idéologiques de cette
théorie illusionniste et perspectiviste de la peinture. Ce perspectivisme (l’assemblage des atomes donne un apparaître
sans être derrière) a été perçue par Platon comme une doctrine totale, épistémologique, politique et éthique. La
substitution de l’atomisme pauvre du Timée (enrégimenté par les formes les plus parfaites de la géométriques) à la
jungle exubérante doit être comprise non pas comme une simple décision de physique, mais comme une décision
ontologique radicale engageant le sens des différents systèmes.
Sophiste, 235c : Platon divise l’art des images en un art de la ressemblance et art de l’illusion. Le sophiste maîtrise, se
complet dans l’art de l’illusion, tandis que le philosophe saura maîtriser l’art de la ressemblance. C’est essentiel pour
comprendre l’art du Timée comme art de la ressemblance. L’art de la ressemblance se définit :
1. L’art de la ressemblance respecte la submetria de l’objet (symétrie des grandeurs + harmonie, c'est-à-dire
proportionnalité, ou la commensurabilité). Il s’agit de la proportion géométrique négligée par Calliclés.
2. L’art de la ressemblance est indépendant du point de vue
3. L’art de la ressemblance est producteur d’objets beaux aux yeux de l’élite (c'est-à-dire du philosophe)
Sophiste 267c : les objets communs à tous ceux qui manipulent le logos et au législateur sont la justice et la vertu. Ces
deux notions sont fondées sur l’art de la mesure, métron. Cette mesure est fondée sur une connaissance mathématique
des proportions, et Platon est très sévère à l’égard de l’illusion picturale. Il dénonce la « peinture ombrée ». Le lieu
privilégiée de cette Skiagraphia est le décor d’arrière scène du théâtre athénien (représentation des frontons des
temples).

Platon envisage l'art mimétique, dans Le Sophiste (et non dans le livre X de La république) en ces termes: il
distingue l'eidolon et le fantasma, la copie et le simulacre:
Copie : Imitation d'un modèle (paradigma) qui considère ce qu'est le modèle en lui-même. Elle est posée
exclusivement eu égard à ce qu'est le modèle, indépendamment du mode de son appréhension: « la technique qui
consiste à faire des copies est surtout évidente, lorsque quelqu'un, tenant compte des proportions du modèle en
longueur, largeur et profondeur, respecte en outre la couleur appropriée de chaque chose ».
Simulacre : Imitation d'un modèle qui prend en compte ce qu'est le modèle pour celui qui l'appréhende. Il est
posé eu égard à l'être qui l'appréhende, en prenant en compte ce qui paraît du modèle pour celui que le perçoit: le
spectateur aura l'impression d'être en présence de ce qui est imité; cette impression est payée au prix de l'altération des
7
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

dimensions du modèle. Les proportions sont donc modifiées. « Si ceux qui produisent ou dessinent des œuvres
monumentales reproduisaient les proportions réelles des choses vraies, tu sais bien que les parties supérieures
paraitraient trop petites et les inférieures trop grandes ».

