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LES ÉCHECS
LA LUTTE
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DES IDEES
AUX ÉCHECS
Anthony Saidy

LA LUTTE �

DES IDEES

AUX ECHECS
Traduit de l'anglais
par Sylvain Zinser

HATIER/JEUX
Remerciements
Tous mes remerciements vont à mes amis et associés qui m'ont
apporté leurs critiques et leur aide dans la rédaction de ce livre. Ce
sont Norman Lessing, Norman Reider, Ruth Birnkrant et Burt
Hochberg.
A Paul Keres et Bent Larsen pour les éclaircissements qu'ils
m'ont fournis à des questions d'analyses concernant leurs parties.
Et à mon père, Fred Saidy (*) qui m'a communiqué ce besoin
inné de confier ses idées au papier et, comme je l'espère, un peu de
son talent.

( ) Fred Saidy ( 19 07-1982 ), écrivain dramatique, auteur de "Finian's


*
Rainbow".

Photo de couverture : © Yves Devis, DR.


The Battle of Chess ldeas
© 1974, Anthony Saidy
Première publication en 1972 en langue américaine.

Première publication en langue française par Hatier, 8 rue d' Assas, Paris 6 •
sous le titre :
La Lutte des Idées aux Échecs.
Adaptation française de Sylvain Zinser. Traduit de l'anglais (et de l'allemand
pour les chapitres 17et 2 0).
© 1 989, Hatier, Paris,pour l'adaptation française. Tous droits réservés.
Toute reproduction, traduction, adaptation ou reproduction même partielle,
par tous procédés,en tous pays faite sans autorisation préalable est illicite et
exposerait le contrevenant àdes poursuites judiciaires.
Réf.loi du 1 1mars 1957.
Dépôt légal :n° 104 88, juillet 1989
I S B N : 2 -2 18-01 937-3
I S S N : 0758-6 70 1
Ce livre est dédié à Reti

« Car, dans les idées exprimées aux Échecs et leur

développement, nous avons une représentation de la lutte


intellectuelle de l'humanité. »
Richard Reti
L'auteur
Anthony Saidy, né à Los Angeles en 1937, a compté pendant de
nombreuses années parmi les meilleurs maîtres d'Échecs des États­
Unis. Il était membre de l'équipe des États-Unis qui remporta le
championnat du monde des étudiants en 1960 et de l'équipe
olympique en 1964. Ses titres individuels incluent celui de champion
des Etats-Unis en parties rapides (1956), champion ouvert du
Canada (1960) et champion ouvert américain (1967).
En 1969, il prit une année sabbatique (il est physicien de
profession) et fit une tournée en Europe. Il obtint le titre de Maître
International FIDE en partageant la seconde place au tournoi de
grands-maîtres de Venise en Italie. De 1964 à 1969, il couvrit de
nombreux événements internationaux pour la revue "Chess Life",
y compris le match Fischer-Spassky.
« La Lutte des Idées aux Echecs » est son premier livre.
Table des matières

1. Le jeu d'Échecs, origine et signification ......................... . 15


2. L'ère romantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
3. Idées systématiques aux Échecs .................................... . 22
4. La révolte hypermoderne ............................................ . 26
5. La recherche d'une synthèse ........................................ . 30
6. Les nouvelles méthodes dynamiques
et ladite École soviétique ............................................ . 37
7. Botvinnik : la marche de la science ............................... . 41
8. Reshevsky : l'instinct de conservation .......................... . 49
9. Keres : l'esprit de l'attaque ......................................... . 56
10. Bronstein : la joie de l'invention .................................. . 63
11. Smyslov : la joie de la découverte ................................. . 69
12. Tal : la psychologie de la magie .................................... . 75
13. Petrossian : l'age de l'ant1- heros 89

A , ...................................
0 .

14. Larsen : la vitalité du romantique ................................. . 97


15. Spassky : le secret de Caïssa ........................................ . 107
16. Fischer : les limites du génie ........................................ . 116
17. Karpov : tirer profit de la précision ............................... . 130
18. Kortchnoï : les dangers de la provocation ....................... . 138
19. Kasparov : la renaissance de la créativité ....................... . 145
20. L'avenir des Échecs ................................................... . 159

9
Introduction
à l'édition française

C'est avec une fierté évidente qu'un auteur d'Échecs


accueille la parution d'un de ses ouvrages en fran­
çais, langue qui a imprégné la culture universelle. Il
a l'espoir que cela peut contribuer, au pays de
Philidor, à la renaissance de ces dernières années
qui a restauré la France en tant que puissance
échiquéenne.
La difficulté d'une telle réussite dans notre socjété
qui offre tant de diversions, sans une aide de l'Etat,
est manifeste. Le monde occidental a produit, dans
une incertitude financière, un grand nombre de
grands-maîtres à partir d'une base limitée.
Peut-être la France, qui a toujours aimé l'art,
réussira-t-elle à résoudre ce problème matériel. Peu
importe qui y parviendra, il y aura mérité l'équiva­
lent aux Echecs du prix Nobel.
Anthony Saidy

10
Préface

La mystérieuse attraction du jeu d'Échecs et la


grandeur de sçs champions ont inspiré ce livre.
Pourquoi les Echecs exercent-ils une telle fascina­
tion ?
J'étais déjà maître d'Échecs avant de prendre
conscience de mon ignorance. Je ne connaissais pas
la signification des Echecs et sous-estimais l'héritage
de ce jeu. Je décidai alors de faire de cet héritage
une part de moi-même.
Certaines lectures furent catalytiques. Je commen­
ççâ à réaliser la profondeur et les dimensions des
Echecs. Je reconnus qu'il y avait plus dans ce jeu
que je ne l'avais supposé. On y trouve la beauté et la
passion cachée. L'héroïsme aussi. La fréquentation
des meilleurs joueurs actuels et l'étude de leur art me
révélèrent qu'ils frappaient aussi à la porte de l'im­
mortalité, comme les grandes figures du passé qui
survivent au travers de leurs parties demeurées en
mémoire et de leur légende.
En relisant l'opuscule de Richard Reti « Die
neuen ldeen im Schachspiel » (1922), je fus saisi
par la beauté de son appréciation p9étique et philo­
sophique des grandes figures d,es Echecs. Ce petit
livre m'apprit aussi le rôle des Echecs en tant qu'art
et ses parallèles avec le développement intellectuel
d,e l'homme moderne. Reti retraça l'évolution des
Echecs d'Anderssen à Alekhine. Son ouvrage ulté­
rieur « Die Meister des Schachbretts » est plus ana­
lytique et donne les réussites mémorables des grands
champions de son temps.
11
L'histoire des idées aux Échecs est celle des
joueurs qui les ont incarnées. Mon intention est à
préserit de résumer ce que furent les grands artistes
des Echecs contemporains, comme Reti le fit pour
ceux de son époque. Aussi ce présent volume est-il
une suite voulue à l'ouvrage de Reti et remplit-il un
vide chronologique.
Plus encore, je vou,drais élucider un peu du
mystérieux attrait des Echecs, joignant ma propre
idée à celle des , autres. Je voudrais aussi expliquer
pourquoi les Echecs ont séduit tant de gens, y
compris quelques-uns des grands penseurs de l'hu­
manité. J'espère que ce Hyre révélera au lecteur non
seulement comment les Echecs sont joués par leurs
meilleurs experts, mais aussi pourquoi ils le sont.
J'ai choisi treize des plus grands joueurs vivants et
leurs meilleures parties pour illustrer les concçptions
importantes dans la marche des idées aux Echecs.
Ce sont presque tous des hommes que j'ai rencontrés
devant l'échiquier ou observés de près dans l'arène.
Ils sont pour moi des êtres de chair et de sang et non
des héros légendaires d'une époque révolue.
Inévitablement, de grands joueurs ayant pourtant
enrichi la théorie ont été omis, les Soviétiques
Boleslavski et Geller, Najdorf le grand romantique
Argentin, Gligoric le plus important joueur de cette
grande nation échiquéenne qu'est la Yougoslavie, et
!'Américain d'origine hongroise Pal Benko, stratège
éprouvé et connaisseur du royaume de la pure
poésie échiquéenne, l'art du problème (le seul des
12
joueurs évoqués ci-dessus représenté par plus d'une
partie perdue dans cette sélection ; toutes mes excu­
ses, mais seul un fort adversaire suscite les efforts
des plus grands).
Bien que mes contemporains soient le sujet princi­
pal de ce liyre, j'ai aussi souligné l'évolution des
idées aux Echecs, depuis Greco jusqu'à l'époque
contemporaine, afin que toute l'histoire de l'évolu­
tion du jeu se trouve dans ces pages. Mais pour les
grandes parties du passé, je renvoie le lecteur à
l'abondante littérature couvrant cette époque.
Essayer d'illustrer les idées des grands avec une
seule partie isolée eût été trop superficiel pour leur
rendre justice.
Une remarque quant aux commentaires. J'ai
consulté les sources existantes et effectué mes pro­
pres analyses sans tenter d'être exhaustif Des possi­
bilités secondaires importantes sont indiquées, mais
le lecteur pressé n'a pas besoin de les rejouer : ce
qui nous intéresse ici au premier chef, ce sont les
idées et non les détails analytiques.
Nous n'avons pas davantage voulu débattre de la
théorie des ouvertures actuelles, et nous avons suivi
en cela l'optique de Reti dans « Die Meister des
Schachbretts » . Ce domaine a suffisamment proli­
féré ces dernières quarante années, et ce livre n'est
pas un ouvrage technique mais une approche criti­
que des idées.
Mon espoir est que mÇme un lecteur sans connais­
sances spéciales des Echecs puisse en faire son
13
profit et découvrir un nouveau monde d'idées -
celui de notre bqtaille intellectuelle sans fin pour
notre beau jeu d'Echecs.
Dans cette édition de nouveaux et importants
chapitres ont été ajoutés sur la période des stars les
plus passionnantes, Kortchnoï et Kasparov. Mais
pas un mot n'a été changé. Je n'ai pas pris la liberté
d'atténuer mes opinions les plus sujettes à controver­
ses. Seules des notes ont été rajoutées en bas de page
lorsque la nécessité d'additions ou de corrections se
faisait sentir.
La maturité amène plus d'objectivité. L'auteur
souhaiterait essayer le gambit du roi mais à condi­
tion de parvenir à maîtriser celui de la dame. Et
comme critique il lui faut bien faire des concessions
à ce qui prédomine, en espérant toutefois que la
technocratie fera plus de place à la poésie.
Les anciens héros ont disparu et ils ne sont pas
prêts d'être remplacés dans nos cœurs. Pour notre
consolation, un nouveau demi-dieu vient toutefois
de paraître.
Tandis que le monde en général su�cite plus de
désespoir que d'espoir, le monde des Echecs conti­
nue à ravir ses adeptes. Et, quand no,us souhaitons
« Longue vie à la lutte des idées aux Echecs», nous

disons « Longue vie à l'Histoire, Longue vie à


/'Art, Longue vie à l'Humanité».

Anthony Saidy

14
Le jeu d'Échecs 1
origine et signification

« Ce n'est pas sans raison si c'est le seul Chatrandj, et plus tard de Chah Mat
jeu qui, depuis son invention, vers les (« Le roi est mort »). Les conquérants
années 600 après Jésus-Christ, a été joué arabes de la Perse amenèrent les Échecs
pratiquement dans le monde entier, a en Espagne dès le xie siècle. Le jeu se
captivé l'intérêt et l'imagination de millions répandit ensuite dans toute l'Europe.
d'amateurs, et a été la source d'autant de L'Espagne au XVIe siècle, l'Italie au
chagrins que de plaisirs. » xvne, la France au XVIIIe furent les
Norman Reider premiers pays concernés. Puis ce fut
successivement le cas de l'Angleterre, de
Personne aujourd'hui ne sait avec l'Allemagne, de l'Amérique et finalement
certitude quand et comment le jeu de la Russie.
d'Échecs est venu à l'idée de nos ancêtres. Certaines déductions sur les Échecs ont
Mais presque tous ceux qui le pratiquent des bases linguistiques. Un nom chinois
et l'aiment en connaissent le pourquoi. (Choke-choo-hong-ki) est particulière­
Au fil des siècles, les Échecs nous sont ment descriptif : « Le jeu de la science de
parvenus, avec de multiples la guerre. »Un ancien nom italien évoque
modifications, riches en mythes et clairement les capacités des Échecs à
légendes, comme le symbole de l'histoire susciter de fortes émotions : scacchi alla
des hommes et de leurs luttes. rabiosa (« Les Échecs de style furieux »).
Les historiens s'accordent quant à la Des fables non vérifiées rattachent les
naissance du jeu d'Échecs aux Indes vers Échecs à de grandes figures historiques
le VIe ou le VIIe siècle de notre ère. Son t e l l e s q u e Ha r o u n e l R a c h i d e t
précurseur était un jeu de dés à quatre Charlemagne. En revanche, l'intérêt pour
partenaires nommé Chatouranga (quatre ce jeu de Benjamin Franklin (le premier
compagnons d'armes). Un jour, les dés et a u t e u r d'É c h e c s a m é r i c a i n) et d e
l'élément de hasard qui s'y rattachait Napoléon Bonaparte, est bien connu.
furent abandonnés. Le jeu d'Échecs était On p e u t v o i r u n e s i g n i f i c a t i o n
né. Ce n'était pas encore celui que nous symbolique dans la fascination qu'un tel
connaissons aujourd'hui. Par exemple, la jeu a exercé sur de grands personnages
puissant� Dame en était absente. tels que Karl Marx et Lénine.
Les Echecs émigrèrent rapidement Les modifications formelles du jeu
vers la Perse où ils prirent le nom de furent plus ou moins parallèles à celles

15
survenues dans la vie militaire et politique Les Échecs sont en fait un jeu de la
(encore que le caractère royal du jeu ait guerre. Ils nous montrent deux armées
survécu dans l'ère démocratique). Jadis, opposées, figurées par la hiérarchie d'une
le pouvoir des pièces était réduit. Le jeu cour royale entourée de ses hommes
se limitait souvent au gain par d'armes. Son contenu agressif est évident.
dépouillement et le mat y était rare. Le champion du monde, Emmanuel
Soudain, vers 1485, la Dame, jusqu'alors Lasker, attribuait sa force de séduction
vizir ou conseiller du roi relativement unique aux délices primitifs que l'homme
faible, devint la pièce la plus puissante de éprouve pour le combat et gu'il regarde
l'échiquier. Cette transformation fut comme l'essence même des Echecs. Pour
attribuée à l'émergence en Italie de lui, les Échecs étaient un microcosme
personnalités politiques féminines. (Un intellectuel de la lutte pour la vie, aux
auteur allemand, Jacob Silbermann, dans tendances certes scientifiques et a1tis­
l'ouvrage « Geschichte des Schachs », tiques, sans pour cela être ni une science
paru en 1975 et écrit en collaboration ni un art véritables. Aussi Lasker ne nous
a v e c l e G r a n d - M a î t r e Wo l f g a n g a-t-il laissé aucune stratégie nouvelle,
Unzicker, y voit même un effet du aucun héritage esthétique. Ses parties
rayonnement européen de. Jeanne d'Arc approchent plutôt la qualité de cet être
au Moyen Age. NDT.) mythique dont il présenta le postulat dans
un écrit philosophique, le « Macheide »
Les mythes du passé, répétés ou ( « Fils du combat ») , pur esprit né de la
modifiés, et qui ont profondément et lutte éternelle et de la sélection naturelle,
inconsciemment influencé l'homme sont qui atteint à )'invincibilité.
souvent plus révélateurs que les faits Mais les Echecs sont plus qu'un jeu ou
historiques. Plus d'un sont liés aux qu'un combat. Bien qu'il s'agisse d'un
Échecs. Le thème d'Œdipe ressurgit. système entièrement conçu par l'esprit
Dans une légende, les Échecs furent humain, c'est une science, avec des
inventés par des sages afin de guérir de sa principes, des données établies, des
folie un tyran qui avait assassiné son hypothèses, soumise à l'épreuve ultime
père. Un autre utilise les Échecs pour de la défaite ou de la victoire. On peut
apaiser le chagrin d'une Reine dont le fils aussi les considérer, sous un aspect pure­
avait été tué à la guerre. Ces mythes ment technique, comme un ensemble de
révèlent que l'échiquier, inoffensif en connaissances et de principes appliqués,
apparence, a le pouvoir mystérieux aux frontières sans cesse repoussées et à
d'éveiller les sentiments les plus profonds l'affinement toujours accru. Les Échecs
dans le cœur de l'homme (*). peuvent être ainsi comparés à un système
Quelle est alors l'essence des Échecs ? fermé de l'univers physique. Afin de les
Commençons par ses caractères les plus dominer, il faut alors simplement
évidents pour nous pencher ensuite sur découvrir leurs règles comme un chimiste
ses qualités les moins apparentes. découvre la dynamique interne de la
matière. Rejoue-t-on une partie d'un
parfait technicien, qu'on éprouve le
sentiment de la justesse et l'impression
*
( ) N.Reider, «Chess Œdipus, and the Mater
Dolorosa », Psychoanalysis and the Psychoanalytic que le maître a réellement pénétré très
Review,été 19 60,vol. 4 7,n° 2,pages 55 -82. profondément le fonctionnement du jeu.

16
D'autre part, et cela est particuliè­ participant à leurs royales fortunes, on
rement important, les Échecs sont un art récupérait une part de l'omnipotence
créateur. Ils ont en eux cet élément qui, perdue» (Reider, œuvres citées).
je crois, ravit la nature humaine plus Reuben Fine abandonna le pinacle du
encore qu'un combat : la beauté. Il y a monde des Échecs pour devenir
celle d'une belle performance technique, psychanalyste. S a fameuse monogra­
comme une œuvre finement ouvragée de phie (*) met entre autre l'accent sur le
Bach. Et il y a celle née de l'imagination symbolisme sexuel des Échecs. Selon les
débridée d'un créateur qui ignore les conceptions freudiennes, les femmes
restrictions des règles classiques, éclatant n'excellent pas aux Échecs parce qu'elles
comme le romantisme d'un Tchaïkovski. n'ont pas la pulsion inconsciente du
Il est regrettable que le jeu d'Échecs, à la meurtre du père.
différence de la musique ou de la Je voudrais dépasser cette vision pour
peinture, requière du spectateur une présenter une théorie sur la façon dont la
période d'initiation pour révéler ses sexualité, au sens le plus large, se
qualités esthétiques. manifeste au travers des Échecs. Pour
Les Échecs reflètent plus que la guerre. cela, il me faut revenir environ vingt-cinq
Ils symbolisent aussi la romance des Rois, siècles en arrière.
des Reines et des Chevaliers. La fable de Les anciens Chinois concevaient deux
la pluie de pièces d'or, qui tomba sur le principes complémentaires dans la nature,
grand-maître romantique américain dont l'interaction générait « tout ce qui
Marshall pour son fameux sacrifice de doit être», le yin et le yang. Le yin
Dame contre Levitzky, est une réminis­ féminin a la passivité, la profondeur,
cence du rêve de l'eldorado, la vision du l'obscurité et la froideur. Le yang
pays de l'or des conquistadors. Les masculin a l'activité, la hauteur, la
Échecs ont aussi une déesse, Caïssa, fille lum�ère et la chaleur. Quel rapport avec
de Mars et d'Aphrodite. les Echecs?
Ils ont représenté beaucoup pour les Dans la pensée échiquéenne des grands
hommes ; certains d'entre eux y ont joueurs, comme l'exprime leur style de
consacré leur vie. Un tel jeu et une telle jeu, existe aussi une dualité entre les
dévotion méritent notre attention, car principes masculins et féminins (présente
nous y voyons le travail de l'esprit et du en tout être humain, homme ou femme).
cœur humains. Quelle est la source de L o r s q u e le pôle m a s c u l i n domine
cette qualité particulière, suffisante pour complètement, la pensée évolue vers
avoir rempli toute l'existence créative de l'analyse pénétrante, le raisonnement
plus d'un génie? scientifique et l'habileté technique.
Nous devons accorder un crédit à ces Par contre, au pôle féminin appartien­
théoriciens de la psychanalyse qui ont nent les éléments de foi, d'intuition, la
démontré à quel point le« Jeu des Rois» créativité artistique dont la tendance
représentait un moyen d'expression des esthétique défie parfois la logique.
plus hautes impulsions fondamentales de L'approche créative se rebelle contre le
l'homme. Selon Reider: « C'est comme
si, au travers du jeu, on éprouvait une
sorte d'unio mystica avec rois et reines, *
( ) R. Fine : The Psychology ofthe Chess Player,
avec leurs romances familiales et, en Dover, 1960.

17
penchant à réduire (le choix de ce dernier aux grands joueurs d' Échecs de notre
mot révèle ma propre inclination) les temps et à leurs idées . J'ai le sentiment
Échecs à un exercice technique et d'avoir perçu leurs relations symboliques
scientifique plutôt qu'à une quête avec la déesse Caïssa.
artistique individualisée. Peu les connaissent réellement, certains
Par le passé, cette polarité que nous les rencontrent sans les reconnaître . C'est
venons d' évoquer fut parfaitement pourtant vers Caïssa, pour ses faveurs,
représentée par Tarrasch contre que se portent tous nos efforts dans l'art
Tchigorine. Les parties du D r Tarrasch échiquéen. C'est sa présence symbolique
représentaient des exemples raffinés de et la promesse d'une récompense qui
jeu scientifique ; ses coups étaient incite les grands joueurs au combat. Sa
prévisibles dès que l'on connaissait les vérité peut-elle être réellement sur­
règles ; à la façon dont il les expliquait passée ? Des hommes innombrables l'ont
lui-même , ils sont instructifs encore de vue et ont aussitôt tout abandonné pour
nos jours. Mais les parties de Tchigorine elle . Ce sont ceux qui, en dépit de tous les
peuvent toujours nous réjouir comme des obstacles , trouvent une place convenable
expériences créatives à jamais originales. dans !'Histoire des Échecs. Mais il y a les
Préférer l'un à l'autre est alors affaire de autres qui, malgré tout leur talent, se
goût comparable au choix d'une fleur ou contentent de flirter avec la déesse et
à celui de la rédaction d'un traité échouent dans l'accomplissement de leur
biologique ou d'un poème . Aucun grand véritable potentiel aux Échecs .
joueur d'aujourd'hui n'est dominé par Les rationalistes se hérissent à mon
l'une de ces tendances à l'exclusion de assertion. Où en est la preuve ? Si je me
l'autre, encore que cette polarité fonda­ réfère plus loin à Caïssa, beaucoup n'y
mentale trouve son incarnation moderne verront qu'une métaphore poétique. Je
ainsi que nous Je verrons plus tard. Les ne parle pas d'une réalité obj ective
œuvres des Echecs contemporains quelconque mais plutôt d'une réalité
découlent de l'interaction de ces deux supérieure de la vie des symboles . Et la
forces contraires, « tout ce qui doit être ». beauté intérieure des choses est la plus
Ce livre est essentiellement consacré difficile à percevoir de toutes les vérités .

18
L'ère romantique 2

Celui qui se met à étudier les Échecs de puissance des pièces dont l' attaque
nos j ours est dans la situation du pouvait être irrésistible . L'art de la
spectateur, qui voit pour la première fois défense faisait cependant piètre figure.
une peinture aux couleurs éclatantes, ou Aucune pédagogie systématique du jeu
de l'auditeur qui, découvrant la musique , n'existait. On acquérait la connaissance
entend l e s riches mélodies d'une en rejouant simplement de nombreuses
symphonie . Ce néophyte rej oue les parties de maîtres , mémorisant leurs
parties des maîtres du passé, débordantes schémas d' ouverture et cherchant à
de combinaisons ima ginative s , de reproduire leurs combinaisons.
sacrifices et d'attaques brillantes. Il est Le courant romantique fut interrompu
ravi par les sacrifices de Dame conduisant par une figure très en avance sur son
au mat, par l'audace avec laquelle les temps et que l'on peut appeler le pre­
pièces sont jetées dans le tumulte de la mier penseur positionnel, le Français
bataille à la recherche de la beauté aux Philidor ( 1 726- 1795) . D ans l'Europe
Échecs . monarchique, il découvrit l'importance
Les anciens maîtres avaient une des pions, considérés jusqu'alors comme
approche similaire du champ de bataille des candidats à la promotion ou comme
des soixante-quatre cases. Ils avaient des obstacles pour ses figures et pour
commencé par découvrir les possibilités l'attaque.
des combinaisons sur l'échiquier, et de Il proclama que« Les pions sont l'âme
leur imagination fertile étaient nés des des Echecs » . Il perçut que , les coups de
gambits , des attaques de mat , des pions étant irréversibles , leur structure
sacrifices éblouissants d'une variété et était une base significative pour la
d'un i n t é r ê t i n é p u i s ab l e s . Ils ne stratégie du jeu. Il avait foi dans les
cherchaient pas à se soumettre aux règles capaéités d'une formation de pions saine
et aux dogmes é t ablis comme un pour résister à un assaut prématuré et
biologiste cherche à résoudre les secrets pour soutenir une attaque justifiée, et il
de la nature. Ils dédaignaient autant que élucida le désavantage des pions faibles
possible la victoire par un gain matériel (isolés, arriérés, ou doublés) . Mais il était
prosaïque. Ce fut l'ère romantique des aussi trop en avance sur son temps et
Échecs. L'italien Greco (le Calabrais) en mourut incompris. Un siècle plus tard,
fut un exemple superbe . Ces maîtres de Steinitz affina les théories de Philidor et
j adis excellèrent à démontrer la leur rendit justice.
19
L'école romantique , menée par le 8
Français La Bourdonnais au début du
x1xe siècle , chancela vers les années 7

quarante quand l' Anglais Staunton (1810- 6


1874) , considéré comme le premier joueur
5
du monde, adopta un style prudent, heu­
reux d'accepter les sacrifices et de gagner 4 1
par la prépondérance matérielle (*) .
3
Mais cette époque atteignit bientôt
son apogée avec le joueur le plus brillant 2
de tous les temps, Adolphe Anderssen
( 1 8 1 8- 1 879) . Ce modeste instituteur 1
allemand nous a laissé quantité de parties A B c D E F G H
d'une beauté inégalable. Parmi elles , on
trouve la fameuse « Immortelle » contre attaqu é . Anderssen , par des calculs
Kieseritzky (Londres 1851) dans laquelle profonds , vit l'occasion d'une belle
il mata après avoir sacrifié les deux Tours combinaison. Il commença par un coup
et la Dame, et une autre partie presque tout à fait tranquille :
identique qui suscita des discussions 19. Tadl! ! D x f3 20. T x e7+ C x e7
historiques. Son nom, qui ne manque pas 21 . D x d 7 + R x d 7 2 2 . Ff5 + R e 8
de saveur non plus, est : « La toujours 23. Fd7+ Rf8 24. F x e7 mat.
jeune » . On comprend pourquoi Anderssen fut
à ce point porté aux nues, et nous voyons
ici sous une forme condensée toute la
beauté des Échecs. Il est sans importance
A. Anderssen - Dufresne
pour Anderssen , l' artiste cré ateur ,
Berlin 1852
comme pour nous les spectateurs, que
des analystes ayant pu étudier la position
Diagramme 1 : la position découle en toute tranquillité et l'ayant soumise à
d'une ouverture populaire à l'époque, le la rigueur de l'épreuve scientifique, aient
gambit Evans . S e s contours s o n t ergoté que 19 . Fe4 était une introduction
également caractéristiques : une position plus forte et trouvé des améliorations
ouverte dans laquelle les figures des deux pour la défense . 19 . . . . Tg4 eût été fort
camps sont braquées sur le Roi adverse. en évitant le mat qui survint dans la
Le matériel est égal puisque les Blancs partie. Euwe a en outre indiqué que ,
peuvent à tout moment regagner leur même après le coup suivant, les Noirs
figure, bien que leur propre Cavalier soit pouvaient encore obtenir des chances
acceptables après 20 . . . . Rd8. Sans laisser
d'autre choix, la meilleure suite était alors
21 . T x d7 + Rc8 ! 22 . Td8 + ! R x d8
(*) Staunton montra l'efficacité du début anglais, (22 . . . . C x d8 23 . Dd7 + mène au mat de
1.c4. Son plus grand impact sur l'histoire des Échecs la partie .) 23 . Ff5 + (ou 23 . Fe2+ Cd4!)
fut négatif : en refusant d'affronter Morphy en 23 . . . . D x dl + 24. D x dl + Cd4 25 . Fh3
match, il est probable qu'il eut une responsabilité
dans les désillusions ultérieures qui incitèrent le Fd5 et l'issue de la partie est loin d'être
champion américain à se retirer de la compétition. c l a i r e . Le j e u d e s r o m a n t i q u e s

20
résiste souvent mal à l'épreuve d'analyses son existence . Il avait vaincu jadis la
scientifiques ultérieures . crème des joueurs européens, séduit des
Bien entendu , l e s positions aussi dames dans leurs loges à l'Opéra et fut le
sauvages avec leurs ramifications prati­ seul héros échiquéen à être jamais porté
quement incalculables sont évitées par les en triomphe sur les épaules des citoyens
techniciens modernes . Mais la conception dans les rues de Paris .
d' Anderssen ravira toujours ceux gui ont Morphy ne nous parle aujourd'hui
une appréciation esthétique des Echecs . qu'au travers de ses parties débordantes
Aucune intelligence artificielle ne jouera de brillantes combinaisons. Mais plus
jamais de cette façon. important pour notre discussion est qu'il
Anderssen, le dernier et le plus grand fut le premier joueur à avoir introduit
représentant d'une époque, disputa un avec succès le jeu positionne!. Sans étude
match en 1858 contre un jeune Américain laborieuse mais plutôt par une compré­
de 21 ans, nommé Paul Morphy, séjour­ hension intuitive , Morphy savait et
nant sur le continent. Quand Morphy eut enseignait par ses parties quels étaient les
battu de manière impressionnante le principes fondamentaux du traitement des
maître suprême de la combinaison, il positions ouvertes : développement
apparut qu'une révolution du monde rapide , contrôle du centre, des lignes
échiquéen était en marche . ouvertes .
L'histoire douce- amère du j eune Pourquoi ces principes étaient-ils
gentilhomme créole de la Nouvelle­ révolutionnaires voilà un siècle ? Parce
Orléans et son odyssée européenne lui qu'il s'agissait des premières conceptions
valurent d'être appelé « La fierté et le générales appliquées par un joueur à
chagrin des Échecs » . On en trouve même succès et champion reconnu. Tandis que
la trace dans la littérature psychiatrique les joueurs romantiques jouaient des
et le roman (*) . coups spécifiquement liés à l'attaque ou à
Tel un météore éblouissant et voué aux la défense , Morphy jouait tout natu­
ténèbres , Morphy illumina la scène rellement des coups basés sur des objectifs
européenne e t , en quelques mois généraux . Il développait son j eu et
seulement , s ' attira les ovations du cherchait des lignes ouvertes pour ses
continent. Mais le refus de Staunton de le figures , s achant que les occasions
rencontrer en match le remplit d'attaque se présentaient d'elles-mêmes.
d'amertume et il retourna aux États-Unis De nos jours, Morphy est admiré pour
où il fut reçu en héros , pour se retirer de ses attaques irrésistibles et ses sacrifices
plus en plus de la vie et des Échecs qui remplissent de nombreux volumes et
jusqu'à sa mort en 1884. Son amour pour qu'il n'est pas nécessaire de reproduire
Caïssa s'était mué en aversion profonde ici. Mais pour celui qui étudie les Échecs,
et il ne toucha plus une pièce d' É checs c'est sa contribution à la compréhension
durant les dix-huit dernières années de positionnelle qui importe : précisément
l'arme véritable avec laquelle il vainquit
Anderssen. Morphy est ainsi aux Échecs
ce que Beethoven est à la musique : une
(*) Ernest Jones, The Problem of Paul Morphy,
grande figure qui marqua la naissance
International Journal of Psycho-analysis, 1931 :
Frances Parkinson Keyes, The Chess Player, Farrar d'une ère nouvelle . Il prépara la scène
Straus and Cudahy, 1960. échiquéenne pour l'entrée de Steinitz.

21
3 Idées systématiques
aux Echecs

Les Romantiques, avec leurs gambits s'efforçaient constamment de découvrir


et leur prédilection pour les positions les fleurs charmantes de la combinaison,
déséquilibrées entraînant des jeux de Steinitz plantait l'arbre puissant de la
figures sauvages, s'en étaient trop remis à position. Il n'était pas un poète, mais un
la chance. Un certain désir d'ordre se penseur. Il approchait la structure et la
développa. L'arrivée de Steinitz intro­ dynamique de la partie d'Échecs comme
duisit un changement radical dans le style un géologue peut analyser les strates d'un
de jeu. terrain . Les divers éléments et leur
Wilhelm Steinitz naquit à Prague en interaction, principalement la structure
1836. Il n'avait rien d'un prodige ; son des pions, déterminent forces et faiblesses
approche des Échecs fut celle d'une étude et le potentiel dynamique d'une position.
délibérée , d'un mûrissement original et Les déplacements soudains de forces
lent. Durant le début de sa carrière , ses ou de matériel (combinaisons) résultent
parties ne soulevèrent guère l'enthou­ du potentiel structurel , et peuvent être
siasme , et plus tard , leur apparence compris sans le recours à une quelconque
crispée et leurs interminables manœuvres , force magique (le génie créateur des
suscitèrent même positivement l'aversion. grands joueurs d'attaque) . Il démontra la
Néanmoins , avant qu'il ne meure capacité d'une position saine à résister à
désillusionné et dans le plus complet une attaque qui n'est pas justifiée par un
dénuement à New York en 1900, Steinitz avantage objectif. Il possédait un talent
était devenu le maître à penser des Échecs spécial pour les positions fermées . Elles
modernes. Il l'était pour trois raisons : il lui procuraient le temps d'accumuler de
était le premier grand joueur systéma­ petits avantages en évitant le heurt brutal
tique, il avait les moyens didactiques et précoce des pièces susceptibles d'en­
d'exposer ses idées au public et ses traîner des simplifications prématurées ou
réussites pratiques l'avaient porté sur le d'engager le jeu dans les eaux tumultueuses
trône mondial (1886-1894) . L'ère qui de la combinaison, avec des hauts-fonds
commençait avec lui aurait pu porter le parfois difficiles à prévoir. Il mit l'accent
nom suivant : « L'époque des Échecs sys­ sur les considérations statiques(*) dont
tématiques ».
Reti fit référence au « naturalisme » de (*) A cet égard, Nimzovitch suivit plus tard ses
Steinitz. Tandis que les Romantiques traces.

22

....
pouvaient découler naturellement, au Steinitz avait bel et bien fondé une
moment adéquat , des résultats dyna­ n o u v e l l e é c o l e d ' É c h e cs : l ' É c o l e
miques. scientifique (*) .
Steinitz avança aussi la conception que Les maîtres de l'avenir allaient tous
le camp ayant un avantage doit attaquer opérer dans ce cadre défini par Steinitz.
ou perdre celui-ci. (Cette idée fut très Plus loin dans ce livre, le lecteur verra
prisée par Lasker qui, après avoir succédé comment les styles contemporains se
à Steinitz sur le trône mondial, mit un situent entre deux pôles circonscrits dans
point d'honneur à se faire le champion ce cadre : le pôle technique et le pôle
des idées de son prédécesseur. ) créatif.
Steinitz élucida bien des éléments de Le Dr Siegbert Tarrasch (1862-1934)
base du jeu de position qui allaient fut le plus digne successeur de Steinitz en
devenir la seconde nature de toutes les tant que principal mentor du monde des
générations des maîtres futurs. Et de fait, Échecs . Ce médecin allemand était doté
on peut affirmer qu ' après Steinitz, d'une mentalité dogmatique qui l'écrasait.
quiconque ne pouvait que devenir son Il essaya de réduire les Echecs dans leur
disciple. Une fois les principes élémen­ entier en une série de préceptes rigides ,
taires d'une défense saine et du jeu de tels que « Les Cavaliers sont mal placés à
position répandus , il ne fut plus possible , la bande » . Il communiqua au monde ses
comme le faisaient les maîtres d'antan, conceptions par des écrits comme « Das
d'écraser un adversaire par une inspi­ Schachspiels ». A l'inverse de Steinitz
ration combinatoire souvent éloignée des cependant, il n'avait aucun goût pour les
caractéristiques objectives de la position. positions resserrées. Il souligna l'avantage
Parmi ces principes établis par Steinitz, d'espace ainsi que la restriction de la
on peut énumérer le centre fort, les cases mobilité et des possibilités adverses liées
faibles, le mauvais Fou, le jeu contre les à un rapide développement . Pour
pions faibles , la paire de Fous, l'avance Tarrasch , perdre un « tempo » dans
de développement et sa conversion en un l'ouverture était une erreur capitale . Il
avantage permanent, ainsi que la majorité décrivit son approche comme le style de
de pions à l'aile-dame . La défense Steinitz « mettre l'adversaire pat » (**) .
de la Partie Espagnole , 1. e4 e5 2. Cf3 L'effet de sa doctrine fut de supprimer
Cc6 3. Fb5 d6, avec la détermination de l'imagination au profit d'une approche
maintenir un pion noir en e5 au prix rigide du jeu. Une de ses contributions
d'une position resserrée , fut une de ses importantes fut la démonstration de la
contributions typiques. Son jeu révélait force compensatrice du pion-dame isolé
aussi certaines excentricités : retraites de en procurant de la mobilité aux figures, et
figures à l'arrière de lignes fermées ,
avance du Roi vers un danger apparent
(le Roi steinitzien) , l'attachement obstiné (*) Par analogie, disons avec l'architecture
à toutes ses notions en dépit de revers grecque ou la musique du dix-septième siècle qui
pratiques ; ses insuccès dans les années firent ressortir formes et structures, !'École de
de son déclin lui firent craindre que le Steinitz peut aussi être appelée« classique».
monde pût nier la validité de ses théories. (**) Dans ce sens, Tarrasch fut le précurseur
Plus tard, des penseurs systématiques d'un champion du monde moderne, Tigran
modifièrent et embellirent ses idées, mais Petrossian, l'apôtre de la« Prévention».

23
par conséquent , il recommanda la Mikhai1 Ivanovitch Tchigorine (1850-
Défense Tarrasch du Gambit de la Dame 1908) représenta le pôle dialectique
(1. d4 d5 2. c4 e6 3. Cc3 c5 4. c x d5 opposé du dogmatisme scientifique de
e x d5) comme un moyen de « libérer le l ' école représentée par Steinitz et
centre ». Les élèves de Tarrasch étaient Tarrasch. Il joua aussi bien des gambits
formés pour croire que tous les problèmes ahurissants que des systèmes fermés
de la partie étaient solubles en adhérant à futuristes , comme la Défense Vieille
son orthodoxie. Indienne . A son époque, il était considéré
La poussée échiquéenne du début du comme un défenseur nostalgique de la
vingtième siècle porte indubitablement tradition romantique ; aujourd'hui , il est
l'empreinte de Tarrasch en dépit du fait permis de voir en lui un grand penseur
que celui-ci fut constamment défait par original qui anticip a la révolution
Emmanuel Lasker (1868-1941) qui hypermoderne et l' école dynamique
conserva la couronne mondiale plus contemporaine . Il évitait les dogmes et
longtemps que quiconque avant ou après recherchait toujours l'aspect créateur des
lui : il fut champion du monde durant Échecs . Il n'étudiait pas les ouvertures
vingt-sept ans (1894-1921). Ainsi que pour les apprendre par cœur mais pour
nous le soulignons dans un autre chapitre , les inventer ; la Défense Tchigorine de la
Lasker était un philosophe qui considérait Partie espagnole aujourd'hui populaire
les Échecs en premier lieu comme un n'est qu'une de ses nombreuses contri­
combat - et il y était le meilleur car sa butions . Sa ligne de jeu contre la Défense
compréhension surclassait celle de tous Française (1. e4 e6 2. De2) révèle
ses contemporains, en particulier dans les l'originalité de sa pensée (et consterna
positions compliquées qui lui permet­ probablement Tarrasch comme étant
taient de donner libre cours à son génie « contraire à tous les principes ») . Il
tactique. Plus encore, il était un superbe rechercha l'exception dans la creuse
psychologue des Échecs, capable d'ame­ généralisation et il marqua courageu­
ner la partie sur un terrain mouvant où sement sa préférence pour le Cavalier
l'adversaire était enclin à perdre pied. contre le culte de la supériorité du Fou,
Pour les joueurs de son temps, Lasker comme en témoigne la Défense Tchigo­
était simplement un phénomène impres­ rine du Gambit de la Dame : 1. d4 d5
sionnant et inimitable . Sous l'influence 2. c4 Cc6 3 . Cf3 Fg4 4. c x d5 F x f3
scientifique de Steinitz et de Tarrasch, 5. g x f3 D x d5. Si Tchigorine n'avait pas
bien des maîtres les plus forts, notamment perdu - de très peu - son match de
Schlechter, orientèrent leur technique championnat du monde contre Steinitz
dans le sens d'une routine tendant vers la en 1892, la popularisation et l'acceptation
nullité dont l'ennui n'a pas encore été de ses idées créatives aux Échecs auraient
égalé . Cette routine fut agréablement pu avoir lieu beaucoup plus tôt . Sa
interrompue par le jeu spirituel des néo­ stature , qui semble négligée par un
roman tiques , tels que le champion hagiographe de la dimension d'un Reti,
américain Marshall (1877-1944). Une fut vengée plus tard par les partisans
seule autre grande figure du dix-neuvième soviétiques qui le proclamèrent « Le père
siècle eut cependant une influence de l'École soviétique ».
majeure sur le développement des idées Akiba Rubinstein (1882-1961), superbe
aux Échecs : le Russe Tchigorine . technicien et voué à l'art, renommé en

24
particulier pour sa virtuosité en finale, (Disons à la décharge de Lasker qu'il
apparut comme l'héritier légitime du avait 53 ans , était disposé à se retirer, et
trône de Lasker. Il fut pourtant éclipsé qu'il n'avait accepté de rencontrer le
par le Cubain José Raoul Capablanca Cubain que pour ne pas décevoir ses
(1888-1942). Capablanca était l'un de ces admirateurs . En outre , le climat tropical
rares joueurs, tel Morphy, Reshevsky ou de La Havane lui fut particulièrement
Fischer qui, dès leur enfance , manifes­ préjudiciable . NDT.)
tèrent une si grande habileté sur les Capablanca, auquel on avait donné le
soixante-quatre cases, qu'elle annonçait nom de « L'invincible », n'avait prati­
le pur génie . Pour lui, aucune étude quement pas étudié les Échecs. Au cours
persévérante de la théorie , ni mémori­ de sa carrière , son jeu se fit de plus en
sation des ouvertures n' existait . Il plus technique et tendit vers la nullité.
saisissait pour ainsi dire intuitivement les Les Échecs paraissaient l'ennuyer et il
principes du jeu de position, et il pénétrait se plaignait qu'il ne fallait plus espérer
les complications tactiques - et les évitait gagner la moindre partie contre tous les
- avec une grande aisance . Tandis que maîtres de premier plan ayant assimilé
Tarrasch avait construit un système les ppncipes de la technique moderne ;
riche en fioritures , le jeu de Capablanca les Echecs allaient être épuisés (* * ) !
était rationnel et allait droit à la solution Il suggéra même que la position initiale
avec é conomie ( * ) . Il se trompait des Cavaliers et des Fous fût intervertie
rarement ; durant une période de dix afin d'insuffler une vie nouvelle au jeu.
ans , il ne subit qu'une seule défaite ( ! ) . La p a s s i o n de C a p ab l a n c a « l e
S a technique , spécialement en finale , séducteur latin des Échecs » pour Caïssa
fut inégalée. Au cours du match pour le était insuffisante , et il sous-estima sa
titre mondial en 1921, il b attit le beauté éternellement régénérée. Comme
redoutable Lasker presque sans effort , tous les Don Juans, sa liaison avec une
avec quatre gains et dix nulles , et dame fut relativement éphémère , et il en
prétendit fièrement qu'à aucun moment abandonna la main en 1927 à son plus
il n' avait eu de position inférieure . ardent soupirant, Alekhine.

(*) Après sa partie contre Janowski lors de ses


débuts sensationnels à Saint-Sébastien en 1 911, il
confessa avoir choisi un coup inférieur parce que le
meilleur l'eût exposé aux critiques des dogmatiques. (**) Lasker avait aussi parlé de mort par la nullité.

25
4 La révolte hypermoderne

Nous avons vu comment , sous Afin de secouer les principes établis, les
l'influence du paternalisme de Tarrasch, Hypermodemes inventèrent des ouver­
les maîtres ayant précédé la Première tures et des positions aux formes
Guerre mondiale avaient adopté un style entièrement nouvelles . Une doctrine
technique devenant de plus en plus capitale fut que l'occupation du centre
stérile, le grand Ca_pablanca lui-même n'était pas nécessaire à son contrôle et
avait pensé que les Echecs approchaient qu'une masse centrale de pions n'était
de leur mort . Quelle erreur ! Leur pas nécessairement forte mais pouvait
richesse fut redémontrée p a r une souvent faire l'objet d'une attaque . Il en
génération de révoltés . Baptisée par était ainsi de la Défense Alekhine qui fit
Tartakover « Les Hypermodemes », elle l' effet d'une gifle aux traditionalis­
apparut dans le début des années vingt. tes : 1. e4 Cf6. A présent, les joueurs de
L'essence de la philosophie hyper­ l'ancien temps continuaient impatiem­
modeme fut l'affirmation que chaque ment par 2. eS CdS 3. c4 Cb6 4. d4 d6
position devait être considérée comme S. f4, prétendant avoir un centre écrasant.
une entité et, par conséquent, rejeter la Au contraire, les Hypermodemes tenaient
notion de l'École scientifique qui disait ce centre pour très vulnérable à la contre­
que les règles générales é taient attaque (la théorie a adopté de nos jours
applicables en toute circonstance. Tota­ une position médiane à cet égard) . Dans
lement iconoclastes , les Hypermodemes leur réaffirmation de la créativité des
rej etaient les dogmes sacro-saints de Échecs , les Hypermodemes étaient en un
l'Ecole scientifique jusqu'aux limites du sens des néo-romantiques .
bizarre (*) . Les deux plus grandes figures de la
Comme s'ils avaient voulu outrager les révolte hypermodeme furent Nimzovitch
traditionalistes, ils avaient prononcé des et Reti, tous deux des penseurs profonds
affirmations à la Breyer : « Après 1. e4, et originaux. Aaron Nimzovitch (1886-
le jeu blanc est dans tous ses états » ( ! ) . 1935) introduisit bon nombre de nouveaux
principes p o s i tionnels tels que l a
prophylaxie , l a restriction et l a blocade ,
(*) Les Hyperrnodernes ressemblaient à leurs l'attaque de la chaîne de pions et de sa
contemporains en musique et en peinture,
Stravinsky et Duchamp. La Grande Guerre avait base , et la surprotection. Ses contri­
consommé la banqueroute des valeurs établies par butions aux ouvertures furent considé­
la société disparue. rables ; notons , entre autres, la défense

26
qui porte son nom : 1. d4 Cf6 (les Hypermodernes, il paya plein tribut aux
Hypermodernes recherchant l'asymétrie réussites de la vieille génération.
dédaignaient les réponses classiques : d5 La contribution créative de Reti à la
sur 1 . d4 et e5 sur 1 . e4) 2. c4 e6 3. Cc3 stratégie échiquéenne fut remarquable .
Fb4. Les Noirs contrôlaient l'importante Avec les Blancs , il évitait d'habitude de
case centrale e4 sans utiliser leurs pions . pousser prématurément son centre de
Nimzovitch continuait d'habitude par pions . Quand les classiques , avec les
l'échange du Fou pour le Cavalier , Noirs, se précipitaient pour occuper le
bloquant ensuite les pions doublés qui en terrain laissé vacant, il attaquait le centre
résultaient et démontrant leur vulnéra­ de pions par c4 et ses deux Fous en
bilité et leur manque de dynamisme . Si fianchetto . Ce système porte aujourd'hui
les Blancs jouaient différemment, 3. Cf3, le nom de « Début Reti ». Avec un Fou
il répliquait alors 3. ... b6, la Défense en b2, il inventa le coup Dal pour
Ouest-Indienne . Ses défenses restent accroître la pression sur le centre noir et,
saines et populaires de nos jours. Tout en au cours d'une partie contre Lasker à
faisant fi des vieux dogmes, Nirnzovitch New York en 1924, il continua par
en créait de nouveaux en réunissant et Dhl ( ! ) . La frappante originalité de Reti
proclamant ses principes dans un livre et sa profondeur philosophique ne furent
fameux Mon Système(*). Personne pas entièrement rendues par ses capacités
n'était en mesure de le contredire , car comb atives et tactiqu e s . Sa mort
son système avait été couronné de succès prématurée nous priva à n'en pas douter
dans la pratique et avait fait de lui un des de richesses nouvelles .
plus forts joueurs de son temps . Aussi originaux et profonds que fussent
Richard Reti (1889-1929) fut un des les Hypermodernes , leurs luttes en
plus distingués poètes de l'échiquier . tournoi durant les années vingt tournèrent
C'était un compositeur de superbes immanquablement en faveur de la
études , un joueur d'une remarquable technique sans effort de Capablanca et de
profondeur artistique et un théoricien la vigueur toujours formidable de l'ancien
pénétrant mais magnanime . Porte-parole champion du monde Lasker à peine gêné
brillant de l'É cole hypermoderne , il p a r l e s i d é e s nouvell e s . Le s tyle
l'expliqua avec lucidité dans son livre élé­ Hypermodeme était quelque peu indirect
gant « Les idées modernes aux Échecs » et semblait manquer des éléments
dont chaque page irradie d'amour pour le nécessaires pour affirmer sa supériorité
jeu et de respect pour ses camarades en en c o m p é t i t i o n . C a p a b l a n c a était
art échiquéen. A la différence des autres confortablement assis sur son trône ,
paraissant inamovible pour les années à
venir. Mais l'évolution des idées aux
Échecs était en train de s'accélérer avec
(*) Un exemple contemporain amusant de
surprotection est donné par la partie Saidy-R. Byrne la prolifération de forts tournois , le
du championnat des États-Unis 1 966 : 1.e4 c6 2. d 3 développement de découvertes théo­
d5 3. Cd 2 Cf6 4. g 3 b 6 5. Fg 2 Fb 7 6. e 5 Cfd 7 riques et le choc des Écoles opposées.
7. Cdf3!?c 5 8. Ff4Cc6 9. h4g6 10. De 2Fg 711. Rfl Caïssa porta ainsi son choix, comme par
h6 12. Tel. Le pion-roi des Blancs est totalement
«surprotégé » mais leurs figures ne peuvent
le fait d'une sélection naturelle , sur
pratiquement rien faire d'autre ! Nimzovitch avait quelqu'un qui n'avait pas seulement
aussi le sens de l'humour. maîtrisé les idées traditionnelles et

27
modernes, mais qui possédait aussi 6. e4!?
l'élément manquant: le dynamisme. Cet Le dynamisme d'Alekhine(*) à l'état
homme était Alekhine, qui allait devenir pur. Il engage la partie dans des voies qui
une autre grande figure transitoire vers donnent à ses figures un jeu total. Pour
les Échecs contemporains. trouver ce coup, il dut concevoir un plan
Alexandre Alexandrovitch Alekhine profond repoussant les forces adverses en
(1892-1946) naquit en Russie d'où il mauvaise posture. Un joueur influencé
émigra en direction de la France après la par les dogmes anciens n'aurait pas pu
Révolution. Les Échecs furent sa vie, et il imaginer ce plan qui n'impliquait pas
leur porta une dévotion passionnée, les moins de quatre coups de Dame dans les
exerçant avec une formidable volonté de onze premiers coups de la partie pour
vaincre. Avec une brillante faculté de maintenir un pion « d » isolé destiné à
combinaison et une compréhension restreindre le jeu adverse.
profonde des idées traditionnelles il 6 . Cxe4 7. Da4+! Fd7.
.•.

développa aussi, jusqu'à un degré Et non 7. ... Dd7? 8. Fb5.


surprenant, les principes hypermodernes 8. Db3 Cc5 9. De3!
du traitement de chaque position comme Pour empêcher le coup libérateur
un défi créateur individuel. L'ouverture 9 . ... e5. Les Noirs essayent quelque
de la partie suivante en témoigne. chose d'autre.
9
• g6? 10. Cf3! Dc7 11. Dc3 Tg8
•••

U. Fe3.
Les Blancs ont une forte initiative.
A. AlekhineH. Wolf
-
Alekhine considérait le jeu d'Échecs
Pistyan 1922 comme l'égal de tous les arts créateurs. Il
Gambit de la Dame refusé ne cessa jamais de l'étudier et produisit
bien des innovations d'ouverture, comme
la Défense Alekhine précitée. Par son
1. d4 d5 2. Cf3 c5 3. c4 cxd4 4. cxd5 contact avec Capablanca, il approfondit
Cf6 5. Cxd4 a6 (?) sa compréhension technique. Quand leur
Un coup défensif mais il n'est pas bon. m a t c h p o u r le t i t r e m o n d i a l e u t
finalement lieu à Buenos Aires en 1927,
Caïssa était prête à causer une grande
surprise à ses dévôts : elle donna les
8
lauriers à Alekhine. Après une lutte
7 ardente, le véritable fondateur du
6
nouveau style dynamique sortit vainqueur
avec six victoires, trois défaites et vingt­
5 cinq nulles. Comme s'il avait voulu
4

3 ( * ) Avec Alekhine, il faut aussi mentionner Efim


Bogolioubov (1884-1952 ) , un émigré ukrainien,
2
challenger au titre mondial en 1929 et 1934. Il
intégra aussi la connaissance positionnelle à une
approche contraignante et dynamique. Il échoua
A B C D E F G H surtout en raison d'un excès de confiance en soi.

