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Mélanges de la Casa de

Velázquez

Adlan (1932-1936) et le surréalisme en Catalogne


M. Emmanuel Guigon

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Guigon Emmanuel. Adlan (1932-1936) et le surréalisme en Catalogne. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 26-3,
1990. pp. 53-80;

doi : https://doi.org/10.3406/casa.1990.885

https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1990_num_26_3_885

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ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME
EN CATALOGNE

Par Emmanuel GUIGON


Membre de la section scientifique

La date, nous la connaissons au jour près : c'est le 23 octobre 1932 que


fut créée à Barcelone l'association ADLAN (Amies de l'Art Nou), et c'est
par un tract diffusé à cette occasion que le groupe fit connaître ses
principales ambitions :

ADLAN
un grup d'amies obert a totes les noves inquietuds espirituals
adlan us interesa
1. si sou un temperament disposât a seguir la trajectôria de les arts d'avui.
2. si acolliu amb respecte (seleccionant amb passiô) tot esforç vers l'inconegut.
3. si manteniu l'esperit lliure damunt els dogmes i valors entesos.
4. si voleu marxar al ritme de les descobertes de l'esperit actual (al costat de les
descobertes de l'enginy).
5. si voleu posar una antena receptora a les ultimes manifestacions en totes les arts.
6. si voleu lluitar a favor d'un art totalitari d'acord amb les aspiracions universals del
moment.
7. si voleu salvar el que hi ha de vivent dintre el nou i el que hi ha de sincer dintre
l'extravagant.
adlan us crida
per a protegir per a donar escalf a tota manifestaciô de rise que comporti un desig de
superaciô.

Le premier comité directeur, composé de trois membres actifs élus, était


constitué de Joan Prats, Eduard Montenys et Daniel Planes, ces deux
derniers ayant été rapidement remplacés par Joaquim Gomis et Josep Lluis
Sert dont les mandats durèrent jusqu'à la guerre. Faisaient également partie
des membres fondateurs les principaux rédacteurs de L'Amie de les Arts
(J.V. Foix, Lluis Montanya, Sebastià Gasch), des artistes (Mirô, Dali, Angel

Mélanges de la Casa de Velâzquez (= M.C. V.), 1990, t. XXVI (3), p. 53-80.


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Ferrant, Robert Gerhard), des galeristes (Montserrat et Nuria Isern,


propriétaires de la galerie Syra) et la plupart des architectes du GATCPACl
dont les locaux, au 99 du Passeig de Gracia, furent aussi le siège social
d'ADLAN. Le lieu de naissance, nous le connaissons tout aussi précisément :
c'est dans les salons du Gran Café Colon de la Plaça Catalunya, devenu à la
fin des années vingt le centre d'une tertulia connue sous le nom de els
surréalistes, que se retrouvaient chaque lundi les futurs «amis de l'art
nouveau» et que la nouvelle association fut donnée. Guillermo Diaz-Plaja a
laissé dans ses mémoires une description de l'ambiance qui régnait dans ce
cercle d'amis que fréquentaient également, lors de passages à Barcelone,
Ramôn Gômez de la Serna, Garcia Lorca et Giménez Caballero : «Todos
convinimos en que, después de las gesticulaciones futuristas y ultraistas, el
surrealismo conteniaun mayor carga de posibilidades estéticas [...]. Deno-
minar a nuestra tertulia 'grupo de los surrealistas' ténia, pues, un cierto
sentido definidor de nuestra estimaciôn por esta importante posibilidad de
invenciôn de mundos»2. Parmi les habitués du Café Colon, ajoute Diaz-
Plaja, «el manifiesto de Breton corria de mano en mano».
Ni «école», ni «mouvement», mais un groupe d'amateurs d'ailleurs fort
hétéroclite, ADLAN fut de toute évidence touché par la «grâce surréaliste»,
sans toutefois lui donner l'exclusive. «En començar, ADLAN féu constar,
que no defensava especialment cap tendència, uns que acollia tots els
assaigs, divergets i oposats, perô honesta d'investigaciô estètica» 3. Le ton fut
donné dès la première exposition, le 23 décembre 1932: un «Concurs
d'objectés de fira» au local L.T.C. du Turô Parc de Barcelone. L'événement
fut commenté quelques semaines plus tard dans le journal La Publicitat,
dont les pages littéraires étaient alors dirigées par le poète J.V. Foix4:

1. Le GATCPAC, Grup d'artistes i tècnics catalans per el progrés de l'arquitectura


contemporània, fut fondé en 1929 par Josep Lluis Sert, Josep Torres Clave, German
Rodriguez Arias, Antoni Bonet et Sixte Yllescas.
2. Guillermo Diaz-Plaja, Memorias de una generation destruida, 1930-1936, Barcelone,
1966, p. 73-74. Joan Prats (1891-1970) avait d'abord proposé d'appeler la nouvelle
association «Club de les esnobs». L'acronyme ADLAN fut sans doute choisi en référence
à l'association «Amies de l'Art Veil» créée en 1929 avec pour objectif «la conservaciô del
patrimoni artistic del nostre pais». Sur Joan Prats et les «Amies de l'Art Nou», on
pourra consulter le numéro monographique de la revue Cuadernos de arquitectura,
Barcelone, n^79, 4e trimestre 1970.
3. «ADLAN en la Radio». Note anonyme publiée le 7-V-1936 dans La Publicitat.
4. GER, «Miscellània literària», La Publicitat, 6-1-1936. GER est, avec Focius et Ramon
N. Giralt, l'un des pseudonymes utilisés par Foix pour signer diverses chroniques qu'il
publiait régulièrement dans La Publicitat : «Miscellània literària», «El Correu d'avui»,
«Els Lloms transparents», «Itineraris» et surtout «Meridians». Reprenant une tradition
inaugurée par Eugenio d'Ors dans La Veu de Catalunya avec son fameux «Glossari de
Xenius», ces notes de Foix, toujours très informées, constituent une véritable mine de
documents de première main concernant notamment la réception du surréalisme en
Catalogne.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 55

De gauche à droite : Marti Font, J.V. Foix, Sebastià Gasch, Lluis Montanyà, Josep Carbonell,
Federico Garcia Lorca, Salvador Dali et Magi A. Cassanyes.

«Miscellània literària per GER»


«ADLAN». Adlan sembla reaiment el nom d'una nova marca de motorisme. Té l'aire
simpàtic i la fonètica ràpida d'una cosa esportiva. Amb un punt i tot d'aparença banal,
que li escau perfectament.
Darrera d'aquest nom, perô, hi ha un grup de persones sélectes, que tenen el bon gust
de no fer ostentatio de la seva cultura i de les sèves intellectuals adicions. Interessades
d'una manera apassionada per totes les manifestacions de l'art i de la literatura novells,
segueixen un programa pie d'audàcia, perô al mateix temps d'una discreciô elegant.
Fà poc que Adlan (Associaciô d'Amies de l'Art Nou), celebrava una curiosa exposiciô
d'objectés de fira i de «camelotte», d'un interès mes profund del que pugui semblar a
primera vista, d'un color i d'una simplicitat meravelloses.

Bien que l'accent ait été mis dans le tract inaugural sur la défense de
l'art moderne, bon nombre des activités du groupe, à l'image de ce concours
de colifichets, relèvent d'une pratique essentiellement ludique et éphémère,
ce qui explique qu'elles aient laissé si peu de traces, nous obligeant à ne
retenir que des bribes. Au cours de quatre années vont se succéder des
expositions de «dessins de fous» (à la Societat Catalana de Psiquiatria), de
«dessins d'enfants» (à la galerie Catalonia), de jouets et de sifflets de
Majorque (ces siruelles typiques et bariolés qu'aimaient collectionner Prats
et Mirô), une présentation de l'art des «primitifs d'aujourd'hui» et une
excursion à Tarragone pour voir les sculptures d'un paysan. Faute d'un
manifeste à proprement parler ou d'une revue spécifique qui aurait été
l'organe officiel du groupe, voilà qui nous indique son véritable programme
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d'intentions: ADLAN ne se contente pas de promouvoir une nouvelle


avant-garde, il se propose de réévaluer des domaines inaperçus qui, en
l'occurrence, se situent en dehors des circuits artistiques traditionnels,
derrière les murs des asiles, en Océanie ou au cœur de la forêt amazonienne,
dans les objets les plus quotidiens. On ne saurait trop souligner à quel point
tous ces «alentours» de la peinture ont également constitué un exemple
privilégié pour le surréalisme à sa naissance, en ceci qu'ils témoignent d'une
authenticité totale et débordent des diverses modes artistiques.
Dans le même ordre d'activités, on peut citer une Exposiciô de mal gust
dont l'existence nous est connue par un carton de convocation à une réunion
préparatoire, le 21 février 1934. Le 20 juillet, Marti Font — un critique d'art
membre d'ADLAN — faisait paraître dans La Publicitat un article sous le
titre «De l'automatisme en l'art popular», vraisemblablement écrit dans la
lancée de cet événement peu convenu :

Multitud d'objectés que s'executen i fabriquen en nom de l'art son sovint inexpressius
i freds, i els que contenen menys substància poètica.
L'expressiô artistica no esta regida per cap dogma. Es el misteri vital, personalissim,
fet plastic.
Aixi ens explicarem perfectament que certs objectes indiferents, sense proposar-nos-
ho, ens emocionin i ens evoquin mes coses ells tots sols que no pas una part de la
producciô de certs artistes professionals [...].
Entre els petits objectes n'hi ha una multitud fascinadora, especialment entre els
titllats de mal gust. Res de comparable a la sorpresa experimentada quan entren a casa
d'una familia menestral que la darrera generaciô ha venerat tots els presents i records.
Us fan entrar a la saleta del piano, la quai esta atapeïda de figuretes, coixins per a
agulles, fotografies millorades dels ascendents. Es, véritablement, un moment de misteri

Alguns aparadors exhibeixen mostres d'aquesta plàstica singular. Algunes pastisseries


de certs barris tenen l'exclusiva del pastell «Modem Style», obra de confiters «inspirats»

Tot plegat es obra dels petits enamorats de les petites coses. Homes que han passât
llur vida en la contemplaciô d'un pastell, d'una gàbia, d'un rètol de vaqueria. Poesia
popular nascuda a l'atzar. Poesia intranscendent, moridora, quotidiana. Es la innocència
anônima. Es el mercavellôs a l'abast de la multitud.

