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IV Extension de corps, construction à la règle et au compas

IV.1 Extensions de corps, éléments algébriques et transcendants, degré


IV.1.a Extensions de corps
Définition IV.1. Une extension d’un corps K est la donnée d’un corps L et d’un morphisme
injectif i : K ,→ L.

Le plus souvent, on utilise i pour identifier K avec le sous-corps i(K) ⊂ L : alors K devient
un sous-corps de L, et on note 22 l’extension K ⊂ L. Mais il y a certains moments où on veut
considérer plusieurs plongements K ,→ L et il est alors important d’avoir ce point de vue plus
général, et de garder le plongement i explicite. Dans toute la suite (sauf mention contraire), on
identifie K avec un sous-corps de L.
Note : le fait que le morphisme i est injectif est automatique puisque tout morphisme de
corps vers un anneau non nul est injectif.
Exemples à avoir en tête :
— R ⊂ C, √ √
— Q⊂ √ Q[ 2] = {a + b 2|a, b ∈ Q} qui est un corps (exo le verifier).
— Q[ 2] ⊂ C,
— K ⊂ K(X) le corps des fractions rationnelles
— Z/pZ ⊂ F avec F un corps fini de caracteristique p (on les verra plus tard).

Définition IV.2 (Morphismes d’extensions de K). Si i : K → L et i′ : K → L′ sont 2 extensions


de K, un morphisme d’extensions est un morphisme d’anneaux φ : L → L′ | φ ◦ i = i′ .
Si K est identifié à un sous-corps de L et L′ , un morphisme d’extensions est alors un mor-
phisme de d’anneaux φ : L → L′ tel que φ|K = idK .

Une propriété qu’on utilise souvent est que si f ∈ K[X] est un polynôme à coefficient dans
K, et x ∈ L, alors φ(f (x)) = f (φ(x)). En particulier, si x est une racine de f dans L alors φ(x)
est une racine de f dans L′ .
Parfois on a besoin de regarder plus généralement le cas où L n’est pas un corps mais un
anneau :

Définition IV.3. Une K-algèbre L commutative 23 est un anneau munie d’un morphisme injectif
i : K ,→ L.

Là encore, on identifiera K avec son image.

Fait IV.4. Si L est une extension de K, ou une K-algèbre, la multiplication par les éléments de
K munit L d’une structure de K-espace vectoriel 24

Remarque IV.5. De manière équivalente, on peut définir une K-algèbre comme un anneau qui a
aussi une structure de K-espace vectoriel, et telle que la multiplication interne de l’anneau est
bilinéaire.
Si K ⊂ L et K ⊂ L′ sont deux extensions de corps, tout morphisme d’extensions φ : L → L′
est K-linéaire grâce au fait que φ|K = id. En effet, pour λ ∈ K et x ∈ L, φ(λx) = φ(λ)φ(x) =
λφ(x).
22. Dans la littérature, on trouve aussi la notation L/K pour une extension L de K... ce n’est pas un quotient !
23. on définit aussi une K-algèbre non commutative, mais on demande en plus que i(K) commute avec tous les
éléments de L.
24. Si on voulait ne pas identifier K avec un sous-corps de L en gardant i : K → L explicite, on definirait la
multiplication externe a.v comme i(a).v.

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IV.1.b Extensions finies
Définition IV.6 (Extension finie). Une extension finie L de K est une extension tq dimK L < ∞
(donc en tant que K-ev).
On note [L : K] = dimK L, et on l’appelle le degré de l’extension.

Exo : Parmi les extensions mentionnées, lesquelles sont finies ?

Lemme IV.7. Soit K ⊂ L une extension de K et V un L-espace vectoriel.


Alors en restreignant la multiplication des scalaires à K, V est un K-espace vectoriel, et
dimK (V ) = [L : K] dimL (V ).

Exemple : si V est un C-espace vectoriel, alors dimC (V ) = 2 dimR (V ).

Preuve. Soit v1 , . . . , vn une base de V comme L-espace vectoriel. Soit l1 , . . . , lp une base de L
comme K-espace vectoriel. Alors {lj vi }i≤n,j≤p est une base P de V comme K-espace vectoriel.
P C’est une famille génératrice : soit
P v ∈ V , il s’écrit i≤n bi vi avec bi ∈ L. Chaque bi s’écrit
j≤p aij lj avecPaij ∈ K. Donc v = i≤n,j≤p aij lj vP i. P
Liberté : si i≤n,j≤p aij lj vi = 0 avec aij ∈ K i ( j aij lj )vP j = 0, et comme (vi )i≤n est une
famille libre du L-espace vectoriel V , on a que pour tout i, on a j aij lj = 0. Pour chaque i ≤ n,
comme (lj )j≤p est une famille libre du K-espace vectoriel L, on a que pour tout j j, aij = 0.

Définition IV.8. Soit K ⊂ E une extension de K. Une extension intermédiaire L est un sous-
corps de E qui contient K :
K ⊂ L ⊂ E.

Le lemme IV.7 s’applique à V = E, vu comme K et L-espace vectoriel.

Lemme IV.9. Soit E une extension de K, et K ⊂ L ⊂ E une extension intermédiaire.


Alors [E : K] = [E : L] × [L : K].

En particulier, [E : L] et [L : K] sont des diviseurs de [E : K].

IV.1.c Sous-anneau et sous-corps engendré par un ensemble fini


Définition IV.10. Si L est une extension de K ou une K-algèbre, et si x ∈ L on note K[x] le
plus petit sous anneau de L contenant K et x. On peut le caracteriser ainsi :
— K[x] = {a0 + a1 x + · · · + ak xk |k ∈ N, ai ∈ K}
— K[x] = {P (x)|P ∈ K[X]}
— K[x] est l’image du morphisme d’évaluation en x

K[X] → L
Φx :
P 7→ P (x)

Plus généralement, on note K[x1 , . . . xn ] le plus petit sous anneau de L contenant K et


x1 , . . . , x n .