28
montrer son universalité , il battit Seconde Guerre mondiale , il tomba sous
Capablanca en le surpassant sur le terrain la coupe de l'Axe et fut accusé de
de la précision technique. collaboration . Il mourut à Lisbonne en
1946, avec un échiquier de poche à la
Le style arrondi , agressif, créateur main. Quelles qu'avaient pu être les
d' Alekhine inspira toute une nouvelle extravagances de sa vie privée , le nom
génération de joueurs en leur révélant les d' Alekhine est à j amais gravé au
riches possibilités des Échecs . Bien que Panthéon des Échecs , et toutes les
son règne fût interrompu de 1935 à 1937 générations des passionnés de cet art
par le logique théoricien hollandais Max continueront à rejouer ses parties avec
Euwe , il évita prudemment un match délice . Il fut !�artiste le plus complet de
revanche avec Capablanca. Durant la !'Histoire des Echecs.

29
5 La recherche d'une synthèse

Reti quitta la scène avant les années aux maîtres d'aujourd'hui de gagner des
trente. Il n'a jamais prétendu que les tournois .
idées hypermodernes représentaient le Dans une phase ultime du match de
dernier mot de la stratégie échiquéenne. championnat du monde contre Alekhine
Dans la nature dialectique des choses , la en 1927 , Capablanca utilisa l'attaque de
fonction de chaque décennie est de tenter minorité comme arme nouvelle qui se
une synthèse des idées nouvelles et de révéla très sûre contre la défense
celles de l'école classique. orthodoxe du gambit de la Dame, l'un
Le moment est venu d'examiner de des grands thèmes de la rencontre . Flohr
près le jeu de chacun des « Maîtres de montra ici une compréhension profonde
l'échiquier » qui ont succédé à Reti. Dans de cette nouvelle technique .
ce chapitre , nous ferons la connaissance
de trois d'entre eux qui atteignirent leur
sommet dans les années trente et se reti­ S. Flohr · M. Euwe
rèrent après la guerre ou se montrèrent ire partie du match 1932
moins actifs . Gambit de la Dame refusé
Salo Flohr (1908-1983) fut un conti­
nuateur de la tradition classique . Il 1. d4 d5 2. c4 c6 3. Cf3 Cf6 4. Cc3 e6
n'avait pas grand-chose de commun avec 5. Fg5 Cbd7 6. cxd5 exd5 7. e3 Fe7
l'avant-garde ; ses meilleures réalisations 8. Fd3 0-0 9. Dc2 TeS 10. 0-0 Cf8.
rappellent davantage Capablanca. Habi­ Examinons cette position désormais
tuellement, il n'essayait pas de réaliser respectable . Il serait temps pour les
des exploits contre les forts adversaires amateurs de technique de mettre en
d'un tournoi où il se satisfaisait fort bien chantier une attaque de minorité à l'aile­
de la nullité , mais il battait souvent, en dame qui, par b2-b4-b5 , entraînerait un
finale, avec une technique raffinée, les affaiblissement minime mais durable de
joueurs d'un moindre calibre. Les livres la structure de pions adverse . Par
reproduisent avant tout les parties conséquent, le coup usuel est ici 1 1 . Tab l .
spectaculaires et brillantes. Au lieu de Mais le lüe coup noir a préparé Cf6-e4,
cela, il est instructif de donner un exemple lié à une contre-attaque de figures. Pour
du jeu aride et tranquille de Flohr, très cette raison, Flohr donne la préférence à
proche du « pain quotidien » qui permet des mesures visant à éviter les simplifi-

30

..A
cations.Il ne cherchera à tirer profit d'un 23. ... Tc8 représentait une meilleure
avantage minuscule que lorsque son Roi défense (voir diagramme 3).
sera en parfaite sécurité, sans cesser de
conserver « la nullité en poche ». Les 24. Ch2!
grands techniciens n'ont aucun goût pour En menaçant d'abord Ch2-g4-e5, Flohr
les positions à double tranchant. Cela fait disparaître la dernière trace de danger
explique ce qui suit. à l'aile-roi.
11. Ce5 Cg4 U. Fxe7 Dxe713. Cxg4 24. The6 25. Cf3 f6 26. Cd2 TeS
.•.

Fxg4 14. Tfel Tad8 15. Ce2 Td6! 27. Cb3 T6e7. 28. Cc5 Dc8 29. Tecl TdS
16. Cg3 Th6 17. Ff5! Dg5 18. Fxg4 30. Cd3 DbS 31. Cf4 Ce6.
Dxg419. h3. Un coup douteux qui autorise la
Ce coup serait dangereux si le Fou noir percée ; mais la défense de positions aussi
de cases blanches se trouvait encore sur ennuyeuses est épuisante. Les plans des
l'échiquier, ou si g7-g5-g4 permettait Blancs sont Dc2-c5-b6 ou Cf4-e2-c3 et
d'ouvrir un accès au Roi blanc. Mais b4-b5.
Flohr a réduit à néant toute chance 32. Cxe6 Txe6 33. b5 axb5 34. axb5
d'attaque adverse, et il commence à cxb5?
présent à exécuter son propre plan. Lors d'une attaque de minorité comme
19 . Dd7 20. b4 Ce6 21. Tabl Cc7
•.• c'est le cas ici, il est meilleur d'accepter
22. a4 a6. un pion arriéré en c6 avec des chances
Les Noirs empêchent b4-b5. S'ils défensives suffisantes.
parvenaient à placer leur Cavalier en c4 Avec le coup du texte, les Noirs
via d6 et à jouer b7-b5, l'attaque blanche affaiblissent et isolent le pion « d » tout
serait définitivement bloquée. Les deux en se retrouvant dans l'obligation de
camps se mettent à manœuvrer en protéger deux pions faibles, ce qui est
fonction de la percée à l'aile-dame mais, plus que n'en peut supporter la défense.
tandis que les Noirs se regroupent avec 31. Txb5 b6 36. Db3 Dd6.
peine, les Blancs prennent la direction 36 .... Db7 était une autre façon de
des opérations. lâcher un pion : 37. Tlc5 T6d6 38. e4
23. en Te7. avec deux clouages fatals.
3 7 . T b l T d 7 3 8 . T xb6 Dxb6
39. Dxb6 Txb6 40. Txb6 Rt7 41. Rh2
Re7 42. Rg3 Ta7 43. Rf4 g6 44. g4 Ta2?
8
Accélère la fin par la perte d'un second
7 pion, mais la finale est en tout cas
6
théoriquement perdante pour les Noirs.
45. Tb7+ Re6 46. Rf31-0.
5 Une partie sans émotion particulière,
4 mais la grande précision et l'extrême
cla r t é d e l ' e x é c u t i o n d e s p l a n s
3
stratégiques engagés dès le sixième coup,
2 méritent le respect.
Flohr était aussi capable de mener un
jeu d'attaque quand l'occasion se présen­
A B C D E F G H tait. Dans l'ouverture de cette partie, il ne

31
tente rien de particulier et se contente poussée du pion « b » noir mais prépare
sobrement d'une position fluide aussi à point nommé la combinaison qui
comportant de nombreuses possibilités. va suivre. Flohr n'ignore pas que des
Quand son adversaire trébuche, il frappe petits détails de ce genre peuvent être
fort, ne lui laissant plus aucun répit. Cela décisifs.
a comme un avant-goût de Tigran Petros­ 21 •••a6.
sian. Le coup naturel pour repousser le Fou.
Sans espoir serait 21. ... Td8? 22. Txd8+
Dxd8 23. e6 f6 24. Fxf6. Vraisemblable­
ment, le meilleur était 21. ... Rh8, ôtant
S. F1obr - Em. Lasker le Roi d'une diagonale dangereuse... pour
Moscou 1936 une autre.
Gambit de la Dame refusé 22. e6 f6.

1. Cf3 d5 2. e3 Cf6 3. c4 e6 4. b3 Fe7


8
5. Fb2 0-0 6. d4 b6 7. Cbd2 c5 8. Fd3 Fb7
9. 0-0 Cbd7.
Nous avons un genre de défense semi­ 6
Tarrasch. La tension centrale peut se
5
d i s s o u d r e e n d i f f é r e n t s typ e s d e
structures. Les Blancs sont u n peu mieux, 4
car ils ont une place commode pour leur
3
Dame tandis que les Noirs doivent perdre
du temps pour mettre la leur à l'abri. 2
10. De2 Tc8 11. Tfd.l Dc7 U. Tacl
Db8 13. Ce5 Cxe5? 4
Lasker, le vieux lion au crépuscule A B C D E F G H
d'une carrière grandiose, se trompe et
laisse un pion adverse s'enfoncer dans sa
position. 13. ... Tfd8 était le coup exact.
14. dxe5 Ce4? 23. Td7! Fxd7.
Il ne se relèvera plus de cette seconde 23 . ... Te8 est inutile : 24. Txe7!
erreur. Les deux Fous blancs se déchaî­ Txe7 25. Fxf6 et la Tour ne peut pas se
nent maintenant de manière terrible. soustraire à l'attaque.
15. cxd5 exd5. 2 4 . e x d 7+ Rh8 25. De 6 D d 8
Et non 15. ... Cxd.2 16. d6! gagnant 26. Fxa6.
au minimum un pion. Cette prise de bénéfice est le résultat
16. Cxe4 dxe4 17. Fc4 Tcd8 18. Dg4 du subtil 21ecoup. Les Noirs sont
Fc6 19. Txd8 Dxd8. impuissants à cause du pion passé. Les
Fatal serait 19 . ... Txd8 20. e6 (un Blancs menacent de s'emparer du pion e4
coup qui plane constamment) 20. ... f6 et de se lancer simplement à l'assaut de
21. Fxf6! Fxf6 22. e7+ Td5 23. De6+. l'aile-roi.
20. Td.l Da8 21. a4! 26 • f5 27. Fe5 c4.
•••

Maintient la position du Fc4 contre une Autrement, la suite est 28. Dc6 et Fc7.

32
,
Les Noirs se trouvent plus ou moins en dépit de l'échange des Dames , une
zugzwang. attaque contre le Roi « découla tout
28. F x c4 Fc5 29. g3 De7 30. Fc7 D x e6 naturellement de la position » .
31. F x e6 Fe7 32. b4 h6 33. a5 b x a5 Incidemment , d e j o l i es choses s e
34. b x a5 g6 35. Fd5 1-0. produisirent encore au cours de l a sobre
Flohr apparaît ainsi comme un lien transformation de son avantage en gain.
s t r a t é g i q u e e n t r e C a p ab l a n c a e t
Petro ssian . En 1 9 3 8 , i l émigra de
Tchécoslovaquie pour se fixer en URSS .
Après la guerre il n'était plus un candidat R. Fine Lilienthal
·

au titre mondial. Moscou 1937


Le joueur le plus représentatif des Défense Grünfeld
années trente est l' Américain Reuben
Fine . Né en 1914, il atteignit vite le 1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 d5 4. Db3 c6.
sommet dans le climat propice des milieux Le coup solide. 4 . . . . d x c4 5. D x c4
échiquéens new-yorkais. Comme ce fut le Fe6 6. Db5 + Cc6 7 . Cf3 Cd5 ménerait à
cas pour de nombreux talents du Nouveau un jeu aigu.
Monde avant lui , il obtint des succès 5. Cf3 Fg7 6. e3 0-0 7. Fd2 e6 8. Fd3
remarquables pendant quelques années Cbd7 9. 0-0 Cb6.
en Europe et en Russie , qui culminèrent Bien que les Noirs obtiennent la
avec une première place ex requo au « petite qualité », ils continuent à avoir
tournoi historique de l' AVRO en 1938. une position resserrée . Ils auraient dû se
Ce tournoi réunissait les huit meilleurs développer par b7-b6. Maintenant, le
joueurs du monde. Fou-Dame restera « enterré » jusqu'à la
Comme Fine l'expliqua, ce fut la tâche fin de la partie .
de sa génération que de fondre les idées 1 0 . Tfdl d x c 4 1 1 . F x c 4 C x c4
classiques et les idées hypermodernes en U. D x c4 Cd7?
un système parfaitement sain. Son jeu Etant donné que 13 . . . . e5 est interdit
était au plus haut degré économique et par 14. d x e5 C x e5 15 . C x e5 F x e5
direct. Il attachait un grand prix à la 16. e4 menaçant 17. Fh6, 12 . . . . Cd5 était
précision - « Quoi qu'il puisse arriver, meilleur.
cela découle toujours naturellement de la 13. e4 Dc7 14. e5! Cb6 15. De2 f5 (?) .
position » . Une tentative nerveuse d e soulager sa
Dans la partie suivante, a u 4e coup, position resserrée, mais le trou ainsi créé
Fine invita son adversaire à un jeu aigu - en e5 se révèle pire encore.
peut-être la seule particularité de ce coup 16. e X f6 T X f6 17. Ce4 Tf5 18. Fb4.
- , mais ce dernier, pourtant un des G a r d e Fb 4 - d 6 - e 5 e n r é s e rve .
premiers grands maîtres soviétiques de L'affaiblissement de leurs cases sombres
l'époque , s'y refusa. Se trouvant au va mener les Noirs à leur perte.
15e coup dans une position resserrée, 18 . . . . Td5 19. Ce5! Td8 20. Tacl Cd5
Lilienthal fit des efforts douteux pour se 21. Fa3 Ce7.
libérer et provoqua un affaiblissement de Le pion reste intouchable : 21 . . . .
son jeu. Fine était en possession de tout F x e5 22. d x e5 D x e5? 23 . Fe7 et les
ce dont il avait besoin pour fournir alors Blancs s'emparent de la qualité en raison
un exemple superbe de jeu précis . En de la menace Ce4-f6+ .

33
22. Df3 Cd5. 34• Cf6 35. Th2 T x e4.
. • .

Les Noirs manquent totalement de Une conclusion plus esthétique eût été
contre-j eu , par exemple 22 . . . . Cf5 ? 35 . . . . C x e4 36. fx e4 Re7 37. T x h7+
23 . g4 C x d4 24. Cf6+ Rh8? 25 . C x g6+ Rd6 38. T3g7 T x e4 39 . Td7 + F x d7
suivi du mat en trois coups. 40 . T x d7 mat.
23. Dg3 Fh6 24. Tc2 Ff8. 36. fx e4 C x e4 37. Tg4 Cf6 38. Tf2
Et non 24 . . . . Ff4 25 . Cf6+ . Mais la 1-0.
disparition de ce Fou ne fait qu'accroître Bien des livres de Fine reflètent sa
le rôle dominant des Cavaliers blancs . vaste science théorique qu'il sait si bien
25. h4 F x a3 26. D x a3. communiquer. « Basic Chess Endings »
Ce coup ré;vèle le réalisme de Fine. Il (Les bases des finales aux É checs)
préfère donner un temps d'attaque plutôt demeure l'ouvrage le plus utile de son
que de ruiner sa structure de pions par genre . Mais la contribution la plus
26. b x a3 , ce qui serait désagréable si la importante de Fine à la pensée échi­
partie arrivait en finale . quéenne se situe dans un autre domaine,
26. Tf8 27. h5 Tf4 28. Te2 g x h5
• • • celui de la psychologie . La fréquence
29. Dg3+ Dg7 30. Td3! inhabituelle des fautes quand il ren­
Fine prévoit que , même sans les contrait en tournoi son rival Reshevsky,
Dames, son attaque sera décisive , car en lui donna sujet à de très intéressantes
fait, les Noirs doivent lutter en l'absence observations . Il attribuait ce fait au
d'une moitié de leur armée . phénomène de l'ambivalence (en psycho­
30. h4 31. D x g7+ R x g7.
• • • logie , le dédoublement de la personnalité .
Note de R. Teschner) : « . . . chacun veut
battre l' autre , mais inconsciemment
chacun hésite à le faire . » Ses contacts
avec les personnalités marquantes des
grands joueurs l'amenèrent à explorer la
signification fondamentale des É checs
(R. Fine : The Psychology of the Chess '
Player, NPAP 1956) .
Après avoir découvert les secrets de la
séduction unique qu'exerce Caïssa, il
perdit, dans l'immédiat après-guerre , la
passion qu'il avait éprouvée pour elle. Il
sonda la signification des Échecs comme
un reflet sublimé des forces profondes de
A B C D E F G H l'âme humaine, et il décida de consacrer
sa vie à l'introspection de l'esprit. Il devint
32. g3! h x g3. psychanalyste .
Ou 32 . . . . Tf8 33 . g x h4 Cf4 34. Tg3 + Max Euwe, un Hollandais né en 1901 et
Rh8 35 . T2e3 et les Blancs vont gagner décédé en 1981, fut davantage qu'une des
par Ce4-d6. grandes figures échiquéennes de ce siècle :
33. T x g3+ Rf8 34. f3. il fut une institution . Champion du monde
Prépare la pénétration inévitable par la de 1 935 à 1937 , auteur prolifique ,
mise en jeu des dernières réserves. mathématicien, membre du corps ensei-

34
gnant, sportif, il tenta de concevoir les Ce coup douteux coûte un temps ; mais
Échecs avec science et méthode . Il apprit la route normale n'est pas carrossable :
et catalogua les ouvertures , les 9 . . . . Fb7 1 0 . Td l D c7 1 1 . d5 e x d5
combinaisons , les finales , et fonda une 12. e4 ! d4 1 3 . Cd5 ! Dd8 14. Ff4 Tc8
véritable école d'analystes néerlandaise 15 . a4 et les Blancs ont une puissante
qui poursuivit son œuvre . attaque indiquée par le maître américain
En tant que joueur, son savoir dans le Sherwin en 1954. 9 . . . . c X d4 ou 9 . . . . b4
domaine des ouvertures était encyclo­ était à tenter.
pédique. Pour chaque partie , il avait un 10. d x c5 F x c5 11. e4 b4.
plan préconçu , mais il était cependant Sinon les Blancs jouent e4-e5 , puis Cc3-
toujours prêt à des échauffourées tacti­ e4.
ques en dépit du fait que , sur ce terrain, il 12. e5 b x c3 13. e x f6 g x f6.
lui arrivait parfois de se fourvoyer lourde­ Sur 13 . . . . D x f6 les Blancs obtiennent
ment. L'imprévisible signifiait sa perte, et une forte attaque par 14. Dc4 ! , par
celui que l'on surnommait « Le génie de exemple 14 . . . . c x b2 15. D x c5 ! b x clD
la loi et de l'ordre » était la victime 16. Ta x cl Fd7 17. Fa4 Tc8 18. Tfdl .
désignée de tous les facteurs 14. Dc4 Db6 15. D x c3.
perturbateurs, comme le hasard ou les L'analyse que Euwe avait faite avant la
moments d'anarchie durant lesquels le partie touche à sa fin. 15 . Fa4 d'abord,
combat échappe à toute logique . était même plus fort encore.
Un exemple de la pratique de Euwe 15 . . . . Cd4 16. C x d4 F x d4 17. Fa4+
révélant sa clarté transparente est fourni Re7.
par une partie de son match-revanche
qu'il perdit contre Alekhine . Il était
mieux préparé que son adversaire dans
l'ouverture riche en « trucs » de toutes
sortes qui n'avaient pas encore été bien
perçus à cette époque ; il s'empara de
l'initiative avec de nombreuses pointes
acérées, et il découvrit rapidement une
combinaison de gain.

M. Euwe A. Alekhine
·

Match 1937
Gambit de la Dame accepté
A 8 C D E F G H

1. d4 d5 2. c4 d x c4 3. Cf3 a6 4. e3
Cf6 5. F x c4 e6 6. 0-0 c5 7. De2 Cc6.
Ce coup , en liaison avec le neuvième , 18. Fe3! Fx c3?
co nduit à de s é r i e u s e s difficultés Alekhine, qui ne s'est jamais senti
centrales . De nos jours, la théorie tient particulièrement à l'aise en défense, se
7 . . . b5 8. Fb3 Fb7 9 . Tdl Cbd7 pour la
. trompe . Il ne remarque pas que son Roi
suite précise du développement. va se retrouver sous un feu croisé mortel
8. Cc3 b5 9. Fb3 Fe7. des forces adverses . Le moindre mal est

35
18.... Td8 19.Tadl e5 20.Fxd4 Txd4 23. Tg3 Fa3.
21. Txd4 exd4 22. Df3, les Blancs Une jolie conclusion serait 23. ... Tc8
gardant leurs chances contre le Roi 24.Td8+! Txd8 25. Fc5+ Td6 26. Fxd6
adverse dépouillé au centre. mat.
19. Fxb6 FeS. 24. Txa3 et 1-0,au 41e coup.
19. ... Fb4 20. Tfdl ne sert à rien. Les Le monde des Echecs fut atterré par le
menaces a2-a3 et Fa4-c6 décident. résultat désastreux de Euwe dans le
20. Tad1 Rf8. tournoi-match de championnat du monde
Ou 20 . .. . F d 6 21. T x d 6 ! Rxd6 de 1948. Une décennie assistait au déclin
22. Tdl + Re5 23. Fc6 Tb8 24. Fc7 + de l'apôtre de la raison, victime de la
gagnant une figure. Mais de toute façon, passion brutale et de l'aveugle fatalité (*).
le Roi noir ne trouve plus d'abri sûr. (Au tournoi des grands-maîtres de
21. f4 Fxb2 22. Tf3! Fb7. Groningue en 1946, Euwe s'était encore
Ou 22. ... f5 23. Tb3 Ff6 24. Fc6 Tb8 révélé comme l'égal des plus forts joueurs
25. Fc5+. du monde. Note de R.Teschner.)

(*) Le point c ulminant de la longue carrière de


Euwe fut sa présidence à la tête de la F1DE
( Fédér ation Inter nationale des É che c s ) qui
l'entraina à voyager dans le monde entier. L'auteur
ou le conseiller de plus de 80 ouvrages échiquéens
est décédé le.26 novembre 1981.

36
Les nouvelles iyéthodes dynamiques 6
et ladite Ecole soviétique

Le 13 mars (1917) Nicolas II (Tsar de Alekhine développa cette dynamique


Toutes les Russies), enfin alarmé, prit nouvelle sur une base stratégique qui
son train privé pour rejoindre sa famille à intégrait les idées classiques et hyper­
Tsarskoïe Selo, dans les environs de modernes. R.N. Coles, dans son livre
Saint-Pétersbourg. Mais les employés des Dynamic Chess (*) fait remonter à Breyer
Chemins de fer arrêtèrent le train et le et à 1 9 1 3 l a nai s s a n c e d e s i d é e s
détournèrent vers un voyage sans fin et dynamiques. Breyer recherchait des
sans but à travers toute la région. Comme positions complexes et asymétriques
Trotski le remarqua ensuite : « Avec ses pleines de « malignité et d'énergie
simples pions ferroviaires, la révolution latente» comme l'exprima Tartakover.
avait crié échec au Roi ! » (R. Golston, En iconoclaste, il scandalisa les classiques
The Soviets, a Pictorial History of avec la défense suivante : 1. e4 Cc6
Communist Russia). Et l'année suivante, 2. Cc3 Cf6!?. Il se fit aussi traiter
il fut mis échec et mat. d'hypermoderne, encore que son style fût
Reti reconnut la naissance d'une distinct de celui des autres tenants de
nouvelle conception de la pensée aux cette école. Breyer était peut-être trop en
Échecs, et il fit ressortir que, tandis que avance sur son temp. Sur sa mort préma­
l e s a n c i e n s m aît r e s c h e r c h a i e n t turée en 1921 (il avait 27 ans), Reti
habituellement à trouver le meilleur coup écrivit : « Un nouveau Steinitz nous a été
dans une position, Alekhine au contraire, enlevé trop tôt». La plupart des travaux
recherchait le plan le plus profond et aux des nouveaux concepts dynamiques se
aboutissements les plus lointains, développèrent pratiquement dans le
l' a p p r o c h e dyn a m i q u e p l u t ô t q u e secret, car cette évolution ne se fit pas en
l'accumulation d'avantages. Reti ne Europe centrale qui se croyait encore
pouvait savoir alors, que les nouvelles l'arène des idées aux Échecs, mais au
m é t h o d e s d y n a m iq u e s a l l a i e n t s e cœur de la Petite Mère Russie. Là, fut
développer au cours des trois décennies prise par l'État soviétique, une décision
s u i v a n t e s d e t e l l e f aço n q u ' e l l e s lourde de conséquences pour l'avenir des
éclipseraient les « idées modernes» de
son temps et constitueraient, en ce sens,
(*) R.N. Coles, Dynamic Chess: "The Modern
un nouveau courant de forces vitales de la Style of Agressive Play", Dover Edition, New York,
pensée échiquéenne. 1966.

37
Échecs : « Apporter le jeu d' Échecs aux Les autorités qui ont proclamé et défini
travailleurs » . Le soutien du gouverne­ « L' École soviétique » , en premier lieu
ment fit pour la première fois des Échecs Botvinnik et Kotov, ont souligné ses
une profession viable . Sans attirer spécia­ qualités : une méthode scientifique et
lement l'attention en Occident, le colosse critique , une recherche infatigable du
échiquéen soviétique fut façonné . Ses neuf, une lutte contre les conceptions
fonctionnaires permirent un environne­ scolastiques et le dogmatisme , ce dernier
ment de sécurité économique, de forma­ parce qu'il barre la route à l'esprit
tion systématique , d'entraînement comme inventif. Tout cela est hautement louable
d'auto-critique �ollective. La populapté et parfaitement en concordance avec
de masse des Echecs en tant que sport l'idéal de « l'homme socialiste » . Mais
requérait l'émergence d'une élite suscepti­ l'on se demande dans quels autres
ble de focaliser l'attention populaire, et la domaines de la vie soviétique de telles
« culture socialiste » proclamait sa supé­ qualités ont-elles été encouragées (*).
riorité sur le monde bourgeois aux Échecs
comme en d'autres domaines . Avant la La trilogie de Goeteborg
Seconde Guerre mondiale, les Soviéti­
Jetons maintenant un regard sur un
ques n'avaient jamais participé aux com­
e x e m p l e f a m e u x de « L ' É c o l e
pétitions olympiques et ne s'étaient pas
soviétique » en action.
aventurés à envoyer à l'étranger des
Au tournoi interzonal de Goeteborg en
joueurs pour les représenter, à l'exception
1955 , il arriva que, le même jour, trois
de leur champion Botvinnik. Après la
joueurs soviétiques avec les Blancs, soient
guerre, le pouvoir des Échecs soviétiques
opposés à trois Argentins . Najdorf,
émergea pour de bon, et le monde des
Échecs fut stupéfait de voir que sa capi­ l'inventeur de la variante de la Défense
sicilienne qui porte son nom (5 . . . . a6) ,
tale s'était déplacée à Moscou. Mais les
faisait partie de ces derniers .
succès des Échecs russes ne doivent pas
Ce tournoi était une compétition
être attribués au seul soutien de l' État.
individuelle pour les aspirants au titre
Les Échecs étaient pratiqués en Russie
mondial. Il ne s'agissait pas, comme c'est
depuis des temps immémoriaux. Dans
le cas par équipes, d'opposer un pays à
une société caractérisée par l'autocratisme
un autre . Mais au déroulement du jeu sur
de la monarchie absolue, des anciens tsars
les trois échiquiers, un travail d'équipe
aux nouveaux maîtres du pays, un jeu
fort conséquent devint évident. Les trois
symbolisant la mort du roi trouve une
parties Keres-Najdorf, Spassky-Pilnik et
résonance profonde dans l'inconscient
Geller-Panno, eurent le même cours :
populaire . Et il y a une autre raison pour
laquelle les Échecs remplissent en Union
soviétique un autre champ d'expression
(*) Fine, en visite à Moscou en 1937, quand le
pour des artistes aspirant à s'exprimer, conformisme à la doctrine d' État était à son apogée,
dans un État où les poèmes et même les écrivit un article dans les «lzvestia » ; il y
symphonies sont censurées quand ils ne mentionnait que le style du maître S. Belavenets
sont pas purement interdits : personne (aujourd'hui disparu) était plus sain que celui de
n'importe quel autre joueur soviétique. L'intéressé
encore n'a découvert le moyen d'identi­
«victime » de ces louanges, trouva nécessaire
fier un coup d' Échecs « bourgeois » . Aux d'écrire une lettre indignée niant que son style fût
Échecs, le seul arbitre est la victoire. différent de celui de quiconque !

38
1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 cxd4 4. Cxd4 Ce coup au premier abord insensé
Cf6 5. Cc3 a6. s'explique de la façon suivante : les
Pour Najdorf, c'était sans doute un Blancs aimeraient mater en f7. Si les
point d'honneur que de choisir sa propre Noirs se défendent en jouant leur Cavalier
variante, et les autres suivirent son exem­ en e5, le Fou-dame peut renouveler la
ple. menace en jouant en g3. Si le Fou-roi
6. Fg5 e6 7. f4 Fe7 8. Df3 h6 9. Fh4 avait joué quelque part ailleurs, le
g5!? Cavalier-dame noir pourrait alors
Ce n'est pas le genre de coup que l'on défendre son cousin sans crainte d'être
joue sans y avoir réfléchi sérieusement. ramassé par le Fou blanc.
C'est un pseudo-sacrifice de pion qui a Ce coup extraordinaire devrait dissiper
pour but stratégique d'assurer la case e5 à tous les doutes : nous ne sommes pas les
un Cavalier. témoins d'un jeu brillant, mais de
10. fxg5 Cfd711. Cxe6!? l'application d'une variante préfabriquée
C'est parti ! Les trois Soviétiques à laquelle, comme nous le verrons, les
sacrifient une figure. Les uns copient-ils L a t i n o - a m é r i c a i n s n ' é t a i ent p a s
par-dessus l'épaule des autres ? Ou le préparés (*).
sacrifice, avec toutes ses ramifications, Panno essaya 13. ... Ce5? s'offrant à la
a-t-il été préparé la veille ? A-t-il réfu t a t i o n q u e n o u s v e n o n s d e
réellement été conçu en URSS par des mentionner : après 1 4 . Fg3 Fxg 5
analystes zélés pour devenir la propriété 15. 0-0+ Re7 16. Fxe5 Db6+ 17. Rhl
commune des leurs qui seraient dépêchés dxe518. Df7+ Rd619. Tadl+ les Noirs
vers les rivages lointains ? durent donner la Dame. Les derniers
11. ... fXe6 U. Dh5+ Rt'813. Fb5 !! coups furent encore : 19. ... Dd4 (ou
19. ... Rc5 20. Dt2+) 20. Txd4+ exd4
21. e5+ Rc5 22. Dc7+ Cc6 23. Fxc61-0.
L e s d e u x autres parties furent
Najdorf-Pilnik-Panno
indentiques jusqu'au 13e coup où se
présenta la première divergence :
13. ... Rg7? 14. 0-0 Ce5 15. Fg3 Cg6
1 6 . g xh6 + T x h 6 1 7 . T f 7 + R x f 7
18 . D xb6 a x b 5 1 9 . T f l + R e 8
7
20. Dxg6+ Rd7 21. Tf7 Cc6 22. Cd5!
6 Txa2 (22. ... exd5 23. Dxd6+ Re8
5
24. Dg6 est aussi sans espoir).
Pour des raisons de sécurité, les Blancs
4 devaient à présent jouer le pion h2. Keres
3
(*) Evans, qui se réfère à O'Kelly, témoin
2
oculaire, affirme le contraire et dit que Geller
trouva le coup le premier, ce qui passa inaperçu au
regard des autres. Mais Spassky déclara à l'auteur :
A B C D E F G H « Je vis ce qu'avait joué Geller et cela me plut.

Vraisemblablement Keres le vit aussi». Où se situe


la vérité ? Comme toute intégrité, probablement
Keres-Spassky-Geller quelque part à mi-chemin des extrêmes ?

39
le poussa de deux cases et Spassky d'une . n'est pas tant une école soviétique qu'une
Comme les deux coups sont gagnants, il fabrique éminemment productive.
èut été embarrassant de poursuivre En tout art, le caractère individuel de
l'imitation plus avant. l'artiste s'affirme. Nous verrons qu'aux
La suite fut : 23 . . . . Dh8 24. Cxe7 Échecs aussi , cette constatation est vraie
C x e7 25. Dg5. Ici, Najdorf abandonna, car l'artiste véritable ne peut pas être
candis que Pilnik poursuivait la partie coulé dans un moule.
encore un moment (avec le pion en h3) :
25 . . . . Tal+ 26. Rh2 Dd8 27. D x b5+ Les théoriciens soviétiques , après avoir
Rc7 28 . Dc5 + Rb8 29 . F x d6 + Ra8 rejeté Alekhine comme déviationniste ,
30. F x e7 Ta5 31. Db4 1-0. reconnurent son héritage de lutteur
En Argentine , ce fut la consternation. dynamique . La croissance de l'école
Les Argentins avaient été confrontés , non soviétique se fit dans l'esprit de lutte, de
à un jeu de grand style , mais à une l'étude des ouvertures sous la perspective
démonstration de première classe qui de nouvelles surprises théoriques et en
pouvait servir d'argument efficace au col­ particulier de contre- attaque active .
lectivisme ! Certes, de telles idées sont aujourd'hui
La discussion sur la position du internationales . Auparavant peut-être,
diagramme n'était cependant pas close . sous l'emprise de Botvinnik, on pouvait
Trois ans plus tard, contre Gligoric, à parler d'un style échiquéen soviétique.
Portoroz, le jeune Bobby Fischer, âgé de Mais depuis 1950 , ainsi que nous le
1 5 ans , prouva la force de l' effort verrons , les joueurs soviétiques ont été la
individuel : en découvrant 13 . . . Th7 ! il source d'une floraison stylistique. Les
réhabilita complètement la défense , Échecs leur offrent la plus grande liberté
comme des variantes complexes le de développement artistique . Que
démontrèrent. l'Union soviétique domine les Échecs
Cela doit inspirer confiance à un joueur mondiaux est hors de doute . On ne peut
soviétique , quand il s'assied à l'échiquier, cependant plus faire mention d'une école
de savoir qu'il dispose de telles ressources de pensée échiquéenne , mais seulement
d'analyses et d'efforts collectifs. Mais ce d'une superbe école d' Échecs en URSS .

40
Botvinnik: 7
la marche de la science

« Les Échecs, c'est l'art de l'analyse. » de complexes problèmes techniques de


M. Botvinnik circuits électroniques, il a dit un jour :
« Le plus grand plaisir est de sentir que
L'homme qui incarna le mieux l'esprit l'on pense, et c'est au travers des Échecs
du vingtième siècle aux Échecs est né à qu'on y parvient le mieux » . Comme nous
Saint-Pétersbourg , Vieille Russie , en le verrons , il tentera pourtant de
1911. Il s'agit de Mikhail Moïsseievitch transcender les limites de l'esprit humain
Botvinnik, un scientifique ; en effet, ce par la recherche d'un cerveau électronique
siècle a vu la transformation de l'homme invincible.
par la science et la technologie et, par là L'esprit supérieur de Botvinnik le porta
même, l'ouverture d'horizons illimités. au sommet des Échecs soviétiques dans
Botvinnik appartient à la famille les années trente et des Échecs mondiaux
spirituelle de Steinitz et de Tarrasch, ceux de 1948 jusqu'en 1963 , avec deux brèves
qui ont scientifiquement systématisé les interruptions.
Echecs . Il pencha vers l'orthodoxie . Mais Il est intéressant pour Botvinnik, que
,
à leur différence, il esquiva les dogmes et les Echecs soient le côté artistique de sa
découvrit des voies inexplorées et personnalité . « Les É checs - a-t-il
indépendantes, basées sur des recherches déclaré - sont un art et un calcul » et
nouvelles. Et, à la différence de leurs aussi « Les Échecs sont l'art de l'analyse
successeurs qui firent presque des Échecs au travers de laquelle on voudrait
un pâle exercice académique, Botvinnik atteindre la perfection » . Les j oies
amena l'instinct combatif dans la lutte esthétiques et émotionnelles découlent de
échiquéenne . « positions strictement conduites jusqu'à
Encore que, pour Botvinnik , le combat leur acc9mplissement forcé » . Il argue
aux Échecs ne se limitat pas essentiel­ que les Echecs ne sont pas une science,
lement à l'opposition à un adversaire de car il s'agit de l'étude d'un système
chair et de sang, mais fût aussi un conventionnel et non de la nature elle­
problème intellectuel : la recherche même. Encore que, dans les parties de
d'une parfaite objectivité par un calcul Botvinnik, l'envol de l'imagination soit
aussi profond que possible. Et bien qu'il contrôlé. Pour lui, on peut déduire que la
fût un homme honoré pour ses réussites beauté réside dans la réalisation logique
en tant qu'ingénieur, capable d'affronter de théorèmes techniques. Plus qu'aucun

41
autre de ses contemporains , il atteint dans 10. Tadl Cbd7 11. b3 Ce4 12. Ce5
ses parties une exécution parfaite de ses Cg5!? 13. h4.
plans. Pour beaucoup , cela suffit à la Un affaiblissement de la position
beauté. royale . 1 3 . f3 Ch3 + 14. F x h3 D x h3
Par l' analyse assidue et l'adoption 15. e4 est bon.
p ersistante de certains systèmes 13 . ... Ce4 14. Ff3.
d'ouverture , Botvinnik a grandement Selon Botvinnik, 14. C x e4 F x e4 15 . f3
contribué à faire avancer la théorie . A donnait l'avantage aux Blancs , car le
noter sa prédilection pour le système sacrifice de qualité 15 . . . . T x f4 « n'offrait
Winawer de la D éfense Française , alors aucune perspective » . Reinfeld et
système difficile qui n'était pas du goût de Chemev proposent cependant une longue
la plupart des joueurs . Un exemple variante aboutissant à un gain pour les
typique est donné par la partie Tolouch­ Noirs: 1 6 . g x f4 e3 1 7 . D d3 F x h4
Botvinnik du championnat d'URSS de 18. D x e3 Fg3 19. Cg4 Cf6 20. Tf2 e5 !
1945 : 1. e4 e6 2. d4 d5 3. Cc3 Fb4 4. e5 21. D x e5 F x g4 22. fxg4 Dh2+ 23 . Rfl
c5 5. a3 F x c3 + 6. b x c3 Ce7 7. Cf3 Da5. Te8 24. Df5 F x f2 25 . R x f2 Ce4+ etc.
Se présente une partie déséquilibrée dans Cela paraît convaincant. Mais Botvinnik
laquelle les Blancs ont des perspectives est B otvinnik . . . ( R . Teschner dans
d'attaque à l'aile-roi au prix de pions l'édition allemande, note que 20. De5
faibles dans l'autre secteur. Après 8. Fd2 repoussait l'attaque) .
c4 9. a4 Cd7 10. Fe2 Cb6 11. 0-0 C x a4 14 . . . . De8 15. C x d7 F x d7 16. Rg2
Botvinnik s'accrocha solidement au pion Fb4! 17. Fx e4?
gagné , et, comme il en avait l'habitude, Une sérieuse erreur activant la Tour
résista à l'attaque et finit par l'emporter. noire . La défense juste est 17. . . . Cb 1 .
Seul, il réhabilita le Stonewall de la 17 . ... fX e4 18. Thl Dh5 19. f3 Dg6.
Défense Hollandaise. Voici un exemple Plus fort encore 19 . . . . e5 ! transposant
tiré de ses débuts nationaux - il était dans la suite de la partie . . .
alors âgé de 16 ans - qui marque 20. Rfl.
l'arrivée d'un nouveau et grand talent sur
la scène soviétique .

I. Rabinovitch - M. Botvinnik
5e championnat d'URSS
Moscou 1927
Défense Hollandaise

1. d4 e6 2. c4 f5 3. g3 Cf6 4. Fg2 Fe7


5. Cc3 0-0 6. Cf3 d5 7. 0-0 c6 8. Dc2 De8
9. Ff4 Dh5.
Tout cela est maintenant bien connu.
Les Noirs ont une pression à l'aile-roi ;
les Blancs ont un point fort en e5 et des
chances de percer au centre par e2-e4 .
Une question de goût. A B C D E F G H

42
20 e5 ! M. Botvinnik - M. Vidmâr
. . . car les Blancs pouvaient prolonger
• ••.

Nottingham 1936
maintenant leur survie par 21 . h5 Df5 , Gambit de la Dame accepté
bien que la finale après 22. d x e5 e x f3
23 . D x f5 F x f5 24. Tel d4 25 . Cdl Fe4 1. c4 e6 2. Cf3 d5 3. d4 Cf6 4. Cc3 Fe1
soit très bonne pour les Noirs. 5. Fg5 0-0 6. e3 Cbd7 7. Fd3.
Avec 20 . . . . e5 ! qui libère « l'énergie Usuels sont 7 . Tel ou 7 . c x d5.
maligne latente » du Fou-dame, l'attaque Botvinnik s'engage pourtant dans une
de Botvinnik devient irrésistible . Un forme de gambit de la Dame accepté avec
exemple raffiné du dynamisme nouveau . un temps de moins. Il évite ainsi la vieille
21.d x es T x f4! 22. g x f4 Dg3! D éfense Orthodoxe et obtient une
La pointe « tran quille » de la position avec un pion-dame isolé dont il a
combinaison avec la menace de mat e4-e3 maîtrisé les potentialités stratégiques.
et Fb4-c5 . Les Blancs sont sans défense, 7
• ••• c5! 8. 0-0 c x d4 9. e X d4 d x c'1
par exemple 23 . c x d5 Fc5 24 . C x e4 10. F x c4.
Fh3 + 25 . T x h3 Dgl mat. C'est la position de base avec un pion·
23. C x e4 d x e4. dame isolé . Les Noirs peuvent joue1
Plus rapide que 23 . . . . Fh3 + . Sur contre ce pion et tirer parti de la casé
24 . D x e4 B otvinnik envisageait forte en d5 ; les Blancs en ont l'équivalen1
maintenant 24 . . . . Fc5 25 . e3 Ff5 ! avec la case e5 et ils ouvrent des lignel
24 . T x d7 Fc5. pour l'attaque. A présent 10 . . . . a6 et s:
Toujours en alerte ! Une tragédie 1 1 . a4 alors 1 1 . . . . Cb6 donnerait un jet
résultait de 24 . . . . e3?? 25 . T x g7 + ! ! et très satisfaisant aux Noirs.
les Blancs gagnent ! 10 . Cb6 11. Fb3 Fd7 12. Dd3 Cbd5.
•..

25. e3 D xf3 + 26. Df2 D x bl + . Meilleur était de simplifier p a1


Et les Noirs, qui ont une figure de plus, 12 . . . . Cfd5 , tenant . . . Fa4 en réserve. Lel
recueillirent l'abandon adverse après le échanges amoindrissent l ' attaque e1
42e coup. accroissent la faiblesse structurelle del
B l ancs . S i 1 3 . Fc2 alors 1 3 . . . . g�
Dans un essai, Botvinnik a défini la menaçant Cb4 avec un jeu noir tout à fai1
combinaison : une variante forcée avec acceptable.
sacrifice . La contribution essentielle 13. Ces Fc6 14. Tadl Cb4 (?) .
dans sa définition est la nécessité d'un Une perte de temps. Botvinnik proposé
sacrifice. 14 . . . . Da5 .
Dans ses parties , il ne montre aucun 15. Dh3 Fd5 16. C x d5 Cb x d5?
amour particulier pour les sacrifices. Il ne Ignorant l a tempête qui monte
cherche pas davantage à les éviter, mais il Nécessaire est 16 . . . . Cfx d5 et si 17. fL
suit plutôt son propre plan stratégique, alors 17. ... fS avec une défense raison·
toujours prêt aux occasions combina­ nable .
toires. 17. f4! Tes.
Dans son étude, Botvinnik systématise La qualité est perdue sur 17. . . . g�
non seulement l'ouverture de lignes mais (prévenant f5) 18. Fh6 Te8 19. Fa4, e1
même certains modèles de milieu de jeu . sur l'autre terme de l'alternative 17 . . .
Il traite e n virtuo s e les p o sitions Ce4, Botvinnik avait prévu 18. C x f7 !
comportant un pion-dame isolé . T x t7 1 9 . D x e6 ou 18 . . . . R x t719. Tdel
4�
avec un gain facile. Nous voyons ici la Les Noirs abandonnent.
composante tactique aiguë du plan visant Une puissante démonstration de ce
à ouvrir la colonne« f». système d'attaque.
18. f5 exf5 (?). En 1935, l'Union soviétique commença
Bien que peu séduisant, il était meilleur à jouer sa meilleure carte - Botvinnik -
d'accepter un pion« e» isolé et faible par en compétition internationale. Sans
18. ... Dd6 19. fXe6 fXe6 20. Tfel. parvenir à dominer tous ses adversaires,
19. Txf5 Dd6 (?). il apparut cependant comme l'un des
meilleurs joueurs du monde. Il fut couvert
d'honneurs par l'État pour ses réussites
s p o r t i v e s c o m m e d a n s sa carrière
8
d ' i n g é n i e u r . En re t o u r , il r e n d i t
7 loyalement hommage a u gouveme!llent
6
et proclama l'avènement de « L'Ecole
Soviétique» (*).
5

4 La partie suivante peut être considérée


comme« L'immortelle dynamique». Elle
3
démontre de manière frappante l'éclipse
2 des idées classiques devant le dynamisme
nouveau. Capablanca incarnait au plus
haut point la tradition classique mais aussi
A B C D E F G H ses limites. Pour cela, il croyait qu'une
stricte observance des principes, en
particulier le fait d'éviter les faiblesses,
garantissait contre la défaite, et que la
Vidmar n'a évidemment aucun goût pour gloire des Échecs s'achèverait dans la
défendre cette position. Meilleur est mort par la nullité. Dans cette rencontre,
19 . ... Tc7, pourtant après 20. Tdfl, Botvinnik alla au-delà des idées classiques
comme Panov l'a indiqué, une en montrant la profonde force dynamique
combinaison gagnante n'est en tout cas d'une position qui, selon les critères
pas loin, et les Noirs sont sans défense : classiques, était inférieure. Ajuste raison,
1) 20. ... a6 21. Cxf7! Txf7 22. Fxd5 il l'appela« La partie de ma vie».
Cxd5 23. Txf7 Fxg5 24. De6!
2) 20 . ... Cb6 21. Dh4 (menace de
sacrifier les deux Tours en f6) 21. ... Cbd5
2 2 . C x f7! T x f7 2 3 . F x d 5 C x d 5
24. Txf7 Fxg5 25. Dxg5 !
A présent, la conclusion est cependant
plus simple.
20. Cxt7? Txt7 21. Fxf6 Fxf6.
(*) On constata avec soulagement que le
Ou 21. ... Cxf6 22. Txf6 et les Blancs
patriotisme de Botvinnik était d'une autre essence
tirent bénéfice de la situation sans défense
que celui des pongistes chinois qui, bien des années
de la Tc8. plus tard, proclamèrent que leurs succès étaient dus
22. Txd5 Dc6 23. Td6 De8 24. Td7. aux pensées de Mao Tsé-Toung.

44
M. Botvinnik J.R. Capablanca
• pourtant à quel point le contre-plan des
Tournoi A.V.R.O. 1938 Blancs est fort.
Défense Nimzovitch 14. Dd3 c4?! 15. Dc2 Cb8.

8
1. d4 Cf6 2. c4 e6 3. Cc3 Fb4 4. e3 d5.
7
La suite normale, classique, a perdu sa
popularité précisément depuis cette 6
partie. Elle invite les Blancs à accepter les
5
pions doublés puisqu'ils pourront s'en
défaire immédiatement. Ils ont l'avantage 4
de la paire de Fous mais leur Fou-Dame
3
semble emmuré et inefficace.
5. a3 Fxc3+ 6. bxc3 c5 7. cxd5 exd5 2

8. Fd3 0-0 9. Ce2.


Les Blancs envisagent d'activer leur
masse centrale de pions par f3 et e4, A B C D E F G H

tandis que les Noirs cherchent à empêcher


cette expansion et à exploiter leur 16. Tael!
prépondérance à l'aile-dame. Un conflit Courageusement joué! Botvinnik, qui
intense s'engage. croit en ses idées, abandonne volontiers
9• b6 10. 0-0.
••• son pion faible. Si les Noirs avaient voulu
Dans une partie ultérieure contre prévenir le plan des Blancs qui consistait
Alexander, match URSS-Angleterre en Ce2-g3 et e3-e4, ils auraient dû jouer
1946, Botvinnik choisit avec succès 10. a4 ici 16. ... Ch5 . La suite eût été 17. h3 f5
suivi de Fa3. 18. Fel Cc6 19. f3 Ca5 20. g4 Fxg4
10 • Fa6 11. Fxa6.
••• 21. hxg4 offrait de bonnes chances
11. f3 est une bonne possibilité. d'attaque aux Blancs. Mais Capablanca
11. C X a6 12. Fb2!?
••• poursuit sa propre voie.
16
• •••Cc6 17. Cg3 Cas.
Botvinnik tient ce coup pour passif et Ou 17. ... Ce4 18. Chl! suivi de f3 et
r e c o m m a n d e l ' i m méd i a t 1 2 . D d3! Cg3.
Pourtant, le Fou de cases noires peut 18. f3 Cb3 19. e4 Dxa4 20. e5 Cd7.
souvent revenir à la vie sur cette case. Les Les Noirs menacent 20. ... Cbc5!
Noirs ont à présent le loisir de se préparer 21. Df2 g6.
à répondre à Dd3 par... Da4. Les Noirs choisissent une défense active
12 Dd7! 13. a4 Tfe8?!
• ••• amenant des simplifications plutôt que de
Au lieu de jouer 13. ... cxd4 14. cxd4 ramener leurs figures en grande vitesse à
Tfc8 et d'obtenir au moins l'égalité, l'aile-roi pour faire face à l'attaque
Capablanca se décide pour un plan blanche. Ils se rapprochent ainsi de la
ambitieux mais erroné : empêcher e4, crise dans laquelle Botvinnik va saisir sa
fermer l'aile-dame et par une longue chance par une série de coups incisifs et
manœuvre de Cavalier, gagner le pion brillants.
«a». Avec son coup suivant, les dés sont 22. f4 f5 23. exf6 Cxf6 24. f5 Txel
irrémédiablement jetés. Nous verrons 25. Txel Te8.