On imaginera volontiers un bric-à-brac d'objets reniés, naufragés, de


ces «petits trucs» chimériques qui ne servent à rien ou rendent des services
inutiles, de ces objets démodés et autres brimborions qui ont fasciné Ramôn
Gômez de la Serna dans ses pérégrinations au Rastro, le marché aux puces
madrilène : objets trouvés, dévoyés, marqués par tous les cataclysmes de la
vie, verreries populaires, mannequins métaphysiques, presse-papiers à rocailles
irrisées, boules de neige, toutes sortes de curiosités dont le sens s'anéantit au
profit d'un réseau de sollicitations mentales. En cette même année 1934,
Ramôn avait publié dans Cruz y Raya, la revue de José Bergamin, un texte
singulier qui a valeur de défense et illustration du mauvais goût, son
«Ensayo sobre lo cursi» :
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Para vivir inviernos y enfermedades no hay nada como lo cursi. Salva. Hace
permanecer en la vida, sonsaca la enfermedad, déjà que vayan a parar a sus puntos
escondidos y de reposo las moscas de la difteria que hay en toda dolama de invierno.
Yo creo que hay que volver a lo cursi porque se esta verificando un desengano de lo
rectilineo, de lo claro, de lo cortado en superficies demasiado évidentes.

Sans doute faut-il comprendre ce programme dans un plus vaste


mouvement de contestation de l'esthétique du «Beau» et des valeurs établies,
amorcé au moins depuis Rimbaud : «J'aimais les peintures idiotes, dessus de
porte, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires,
littérature démodée, latin d'église, livres erotiques sans orthographe, roman
de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains
niais, rythmes naïfs». Provocant et ironique, le credo des «Illuminations» n'a
cessé de marquer la bonne conscience protocolaire et l'uniforme du bon goût
régnant, et les surréalistes n'ont pas manqué de s'en réclamer, estimant que
leur époque participait d'une «crise fondamentale de l'objet». La valorisation
du «mauvais goût» participe du même esprit que la réhabilitation du
Modern'Style par Salvador Dali, dans le célèbre article «De la Beauté
terrifiante et comestible de l'architecture Modern'Style», qu'il venait d'écrire
pour la prestigieuse revue Minotaure (n° 3-4, janvier 1934). Le texte de Dali
est illustré par des architectures de son compatriote Gaudi, photographiées à
Barcelone par Man Ray5, placées à côté de «sculptures involontaires» qui
ont en commun leur effet d'humour et de dérision, appuyé par les légendes :
«Billet d'autobus roulé systématiquement, forme très rare d'automatisme
morphologique avec germes évidents de stéréotypie», «Le pain ornemental
et modern'style échappe à la stéréotypie molle», «Morceau de savon
présentant des formes automatiques mordern 'style trouvé dans un lavabo»,
«Enroulement élémentaire obtenu chez un débile mental». Il est d'ailleurs
très peu question de peinture dans ce double numéro de Minotaure, mais de
graffitis, cet «art bâtard des rues mal famées», recueillis par Brassai au
hasard de promenades dans Paris, de chapeaux aux plis suggestifs (Tristan
Tzara: «D'un certain automatisme du goût»), du monde merveilleux des
automates (Benjamin Péret: «Au paradis des fantômes»), des «plus belles
cartes postales» du début du siècle, collectionnées et évoquées par Paul
Eluard. «Trésors de rien du tout, dont le goût était donné aux enfants par les
chromos, les timbres, les images de chicorée, de catéchismes, de chocolat»,
les cartes postales sont pour Eluard «la petite monnaie de l'art tout court et
de la poésie. Mais cette petite monnaie donne parfois l'idée de l'or. Fidèles

«Man Ray, el fotograf surrealista, es a Barcelona. Ha vingut a fotografiar, abans no


desapareguin, les cases de Tèpoca modernista. Ha passât abans pel Cap de Creus, on ha
près notes de l'estil geologic caracteristic de la Costa de Cadaqués. Aquestes fotos
illustren un article que sortira a la important revista Minotaure, de Paris» («El Correu
d'avui», La Publicitat, 23-IX-1933).
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messagères d'amour et d'amitié, touchantes ou curieuses, elle plurent pour


leur naïveté ou leur perversité, parce qu'elles étaient parfois de véritables
collages surréalistes, faisant subir à la nature toutes sortes de transformations
anthropomorphiques ou mettant au goût du jour les portraits composites
d'Archimboldo, représentant des hallucinations lilliputiennes, des violettes
dans un sablier, un poisson dans une automobile et une avalanche de
femmes-fleurs, de femmes-enfants, de femmes-étoiles, de femmes-flammes.
Peu après la parution de l'article d'Eluard, ADLAN présentait à son tour
une collection de 141 cartes postales «Modern'Style» appartenant au
photographe Joaquim Gomis et commentées pour la circonstance par le poète et
humoriste Caries Sindreu. Cette présentation eut lieu au moins à deux
reprises, le 7 mai 1934 à la bijouterie Roca de Barcelone et le 2 décembre au
«Foment» de Vilanova i la Geltrû6 :

La projecciô de postais d'en Gomis, juntament amb el comentari just i ironie del
pulcre Caries Sindreu i el recital de peçes de piano de «l'âge d'or» de la postal a carrée del
mestre Francesc Montserrat, féren tastar als nombrosos espectadors del «Foment» el
regust inequivoc de l'ambient grotesc i ranci d'aquells temps adorables.

Pour compléter ce panorama, il faudrait encore énumérer, pêle-mêle, à


la manière du célèbre «Inventaire» de Prévert : de nombreuses conférences
sur les sujets les plus divers («Caractereologia de les mans», par Edda
Federn. «Interpretaciô psicolôgica de l'obra de Picasso» par le Dr. J. Vilatô.
«Ramon Llul», par J. V. Foix), des lectures poétiques {Poeta en Nueva York
de Garcia Lorca. Darrera el vidre de Sindreu), une exposition de
photographies du ballet de Magrinya sur un ring monté au club de tennis du Turô
Park, une excursion à Sabadell avec le chorégraphe Massin et des danseurs
des Ballets Russes de Monte-Carlo, pour participer à une sardane. A tout
cela s'ajoutent l'édition de «pochoirs» de Mirô et Kandinsky, des concerts de
jazz par l'«Adlan orchestra» (integrada pel seguents mestres: J.V. Foix,
piano; C. Sindreu, saxofon; J. Prats, violi; ialtres musics del GATCPAC),
la première du Quartet de Vent du compositeur catalan Robert Gerhard 7,
des projections cinématographiques, enfin, avec la présentation de LAge
d'or, l'œuvre scandaleuse de Bunuel et Dali, et une session annoncée dans
La Publicitat le 27 février 1934 sous le titre «Cinematograf 1912» :

Le 25 juin 1934, Caries Sindreu avait lui aussi présenté les «sabores essèneies
retrospectives del 1900», rassemblées dans un «Album-Salon». La «Projecciô de postais de la
collecciô de Joaquim Gomis» fut commentée dans Mirador (28-XI-1934 et 5-XII-1934)
et dans Diari de Vilanova i la Geltrû (27-XI-1934 et 3-XII-1934).
Robert Gerhard avait été l'élève de Schônberg à Vienne. C'est par son intermédiaire
qu'ADLAN créa l'«Associaciô Pro Mûsica Discofils» qui fit connaître à Barcelone le
répertoire contemporaion de Berg, Webern, Bartok, etc.
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Sala perfomada amb Violetes Russes a la Cleo de Merode. Ja es ben curiôs que
«Amies de L'Art Nou» posi el projectar a 1912! A que es deu que certes avançades
surréalistes facin llur admiraciô pel Modem Style?

Cette enumeration ne saurait être exhaustive. Si abrégée qu'elle soit,


elle permet d'apprécier la multiplicité des intérêts d 'AD LAN, et d'en
évoquer les singularités. Toutes ces activités menées tambour battant ont
bien souvent en commun de se situer sur le terrain de l'humour et de la
galéjade, ou tout au moins du seul plaisir, réservé il est vrai «exclusivement
als senyors associats, els quais han rebut prèviament la invitaciô». Même les
expositions artistiques plus traditionnelles ne furent bien souvent conçues
qu'à «usage interne», ne durant parfois que le temps du vernissage (une
heure dans le cas de l'exposition des dernières œuvres surréalistes du peintre
Josep Carbonell en mars 1933, à la galerie Syra). On comprend que
l'incongruité de tout cela ait quelque peu faussé les rouages qui permettent le
bon fonctionnement de l'institution artistique, fût-elle d'avant-garde, et que
bon nombre de ces expositions inclassables soient auhourd'hui oubliées au
profit d'une dramatisation excessive et sécurisante opposant les diverses
tendances de la modernité, ou encore les formes anciennes et nouvelles, qui
ont pu coexister durant les années trente. C'est dans ce contexte particulier
qu'il nous faut maintenant situer les principales expositions de peinture ou
de sculpture qui firent la réputation des «Amies de l'Art Nou».
Peu après le «Concurs d'objectés de fira», ADLAN poursuivait son
offensive avec une exposition des dernières œuvres du sculpteur Angel
Ferrant à la galerie Syra, en janvier 1933. D'origine madrilène, Ferrant avait
été nommé en 1920 professeur de sculpture à l'Escuela de Artes y Oficios de
Barcelone, poste qu'il occupa jusqu'à 1934. Durant ce long séjour dans la
Cité Comtale, il participa aux fameuses réunions organisées par le peintre
Rafael Barradas à l'«Ateneillo» de Hospitalet, où il connut Gasch, Dali,
Lorca, avant de contribuer à la fondation d'ADLAN. Le soir de
l'inauguration de son exposition à la galerie Syra, se souvient Ferrant, «mis diez o
doce esculturas estaban completamente tapadas, como fantasmas. Mientras
la concurrencia iba llegando; un malabarista chino, con traje oriental,
divertia a los présentes, y en su momento un locutor, vestido de étiqueta,
destapaba una por una las esculturas, dedicândoles palabras improvisadas
[...]» 8. A l'aide d'éléments imprévus qu'il déclarait «utiliser dans l'inutile»,
une lame de scie, une fourchette, un disque de gramophone, un canif, le
manche d'une casserole, un carreau de faïence, des plumes, Ferrant avait
confectionné de petites constructions évocatrices : une «mariée», une «gitane»,