Définition IV.11. Si L est une extension de K, on note K(x) le plus petit sous corps de L
contenant K et x. Autrement dit,
 
P (x)
K(x) = |P, Q ∈ K[X], Q(x) ̸= 0
Q(x)

Plus généralement, on note K(x1 , . . . , xn ) le plus petit sous-corps de L contenant K et


x1 , . . . , x n .

Lemme IV.12. Soit K un corps. Une K-algèbre intègre, de dimension finie sur K, est toujours
un corps.

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Preuve. Soit A une K-algèbre. Soit x ∈ A \ {0} et µx : A → A la multiplication par x. C’est
une application K-linéaire, injective (car A intègre). Comme A est un K-espace vectoriel de
dimension finie, elle est automatiquement surjective, donc 1 ∈ Im(µx ) donc x est inversible.

Corollaire IV.13. Soit K ⊂ L une extension finie de corps.


Si L′ ⊂ L est un sous-anneau contenant K, c’est un sous-corps.
En particulier, pour tout x ∈ L, K(x) = K[x], et plus généralement, pour tout x1 , . . . , xn ∈ L,
K(x1 , . . . , xn ) = K[x1 , . . . , xn ].

Preuve. Un sous-anneau d’un corps est toujours intègre. Comme L′ ⊂ L et dimK (L) < ∞,
dimK (L′ ) < ∞. L′ est donc un corps par le lemme précédent.

IV.1.d Elément algébrique ou transcendant, polynôme minimal


ai X i ∈ K[X] est un polynôme à coefficients dans K,
P
Soit L une extension de K. Si f =
on peut l’évaluer en un point x ∈ L. On a ainsi le morphisme d’évaluation en x

K[X] → K[x]
Φx : .
f 7→ f (x)

Définition IV.14. Soit K ⊂ L une extension de corps, et x ∈ L.


— Si le morphisme d’évaluation Φx est injectif, alors K[x] ≃ K[X], et on dit que x est
transcendant sur K.
— Sinon, on dit que x est algébrique sur K. De manière équivalente, x est algébrique s’il
existe un polynôme non nul f (X) ∈ K[X] \ {0} tel que f (x) = 0.

Remarque IV.15. La notion dépend de K. Par exemple, π est transcendant sur K = Q, mais
sur K = R, il est algébrique : il est racine du polynôme f (X) = X − π (de degré 1).
Tout élément de K est algébrique sur K.
Remarque IV.16. Si x est transcendant, alors K[x] est isomorphe à l’anneau des polynômes K[X],
et K(x) est isomorphe au corps des fractions rationnelles K(X). Autrement dit : K[x] ≃ K[X]
et K(x) ≃ K(X).

Lemme IV.17. Si L est une extension finie de K, tout élement x ∈ L est algébrique sur K.

Preuve. Puisque K[X] est de dimension infinie comme K-espace vectoriel, K[X] ne peut pas
s’injecter dans L si dimK L < ∞.

Définition IV.18 (Polynôme minimal d’un élément algébrique). Si x ∈ L est algébrique sur K,
considérons l’idéal ker Φx = {f ∈ K[X]|f (x) = 0}. L’unique polynôme unitaire Mx ∈ K[X] tel
que ker Φx = ⟨Mx ⟩ s’ appelle polynôme minimal de x sur K.
C’est le polynôme unitaire de plus petit degré qui annule x.

Autrement dit, l’ensemble des polynômes qui s’annulent en x est l’ensemble des multiples du
polynôme Mx . Le fait que le polynôme unitaire de degré minimal qui annule x engendre ker Φx
est une conséquence du fait que K[X] est euclidien.

Proposition IV.19. Soit i : K → L une extension de corps et x ∈ L un élément algébrique.


1. Le polynôme minimal Mx de x est irréductible
2. K[x] est isomorphe à K[X]/⟨Mx ⟩,
3. Soit d = deg Mx . Alors K[x] il est de dimension d comme K-espace vectoriel, et 1, x . . . , xd−1
est une base de K[x] comme K-espace vectoriel.
L’entier d = deg Mx = dimK (K[x]) = [K[x] : K] s’appelle le degré de x sur K.

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Preuve. Irréductibilité : supposons Mx = f g avec deg f, deg g < deg Mx . On a f (x)g(x) = 0,
donc comme L est un corps, f (x) = 0 ou g(x) = 0, et f ou g est dans le noyau, donc Mx |f ou
Mx |g. Ceci montre l’irréductibilité de Mx .
Le deuxième point est juste le théorème d’isomorphisme.
On sait que (1, X̄, . . . , X̄ d−1 ) est une base de K[X]/⟨Mx ⟩ comme K-espace vectoriel 25 donc
1, x, . . . , xd−1 est une K-base de K[x].

Lemme IV.20. Soit L une extension finie de K de degré d = [L : K]. Pour tout élément x ∈ L,
le degré de x divise d.

Preuve. K[x] est un sous-corps de L (corollaire IV.13). Le degré dx de x est le degré de l’extension
dx = [K[x] : K] or d’après le lemme IV.9, d = [L : K] = [L : K[x]] × [K[x] : K] = [L : K[x]]dx ,
donc dx est un diviseur de d.

Théorème IV.21. Soit K ⊂ L une extension de corps.


L’ensemble des éléments de L qui sont algébriques sur K est un sous-corps de L.

