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27/10/2022 14:59 Jean Monnet - Jean Monnet 

– Charles de Gaulle. Deux conceptions de la construction européenne - Éditions de la Sorbonne

Éditions
de la
Sorbonne
Jean Monnet  | Gérard Bossuat,  Andreas Wilkens

Jean Monnet –
 Charles de Gaulle.
Deux conceptions
de la construction
européenne
Pierre Gerbet
p. 411-433

Texte intégral
https://books.openedition.org/psorbonne/47383?lang=fr#:~:text=De Gaulle voulait une « Europe,une « Europe des États ». 1/41
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1 Le processus complexe de la construction européenne qui


s’est développé dans la seconde moitié du xxe  siècle a été
dominé par deux personnages exceptionnels  : Jean Monnet
et le général de Gaulle, dont les conceptions et les actions se
sont le plus souvent opposées1. Certes tous deux estimaient
que l’organisation de l’Europe était indispensable au
maintien de la paix, à l’intégration de l’Allemagne, au
progrès économique, qu’elle permettrait aux Européens
d’exister entre les deux superpuissances américaine et
soviétique. Mais ils divergeaient profondément sur la
méthode à employer, sur les institutions à bâtir, sur les
rapports à établir avec les États-Unis d’une part, l’URSS et
l’Europe de l’Est d’autre part. De Gaulle voulait une « Europe
européenne  » et accusait Monnet de s’en tenir à une
«  Europe atlantique  ». Monnet préconisait une «  Europe
supranationale » et reprochait à de Gaulle de s’en tenir à une
«  Europe des États  ». Cette opposition s’explique dans une
large mesure par leur vision et leur expérience des relations
internationales.
2 De Gaulle en avait une conception classique. Les acteurs de
la vie internationale sont les nations, organisées en États, qui
durent alors que passent les idéologies et les régimes. Ce sont
les «  réalités  ». L’État, structure légitime de la nation, est
seul qualifié pour entreprendre et conduire l’action
extérieure. Il est le défenseur de l’intérêt national et doit, à
cet effet, préserver sa souveraineté dans un système
international régi par les rapports de force, les rivalités, les
tentatives hégémoniques, l’équilibre des alliances. Certes, de
Gaulle reconnaît que le temps du nationalisme est passé, que
la coopération internationale est nécessaire en raison du
progrès technique des communications, de l’intensification
des échanges, de la formation de grands ensembles
géographiques, de l’interdépendance économique. Mais cette
coopération doit se faire entre États souverains, par accords
librement consentis, sans création d’une autorité qui leur
serait supérieure. Il faut garder « les mains libres ». Dans ce
cadre, la France a un rôle particulier à jouer. Elle doit
défendre son indépendance mais aussi son rang de grande
puissance. Elle doit jouer un rôle mondial, faire partie du
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directoire des Grands. Elle l’a obtenu au Conseil de sécurité


de l’ONU. Elle doit l’obtenir au sein de l’Alliance atlantique.
Pour avoir les moyens d’une grande puissance, la France ne
peut plus compter sur l’Empire qui lui avait permis d’être
présente dans la guerre et de participer à la Victoire en
raison de la décolonisation.  Aussi doit-elle organiser
l’Europe occidentale, en prendre la tête et lui faire jouer un
rôle propre dans les relations internationales2.
3 Quant à la méthode utilisée, elle s’explique par le caractère
de de Gaulle et par l’apprentissage des rapports
internationaux qu’il avait fait pendant la guerre, marqué par
ses heurts avec Churchill et Roosevelt. Participant à l’effort
commun, il avait aussi dû lutter contre les Alliés pour
affirmer le rôle de la France et faire respecter sa
souveraineté. D’où une intransigeance d’autant plus grande
que ses moyens étaient limités et dépendaient largement de
ses partenaires. Il agira de même dans sa politique
européenne et atlantique, cherchant à imposer ses
conceptions, n’hésitant pas à employer le veto, la menace de
rupture, la crise. Pour lui, la négociation diplomatique
n’avait pas pour objet d’aboutir à un compromis, mais de
faire triompher son point de vue, qu’il estimait être l’intérêt
de la France.
4 Les conceptions et la méthode de Jean Monnet étaient bien
différentes3. Ouvert au monde dès l’adolescence, il avait une
connaissance directe de la Grande-Bretagne, de l’Amérique
du Nord, de la Chine. Alternant les activités privées de
négociant en cognac, de banquier, d’expert financier avec des
missions de service public très variées dont la caractéristique
commune était de rapprocher les hommes pour faire
converger leurs efforts dans l’intérêt général (les
«  Executives  » de la Première Guerre mondiale, la Société
des Nations, le Comité de coordination franco-britannique
au début de la Seconde Guerre mondiale, la mission
britannique d’achat aux Etats-Unis et le « Victory Program »,
...), Monnet s’était forgé, au contact des réalités, une
conception nouvelle des relations internationales. Tout en
étant très conscient des rapports de force, il récusait la
«  Realpolitik  », les jeux d’alliance et d’équilibre, la
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négociation diplomatique de marchandage et de compromis.


Il estimait que l’esprit de supériorité et de domination avait
mené le monde à la guerre, que les relations internationales
devaient reposer sur l’égalité des droits, qu’il fallait dégager
les intérêts communs existant entre les hommes et amener
ceux-ci à prendre une vue commune de leurs problèmes afin
d’aboutir à des solutions globales acceptables par tous.
«  Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des
hommes », inscrira-t-il en frontispice de ses Mémoires. Des
institutions communes édicteront des règles qui modifieront
progressivement le comportement des hommes.
5 Pour promouvoir ses idées, Monnet faisait preuve de
beaucoup d’opiniâtreté, de force de conviction. Ne disposant
pas du pouvoir politique, il était l’«  Inspirateur  », habile à
pénétrer le «  cercle magique  » des dirigeants du monde, à
proposer à ceux-ci des solutions lorsqu’ils étaient dans
l’embarras, à sentir le moment favorable à une initiative et à
le saisir avec rapidité et détermination.  Visionnaire
pragmatique de l’Europe unie, il savait, pour atteindre son
objectif, se montrer inventif et réaliste. Il n’était pas
machiavélique et ne cherchait pas à dresser les uns contre les
autres, mais au contraire travaillait à les rapprocher et à leur
faire comprendre la nécessité d’agir ensemble. L’Europe qu’il
voulait ne serait pas régie par une puissance ou un directoire,
mais devrait être solidaire et égalitaire sous la conduite
d’institutions communes démocratiques.
6 La comparaison des conceptions de Jean Monnet et de
Charles de Gaulle en ce qui concerne la construction
européenne ne peut se limiter à des généralités et à une
vision statique. Ces conceptions ont, dans une certaine
mesure, évolué pour tenir compte des circonstances et en
fonction de la situation de chacun des deux personnages.
Sous la IVe République, de Gaulle était dans l’opposition et
critiquait vivement une politique européenne largement
inspirée par Monnet. Sous la Ve République, de Gaulle au
pouvoir cherchait à imposer sa vision de l’Europe alors que
Monnet, qui n’avait plus d’influence sur le gouvernement
français mais en conservait sur les partenaires de la France,
tenait à protéger ce qu’il avait contribué à bâtir. Aussi sera-t-
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il nécessaire, pour préciser ces conceptions de l’Europe, de


les replacer dans leur contexte et de tenir compte de
l’évolution historique.
7 Les vues de Jean Monnet et de Charles de Gaulle seront
examinées en fonction des trois problèmes majeurs de la
construction européenne  : l’identité de l’Europe et ses
rapports avec l’extérieur, principalement les États-Unis ; les
dimensions de l’Europe, à Six ou davantage  ; les structures
de l’Europe et ses institutions.

L’identité européenne
8 Déjà, pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Monnet et
Charles de Gaulle constataient la nécessité pour les pays
d’Europe, de s’affirmer en tant que tels entre les Anglo-
Américains d’une part, les Soviétiques d’autre part.
9 Monnet, alors membre du Comité français de libération
nationale d’Alger, réfléchissant à l’établissement d’une paix
durable en Europe, écrivait dans une note du 5  août  1943  :
«  La France, seule des Alliés, est européenne et c’est de la
solution du problème européen qu’il s’agit  : les autres,
Anglais, Américains, Russes ont des mondes à eux dans
lesquels temporairement ils peuvent se retirer. La France est
liée à l’Europe. Elle n’en peut s’évader. De la solution du
problème européen dépend la vie de la France... C’est donc
de la France que peut, seule, venir la conception de l’ordre
nouveau européen... Les buts à atteindre sont  : le
rétablissement ou l’établissement en Europe du régime
démocratique, et l’organisation économique et politique
d’une « entité européenne »...4. Dans un autre document de
la même époque, Monnet estimait que l’Europe de l’Ouest
aurait comme mission de défendre l’idéal humaniste contre
les deux systèmes antagonistes capitaliste et communiste5.
10 Une Europe de l’Ouest pourrait ainsi être constituée autour
de la France, avec la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg
(qui allaient former entre eux le Benelux), à laquelle la
Grande-Bretagne pourrait s’associer et qui établirait de bons
rapports avec l’ensemble américain et l’ensemble slave sous
direction russe6. Mais il ne faut pas que « les États européens
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se reconstituent sur une base de souveraineté nationale, avec


ce que cela entraîne de politique de prestige et de protection
économique... ». Il faut qu’ils « se forment en une Fédération
ou une «  entité européenne  » qui en fasse une unité
économique commune »7.
11 Le général de Gaulle, président du Comité Français de
Libération Nationale, exprimait alors des vues très proches
de celles de Monnet. Il évoquait, le  18  mars 1944, devant
l’Assemblée consultative, «  ce rôle européen que demain
saura jouer la France pour l’avantage de tous... Une sorte de
groupement occidental, réalisé avec nous, principalement
sur la base économique et aussi large que possible, pourrait
offrir de grands avantages. Un tel groupement, prolongé par
l’Afrique, en relations étroites avec l’Orient... et dont la
Manche, le Rhin, la Méditerranée seraient comme les
artères, paraît pouvoir constituer un centre capital dans une
organisation mondiale des productions, des échanges et de la
sécurité »8. Ce groupement respecterait la « souveraineté de
chacun  ». Dans une lettre du  24  février à René Massigli,
commissaire aux Affaires étrangères, de Gaulle avait précisé
sa pensée, évoquant une «  fédération stratégique et
économique entre la France, la Belgique, le Luxembourg et
les Pays-Bas, fédération à laquelle pourrait se rattacher la
Grande-Bretagne... »9. Mais ce projet ne se concrétisa pas du
fait des réticences des Belges et Néerlandais, des divergences
franco-britanniques et de l’opposition soviétique à la
formation d’un «  bloc occidental  ». Le général de Gaulle
revint alors à une conception traditionnelle de l’équilibre
européen basé sur trois pôles  : Paris, Londres et Moscou10.
Mais l’alliance franco-soviétique qui devait la concrétiser
s’avéra vite illusoire.
12 Évoquant cette période dans ses Mémoires, de Gaulle retrace
le vaste dessein qu’il aurait alors formé  : «  Amener à se
grouper, aux points de vue politique, économique,
stratégique, les États qui touchent aux Alpes, au Rhin, aux
Pyrénées. Faire de cette organisation l’une des trois
puissances planétaires et, s’il le faut un jour, l’arbitre entre
les deux camps soviétique et anglo-saxon.  Depuis  1940, ce
que j’ai pu accomplir et dire ménageait ces possibilités. A
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présent que la France est debout, je vais tâcher de les