Cité par Ana Vazquez de Parga, «Sobre Angel Ferrant : vida y obra», Angel Ferrant,
Palacio de Cristal, Madrid, Mayo-Julio 1983, p. 34.
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un «hydravion», les «formes et mouvements de la vie aquatique». D'autres


sculptures encore qui ne prétendaient ressembler à rien et qu'il appelait
«compositions». Déjà, dans Alfar, l'importante revue de La Corogne,
Ferrant avait préconisé l'utilisation de matériaux divers dans la sculpture,
vraisemblablement sous l'influence de l'exposition futuriste vue en 1913 à
Paris, à la galerie Bernheim. Evidemment, les réactions négatives devant de
telles audaces ne se firent pas attendre. Pour Joan Sacs : «Cal retornar a la
tradiciô mes escolàstica, ja que enganxar coses no serveix per a res»9.
Malgré l'avis favorable de Gasch et Cassanyes 10, une tempête de
protestations se leva, amenant le sculpteur à justifier publiquement sa nouvelle
manière ' ' :

Ja se que he seccionat la jugular a un dise de gramôfon, perô declaro que no vaig


prétendre delectar-me en l'acte mutilador, sinô mes tard, quan sobrevingués l'efecte
produit per l'operaciô, que es quan, per a mi, l'objecte retallat apareixeria com a part,
précisément, compléta d'una totalitat pretesa.
Existeix la selva, el bosc i el jardi. De la selva naixeren el bosc — utilitat — i el jardi
— bellesa — . En els très existeix l'arbre ; perô en cada un viu amb desti diferent. Silvestre
o selvàtic, viu lliure, i simplement per a ell. Cultivât, viu ja per a nosaltres. I dir cultiu
equival a dir càstig, mutilaciô. Amb la destral, amb la serra o amb la tisora fem que
l'arbre visqui per a nosaltres. Per a la nostra comoditat o per a distracciô del nostre
ànim. Vivim i creem destruint. Si no destruïm no podem viure. Ni tan sols ens divertim.
Som aixi. I no de feroços, sinô de naturals. Es natural en nosaltres el fer a trossos les
coses. Allô que ja no résulta tan natural, o almenys tan sensat, es prétendre la semblança
de les configuracions basant en ella l'essència expressiva del volum. [...]
Avui m'he sentit ofegat per la condensaciô entorn de tanta sublimitat degenerada. I he
obert una finestra, tot i donant repos a les meves mans. He deixat de «fer» i he fet una
altra cosa. A la fi, la mateixa. Vaig ésser suggestionat per la contemplaciô dels objectes
mes trivials i — trencats o sencers — em vaig disposar a ordenar-los per un imperatiu
intern.

Au-delà d'une critique de toutes les spécialisations amoindrissantes et


des prétendues hardiesses purement techniques, c'est à une conception
organique de l'œuvre d'art plus encore qu'«assemblagiste» que se réfère
Ferrant dans ce texte aux arguments souvent drolatiques. Le monde est
pour lui un organisme vivant et ses manifestations obéissent à un principe de
mutation continue. L'accord profond de l'homme et du monde et son
enracinement dans la terre au même titre que l'arbre, cette relation
primordiale que Ferrant ne peut évoquer qu'en parlant du caractère «vivant»

9. Joan Sacs, «La generaciô que ve de l'hort», Mirador, Barcelone, 17-VIII-1933.


10. Sebastià Gash, «ADLAN actua. Objectes d'Angel Ferrant», La Publicitat, 1-II-1933.
Magi A. Cassanyes, «Els llibres nous. Angel Ferrant, per S. Gasch», La Publicitat,
8-IV-1934. Pour Cassanyes, l'exposition de Ferrant à la galerie Syra «ha estât un de les
mostres d'Art plastic mes digna d'atenciô que de força temp ençà hem vist a Barcelona».
11. Angel Ferrant, «Per les regions de la plàstica. Els objects, l'escultura i l'amistat», La
Publicitat, 23-XI-1932.
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de toute chose, c'est également ce que n'a jamais cessé de nous dire Joan
Mirô dans ses oeuvres comme dans les rares confessions qu'il nous a laissées.
«Pour moi, écrit Mirô, un objet, c'est vivant. Cette cigarette, cette boîte
d'allumettes contiennent une vie secrète beaucoup plus intense que certains
humains. Quand je vois un arbre, je reçois un choc, comme si c'était quelque
chose qui respirait, qui parlait. Un arbre, c'est aussi quelque chose
d'humain» 12. Peu avant l'exposition des «objets» d'Angel Ferrant à la galerie
Syra, Mirô avait présenté ses dernières œuvres dans les mêmes locaux, pour
un nombre réduit de ses admirateurs, les membres d'ADLAN et du
GATCPAC. La petite fête eut lieu dans la nuit du 18 novembre 1932, en
pleine fièvre électorale (il s'agit des élections pour désigner les membres du
premier Parlament de Catalunya), dans une ambiance quasi clandestine
dont se firent l'écho Guillermo Diaz-Plaja et Sebastià Gasch13. Cette
exposition d'une soirée présentait pour la première fois les tout premiers
«objets poétiques» que le peintre avait façonnés durant l'été dans son mas de
Montroig, près de Tarragone, refuge auquel il resta fidèle sa vie durant.
Délaissant pour un moment la peinture, il avait composé une série de petites
constructions sculpturales à partir d'objets sans prix trouvés sur la plage ou
au bord des sentiers: bois brûlé, fil de fer rouillé, os, coquillages, pierres
polies par l'eau, rouages mécaniques, toute une manne d'éléments naturels
ou appartenant à un monde préurbain qui donnaient naissance aux plus
simples, aux plus insolentes combinaisons. Loin de choisir des matériaux
nobles, Mirô mit en évidence la pauvreté de ce trésor de débris, retrouvant
des formes primitives ou populaires de l'imagination qui le menèrent vers un
monde plus ambivalent, plus réel aussi, celui en quelque sorte de la réalité
que contient la surréalité, son «miromonde».
ADLAN renouvela au moins à deux reprises ces expositions d'un jour
des «dernières productions» du grand peintre catalan, destinées
exclusivement aux amis et adhérents: le 4 juin 1933 dans l'appartement de Sert,
Muntaner 348, et le 16 février 1934 à la galerie Catalonia. Et ce sont à
nouveau les peintures «au-delà de la peinture» que retiennent les principaux
commentaires :

Aquesta darrera etapa de Joan Mirô révéla uns moments actuals en el seu
automatisme psiquic. La seva accentuada personalitat s'expressa aquesta vegada per mitjà de
«colages» evocadors. El «colage», quan es produeix per un fet de lirisme, té la rara virtut
de molestar i fer somriure, mes que tota altra manifestaciô, tots aquells que per no veure
l'origen pel quai es produeix, el consideren una cosa fàcil o mal intencionada. Per aixô
aquesta collecciô de dibuixos ha defraudat alguns d 'aquells que tot i ésser admiradors

12. Joan Mirô, «Je travaille comme un jardinier. Propos recueillis par Yvon Taillandier»,
XXe siècle, Paris, vol. 1, n° 1, février 1959.
13. Guillem Diaz-Plaja, «Notes a un catàleg inexistent. Joan Mirô a les Catacumbres»,
Mirador, 24-XI-1932. Sebastià Gasch, «Amies de l'Art Nou», La Publicitai, 30-XI-1932.
62 EMMANUEL GUIGON

d'aquestes produccions, cauen sempre pel canto de l'habilitât pictôrica, de l'expressiô


mecànica normal, del «métier», mes que no pas de papers engaxats, objectes mutilats,
etc., que sempre els causen una sensaciô d'estranyesa i incompresiô 14.

Depuis sa première exposition chez Dalmau, en 1918, Mirô était


considéré comme l'une des personnalités les plus marquantes de l'avant-
garde internationale, et il avait été à Paris le seul peintre à participer à la
genèse du groupe surréaliste. Il joua aussi un rôle essentiel vers 1925 dans la
définition des rapports du Surréalisme et de la peinture, à une époque où
ceux-ci posaient encore problème (ce qui fit dire à Breton que «Mirô peut
passer pour le plus surréaliste d'entre nous»). Mirô fut donc un précurseur,
un surréaliste de la première heure, et son œuvre fut souvent célébrée dans
les grandes revues d'art européennes. Et pourtant, malgré cet incontestable
prestige, toutes les polémiques autour du Surréalisme en Catalogne — et
plus généralement en Espagne — furent essentiellement centrées sur la
peinture et la personnalité de Salvador Dali, des scandales qu'il commençait
à multiplier. Et ce fut effectivement du côté du modèle dalinien que
s'orientèrent la plupart des jeunes peintres associés à ADLAN, en partie
pour cette raison que l'œuvre et les gestes du peintre de Port Lligat étaient
plus spectaculaires, et en cela plus visibles, et qu'il connaissait à l'époque un
immense succès international dont la presse catalane n'a pas manqué de
s'enorgueillir. A la fin 1933, du 8 au 21 décembre, ADLAN parraina une
importante exposition Dali à la galerie Catalonia, la première en Espagne
depuis 1928. A cette occasion le célèbre galeriste Dalmau inaugurait ses
nouveaux locaux au sous-sol de la Llibreria Catalonia, au 3 de la Ronda
Sant Père 15. Josep Dalmau i Rafel était une des figures-clefs de l'avant-
garde espagnole depuis qu'en 1910, il avait fondé sa galerie de la Portaferissa
où il fit connaître l'art le plus avancé de son époque. En 1922, il avait
organisé une vaste exposition des œuvres dadaïstes de Francis Picabia, à
l'occasion de laquelle André Breton donna une conférence à l'Ateneo sur
«L'évolution de l'esprit moderne et ce qui en participe». Parmi les œuvres
exposées en décembre 1933 à la galerie Catalonia figuraient quelques-unes
des peintures les plus importantes de Dali, comme L'Enigme de Guillaume
Tell (1933), et une série de vingt-cinq eaux-fortes illustrant Les Chants de
Maldoror, montrées pour la première fois (ces gravures commandées à Dali