Preuve. Soient x, y algébriques sur K. Pour montrer que x + y, xy et x/y sont algébriques sur
K, on va construire un sous-corps M ⊂ L qui les contient et qui est de dimension finie sur
K. Le lemme IV.17, concluera que ces 3 éléments sont algébriques sur K, ce qui démontrera le
théorème.
Puisque x est algébrique sur K, K[x] est de dimension finie sur K, et est donc un corps
(lemme IV.12). Notons L′ = K[x]. Puisque y est algébrique sur K, il y a un polynôme unitaire
f (X) ∈ K[X] qui s’annule en y. y est donc algébrique sur L′ puisque le polynôme f est à
coefficients dans L′ (puisque K ⊂ L′ ) et s’annule en y. Donc le sous-anneau M = L′ [y] est de
dimension finie sur L′ , et donc sur K (Lemme IV.9). D’après le Corollaire IV.13, M est un corps.
Puisque M = L′ [y] = K[x, y] est un corps, il contient x, y, xy, x + y, x/y (si y ̸= 0). D’après
le lemme IV.17, ces éléments sont algébriques sur K.
√ √
Exemple 2 + 3 ∈ R est algébrique sur Q.
√ √
Exercice IV.22.
√ On peut trouver un polynôme qui annule α = 2 + 3 assez facilement :
α2 = 5 + 2 6 donc (α2 − 5)2 = 24 donc (X 2 − 5)2 − 24 est un polynôme annulateur.√ √
√ Trouver explicitement un polynôme à coefficients dans Q qui s’annule en α = 1 + 2 + 3+
6. C’est pas si facile ! ! 26

IV.2 Construction à la règle et au compas


[Artin]
La notion de degré d’un élément algébrique va permettre de répondre à des questions sur
les nombres constructibles à la règle et au compas. Par exemple, on va voir que la trisection de
l’angle ou la duplication du cube sont impossibles.

Définition IV.23. On se donne deux points initiaux O, I ⊂∈ R2 . On définit de manière inductive


les points, droites et cercles constructibles de la façon suivante.
1. Les points O, I sont constructibles.
25. La preuve se fait par la division euclidienne. La famille 1, X̄, . . . X̄ d−1 est génératrice : pour tout P̄ ∈
K[X]/⟨Mx ⟩, on fait la division euclidienne P = Mx Q + R avec deg(R) < deg(Mx ). OnPa P̄ = R̄, et R̄ est
combinaison linéaire des X̄ i , i ≤ d − 1 car deg(R) ≤ d − 1. La famille est libre : si d−1
bien P i
i=0 λi X̄ = 0̄, alors
i
Mx | λi X , et pour des raisons de degré, tous les λi sont nuls. √ √ √
26. Solution : écrire les puissances 1, α, α2 , α3 , α4 dans la base (1, 2, 3, 6), puis chercher une relation linéaire
de la forme α4 = a + bα + cα2 + cα3 avec a, b, c, d ∈ Q, ce qui revient à résoudre un système 4x4. On trouve
X 4 − 4 ∗ X 3 − 16 ∗ X 2 − 8 ∗ X + 4. √ √ √ √ √ √
√Autre
√ méthode : écrire la matrice de la multiplication par 1 + 2 + 3 + 6 dans la base 1, 2, 3, 6 de
Q[ 2, 3], et appliquer Cayley Hamilton.

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2. Si deux points distincts M, N sont constructibles, alors la droite M N et le cercle C(M, N )
de centre passant M par N sont constructibles.
3. Si deux droites ou cercles sont constructibles et se coupent en 1 ou 2 points, ces points
d’intersections sont constructibles.

Ainsi, la classe des points droites et cercles constructibles est la plus petite classe contenant
O et I, et stable par les opérations ci-dessus.
Remarque IV.24. La règle est infiniment longue, et n’est pas graduée !
Il est commode de prendre de choisir la distance OI comme unité de longueur et de prendre
un repère orthonormé d’origine O et tq I soit de coordonnées (1, 0)
Constructions fondamentales :
1. Médiatrice : Si on a 2 points AB construits, on peut construire la médiatrice de ces 2
points : tracer le cercle C = C(A, B) de centre A passant par B, et le cercle C ′ = C(B, A)
de centre B passant par A. La droite passant par les deux points d’intersection de C ∩ C ′
est la médiatrice de [A, B].
2. Perpendiculaire : Étant donné un point P et une droite d, on peut construire la perpen-
diculaire à d passant par P . Note : si d a été construite, c’est qu’on a déjà construit deux
points M, M ′ sur d. Soit C le cercle de centre P passant par M . S’il coupe d en deux
points, la médiatrice de ces deux points convient. S’il coupe d en un seul point, alors le
cercle C ′ = C(P, M ′ ) convient.
3. Parallèle : Étant donné un point P et une droite d, on peut construire la parallèle à d
passant par P en utilisant la construction précédente.
Puisque la médiatrice est constructible, on peut construire le milieu de deux points A, B
donnés. Par suite, on peut aussi constuire le cercle de diamètre [A, B].
Ensuite, les deux axes de coordonnées sont constructibles. Et pour tout point P = (x, y), les
deux droites parallèles aux axes de coordonnées passant par P sont contructibles.
Ainsi, si P = (x, y) est constructible, alors (x, 0) et (0, y) le sont aussi. De plus si (0, y) est
constructible, alors (y, 0) aussi (tracer le cercle de centre O passant par (y, 0)).
Réciproquement, si (x, 0) et (y, 0) sont constructibles, alors (x, y) est aussi constructible.

Définition IV.25. On dit qu’un réel x ∈ R est un nombre constructible à la règle et au compas
−→
si le point (x, 0) = O + x.OI est constructible.