45
Ce coup est perdant ; mais Botvinnik vue de la suite, le pion d4 doit rester
indique qu'après 25. ... Tf8 26. Df4 les protégé afin que les Noirs n'aient pas
Noirs n'avaient pas grand espoir non plus. d'échec perpétuel. (Le s é d u i s a n t
Le mieux était encore 26. ... Dd7 27. Te6 3 4 . Df7+ Rh8 3 5 . h4 échouait sur
Ca5 28. Fa3 Tf7 29. Dg5 avec une forte 35. ... Cd2! - R.Teschner).
attaque blanche. 34 Del+ 35. Rf2 Dc2+ 36. Rg3
• .••

26. Te6! Txe6. Dd3+ 37. Rh4 De4+ 38. Rxh5 De2+
Sans espoir est 26. ... Rf7 27. Txf6+ 39. Rh4De4+ 40. g4.
Rxf6 28. fxg6+ Rxg6 29. Df5+ Rg7 Et non 40. Rh3?? h5! et les Noirs
30. Ch5+ Rh6 31. h4 Tg8 32. g4 Dc6 tiennent la nulle.
33. Fa3! et les Blancs matent. 40 . ••. Del+ 41. Rh5.
27. fxe6 Rg7 28. Df4!De8. Les Noirs abandonnent.
Prévenant 29. Cf5+ gxf5 30. Dg5+. Botvinnik est aussi connu pour sa
29. De5De7. superbe maîtrise dans la technique des
Ou 29. ... Ca5 30. Fel! (menaçant 31. finales. Dans cette phase de la partie qui
Dc7+ suivi de Fh6) 30. ... De7 31. Fa3! r e s s e mble le p l u s à un e x e r c i c e
et ensuite comme dans la partie. mathématique, l'esprit de c e «logicien
Botvinnik saute maintenant sur une d'acier» est inégalable.
combinaison de douze coups. La partie suivante, comme ce n'est le
cas que des plus remarquables réussites
échiquéennes, ressemble à un tout
8 organique du début à la fin. A partir du
12e coup, Botvinnik inflige à son
adversaire un complexe de cases noires
6 affaiblies et il réalise ensuite inexora­
5 blement son avantage. On peut profiter
de cette partie simplement, avec un
4
minimum de commentaires, comme d'un
3 théorème géométrique.
2

11 M. Botvinnik - A. Konstantinopolski
A B C D E F G H Sverdlovsk 1943
Défense Caro-Kann

30. Fa3!!Dxa3.
Si 30. ... De8, alors 31. Dc7+ Rg8 1. e4 c6 2. d4 d5 3. exd5 cxd5 4. c4.
32. Fe7 Cg4 33. Dd7 gagne. Une autre spécialité d'ouverture de
31. Ch5+! gxh5. Botvinnik connue aujourd'hui sous le
Ou 31. ... Rh6 32. Cxf6 Del+ 33. Rf2 nom d'attaque Panov-Botvinnik. Les
Dd2+ 34. Rg3 Dxc3+ 35. Rh4 Dxd4+ Blancs obtiennent soit un pion-dame
36. Cg4+!. isolé, soit une majorité à l'aile-dame.
32. Dg5+ Rf8 33. Dxf6+ Rg8 34. e7! 4 • ••• Cf6 5. Cc3 e6 6. Cf3 Fe7 7. Fg5
Botvinnik a signalé que l'intercalation 0-0 8. Tel Cc6 9. c5 Ce4 10. Fxe7 Dxe7
de 34. Df7+ laissait échapper le gain : en 11. Fe2 Fd7 12. a3 f5?

46
8
l'importante case centrale de blocage.
L'étape suivante : mobiliser la majorité
de pions.
6 28 . . Rf6 29. Ca2 Tb8.
. .

Ou 29. ... a5 30. Cel Tb8 31. b3 suivi


5
bientôt de b4.
4 30. b4 g5 31. g3 gxf4 32. gxf4 a6
33. Cc3 Tg8 34. a4 Tg4 35. Tt2 Fe6.
3

8
12
7
A 8 C F G H
6
La première, dernière et seule faute
5
des Noirs ! Ce coup donne à Botvinnik
tout ce dont il a besoin pour concevoir un 4
plan gagnant. Ce coup, en affaiblissant le 3
pion «e» et en créant un trou·en «e5»,
contraint les Noirs au l7e coup à rentrer 2

dans une finale inférieure. Les Blancs


conservent le contrôle des cases-clé d4 et 13
e5 à cause du «mauvais» Fou des Noirs. A 8 C D E F G H

Cette mainmise, jointe à la majorité de


pions de l'aile-dame, avec la technique
impeccable de Botvinnik, suffisent pour La troisième étape : la percée ne peut
le gain. plus être empêchée. Par exemple
13. Fb5! Cg5. 35. ... Fe8 36. b5 axb5 37. axb5 cxb5
Nécessaire, sinon les Blancs incrus­ 38. Cxd5+ Re6 39. Te2+ Rf7 40. Txe8!
teraient un Cavalier puissant en e5. Rxe8 41. Cf6+ Re7 42. Cxg4 fxg4
14. Fxc6 Cxf3+ 15. Dxf3 bxc6 43. f5 h5 44. c6 et les Blancs poussent
16. Df4 TaeS 17. 0-0 e5 18. Dxe5 Dxe5 simplement un de leurs pions passés à
19. dxe5 Txe5 20. f4! Te7 21. Tfel Tfe8 Dame (Fine).
22. Txe7 Txe7 23. Rf2 Rt7 24. Tdl Te8 36. bS! axbS 37. axbS cxbS 38. CxbS
25. Td2 h6 26. Te2 Tb8. Tgl 39. Cc3 Rt7 40. Th2 Tfl 41. Ce2.
R i e n ne p r e s s e . S i maintenant
La finale de pièces mineures serait 41. ... Rf6 alors 42. c6 Tf2 (ou 42. ... Re7
perdante pour les Noirs. Leur Tour active 43. Re5) 43. c7 Txh2 44. Tb6 Rf7
leur permet de résister. (Offrir l'échange 45 . Txe6 et le pion va à Dame.
des Tours deux coups plus tôt échouait : 41 • ••• Tel 42. Res d4.
24. Tel? Txel 25. Rxel d4! 26. Ce2 Sinon le pion «c» va simplement de
Re6! 27. Cxd4+ Rd5). l'avant. La fin est proche.
27. Re3 Tb3 28. Rd4. 43. Rxd4 Rg6 44. Cc3 Rh5 45. Te2
La première étape de la finale est Txe2 46. Cxe2 Rg4 47. Re5 Fc8 48. Cd4
franchie avec succès : placer le Roi sur hS 49. Cxf5! Fd7.

47
Les Noirs renoncent à la dernière joueurs de talent seront attirés par les
chance de se déb arrasser de leur Échecs . Il semble qu'il doive en aller ainsi
« mauvais » Fou : 49 . . . . F x f5 50. h3 + de la séduction de la machine à notre âge
R x h3 51. R x f5 et les Blancs arrivent à technologique (*) .
Dame les premiers. Il convient d'ajouter que science et
50. Cg7 Fa4 51. f5 Rg5 52. Ce6+. technologie ne sont pas des bienfaits
Les Noirs abandonnent. illimités ; elles ont aussi un potentiel
Une partie d'une extrême simplicité, destructeur. Tout comme les produits de
pareille à un mécanisme d'horlogerie dans la technologie de l'homme menacent de
sa logique et sa régularité. l'engloutir physiquement, l'esprit ultra­
scientifique peut aboutir à la stérilité
L'intervention d e l a machine
spirituelle. Aux Échecs , si jamais une
Dans ses dernières années, Botvinnik , machine parvenait au pouvoir de l'analyse
dont le jeu rigoureux a été comparé à une infini, cela aurait pour conséquence de
invincible machine, s'est intéressé de plus détruire ce que nous aimons . Les
en plus à l'ordinateur joueur d' Échecs. amoureux du jeu d' É checs voudront
Son attente (1968) dans ce domaine est toujours voir des êtres humains de chair
terrible : « Très vite l'ordinateur sera en et de sang, des artistes , en train de
mesure de vaincre même des grands s'affronter en un combat créateur de
maîtres (!) » . Quel avenir cette perspec­ préférence à n'importe quel ordinateur !
tive laisse-t-elle à l' art créateur des L'auteur ne connaît pas grand-chose
Échecs, au dramatique affrontement de aux o r d i n a t e ur s e t il s ' emp r e s s e
l'esprit humain ? Cela ne signifie-t-il pas cependant d'affirmer : « I l n ' y aura
le déclin des perspectives de création et j amais d'ordinateur qui puisse jouer
une déshumanisation aboutissant à la comme Fischer, pas plus qu'il n'y aura de
mort définitive du jeu d' Échecs ? machine capable de composer de la
Paradoxalement , Botvinnik prévoit musique comme Mozart. Cela, parce que
qu'à l'ère de la machine triomphante, les le processus de la pensée d'un artiste ne
Echecs y gagneront en prestige , « la peut être saisi par des cellules
réputation des grands-maîtres s ' e n électroniques. Et nous devons constater à
trouvera accrue » , u n grand nombre de nouveau que les Échecs sont un art. »

(*) L'idée d'un ordinateur champion du monde


d'Echecs tel que le conçoit Botvinnik est selon moi
une conception ultra-masculine.

48
Reshevsky: 8
l'instinct de conservation

« Dans cette position... il me faut survi- d'y effectuer des tournées de simultanées.
vre. » Le spectacle de ce garçonnet tournant et
S . Reshevsky tournant sans répit , kilomètre après
kilomètre , ville après ville, affrontant
Dans bien des plus forts tournois de simultanément des douzaines d'adultes,
notre temps, il fallut prévoir un horaire fascina indubitablement le public. Mais
spécial pour un certain participant afin l'enfant, qu'en retirait-il ? Cette expé­
d'éviter le Sabbat. Bien que peut-être la rience n'était pas susceptible d'inspirer la
moitié de tous les plus grands joueurs joie créatrice de l'art des Échecs. Pour le
d' Échecs de !'Histoire aient été Juifs, jeune Reshevsky, les Échecs étaient une
cette stricte stipulation ne fut apppliquée affaire, un travail, même un tourment
qu'à un seul homme : Samuel Reshevsky. que de passer de longues soirées sous le
Héritier d' une antique tradition , feu des projecteurs, loin de son foyer.
Reshevsky est né à Ozierkov, Pologne, Pour expédier une brochette d'adver­
en 191 1 . Peu après avoir appris à jouer saires plus faibles, il avait recours à la
aux Échecs à l'âge de quatre ans, il fut routine, à des coups rapides sans beauté
reconnu comme un enfant prodige et il ni profondeur. Plus tard dans sa carrière,
attira l'attention de maîtres fameux. On on observa les conséquences de son acti­
le fit venir à Lodz et à Varsovie où le vité juvénile. Il ne trouvait aucun plaisir à
gouverneur allemand de la Pologne étudier les Échecs entre les tournois,
occupée réclama de disputer une partie comme un grand-maître doit le faire ; il
contre le «Wunderkind ». Après avoir était loin des considérations esthétiques
battu le plus puissant adversaire de sa vie, et psychologiques . Pourtant, dès qu'il
le petit garçon de six ans rompit le silence avait pris place à l'échiquier, il retrouvait
et s'exclama en Yiddish : « Vous jouez à une profondeur à nulle autre pareille.
la guerre, je joue aux Échecs ! » Cette enfance vagabonde ne pouvait
Sans aucun doute influencés par des pas le préparer à une existence normale
considérations économiques, les parents et équilibrée ; pour certains, elle aurait
de Sammy l'emmenèrent en tournée en pu se révéler catastrophique. Reshevsky,
1920 dans les ê"andes villes d'Europe, et lui , avait pourtant confortablement
ensuite aux É tats-Unis , qui allaient survécu ; il avait été à l'école, au collège,
devenir son pays d'adoption. Il continua avait fondé une famille, un peu comme

49
n'importe quel Américain de classe cation naturelle à cel a . Reshevsky
moyenne . Ses voisins pouvaient aisément déchaîne sur l ' échiquier une force
confondre ce génie des Échecs avec un élémentaire - qui sait - peut-être innée ,
homme d'affaires ordinaire. indomptable , proche du « Macheide »
De cet arrière-plan surgit, sur la scène évolutionniste de Lasker, c'est-à-dire de
des Échecs mondiaux dans les années l'instinct de conservation. Après tout, ces
trente, une force nouvelle capable de deux grands lutteurs sont tous issus d'un
vaincre les meilleurs. « Force » est le mot peuple qui, depuis l' Antiquité , dut faire
pour désigner Reshevsky. Il amenait sur face aux ennemis les plus féroces et les
l'échiquier peu de planification, ni de pré­ plus durs, et qui a su conserver la pureté
paration par la connaissance des ouver­ de sa vision consistant à survivre toujours ,
tures. On observait cet esprit perçant, renaissant plus triomphant après ses
logé dans un petit corps perché devant le heures les plus noires . Comme une partie
champ de bataille des soixante-quatre de Reshevsky.
cases, réfléchissant, essayant, pénétrant Il est juste de commencer par une
les mystères du combat, découvrant des p artie entre Resh evsky , l e j e une
coups agressifs et profonds . D'habitude , champion des États-Unis , et Lasker, le
il évitait de faire appel à s a mémoire, roi détrôné et vieillissant du monde des
dépensant énormément de temps au Échecs. Pour eux deux, les Échecs étaient
début de la partie . Le moment critique un combat. J'y vois la transmission d'une
du combat arrivait et il ne restait plus à la aura de grandeur d'une génération de
pendule de Reshevsky que quelques joueurs à une autre .
minutes ou quelques secondes pour jouer
cinq, dix, voire vingt coups. L'adversaire ,
voyant quantités de pièges, ayant même
E. Lasker - S. Reshevsky
parfois un avantage résultant d'un plan
Nottingham 1936
d'ouverture préétabli, attendait que la
Gambit de la Dame accepté
victoire tombe toute rôtie dans son as­
siette. Les doigts de Reshevsky s'agitaient
alors avec rapidité, éliminant une pièce 1. d4 d5 2. c4 dxc4 3. Cf3 Cf6 4. e3 e6
d'attaque , sauvegardant un point fort 5. Fxc4 c5 6. Cc3 a6 7. 0-0 b5 8. Fd3.
entrevu dix coups auparavant, saisissant Les 6e et Se coups des Blancs n'ont plus
toutes les chances tactiques, se défendant la préférence de nos jours . 8 . Fb3 serait
avec ténacité, ramassant une figure , un plus apte à lutter pour la case forte dont
pion ou seulement une case clé, au plus les Noirs vont s'emparer en d5 .
pratique, et les fumées du combat s'étant 8 . cxd4 9. exd4 Fb7 10. Fg5 Fe7
•.

dissipées , Reshevsky avait survécu au 11. De2 0-0 12. Tadl Cbd7 13. Ce5 Cd5
danger et gagnait une fois de plus (*) . 14. Fel?!
Personn� d'autre n'avait jamais joué Comme dans sa jeunesse , Lasker évite
ainsi aux Echecs . Il n'y a aucune expli- de simplifier une position tendant vers la
nullité (bien que conservant la faiblesse
organique d'un pion « d » isolé) par
(*) Le génie de la ressource de Reshevsky en
mauvaise position lui valait en 1937 le titre donné 14. F x e7 D x e? 15. C x d5 F x d5 16. Fe4.
par des commentateurs soviétiques de « L'artiste Il voudrait garder des chances d'attaque,
de l'échappatoire ». même en risquant de se retrouver avec
50
une autre faiblesse en c3. Reshevsky 19. ... Cg5! 20. axb5 axb5 21. Fxb5.
s'empare maintenant de l'initiative. Perd s ur-le-champ. Meilleur bien
14. ... Cxc315. bxc3Cf6. qu'insuffisant aussi est 21.Cel Ch3+
22.Rhl Cf4 23.Dg4 Fg5! 24.Tc2 h5!
25.Dg3 h4 26.Dg4 h3! (Reshevsky).
8 21. ... Cxf3+ 22. gxf3 Dg5+.
Les Blancs abandonnent.
7
Si 23.Rhl alors 23.... Dg4 gagne la
6 Dame.
5
Ce fut la pire défaite de Lasker.
Capablanca et Alekhine se virent aussi
4 infliger de saines défaites par le jeune
3 Reshevsky qui ne craignait personne.
En tant que prétendant au titre mondial
2
choisi pour disputer le match-tournoi de
1948, Reshevsky, avec son talent quelque
peu solitaire, ne parvint pas à se situer au
A B C D E F G H
niveau de la machine échiquéenne
soviétique conduite par Botvinnik, avec
16. a4!? ses entraîneurs, ses secondants et ses
Selon Reshevsky, ce coup, proba­ recherches d'ouvertures préparées. Lors
blement prévu deux coups avant, révèle des compétitions de challenger en 1953, il
la grandeur de Lasker.Il cherche à inciter faillit atteindre au pinacle, partageant la
à 16... . bxa4 et par 17.c4 faire avec son seconde place derrière Smyslov.Voici un
pion arriéré « c » un centre fort et exemple de ce tournoi.
dynamique. Reshevsky réagit avec éner­ Le répertoire d'ouverture de Reshevsky
gie. a toujours été limité et sans prétentions.
16. ... Dd5 17. Cf3 (*) Tfc8! 18. Fb2 Il n'a jamais trouvé le temps de recher­
Ce4! 19. Tel(?). cher des nouveautés. La routine devait
Les Blancs perdent ici leur dernière intervenir, souvent sous la forme de
chance: après 19 . axb5 axb5 20.Fxb5 variantes d'échange répétées du Gambit
Cxc3 21.Fxc3 Txc3 ils conservaient des de la Dame refusé, un système aride.
chances de nullité en dépit de leurs C'est aussi un expert de la variante
faiblesses, car les pions restants se Rubinstein de la Défense Nimzovitch.Le
trouvent tous à l'aile-roi. voici contre un champion soviétique,
montrant son aptitude à de profondes
manœuvres stratégiques et à des attaques
fracassantes.
(*) Sur 17. f4, Reshevsky voulait répondre
17 .... b4. Deux joueurs allemands, Ludwig
Herrmann et Edith Keller-Herrmann ont découvert
une ressource surprenante pour les Blancs : 18. c4
Dxd4+ 19. Fe3 Dc3 20. Fxh7+ Rxh7 21. Td3
gagnant la Dame. Le fier 14• coup de Lasker est
ainsi sauvé et mérite un « !? » (« Assiac » ) . Les
Noirs auraient dû jouer 17.... Tfc8 18. Fb2 C e4
19. Tel avec égalité.

51
S. Reshevsky - Y. Averbakh Les Blancs, prêts à une combinaison
Zurich 1953 finale, menacent 36. Fxc5! Fxc5 (sans
Défense Nimzovitch échec !) 37. Dh6. Le coup du texte peut
être une tentative de tendre un piège aux
Blancs à court de temps. 35. ... c4 eût
1. d4 Cf6 2. c4 e6 3. Cc3 Fb4 4. e3 0-0 abandonné la case-clé d4 et 35. ... Dd6
S. Ce2 dS 6. a3 Fe7 7. cxdS exdS. permet 36. Fh6. En jouant leur Dame en
Ici, 7. ... Cxd5, comme dans la partie d7, les Noirs préparent la défense 36. Fh6
Reshevsky-Kortchnoï, match 1968, offre Cg4, sans tenir toutefois compte de la
de bonnes chances de simplification menace principale 36. Fxc5 et leur idée
d'égalisation, de même que... c5 à chacun sera joliment réfutée. Un essai de contre
des trois coups suivants. Les Noirs jouent jeu intéressant mais risqué est
toutefois des coups logiques mais sans 35. ... Cxd3 36. Dxd3 f5!? 37. Th3 et
plan, permettant à Reshevsky de préparer maintenant 37. ... De7 ou Fg7, mais pas
graduellement t3 et e4 après quoi le jeu 37. ... fxe4? 38. Cxe4 Cxd5 39. Fg5
blanc s'étend comme un organisme en Fe7 40. Txf7! Rxt7 41. Th7+ Re6 (ou
pleine croissance. 41. ... Rg8 42. Cf6+ suivi de mat)
8. Cg3 Fe6 9. Fd3 Cbd7 10. 0-0 c6 42. Cxc5+ Rd6 43. Cb7+ et gagne.
11. Fd2 Te8 U. Del aS 13. Cce2! 36. Txf6! Cg4.
De subtiles manœuvres commencent Ou 36. ... Fe7 37. Fg5.
sur les deux ailes, basées sur le but des
Blancs de jouer e4, qui requiert d'eux la
protection des cases d4 et g4. 8
13 Cb6 14. Cf4 Fd7 15. Tfel Ff8
lmliVI
• •••

7
16. f3FcS17. Tacl g6 18. Cfe2 Fg7 19. h3
a4 20. e4.
D'un point de vue classique, on peut
1111111 1111111 1 6

dire que les Blancs ont atteint l'objectif .t.1111 81 1 1 1 1 1 1 5

de leur premier coup. S'ils parviennent à


jouer e4-e5 et f4-f5, leur attaque se fera
.t.11 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 181 1 1 1 4

irrésistible. 1�1 1 1 1 1 1 1 1� l�
i ........I
3

20• dxe4 21. fxe4 Fe6 22. Fe3 Fb3


•••
1 �1 1r=1 811 1 1 1 1 1 2

23. Dd2 Cfd7.


Sinon Fg5, peut-être suivi de e5 et Ce4, 15 1 1 1 11 1 1 @
serait très inconfortable. Les Blancs A B C D E F G H

provoquent maintenant une faiblesse


avant de lancer une attaque à l'aile-roi. 37. Fg5! Fg7.
24. FgS f6 25. Fe3 Cf8 26. h4! Ft7 O u 3 7. ... C x f 6 38. Fxf6 Fg7
27. h5 Ce6 28. Til Ff8. 39. Fxg7 Rxg7 40. Dc3+ Rf8 41. Df6
Les Noirs veulent briser le puissant suivi du mat.
centre blanc par ... c5, gagnant un point 38. Tf4 Ce5 39. Ff6 Fxf6.
fort en e5. Mais ils arrivent trop tard. Accélère la fin. La pression du temps y
29. Tf2 Cd7 30. Tell cS 31. d5 Cc7 aura aussi joué un rôle. Par 39. ... Dd6
32. hxg6 hxg6 33. Tf4! b5 34. Th4 Ce5 les Noirs, avec un pion de moins, auraient
35. Rhl! Dd7? encore pu tenir un peu.

52
40. Txf6 Rg7 41. Dg5 Th8 42. Cf5+ 19. Ff4 Dxa4 20. Tal Dc6 21. Txa7 Ta8
Dxf5 43. Txf5 Txh4+ 44. Rgl. 22. Txa8 Txa8 23. h3 Ta3?
Les Noirs abandonnent.
Le secret des succès de Reshevsky dans Le 23e coup noir est impétueux. Le
l'adversité est une terrible habileté coup sûr, conservant l'équilibre, était
t a c t i q u e . N o n q u ' il r e ch e r c h e l e s 23. ... h6.
combinaisons o u les attaques à l'aile-roi Reshevsky conçoit une profonde ligne
- il est parfaitement satisfait par de de jeu à sacrifices basée sur la nécessité
lentes victoires positionnelles - mais il stratégique d'ouvrir le jeu pour ses deux
accueille favorablement les chances Fous. Il fallait prévoir de nombreuses
t a c t i q u e s d a n s l e s q u e l l e s il v o i t ramifications.
pratiquement toujours plus loin que son 24. d5 exd5 25. cxd5Dxd5.
adversaire. On l'a traité de matérialiste. Et non 25 . ... Cxd5 26. Fb5! De6
La beauté des Échecs n'est pas son but 27. Db2 et gagne.
conscient, encore qu'il ait joué des parties 26. Fc4Dc5.
splendides. Voici l'une d'elles. Reshevsky Des suites perdantes sont 26. ... Df5
joue pour le gain, avec des résultats esthé­ 27. De7! et 26. ... De4 27. Fxt7+, de
tiques. même que 26. ... Dc6 27. Fxt7+ Rxt7
28. De7+ Rg8 29. Dx a3 (le revers de la
m é d a i l l e d u 2 3 e c o u p n o i r !) . En
S. Reshevsky-J.H. Donner revanche, on peut jouer 26 . ... Dh5
Deuxième coupe Piatigorsky 1966 27. Cg5 Dxe2 28. Fxt7+ Rh8 29. Txe2
et les Blancs ont une finale un peu supé­
rieure.
Les premiers coups furent ceux d'une
27. Fxt7+.
Défense Nimzovitch : 1. d4 Cf6 2. c4 e6
La pointe ! Maintenant le grand-maître
3. Cc3 Fb4 4. e3 c5 5. Fd3 d5 6. Cf3 0-0
h o ll a n d a i s p e u t s e d é f e n d r e p a r
7. 0-0 dxc4 8. Fxc4 Cbd7 9. Fd3 b6
27. ... Rh8, mais confondu en voyant que
10. a3 cxd4 11. exd4 Fxc3 12. bxc3
le jeu s'écarte de la suite attendue, il
Fb7 13. Tel Dc7 14. Fd2 Tfe8 15. De2
décide fautivement de miser sur le « bluff
TacS 16. Tacl Fd5 17. c4 Fb7 18. a4 Dc6
de Reshevsky ».
27• ••• Rxt7 28. De6+ Rg6 26. Fd6.
Le séduisant 29. Ch4+ Rh5 30. Cf5 -
8
dans l'espoir de la jolie suite 30. ... Dc6?
111111 31. Dt7+ g6 32. Dxh7+ Cxh7 33. g4

Il!'.: 6
mat - est paré au moyen de
30 .... Fxg2!
111111 5
29. ... Da5 30. CeS+! Cxe5 31. Txe5

1 4 T al+ 32. Rh2 D a 8 3 3. D f 5 + Rf7


34. Te7+ Rg8.
111
""""
b 3
Le Roi s'échappe en regagnant ses

1111111 111111 2 pénates.


35. Fe5 Tel 36. Txg7+!
16 1 11111 1=1 Les Noirs abandonnent.
A B c D E F G H Le mat est forcé.

53
Invité à donner la liste de ses parties 24. ... d5 25. Ff4(?).
favorites, Reshevsky cite ses victoires sur Meilleur est 25. Fa3 afin de prévenir ce
les grands, quatre champions du monde qui suit.
inclus. Il est significatif qu'il n'ait pas 25. ... c4! 26. Dd2.
choisi ses réussites les plus artistiques, Le mieux. Si 26. bxc4, alors Fb4 suivi
mais ses succès compétitifs sur les titans. de Fxa5, ou 26. Dc3 cxb3 27. cxb3
Voici une de ses parties favorites qui dxe4 et les Noirs ont gagné un pion.
montre aussi son art dans un milieu de 26. ... cxb3 27. cxb3 d4 28. b4 Fb3
jeu d'attaques et de parades inextricables. 29. Tbl Df7 30. Fc7! Dxc7 31. Txb3 f5!
32. Dd3.
Év i t a n t 32. e x f 5? D f 4! 33. Ddl
P. Keres - S. Reshevsky Txel+ 34. Dxel d3.
Première Coupe Piatigorsky 1963 32. ... fxe4 33. Txe4 Txe4 34. Dxe4
c5 35. bxc5 Dxc5 36. g3.
Les coups initiaux furent ceux de la Sur 36. Del, Reshevsky envisageait
Partie espagnole : 1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 36. ... d3 37. Tb2 d2! 38. Txd2 Dxa5, et
3. Fb5 a6 4. Fa4 Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel d6 si les Blancs peuvent conserver l'égalité
7. Fxc6+ bxc6 8. d4 Cd7 9. Cbd2 f6 matérielle par 39. Cc4 Dc3 40. Ddl Txd2
10. Cc4 Cb6 11. Ca5 Fd7 U. Dd3 0-0 41. Cxd2, le pion passé noir sur la
13. Fe3 Rh8 14. Tadl exd4 (forcé) colonne « a » devient formidable. Mais à
15. Cxd4 c5 16. Cf5 Te8 17. b3 Ff8 présent, avec un pion de plus (et passé
18. Fel Fe6 19. Ce3 Dd7 20. a4 c6 éloigné) et un pion « d » passé qui ne
21. Cac4 Cxc4 22. Cxc4 Tad8 23. Cb6 demande qu'à avancer, les Noirs ne
Db724. a5. devraient plus avoir de mal.
36. ... Dxa5 37. Dd3 Del+ 38. Rg2
a5 39. Df3 De6 40. Tb5 Fb4 (?).
8 Au dernier coup avant le contrôle de
temps, les Noirs trébuchent. Beaucoup
plus rapide est le direct 40. ... d3, par
6 exemple 41. Cd5 d2 42. Txa5 Del
5 43. Ce3 dlD 44. Cxdl Dxa5. Après
l'ajournement, Reshevesky fait toutefois
4
montre d'un jeu élégant plein de pièges
3 lui permettant de mener ses pions passés
à la victoire.
2
41. Cd5 Dd7! 42. Dd3 Dc6 43. f3 (voir
diagramme 18).
43. ... Fd2! 44. Ce7 De8 45. Cd5.
A 8 C D E F G H
Le Pion « d » est intouchable, par
exemple 45. Cf5 Fb4 46. Cxd4 h6 47. Tf5
L'avantage d'espace des Blancs qui Dd7 48. Tf4 Fc5 et le Cavalier est perdu
n'ont pas trouvé le temps de jouer c2-c4 a (Reshevsky).
é t é n e u t r a l i s é . R e s h e v sky g a g n e 45. ... a4 46. Tc5 Fe3 47. Df5!
maintenant d u terrain a u centre et ouvre Keres menace du diabolique 48. Cf6!
le jeu pour activer ses Fous. Dg6 (ou 48. ... gxf6 49. Dxf6+ Rg8

54
plaisanterie ! Si 55 . Cxb2, le pion va à
Dame . La finale est sans espoir pour les
Blancs, car un Cavalier est impuissant
contre un Fou soutenant un Pion passé
éloigné. Le reste est un jeu d'enfant pour
Reshevsky : 55. Rg4 Rf6 56. Rf3 a3
57. Cb4 Re5 58. Re3 Fd4+ 59. Rd3 Fc5
60 . Ca2 Fgl 61 . h3 h5 62. Cb4 Fc5
63 . Ca2 Ff2 64 . g4 h4 65 . Cb4 Fc5
66. Ca2 g5 67. Cc3 Fa7 68. Ca2 Rf4
69. Cc3 Fb8 70. Rc2 Fe5 71. Cd5+ Rg3
72. Rb3 R x h3 73. Ce3 Rg3.
A B C D E F G H Les Blancs abandonnent.
Un combat intense et admirable . Avec
50. Tc7 Td7 5 1 . Dc6! Td8 52. Df6 tenant son manque de préparation et son
la nullité) 49 . Tc8 ! . Reshevsky souligne incapacité à se débarrasser de l'habitude
que 47. Ta5 h6 48 . Cb6 Dc6 49 . C x a4 du « zeitnot » par des méthodes connues
Tf8 50. De2 g5 donnerait aux Noirs de des entraîneurs soviétiques, Reshevsky
bonnes perspectives d'attaque. A présent, octroya en effet des avantages à ses rivaux
il n'y a qu'une solution pour les Noirs, et pour la supériorité mondiale, fournissant
elle est gagnante : 47 . ... d3! cependant un exemple impressionnant de
Reshevsky prép are s o n contre : ses possibilités individuelles.
48 . Cf6? Dg6 49 . Tc8 Fb6 ! . C'est un En 1957, le monde eut la surprise de
truisme que dans les Échecs modernes, voir la suprématie de Reshevsky sur les
les suites brill antes restent dans les notes . Échecs américains mise en question par
En rendant un pion, Reshevsky force un adolescent âgé de 14 ans, Bobby
maintenant une finale gagnante . Fischer. Reshevsky accepta cette éclipse
48. Tc3 Fd4 49. T x d3 De2+ 50. Rh3 de bonne grâce , restant un adversaire
g6! 51. De4 D X e4 52. fX e4 Fb2 53. Cb4 redoutable. Plus tard, les « nullités de
T x d3 54. C x d3 Rg7. grand-maître » firent leur apparition dans
Reshevsky se permet même une petite son jeu, et il leur donna la préférence sur
la course continuelle au bord de l'abîme,
menacé par le dangereux index de la
pendule. Il est maintenant rare de le voir
gagner un tournoi ou perdre une partie.
En 1968 , à l'âge de 57 ans, il fit sa
dernière tentative en direction des
honneurs mondiaux, atteignant les quarts
de finale des matches de candidats .
Reshevsky, le grand lutteur au sûr instinct
ne vieillira jamais, il mûrira seulement (*) .

(*) Reshevsky n'a pas dételé . A 73 ans, il

1985 à l'Open de Lugano, il décrocha un prix.


partagea le premier prix à Reykjavik en 1984, et en
A B C D E F G H

55
9 Keres : l'esprit de l'attaque

Nous sommes en 1944, pendant la fait ses débuts internationaux au tournoi


guerre, à Tallinn, Estonie. Au club olympique de Varsovie en 1935 . Il y joue
d'Échecs, la réflexion des joueurs est s a fam e u s e p artie contre Win ter ,
interrompue par le fracas d'un raid aérien. sacrifiant d'abord des pions puis une
Un seul homme renonce à chercher refuge fi g u r e p o u r u n e a t t a q u e d e m a t
dans les abris et explique : «J'endurcissais dévastatrice qui lui donne l a victoire en
mes nerfs pour le championnat du dix-neuf coups. En une nuit, la naissance
monde. » C'est Paul Keres. d'un nouveau Morphy fut proclamée .
Bien qu'il reconnût rapidement la
nécessité de donner une assise à cette
avalanche de coups tactiques dès qu'il
En abordant les turbulentes années avait à faire à un grand-maître, des années
trente , nous avons vu comment les durant Keres demeura fidèle à la grande
joueurs nouveaux ont dû faire face à la tradition du jeu d'attaque qui n'avait
difficulté de réaliser la synthèse des jamais cessé de ravir le public. Cela ne
a n ci e n n e s et d e s n o u v e l l e s i d é e s signifiait pas qu'il dédaignât les exigences
stratégiques de l a position, e t comment positionnelles , mais de longues parties
Alekhine est allé au-delà, jusqu'à un fermées de manœuvres n'étaient pas de
nouveau style dynamique . son goût. Les hasards des tournois le
Un jeune joueur se trouvait en marge mettaient souvent face à des adversaires
de ces arguments stratégiques raffinés. Il modernes ayant une approche techmque.
jouait plutôt de la façon ouverte et directe En 1937, il écrivit : « La véritable beauté
qui était chère aux vieux maîtres aux É checs consiste en une lutte
romantiques. Au moyen de jeux ouverts fondamentale entre deux tendances
et de gambits, il cherchait le mat. Il totalement différentes . . . C'est la multi­
s'appelait Paul Keres et le monde des plicité des styles et des personnalités qui
Échecs allait bientôt le reconnaître parmi confère aux Echecs son attrait magique . »
son élite . Cette idée des Échecs est merveilleu­
Keres était né à Narva, Estonie, en sement humaine et comme elle diverge
1916. Tout jeune, il tombe amoureux de des exercices dépersonnalisés des joueurs
C aï s s a e t , d a n s d e s p a r t i e s p a r mécanisés ! A l'échiquier, Keres cachait
correspondance sans nombre , il explore ses émotions intérieures sous une froideur
les possibilités créatrices des Échecs . Il apparente .

56
Dans de nombreuses parties de Keres, 9. ... Dc4?
son adversaire ne sait que trop qu'il se
trouve en face d'un des plus grands 8
joueurs d'attaque de tous les temps. Il
7
commet rapidement des erreurs et
s'effondre bientôt sous une avalanche de 6
coups de massue. La Défense Sicilienne,
5
avec son retard de développement initial,
est particulièrement vulnérable au 4
« traitement Keres ». Pour de telles
3
p art i e s , P .H. C l a rke a i n v e n t é
l'expression« Sicilicide ». 2

A B C D E F G H
P. Keres - A. Kotov
Budapest 1950
10. Cxe6! Dxe6.
Défense Sicilienne
O u 1 0 . . . . C x h 5 1 1 . D d 5!
(11. ... Dxd5 12. Cc7 mat).
1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 cxd4 4. Cxd4 11. Cd5 Rd8.
Cf6 5. Cc3 a6 6. Fe2 Dc7 7. Fg5 Cbd7 Au lieu de ce coup, 11. ... Cxd5
8. 0-0 e6. 12. exd5 Df5 eût été un test plus sérieux
Cet ordre de coups contre la variante pour les Blancs. Le coup gagnant est
Najdorf n'est pas dangereux si les Noirs alors 13. Del+ Ce5 (ou 13 . ... De5
se défendent convenablement. Mais 14. Dd2 Df5 15. Tael +) 14. f4 h6 15. g4!
Keres a préparé une façon inhabituelle de Dh7 16. fxe5 (Kmoch). Nous voyons ici
confondre son adversaire. pourquoi la Dame doit donner Échec en
9. Fh.5! elet non en e2: 16. ... hxg5 17. exd6+
La menace 10. Cxe6 interfère avec le Rd8 18. Da5+ suivi du mat. Ou 16. ... g6
confortable plan de développement du 17. exd6 + Rd7 18. Fe7!
grand-maître Kotov. Si 9 . ... Cxh5 Keres avait-il prévu tout cela dans le
10. Dxh5 (renouvelant la menace) détail quand il a sacrifié le Cavalier ? En
donnerait aux Blancs un dangereux aucun cas. Il a clairement établi que :
avantage temporel ; 9. ... Cb6 10. Fxf6 « une combinaison ne doit pas toujours
permettrait un doublement ennuyeux des être correcte à 100 % pour conduire au
pions. Après 9. ... g6 10. Fe2, les Blancs succès». Il n'essayera pas de forcer des
reconnaîtraient qu'ils ont perdu deux positions ou d'entreprendre quelque
temps afin de « forcer» les Noirs au chose de nettement malsain, mais il sera
fianchetto de leur Fou-roi, laissant le pion toujours prêt à prendre des risques afin
d6 quelque peu affaibli, encore qu'il de gagner des parties. Dans ce cas, il a
s'agissait pour les Noirs de la bonne façon estimé justement, après une longue
de procéder. Kotov semble toutefois réflexion, qu'il aurait les meilleures chan­
déterminé à développer son Fou en e7 et ces.
il se montre peu « coopératif». Il va s'en 12. Fg4! De5.
mordre les doigts sur-le-champ... Ou 12. ... De8 13. Dd2!

57
13. f4Dxe414. Fxd7 Fxd7. Très bon, mais Keres suggéra plus tard
Ou 14. ... Rxd7 15. Fxf6 Rc6 16. c4! 11. c4! pour ouvrir le jeu plus rapidement.
gxf617. Da4+ et gagne (Keres). 11. ... Cg e712. Fb20-013. Cxc6.
1 5 . Cxf6 g xf6 1 6 . F xf6 + R c 7 Renforce temporairement la formation
17. FxhS. des pions noirs afin d'effectuer ensuite un
Et avec la qualité et un pion de plus, travail de sape.
les Blancs gagnèrent aisément. Les coups 13. ... bxc6 14. c4 F e6 15. D c2 dxc4
restants furent : 17. ... F c6 18. Dd2 Fh6 16. Fxc4 Fxc417. Dxc4 TtbS.
19. Ta el Dg6 20. T e7+ RdS 21. T fel a5 Les Noirs essayent de couvrir les
22. F d4 Ta6 23. Df2 F f8 24. Fb6+ RcS faiblesses de leur aile-dame uniquement
2 5 . T e 8 + F xe S 2 6 . T xe S + R d 7 pour découvrir que leur aile-roi est sans
27. Txf8. Les Noirs abandonnent. défense, après le mouvement de Cavalier
Keres sait aussi accumuler de petits que les Blancs préparent avec leur coup
avantages jusqu'à ce qu'il soit prêt à la suivant.
percée décisive. Voici une partie d'une 18. h3 Tb5 19. Ta cl T cS 20. T f dl Cg6
des compétitions-phares de !'Histoire des 21. C d4 Tb6.
Échecs, dont Keres remporta le premier
prix. Elle marqua le déclin définitif de la 8
vieille génération.
7

6
P. Keres - J.R. Capablanca
5
Tournoi A.V.R.O. 1938
Défense Française 4

3
1. e4 e6 2. d4 d5 3. Cd2.
Keres préfère bien entendu les 2

positions ouvertes résultant d u coup du


texte aux formations fermées avec e4-e5. 21
3. ... c5 4. exd5 exd5 5. Cgf3 C c6 A 8 C D E F G H

6. Fb5De7+.
C a p a b l a n c a choisit ce coup peu L'aveu d'un plan fautif, car 21. ... Td5
attrayant au lieu de l'habituel 6. ... Fd6, fonce dans 22. Cxc6! Txdl+ 23. Txdl
car il espère peut-être échanger les Dames Dxc6 24. Txd6 et les Blancs gagnent un
pour annuler rapidement. Mais Keres pion.
perd volontiers un temps, sachant que la 22. Ce6! DbS!
Dame noire devra rejouer bientôt. La meilleure défense. Si 22. ... Fh2+
7. F e2 cxd4 8. 0-0D c7. 23. Rhl fxe6 24. Dxe6+ Rh8 25. Td7
Ce coup et le suivant des Noirs les et gagne. Keres dédaigne maintenant
forcent à perdre un autre temps au 23. Cxg7 Fe5 24. Fxe5 Cxe5 (et non
lüe coup. Dans une partie de match 24 . ... Dxe5 25. Dg4!) 25. Dc3 Rxg7
contre Geller en 1968, Spassky choisit 26. f4 ; la structure de pions démolie
8. ... Dd8 sans réhabiliter complètement donne aux Blancs d'excellentes perspec­
la variante. tives. Le coup qu'ils choisissent est aussi
9. Cb3 F d610. Cbxd4 a611. b3. très bon.

58
23. Cg5 Tb7 24. Dg4 Ff4 25. Tc4 Tb5? les plus élevés sont allés à ceux dont le jeu
A nouveau un mauvais coup de la révélait plus de subtilité et d'habileté
Tour . N é c e s s aire e s t 25 . . . . F x g5 défensive , Smyslov et Petrossian.
26. D x g5 , bien que les Blancs gardent D a n s l a t r a d i t i o n d e l ' a t t a qu e
une forte pression sur tous les fronts. romantique , Keres préféra les ouvertures
26. C x t7. du pion-roi menant à des jeux ouverts.
Le Cavalier continue sa vie de rêve, Les ouvrages théoriques qu'il écrivit sur
puisque si 26 . . . . R x t7 le gain est obtenu ces ouvertures font autorité . Il ne
par 27. Td7 + . Plus tard, Keres indiqua dédaignait cependant pas non plus les
un gain plus simple : 26. T x f4 ! T x g5 (ou ouvertures du pion-dame débouchant sur
26 . . . . C x f4 27 . C x f7 Cg6 2 8 . Cd6) des attaques formidables. Dans la partie
2 7 . D x g 5 D x f4 2 8 . T d 8 + T x d 8 suivante, il saisit le moment de transposer
29 . D x d8 + Cf8 30. Fa3 c5 3 1 . Dc8 ! dans une attaque à l'aile-roi.
(durant la partie , il n'avait vu que
31 . F x c5?? Del + ) suivi de 3 1 . F x c5 et
gagne .
P. Keres - V. Smyslov
26 Te8 27. g3.
Tournoi du championnat du monde
• •••

Plus direct est 27 . Cd8 T x d8


de 1948
28 . T x d8 + D x d8 29 . T x f4 ; mais
Défense Grünfeld
l'amélioration proposée après le coup du
texte , 27 . . . . F x g3 , perd à cause de
28 . f x g3 Da7 + 29. Tcd4! (Reinfeld) et 1. c4 Cf6 2. Cf3 c6 3. Cc3 d5 4. e3 g6
les Blancs ont une attaque gagnante . 5. d4 Fg7 6. c x d5 C x d5.
27 . . . . Dc8 28. T x f4 D x g4 29. T x g4 Restant fidèle à l'esprit de la défense
Rxtï 30. Td7+ Te7 31. T x e7+ R x e7 qui, après une activation du Fou-Roi,
32. F x g7. passe par c6-c5 ou e7-e5 . 6 . . . . c x d5 est
Avec deux pions de plus, le reste est toutefois plus solide .
simple : 32 . . . . Ta5 33 . a4 Tc5 34. Tb4 7. Fc4 0-0 8. 0-0 b6 9. Db3 C x c3
Re6 35 . Rg2 h5 36. Tc4 T x c4 37. b x c4 10. b x c3 Fa6 11. Fa3 F x c4 112. D x c4
Rd6 38. f4. Les Noirs abandonnent. Te8 13. e4 b5 14. Db3 Cd7 15. c4 Tb8.
La dévotion de Keres pour les Échecs Ici et au coup suivant, Smyslov rejette
est demeurée au travers des années . la chance d'égaliser par . . . b x c4 suivi de . . .
Quantité de victoires en tournoi, trois Da5 . Cette décision est courageuse ; il
c h a mp i o n n a t s d ' U R S S i n c l u s l u i prévoit que le centre blanc va être
revinrent, mais l a chance d e décrocher le surétendu, mais il sous-estime un autre
titre mondial lui a toujours échappé : il danger . . .
resta toute sa vie à la seconde place, ce 16. Tadl Da5?! 17. c5!
qui lui valut l'appellation de « Paul le Keres a aussi du courage. Il dit un
second » (*) . Passé l'âge de 50 ans , son jour : « Celui qui ne prend jamais de
jeu demeura puissant, mais les honneurs risques ne gagne jamais de partie ! »
Les événements sont maintenant
for c é s . L e s B l an c s m e n a c e n t d e
restreindre sérieusement leur adversaire
(*) Il suffit qu'il ait battu sur l'échiquier pas par e5 tandis que les Noirs essayent de
moins de neuf champions du monde. briser le centre pour ne réussir qu'à se
59
retrouver face à un assaut à l'aile-roi Après ce coup, il n'y a plus d'espoir.
typique pour Keres. La seule chance est 22. ... h6 23. f6 Fxf6
17. ... b4 18. Fb2 e5! 24 . Txf6 Cd7 (et non 24 . ... hxg5
25. Fxd4 Ce6 26.Tf5 gxf5 27. Dh8 mat)
8 25.Td6 Dxg5 26.Txd7Txd7 27. Dxd7
c5 et l e s No i r s o n t u n e c e r t a i n e
contrepartie pour l a figure.
23. f6 Fh6.
Maintenant 23. ... Fxf6 24.Txf6 Cd7
5
est sans objet : 25. Dg3! et gagne.
4 24. fXe7 Fxg5 25. Df3! f6.
Ou 25 . . . . D x a 2 26. D g 3 F e 3 +
3
27. Dxe3 dxe3 28. Td8+ e t gagne.
2 26. Fxd4 Cd7 27. h4.
Les Noirs abandonnent.
22 Si 27 . ... Fxh4 28. Dh3 gagne une
A B C D E F G H figure. Malheur à celui qui s'expose à une
« Attaque-Keres».

19. Cg5! Te7 20. f4! exd4. Bien que des méthodes plus tranquilles
S u r 2 0 . ... e x f 4 l e s No i r s s o n t soient souvent nécessaires contre l'élite,
étroitement ficelés par 21. e5 ; si dans les parties de Keres, on en rencontre
2 0.... h6, alors 21. Cxf7!Txt7 22. fxe5 toujours qui portent sa marque. La
et gagne. s u i v a n t e d é c i d a d ' u n m a t ch d e
21. f5! qualification pour les compétitions de pré­
La situation est soudain complexe et tendants.
pleine de dangers pour les Noirs qui sont
en outre pressés par la pendule. Les
menaces sur t7 sont les plus aiguës. Parmi
P. Keres E. Geller
les nombreuses possibilités, une ligne de
-

8e du match 1962
jeu hasardeuse est 21. ... Ff6 22. fxg6
Gambit de la Dame refusé
hxg6 23. Cxf7! Txf7 24. e5 Cxc 5
25. Dg3! Fg7 26. Txt7 Rxt7 27. e6+
Cxe6 28. Dxb8 et le Roi noir est 1. d4 Cf6 2. c4 c6 3. Cf3 d5 4. Cc3 c5.
dangereusement dénudé. Le choix de la Défense semi-Tarrasch
Dans ses commentaires, Keres montra peut déjà être considéré comme une
ensuite la meilleure défense : 21 . ... erreur de la part du grand-maître Geller,
Dxc5! 22. e5! (meilleur que 22. Cxt7 bien qu'elle ne soit que purement
d 3+ 23. R h l D c 2!) 22 . ... D x e 5! psychologique car elle amène justement
23. Fxd4 Dxd4+ 24. Txd4 FxD4+ le genre de position ouverte et agressive
25. Rhl Cf6 avec des compensations qu'affectionne Keres.
matérielles et des « possibilités de com­ 5. cxd5 Cxd5 6. e3 Cc6 7. Fc4 Cxc3
bat». 8. bxc3 Fe7.
Smyslov choisit de chasser la Dame Les Noirs commencent à rentrer dans
blanche de sa dangereuse diagonale. une construction inconfortable. Il fallait
21. ... CXc5 22. Dh3! h5 (?) considérer 8 . ... cxd4 9. cxd4 Fb4+, ou

60
si 9. exd4, les Blancs ne parviennent plus Ce coup est perdant. 18. ... Fc3 coûte
à retrouver le modèle de la partie. bien un pion après 19. Fxh7+ Rxh7
9. 0-0 0-0 10. e4 b6 11. Fb2 Fb7 20. Dd3+ mais permet une plus longue
12. De2CaS13. Fd3TcS14. Tadl cxd4. résistance. Intéressant mais insuffisant est
Contre l'imposant centre des Blancs et 18. ... g6 19. Dg4 (plus simple est 19. Cg4
leurs chances d'attaque, les Noirs f6 20. Dxe7 Fxe7 21. d6 Fd8 22. d7 Tc7
cherchent des échanges afin de faciliter 23. Fa3 - Keres) 19. ... Fc3 20. Fxc3
leur jeu. Le coup du texte, part intégrante ( 2 0 . T f el e s t a u s s i i n t é r e s s a n t)
de ce plan, rend seulement le centre 20. ... Txc3 21. Tfel Dd6 (ou 21. ... Dc5
blanc plus dynamique. Meilleur est 22. d6!) 22. Dd4 Dc5 23. Dxc5 Txc5
14. ... Dc7. Et le coup suivant des Noirs 24. d6! et les Blancs ont la meilleure
est logique mais découle d'un mauvais finale.
jugement en permettant une menace thé- Dans la dernière variante, une jolie
·

matique. idée est 22. Cxg6!? hxg6 23. Te6! Fc8!


15. cxd4 Fb4!? 24. Fxg6 fxg6 ; les Blancs n'ont pourtant
que l'échec perpétuel.
Le coup de Geller, qui cherche à forcer
8
l'échange des Dames, rappelle le jeu de
7 Lasker contre Reshevsky (page 50) : la
poursuite opiniâtre d'un plan discutable.
6
Mais l'idée d'attaque de Keres est
5 splendide car les figures noires ne servent
pas à la défense de leur Roi.
4
19. Dh5! g6.
3 Ou si 1 9 . . . . h6 20. Dg6! fxe5
2
21. Dh7+ Rf7 22. Fg6+ Rf6 23. Fh5!
avec un attaque écrasante.
23 20. Cxg6 hxg6 21. Fxg6 Dg7.
A B C D E F G H
Il n'est plus temps de ramener du
matériel pour défendre le Roi dénudé,
par exemple 21. ... Cc4 22. Td3 ! Fd6
16. d5! exd5. 23. f4 Fxf4 (ou 23. ... Cxb2 24. Tg3 Dg7
Après ce coup, toutes les forces 25. Fh7+ Rh8 26. Ff5+ Rg8 27. Txg7+
blanches vont ressusciter. Geller n'a pas Rxg7 28. Dh7 mat) 24. Txf4 Cxb2
plus de goût que Keres pour une défense 25. Fh7+ Dxh7 26. Tg3+ Rh8
patiente. Il est vrai que l'idée primitive 27. Dxh7+ Rxh7+ 28. Th4 mat.
16. ... Fc3 est réfutée par 17. Fa3 Te8 22. Td3 Fd6 23. f4 Dh8 24. Dg4 Fc5+
18. Fb5 ; mais 16. ... De7 est plus sensé 25. RhlTc7 26. Fh7+ Rf7 27. De6+ Rg7
et meilleur. 28. Tg3+.
17. exd5 De7! Les Noirs abandonnent car le mat par
Faibles seraient 17. ... Te8 18. Ce5! f6 Dh3 est imparable.
19. Dh5, ou 17. ... Fc3 18. Ff5!, ou Rejouer les parties de Keres, c'est
17. ... Fxd5? 18. Fe4 Te8 19. Ce5 Tc5 participer à une riche légende créative
20. Dd3, ou 17. ... Dxd5?? 18. Fxh7+. conservant son parfum propre pendant
18. Ce5! f6. trois décennies. Elles révèlent l'art de

61
l'attaque dans notre milieu symbolique et voyons exprimer sous la forme
purement intellectuel. Ceux qui étudient symb olique des Échecs , l ' esprit
le caractère social de notre époque sont élémentaire de l' Attaque. Les résultats
par trop exclusivement préoccupés . par sont positifs pour tous ceux qui sont initiés
des phénomènes de l'agressivité humaine à notre sport esthétique et dramatique.
et de ses proches conséquences. Dans Le monde serait meilleur si toutes ses
l'art de Paul Keres, le plus amical et le guerres se disputaient sur le champ de
plus paisible des lutteurs fraternels, nous bataille des soixante-quatre cases (*) .

(*) Keres reste toujours fidèle à lui-même, bien

j'estime les pions » . Il nous quitta prématurément


que déclarant plus tard : « Plus je vieillis, plus

en 1975 alors qu'il revenait du Canada où il avait


remporté le tournoi de Vancouver.