atteindre  »11. Rédigé en  1959, ce texte semble plutôt
s’appliquer à ce que le général de Gaulle, devenu Président
de la République, se fixait désormais comme objectif.
13 Avec le développement de la tension Est-Ouest en  1947,
l’idée fut évoquée de faire jouer à l’Europe un rôle propre. De
Gaulle affirmait  : «  Il faudrait que se constitue une Europe
formée d’hommes et d’États indépendants, organisée en un
tout susceptible de contenir toute prétention éventuelle à
l’hégémonie et d’établir entre les deux masses rivales
l’élément d’équilibre dont la paix ne se passera pas  » (Lille,
29  juin  1947). Mais, avec la création en avril du
Rassemblement du Peuple Français, le général va insister sur
le danger communiste, intérieur et extérieur12  Quant à
Monnet, commissaire général au Plan de modernisation et
d’équipement, il ne voulait pas, comme une bonne partie de
l’opinion française, de rupture avec l’URSS qui avait refusé
l’aide économique proposée par les États-Unis alors que la
France, comme les autres pays d’Europe occidentale, l’avait
acceptée. Il suggéra en vain « une internationalisation de la
Ruhr qui préserve les liens avec les Soviétiques  » dans le
cadre de l’ONU13. Mais la politique française d’équilibre
entre l’Est et l’Ouest devenait impossible. La France ne
pouvait que se ranger dans le camp occidental.
14 L’aide américaine économique et militaire devenait
indispensable, mais elle ne devait pas entraîner de
subordination.  De Gaulle le dit d’autant plus fort qu’il était
dans l’opposition au régime qu’il accusait de faiblesse  :
« Dans les rapports à établir et les accords à conclure entre
les deux côtés de l’Atlantique, il doit absolument s’agir de
coopération et non point de dépendance » (7 mars 1948). Il
n’en reconnaissait pas moins la nécessité de l’alliance  :
« Quant à la coopération entre l’Amérique et l’Europe, nous
pensons qu’elle doit dépasser le domaine économique et
prendre le caractère d’une garantie politique et stratégique
réciproque... Il faut organiser les peuples libres de l’Europe
en un tout économique et stratégique... lié aux États-Unis
d’Amérique sous forme de garantie réciproque...  »
(18 avril 1948). De Gaulle ira jusqu’à affirmer : « Aux graves
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dangers extérieurs qui planent sur l’Europe, sur le monde et


sur nous, du fait des ambitions de domination illimitée de la
Russie soviétique et de rien d’autre, nous avons une solution
qui s’appelle Fédération européenne dans l’ordre
économique et dans l’ordre de la défense » (19 juillet 1948).
15 De son côté Monnet, s’il réussit à faire financer le Plan
français par l’aide américaine, n’en exprimait pas moins,
plus discrètement, une certaine inquiétude. Dans une lettre à
Robert Schuman, alors président du Conseil dont il
dépendait directement, il affirmait, le  18  avril  1948  : «  Il
n’est pas possible, à mon avis, que l’Europe demeure
«  dépendante  » très longtemps et presque exclusivement
pour sa production, des crédits américains, et pour sa
sécurité, de la force américaine, sans que des conséquences
mauvaises se développent ici et en Europe. Toutes mes
réflexions et mes observations m’amènent à une conclusion
qui est maintenant pour moi une conviction profonde  :
l’effort des pays de l’Europe de l’Ouest, pour être à la mesure
des circonstances, du danger qui nous menace et de l’effort
américain, a besoin de devenir un effort européen véritable
que seule l’existence d’une Fédération de l’Ouest rendra
possible. Je sais tout ce qu’une telle perspective représente
de difficultés mais je crois que seul un effort dans ce sens
nous permettra de nous sauver, de demeurer nous-mêmes et
de contribuer essentiellement à éviter la guerre »14.
16 Pendant la guerre froide, le général de Gaulle et le RPF
mirent fortement l’accent sur l’anticommunisme et
l’antisoviétisme. C’est l’union de l’Europe et de l’Occident qui
permettra d’écarter le danger. Le courant « neutraliste » qui
aurait voulu faire jouer à l’Europe un rôle de conciliateur
entre les deux blocs était vivement dénoncé comme une
attitude de faiblesse. Pour gagner la paix, il fallait d’abord
fortifier l’Occident. De Gaulle l’avait dit : « Quand le monde
libre se trouvera réellement solidaire et organisé, il lui faudra
se tourner vers la Russie et tenter de fixer avec elle les
conditions d’une véritable paix » (18 avril 1948).
17 Jean Monnet non plus n’était pas « neutraliste » et estimait
fondamentale la solidarité de l’Europe occidentale avec les
États-Unis Mais il s’inquiétait de la tendance de certains
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dirigeants américains à vouloir agir préventivement contre


l’Union soviétique et utiliser à cette fin le monopole
nucléaire américain.  Il s’inquiétait de la volonté des États-
Unis de relever rapidement l’Allemagne de l’Ouest, ce qui
risquait d’accroître la tension internationale. Dans l’esprit de
Monnet, le projet de « pool charbon-acier » devait permettre
d’échapper à la logique de la guerre froide. Sa «  note de
réflexion  » du  3  mai  1950  le montre bien  : «  Pour la paix
future, la création d’une Europe dynamique est
indispensable. Une association des peuples «  libres  » à
laquelle participeront les États-Unis d’Amérique n’exclut pas
la création d’une Europe  ; au contraire parce que cette
association sera fondée sur la liberté donc sur la diversité,
l’Europe, si elle est adaptée aux nouvelles conditions du
monde, développera ses facultés créatrices et ainsi,
graduellement, apparaîtra une force d’équilibre... »15.
18 La Déclaration du  9  mai  1950, rédigée par Monnet et dont
Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, prit la
responsabilité politique, exprimait la même préoccupation  :
«  La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des
efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La
contribution qu’une Europe organisée et vivante peut
apporter à la civilisation est indispensable au maintien des
relations pacifiques...  »16. Dans sa déclaration liminaire,
Schuman avait souligné le caractère pacifique de son
initiative  : «  Pour que la paix puisse vraiment courir sa
chance, il faut d’abord qu’il y ait une Europe... Une Europe
où la Ruhr, la Sarre et les bassins français travailleront de
concert et feront profiter de leur travail pacifique, suivi par
des observateurs des Nations unies, tous les Européens sans
distinction, qu’ils soient de l’Est ou de l’Ouest... »17.
19 Il s’agissait pour Monnet et Schuman d’encadrer le
relèvement de l’Allemagne occidentale dans une structure
européenne solide, afin qu’il ne constitue pas un danger pour
les voisins. Cette démarche aurait pu rassurer l’Union
soviétique, si elle l’avait comprise. Il s’agissait de ne pas
aggraver la tension Est-Ouest, mais non pas d’adopter une
attitude « neutraliste » entre les deux Grands. Monnet, à qui
certains prêtaient ce penchant, s’en défendait vivement18. Il
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n’était pas question de renoncer à la solidarité atlantique


mais de rechercher une détente grâce au rôle modérateur
que pourrait jouer une Europe organisée. Le général de
Gaulle avait, dans l’opposition à la IVe République exprimé
une opinion semblable  : «  Si la France, une fois debout et
conduite, prenait l’initiative d’appeler l’Europe à se faire, en
particulier avec le concours des Allemands, toute
l’atmosphère européenne serait changée de l’Atlantique
jusqu’à l’Oural et même les hommes en place de l’autre côté
du rideau de fer en éprouveraient les conséquences...  »
(16  mars  1950). Mais de Gaulle n’appuya pas la déclaration
de Schuman, n’y voyant qu’«  un méli-mélo de charbon et
d’acier » (voir plus loin les institutions).
20 L’offensive communiste en Corée, le  25  juin  1950, changea
les perspectives. L’Europe occidentale se sentait directement
menacée. De Gaulle dénonçait le danger et appelait à l’union
de l’Europe. Il réclamait «  un système de défense commun,
dont il appartient normalement à la France de tracer le plan
et de désigner le chef, tout de même que cette prééminence
revient aux États-Unis sur le théâtre du Pacifique, à
l’Angleterre sur celui de l’Orient, le tout sous une direction
suprême assurée par le Conseil des puissances et son état-
major combiné  » (17  août  1950). Ces vues n’avaient aucune
chance de se concrétiser. De son côté Monnet agissait. Pour
limiter les dangers du réarmement allemand exigé par les
États-Unis, il lançait l’idée d’armée européenne intégrée et
de Communauté européenne de défense à qui de Gaulle
reprochait de «  réarmer l’Allemagne et de désarmer la
France » et d’être placée dans l’OTAN sous commandement
américain.  L’Europe deviendrait un instrument de la
politique américaine. Pour Monnet au contraire la CED
devrait permettre aux Européens de s’affirmer par rapport
aux États-Unis. Son vieil ami britannique Edwin Plowden en
a témoigné  : «  Monnet attendait avec impatience le jour où
une armée issue des États-Unis d’Europe remplirait la tâche
de l’OTAN sans que les Américains s’en mêlent trop...
L’OTAN n’était pour lui qu’un expédient à court terme. Il ne
voulait pas la voir prendre une dimension qui aurait

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détourné les peuples européens de l’objectif d’une


