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Érosions Usures

Rencontre avec
Pascal Magne

Fondation Vous êtes connu, entre autres choses, Urs Belser (mon mentor « clinique ») et le
Don & Sybil Harrington pour avoir contribué au courant européen, Professeur William Douglas (mon mentor
Professeur de
devenu maintenant un concept, « scientifique »), et aussi de mentionner à ce
dentisterie esthétique
de préservation tissulaire, notamment avec sujet les travaux du Docteur Andreasen en
à la Herman Ostrow
School of Dentistry
votre très célèbre « no post, no crown », 1992 et du Docteur Walls en 1995 sur l’utili-
of USC, Los Angeles, permis par votre non moins célèbre sation des facettes en céramique sur les dents
Californie « get bonded ». D’ailleurs, les auteurs sévèrement usées et fracturées, qui avaient
de ce numéro spécial se déclarent être confirmé notre vision [1, 2]. Mais je ne serais
vos élèves. pas en train de faire cette interview sans la
Quel bilan faites-vous, en 2014, en Europe synergie exceptionnelle obtenue avec mon
et aux États-Unis, de ce nouveau concept cher frère Michel Magne, le plus génial de
de dentisterie restauratrice ? tous les céramistes. Merci Michel !
Avant de répondre à cette question, je pense Je peux donc affirmer aujourd’hui, plus de
qu’il est bon de rappeler deux notions impor- vingt ans après, que le concept est robuste
tantes. et ne fait que croître et se perfectionner sous
Permettez-moi tout d’abord de vous remer- forme de concepts révolutionnaires comme
cier de me donner l’occasion de m’exprimer la technique bi-laminaire [3] et l’approche
et de répondre à vos questions. Je dois vous « 3-step  » de Francesca Vailati [4], les
dire que nous n’avons rien inventé. Comme facettes occlusales ultrafines, la technique de
le dit L’Ecclésiaste dans la Bible : « Ce qui a scellement additif, l’élévation des marges pro-
été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est fondes [5], etc. Le mouvement biomimétique
ce qui se fera : rien de nouveau sous le soleil ! » a aussi donné naissance à différents groupes
(Chapitre I, verset 9). L’idée de base est univer- de réflexion de type « think tank » (comme le
selle et inchangée, il s’agit d’imiter la nature. fameux groupe Bio-Emulation® en Europe)
Bien avant d’émettre le concept « no post, no et même une académie aux États-Unis (ABD
crown », nous avions émis l’idée du « prin- ou Academy of Biomimetic Dentistry), ce qui
cipe biomimétique » (Information Dentaire prouve l’intérêt général pour ces techniques.
n° 6, 10 février 1999), lui-même validé par Ce qui m’encourage aussi énormément,
les travaux de recherche effectués entre 1997 c’est de voir l’enthousiasme des plus jeunes
et 1999 lors de mon séjour au Minnesota diplômés qui se lancent dans leur carrière
Dental Research Center for Biomaterials and de praticiens indépendants tout en adop-
Biomechanics, ainsi que notre expérience cli- tant avec succès le concept biomimétique.
nique datant du début des années 1990 avec Il est important que ce type de dentisterie
nos cas de facettes extrêmes qui défièrent soit enseignable, pratiquable et économique-
les limites de l’adhésion (fig. 1). Je me dois ment viable. Je crois que le test du temps l’a
ici de remercier mes mentors, le Professeur prouvé, mais il y a encore beaucoup d’incré-

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Rencontre avec…

9 ans postopératoires

1a et b. Suivi dules, peut-être même davantage aux États- cas, c’est de commencer avec l’approche la
à 9 ans de facettes Unis et dans le milieu académique, et encore plus conservatrice, souvent des composites
de type III, « no post, beaucoup de travail pour s’assurer que les directs, et de passer par la suite à des solu-
no crown »,
c’est-à-dire
techniques minimalement invasives soient tions plus invasives (facettes, onlays) si elles
reconstructions enseignées globalement et reconnues par les devaient s’avérer nécessaires. Il s’agit surtout
extrêmes 100 % assurances sociales. Récemment, le fameux d’éviter à tout prix les préparations coronaires
adhésives à la suite Wall Street Journal publiait un article inti- périphériques.
de fractures. tulé « Une approche minimalement invasive
Céramique à la réforme de santé » (titre traduit). Je n’ai Dans le cas de destructions antérieures
feldspathique sur die
pas pu m’empêcher de tirer un parallèle direct importantes, il est souvent nécessaire
réfractaire par Michel
Magne CDT, MDT. avec les implications socio-économiques de d’augmenter la dimension verticale.
la médecine dentaire biomimétique. Pour Malgré tout, il arrive que nous n’ayons que
une fois, la médecine dentaire aurait pu être peu d’espace prothétique en postérieur.
en avance sur la médecine ! Dans ce cas, faut-il éliminer un peu
de tissu dentaire pour obtenir cet espace
En Europe, nous constatons une ou avons-nous la possibilité d’utiliser des
augmentation de la prévalence des usures matériaux de restauration sous très faible
dentaires. Est-ce aussi le cas aux États- épaisseur ? Quel matériau de restauration
Unis ? Cette thématique est-elle entrée utilisez-vous et quels sont vos critères
dans votre enseignement académique ? de choix ? La CFAO peut-elle apporter
Absolument, et ce qui me semble clair, c’est des solutions à ce type de situation ?
que nous sommes plus attentifs à la présence Oui, tout à fait ! Votre question décrit parfai-
de ces lésions et au diagnostic différentiel tement le dilemme que ces cas représentent. Le
entre usure par abrasion/attrition ou usure plus important étant la conservation des tissus
érosive. Les avances de la médecine dentaire sains, nous nous devons d’utiliser des maté-
adhésive ont aussi aidé à définir la nature de riaux permettant de faibles épaisseurs. Nous
ces lésions et à en préciser le pronostic par avons comparé dans trois études de fatigue
l’utilisation de restaurations intérimaires non accélérée et de simulation par éléments finis
invasives. De façon surprenante, les restaura- [6, 7, 8] des facettes occlusales ultrafines de
tions directes adhésives, d’abord utilisées dans 0,6 mm et 1,2 mm d’épaisseur et il s’avère très
un but de stabilisation, d’observation et de clairement que deux matériaux CFAO sortent
surveillance du processus d’érosion, semblent du lot : la résine composite Paradigm MZ100
donner de très bons résultats à long terme, (3M ESPE, prédécesseur du Lava Ultimate) et
et surtout des complications beaucoup plus la céramique e.max CAD (Ivoclar) avec tou-
faciles à gérer par rapport à des traitements tefois une nette diminution de la propension
plus invasifs. Ce qui semble logique dans ces aux fissures pour la résine composite CFAO.