62
Bronstein la j oie de l'invention 10

« Les Échecs, c'est l'imagination. » gladiateur , avec s o n flair pour la


D . Bronstein combinaison, fut accueilli avec régal par
un public parfois ennuyé par les œuvres
des techniciens. Arrivait enfin un joueur
A la fin du dix-neuvième siècle, ce fut qui cherchait à inventer de nouvelles voies
Tchigorine , au début du vingtième , pour ceux qui considéraient les Échecs
Marshall ; plus tard, Rudolf Spielmann comme un royaume ou l'imagination
p o rt a l a b annière d ' une glorieuse humaine devait pouvoir se donner libre
tradition . D ans les années quarante , cours.
Caïssa choisit Bronstein pour relever le En recherchant des idées nouvelles, on
flambeau de son héritage romantique. revient souvent au point de départ d'idées
David Bronstein est né , près de Kiev, anciennes. Dans la partie suivante , il n'est
URSS , en 1924. Dès son adolescence, il pas facile de déterminer la part revenant
succomba irrémédiablement aux charmes à la préparation et celle due à l'inspiration
de Caïssa. Bientôt le monde des Échecs spontanée . Le produit fini aurait pu être
soviétiques , qui ne manquait pas de joué voilà un siècle .
joueurs talentueux, découvrit l'existence
d'un nouveau type d'étoile inattendu .
Dans ce milieu soviétique à la mode ,
D. Bronstein - P . Doubinine
dominé par Botvinnik avec son approche
Championnat d'URSS 1945
scientifique précise , surgissait un jeune
Gambit du Roi
homme, qui possédait un tel amour pour
les Échecs créatifs et une telle audace ,
qu 'il essayait , et rien moins qu' au 1. e4 e5 2. f4!? e x f4 3. Cf3 g5.
championnat national , une ouverture L'esprit des vieux maîtres italiens !
antique et discréditée de l'ère roman­ L'adversaire relève le défi en tentant,
tique , le Gambit du Roi ! Cela signifiait comme autrefois, de garder à tout prix le
une partie laissant une vaste place à un pion du gambit.
jeu de figures imaginatif, abondant en 4. h4 g4 5. Ce5.
sacrifices et en attaques directes contre le Parmi le fouillis de variantes d'une
Roi, absolument étrangère à toutes les ouverture riche en possibilités, nous avons
techniques méthodiques construites ici le Gambit Kieseritzky. Il est important
depuis l'époque de Steinitz. Le nouveau pour les Noirs de penser à présent à leur

63
développement, par exemple 5.... Cf6 Dirigé contre la pénétration d'une Tour
ou 5. ... Fg7. Au lieu de cela, les Noirs blanche en g5. Maintenant le zèle agressif
concèdent une dangereuse avance de de Bronstein ne laisse plus de répit.
développement. 13. Txf4+ Rg7 14. Dd2 d6 15. Tafl
5. ... h5?! 6. Fc4 Th7? Cd8 16. Cd5 Fd7.
Ou 16. ... c6 17. Cc7! Tb818. Ce8+.
17. e5! dxe5 18. dxe5 Fc6.
8

7
8
6
7
5
6
4
5
3
4
2
3

24 2
A B C D E F G H
25
A B C D E F G H
Se souvient-on d'une autre partie de
maîtres où la première figure à être
développée fut une Tour? Nécessaire est 19 . e 6 ! F x d 5 2 0 . T f 7+! C x f 7
6. ... Ch6 7. d4 d6 et les Blancs peuvent 21. Txti+ RhS.
choisir entre le «très fort » sacrifice en f7 Ou 21. ... Rg6 22.Dd3+ suivi du mat.
(Keres) et le plus tranquille 8. Cd3 f3 22. Dc3+ Cf6 23. Txf6 Dxf6.
9. gxf3 Fe7 10. Fe3 Fxh4+ 11. Rd2 La seule possibilité d'éviter le mat
gxf3 12. Dxf3 et «les Blancs ont un immédiat.
avantage lié à de nombreux soucis » 2 4 . D x f 6+ Rh7 2 5 . D f 5 + R h 6
(Ro m a n o v ski ). L e c o u p du text e 26. Dxd5 Rg6 27. Dd7.
«provoque » un sacrifice qui se révèle Les Noirs abandonnent.
décisif. Ce sont de telles parties qui font des
7. d4 Fh6 8. Cc3 Cc6 9. Cxti ! Txti Échecs un sport destiné aux spectateurs.
10. Fxti+ Rxti 11. Fxf4! Comme Tchigorine, Bronstein était
Tout cela se trouve dans le vieil bien davantage qu'un nostalgique du
«Handbuch » qui considère la position passé romantique. Il considérait chaque
noire comme «sans espoir ». Nous rencontre en tant que défi créateur,
ignorons si Bronstein a trouvé les coups cherchant toujours à produire quelque
sur l'échiquier. La suite des Noirs ne fait chose de neuf. Dans une très vieille
qu'aggraver leur situation, permettant un variante de la D é f e n s e des Deux
rapide doublement des Tours sur la Cavaliers, il sortit un nouveau coup
c o l o n n e «f » - u n e exp l o i t a t i o n ahurissant contre Rojahn à Moscou
thématique d e l'idée du Gambit d u Roi. 1956 : 1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fc4 Cf6
11. ... Fxf4 U. 0-0 Dxh4. 4. Cg5 d5 5. exd5 Ca5 6. d3 h6 7. Cf3 e4

64
8. dxe4!?. Une grenade. Dans des Bronstein était à la pointe des nouvelles
centaines de parties, personne auparavant idées dynamiques qui ont éclipsé les
n'avait eu l'idée dans cette position de dogmes classiques. Il se fit le pionnier des
donner un Fou pour deux pions ! Après possibilités dynamiques de la Défense
8.... Cxc4 9. Dd4 Cb610.c4 c5 (meilleur Est-Indienne dans la partie suivante
est 10. .. Fb4+ avec de bonnes chances),
. reconnue désormais comme un jalon dans
Bronstein s'imposa. l'évolution de la théorie. Certains
Alors que l'exemple ci-dessus était postulats classiques y sont mis en miettes.
certainement une expérience faite d'un
cœur léger, la partie Spassky-Bronstein,
A m s t e r d a m 1 9 5 6, r e p r é s e n t e u n e
L. Pachman - D. Bronstein
profonde contribution à l a théorie des
Match Prague-Moscou 1946
ouvertures : 1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 Fg7
Défense Est-Indienne
4. e4 d6 5. f3 (la forte attaque Samisch
contre la Défense Est-Indienne). 5 e5 • •••

6. d5 Ca6 7. Fe3 Cb5 8. Dd2 Dh4+ 9. g3 1. d4 Cf6 2. c4 d6 3. Cc3 e5 4. Cf3


Cxg3! (Cela aboutit à un sacrifice de Cbd7 5. g3 g6 6. Fg2 Fg7.
Dame étonnant. 10. Ff2 n'est pas possible
à cause de 10. Cxfl 11. Fxh4 Cxd2) Nous avons maintenant l'Est-Indienne
10. Df2 Cxfl 11 Dxh4 Cxe3 12. Rf2
• qui, selon Reti, était « déjà mourante »
Cxc4. en 1924, probablement parce que les
Noirs obtenaient des positions crispées.
Les Blancs avaient plus de pions au
!. i i
8
centre, par conséquent, selon les critères

lll il ll l l l l l lil l 7 classiques, l'avantage. La résurgence de


cette défense impopulaire est due à des
'S\11 1 1 1 1 1 1 11 1 1 1 1 1 1 1 6
traitements dynamiques comme celui de

111111 lcil ll 1 1 1 1 1 1 1 5 Bronstein !


7. 0-0 0-0 8. b3.
1111111 Ici1 1 1 1 1 1 1 4
Ce coup semble une façon naturelle de
. . .1 1 1 1 1 3 développer le Fou-dame. Il fut aussi
adopté dans une partie sœur Zita­
1 1 1 1 1 1 1 1 ....... 2
Bronstein, au cours du même match, et
26 1111111 réfuté de manière à peu près identique. Il
A B c D E F G H était toutefois impossible pour Pachman
(qui allait devenir un théoricien de
premier plan) de prévoir ce qui allait
Bien que théoriquement les Noirs arriver. Selon des standards classiques,
n'aient pas d'équivalent matériel pour la les Blancs n'ont pas de faiblesses.
Dame, l'esprit ingénieux de Bronstein Aujourd'hui on préfère 8. e4 suivi de h3
avait prévu que la règle générale n'était et Fe3.
pas valable dans cette situation. Bien que 8 . ••• Te8 9. e4.
cette partie s'achevât par un échec, la Prévenant... e4 mais trop compro­
correction de ce sacrifice est aujourd'hui mettant. Le coup suivant de Bronstein
bien établie. eût é t é c e n s u r é p a r Tar r a s c h : il

65
« abandonne le centre » et occasionne Pressée sur tous les fronts, la position
sans tarder un pion-dame arriéré. blanche ne peut plus tenir. L'énergie
9. ... exd4! 10. Cxd4 C c5 11. Tel a5 dynamique du jeu noir fait maintenant
U. F b2 a4! e x p l o s i o n (N o t e r q u e l e n a t u r e l
Le 9e coup des Noirs a créé des 20. ... hxg3+ 21. fxg3 eût désamorcé
possibilités efficaces pour le Fou-roi noir toute la combinaison comme nous le ver­
sur la grande . diagonale ; la position rons).
malheureuse de son collègue blanc est 2 0 . . . . Txal! 2 1 . Txal Fxd 4
mise en évidence. Si 13. ou 14. b4 (ce qui 22. Txd4 Cxb3 23. Txd6.
était encore le moindre mal) alors... a3 L e s B l a n c s espèrent maintenant
suivi par ... Ce6 avec de bonnes chances 23. ... Cxal? 24. Cd5! Dxf2 25. Cf6+
pour les Noirs. Rh8 26. Cxe8 et la menace Dxal+
13. Tel c6 14. Fal axb3 15. axb3 sauve la journée. Le gain du pion arriéré
D b6! 16. h3 Cfd7. ne sera cependant pas une consolation
La situation s'éclaircit soudain. Les pour eux.
Noirs exercent une terrible pression sur la 23. .. . Dxf2!
grande diagonale, la colonne ouverte et La pointe. Si maintenant 24. Dxb3
les lignes contrôlées par la Dame. La alors 24 . ... hxg3+ 25. Rhl Fxh3 !
prépondérance théorique des Blancs au 26. Tgl Fxg2+ 27. Txg2 Dfl + 28. Tgl
centre est un mirage. Dh3 mat (si les Noirs avaient échangé
17. Tbl CfS 18. Rh2 h5. leur pion h4 au 20e coup, tout cela eût été
Se préparant à disputer les cases clés impossible). Les Blancs peuvent à présent
de l'aile-roi avec des menaces sur tout conserver la qualité mais ils perdent un
l'échiquier. Le naturel 19. f4 est à présent trop grand nombre de pions.
contré par 19. ... h4 20. g4 Cce6 et la 2 4 . Ta2 Dxg3+ 25. R hl Dxc3
structure blanche se met à vaciller. Juste 26. Ta3.
est 19. h4, mais les Blancs se décident Et non 26. Td3 Del.
pour une manœuvre incorrecte invitant à 2 6 . . . . Fxh 3 2 7 . Txb 3 Fxg 2 +
une combinaison dont ils pensaient 28. Rxg2 Dxc4 29. Td4 De6 30. Txb7
qu'elle pouvait être réfutée. Ta8!
19. Te2 (?) h4 20. Td2? Le Roi blanc est dépouillé. La Tour va
faire la décision sur la troisième,
8 deuxième ou première rangée.
31. De2 h3+.
7
Les Blancs abandonnent.
6 Une œuvre révolutionnaire du genre à
faire s'effondrer l'édifice des pensées
5
démodées.
4 Bronstein apprit à tempérer son flair
imaginatif par la nécessité d'enregistrer
3
des succès pratiques. Au cours des années
2 1948-51, il se hissa vers les sommets,
gagnant le droit de s'asseoir en face du
champion du monde Botvinnik pour un
A B C D E F G H match, titre en jeu, qui permit la

66
confrontation fort bienvenue de deux
8
écoles de pensée différentes. Menant d'un
point alors qu'il ne restait que deux 7

parties à jouer, Bronstein perdit son sang­ 6


froid dans la 23e partie qu'il abandonna
5
dans une finale où il conservait pourtant
encore quelque espoir. Finalement, la 4
technique l'emporta de très peu sur
3
l'imagination, et Botvinnik conserva le
titre par 12-12. 2
Une rencontre cruciale eut lieu à la
dernière ronde de la compétition des 28
candidats en 1950. Afin de rattraper A B C D E F G H
Boleslavski qui menait d'un demi-point,
Bronstein avait besoin de gagner à tout
prix contre Keres, le maître du jeu C'est le nouveau coup de Bronstein qui
d'attaque. En fin psychologue, Bronstein aurait pu être une inspiration du moment.
plaça un sacrifice de pion nouveau et Au lieu de l'habituel 10. Fe3, il est prêt à
accula son adversaire à la défensive. donner un pion pour la paire de Fous et
L'innovation était discutable, mais la des lignes ouvertes, comme Keres aime
victoire revint pour l'occasion au lutteur les avoir lui-même. Bronstein contraint
ayant fait preuve de plus de ressources. son illustre adversaire à accepter un
Bon nombre de critiques eussent ergoté, renversement des rôles inconfortable.
mais le grand Lasker eût indubitablement 10. ... Fxf3 11. Dxf3 exd4 12. D dl!
approuvé. dxc3 13. Cxc3 Ca5 14. Fc2 Te8 15. f4
b4 16. C d5 Cxd5 17. Dxd5 c6 18. D d3
g6 19. Rhl Ff8 20. Tf1 Fg7.
Les Noirs pouvaient simplifier par
20. ... d5 21. e5 Cc4 22. b3 Ca3 23. Fxa3
D. Bronstein - P. Keres
bxa3 ; le pion qu'ils ont de plus n'eût
Budapest 1950
alors pas eu grande signification.
Partie Espagnole
21. Fd2 c5?
Sous-estime le danger de la poussée de
pions qui va se produire sur la colonne
1. e4 e5 2. Cf3 C c6 3. Fb5 a6 4. Fa4 « f » et qui pouvait être rendue
Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel b5 7. Fb3 0-0 8. d4. inopérante par 21. ... Fxb2 22. Tabl Fg7
Le premier signe que quelque chose 23. Fxb4 d5 avec des chances égales.
d ' i n h a b i t u e l e s t en c o u l i s s e s. S i 22. Fa4 Tf8 23. Ta bl D b6 24. f5! Fd4
maintenant 8. ... Cxd4 9. Fxt7+ Txt7 25. D g3 C c4 26. Fh6 Fg7?
10. Cxe5 ou 8 . ... exd4 9. e5 Ce8 La position du Roi noir est soudain
10. Fd5 et les Blancs prennent l'avantage. critique. Donner la qualité par
La suite routinière est 8. c3 d6 9. h3 pour 26 . ... Cxb2 laissait plus d'espoir de
éviter le clouage que les Noirs peuvent défense. A présent, les Blancs tendent
placer ici. simplement un vieux réseau de mat fami­
8. ... d6 9. c3 Fg4 10. h3!? lier.

67
27. Fxg7 Rxg7 28. f6+ Rh8 29. Dg5 Porreca D. Bronstein
-

b3. Belgrade 1954


Une petite diversion. Egalement sans
espoir est 29. ... Dd8 30. Tf4 Tg8 31. Th4 Les coups d'ouverture furent ceux de
Df8 32. Th6 suivi de Dh4. la Défense Caro-Kann : 1. e4 c6 2. d4 d5
30. axb3 Db4 31. bxc4 Dxa4 32. Tf4 3. Cc3 dxe4 4. Cxe4 Ff5 5. Cg3 Fg6
Dc2 33. Dh6! 6. h4 h6 7. Ch3 Fh7 8. Fc4 Cf6 9. Cf4
Les Noirs abandonnent. Cbd7 10. 0-0 Dc7 11. Tel.

8 8

7 7

6 6

5 5

4 4

3 3

2 2

29 30
A B C D E F G H A B C D E F G H

Autrement ils se feraient mater par Comment les Noirs procèdent-ils quant
33. ... Dxbl+ 34. Rh2 Tg8 35. Dxh7+ à leur développement ? Roquer perdrait
Rxh7 36. Th4. le pion f7 tandis que 11. ... e6 permettrait
Bronstein put ainsi partager la première la démolition 12 . ... Fxe6. Bronstein
place après avoir battu Boleslavski dans résout le problème par un coup pour le
un match de barrage, il gagna le droit de moins original (*).
défier Botvinnik. 11 . Fg8!
•••

Après être devenu virtuellement « co­ Désormais les Noirs peuvent roquer
champion du monde » en 1951 à l'âge de tout à loisir ou jouer... e6 sans craindre
27 ans, Bronstein ne réussit jamais plus à de sacrifice. Ultérieurement, le Fou revint
regagner les sommets. Sa farouche en h7 avec un jeu normal.
volonté de vaincre, les attaques puissantes Plus tard, le jeu de Bronstein a révélé
qui avaient marqué son jeu, se firent une faiblesse pour l'expérimentation
moins évidentes. L'impulsion inventive pure. La lutte sur !'Olympe échiquéen se
était cependant demeurée, comme il poursuivit sans lui. Rétrospectivement, il
ressort de la position suivante. a dit de son match de portée historique
contre Botvinnik : «Gagner n'était pas si
important, mais il fallait montrer que sa
façon de jouer n'était pas la seule ».
La place de Bronstein dans !'Histoire
{*) On découvrit plus tard que ce coup avait déjà
é t é joué dans la partie Treybal-Nimzovitch, est assurée. C'est un des plus grands
Se mmering 1926, avec le pion noir déjà en e6. joueurs créateurs de tous les temps.

68
Sm yslov : la joie de la découverte 11

« Une subjectivité excessive gêne le Il fut deux fois challenger et, finalement,
développement logique d 'une partie en 1957 , champion du monde . Dès
d'Échecs. » l'année suivante , il reperdit le titre au
V. Smyslov profit de Botvinnik, et par la suite sa
force parut moins grande .
Smyslov a clairement exprimé sa
Les Échecs de Botvinnik sont une lutte philosophie : une partie d' Échecs est une
intellectuelle rigoureuse ; Bronstein œuvre d'art entre des esprits contraints
ressent le besoin de créer des idées d'unir deux objectifs parfois disparates -
nouvelles ; Keres s ' efforce toujours gagner et créer de la beauté. La maîtrise,
d'attaquer. Tandis que plus d'un grand pour lui, est une « réussite créative et
joueur a tenté de laisser son empreinte scientifique » .
aux Échecs, et même d'adapter le jeu à sa Dans ses parties , Smyslov marque une
propre personnalité , Smyslov était tout antipathie pour les dogmes et une
équilibre et sérénité, sans forcer ni se complaisance à monter des attaques
livrer à l'excentricité . positionnelles , à se défendre, à jouer une
Il était l'artiste en harmonie avec son variété de systèmes, à explorer librement
art, heureux de vérifier les secrets de et à découvrir les possibilités des Échecs.
Caïssa où qu'ils puissent mener. Il ne faut pas dire : « Voici une partie
Né à Moscou en 1921 , Vassili Smyslov caractéristique de Smyslov » mais plutôt :
a grandi dans le milieu nourricier des <� Voici un bel exemple de l'art des
Échecs soviétiques. Son talent grandit Echecs » .
aussi , organiquement, en l'absence de
tout flamboiement juvénile . Il se consacra
à son art , en pleine conscience . Sa V . Smyslov M. Euwe
-

carrière fut placée sous le signe d'une Zurich 1953


croissance régulière et graduelle , sans Attaque Indienne
recueillir d'honneurs exagérés mais
néanmoins couronnée de réussites 1. Cf3 Cf6 2. g3 dS 3. Fg2 FfS 4. 0-0
respectables . Alors qu'il att�ignait la Cbd7.
trentaine , les secrets des Echecs se Contre le système blanc développé par
dévoilèrent de plus en plus à lui, lui le grand maître hongrois G. Barcza, les
permettant de se hisser vers les sommets. Noirs choisissent un ordre de coups
69
déconseillé, donnant à Smyslov l'occasion Ff5! 13. Df3 Tc8 14. Fc3 Tg8 15. Tadl g6
d'un sacrifice de pion original. etc.).
5. d3 c6 6. Cbd2 h6. U. Df3 e5 13. Tfel 0-0-0 14. Cb3 f6
15. Fa5!
Pour le pion, Smyslov n'a qu'une légère
8
avance de développement et une certaine
7 pression. A la recherche de faiblesses, il
se met à sonder la position de son
6
adversaire sans lui laisser de temps pour
5 se consolider.
15. ... Cb6 16. c4 Td3 17. Dh5 De7
4
18. Ffl g619. De2 Td7 20. De3 Rb8.
3 Les Noirs seraient contents de rendre

2
le pion afin d'éliminer l'un des Fous
blancs. Mais à juste raison, les Blancs
31 préfèrent garder la pression.
A B C D E F G H
21. Tadl Cc8?
C'était un bon moment pour continuer
le développement et rendre le pion par
7. e4! 21. ... Fg7 22. Cc5 Txdl 23. Txdl Td8
Nous y voilà. Smyslov évalue objec­ 24. Txd8 Dxd8 25. Ca4. Mais il semble
tivement la situation et voit qu'il peut que Euwe aussi veuille gagner.
donner un pion pour une initiative 2 2 . Fb.3 Txdl 2 3. Txdl f5 24. Fb4
soutenue. Il n'est pas comme Petrossian Df6.
q u i n ' a p p r é c i e ni le r i s q u e ni la Une tentative de se défendre par
spéculation, ni comme Tal dont les 24 . ... Dc7 échoue sur 25. Fc3 Fg7
sacrifices sont souvent malsains. C'est un 26. Cc5 Txd8 27. Txd8 Dxd8 28. Ce6!
pragmatique équilibré. (28. f4 indiqué dans l'édition originale est
7 . ... dxe4 8. dxe4 Cxe4 9. Cd4 inférieur. Nous suivons l'analyse de
Cxd2. R. Teschner dans la traduction
L'autre possibilité 9. ... Cd6 pourrait allemande.) 28. ... Ddl+ 29. Rg2 Ff6
entraîner la riposte 10. Cc4.
10. Fxd2 Fb.711. Fc3 Dc7.
8
Les Noirs doivent déjà être attentifs,
par exemple 11. ... e6 12. Tel et un 7

sacrifice décisif est dans l'air (12. ... Dc7


13. Txe6+ ! ou 12. ... Cc5 13. Cxc6! ou
5
12. ... Fe7 13. Cxe6!). Et sur 11. ... e5
12. Tel Fe7? 13. Cxc6! bxc6 14. Fxc6 4
Tc8 15. Fa4! (Et non 15. Fa5 Txc6!)
3
donne aux Blancs une attaque gagnante.
Aussi les Noirs se pressent-ils de roquer 2
(A uparavant le sacrifice 11. C x c 6
recommandé par Najdorf et d'autres, 32
n'eût pas été clair : 11. ... bxc6 12. Fxc6 A B C D E F G H

70
30. D x h6 Dh5 (ou 30 . . . . Dd7 3 1 . Cf8) défendre contre Keres , l'un des plus dan­
31 . Df8 et la position noire s'écroule . gereux joueurs d'attaque, qui devait à tout
25. Fc3 Fg7 26. Cc5 RaS (dgr. 32) . prix gagner. Voici cette partie cruciale.

I n s u ffi sant e s t aussi 26 . . . . Cb6


27. Td7 ! . A présent suit toutefois une P. Keres V. Smyslov
-

élégante percée. Elle se produit dans le Zurich 1953


secteur du Roi, et c'est en parfait accord Défense Ouest-Indienne
avec le développement naturel de
l' attaque , car Smyslov n' est pas un 1. c4 Cf6 2. Cc3 e6 3. Cf3 c5 4. e3 Fe7
chasseur de Rois. La révolution est le 5. b3 0-0 6. Fb2 b6 7. d4 c x d4 8. e x d4
point culminant de l'évolution . d5 9. Fd3 Cc6 10. 0-0 Fb7.
27. C x b7 ! R x b 7 28 . Td7 + RaS Une position « livresque » est obtenue
29. Dc5. par un ordre de coups inhabituel. La suite
Le coup « tranquille » décisif. Il n'y a ordinaire est 1 1 . De2 qui permet aux
qu'une défense contre 30 . F x e5 . 29 . Fg2 Blancs de contrer. . . Cb4 par Fbl laissant
menaçant 30. T x g7 gagnait cependant leur Fou sur une diagonale agressive. Il y
plus vite , p ar exemple 29 . . . . Te8 a alors le piège 1 1 . De2 d x c4 12. b x c4
30 . F x e5 T x e5 3 1 . D x e5 ! D x e5 C x d4?? 13 . C x d4 D x d4 14. Cd5 Dc5
32. F x c6+ Rb8 33. Tb7 + Ra8 34. Tb6 15. F x f6 g x f6 16. Dg4+ Rh8 17. Dh4 f5
mat (Najdorf) . 18. C x e7.
29 . . . . Cb6 30. T x g7 D x g7 31. F x e5 11. Tel TcS 12. Tel Cb4 13. Ffl Ce4.
Dd7. Une simplification bien réfléchie.
Et non 3 1 . . . . Df8 32. D x c6 mat . 14. a3 C x c3 15. T x c3 Cc6 16. Ce5.
Après 32. F x h8 les Blancs ont récupéré Keres lance une attaque dangereuse
tout le matériel sacrifié avec un bon pion mais pas entièrement saine . Il a ici
de plus . Cela ajouté à la paire de Fous probablement déjà envisagé le sacrifice
leur donne un gain technique aisé . Les de Tour.
Noirs abandonnèrent au 68e coup . 16 . ... C x e5 17. T x e5?!
Smyslov manifeste une grande faculté Juste mais tendant trop vers la nullité
d'adaptation : il est aussi froid et tenace pour ses objectifs est 17. d x e5 d x c4 et
en défense , sans cesse en alerte pour les Dames vont être échangées. Les dés
saisir les chances d'une contre-attaque . sont jetés, car le centre blanc est faible .
Sa contribution majeure à la théorie des 17 . . . . Ff6 18. Th5 g6 19. Tch3!? (voir
ouvertures, la variante Smyslov de la dgr. 33 page suivante) .
Défense Grünfeld, révèle son idée du
contre-jeu actif : 1. d4 Cf6 2. c4 g6 Ce moment critique requérait des deux
3 . Cc3 d5 4. Cf3 Fg7 5. Db3 d x c4 joueurs un calcul approfondi et complexe.
6. D x c4 0-0 7. e4 Fg4 8. Fe3 Cfd7! . Les Sous la pression de la pendule le choix
Noirs sont prêts à s'en prendre au centre des coups justes en défense est toujours
de pions avec leurs figures et à renoncer à plus difficile qu'en attaque . L'acceptation
un Fou pour un Cavalier, tout à fait dans du sacrifice n'est pas mauvaise bien que
la tradition de Tchigorine . Plus tard, dans liée à de nombreux traquenards . En
son tournoi le plus impressionnant, celui omettant les ramifications accessoires , le
de candidats de 1953 , Smyslov dut aussi se meilleur jeu serait 19 . . . . g x h5 20. D x h5

71

--=======�·=-==� -
Et non 21. Fxc3 Txc3. Après le coup
du texte, les Blancs espèrent 21. ... cxb2
22 . Dh6 Dxd4 23. Tg7+ Fxg7 24. Dh7
mat, ou 21. ... Fxg2?! 22. Fxg2 cxb2
23. Dh6 Tel+ 24. Ffl Txfl+ 25. Rxfl
blD+ 26. Re2 et avec leur Dame de
plus, les Noirs doivent néanmoins se
contenter de l'échec perpétuel.
21. ... D x d4! 22. Dh6 Tfd8.
Smyslov centralise simplement alors
que l'assaut des Blancs sur le Roi, arrivé
33 à son zénith, se révèle n'être qu'un tigre
A B C D E F G H de papier. Le reste est une prise de béné­
fice.
23. Fel Fg7 24. Dg5 Df6 25. Dg4 c2
26. Fe2 Td4 27. f4 Tdl+ 28. Fxdl
Te8 21. a4! Dd6! (nécessaire pour Dd4+.
empêcher Fa3 suivi du mat) 22. c5! Df4 Les Blancs abandonnent.
(encore forcé) 23. c6! Txc6 (évitant Le marécage est traversé. La vision de
23. ... Fxd4? 24. Dxh7+ Rf8 25. Fa3+ Smyslov s'est révélée plus claire et a forcé
Fc5 26. Fxc5+ bxc5 27. cxb7 Tb8 le gain.
28. Tf3 Dc7 29. Dh8+ Re7 30. Txf7+ Il était inévitable qu'une personnalité
Rd6 31. Dg7 et les Blancs doivent gagner) sans éclat, comme Smyslov, dût atteindre
24. Dxh7+ Rf8 25. Fa3+ Te7 26. Tg3 les honneurs les plus élevés avant de
Re8 2 7 . Dg8+ Rd7 28. Tf3 Dxd4 recevoir des acclamations méritées.
29. Db8 Fc8 30. Fxe7 Fxe7 31. Txf7 Pendant des années, dans l'ombre de
« et la position noire n'est toujours pas Botvinnik plus âgé que lui, il démontra
sûre» (Clarke). qu'il était capable de rendre à « Monsieur
Par principe, la meilleure réaction à Echecs Soviétiques » les coups au même
une attaque sur l'aile est une contre­ niveau au cours de trois longs matches et
attaque au centre. A la tentative de Keres des douzaines de parties. En voici un
de faire toucher terre à son Roi, Smyslov exemple.
répond avec calme :
19 • dxc4! 20. Txh7.
••.

La Tour ne doit pas rester plus


M. Botvinnik V. Smyslov
longtemps en prise car si 20. bxc4? gxh5
-

Match de championnat du monde 1954


21. Fd3 (ici 21. Dxh5 aurait pour riposte
Défense Est-Indienne
21. ... Fe4! - le sens de l'échange en c4)
21. ... Tc5! 22. dxc5 Fxb2 23. Fxh7+
(ou 23. Dxh5 Te8) 23. ... Rg7 24. Dxh5 1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. g3 Fg7 4. Fg2 0-0
Fel! 25. Tg3+ Rf6 le Roi s'échappe. 5. Cc3 d6 6. Cf3 Cbd7 7. 0-0 e5 8. e4 c6
Relativement le mieux est 20. Th6 (qui 9. Fe3.
évite la réponse de la partie) 20. ... cxb3 Ce coup fut discrédité par l'innovation
21. Dxb3 Dd5, mais les Noirs sont bien. que Smyslov plaça dans cette partie au
20 • c3! 21. Del.
••• coup suivant. Le coup standard est 9. h3.

72
9• Cg4 10. Fg5 Db6!
••• Smyslov « engage » maintenant sa
Un prélude soigneusement calculé à un Dame.
épisode prolongé de jeu aigu pour lequel 21 • Cf3+ 22. Rhl Fxa8! 23. Txb2
••.

Smyslov semble être le mieux préparé. Cxg5+! 24. Rh2 Ct3+ 25. Rh3 Fxb2.
11. h3 exd4! U. Ca4 Da6 13. hxg4 b5 La situation est à présent très claire.
14. Cxd4. Les figures noires drainées vers le Roi
La meilleure de diverses possibilités, exposé sont supérieures à la Dame dans
par exemple 14. Fe7 Te8 15. Fxd6 bxa4 cette position. Les Noirs peuvent gagner
16. Cxd4 Ce5! avec un fort jeu pour les à volonté, par l'attaque directe ou en
Noirs. Ceux-ci regagnent à présent leur utilisant le pion passé « d ».
figure avant de sacrifier la qualité et 26. Dxa7 Fe4 27. a4 Rg7 28. Tdl Fe5
d'ouvrir largement le jeu. 29. De7 Tc8 30. a5 Tc2 31. Rg2 Cd4+
14 . bxa4 15. Cxc6! Dxc6 16. e5
..• 32. Rf1 Ft3 33 Tbl Cc6.

Dxc4 17. Fxa8 Cxe5 18. Tel.


Les Blancs détournent la Dame noire
de l'aile-roi où elle pourrait se révéler 8
dangereuse après par exemple 18. Dxd6
7
Fe6 19. Fg2 Dxg4 suivi de Cf3+ .
18 • Db4 19. a3 Dxb2 20. Dxa4
..• 6
Fb7! 21. Tbl?
5

4
8
3

2
6

5 35
A B C D E F G H
4

2
Les Blancs abandonnent.
Suit 34. ... Fd4 avec démolition.
34 Atteindre au sommet absolu du monde
A B C D E F G H
des Échecs à l'ère contemporaine est une
performance impressionnante. Cela
indique une prééminence non sur une
La pression d'avoir à trouver les coups poignée de rivaux comme au temps passé,
justes dans une série de positions mais sur des douzaines de grands-maîtres,
compliquées prélève sa dime. Nous chacun d'eux représentant une somme de
ignorons si Botvinnik a commis ici une connaissances, de capacités et d'ambi­
simple bévue ou une sérieuse erreur de tions. Smyslov ne détint le titre qu'une
jugement. La ligne de jeu exacte, avec un seule année, et ce fait semble une caracté­
désavantage négligeable pour les Blancs, ristique de notre époque. Ayant atteint
est 21. Fxb7 Dxb7 22. Tc3! Cf3+ �ette distinction suprême du monde des
23. Txf3 Dxf3 24. Fe7 suivi de Fxd6. Echecs, quel stimulant reste-t-il pour un

73
effort soutenu et tenace quand il n'y a tombé sous l'influence de l'esprit de
plus d'autre perspective que de demeurer Capablanca, le grand Cubain. D'autres se
le « premier parmi ses pairs » ? plaisent à penser qu'il préfère sa véritable
Ces dernières années, le jeu de Smyslov vocation, le chant. Plus vraisemblable­
est devenu moins aigu et plus pacifique. ment, Smyslov est devenu l'artiste des
La rumeur veut qu'il ait attrapé cela lors Échecs , serein et satisfait, pour lequel il
d'un tournoi à La Havane où il serait n'y a plus de mondes à conquérir (*) .

longévité. Agé de 62 ans, il redevint candidat et


(*) Smyslov est sur les traces de Lasker quant à la

battit en quart de finales Hübner, après un match


nul et un tirage au sort original à la roulette, puis

en 1984, par le futur champion du monde Kasparov,


Ribli en demi-finale avant d'être éliminé en finale,

auquel il opposa une résistance plus qu'honorable.

74
Tal la ps ychologie de la magie 12

Question : Qu'est-ce qui lie le joueur d é f e n s e s u s c e p t i b l e de r e p o u s s e r


d'Échecs à l'échiquier ? l'attaque. Le jeune homme en convient
R ép o nse : L es p ossib ilités du je u avec un haussement d'épaule. Seule la
d'Échecs excitent l'imagination un peu victoire lui importe et non sa preuve
comme le fait le sourire d'une jolie fille. scientifique. Il quitte la salle de tournoi et
On y reconnaît l'harmonieuse cohésion du se livre de bonne grâce à la foule bruyante
jeu qui tire de l'échiquier la beauté des d'admirateurs en quête d'autographes . Le
combinaisons. jeune homme est Mikhaïl Tal.
Question : Quel est le secret de vos Il est né à Riga, Lettonie , en 1936. Il
méthodes d'entraînement ? (pour le match fallut peu de temps pour se rendre compte
victorieux contre Botvinnik) . qu ' il accomplirait des choses
Réponse : Avant chaque partie, mon en­ extraordinaires . Heureusement pour
traîneur me racontait une nouvelle blague. nous, il grandit dans un milieu de culture
M. Tal, 1961 échiquéenne . Encore enfant, quand il eut
(Cité dans Chess Life) perdu sa première partie d' Échecs , il
sentit l'appel mystérieux de ce jeu et se
Une partie vient juste de s'achever avec décida à le prendre à bras le corps .
des combinaisons étincelantes , des Assez bizarrement, dans un premier
sacrifices inattendus , des pièges subtils et temps , le jeu de celui qui allait devenir le
diaboliques . Le vainqueur, un mince plus jeune de tous les champions du
jeune homme au regard noir et pénétrant monde officiels (Kasparov battit ce record
est là, en train d'analyser sa victoire avec un quart de siècle plus tard, ND T) ne fit
son adversaire , entouré d'une foule de pas l'impression d'être celui d'un des plus
spectateurs fascinés . D ans la phase grands talents de Caïssa. La raison en
d'ouverture , il cite instantanément de était qu'il ne semblait pas avoir ce sens
mémoire une demi-douzaine de parties naturel du jeu de position correct qui
de maîtres sur la même variante. En caractérisa , par exemple , Morphy et
milieu de jeu, il montre d'autres défenses Capablanca. Il perdit quantités de parties
pour son adversaire et d ' autres par des erreurs stratégiques. Mais au sein
combinaisons qu'il aurait p u tenter , du riche environnement échiq-uéen
certaines longues de cinq à dix coups. La soviétique , il était facile d'acquérir la
partie n'avait pas atteint la finale. Un technique . D'autre part, Tal avait des
grand-maître propose une meilleure qualités innées : il possédait à un très

75
haut degré , l'imagination combinative monopoliser l'affection de Caïssa. Elle
qu'il plaçait au service d'un superbe esprit n'éprouve aucun attrait pour ceux qui
comb atif e t d ' une compréhension pratiquent une stricte observance de ses
psychologique rare. lois et s'offre plus volontiers au valeureux
Peu après qu'il eut, à 20 ans, remporté guerrier qui ose.
le championnat d'URSS, on disait de lui, L'approche de Tal est celle d'un mer­
à fort juste raison, que « Micha » Tal avait veilleux sens de l'humour. Pour « Micha » ,
la sagacité psychologique d'un Lasker, le les Échecs sont un plaisir. Tous ceux qui
génie combinatoire d'un Alekhine et le ont eu l'honneur de l'approcher savent
goût de l'attaque d'un Keres. qu'il est une personnalité extrêmement
On a dit de Lasker qu'il se lançait humoristique . (Il rédigea même sa disser­
volontiers dans des aventures risquées où tation universitaire sur les humoristes
les deux joueurs se balançaient au bord russes. ) Si les Échecs tiennent pour lui la
de l'abîme, la victoire revenant à celui qui première place , ils ne sont néanmoins
faisait montre de plus de ressources et où qu'un des nombreux plaisirs de la vie ;
le génie tactique pur se révélait l'arme comment alors pourrait-on être déprimé
déterminante : il était ce psychologue par la seule perte d'une partie d' Échecs ?
riche d'artifices misant gros pour orienter Le grand bienfait de l'humour est de
la partie vers de telles crises. Cela était distraire de son infortune . Et l'humour de
aussi vrai de Tal, et même plus encore, Tal se retrouve jusque dans son jeu.
car à son époque , Lasker possédait une Les exemples de son esprit ne man­
compréhension stratégique plus vaste et quent pas. Avant de disputer une partie
une technique supérieure en finale qui lui contre Najdorf, Tal alla se détendre sur la
permirent de remporter la plupart de ses plage mais laissa soigneusement ses
victoires par ces méthodes plus chaussures devant la porte de sa chambre
routinières. D'autre part, presque toutes d'hôtel, afin que la vedette argentine
les parties du jeune Tal contenaient des facile à exciter croie qu'il était en train de
idées origin ales frapp antes et des préparer son ouverture ! Tout jeune ,
moments critiques . Aussi n'y avait-il rien Bobby Fischer aimait lire des Tarzan ; en
de surprenant à ce qu'il s'égarât parfois et présence de Tal , quelqu'un s'enquit
perdît. Mais il montra rapidement qu'en auprès d'un Américain si cela était
tournoi, il pouvait gagner plus de parties possible car on savait que Bobby n'aimait
que quiconque au monde . que ce qui avait trait aux Échecs , et
Son acceptation du risque de la défaite Tarzan ne jouait pas aux Échecs. Tal,
et d'aborder ensuite avec joie le combat dont l'esprit acéré avait été plus rapide
n'est pas caractéristique des maîtres que son anglais , rétorqua immédiate­
d ' auj ourd ' hui . Il e s t l ' o p p o s é du l!lent : « Oui ! Tarzan ne joue pas aux
technicien pur qui voit dans la défaite Echecs , mais Bobby sait que s'il y jouait il
l'ébranlement des règles fondamentales battrait Cheetah ! »
sur lesquelles s'appuie sa campagne , ou Mais suivons maintenant Tal évoluer
les agissements de forces contraires de sur l'échiquier.
Caïssa la noire trahissant son fils loyal. Keres, avec justesse, caractérisait ainsi
Pour Tal, les Échecs représentent la le jeu de Tal : « Tal aime l'excitation et
joie du combat, un forum de l'audace et les complications à faire dresser les
de l'esprit. Il ne saurait être question de cheveux sur la tête ; mieux que personne ,

76
il peut trouver son chemin dans ce type dédaigne à présent le tranquille 15. Cxc4
de partie. » bxc4 16. dxe5 Cxe4 17. a3 avec un
La partie suivante de Tal, très repré­ blocus en d4. Le plus grand risque pour
sentative, fut jouée à un moment critique les Noirs dans ce qui va suivre, est une
de sa carrière. Il semblait qu'il ne attaque de mat contre h7 au cas où les
parviendrait plus à défendre avec succès Noirs seraient forcés d'éloigner le Cf6.
son titre de champion d'URSS, et pire 15. exd5 exd4.
encore, qu'il ne parviendrait pas à se Il est possible que Tal ait déjà repéré
qualifier pour le tournoi interzonal du quelque chose du genre : 15. ... Cxd5
cycle de championnat du monde. Il était 16. Cxc4 bxc4 17. Cxe5 Fxb4 18. Tbl!
opposé au formidable Geller, et il lui Fxel 19. Txb7 Dc8 20. Txf7! Txt7
fallait gagner. La façon dont il le fit révèle 21 . Fxh7+ Rh8? 22. C g6+ Rxh7
pourquoi il fut si rapidement reconnu par 2 3. Dh 5+ Rg8 2 4. Dh8 mat. (E n
le public comme le plus fascinant joueur analysant ensuite ses parties, il a
du monde. l'habitude de montrer de telles variantes
à la vitesse de l'éclair.)
16. Cxc4 bxc417. Dxd4 Fxb4.
Le coup évident et vraisemblablement
M. Tal - E. Geller
le meilleur. La Tour blanche est à présent
25e Cht d'URSS, Riga 1959
attaquée et 18. Tdl va de soi, après quoi
Partie Espagnole
la capture du pion « d » comporte des
dangers pour les Noirs ; les chances
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 a6 4. Fa4 demeurent cependant équilibrées. Mais
Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel b5 7. Fb3 0-0 8. c3 Tal est toujours attiré par les positions
d6 9. h3 Ca510. Fc2 c511. d4 Fb712. b4. déséquilibrées et exceptionnelles où
Au 11e coup noir, alors nouveau et d o m ine n t l e s i d é e s o r i g i n a l e s e t
a u j o u r d ' h u i en v o g u e , l e s Bl a n c s audacieuses. E t de telles situations sont
choisissent une réponse aiguë. 12. d5 ordinairement amenées par des sacrifices.
semble plus logique, sur quoi le Fou noir Aussi choisit-il un coup auquel les joueurs
devra perdre deux temps pour revenir en de premier plan n'auraient pas consacré
c8. Toutefois des positions aussi fermées, beaucoup de temps.
avec des manœuvres ennuyeuses, ne sont
évidemment pas du goût de Tal.
8
12 ..-.. cxb4 13. cxb4 Cc4 14. Cbd2

d5! 7

Pour Geller aussi, un jeu aigu est le 6


bienvenu. Après ce coup les possibilités
deviennent trop nombreuses pour être 5

calculées complètement. Les deux camps 4


ont des lignes ouvertes, les spectateurs
3
savent que deux véritables lutteurs sont
prêts au corps à corps... que peut-on 2
demander de plus ? (Il n'est pas possible
de montrer toutes les éventualités, mais 36
nous en aurons néanmoins la saveur.) Tal A B C D E F G H

77
18. Tbl!!? Les Noirs ont maintenant bloqué le
Bien des joueurs n'hésitent pas à pion « d » et sont prêts à répondre à
investir spéculativement un pion ; mais 25 . Te7 par 25 . . . . D x e7 26 . F x h7 +
pour une offre aussi « lourde » la plupart Rh8 ! o u 25 . F x h7 + R x h7 26 . Te7
veulent une contrepartie tangible, comme D x d6 + (et non 26 . . . . D x e7 ?
une attaque immédiatement décisive . 27 . Dh4 + ) 27 . D x d6 T x d6 28 . T x e l
Ce n'est pas le cas de Tal qui raconta Cd7.
un jour sur un ton de plaisanterie : « Il y 27. Fxf6 g x f6??
a deux genres de sacrifices, ceux qui sont Quel dommage ! Les Noirs méritaient
corrects et les miens ». Même en cette d' annuler par 25 . . . . D x f6 26. D x f6
occasion cruciale contre un adversaire des g x f6 27 . d7 Rg7 28 . Ff5 Te5 29 . Tc8
plus valables , il sacrifie la qualité pour un T x f5 30 . T x d8 Td5 . A présent , ils
jeu actif et un pion sur la 6e rangée . Bien perdent. Ce sont de tels épisodes qui ont
entendu, Geller accepte la transaction. valu à Tal le surnom de « Magicien », ou
18 . ... F x el 19. T x b7 Te8. d'« Hypnotiseur » (un grand-maître avait
Les Noirs pouvaient rendre le matériel pris l'habitude de porter des lunettes
pour une finale sensiblement égale par noires quand il jouait contre Tal pour
19 . . . . D x d5 20. D x d5 C x d5 21. C x el échapper au « mauvais œil » ! ) .
Tab8 (Tal) ; mais Geller ignore la peur. Il y a pourtant une explication tout à
20. d6 Dc8 21. Fg5! ! fait naturelle . Les adversaires de Tal sont
Depuis Alekhine , on ne peut voir de soumis aux attaques d'une imagination
telles successions de sacrifices brillants fertile . Les coups norm aux ne se
que dans les parties de Tal. Cependant , présentent que de loin en loin ; il faut
celui-ci est inacceptable ; par exemple : constamment essayer de procéder à des
2 1 . . . . D x b7 22 . F x f6 g x f6 (Mieux analyses poussées de longues variantes
valait rendre le matériel par 22 . . . . Da7 dangereuses afin de s' orienter parmi
23 . d7 D x d4 24 . d x e 8 D + T x e 8 d'innombrables traquenards . On ne sait
25 . F x d4 Fb4 pour atteindre une finale j a m a i s si l ' o n a d e v a n t s o i u n e
égale) . 23 . Dh4 et les Blancs ont une combinaison gagnante ou un « bluff » . La
attaque rapidement décisive bien qu'ils pendule tourne rapidement, le zeitnot
n'aient qu'un Cavalier pour les deux menace .
Tours ( ! ) , ainsi que Tal le démontra. Peut-on alors s ' étonner que ses
Cependant 22 . . . . Te2 ! était prometteur, adversaires se trompent souvent à
car si 23 . F x h7+ Rh8 ! (Evans, 1984) . l'instant critique ? (Certains succombent
En de tels moments, pendant les parties devant Tal par la peur même de perdre . )
de Tal, il faut habituellement exhorter le 27. Te7 D x d6 + .
public au silence . Geller trouve à nouveau Au coup précédent, les Noirs avaient
la réponse la plus forte , une contre-atta­ sans aucun doute compté sur 26 . . . .
que . D x e7 , voyant cependant au dernier
21. . . . Te2! 22. Tc7 De6 23 . C x el moment qu'après 27 . Dg4+ le rideau
T x el + 24. Rh2 Td8! tombait. Le reste n'est que routine pure.
Tal semble avoir trouvé un adversaire 27. D x d6 T x d6 28. T x el Td2 29. Tel
qui se refuse à succomb er , p ar T x f2 3 0 . Fe4 T x a 2 3 1 . T x c4 a5
exemple : 24 . . . . De5 + ? 25 . D x e5 T x e5 32. Tc8+ Rg7 33. Tc7 1-0.
26. F x f6 g x f6 27 . d7 etc. Les Noirs perdent encore un pion.

78
Nous ignorons si Tal était sérieux en 14 . ... d x e5 15. C x e5 Cbc4 16. Dd3.
disant : « Un joueur d'Échecs est en Il va de soi que Tal dédaigne 16. Dh5
premier lieu un acteur. Il est assis sur g6 1 7 . C x g6 f x g6 1 8 . F x g6 h x g6
scène, se demandant quel coup plaira le 19. D x g6 + Rh8 20. Dh6+ et les Blancs
plus aux spectateurs » . Mais nous n'ont pas davantage que l'échec perpé­
pouvons supposer qu'il fut satisfait de tuel.
récolter, pour la partie suivante , un prix Si maintenant 16 . . . . g6, alors 17. Fh6
spécial sans précédent de la partie « la et les Blancs ont une pression. Mais après
plus intéressante » du tournoi . Cela est le coup du texte , la position noire est en
un parfait témoignage de son talent uni­ ordre.
que . 16 . ... f5 17. Fb3! f4!
17 . . . . Ff6 suffisait. Toutefois , ce jour-
là , le grand-maître argentin plus connu en
M. Tal - O. Panno tant que grand stratège , se révèle à la
Tournoi interzonal, Portoroz 1958 hauteur et saisit l'occasion de rendre coup
Partie Espagnole pour coup à son fiévreux adversaire .
18. Fd2.
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 a6 4. Fa4 Les Blancs sont prêts , sur 18 . . . . Ff5 , à
Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel b5 7. Fb3 d6 8. c3 riposter avec avantage 19. F x a5 D x a5
0-0 9. h3 Cd7 10. d4 Cb6 11. Fe3. 20. Dc3 .
L'année suivante , contre F. Olafsson, 18 . ... C x b3 19. Cc6!
Tal préféra 1 1 . Cbd.2 e x d4 12. c x d4 d5 En prévision de la position qui se
13 . Fc2 Fe6 14. e5 et les Noirs ont des présentera quatre coups plus tard ; mais
faiblesses sur la colonne « c ». Ce système avec son amour de la fantaisie , Tal s'y
de défense est passé de mode . serait probablement orienté, même si cela
Les Blancs disposent maintenant de la n'eût été , comme ce sera le cas ici, la
menace positionnelle 12. d x e5 suivi de meilleure chance pratique . Sur le coup
F x b6 , mais les Noirs ont à l 'idée normal 19. D x b3 , les Noirs eussent été
d'égaliser en gagnant de l'espace à l'aile­ très bien après 19 . . . . Ff6 . Aussi Tal
dame . sacrifie-t-il Tour et deux pièces mineures
11 . ... e x d4 12. c x d4 Ca5 13. Fc2 c5 pour la Dame , car il conserve des chances
14. e5. d'attaque . Les Noirs sont forcés de s'y
Il était prévisible que Tal rechercherait résoudre .
une lutte très ouverte , et qu'il tenterait de 19 . . . . C x al 20. C x d8 Ff5! 21. Df3
tirer parti de l'absence du Cavalier de la Ta x d8 22. T x e7 F x bl 23. Fxf4.
défense à l'aile-roi . (Voir dgr 37 page suivante) .
Les Noirs doivent déjà faire attention à Une position fantastique.
des pièges tels que 14 . . . . Cac4 15. e x d6 Botvinnik a dit : « Le grand art aux
D x d6 1 6 . Fg5 ! F x g5 1 7 . C x g5 h6 Échecs consiste à explorer les possibilités
1 8 . D h 5 D x d4 ? 1 9 . D x f7 + T x f7 d'amener la partie dans une position où
20. Te8+ Tf8 21. Fh7 + Rh8 22. T x f8 les valeurs relatives normales sont
mat. Panno joue maintenant le meilleur bouleversées » . Et aucune machine ne
coup , mais il passe une heure à le trouver, saurait fabriquer les positions que Tal
ce qui laisse présager des ennuis futurs réussit à créer. Il est impossible d'opérer
avec la pendule . ici avec les valeurs normales car les Noirs

79
32• Fe4 33. h4+ Rg4!
•••

Ici, les Blancs pouvaient aussi se faire


mater !
34. Rh2 .
Mais a présent , ils ont la double
menace 35 . Df4+ Rh5 36. Dg5 mat et
35 . f3 + F x f3 36. Dc8 + Rh5 37. Df5 +
Rh6 38. Dg5 mat.
34• Ff5! 35. Df6.
...