On a démontré :

Proposition IV.26. Un point P = (x, y) est constructible ssi ses deux coordonnées x et y sont
des nombres constructibles.

Autre construction utile : Si deux points constructibles M, N sont à distance x, alors le


nombre x est constructible. En effet, en traçant la parallèle à l’axe horizontal passant par M et
−→
le cercle C(M, N ), on construit N ′ tq N ′ = M + xOI (N ′ est encore à distance x de M , mais
la droite ON ′ est horizontale). En traçant OM et sa parallèle passant par N ′ , on construit le
point (0, x).

Proposition IV.27. L’ensemble des nombres constructibles est un sous-corps de R. Il est stable

par racine carrée : si x ≥ 0 est constructible, alors x aussi.

En particulier, les nombres suivants sont constructibles :


√ p √ √
√ √4 1+ 2
8
942−2 3
2, 3, √ , √ √
2+ 43 57 + 2 29 − 16 20

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Figure 2 – Addition, multiplication/quotient

Preuve. Voir figures. Pour l’addition et la soustraction, considérons d une droite horizontale
constructible, différente de l’axe horizontal, par exemple la droite d’équation y = 1. On reporte
x sur d en traçant deux droites verticales issues de O et (x, 0). Puis on trace deux droites
parallèles pour reporter x sur l’axe horizontal à partir du point (y, 0).
Pour le produit et le quotient, il suffit de traiter le cas des nombres positifs puisque si x
est constructible, −x aussi. Etant donnés x, y, y ′ , on construit les points A(0, y), A′ (0, y ′ ) et

B(x, 0). Puis en traçant la parallèle à (AB) passant par A′ , on obtient le point C( yy x, 0) d’après
le théorème de Thalès. En prenant y = 1 (qui est constructible) on obtient le produit xy ′ et en
prenant y ′ = 1 on obtient le quotient x/y.

Figure 3 – Racine carrée

Pour la racine carrée, on utilise la relation dans le triangle rectangle : si ABC est rectangle
en M , d’hypothénuse AB et si CH est la hauteur issue de C, alors 27 AH.BH = CH 2 . Pour

construire x il suffit donc de construire un triangle rectangle tel que AH = 1, et BH = x.
On prend A = (−1, 0), H = O, B = (x, 0). puis on trace le cercle C de diamètre AB, et d la
perpendiculaire en H à l’axe horizontal. Le point C est sur l’intersection d ∩ C.

On va montrer que l’ensemble des nombres réels constructibles est exactement le plus petit
sous-corps de R (contenant donc 0, 1) et stable par racine carrée.
Proposition IV.28. Soit K ⊂ R un sous-corps, et A1 , A2 , A3 , A4 des points à coordonnées dans
K. Alors les points d’intersection A1 A2 ∩ A3 A4 , C(A1 , A2 ) ∩ A3 A4 , et C(A1 , A2 ) ∩ C(A3 , A4 )
(lorsque ces intersections consistent en 1 ou 2 points) ont leurs coordonnées dans K ou dans

K( s) pour un certain s ∈ K positif.
Preuve. Trouver les coordonnées du point d’intersection de 2 droites sécantes revient à résoudre
un système linéaire non dégénéré à coefficients dans K, il a une unique solution qui est dans K.
L’équation du cercle C(A1 , A2 ) est de la forme x2 + y 2 + px + qy + r = 0, avec p, q, r ∈ K
28
( ). Lorsqu’on fait l’intersection avec une droite, on peut éliminer une des variables (disons y
quitte à échanger les rôles de x et y) et trouver que l’autre est solution d’une équation de degré
2 à coefficients dans K de la forme ax2 + bx + c (avec a ̸= 0). S’il y a des solutions en x, elles

sont dans K[ s] avec s = b2 − 4ac, et il en est de même pour y.
27. Preuve : les triangles AHC et CHB sont semblables puisqu’ils ont les mêmes angles, donc AH/HC =
HC/HB
28. Si Ai = (xi , yi ), l’équation du cercle s’écrit (x − x1 )2 + (y − y1 )2 = (x2 − x1 )2 + (y2 − y1 )2

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Si on cherche l’intersection de 2 cercles, la différence des 2 équations donne une équation de
droite (sauf si les deux cercles sont concentriques auquel cas les deux cercles sont égaux ou ne
s’intersectent pas). On se ramène alors au cas précédent.

Théorème IV.29. L’ensemble des nombres constructibles est le plus petit sous-corps de R conte-
nant Q et stable par racine carrée d’éléments positifs.

Preuve. Soit K l’ensemble des nombres constructible. On a vu que c’est un corps et qu’il est
stable par racine carrée (Prop. IV.27). Soit K ′ le plus petit sous-corps de R contenant Q et
stable par racine carrée. On a donc K ′ ⊂ K.
La proposition IV.28 permet de montrer par récurrence sur le nombre d’étapes que si des
points A1 , . . . , Ap sont constructibles en n-étapes, alors leurs coordonnées sont dans K ′ .

On peut être plus précis :

Théorème IV.30. Si a1 , . . . an sont constructibles, il existe une chaı̂ne de sous-corps Q = K0 ⊂


K1 ⊂ · · · ⊂ Kk = K ⊂ R tels que
1. a1 , . . . , an ∈ K
2. et pour tout i ∈ J0, k − 1K, il existe si ∈ Ki positif tel que si n’est pas un carré dans Ki et

Ki+1 = Ki [ si ].
En particulier, [Ki+1 : Ki ] = 2.

Preuve. C’est la même preuve par récurrence en utilisant la proposition IV.28.