Cf. Panofksy et dispute sur la théorie du point de fuite. Il y a une construction géométrique autre que celle de la
Renaissance. La production de la profondeur existait dans l’antiquité : Démocrite et Anaxagore ont réfléchi sur ces
possibilités de produire l’illusion. Une belle image ne transforme pas la vérité, elle est indépendante du point de vue
du spectateur ; théorie mathématique à l’arrière-plan.
C’est exactement cet illusionnisme pictural que Platon réfute dans ses textes sur la skiagrapha : l’illusion est une
façon de s’asservir au spectateur (naturalisme), de prendre modèle sur le sensible au lieu de fixer son regard sur le
vivant intelligible.
C’est là le contexte de la critique profonde de la démocratie comme théâtrocratie : T26. « Le public du théâtre,
qui jadis ne parlait pas, s’est mis à parler, comme s’il s’y entendait pour savoir ce qui est beau ou pas… ». Il ne s’agit
pas seulement de dire que l’assemblée s’est assimilée au théâtre : il incrimine l’illusionnisme des décors d’arrière-
scène.
Démocrite, Anaxagore : « les phénomènes sont l’apparences des choses obscures ». C’est pour justifier les
phénomènes et leur variété que Démocrite postule une variété infinie d’atomes, qui développe une idée perspectiviste
de la vision (c'est-à-dire un ensemble de traits et de couleur), vision constitutive de notre rapport au monde. Le
trompe-l’œil est pour Démocrite une bonne image du réel. Le statut du spectateur, c'est-à-dire de l’individu
démocratique, est souverain et dicte la perspective du réel.
Inversion avec Platon : Platon aussi dans le Timée développe un atomisme, mais orienté à l’inverse de celui de
Démocrite. Les formes des atomes seront drastiquement réduites (il n’y a que des solides réguliers) et le travail du
physicien-philosophe sera de justifier non pas les apparences démocratiques, mais la causalité supérieure du démiurge.
Un texte consacré au principe permet de préciser cette idée : T27. Le texte justifie la réduction des atomes aux quatre
solides réguliers (carré, tétraède, etc.) ; ce n’est jamais dicté par le réel physique : l’argumentation est puisée dans
l’idée de beau et de meilleur. Les critères de la sélection des figures tiennent à la considération des principes
supérieurs, c'est-à-dire des raisons numériques (les rapports des angles des triangles, avec la condition d’un angle
droit), indépendamment de leur capacité à expliquer le réel. Ce qui est plus beau = les triangles qui produisent un
triplet de nombres. Le Timée est donc la mise en place d’un atomisme antidémocritien. Cette œuvre est une
cosmodicée : non une justification de Dieu, mais du monde (au sens du sensible ; le monde est justifié si l’on montre
qu’il est celui qu’une intelligente parfaite et bonne a informé (en plaçant des nombres dans le chaos).
≠ D’une théodicée de type leibnizien : Leibniz = expliquer en quoi ce monde est le meilleur, digne de son créateur qui
est dès lors justifiable.
Platon prouve que le démiurge a donné forme au monde sensible le moins mauvais possible et ce pour que ce monde
sensible là participé à la réalisation de « l’hyper-monde » qui est cette fois le meilleur possible au sens leibnizien. Le
sensible est en quelque sorte une donnée déficiente de départ, et le travail du démiurge est d’informer le sensible pour
que sa déficience immédiate soit maximalement sauvé. On veut sauver le sensible pour créer cet hypermonde le plus
parfait possible, c'est-à-dire une réalisation parfaite de l’être déployé sur ces cinq strates.
L’opposition à Démocrite sur la question des phénomènes, du monde, est total. Platon rejette le perspectivisme
pictural, le perspectivisme politique (règne du point de vue des membres du demos), le perspectivisme ontologique
(que ce soit notre appréhension du sensible qui dicte notre appréhension du réel). Dans les trois cas, Platon rejette la
parcellisation aléatoire de l’Un parménidien au profit d’une partition réglée, c'est-à-dire mathématico-dialectique.

Théodicée platonicienne

Mal il y a chez Platon : il n’est pas dans une stratégie d’élimination, comme notion mal formée, du mal. Trois textes à
connaître : T28, T29, T30.
T30 : Les lois, X. Platon écrit : « L’univers est plein d’une foule de bonnes choses, mais plein aussi de choses qui en
sont contraires… ». Idée claire du mélange entre les bonnes et mauvaises choses. L’univers, respectant la juste mesure
8
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

