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fictions
Acquis sur publie.net par Guillonne Balaguer

« Quand je commence à comprendre quelqu’un,


c’est que j’ai la trouille »
(Pierre Fédida)
Pollock ne peint pas, bien sûr, c'est
une voix vers le fond. Pollock ne peint
pas, c'est juste qu'il s'enfonce dans les
yeux. Et Pollock verse je ne sais quoi de
sa grolle qu'il venait d'enfiler, qu'il ôte
puis qu'il verse car il y a dedans je ne
sais quoi  – une sorte de petite pièce
métallique ou rondelle qui gène. Pollock
est assis, donc il n'est pas là. Pollock est
tout entier dans ce qui l'avale c'est-à-
dire, également, tout à fait là qu'il nous
faut. Pollock ne tient qu'à un fil et peut-
être même qu'il le sait.
Pollock n'a pas de regard. Le bras
nerveux jette la clope et retour. Pollock
s'enfonce dans ses yeux. Pollock plisse
les yeux, s'enfonce. Il y est. Cet air rentré
je connais, la tête dans les épaules, je
n'admire pas Pollock. C'est juste qu'il y a
ce que sa figure chasse ou ramène. Pas
la figure fermée de parfois piège à rat
/ clac mandibules ou quoi. Ainsi Pollock
est un ami. Et rien qu'un peu de temps
sépare, ça fait l'affaire.
Pollock à la bagarre et bas se répète je ne
suis pas un imposteur. Il est difficile d'en
faire autant mais Pollock est un mot que
j'aime dire. Pollock remonte à la surface
tout le bouillon tiède de ses tripes. Sous
la chemise noire, c'est la peau de Pollock
qui brûle. Pollock a soif, c'est peu dire.
Pollock est là. Mais ce que nous savons
de Pollock, nous, nous ne le savons pas
là. Dans l'ombre, à la limite, mais qu'au
fond nous savons. Et peut-être qu’untel
a raison lorsqu'il note il ne faut pas
penser à certaines choses, à celle qui
vous tiennent à cœur, ou plutôt il faut y
penser, car à ne pas y penser on risque
de les retrouver, dans sa mémoire, petit
à petit. Oublions. De toute façon, mon
père ne connaît pas Pollock. C'est dire
s'il lui ressemble.
Pollock c'est l'effort de mémoire. Bien sûr
ça n'est pas suffisant. Derrière Pollock
un pan d'herbe jaune, les planches d'une
baraque. Pollock habite la banlieue d'East
Hampton, une petite ville des Etats-Unis.
Pollock est né à Cody dans le Wyoming,
la ville de Buffalo Bill. Mais quand il est
petit, Pollock déménage souvent. Pollock
déménage encore, voilà.
Pollock s'inquiète, le soir s'avance. Autant
dire que Pollock n'est déjà plus grand
chose de Pollock. Pollock est penché sur
la toile et pleure. Ou peut-être qu'il ne
pleure pas mais s'égoutte au bout d'un
bâton. Pollock lutte. Tout le Pollock en
tempête. Pollock dans l'œil absent qui
le voit. L'oeil qui nargue et Pollock peut-
être qu'il ne pense pas. Il coule. Pollock
s'écoule. Pollock s'écroule dans l'évier
sale de sa tête.
Pollock ne raconte pas d'histoire. Pollock
ne ment pas puisqu'il ne dit rien. Si Pollock
ment parfois c'est pour s'approcher. Et
Pollock ment double s'il s'approche car la
vérité ment toujours. Mais l’on se fiche
de savoir si Pollock car Pollock s'avance,
c'est tout. Pollock cherche ailleurs.
Pollock refuse. La vérité ne sort pas d'un
puits, ni d'un œil, ni rien de la bouche de
Pollock. Il dort au fond, Pollock, dort sur
un tas de chiffons. Pollock s'endort et se
réveille. Pollock traverse un rêve qu'il ne
vit pas.