Fédération... »19.
21 Après la mort de Staline (5  mars  1953), un certain dégel se
produisit, donnant des arguments supplémentaires aux
adversaires de la CED, finalement rejetée par l’Assemblée
Nationale française le  30  août  1954. Le réarmement de
l’Allemagne fut néanmoins décidé par les Accords de Paris
(23 octobre 1954) sous la forme que Monnet avait cherché à
éviter, c’est-à-dire une armée nationale, celle-ci étant
toutefois intégrée à l’OTAN et limitée dans le cadre de
l’Union de l’Europe occidentale. Monnet, président de la
Haute Autorité de la CECA à Luxembourg, n’avait rien pu
faire. De Gaulle crut que la création de l’UEO allait permettre
de rééquilibrer les rapports avec les États-Unis. «  Il est
nécessaire que, dès sa mise en application, l’organisation de
défense européenne entraîne dans l’Alliance atlantique la
disparition de ce que celle-ci a d’abusif » (4 décembre 1954).
En fait l’UEO restera une coquille vide et l’intégration de
l’OTAN sera renforcée. Mais, avant la mise en œuvre des
Accords de Paris, de Gaulle préconisait de tenter une
dernière démarche auprès de l’Union soviétique afin qu’«  il
soit établi, par une négociation précise si une détente
internationale est ou n’est pas réalisable ; le critérium étant
la limitation contrôlée, partout, de toutes les sortes
d’armements... C’est à la France qu’il appartient d’engager
une telle négociation.  Car, dans le camp occidental, c’est la
France, avant tout qui voit son avenir mis en cause par le
réarmement du Reich et l’union des deux Allemagne. C’est la
France avant tout qui est habilitée par l’alliance d’autrefois et
le pacte franco-soviétique à aborder la Russie...  »
(4  décembre  1954). Cette négociation ne fut pas engagée,
Moscou ne donnant aucun signe d’ouverture et les
gouvernements américain, britannique et français tenant à
renforcer leur position en réarmant l’Allemagne occidentale
avant de négocier avec l’URSS, calcul qui s’avéra justifié.
22 Le réarmement national allemand n’eut heureusement pas
les conséquences que Monnet  –  comme beaucoup  –
  redoutaient et l’Allemagne occidentale accepta de
poursuivre l’intégration européenne. Monnet joua un rôle
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essentiel dans la «  relance  » de  1955. Il choisit comme


terrain d’action l’énergie nucléaire en raison de ses
perspectives d’avenir. Il n’était pas question d’une CED
atomique, car l’Allemagne avait renoncé aux armes
nucléaires et il ne fallait pas la discriminer. Une
communauté atomique à égalité de droits ne pouvait être que
pacifique  : Euratom aurait la propriété de tous les
combustibles nucléaires des pays membres et veillerait à leur
utilisation exclusivement pacifique, ce qui rendrait
impossible le développement des applications militaires.
«  Monnet était personnellement convaincu que l’unification
de l’Europe était plus importante pour la France que la
possession par celle-ci d’un armement nucléaire
indépendant. Il l’avait longuement expliqué au cours de
plusieurs entretiens chez lui, auxquels il m’avait convié  »,
témoigne B. Goldschmidt, alors responsable des relations
internationales du Commissariat à l’énergie atomique20. Ce
n’était évidemment pas le point de vue du général de Gaulle
qui mit en garde les dirigeants du CEA contre le risque d’une
perte d’indépendance nationale, si l’on s’en remettait
uniquement à la protection du parapluie nucléaire
américain.  L’opposition à une renonciation unilatérale se
développa  –  même chez les dirigeants du Benelux  –  et le
gouvernement Guy Mollet préserva, dans la négociation
d’Euratom, la possibilité pour la France de développer les
applications militaires de ses recherches nucléaires.
23 Les divergences sur le problème des rapports Europe-États-
Unis s’accentuèrent après le retour au pouvoir du général de
Gaulle. Monnet estimait que les pays européens reconstruits
devaient développer leurs relations avec l’Amérique du Nord
et les organiser sur pied d’égalité. Déjà il avait inspiré la
transformation de l’OECE en Organisation de Coopération et
de Développement Economiques dont les États-Unis et le
Canada étaient membres avec les dix-huit pays d’Europe
occidentale (convention du 14 décembre 1960). Mais l’OCDE
n’était qu’un organe de consultation sans pouvoir. Monnet
voulait développer la coopération transatlantique. Parlant à
l’université de Dartsmouth, le  11  juin  1961, il affirmait  :
«  Nous devons aller beaucoup plus loin vers une
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communauté atlantique. La création d’une Europe unie nous


en rapproche en rendant possible à l’Amérique et à l’Europe
élargie d’agir comme des associés sur un pied d’égalité. Je
suis convaincu qu’en fin de compte les États-Unis, eux aussi
délégueront des pouvoirs réels à des institutions communes,
même sur le plan politique  »21. Pour cela, il fallait que
l’Europe s’élargisse à la Grande-Bretagne, pour avoir un
poids suffisant, et qu’elle commence son unification
politique. Le président Kennedy proposait
le  25  janvier  1962  «  une association commerciale ouverte
entre les États-Unis et la Communauté économique
européenne ». Les négociations dans le cadre du GATT pour
l’abaissement réciproque des droits de douane pourraient
aboutir à la création d’une zone de libre échange atlantique.
Monnet voulait dépasser ce stade et établir des rapports
organisés. Il fit adopter par le Comité d’action pour les États-
Unis d’Europe la Déclaration du  26  juin  1962  préconisant
l’établissement d’«  une relation de partenaires entre
l’Amérique et l’Europe unie, entre deux entités distinctes
mais également puissantes, chacune assumant sa part de
responsabilités communes envers le monde... Cette relation
de partenaires entre l’Europe et les États-Unis ne doit pas
être seulement économique. Il est nécessaire qu’elle s’étende
rapidement aux domaines militaire et politique... »22.
24 Le président Kennedy parut lui faire écho dans son discours
de Philadelphie du 4 juillet 1962 : « Nous ne considérons pas
une Europe forte et unie comme une rivale, mais comme une
partenaire... avec laquelle nous pourrions traiter sur une
base de pleine égalité en ce qui concerne toutes les tâches
immenses que constitue la mise sur pied et la défense d’une
communauté de nations libres...  ». En fait le «  Grand
dessein  » de Kennedy était ambigu. Tout en offrant un
partnership dans le domaine économique, les États-Unis
entendaient bien conserver le leadership militaire et
politique. L’offre d’une force multilatérale de sous-marins
dotés d’armes nucléaires avec des équipages fournis par les
pays européens n’aurait donné à ceux-ci qu’une satisfaction
de pure forme puisque la MLF serait restée sous contrôle
américain dans le cadre de l’OTAN.  Monnet y voyait
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toutefois le début d’un processus évolutif au terme duquel


l’Europe, si elle se dotait d’«  une autorité capable de
contrôler et d’administrer les moyens nucléaires  », pourrait
discuter sur pied d’égalité avec les États-Unis23.
25 Pour le général de Gaulle, le problème des rapports de
l’Europe avec les États-Unis se posait en termes tout à fait
différents. Il ne voyait dans le « Grand dessein » de Kennedy
que le moyen de perpétuer le leadership des États-Unis et de
faire une «  Europe atlantique  ». Il ne voulait pas briser
l’alliance atlantique, indispensable pour faire contrepoids à
la puissance soviétique, mais la rééquilibrer au profit de la
France et de l’Europe. C’est pourquoi il avait demandé, dès
septembre 1958, la création d’un directoire à trois de l’OTAN
(États-Unis, Grande-Bretagne, France). N’ayant pas obtenu
satisfaction, il chercha, avec le Plan Fouchet, à organiser une
Union d’États européens ayant une politique extérieure et de
défense commune. Il pensait pouvoir de la sorte imposer une
réforme de l’OTAN et constituer une « Europe européenne »,
moins liée aux États-Unis, pouvant par là même devenir un
interlocuteur valable pour l’Union soviétique afin de régler
un jour avec elle le problème de la réunification de
l’Allemagne et de l’Europe, contribuant ainsi à la formation
d’un équilibre mondial. Dans une note du  17  juillet  1961, il
écrivait  : «  Il ne peut y avoir de personnalité politique de
l’Europe si l’Europe n’a pas sa personnalité au point de vue
de la défense... Il faut une autre OTAN.  Il faut d’abord une
Europe qui ait sa défense. Il faut que cette Europe soit alliée
à l’Amérique »24.
26 Mais de Gaulle ne réussit pas à convaincre ses partenaires de
la Communauté européenne. Les Pays-Bas, la Belgique,
l’Italie ne voulaient en aucun cas remettre en cause
l’OTAN.  Ils se méfiaient d’autant plus des intentions du
Général que celui-ci avait supprimé la référence à l’Alliance
atlantique de la version du Plan Fouchet du 18 janvier 1962.
Le projet d’Union d’États à Six se réduisit au traité franco-
allemand du  22  janvier  1963  visant à développer la
coopération bilatérale dans les domaines des affaires
étrangères, de la défense et de la culture. Entre temps, de
Gaulle, le  14  janvier  1963, avait écarté l’offre américaine de
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fusées Polaris et surtout rejeté la candidature à la


Communauté européenne de la Grande-Bretagne considérée
comme le « cheval de Troie » des États-Unis. « Si la Grande-
Bretagne  –  affirma-t-il  –  entrait dans la Communauté avec
une foule d’autres États, la cohésion de tous ses membres n’y
résisterait pas et, en définitive, il apparaîtrait une
communauté atlantique colossale, sous dépendance et
direction américaine, et qui aurait tôt fait d’absorber la
Communauté européenne... ».
27 Jean Monnet, redoutant les effets de cette division au sein
des Six et répondant à l’inquiétude de nombreux Allemands
refusant d’avoir à choisir entre Washington et Paris et
repoussant l’idée d’une « Europe troisième force » entre les
États-Unis et l’Union soviétique, inspira dans une large
mesure le préambule ajouté au traité lors de sa ratification
par le Bundestag le  25  avril  1963, préambule affirmant «  la
coopération entre les États-Unis et l’Europe, la défense
commune dans le cadre de l’OTAN, l’union de l’Europe y
compris la Grande-Bretagne  »25. En octobre, le chancelier
Adenauer sera remplacé par Ludwig Erhard, beaucoup plus
atlantique, qui renforcera les liens avec
Washington.  Déplorant l’attitude allemande, de Gaulle
affirma que « la France poursuit, par ses propres moyens, ce
que peut et doit être une politique européenne et
indépendante  » (conférence de presse du  23  juillet  1964).
Cela le conduira à annoncer le 21 février 1966 la sortie de la
France de l’intégration militaire de l’OTAN avant d’effectuer
son spectaculaire voyage à Moscou (20 juin- 1er juillet 1966).
«  Le Général avait réévalué depuis  1964  de façon
considérable sa perception de l’URSS  –  écrit à ce sujet
Georges-Henri Soutou  –  la rupture sino-soviétique, la
menace chinoise sur la Sibérie et les ferments
d’indépendance qu’il croyait percevoir en Europe orientale
l’amenaient à penser que Moscou pourrait abandonner son
projet idéologique totalitaire et redevenir pour la France un
partenaire... Il s’agissait maintenant d’établir, par un accord
direct et explicite ou indirect et implicite avec Moscou, un
nouvel ordre européen dans lequel l’Allemagne serait, soit
maintenue divisée, soit réunifiée, mais, de toute façon
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resterait soumise à certaines limitations...  »26. Ce serait