14. Marti Font, «Posicions. La Darrera etapa Mirô», La Publicitat, 11-111-1934.


15. Josep Dalmau i Rafel (1867-1937) avait dû cesser ses activités en 1930 à la suite de graves
difficultés économiques. Les nouveaux locaux de la galerie Catalonia furent mis à sa
disposition en décembre 1933 par Antonio Lôpez Llausàs (1888-1979). Libraire et
éditeur, celui-ci avait fondé en 1924 la Llibreria Catalonia. En 1936, il émigra à Paris
puis à Buenos Aires où il fonda les éditions Sudamericana. Un portrait de Dalmau par
Max Jacob est reproduit dans l'article de Josep Maria Sucre, «Vides exemplares : Josep
Dalmau», Mirador, 28-XI-1929.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 63

par Albert Skira seront ensuite exposées à la Julien Levy Gallery de New
York et la «Librairie Quatre chemins» de Paris, respectivement en avril et
juin 1934).
Le soir de l'inauguration, Joan Prats fit l'éloge du vieux galeriste et
Foix lut «La complanta dels gossos», un extrait du récit frénétrique du
Comte de Lautréamont qu'il avait traduit quelques années plus tôt dans
L'Amie de les Arts (n° 16, 31 juillet 1927). Magi A. Cassanyes prononça à la
suite une conférence dans laquelle il comparait Dali à «un Marques de Sade
de la pintura» :

Si els somnis i les aspiracions inconfessables son, corn n'estem plenament convençuts,
allô mes real, mes pur i mes evident de l'home, no té res de sorprenent que avui en que la
mediocritat satisfeta descobreix cada dia amb mes persistèneia la seva nulitat total,
aquest cami cap a un nou mon de sorpreses, revelacions i divagacions que es el
Surréalisme atragui exclusivament el nostre interès i la nostra atenciô, i aquest cami es
ben ample per cert. Hi ha res de mes distant i oposat que el mon visceral i diabolic en que
es capbussa Salvador Dali, i aquell altre mon sidéral i efusiu pel quai déambula ingràvit
Joan Mirô ? Perô en la crua nit daliniana que poblen, desarmats per la febre dels desigs
esgarriats i insadollables, els eterns incubes i sûcubes dels nostres subjectes, que han
esdevingut objectes gracies a l'art fort, cruel i precis de Salvador Dali ; en aquesta nit no
ni ha pas dubte que la follia n'es el fons obscur, implacable i sense esperança, com
s'esdevé en quell mitic i grandiosament absurd Enigma de Guillem Tell16.

Si l'exposition obtint un immense succès public, le premier véritable


succès que remportait ADLAN («Tot Barcelona hi desfila»), elle fut aussi à
l'origine de vives polémiques dans la presse autour de «la legitimitat del
surréalisme en les arts plastiques». Citons pour mémoire les articles laudatifs
de Marti Font, en réponse aux multiples attaques du critique Joan Sacs
pour qui le Surréalisme ne pouvait être autre chose qu'«una vergonya per a
la nostra generaciô, una degeneraciô que els nostres descendents ens
restauran sense pietat» 17. Il est vrai que Joan Sacs avait été malmené par
Dali et par ses amis en 1928, dans le manifeste «Groc», et que Gasch l'avait
présenté un an plus tard dans Hélix, la revue de Vilafranca del Penedès,
comme un obscurantiste de la pire espèce, «aquell pobre bougre que fa servir
el nom de Joan Sacs per a signar uns articles déplorables, el nom d'Apa per
a signar unes caricatures idiotes i el nom de Feliu Elies per a signar uns
quadros détestables» 18.

16. Magi A. Cassanyes, «Pintors d'avui. Dali o l'antiqualitat», La Publicitat, 22-XII-1933.


17. Joan Sacs, «Tendencies. Bizantinismes», La Publicitat, 12-1-1934. Joan Sacs,
pseudonyme de Feliu Elias i Bracons (Barcelone, 1878-1948), peintre, poète, dessinateur
humoristique et critique d'art. Il consacra deux autres articles à cette exposition de Dali :
«El lirisme en les arts plastiques», La Publicitat, 26-1-1934; «De la decadèneia a la
degeneraciô de l'art», L'Appel Catalan, Genève, n°3, janvier 1934. De Marti Font, on
signalera deux articles publiés dans La Publicitat : «Després de l'exposiciô Dali.
Paisatges interiors» (5-1-1934) et «Tendencies. Dos Fronts» (19-1-1934).
18. Sebastià Gasch, «In-fighting», Hélix, n°6, octobre 1929.
64 EMMANUEL GUIGON

L'année suivante, du 2 au 4 octobre, la galerie Catalonia accueillit une


seconde exposition Dali, beaucoup plus réduite toutefois. Cinq tableaux y
étaient présentés, véritables miniatures destinées à l'exposition de la Julien
Levy Gallery de New York (du 21 novembre au 10 décembre 1934): El
desnonament del moble-aliment (24x19 cm); Cadernera-Cadernera (22 x
16 cm); Imatge mediumnique-paranoïaque (22 x 16 cm); Materializaciô de
la tardor (...a les set ja es foc) (8,5x6,5 cm); Imatge hipnagogica de Gala
(8,5 x 6,5 cm). Le catalogue de vingt pages au format inhabituel (3 x 7,7 cm)
mentionne une conférence que devait prononcer Dali le 5 octobre, sur le
thème «Misteri surrealista i fenomenal de la taula de nit». Mais celle-ci fut
suspendue devant la grève générale et le début de ce qu'on appelle les «fets
d'octobre» : le soulèvement du gouvernement autonome et la proclamation,
par le Président Companys, de la République Fédérale 19. Il existe toutefois
un document irremplaçable qui donne un aperçu de ce que pouvaient être ce
«mystère surréaliste et phénoménal de la table de nuit», une interview du
peintre par Just Cabot publiée le 18 octobre dans Mirador:

I el mateix divendres, a la nit, Dali em llegia aquesta conferència, que estic segur que
hauria sorprès bon xic el public, per bé que aquest ja hauria anat a sentir-la amb ganes
de sorprendre's. Pero es que el public hauria segurament espérât una teoritzaciô
psicoanalitica — que pot voler dir tant com pornogràfica — de la tauleta de nit, i en
comptes d'aixo s'hauria trobat amb un poema liric — sobrerealista, no cal dir-ho — ,
acabat amb una explicaciô de la tauleta de nit a través de l'evoluciô de la idea d'espai en
la fisica, des d'Euclides a Einstein passant per Newton. Naturalment, l'explicaciô estava
esquitxada d'alguna irreverència i d'alguna allusiô escatôlogica. Que menys es pot
demanar a una conferència sobrerealista ?

Dali évoque ensuite divers projets cinématographiques et la publication


prochaine d'«un llibre sobre la interpretaciô de l'Angelus de Millet, una obra
d'aparença insignificant, banal i banalizada per milers de reproduccions, i
que es un podrimener [...]». Longtemps perdu, le manuscrit de ce livre fut
édité bien des années plus tard, en 1963, tandis que d'autres projets que le
peintre conçut en collaboration avec ADLAN ne virent jamais le jour,
comme cette conférence annoncée dans La Publicitat le 10 mai 1935 sous le
titre «La importancia filosofica dels rellotges tous», et une étude sur «La
peinture surréaliste à travers les âges».
A la fin décembre 1934 parut un «numéro extraordinari dirigit per J.L1.
Sert i J. Prats (GATCPAC i ADLAN)» de la revue trimestrielle D'Aci i
d'Allà qui contribua pour beaucoup à la renommée de l'association catalane
dans les milieux artistiques internationaux. Ce numéro exceptionnel qui eut

19. Les «fets d'octubre» motivèrent également la suspension du journal La Publicitat, lequel,
après une brève réapparition les 9, 10 et 11 octobre, parut de nouveau sous le titre
Mirador-Diari du 4 novembre au 1er juin 1935.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 65

aussi un impact décisif sur les jeunes générations d'artistes de l'après-guerre,


offre un panorama complet des grandes tendances de l'art moderne:
Fauvisme, Cubisme, Néoplasticisme, Constructivisme, Dada, Surréalisme.
Non seulement tous les écrivains catalans apparentés à ADLAN y
collaborèrent, Foix, Sindreu, Cassanyes et Gasch, mais aussi plusieurs critiques
étrangers dont la signature était prestigieuse, notamment Karl Einstein et
Christian Zervos, le directeur des Cahiers d'Art. La revue est illustrée d'une
grande quantité de reproductions en noir et blanc et en couleur d'une
surprenante qualité : le «Grand Verre» de Marcel Duchamp, des collages de
Max Ernst, des reliefs de Hans Arp (dont on avait également traduit deux
poèmes), des sculptures de Giacometti, Raoul Hausmann, Juli Gonzalez,
Angel Ferrant, des photographies de Man Ray, des tableaux de Dali, Mirô,
Chirico, Picasso, Braque, Kandinsky, Mondrian, Léger, Severini, des
œuvres de Gabo et Pevsner présentées à côté d'extraits de leur manifeste
constructiviste. Un pochoir d'une grande beauté avait été réalisé tout
spécialement par Mirô pour ce numéro extraordinaire dont il dessina
également la couverture. Cette ouverture internationale ne représentait
pourtant pas pour ADLAN une nouvelle direction. Déjà, dans ses premiers
mois d'existence, le groupe avait présenté à Barcelone et à Montroig le
One- Man- Circus d'un des nouveaux amis de Mirô, le sculpteur Alexandre
Calder. Une première représentation de ce spectacle déjà célèbre à travers
l'Europe eut lieu dans les locaux du GATCPAC, Passeig de Gracia, et fut
salué par Foix comme la plus merveilleuse des leçons de mécanique céleste :

Mr. Calder. — Quan l'altre dia — dimarts passât — , aparegueren pel Passeig de
Gracia, cami del GATCPAC, cavalcant uns diminuts cavalls de cartô, Mr. i Mrs Calder,
no calgué ni esporuguir les ombres que priven de passar per les voreres mes solides el
nostre company M. A. Cassanyes ni estrafer la veu dels infants com fan els ocells
mecànics que s'escapen, quan se'l lleva, del capell de fais vellut del poeta Sindreu.
L'admirât Sànchez-Juan, absent, havia estes una catifa de flors al llarg de la façana del
tafur on es refugien els amies barcelonins de Le Corbusier, per on els diminuts cavaliers
dôcils lliscaren amb suavitat. Com hi hauria rigut el plorat Salvat-Papasseit ! Mister
Calder, ianqui gegant, ajassat a terra per a riure's ell mateix del seu somriure, tot fent
jugar durant dues hores ininterrompudes tots els personatges d'un cire miniatura amb
llur bestiar adient ! Mr. Calder, que del cabell d'àngel en fa filferro que empra per a
construïr Iléons de testa pastada amb mantega Esbenzen, ha construit el seu cire
miraculés com a passaport per a entrât al cel 20.