Pollock est beau. Je le trouve beau gars
ce matin l'Pollock. À East Hampton, le
ciel ne bouge pas. Simplement, le matin
recommence. On pourrait trouver l'heure
mais non. C'est juste qu'il ne fait pas
d'ombre ce matin. Pollock ne jette pas
d'ombre sur le sol aujourd'hui. Pollock
ne prend pas la lumière. De là à dire que
Pollock n'existe pas, il n'y a qu'un pas. Il
n'y a rien. Il ne sait pas, Pollock, que tous
les matins, tout le matin recommence.
Personne ne sait d'ailleurs. La journée
sera ce qu'on fait. Bien sûr Pollock sait
tout ça qu'il ne sait pas, mais Pollock
pas d'humeur.
Pollock se fait mal n'a pas le choix. Et
dans la langue, peut-être qu'on ne peut
pas. Peut-être qu’elle n'est pas terrain
de rupture, que la langue c'est trop
tenu, trop propre, ne lavons pas Pollock.
Il faut rester pourtant. On sait juste
qu'il faut rester dedans. Ainsi, quelqu'un
s'empare de Pollock. Quelqu'un pense
qu'il devrait, parce qu'il n'en peut plus.
Parce qu'il sait faire ceci cela qui ne va
pas. Et peut-être se dit-il je suis perdu
dans les serpentins de Pollock, je suis,
ne suis pas. Car Pollock ne peint pas.
Pollock habite. Pollock ne peint pas mais
s'agite. Il tourne. Pollock a renversé le
mur, c'est vrai. Pollock tourne avec le
mur qui l'habite. Pollock danse. Pollock
ne peint pas, je ne vois pas.
Pollock n’a pas sa maison dans les livres.
Il ne faut pas de livres sur Pollock, car
les livres parlent de Pollock et savent
autre chose. Il faut trouver Pollock un
jour d'octobre ou de novembre. À East
Hampton il ne fait pas mauvais ce matin.
Le ciel est blanc. Les prés jaunes autour,
à peine, les planches de la grange Pollock
avec.
Pollock est prêt. Devant l'atelier, c'est
novembre. Pollock est novembre. Pollock
s'est levé d'abord ou peut-être qu'il n’a
pas. Pollock n’a pas dormi sans doute.
Pollock jette sa clope. Et Pollock ce matin
me dit merde. Sale nuit, sale tête. Les
yeux cramés, la chemise noire. Pollock
ne fait plus l'effort. Il crache le mégot qui
s'éteint sur sa lèvre. Pollock me crache à
la gueule ce matin, Pollock me dit merde
de sa langue bien mâchée. Il faudra faire
sans Pollock certains jours.
Pollock n'enfile pas sa grolle, quelque
chose brille au fond. C'est pas la franche
lumière mais ça brille. Pollock verse et
ne se demande pas. Il ne se demande
plus. C'est qu'il apprend l'oubli rapide
des choses, Pollock a besoin. Quand
Pollock n'oublie pas c'est l’imposteur.
Alors Pollock oublie ces petites choses
et que ça ne revienne pas. Mais Pollock
se trompe. Il ne sait plus comment
cette pièce de métal s'est logée dans sa
grolle. Pollock sait que ce morceau de
quoi pourrait rappeler le reste. Pollock
n'aime pas ce qui brille et s’en méfie.
Alors Pollock verse la grolle l'air détaché
puis l'enfile.
Pollock dit fleur et qu'il faut s'approcher.
Pollock n'est pas naïf, mais sentir pareil,
là de suite, sans penser. Pollock n'a pas
tort, pas plus que raison. Pollock balance.
Pollock ne sait pas choisir et ne veut pas.
Il n'a pas tort, c'est dur.
Pollock s’affale plein les yeux. L'était
calme et soudain. Le chien n'a pas vu, ce
chien fidèle de Pollock. Tout paraît clair
ce matin. Et je dis ça pour ne pas dire
que Pollock me sort par les yeux. Car
Pollock, dans la bouche, n'est plus qu'un
mot sale. Plus qu'un bruit fort de loco qui
s'emmène: pollock, pollock, pollock
Pollock tourne et se tait sur l’enfance.