Il y a aussi une réciproque : si on a une chaı̂ne de sous-corps Ki ⊂ R avec K0 = Q et


[Ki+1 : Ki ] = 2, alors les éléments de Kk sont constructibles.

Corollaire IV.31. Si x ∈ R est constructible, alors degQ (x) est une puissance de 2.

Par contre, on peut montrer que ce corollaire n’est pas une équivalence. 29

Preuve. Rappelons que le degQ (x) est le plus petit degré d’un polynôme à coefficients rationnels
qui annule x, qui est égal à [Q[x] : Q], la dimension de Q[x] comme Q-espace vectoriel.
Si x est constructible il existe une chaı̂ne de sous-corps Q = K0 ⊂ · · · ⊂ Kk tq x ∈ Kk
et [Ki+1 : Ki ] = 2 donc [Kk : Q] = 2k . Comme degQ (x) = [Q[x] : Q] divise [Kk : Q], ceci
conclut.

On peut maintenant montrer des théorèmes d’impossibilités : La duplication du √ cube consiste,


3
étant donné un cube de côté a, à construire un cube de volume
√ double (de côté a 2). Pour rester
dans le plan, on√se demande donc si on peut constuire a 3 2 si a est constructible, ou de manière
équivalente, si 3 2 est constructible.

Théorème IV.32. La duplication du cube est impossible : 3 2 n’est pas constructible

Preuve. Pour montrer que c’est impossible, il suffit donc de voir que degQ ( 3 2) = 3 et n’est

donc pas une puissance de 2. Le polynôme P = X 3 − 2 annule x = 3 2. Montrons que P
est irréductible dans Q[X]. Puisque le polynôme minimal Mx de x est un diviseur de P , ceci
concluera que Mx = P , et donc que degQ (x) = 3.
Si P n’est pas irréductible, alors on peut écrire P = Q1 Q2 avec Q1 , Q2 non constants. L’un
des Qi est nécessairement de degré 1, et son unique racine est un nombre rationnel solution de
X 3 − 2 = 0, ce qui est impossible.
29. il y a une variante qui donne une caractérisation : si le corps de décomposition du polynôme minimal de x
est de degré 2k , alors x est constructible. Ça vient de la théorie de Galois et du fait qu’un groupe fini d’ordre 2k
peut s’écrire comme une chaine de sous-groupes d’indice 2 les uns dans les autres.

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La question de la trisection de l’angle demande étant donné 3 points construits formant un
angle θ, s’il est possible de constuire 3 autres points formant un angle θ/3. Notons que s’il est
possible de constuire des points ABC formant un angle θ, alors cos(θ) est constructible car on
peut construire le projeté de A sur [B, C], donc AB cos θ est constructible et donc cos θ aussi.
Théorème IV.33. La trisection de l’angle est impossible en général : l’angle 60o n’est pas trisec-
table car cos(20o ) n’est pas constructible.
Preuve. On a la formule cos(3θ) = 4 cos3 θ − 3 cos θ. On l’applique à θ = 20o . En posant x =
cos(θ), on obtient 12 = 4x3 − 3x soit 8x3 − 6x − 1 = 0.
On va montrer que le polynôme P = 8X 3 − 6X − 1 est irréductible dans Q[X]. Si c’est le
cas, puisque le polynôme minimal de x est un diviseur de P , on obtient que Mx est de degré 3
(Mx = X 3 − 43 X − 18 puisque Mx unitaire), et degQ (x) = 3, donc x non constructible.
Mais comme au-dessus, si P = Q1 Q2 avec Qi non constant, l’un des Qi est de degré 1, donc P
a une racine rationnelle z = ab avec a, b premiers entre eux. En réduisant au même dénominateur
on obtient 8a3 − 6ab3 − b3 = 0. On vérifie 30 que la seule solution de cette équation modulo 5
est (0, 0), ce qui contredit que a, b sont premiers entre eux.

Le problème de la quadrature du cercle consiste à constuire un carré dont l’aire est égale à

celle d’un cercle construit. Ceci revient à construire un carré de côté πa avec a construit. Donc

la quadrature du cercle est possible ssi π est constructible ssi π est constructible.
Théorème IV.34 (Ferdinand von Lindemann, Admis). π est transcendant, donc la quadrature
du cercle est impossible.
On a aussi que e est transcendant. La preuve est un peu plus facile.

IV.3 Corps de Rupture et corps de décomposition


IV.3.a Corps de rupture d’un polynôme irréductible
Soit f ∈ K[X] un polynôme irréductible. Il n’a en particulier pas de racine dans K si son
degré est ≥ 2. On a vu comment adjoindre à K un élément satisfaisant certaines équations ; ici
on adjoint à K une racine de f en gardant la propriété d’être un corps.
Lemme IV.35. Soit f ∈ K[X] un polynôme irréductible.
Alors L = K[X]/⟨f ⟩ est un corps.
C’est une extension de K pour i = π|K : K → L la restriction à K de l’application quotient
π.
Cette extension est de degré d = deg(f ).
Preuve. C’est la même preuve que celle qui montre que Z/pZ est un corps, basée sur Bézout
dans K[X]. Si ḡ ̸= 0, g ∈ K[X] n’est pas divisible par f . Comme f est irréductible, f ∧ g = 1,
et il existe u, v ∈ K[X] tq uf + gv = 1. Dans L, cette égalité donne ḡv̄ = 1, donc ḡ inversible.
Le degré de cette extension est la dimension de K[X]/⟨f ⟩ (comme K-ev), qui est égale à
deg(f ).