Avec des matériaux simples récupérés de-ci de-là selon les méandres du
rêve, Calder avait su créer de merveilleux jouets d'enfant sauvage, obéissant
aux mêmes simplifications et déformations extrêmes que les dessins
humoristiques, une véritable synthèse du cirque qui lui permettait de donner une
existence tangible à toutes ses fabulations, de jouer et de se jouer de tout. Il

20. Focius, «Meridians. El llenguatge de la nit», La Publicitat, 24-IX-1932.


66 EMMANUEL GUIGON

existe un lien évident entre ces productions de Calder et les derniers «objets
poétiques» de Mirô et de Ferrant présentés par ADLAN. Il ne s'agit pas de
parler d'influences, mais d'une affinité ou d'une entente spirituelle, d'un
même chemin souterrain qui se sécrète et s'illumine de l'intérieur. Cette
convergence montre tout au plus qu'il existe des données essentielles, une
même nostalgie secrète d'un âge d'or miraculeusement préservé, où c'est
avant tout la libre circulation des désirs et des rêves, le jeu et l'imaginaire qui
reprennent leurs droits sur le langage martelé de la reproduction servile. Le
jeu, les pitreries, le manque de sérieux, le désir de faire rire, c'est pour
l'essentiel ce que retient Sebastià Gasch dans sa présentation des éléments de
ce «cire mes petit del mon», exposés à la galerie Syra les 11, 12 et 14 février
1933. «Com que Calder», remarquait Gasch, «de mateixa manera que els
infants i els salvatges, sent la nécessitât instintiva de jugar, les seves coses son
fresques, son espontànies, son vivents, son pures. Son poétiques»21. Gasch
venait de rompre violemment et définitivement avec Dali, et plus
généralement avec l'avant-garde. S 'intéressant de plus en plus au cirque et aux
spectacles de Music Hall, sujets sur lesquels il écrivit plusieurs livres, il fut à
l'origine peu après le séjour de Calder à Barcelone, du groupe des «Amies del
Cire», une nouvelle entité émanant d'ADLAN qui, parmi bien d'autres
réjouissances, fit une excursion à Matarô avec le clown Antonet pour y
assister à une représentation du cirque Frediani. «La dirigirà Sindreu i Ponç,
el quai durant el cami per mitjà megàfon, explicarà als viatgers les belleses
del paisatge i la histôria succinta dels pobles albirats» 22.
Durant les mois qui suivirent la parution du numéro extraordinaire de
D'Aci i d'Allâ, ADLAN présenta dans les nouveaux locaux de la Joieria
Roca, dessinés par Sert, des expositions de Hans Arp (du 9 au 14 mars 1935)
puis de Man Ray (du 29 mai au 3 juin), tous deux membres éminents du
groupe surréaliste. Arp était connu à Barcelone depuis qu'en décembre 1929
il avait participé à l'«Exposiciô d'art modern i estranger», à la galerie
Dalmau23, et son œuvre eut une influence décisive sur les trois jeunes
«sculpteurs nouveaux», membres d'ADLAN, qui exposèrent à la galerie
Catalonia du 27 au 30 mars 1935 : Ramon Marinello, Jaume Sans et Eudald
Serra. Une affiche réalisée par Salvador Ortiga présentait sous forme de
collage humoristique le visage des trois artistes apparaissant derrière un
décor de fête foraine. «L'un, vesteix una mena d'uniforme d'oficial d'un dia
de concurs hipic; l'altre, porta una cotilla noucentista, i sembla que vol
representar una dona; el tercer, va vestit de personatge d'època de pais
imaginari. El cartell esta enquadrat per un délicat serell de paper d'aquells

21. Sebastià Gasch, «Alexandre Calder, escultor», La Publicitat, 19-11-1933.


22. «El Correu d'avui» La Publicitat, 2-III-1933.
23. Hans Arp avait également séjourné en 1932 à Barcelone où il fit la connaissance des
fondateurs d'ADLAN. Voir Sebastià Gasch, «Hans Arp a Barcelona», Mirador,
1 -IX- 1932.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 67

que es veuen a les plates de dolços» 24. Pour Magi A. Cassanyes, dans un
compte rendu de l'exposition publié dans le numéro 20 de la revue A. C. du
GATCPAC, les œuvres des trois sculpteurs s'accordent aux secrets de la vie
germinative, au fluide vital et capricieux des formes naturelles qui les
distinguent «si favorablement» de la géométrie haïssable des «choses de
raison»: [...] estas très nuevas esculturas, pues, tienen como carâcter
estilistico comûn una predilecciôn declarada por estas formas orgânicas que,
a pesar de su abstractivismo incondicional, sugieren una vitalidad obsesio-
nadora que las distingue tan favor ablemente de aquella muerta rigidez
inorgânica que tan fatal ha sido para los numerosos productos plâsticos que
han sido sugestionados por el equivoco canto de la sirena mâquina».
L'œuvre la plus remarquable est sans doute le «projet pour la configuration
d'une place légendaire» de Marinello, intitulé Esa manana fue hallado el
bello cadaver de Elisenda, en medio de laplaza. Cette étrange maquette sera
présentée en mai 1936 à l'Exposition surréaliste d'objets de la galerie Charles
Ratton, à Paris, à côté de YHydravion de Ferrant et des dernières sculptures-
objets de Mirô. Elle évoque des croissances possibles et pour un instant
immobilisées, comme le relevé d'un regard sur un monde en gestation
essentiellement dépaysant pour la conscience, où ne se déplace aucune forme
familière ou intelligible.
Mais l'événement le plus attendu, préparé par ADLAN tout au long de
l'année 1935, ce fut sans nul doute l'exposition Picasso à la Sala Esteve, ainsi
présentée le 12 décembre aux lecteurs de La Publicitat:

Vaig saber que ja fa un any que ADLAN ténia en projecte una exhibiciô Picasso a
Barcelona ; que, per ventura, els mitjans economics de l'organitzaciô no haurien cobert
les despeses ; que unes noves galeries d'art, d'inauguraciô immediata, la Sala Esteve del
carrer de Casp, s'havia adreçat a ADLAN perquè cooperessin a obrir les galeries amb
una exhibiciô de prou crit per a interesar-hi tot Barcelona ; que s'havia pensât en una
Exposiciô d'Art Surrealista, aleshores present a Londres, i que, creiem amb encert, van
resoldre fer efectiu el projecte ja antic d'Exposiciô Picasso 25.

Picasso, maladivement réfractaire à toute formalité, n'avait pas exposé


en Espagne depuis l'époque de «Els 4 Gats», en 1901. Dans la presse,
l'exposition fut effectivement saluée comme un événement extraordinaire :
«Por fin va a celebrarse en Espana y, naturalmente en Barcelona, una
exposiciôn dedicada totalmente a las obras del gran pintor Pablo Picasso» 26.
Exceptionnelle, l'exposition l'était encore pour le prix d'entrée demandé
(5 pesetas), pratique inhabituelle pour une galerie d'art, et pour la déclaration
de principe, qui sert de préface au catalogue :

24. J.M.P., «Comentari. L'Art», La Publicitat, 25-111-1935.


25. A.L., «Que sera l'Exposiciô Picasso?», La Publicitat, 13-XII-1935.
26. Luis Gôngora, «La primera Exposiciôn Picasso, en Espana», La Noche, 10-1-1936.
68 EMMANUEL GUIGON

En un dels seu moments mes encertats escrivi Voltaire : «El primer que compara
una dona amb una flor fou un poeta i el segon un imbècil». Mes endavant Paul Gauguin
afirmà que : «en art solament hi havia revolucionaris i plagiaris». Aquestes dues dites son
mes que suficients per a explicar perquè, en organitzar l'EXPOSICIÔ PICASSO, els
d 'ADLAN han éliminât per complet totes les pintures de Picasso que puguin donar peu
al lamentable equivoc que els «imbècils» i els «plagiaris», les malifetes dels quais omplen
suara abundosament Galeries, Salons i Museus, el poguessin prendre per un dels seus i
han escollit, per contra, aquelles produccions en que Picasso ens mostra mes evidentment
ésser un poeta i un revolucionari o, mes ben dit, aquelles obres en les quais es, mes
purament i integrament que mai, Picasso.

Al Poeta Paul Eluard.

Nav Ici ad

El amor atiranta los puntos cardinales


y el ilanto de las virgenes suavîza los crepûsculos.
En la esfera armilar han brotado manzanas
y eî iiwierno célébra la Navidad del aire.
Bajo una luz aséptica, telescopios y pianos
buscan el ritmo anil de la Estrella del Alba
y Venus se desmida ante los Rayos X
— imagen inciensada de cifras y de arpegios —
El Mesias del aire abre su pura lente
y en el.cono de Sue ambigua del cinema
:se unem cliroas distantes en un cïaro îatido
f se acaiïciâ el àngulo facial de los antipodas.
La Vïa Lâctea rnuestra su temblor tatuado.

