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Jérémy Morvan
Université de Bretagne Occidentale
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Chapitre 1
Les marchés financiers
I. Présentation générale
Les marchés financiers sont multiples. Les principaux sont abordés avant de faire le lien
entre la finance d’entreprise et la finance de marché.
1. Définition
Il n’existe pas un marché financier mais des marchés financiers. Ils constituent un
ensemble de marchés où s’organise la confrontation de l’offre et de la demande de
financements sur différents supports.
Chaque classe d’actifs est cotée sur un marché différent. Le marché monétaire
regroupe les solutions de financement à court terme sur supports de dettes. Il est peu
évoqué par les médias. Pourtant, le compartiment interbancaire qui l’anime a une
importance de premier ordre dans l’économie car il fixe les conditions de crédit à court
terme des entreprises et des ménages. Le marché obligataire concerne les solutions de
financement à moyen et long terme sur supports de dettes. Il est le marché le plus actif
où s’échangent les plus grands volumes financiers dans le monde grâce à la présence de
la dette souveraine. Il est de plus en plus fréquent de concevoir ces deux premiers
marchés comme un marché unique, le marché des titres de créance ou marché du crédit,
la distinction ne s’opérant que sur la différence d’échéance : court terme pour le marché
monétaire (durée inférieure à deux ans), moyen et long terme pour le marché obligataire
(durée supérieure à deux ans). Le marché des actionss est sans doute le marché le plus
connu car les grands investisseurs s’y disputent le contrôle des entreprises. Le marché
de la gestion collective n’est pas stricto sensu un marché financier. C’est un marché
connexe qui est toutefois de plus en plus intégré aux marchés financiers (trackers).
Enfin, les marchés des dérivés ferment la marche. Leur importance est croissante avec
le développement des opérations de spéculation et de couverture avec effet de levier.
Les opérateurs peuvent tirer profit d’une baisse des cours en décalant vente d’un
instrument au prix courant et livraison à une date ultérieure. Par exemple, un
opérateur fait la promesse de vendre un titre (position courte) le 10 du mois à un prix
fixé de 20 €. A l’échéance de l’opération, alors que le cours est de 15 €, il achète au
comptant le titre (15 €) pour le revendre immédiatement au prix convenu de 20 €. Il
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
3
gagne ainsi 5 € en pariant sur la baisse du cours. Sur le marché d’actions de Nyse-
Euronext, le Service de Règlement Différé (SRD) est ainsi un mécanisme de marché
permettant aux opérateurs de différer à la fin du mois boursier le règlement-livraison
de leurs positions sur les marchés au comptant. Ce mécanisme est proche de celui des
marchés à terme. Ce système remplace depuis 2000 le règlement mensuel (RM).
Toutefois, seules les valeurs les plus liquides sont éligibles à ce dispositif. De plus, le
SRD est payant, à la différence du RM.
Le prêt de titres est également un mécanisme qui permet de tirer profit d’une baisse
d’un titre. En effet, le prêt de titres est une opération temporaire de gré à gré
consistant en la livraison d'une quantité d'instruments financiers, non susceptibles de
faire l'objet d'une rémunération (versement de dividende, détachement d'un coupon)
ou d'un amortissement lors de l’opération, en contrepartie d'une rémunération sous
forme d'intérêts. A échéance du prêt, les titres sont restitués par l’emprunteur au prix
fixé contractuellement.
Enfin, il est possible de considérer les marchés financiers selon leur degré
d’organisation. Les marchés réglementés sont des marchés où les acteurs, soumis à une
réglementation destinée à faciliter et à sécuriser les échanges, négocient des instruments
dont les caractéristiques sont standardisées. Les prix sont publics et la liquidité est
relativement importante. Les échanges sont assurés par une chambre de compensation
(clearing house).