Notons α = X̄ ∈ L la classe de X. On a L = K[α]. De plus, par construction, α est une


racine de f dans le corps L.
Définition IV.36 (Corps de rupture). Soit f ∈ K[X] un polynôme irréductible.
Un corps de rupture pour f (sous-entendu relativement a K), 31 est une extension L ⊃ K
telle qu’il existe un élément α ∈ L tel que
30. Supposons b ̸= 0 mod 5. On peut diviser par b dans Z/5Z, et donc l’élément c = a/b ∈ Z/5Z vérifie
8c3 − 6c − 1 = 0 soit 3c3 = c + 1 et on vérifie qu’aucune valeur de c ne convient. Si b = 0 mod 5, alors 8a3 = 0,
et comme 8 est inversible mod 5, a3 = 0 mod 5, et a = 0 mod 5.
31. pour etre plus precis, on dit aussi une extension de rupture de K. On dit parfois aussi extension de K
obtenue par adjonction d’une racine de f

60
— α est une racine α de f
— et L = K[α].

Note : le corps de rupture n’est défini que pour f irréductible.


La construction ci-dessus montre que K[X]/⟨f ⟩ est un corps de rupture de f si f est irréduc-
tible. Autrement dit, pour tout polynôme irréductible f ∈ K[X], il existe un corps de rupture
de f .
En fait, tout corps de rupture de f est isomorphe est isomorphe K[X]/⟨f ⟩ (en supposant f
irréductible). L’unicité s’énonce de la façon suivante.

Lemme IV.37. Soit L = K[α] un corps de rupture d’un polynôme f ∈ K[X] irréductible, avec
α ∈ L racine de f .
1. Etant donné L′ ⊃ K ′ une extension de K, et α′ ∈ L′ racine de f , il existe un unique
morphisme d’extensions φ : L → L′ envoyant α sur α′
2. Si en plus L′ est lui aussi un corps de rupture de f , φ est un isomorphisme.

C’est la propriété universelle du corps de rupture.

Preuve (exo). On a vu que L0 = K[X]/⟨f ⟩ est un corps de rupture. Le morphisme d’évaluation


en α Φα : K[X] → L passe au quotient en un isomorphisme Φ̄α : L0 → L qui est l’identité sur
K.
Soit L′ une extension de K et α′ ∈ L′ une racine de f . Alors le morphisme d’évaluation
Φα′ : K[X] → L′ passe aussi au quotient en un morphisme Φ̄α′ : L0 → L′ . Le morphisme
φ = Φ̄α′ ◦ Φ̄α convient. Notons qu’il est automatiquement injectif puisque L est un corps.
Pour l’unicité de φ : Si φ1 , φ2 : L → L′ sont deux morphismes d’anneaux qui sont l’identité
sur K et envoient α sur α′ , ils coı̈ncident sur K et sur α donc sur K[α] donc sur L.
Supposons que L′ est un corps de rupture de f . Pour montrer que φ est surjectif, il suffit
de voir que K[α′ ] = L. On sait qu’il existe une racine α′′ de f telle que L′ = K[α′′ ] (on ne
sait pas si α′ = α′′ ). Comme α′ et α′′ ont le même polynôme minimal f , ils ont même degré.
Autrement dit K[α′ ] et K[α′′ ] = L ont la même dimension comme K-ev. Comme K[α′ ] ⊂ L, on
a K[α′ ] = L.

IV.3.b Corps de décomposition d’un polynôme quelconque


Ici, on prend un polynôme unitaire f ∈ K[X] qu’on ne suppose plus irréductible.

Définition IV.38. Soit L un corps. On dit qu’un polynôme unitaire f ∈ L[X] \ 0 est scindé dans
L[X] (ou scindé sur L) si c’est un produit de facteurs de degré 1 :

f (X) = (X − α1 ) . . . (X − αd )

avec αi ∈ L.

Proposition IV.39. Soit K un corps et f ∈ K[X] un polynôme unitaire de degré


Q d ≥ 1.
Il existe une extension finie L de K tel que f est scindé dans L[X] : f = di=1 (X − αi ) avec
αi ∈ L.
De plus [L : K] ≤ d! (factorielle de d).

Preuve. On raisonne par récurrence sur d. Si d = 1, c’est clair : prendre L = K !


Soit Q1 un facteur irréductible de f . Soit K ⊂ L1 = K[α] un corps de rupture de Q1 , α
étant une racine de Q1 . On voit f (X) comme un polynôme dans L1 [X] ; f s’annule en α ∈ L1
donc L1 [X], f s’écrit (X − α)f1 avec f1 de degré ≤ d − 1.
Par hypothèse de récurrence, il existe une extension finie L de L1 telle que f1 est scindé
dans L[X], et [L : L1 ] ≤ (d − 1)!. En particulier, f = (X − α)f1 est scindé dans L[X]. On a
[L : K] = [L : L1 ] × [L1 : K] ≤ (d − 1)! × d = d!.

61
Si on a construit une extension L dans laquelle f est scindé, quitte a remplacer L par
K[α1 , .., αd ] ⊂ L, on peut supposer en plus que L = K[α1 , .., αd ]. On obtient un corps de
décomposition de f :

Définition IV.40. Un corps de décomposition 32 L de f (relativement à K), est une extension L


Qd existe α1 , . . . , αd ∈ L tels que
de K telle qu’il
— f = i=1 (X − αi ) (en particulier f est scindé sur L),
— et telle que L = K[α1 , . . . , αd ].

De manière plus informelle, une extension de décomposition est une extension la plus petite
possible dans laquelle f est scindé. On vient de démontrer l’existence d’un corps de décomposi-
tion.

Lemme IV.41. Soit f ∈ K[X] un polynôme. Alors il existe une extension L ⊃ K qui est un corps
de décomposition de f .

On a aussi une unicité :

Lemme IV.42. Soit K ,→ L une extension de décomposition de f , et K ⊂ L′ une autre extension.