Plrasso en Ilspahn

•• &. A. M. Btr««l«Bi - Eatro i»S8

Un des tracts diffusés par ADLAN à l'occasion de l'Exposition Picasso à la Sala Esteve.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 69

Le choix des œuvres avait été réalisé par Jaume Sabartès, un ami de
jeunesse de Picasso qui était devenu depuis peu son secrétaire, et par Breton,
Eluard et Zervos : vingt-cinq œuvres avaient été sélectionnées dont dix-sept
peintures, une aquarelle, un pastel, un projet de tapisserie, trois papiers
collés et une eau-forte. D'abord annoncé pour le 7 juin, le vernissage eut lieu
le 13 «a les 10 de la nuit», et fut retransmis par «Radio Barcelona». «Joan
Alavedra llegi un manifest del grup Adlan. De Juli Gonzalez, Salvador Dali
i Lluis Fernandez, es radiaren discos impressionats expressament per
aquesta festa. Joan Mirô digue uns mots rebels i l'amie de Picasso, Sabartès,
récita i comentà unes mostres de poesia del dotadissim artista. Si les pintures
de Picasso son com deia Dali en el seu dise 'un tren exprés de primavera que
ha arribat a Barcelona amb quaranta anys de retard', en canvi la literatura
del malgueny ha arribat a Barcelona primer que enlloc» 27. Durant les deux
premiers jours, plus de mille cinq cents personnes défilèrent dans les locaux
de la Sala Esteve {La Publicitat, 16-1-1936). En tout, plus de huit mille
visiteurs durant les quinze jours que dura l'exposition. Pour la première fois,
tous les journaux de Barcelone, toutes tendances confondues, parlaient
abondamment d'une exposition d'ADLAN et des ses organisateurs: La
Publicitat et Mirador, bien sûr, mais aussi El Dia Grafico, La Noche, La
Veu de Catalunya, El Mati, El Diluvio, La Humanitat. Mais si l'exposition
obtint un succès d'affluence sans précédent, ce fut avant tout un succès de
scandale. Le choix des œuvres fut longuement controversé : trop de tableaux
hermétiques, trop d'œuvres monstrueuses de la période de Dinard qui
avaient marqué, à la fin des années vingt, le rapprochement de Picasso avec
le Surréalisme. On reprocha à l'exposition d'être trop fragmentaire et aux
organisateurs de rechercher une sorte de légitimité à leurs propres activités
avant-gardistes. Ce que résume parfaitement l'article de Just Cabot, «un mal
servei a Picasso» :

Naturalment, aquestes explications només serviran per a enterbolir les idées que
puguin tenir els aficionats a esnob de l'avantguardisme. [...]
No es tracta ara de valorar l'obra de Picasso, de defensar-la o d'atacar-la — que
ambdues coses son possibles, fins per una mateixa ploma — . A mes a mes, per aquesta
feina no ens servira aquesta exposiciô tan mal triada.
Es tracta senzillament de denunciar la iniciativa d'A.D.L.A.N. com perjudicial a
Picasso i al public.
En llur desig d'avantguardisme, els organitzadors de Tactual exposiciô nômes han
arreplegat unes quantes obres que poguessin exercir una funciô provocativa, amb
l'esperança de divertir-se amb les reaccions de certa part del public i una possible
polèmica de critics, tal com succeia vint anys enrera, al començ de les temptatives
cubistes, dadaistes, etc. [...]

27. «Inaugural de l'Exposiciô Picasso», La Veu de Catalunya, 14-1-1936. Joan Alavedra fut
l'homme de confiance de Francesc Macia durant les dernières années du Président. Les
textes de Dali, Mirô, Juli Gonzalez, Jaume Sabartès, Lluis Fernandez, sont reproduits
dans le n°7-10 des Cahiers d'Art, 10e année, 1935.
70 EMMANUEL GUIGON

Es fer un mal servei al public, que en la seva majoria no pot haver conegut les
evolucions i acrobatismes de Picasso, presentar-li'n sols un aspecte i encara el que
— sobre no tenir cap calor désintégrât del conjunt de l'obra — ha de contribuir a
formar-ne el concepte mes fais.
Si una vegada que els A.D.L.A.N. deixen d'actuar en cercle restringit i es dediquen a
una activitat pûblica, ho fan aixi, ningû no els podrà pas felicitar28.

Parmi les réactions les plus spectaculaires provoquées par l'exposition,


il faut encore citer les tracts (une dizaine) diffusés par la «delegaciô catalana»
du groupe PAC, une «entitat popular» qui se propose d'«orientar la joventut
devers altres camins que els del suïcidi artistic». Les principales cibles de
PAC, ce sont les membres d'ADLAN et les galeries d'art qui sont un tant
soit peu associées à l'idée de «modernité» : «M...aragall, M...eril, M...ompu,
M...iguel Villa, (Nota del PAC: Quanta M...!)». Dans un autre tract, c'est
un «portrait classique» qui est reproduit face à une parodie de «portrait par
Picasso», caricatural et dûment barré d'une croix réprobatrice: «After
Stawisky. After Strauss. After Picasso. Guitarres, Cubisme, Futurisme i
Cinisme. Molt Cinisme... L'Aventurer de la Pintura a Barcelona. Mentides
al blau de Prussia. Picasso ve de França perquè els compradors d'Art ja han
començat a veure-hi clar».
Le second événement sans précédent attendu avec impatience par
ADLAN, ce furent les conférences de Paul Eluard, venu présenter
l'exposition de son ami Picasso. Eluard avait déjà séjourné à diverses reprises en
Catalogne, depuis 192729. Avec Foix, il avait préparé une Antologia del
Surréalisme dont la publication aux éditions de «L'Amie de les Arts» fut
annoncée à deux reprises en 1933 et 1934. Comme bien d'autres projets,
cette anthologie bilingue ne vit pas le jour, en partie faute d'argent, nous
privant ainsi d'un document essentiel30. La veille du départ d'Eluard pour
l'Espagne, le 8 janvier, Picasso crayonna un portrait du poète que Foix fit

28. Just Cabot, «Un mal servei a Picasso», Mirador, 23-1-1936.


29. La présence de Paul Eluard à Barcelone durant l'été 1927 est signalée par La Nova
Revista (n°9, septembre 1927) et par L'Amie de les Arts (n°17, 31 -VIII- 1927). En
septembre 1929, Eluard fut invité par Dali à Cadaqués, séjour au cours duquel il
rencontra le poète J.V. Foix (voir J.V. Foix, «Els dos extrems a Cadaqués», Mirador,
15-IX-1929).
30. «Una collecciô de tiratge molt limitât ha donat obres no accessibles, literàriament a tot el
public : les edicions de 'L'Amie de les Arts', dins la quai Colleciô han aparegut Gertrudis
i K.R.T.U., de J.V. Foix, i Darrera el vidre, de Caries Sindreu. Es dins d'aquesta
Colleciô que sortira aviat una Antologia del Superrealisme, amb illustrations inédites ;
un llibre de poèmes de Sebastià Sànchez- Juan, i Telegrames de J.V. Foix» (La
Publicitat, 16-11-1934). Les deux derniers livres mentionnés restèrent également à l'état
de projet, ce qui laisse supposer que les éditions de L'Amie de les Arts eurent des
difficultés financières. L'Anthologie surréaliste avait déjà été annoncée dans La
Publicitat du ll-X-1933. Sur la collaboration de Foix avec Eluard, on pourra consulter mon
article «A propos d'un Bulletin International du Surréalisme à Barcelone», Docsur,
Documents sur le surréalisme» Paris, 1990.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 71

reproduire le 17 en première page de La Publicitat. Foix voulait ainsi


justifier les partis-pris de l'exposition que dénonçait la presse presque
unanimement : «Aigu ha dubdat que Picasso hagués autoritzat l'exhibiciô
actual d'algunes de les sèves teles. Amb aquest dibuix pretèn fer gràfica
aquesta autoritzaciô»31. De son côté, à Paris, Dali avait consigné quelques
recommandations pour le poète : «Voir Jaume Miravitlles, ancien
communiste, très intelligent, il peut te faire connaître quelques anarchistes
représentatifs de la F.A.I. (...). Pour les interview, accentue les points de vues
'anarchiques' sur le plan artistique général — apologie du 'modern style' sur
le plan esthétique. 'Les Catalans sont surréalistes dans Yanarchie, et dans le
réalisme'. Dis que Dali apporte la méthode Paranoïaque critique, avec
laquelle on peut faire beaucoup de choses importantes puisqu'il s'agit d'une
méthode terriblement compliquée toute nouvelle que personne ne comprend,
que même Dali ne comprend pas. Que le surréalisme se trouve partout où on
ne le voit pas, chez Fortuny, chez Gaudi [...]». Un dernier conseil:
«connaître Garcia Lorca dans le cas où il serait à Barcelone, poète très
important, il a fait des choses tout à fait surréalistes et sensationnelles».
Enfin, en marge de cette lettre, une ultime «recommandation» : «Foix est un
bon poète, très surréaliste, mais avec des velléités nationalistes catalanes. Il
t'aime inconditionnellement» 32.
Eluard et Nusch arrivèrent à Barcelone le 14 janvier, au lendemain de
l'inauguration de l'exposition33. Tous deux furent accueillis par Mirô et
Sert. Les nombreuses cartes postales envoyées à leurs amis surréalistes
témoignent du succès de scandale de l'exposition et des nombreuses activités
d'Eluard : «L'exposition Picasso a un immense succès, en grande partie de
scandale. Je fais des conférences, radio, etc.» (à René Char). «Tout se passe
très bien. Je parle cet après-midi à la radio. Demain, conférence, le soir
radio-diffusée aussi. Lundi, conférence sur la poésie et le surréalisme.
Partons mardi pour Madrid. Puis probablement Bilbao (...). L'exposition
crée une grande agitation» (à Valentine Hugo)34. Le 16 janvier, la photo
d'Eluard et une interview par le poète Luis Gôngora furent publiées dans le
quotidien La Noche, sous le titre «La esencia del Surrealismo». Le vendredi
17, Eluard prononça une première conférence sur Picasso à la Sala Esteve 35.