(puisque l’humain est peu de choses comparé au tout de l’univers sensible, marqué par ses régularités astronomiques
et biologiques impressionnantes). Le dieu des Lois n’est pas tout puissant. Le paradoxe du mal n’est pas humainement
insoluble : ce sont les conditions mêmes de déploiement du meilleur qui présuppose qu’il subsiste un jeu dont le mal
tire profit. La tradition tardive a rapproché le mal de la dyade (principe de dualité), et ce n’est pas forcément absurde
s’il faut voir dans cette dyade un rapport à l’étendue amorphe à l’intérieur de laquelle la forme se déploie. Le mal
serait la condition d’informe pour que la définition même de forme ait un sens. Le mal, c’est non pas la matière
(comme on le lit souvent sous la plume d’auteurs chrétiens : triade matière/chair/péché), mais c’est bien plutôt
l’étendue informe (le principe d’extension en tant que tel informe) nécessaire pour que la limite et la forme
advienne. La « matière » du Timée (la chora, le territoire) n’est que le lieu de déploiement des solides géométriques
en mouvement. Un monde, c’est une limite qui prend place dans une étendue, qui informe une étendue.
T31 : texte où l’on transcrit le direct au style direct que le démiurge prononce devant des démiurges de rang inférieur.
Le démiurge crée une image de l’éternité qu’est le ciel en mouvement, les planètes pour nous permettre le décompte
de ce mouvement céleste, puis 4 types de vivants qui vont occuper chacune des strates cosmiques. Il s’adresse à des
démiurges inférieurs (corps célestes responsables de la production des vivants sensibles inférieurs). Le démiurge
fournira la part divine des autres animaux ; ses dieux célestes auront pour tâche d’incorporer les vivants au monde et
de les accueillir quand ils seront morts.
T32 : au discours indirect, le démiurge s’adresse aux corps vivants sensibles. Le démiurge associe une âme à chacun
des astres (correspondance âmes/ étoiles). Une fois ces âmes installées sur ces astres fixes, le démiurge leur montre la
nature du tout et leur dit les règles qui présideront à leur distinct. Chaque règle exprime un aspect de la démiurgie
eschatologique :
1) Egalité
2) Humanité
3) Masculinité
4) Incorporation (voué à s’incorporer dans un cors)
5) Destinée (voué à subir des épreuves du corps)
Le point important est de comparer cette règle générale de la métempsychose (en fonction de la vie que l’on aura
vécue, on se transformera en un vivant correspondant) avec la description particulière des métempsychoses qui
apparait à l’extrême fin du Timée en T34 (dégradation des êtres humains). On peut comparer la description du monde
telle qu’elle est voulue par le démiurge (T35) : Dieux célestes (feu) + 3 strates inférieures, chaque strate animale
correspondant à une ceinture cosmique élémentaire particulière (air, terre, eau). Si on compare ce plan général du
démiurge avec la fin du Timée, on voit des similitudes (étagement) sans qu’ils soient complètement superposables. On
part d’un statut initial, primordial qui est celui de l’homme masculin à partir duquel se produisent les femmes, les
animaux (suite de dégradation). Le démiurge a besoin de deux choses : étagement des êtres dans le monde, ne pas être
directement responsable de la production de toutes ces créatures (trop imparfaites pour dépendre directement de lui).

 Structure du Timée : on a besoin au plan de l’être, pour réaliser une structure analogique parfaite, de diviser la
sphère de Parménide ; mais le démiurge ne peut produire ces dégradations qui ont quelque chose d’éthiquement
vicieux. D’où une séparation des tâches : le démiurge crée l’être du monde, et laisse soin aux êtres inférieurs de les
réaliser par le devenir. Refus par Platon de la nécessité conditionnelle, au sens où il refuse de considérer comme
véritablement nécessaire ce qui advient au moment où il advient (≠ Aristote). Platon refuse d’appliquer l’opérateur
modal à ce qui advient pour réserver la nécessité à son plan d’adéquation véritable, qui est le plan de l’être ; la
nécessité, dans le Timée, c’est ce que le monde doit être. Les genèses (c'est-à-dire la suite des générations) relèvent des
nécessités en un sens très faibles, très dégradé, des mécanismes matériels.

Isomorphie triple du Timée entre monde / cité / organisme vivant (cf. macrocosme / microcosme). On peut
appliquer cet argument sur l’opposition être et devenir, qui met en jeu la noiton d’optimum et de réalisation de
l’optimum aux considérations de Platon sur la cité.
Deux textes sur le microcosme :
- Corps humain1 : T36. Platon nous décrit la construction démiurgique de la tête humaine. L’idée leibnizienne
est claire : le membre parfait c’est la tête sphérique, mais comme les démiruges sont bons, ils ont composé
avec l’imperfection du monde sensible pour que les hommes puissent se déplacer = optimum (dégradation de
la forme pour la réalisation des fins rationnelles ayant présidé à la production de la tête sphérique).
1
Timée = biologie humaine, une page à la fin du Timée pour les femmes, l’oiseau, les reptiles.
9
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