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Érosions Usures

[
La réponse à cette question a été donnée en
Les patients à haut risque méritent partie au début de cet entretien, mais je suis
tout autant que les autres une restauration ravi d’ajouter que l’approche biomimétique
minimalement invasive. s’applique principalement à la conservation
des tissus sains, c’est-à-dire au respect de la
biologie (maintenir à tout prix la vitalité pul-
paire) et la reproduction de la fonction et de la
mécanique dentaire (simulation de l’émail, de
La décision doit être faite cas par cas en la dentine et du complexe amélo-dentinaire).
considérant le type de dent antagoniste (dent Si ces buts sont atteints, il va sans dire que le
naturelle, restauration céramique, etc.) et en résultat a de fortes chances de présenter une
expliquant clairement au patient les limites de esthétique appropriée puisque les matériaux
chaque matériau. En présence de dents natu- les plus adaptés (résines composites et céra-
relles antagonistes, nous préférons utiliser miques) possèdent aussi des caractéristiques
de la résine composite qui offre un meilleur optiques adéquates. Dans ce but, l’utilisation
couple d’usure avec l’émail [9]. des techniques adhésives est primordiale. Les
principes mécaniques de rétention (tenons
Pensez-vous que les traitements ultra- dentinaires et radiculaires) et de forme de
préservateurs, décrits notamment résistance des préparations dentaires (pré-
par Francesca Vailati, de ces patients parations coronaires périphériques) sont en
aux dentures sévèrement usées, avec contradiction avec le principe biomimétique.
le concept du « no prep », sont accessibles Ces techniques requièrent en effet une éli-
à tous les praticiens ? mination massive des tissus intacts, parfois
Nous savons bien que le praticien lui-même jusqu’à > 70 % du volume coronaire [11, 12],
représente la variable la plus grande lors d’un sans compter les interventions chirurgicales
traitement dentaire. Je ne peux pourtant pas requises pour assurer la hauteur coronaire
m’empêcher de penser qu’un praticien moyen en cas de couronnes cliniques trop courtes.
ou médiocre aura beaucoup moins de chances Le concept biomimétique simplifie tout cela,
d’avoir des problèmes avec de telles techniques il est universel et donc nettement avantageux
en comparaison de techniques plus invasives. sur le plan socio-économique. Il va sans dire
Pour les patients aux dentures sévèrement qu’une fois adoptée, il est difficile de s’éloi-
usées, il a été démontré que les complications gner de l’approche biomimétique, et cela
qui surviennent à la suite d’un traitement inclut bien évidemment les restaurations de
prothétique classique sont beaucoup plus dentures sévèrement usées. D’ailleurs, pour
dramatiques (nécessitant souvent traitement quelles raisons ce type de restaurations méri-
de racine ou extraction) comparées aux com- terait-il une approche plus invasive ? À vous de
plications des traitements plus conservateurs me le dire, spécialement au vu de ma réponse
avec des résines composites directes [10]. Ces aux questions précédentes. Une chose est cer-
derniers sont en effet facilement réparables taine, un patient avec denture sévèrement usée
avec de moindres conséquences pour les tissus par attrition et bruxisme doit être considéré
et les dents restantes. En résumé, « LESS IS comme un motocycliste un peu trop aventu-
MORE ». reux, c’est-à-dire qu’il doit porter un casque !
Ce casque, bien entendu, c’est une gouttière
Vous avez été le premier dans le domaine de protection occlusale, et cela quel que soit le
de la dentisterie restauratrice à parler type de restauration. Mais j’insiste sur le fait
de biomimétique. Pouvez-vous nous dire que ces patients à haut risque méritent tout
ce que cela signifie ? La biomimétique autant que les autres une restauration mini-
est-elle applicable aux restaurations malement invasive qui est davantage « failure-
des dentures sévèrement usées, sujet friendly » qu’une restauration prothétique
de ce numéro spécial ? classique.

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