A1 V1
Chambre de
PSI compensation
PSI A1 V1
An Vn
Règlement Livraison
Règlement Livraison
Les marchés réglementés sont fortement organisés pour assurer la liquidité des titres
et la sécurité des échanges. Ils sont construits autour d’un nombre réduit d’acteurs. Une
entreprise de marché organise les relations entre des prestataires de services
d’investissement (PSI). Agréés par les autorités de marché, ils sont chargés de collecter
les ordres d’achat (A) et de vente (V) des opérateurs :
les courtiers (brokers) opèrent pour compte de tiers. Ils sont de simples
intermédiaires et ne prennent pas de position sur les marchés.
les teneurs de marché (dealers) opèrent pour compte propre.
Les PSI peuvent être à la fois broker et dealer à la condition que ces deux rôles
soient strictement distingués par une “ muraille de Chine ” (China Wall) pour éviter les
conflits d’intérêts. Les PSI adressent les ordres à une chambre de compensation qui est
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
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un mécanisme de marché géré par un établissement de crédit (LCH Clearnet pour Nyse-
Euronext en France par exemple) dont la mission est d’assurer le dénouement
(règlement et livraison des actifs négociés). La chambre de compensation assure ainsi la
bonne fin des échanges entre des investisseurs qui n’ont pas de relations directes et ne
se reconnaissent pas. A côté, les marchés de gré à gré (ou OTC pour over the counter ou
hors cote) sont des marchés où la négociation peut être déclinée en sur-mesure
(quantités de titres, devises utilisées, délais, échéances etc). Les prix ne sont pas diffusés
et la liquidité est réduite. Les échanges sont négociés directement entre les
contreparties, qui se connaissent donc, afin d’assurer le bon déroulement des opérations
de règlement-livraison. Toutefois, il est erroné de considérer que les marchés de gré à
gré ne sont pas encadrés. En effet, la réglementation comptable et financière s’applique
à chacune des contreparties. Des conventions cadres ont également été adoptées pour
faciliter les échanges. Elles sont fournies par différentes autorités : ce sont par exemple
le contrat cadre de la Banque de France sur les opérations de pension livrée, le contrat
standard ISDA sur CDS ou la convention de globalisation et de compensation AFTI sur
les prêts de titres.
vendre les valeurs cotées. Le mode de cotation des instruments financiers est alors le
reflet de leur niveau respectif de liquidité.
La liquidité
La liquidité est déterminée par le nombre de titres échangés lors des séances de
négociation.
Définition : la liquidité est la caractéristique d’un titre qui peut être acheté et vendu
rapidement, sans frais excessifs et sans décote sur le capital.
La liquidité est une notion importante car elle garantit le bon déroulement des
négociations des instruments conformément aux lois du marché : quand l’offre de titres
excède la demande, le prix baisse ; quand la demande de titres excède l’offre, le prix
augmente. Ainsi, l’illiquidité d’un titre représente pour les opérateurs de marché un
risque à l’achat comme à la vente. Un acheteur peut devoir consentir un prix
anormalement élevé pour acquérir un titre et un vendeur un prix anormalement bas pour
convaincre une contrepartie d’acquérir le titre. Dans cette configuration, la cotation
affichée sur les marchés financiers ne constitue pas tant une estimation de la valeur du
titre qu’une information sur le dernier prix de négociation.
Pour améliorer la liquidité d’un titre sur le marché secondaire, un émetteur peut
signer un contrat d’animation avec une société financière (teneur de marché ou market
maker) destinée à assurer la liquidité des titres émis. Le teneur de marché dispose de
numéraire et de titres fournis par l’émetteur pour assurer la contrepartie à l’achat
comme à la vente. Il se rémunère alors en proposant une fourchette de prix c’est-à-dire
un prix d’achat et un prix de vente différents. Un contrat d’animation est souvent signé
par les émetteurs de taille réduite. Toutefois, cet effort pour offrir une liquidité à un titre
ne s’envisage que si l’émetteur assure par ailleurs une communication de qualité avec le
marché.
Le teneur de marché propose pour l’action XYZ une fourchette de prix : 15,50-
15,80 €. Le teneur de marché achète le titre 15,50 € (bid) et accepte de le vendre à
15,80 € (ask). Ainsi, pour chaque action négociée, sa rémunération est de 0,30 €. Il
est entendu que plus la fourchette de prix (bid-ask spread) est faible, plus
l’instrument est liquide.
