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Hubert le violoniste

C’était il y a longtemps, Mortroux en ce temps-là, n’était qu’un tout petit village, une
église et quelques maisons de pierres ou de torchis avec des toits de paille dispersées
de-ci, de-là du ru d’Asse. C’est dans une des ces maisons que vivait Hubert Delcour, le
meunier de moulin blanc.
Il avait femme et enfants et il trimait jour et nuit pour élever sa petite nichée, car la vie
était dure, et notre homme avait un violon. Il allait encore bien, après journée jouer
dans les fêtes et les banquets pour faire danser les jeunes filles et les jeunes gens et
gagner quelques sous.
Un jour d’hiver, il avait été engagé pour aller jouer chez un riche marchand de vaches
du pays de Charneux qui mariait sa fille avec un marchand de chevaux de par là.
Quand la fête fût finie, comme tout le monde s’était bien amusé, la femme du vacher le
paya avec une belle pièce d’argent et comme pourboire, elle lui donna encore au moins
une douzaine de petits pains qu’Hubert enveloppa dans un grand mouchoir rouge noué
aux quatre coins. Dans les grands bois qui, en ce temps-là courraient tout le pays de
Charneux et Mortroux la bise soufflait à la cime des arbres et la neige gelée crissait sous
les sabots de l’homme qui marchait à grandes enjambées, la caisse à violon sur le dos
et les paquet de petits pains sous le bras.
Il marchait depuis tout un temps déjà tout en se réjouissant de retrouver bien vite la
chaleur du coin du feu quand tout d’un coup, il s’arrêta…
Du fond du bois montait un long hurlement… Les loups ! … Hubert n’était pas un
peureux et pourtant, il frissonna. Il savait, pour l’avoir entendu raconter, plus d’une fois
par les promeneurs, que celui qui esseulé dans les bois rencontre ces bêtes-là est un
oiseau pour le chat.
Il allait reprendre son chemin, quand derrière lui, sous la neige gelée, il entendit comme
une ruée.
Déjà, les loups avaient retrouvé sa trace et ils accouraient rapidement.
Comme il était encore souple, sans faire ni une, ni deux, il grimpa sur le chêne qui était
le plus près de lui.
Quand il fût monté sur le tronc, il risqua un coup d’œil sous lui.
Au pied du chêne, une ribambelle de grands loups tournait fiévreusement.
Les plus enragés, en grommelant, essayaient même de grimper à l’arbre et, à la clarté
de la lune, leurs yeux brillaient comme des étoiles.
Hubert soupira, pour le moment, il n’était plus en danger, bien collé contre une
branche, il n’avait plus qu’à faire le mort en attendant que les loups perdent patience,
aillent ailleurs pour chercher leur souper.
Après bien longtemps, Hubert, que le froid raidissait eut une idée.
Une à une, il laissa tomber les miches avec l’espoir que, cette fois-ci, les loups rassasiés
le laisseraient tranquille et sans hésiter couraient dans leur trou.
Les laides bêtes, tout en se mordillant, ne firent qu’une bouchée avec les miches.
Puis, sans se presser, ils se rasseyaient au pied de l’arbre.
Cette fois-ci, le pauvre Hubert comprit que bien vite ce serait fini de lui (ou bien son
compte serait…réglé). Il n’avait plus aucune chance de revoir sa femme, si gentille, ni
ses braves petits enfants. Tôt ou tard, à moitié gelé, il allait tomber au pied du chêne et
il serait mangé par les loups.
Tout tremblant, il grommela une prière à Hubert son saint patron qui était un homme
des bois et qui devait bien connaître un remède dans pareils cas. « Grand Saint Hubert »
pria-t-il, « si vous me gardez des loups, je mettrais au pied de ce chêne-ci une croix de
pierre. Je pourrais même bâtir une petite chapelle ou bien si vous le voulez une église
ou même une cathédrale. » Il leva les yeux au ciel mais il ne vit que la lune qui brillait et
des étoiles qui brillaient. Saint Hubert comme tous les braves gens devait bien dormir à
cette heure.
L’homme perdait tout espoir. Il n’irait donc jamais plus dans les fêtes avec son violon
qu’il aimait tant et tristement, il se dit : « pourtant, je vais encore jouer un petit morceau
avant de mourir ». Avec ses mains toutes raides de froid, il prit son violon et tout
doucement, il se mit à jouer. Aux premières mesures, les loups tendirent les oreilles, les
poils de leur nuque se dressèrent et tout en grommelant il se regardèrent l’un l’autre
tout effrayé. De toute leur vie de loups, ils n’avaient entendu, dans les bois, crier une
bête pareille. Sans s’attarder plus longtemps, la queue dans le derrière, remplis de peur,
ils se sauvèrent d’un seul coup. Après un moment, Hubert se laissa descendre de
l’arbre. Tout en titubant, il redescendit vers Mortroux et il ne fût apaisé que quand il
retrouva au bord du ru dAsse, sa petite maison à toit de paille. Ainsi finit l’histoire que
j’ai voulu vous raconter. Ah oui, mais ce n’est qu’une fable, me direz-vous… Et pourtant,
si un jour, tout en vous promenant au pays de Charneux, vous vous arrêtez, au bord
d’un chemin devant un fort vieux chêne qui se dresse là tout seul bougez un peu les
ronces et les buissons qui poussent à son pied, et si vous y voyez une petite vieille croix
de pierre toute de travers, vous saurez que c’est là, par une nuit d’hiver, il y a de cela
fort longtemps, que Hubert Delcour, le violoniste de Mortroux, faillit bien près, d’être
mangé par les loups.

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