31. J.V. Foix, «Notes i simulacres. Un dibuix que té vuit dies», La Publicitat, 17-1-1936.
32. Un fac-similé de cette lettre de recommandations est reproduit par Rafael Santos
Torroella, Salvador Dali corresponsal de J. V. Foix, 1932-1936, Barcelone, Editorial
Mediterrania, 1986.
33. Le 12 janvier, La Publicitat, donnait la nouvelle que le poète «arribarà a la nostra ciutat
avui diumenge». Le 15, le même journal fait savoir qu'Eluard était arrivé la veille par
l'Express de Paris.
34. R.D. Valette, Eluard, livre d'identité, Paris, Tchou, 1967, p. 139-140. La carte postale à
Valentine Hugo est inexactement datée du 19 février.
35. Le texte de cette conférence est paru sous le titre «Je parle de ce qui est bien», avec en
note «fragment d'une conférence prononcée à Barcelone, Madrid et Bilbao à l'occasion
de la première exposition Picasso en Espagne», Cahiers d'Art, n°7-10, 1935, p. 165-166.
72 EMMANUEL GUIGON

Un long compte rendu parut le lendemain dans La Publicitaf. «Picasso


segons Eluard, segons Breton i segons ell mateix». Le lundi 20, Eluard fut
invité par le groupe «Amies de la Poesia» à lire ses poèmes à la Llibreria
Catalonia. Enfin, les 23 et 24 janvier, Eluard donna deux conférences sur le
Surréalisme, successivement à l'Ateneu Enciclopèdic Popular et à la Sala
Esteve, insistant sur les positions sociales et politiques adoptées par le
groupe depuis plusieurs années :

Amb textos de Breton, que Eluard accepta, va dir que no refusàven, els surréalistes, el
llegat «magnifie i aclaparador de la cultura», perô amb el fi de guiar-lo contra la societat
capitalista. El Surréalisme, que segons Eluard es un estât d'esperit i un instrument de
coneixeça, lliga la seva sort a la causa de l'alliberament de l'home, representada, sempre
segons ell, pel proletariat revolucionari. No pas que acceptin la submissiô de l'art i de la
poesia a la politica proletaria, sinô que en realitzar el Surréalisme la seva revoluciô en
art i en literatura contribueix, amb els seus mitjans propis, a aquella subversiô que ha de
fer recobrar, segons ells, intègres els drets de cadascû amb l'emancipaciô collectiva.
En alludir als qui acusen d'esnobs els que han preferit el Picasso surrealista en la tria
de pintures exposades actualment a Barcelona els compara als qui perseguiren Voltaire,
Rousseau, Sade, etcetera, tot confirmant la permanèneia del «Surréalisme» que d'Heràclit
a Miré i Dali passant per Llull sTia manifestât diversament. Remarca la surrealitat
d'alguns artistes catalans i es fixa en l'arquitectura de Gaudi — Sagrada Familia i casa
Milà — , que elle considéra d'un surréalisme integral36.

Après la capitale, c'est à Madrid que l'exposition Picasso fut accueillie,


du 10 au 26 février, dans des locaux qu'ADLAN avait inaugurés quelques
mois auparavant au 32 de la Carrera de San Jerônimo. Eluard prit la parole
le 4 février à l'Institut Français sur le thème «Pablo Picasso, peintre et
poète». Il fit la connaissance à cette occasion d'un jeune poète membre
d'ADLAN, Louis Parrot, bibliothécaire à l'Institut Français et lecteur à
l'Université. L'amitié entre les deux hommes ne fera que se confirmer au
cours des années à venir. C'est notamment par l'intermédiaire du jeune poète
qu'Eluard publiera quelques mois plus tard son poème «Novembre 1936»,
dans L'Humanité. Louis Parrot évoquera par la suite «le hasard qui le faisait
connaître dans une ville à laquelle il avait longtemps donné son nom [...]. On
venait d'exposer pour la première fois dans la capitale Ma jolie, une toile de
l'époque bleue et quelques admirables peintures de Picasso que les flammes
d'un incendie tout proche ramenaient à un réalisme de circonstance.
Federico Garcia Lorca était parti quelques jours plus tôt vers le sud»37. A
défaut de Garcia Lorca, Eluard fit la connaissance de Bergamin, Alberti,
Corpus Barga, Ramôn Gômez de la Serna — qui présenta sa conférence sur

36. «Ahier vespre a l'Enciclopèdic. Que es el surréalisme?», La Publicitat, 24-1-1936.


Présentée et traduite en catalan par Sert, cette conférence était illustrée de 26
diapositives d'œuvres de Dali, Mirô, Tanguy, Ernst, Magritte, Duchamp, Valentine
Hugo, Dominguez, Giacometti, Bellmer, Arp et Breton.
37. Louis Parrot, «Le poète et son image», Cahiers du Rhône, 1943, p. 68-69.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 73

«Le Surréalisme», à l'Ateneo — et de Guillermo de Torre, l'auteur du


catalogue et l'un des fondateurs de la section madrilène d'ADLAN38.
Au-delà des conférences et des interviews, ce séjour de Paul Eluard en
Espagne revêtit une importance essentielle pour quelques-uns des jeunes
artistes liés à ADLAN qui, à la faveur de leur rencontre avec l'auteur de
Capitale de la douleur, exprimèrent le désir de se constituer en «groupe
surréaliste». En témoigne par exemple la correspondance du peintre Antoni
G. Lamolla avec Eduardo Westardahl, le directeur de la Gaceta de Arte de
Tenerife :

No se si estarâ enterado que a raiz de la visita de Paul Eluard a Barcelona, hemos


formado un grupo surrealista. Nos presentaremos al pûblico, con una exposiciôn
colectiva en Barcelona, Madrid y Bilbao. Figurarân en dicha exposiciôn obras de Mirô,
Dali, Fernandez, Remedios, Vallmitjana, Lamolla, Cristôfol, Ismael, Planells, etc. 39.

ADLAN-INVITA

de la J.a ëxjicvicw

Qittutu 4 SKaif de J936


a d<ht iftuutf d'an-ze de la nil

Qitalonia

Carton d'invitation pour l'Exposition Logicophobiste.

38. La section madrilène d'ADLAN («Amigos de las Artes Nuevas») avait été fondée à la fin
1935 autour de Luis Blanco Soler, Norah Borges de Torre, Angel Ferrant, José Moreno
Villa, Gustavo Pittaluga et Guillermo de Torre. Entre novembre 1935 et juin 1936, le
groupe organisa des expositions de Juan Ismael, Moreno Villa, Maruja Mallo et
Alberto Sânchez au «Centro de la Construcciôn», Carrera de San Jerônimo, 32. Le
catalogue madrilène de l'exposition Picasso fut rédigé par Guillermo de Torre qui publia
également une interview d'Eluard le 29 janvier dans El Sol.
39. Lettre d'A.G. Lamolla à Eduardo Westerdahl datée du 19-111-1936. Archives E. Westerdahl,
Santa Cruz de Tenerife.
74 EMMANUEL GUIGON

L'exposition évoquée par Lamolla fut annoncée un mois plus tard dans
la presse barcelonaise comme une exposition surréaliste internationale, la
«Primera Exposiciô del Grup logicofobista» à laquelle, jusqu'au dernier
moment, devait effectivement participer Mirô, Dali et Oscar Dominguez40.
Elle eut lieu du 4 au 15 mai 1936 à la galerie Catalonia. Au total, trente-neuf
œuvres étaient exposées, dues à quatorze artistes qui se définissaient comme
le «grup surrealista inscrit a ADLAN» : Artur Carbonell, Leandre Cristofol,
Angel Ferrant, Esteve Frances, A. Gamboa-Rothwoos, A.G. Lamolla, Ramon
Marinello, Joan Massanet, Maruja Mallo, Angel Planells, Jaume Sans,
Nadia Sokalova, Remedios Varo et Juan Ismael, le peintre canarien établi à
Madrid. La préface du catalogue est signée par Magi A. Cassanyes, un
ancien collaborateur de L'Amie de les Arts, une des figures les plus
prestigieuses des milieux avant-gardistes catalans de l'entre-deux-guerre 41
qui tente assez confusément de justifier le nouveau néologisme. Pour
Cassanyes, trois grandes époques définissent l'évolution des formes
artistiques : aux «produccions artistiques arrelades en la Litûrgia, o dit d'una
altra manera, que tenen per base la Religiô [s'oposen] totes les obres que son
filles de les allucinacions oniriques o altres, l'origen de les quais cal cercar en
les tèrboles regions de l'anima on dominen els tan variats aspectes de la
Libido». Le Logicophobisme, «que es una tendèneia netament metafisica»,
doit tendre à la synthèse de ces deux conceptions antithétiques et
complémentaires, même si «en aquest grup hi prédomina l'élément surrealista, es a
dir, l'Antitesi (representacions que tenen el seu origen en la subconcièneia)».
On comprend que les éléments surréalistes les plus actifs du groupe, José
Viola, Remedios Varo et Esteve Frances, aient été quelque peu agacés par le
manque de cohérence de tels propos. A la suite de la préface de Cassanyes,
une note signée J. Viola Gamôn rappelait précisément un des principes
fondateurs du Surréalisme : l'expression du fonctionnement réel de la pensée
en dehors de toute préoccupation esthétique. Mais il s'agit d'un texte
d'intentionnalité différente qui marque une adhésion sans réserve au
mouvement surréaliste et à ses positions morales et politiques. José Viola était l'un
des principaux rédacteurs de la revue Art de Lérida (10 numéros ente 1933 et
1934), la moins connue des revues avant-gardistes de l'époque à cause de son

40. «TTie de dir que s'esta préparant una exposiciô de Surréalisme que comprendra tots els
surréalistes de la Peninsula i alguns de l'estranger» (Jordi Jou, «Una conversa amb
M.A. Cassanyes», La Humanitat, 29-IV-1936).
41. Magi A. Cassanyes (Sitges, 1893-Barcelone, 1956), critique et théoricien de l'art,
collaborateur à Sitges des revues Terramar (1919-1920), Monitor (192101923) et L'Amie
de les Arts (1926-1929) qui eurent un rôle important dans la diffusion du Surréalisme en
Catalogne. Cassanyes avait rencontré Breton en 1922 et publié un long compte rendu de
la conférence de ce dernier à l'Ateneo («Sobre l'exposiciô Picabia i la conferèneia de
Breton», La Publicitat, 22-XI-1922. Cet article est traduit en français dans Littérature,
Nouvelle série, n°9, février-mars 1922, p. 22-24.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 75

éloignement provincial, la seule pourtant qui se réfère explicitement à


Breton et au Surréalisme dans son premier editorial. Durant ses deux années
d'existence, Art publia les premiers textes surréalistes de Viola et des poèmes
de Foix, Eluard, Breton, Tzara, Dali, accompagnés d'illustrations de
Tanguy, Mirô, Chirico, Arp, Masson, Ernst, Seligmann, etc.
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prrifrasi ,W Va ambar cjuan io i i ■

Catalogue de l'Exposition Logicophobiste.