Pour prendre en compte la liquidité variable des instruments cotés, les marchés
financiers possèdent plusieurs modalités de cotation : en continu pour les valeurs qui
font l’objet d’un grand nombre de transactions et en fixing pour les valeurs moins
liquides.
Le mode de cotation
Le mode de cotation des instruments financiers est fonction de leur liquidité. Pour les
titres les plus liquides, la cotation est en continu tandis que les titres moins liquides sont
négociés au fixing.
Définition : la cotation en continu est un mode de détermination des prix des instruments
financiers reposant sur une confrontation permanente des ordres d’achat et de vente
présentés sur le marché.
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
7
Lors de la pré-ouverture, les ordres sont accumulés sans être exécutés. Ce processus
permet de déterminer le cours d’ouverture, pour lequel un maximum d’ordres est
exécuté. La séance en continu permet ensuite d’exécuter les ordres au fur et à mesure de
leur arrivée et de leurs caractéristiques. Lors de la préclôture, les ordres sont accumulés
à nouveau sans être exécutés. Ce processus permet de déterminer le cours de clôture,
parfois suivi du signe (c), pour lequel un maximum d’ordres est exécuté.
Définition : la cotation au fixing (ou fixage) est un mode de détermination des prix des
instruments financiers reposant sur la confrontation une ou plusieurs fois par séance des
ordres d’achat et de vente présentés sur le marché au cours donné par le fixing.
Le fixing peut diffuser un prix (fixing simple), deux prix (fixing double) ou plus
(multi fixing) par séance. Les ordres sont accumulés sans être exécutés. Le prix fixé
permet d’exécuter un maximum d’ordres. Ce processus peut éventuellement être
renouvelé plusieurs fois par séance.
Dans la mesure où certains titres sont négociés toute la journée à des prix différents,
une question est courante : quel cours est-il le plus représentatif de la séance ? Le
cours d’ouverture permet l’échange d’un nombre important de titres mais il est
partiellement construit sur des ordres transmis la veille mais non exécutés. Il n’est
donc pas pleinement représentatif de la tendance de la séance du jour. En séance,
aucun cours ne se distingue particulièrement : les plus haut et plus bas ne sont pas
plus particulièrement représentatifs. Le cours de clôture apparaît alors comme le plus
pertinent. En effet, il permet la réalisation d’un grand nombre d’ordres de bourse et il
est entièrement déterminé sur la base des ordres transmis au cours de la séance : il en
est donc le plus représentatif même s’il n’est pas exempt de critiques.
L’ordre tout ou rien assure, en cas de contrepartie suffisante, une exécution totale et,
en cas de contrepartie insuffisante, une non-exécution. Dans ce dernier cas, l’ordre
est annulé.
L’ordre à seuil de déclenchement (ou ordre stop loss) fixe un prix dont le
franchissement à la hausse déclenche l’achat pour un ordre d’achat et dont le
franchissement à la baisse déclenche la vente pour un ordre de vente. L’ordre
devient alors un ordre ou au marché. L’ordre stop loss est particulièrement connu.
En effet, il est couramment utilisé pour contrer une éventuelle baisse importante des
cours : dès que le prix d’un actif franchit un seuil prédéterminé à la baisse, l’ordre
de vente est enclenché, ce qui permet de “ couper les pertes ” ou de réaliser une
plus-value. Individuellement, ceci constitue une caractéristique intéressante puisque
que l’investisseur s’assure une perte limitée mais, collectivement, ce type d’ordre a
un effet d’entraînement : plus le cours baisse, plus les ordres stop loss sont
enclenchés alimentant d’autant la baisse des cours. Ce mécanisme s’est
particulièrement manifesté pendant la crise financière de 1987 et le minikrach
chinois de mars 2007.
Définition : […] le fait, pour les dirigeants d’une société […] et pour les personnes,
disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions,
d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres
sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un
instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de
réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant
que le public ait connaissance de ces informations (Code Monétaire et Financier, article
L465-1, al. 1).