« l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». De Gaulle revenait à sa
conception de  1944, mais avec deux pôles seulement,
puisqu’il continuait à tenir l’Angleterre à l’écart. Son « grand
dessein  » ne se matérialisera pas, Brejnev étant plus
intéressé à parler avec Bonn et Washington et ayant décidé
de réprimer le «  printemps de Prague  » en  1968. Certes, la
détente se développera ensuite avec l’Ostpolitik de Willy
Brandt, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en
Europe, la réduction mutuelle et équilibrée des forces, la
chute du mur de Berlin.  Mais  –  remarque Soutou  –  «  la
réunification allemande s’est produite pour finir dans un
cadre tout différent, par une entente entre Moscou, Bonn et
Washington, grâce à la crise finale du système soviétique, et
non par une entente franco-soviétique dans un nouvel
équilibre européen rappelant le «  concert européen  »
d’avant  1914. Je ne partage donc pas les vues fréquemment
exprimées ici ou là selon lesquelles les conceptions de de
Gaulle en 1966 à propos de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural
et de l’Allemagne étaient prophétiques. En fait ses idées
de  1966  étaient largement un retour à celles de  1944, à
l’époque du Pacte franco-russe »27.
28 Dans le même temps, Monnet continuait à prôner le
partenariat de l’Europe avec les États-Unis alors même que
le président Johnson abandonnait le projet de Force
multilatérale à la fin de 1964 et se montrait moins intéressé
par l’Europe que ne l’avait été Kennedy. Il était préoccupé
par la promotion de la «  Grande société  » en Amérique et
surtout par l’engagement militaire des États-Unis au
Vietnam. Monnet fera néanmoins adopter par le Comité
d’action les  9  mai  196528  et  15  juin  1967  des résolutions
préconisant l’établissement de rapports d’égalité Europe-
États-Unis par la création d’un « comité d’entente » paritaire
entre le gouvernement américain et les institutions
communautaires. La proposition ne se matérialisera pas.
Mais l’idée d’établir les relations avec les États-Unis «  sur
une base d’égalité  » sera, le  23  juillet 1973, reprise par les
ministres des Affaires étrangères des Neuf dans un texte
affirmant l’«  identité européenne  », alors qu’Henry
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Kissinger, secrétaire d’État américain, s’en tenait à un


«  partnership entre inégaux  », les États-Unis ayant des
responsabilités mondiales alors que les Européens
n’avaient – selon lui – que des intérêts régionaux.
29 Quant aux relations avec l’Est, Monnet les concevaient dans
un tout autre esprit que de Gaulle. Il ne s’agissait pas d’un
accord bilatéral entre Paris et Moscou, mais, selon les termes
d’une résolution du Comité d’action adopté le  15  juin  1967,
d’instituer entre la CEE et les pays de l’Est un «  Comité de
coopération chargé d’assurer des consultations permanentes
sur les questions économiques et culturelles d’intérêt
mutuel  », à commencer par l’élargissement des échanges
commerciaux et techniques... Cet élargissement de la base
matérielle des rapports avec l’Est doit faciliter une
collaboration croissante entre l’Est et l’Ouest dans les autres
domaines, aidant notamment au règlement des problèmes
qui les divisent actuellement...29. Ce comité Europe-États-
Unis ne sera pas créé. Le problème des relations
commerciales CEE-États-Unis sera traité dans le cadre du
GATT par négociations multilatérales (Kennedy round). Le
Comité CEE-Europe de l’Est ne verra pas non plus le jour.
C’est le processus d’Helsinki et la Conférence sur la Sécurité
et la Coopération en Europe qui permettront un
rapprochement entre le camp atlantique et le bloc de l’Est
dans les domaines de la sécurité, de la coopération
économique et de la circulation des personnes.

Les dimensions de l’Europe


30 Étroitement lié au problème de l’identité européenne était
celui du choix des États membres qui participeraient à sa
mise en œuvre. A cet égard aussi Jean Monnet et Charles de
Gaulle avaient des conceptions opposées.
31 D’abord quant au rôle de la France dans la construction
européenne. Pour de Gaulle, la France devait être l’élément
central et moteur de l’Europe en raison de sa position
géographique unique (à la fois atlantique, méditerranéenne
et continentale), de son rôle historique, de son esprit
universaliste, de son rang de grande puissance (membre
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permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et membre du


club nucléaire, comme la Grande-Bretagne mais celle-ci
étant moins engagée en Europe). La France doit occuper le
premier rang en Europe. De Gaulle le proclame. Le « centre
physique et moral (du groupement européen) c’est la
France  » (17  avril  1948). La France «  doit être le cœur de
l’Europe  » (22  février  1950). «  Nous sommes la France
essentielle à l’Europe  » (2  octobre  1961). Sa conception de
l’Europe politique répondait à cette vision.
32 Pour Jean Monnet aussi la France devait donner l’impulsion
car, au lendemain de la guerre, aucun autre pays n’était en
mesure ni désireux de le faire. En inspirant le Plan Schuman,
puis le Plan Pleven, il donnait à la France un rôle de leader,
mais sans esprit de domination ni d’exclusive. Quand, après
l’échec de la CED, les gouvernements français se firent
réticents, c’est vers le Benelux que Monnet se tourna pour
relancer l’intégration européenne. Il approuvait l’initiative de
De Gaulle pour instituer une Europe politique, mais il
s’inquiétait. Paul Delouvrier en témoigne : « Jean Monnet a
rendu visite à de Gaulle une ou deux fois lorsqu’il est revenu
au pouvoir. Il s’agissait de conversations en tête-à-tête assez
longues. Je l’ai vu après ces rencontres et il m’a toujours tenu
le même langage : « On a tort de prétendre que le général ne
veut pas faire l’Europe. Bien entendu, il ne veut pas la même
Europe que nous et je le sais parfaitement. Pour lui, la
France doit être à la base de tout et je l’ai mis en garde contre
ce travers. Si vous mettez sans cesse la France en avant – lui
ai-je dit  –  vous allez tuer l’idée européenne  »30.
Effectivement, la crainte d’une « domination » française sera
une des causes de la réticence des Pays-Bas, de la Belgique,
de l’Italie.
33 Quant aux partenaires avec lesquels la France bâtirait
l’Europe, les vues de de Gaulle et de Monnet étaient assez
proches. A Alger ni l’un ni l’autre n’envisageait d’inclure la
Grande-Bretagne dans le groupement européen à venir, avec
les pays du Benelux. Le but de ce groupement était de
contrôler l’Allemagne, de Gaulle en préconisant le
démembrement tandis que Monnet pensait englober la Ruhr
dans un État industriel de l’Europe continentale de l’Ouest.
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Puis en 1947, Monnet proposait de faire de la Ruhr un « actif


européen  » qui «  serait à la fois une contribution à la paix
dans les relations internationales et une tentative pour créer
une forme d’unité européenne », estime Gérard Bossuat31. Ce
qui supposait l’accord des quatre Grands. La guerre froide ne
le permit pas. Les Américains relevèrent l’Allemagne de
l’Ouest et la France n’obtint que la création de l’Autorité
internationale de la Ruhr dont de Gaulle eut beau jeu de
dénoncer l’insuffisance. Après l’institution de la République
fédérale par les trois puissances occidentales, de Gaulle
préconisait un rapprochement avec l’Allemagne afin
d’empêcher celle-ci de se tourner vers la Russie ou de trop
subir l’influence des États-Unis Dès  1949, il estime que
l’Europe doit être faite «  avec pour base un accord direct
entre Français et Allemands  » (Paris, 29  mars 1949).
Lorsque le chancelier Adenauer lance des ballons d’essai
pour une union franco-allemande, de Gaulle réagit avec
enthousiasme  : «  Si l’on ne se contraignait pas à voir les
choses froidement, on serait impressionné par la perspective
de ce que pourraient donner ensemble la valeur allemande et
la valeur française, celle-ci prolongée par l’Afrique. Il y aurait
là, sans aucun doute, une possibilité de développement
commun qui pourrait transformer l’Europe libre et même
rendre l’espérance à celle qui ne l’est plus. En somme ce
serait reprendre sur des bases modernes, c’est-à-dire,
économiques, sociales, stratégiques, culturelles, l’entreprise
de Charlemagne » (Paris, 16 mars 1950).
34 Pour Monnet, aussi, il fallait répondre aux avances
d’Adenauer, faire disparaître l’antagonisme franco-allemand
et en même temps conserver un certain contrôle sur son
potentiel industriel. D’où l’idée de mise en commun du
charbon et de l’acier sous une Autorité supranationale. Mais
pour Schuman, qui voulait éviter un tête-à-tête franco-
allemand, comme celui proposé par Adenauer, ce
rapprochement devait se faire dans un cadre
européen.  L’adhésion des pays du Benelux et de l’Italie
aboutit à la CECA, première communauté européenne à Six.
La base franco-allemande demeurait cependant essentielle.
Premier président de la Haute Autorité, Monnet avait bien
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soin d’agir d’accord avec le vice-président allemand Franz


Etzel, ce qui irritait parfois les autres membres.
35 Lorsque, avec le début de la guerre de Corée, les Américains
imposèrent le réarmement de l’Allemagne occidentale,
Monnet voulut éviter  –  comme beaucoup de Français et de
Gaulle  –  une armée nationale allemande. Il suggéra l’idée
d’une contribution de la République fédérale à une armée
européenne (Plan Pleven), puis à une Communauté
européenne de Défense (traité de CED) à égalité de droits
entre les six pays de la CECA. Pour de Gaulle cette formule
était inacceptable. «  Pêlemêle, avec l’Allemagne et l’Italie
vaincues, la France doit verser ses hommes, ses armes, son
argent dans un mélange apatride. Cet abaissement lui est
infligé au nom de l’égalité des droits, pour que l’Allemagne
soit réputée n’avoir pas d’armée, en refaisant ses forces
militaires. Bien entendu la France, entre toutes les grandes
nations qui ont aujourd’hui une armée, est la seule qui perde
la sienne » (Paris, 5 juin 1952). Il préconisait à la place une
confédération européenne où l’Allemagne serait encadrée
par la France et l’Union française et l’Angleterre, une alliance
européenne en coopération avec l’alliance atlantique (Paris,
25  février  1953, 12  novembre  1953). Ces vues ne seront
réalisées que très partiellement, après le rejet de la CED, par
la création de l’Union de l’Europe occidentale entre les Six et
l’Angleterre, organisme destiné à faire accepter le
réarmement national allemand dans le cadre de l’OTAN et
dont le rôle restera longtemps très marginal.
36 Pour la « relance européenne » de 1955, Monnet tint le plus
grand compte des positions allemandes. Il comprit que
l’Euratom, qui était sa priorité, ne serait accepté par Bonn
qu’en contrepartie de l’ouverture d’un marché commun
général, pour lequel il était moins enthousiaste. Monnet,
assisté de Pierre Uri, fit la liaison entre les deux projets et
envoya à Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères
de Belgique, un texte du  13  avril  1955  qui formera, avec le
plan Beyen de marché commun, la base du mémorandum
Benelux dont l’essentiel sera repris par la conférence de
Messine (1er-3  juin  1955)32. Monnet s’attacha ensuite à
obtenir l’engagement, dans le cadre du Comité d’Action pour
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les États-Unis d’Europe, des syndicats allemands qui