L'exposition eut quelques échos favorables dans la presse de Barcelone,


de Lérida et de Madrid, mais la plupart des commentaires s'accordent à
regretter l'influence prédominante de Dali et l'extravagance des titres. Ainsi
pour le critique de La Vanguardia, Alejandro Plana, dans sa chronique du
15 mai: «Las obras expuestas son, en su mayoria, una imitaciôn mas o
menos afortunada del estilo de Salvador Dali. Los temas son mas compren-
sibles por sus titulos que por su ejecuciôn plâstica». Ce qui est mis en doute,
76 EMMANUEL GUIGON

même dans les articles plutôt favorables aux «logicophobistes», c'est


l'authenticité des spéculations freudiennes et symboliques et les surenchères oniriques
de plus ou moins bon aloi :

I l'exposiciô logicofobs ? Una mica deslligada, desigual i molt intéressant. L'emprenta


es forta, el sentit del nou agut. Hi hauria volgut veure menys d'aquesta obsessiô del
Freudisme, poc al seu Hoc en el clima de l'art d'aquest pais42.

Le reproche n'est pas nouveau. En Catalogne, dès 1929, un critique de


La Nova Revista remarquait ce phénomène qu'il fut le premier à désigner
sous le terme «dalinisme»: «El tràgic de la questiô es la influència que
Salvador Dali comença de tenir, no damunt d'ell mateix, sinô damunt
d'altres criatures. Avui hi ha xicots que passen el dalinisme i juguen a
surréalisme»43. L'entrée tumultueuse que fit Dali dans le groupe surréaliste
en 1929 et son rapide succès dans les milieux artistiques internationaux
expliquent en partie l'impact en profondeur qu'il exerça durant toutes les
années trente sur déjeunes peintres et poètes qui cherchaient alors leur voie.
Le dalinisme n'est pas d'ailleurs propre à l'Espagne ou à la France. C'est
chose sensible autant en Suède avec le groupe de Halmstad, qu'au Danemark,
en Europe centrale et au Japon, un peu plus tard au Portugal. Pour nombre
d'artistes, Dali était celui qui, par sa peinture autant que par ses écrits,
semblait s'avancer le plus loin sur le chemin du «fonctionnement réel de la
pensée». Son impact fut tel qu'aux yeux d'observateurs hâtifs «dalinisme» et
«surréalisme» tendaient à se confondre, au détriment du ressort automatique
par lequel le Surréalisme s'est défini.
L'objection formulée à rencontre des «logicophobistes» était tout
particulièrement fondée dans le cas d'Angel Planells, un peintre originaire
de Cadaqués que Dali avait aidé très tôt de ses conseils. Planells est un
dalinien, et même, historiquement, le premier des daliniens ; «Es un dalinià.
Abusivament dalinià», remarquait Foix à propos de son exposition en juin
1932, à la galerie Syra44. A chacune de ses expositions, il est présenté comme
«un simple imitador», ou au mieux comme «un joven discipulo». Planells
emprunte à Dali non seulement sa facture illusionniste et ses procédés de
déformation, l'anamorphose, les images doubles, les formes molles, la
liquéfaction, des êtres et des choses, mais il se sert aussi des mêmes objets
obsessionnels : le pain, la harpe, le piano à queue, l'âne pourri, les crânes, les
insectes, le paysage aux roches abruptes et découpées, si particulier des côtes
de l'Ampurdan. Et partout des membres épars, une tête coupée, une femme

42. A. de Montabert, «Papers. Art mort o art vivent?», La Publicitat, 17-V-1936.


43. XXX, «Dalinisme», La Nova Revista, vol. VII, n° 28, avril 1928, p. 310.
44. J.V. Foix, «Les idées i els esdeveniments», La Publicitat, 21-IV-1932.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 77

Illustration non autorisée à la diffusion

s'ouvrent comme des œuvres ou apparaissent à la surface d'un corps comme


autant de stigmates. Pour Planells, comme pour tous les daliniens, la
représentation du corps bascule du côté de sa fragmentation convulsive.
Dans un tableau de 1930, Plàcid desesper, un doigt gigantesque flotte au gré
du vent sous l'effet d'un singulier tropisme : un an avant, Dali avait publié
dans le dernier numéro de L'Amie de les Arts son article «L'alliberament
dels dits», illustré de photographies de pouces. Comment une telle affinité
était-elle possible? Guillermo Diaz-Plaja posait la question en 1931, à
propos d'une exposition de Planells au salon «Heraldo de Madrid» :

El surréalisme» — digamos surrealismo siempre, sin obsesiôn escolâstica — es un tipo


de creaciôn absolutamente personal, que no puede someterse a postulados de ningûn
género. No se puede hacer surrealismo como se hace futurismo o modernisme Sino que
78 EMMANUEL GUIGON

a la voluntad de creaciôn deben acompanar una série de condiciones psiquicas


intransferibles : vision interior, sueno preciso, capacidad de recuerdo, etcetera. Por eso
nos parece inaudito encontrar un tipo de plasmaciôn uniforme en dos pintores
surrealistas. En la copia de la realidad podemos encontrar versiones afines. Pero, <,qué
decir de un campo de vision donde toda objetividad esta proscrita y cualquier realidad es
una pur a entelequia?45.

Diaz-Plaja percevait pourtant une différence majeure entre les deux


peintres, voyant chez l'élève un artiste d'une moins grande rigueur
académique dans la composition, et en cela une plus grande spontanéité. Toute
l'originalité de Planells est précisément dans cette ingénuité qui, à ses
meilleurs moments, n'est pas exempte d'une certaine ironie par rapport à
son modèle.
La même critique de «plagiat» pourrait être formulée à l'égard de Joan
Massanet, un peintre autodidacte lui aussi originaire de l'Ampurdan, chez
qui l'on retrouve les mêmes allusions à des mythes typiquement daliniens
(Apariciôn de Vermeer de Delf en el golfo de Rosas, 1935-1936). Le
reproche pourrait être répété à l'égard du titre des tableaux de Lamolla:
L'espectre de les très gracies dins l'aura subtil; Tubèrcul incûbic tot espérant
l'hora seca; Abraçada aeri-plàstica sense perifrasi... Il est pourtant des
œuvres présentées à l'Exposition Logicophobiste qui échappent largement
au modèle dalinien. Ainsi les peintures de Maruja Mallo, plus qu'au
Surréalisme, s'apparentent à la tradition germanique et hispano-américaine
du «Réalisme magique». Paissatge assassinat d'Artur Carbonell est un
étrange accouplement d'inquiétantes arborescences, mi-arbre mi-corail,
situées dans l'ample et silencieuse perspective d'un paysage emprunté à
Tanguy plutôt qu'à Dali. Les dessins exposés par Andreu Gomboa Rothwoos
rappellent davantage le Symbolisme et les illustrations d'un Rops ou d'un
Beardsley que le système de la «paranoïa-critique». A l'instar de Arp et de
Giacometti, les scultptures de Ferrant et de Marinello se placent dans une
situation essentiellement transitoire entre la figuration et la non-figuration,
fort éloignées de l'influence tapageuse du peintre de Port Lligart. Quant à
décrire Nit de Lluna du sculpteur Leandre Cristôfol, peut-être l'œuvre la
plus extraordinaire de l'exposition, on dira volontiers qu'il s'agit d'un
plateau de jeu sur lequel sont posés deux éléments différenciés qu'on
pourrait identifier à une quille et un œuf. Cette sculpture, par sa simplicité et
son évidence sensible, évoque une scène que l'on devine capitale, située dans
un temps immuable de la nuit, dans cet «en-deçà» des formes humaines dont
on ne doit pas perdre de vue qu'il pose d'une manière originale le problème
du «modèle intérieur», et qu'il constitue l'un des versants, peut-être le plus

45. Guillermo Diaz-Plaja, «Sobre pintura surrealista (Angel Planells)», Vanguardismo y


protesta, Los Libros de la Frontera, Barcelone, 1975, p. 72.
ADLAN (1932-1936) ET LE SURRÉALISME EN CATALOGNE 79

Illustration non autorisée à la diffusion

au Circulo Mercantil de Lérida, en septembre 1935 : les œuvres du sculpteur


sont pour lui l'équivalent d'un poème, de «simples moyens de l'activité
poétique» qui portent atteinte aux prétentions exorbitantes de la sculpture,
comme à celles de la peinture ou de la littérature. Rien d'étonnant à ce qu'il
ait cité en exergue cette phrase de Tériade (alors directeur de Minotauré) :
«La poésie est d'autant plus réelle que la réalité qu'elle exprime est
insaisissable et inespérée» ; et qu'il ait remarquablement conclu sa préface
par cette confession de Rimbaud : «J'ai exprimé l'inexprimable». En
paraphrasant cette double citation, on dira volontiers de la scultpture «logico-
80 EMMANUEL GUIGON

phobiste» de Cristôfol qu'elle est d'autant plus réelle, d'autant plus riche
d'une indéniable puissance suggestive qu'elle exprime l'inexprimable et
qu'elle ne peut être perçue que par un sentiment d'évidence surgissant du
jamais vu. Mais bientôt, moins de deux mois après l'Exposition Logico-
phobiste, la guerre allait mettre fin à des projets d'expositions surréalistes
qu'ADLAN devait organiser dans les principales villes de la péninsule, et à
un Congrès International des Artistes Créateurs, préparé par Joan Prats.
Certains furent réduits au silence, pour longtemps. D'autres s'engagèrent
corps et biens dans la tourmente, avant de s'exiler définitivement... Que
reste-t-il aujourd'hui de ces quatre années ? Le goût du jeu et de l'éphémère,
le rire et la galéjade, la quêteidu jamais vu et de l'imprévu, tout ceci prend un
singulier relief lorsque l'on envisage l'ensemble des activités d'ADLAN, et
nous reporte irrésistiblement, par une pente naturelle, à cette «nuit de lune»
que Cristôfol a su fixer dans nos mémoires, sans qu'il ait eu besoin de la
décrire pour qu'elle apparaisse, somptueuse et éclatante, dans un perpétuel
chassé-croisé du concret à l'image mentale. Il s'en faut assurément que cette
leçon soit épuisée.

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