Le délit de manipulation des cours est la volonté d’orienter le marché pour éviter
une perte ou réaliser un gain sans risque. Il est commis notamment par des prises de
position importantes sur des valeurs peu liquides ou sur les marchés dérivés créant
une tendance à la hausse ou à la baisse qui écarte le prix d’un instrument de sa
valeur vraie.
Définition : […] le fait, pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement
ou par personne interposée, une manœuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement
régulier d'un marché « réglementé » en induisant autrui en erreur (Code Monétaire et
Financier, article L465-2).
1. Le krach de 1929
La crise de 1929 est restée dans l’histoire comme la crise majeure de l’histoire du XXème
siècle. Mais avant d’être économique, c’est une crise financière.
En 1929, les Etats-Unis connaissent une croissance économique soutenue depuis la
fin de la Première Guerre Mondiale. Sur la base de ce dynamisme, les entreprises, les
banques et les ménages sont particulièrement optimistes. Les sociétés sont de plus en
plus nombreuses à être cotées. Les banques accordent des crédits importants aux
industries et aux ménages qui les investissent pour partie sur les marchés financiers. Cet
afflux de liquidité sur les marchés financiers alimente une spéculation financière qui tire
les cours de bourse à des niveaux de valorisation inédits.
Toutefois, à la bourse, les premiers mois de l’année 1929 sont médiocres. Les taux
d’intérêt remontent progressivement. Au mois d’octobre, ces pressions sur le crédit
créent un afflux massif d’ordres de vente de titres pour honorer les emprunts. Le 24
octobre est ainsi un “ jeudi noir ” (Black Thursday). L’indice phare de la bourse de New
York, le Dow Jones Industrial Average (DJIA) composé de 30 valeurs industrielles
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380
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contrainte sur l’emprunt permet aux investisseurs de disposer de temps pour liquider
leurs positions, éviter leur insolvabilité et donc limiter l’affaiblissement des banques et,
partant, de toute l’économie.
2. Le krach de 1987
Les années 1980 marquent une période de rénovation des structures boursières et
capitalistiques dans de nombreux pays. Ainsi, le krach de 1987 peut être lu comme la
première crise moderne éprouvant la solidité de la nouvelle architecture financière.
A partir de 1979, le nouveau gouverneur de la banque centrale américaine, Paul
Volcker, cherche à juguler l’inflation. Les taux d’intérêt nominaux sont poussés à la
hausse, culminant jusqu’à 19%. Peu à peu, les effets de cette politique se font sentir :
l’inflation décroît au prix d’une récession. Cependant, ce pilotage monétaire fait
apparaître un écart entre inflation et taux d’intérêt nominaux : les taux réels sont
particulièrement attractifs, attirant les capitaux étrangers et poussant le dollar à la
hausse. La valeur de la monnaie américaine est ainsi progressivement déconnectée de
ses fondamentaux compte-tenu notamment de l’ampleur des déficits public (politique de
Reagan qui couple baisse des impôts et augmentation des dépenses militaires) et
commercial (concurrences japonaise et allemande). Le dollar culmine contre le
deutschemark en février 1985.
Le 22 septembre 1985, le G7, par les accords du Plaza (du nom d’un hôtel à New
York), décide d’intervenir sur le marché des changes en vendant des milliards de
dollars. La devise américaine dévisse rapidement et atteint en décembre 1986 son plus
bas niveau depuis la fin des années 1970. Cette décision constitue une relance de
l’économie américaine tirée par les exportations, facilitées par la baisse du dollar sur le
marché des changes. Les perspectives économiques s’améliorant, la valorisation des
entreprises est tirée à la hausse. En 1987, l’économie américaine est en pleine
croissance. Elle a toutefois pour contrepartie le retour de l’inflation tirée par le coût des
importations et le dynamisme de la consommation et des ménages américains. Les
marchés financiers redoutent une hausse des taux d’intérêt par la banque centrale
américaine (la Federal Reserve Bank ou Fed) pour contrer la hausse des prix.