participaient déjà à la CECA et du parti social-démocrate,
jusque là opposé à l’intégration européenne défendue par le
parti démocrate-chrétien. Ainsi la grande majorité des forces
syndicales et politiques d’Allemagne fédérale allait
approuver les traités de Rome33.
37 Revenu au pouvoir en  1958, de Gaulle trouva, avec les
Communautés à Six, la «  petite Europe  » qu’il avait
brocardée dans l’opposition mais qu’il accepta car elle
constituait un groupe relativement homogène dont la France
pourrait prendre la tête en s’appuyant sur l’Allemagne
fédérale. Il estimait que la solidarité franco-allemande devait
être la base de l’Europe. Il scella de façon spectaculaire avec
le chancelier Adenauer la réconciliation franco-allemande
dont Robert Schuman avait pris l’initiative, mais il lui
donnera un poids qui éveillera les inquiétudes des autres
partenaires et les conduira à souhaiter la présence de la
Grande-Bretagne comme élément d’équilibre, ce que de
Gaulle refusait mais que Monnet souhaitait. Le Général
n’avait guère de considération pour les petits pays.
«  L’Europe voyez-vous  –  disait-il par boutade  –  c’est un
plat  : le rôti c’est la France et l’Allemagne, avec un peu de
cresson autour, c’est l’Italie, et de la sauce, c’est le
Benelux  »34. Des Pays-Bas et de la Belgique, qui s’étaient
opposés au Plan Fouchet d’Union d’États, il disait que
puisque ces pays tenaient tellement à l’Angleterre, il fallait
les lui laisser. Quant à l’Italie, il essaya de lui faire rejoindre
le couple franco-allemand, pour former une sorte de
directoire à trois, mais le gouvernement de Rome ne se laissa
pas convaincre, conscient que son rôle y serait limité.
Finalement, l’Union d’États se réduira au traité franco-
allemand du 22 janvier 1963. Pour Monnet, comme pour les
autres partenaires de la France, ce traité bilatéral ne
correspondait pas à l’esprit communautaire et était de nature
à créer une division entre les Six. Il inspira le préambule
adopté à l’unanimité par le Bundestag lors de la ratification
qui affirmait la coopération de l’Europe avec les États-Unis,
la défense commune dans le cadre de l’OTAN et l’union de
l’Europe élargie à la Grande-Bretagne.
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38 Quant à la Grande-Bretagne, Monnet et de Gaulle, à la fin de


la guerre, ne pensaient pas qu’elle pourrait faire partie d’un
groupement de l’Europe de l’Ouest, mais lui être simplement
associée. Puis les deux hommes souhaitèrent, chacun de son
côté, que l’Angleterre participe à la construction européenne.
39 De Gaulle, déçu du peu de résultats du pacte franco-
soviétique du  10  décembre 1944, penchera vers un accord
franco-britannique, souhaité d’ailleurs par le peuple
français  –  déclara-t-il dans une interview au Times
(10  septembre  1945)  –  et qui pourrait être à la base d’une
organisation de l’Europe occidentale, mais qu’il continuait à
subordonner à l’approbation de ses thèses sur l’Allemagne
(détachement de la Rhénanie, internationalisation de la
Ruhr et du Rhin) et à un règlement satisfaisant au Levant.
Puis, ayant quitté le pouvoir, le Général préconisa encore la
participation britannique. Français et Anglais devraient
coopérer pour mieux «  porter ensemble les principaux
devoirs de l’Occident  » (Paris, 9  juillet  1947) alors que le
pacte franco-britannique avait été signé à Dunkerque
le 4 mars précédent. Mais bientôt il exprimera des réserves,
au début de la guerre froide, estimant qu’«  une défense
centrée sur Londres n’est pas la défense de l’Europe. Cette
défense doit se centrer sur la France  » (12  novembre  1947,
conférence de presse). Ce sera effectivement un problème
qui se posera avec la mise en œuvre du pacte de Bruxelles
(17  mars  1948). Plus tard, dans sa lutte contre la CED, de
Gaulle proposera une «  alliance européenne  », une
«  coalition  » où la France et la Grande-Bretagne
encadreraient l’Allemagne (25  février  1953, conférence de
presse).
40 Dans le même temps, Jean Monnet aurait voulu développer
la coopération économique entre la France et la Grande-
Bretagne, allant jusqu’à la fusion des deux économies,
comme il l’avait déjà fait le  16  juin  1940, ou du moins la
spécialisation bilatérale35. Mais ses conversations
d’avril 1949 avec son homologue britannique Edwin Plowden
n’aboutirent pas  : les Anglais, dans le domaine économique
comme sur le plan militaire, voulaient conserver toute leur
capacité de résistance indépendante si la France était à
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nouveau envahie, cette fois par les Soviétiques. Monnet


comprit alors qu’il était illusoire de vouloir faire l’Europe sur
une base franco-britannique. D’ailleurs au printemps  1950,
c’est le problème allemand qu’il fallait régler. D’où la
Déclaration Schuman du  9  mai  1950. Le Plan suggéré par
Monnet n’était pas fait pour écarter la Grande-Bretagne,
mais pour répondre à la nécessité d’un contrôle commun de
la Ruhr par une autorité supranationale. Les Anglais
auraient pu se joindre à la négociation, en formulant des
réserves comme les Néerlandais qui obtiendront la prise en
compte de leur point de vue dans la rédaction du traité
CECA. Mais le gouvernement travailliste refusa par principe
et laissa les Six constituer la première Communauté
européenne, perdant ainsi son leadership en Europe36.
Monnet essaiera, par la suite, d’attirer le gouvernement
conservateur et obtint la signature, le  21  décembre  1954  de
l’accord d’association Grande-Bretagne-CECA prévoyant des
échanges d’information et des consultations. Il « voulait que
l’Angleterre s’engage pour renforcer l’Europe  », alors
menacée par l’échec de la CED37. Mais l’Angleterre n’était pas
prête à s’engager, comme le montrera son refus de participer
aux négociations du Comité Spaak qui aboutiront aux traités
de Rome du  25  mars  1957  instituant la Communauté
économique européenne et Euratom.
41 Monnet estimait que les Britanniques, réticents et même
hostiles devant une institution nouvelle, s’ils constataient
ensuite qu’elle existait auraient alors intérêt à y participer et
à en permettre le bon fonctionnement. Sur ce dernier point,
il se montrait quelque peu optimiste. Mais il était convaincu
qu’une Europe capable d’avoir un poids international devait
comprendre la Grande-Bretagne qui, de son côté ne pourrait
continuer à jouer un rôle mondial qu’en renonçant à son
isolement et en ralliant l’Europe. Ainsi pourraient être
établies de véritables relations de partenaires entre l’Europe
et les États-Unis. Mais une condition devait être remplie  :
que l’Angleterre accepte les traités et toutes les règles
communautaires.
42 Le général de Gaulle, revenu au pouvoir, voyait au contraire
dans la Grande-Bretagne, très liée aux États-Unis, un
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obstacle à la construction d’une « Europe européenne » sous


direction française, alors même que les Anglais partageaient
sa conception de l’«  Europe des États  », dont l’affirmation
répétée levait leurs réticences à entrer dans les
Communautés. Le premier «  veto  » du Général, prononcé
dans la conférence de presse du 14 janvier 1963, fut mal reçu
par les partenaires de la France en raison de son caractère
unilatéral, mais finalement admis car le gouvernement
conservateur avait donné l’impression de remettre en cause
les traités communautaires, en dépit des conseils de Monnet
qui l’incitait à adhérer rapidement, quitte à défendre les
intérêts britanniques une fois entré. Mais le second veto, du
27  novembre  1967, alors que le gouvernement travailliste
déclarait accepter les traités et l’acquis communautaire,
provoqua l’irritation des cinq partenaires de la France qui,
après la crise de 1965 et le compromis de Luxembourg (voir
plus loin) reprochaient à de Gaulle de vouloir faire « l’Europe
à l’anglaise sans les Anglais  » et freinèrent les travaux
communautaires. Le Général, comprenant qu’il ne pourrait
s’opposer encore longtemps à l’entrée de la Grande-Bretagne
et refusant toujours une Communauté élargie, évoqua alors,
au début de 1969, dans une conversation avec l’ambassadeur
britannique Christopher Soames, la possibilité de remplacer
le système communautaire par une organisation économique
plus lâche, où l’Angleterre et les autres pays candidats
auraient leur place, et par une union politique où les quatre
grands pays  –  France, Grande-Bretagne, Allemagne et
Italie  –  pourraient s’affirmer. Mais le gouvernement de
Londres n’était pas intéressé  : il ne voulait pas détruire les
Communautés mais y entrer et y exercer son influence.
43 Après le retrait du Général et l’élection de Georges Pompidou
à la présidence de la République, l’entrée de la Grande-
Bretagne  –  à laquelle Monnet avait travaillé au sein du
Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe – se fera sans
difficulté, ainsi que celle du Danemark et de l’Irlande au  1er
janvier  1973. Toutefois, si les Irlandais jouèrent aussitôt le
jeu communautaire, il fallut plus de temps aux Danois et
surtout aux travaillistes britanniques qui prétendirent
«  renégocier  » le traité d’adhésion conclu par le
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gouvernement conservateur d’Edward Heath. Mais Monnet


était confiant. A Raymond Barre, partant en 1967 occuper le
poste de vice-président de la Commission, il disait «  Vous
partez à Bruxelles  ? Monsieur Barre, vous aurez beaucoup
d’ennuis avec les Anglais  ! Je les connais bien.  Vous allez
voir, ils vont toujours essayer de faire en sorte que vous ne
réussissiez pas. Votre tâche doit être très simple. Il faut
réussir. A ce moment là, vous les verrez accourir avec la plus
grande rapidité  »38. Monnet pensait qu’une fois entrés, la
participation aux institutions communautaires amènerait les
Britanniques à changer progressivement leur comportement
et à prendre conscience des intérêts communs. Mais ce ne
pouvait être qu’un long processus.