De toute façon, ce qu'on sait de Pollock
ne dure jamais longtemps. Ce qu'on sait
de Pollock ou ce qu'on oublie. Et Pollock
s'agace vite quand on parle de savoir.
Pollock ras le bol de ces mots plein
la bouche en pelures à vider. Pollock
voudrait se taire mais quand même.
Pollock est là, l'herbe jaune, le ciel blanc.
À trembler comme pas lui qu’on dirait
l’arbre nu, le vent. Mais quand Pollock
me vient, Pollock est assis, c’est souvent.
Il enfile la chaussure gauche verse la
droite. Il la verse pour chasser la petite
pièce métallique et ronde qui gêne. Et
c'est versant sa grolle que Pollock se
révèle. C'est stupide. Le geste de verser
verse Pollock. En versant sa grolle, toute
l’usure de sa grolle, Pollock se verse dans
mes yeux, c'est simple.
Pollock ne m'aide pas. Pollock dit
novembre n’est pas là. Il se fiche
éperdument des saisons. J'ai cru que
Pollock pourrait m'aider, mais Pollock
me perd. Pollock se balade et moi. L'air
de rien me déplace. C'est que Pollock
ne veut pas qu'on l’attrape. Pollock se
donne  donc personne ne cherche. Ainsi
Pollock à l'abri. Mais l'abri vorace le
ronge. Pollock sent ce qui ronge. Cela
n'est pas contraire. Et Pollock sait que
de n'être pas trouvé, c'est pire que tout.
Mais Pollock ne sait pas qu'il voudrait
qu'on le trouve. Il se consume mais ne
m'aide pas. Je dois finir d'user Pollock
pour lui rendre un bon sommeil.
Pollock fume pas vite, mais vient. Ce soir
Pollock s'enfile sa bouteille. Il gueule ses
dents sur le grand ciel de nuit. Pollock
cherche un mur où tenir. Il titube et
s'affale dans la fraîcheur de l'herbe.
Pollock disparaît. Pollock, c'est ma façon
d'ignorer.
Pollock répond ... parce que je nie
l'accident. Bien sûr, Pollock ne dit pas
qu'il ne mourra pas. Il faut se méfier
de ce qu'on dit, c'est ce que m'apprend
Pollock. Je n'irais pas dire qu'il radote.
Pollock se calme, c'est rare. De plus en
plus rare qu’il ne casse pas tout. Pollock
s’assoit sur le boulot de la veille. Ce
matin, Pollock n'a pas besoin de casser
pour tout foutre en l'air. Suffit d'un mot
bien placé. D'un qui salit. Mais Pollock
est calme ce matin. Il n'est pas beaucoup
plus tôt que d'habitude. Et personne ne
saurait dire si Pollock a dormi. Seulement
Pollock est calme. Il fume l'éternel fond
jaune pour faire venir la journée.
Pollock n'est pas là pour qui l'attend.
On se trompe en venant voir Pollock car
Pollock n'aime pas la visite. Pollock se
sent seul mais n'aime pas ses amis. Il
ne s'aime pas, pas plus qu'il ne m'aime.
Pollock ne me connaît pas mais ce
Pollock-là du fond de ma tête me scrute.
Il ressemble à s'y méprendre aux arbres
nus sur le ciel de Springs. Je n'irai pas
voir Pollock ni là.
Pollock rampe et dégueule sur la toile.
Le moteur Pollock sans carcasse où
tenir. Pollock malade comme un chien
s'affale. Pollock s'endort dessus, se
réveille dessous. Pollock va mal. Pollock
ne contrôle pas ses nerfs qui le tirent
en pantin. Pollock nie l'accident, c'est
évident. Pollock n'a pas bougé Pollock
d'un millimètre. On ne voit qu’un sac sur
le tabouret blanc.
Pollock, j'écris vite, la main tenue. Pollock
se dégoûte. Quand il est plein, Pollock
s'égoutte sur la toile. Et Pollock déteste
que tout soit facile car Pollock, lui, ne
se paie pas les mots. Mais l'avantage de
Pollock, c'est qu’il ne sait pas qu'il est
Pollock. Pollock est tout autre chose que
lui-même et se fiche qu'on s'en moque.