1,9000
1,7000
1,5000
1,3000
1,1000
0,9000
0,7000
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01/02/1984
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01/02/1986
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01/02/1987
01/04/1987
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01/10/1987
01/12/1987
Durant les premiers mois de l’année 1987, les statistiques américaines marquent une
continuelle dégradation du déficit commercial. Le dollar accuse une baisse de plus en
plus prononcée. La dette souveraine américaine – libellée en dollar – perd de sa valeur.
Pour contrer ce mouvement, les taux d’intérêt offerts sont de plus en plus élevés. Or,
l’Etat américain est un émetteur peu risqué. Dès lors, les émissions privées par nature
plus risquées sont touchées : les taux augmentent, la valeur des obligations baisse. Le
même raisonnement touche les gérants d’actions : les titres de propriété étant plus
risqués que les titres de créance, les actions doivent afficher des performances encore
plus importantes. Le niveau de valorisation des actions devient incompatible avec les
taux de rentabilité attendus. Pour restaurer la rentabilité des actions, la valeur des
entreprises doit être corrigée à la baisse.
Le 22 février 1987, le G7 signe les accords du Louvres qui prévoient de coordonner
les politiques des banques centrales afin de faire remonter le dollar. En octobre,
marquant la nervosité des acteurs, les évolutions des actions et des obligations
deviennent particulièrement erratiques. Le vendredi 16 octobre, le Dow Jones Industrial
Average, clôture en baisse de près de 5%. Le 19 est un “ lundi noir ” (Black Monday) :
l’annonce des chiffres du déficit commercial américain et du relèvement des taux
d’intérêt par la banque centrale allemande précipite la crise : à la fin de la journée, le
DJIA a perdu un quart de sa valeur. C’est la plus forte baisse jamais enregistrée sur les
marchés financiers en une séance. La raison tient notamment à l’utilisation de plus en
plus répandue de stratégies de couverture : pour couper les pertes, de nombreux acteurs
ont souscrit des options de vente ou ont enregistré des ordres automatiques stop loss
dont l’usage massif est rendu possible par la récente informatisation des places
financières. La chute des cours s’alimente ainsi des ventes qu’elle génère.
Plusieurs leçons sont tirées du krach de 1987. Les marchés financiers sont de plus en
plus interconnectés : marché des changes, marché obligataire et marché d’actions sont
reliés. Aussi, pour éviter les fluctuations trop importantes, les autorités de marché
établissent des coupe-circuits c’est-à-dire des limites de variations quotidiennes (limit
up et limit down) au-delà lesquelles les négociations de titres sont interrompues. Prenant
acte des leçons de la crise de 1929, la Fed assouplit les conditions de crédit pour éviter
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
14
Parmi eux, Long Term Capital Management (LTCM) est un fonds créé en 1994. Il
compte une équipe chevronnée de financiers (deux prix Nobel, un ancien directeur de la
banque centrale américaine, des traders réputés internationalement). Avec moins de 5
milliards de dollars de capitaux et un fort endettement, le fonds a initié des positions
pour près de 125 milliards de dollars sur les marchés obligataires. La stratégie générale
est de profiter de la réduction tendancielle de la prime de risque (spread) de l’Etat russe
par rapport à la dette souveraine des autres pays européens. Cette “ convergence ” est
attendue de la libéralisation de l’économie russe : mécaniquement la baisse du spread
des taux russes par rapport aux taux des pays de l’OCDE entraînera une hausse de la
valeur des titres. Le défaut d’août 1998 est une surprise. Les taux d’intérêt, loin de
converger, s’écartent violemment : la valeur du portefeuille de LTCM s’effondre. Alors
que les pertes s’accumulent, les créanciers réclament le paiement des intérêts et le
remboursement des prêts. Au cours du mois de septembre, LTCM négocie
précipitamment ses actifs, dont certains sont bradés, faute de liquidité. Le 23 septembre,
le fonds est en faillite sur des positions si importantes que plusieurs banques centrales et
établissements financiers sont contraints d’intervenir pour organiser la liquidation. Des
prêts relais sont octroyés à LTCM afin de lui permettre d’honorer ses échéances de dette
en attendant que les marchés financiers retrouvent des conditions normales permettant
de déboucler de manière satisfaisante les positions initiées. LTCM est sans doute un
exemple de stratégie offensive, qui a mal évalué deux aspects des marchés financiers :
le market timing et la liquidité. En effet, l’idée de base de LTCM est pertinente : le
spread de l’Etat russe est appelé à diminuer au fur et à mesure que l’économie russe se
normalise. Toutefois, le montage de LTCM a été sans doute trop agressif, supportant
mal une évolution défavorable des spreads – même temporaire. Au même moment,
certains financements accordés par les créanciers arrivaient à échéance. Le timing a
donc été mal évalué. De plus, la liquidité reste une notion importante. Si un actif a une
valeur intrinsèque, pour autant, cette valeur ne peut être réalisée que sur un marché et
nécessite donc de trouver une contrepartie.