T37 : les démiurges ont produit un optimum (par calcul), entre finesse et protection. Ce schème d’optimum est
omniprésent dans le Timée. Le but n’est pas seulement de permettre la viabilité et l’éternité de l’espèce, mais
de permettre à l’individu d’exploiter son intelligence. Le corps de l’homme est fait pour faire exister l’intellect
dans le sensible.
- T38 : Le modèle du corps biologique rejoint le corps civique . Toute la description de cet ensemble est faite de
manière urbanistique, c'est-à-dire que Platon décrit ce haut du corps comme une cité parfaite, en comparant les
différentes parties de l’organisme de l’homme à 4 zones urbaines : la tête est l’acropole, le cœur est les
casernes, les poumons sont les bains des soldats, le foie est le théâtre (théâtre apprivoisé dans le sens Des Lois,
organe de propagande pour l’Acropole). La morale de l’histoire est évidente : une cité qui n’aurait que
l’Acropole correspondrait au devoir-être ; mais de même qu’un corps humain qui ne contiendrait qu’une tête
ne sserait pas viable. Chora = territoire national, lieu où s’articulent différentes fonctions permettant au corps
suéprieur d’exercer son activité.
Distinction des périodes platoniciennes :

 Première période : tactique de réfutation dialectique, Elenchos et socratisme


 Deuxième période : ontologie marquée du sceau des mathématiques.
Y a-t-il rupture ? En réalité, c’est toujours le même projet appuyé par un appareillage mathématique de plus en plus
pointu. C’est le sens véritable de l’interdiction du suicide dans le Phédon : se suicider reviendrait à abandonner le
sensible lui-même, à refuser de voir que le monde qui englobe l’intelligble et le sensible est unique. C’est le sens
profond de la théorie platonicienne du monde, et c’est ce qui explique ce déploiement de l’optimum dans le Timée
(pour rendre le sensible le plus intellectuel possible). Le philosophe est un guerrier de l’intelligible, il est à la frontière,
sa tâche est de rendre le sensible aussi conforme à l’intelligible que possible, de prêter main forte au projet de
cosmodicée démiurgique.

10
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

Question de l’apocatastase (éternel retour).

Cyclicité, ouverture du monde de l’antiquité à l’âge classique


Timée, T1 : postule une « Grande année », c'est-à-dire la période de temps au bout de laquelle l’ensemble des astres,
qui se meuvent à des vitesses différentes, retrouvent la même position relative (soleil = un an, lune = 28 jours). Platon
ne dit pas mot ici sur la récurrence du particulier : le seul retour du même qui fait l’objet de son propos est celle de la
configuration astrale. Même si on ne peut pas modéliser l’ensemble des trajectoires astrales, du moins nous pouvons
comprendre qu’au bout d’un certain temps, correspondant au PPCM de ces périodes, toutes les planètes se
retrouveront dans la même position relative. Nous sommes loin de la thématique stoïcienne qui est celle d’une identité
de l’ensemble des situations particulières d’un monde donné. Chez Platon, il ne s’agit que des positions astrales
relatives.
Le premier à aborder le thème du retour du particulier  est ARISTOTE qui consacre à ce problème le dernier § du traité
Sur la génération et la corruption : T2. Retour numérique (= individuellement) par opposition au retour spécifique
(chaîne des générations).
Aristote et Platon = refus de considérer le sublunaire comme objet de science, de régularité et de permanence. Il n’y a
pas de de science du particulier chez Aristote. Cosmologiquement, Aristote est proche de Platon à ceci près  que les
motivations cosmologiques de Platon n’ont rien à voir avec les motivations spécifiques d’Aristote. Quand Platon
construit l’univers en 4 sphères concentriques pour réaliser le plus beau des mondes, c’est un geste philosophiques
incompréhensible si l’on ne voit pas que les 4 sphères, sous le signe du Bien, s’opposent à la Haine d’Empédocle ; ce
n’est pas le même motif chez Aristote.