— Si f est scindé dans L′ [X], il existe un morphisme d’extensions L ,→ L′
— Si L′ est aussi une extension de décomposition, un tel morphisme est un isomorphisme
En particulier, si K ⊂ L et K ⊂ L′ sont 2 extensions de décomposition de f , elles sont iso-
morphes.

Preuve (exo). Soit K ⊂ L une extension de décomposition de f et K ⊂ L′ une autre extension


dans laquelle f est scindée. On montre par récurrence sur d = [L : K] l’existence de φ : L → L′
qui est l’identité sur K. Si d = 1, L = K, et on peut prendre φ = idK .
Si f est scindé dans K, alors d = 1, donc on suppose que f a un facteur irréductible Q ∈ K[X]
de degré ≥ 2. Puisque f est scindé dans L, Q aussi et on peut considérer x ∈ L une racine de
Q. K[x] est un corps de rupture de Q. Soit x′ ∈ L′ est une racine de Q et soit φ : K[x] → L′
l’unique morphisme qui est l’identité sur K et qui envoie x sur x′ (par le Lemme IV.37). Si on
note K1 = K[x], φ permet de voir L′ comme une extension de K1 , et on identifie K1 avec un
sous-corps de L′ via φ. Et K1 ⊂ L est encore une extension de décomposition de f . Comme
x∈ / K, [L : K1 ] < [L : K] donc on peut lui appliquer l’hypothèse de récurrence qui dit qu’il
existe ψ : L → L′ qui est l’identité sur K1 . Ceci montre le 1er point.
Le 2ème point est une conséquence immédiate puisque l’image de φ contient les racines de
f donc si L′ est une extension de décomposition φ est donc automatiquement surjective.

IV.4 Propriétés de polynômes vis à vis d’une extension, racines multiples


Si on a une extension de corps K ⊂ L, et P ∈ K[X], on peut le voir comme un polynôme
dans L[X]. De nombreuses propriétés de divisibilité restent alors inchangées quand on passe de
K[X] à L[X] :

Proposition IV.43. Soit K ⊂ L une extension de corps et A, B ∈ K[X].


1. La division euclidienne de A par B donne le même résultat (quotient et reste) dans K[X]
et dans L[X]
2. A divise B dans K[X] ssi A divise B dans L[X]
3. le polynôme unitaire pgcd de A et B dans K[X] est le même que dans L[X]
4. si A et B ont une racine commune dans L ils ne sont pas premiers entre eux dans K[X].
Réciproquement, si A, B ne sont pas premiers entre eux dans K[X], il existe une extension
E de K dans laquelle A et B ont une racine commune
32. ou extension de décomposition

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Par contre, il n’est pas vrai que si A, B ont une racine commune dans L ils en ont une dans
K : prendre par exemple A = B = X 2 + 1 : ils ont une racine commune dans C, mais pas dans
R (mais 4 dit avec raison que A et B ont un facteur commun dans R[X]).

Preuve. 1. Soit A = BQ + R le résultat de la division euclidienne dans K[X]. Cette équation


est encore vraie dans L[X], et c’est bien le résultat de la division euclidienne puisque deg(R) <
deg(B) et qu’on a unicité de la division euclidienne dans L[X].
2 découle de 1.
3. Soit D ∈ K[X] le pgcd de A, B dans K[X] et D′ le pgcd dans L[X]. Puisque D est
un diviseur commun de A, B dans L[X], D|D′ dans L[X]. Par ailleurs, Bézout nous dit que
D = AU + BV pour certains polynômes U, V ∈ K[X]. Comme D′ divise A et B dans L[X], D′
divise D dans L[X]. D et D′ sont donc associés dans L[X] donc D = D′ puisqu’ils sont unitaires.
4. Soit α ∈ L une racine commune de P et Q. Le pgcd de P, Q dans L[X] est donc non
constant puisque (X − α) divise P , Q. Donc c’est aussi le cas dans K[X] d’après 3. Pour la
réciproque, soit R un facteur commun de P et Q non constant. Soit E une extension dans
laquelle R admet une racine α (par exemple un corps de décomposition de R). Alors α est une
racine commune de P, Q dans E[X].

Racines multiples

Définition IV.44. Soit P ∈ K[X] et α ∈ K. On dit que α est une racine multiple de P si
(X − α)2 |P dans K[X].

Lemme IV.45. α est une racine multiple de P ssi P (α) = 0 et P ′ (α) = 0.

Preuve (exo). Si P = (X − α)2 Q, alors P ′ = 2(X − α)Q + (X − α)2 Q′ s’annule en α. Récipro-


quement, si P et P ′ s’annulent en α, on effectue la division euclidienne P = (X − α)2 Q + R
avec R(X) = aX + b. On a P ′ = 2(X − α)Q + (X − α)2 Q′ + a. Puisque P ′ (α) = 0, on a a = 0.
Puisque P (α) = 0, on a b = 0. Donc (X − α)2 |P .

Corollaire IV.46. Soit P ∈ K[X] un polynôme irréductible.


Alors P n’a de racine multiple dans aucune extension de K, sauf si P ′ = 0 (ce qui n’arrive
jamais en caractéristique nulle).

Remarque IV.47. Puisque P est un polynôme non constant, P ′ = 0 n’arrive que si K est de
pi
P
caractéristique p > 0, et si P (X) = i ai X n’a que des monômes de degrés multiples de p.
Autrement dit, P (X) est un polynôme en X p . Exemple typique de polynôme dont la dérivée est
nulle : P (X) = X 15 + aX 10 + bX 5 + c dans Z/5Z[X].