Pollock bute et se ruine l'orteil. Pollock
s'enroule dans sa rage et râle. Pollock
regarde le sang blanc qui se vide du pot.
Pollock se fige il n'y peut rien. Il se vide
avec le pot qui se vide devant. Pollock se
sent couler. Pollock coule à l'arrêt. Pollock
sait quelque chose qu'il ne peut se dire.
Il se répète je ne suis pas un imposteur,
il n'y croit pas.
Pollock s’essuie les mains dans un
chiffon. Il sait que le temps ne compte
pas ou peut-être juste qu’il sent. Parfois
cela lui vient trop fort et trop près de la
gueule. Pollock aurait tort de penser à
demain. On parle de lui, Pollock s'en lave
les mains.
Pollock se penche. La route va les
cheveux sur le ciel, le vent pense. Pollock
au boulot, le vent pense. Il a vidé sa
grolle, rien ne compte. Pollock s'oublie.
Et Pollock nous fait presque oublier ce
geste tant il l'agit. Car Pollock s'avoue
quand il verse. Pollock peint tel qu'il verse
sa grolle, mais tout n'est pas simple.
Pollock fait non. Lui ne sait pas, mais ses
mains savent. Il dit je sais, je veux puis
non. Pollock c'est l'étrange en moi, peut-
être. Pollock l'effort de mémoire sans
compter. Et ça revient par le bruit des
mots, pas le sens. C'est plic P'llock plic
P'llock. Pollock s'égoutte. Mais Pollock
n'aime pas qu'on s'amuse avec lui, tant
pis. Pollock se venge et ramène mon père
qui, tous les matins, ravale mon père sur
le lavabo.
Pollock ou pas, ce qui bouge dedans. Je
me demande et si Pollock ne se levait pas.
S’il restait vissé sur le tabouret, s'il disait
non, non merci, c'est bon, c'est fini. S'il
disait va cuire ton œuf, dégage. Oui, mais
s'il disait dans l'ensemble, mais d'une
manière plus vague. S'il disait merde à
tout. S'il décidait de rester, d'attendre.
On ne sait pas ce qu'il attendrait mais
Pollock aurait ses raisons.
Pollock s’agace. La rage, Pollock, mais
ne bouge pas. Toujours assis, mais loin.
Pollock s'avale. Il enfile sa chaussure
droite et je me demande ce qu'est
Pollock. Pollock est-il un ami ?
Pollock n'est pas ce qui m'obsède. Pollock,
le type comme un autre, à peu près
comme un autre. C'est juste qu’il verse
sa grolle puis quoi. Pollock verse. Et dans
ce geste simple, ce geste oublié, ce geste
qu’il ne se rappelle pas, c’est possible,
mais dans ce geste fixé pourtant, quelque
chose m'obsède. Quelque chose tombe
en rébus, dans ce qui tombe de la grolle
de Pollock. Car ce qui tombe l’empêche.
Toute la peinture de Pollock est là. On
pourrait croire que Pollock en vidant sa
grolle se libère, comme s'il vidait sa tête
tout usée. On pourrait croire qu’il verse
ce qui l'entrave, que Pollock s'évacue,
mais non. La rondelle d'acier, le je-ne-
sais-quoi, ce presque rien qui ne tourne
pas rond, revient. Et chaque matin, faut
verser sa grolle, c'est comme ça.
Pollock ne parle pas souvent. Pollock
parlait peut-être, avant. Mais l’Pollock
qui vient se tait. Il voudrait se taire
comme la ville autour. Pollock voudrait
se fermer fort sous le jaune des champs.
Alors Pollock boit comme un polak et
rond comme une queue de pelle s'écarte.
La nuit s'avance. Pollock répète qu'il faut
mourir un jour et qu'il saura, lui, ce qui
l'a tué. Pollock me rappelle vaguement
quelqu'un.