Cependant pour P et A le plan d’existence n’est pas le singulier, le particulier. Ce qui constitue le monde c’est le
déploiement de l’eidos ; le point de concrétion ontologique maximal c’est le spécifique (eidos comme forme
c'est-à-dire de la perception comme œil de l’âme, ou espèce) = idée d’intuition dans les ontologies de l’eidos
(forme spécifique, forme mathématique). On ne peut pas intuitionner le particulier eidéiquement, c'est-à-dire
épistémologiquement. Pour pouvoir déployer une épistémé, il faut une forme, un eidos, qui est l’objet de la
science.

Ce n’est qu’accidentellement qu’un individu est constitutif du monde. Les individus peuvent être constitutif au plan
matériel – ma chair est une parcelle du monde, mais cette thèse est une nullité philosophique : dans mon
individualité, je ne suis pas constituant formel du monde. Le platonisme et l’aristotélisme ne légifèrent pas sur
l’individu.
La question est : comment a eu lieu la rupture ?
Le 1er pas est franchi par les stoïciens, qui pour la 1ère fois intègrent le particulier comme constituant du monde, avec la
théorie de la qualité particulière (idios olon), c'est-à-dire une marque qui n’appartient qu’à soi, une détermination
formelle qui signe ce que je suis : c’est la conformation de l’âme au moment où elle est véritablement constituée à
l’instant de la naissance. Il y a dans ce geste stoïcien de recentrement de l’ontologie sur le particulier un tournant dont
l’influence se fera sentir jusqu’à l’âge classique.
Sur la question de l’apocatastase :
On peut citer deux textes :
- LACTANCE, T3
- NÉMÉSIUS, T4 : « Il y aura encore Socrate, et Platon, et chacun des hommes, avec les mêmes amis et
concitoyens… »
Supposons que les astres aient une influence décisive sur nous à notre naissance ; alors il y a correspondance bi
univoque entre la position du sujet et la configuration des astres ; cette correspondance explique l’idios olon de chacun
d’entre nous, c'est-à-dire des singularités prenant place entre deux conflagrations.
La théorie du monde des stoïciens donne une extension importante du champ de la Providence, passant du plan
de l’espèce (aristotélisme, providence globale qui fait l’éternité des espèces) au plan précis où la Providence atteint les
11
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