Les institutions de l’Europe


44 Jean Monnet et Charles de Gaulle se sont opposés sur la
nature des institutions nécessaires à la construction de
l’Europe. Mais alors que le second allait se montrer de plus
en plus dogmatique, le premier fera preuve d’une certaine
souplesse pour tenir compte des circonstances.
45 Dès la période du Gouvernement provisoire à Alger les
conceptions des deux hommes apparaissent déjà
radicalement différentes alors que le même vocabulaire est
employé. Pour Monnet, il faut que « les États d’Europe » se
forment en une Fédération ou une « entité européenne » qui
en fasse une unité économique commune... (note de
réflexion du  5  août  1943) alors que pour de Gaulle il s’agit
d’«  une fédération stratégique et économique...  » (lettre à
René Massigli, 24  février  1944). Pour Monnet «  il est
essentiel que soit empêchée dès l’origine la reconstitution
des souverainetés économiques » tandis que pour de Gaulle,
il ne faut pas que « soit entamée la souveraineté de chacun »
(discours du 18 mars 1944 devant l’Assemblée consultative).
46 Par la suite, Monnet revint sur la nécessité d’une
Fédération. Alors qu’était instituée, le 16 avril 1948, pour la
mise en œuvre du Plan Marshall, l’Organisation Européenne
de Coopération Économique, il écrivait deux jours plus tard
de Washington à Robert Schuman «  l’effort des pays de
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l’Ouest, pour être à la mesure des circonstances, du danger


qui nous menace et de l’effort américain a besoin de devenir
un effort européen véritable que seule l’existence d’une
Fédération de l’Ouest rendra possible...  ». Il ajoutait qu’il
avait rejeté l’offre de Paul-Henri Spaak de présider le Conseil
exécutif de l’OECE et que «  la seule tâche à laquelle, en
dehors du Plan, je serais prêt à me consacrer serait de
contribuer à l’élaboration d’une véritable Fédération de
l’Ouest  »39. Il y contribuera effectivement en promouvant
une sorte de fédération économique à finalité politique.
47 Si les mouvements européens favorables à un fédéralisme
politique avaient obtenu, en  1949, la création du Conseil de
l’Europe, celui-ci se révéla vite dans l’incapacité de mettre
sur pied «  une autorité politique européenne ayant des
fonctions limitées, mais des pouvoirs réels  ». Dans
l’opposition à la IVe République, de Gaulle n’hésitait pas
devant la surenchère. Il déclarait le 19 juillet 1948 devant le
Conseil national du Rassemblement du Peuple Français  :
« Aux graves dangers extérieurs qui planent sur l’Europe, sur
le monde et sur nous, du fait des ambitions de domination
illimitée de la Russie soviétique et de rien d’autre, nous
avons une solution qui s’appelle Fédération européenne dans
l’ordre économique et dans l’ordre de la défense  »40. Il
critiqua vivement, dès le  25  septembre  1949, le Conseil de
l’Europe «  qui ne détient aucun mandat européen, aucun
pouvoir effectif, aucune réelle responsabilité  » et proposa
une «  confédération des peuples... la réunion d’une
assemblée ayant mandat de jeter les premières bases et de
les soumettre à la ratification de tous  ». Le départ de ce
processus serait donné par « un vaste référendum de tous les
Européens libres  ». Ces propositions n’avaient aucune
chance d’être retenues par les gouvernements et, de surcroît,
le référendum est interdit par la Loi fondamentale de la
République fédérale.
48 Monnet constatait lui aussi l’incapacité du Conseil de
l’Europe à devenir un pouvoir politique. Pour parvenir à une
fédération européenne, il estimait indispensable de préparer
le terrain dans le domaine économique en commençant par
des secteurs limités  : le charbon et l’acier en raison de leur
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importance économique et de leur rôle dans les rapports


franco-allemands. Il proposait pour ces deux produits
d’ouvrir un marché organisé, où les entreprises garderaient
leur statut (privé ou nationalisé) et qui serait géré par une
autorité capable d’assurer le libre jeu de la concurrence,
d’éliminer les discriminations, de s’opposer à la réapparition
de cartels et de contrôler en commun les industries lourdes
des pays membres. Tirant les leçons de son expérience de la
coopération internationale, Monnet entendait que cette
autorité ne soit pas formée de représentants des Etats mais
de personnalités indépendantes, choisies pour leur
compétence, ne recevant pas d’instructions des
gouvernements et prenant les décisions de gestion du
marché commun dans la seule optique de l’intérêt général.
C’était là une conception révolutionnaire qui se trouva
tempérée, lors de la négociation du traité CECA par
l’institution auprès de la Haute Autorité, non seulement
d’une Assemblée commune et d’une Cour de Justice, mais
d’un Conseil spécial de ministres dont l’avis conforme serait
nécessaire pour les décisions les plus importantes. Toujours
est-il que la création d’un collège de «  sages  » dotés de
pouvoirs délégués par les États représentait l’innovation la
plus remarquable et la plus féconde. Le système
institutionnel de la CECA pouvait être considéré comme
l’embryon d’un gouvernement fédéral européen, limité alors
au charbon et à l’acier, mais qui pourrait s’étendre à d’autres
secteurs et finir par embrasser l’ensemble de l’économie
européenne.
49 Quant à la finalité politique de cette méthode, la Déclaration
Schuman du  9  mai 1950, l’avait clairement affirmée.
«  L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une
construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations
concrètes, créant d’abord une solidarité de fait... La mise en
commun des productions de charbon et d’acier assurera
immédiatement l’établissement de bases communes de
développement économique, première étape de la fédération
européenne...  »41. Devenu, en août  1952, président de la
Haute Autorité de la CECA, Monnet qualifiait cette
Communauté de «  premier bastion des États-Unis
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d’Europe  »42. Ayant quitté ces fonctions en  1955, il créait


aussitôt le Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe.
Comment concevait-il donc le passage de l’intégration
économique à l’intégration politique ?
50 Aux yeux de Monnet, la progressivité était essentielle. Il ne
croyait pas, à l’inverse des fédéralistes comme Altiero
Spinelli, à la possibilité de commencer par une constitution
fédérale43. Le projet de communauté politique élaborée par
l’Assemblée «  ad hoc  » pour coiffer la CED et la CECA lui
paraissait prématuré. «  Le système reconnaissait la réalité
des États et assurait le dialogue entre eux et les
Communautés en développement. Il allait sans doute dans la
bonne direction, mais il y allait trop vite, sans attendre que la
nécessité l’eut fait apparaître naturel aux yeux des
Européens  »44. C’est le réarmement allemand qui avait
précipité le mouvement, conduisant Monnet à proposer une
armée européenne pour sauver la négociation du pool
charbon-acier et pour éviter la création d’une armée
nationale allemande. L’armée européenne rendait alors
nécessaire une autorité politique. L’échec de la CED
confirma Monnet dans sa conception de développer d’abord
l’intégration économique. Il fut à l’origine de la «  relance
européenne  » de  1955, préférant, avec Euratom, une
intégration sectorielle structurée exigeant des institutions
communes, à la libération des échanges dans un marché
commun général demandé par les Néerlandais et les
Allemands. Il comprit toutefois qu’il fallait lier les deux
projets pour aboutir. Mais il restait vigilant sur les
institutions alors que les gouvernements se montraient
prudents, après la crise de la CED. Il écrivait à Amintore
Fanfani, secrétaire politique de la Démocratie chrétienne
italienne  : «  Si la résolution de Messine offre la possibilité
d’une véritable relance européenne, encore faut-il obtenir
que les États délèguent à des institutions fédérales les
pouvoirs de décision qui sont nécessaires  » (lettre
du  9  juillet  1955). Les dispositions institutionnelles des
traités de Rome offraient cette possibilité, à condition
qu’elles fussent respectées.

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51 Dès lors Monnet s’attacha en priorité au succès des


Communautés. Il faisait adopter par le Comité d’Action une
résolution affirmant que «  dans l’immédiat, quelle que soit
l’urgence de l’union politique et l’importance des progrès
déjà réalisés il ne semble pas possible de brûler les étapes.
L’unité politique de demain dépendra de l’entrée effective de
l’union économique dans les faits de l’activité industrielle,
agricole et administrative de tous les jours. C’est au fur et à
mesure que l’action des Communautés s’affirmera, que les
liens entre les hommes et la solidarité qui se dessinent déjà
se renforceront et s’étendront. Alors les réalités elles-mêmes
permettront de dégager l’union politique qui est l’objectif de
notre Communauté, c’est-à-dire d’établir les États-Unis
d’Europe  » (Déclaration commune des  16-17  octobre  1958,
Paris)45. Dans l’esprit de Monnet il n’y aurait pas
d’«  évolution mécanique  » qui ferait passer de l’intégration
économique à l’union politique  –  comme le présentait alors
une critique caricaturale du fonctionnalisme  –  mais
«  l’Europe politique sera créée par les hommes, le moment
venu, à partir des réalités  »46. Monnet ne définissait pas à
l’avance la structure de cette union politique, en dépit de la
référence aux États-Unis d’Europe, mais pour lui elle devait
reposer sur un principe fondamental  : «  délégation de
souveraineté et exercice en commun de cette souveraineté
déléguée »47.
52 Les vues du général de Gaulle étaient bien différentes. Fidèle
au principe maurrassien «  Politique d’abord  », il rejetait
l’approche fonctionnaliste. Il qualifiait le Plan Schuman d’un
méprisant «  méli-mélo de charbon et d’acier  », de
« combinat quelconque ». Puis, avec le Plan Pleven d’armée
européenne, il dénonçait de plus en plus vivement la
méthode de l’intégration supranationale, qui ferait  –
 estimait-il – perdre à la France sa souveraineté, son rang de
grande puissance, son armée nationale. Il proposait comme
alternative un système confédéral. Il évoquait d’abord
l’organisation militaire. « Au lieu d’une fusion intolérable et
impraticable, pratiquons l’association... Commençons par
faire l’alliance des États libres de l’Europe... Il y faut une
direction  : ce sera le Conseil des chefs de gouvernements
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réunis d’une manière organique et périodique  ». Il


disposerait d’un état-major combiné. Des commandements
seraient répartis. Ce serait une armée de coalition, mais de
Gaulle reprenait du projet de CED la fusion des services
(infrastructure, communications, ravitaillement, fabrications
d’armements, etc...). «  La coopération de l’alliance
européenne avec d’autres puissances  –  notamment avec
l’Amérique  –  pour la défense de l’Europe, est réglée par le
Conseil  ». Passant aux structures politiques, de Gaulle
proposait  : «  Sur la base de cette alliance il faut bâtir une
confédération, c’est-à-dire un organisme commun auquel les
divers États, sans perdre leur corps, leur âme, leur figure,
délèguent une part de leur souveraineté en matière
stratégique, économique, culturelle. Mais à cette
confédération, on doit donner une base populaire et
démocratique... La première étape doit être un vaste
référendum, organisé simultanément dans tous les pays
intéressés... Mon opinion est que les institutions
confédérales doivent comporter le Conseil des Premiers
ministres, une Assemblée procédant du suffrage universel et
une autre représentant les réalités régionales, économiques,
intellectuelles, morales, des États participants, enfin une
Cour, dont les membres, inamovibles, seront choisis parmi
des magistrats. Ainsi se mettront à vivre en coopération
régulière et organisée les peuples de l’Europe...  » (Paris,
25  février  1953, conférence de presse). Ultérieurement, le
Général précisait que les chefs de gouvernement seraient
«  dotés d’instruments communs pour élaborer leurs
décisions aux points de vue politique, économique, culturel,
militaire  » et que l’Assemblée serait «  délibérative  » (Paris,
12 novembre 1953, conférence de presse). Il s’agissait là d’un
projet essentiellement intergouvememental, sans organisme
indépendant représentant l’intérêt commun, les délégations
de pouvoirs étant faites par les États aux chefs de
gouvernement, eux-mêmes décidant à l’unanimité pour
respecter la souveraineté de chacun.  L’Assemblée n’aurait
pas d’autre pouvoir que de délibérer.
53 Ce projet de confédération n’avait aucune chance d’être pris
en considération, les gouvernements donnant la priorité à
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l’Alliance atlantique et à la méthode communautaire. Après