Rejetant le gain du Fou, car après


3 5 . f3 + R x f3 3 6 . D x f5 + R e 3
(37 . D x c2? Td2 + ) leur pion passé
A B C D E F G H promettait au moins la nullité aux Noirs .
Qui va gagner cette partie ? Tout ce que
nous pouvons dire est que Tal, à son
sont menacés sur g7 alors que leurs habitude, attaque.
Cavaliers sont à l'écart. En outre , la 35. h6 36. De5 Te4.
..•

Dame est très dangereuse parce que les Pare le mat en un coup , tout en étant
figures et les pions adverses sont prêt à donner le Fou après 37. f3 + .
dispersés . Par exemple , le séduisant 37. Dg7+ Rf3 38. Dc3 + Ce3.
23 . . . . c x d4 échoue sur 24. b3 Fg6 (si P l u s f a c i l e é t a i t 3 8 . . . . R x f2
24 . . . . d3 alors 25 . Dg4) . 25 . b x c4 d3 39. D x c2+ Rf3 et les Noirs n'ont plus
26. Dg4! T x f4 (Meilleur est 26 . . . . d2 rien à craindre . A présent, les Noirs
27. Td7. ) 27. D x f4 d2 28. T x g7 + ! Rh8 attendent peut-être 3 9 . f x e3 T x e3
(ou 28 . . . . R x g7 29 . Dc7 + . ) 29 . Td7 ! et 40. D x c4 Te2 + 41 . Rgl Tel + et nulle.
les Blancs gagnent. Mais le magicien a encore quelques tours
Panno poursuit son combat vigilant. dans son chapeau.
23• ••• T x d4 24. Dg4 Fg6 25. De6+ 39. Rgl! Fg4 40. fx e3 h5!
Ft7 26. Df5! Cc2! Evite le dernier piège : 40 . . . . T x e3?
Sur 26 . . . . Fg6? les Blancs peuvent 41 . Df6+ Re2 42. Dfl + Rd2 43 . Df4! h5
donner Tour et Fou pour ramasser les 44. Rf2 gagnant la Tour.
deux Tours et deux pions : 27. T x g7 +
R x g7 28. Fh6+ R x h6 29. D x f8+ Rg5
30. D x c5 + Rh6 3 1 . D x d4.
27. b3 Fg6.
Les Noirs sont déjà à court de temps et
permettent aux Blancs de mettre leur Roi
à découvert . Plus simple était
2 7 . . . . Tdl + 28 . Rh2 Cd2 avec des
menaces d'échec perpétuel et un jeu égal.
28. T x g7 + R x g7 29. Fh6 + R x h6
30. D xf8+ Rg5 31. b x c4 b x c4 32. g3.
Avec Dame et pions seulement, Tal
continue de comploter la destruction de
son adversaire : f2-f4+f5 . A B C D E F G H

80
41. Del T x e3? et quelques autres. Ils laissèrent à bonne
C'est la réponse évidente qui pare le distance un jeune Danois nommé Larsen.
mat au coup suivant mais qui est Doté d'une excellente mémoire qui lui
cependant le premier mauvais coup de permet de connaître sur le bout des doigts
Panno dans cette partie , bien qu'il ait quasiment toute l a pratique des

f
déjà atteint le contrôle de temps ! Il a ouvertures récentes, Tal ne peut être
probablement continué impulsivement le considéré comme un novateur dans ce
jeu rapide , à moins qu'il n'ait pas marqué domaine . Il sait que le milieu de jeu est le
le nombre de coups joués sur sa feuille de terrain réel sur lequel la grande majorité
partie , comme cela arrive souvent. Peut­ des combats est décidée par sa propre
être était-il aussi épuisé (A comparer avec habileté. Tout en préférant naturellement
le 25e coup de Geller dans la partie précé­ les lignes de jeu à double tranchant telles
dente ! ) . que la B enoni il s ' e n remet aussi
41 . . . . Te6 (parade d e l'autre côté) eût volontiers à toute ouverture raisonnable
facilement annulé , car les Blancs ne en restant cependant prêt à tirer la
peuvent pas progresser. A présent, ils se couverture à lui.
créent un pion passé. Dans la partie suivante , un joyau qui
4 2 . D fl + R e 4 4 3 . D x c 4 + Rf3 mérite d'être connu, il rentre de plein gré
1
44. Dfl + Re4 45. D x a6 Rd4. avec les Noirs dans une variante qui,
Mais cette fois, en dédaignant le coup quelques rondes avant, avait coûté le
évident, il se peut bien que Panno ait raté point à Polougaievski à la suite d'une
sa dernière chance de salut. Vukovic brillante attaque . . . , signée Tal, d'ailleurs.
publia une longue analyse , affirmant que
l e s N o i rs p o u v a i e n t a n n u l e r p a r
45 . . . . Txg3 + 46. Rf2 Tf3 + , car le Roi
A. Nikitine - M. Tal
blanc ne peut pas passer à l'aile-dame , et
26e Cht d'URSS , Tiflis 1959
après 47. Rg2 Rd4 les Noirs sont en
Défense Sicilienne
mesure d' arrêter le pion « a » . Les
r a m i fi c at i o n s s o n t t o u t e f o i s t r o p
nombreuses pour être calculées avec pré­ 1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 c x d4 4. C x d4
cision. Cf6 5. Cc3 a6 6. Fg5.
46. Dd6+ Rc4 47. a4 Tel+ 48. Rf2 Le coup le plus aigu contre la variante
Te2+ 49. Rf1 Ta2 50. Da6+ Rd4 51. a5 Najdorf. La réponse usuelle 6 . . . . e6, et
c4. 7 . f4 Db6 8 . Db2 D x b2 9. Tbl Da3
S i 5 1 . . . . Fe2 + 5 2 . D x e2 T x e2 10. e5 conduit à une des suites les plus
53 . R x e2 Rd5 54 . g4 et le pion « g » piégeuses depuis l'âge d'or du gambit du
« inutile » gagne . roi.
52. Db6+ Rd5 53. a6 Tal+ 54. Rf2 c3 Les Noirs ont recours à un autre coup.
55. a7 c2 56. Db3+ Rd6 57. Dd3+ 1-0. 6 . . . . Cbd7 7. Fc4 Da5 8. Dd2 e6 9. 0-0
Après 57 . . . . Re6 5 8 . D x c2 T x a7 h6 10. Fh4 Fe7 11. Tael.
59. De4 + la Tour est victime d'une Tal préfère 1 1 . Tadl qui semble plus
attaque double. logique. A présent, les Noirs peuvent
Tal remporta ainsi le tournoi et se utiliser e5 comme case forte .
qualifia pour le tournoi des candidats de 11 . . . . Ce5 12. Fb3 g5 13. Fg3 Fd7
1959 en compagnie de Petrossian, Fischer 14. f4 g x f4 15. F x f4 Dc7 16. Cf3.

81
'
Ramasser le pion « h » ne ferait que 23 . . . . C x c3! 24. F x c7.
favoriser les Noirs . Parnù les nombreux Les Blancs n'ont pas d'autre choix que
plans disponibles , les Blancs choisissent d'accepter la Dame , car 23 . C x e5? serait
une série de coups sans effet qui suivi du mat 23 . . . . C x e2 24. C x g6 T x g6
abandonne beaucoup trop d'espace à l'ad­ 25 . F x c7 F x g2 -=fa .
versaire. 23 . . . . C x e2 24 . Fb6 T x g2.
16 . ... 0-0-0 17. Rhl Thg8 18. Fe3 Fc6 Tal a un équivalent matériel pour la
19. Dd4 Tg6 20. Te2 Tdg8 22. Da7? D ame et une attaque apparemment
Après avoir permis à Tal de développer irrésistible. Si 25 . C x e5 , alors 25 . . . . Tgl
rapidement une forte pression contre mat. Mais le jeune maître russe contre­
« g2 » , Nikitine tente maintenant une attaque.
contre-attaque en tenant son pion « e » 25. Fa4!
pour intouchable . Il faut à Tal une En minant la défense du pion « b » , les
combinaison de neuf coups p o u r Blancs menacent eux-mêmes de mater en
démontrer que quelque chose avait quatre coups. Tal dispose cependant de la
échappé à son adversaire ! (ou peut-être ressource simplificatrice nécessaire .
Tal s'est-il contenté de noter quelques 25 . . . . Tg l + ! 2 6 . F x g l T x g l +
possibilités et a-t-il senti instinctivement 27. D x gl.
que l'attaque contre « g2 » devait préva­ Si les Blancs ne rendent pas la Dame ,
loir. ) les figures noires seront trop fortes après
22 . . . . C x e4! 23. Fb6. 27. T x gl F x f3 + 28 . Tg2 Cf4 (comparer
Insuffisant est 22. Cxe5 d x e5 23 . T x f7 avec la partie Botvinnik-Smyslov du
C x c3 24. b x c3 Dd6 ! 25 . Fa4? ! F x a4 chapitre 11).
26 . Td2 D x d2 ! 27 . F x d2 T x g2 2 7 . . . . F x f3 + 2 8 . T x f3 C x g l
28. Da8+ (ou 28. T x e7 Tgl + 29 . D x gl 29. Tc3+ Rd8 30. R x gl.
Fc6 + 3 0 . D g2 T x g2 e t g agne . )
28 . . . . Rc7 29. T x e7 + Rd6 et les Noirs Il n'est pas impossible que Tal ait prévu
gagnent. cette position de finale dès le 21 e coup. Il
a un petit avantage matériel avec deux
pions passés liés pour la qualité . Il domine
aussi assez d'espace pour limiter autant
que possible l'action des figures blanches ,
8
en particulier, le Fou qui ne peut pas
croiser le fer avec sa contrepartie noire
7 puisqu'ils se trouvent sur des couleurs
6
différentes. Tous ces facteurs donnent
aux Noirs de bonnes chances de gain .
5 30 . . . . d5 31. Tg3 Fg5 32. b4.
4 Les Blancs détériorent leur situation en
affaiblissant leurs pions . Meilleur était
3
32. c3 Cc4 33. Tg2 suivi du retour du Fou
2 à son poste de combat.
32 . . . . b5 33. Fb3 f5 34. c3 Re7 35. a4
f4 36. Th3 Cc4 37. a x b5 a x b5 38. Rf2
A B C D E F G H Rd6 39. Re2.

82
S i 3 9 . F x c 4 b x c 4 40 . Th5 Ff6 A ce moment, il était temps pour Tal
41 . T x h6 F x c3 , les pions centraux noirs de mettre son coup sous enveloppe . Bien
liés vont plus vite que l'infanterie blanche que les Blancs aient un pion de plus , ce
sur les deux ailes . sont les Noirs qui ont un pion passé
39. e5 40. F x c4 b x c4 41. Th5 e4
.•• avancé et la majorité blanche à l'aile­
42. h4 f3+ 43. Rdl Ff4 44. Tf5 0-1. dame est bloquée. Des suites normales
Après avoir mis leur dernier coup sous ne semblent pas marcher, par exemple 45
enveloppe , les Blancs se convainquirent R (ou T) h2 f x e5 46. f x e5 Th5 et les
de l'impasse de leur situation. Si par Noirs tiennent la nullité . En pareille
exemple 44 . . . . Fe5 45 . Rc2 d4 46 . c x d4 situation, après cinq heures de jeu, un
F x d4 47 . Tf8 c3 48. b5 e3 49 . T x f3 e2 et joueur ordinaire mettrait 45 . e x f6+ sous
les Noirs font une nouvelle Dame . enveloppe pour rechercher ensuite
Les deux phases contrastées de cette pendant la pause de l'ajournement les
p artie font une grosse impression chances de gain possibles. Au lieu de
esthétique , comme l'allègre final pastoral cela, Tal calcule une combinaison longue
d'une symphonie tumultueuse. de dix coups.
La qualité la plus frappante que l'on 45. e6! !
remarque d ' abord chez Tal , c ' est Un élégant sacrifice de pion avec un
l'incroyable rapidité avec laquelle il motif d'interception. La meilleure chance
analyse . Bien que jouant des parties des Noirs consiste en 45 . . . . R x e6
1

extrêmement compliquées et bourrées de (Intercepte le Fou et perd le pion clé)
1 traquenards, il lui faut moins de temps 45 . F x h3 + f5 (forcé) 47 . Te2 + Rf6
qu'à quiconque . Si le « zeitnot » est 4 8 . Td2 et les B lancs gagnent
fréquent dans ses parties, c'est que son (Trifunovic) , car les deux pions noirs
adversaire en est victime . Prenons ainsi gênent leur « mauvais » Fou. A la place ,
l'exemple suivant de ses facultés analyti­ les Noirs jouent une réponse logique,
1.
ques . mais Tal a analysé la situation avec une

précision achevée .
46. . . . F x e6 46 . Ta7+ Fd7 47. Rh2!
Tal M. Trifunovic
- Bloque le pion noir et menace b4-b5 ,
Palma 1966 par exemple 47 . . . . Th4 48. b5 Rd8 (ou
48 . . . . c x b5 49 . c6) 49 . b6 Rc8 50. Fa6+
et gagne . Si la Tour noire ne se trouvait
pas en huitième rangée, la partie pourrait
encore être sauvée par 47 . . . . Rd8 qui
échoue à présent sur 48 . Ta8 + Fc8
49 . Fa6 Rc7 50. F x c8 T x c8 5 1 . T x c8 +
R x c8 5 2 . R x h3 Rd7 53 . f5 ; l a finale de
pions est facilement gagnante. Les Noirs
cherchent une autre planche de salut.
47 . . . . Th5 48. b5 T x c5 49. F x h3.
Chaque coup joué dans un ordre précis
est désormais contraignant.
49 . . . . f5 50. b x c6 T x c6 51. F x f5 Td6
A 8 C D E F G H 52. Rg3 Re8 53. T x d7 T x d7 54. F x d7+

83
R x d7 55. Rg4 Re6 56. Rg5 Rf7 57. Rf5 Ce n' est pas une perte de temps
1-0. véritable, car le Cavalier noir en d7,
Tal avait en effet prévu que son pion comme on le verra bientôt, gêne le
passé serait promu après que toutes les développement de son camp .
autres pièces aient disparu de l'échiquier. Neuf maîtres sur dix auraient choisi
Nous venons de tenter de donner une 5 . g3 , mais Tal ne se sent jamais impliqué
explication rationnelle à ces moments par aucune règle. (Dans une partie contre
surnaturels où certains des plus grands Pachman, Bled 1961 , il ne toucha pas une
joueurs ont connu des effondrements seule figure au cours des huit premiers
incompréhensibles dans les positions coups : 1 . e4 c6 2. d4 d5 3 . e5 Ff5 4. h4 ! ?
critiques provoquées par les schémas de h6 5 . g4 Fd7 6. h5 ! ? c5 7. c3 e 6 8. f4, et il
Tal. La partie suivante défie une fois gagna) .
encore toute explication logique . La réponse indiquée est 5 . . . . e x d4
Smyslov, le superbe défenseur, joue 6. e x d5 c x d5 7. C x d4. Smyslov voudrait
avec le feu en dédaignant à maintes éviter un pion isolé, mais il concède ainsi
reprises des occasions de simplifier la aux Blancs une avance de développement
partie. Il semble trop content de rendre à considérable .
Tal la monnaie de sa pièce en s'adonnant 5 . . . . d x e4 6. C x e4 e x d4 7. D x d4
lui-même à une lutte aiguë et intense. Cgf6 8. Fg5 Fe7 9. 0-0-0.
Ensuite , au moment crucial, il commet Meilleur est 9. Cd6+ F x d6 10. D x d6
une gaffe surprenante et laisse échapper De7 + 1 1 . D x e7+ R x e7 12. 0-0-0 avec
la partie. une finale supérieure , mais Tal préfère
La raison en est à rechercher dans quelque chose de plus excitant. Cette
l'indomptable volonté de vaincre de Tal. p r é d i l e c t i o n e s t - e l l e u n m a n qu e
Une telle volonté a toutes les apparences d'obj ectivité ? Non ! U n guerrier a
d'une force tangible dirigée contre parfaitement le droit d'user de ses armes
l'adversaire. Mais examinons cette partie favorites .
et jugeons ensuite . 9 . ... 0-0 10. Cd6 Da5.
Plus simple est 10 . . . . Cd5 1 1 . F x e7
D x e7 12. C x c8 Tfx c8 13. Fc4 C7b6 et
l'avantage blanc n'est que minime .
M. Tal - V. Smyslov
A p r é s e n t , l e s N o irs menacent
Tournoi des candidats, Bled 1959
cependant 11. . . . D x a2 et 11. . . . F x d6
Défense Caro-Kann
12 . D x d6 Ce4. Tal pare les deux menaces
avec une riposte à double tranchant qui
1. e4 c6 2. d3. lui est coutumière , et Smyslov est prêt.
Le psychologue est déjà à l'ouvrage en 11. Fc4!? b5! 12. Fd2!
tirant immédiatement son adversaire de Et non 12. Fb3? (pour que le pion
ses « livres » dans cette défense vérifiée « a » continue à être défendu) . 12 . . . . c5

et sûre. 13 . De3 F x d6 14. T x d6 c4 et les Noirs


2 . . . . d5 3. Cd2 e5. gagnent une figure .
Quelque peu douteux, ce coup permet Au lieu d'échanger les Dames par
à l'adversaire de donner à la partie un 12 . . . . Db6 ou 12 . . . . D a4 13 . C x c8
caractère ouvert. 3 . . . . g6 est plus sain. Ta x c8 14. Fb3 D x d4 .15 . C x d4 Cc5 avec
4. Cgf3 Cd7 5. d4! un jeu facile , Smyslov garde ses menaces .

84
12. . . . Da6!? 13 . Cf5! Fd8! Coup pour coup ! Celui de Smyslov fut
critiqué par de nombreux commen­
tateurs . Il semble une menace par trop
facile à parer, mais il n'est pas carrément
faux. La protection de pions du Roi noir
doit demeurer intacte comme il ressort de
17 . . . . Cf6? (ou de suite 17 . . . . g x h6)
18. Dc5 Cd7 19. Dd6 g x h6 20. D x h6
Ff6 2 1 . Fc3 F x c3 22 . Cg5 ! F x b2 +
23 . Rbl suivi du mat.
Meilleur peut-être et sûrement plus
prudent est 17 . . . . Ff6 18. C x f7 + Rg8
1 9 . C7g5 h6 (et non 1 9 . . . . F x g5 ?
20. D x g5 D x a2 21 . Fc3 Tf7 22. Thel
Cf8 23 . Te7 Ce6 24 . T x f7 ! ) 20 . Ce4
A B C D E F G H D x a2 21 . C x f6 + C x f6 22. Da5 D x a5
23 . F x a5 avec une finale vraisemblable­
ment nulle.
Un coup défensif important , par 18. Fc3 Cf6?
exemple 1 3 . . . . Fc5 ? 1 4 . Dh4 b x c4 Une fois encore un puissant adversaire
1 5 . Fc3 ! D x a2 1 6 . T x d7 F x d7 (ou glisse dans le précipice vers lequel Tal l'a
16 . . . . C x d7 17. Dh6!) 17 . Ch6+ Rh8 m e n é ! La d é fe n s e exacte e s t
18. D x f6! gxf6 19. F x f6 mat. apparemment 1 8 . . . . Ff6 1 9 . C x f7 +
14. Dh4! b x c4 15. Dg5! (meilleur que 19. Cg5 F x g5 + 20. D x g5
Tal était décidé à lancer sa Dame à f6 21 . Dh5 Ce5 !) 19 . . . . Rg8 20. C7g5 h6
l'attaque du Roi adverse . Par la seule (et non 20 . . . . F x g5 + 2 1 . D x g5 ! )
force de sa volonté, il est parvenu à 21 . Ce6 F x c3 22. b x c3 Tf6 et avec les
amener cette position au prix du Fou . Les deux Rois pareillement en insécurité, la
possibilités sont si compliquées qu'elles position n'est pas claire . Dans cette
deviennent totalement incalculables , variante, les Blancs pouvaient même se
même pour Tal lui-même. Sur 15 . . . . Ce8 tromper gravement par 20. C3g5 F x g5 +
il avait prévu 16. D x d8 Cef6 (et non 21. C x g5 Cf6 22. F x f6 Ff5 ! 23 . Fc3 (ou
16 . . . . D x a2 17. Fc3 Cef6 18. T x d7 ! 23 . Fe7 c3 !) 23 . . . . Da4 et ce sont les
F x d7 1 9 . Ch6 + . ) 17 . D a5 avec l a Noirs qui attaquent puiss amment .
meilleure finale . Sur 1 5 . . . . g6 16. Ch6+ ! Cependant, Smyslov était en quelque
Rg7 il tenait au moins la nullité avec sorte voué à cette erreur face à la féroce
17. Cf5 + et aurait fort bien pu gagner par volonté de vaincre qui animait Tal.
17. Fc3 D x a2 18. Ch4! selon une analyse 19. D x t7!
de Clarke. Si 15 . . . . Ch5 16. D x h5 Cf6 Ce que Smyslov n'avait pas vu : la
17. Dg5 F x f5 18. D x f5 D x a2 les Noirs Dame est maintenant intouchable à cause
ont neutralisé l'attaque et gagné un pion, de 20 . T x d8 + avec mat , tandis que
mais Tal avait prévu une finesse 1 9 . . . . Te8 20 . D g8 + T x g8 2 1 . Cf7
l'amenant à sacrifier une nouvelle figure. conduit au mat étouffé. Par conséquent,
15 . ... Ch5 16. Ch6+ ! Rh8 17. D x h5 les Noirs doivent se résoudre à subir des
D x a2!? pertes matérielles irréparables .

85
19 • Dal + 20. Rd2 Txtï 21. Cxtï+
••• M. Botvinnik - M. Tal
Rg8 22. Txal Rxfï 23. Ces+ Re6 Championnat du monde, Moscou 1960
24. Cxc6 Ce4+ 25. Re3 Fb6+ 26. Fd4
1-0.
La partie préférée de Tal dans ce tour­
1. 8

n01. lll il l l l l l l 1-.1, 7

C'était le jeu implacable d'un homme


qui avait déjà pressenti son destin. Il
1 1 1 1 1 1 1 1 !11 l l l l l l lil l l l l l 6

remporta aussi ce tournoi de qualification 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 181 .i.11 1 1 1 1 1 � 5

et atteignit aux honneurs suprêmes de


Caïssa.
111.1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 4

C'est ainsi qu'en 1960, Mikhail Tal se l�I 1 1 !�1 18 3

retrouva face à Botvinnik pour le titre 811�1 1 1 1 1 1 �1 .i,I= 2

1a1 1 a 1
mondial.
Les pronostiqueurs professionnels 42 111 1 1 1 1
firent le bilan. D'un côté Botvinnik en A B c D E F G H

pleine maturité, le technicien superbe


dont la connaissance des Échecs était Position après le 2 1e coup blanc.
inégalée, exemple de trois générations de Tal menait déjà le match d'un point.
joueurs soviétiques. De l'autre Tal, âgé Après avoir construit une bonne position
de 23 ans, le joueur le plus brillant de avec une modeste pression à l'aile-dame,
toute l'histoire des Échecs, nommé par il n'y a aucune raison pour que les Noirs
Averbakh «L'apôtre d'un nouveau style prennent des risques inconsidérés. Mais
psychologico-combinatoire » qui, en se Tal n'a-t-il pas dit un jour: «Les
jouant, avait écarté comme par magie les amateurs d'Échecs, les spectateurs et les
autres prétendants. lecteurs ne sont heureux que lorsque le
Les traditionalistes déclaraient que les grand-maître risque plutôt que de le voir
parties brillantes de Tal étaient pousser du bois ». Et placé sous les feux
incorrectes, ne résistant pas à l'épreuve de l'actualité, savoir que les télex
de l'analyse objective et manquant de retransmettent ses coups dans le monde
profondeur stratégique et de technique entier, ne lui est certainement pas indif­
en finale. Botvinnik, le grand penseur férent.
scientifique, allait remettre ce jeune 21..•. Cf4!?
insolent à sa place. Plutôt que de retirer le Cavalier devant
L'essence de ce match se cristallisa dès la menace g3-g4, Tal le donne pour un
la 6e partie. pion et une ligne ouverte pour son Fou.
Un tel sacrifice a-t-il la moindre chance
de réussir contre le « logicien d'acier »
qui lui fait face ?
22. gxf4 exf4 23. Fd2.
Et non 23. Fxa7 b6 suivi de Da5
récupérant la figure avec avantage.
L'autre suite possible importante était
cependant 23. a3 Db3 24. Fxa7 sur
laquelle les analystes ont passé beaucoup

86
de temps . L'idée de Tal était d'y répondre gagnent une Tour. C'est pourquoi Tal
24 . . . . Fe5 ! et il donne les variantes sui­ s'ouvre un passage afin de pouvoir
vantes : obstruer la colonne « e » par Fe5 + .
a) 25 . Rgl? b6 26. Ddl D x b2 27 . Ta2 24 . .. f3! 25. T x b2?
.

T x c3 ! et les Noirs gagnent. Une erreur fatale. La crise se dénoue


b) 25 . f3 b6 26. Ddl D x b2 27 . Ta2 d'une manière qui ne nous est pas
T x c3 ! 28 . T x b2 T x cl 29 . Dd2 F x b2 inconnue . Le magicien triomphe à nou­
30 . D x b2 Tlc2 3 1 . Dd4 Te8 32. D x f4 veau !
T8e2 33 . Dg3 T x g2+ avec une finale Par 25 . F x f3 Botvinnik aurait pu
égale. obtenir le meilleur jeu avec la suite
c) 25 . Ff3 b6 (Les Noirs pouvaient proposée p ar Tal : 25 . . . . F x b 1
obtenir une position sensiblement égale 26. T x bl Dc2 27. Fe4 ! T x e4 28. C x e4
par 25 . . . . Ta8 ! 26. Ddl ! D x dl 27 . C x dl Fe5 + (ou 28 . . . . D x bl 29 . C x d6 Tf8
T x c l 28 . T x c l T x a7 29 . Tc7 Fd4 3 0 . D e 6 + R h 8 3 1 . C f7 + T x f7
30. Rg2 b5 , analyse de Shamkovich 32. D x f7) . 29 . Rg2 D x b l 30. C x d6 !
1977) . 26 . Ddl D x b2 27 . Ta2 T x c3 F x d6 3 1 . De6+ Rg7 32. Dd7+ et les
28 . T x b2 T x cl 29. De2 (et non 29 . Dd2 Blancs doivent gagner.
Fe4 ! ) 29 . . . . T8c3 et la lutte aiguë 25 . . . . fX e2 26. Tb3 Td4!
continue en dépit du fait que les Noirs La pointe . Le pion avancé assure la
n'ont pour l'instant qu'une Tour pour la récupération de la figure : si 27 . Fe3 a1ors
Dame ! Batourinski poursuit l'analyse par 27 . . . . T x c3 ! 28. Tb x c3 Tdl .
30 . F x b6 (si 30 . Td2 Tb3 3 1 . Rg2 Tc7 27. Fel Fe5+ 28. Rgl Ff4 (?) .
32 . Fb8 Tc8 et les Noirs ne devraient pas Le gain était plus rapide après
perdre - Konstantinopolski) . 28 . . . . T x c3 ! 29 . Tb x c3 Tdl 30. Tc4
30 . . . . T x f3 3 1 . D x f3 F x b2 32 . Rg2 Fe5 Fb2 . Tout est pourtant en ordre, puisque
33 . Fa5 Tc4 34. Db3 « et les Noirs ne sur 29 . Tal T x c3 suivi de 30 . . . . Tdl
vont pas avoir la tâche si facile d'annu­ signifiait la fin .
ler » . 29. C x e2 T x cl 30. C x d4 T x el +
Avec quel abandon Tal plonge dans les 31. Ffl Fe4.
labyrinthes du danger ! Protège indirectement le pion b7 par la
23 . . . . D x b2 (?) menace Fe4-d3 .
La suite erronée du sacrifice ! Juste est 32. Ce2 Fe5 33. f4 Ff6 34. T x b7 F x d5.
23 . . . . Fe5 24. Ff3 (24. f3 D x b2 donne Et maintenant 35 . T x a7 est exclu à
a u x N o i rs p l u s d e p o s s i b i l i t é s ) . cause de 35 . . . . T x e2 36. F x e2 Fd4+ .
24 . . . . D X b2 ! 25 . C d l (une nullité Avec un pion de plus et la meilleure
pouvait résulter de 25 . Tab l F x b l position, les Noirs gagnèrent facilement
26 . T x bl Dc2 27 . Tel Db2 28 . Tbl . ) douze coups plus tard.
25 . . . . D x a l et l e s Noirs o n t une
contrepartie suffisante pour la figure . Tal remporta le match de façon
24. Tabl. convaincante . Il admit plus tard avoir eu
Une forte restitution de la qualité. A recours à la psychologie , jouant parfois
présent, les Noirs sont en difficulté car de mauvais coups qui coûtaient beaucoup
après 24 . . . . F x b l 25 . T x b l Dc2? de temps à Botvinnik.
26. Fe4 ! T x e4 (ou 26 . . . . f3 27. D x c4!) La critique des « experts » était juste
27 . D x e4 D x d2 28 . De6+ les Blancs jusqu ' à un certain point , mais leur

87
pronostic était faux . Ils avaient une 1961 , il déclara qu'il avait été en mesure
nouvelle fois oublié que les Échecs sont de renverser le résultat en attirant Tal
un affrontement humain , une lutte dans des positions fermées avec une
intellectuelle menée non contre un idéal activité de figures restreinte .
de perfection - cela n'est atteint que Après avoir perdu sa couronne, Tal
dans quelques rares parties des meilleurs connut un changement notable dans son
joueurs - mais contre un adversaire de jeu qui se mit à décliner et devint plus
chair et de sang, un homme avec ses conventionnel . Il ne chercha plus la
émotions , ses préjugés et ses zones tension à tout prix. Les idées brillantes
d'obscurité. Et les tenants de la technique cessèrent d'être son pain quotidien, bien
furent confondus par l' « heureux magi­ qu'il continuât à susciter l'enthousiasme
cien » . des amateurs du monde entier.
Quelques années plus tard, Botvinnik Désormais , il livre son plus dur combat
n'attribua ce résultat qu'aux capacités contre le plus impitoyable de tous les
d'analyse de Tal « dignes d'un ordi­ adversaires : une santé déficiente . Mais il
nateur » , ignorant tout à fait les facteurs joue toujours comme quelqu'un qui sait
humains. Dans le match revanche de que le mat final est encore loin.

88
Petrossian : l'âge de l'anti-héros 13

« On dit que mes parties devraient être quier de tels héros, l'un étant qualifié
plus "intéressantes ". Je pourrais être plus d'« Invincible » , l'autre de « Machine à
"intéressant" . . . et perdre ainsi. » jouer aux É checs » , un troisième de
T. Petrossian « Plus grand joueur d'attaque de tous les
temps » , etc.
Mais de nos jours, le monde entier a
Sur un aéroport sud-américain , un été modifié par la révolution techno­
passager timide quitte l'avion . A son plus logique . A notre propre domicile, par les
grand effroi, une foule bruyante s'empare miracles de l ' électroniqu e , rois et
de lui, le hisse sur des épaules et se met à présidents nous parlent en direct. Nous
clamer une chanson arménienne . Objet avons même participé au voyage sur la
d'une telle adulation, l'homme est fort lune qui a cessé d'être celle des poètes et
embarrassé et souhaiterait visiblement des amoureux pour se transformer en un
être ailleurs . Le grand-maître d' Échecs , amas rocheux destiné à l'analyse des
Tigran Petrossian, est , bien malgré lui, scientifiques .
destiné à devenir champion du monde. Oui, il semble bien que la Raison ait
En d'autres temps, les grands joueurs v aincu l e R o m a n t i sm e . M ê m e l e
d' É checs s' entouraient volontiers de courageux astronaute que nous avons
mystère et de légendes donnant lieu à des accompagné en pensée dans l'espace, sera
cultes du héros. Steinitz, sans le sou, avait bientôt pour nous un homme tout à fait
dit à Rothschild, un des hommes les plus ordinaire et absolument pareil à nous.
riches du monde : « Aux Échecs , je suis Les seuls héros qui semblent demeurer
Rothschild et vous êtes Steinitz . » sont les héros morts.
Capablanca refusait de se montrer en Aux Échecs, cette tendance du monde
compagnie des actrices les plus célèbres contemporain est parfaitement incarnée
de son temps en disant : « Pourquoi par Petrossian . Sur le terrain des
devrais-je leur faire de la publicité ? » superlatifs, il mérite le suivant : « Le
Alekhine déclara un jour à un doua­ champion du monde le plus modeste de
nier : « Je suis Alekhine, champion du tous les temps. »
monde d' Échecs. Je n'ai pas besoin de A la différence des figures romantiques
passeport. » du passé qui prospéraient dans le mystère,
Imaginons l'émotion du commun des ce champion est tout à fait disposé à nous
mortels tenu d'affronter devant l'échi- révéler ses pensées. Ce fut lui qui ressentit

89
la peur en s'asseyant face à Botvinnik en La philosophie s'en développa orga­
1963 pour lui disputer le titre mondial. Il niquement au travers de ses propres
sentait qu'il s'opposait à une « institution parties . Dès le départ, il fut plus préoc­
nationale » . Dans la première partie du cupé par les possibilités de l'adversaire
match, il joua comme un « enfant mal que par celles de son propre jeu. Il
élevé » . Il ne s'attendait pas à être attaquait rarement, et bon nombre de ses
champion. On peut même imaginer qu'il parties s'achevait par la nullité sans qu'il
avait presque souhaité être éliminé avant semblât avoir fait le moindre effort pour
d'atteindre le sommet afin de pouvoir tenter de les gagner. Il fut pourtant vite
écrire un livre . Néanmoins , après vingt et connu car il était très difficile à battre .
une parties , il recevait la couronne Les premiers prix héroïques furent pour
mondiale . Ce fut le triomphe d'un anti­ lui aussi rares que les mauvais résultats .
héros. Petrossian développa sa force sans se
Cela n'a peut-être rien de surprenant, plier à aucun dogme, mais avec souplesse ,
car il était d'origine modeste . Il est né de prêt à riposter à toute menace . Son jeu
parents arméniens en 1929 à Tiflis, URSS . apparaissait plein de longues manœuvres ,
Devenu orphelin durant la guerre, il dut de figures inaccessibles au spectateur. Il
balayer les rues pour vivre. Alors que , détestait prendre des risques . Il paraissait
pour bien des grands j oueurs , les « ne rien faire » , répétant souvent les
Échecs sont le moyen de définir leur coups (il reconnaissait implicitement qu'il
identité , ils furent d'abord , pour lui , n'avait rien contre le partage du point) .
une façon d'échapper à la misère . Il Parfois, il semblait négliger de bonnes
d é p e n s a un j o u r l ' a r g e n t de s a occasions de gain.
nourriture quotidienne pour acheter L' adversaire de Petrossian voyait
un livre qu 'il conservait sous son d'abord toutes ses intentions agressives
oreiller pendant la nuit . C' est ainsi que réduites à néant, et il était ensuite bercé
commença l ' ascension graduelle , par un sentiment trompeur de satis­
ignorée , vers le sommet d'un talent faction. Peut-être la nullité lui serait-elle
échiquéen subtil et unique . offerte , en particulier s'il gardait des
Au début , le jeu de Petrossian n'attira chances d'attaque ? Mais si sa position
pas beaucoup l'attention . L'éclat de la comportait la moindre faiblesse, il devait
jeunesse révélé par bon nombre de grands être souvent prêt à mener pendant des
joueurs était absent de ses parties . La heures une défense sèche et ardue pour
lutte ouverte à couteaux tirés n'était pas éviter la défaite (un grand-maître opposé
faite pour lui . Il é t ait davantage à Petrossian , écœuré par un pion faible ,
influencé par l'héritage de deux grands abandonna bien avant qu'une décision
stratèges , Capablanca , qui représentait soit en vue , disant qu'il était fatigué de ce
le c l a s s i c i s m e é l é g a n t et p u r , e t jeu du chat et de la souris) .
Nimzovitch , l e créateur d'un système La philosophie de la prévention de
hyp ermoderne fleuri . D ans un des Petrossian est essentiellement négative .
nombreux petits motifs de ce dernier, Sa tendance est défensive mais s a
« la prophylaxie » , Petrossian trouva la stratégie est tellement profonde e t subtile
semence de ce qui allait devenir sa qu'il n'a ordinairement pas besoin de se
propre contrib_!.ltion majeure à la marche défendre, tant les possibilités agressives
des idées aux Echecs : la prévention. de son adversaire sont anticipées, prévues

90
et contrecarrées bien avant qu'une Y. Averbakh - T. Petrossian
attaque ait pris forme. Une fois qu'il se 26e championnat d'URSS, Tiflis 1959
sent en parfaite sécurité et que son Défense Sicilienne
adversaire est suffisamment aveuglé
quant aux véritables intentions de ses
l o n g u e s et p a t i e n t e s m a n œ u v r e s , 1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 cxd4 4. Cxd4
Petrossian commence à tester l a position Cf6 5. Cc3 a6 6. Fe2 e5.
adverse. La variante Najdorf, favorite de
Certains ont dit que « le tigre » Petrossian. L'idée est de restreindre
Petrossian attendait, pour bondir et l'activité des figures blanches tout en
frapper, qu'un large passage lui soit attendant l'occasion d'une expansion à
ouvert, ou qu'il préférait, tel un python, l'aile-dame. Le pion-dame isolé et la
étouffer lentement ses victimes dans une faiblesse crée en d5 ne sont pas Jaciles à
étreinte mortelle. Mais la métaphore la exploiter pour les Blancs.
plus spirituelle fut trouvée par Spassky : 7. Cb3 Fe7 8. 0-0 0-0 9. Fg5 Fe6
« Petrossian me rappelle un hérisson. Au 10. Fxf6 Fxf6 11. Cd5.
moment où vous pensez l'avoir attrapé, il L'échange de figures a accru le contrôle
dresse ses piquants. » des Blancs sur la case faible qu'ils
Vo y o n s à p r é s e n t un e x e m p l e occupent maintenant directement. Il est
caractéristique et relativement lucide du significatif que Petrossian dise de ce coup
jeu de Petrossian. Le choix du système qu'il est trop direct ; selon lui, plus subtil
d'ouverture assez fermé est révélateur. Il eût été 11. Dd3, forçant le Cavalier noir à
ne se lie à aucun plan préétabli, attendant jouer en c6, une place « moins élasti­
que l'adversaire trahisse ses intentions. que».
Averbakh, qui se garde de toute action 11. ... Cd7 U. Dd3 Tc8 13. c3 Fg5!
réelle, perd graduellement l'initiative et Typique, en restreignant le choix des
se retrouve ensuite sur la défensive. Blancs qui se voient privés d'un échange
Petrossian serre peu à peu le nœud en f6 ou de la poussée f2-f4.
coulant. Son adversaire, devant la triste 14. Tadl.
perspective d'une défense longue et
ardue, commet une erreur grossière et
s'effondre.
Nous avons la chance pour cette partie
8
de nous référer aux propres commentaires
instructifs du vainqueur qui explique le 7

cours de sa pensée. Cette partie l'aida à 6


devenir champion d'URSS pour sa
5
huitième tentative.
4

43
A 8 c D E H

91
14 . . . . Rh8. est parfaitement content de savoir que
« Un coup d'attente qui offre aux son adversaire souffre de faiblesses per­
Blancs le droit de définir leur futur plan manentes.
d e j e u » . D e l a quin t e s s e n c e d e 32. T x a5 T x a5 33. Tc3 Db6 34. Tb3
Petrossian ! Si nous ne connaissions pas Da7.
l'identité du joueur noir, nous pourrions Petrossian aime d'habitude confondre
à présent la deviner. Il n'y a rien qui son adversaire par des répétitions de
cloche dans la position des Blancs . Mais coup s . Typique eût été 34 . . . . D c7
ne voyant aucun moyen de l'améliorer, ils 35 . Tc3 Db6 36. Tb3 Da7 (la position
se mettent à perdre le fil et vont n'était répétée que deux fois) . Toutefois,
commencer à régresser. Averbakh se trouvait à court de temps .
15. Ff3 g6 16. Ce3 Tc6 17. Tfel Cf6 35. Tb4 Rg7 36. h4 Fh6 37. b3?
18. De2 b5 19. Tal Db6 20. Cd2 a5 Une lourde erreur qui abrège la partie.
21. Cdfl Tfc8. Après 37 . g3 un long combat attendait les
Le jeu passif des Blancs a permis aux adversaires .
Noirs de faire des progrès substantiels 37 . ... Ta2 38. Del Da5.
dans la perspective d'une percée de pion La menace Fd2 décide .
en b4. Maintenant 22. Tecl va de soi 39. Dbl Tal 40. Tb5 Dc3 0-1.
pour répondre à . . . b4 par c4. Mais au lieu La Dame blanche est attrapée .
de cette mesure adéquate, les Blancs se
laissent isoler artificiellement le pion Il ne faut pas penser que Petrossian
« a ». gagne toujours de la même façon. Celui
22. a3 b4 23 . c x b4 a x b4 24 . a4 Da7 qui n'est pas de prime abord attaché à
25. Tedl Ta6 26. Td3 b3! l'aspect artistique du jeu, peut aussi jouer
Empêch ant que les B lancs s e une belle partie . C'est ici la partie
consolident par b2-b3 . L'autre terme de préférée de Petrossian. La manœuvre de
l'alternative , 26 . . . . Fd7 , n'aurait pas eu Tour, hautement originale , qui représente
27. b3? Fb5 pour réponse, mais 27. Tadl un quart des coups de la partie, est des
F x a4 28. T x d6! plus artistique.
27. a5 T8c6 28. Ddl Dc7.
Les Noirs s'efforcent de gagner le pion
« a » ; ils ne se contentent pas seulement
T. Petrossian - M. Taïmanov
de son échange contre le pion d6. Afin de
22e championnat d'URSS
conserver l'égalité matérielle , Averbakh
Moscou 1955
ferme à présent la colonne « d » mais
Gambit de la Dame,
masque ainsi la seule petite faiblesse des
défense semi-slave
Noirs et gâche de ce fait son jeu avec
deux pions isolés.
29. Cd5 F x d5 30. e x d5 Tc5 31. T x b3 1. d4 Cf6 2. c4 e6 3. Cf3 d5 4. Cc3 c6
T6x a5. 5. e3 Cbd7 6. Fd3 Fb4 7. 0-0 0-0 8. Dc2
Plus fort est 31. . . . e4 32. Fe2 T6 x a5 Fd6(?) .
33 . T x a5 T x a5 34. Tb5 T x b5 35 . F x b5 illogique . L'idée du coup 6 . . . . Fb4 est
Dc5 36. Fc6 e3 ! . Petrossian n'est pourtant de retarder b2-b3 qui renforce le centre
jamais pressé et il n'est pas davantage blanc . Par conséquent , 8 . . . . d x c4
perfectionniste . Toujours pragmatique , il 9 . F x c4 Fd6 suivi de . . . e5 était meilleur.

92
9. b3 d x c4 10. b x c4 e5 11. Fb2 Te8 (?) prévenant d'abord . . . g5) pour mettre
La p o si t i o n n o i r e e s t d éj à fin à toute résistance .
inconfortable ; 1 1 . . . . e x d4 offrait de 20. Fg6 Te7 21. Th5.
meilleures chances défensives .
12. Ce4 C x e4 13 . Fx e4 h6 14. Tadl
e x d4.
8
Espérant obtenir le temps de souffler
après 15. T x d4 Cf6 (16. c5? C x e4) . Sur 7
14 . . . . De7, les Blancs auraient eu la forte
6
riposte 15 . Tel .
15. Fh7+ RhS 16. T x d4 Fc5. 5
C'est la pointe . A présent 16 . . . . Cf6 4

111111
serait suivi de 17. c5 ! C x h7 18. T x d6
D e7 1 9 . T x h6 . L ' autre pos sibilité 3
1 6 . . . . D e7 s' expose à une attaque
gagnante après 17. Te4 Df8 18. Th4 Ce5 8 2

19. Cg5 ! , par exemple : 19 . . . . f5 20. Fg6!


C x g6 21 . T x h6+ Rg8 22. T x g6.
44 """"'"
1 1 1 1 1 1�
"·�

A 8 C D E F G H
17. Tf4! De7.
La défense est difficile. Une possibilité
est 17 . . . . Tf8 18. Tdl Fe7 (empêche Th4)
19. Ce5 De8 20. T x d7! F x d7 21 . T x f7 ! La Tour est arrivée au terme de son
e t les Noirs doivent consentir à un voyage original . L ' impuissance de
désavantage matériel par 21 . . . . D x t7 , l'adversaire alors que les pièces sont
c a r 2 1 . . . . T x f7 c o n d u i r a i t au encore presque toutes sur l'échiquier,
mat : 22 . Cg6 + R x h7 23 . Cf8 + Rg8 rappelle la grandiose stratégie d e
24. Dh7+ R x f8 25 . Dh8 4:- . zugzwang d e Nimzovitch.
18. Te4 Df8. 21 . . . . Fd6 22. Tdl Fe5 23. Fa3 c5
Ou 18 . . . . Dd8 19. Th4 Cf6 20 . Tdl 24. Ch4 1-0.
D e 7 2 1 . C e 5 ! F e 6 ( 2 1 . . . . C x h7 ? De trop nombreuses figures noires vont
22 . T x h6 ! g x h6 24 . C x f7 + suivi du être victimes d'une fourchette de Cavalier
mat.) 22 . T x h6 ! ! gh6 23 . Cd7 ! F x d7 en g6. Sur 24 . . . . Dd8 suit 25 . F x c5 et
24 . T x d7 ! et gagne du matériel 24 . . . . Dg8 se précipite dans 25 . Fh7 !
(24 . . . . De6 25 . Ff5 capture l a Dame) . suivi de 26. Cg6+ et C x e7 + .
Petrossian qui appelle ses parties « de
Petrossian a une vision profonde des vieux amis » , dit de celle-là : « Je
complications tactiques bien que ses n'oublierai jamais la joie que me causa la
objectifs habituels soient de les éviter, longue manœuvre de ma Tour . . . Je crois
comme un navigateur s'éloigne de la qu'un artiste a le même sentiment quand
tempête . il voit clairement que son idée a été
19. Th4 f6. réalisée sur sa toile. »
La menace 20 . T x h6 rendait ce coup Petrossian est un expert dans le
nécessaire bien qu'il cause un trou traitement des positions fermées. Dans
détestable en g6 . Il suffit aux Blancs de un premier temps, par pure routine, son
viser cette case avec un Cavalier (en jeu cherche à limiter les chances adverses.

93
Ce n'est qu'après les avoir mmnrusees Ouvre le premier front. Les Noirs ne
qu'il engage des actions agressives. Dans peuvent qu'attendre le développement
la partie suivante, nous voyons la des événements.
profondeur de sa stratégie. 23 . ... Cd7 24. Fc3 Dg7 25. a3!
Prépare le second front sur l'autre aile.
L'avance sur une seule aile pourrait se
T. Petrossian - L. Sclunid révéler insuffisante pour le gain ; en
Erivan 1965 revanche, la nécessité de se défendre sur
Défense Est-Indienne les deux ailes surcharge la défense.
25. ... f6 26. b4 Tdf8 27. Cel g5.
1. d4 Cf6 2. c4 c5. Douteux, car les Blancs obtiennent un
Ce coup «Benoni » cède aux Blancs pion passé protégé en f5 et transforment
un avantage d'espace immédiat et c'est le pion « h » en pion arriéré. Mais rares
tout à fait du goût de Petrossian. s o n t l e s j o u e u r s a i m a n t att e n d r e
3. d5 d6 4. Cc3 g6 5. e4 Fg7 6. Fg5. passivement alors que l'attaquant donne
Un coup favori de Petrossian (sous un le ton et opère avec des chances sur les
ordre de coups différent, il porte le nom deux a i l e s . A u s s i le gra nd-m aître
de «variante Petrossian » ) . Le Fou ne allemand est-il à la recherche d'une
fait pas grand-chose en cet endroit, mais activité quelconque.
il incite généralement les Noirs à affaiblir 28. hxg5 fxg5 29. f5 g4 30. Cg2 Fg5
leur structure de pions. 31. Cb3 b6 32. Ra2 Fb7?
6 • h6 7. Ff4 Da5 8. Fd.2.
••. Sous-estime une possibilité blanche.
Très souvent, Petrossian joue plusieurs 32 . ... Ff6 était nécessaire.
fois la même figure dans l'ouverture. 33. bxc5 Cxc5.
Dans les parties fermées, le temps n'est
pas un facteur essentiel. Les Noirs
prennent m a i n t e n a n t une décision
déraisonnable en obstruant la diagonale 8
: ...... 1
de leur Fou et se privent d'une chance
ultérieure de libérer leur jeu par ...e6. 111 .tl l l!l l l l 7

11 1
.........1
'I"
Les coups suivants vont interdire toutes i 6
les chances noires d'activité, en particulier
f7-f5. 1 \lil l l l 1• Ill ....... , 1

8. ... e5(?) 9. Fd3 Ch5 10. Cge2 Cd7 1 1 1 1 1 1 1 8 8 l ! l l l1l l lil l l l1l l 4
11. g3 Chf6 12. h4 h5.
Les Noirs aimeraient soulager leur
·�l l211!l il l!�li 3

situation en échangeant les Fous en h6. �11 1 1 1 1 1 ·1 1 1 1 1 1 l tQJl l21l l il l l l 2


Cette consolation leur sera refusée.
13. Del Cg8 14. Cdl! Dd8 15. Dc2 Fh6
45 1 1 1 1 1 !'l l1l l lil l il 1l l[ l[:g 1

A B c D E F G H
16. Ce3 Df6 17. Tf1 Cb6 18. f3.
La construction lente. Le pion n'ira en
f4 que lorsque les figures seront placées
au mieux. L'affaiblissement du pion « e » devient
18. ... Fh3 19. Tt2 0-0-0 20. 0-0-0 Rb8 critique, mais 33. ... bxc5 34. Ca5 ne
21. Thl Fc8 22. Rbl Ce7 23. f4. laisse pas plus d'espoir à la longue.

94
D'ordinaire, Petrossian s'effraye des La cinquième partie qui a commencé par
échauffourées tactiques qui pourraient le u n e d é f e n s e Grün f e l d e s t tr è s
distraire du cours profond et uni de sa représentative à cet égard.
stratégie et risqueraient d'introduire 1. c4 g6 2. d4 Cf6 3. Cc3 d5 4. Cf3 Fg7
l'élément dangereux de la chance. Cette 5. e3 (un coup modeste) 5. ... 0-0 6. Fe2
politique est conforme à la prévention dxc4 7. Fxc4 c5 8. d5 e6 9. dxe6
sous-jacente qui domine ses parties. Mais (L'échange des Dames pour une finale
quand un calcul précis mène à un résultat légèrement avantageuse garantit au
clair, il démontre que sa répugnance minimum la nullité).
envers le jeu de combinaison n'implique 9 . . . . D x d l+ 10 . R x dl F x e6
pas un manque de capacité à le maîtriser. 11. Fxe6 fxe6.
A présent, son jeu stratégique a conduit
à une crise tactique calculée avec préci­
sion.
T. Petrossian - M. Botvinnik
34. Cxc5 bxc5 35. Cf4! Fxf4 36. gxf4
g3 37. Tg2.
Petrossian a calculé avec justesse et 8
voit qu'il s'emparera de la case vitale e5 7
avant que les pions passés liés adverses ne
6
deviennent dangereux. Si maintenant
37. ... h4, alors 38. fxe5 h3 39. exd6! 5
hxg2 40. Tgl! et les Blancs gagnent faci­
4
lement.
37. ... Cc8 38. fxe5 dxe5 39. Db2 Te8 3
40. f6!
2
Le pion passé que les Noirs ont négligé
de bloquer au 32e coup, fait à présent la 46
décision. Le mieux pour les Noirs était A B C D E F G H
maintenant 40. ... Dxf6 bien qu'après
41. Txg3 un des pions faibles dût tomber
rapidement, entraînant la fin de la partie. Les Blancs ont un minime avantage : la
Au lieu de cela, ils laissent Petrossian case forte e4 pour un Cavalier devant le
démontrer le gain qu'il avait prévu dès le pion « e » noir isolé. Une défense parfaite
35e coup. eût peut-être tenu la partie, mais
40. ... Dg5(?) 41. f7 Te7 42. Th3 h4 Petrossian gagna au 43e coup. Cette
43. T2xg3! 1-0. victoire lui a permis d'égaliser la marque
La suite pourrait être 43. ... hxg3 du match et de s'engager sur la route de
4 4 . T x h 8 Tx f 7 45. F x e 5+ Ra 8 la victoire.
46. Txc8+ Fxc8 47. Db8 mat. Il est remarquable que cette position
L'intuition de Petrossian pour 1111ru­ ait été prévue avant le match ; Petrossian
miser les chances d'attaque adverse avait dit à son s e condant qu'il la
mystifia Botvinnik lui-même lors de leur gagnerait. Telle était son appréciation des
match pour le titre mondial. Ayant atteint subtilités de la position.
son but, Petrossian s'accroche alors à la Que l'on dise de son jeu qu'il était
plus minime faiblesse du camp adverse. ennuyeux et tendait vers la nullité,

95
Petrossian n'en avait cure. Les Échecs Un sage dit un jour à l'auteur : « Em­
créateurs et combatifs impliquent le pêcher les choses ne suffit pas à vivre. »
risque de la défaite ; éviter de perdre Finalement, la prévention ne suffit pas .
était pour lui plus important que de D e nouvelles idées d' attaque seront
gagner. Le spectacle d'un champion du conçues au sein de l'opulence créatrice
monde qui participait à des tournois sans éternellement jeune des Échecs. Dans
en sortir vainqueur désappointait le public l'ardeur du combat, il ne sera pas toujours
qui ne pouvait pas se faire à l'âge de possible de trouver la défense parfaite,
l'anti-héros. mais nous pouvons être optLlllistes et
Baser son style sur la capacité de défier les penchants du monde moderne.
prévoir et de résister à tous les assauts est Les nouveaux héros, avec leurs rêves
une contribution impressionnante et de gloire , peuvent toujours escalader
originale à l'évolution de la pensée l'Olympe des Échecs .
échiquéenne . Mais ce n'est pas une Et six ans après son accession au trône,
réussite sur le plan créateur et artistique . le anti-héros fut terrassé . Petrossian
Il s'agit en fait d'une négation de la déposa s a couronne aux pieds de
beauté et des richesses de Caïssa. Spassky (*) .