Certaines permanences apparaissent d’une crise à l’autre : l’optimisme qui entraîne
des prises de risque excessives, des conditions de crédit avantageuses etc. Pour autant,
la crise asiatique illustre un nouvel effet pervers qui apparaît dans les crises financières.
En effet, avec le krach de 1987, les investisseurs ont intégré que les autorités publiques
nationales (banques centrales, Etats) comme internationales (FMI) sont contraintes
d’intervenir pour limiter les effets des crises financières et circonscrire leurs
débordements dans la sphère réelle. Ainsi, conscients de ce filet de protection, les
acteurs de marché acceptent des prises de risque de plus en plus importantes. C’est une
illustration de l’aléa moral en finance : plus les mécanismes de gestion du risque sont
importants, plus les investisseurs prennent des risques.
douteuses : les revenus prévus des titres de FCC ne seront pas entièrement honorés. Les
titres concernés pèsent 150 milliards de dollars mais la perte sur les marchés concerne
tous les CDO et atteint au mois de novembre 2 000 milliards de dollars. Les banques et
institutions financières sont frappées à plusieurs titres. En tant qu’investisseurs, elles ont
acheté des titres de FCC : elles perdent ainsi tout ou partie des capitaux investis. En tant
que distributeur de produits, elles ont proposé des véhicules de placement investis
totalement ou partiellement dans des titres de FCC (c’est le cas notamment des fonds
monétaires dynamiques ou ABS). La confiance dans le système bancaire en est
lourdement affectée. En tant qu’acteur économique, les valeurs bancaires sont ainsi
particulièrement chahutées par les marchés financiers. Actionnaire de la banque
allemande IKB en difficultés face à ses positions sur le subprime, Natixis perd près de
10% lors de la séance du 3 août. La correction est d’autant plus importante que de
nombreuses banques peinent à établir un recensement complet de leur exposition au
risque. Il est vrai que celui-ci s’avère parfois difficile à évaluer en prenant des formes
originales. Ainsi, si BNP Paribas n’est pas directement investi dans le subprime, ses
filiales de gestion d’actifs produisent et distribuent des fonds exposés. L’annonce de la
suspension du calcul de la valeur liquidative de trois fonds entraîne le 9 août une
nouvelle séance de baisse. Mais, dans une économie développée, les banques jouent un
rôle de première importance car elles financent tous les secteurs économiques. Les
difficultés qu’elles rencontrent et le risque que la perte de confiance étende la crise à
toute l’économie, incitent les banques centrales à intervenir. Ainsi, au cours de la
première quinzaine d’août 2007, les valeurs bancaires sont particulièrement chahutées.
Les banques centrales interviennent en injectant plusieurs dizaines de milliards d’euros
de liquidité dans le circuit financier.