Pollock se fiche que le noir bouffe 36 %
d'un carré, de deux carrés ou de n
carrés. Et l'on se fiche que Pollock porte
chaussettes noires, chemise noire et
pantalon noir ce jour. On se fiche aussi
que le slip fasse baisser les chiffres s'il est
blanc. On s'en fiche, c'est plus simple. Et
Pollock ne pense plus guère à Cody, cela
fait bien longtemps.
Pollock fonce. Il va dans le mur et fonce.
Il sait qu'il va, Pollock, et que la journée
sera longue. À East Hampton, il ne fait
toujours pas froid. Pollock quitte ses
mocassins marron. Il enfile ses grolles
de boulot. Il enfile la gauche en croisant
la jambe gauche sur la droite, puis la
droite, mais non, la verse puis l'enfile.
Pollock n'a rien à faire du jaune qui
l'entoure. Il jette ses mocassins sur le
bord. Pollock ne se demande jamais ce
que la journée sera.
Pollock cherche. Il sait qu'il est vu, cela
ne gène pas. Il cherche ailleurs vers le
sol. Ses yeux trouvent le ciment. Pollock
à l'habitude, mais bute. Pollock ne peut
pas se voir en peinture, c’est vrai. Il
faudrait suivre le fil pour voir où Pollock
mais Pollock brouille les pistes. Pollock
ne cherche pas sa voie dans les fils, bien
sûr, Pollock n'est pas sage ni rien. Pollock
fait ce qu'il peut, c’est tout.
Pollock n'est plus qu'un mot, je répète.
Pollock a de grands yeux ce matin. Je ne
reconnais pas Pollock. Il sait qu'il n'est
plus qu'un mot, ça va. Pollock n'est plus
qu'un mot qui ne veut plus rien dire.
Pollock est un sale type donc un seul
mot suffit. Pollock a le goût pâteux de
la veille dans sa bouche. Pollock racle sa
langue sous les dents. De radical, il n'a
que la bêtise Pollock. Cette misère qu'il
tire entre ses cuisses. Et j'ai l'impression
que Pollock ne sent rien. Même si je sais
que... Puis non, Pollock m'agace. C'est
mon côté Pollock.
Pollock a soif et boit dans mon ventre.
Pollock me fatigue, il ne voit pas les
autres. Pourtant, c'est la part commune
ce Pollock. Pollock de toi Pollock de moi.
Pollock passe la journée dans la paille.
Pollock sur le dos, Pollock respire. Pollock
voudrait voir ce qu'il est lorsqu'il n'est
pas là. Tout le ciel blanc ne suffit pas.
Pollock n'est pas un imposteur, il le crie
sur les toits. Il est rongé, bien rongé,
s'effrite au dedans. En fait, Pollock n'est
pas assez Pollock, mais Pollock respire.
Pollock verse sa grolle à nouveau, rien
n'en sort mieux. Quelque chose tombe et
roule à ses pieds qu'il ne voit pas. Pollock
n'est plus là lorsqu’il verse. Pollock n'est
pas.
Pollock de dos. Peut-être qu'il compte
les arbres ou la colline derrière. C'est
novembre et les arbres sont nus. L’herbe
est grillée, ce n'est pas la saison,
qu'importe. Le dos de Pollock est une
falaise noire sur le jaune du fond. Pollock
a peur de son dos, je devine. Et Beckett
lance c'est tuant les souvenirs, mais
Pollock c'est pire. Pollock est vide. C'est
la falaise dans son dos, Pollock le sent.
Pollock me réveille la nuit. Il est seul.
Pollock n'aime pas cette solitude qu'il
traîne. Dégage Pollock.
Pollock ne voudrait pas dire tout et
n'importe quoi, mais s'emporte. Ça fait
deux jours que je l'use jusqu’à la corde
et Pollock s’abîme. Le chien de Pollock,
ce bâtard de quelqu'un, ne bouge pas.
Rien ne dérange ce chien qui paraît tout
l'inverse de Pollock.
Pollock n'a pas d'enfants, tant mieux.
S'il avait des enfants, Pollock leur dirait
sales porcs de sa langue très sale, leur
collerait trois beignes, au lit  ! Pollock
aimerait ses enfants, mais ne saurait pas
car Pollock en a peur. Pollock a peur que
les enfants ne sachent pas dormir. C'est
ce que pense Pollock en s'endormant.