(*) Il n'atteignit jamais plus le sommet, mais


continua à jouer des parties élégantes , comme sa
victoire tranchante contre Fischer dans la deuxième
partie du match final des candidats en 197 1 .
Petrossian, son esprit e t s a profondeur nous ont
quittés en 1984.

96
Larsen : la vitalité du romantique 14

« Les Échecs sont une belle maîtresse gouvernemental ni d ' e ntraînement


vers laquelle nous revenons toujours quel systématique , puisse défier le colosse
que soit le nombre de ses rebuffades. » soviétique ?
B . Larsen Pourtant , de grandes choses sont
possibles à un artiste qui aime son art. La
partie suivante aurait dû servir d'avertis­
sement.
D ans l ' immédiat après-guerre , Larsen ignore le « livre » pour se frayer
Bronstein en Russie apparut comme le d e s chemins origin aux dans les
plus brillant porte-drapeau de l'héritage ouvertures . I l use ici d e méthodes
romantique . Dans les dernières années « rétiesques » , incitant les Noirs à
de l'ère scientifique de Botvinnik , une construire un centre de pions pour le
nouvelle étoile fit son apparition dans saper ensuite et le démolir. Finalement,
une portion céleste inattendue . son adversaire, l'un des plus forts de
Ce jeune joueur n'obtenait pas toujours l ' é l i t e s o v i é t i qu e , s u b i t u n e rare
de brillants résultats en tournoi, mais les destruction de la position de son Roi
connaisseurs se mirent à rechercher ses soumis à une attaque de mat comme on
parties, car c'était un lutteur qui traitait en voit peu.
chacune d'elles comme un nouveau défi
créateur . Son jeu très original dans
l'ouverture menait à des milieux de partie B . Larsen E. Geller
-

complexes. Il jouait toujours pour le gain, Copenhague 1960


abominait la nullité et semblait immunisé Début Reti
contre les chagrins de la défaite. C'était
Bent Larsen, né en 1935 au Danemark. 1. g3.
Même quand il fut grand-maître, les Ce coup hypermodeme fut joué par
pronostiqueurs ne le prirent pas très au Reti dans une partie fameuse contre
sérieux . S e s résultats étaient trop Alekhine . Plus récemment , il a été
irréguliers . Certains plaisantaient en popularisé par l' Américain d'origine
disant que son meilleur atout était son hongroise Pal Benkô .
outrecuidance. De toute façon, qui aurait 1 . ... d5 2. Fg2 e5 3. Cf3.
pu s'attendre à ce qu'un individu de Incite les Noirs à rentrer dans une sorte
l'Occident, qui ne bénéficiait ni de soutien de défense Alekhine avec couleurs
97
inversées par 3. ... e4 4. Cd4 c5 5. Cb3 passent maintenant à l'action avec dyna­
f5. Mais Geller ne mord pas. misme.
3. ... Cc6 4. 0-0! Cf6. 19. ... cxb5 20. Cxe5 Dc7 21. Cf3Fe7
Toujours pas de réponse impatiente. 22. Tel.
Après 4. ... e4 5. Cel les Blancs sont Prépare Cd5 pour obtenir un pion passé
prêts à opérer par d3 et c4. Se présente et une forte pression contre le pion « g ».
désormais une sorte de Benoni avec De plus, un asile sûr au centre fait défaut
couleurs inversées. à la Darne noire. Si 22. ... Fxd3, alors
5. c4 d4 6. d3 Fd6 7. Ca3 0-0 8. Tbl 23. Cd5.
Te8 9. Cc2 a5 10. b3. 22. ... bxc4 23. dxc4 Db6 24. Cd5
Préférable à 10. a3 a4 11. b4 axb3. Cxd5 25. cxd5Ff8 26. Fd4 Db3?.
Les Blancs menacent du déploiement Le défensif 26. ... Db5 est nécessaire.
habituel à l'aile-dame auquel les Noirs Geller semble sous-estimer la force de
devaient s'opposer par 10. ... Cb4 11. a3 Cd7 que les Blancs vont placer, et il joue
Cxc2 12. Dxc2 De713. Db2 c5. Au lieu le reste de la partie comme s'il se trouvait
de cela, Geller se permet certains luxes et à court de temps.
le Cavalier qu'il néglige d'échanger est 27. Ce5 b5(?).
repoussé sur une très mauvaise case. Même ici, 27. ... Db5 est meilleur. Les
10. ... h6(?) 11. a3 Ff5 U. b4 axb4 choix des Noirs sont déjà dramatiquement
13. axb4 Dd7 14. b5 Cd8 15. e3! dxe3. limités, par exemple 27. ... Ff5 28. g4 f6
Le centre de pions commence à 29. gxf5 fxe5 30. Fxe5, ou 27. ... f6
s'émietter. 28. Cd7Da3? 29. Fxf6!, et la finale après
16. Cxe3Fh7 17. Fb2 c6 18. Tal Txal 27. ... Da3 28. Dxa3 Fxa3 29. Tc8 est
19. Dxal!. livide.
28. Cd7Fa3
Donner un pion par 28. ... f6 29. Fxf6
Ff5 est relativement meilleur.
Larsen évite maintenant le piège
29. Tc3 Fb2 30. Txb3 Fxal 31. Fxal
Tel+ 32. Ffl Txal 33. Te3 Ff5! et les
Noirs restent en vie. Au lieu de cela, il
lance l'attaque à l'aile-roi. C'est le dernier
des trois secteurs du champ de bataille
qu'il conquiert successivement, en allant
de gauche à droite.
2 9 . Fxg7! Fxcl 30. Cf6+ R xg7
31. Cxe8+ Rf8 32. Dh8+ Re7.
47
S a n s espoir est aussi 32 . ... Fg8
A B C D E F G H
33. Cf6.
33. d6+ Rd7 34. Cf6+ Rc8 35. Fh3+
Rb7 36. Dxd8 Ddl+ 37. Rg2 Fd3
L'ombre de Reti ! Le pion e5 ne peut 38. Fc8+ Ra8 39. Da5+.
plus être défendu et 19 .... Fxd3? Les Noirs abandonnent.
20. Tdl e4 21. Fxf6 est très mauvais pour La chasse à courre impitoyable au Roi
les Noirs. Toutes les figures blanches noir s'achève par le mat en deux coups.

98
Au début de sa carrière, Larsen suivit 16. Tbl Fg7 17. Txb7 Cd7 18. Cf4!.
sa p r o p r e v o i e , e x p é r i m e n t a n t e t Bronstein se refuse à faire rentrer le
explorant les possibilités illimitées des génie dans la lampe d'Aladin en retirant
Échecs. Ne s'effrayant jamais devant sa Tour, ce qui pourrait entraîner la forte
aucun péril et ne redoutant pas davantage réponse... Da5. Il consent à ce que la
la défaite, il découvrit progressivement retraite lui soit coupée avec le sentiment
les limites entre l'audace et la témérité. qu'il peut la maintenir à l'aide de contre­
Son intrépidité est parfaitement illustrée menaces.
par l'exemple suivant. 18. ... Cb6 19. Tel Fc3!
Menace le pion c4 et précipite la crise.
Larsen avait à prévoir le sacrifice qui suit
et à estimer ses propres ressources.
D. Bronstein - B. Larsen
20. Ce4!Fxel 21. Ce6!.
Tournoi Interzonal
Amsterdam 1964
8
Défense Est-Indienne
7

1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 Fg7 4. e4 d6 6


5. Fe2 0-0 6. Fg5.
5
La variante Averbakh.
6. ... c5 7. d5 e6 8. Cf3 h6 9. Ff4. 4
Ce coup est douteux. Mieux vaut
3
garder le clouage par 9. FM.
9. ... exd5 10. exd5. 2

Maintenant, 10. cxd5 aurait pour


réponse 10 . ... b5! 11. Fxb5 Cxe4!
12. Cxe4 Da5+. A 8 C D E F G H

10. ... Te8 11. Cd2.


Pour éviter Cf6-e4 qui eût été une Pour le moment, les Noirs ont une
bonne riposte à 11. 0-0. Bon pour les Tour de plus, mais leur Dame est
Noirs est aussi 11. Dd2 g5 12. Fe3 Cg4. virtuellement attrapée par un Cavalier
11. ... Ch5!. pratiquement imprenable car leur Roi est
Fort justement, Larsen se résout à un soudain menacé de mat, par exemple :
sacrifice de qualité prometteur : si 12. Fe3 a) 21. ... Txe6 22. dxe6 fxe6 23. Dg4
Txe3! 13. fxe3 Dh4+ 14. g3 Cxg3 De8 24. Cf6+.
15. Cf3 Dh3. b) 21. ... fxe6 22. Dg4 Fxf2+ 23. Rhl!
12. Fg3 Fg4 13. 0-0 Cxg3 14. hxg3 g 5 2 4 . D h 5 T e 7 ( o u 2 4 . .. . C d 7
Fxe2 15. Cxe2Fxb2!? 25. Txd7.) 25. Dg6+ Rf8 26. Cf6 Txb7
La position des Noirs est légèrement 27. Dg8+ Re7 28. Dg7 mat.
meilleure en raison de leur Fou puissant c) 21. . . Fb4. (Dans l'espoir d'obtenir
.

(selon Polougaievski, après 15. ... Cd7 ils une compensation pour la Dame.)
auraient eu un « jeu pleinement valable » 22. Df3 f5 23. Df4! avec une attaque écra­
- R. Teschner). Au lieu d'un dévelop­ sante.
pement tranquille, Larsen attire ainsi des Comment Larsen va-t-il conjurer le
complications infinies. désastre ?

99
21 . . . . Fxf2+ ! ! . aient une Tour de plus ! 29. . . . Te5? perd
U n sacrifice d e déviation. S'il est refusé à cause de 30. Cf6+ et le pion est promu
par 22. Rh2, Larsen envisage 22 . . . . Fd4! avec échec ou les B lancs matent . )
Une fois ce Fou idéalement placé, les 30. C x d6 Te5 3 1 . C x c8 C x c8 32. Ta8
Blancs n'ont rien de mieux que de T x e7 33. T x c8 + Rf7 34. T x c5 Ta7 et
prendre la Dame, après quoi les Noirs les Noirs tiennent la nullité dans cette
ont une compensation plus que suffisante. finale.
En outre , le Cavalier doit rester en e4 b) 25 . . . . h5 . C'était la variante de nullité
afin d'être en mesure . ;1 près 22 . . . . Dc8 , que Larsen tenait en réserve, par exemple
de répondre 23 . C x d <i . Bronstein joue le 26. e7 D x e7 ou 26 . Dh3 Df8 et fait nulle
meilleur coup. comme avec a) .
22. R x f2 fxe6 23. Dg4 Tf8+ ! . c) 25 . . . . C x c4( !?). Ce coup fut plus tard
La pointe de l'offre du Fou. A présent, surestimé par Larsen.
les Noirs ont le temps de se défendre du cl) 26 . e7 Tfl + ! 27 . Rh2 (27 . R x fl
mat. Ce3 + favorise les Noirs .) 27 . . . . De8
24. Rgl Tf6. 28. De2 ! Tf5 29 . g4 Df7 ! 30. g x f5 Te8
3 1 . fx g6 (3 1 . f6 d5 et les Noirs ont
l' avantage , Larsen . ) 3 1 . . . . De6
8 32. D x c4! (L'affirmation de Zaïtsev que
7
3 2 . D f l g a g n a i t e s t r é fu t é e p a r
3 2 . . . . C e 5 ! 3 3 . C f6 + ? D x f6 ! . )
6 32 . . . . D x c4 33 . Cf6+ suivi de 34. C x e8
5 et les Noirs doivent annuler (1. Zaïtsev) .
c2) 26 . Dh4 g5 ! 27 . Dh5 ! Df8 28 . e7
(28 . C x f6+ D x f6 29 . e7 De6 30. T x a7
3 poursuivant la Tour, suffit aussi , Zaïtsev.)
28 . . . . Tfl + 29 . Rh2 Df7 3 0 . e8D +
T x e8 3 1 . T x f7 T x f7 32. Dg6+ ! Rf8
3 3 . D x h 6 + R e 7 3 4 . C x g5 C e 5 !
49
3 5 . D e 6 + R f 8 3 6 . D x d 6 + Tfe 7
A B C D E F G H
37 . D x c5 et les Blancs ont un mince
avantage matériel.
Le coup choisi est clairement insuffi­
25. Dh3? . sant.
Une erreur à court de temps qui gâche 25 . ... Df8 26. Cg5 Tfl + 27. Rh2 Tf5
le jeu audacieux de Bronstein. 28. C x e6 Th5 29. D x h5 g x h5 30. C xf8
Plus tard, cette position suscita une Txf8.
joute d'analyses entre les deux adversaires Les Blancs abandonnent.
et d'autres joueurs. Exact était 25 . d x e6, Le combat de deux géants créateurs de
sur quoi la nullité eût représenté la juste notre temps . Il montre la vitalité de
conclusion d'une lutte passionnante. l'héritage romantique , un bastion contre
a) 25 . . . . Df8 26. e7 Tfl + 27. Rh2 Df5 ceux qui voudraient réduire les Échecs à
28. D x f5 T x f5 29 . T x a7 ! (Bronstein) un pur exercice technique .
29 . . . . Tc8 (ou 29 . . . . Th8 30. Th7 ! et les La partie ci-dessus permit à Larsen de
Noirs ne peuvent plus gagner bien qu'ils partager la première place avec des étoiles

100
soviétiques de première grandeur, telles 9. Fd2 Ch6 10. Tbl 0-0(?) (Mieux
que Tal, Spassky et Smyslov. Même en 10. ... b6.) 11. b4.
l ' a b s e n c e de F i s c h e r l'h é g émo n i e
soviétique était désormais entamée.
Larsen, homme de grande intelligence 8
et dont les curiosités étaient universelles,
7
prit vers cette époque une courageuse
décision pour qui vit dans le monde 6

capitaliste : il abandonna ses études 5


d'ingénieur et devint joueur d'Échecs
4
professionnel. C'était pour lui la seule
façon de s'adonner à son art et de lutter à 3
égalité avec les meilleurs.
2
Libéré pour une étude indépendante, il
ne cessa d'amener un nouveau répertoire
50
d'ouvertures divergeant de la théorie
A B C D E F G H
contemporaine. Il est, par exemple, le
premier grand-maître à utiliser pendant
des décennies le Début du Fou (1. e4 e5 Larsen appelle cela « L'Orang-Outan
2. Fc4) et le Début Bird (1. f4). Jouant la différé » et rappelle que les hyper­
Défense Hollandaise contre F. Olafsson modernes considéraient e2-e4 comme
à Beverwijk en 1961, sa fantaisie l'amena plus fort quand il était joué au lüe coup
à produire ce qui suit : 1. Cf3 f5 2. g3 g6 plutôt qu'au premier ; on peut dire
3. Fg2 Fg7 4. d4 Cf6 5. 0-0 0-0 6. b3 b5!? maintenant la même chose de b2-b4!.
7. c4 bxc4 8. bxc4 c5!? Après 11 . ... cxb4 12. axb4 Cf7
13. b5 Ce7 14. Del! e5 15. Da3 Dd8
Nimzovitch, devenu citoyen danois, 16. Tb4! Fe6 17. Ta4 Cc8 18. Tbl f5
inventa l'ouverture 1. Cf3 Cf6 2. b3. Pour 19. b6! a6 20. Cel Larsen eut dans cette
sa part, Larsen introduisit 1. b3 et se partie futuriste de loin la meilleure finale
référa humoristiquement à « l'École et il gagna.
Danoise » comme antidote à une certaine La seconde Coupe Piatigorski de 1966
conception pompeuse venue de l'Est. Il fut le plus opulent et l'un des plus forts
nomma 1. b3, le « Bébé Orang-Outan » tournois de tous les temps. Larsen,
(Orang-Outan était le nom donné par toujours ambitieux, y fit un superbe
Tartakover à 1. b4 qu'il joua après avoir parcours pour la première place, battant
visité un zoo). à deux reprises le champion du monde
Jouant avec les Blancs contre Calvo à d a n s d e s pa r t i e s s p e c t a c u l a i r e s,
Palma 1968, Larsen dépassa « l'hyper­ n'échouant qu'en raison de défaites
modernisme » pour les « Échecs du contre des étoiles de moindre magnitude.
futur » : 1. g3 g6 2. Fg2 Fg7 3. Cc3 c5 Il essaya de les battre dans des positions
4. d3 Cc6 5. a3 (Une offre de jouer la de nullité, omettant jusqu'aux précautions
variante Panno de l'Est-Indienne avec les plus élémentaires, ce qui lui valut le
couleurs inversées ; par 5 ou 6. e4 on sobriquet de « Grand optimiste ». Et de
pouvait transposer dans la sicilienne.) fait, l'objectivité dans l'appréciation des
5• ••• e6 6. Cf3 d6 7. Fg5 Dd7(?) 8. 0-0 f6 positions ou plutôt de celles des chances

101
adverses n'est vraiment pas son fort. A « Très passif. J'attendais 17 . Ce4 »
cette époque, j'écrivis : « Le Danois Bent (Larsen) , ce qui eût conduit à une finale
Larsen est un phénomène astronomique . égale . Petrossian semble se soucier
Ni un chaud soleil qui brille sans exagérément de son pion « b » .
interruption ni une étoile du soir digne de 17 . . . . De7 18. Cbl Fd7 19. Cd2 e4! .
confiance , mais une supernova qui s'étend Les Noirs sont les premiers à empiéter
et se consume quand, dans l'esprit du sur le territoire ennemi . Cela restreint les
grand Marshall , l'ambiguïté du point figures blanches , en particulier le Fou-roi ,
partagé le révulse. Larsen sait toujours et leur donne la supériorité d'espace de
tenir les deux mains de la déesse . » manœuvre.
Larsen atteignit le sommet durant l'ère 20. Cf4 d5 21. De2 Dd6 22. Tc2 Tec8
de Petrossian. De tout ce que nous avons 23. Tfcl T x c2 24. T x c2 h4.
écrit, il ressort que leurs philosophies Puisque 25 . g4 est interdit par . . . g5 , les
sont diamétralement opposées. Il bat ici Noirs obtiennent à présent un nouvel
le champion du monde comme s'il voulait avantage - le léger affaiblissement du
montrer une autre facette de ses talents support du pion « g » blanc. Ce dernier
multiples, usant des armes mêmes que n'est pas encore menacé mais le siège de
Petrossian affectionne - la prophylaxie ce pion menant à sa disparition finale est
nimzovitchienne , la blocade et finalement le thème du reste de la partie .
l a d e struction . S ans l a moindre 25. en h x g3 + 26. fx g3 b4.
échauffourée tactique, cette partie est un Fixant l'aile-dame . Larsen explique
chef-d'œuvre stratégique immaculé . qu'une idée de ce coup était . . . Fc8-a6 x fl
afin de saper le support du pion « g » ( ! ) .
Ce que les Blancs parent.
27. a4 Tc8 28. T x c8+ F x c8 29. h4.
T. Petrossian - B . Larsen
Probablement nécessaire tôt ou tard
2e coupe Piatigorski 1966
pour prévenir . . . g5 . Mais le trou en g4 est
Santa Monica
une nouvelle faiblesse .
Défense Est-Indienne
29 . . . . Cc7 30. Fh3 F x h3 31. C x h3 Ff8
32. Rg2 Dc6 33. Ddl Fd6.
1. c4 Cf6 2. Cc3 g6 3. g3 Fg7 4. Fg2 0-0 La première figure braquée sur le pion
5. d4 d6 6. e3. du destin.
Un coup modeste caractéristique de 34. Cf2 Ce6 35. Fel Cg7 36. Fd2 Cf5.
Petrossian . Chaque camp achève un Le second attaquant.
développement harmonieux dans la phase 37. Rh3 Dc8 38. Rg2.
d'ouverture . En soi, 38. g4 serait souhaitable ; mais
6 . ... c6 7. Cge2 a5 8. b3 Ca6 9. 0-0 e5 après 38 . . . . Ch6 suivi de Ch7 et de f5 ou
10. Fb2 Te8. g5 , l'aile-roi blanche s'écroulerait. Les
Larsen, qui excelle en finale , ne voit Blancs ne peuvent rien entreprendre
aucune raison de craindre 1 1 . d x e5 d x e5 sinon se tordre alors que le nœud coulant
12. D x d8 T x d8 13 . Ca4 Cd7 14. Tfdl se resserre .
Te8 suivi de Cdc5 . 38 . .. . Rg7 39. Chl Ch6 40. Fel Da6
11. a3 Tb8 U. h3 h5 13. Dc2 Fe6 41. Cf2 Cf5 42. Dd2.
14. Rh2 Dc7 15. Tacl b5 16. c x b5 c x b5 Larsen indique ici la possibilité 42. Fd2
17. Ddl(?) . Ch5 43 . g4 C x h4+ 44. Rh3 Cf3 45 . g x h5
102

---
Dc8+ 46. Rg2 Df5 et les Noirs gagnent. Les Blancs abandonnent.
42. ... Fb8 43. edl eg4 44. Rgl f6 La fin pourrait être 62. Cxg3 Dh3+
45. Rg2 g5!. 63. R f2 Dx g 3+ 64. R e2 Dxe 3+!
Commence ici la dernière étape qui 6 5. C x e 3 C xd4 + 6 6 . R d2 C x c 6
réclame l'ouverture de la colonne « h ». 67. Cxd5 Cd4 suivi de Cxb3 et gagne.
Si les Blancs poussent le pion « h », il est Larsen était plus fier de ce chef­
perdu. d'œuvre stratégique que de la partie
46. ef2 egb6 47. hX g5 fX g5 48. edl suivante plus brillante. Le lecteur jugera
Rg6!. par lui-même.
Le Roi va être utile à la blocade. A ce tournoi, Petrossian était frais
49. eh2 g4 50. Dc2 Fd6. émoulu de son premier match où il venait
Aucune activité n'est permise à la de défendre victorieusement son titre. Le
Dame blanche jusqu'à ce qu'il soit trop public sentait qu'une ère de
tard. «Prévention » s'était abattue sur la scène
51. en egs 52. eh2 er6 53. en Rh5 des Échecs. Mais ici, la force irrésistible
54. eh2 Rg5 55. en Ch5 56. Ff2 er6 de Larsen se heurte à l'immobile et
57. Fel eh5. l'immobile cède le pas.
Après une petite répétition de coups C'est la partie qui fit le tour du monde
destinée à atteindre le contrôle de temps, avec l'affirmation renouvelée de la beauté
la troisième figure d'attaque est mise en de Caïssa (pour être juste, il faut
position. Le pion paraît cependant mentionner que Petrossian a aussi
toujours défendable. remporté sa part de victoires contre son
58. Ff2 Da8 59. Fel. rival philosophique).

8
B. Larsen - T. Petrossian
1111111 7 2e coupe Piatigorski 1966

1111111 111111 6
Défense Sicilienne

�1-1� 5
1. e4 c5 2. er3 ec6. 3. d4 cxd4
111111 111111 4
4. e X d4 g6 5. Fe3 Fg7 6. c4.
3 L'étau de Maroczy. Les Blancs mettent
la main sur le centre et tentent de contenir
1 1 1 1 1 1 1�1 1 1 1 1 1 2
les Noirs sur trois rangées.

51 l l2Jl l l l l l l 6. ... ef6 7. ec3 eg4 8. Dxg4 exd4


9. Ddl ee6.
A B C D E F G H
Les Noirs ont employé une méthode
de simplification connue. Mais leur seule
figure bien placée est le Fou-roi tandis
La pression noire progressivement que le jeu blanc est libéré.
édifiée a atteint son point culminant. Le 10. Dd2 d6 11. Fe2 Fd7 12. 0-0 0-0
moment est venu de combiner. 13. Tadl Fc614. ed5 Tes.
59. ... Dh8! 60. Dc6 Fxg3! 61. Fxg3 Les Noirs n'ont pas de bon plan et il
ebxg3. leur faut attendre et voir ce que les Blancs

103
v o n t f a i r e . P e t r o s s i a n p r o t è g e ici Dans l'esprit subtil de Petrossian où le
doublement son pion-roi. Larsen, comme contrôle des cases clés prime tout autre
de coutume, est prêt à un jeu actif. chose, les manœuvres tortueuses des
15. f4 Cc7. Noirs ont neutralisé l'attaque et ils sont
Si 15. .. . Cc5 alors 16. e5 (Nécessaire prêts avec les contre-menaces Cc5xe4,
et fort: 16 . ... Fxd5 17. Dxd5 b6 e7-e6 et peut-être f7-f5, à s'emparer du
18. Df3.). Le coup préparatoire ... b6 est centre. Si les Blancs jouent 20. Fxc5
à considérer bien que les Blancs y gagnent dxc5 21. Cf6+ (ou 21. Dxc5 Fxd5
la possibilité de jouer a2-a4-a5. 2 2 . T x d 5 D b 6 a v e c u n e n u l l i té
16. f5 Ca6?! vraisemblable. ) 21. .. . Fxf6 22. Txd8
Maintenant que Larsen s'est engagé et Taxd8 23. De2 ou Dc2 Td4 et les Noirs
a, semble-t-il, raté la chance de jouer ont une belle contrepartie pour la Dame.
e4-e5, Petrossian croit pouvoir disputer le Un technicien concluerait que l'attaque
centre et exploiter la case forte e5. blanche s'est épuisée.
L'idée est plausible et non sans Larsen, quant à lui, doit une partie de
ambition, mais elle coûte trop de temps. son héritage spirituel aux autres joueurs
Mieux valait rechercher un romantiques qui trouvaient leur bonheur
soulagement par 16. . .. Cxd5 17. cxd5 dans la quête de belles combinaisons où
Fd7. La position de leur Roi est alors les certitudes de la science ne tenaient
vulnérable mais les Noirs ont un contrejeu aucune place. A la poursuite de leur
par ... b5. idéal, ils étaient disposés à risquer
Larsen ne se laisse pas impressionner beaucoup plus que des bagatelles comme
par cet effort préventif. Il se tient prêt à des cases faibles ou des pions. Aussi
une suite de coups forcés dictant les Larsen, fidèle à sa déesse, dont il attend
réponses noires. toujours les faveurs, trouve-t-il une
17. Fg4! Cc5! 18. fxg6 hxg6 19. Dt2 superbe façon de continuer l'attaque.
Tf8. 20. e5!!!.
Un sacrifice extraordinaire, couron­
nement des trois derniers coups. Il
1. 8
n'ouvre pas de nouvelles lignes mais attire
l!ll lil l l l l l l l !ll ilil:'Jl 7
purement et simplement le Fou-roi sur

1 .i.11!11 1 1 1 1 1 1 11.:1 1 1 1 1 1 6 une case d'où il devra bientôt rejouer. De


cette manière, le coup ne gagne qu'un
111111 lct:Jl l l l l l l 1 5
seul temps. Pourtant, après que les Noirs

l l l l l l lcil l l l l l l 1 1 1 1 1 1 1�' 4 ont pris deux temps pour jouer leur Tour
de f8 afin de revenir sur cette case, et
111111 1111111 1 lil l l l l l 3
trois, pour amener leur Cavalier de e6 en
81 1 ciil�I 2 c5, ce simple temps de plus est désormais

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1n1 1 1 1 1 1 1�1=1
crucial. Si les Noirs refusent le pion, ils
52 sont positionnellement perdus.
A B C D E F G H 20. ... Fxe5 21. Dh4! Fxd5.
Il faut concéder à la Tour adverse
Une riche position ! Nous assistons une l'avant-poste agressif en d5, car 21. ...
nouvelle fois au choc éternel de deux Te8 mènerait au mat après 22. Txf7!
conceptions contradictoires des Échecs. Rxf7 23. Dh7+.

104
22. Txd5 Ce6. La réponse des Noirs déporte pour
Le Cavalier se précipite à la défense de ainsi dire la Tour ennemie de f3 en f4 (si
son Roi. 22. ... e6 23. Dxd8 abandon­ 25... Cc7 alors 26. Dxg7+ ! et mat en
nerait deux figures contre une Tour. Sur deux coups).
22. ... Ce4 23. Tf3 Fg7 (Si les Blancs 25. ... Cf4 26. Txf4 fxg6 27. Fe6+
n'avaient pas sacrifié le pion et joué Ttï.
20. Dh4 Fxd5 21. Txd5 Ce4 22. Tf3, la L'autre terme de l'alternative est
même position eût été atteinte mais avec 27. ... Rh7 28. Th4+ Fh6 29. Fxh6 Tf5
le trait aux Noirs - la différence critique (Évite le mat au coup suivant - si 29. ... g5
d'un temps !) 24. Th3 Cf6 25. Ff3 et les alors 30. Txg5 Db6+ 31. c5.) 30. Txf5
menaces blanches Td5-b5 et Fe3-h6 font gxf5 31. Ft7 ! ! e5 32. Th3 Db6+ 33. Rhl
la décision. suivi de mat par Ff8.
23. Tf3! Ff6(*)! 24. Dh6 Fg7. 28. Txtï Rh8 29. Tg5! b5.
Ou 29. ... Fe5 30. Txg6 Da5 31. Th6+
Rg8 32. T7f6+ Rg7 33. Tfg6+ Rf8
i. 1 8 34. Tg8 mat.
l 1
30. Tg3.
lll il l lil l l l 7
Les Noirs abandonnent.
l l l l l l l lill 6 Le mat ne peut être paré qu'en rendant

1 1 1 1 1 1 l l lil l l l1d 5 la Dame.


Une nouvelle « immortelle » qui fera
1 1 1 1 1 1 1 8111 1 1 1 1 1 4
les délices des futures générations de

111111 1111111 1 3 joueurs d'Échecs, longtemps après l'oubli,


dans les manuels poussiéreux, des
811!�1 1 2
réussites nébuleuses de la Prévention ( * ) .

53 111 111 1 En 1967, Larsen établit un record


absolu en gagnant quatre tournois
A B C D E F G H
majeurs l'un après l'autre. Et en 1971,
pour la troisième fois consécutive, il
atteignit la demi-finale des candidats au
Apparemment, les Noirs ont repoussé titre mondial. Il infligeait ainsi un démenti
l'attaque et les Blancs semblent ne rien à tout les « réalistes » qui tenaient pour
avoir de mieux que répéter les coups par Don Quichottesque toute aspiration à
25. Dh4. déplacer loin de Moscou le centre de
Le décor est planté pour un des plus gravité échiquéen.
beaux coups de l'histoire des Échecs.
25. Dxg6!!
Un brouhaha e xc i t é s'éleva d e s
(*) Dans leur livre 4x25(Estonie 1975) Keres et
spectateurs - Larsen a sacrifié s a Dame Nei critiquent fort justement ce coup et proposent
contre le champion du monde ! une meilleure défense. 23 ....f5 24.Th3 Rf7
Les adorateurs de Caïssa ne peuvent 25.Fxf5 gxf5 26. Dh5+ Rf6 27. g4 Cg7! 28.Fg5+
Re6 29.Dg6+ Ff6 30. gxf5+ Rd7 31. Fxf6 Txf6
pas faire de plus grand sacrifice. Celui de
32.Dxg7 Dg8 et les Noirs s'échappent dans une
la Dame est un thème récurrent dans les
finale où les Blancs n'ont qu'un maigre pion de plus.
parties de Larsen. Cela doit avoir pour lui C'est pourquoi 17.b4 était préférable. Caïssa avait
une importante signification symbolique. d'autres plans.(Note de l'édition allemande.)

105
Les plus grands honneurs ne doivent réaffirma à la fois l'héritage du Roman­
pas revenir seulement aux champions qui tisme passé et annonça l'aurore d'un art
atteignent le sommet, mais récompenser créateur nouveau , à une époque de
aussi les amoureux des É checs qui l'histoire où primaient les idées contrai­
enrichissent notre joie au jeu des rois res.
ainsi que l'évolution de la pensée échi­ Dans les parties de Larsen, nous pou­
quéenne. Comme un certain grand joueur vons véritablement reconnaître la stature
russe du tournant de ce siècle, Larsen créatrice d'un nouveau Tchigorine.

106
Spassky le secret de Caïssa 15

« Les Échecs, avec toute leur profondeur­ Smyslov augura la naissance d'un talent
philosophique, leur séduction esthétique, de première importance . Il fit montre à
sont avant tout un jeu, au meilleur sens du ce tournoi de courage et d'idées fortes,
terme, dans lequel se révèlent notre comme nous le voyons ici dans la position
intellect, notre caractère et notre volonté. » suivante .
B . Spassky

Troianescu B . Spassky
-

Durant la guerre , au moment où Bucarest 1953


Leningrad se trouvait assiégée, un certain
jeune garçon, né en 1937, se trouva parmi
ceux qui eurent la chance d'être évacués 8
de la cité.
Un mystique y verrait la main de
Caïssa. En effet, bien des années plus 111111 6
tard , Boris Spassky devint le joueur 5
suprême de ce jeu symbolisant la guerre .
4
Spassky est issu du peuple russe célébré
pour son cœur chaleureux. Et l'on a pu 3
percevoir dans son jeu cette passion
2
expansive de l'âme russe légendaire que
l'on retrouve historiquement sublimée
54
G H
dans les œuvres d'art les plus belles. Dans
A 8 C D E F
ses parties d' Échecs on n'a jamais trouvé
la mesquine avidité des ramasseurs de
pions , mais plutôt l ' élan créateur Le développement prématuré de la
audacieux d'un amoureux de Caïssa. Dame blanche se heurte à une riposte
Bien entendu, son talent fut très tôt tranchante.
reconnu et cultivé . Il est rare pour un 7. . . . Cg4! 8. Dd2.
joueur soviétique de faire ses débuts 8. Dg3 attire la forte réponse 8 . d5 !. . .

internationaux à l'âge de 16 ans. Ce fut suivi de Fh4 .


pourtant le cas de Spassky à Bucarest en 8 . . . . Fc5 9. Cdl.
1 953 où sa victoire raffinée contre Si 9. 0-0 alors 9 . . . . Dh4 gagne .

107
9• De710. f3 Dh4+ !!
.•• m e n t pour un pion et de v a g u e s
Semble coûter une figure. Spassky a perspectives d'attaque ? Spassky raisonna
pourtant calculé plus loin. ainsi : les Noirs ont une position très
11. g3 Cge5! 12. gxh4 Cxf3+ 13. Rfl resserrée, sans contrejeu. Avec des coups
d5! normaux, ils seraient écrasés à mort et
La première pointe : le mat en un coup p e r d r a i e n t s u r l a c o l o n n e « h ».
menace et le Fou est attaqué. Positionnellement, ils sont déjà perdus.
14. Rg2Cxd215. Fxd5. Mais après avoir donné le Cavalier, ils
Le Cavalier noir n'est-il pas capturé ? ont au moins une colonne ouverte et
15. ... Fg4! peuvent obtenir une figure sur une case
La véritable pointe du 1Qe coup : la décente avec Ce6-d4. L'idée de Spassky
figure est sauvée et après 16. Fxd2 Fxe2 est tellement inhabituelle que le public se
17. Cc3 Fh5 Spassky bénéficie de la récria et demanda que le coup apparu sur
meilleure finale. Après d'autres l'échiquier de démonstration soit rectifié.
escarmouches tranchantes, il remporta la (C u r i e u s e m e n t , l e g r a n d -m aît r e
victoire au 4Qe coup. Averbakh ne parvint pas à capitaliser sa
Des idées brillantes et originales figure de plus, et après bien des
allaient devenir la marque de fabrique de vicissitudes la partie s'acheva par la nullité
Spassky. Dans la position suivante, il joua au 73e coup.)
l'un de coups les plus incroyables de Il devint clair que Spassky n'était pas
mémoire de joueur. un dogmatique mais un tenant de l'École
créative.
C'est une vieille devise du combat
Y. Averbakh - B. Spassky psychologique que de placer l'adversaire
Championnat d'URSS 1956 devant ses armes favorites. Mais en
Match de départage choisissant cette partie romantique, le
Gambit du Roi, contre Bronstein, son
champion le plus récent, Spassky payait
tribut à son adversaire et semblait dire :
« Combinons nos idées et produisons
quelque chose de distrayant, peut-être de
beau, comme les parties de l'époque
romantique. »

A 8 C D E F G H

Après le 16e coup blanc.


16 • Cc6!!?
..•

Qui d'autre eût songé, dans une telle


position, à sacrifier une figure unique-

108
B. Spassky - D . Bronstein cependant un jeune homme qui ressent
Championnat d'URSS 1960 déjà l'attrait de l'immortalité .
Gambit du Roi 14. Cd6! !?
Sans reculer devant le prix d'une Tour,
il ne perd pas un instant. Dans cette
1. e4 e5 2. f4!? e x f4 3. Cf3 d5 4. e x d5 situation les valeurs normales n'ont plus
Fd6 5. Cc3 Ce7. cours et un temps est réellement égal à
Il est caractéristique de Bronstein de une Tour. Seul un esprit échiquéen hors
vouloir rechercher quelque chose
du commun pouvait arriver à une telle
d'inhabituel . 4. ou 5 . . . . Cf6 est plus déduction.
usuel. 15. ... Cf8?!
6. d4 0-0 7. Fd3 Cd7 8. 0-0 h6(?) . Tout un chacun prendrait d'abord la
Perte de temps et affaiblissement tout
Tour et réfléchirait ensuite - excepté
à la fois. Peut-être les Noirs envi­ Bronstein ! Mais ici, son penchant d'être
sageaient-ils . . . g5 , mais les Blancs déve­ différent lui coûte probablement la partie .
loppent une forte initiative. 8 . . . . Cf6 est La défense exacte fut indiquée ensuite
indiqué.
par Spassky : 15 . . . . e x flD + 16. T x fl
9. Ce4! C x d5 10. c4 Ce3 11. F x e3
F x d6 17. Dh7 + Rf8 1 8 . c x d6 c x d6
fx e3 12. c5 Fe7 13. Fc2.
19. Dh8+ Re7 20. Tel + Ce5 21. D x g7
Prépare une banale attaque de � at. Tg8 22 . D x h6 Db6 23 . Rhl Fe6
Comme la case g6 a perdu sa protection, 24. d x e5 d5 et l'échec perpétuel est le
13 . . . . f5 1 4 . Cg3 f4? 15 . D d3 serait
pire qui puisse arriver au Roi noir.
maintenant trop risqué pour les Noirs.
16. C xf7! e x fiD + 17. T x fl Ff5.
13 . ... Te8 14. Dd3 e2.
La Tour ne s'est pas échappée mais le
Cavalier si, car 17 . . . . R x f7 conduit au
8
mat après 18. Cg5 + Rg8 19. Fb3 + . Aussi
les Noirs utilisent-ils leur Fou comme
7 Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur
6
garder un père . . , . .

La meilleure chance pratique residrut


5 en 17 . . . . Dd5 18. Fb3 D x b3 (et non
4 18 . . . . Dh5 19. C x h6 + Rh8 20. Cf7+
Rg8 21 . Cg5 + Rh8 22. Ff7 suivi de F x e8)
3
19. D x b3 Fe6 20. C x h6 + g x h6 avec
2 trois figures pour la Dame ; pourtant, les
trois pions récoltés par les Blancs après
56 21. D x b7 pèsent lourd.
A B C D E F G H 18. D x f5 Dd7 19. Df4 Ff6 20. C3e5
De7(?).
Les Noirs pouvaient prolonger leur
Bronstein utilise le pion condamné résistance en rendant ici la qualité
comme moyen de déviation pour gagner (20 . . . . F x e5 21 . C x e5 T x �5) .
.
du temps . Les Blancs peuvent garder un A présent, ils perdent rapidement car il
bon jeu sans risque par 15. Tf2 Cf8 n'y a rien à opposer au puissant Fou
1 6 . C e 5 Fe6 1 7 . Te l . S p a s s ky e s t adverse de cases blanches.
109
21. Fb3 F x e5 22. C x e5+ Rh7. laissant en suspend la question du roque .
Ou 22 . . . . Rh8 23 . De4 (menaçant 9. F x c4 0-0 10. h4 d5(?).
24 . T x f8 + ) 23 . . . . g5 24 . Tf7 D d 8 Théoriquement, une réaction centrale
25 . Dh7+ C x h7 26. Cg6+ Rg8 27. Td7+ à l'attaque latérale blanche est indiquée .
Te6 28. F x e6 mat. A mentionner est Mais 10 . . . . h5 pour la ralentir eût été
aussi 22 . . . . Ce6 23 . Cg6 Dd7 24. De4! plus avisé.
menaçant 25 . Tf8 + . 11. Fb3 d X e4 U. h5!
23. De4 + . Spassky est dans son élément . Se
Les Noirs abandonnent. contenter de la récupération du pion e4
23 . . . . g6 24. T x f8 suivi de D x g6+ amènerait l'attaque dans une impasse
mène au mat tout comme 23 . . . . Rh8 a p r è s 1 2 . f x e 4 F g 4 . M a i n t e n an t
24. T x f8 + . Une partie comme on avait 12 . . . . C x h5 1 3 . Fh6 perdrait
l'habitude de les jouer avant l'avènement rapidement , par exemple 13 . . . . Cg3
de l'ère de la technique. 1 4 . F x g 7 C x h l 1 5 . F x f 8 D x f8
Les sacrifices abondent dans les parties 16. C x e4 Ff5 17. Tfl et une figure est
de Spassky jeune mais , pour lui , ils capturée .
n'étaient pas contraignants comme pour U . ... e x f3 13. h x g6 h x g6.
Tal. Ils découlaient de son désir naturel
d'attaquer. En mûrissant, il perfectionna
l'art d'obtenir des attaques soutenues
aussi régulièrement que le grand Keres .
Avec les Blancs, il devint très difficile à
arrêter. Il domine ici un adversaire connu
pour ses talents défensifs.

B. Spassky - D . Evans
Tournoi olympique , Varna 1962
Défense Est-Indienne
A B C D E F G H

1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 Fg7 4. e4 d6


5. f3. 14. Fb6!
Tandis que Petrossian utilise la variante Un coup révélant le sang-froid de
Samisch afin d'exercer un long écra­ Spassky. Quand on donne un second
sement positionne!, Spassky s'en sert pour pion, on est condamné à un rapide succès
un assaut de grande envergure contre le de l'attaque ou à une défaite probable .
Roi ennemi. Même dans les rencontres les plus
5 . . . . c6 6. Fe3 a6 7. Dd2 b5. cruciales , Spassky n'hésite pas à risquer
Un système défensif dont l' Américain de perdre . Il est un superbe lutteur dont
Robert Byrne a montré l'efficacité. les nerfs ne craquent jamais .
8. 0-0-0 b x c4(?). Se serait-il contenté ici de 14. C x f3 ,
Mais cet échange est très certainement qu'Evans aurait pu se défendre avec
déplacé tant que le Ffl n'a pas joué . 14 . . . . Cg4 .
Meilleur est 8 . . . . D a5 9 . Rb l Cbd7 14 . . . . fx g2 15. Th4!

110
14 . . . . fxg2 15. Th4! remarquable , il avait gagné les deux
Maintient la menace de mat en trois premières p arties par des sacrifices
coups . Si 15 . . . . Ch5 ? alors 16. T x h5 étincelants dans le domaine royal .
g x h5 17. Dg5 .
15 . ... Cg4 16. F x g7 R x g7 17. D x g2
Ch6(?) .
L e champion américain s' accroche
s o l i d e m e n t au m a t é r i e l c o n q u i s .
Relativement le mieux était d'en restituer
une p artie et de j ouer 17 . . . . Th8
18. T x g4 F x g4 19. D x g4 Dd7 ; avec
leurs deux figures pour la Tour, les Blancs B . Spassky E. Geller
·

eussent de toute façon gardé un avantage Match de candidats 1968


en milieu de jeu . D'autres tentatives sont Défense Sicilienne
rapidement réfutées , comme 17 . . . . Ce3
18. Dh2 Th8 19. T x h8 D x h8 20. De5 + ,
ou 17 . . . . f5 18. Cf3 Th8 19. Tdhl T x h4 1. e4 c5 2. Cc3 d6 3. g3 Cc6 4. Fg2 g6
20. T x h4 suivi de Dh3 ou Cg5 avec une 5. d3 Fg7 6. f4 Cf6.
attaque irrésistible . Il n'était pourtant pas Une adhésion opiniâtre au même
facile de voir qu'après le coup du texte système défensif. Dans la partie suivante ,
l'attaque était déjà décisive . Geller jouera finalement le plus souple
18. Cf3 Cf5 19. Th2 Dd6. 6 . . . . e6 et 7 . . . . Cge7 avec un résultat
Dans l'espoir de pêcher en eau trouble satisfaisant.
par Df4 + . Légèrement meilleur est 7. Cf3 0-0 8. 0-0 Th8 9. h3 b5 10. a3.
19 . . . . Dc7, tandis que 19 . . . . Th8 perd Comme de coutume , les Noirs
en raison de 20 . F x f7! et 19 . . . . Ce3 à avancent à l'aile-dame e t les Blancs à
cause de 20. Dg5 . Les derniers coups de l'aile-roi . La contribution de Spassky
Spassky sont directs et destructeurs . réside dans l'idée de jouer a3 , menant à
20. Ce5 Cd7 21. Ce4 Dc7 22. Tdhl l'ouverture de la colonne « a » que les
Tg8. Noirs utilisent pour pénétrer dans le camp
Ou 22 . . . . Cf6 23 . F x t7 suivi de mat. adverse . D ' habitude , les B lancs ne
23 . T h 7 + Rf8 24 . T x f7 + R e 8 touchent pas au pion « a » , mais il est
25. D x g6 C x e5. ensuite soumis à l'attaque à moins que les
Ou 25 . . . . T x g6 26. Th8 + . Noirs ne forcent la percée au moyen de
26. Tf8+ . . . . b3 ou . . . a3 . L'idée originale de
Les Noirs abandonnent. Spassky consiste dans le « sacrifice » de la
Ils sont mat au coup suivant. colonne « a » . Il place tous ses espoirs
La partie suivante est la dernière et la dans son édifice à l'aile-roi.
meilleure d'une très remarquable trilogie 10 . .. . a5 11. Fe3 b4 U. a x b4 a x b4
jouée au cours d'un même match. Spassky 13. Ce2 Fb7 14. b3.
avait conçu un vaste plan stratégique dans Le premier coup nouveau. La partie
la v ariante fermé e de la D éfense précédente avait vu 14. Dd2, assurant une
Sicilienne , concédant l' aile-dame aux chaîne de pions stable dont la base , le
Noirs et jetant toutes ses forces dans une pion c2, fut défendue jusqu'à ce que cela
attaque à l'aile-roi. Avec une constance cesse d'avoir de l'importance .

111
14 . . . . Ta8 15. Tel! Ta2 16. g4. 22. Dh4 Tc8.

A B C D E F G H A B C D E F G H

L'attaque blanche dans l'autre secteur Les Noirs donnent à leur Roi l'espace
commence modestement. Il n'est pas clair nécessaire avant de capturer le pion « c »
du tout de savoir laquelle des deux condamné . La lente évolution de
attaques va prévaloir (voir la discussion l'attaque blanche a atteint son point
poétique de Reti à propos d'une situation culminant : une nouvelle foi s une
analogue dans la fameuse partie Pillsbury­ combinaison est à l'ordre du jour.
Tarrasch) . 23 . T x f6 ! e x f6 24 . D h 7 + Rf8
Maintenant les Noirs exécutent une 25. C x f7!!
manœuvre de Dame qui n'est finalement Spassky dépouille impitoyablement le
pas très efficace et laisse trop peu de Roi noir. Si maintenant 25 . . . . R x t7 alors
défenseurs à l'aile-roi . 16 . . . . Ca7 ou 26. Fh6 Tg8 27. Cf4! ! d5 ! 28. e x d5 ! f5
16 . . . . e6 immédiatement était à tenter. 29 . Ce6 et les Blancs, qui sont encore
16 . . . . Da8(?) 17.Del Da6 18. Df2. avec une Tour de moins , gagnent
Év i t e le p i è g e 1 8 . D h 4 ? T x c2 facilement , par exemple 29 . . . . T x c2
(18 . . . . C x e4 simplement est bon aussi - 30. T x c2 C x c2 31 . F x g7 etc.
R. Teschner) 19. T x c2 D x d3 et le jeu 25. ... T x c2.
blanc s'écroule brutalement. Trop tard ! Il n'y a toutefois plus de
18 . . . . Ca7(?) . défense .
Geller rate ici la dernière bonne 26. Fh6! T x cl + 27. C x cl R x f7.
occasion de jouer e7-e6 (sans craindre les Ou 27 . . . . F x h6 28 . C x h6 Re8
complications survenant après 1 9 . e5 29. Cg8 Rf8 30 . Ce7 et les Blancs matent.
d x e 5 ) et il s ' emb arque dans une 28. D x g7+ Re8 29. g5!
manœuvre de Cavalier contre laquelle il Le coup tranquille qui obtient deux
n'y a pas d' autre défense . . . qu'une pions passés liés faisant la décision, car
attaque gagnante . 29 . . . . f x g5 mènerait au mat après
19. f5 Cb5 20. fx g6 h x g6 21. Cg5 Ca3 30. F x g5 .