le rejet de la CED et du projet de Communauté politique, la
méthode intergouvemementale parut l’emporter avec
l’institution de l’Union de l’Europe Occidentale entre les Six
de la CECA et la Grande-Bretagne considérée par certains
comme le germe d’une organisation confédérale de l’Europe.
Mais les Britanniques n’étaient pas intéressés, préférant
continuer à traiter les problèmes de défense et de politique
extérieure dans le cadre de l’OTAN.  Quant aux Six, ils
procédèrent à la «  relance européenne  » en créant, par les
traités de Rome du  25  mars  1957, deux nouvelles
communautés  : la Communauté économique européenne et
la Communauté européenne de l’énergie atomique48.
54 Revenu au pouvoir le  1er juin  1958, le général de Gaulle ne
voulut pas renier la signature de la France et appliqua les
traités qu’il avait critiqués alors qu’il était dans l’opposition,
mais de la façon la plus restrictive possible. Il mit à profit la
crise charbonnière pour s’opposer  –  avec d’autres
gouvernements – à la Haute Autorité de la CECA. Il refusa de
fournir à la Commission d’Euratom les renseignements que
le traité stipulait. En revanche il se montra favorable à la
Communauté économique qui serait bonne pour l’économie
française et formerait la base concrète d’un groupement
autour de la France. Il défendit la CEE contre le projet
britannique qui visait à la noyer dans une vaste zone de libre-
échange, mit l’économie française en mesure de faire face à
l’ouverture des frontières et exigea le respect de la
concomitance entre la formation progressive de l’Union
douanière et l’adoption de la politique agricole commune.
55 Mais de Gaulle, tout en jouant un rôle essentiel dans la mise
en œuvre de la Communauté économique, s’opposa aux
développements politiques prévus par ses promoteurs.
«  J’approuve le Marché commun.  Il est conforme aux
intérêts de la France. C’est un traité de commerce et rien de
plus, n’en déplaise à ceux qui prétendent autre chose...  »,
déclarait-il à Etienne Hirsch le  17  mars  1961. Pour lui la
construction européenne devait se faire par la mise en place
d’institutions politiques instaurant la coopération entre les
Etats. Il le proclama dès le  5  septembre  1960  dans une
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conférence de presse  : «  Quelles sont les réalités de


l’Europe ? Quels sont les piliers sur lesquels on peut la bâtir ?
En vérité ce sont les Etats, qui sont certes très différents les
uns des autres... mais des États qui sont les seules entités qui
aient le droit d’ordonner et l’autorité pour agir... ». « Assurer
la coopération régulière de l’Europe occidentale... dans le
domaine politique, dans le domaine économique, dans le
domaine culturel et dans celui de la défense... Cela comporte
un concert organisé régulier des gouvernements
responsables et puis, alors, le travail d’organismes spécialisés
dans chacun des domaines communs et subordonnés aux
gouvernements  ; cela comporte la délibération périodique
d’une assemblée qui soit formée par les délégués des
parlements nationaux et, à mon sens, cela doit comporter, le
plus tôt possible, un solennel référendum européen de
manière à donner, à ce départ de l’Europe, le caractère
d’adhésion et d’intervention populaire qui lui est
indispensable... ».
56 Ainsi de Gaulle traçait les grandes lignes de ce qui sera le
Plan Fouchet d’Union d’États dont il espérait « coiffer » les
Communautés existantes. Dans une note secrète au Premier
ministre Michel Debré, il écrivait, le  30  septembre  1960,
«  l’Europe par coopération est lancée, l’Europe de
l’intégration ne peut s’y résigner aussitôt et sans
transition. Mais gardons-nous de jeter maintenant de l’huile
sur le feu... Quant aux diverses Communautés, n’ayons pas
l’air de nous en prendre directement à elles, non plus qu’aux
traités qui les ont instituées. Si nous parvenons à faire naître
l’Europe de la coopération des États, les Communautés
seront ipso facto mises à leur place. C’est seulement si nous
ne parvenions pas à faire naître l’Europe politique que nous
en viendrions à nous en prendre directement aux premiers
fruits de l’intégration  »49. Alors que, dans l’opposition, de
Gaulle se faisait l’avocat d’un système confédéral et qu’il
évoquait même, sans les préciser, des délégations de
souveraineté, maintenant qu’il était au pouvoir, il s’en tenait
à une simple association, proposant «  une coopération
organisée des États, en attendant d’en venir, peut-être, à une
imposante confédération  » (allocution radiotélévisée,
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31  mars  1960). Le Plan Fouchet ne prévoyait qu’un Conseil


des chefs de gouvernement se réunissant tous les quatre
mois et décidant à l’unanimité, assisté d’une commission
permanente de fonctionnaires nationaux, le but de l’Union
étant l’adoption d’une politique étrangère et de défense
commune. Une coopération était prévue dans le domaine de
la science et de la culture. De Gaulle refusait d’introduire
dans ce schéma intergouvernemental les éléments de
communautarisation souhaités par les petits pays (secrétaire
général indépendant, vote majoritaire, Assemblée élue). Bien
plus, il voulait étendre la compétence de l’Union aux
questions économiques, faisant ainsi perdre leur autonomie
aux Communautés. Ces divergences, jointes à la méfiance
des partenaires de la France à l’égard de la politique du
Général vis-à-vis de l’OTAN, conduisirent à l’échec du projet
d’Union d’États en avril 1962.
57 Jean Monnet y avait toutefois été favorable. Il voyait dans
l’initiative de De Gaulle une relance politique de la
construction européenne qui permettrait de gagner du temps
par rapport à la lente intégration économique. Dès
juillet  1960, il avait suggéré à Maurice Couve de Murville,
ministre des Affaires étrangères, «  une formule de
confédération dont l’organe exécutif serait un conseil
suprême de chefs de gouvernement décidant pour de
nombreux cas selon les mêmes procédures que les
organisations communautaires  »50. Il comprit vite que cette
perspective était exclue du côté français. Du moins
admettait-il qu’une structure de coopération politique de
nature confédérale pût coexister avec les structures intégrées
des Communautés, mais à condition que celles-ci fussent
sauvegardées. Or ce n’était justement pas l’intention de De
Gaulle. Après l’échec, le Général s’en prit vivement aux
« apatrides » dans sa conférence de presse du 15 mai 1962 et
accusa «  tel ou tel partisan de l’intégration de l’Europe  »–
  visant Jean Monnet  –  de faire le jeu des États-Unis, qui
seraient ainsi le « fédérateur » de l’Europe. Monnet répondit
en faisant adopter, le 26  juin, par le Comité d’action, une
déclaration retentissante dénonçant «  l’esprit de supériorité
et de domination » et opposant la méthode communautaire à
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la coopération intergouvemementale pour la construction de


l’Europe  : «  Cette méthode est tout à fait nouvelle. Elle ne
comporte pas de gouvernement central. Mais elle aboutit à
des décisions communautaires au sein du Conseil des
ministres, notamment parce que la proposition de solutions
aux difficultés communes par l’organisme européen
indépendant permet d’écarter valablement l’obligation
d’unanimité. Le Parlement et la Cour de Justice soulignent le
caractère communautaire de cet ensemble. Cette méthode
est le véritable fédérateur de l’Europe »51.
58 N’ayant pu «  coiffer  » les Communautés d’un Conseil
politique intergouvememental, de Gaulle s’efforça de vider
celles-ci de leurs potentialités supranationales. Il s’opposa
en  1965  aux propositions de la Commission visant
l’extension des pouvoirs budgétaires de l’Assemblée
parlementaire et des siens propres. Il mit à profit la «  crise
constitutionnelle  » ainsi ouverte pour s’opposer à la
généralisation du vote majoritaire au Conseil des ministres,
cependant prévu par les traités pour le passage à la troisième
étape de la période transitoire au  1er janvier  1966. Par le
« compromis de Luxembourg » du 30 janvier, il affirmait la
volonté du gouvernement français d’exiger l’unanimité
lorsqu’il s’agirait d’« intérêts très importants », dont l’État en
cause serait évidemment le seul juge. Bien que les
partenaires de la France aient réaffirmé leur fidélité à la
lettre des traités, ils n’en purent exiger le respect à moins
d’ouvrir une nouvelle crise et finirent par s’en accommoder.
De telle sorte que l’unanimité continua à être nécessaire pour
les décisions même secondaires, ce qui affaiblit le rôle
d’initiative de la Commission et diminua l’efficacité du
Conseil. En même temps, le gouvernement français exigeait
le départ de Walter Hallstein, jugé trop supranational, ce qui
constituait un avertissement pour ses successeurs à la
présidence de la Commission.
59 Après le retrait du général de Gaulle, le président Pompidou
n’avait pu maintenir le veto français à la Grande-Bretagne
mais comptait sur celle-ci pour continuer à bâtir l’«  Europe
des États  ». Le sommet de Paris (19-21  octobre  1972) des
chefs d’État et de gouvernement des Neuf adopta un très
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vaste programme d’action pour les Communautés élargies et


surtout décida de «  transformer, avant la fin de Factuelle
décennie et dans le respect absolu des traités déjà souscrits,
l’ensemble des relations des États membres en une Union
européenne  », formule commode qui permettait de ne pas
choisir entre la fédération et la confédération.  Mais les
réalisations tardaient. Au Conseil, les ministres se bornaient
à défendre des intérêts nationaux.
60 Pour donner une nouvelle impulsion, certains fédéralistes
avec Altiero Spinelli souhaitaient que la Commission se
comportât comme un organe politique, en menaçant de
démissionner pour imposer son programme52. Jean Monnet
n’était pas de cet avis. A ses yeux la Commission ne pouvait
exercer que les pouvoirs délégués par les gouvernements.
Puisque les chefs de ceux-ci s’étaient réunis et avaient décidé
de faire avancer la construction européenne sans se figer sur
des positions doctrinales, ils devaient prendre les affaires en
main et constituer d’un commun accord un centre d’autorité
au plus haut niveau. Au cours de l’été  1973, il élaborait un
projet selon lequel les chefs d’État et de gouvernement se
constitueraient en « gouvernement européen provisoire » en
se réunissant chaque trimestre pour donner des instructions
aux ministres du Conseil afin de mettre en œuvre le
programme de Paris53. Monnet se ralliait ainsi par
pragmatisme, à la méthode intergouvemementale, mais de
façon temporaire, pour franchir une étape difficile et sans
perdre de vue l’objectif final. En effet ce «  gouvernement
provisoire  » devrait élaborer un projet d’Union européenne
comportant un gouvernement européen et une assemblée
élue au suffrage universel. Monnet réussit à convaincre les
responsables politiques, en particulier le nouveau président
de la République, Valéry Giscard d’Estaing, qui mit à profit la
présidence française du second semestre  1974  pour faire
adopter par les Neuf la création du Conseil européen, organe
suprême des Communautés et de la Coopération politique,
ainsi que l’engagement de principe de moins recourir à
l’unanimité pour les décisions du Conseil des ministres et la
décision d’élire l’Assemblée européenne au suffrage universel
et d’accroître ses pouvoirs. Quant au projet d’Union
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européenne, les gouvernements ne purent longtemps se