Pollock ne peut pas dormir s'il ne tombe
pas.
Pollock fixe la cabane penchée qui ne
penche que lui. Et j'aime ne pas savoir
grand chose de Pollock, comme ça Pollock
peut mentir. Pollock ne sait pas dire non
mais dire oui lui coûte tant. Alors souvent
Pollock se tait. Pollock ne supporte pas
qu'on lui demande d'expliquer. C'est que
Pollock voudrait qu'on prenne tout sans
broncher.
Pollock ne m'aide pas, mais n'aide pas
Pollock. D'ailleurs Pollock ne peint pas.
Il se répète les mêmes phrases tous
les jours ou plutôt les mêmes phrases
se répètent à Pollock. Pollock prend les
coups comme un sac. Pollock ne bronche
pas. Sans doute qu'il aurait pu boxer
mais quand c'est trop Pollock verse.
Pollock reste. Il regarde le chien qui
regarde ailleurs. Pollock se dit bonne bête
ce chien. Pollock ne ferait qu'attendre
s'il pouvait. Or il ne peut pas. Le passé
frotte, Pollock s'active. Quand il peint
Pollock s'éteint. Pollock est soulagé
de s'éteindre. Il ne pense jamais qu'il
reviendra. Pollock s'anéantit. Pollock
se vide où se remplit de ce qui vide. Et
l’on ne comprend pas Pollock car Pollock
déplace. Pollock passe à travers. Pollock
ne se donne pas, c'est faux.
Pollock déborde un peu le temps. Il
n'aime pas ce temps qui bave sur les
flancs. Pollock n'aime pas sentir le temps
jusque sous la peau. Pollock a besoin de
faire et cherche l’astuce pour s'oublier.
Pollock enfonce les poings dans ses
poches. Pollock n'imagine pas demain.
On dirait que demain ne vient pas chez
Pollock. Alors Pollock n'y pense pas. C'est
peut-être ce qui m’approche de Pollock
ou pas. Pollock pas même un sourire.
C’est quelque chose comme ça qui
parfois s'empare de Pollock. Et plus rien
ne compte. Pollock ne voit plus l'herbe
jaune, plus les tonneaux qui rouillent
à côté ni le ciel passé. Quand cela s'en
empare, Pollock s'enfonce. Le paysage
se vide avec lui. Ses yeux l'enfoncent.
Les orbites se ferment sous les yeux de
Pollock. Pollock est fermé dans sa tête,
rideau!
Pollock pisse sur les peupliers noirs
d’East Hampton. Peut-être qu'il n'y a pas
de peupliers, mais le chien de Pollock
pisse avec. Quand Pollock ne peut pas,
Pollock pisse par la fenêtre. Et Pollock ne
vient plus dans le peu qu'on sait de lui.
Peut-être qu'on est passé de l'autre côté
de Pollock mais qu’il n'a pas bougé. On
s'égare dans le dos de Pollock qui, Pollock
n'a pas bougé. Car Pollock ne veut pas
qu'on le trouve. Pollock embusqué.
Pollock sous l'ampoule. L'ampoule frôle
et balaie la poussière sur le crâne de
Pollock. La lumière ne porte pas. On reste
assez près de la tête de Pollock, donc ce
n'est pas cette lumière qui l'inonde. On
dirait que la pièce est vide. C'est peut-
être que Pollock suffit. Des moustiques
tournent vers l'ampoule. Pollock ne
supporte ce bruit de bestioles. Pollock
nage dans le courant qui ne nage pas
Pollock. Il se dit juste ampoule ou vessie,
puis s'effondre.
Pollock ne sait pas. Juste qu’il guette sa
main pincée sur le bois. Pollock déteste
lorsqu'il ne s'oublie pas. Pollock travaille
mal. Il pense à Pollock qui ne pense pas.