112
29 . .. f5 30. D x g6+ Rd7 31. Df7+
. trône mondial en tant que j oueur
Rc6 32. e x f5+ . universel maîtrisant toutes les facettes des
Les Noirs abandonnent . Échecs.
Après 32 . . . . Rb6 33 . F x B7 D x b7 Spassky ne fut pas ébranlé par cet
34. D x b7+ R x b7 35 . f6, le reste est une insuccès. Il ne pouvait pas renoncer à sa
promenade pour les Blancs . plus haute ambition qui était d'atteindre
Le Cavalier noir est absurde en a3 , les honneurs les plus convoités de Caïssa,
témoin muet d'une chasse a u pion car il en était trop passionnément épris .
insensée quand son propre Roi court un Aussi, deux ans plus tard, se fraya-t-il
danger mortel. un chemin en trois nouveaux matchs de
candidats éreintants pour se retrouver
A l'âge de 19 ans, Spassky se qualifia face au titre . Avant cette seconde
pour le tournoi des candidats au titre r�ncontre , il étudia la psychologie aux
mondial , mais il n'atteignit pas ce stade Echecs .
lors des deux cycles suivants . Son Au lieu de la guerre de tranchées du
ambition et son amour des Échecs ne premier match , il imposa autant que
diminuèrent pas durant cette période en possible des schémas ouverts et rechercha
dépit d'amers désappointements . Il élargit de vastes espaces pour l'attaque . Causant
sa maîtrise , acquérant de l'expérience une sensation, il fit avec succès , de la
dans des systèmes variés qui incluent les compromettante défense Tarrasch du
jeux fermés . En 1966, après des victoires Gambit de la Dame , son arme surprise,
décisives en match sur quelques-uns des usant pour cela de son actif jeu de figures.
plus grands joueurs, il gagna le droit de Voici la partie cruciale et la quintessence
faire face au champion du monde de ce match .
Petrossian pour lui disputer son titre . Bien que Spassky ait vite pris la tête
D ans cette première rencontre , avec son jeu agressif, Petrossian revint en
Spassky parut avoir changé . Son jeu ramenant le conflit sur son terrain
d ' attaque dynamique habituel fut préféré. Avant cette dix-neuvième partie,
singulièrement absent. Il s'engagea dans Spassky n'avait plus qu'un point d'avance.
des positions fermées où prime le jeu de Si Petrossian la gagnait et annulait le
manœuvre et connues pour être la force match, il conservait son titre .
de Petrossian . Il sembla admettre La situation était des plus drama­
tacitement que ses p ropres armes tiques : cette partie est peut-être le point
favorites n'étaient pas assez subtiles pour culminant de la carrière de Spassky placée
b a t t r e l e « g r a n d m aî t r e d e l a sous le signe d'un effort herculéen pour
Prévention » , et chercha à rencontrer atteindre le sommet des Échecs . De
Petrossian sur le terrain de ce dernier. moins courageux que lui se fussent laissés
Spassky poussa sa souplesse jusqu'à envahir par la crainte et eussent incliné à
l'inconstance et dut s'incliner de peu. la prudence .
Il fut aussitôt critiqué par les partisans Mais nous voyons ici qu'il est de la pâte
désappointés de l'École romantique qui dont on pétrit les héros.
l'accusèrent pour ainsi dire de trahison.
C'était oublier la formidable ambition et
le courage psychologique de s a
stratégie : il avait tenté de monter sur le
113
B. Spassky - T. Petrossian raisonnable consistait en 15 . . . . e5 16. Cf5
Match de championnat F x f5 .
du monde 1969 16. Dg2 Cf6 17. Tgl Fd7.
Défense Sicilienne Après 17 . . . . Rh8 18. Tdfl (et non
18. f5 e x f5 19. F x f7 Te7) 18 . . . . Dc7
19. f5 e5 20 . Cde2 les Noirs pouvaient
1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 c x d4 4. C x d4 consolider leur position et conserver leur
Cf6 5. Cc3 a6. pion de plus . Les Blancs occuperaient
Le choix du champion de la défense t o u t e fo i s d5 a v e c le C a v a l i e r e t
n'est pas sans courage . Il espère peut-être maintiendraient l'initiative .
que le challenger va trop tirer sur la Petrossian sous-estime rarement les
corde . menaces adverses . Derrière sa façon de
6. Fg5 Cbd7. conduire cette partie pourrait se cacher
Les Noirs évitent la suite risquée l'idée subconsciente que son séjour auprès
6 . . . . e6 7. f4 Db6 8. Db2 D x b2 et du destin touche à sa fin.
espèrent tenir le jeu fermé . 18. f5 Rh8.
7. Fc4 Da5 8. Dd2 h6. 18 . . . . e x f5 s'attirerait la forte réponse
La continuation habituelle est 8 . . . . e6. 19 . e x f5 , et 18 . . . . e5 serait simplement
Spassky gagne maintenant du temps par réfuté par 19. Cde2 (et non 19. Dg6?
l'échange du Fou contre le Cavalier. Rh8 ! ) avec les menaces 20 . Dg6 et
9. F x f6! C x f6 10. 0-0-0 e6 11. Thel. 20. T x d6 (si le Fou n'était pas en d7, les
L'ouverture de la colonne « e » est Noirs auraient pu se défendre p ar
maintenant dans l'air, peut-être au moyen 19 . . . . Dc7) .
d'un sacrifice de figure en d5 . Le coup du 19. Tdfl Dd8?
texte presse Petrossian à déclarer ses Il était trop tard pour 19. . . . e5 à cause
intentions quant à son Roi. de 20 . Ce6 ! f x e6 2 1 . f x e6 F x e6
11 . . . . Fe7 12. f4 0-0 13. Fb3 Te8 22 . T x f6 , mais 1 9 . . . . D e 5 laissait
14. Rbl. davantage d'espoir : ce coup défend le
Les deux derniers coups blancs sont un Cavalier tandis qu'il empêche e4-e5 . Les
peu lents. En c4 le Fou était pourtant Noirs seraient prêts pour 20. Cf3 Dc5 ou
sujet à l'attaque résultant de la poussée 20. f x e6 F x e6 21 . F x e6 fx e6 22. Cf3
b7-b5-b4 ou d'un coup de la Dame. En Dh5 . La situation est difficile à juger.
outre , le coup du Roi comporte la Le coup du texte donne à Spassky
possibilité 15 . Cd5 D x d2 (sans échec !) l'occasion d'une élégante combinaison.
16. C x e7 + et se couvre contre une 20. fx e6 fx e6.
surprise comme 14. f5? Cg4 ! menaçant O u 20 . . . . F x e 6 2 1 . C x e 6 f x e 6
. . . Fg5 . 22. Ce2 e5 (sinon 23 . Cf4) 23 . Ff7 et les
14 . . . . Ff'S 15. g4!? Blancs gagnent la qualité car 23 . . . . Te7?
Spassky attaque sans crainte. est contré par 24. T x f6! (voir dgr. 60) .
15 . . . . C x g4!? 21. e5! d x e5 22. Ce4! Ch5.
Il semble que Petrossian veuille aussi Tout autre coup de Cavalier permet
gagner ! Sinon il n'eût pas accepté le pion 23 . T x f8+ suivi de mat en g7 , tandis que
exposant son Roi à l'attaque qui se 22 . . . . e x d4 e n t r aîne l a r i p o s t e
dessine et contre laquelle son instinct destructrice 23 . C x f6 menaçant Dg6.
aurait dû le prévenir . Une défense 23. Dg6! e x d4.

1 14
Petrossian voulait-il limiter la dimension
i.I 8
héroïque de la victoire de Spassky.
1 1 1 1 1 1 1.1 1 1 1 1 1 1 7 24. Cg5.

.t.11 1 1 1 1 1 .t.1• 111........ 1


6 Les Noirs abandonnent.
Si 24. ... hxg5 alors 25. Dxh5+ Rg8
111111 1111111 1111111 1111111 5
26. Dt7+ Rh8 27. Tf3 et il n'y a plus de

1 1 1 1 1 1 1 i�l8l1l l l l l l 4 salut.
Cette victoire dans la grande tradition
1 1 1 1 1 1 �1�1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 3
d'attaque de Marshall, Alekhine et Keres,

811�1 8! 1 !il l l l l liYl �I 2 représenta virtuellement le point final du


match. Quatre parties plus tard, Ca.ïssa
60 1 1 1 1 1 1 @1 1 1 1 1 1 1 l!l l l l l lldl tQJl eut un nouveau champion du monde :
A B C D E F G H Boris Spassky.
L'odyssée de Spassky jusqu'au sommet
fut la plus dur,e et la plus épuisante de
l'histoire des Echecs. Au cours de son
21. e5! dxe5 22. Ce4! Ch5. ascension, il eut à livrer rien moins que
Tout autre coup de Cavalier permet huit matches individuels contre quelques­
23. Txf8+ suivi de mat en g7, tandis que uns des meilleurs joueurs d'Échecs du
2 2 . ... e x d 4 e n t r aîn e l a r ip o s t e monde. Il en remporta sept. Dans son
destructrice 23. Cxf6 menaçant Dg6. premier échec contre Petrossian où sa
23. Dg6! exd4. psychologie stratégique fut en conflit avec
Il est dommage que Petrossian ait évité sa véritable nature d'artiste, il se hissa à
23. ... Cf4 laissant Spassky démontrer la de grandes hauteurs créatrices. Sa victoire
beauté et la profondeur de la combinaison finale est une frappante confirmation de
introduite au 2te coup. Il suivrait son approche créative des Échecs.
24. Txf4! exf4 25. Cf3! Db6 (sinon Cette réussite prouve que Spassky a
26. Ceg5 suivi du mat ou du gain de la percé le secret de Caïssa : chaque artiste
Dame) 26. Tg5!! (un coup défensif au doit suivre les plus authentiques
cœur d'une attaque de mat, si 26. Tg2 ou impulsions de s a nature. Seule l a fidélité
Tg4? Db5! et par suite de leur contre­ à cette vérité lui permet de se réaliser
menace en f1 les Noirs gagnent le temps pleinement aux Échecs.
de jouer Df5) 26. ... Fc6 (ou 26. ... hxg5 Le destin de Spassky fut de régner
27. Cexg5 suivi de mat) 27. Cf6 Fe4 (les comme le phare de tous les amoureux de
Noirs n'ont rien d'autre) 26. Dxh6+ notre jeu pour qui les Échecs demeurent
gxh6 29. Tg8 mat (Geller). Peut-être un des Beaux-Arts(*).

(*) Boris Spassky a quitté l'URSS pour la France


dont il a acquis la nationalité et pour laquelle il joue
depuis 1984, NDT.

115
16 Fischer les limites du génie

« Ils ont presque ruiné les Échecs. » que l'intérêt utilitaire en eût été proclamé
R.J. Fischer par un des pères fondateurs de la nation
américaine , Benjamin Franklin.
Cependant, certains pratiquaient les
Les É checs se sont historiquement Échecs en Amérique . Quand Paul
épanouis parmi les peuples au sommet de Morphy app arut au milieu du dix­
leur culture et de leur influence. Le roi neuvième siècle et battit les meilleurs
des jeux a ainsi prospéré voilà plus d'un joueurs du Vieux Monde , un petit cercle
millénaire chez les Perses , puis plus tard d'amateurs enthousiastes l'accueillit avec
chez les Arabes . Quand au Moyen Âge fierté à son retour. Mais il n'existait alors
l ' Europe devint un foyer culturel aucun titre mondial officiel, et la carrière
dominant, le centre de gravité des Échecs de Morphy fut bien trop brève . La
s'y porta tout naturellement. Au milieu « finale » de sa vie fut une tragédie .
du vingtième siècle , la Russie ayant Une tradition échiquéenne nourrie par
émergé comme l'une des premières le séjour de champions européens prit
P.Uissances mondiales , la capitale des néanmoins racine . Au tournant du siècle ,
Échecs se déplaça vers l'Est. une nouvelle étoile , Harry Nelson
De l'autre côté de l'océan, aux États­ Pillsbury, illumina l'horizon international.
Unis, pays dont les citoyens étaient les Après quelques triomphes sensationnels,
P.remiers dans bien des domaines , les il connut aussi le déclin et une fin
Échecs demeurèrent un peu étrangers. Il prématurée . Dans les années trente ,
n'y avait rien qui ressemblât à l'aristo­ l'équipe des É tats-Unis domina les
cratie du Vieux Monde, susceptible de compétitions olympiques . Néanmoins, le
passer ses loisirs dans des salons calfeutrés titre le plus convoité de champion du
à s'adonner au jeu des rois et des cheva­ m o n d e c o n t i n u a d ' é c h a p p e r aux
liers . Américains . Après la Seconde Guerre
La vie individualiste des pionniers que mondiale , Reuben Fine , confronté aux
connaissaient les États-Unis n'était pas ré alités économiqu e s , renonça au
favorable à un jeu intellectuel et exigeant. professionnalisme échiquéen . Samuel
La poussée agressive qui avait conquis un Reshevsky poursuivit la lutte pour
continent n'avait aucun besoin d'exutoire atteindre le sommet contre le lourd
symbolique. Aussi le jeu de salon par handicap représenté par les Soviétiques ,
excellence n'y trouva pas d'écho, bien et il échoua.

116
La société américaine n'est pas tendre grandissant s e dédie au j e u . Pour
envers les joueurs d'Échecs , et cela pour beaucoup, les Échecs sont la vie. Même
bien des raisons . Une société d'entreprise s'ils doivent exercer un autre métier pour
et de négoce dynamiques n'a pas plus à vivre , cela reste pour eux accessoire : leur
faire d ' u n e o c c u p a t i o n p u r e m e n t amour véritable est à Caïssa.
esthétique et intellectuelle que d'un sport Admettons que le milieu américain soit
sans spectacle . Dans notre pays , l'artiste fondamentalement défavorable aux
est demeuré une figure insolite qui a le Échecs. Il y eut pourtant une personnalité
choix de chercher son épanouissement à purement et typiquement américaine à
l'étranger ou de vivre chez lui une s'élever contre cette attitude. Elle poussa
existence pénible . Il en va de même pour l ' individualisme jusqu ' à ses limites
les joueurs d'Échecs. extrêmes. Ce n'est qu'un des paradoxes
En Amérique , les arts et les Échecs ne de B o b b y F i s c h e r q u e b e au c o u p
font pas exception et luttent pour le regardent comme le plus grand génie de
patronage de la richesse . Dans notre tous les temps . C ' est aussi le plus
système de valeurs, un homme jeune qui énigmatique ; certains craignent qu'il n'en
voudrait consacrer sa vie aux Echecs se devienne le plus tragique .
trouverait face à l' énorme pression Robert James Fischer est né à Chicago
économique de la société qui chercherait en 1943 . Les psychologues s'intéresseront
à lui imposer une existence plus conven­ au fait qu'il ne connut jamais son père.
tionnelle . Après un divorce, sa mère Régina se
Reti observa en 1922 que « la majo­ chargea de l' enfant avec énergie et
rité des gens imagine un maître d' Échecs compétence . On peut s'interroger sur la
comme étant un citadin qui passe sa vie signification de ce nom , e n latin
dans une atmosphère enfumée et joue « Reine » , dans la mesure où l'enfant fut
dans des cafés et des clubs : c'est le précisément destiné au jeu des Rois.
portrait d'un individu neurasthénique A l'âge de six ans, il apprit à déplacer
dont les nerfs et l'esprit sont conti­ les pièces, ne succombant toutefois à la
nuellement sous tension , d'une per­ fascination du jeu que quelques années
sonne qui a donné toute son âme aux plus tard , à l ' âge où les garçons
Échecs . » deviennent particulièrement vulnérables
La plupart des Américains ne savent aux séductions de Caïssa. Par bonheur, il
pas grand-chose des maîtres d'Échecs vivait à ce moment-là à New York, cité
mais conçoit ce jeu comme un jeu de de clubs fameux où son talent inhabituel
l'esprit ou une occupation pour personnes fut vite reconnu et mis à l'épreuve par
âgées qui passent des heures à chaque une forte opposition.
partie . Le sport implique pour eux A l'âge de 12 ans, il avait déjà une
uniquement un contexte physique . Il est force de maître . A 13 ans , il gagna le
inconcevable qu'un j oueur d'Échecs ch ampionnat j unio r . Mais le plus
américain puisse être élu « Sportif de important se passait à l'abri des regards.
l'année » comme ce fut le cas pour un Bobby Fischer passa avec lui-même un
champion de Yougoslavie. contrat secret. Dès lors, les Échecs furent
L'intérêt pour les Échecs s'est pourtant toute sa vie et devinrent pour lui presque
accru dans notre p ays . Un groupe l'univers . Caïssa allait lui rendre plus que
d' Américains encore restreint mais généreusement cette dévotion.

1 17
La communauté américaine des Échecs 10 • .•• Fg4 11. Fg5?
fit une importante découverte quand
Fischer joua la partie suivante.
Dans l'histoire des Échecs, certaines
8
parties soulèvent des vagues énormes.
Elles sont tellement spectaculaires que 7
l'opinion internationale est unanime à
6
proclamer : une nouvelle étoile est née.
Ce fut le cas de cette partie jouée alors 5
que Bobby Fischer avait 13 ans. Après
4
une erreur de son adversaire, Bobby se
lance dans ce jeu aigu qui devait plus tard 3
inspirer une crainte universelle.
2

61
A B C D E F G H

D. Byme - R. Fischer
New York 1956
Défense Grünfeld Peut-être ennuyés que les Noirs puissent
égaliser pleinement après 11. Fe2 Cfd7
12. Da3 Fxf3 13. Fxf3 e5 14. dxe5 De8,
les Blancs négligent leur développement.
1. Cf3 Cf6 2. c4 g6 3. Cc3 Fg7 4. d4 0-0 Byme devient ainsi le dernier adversaire à
5. Ff4 d5. avoir traité Fischer sans précautions.
Une réaction automatique au dernier Le F o u - d a m e e t l a Da m e s o n t
coup blanc serait 5. ... d6. Mais Bobby maintenant e n position d e fourchette...
veut à présent la Grünfeld. seul le Cavalier-dame doit être dévié.
6. D b3. 11 • Ca4!!
•••

Les Blancs mélangent deux systèmes. C'est comme cela qu'on lance une
Leurs 5 et 6es coups ne vont pas ensemble. attaque destinée à vous faire une
6. Tel est plus indiqué. réputation mondiale.
6 . dxc4 7. Dxc4 c6 8. e4 Cbd7
••• Objectivement la meilleure réponse
9. Tdl. blanche était de consentir à 12. Cxa4
Consolide le pion « d » puisque le Fou­ Cxe4 13. Db4 Cxg5 (et non 13 .... Fxf3
dame ne se trouve pas sur la case naturelle 14. Fxe7) 14. Cxg5 Fxdl 15. Rxdl
e3. Si 9. e5 alors 9. ... Cd5! 10. Cxd5 Fxd4 16. Rel et en dépit de l'insécurité
c x d 5 1 1 . D b 3 ( 1 1 . D x d 5 Cxe 5 !) de leur Roi et d'un petit désavantage
11. ... Cb6 suivi de Ff5 ou Fg4 et les matériel, les pièces mineures octroient
Noirs ont un jeu commode. aux Blancs des chances de salut.
9 • Cb 6 10. Dc5.
.•• 12 . D a3 Cx c3 13 . b x c3 Cx e 4!
Place la Dame sur une case où elle 14. Fxe7 D b6!
peut être attaquée. Plus sûr est 10. Dd3 Et non 14. ... De8 15. Td3! (si la Dame
Fe6 avec des chances sensiblement égales. blanche avait joué en b4 au 12e coup,

118
cette défense eût perdu sur 15 . . . . c5 ! Les Noirs ont certes gagné un pion,
16. D x b7 Cd6.) mais leur Dame et leur Cavalier sont
L'audacieux sacrifice de qualité de attaqués . L'évident 17 . . . . Cb5 est réfuté
Fischer fait apparaître tout le dramatique par 18. F x f7 + ! et gain de la qualité
de la position de Byme . Les Blancs sont (18 . . . . Rh8 19. Dd3) car 18 . . . . R x f7
face au désastre sur la colonne « e » , par perdrait sur-le-champ après 1 9 . Db3 +
exemple 15 . Fe2 Tfe8 16. 0-0 Dc7 17. Fh4 Fe6 20. Cg5 + .
C x c3 avec gain de pion , ou 15 . Fd3 La scène est prête pour le coup qui fera
C x c3! . La profondeur de la conception le tour du monde .
de l'adolescent est révélée par la ligne de 17 . . . . Fe6! !
jeu qu'il a indiquée sur l'acceptation de la La pointe ! Si maintenant 18. D x c3
qualité : 15 . F x f8 F x f8 16. Db3 C x c3 ! alors 18 . . . . D x c5 ! ou 18. Fd3 Cb5 et les
(un thème récurrent) 17 . D x b6 a x b6 Noirs gardent le pion gagné avec un jeu
18. Tal Te8+ 19. Rd2 Ce4+ 20. Rc2 facile, tandis que 18. F x e6 mène au mat
C x f2 21. Tgl Ff5 + et avec un ample étouffé après 18 . . . . Db5 + 19. Rgl Ce2+
matériel et une position dominante , les 20. Rfl Cg3 + 21 . Rgl Dfl + 22. T x fl
Noirs doivent gagner. Ce2 -=/=. . Le coup intermédiaire 18. d5
Il reste pourtant une goutte de venin à F x d5 ne change pas grand-chose ; si
l'imaginatif Byme . 19. T x d5 alors 19 . . . . Dbl + suivi du
15. Fc4!? mat.
Si 15. . . . Tfe8 les Blancs roquent sans Sur le mode « montrez voir » les Blancs
ennui . Mais survient à présent une acceptent la Dame.
seconde combinaison qui gagne un bon 1 8 . F x b 6 F x c4 + 19 . Rgl C e2 +
pion avec la Dame pour enjeu. 20. Rn C x d4+ 21. Rgl.
15 . . . . C x c3!! Sinon c'est mat par 2 1 . Td3 a x b6
Si m a i n t e n a n t 1 6 . D x c 3 a l o r s 22. Dc3 C x f3 23 . D x c4 Tel -=/=. . Le Roi
1 6 . . . . Tfe8 ou 16. F x f8 F x f8 17. D x c3? soumis à de multiples Échecs à la
Fb4 . Toutefois , après le coup suivant de découverte fait pitié.
Byme, il apparaît que Fischer a « sur­ 21 . . . . Ce2+ 22. Rfl Cc3+ 23. Rgl
combiné » . a x b6 24. Db4 Ta4!
16. Fc5 Tfe8+ 17. Rn . La pointe finale de la combinaison de
Fischer qui rend son avantage matériel
écrasant. Les Blancs ne peuvent pas
défendre leur Tour. Après 25 . D x b6
C x dl 26. h3 T x a2 27. Rh2 C x f2 Byme
poursuivit le jeu jusqu'à son amère
conclusion (mat au 4le coup) .

Kmoch, grandiloquent, proclama que


c'était la « Partie du siècle » .
U n grand espoir américain , j adis
personnifié par Morphy et Pillsbury, était
réapparu.
Les promesses de Fischer ne furent pas
longues à être tenues. A l'âge de 14 ans ,

119
il sidéra et ravit ses admirateurs en qui lui tomba sous la main, étudia et
devenant champion des États-Unis . analysa inlassablement. Il se consacra aux
L'importance de cette réussite la rend Échecs , car c'étaient les Échecs qu'il
unique dans l'histoire des Échecs . Tous aimait. Jusqu'alors Caïssa ne lui avait rien
l e s p l u s forts j o u e u r s américains donné d'autre que les plaisants effluves
rivalisaient pour le titre et celui-ci échut à du triomphe.
un garçon de 14 ans qui survola la Et quel jeu était le sien ! Il connaissait
compétition sans une défaite et décrocha pratiquement tout de certaines
une place pour le tournoi interzonal du ouvertures , y aj outant ses propres
cycle de championnat du monde de 1958 . découvertes. Il traitait rationnellement le
Aucun championnat national de cette milieu de jeu, un peu dans le style de
importance n'avait jamais été remporté Capablanca j eune , et ses attaques
par quelqu'un d'au�si jeune . étincelantes étaient celles d'un Alekhine.
Les joueurs d'Echecs américains qui Il se montrait toujours tranchant et
n'ont aucune indulgence pour leurs agressif mais sans exagérer car il avait un
maîtres ne pouvaient nier le frisson que sens inné de la justesse positionnelle . Il
leur procurait la réussite de Fischer. Ils ne dédaignait pas la finale quand elle se
commencèrent à songer à l'impensable : présentait et pouvait chercher des heures
reprendre un vieux rêve que l'on avait cru durant la dernière chance d'une position.
irré alisable depuis l ' émergence de Beaucoup de joueurs sont capables de
l'hégémonie soviétique - celui d'un mener une attaque à bien. Quand brille
champion du monde américain. le soleil, ils y sont excellents, mais que
Cette grande idée , qui circulait dans les viennent les intempéries et que leur
clubs d'Echecs et même dans la grande position soit ballottée par la tempête , ils
presse , ne manqua p as d ' avoir ses cessent d'exister. Fischer n'était pas de
répercussions dans l'esprit d'un ado­ ceux-là . L' impression la plus forte
lescent. Après tout, quoi de plus normal ressentie en jouant contre lui est la
que la jeunesse nourrisse des ambitions concentration, l'intense volonté dont il
grandioses . D ans la maturité , nous fai s a i t p r e u v e d a n s u n e p o s i t i o n
sommes supposés renoncer à de tels inconfortable . D e toutes ses forces, il se
rêves . cramponnait jusqu'à ce que l'attaque
Ceux qui se sont complus à d'inutiles s'affaiblisse et sa contre-attaque frappait
critiques malveillantes concernant alors impitoyablement. Après qu'il était
certaines actions ultérieures de Fischer, parvenu à sauver une situation précaire ,
auraient dû se poser la question suivante : un journaliste lui demanda s'il avait craint
comment peut-on réagir à l'âge de 14 ans de perdre . Fischer répondit : « Ne
quand le monde vous proclame être un prononcez jamais le mot perte devant
génie sans précédent dans son domaine ? moi, je ne peux pas y songer. »
Fischer croyait ce que les gens disaient Son aversion pour la défaite ne l'incita
de lui mais leurs prédictions étaient toutefois pas à un jeu de manœuvres
superflues : il était lui-même le plus prudent, le « béton » bien connu auquel
convaincu de tous . Il se jeta dans les se livrent p arfois quelques-uns des
Échecs comme si rien d'autre n'avait meilleurs joueurs . Une caractéristique de
d'importance . Abandonnant l'école, il son jeu le situe à part : il joue toujours
dévora toute la littérature échiquéenne pour le gain. En pratique cela signifie

120
qu'il jouera jusqu'au bout , avec un Avec les Blancs , Fischer ouvrait quasi­
minuscule avantage , une centaine de invariablement du pion-roi, « par prin­
coups si nécessaire , même s'il a déjà cipe » .
décroché le premier prix ! Cela signifie V o i c i un e x e m p l e d ' u n e d e s
aussi qu'il n'accepte pratiquement jamais contributions extraordinaires avec
la nullité . Et dans un long et dur tournoi, laquelle il révolutionna la théorie du
il ne se repose pas davantage par de moment.
courtes nullités de grand-maître .
Le fait que Fischer, un lutteur aussi
féroce , ait omis d'une liste des dix plus
grands joueurs de tous les temps le nom R. Fischer S . Gligoric
-

légendaire d'Emmanuel Lasker, qu'il Tournoi des candidats,


qualifia de « joueur de café », a de quoi Bled 1959
surprendre . Pour Lasker, les Échecs Défense Sicilienne
étaient avant tout un combat. Cela fit un
certain bruit quand les partisans de
Lasker s' élevèrent pour défendre la 1. e4 c5 2. Cf3 Cc6 3. d4 c x d4 4. C x d4
mémoire de leur héros . Cf6 5. Cc3 d6 6. Fc4.
Je crois que l'explication est à chercher Jouer la Sicilienne contre Fischer est
d a n s l a répugnance de Fischer à courageux mais peu raisonnable. Il reçoit
reconnaître une des composantes des ici l'occasion de placer son dévelop­
Échecs , en particulier dans son propre pement préféré du Fou-roi : l'attaque
jeu, le primitif instinct du tueur. Pour lui, Leonhardt-Sozine .
les Échecs sont un moyen très absorbant La réponse normale est 6 . . . . e6 ; la
d'exprimer de belles idées . Une partie de plus aiguë est 6 . . . . Db6 tandis que
Fischer est une construction logique où 6 . . . . g6 fonce tête baissée dans la suite
l e s m o m e n ts t a c t i q u e s d é c o u l e n t 7 . C x c6 b x c6 8 . e5 ( 8 . . . . d x e5 ? ?
naturellement d'une stratégie exacte et 9 . F x f7 + ) . Gligoric prépare la variante
non de circonstances fortuites . Les Échecs du dragon.
ne sont pas pour lui les moyens d'une fin , 6 . . . . Fd7 7. Fb3 g6 8. f3 Ca5.
qu'il s'agisse pour certains d'un gagne­ La simplification 8 . . . C x d4 est
.

pain ou d'un sport subventionné , un indiquée (Fischer) . Mais les Noirs suivent
forum pour confronter des hypothèses un système connu destiné à neutraliser
philosophiques ou l'exutoire de plus bas l'attaque blanche qui se prépare à l'aile­
instincts . Pour Fischer, les Échecs sont roi .
une fin en soi. Mais poursuivons notre 9. Fg5 Fg7 10. Dd2 h6(?).
examen de son art créateur et la Amenant de l'eau au moulin des Blancs
concrétisation de ses rêves . dont la finesse du 9e coup , développer
Se donner totalement aux Échecs d ' abord le Fou en g5 , cherchait à
amena Fischer à une étude intense des provoquer une fai b l e s s e de pion .
ouvertures , y compris celles j adis Assurément 10 . . . . 0-0 permettrait une
populaires. Il élargit un répertoire basé puissante attaque avec Fh6 et h2-h4-h5 .
au début sur quelques variantes favorites Les Noirs auraient dû agir à l'aile-dame
jusqu'à y inclure une arme surprise et laisser le Roi au centre pour le
occasionnelle comme le Gambit du Roi . moment.

121
11. Fe3 Tc8 12. 0-0-0 Cc4. 17. Cde2 Tc6 18. g5 h x g5 19. h x g5
Ch5.
Celui qui connaît Fischer peut être
certain qu'un sacrifice de qualité pour
ouvrir la colonne « h » et atteindre le Roi
va se produire . Quand la position lui en
donne l'occasion, il se mue en chasseur
de Roi impitoyable .
20. f4 Tfc8 21. Rbl Db6 22. Df3 Tes
23. Dd3!!
La percée envisagée f4-f5 ne serait pas
claire ici. Les Blancs « chatouillent » le
pion « d » . Si les Noirs le défendent par
23 . . . . T5c6 ou 23 . . . . Ff8 alors 24. f5 lié
A B C D E F G H à Cd5 et/ou T x h5 est très fort, comme l'a
indiqué Fischer . Le coup du texte
D e s positions similaires ont été implique pourtant le sacrifice d'un pion et
atteintes dans d'innombrables parties . d'une qualité qui exige un sérieux calcul
Invariablement, les Blancs prennent ici le préliminaire .
Cavalier pour conserver le puissant Fou­ 23 . . . . Fxc3 24. C x c3 C xf4 25. Df3
dame braqué sur h6 avec la menace ChS.
d'échanger la figure clé de la défense Après 25 . . . . e5 26. Ce2 ! écarte tout
adverse : le Fou de cases noires . obstacle de la route des Blancs.
Fischer, âgé de 16 ans, fidèle à ses
idées , démolit une s acro-sainte
conception de la pratique des grands­
maîtres.
13. De2!
Une innovation étonnante . Jusqu'ici on
avait toujours sous-estimé dans ce type de
position ce que Fischer va montrer : la
force du Fou de cases blanches.
13 . . . . C x e3 14. D x e3 0-0?
Un véritable cas de « roque dans le
feu » ! Bien meilleur est 14 . . . . Db6 ou
Da5 . La stratégie de Fischer a bercé
Gligoric d'un sentiment de sécurité
fallacieux. Survient à présent l'attaque A B C D E F G H
directe .
15. g4 Da5 16. h4 e6.
Tôt ou tard nécessaire pour interdire
Cc3-d5 . Mais l'affaiblissement du pion 26. T x hS! g x h5 27. D x hS Fe8.
« d » est conséquent. Tenir la colonne Le Roi ne s'échappe pas : 27 . . . . Rf8
« h » fermée par 16 . . . . h5 17. g5 Ce8 28 . Dh8 + Re7 29 . Df6+ Re8 30. Thl
18. f4 mène à un jeu resserré . etc. Mais désormais il menace de le faire .

122

- --
28. Dh6! T x c3 29. b x c3. facilement comme les excentricités d'un
La menace de mat 29 . Thl serait prodige.
complètement parée avec 29 . . . . Dd4 ! La première crise publique survint
L ' « amélioration » d'un commentateur durant un match contre Reshevsky en
29 . g6 est réfutée par 29 . . . . T x b3 ! (A 1961 . Les horaires de jeu soulevèrent des
essayer est p o u rtan t 30. D h 7+ Rf8 discussions acrimonieuses. La convenance
31 . g7+ Re7 32. Dh4+ f6 33. g8C+ Rf8 d e s c o m m a n d i t ai r e s e t l a s t r i c t e
34. D xf6+ R xg8 35. a x b3 Dc5! 36. Thl application du règlement par les arbitres
Fh5 37. D x e6+ Rg7 38. Tx h5 D x h5 allaient à l'encontre de sa volonté .
3 9 . D x c8 D h l + 4 0 . R a2 D x e 4 Aucune prérogative spéciale n' était
4 1 . D d 7 + R g 8 42 . D x d 6 D x c2 a c c o r d é e au g é n i e ! U n e n o t i o n
43. Db8+ et les Blancs ont encore des malheureuse fut introduite ici : l'idée de
chances de gain - R. Teschner) . « forcer Fischer à devenir raisonnable » .
29 . . T x c3.
. . I l n'était pas individu à supporter la
29 . . . . De3 offrait plus de résistance, contrainte . Il semblait croire et dire : « Je
bien qu'après 30. Thl D x c3 31 . g6 Dg7 suis l'élu de Caïssa. Je suis ma propre
32 . Dh2 ! (B ronstein) comme après voie en dépit des protestations. Je serai
30. Td3 Df4 31. Th3 De5 32. g6 Dg7 vengé . » Et dans son échelle de valeurs , il
33 . g x f7 + F x f7 34. Dh4 Rf8 35 . Dh8 + avait raison.
Dg8 36. Df6 l'attaque blanche aboutisse . D e telles expériences renforcèrent
(Barcza) . l'isolement d'un jeune homme qui s'était
30. g6 fxg6 31. Thl Dd4 32. Dh7+ . coupé de la vie américaine
Les Noirs abandonnent . conventionnelle afin de se consacrer à
Par la suite , le « dragon » ne fut plus son grand amour : les Échecs.
que rarement utilisé contre Fischer. Tandis que le colosse soviétique
En se qualifiant à l'âge de 15 ans pour continuait à régner sur le monde des
le tournoi des candidats au titre mondial , Échecs , utilisant tous les avantages de
Bobby Fischer devint le plus jeune grand­ l ' effort collectif, un individualiste
maître de !'Histoire. Il « se contenta » de commençait à se dresser devant lui. Son
la sixième place dans ce tournoi qui réunit potentiel sans limite et le défi imminent
les plus forts aspirants au titre mondial. qu'il représentait furent bien appréciés.
Le rêve commençait à se concrétiser pour L' ascension encore ininterrompue de
Fischer, qui était même en avance sur Fischer atteignit une nouvelle frontière
l'horaire . en 1962, quand il surclassa de loin les
Chez lui, il continuait à balayer tous particip ants soviétiques au tournoi
ceux qui s e dressaient devant lui , interzonal . Cela lui valut une rare
accumulant une série de victoires sans accolade de ceux qui d'habitude le
précédent dans les championnats natio­ voyaient d'un mauvais œil - « Fischer
naux. deviendra champion du monde ! »
Quelques notes discordantes commen­ Le rêve américain trouvait aussi son
cèrent à ponctuer le crescendo de ses écho russe et devint un thème inter­
réussites sensationnelles . Elles prove­ national. Restaient quelques sceptiques.
naient des organisateurs qui se plaignaient Ceux qui lui élevaient un culte étaient
de ses exigences inhabituelles avant qu'il partout de plus en plus nombreux et
consente à jouer. On les expliquait désormais , dans le royaume de Caïssa, les

123
fidèles se comptèrent de Moscou à la Des évidences objectives étaient là pour
Californie , parmi les grands-maîtres confirmer ses doléances. Il fit le serment
comme parmi les amateurs. de ne plus jamais participer à un système
Le rêve approcha de sa crise à Curaçao , de championnat du monde « tripoté » en
une île tropicale des Antilles faveur d'un pays .
néerlandaises , site du tournoi des Plus tard cette année-là, il démontra
candidats de 1962 . Nombreux étaient ses durables capacités de jeu étincelant
ceux qui croyaient avec confiance que dans cette atmosphère empoisonnée. Le
l' ascension de Fischer continuerait. j our précé dant cette partie contre
Fischer lui-même , le plus fidèle des Najdorf, Fischer déclara qu'il battrait son
croyants, s'attendait à gagner le tournoi fameux adversaire en vingt-cinq coups.
et à devenir, à 19 ans , le challenger Pure bravade ? Colossal égocen­
officiel au titre mondial. trisme ? Conduite psychologique envers
Son approche de ce tournoi-marathon l'impressionnable N ajdorf ? Ou était-ce
fut très différente de celle des cinq de la foi mystique ? Et de la foi, Fischer
participants soviétiques. Tandis qu'ils se n'en manquait pas. Ses fidèles aussi. Ce
reposaient entre eux avec une succession qu'il avait toutefois omis d'annoncer, c'est
de nullités amicales et négligentes, il joua qu'il allait dévoiler l'un des purs plus
intensément chaque partie pour le gain. Il joyaux de la tradition cré atrice aux
s'éreinta, commit quelques erreurs que Échecs .
ses adversaires bien reposés exploitèrent
sans tarder. Il gagna bien de nombreuses
parties mais ne parvint pas à dépasser le R. Fischer M. Najdorf
-

milieu du classement. La première place Tournoi olympique ,


revint au anti-héros Petrossian. Fischer, Varna 1962
l'enfant du destin, avait été arrêté . Défense Sicilienne
La plupart d'entre nous, quand nous
avons atteint notre maturité, apprenons à 1. e4 c5 2. Cf3 d6 3. d4 c x d4 4. C x d4
étouffer nos rêves. Quand la réalité n'est Cf6 5. Cc3 a6.
pas conforme à nos espoirs et à nos Courageusement , N aj dorf j oue la
désirs , nous les rangeons dans l'attente de variante qui lui doit son nom. Fischer,
jours meilleurs. Mais pour Fischer, le toujours bien préparé, essaye une réponse
coup d'arrêt de Curaçao prit un aspect inhabituelle qui vise d'ordinaire à une
sinistre : on ne lui avait pas rendu justice . rapide attaque à l'aile-roi (les règles
Ce qui était légalement son bien lui avait classiques requièrent un coup de dévelop­
été dérobé. Dans son esprit, il ne pouvait pement) .
admettre la possibilité qu'il n'avait subi 6. h3 b5.
qu'un revers temporaire dû à la faiblesse Un coup impérieux qui se heurte à une
humaine . Les forces du mal étaient-elles réponse aiguë typiquement fischérienne .
à l'œuvre ? Il ne tarda pas à publier son Convenable eût été 6 . . . . e6 7. g4 h6 .
accusation : « Les Russes ont organisé le 7. Cd5!?
monde des Échecs (*) . » Rejouer une figure développée est une
chose que Morphy n'eût pas faite . Fischer
conçoit déjà un plan nouveau : gêner le
(*) Sport illustrated, 20 août 1962 . Fou-dame adverse après 7 . . C x d5
. .

124
8. e x d5 . La réponse normale 7 . . . . e6 se 14. ... d x e4 15. Cf5 Fc5 16. Cg7+ Re7
révèle désavantageuse après 8. C x f6+ 17. Cf5+ Re8.
D x f6 9 . c4. Le Roi est privé du roque . Comment
Dans ses commentaires Fischer indiqua faut-il poursuivre l'attaque à présent ?
plus tard que la meilleure suite pour les 18. Fe3!
N o i r s é t a i t d ' a c c e p t e r l ' o ff r e : L'attaque attendra bien un coup ! Avec
7 . . . . C x e4! 8 . Df3 Cc5 9 . b4 ! (meilleur une extrême simplicité , Fischer échange
que 9 . Cf6 + g x f6 1 0 . D x a8 Fb7) la figure clé de la défense noire.
9 . . . . e6 10. b x c5 e x d5 1 1 . D x d5 Ta7 et 18 . . . . F x e3 19. fx e3 Db6 20. Tdl Ta7
il considère cette position à double 21. Td6 Dd8.
tranchant comme égale. Najdorf ne trouve pas de solution, par
Contre Fischer, rares seraient les exemple 21. . . . D x b2 22. F x f7 + ! R x f7
joueurs à risquer de telles complications. 23 . T x d7 + T x d7 24 . D x d7 + Rg6
Najdorf permet toutefois un affaiblis­ 25 . Dg7+ R x f5 26. Dg4 mat.
sement de sa structure de pions . 22. Db3.
7 . ... Fb7(?) 8. C x f6+ g x f6 9. c4!
En continuant son traitement
vigoureux, Fischer gagne du temps et des 8
lignes ouvertes au prix d'un pion.
7
9 . . . . b x c4 10. F x c4 F x e4 11. 0-0 d5
U. Tel e5? 6
Les Noirs subissent une pression
5
centrale et ils tentent évidemment d'y
remédier. Des sacrifices sont déjà dans 4
l'air, par exemple 12 . . . . Tg8 13 . T x e4! 3
d x e4 14. Dh5 ! . Le meilleur espoir
défensif consistait e n 12 . . . . d x c4 2
1 3 . T x e 4 D d 5 1 4 . D f3 e 6 . S u r
12 . . . . F x g2 13 . R x g2 d x c4 14. Df3 les
Blancs obtiennent une pression A B C D E F G H

positionnelie gagnante (Fischer) .


13. Da4+ Cd7.
Ou 13 . . . . Dd7 14. Fb5 . Les Noirs sont impuissants contre
14. T x e4! l'attaque directe , 22 . . . . Tf8 23 . Cg7 +
Un sacrifice spéculatif élégant qui Re7 24. Da3 mettrait un point final.
montre superbement la magistrale 22 . . . . Dc7 23. F x f7+ Rd8 24. Fe6.
domination que Fischer exerce sur tout Les Noirs abandonnent, juste à temps,
l'échiquier. Il n'est pas question qu'il ait car après 24 . . . . Tb7 (si 24 . . . . Dc8
vu la fin jusqu'à sa conclusion ; en 25 . Db6+ Tc7 26. T x d7 + ) 25 . Da4 Dc8
revanche, il a estimé que son Cavalier 26. Da5 + Re8 27 . D x a6 Rd8 28. F x d7
inébranlable merveilleusement placé en (plus direct encore est 26. Da5 + Re8
f5 aura plus de valeur qu'une Tour. Entre­ 29 . Tdl ! - R. Teschner) 28 . . . . T x d7
temps, le Roi noir, coincé au centre, est 29 . T x d7 + D x d7 3 0 . D x f6 + Rc7
pris à parti par les figures blanches sur les 3 1 . D x e5 + Rb6 32. D x h8 D x f5 et les
colonnes ouvertes . Blancs ont trois pions de plus en finale

125
(Fischer). La conduite coulée de cette Cette partie contre l'un de ses plus
partie serait digne du jeune Capablanca. rudes rivaux dans ce tournoi révèle une
Le monde des Échecs se trouva force irrésistible. D'une position
confronté à un paradoxe gênant : Fischer d'ouverture pratiquement symétrique,
généralement acclamé comme le talent le Fischer conçoit une attaque écrasante en
plus prometteur de Caïssa, refusait de l'espace de quelques coups.
lutter pour sa couronne. A chacune de
ses rares apparitions, il ne cessait de stu­
péfier.
R. Byrne - R. Fischer
Dans la position suivante, il joua un
Championnat des États-Unis,
coup qui, par sa beauté et son originalité,
New York 1963-1964
demeurera insurpassable dans toute
Défense Est-Indienne
l'histoire des Échecs.

1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. g3 c6 4. Fg2.
R. Fischer - Benko
Par ce coup et le suivant les Blancs se
New York 1963-1964
contentent de l'égalité. La rencontre
précédente contre le même adversaire
i. 8
avait continué par 4. d5 b5 5. dxc6 bxc4

1 11 1.t.1 1 1 1 1 1 1 7 6. cxd7+ Cbxd7 7. Fg21b8 et le jeu de


figure des Noirs fut une compensation
1 1 1 1 1 1 1.t.I 6
insuffisante pour les pions isolés.
111111 1 5 4 • d5 5. cxd5 cxd5 6. Cc3 Fg7 7. e3
•••

0-0 8. Cge2 Cc6 9. 0-0 b6 10. b3 Fa6


1111111 4
11. Fa3 Tes 12. Dd2.
1 1 1 1 1 1 1i1: 3 Le système presque symétrique suggère

81 �1 8 2 que nous allons être témoins au bout de


quelques coups négligents d'une issue
66 1 amicale. Fischer adopte pourtant un plan
A B c D E F G H r i s q u é p o u r i nj e c t e r d e s c h a n c e s
dynamiques à l a partie.
Les Blancs auraient pu éviter les ennuis
Sur 19. e5 f5 les Blancs n'arrivent à par 12. Tel ou même 12. f4.
rien. 12 . e5!
••.

Fischer joua : Ignorant la peur, Fischer joue toujours


19. Tf6!! de manière aiguë pour le gain. Ce coup
Il y a dans l'histoire des Échecs de requiert un jugement exceptionnel. Un
rares champions qui se sont hissés à de maître ordinaire n'eût jamais affaibli son
telles hauteurs qu'ils ont éclipsé tous leurs pion « d » contre un adversaire de
contemporains. Ce moment arriva dans premier plan. Byrne dut réellement être
la c a r r i è r e d e F i s c h e r l o r s d ' u n surpris. Avec son génie pour perce­
championnat des États-Unis où il battit voir les éléments d'une situation
tous ses onze adversaires sans concéder, exceptionnelle, Fischer estime à juste
ne serait-ce qu'une nullité, à plusieurs raison que ses chances dynamiques
grands-maîtres. justifient le risque bien que, comme nous

126
r
- - - - -------

le verrons , il ait pu le baser sur un faux permet aux Noirs de garder l'initiative . Il
calcul. donna les variantes suivantes :
13. d x e5 C x e5. a) 15. C x d5 C x d5 16. F x d5 Td8 17. f4
T x d5 ! 1 8 . D x d5 Fb7 ! et les Blancs
doivent s'engager dans une mauvaise
finale par 19. Dd8 + vu que les Noirs
doivent gagner après 1 9 . D d2 Dh3
20. Cd4 Cg4.
b ) 1 5 . D e l Ce4 ! 1 6 . C x d5 F x e2
17. F x e4 Rh8 ! 18. D x c8 Ta x c8 19. Ce7
Tb8 et les Noirs gagnent la qualité pour
un pion.
c) 15 . Tel Dd7 ! 16. Tcdl Tad8 et les
Noirs ont gagné un temps .
d) 1 5 . Fb2 (relativement le mieux)
15 . . . . Df5 et « Les Noirs conservent l'ini­
8 C D G H
tiative » .
A E F
14 . . . . Cd3 15. Dc2?
Byme avait dû voir ce qui allait arriver
14. Tfdl? et le rejeter comme malsain. Mais Fischer
La mauvaise Tour. Une controverse ne plaçait sûrement pas à la légère son
internationale s'éleva sur les Cavalier sur une case intenable . Meilleur
conséquences du coup juste 14 . Tadl . A était 15. Cf4 ou 15 . Cd4, bien qu'après
l ' origin e , Fischer indiqua l a suite 15 . . . . Ce4 les Noirs gardassent une pres­
14 . . . . Ce4 15 . C x e4 d x e4 16. F x e4 sion.
D x d2 17. T x d2 Cc4 18. F x a8 C x d2 E n fa i t , F i s c h e r a c a l c u l é u n e
19. Tdl Cc4 20. b x c4 T x a8 , concluant combinaison de dix coups.
que les Noirs ont la meilleure finale ; le 15 . . . . C x f2! 16. R x f2 Cg4+ 17. Rgl
grand-maître Y . Averbakh , prenant C X e3 18. Dd2.
revanche des réfutations que Fischer avait
apportées à de nombreuses analyses
soviétiques , souligna une erreur monu­
mentale : 20. Fc6 gagne pour les Blancs !
(20 . . . . C x a3 21 . F x e8 F x e2 22. Td7 ! ) .
Fischer admit plus tard qu'il avait été
consterné et qu'il avait passé des heures
uniquement à regarder la positio n .
« Refusant que mon prix d e beauté aille à
la poubelle » . La remarque montre la
pureté de sa dévotion pour les Échecs .
Ce n'était pas le sacrifice final efficace
qu'il jugeait , mais la correction de tout le
jeu précédent.
Il trouva finalement 14. Tadl Dc8 ! ,
une défense indirecte du pion « d » qui A 8 C D E F G H

127
Jusqu'ici, Byrne avait vu et pensé que Le rêve demeurait pourtant vivace,
sa position était saine . Si les Noirs nourri à d'autres exploits légendaires de
prennent la qualité , les figures blanches son héros . Le plus encourageant fut celui
prédomineront. Byrne n'a toutefois pas vécu à la forte Coupe Piatigorski de 1966.
compris la force du coup suivant de En trouvant Fischer à la dernière place
Fischer qu'il décrivit comme « une après la première moitié du tournoi, la
horrible surprise » . plupart de ses plus loyaux admirateurs
18 . . . . C x g2! 19. R x g2 d4! commencèrent à s'alarmer. Ils ne purent
Force l'ouverture de toutes les lignes que s'émerveiller de sa performance dans
en direction du Roi blanc. la phase finale : il réalisa une série de
20. C x d4 Fb7+ 21. Rfl. victoires qui lui valurent presque le
Sur 21 . Rgl suit la pointe véritable : premier prix. Ce fut le plus grand « corne
21 . . . . F x d4+ 22. D x d4 Tel + et gagne. back » de toute l'histoire des Échecs .
Sans espoir est aussi 21 . Rf2 Dd7 ! suivi Fischer consentit alors à participer au
de Dh3 avec une attaque gagnante . tournoi interzonal de Tunis en 1967 .
21 . .. . Dd7! L'optimisme régna à nouveau quand il
Les Blancs abandonnent. prit très vite la tête pour être tout aussitôt
Fischer avait prévu la conclusion anéanti . Il se retira après une autre
suivante : 22. Df2 Dh3 + 23 . Rgl Tel + ! dispute sur l'horaire de jeu (l'affaire fut
24. T x e l F x d4 avec une attaque de mat. compliquée par son adhésion à une secte
Quand Fischer devint adulte , le ésotérique d'une stricte observance sabba­
paradoxe s'accentua : bien qu'il se soit tique) .
plus que tout autre identifié aux Échecs, Penser à Bobby Fischer, c'est penser
il se retira de plus en plus du jeu. Il posait aux contradictions, pureté et complexité,
des conditions que les organisateurs innocence désarmante et méfiance
n'étaient pas prêts à accepter : arrange­ a ffl i g e a n t e , t a l e n t c o n s o m m é e t
m e n t s fi n a n ci e r s e t c o n v e n a n c e s répugnance torturante. Il surpassa tout le
personnelles ainsi que des garanties monde dans la compréhension des
contre les résultats hasardeux. Échecs , mais traîna dès qu'il s'agissait de
Par exemple , il déclara qu'un match ne se comprendre lui-même . A sa conviction
devait être décidé que par six victoires , du destin le plus élevé se mêlait le
condition prohibitive à moins d'être prêt pressentiment du déclin.
à un affrontement de plusieurs mois (ce La décennie soixante-dix s'ouvrit sur
qui arriva avec le premier match Karpov­ une note d'espoir, du moins pour le
Kasparov de 1984- 1985 qui dura de monde des Échecs. Fischer fut persuadé
septembre à février, ND T) . de participer à l'interzonal de Palma de
Le monde lui colla l'étiquette d'excen­ Majorque. Il s'ouvrit ainsi un chemin
trique ; à ses yeux , le monde était jusqu'aux matches de candidats.
mauvais , sinon méchant. Quand les règles Il stupéfia ensuite le monde en
de la compétition pour le championnat démolissant ses deux premiers adversaires
du monde furent radicalement changées par la marque jamais vue de 6-0. Un
pour répondre à ses objections , il refusa journal soviétique déclara : « Un miracle
néanmoins de participer. Parut un essai
intitulé « The self-m ate of B obby (*) « Le mat aidé de Bobby Fischer », E. Hearst,
Fischer ( *) » . Chess Life , juillet 1964.

128
----

s'est produit » (donnant involontairement bretteurs accomplis au meilleur âge de la


le signal de l'apparition sans précédent vie . Mais Fischer était déjà vainqueur
d'un joueur d'Echecs en couverture du dans son combat le plus important, celui
plus populaire magazine-photo américain) . dont l'issue résidait toujours entre ses
A un point , il eût atteint le total seules mains : c'était la lutte de Fischer
phénoménal de vingt victoires consécu­ contre lui-même .
tives. Un spectre se dressait devant les
Son jeu brillant avait mûri et atteignait Échecs soviétiques , l'esprit de Bobby
à la perfection. Il semblait approcher d'un Fischer. Le reste est devenu un chapitre
niveau que l'on n'avait attribué qu'au connu de l'Histoire des Échecs . La
légendaire Capablanca, celui de l'infailli­ victoire décisive de Fischer sur Spassky
bilité . fut un don du ciel pour la popularisation
du jeu dans le monde entier(*). Pourtant
Dans le match final de candidats de l e s à - c ô t é s é n e rv a n t s du m atch
1971 , l'aura d'invincibilité de Fischer fut perturbèrent l'harmonie artistique du jeu,
brisée assez vite . Après cinq parties, la et gênèrent en particulier le champion du
marque était égale et l'ex-champion monde .
Petrossian avait « moralement » pris la Dans le domaine de la théorie des
tête . Fischer entama alors une nouvelle ouvertures , de nouvelles idées furent
série gagnante , remportant les quatre développées et Fischer y plaça son
dernières parties . Il avait saisi sa chance adversaire devant toute une série de
et était devenu challenger officiel pour le nouveautés . La 6e partie où, à la surprise
championnat du monde de 1972 . générale , Fischer ouvrit du pion-dame,
Les amateurs américains se reprirent à fut superbe et il la remporta dans un
rêver. Un seul tragique Morphy leur véritable style classique .
suffisait. On peut chercher en vain dans Du règne de Fischer, on avait attendu
l 'histoire des Échecs un match plus une riche moisson. Mais il ne joua plus
attendu que la rencontre annoncée : Fis­ une partie jusqu'au match de 1975 qui
cher contre Spassky. aurait dû l'opposer à Karpov et pour
Personne n'aurait pu souhaiter specta­ lequel il déclara forfait. Nous en verrons
cle plus combatif que le choc de ces deux plus loin les raisons .