Preuve du corollaire (exo). Si P ′ = 0, toutes les racines de P dans n’importe quelle extension
sont des racines de P ′ , donc des racines multiples. Si P ′ ̸= 0 et si P a une racine multiple dans
une extension L de K, alors P et P ′ ont une racine commune dans L, donc leur pgcd est non
constant dans L[X] et donc dans K[X] d’après la Proposition IV.43. Comme P est irréductible,
P |P ′ ce qui est impossible si P ′ ̸= 0 puisque deg P ′ < deg P .

IV.5 Clôture algébrique


Définition IV.48. Une extension K ⊂ L est algébrique si tout élément de L est algébrique sur
K.

Exemple : une extension finie est algébrique. La réciproque n’est pas vraie. Par exemple,
l’ensemble Q̄ des nombres complexes qui sont algébriques sur Q n’est pas de dimension finie sur
Q. L’extension Q ⊂ Q̄ est donc une extension algébrique qui n’est pas une extension finie.

Lemme IV.49. Si K ⊂ L ⊂ E est une extension de corps telle que L est algébrique sur K et E
est algébrique sur L, alors E est algébrique sur K.

63
Preuve. Il faut montrer pour tout x ∈ E, x est algébrique sur K. On a que x est racine d’un
polynôme unitaire à coefficients dans L : ld xd + · · · + l1 x + l0 = 0. En notant L0 = K[l0 , . . . , ld ],
on voit que x est algébrique sur L0 , et donc que [L0 [x] : L0 ] < ∞. Les li ∈ L sont algébriques
sur K donc chacune des extensions K ⊂ K[l0 ] ⊂ K[l0 , l1 ] ⊂ · · · ⊂ K[l0 , .., ld ] = L0 est une
extension finie, donc [L0 : K] < ∞. On conclut que [L0 [x] : K] = [L0 [x] : L0 ] × [L0 : K] < ∞
donc [K[x] : K] ≤ [L0 [x] : K] donc x est algébrique sur K.

Définition IV.50. Un corps K est algébriquement clos si tout polynôme P ∈ K[X] de degré ≥ 1
admet une racine dans K.

De manière équivalente, tout polynôme de K[X] est scindé dans K[X].

Théorème IV.51. C est algébriquement clos.

Preuve. La preuve la plus courte utilise le th de Liouville qui dit qu’une fonction holomorphe
C → C définie sur C en entier et bornée est constante. Si P de degré ≥ 1 n’a pas de racine, alors
1
P (z) est une fonction holomorphe sur C, et bornée (elle tend vers 0 quand |z| → ∞). Elle est
donc constante, contradiction.

La proposition suivante sera utile quand on parlera des corps de nombres :

Proposition IV.52. Si F est un corps et F ⊃ K est une extension finie de F , et si L ⊃ F est un


corps algébriquement clos contenant F , alors K se plonge dans L.
En particulier, si K est une extension finie de Q, alors K est isomorphe à un sous-corps de
C.

Preuve. On procède par récurrence 33 sur d = [K : F ]. Si d = 1, K = F et c’est évident.


Sinon, soit α ∈ F \ K, et P ∈ F [X] son polynôme minimal. Puisque L est algébriquement
clos, P a une racine α′ dans L. F [α] et F [α′ ] sont deux corps de rupture de P , donc par unicité,
il existe un morphisme de corps de F [α] dans F [α′ ] qui envoie α sur α′ . Autrement dit, le corps
F ′ = F [α] se plonge dans L.
En identifiant F ′ avec un sous-corps de L, on utilise l’hypothèse de récurrence avec F ′ ⊂ K,
et F ′ ⊂ L (puisque [K : F ′ ] < d), donc K se plonge dans L.

Définition IV.53. Une clôture algébrique de K est une extension L ⊃ K telle que L est algébrique
sur K, et L est algébriquement clos.

Exemple IV.54. C est une clôture algébrique de R.


Exemple IV.55. Soit Q̄ ⊂ C l’ensemble des nombres algébriques sur Q. Alors Q̄ est un corps
algébriquement clos, c’est une clôture algébrique de Q.

Preuve que Q̄ est algébriquement clos. . On a vu que l’ensemble des éléments de C algébriques
sur Q est un corps (Thm IV.21), c’est donc une extension algébrique de Q.
Montrons que Q̄ est algébriquement clos : soit P ∈ Q̄[X] un polynôme non constant, et α ∈ C
une racine complexe de P . L’élément α est donc algébrique sur Q̄. Les extensions Q ⊂ Q̄ ⊂ Q̄[α]
sont algébriques, donc l’extension Q ⊂ Q̄[α] est algébrique, donc α est algébrique sur Q, i.e.
α ∈ Q̄.

Lemme IV.56. Tout corps admet une clôture algébrique. Si on a 2 clôtures algébrique, il y a un
isomorphisme (pas unique) entre elles.
33. La propriété précise qu’on montre par récurrence est Pd : pour tous F ⊂ K, F ⊂ L comme dans la
proposition avec [K : F ] ≤ d, K se plonge dans L

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Pas particulièrement difficile mais la preuve utilise le Lemme de Zorn. Le principe informel
de la preuve est le suivant : si K est un corps qui n’est pas algébriquement clos, alors il existe un
polynôme P qui n’est pas scindé, et on peut considérer un corps de décomposition K1 ⊃ K de
P . Si K1 n’est pas algébriquement clos, on recommence : on obtient K2 ⊃ K1 ⊃ K. Et l’idée est
de prendre la réunion des Ki , et s’il n’est pas algébriquement clos de recommencer. Le Lemme
de Zorn permet de formaliser cette idée de prendre l’union et de recommencer (un nombre infini
de fois, sachant qu’il y a choix à chaque fois...)

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