Pollock s’entend crisser dans l'herbe jaune
qui passe, il se voit s'en aller. Pollock se
dit tant mieux, casse-toi Pollock. Pollock
ne voit pas sa figure ni ce qui roule sous
la peau. Pollock n'est pas un athlète mais
les muscles répondent. Les biscotos c’est
pour ça, ça rassure. Pollock pense à lui
puis s'oublie.
Pollock passe l'image. Se dit bonne
journée, n'y croit pas. Il préfère se taire
car ce qu'il dit tête l'annule. Pollock n'est
pas un acteur. Il ne joue pas, sa tête
l'annule. Et l'œil fixe qui nargue troue ses
peurs. Pollock craque, on sait la suite.
Pollock chien méchant. La mâchoire
de Pollock ne lâche pas. On lâcherait
volontiers Pollock pourtant. Je n'aime
pas la peinture de Pollock, je n'admire
pas Pollock. Simplement Pollock est un
homme et semble assez près. Pollock
s'approche de l'œil qui s'approche. Il
s'installe, on sait la suite.
Pollock jette les mocassins puis se lève.
Il tourne d'un quart et s'arrête. Pollock
tombe en lui, ça ne prévient pas. Pollock
pense à son père, peut-être, la crise
cardiaque et basta. Une sorte de calme
mal placé s'installe en Pollock, le calme.
Pollock fait bonne figure, ses jambes
refusent. Pollock pourrait tomber,
vraiment.
Pollock n'est pas levé, les gars l'attendent.
Ils se disent quand même Pollock il
pourrait. Ils ne savent pas s’il est dans
son lit ni si Pollock dort sur la tables,
des miettes piquées plein la joue. En
tout cas, Pollock ne vient pas. Pollock ne
dort pas pour dormir. Pollock tombe pour
assommer Pollock. Les images défilent
sur les types qui restent. East Hampton
est une petite ville des États-Unis. Et
tout paraît calme à Springs. On ne voit
rien d'une ville mais le trou perdu de
Pollock. Il n'y a pas de vent, juste un peu
de lumière. Le tabouret, les chaussures.
Pollock bascule sa tête où l’air coule.
Pollock respire et s'abandonne. Il ne
voudrait pas commencer. Il ne commence
pas tous les jours, mais dans l'ensemble
ça recommence. Pollock pense souvent
qu'il ne peindra plus. L'air le brûle en
passant par Pollock. Parfois Pollock
pose sa figure et s'écrase le nez sur les
planches. Pollock sait bien qu'un jour ou
l'autre il ne peindra plus.
Pollock lutte, la masse l'épluche. Pollock
s'épluche dans sa bouche et n’importe où.
Tout cela Pollock le tait. Pollock remonte
son col, tourne la tête. Pollock se dilue
dans la peinture, se liquéfie. Pollock
trouve ça plutôt bien pour disparaître.
Pollock pense que le retour est difficile.
Cela le rend fou de revenir à si peu.
Pollock sent qu'il n'est rien, qu'il n'est
qu'un mot là-dessus. Et Pollock sait
qu'il finira. Alors peindre ne le concerne
pas. Il verse le mur, c'est pas si mal. Il
peindrait le ciel qu'on s'y ferait prendre.
Mais Pollock n’invente pas donc le sens
ne vient pas.
Pollock ne compte plus. D'ailleurs on n'a
pas d'oiseaux dans le ciel de Springs,
pas d'oiseaux sous le ciel blanc de
Pollock. L'espace pictural est un mur,
bien sûr, mais pas. Et la liberté, Pollock
se demande.
Pollock se tait mal certains jours. Pollock
fait tache dans le paysage et s'agace.
Hier, cette fille, il l'aurait chiée par sa
bouche. Et Pollock voudrait croire qu'il
ne s'en veut pas. Il voudrait fondre en
lui ce grand calme d'un soir installé, s'en
aller.
Pollock se demande ce qu'est lâcher prise.
Pollock ne sait pas vraiment s'il s'oppose.
Pollock voudrait verser simplement. Et
Pollock trouve ce geste, le plus pur geste
d’un jour, lorsqu’il se prépare. Pollock
verse sa grolle. Pollock est réconcilié par
ce geste. Pollock change le monde quand
il verse sa grolle car Pollock s'oublie.