arcanes des individus. L’individu intégrera la Providence. Cette théorie extrême de la Providence des stoïciens, qui
s’étend aux individus en tant qu’individus (et non en tant qu’il est un homme). Cette théorie d’un nouveau genre a
appelé une réponse des aristotéliciens, et c’est dans son commentaire perdu au Traité de la Génération et de la
Corruption, rapporté par deux commentateurs qu’Alexandre d’Aphrodise a répondu à ses rivaux. La réponse procède
en deux temps :
1) Accorder sa prémisse à l’adversaire et détruire la conclusion : cette prémisse ne permet pas d’inférer cette
conclusion. Il admet qu’il puisse y avoir retour à l’identique de la matière et de la cause agente (dieu, le nous
qui parcourt la matière) ; mais il ne s’ensuit pas, de la superposabilité entière de deux Socrate, de leur identité.
Même si nous avons deux fois le même monde, il ne s’ensuit pas de là que Socrate n et Socrate n+1 car
l’identité personnelle suppose que la forme de l’individu agisse comme un continuant, c'est-à-dire permette
que l’on considère l’objet comme identique parce que tous ses états sont liés par un continuant = la forme.
« Car cet être n’est pas un et identique en vertu du fait d’être composé des choses identiques, mais en vertu du
fait de perdurer en restant identique avant et après » : l’intermittence de la forme implique la non-identité de
l’être.
2) Attaque d’Alexandre ; ici Alexandre n’accorde pas la prémisse, c'est-à-dire la configuration astrale identique,
la « Grande Année ». L’aristotélisme devient ici néo-aristotélisme. T6. Alexandre est trop aristotélicien pour
s’appesantir sur le modèle qu’il vient d’inventer contre les stoïciens = modèle d’un ciel qui ne revient jamais à
l’identique. Alexandre dénie la Grande Année, mais ne développe jamais un système fondé sur cette
cosmologie ou temporalité ouvertes. Refus de constituer le monde à partir du particulier épistémiquement.
Cette brèche qui conduirait à trop statuer sur le particulier menacerait l’eidos.
Le tournant, c'est-à-dire le moment où les aristotéliciens vont intégrer le particulier dans leur ontologie a lieu avec
Avicenne (an 1000), un des grands métaphysiciens et fin connaisseur d’Alexandre. Il va véritablement développer
l’idée séminale d’Alexandre dans une direction qui va énormément influencer ses successeurs latins et modernes.
L’intuition de base est une théorie proto-leibnizienne de l’optimum du bien dans le monde (« le système du bien
dans le monde »), qui correspond à un optimum de type leibnizien, qui prend le particulier en compte (VS
aristotélisme authentique). Le Bien présuppose une certaine disposition des individus. Point de départ cosmologique
d’Avicenne : le monde est le meilleur des mondes au plan générique, spécifique et individuel. Il est un
émanationniste convaincu (tout s’enchaine à partir du 1er principe) : une 1ère cause est Dieu, de cette cause émanent
des causes inférieures, jusqu’à ce qu’on arrive au cosmos sensible, matériel, dirigé par les périodes astrales. Avicenne
est un déterministe convaincu : tout s’enchaine vraiment, il n’y a rien dans la création qui ne soit pas la conséquence
de causes supérieures. Avicenne va si loin qu’il considère que nos choix et nos volitions sont déterminés par une
causalité supérieure : « Tous les états terrestres émanent des mouvements célestes, jusqu’à nos choix et nos volitions,
qui sont nécessairement des choses qui se produisent après n’avoir pas été ». T8 : « Le premier est l’acte premier,
divin, un, au-dessus de tout, d’où tirent leur être les objets décrétés ». Il ne peut y avoir de retour du même dans une
ontologie des continuants. Postule un déterminisme radical s’exerçant jusqu’au choix.
Argument de l’incommensurabilité des périodes astrales , garante du fait que jamais une configuration ne se
reproduira : Avicenne considère les vitesses angulaires et fait l’hypothèses qu’elles sont incommensurables au sens
mathématiques (mettent en jeu des irrationnels), alors il n’y a pas de PPCM des configurations astrales, et il n’y aura
jamais de retour du même. La découverte des irrationnels en Grèce = découverte que le rapport des côtés à la dialogue
du carré n’est pas un rapport de nombre (2 n’étant pas considéré comme un nombre). Avicenne bâtit son rejet sur
l’incommensurabilité astrale. Le geste cosmologique d’Avicenne est d’introduire l’irrationalité et
l’incommensurabilité au cœur du cosmos aristotélicien et ptolémaïque. L’idée d’Avicenne aura un immense écho dans
l’Occident latin (13ème et 14ème siècle).
On retrouve cette idée chez Joannes Dun SCOTT et chez Nicole ORESME :
- Scott déploie la même théorie qu’Avicenne. Dans un carré, si un point se déplace sur un côté, et un autre point
sur la diagonale, les deux points ne se retrouveront jamais ensemble sur le même point de départ, étant donné
l’incommensurabilité des deux segments.
- Oresme : « Il semble que pour cette raison plus agréable, plus parfait et plus conforme à Dieu que la même
chose ne se répète pas un si grand nombre de fois » : si Diue peut varier la mélodie à l’infini, il est indigne de
lui qu’il répète sans cesse la même.
Le monde est déterminé par une logique émanationniste. L’incommensurabilité offre de manière subtile une sorte de
voie de négociation de l’obstacle déterministe fataliste : certes, en dernière instance, l’incommensurabilité des
périodes astrales est contrôlé par les étages supérieurs de l’émanation ; mais ce déterminisme a quelque chose
12
Cours de Marwan Rashed – Paris IV