Les crises se succèdent. Par certains traits, elles se ressemblent. Pourtant chacune
présente quelques originalités. Celle du subprime a la caractéristique de concerner au
premier chef le marché monétaire. L’assèchement soudain de la liquidité sur ce marché
a lourdement impacté les marchés. Les valeurs bancaires ont largement baissé
entraînant à leur suite les marchés d’actions dans leur ensemble. Les pertes ont été
importantes sous les coups conjugués de la défiance à l’égard du risque qui impliquait
une nette réévaluation à la baisse des titres cotés et de la nécessité pour certains gérants
de fonds de vendre des titres pour faire face aux rachats de parts par les grands
investisseurs. De même, avec les craintes sur la croissance mondiale, les marchés de
matières premières se sont repliés (cas du pétrole et de l’or). Sur les marchés de taux, la
prime de risque s’est élargie entre emprunts d’Etat et obligations privées : le flight to
quality a joué à plein au profit des bons d’Etat, obligeant les entreprises à proposer des
taux attractifs pour assurer leur financement.
Baisse Facilitation
du risque du crédit
Amélioration Augmentation
Innovation des perspectives Optimisme des prises de
de rentabilité risque
Détérioration
Inflation
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
19
Les crises financières semblent le plus souvent prendre corps dans une innovation
donnant autant d’exemples de la “ destruction créatrice ” de Schumpeter. Ainsi, la crise
de 1929 est liée à l’avènement d’une société de consommation et à une innovation
organisationnelle : la firme entrepreneuriale est progressivement remplacée par la firme
managériale (Berle et Means, 1932 ; Schumpeter, 1942). De même, la crise de 1987 est
marquée par une innovation technologique avec la généralisation de l’informatique. Les
crises touchant les pays émergents en 1997-1999 sont attachées à une innovation
économique qui est l’ouverture inédite de ces économies : certains pays asiatiques
s’affirment comme puissances économiques tandis que la Russie, en pleine mutation,
libéralise son économie. La crise de 1996-2000 est caractérisée par l’intégration d’une
innovation technologique : Internet constitue un nouveau moyen de communication et
un nouveau canal de distribution de produits et services. Enfin la crise du subprime en
2007-2008 est née d’une innovation financière : la titrisation des crédits s’industrialise.
L’innovation est par nature dotée d’un pouvoir déstabilisant. Si elle offre de
nouvelles opportunités (amélioration attendue de la productivité, réduction des coûts,
meilleure gestion des risques etc), elle brouille également l’avenir et les perspectives de
revenus. Dans un contexte plus incertain, alors que l’innovation constitue un facteur
positif, les investisseurs tendent à en surestimer l’impact. Ceci nourrit alors un
optimisme excessif qui enclenche un afflux massif de capitaux qui crée un mouvement
de hausse des prix des actifs en-dehors des “ fondamentaux ”, c’est-à-dire d’une
estimation de la valeur des actifs compte-tenu de leurs caractéristiques intrinsèques. Un
déséquilibre apparaît entre l’offre et la demande de financements. Un facteur aggravant
se met en marche : l’amélioration des perspectives induit une baisse des risques qui
facilite le crédit. L’effet de levier sur les marchés financiers est de plus en plus élevé :
les investisseurs empruntent pour spéculer. La mobilisation des investisseurs, leurs
anticipations optimistes et l’afflux d’épargne des ménages et des entreprises désireux de
profiter des rentabilités offertes par les marchés créent alors un puissant courant
d’achats de titres financiers face à une demande de financements par les émetteurs qui
ne suit pas le même rythme. Peu à peu, un écart se creuse entre la valeur fondamentale
des titres et leur valeur spéculative sur les marchés : c’est l’inflation du prix des actifs
financiers (Orléan, 1999). Ce mouvement s’inscrit dans la durée notamment parce
qu’émergent un mimétisme des acteurs et un ensemble de discours sécurisants (Bond et
Cummins, 2000) : l’innovation implique une révision des règles économiques jusqu’ici
en vigueur. Cet argument s’est particulièrement développé lors de la bulle Internet dont
les valeurs constituaient une « nouvelle économie » qui s’affranchissait largement des
contraintes et des règles de l’économie traditionnelle et donc de la notion de valeur
fondamentale qui sert de force de rappel. La hausse des cours des titres semble alors
devoir s’autoalimenter indéfiniment. Toutefois, progressivement, la tendance se fait
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
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moins forte. Les raisons en sont tout à la fois financières, économiques et monétaires.