mettre d’accord. Il faudra attendre le traité de Maastricht
de 1992 et encore celui-ci n’institua pas de « gouvernement
européen ».
61 Des deux conceptions de l’Europe qui se sont affrontées, c’est
sans doute celle de Jean Monnet qui s’est révélée la plus
constructive.
62 Le général de Gaulle a proposé un dessein européen très
ambitieux mais trop centré sur la France pour être
acceptable par ses partenaires. S’il a puissamment contribué
à bâtir l’Europe économique, c’était d’abord dans l’intérêt de
la France. S’il a cherché à construire une Europe politique,
c’était pour donner plus de force à la politique extérieure
française. Or c’est justement cette politique extérieure,
principalement à l’égard des États-Unis, qui inquiétait et
rendait plus désirable la présence de la Grande-Bretagne,
dont le Général ne voulait pas. Sur les institutions, de Gaulle
s’en tenait à une simple association d’États, à
l’intergouvemementalisme sans aucune concession à la
supranationalité. Cette méthode «  réaliste  » contribua à
freiner le développement des Communautés et des progrès
ne seront ultérieurement possibles qu’à condition d’en
limiter les effets par la généralisation du vote majoritaire,
l’association du Parlement à la décision législative,
l’impulsion donnée par la Commission.
63 C’est Jean Monnet qui s’est montré le plus réaliste alors que
son dessein européen était qualifié de «  chimérique  ». Il
proposait avant tout une méthode  : créer des solidarités de
fait en partant de l’économie, déléguer des pouvoirs
étatiques à des institutions communes qui puissent exprimer
l’intérêt commun et le faire respecter. Monnet n’excluait pas
pour autant la méthode intergouvemementale à condition
qu’elle ne s’oppose pas à la méthode communautaire, mais
qu’au contraire elle contribue à la faire mieux fonctionner.
C’est cette dialectique qui a permis à la construction
européenne de progresser avec l’ouverture du grand marché,
la mise en route de l’Union économique et monétaire. Il reste
à la couronner par un gouvernement de l’Europe distinct des
gouvernements nationaux. Monnet n’a pas défini la forme de
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ces « États-Unis d’Europe ». Mais il pensait que la nécessité


en rendrait la création indispensable en dépit des résistances
et que la méthode communautaire permettrait un jour d’y
parvenir.

Notes
1. Un brillant parallèle entre les deux personnages a été tracé par Jean-
Baptiste Duroselle « Deux types de grands hommes : le général de Gaulle
et Jean Monnet », in Jean-Baptiste Duroselle, Itinéraires, idées, hommes
et nations d’Occident (xixe-xxe  siècles), Paris, Publications de la
Sorbonne, 1991, pp. 243-260.
2. On se reportera d’abord au t. 5 L’Europe de l’ouvrage collectif publié
par l’Institut Charles de Gaulle : De Gaulle en son siècle, Paris, Plon, La
Documentation française, 1992 (Actes des Journées internationales
tenues à l’Unesco, Paris, 19-24  novembre  1990), ainsi qu’au récent
ouvrage de Pierre Maillard, De Gaulle et l’Europe. Entre la Nation et
Maastricht, Paris, Taillandier, 1995.
3. Voir surtout Éric Roussel, Jean Monnet  1888-1979, Paris, Fayard,
1996, ainsi que Pascal Fontaine, Jean Monnet, l’Inspirateur. Préface de
Jacques Delors, Paris, Grancher, 1988, et François Duchêne, Jean
Monnet. The First Statesman of Interdependence. Avant-propos de
George Ball, New York, London, Norton, 1994.
4. Extraits dans L’Europe, une longue marche, Lausanne, Fondation
Jean Monnet pour l’Europe, 1985, pp. 13-14.
5. Cité par Gérard Bossuat, L’Europe des Français (1943-1959). La IVe
République aux sources de l’Europe communautaire, Paris, Publications
de la Sorbonne, 1996, p. 29.
6. Ibid.
7. L’Europe, une longue marche (voir n. 4), p. 14.
8. Cité par Edmond Jouve, Le Général de Gaulle et la construction de
l’Europe, Paris, L.G.D.J., 1967, t. II, p. 112.
9. Ibid., p. 111.
10. Discours du 22 novembre 1944 devant l’Assemblée consultative.
11. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, le Salut (1944-1946), Paris,
Plon, 1959, pp. 210-211 (Le livre de poche historique).
12. Voir Philippe Manin, Le Rassemblement du Peuple Français (RPF) et
les problèmes européens. Préface de C.-A. Colliard, Paris, PUF, 1966,
chapitre premier.
13. Bossuat (voir n. 5), pp. 112-115.

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14. Jean Monnet  –  Robert Schuman, Correspondance  1947-1953,


Lausanne, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, 1986, p. 37.
15. Texte de la note du  3  mai  1950  dans l’Europe, une longue marche
(voir n. 4), pp. 42-48.
16. Ibid., pp. 52-55.
17. Ibid., pp. 49-50.
18. Sur cet aspect, voir Roussel (voir n. 3), pp. 561-562.
19. Cité par Philippe Vial, «  Jean Monnet, un père pour la CED  ?  », in
René Girault, Gérard Bossuat, Europe brisée, Europe retrouvée.
Nouvelles réflexions sur l’unité européenne au xxe  siècle, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1994, p. 238.
20. Bertrand Goldschmidt, Le complexe atomique. Histoire politique de
l’énergie nucléaire, Paris, Fayard, p. 148 et sq.
21. Cité par Pascal Fontaine, Le Comité d’action pour les Etats-Unis
d’Europe de Jean Monnet, Lausanne, Centre de recherches européennes,
1976, p. 131.
22. Texte dans Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, 1955-1965,
recueil des déclarations et communiqués, Lausanne, Centre de
recherches européennes, 1965, p. 116.
23. Fontaine (voir n. 21), p. 157.
24. Charles De Gaulle, Lettres, notes et carnets, 1961-1963, Paris, Plon,
1986, p. 186.
25. Fontaine (voir n. 21), pp. 144-146.
26. Georges-Henri Soutou, L’alliance incertaine. Les rapports politico-
stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris, Fayard, 1996, pp. 301-
305.
27. Comité d’action... (voir n. 22), p. 157.
28. Fontaine (voir n. 21), p. 184.
29. Ibid.
30. Entretien avec Éric Roussel (voir n. 3), p. 736.
31. Bossuat (voir n. 5), p. 113.
32. Intervention de Pierre Uri au colloque de Rome (25-28 mars 1987) :
La Relance européenne et les traités de Rome, sous la direction d’Enrico
Serra, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 165-167.
33. Fontaine (voir n. 21), p. 33.
34. Propos rapporté par Pierre Maillard (voir n. 2), p. 160.
35. Bossuat (voir n. 5), p. 91 et sq.

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36. Edmund Dell, The Schuman Plan and the Bristish Abdication of
Leadership in Europe, Oxford, Clarendon Press, 1995.
37. Dirk Spierenburg, Raymond Poidevin, Histoire de la Haute Autorité
de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Une expérience
supranationale, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 295.
38. Raymond Barre, «  L’ambition européenne d’ aujourd’hui  » in
L’Europe dans le monde du xxie siècle. Mouvement Européen France, La
lettre des Européens, hors série n° 3, juin 1997.
39. Monnet, Schuman, Correspondance 1947-1953 (voir n. 14), pp. 37-38.
40. Manin (voir n. 12), pp. 27-28.
41. Texte de la Déclaration Schuman dans L’Europe, une longue marche
(voir n. 4), pp. 52-55.
42. Jean Monnet, Les États-Unis d’Europe ont commencé. La
Communauté européenne du charbon et de l’acier. Discours et
allocutions, 1952-1954, Paris, Robert Laffont, 1955, p. 22.
43. Michael Burgess, Federalism and European Union.  Political Ideas,
Influences and Strategies in the European Community, 1972-1987,
London, New York, Routledge, 1989. Chapter Three : « Jean Monnet and
Altiero Spinelli : the Two Faces of Federalism ».
44. Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 462.
45. Comité d’Action... (voir n. 22), p. 53.
46. Monnet, Mémoires (voir n. 44), pp. 505-506.445
47. Idem, p. 506.
48. Pierre Gerbet, «  La relance européenne jusqu’à la conférence de
Messine  », in La relance européenne et les traités de Rome, sous la
direction de Enrico Serra (voir n. 32), pp. 61-91.
49. Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets. Juin  1958-
décembre 1960, Paris, Plon, 1985.
50. Monnet, Mémoires (voir n. 44), p. 512.
51. Comité d’Action... (voir n. 22), p. 114.
52. Maria-Grazia Melchionni, Altiero Spinelli et Jean Monnet, Lausanne,
Fondation Jean Monnet pour l’Europe, 1993.
53. Pascal Fontaine, Une course sans retour, Lausanne, Fondation Jean
Monnet pour l’Europe, 1981,PP- 121-143 : « Le rôle de Jean Monnet dans
la genèse du Conseil européen ».

Auteur

Pierre Gerbet
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Professeur émérite des


Universités de l’institut d’Études
Politiques de Paris
Du même auteur

Le rôle du couple franco-allemand


dans la création et le
développement des Communautés
européennes in Le couple franco-
allemand en Europe, Presses
Sorbonne Nouvelle, 1993
© Éditions de la Sorbonne, 1999
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par
reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


GERBET, Pierre. Jean Monnet – Charles de Gaulle. Deux conceptions de
la construction européenne In : Jean Monnet : L’Europe et les chemins
de la paix [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1999 (généré le 28
septembre 2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/psorbonne/47383>. ISBN  :
9791035103828. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.47383.

Référence électronique du livre


BOSSUAT, Gérard (dir.) ; WILKENS, Andreas (dir.). Jean Monnet  :
L’Europe et les chemins de la paix. Nouvelle édition [en ligne]. Paris  :
Éditions de la Sorbonne, 1999 (généré le 28 septembre 2022). Disponible
sur Internet : <http://books.openedition.org/psorbonne/47178>. ISBN :
9791035103828. DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.47178.
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Jean Monnet
L’Europe et les chemins de la paix

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Ce livre est cité par


de Saint Périer, Amaury. (2013) La France, l'Allemagne et l'Europe
monétaire de 1974 à 1981. DOI: 10.3917/scpo.perie.2013.01.0337
(2008) Histoire de l'idée européenne au second XXe siècle à travers les
textes. DOI: 10.3917/arco.brune.2008.01.0283
(2014) Jean Monnet, banquier, 1914-1945. DOI:
10.4000/books.igpde.3798
Gerbet, Pierre. (2007) La construction de l’Europe. DOI:
10.3917/arco.gerbe.2007.01.0543
Chiriţă, Anca D. (2014) A LEGAL-HISTORICAL REVIEW OF THE EU
COMPETITION RULES. International and Comparative Law
Quarterly, 63. DOI: 10.1017/S0020589314000037
Anta, Claudio Giulio. (2021) The Europe of Jean Monnet: the road to
functionalism. History of European Ideas, 47. DOI:
10.1080/01916599.2020.1856334

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