d’ouvert, il n’est pas aussi clos, scellé, qu’un fatalisme brut, du fait même de l’incommensurabilité. C’est l’idée nodale
du recours de Leibniz aux incommensurables.
Le problème de la Grande Année n’a pas laissé Leibniz indifférent dans L’horizon de la doctrine humaine et
L’apokatastasis universelle (La restitution universelle). Le dernier texte sur lequel nous nous appuierons concerne
directement notre propos. L’idée de Leibniz est qu’il y a une bijection entre le monde et l’annale (qui est une façon
d’aborder le monde) qui rend compte, qui décrit le monde. L’idée géniale de Leibniz est qu’au lieu de considérer
l’annale comme le reflet du monde, on peut se servir de la structure formelle de toute annale possible pour comprendre
le monde. Au lieu d’en rester à la possibilité d’une description d’un monde, Leibniz applique la calculabilité de
l’annale au monde.
Lieu principal de la tension sur le monde, deux textes qui disent la même chose :
- Dans le 1er état textuel, Leibniz décrit de manière combinatoire, calcule la Grande Année, en calculant la taille
maximale du livre décrivant un monde = part de la combinatoire des phrases pour déterminer la durée de la
grande année. La grande année est calculable à la façon dont l’annale est calculable. Voir : Fichant,
introduction. Leibniz ne met pas en cause cette bijection entre le monde et l’annale. T12.
- Dans le 3ème état textuel. La reformulation par Leibniz de cette thèse radicale sera totale. Après l’exposé du
calcul combinatoire, Leibniz introduit une modification cruciale : nous sommes ramenés au labyrinthe de la
liberté, qui est évidemment, dans cette ouverture de l’histoire, à l’horizon de toutes les lectures antiques et
médiévales. C’est dans l’infinité actuelle du continu que la liberté humaine peut prendre place. Association
étroite de la question de la liberté et de la grandeur continue : le continu n’est pas calculable, et c’est pour
cela qu’il reste toujours un résidu irréductible qui ne peut pas être pris en charge pas l’annale. La liberté se
loge dans cette possibilité qu’offre le continu de donner lieu à l’incommensurabilité ou l’irrationalité.
Dialogue effectif sur la liberté de l’homme et sur l’origine du mal : « Il est visible que cette incommensurabilité n’est
pas un mal que Dieu ne puisse point produire (…) ». La suppression de Leibniz menaçait de faire retomber dans le
fatalisme spinoziste : pour échapper à la tenaille Spinoza, il charge l’incommensurabilité / l’irrationalité son principe
radical, y compris dans l’esprit de Dieu. Il y a une différence de nature comme la commensurabulité de deux lignes et
l’incommensurabilité : même si Dieu a une puissance intellective infinie, il faut pour lui qu’il y ait une différence de
nature.
Chez Leibniz, le labyrinthe de la liberté finit toujours par se dissoudre dans le continu : on reste sur cette pensée de
l’incommensurabilité, qui vient du MA. Voir : Recherches générales, p. 341, crucial sur nécessité / contingence et
liberté, au cœur de la législation du monde : « Mais la connaissance de la géométrie et l’analyse des infinis m’ont
donné cette lumière…. ». La liberté, qui est liée à la contingence chez L, prend place dans cette zone d’indistinction
qui est une forme et qui est réfractaire à toute détermination, y compris de Dieu = point où l’on commence à parler
d’individualité. L’incommensurabilité est réfractaire à toute détermination exacte, finie, de la part de Dieu. C’est non
point par une matière mais par l’essence même de l’irrationalité que le mal et la liberté existent. T15.
Leibniz est-il un médiéval ? Non : parce que l’argument qui est dans son fond identique, c'est-à-dire loger la liberté
dans l’incommensurabilité, le continu (sans lequel nous serions dans le fatalisme spinoziste)  ; mais cet argument est
dorénavant détaché de la cosmologie aristotélicienne et ptoléméenne qui était son cadre. El monde de L = la structure
de langage et le rapport du langage à l’histoire, c'est-à-dire l’annale. L a libéré la thématique du retour du même dans
le monde de la cosmologie pour en faire un argument purement formel.
NB : Vœu pieux : idée d’un progrès, principe d’ordre qui régit les séries des êtres contingents.

13

Vous aimerez peut-être aussi