D’une part, plus la valeur des titres augmente plus leur capacité à croître diminue : au
fur et à mesure que les actifs prennent de la valeur, les perspectives de rentabilité
s’affaiblissent. D’autre part, l’innovation, quelque soit sa nature, est progressivement
intégrée dans l’économie : le surplus de revenus qu’elle génère diminue
progressivement. Enfin, facteur aggravant, le crédit se renchérit progressivement à
mesure que les perspectives économiques s’amenuisent et que les risques augmentent.
Dès lors, n’importe quelle information négative peut déclencher le krach. Il n’est pas
rare que le signal soit émis par la politique monétaire (1987 est un exemple).
L’anticipation ou la décision d’une hausse des taux directeurs sonne alors l’hallali.
Un krach boursier est une correction rapide et importante de la valeur des actifs
financiers. Sur le marché d’actions, le mouvement prend la forme d’une succession
désordonnée de fortes rentabilités négatives mais aussi positives. La volatilité augmente
révélant la difficulté des investisseurs à établir un consensus sur l’ampleur de
l’ajustement de la valeur des actifs cotés. Sur le marché des produits de taux, le credit
crunch est une hausse violente du prix de l’argent (hausse des taux et écartement des
spreads) avec pour corollaire une contraction soudaine des volumes d’échange (crise de
liquidité) et l’éviction de la dette privée au profit de la dette publique, en tant que valeur
refuge : c’est le flight to quality. Le mouvement de baisse peut avoir une durée
variable : de quelques semaines (cas de la crise de 1987) à plusieurs années (cas de
1929 et de la bulle internet : les plus bas ont été atteints plusieurs années après le début
de la crise). Mais la notion de crise financière est plus large que le mouvement de baisse
des cours. En effet, elle commence en amont, quand la valorisation des actifs sur les
marchés se déconnecte de leur valeur fondamentale. La difficulté tient au fait que la
valeur fondamentale des actifs est inconnue des investisseurs : il y a donc
mécaniquement tâtonnement des investisseurs pour approcher la valeur des actifs. Dans
le cas de la survenance d’une innovation, l’écart entre valeur de marché et valeur
fondamentale (bulle boursière) peut s’accroitre durablement. Mais à une hausse des
cours succède une baisse. Ce dégonflement des bulles est l’objet d’un débat sur
l’efficacité des marchés financiers à allouer de manière optimale les capitaux. Ainsi,
malgré la récurrence des crises financières, la correction à la baisse des cours marque in
fine l’existence de forces de rappel : les marchés semblent ainsi capables d’une certaine
forme d’autorégulation. Cependant, les investisseurs et les observateurs pointent le
caractère tardif de cette correction, d’autant plus ample que le mouvement de hausse fut
important, passant parfois d’une surévaluation à une sous-évaluation en un court laps de
temps.
Enfin, la succession des crises a permis l’apprentissage de la réduction de leurs
effets par les autorités monétaires et financières. Ainsi, la gestion des crises par les
autorités a évolué. En 1929, la banque centrale américaine réagit en augmentant les
taux : l’asphyxie des investisseurs va lourdement et durablement pénaliser l’économie
américaine. En 1987, la Fed opère à l’inverse : elle ouvre les vannes du crédit pour
limiter l’impact de la correction boursière sur les marchés de biens et de services et
donc la contamination aux marchés de biens et de services. La faillite d’une banque peut
priver tout un pan de l’économie d’accès au crédit, à l’épargne et aux moyens de
paiement avec, à la clé, une succession de faillites d’entreprises et de pertes d’emplois.
La crise de 1929 a montré que les coûts économiques et sociaux d’une réalisation des
risques pris par les spéculateurs sont socialement très importants. Progressivement, une
méthode de gestion des crises financières émerge donc. Depuis plusieurs décennies, les
autorités monétaires et financières (banques centrales, FMI…) sont régulièrement
appelées à la rescousse. Ces prêteurs en dernier ressort refinancent les investisseurs pour
Jérémy Morvan, Marchés et instruments financiers, Dunod (édition 2009)
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