Bien sûr, Pollock dirait ça ne compte
pas car il voudrait savoir qu'il s'oublie.
Pollock s'est oublié. Il ne sait pas qu'il ne
peindra plus lorsqu’il verse et qu'il ne se
voit pas.
Pollock n'est qu’un passage, je passe. Et
le vent passe encore dans les yeux de
Pollock quand Pollock les ferme. Pollock
est poreux, je passe et je me demande
jusqu'où finit Pollock.
Pollock s'échappe, tant mieux. Personne
ne sait de quel côté de sa cage Pollock
peint de sa cage car Pollock est ailleurs.
Et Pollock n'a pas trop peur de lui-même
ce matin. Ça dépend des jours mais
Pollock se rassure.
Pollock s'accumule. Pollock fait quantité
quelque part. Pourtant Pollock voudrait
s'effacer.
Pollock trouve que ce n'est pas si mal.
Pollock ne se pose pas de questions. Il
recule un peu. Pollock ne se pose jamais
les bonnes questions. Pollock va sa sève
lente ou furieuse qui le va. Il sent quand
même ce passé véloce qui l'attrape.
Pollock confond certaines choses mais
ne s'en plaint pas.
Pollock ne sait pas que mon père ne peint
pas, mais mon père a soif. Mon père ne
boit plus mais ce n'est pas Pollock. Mon
père ne connaît pas Pollock qui ne connaît
pas mon père. Mon père ne connaît pas
non plus tous les peintres qui ne sont
pas Pollock. Pourtant Pollock et mon
père n'ont pas rien à voir. Mon père n'est
pas Pollock ni l'imposteur, mais partage
la soif.
Pollock se dit je suis né à Cody mais Pollock
ne sait plus. Pollock se demande s'il faut
renaître ou s'il suffit. Il se demande
jusqu'où finir Pollock, la réponse ne vient
pas. Pollock ne choisit pas la question
pour demeure mais se tourne, rien ne
va de soi. Certains jours, Pollock ne voit
plus novembre et ça ne l'effleure pas.
Pollock tète sa clope face aux collines
foncées. Pollock est debout. Il raconte
un tas de choses dans sa langue qu'on
ne comprend pas. Puis Pollock se tait,
passe en crabe. Quand Pollock se tait ou
bien qu'il ne fume pas, Pollock mâche
l'intérieur de ses joues. C'est-à-dire que
Pollock se mange à petit feu debout.
Pollock meurt tout à fait de sa soif. Il nie
l'accident mais Pollock se tue. Ce n'est
pas la route de Springs qui tue Pollock,
pas même l’accident, mais Pollock crève
à la source. Pollock se ferme des yeux
grands comme la bouche en mourant.
Pollock voudrait que sa peinture se taise
et c'est tout. Pollock déteste le silence
de la pluie certains soirs mais ce soir ne
pleut pas. Qu'elle trouve un chemin sa
peinture, sans causer, voilà ce qu’il veut.
Pour ça, Pollock se tuerait bien le peu de
vie qui reste et vlan.
Pollock est mort. Pollock se dit qu'il est
mort et déjà. Mais Pollock bouge encore
dans le paysage. Le paysage ravale
Pollock mais Pollock se défend. Ce qu'il
aime par dessus tout Pollock, c'est
marcher seul. Marcher seul et longtemps
dans ce paysage qui bouge. Pollock
s'éloigne. Pollock sent le sang qui tape.
Le sang battu vers la fin de ses doigts.
Pollock se retourne, la grange a disparu.
Pollock s'allonge. Le jaune gratte sa
nuque en dessous des cheveux. Peut-
être que Pollock participe et qu’il respire
un peu. Il n'allume pas sa cigarette.
Pollock pense qu'une seule clope pourrait
brûler ce paysage, le consumer d'un seul
vent, mais Pollock l'allume. Pollock tire
sa dernière latte, une autre, et Pollock
se lève.

(Lyon, 16 / 17 novembre 2008)


manuscrits
carnets
ISBN : 978-2-8145-0204-8

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