(*) Fischer gagna par 12, 5-8, 5, avec 7 victoires,


2 défaites et une perte par forfait.

129
- -- �=- --- - - - - � �

17 Karpov tirer profit de la précision

« Du style ? Je n 'en ai aucun. » cette compétition astreignante . Seule une


A. Karpov petite troupe décidée y était revenue .
Entre-temps, Fischer avait déjà aban­
donné son titre de champion du monde
FIDE. Le flux de la domination échi­
Les années qui se sont écoulées entre quéenne globale revint dans son sens
les deux premières éditions anglaises de « naturel » . Examinons encore les suites

ce livre ont été marquées par des événe­ du « Match du siècle » du point de vue
ments tumultueux dans la vie échi­ occidental .
quéenne. On hésite à ajouter quelque
chose à tout ce qui a déjà été écrit, y La victoire dramatique de Fischer avec
compris par l'auteur de ces lignes, à ce une bourse d'un quart de million de
sujet. Considérons néanmoins les effets dollars , ce qui ne s'était encore jamais vu,
du grand match. et l'intérêt suscité dans le monde entier,
La défaite de Spassky souleva une onde parurent annoncer une ère nouvelle pour
de choc dans la société échiquéenne et ce jeu antique . L'euphorie atteignit son
sportive soviétique . Comme il fallait s'y comble aux États-Unis et les maîtres,
attendre, le champion battu et, dans une auteurs et professeurs d' Échecs en
moindre mesure , d'autres grands-maîtres , arrivèrent vite à la conclusion qu'ils
furent transformés en boucs émissaires . avaient, dès lors , un véritable métier
Pendant de nombreux mois , jouer à susceptible d'assurer leur subsistance .
l'étranger fut interdit à Spassky. Pour Ils avaient spéculé sur l'activité du
l'élite échiquéenne tirée de sa paresse , ce champion du monde qui apparaîtrait dans
fut le tour de vis sur toute la ligne. tous les domaines . Cet espoir fut déçu .
Il est remarquable que chacun des Bien que le jeu d'Échecs prétendît
grands-maîtres de premier plan fut obligé désormais à un niveau d'activité encore
de participer au championnat d'URSS de inconnu, la perspective immédiate de se
1973 . Ironie du sort, le brillant vainqueur voir reconnaître un statut assuré comme
de ce championnat, le plus fort qui se soit dans les pays où ils bénéficient d'un
jamais disputé, ne fut autre que Boris soutien étatique, se révéla illusoire. Et la
Spassky vilipendé de toutes parts. Une nouvelle que Fischer ne défendrait pas
année plus tard , bien des meilleurs son titre en 1975 ébranla les rares
joueurs se tinrent de nouveau à l'écart de optimistes qui restaient encore .

130
r L'exigence de Fischer , à savoir un
match pour le titre illimité et décidé par
l'université d'Indiana, démontra que la
nullité par 9-9 était plus facile à atteindre
dix victoires , les parti es nulles ne p a r l e c h a l l e n g e r que l ' a n c i e n n e
comptant pas , gagna l'approbation , du prescription d e 12-12 dans les matches de
bout des lèvres il est vrai , de certains vingt-quatre parties , les nulles n'étant pas
délégués FIDE courageux. Cependant les comptabilisées ; à 11 ,5-1 1 ,5 une seule
« durs » , représentés par l'opposition nullité met brutalement fin aux espoirs du
o fficielle soviétique aux s o lutions challenger.
réclamées par l' Américain et leur refus La FIDE décida alors de couronner un
de consentir à tout compromis, condamna nouveau champion du monde, Anatoli
le match au naufrage . Le camp soviétique Karpov, qui, dans une série de matches,
était tellement désireux de récupérer avait acquis le droit de défier Fischer ; il
« son » championnat du monde , avec ou n'avait alors que 23 ans et représentait
sans combat, que le concours de trois l'archétype du citoyen soviétique .
ministres d' É tat fut mobilisé pour Caractériser la contribution d'un joueur
influencer le vote des délégués. Le vote d ' É checs aussi j eune est une tâche
décisif repoussa la demande de Fischer inattendue imposée par le combat sans
que le champion du monde garde son gloire des politiciens FIDE que nous
titre sur la marque de 9-9 et que la bourse venons de décrire . Le premier abord
soit partagée. Cette revendication eût semble montrer que Karpov, premier
signifié que le challenger dût au minimum champion du monde couronné sans avoir
gagner par 10-8 pour remporter le titre . disputé de match pour le titre, ne voit pas
Ce vote fut une victoire regrettable de son statut d'un cœur aussi léger que les
l'autorité sur la liberté individuelle et sur bure aucrates m o s covites qui l ' ont
la cause du progrès échiqué en . Il décroché pour leur compatriote.
représenta un retour à la vieille illusion La tâche du critique de se pencher sur
de « donner une leçon à Fischer » . Il le jeu de Karpov est facilitée par le fait
annula aussi la deuxième plus grande qu'il a joué dès le début comme un
bourse de l ' histoire sportive . Les vétéran blanchi sur l'échiquier, c'est-à­
Philippines offraient cinq millions de dire que la beauté de la combinaison ne
dollars, et le monde des Échecs fut privé l'a jamais attiré (comme par exemple son
d'une fête revenant tous les trois ans. contemporain, le Yougoslave Ljubojevic)
Jamais auparavant un homme n'avait mais que seule l'intéresse la tranquille
renoncé à autant d'argent pour une accumulation des points . Par conséquent,
question de principe . Alors que les on le décrit comme « très mûr » , mais sur
champions du monde de l'ère soviétique le thème « jeunesse » il y aurait beaucoup
abordaient leurs matches avec des à dire . On n'aime guère les jeunes qui se
avantages bien étudiés , Fischer conduisent comme leurs parents et ne
n'entendait pas se contenter de moins . pensent qu'à leur carrière au lieu de
Son exigence d'une avance de deux points songer aux jolies filles.
s'attira des jugements tels que « inoui » , Karpov est né en 1951 à Zlatooust dans
« anti-sportif » , etc . Le grand-maître l'Oural, et il fait des progrès constants
Flohr écrivit : « Fischer déraille-t-il ? » . après avoir appris la marche des pièces à
Ces reproches appelaient une réponse . l'âge de 4 ans. A 12 ans, il fait l'heureuse
Charles Kalme , un mathématicien de découverte d'un livre avec des parties de

131
Capablanca, et son avenir paraît assuré. A. Saidy - A. Karpov
Du plus grand des classiques « Tolla »
prit les bases de son propre jeu. Grâce 8
aux soins ultérieurs dont il fut entouré au
7
sein des Échecs soviétiques, comprenant
des leçons particulières avec Botvinnik en 6
personne, le développement d'un grand
5
talent était assuré.
Prenons un petit Capablanca, prêtons­ 4
lui une puissante volonté de vaincre et
3
ajoutons-y la totalité des connaissances
sur les ouvertures accumulées jusqu'alors 2

et telle qu'elle est traitée par l'« École


soviétique », qu'en sortira-t-il ? Certains 69
affirmeraient : une machine à jouer aux A 8 C D E F G H

Échecs invincible. Pourtant non, ce serait


uniquement un super-Capablanca ayant Après le 37e coup blanc
étudié les Échecs et capable de plus
d'efforts. De nos jours, on ne pourrait
pas faire un héros d'un tel bois. Le principal désavantage des Blancs
Avant ma première partie contre était à la pendule. Ils devaient jouer vite.
Karpov, à San Antonio 1972, j'examinai Au lieu, comme on pouvait s'y attendre,
par douzaines ses parties, et y trouvai une d'occuper la colonne « a » ouverte,
excellente technique dans la réalisation Karpov joua :
de petits avantages ainsi qu'un très petit 37 • Td8.
•••

nombre de parties perdues. Mais où Un coup profond avec une pointe


étaient donc les attaques à sacrifice positionnelle importante. Dans le temps
caractéristiques pour un jeune homme qui me restait, je fus « surmené ». Une
touché par la providence ? Il n'y en avait réponse facile était 38. De2. Au lieu de
pas ! Quelque chose manquait à cette cela, je jouai le coup plus évident :
« âme russe ». Ce n'était en tout cas pas 38. Tal? b3!
la volonté de marquer des points qu'il Cela me fit l'effet d'un coup de pistolet.
accumulait avec une force remarquable. L'échange du pion« c » blanc est forcé et
Dans notre partie, durant près de cinq entraîne une petite faiblesse proba­
heures, les deux camps exécutèrent une blement fatale dans la structure des pions
série de manœuvres sans résultat tangible. blancs apparaissant après 39. Ta6 b xc2
40. Dxc2 Cd5. Karpov joua le reste de la
partie avec succès contre les pions
disloqués : forçant d'autres affaiblis­
sements, il gagna.
Deux choses sont remarquables dans
cette partie. D'abord seul un joueur avec
un sens positionne! raffiné pouvait voir la
gravité de l'affaiblissement de la position
blanche après b4-b3 ; deuxièmement, seul

132
r - --- -

un joueur avec une éminente spéciali­ rencontres actuelles, la nécessité du savoir


sation pouvait rendre aussi dangereux représente une charge très lourde pour
pour un adversaire , à court de temps , un les compétiteurs . Il reste pourtant encore
coup en lui-même aussi inoffensif de la place pour les Échecs .
(37 . . . . Td8) . 19. Dc2 Cfd7 20. Tadl Fg7.
La partie suivante est la préférée de Avec la menace du coup libérateur
Karpov et sa plus audacieuse réussite d6-d5 . Les manœuvres de Spassky ont
jusqu'à la parution de la deuxième édition posé un problème que Karpov résout
de ce livre (1975) . Une seule fois il avec clairvoyance .
s'écarte d'un calcul complet et prend un 21. d x e5 d x e5.
petit risque spéculatif. Il ne faudrait pas Le refus de Spassky d'échanger ici des
tenir cette partie pour représentative du figures par 21 . . . . C x e5 , comme ce sera
jeu de Karpov, mais comme une action aussi le cas deux coups plus tard, montre
d'éclat telle qu'un technicien peut en réus­ qu'il ne souhaite pas la nullité .
sir. 22. c4 b x c4 23. F x c4 De7!?
Spassky a dû considérer comme pénible
de résoudre le problème du pion arriéré
c7 par 23 . . . . C x c4 24. D x c4 Tc8 suivi
A. Karpov B . Spassky
de De7 , Ff8 (si nécessaire) et c7-c5 . Il se
·

Match triangulaire par équipes ,


hâte de le pousser, prenant en compte le
Moscou 1973
fait que le Fou d'attaque espagnol reste
Partie Espagnole
ainsi en vie . Mais Karpov exécute un
sacrifice de qualité inattendu .
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 a6 4. Fa4 24. Fb3 c5 25. a4!? c4.
Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel b5 7. Fb3 d6 8. c3 Faible est 25 . . . . c x b4? 26. Dc7 Tab8
0-0 9. h3. 27 . Fe3 Fa8 28. a5 Tec8 29 . Da7 gagnant
Ces coups d'ouverture sont aujourd'hui une figure .
aussi banals que l'était l'orthodoxe du 26. Fa2.
Gambit de la Dame il y a un demi-siècle . Naturellement pas 26. F x c4? à cause
Spassky exécute à présent le retrait de de 26 . . . . Tac8 .
Cavalier à la mode préconisé par Breyer, 26 . ... Fc6 27. a5 Fa4 28. Del.
et Karpov choisit un coup de pion moins Les Blancs doivent donner la qualité
direct et plus limité . pour un pion. Avec ce sacrifice prennent­
9 . . .. Cb8 10. d3 Fb7 11. Cbd2 Cbd7 ils un grand risque dans la tradition
12. Cfl Cc5 13. Fc2 Te8 14. Cg3 Ff8 romantique ? A peine, mais vraisembla­
15. b4 Ccd7 16. d4. blement un plus grand que ceux courus
Autrement les Noirs libèrent eux­ par Karpov dans une partie quelconque
mêmes leur jeu en imposant la poussée auparavant.
d6-d5 . Ils vont se retrouver maintenant 28 . . . . Cc8!?
quelque peu comprimés aussi longtemps L' autre possibilité est 28 . . . . F x dl
que la phalange des pions blancs 29 . T x dl Ca4 30. F x h6 F x h6 3 1 . D x h6
demeurera constituée. où Karpov a indiqué une attaque
16 . . . . h6 17. Fd2 Cb6 18. Fd3 g6. gagnante après 3 1 . . . . Cc3 32. F x c4
Le premier coup nouveau ! Tout ce qui C x dl 33 . D x g6+ . Son estimation que
précède a déj à été joué . D ans les 3 1 . . . . Cf8 32. Tel assure aux Blancs de

133
« belles chances d'attaque » est cependant Les Noirs abandonnent.
fort discutable. Après 32. ... Tac8 ou La pression simultanée sur la colonne
32. ... Dxb4 les Noirs devaient garder « d » et à l'aile-roi est insupportable. Si
l'équilibre sans grand mal grâce à la belle 34 . . . . C f 8 a l o r s 3 5 . C x g 6 C x g 6
défense du Cavalier en f8 (sur 31. ... Cf8 36. Dh5+ Rg7 37. Txd6 et s i 3 4. ... Tg8
32. Cg5 est fort, par exemple 32. ... Cc3 alors 35. Fxc4 Tg7 36. Txd6 Dxd6
33. Cf5 gxf5 34. exf5 f6 [sinon 35. f6] 37. Cf5 suivi de mat sur la colonne « h »
35. Fxc4+ et gagne - R. Teschner.) (Karpov).
29. Fxh6 Fxdl 30. TxdlCd6? Quelques mois seulement avant cette
Un coup qui conduit à la débâcle avec partie, Spassky avait été mis à l'index
une étonnante rapidité ! Spassky y voit après les événements que nous avons
une pointe tactique (31. Fxg7 Rxg7 relatés. La partie elle-même fut un
32. Dd2 Tad8 33. Dxd6? Cf8) sans en présage de ce qui allait arriver.
apercevoir une autre. Karpov donne pour L'année suivante, pendant le tournoi
le meilleur 30. ... Ta7, sur quoi les Blancs olympique de Nice, Karpov se trouvait
o n t « u n e c o m p e n s a t i o n p l u s que d éj à a u s o m m e t de l a v a g u e . A
s u ff i s a n t e » p o u r la q u a l i t é après l'échiquier, il était invincible. A la ville, il
31. Fxg7 Rxg7 32. Dxc4. se montrait froid et sûr de lui, bien que la
31. Fxg7 Rxg7. FIDE n'eût pas encore décidé d'élever
son destin d'un nouveau cran dans les
manuels d'histoire. Dans l'arène, il
8 apparaissait comme le meilleur.
7

6
A. Karpov ·W. Unzicker
5
Nice 1974
4 Partie Espagnole

3
1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fb5 a6 4. Fa4
2
Cf6 5. 0-0 Fe7 6. Tel b5 7. Fb3 d6 8. c3
0-0 9. h3 Ca5 10. Fc2 c5 11. d4 Dc7
U. Cbd2Cc6.
A B C D E F G H
On peut jouer 12. ... cxd4. Karpov se
décide à présent à fermer le centre,
restreignant ainsi le jeu des figures noires.
32. Dg5! 13. d5 Cd8 14. a4 Tb8 15. axb5 axb5
Exploitant le fait que l'échange des 16. b4.
Dames coûterait un Cavalier aux Noirs, Crée une nouvelle tension à l'aile­
la Dame blanche intervient avec force : la dame. Nous verrons pourquoi les Blancs
menace est ici 33. Txd6 Dxd6 34. Cf5+, souhaitent inciter au coup c5-c4. Le
si bien que Spassky doit accepter un grand-maître bavarois se concentre
affaiblissement mortel de sa position uniquement sur la lutte pour la colonne
royale. « a » et, jusqu'à la fin de la partie, il ne

32. ... f6 33. Dg4 Rh7 34. Ch4. profite pas de la chance de contrejeu

134
offerte par Cf6-e8, g7-g6, Ce8-g7 et f7-f5. 24. ... Ce8 25. Fc2 Cc7?!
16. ... Cb7!? 17. Cfl Fd7 18. Fe3 Ta8 Le plus juste est 25. ... Cg7 et f7-f5.
19. Dd2 TfcS 20. Fd3 g6 21. Cg3 mm 26. Teal De7 27. Fbl Fe8 28. Ce2.
Une fois encore 21. ... Ce8 eût donné En dépit de la domination blanche à
un jeu actif. l'aile-dame, les Noirs y ont défendu tous
22. Ta2 c4?! les points vitaux. C'est pourquoi Karpov
Excédé par une trop longue pression cherche à ouvrir un autre front. Il sait que
contre leur pion « c », les Noirs finissent les figures mises à l'étroit n'ont qu'une
par abandonner la tension d'une manière efficacité restreinte.
qui n'est pas indiquée. La poussée 28. ... Cd8 29. Ch2 Fg7 30. f4! f6?!
concède aux Blancs une arme inattendue. Les Noirs paraissent décidés pour le
On ignore pourquoi Unzicker a renoncé reste de la partie à ne pas laisser leurs
à 22. ... Txa2 23. Dxa2 cxb4 24. cxb4 pièces quitter les deux dernières rangées.
Dc3, car ni 25. Dbl ni 25. Da7 n'était à La dernière chance d'activité réside en
craindre. Durant toute la partie, il joue 39. ... exf4 avec un point fort en e5.
comme hypnotisé. 31. f5 g5.
23. Fbl. Élève une barrière qui se révèle
Karpov retarde sagement son combat illusoire. Mauvais serait 31. ... gxf5
pour la colonne « a » afin de maintenir la 32. ex f5 Ff7 3 3 . Fe 4 et les pions
prophylaxie contre Cf6-e8 et f7-f5. Les s'ébranlent à l'aile-roi. Le coup élastique
Noirs se préparent maintenant à Cd8-f7 était cependant une meilleure ten­
s'emparer de la colonne... tative.
23. ... Dd8. 32. Fc2 Ff7 33. Cg3 Cb7.
Malheureusement les Noirs ne peuvent
8 pas conserver la case h5, comme le
montre 33. ... h5 34. Fdl De8 35. De2.
7
34. Fdl h6.
6 Affaiblit la case g6 ; en tout cas, les
Blancs eussent toujours été en mesure de
5
percer à la longue par h3-h4. Le Fou
4 espagnol vit à présent une « happy end »
en ouvrant la route pour sa Dame. Les
3
Noirs sont condamnés à passer le temps
2 par des coups d'attente.
35. Fh5 De8 36. Ddl Cd8 37. Ta3 Rf8
71 38. Tla2 Rg8 39. Cg4 Rf8 40. Ce3 Rg8
A B C D E F G H 41. Fxf7+ Cxf7 42. Dh5 Cd8.
Également perdant est 42 . ... Ch8
24. Fa7! 43. Dxe8+ suivi de Ch5, Ta5 et Fb6.
Une ressource inhabituelle. Les Blancs 43. Dg6 Rf8 44. Ch5.
usent du Fou comme d'un bouclier à Les Noirs abandonnent.
l'abri duquel ils doublent leurs Tours et Les fruits mûrs tombent bientôt de
gardent ainsi le spectre d'une pénétration l'arbre, par exemple après 44. ... Df7
décisive. Des stratagèmes aussi simples 45. Cg4 Ce8 46. Ta5 et les Noirs ne
portent la marque de Karpov. peuvent pas défendre tous leurs pions sur

135
les deux ailes. Tarrasch lui-même n'eût droit de rencontrer Fischer et la couronne
pas mieux conduit l'attaque blanche . mondiale lui échut sur le tapis vert de la
Très rapidement, à l'âge de 22 ans , manière que nous connaissons.
Karpov se hissa jusqu'aux candidats au Grâce à la myopie officielle , le monde
titre mondial en volant de victoires en des Échecs se retrouva dans une situation
victoires . Dans les matches qui l'opposè­ qui ne satisfaisait personne . Il y avait
rent à ses compatriotes soviétiques en maintenant deux papes : l'un à Rome et
1974 , il fit un court procès à Lev l'autre en Avignon. Pourtant les croyants
Polougaievski et infligea une défaite ne se laissèrent pas abuser. A l'exception
fabuleuse à Boris Spassky, à ce moment­ des rédacteurs de la « Pravda » , rares
là complètement hors de forme . En étaient ceux à considérer Karpov comme
finale , il se trouva en face du joueur de le meilleur joueur d' Échecs du monde .
contre expérimenté , Viktor Kortchnoï. Il Le nouveau champion pouvait bien
était permis d'attendre le heurt de deux prendre ses aises, satisfait de ses lauriers
conceptions opposées du jeu. artificiels pour lesquels le Système avait si
Le match Karpov-Kortchnoï mérite de opiniâtrement combattu. Mais impossible
rester comme un exemple négatif d'un de mettre les pensées sous clé : il n'avait
bon match, quant à la manière de choisir jamais joué une seule partie contre Bobby
un champion du monde . Que les Fischer.
moscovites , amateurs avertis s'il en fût, Quant aux idées , Karpov ne marque
aient boudé la salle de tournoi, montre aucune prédilection pour l'inspiration
que quelque chose n'allait pas . Le pire fut brillante ou la beauté esthétique . Tout
l'augmentation du nombre des parties l'enseignement à retirer de sa pratique est
nulles : sur les vingt-quatre parties, il y jusqu'à présent singulièrement monotone ,
en eut un nombre record de dix-neuf. uniquement orientée vers un jeu position­
Karpov, qui avait étudié des ouvertures ne! sans failles . L'examen de centaines
tranchantes lors de sa préparation à de ses parties révèle qu'elles sont gagnées
domicile , prit rapidement la tête avec par une précision constante . Disons qu'il
deux victoires . Et le règne du demi-point jouera quarante coups corrects et son
commença. Selon le règlement , chaque adversaire trente-neuf avec une seule
nullité rapprochait de la victoire celui qui imprécision : cette dernière peut alors
menait, et Karpov ne fit aucun effort suffire à affaiblir , dans une certaine
pour obtenir les cinq gains qui eussent mesure , un pion ou une case-clé qui
décidé du match avant la limite des vingt­ scellera en fin de compte son destin .
quatre parties . Le déroulement ennuyeux Les parties de Karpov nous ramènent à
et timoré de ce match est un puissant un chapitre précédent du développement
argument en faveur de l'entêtement de échiquéen , quand les grands penseurs se
Fischer à ce que , pour un match de contentaient de la stricte observance des
championnat du monde , les nullités ne principes classiques du jeu de position. Il
soient pas prises en compte . En dépit du n'y a rien à ajouter : Karpov ne peut que
choix peu varié de ses ouverture s , recueillir les fruits de leur application, et
Kortchnoï rata trois victoires possibles il le fait mieux que quiconque .
avant de revenir très fort, mais trop tard . Sa maîtrise à briser la résistance
Finalement , Karpov finit par l'emporter suscitera l'admiration , mais ni la beauté
laborieusement par 3-2. Il gagna ainsi le ni l'originalité de ses conceptions ne le

136
feront. Il est un digne représentant de la poursuit et que son style demeure figé
bureaucratie soviétique et il s'en sert pour sous sa forme actuelle , contribuera peu
en tirer du prestige . Karpov est jeune et au progrès de la créativité aux Échecs . En
peut encore acquérir une nouvelle fait, la silhouette de l'ère du anti-héros se
dimension. Mais son ascension, si elle se profile de nouveau à l'horizon (*) .

(*) Jusqu'à la perte de son titre contre Kasparov


en 1985 , Karpov se révéla pourtant le plus fabuleux
joueur de tournoi de tous les temps , collectionnant

Capablanca et Alekhine réunis ! NDT.


plus de victoires en de forts tournois que Lasker,

137
18 Kortchnoï : les dangers de la provocation

« L 'élément humain, les insuffisances particulier par la publication d'un blâme


humaines et la noblesse de l'homme - ce signé par la plupart des grands-maîtres
sont les raisons pour lesquelles les parties soviétiques. Puis, une étape suivante fut
d'Échecs sont perdues ou gagnées. » l'exigence que la FIDE l'élimine du cycle
V. Kortchnoï mondial . Suivit en troisième lieu , un
boycottage de tous les tournois où
Kortchnoï était invité . Enfin, le point
culminant des représailles fut atteint avec
l'arrestation de son fils et sa condamna­
Pur produit de l' É cole soviétique , tion à deux ans et demi de camp de
Viktor Kortchnoï , qui escalada les travail pour insoumission.
sommets du monde des Échecs grâce à Le crime véritable d'Igor Kortchnoï
une lutte impitoyable, a suscité à lui seul n'était pas d'avoir refusé de remplir ses
son antithèse . Il accusa le système obligations militaires mais d'avoir, avec
soviétique, dont on croyait jusqu'alors sa mère, demandé un visa de sortie afin
qu'il offrait les meilleures conditions pour de rejoindre son père et de lui permettre ,
le développement des joueurs de pointe, par la reconstitution de sa famille , de
d'être l'ennemi de sa carrière créatrice. lutter à armes égales . Moscou n'aban­
Et il livra la preuve de son affirmation en donna qu'après que Kortchnoï eût été
atteignant son apogée à l'âge mûr après forcé de disputer son second et amer
avoir quitté sa patrie. match pour le titre contre Karpov, dans
Ce favorisé du régime , quatre fois des conditions psychologiques déloyales .
vainqueur des formidables championnats Après six années de soucis, de déceptions
d'URSS , poli et soutenu par l'École et d'innombrables pétitions interna­
soviétique , eut en 1976 le courage de tionales, Kortchnoï put revoir sa famille .
faire la déclaration provocante qu'il Les à-côtés politiques qui perturbèrent
n'était pas la propriété de l'État : il passa constamment la lutte sur l'échiquier sont
à l'Ouest. Une politisation totale du sport insép arables de tout jugement porté sur
fit de lui la victime d'une féroce campagne les Echecs de la période post-fischérienne
de dénigrement sans précédent . Les (on n'utilise cette expression qu'à regret) .
instances moscovites le désignèrent Pour commencer, les rencontres entre
comme un traître immoral et avide, et Karpov et Kortchnoï furent un mélange
tentèrent de ruiner son crédit , en peu réjouissant de styles divergents. Elles

138
furent modérément créatives et en fin de 1981 à Meran, on téléphona de Leningrad
compte faussées par une atmosphère de à un secondant de Kortchnoï pour lui
mutuelle animosité . La première de 1974, apprendre qu'Igor avait été battu à son
qui devait désigner le challenger de camp de travail (ce qui ne fut pas
Fischer, eut pour principal « succès » un confirmé par la suite) . On peut facilement
quota jamais atteint de parties nulles : imaginer l'influence que cette nouvelle
74% des parties jouées s'achevèrent par eut sur la concentration et l'objectivité de
le partage du point. Karpov, de vingt ans Kortchnoï. Il fut méconnaissable et perdit
plus jeune, traîna la jambe jusqu'à une trois des quatre premières parties sur des
victoire de 3-2. gaffes et des erreurs de j ugement
Le match pour le titre de 1978 à incompréhensibles . Quand bien même les
Baguio , Philippines , disparaît sous les deux victoires suivantes de Kortchnoï
péripéties d'une guerre psychologique et fussent-elles les plus intéressantes de
d'un combat de propagande . Finalement l'affrontement , le triomphe final de
incapable de porter le coup fatal à son Karpov par 6-2 et 10 nulles était
adversaire dans une série de positions inévitable. Quand bien même Karpov, le
gagnantes, Karpov permit à la technique joueur de tournoi le plus expérimenté et
supérieure en finale de Kortchnoï, de le plus heureux , héros des médias
remonter un retard de 2-5 . La chute soviétiques , possédât-il du prestige et de
survint quand le challenger choisit une l'influence sur la jeunesse , sa couronne
défense désastreuse dans la 36e partie, porte et portera toujours le stigmate du
perdant ainsi le match par 5-6. L'aide péché originel car il ne l'a pas obtenue
puiss ante dans la préparation des pour avoir dominé Fischer, mais par des
ouvertures fournie à Karpov par une manœuvres politiques , et conservée par
« équipe » réunissant toute l'élite d'un des victoires à la Pyrrhus contre un
pays , ne fut qu'une preuve nouvelle de adversaire persécuté .
l'injustice qui présida à ses matches contre Ses partisans affirment qu'il ne pouvait
Kortchnoï. La seule faiblesse apparente, rien contre la machinerie étatique (et
mais fatale dans la cuirasse de ce dernier, n'en est-il pas partie intégrante ?) . Nous
était sa manie de jouer avec le zeitnot. évoquons cependant des actions faites et
Kortchnoï mena une infatigable non omises. Karpov négocia un jour avec
campagne pour obtenir la libération des l e g r a n d - m aître B o r i s G o u l k o
siens . Il baptisa Karpov, leur « gardien « uniquement » pour le faire cesser la

de prison » , tandis qu'il continuait à grève de la faim qu'il avait entreprise


écraser une autre série de candidats au avec son épouse Anna Akhcharoumo­
titre mondial. Il établit un record inégalé va ( * ) , ancienne championne d'URSS,
en matches jusqu'à fin 83 , épinglant rien afin d'obtenir leur permis d'émigration.
moins que Reshevsky, Tal, Geller, le
styliste brésilien Mecking , Petrossian
(trois fois dont une défaite) , Spassky,
Polougaievski (deux fois) , le fantasque ( * ) D ans le championnat d ' U R S S 1 9 8 2 ,
Hübner, le plus grand joueur allemand Akhcharoumova eut l'audace de tenter de regagner
son titre en battant Nana Ioseliani (par dépassement
depuis Lasker et Tarrasch , et le Hongrois de temps) . Sa victoire fut cependant annulée par la
Portisch. commission d'arbitrage de l'URSS fort éloignée de
Au début du match pour le titre de l'affaire.

139
Un autre exemple : la revue « 64 » jouer ensuite à la vitesse de l'éclair les
falsifia la liste FIDE officielle des coups décisifs de 30 à 40, avec pour effet
classements Elo les plus élevés en inévitable d'en amoindrir la qualité (en
escamotant les noms des fugitifs Lev partie éclair , des grands-maîtres ont
Alburt , Igor Ivanov et Tatiana même perdu contre des ordinateurs) . Les
Lematchko , et même celui d ' Alla réflexes de la main ne sont pas des
Kouchnir, pourtant émigrée tout à fait substituts à la pensée . La présence de
légal ement en Israël . Un Mikhaïl l'entraîneur convenable peut atténuer
Botvinnik n'eût jamais admis une telle cette propension dommageable . Celui qui
manipulation de l'histoire . Le rédacteur se laisse séduire par la double illusion du
en chef de « 64 » : Karpov. perfectionnisme (au Se coup) et de la
La stratégie tranquille et passive de toute puissance (au 38e) perd des points .
Karpov, consistant à attendre afin de La quête de l'ultime vérité se révèle un
pouvoir exploiter des erreurs non avantage concédé à tout joueur qui
provoquées , lui a suffi trois fois pour répartit raisonnablement son temps . Pour
l'emporter sur le style embrouillé et user de l'image de Walter Browne ,
engagé de Kortchnoï qui , tourné vers la maintes fois champion des États-Unis ,
contre-attaque , danse sans cesse sur la dans les murs du Kremlin Karpov était le
corde raide avec la pendule . Karpov, le dieu des Échecs et Kortchnoï son diable .
pragmatique glacé , favori des statisticiens Le formidable appareil administratif,
mais non des amoureux des Échecs , était technique et policier de l' État soviétique ,
habituellement prêt à renvoyer fut mis en branle pour que le champion
brutalement la balle quand Kortchnoï, le russe , issu de la classe ouvrière , pur
chercheur enragé de victoires confuses produit du conformisme officiel , membre
dans le tourbillon du zeitnot , du comité central des Komssomols ,
immanqu a b l e m e n t trébuchait . Un conserve le titre face au cosmopolite
exemple est donné par la 17e partie de ingrat, métissé de juif, qui avait brisé la
Baguio où Kortchnoï avait totalement conspiration du silence .
dominé son adversaire et atteint une Les connaisseurs en stragégie préfèrent
finale favorable pour succomber à un mat le jeu de Kortchnoï. Avec son penchant
élémentaire . pour le danger il prendra un pion ,
Kortchnoï a désigné Emmanuel Lasker résistera à l'attaque que cette capture a
comme son héros , et ils ont effectivement déchaînée , et conservera le dessus en
porté tous deux l'esprit de lutte primitif à finale ; ou bien construira-t-il une lente
son plus haut degré . Le jeu de Kortchnoï attaque avec des fioritures à l'aile-dame .
est toutefois compliqué par une autre Dans sa jeunesse, il renonça aux parties
circonstance dont Lasker ne fut jamais la du pion-roi largement ouvertes et aux
victime et auquel sa « Saine attaques grossières sur le Roi. Il préfère
compréhension humaine » ( « Gesunden toutes les défenses qui défient les
Menschenverstand » est le titre d'un livre principes classiques et n'aspire pas à
de Lasker) n' était pas disposée : la l'égalité mais à la contre-attaque . Nous
capacité de réfléchir une heure sur un pouvons constater ceci : Kortchnoï l'eût
seul coup d'ouverture afin de tenter de emporté si la rencontre s'était située à un
p énétrer plus avant une p osition connue autre niveau ; mais dans le monde réel , le
comme personne ne l'a encore fait , pour pragmatique l'emporta très nettement,

140
non que Karpov fût par lui-même une dans un plan typique de Kortchnoï, où les
personnalité, car il est avant tout une Blancs prennent un risque élevé car le
personnification d'un système social pion « d » se retrouve arriéré (à la
prônant une seule idée - le gain - sur longue ?) et abandonne à l'adversaire la
l'individualiste qui paraissait toujours case forte d5 afin d'éloigner le Cavalier
avoir une idée de trop. noir de f6 et de poursuivre l'attaque sur le
Ce dont le monde des Échecs a besoin, Roi. « Une décision caractéristique et
c'est d'être libéré de l'intrusion de la sans compromis», selon le maître et
p o l i t i q u e d a n s notre communauté psychologue britannique Hartston.
mondiale et d'une assurance que les droits 17 . Dc7 18. Cg5 Cf8 19. Ce4 Fxe4
•..

de tous les joueurs à vivre et à exercer 20. Dxe4 Td8 21. h4 De7?!
leur art comme ils l'entendent soient Le vétéran argentin, connu pour son
respectés, que les Échecs reviennent au exubérance, sous-estime les chances des
sein de leur sphère artistique. Tourner la Blancs. Meilleur était 21. ... Td5 22. Dg4
page de l'ère Kortchnoï-Karpov serait très Dd8 23. Fe4 Td7 24. Te2 Tc4 25. Ted2 et
profitable à notre jeu. les Blancs seraient trop occupés avec leur
pion arrièré pour pouvoir tirer parti de la
supériorité de leurs pièces mineures.
22. Dg4 Ta3 23. Fc4 b5 24. Fb3 a5?!
V. Kortchnoï - M. Najdorf
Il fallait se retrancher, mais Najdorf
Wijk aan Zee 1971
s u c c o m b e à l ' i l l u s i o n de p o u v o i r
Gambit de la Dame
empêcher ainsi l a percée thématique.

1. c4 Cf6 2. Cc3 e6 3. Cf3 d5 4. d4 c5.


La défense Semi-Tarrasch qui mène à
une position ouverte. La domination
i 8

centrale des Blancs et les chances 1111111 7

d'attaque à l'aile-roi contrebalançant la 1111111 1111111 6

majorité noire à l'aile-dame, entraîne un


déséquilibre dynamique comme les aime
ill l l l l l 5

Kortchnoï. 1 1 1 1 1 1 1 1 �1 4

5. cxd5 Cxd5 6. e4 Cxc3 7. bxc3


cxd4 8. cxd4 Fb4+ 9. Fd2 Fxd2+
illl l l l l l 1 3

10. Dxd2 0-0 11. Fc4. bll l l l l l 1 1 1 1 1 1 1 2

Les simplifications bien connues ont


facilité la tâche des Noirs ; les idées de
72 l l l l l l lbil
A B c D E F G H
Polougaievski ont pourtant renforcé
l'attaque essentiellement basée sur le
sacrifice de pion d4-d5, e6xd5, e4-e5 25. d5!!
avec un regard braqué sur le Roi. Ce coup est stratégiquement clair : il
11. ... b6 12. 0-0 Fb7 13. Tfel Cd7 nécessitait cependant un calcul de douze
14. Tadl Tc8 15. Fd3 Te8 16. De3 Tc3 coups dont Kortchnoï devait prévoir qu'il
17. e5!? aboutirait à une position gagnante bien
La menace tactique Fxh7+ n'est pas qu'il eût en finale un Cavalier de moins.
la seule idée de ce coup qui entre plutôt On peut s'imaginer qu'il y utilisa prati-

141
quement tout le temps de réflexion qui lui 31. ••• h6 32. f5 Ch7 33. Tel Ta8
restait ; la réponse juste 25. ... exd5 ne 34. Df4 Cf6 35. Dc7 Db4.
lui eût pas laissé davantage qu'un léger 36. Dc5 forçait à présent l'abandon car
plus positionne!. Najdorf « mord » à les pions passés se révèlent irrésistibles,
l'appât. mais pour jouer les cinq coups restant
25 • a4? 26. dxe6.
... jusqu'au contrôle de temps, Kortchnoï ne
Et non 26. d6? Da7 (27. Db4 ? axb3). disposait plus que de quelques secondes.
26 • axb3 27. exf7+ Rh8.
••• Apercevant un joli « coup gagnant », il le
Si 27. ... Rxf7 alors 28. Txd8 Dxd8 joue...
29. e6+ avec un gain facile. 36. Dc8+!? Rh7.
28. Txd8 Dxd8 29. axb3. Évite 36 . ... Txc8 37. Txc8+ Rh7
Et non 29. e6? bxa2 30. e7 Dxe7. 38. f8C+! Rg8 39. Cg6+ Rh7 40. Th8
29. ... De7 30. e6 Ta6 31. f4! mat.
La pointe « tranquille » . La suite 37. DxaS?
logique est maintenant 31. ... Txe6 (ou Le « zeitnot » exige son dû. Le drame
31. ... Cxe6 32. Txe6 Txe6 33. Dxe6) épique s'achève en farce.
3 2 . T x e 6 Dx e 6 ( o u 32 . . . . C x e 6 37. ... Dd4+ 38. Rfl Df4+?
33. Dxe6) 33. Dxe6 Cxe6 34 . f 5 Cf8 Najdorf rate sa chance de salut par
35. h5 g6 26. h6! échec perpétuel : 38 . ... Dd3+. Le
zeitnot est l'explication habituelle pour
8 de telles bévues, mais aussi que le joueur
en position perdante a déjà abandonné in
7
petto avant que le combat soit terminé, et
6 que de ce fait, il n'est plus prêt à saisir
une dernière occasion. La partie se trouve
5
à nouveau sur la bonne voie.
4 39. Re2 De5+.
Ou 39. ... Dxcl 40. f8C+!
3
40. Rdl.
2 Les Noirs abandonnent.
La guillotine de Kortchnoï (le drapelet
au cadran de sa pendule) est restée levée,
A 8 C D E F G H et son Roi va échapper aux Échecs. La
menace de promotion décide.
(Variante d'analyse) Une belle œuvre de Kortchnoï qui
recèle plus d'art (et malheureusement
Comparons ce diagramme avec le aussi plus de tension nerveuse) qu'une
précédent. Au premier, Kortchnoï devait douzaine de parties de Karpov.
avoir prévu le second et savoir que les Emmanuel Lasker choisissait exprès
Noirs seraient impuissants contre l'entrée des schémas qui ne convenaient pas à un
en scène du Roi blanc en finale. Élégant adversaire donné et il se distinguait en
e t pr o f o n d : la c o m p r éhe n s i o n de cela de Steinitz qui constatait que ses
Kortchnoï au plus haut point. Najdorf adversaires auraient tout aussi bien pu
n'espère plus désormais qu'une « arna­ être des robots. Dans l'affrontement
que ». suivant, qui eut une influence décisive sur

142
l'issue du match, Kortchnoï sortit de verrouillage Ce2-d4, mais se jette sur la
manière inattendue une variante à grenade de Kortchnoï.
sacrifice, préparée pour contraindre le
superbe attaquant qu'était Spassky à une 8
défense incommode. Cet hommage à la
7
psychologie de Lasker fut le signe d'une
guerre des nerfs sans précédent entre les 6
joueurs : pendant plusieurs parties du
5
match, aucun d'eux n'accepta de prendre
place à l'échiquier quand son adversaire 4
s'y trouvait.
3

B. Spassky - V. Kortchnoï 74
Match de candidats, A B C D E F G H
Belgrade 1977
DéfenseFrançaise
13 • ••. d4! 14. Ff2.
Après une longue réflexion résultant
1. e4 e6 2. d4 dS 3. Cc3Fb4. de l'effet de surprise, le coup choisi
La v a r i a n t e Wi n awer, à double semble superficiel. Une sérieuse mise à
tranchant, est le signal d'une lutte sans l'épreuve de l'idée noire était peut-être
merci. 14. Cxd4 Cxd4 15. Dxd4 Cf5 16. Dc5,
4. eS c5 S. a3 Fxc3+ 6. bxc3 Ce7. ou 15. ... b6 16. Ff2.
Une possibilité importante est 14 • 0-0-015. Cxd4 Cxd416. Dxd4
•.•

6. .. . Dc7 pour répondre à 8. Dg4 par b6.


... f5. C'est la façon dont se déroula la Selon Keene, secondant de Kortchnoï,
deuxième partie du match. Dans les 16. ... Fc6 17. Dxa7 Td2 18. Fb6 Db8
parties ultérieures, Spassky choisira ou 17. Dxc3 n'était pas clair.
diverses bifurcations au 7e et au se coup, 17. Fb4.
jusqu'à ce que Kortchnoï, dans la 14e, Spassky recherche la simplification.
change son fusil d'épaule avec 1. ... e5. Maintenant 17. ... Cf5 18. Fxd8 Cxd4
7. Dg4 cxd4. 19. Fxc7 Cxc2+ 20. Rf2 Cxal 21. Fd6
Les sacrifices de pion commencent. En était faible pour les Noirs.
compensation, les Noirs comptent sur un 17 •FbS18. De4Fxfl19. Txfl!?
.••

rapide développement et des lignes Toujours combatif ! Plus sage était de


ouvertes ! La vieille suite 7. ... Cf5 8. Fd3 prendre la nullité par 19. Da8+ Rd7
h5 9. Df4 est commode pour les Blancs. 20. Tdl + Cd5 21. T x d 5 + e x d 5
Spassky accepte le sacrifice et passe en 22. Dxd5+ Rc8 23. Da8+ (échec perpé­
défense. Dans la 12e partie, il choisira tuel).
8. cxd4. 19 • TdS!?
.••

8. Dxg7 Tg8 9. Dxh7 Dc7 10. Ce2 Ici et pas ailleurs ! Un contre-échec
Cbc611. f4Fd712. Dd3 dxc313. Fe3. perpétuel était obtenu par 19. ... Td2
Une, parmi d'autres possibilités 20. Fxe7 T8xg2 21. Fd6 Db7 22. Dc4+
commodes, qui prépare le coup de Rd8 23. Tdl Tge2+ 24. Dxe2 Txe2+

143
25 . R x e2 De4+ 26. Rf2 D x f4+ (Kee­ permis aux Blancs « de rester en vie au
ne) . moyen d'une défense très précise » (Kee­
20. F x e7 D x e7 21. Tf3 Rb8 22. Rfl!? ne) .
Meilleur que 22. T x c3 Dh4+ 23 . Rfl 36 . . . . Td2 37. Rg4 Db7 38. D X c3.
Td2. La suggestion de Najdorf 22. g3 Le coup perdant . Toutefois , après la
était toutefois plus simple, par exemple suite légèrement meilleure 38 . Tgl T x c2
22 . . . . Td2 23 . T x c3 Tgd8 « avec des ou 38 . . . . De4 la mise à découvert du Roi
chances égales » (Keene) . blanc semble également mortelle .
22 . . . . Td2 23 . Tf2 Tgd8 24 . Df3 38 . . . . Tg2+ 39. Rh3 Tf2 40. Rg4 De4.
T x f2+ 25. R x f2 Td2+ 26. Rg3. Les Blancs abandonnent .
Trop dangereux est 26. Rfl Dc5 . Pour Sur 41 . Dg3 suit 41 . . . . Tg2. Un millier
la sécurité de son Roi , Spassky peut d' amateurs yougoslaves saluèrent ce
continuer d'être soucieux et il tombe ainsi combat de titans d'un tonnerre d'applau­
dans un zeitnot inhabituel , tandis qu'il dissements .
continue à parer les coups directs de
Kortchnoï.
26 . . . . Dd8. Dans un gros ouvrage sur l'ascension
Et non 26 . . . . T x c2 27 . Dd3 . de Karpov jusqu'au titre « Ouralski
27. De4 Dg8+ 28. Rh3 Dh8+ 29. Rg3 Samotsviet », Alexandre Kotov, l'émi­
Dg7+ 30. Rh3 Td8. nence grise des Échecs soviétiques , réussit
Comme le pion « g » se trouve à éliminer toute mention du nom haï de
solidement en g2, les Noirs le forcent à Kortchnoï (comme cela avait été le cas
avancer. Il restait encore cinq minutes à avec le livre russe du tournoi de Kiev
Spassky pour dix coups, et Kortchnoï en 1978 où Lev Alburt et sa réussite avaient
avait 15 . été gommés dans le plus pur style
31. g4 Th8+ 32. Rg3 Dh6 33. Dg2 d' Orwell , et l'on avait vu ainsi un
Dh4+ 34. Rf3 Td8. h u i t i è m e d e s p a rti e s du t o u r n o i
A nouveau de retour ! Les Noirs disparaître) . Par malheur pour les
évitent la nullité par 34 . . . . D xh2 . réécriveurs de l'histoire , Kortchnoï
35. Dg3?! poursuivit le combat , devenant une
Spassky commence à craquer sous la véritable incarnation des principes de la
pression. Meilleur était 35 . Tfl (Gligoric) lutte laskérienne . Si le destin le priva de
35 . . . . Td2 36. Tf2 T x f2 + 37. D x f2 très peu de l'honneur suprême , en
Dh3 + 38 . Dg3 Dfl + 39 . Df2 et nulle . revanche il fit de lui un vivant symbole de
35 . ... De7 36. g5? l'énergie , de la force de vivre et de gagner
L'équilibre est rompu. Laisser en plan qui ne sont pas exclusivement les
le pion gagné par 36. Tel eût peut-être apanages de la jeunesse .

144
Kasparov la renaissance de la créativité 19

« . . Je cherche toujours à jouer de interview au cours de laquelle il porta un


jugement négatif ahurissant sur Karpov :
.

belles parties . . . J'ai toujours voulu créer


des œuvres d'art. » « Quand il devint champion du monde, il

G. Kasparov eut besoin que tous les joueurs vraiment


créatifs de l'Union soviétique soient à son
service. Un maître se faisait-il connaître
par ses idées sur une ouverture particulière,
qu 'il était amené à Moscou et prié de
po ursuivre ses recherches sur cette
L'ère Karpov ne fut pas inutile au ouverture au profit de Karpov et d'inscrire
monde des Echecs . Certes , on pouvait noir sur blanc toutes ses découvertes, tout
souhaiter un champion plus inspiré et cela avec la plus extrême discrétion bien
possédant plus de noblesse , mais ceux qui entendu. En bref, nous pouvons voir en
attendaient de lui œuvre de popula­ Karpov un exploiteur des idées d'autrui.
risation ne pouvaient désirer joueur de Ses capacités d'exploiter ces idées ne sont
tournoi plus actif et plus heureux dans sa pas en cause ; mais lui-même est à peu
réussite ! La placidité souvent aride de près aussi fécond qu 'une femme stérile. »
son style est même parfois traversée Aucun réel danger ne menaça la
d'éclairs exceptionnels : contre Polou­ suprématie de Karpov durant les années
gaievski le sacrifice spéculatif de deux soixante-dix. Kortchnoï pouvait le défier
pions , contre Hübner celui d'une Tour sur le plan intellectuel mais pas au niveau
nette dont l'issue était loin d'être claire (il d'un match . Tal était trop changeant,
remporta les deux parties) . Mais le plus Spassky, Petrossian, Larsen se trouvaient
souvent reste l'impression d'un boa déjà relativement sur leur déclin. En
constrictor lisse et impitoyable , d'un O cc i d e n t , s e u l s des lutteurs s a n s
Petrossian des ouvertures du pion-roi, compromis comme l e Hollandais Jan
d'un ordinateur humain programmé avec Timman ou le Yougoslave Ljubomir
les plus profondes analyses d'une équipe Lj u b oj e v i c é t a i e n t s u s c e p t i b l e s à
de spécialistes d'ouvertures . l'occasion de lui rendre ses coups. Le
Botvinnik, qui avait apparemment jeté Suédois Ulf Andersson, ultra-tranquille ,
par-dessus bord toute prudence pouvait au mieux espérer la nullité dans
diplomatique , donne en 1 9 83 une 90% des cas contre le champion du

145
monde qui lui régla cependant son montra la solution . Poussé dans ses
compte par 2,5-1 ,5 lors du second match derniers retranchements , il ne fit que
URSS-Reste du Monde que les renforcer ce tour de magie en nommant
Soviétiques remportèrent par 2 1 - 1 9 toutes les cases de l'échiquier.
contre des adversaires dont l a formation Un an plus tard, son père décéda, et le
n'était pas optimale . nom du garçon fut changé en Kasparov.
N'étaient pas davantage préparés à la Une modification sans doute utile , quand
tâche de vaincre Karpov , l' Allemand on est destiné à porter au front un
Robert Hübner dont la profondeur symbole de toutes les Russies.
positionnelle était perturbée par une Peu après Garrik joua aux Échecs à
insuffisance nerveuse quand la partie l'inévitable « Palais des Pionniers » , où il
entrait en crise , !'Américain Walter se fit connaître pour sa hâte impulsive.
R . B rowne montrant souvent un Un essor fantastique dont tous les jeunes
classicisme agressif sous s a forme l a plus joueurs occidentaux ne peuvent que
pure mais qui ne parvient pas à venir à rêver, fut lié à sa sélection pour la célèbre
b out de la p e ndule , o u l ' Anglais école d' Échecs de Botvinnik à Moscou .
insouciant, Tony Miles , qui rendit une Là, sous la férule de « Monsieur Échecs
fois le champion du monde réellement soviétiques » retiré de la compétition, le
furieux en lui jouant 1 . . . . a6 (!) mais qui jeune homme apprit à réfléchir avant de
manquait d'une profondeur stratégique jouer, et Botvinnik ajoutait : « Pour que
suffisante. Chacun de ces grands talents tu ne finisses pas comme Larsen ou
aurait pu croire encore en bénéficiant des Taïmanov ». Botvinnik approuva quand
avantages purement échiquéens du Garrik prit Alekhine pour modèle, car
système d'éducation soviétique , ce qui c'était un choix naturel.
était aussi le cas pour le j eune Le jeune garçon obtint des succès
individualiste américain Yasser Seïrawan étonnants pour son âge, et que personne
dont les perspectives furent alors altérées n'avait encore remportés avant lui :
par sa répugnance pour les efforts authen­ champion junior d'URSS à 12 ans, maître
tiques . soviétique à 14, vainqueur de son premier
Mais aujourd'hui l'idée d'une domi­ grand tournoi international à Banja Luka
nation désolante et sans fin de Karpov à 16 ans . Cela suffit à rendre le monde
perd sa crédibilité . Pour le défier, la des É checs attentif à ce phénomène
machine bureaucratique a choisi sur extraordinaire . A 17 ans , le titre de
l' autre versant du Caucase un génie Grand-Maître lui fut décerné , et à 18 il
rédempteur plein de passion. Son nom partagea la première place du cham­
est Garri Kasparov. pionnat d'URSS - le plus jeune vainqueur
Kasparov est né le 13 avril 1963 à de !'Histoire . Seuls Fischer et Spassky
Bakou, Azerbaïdjan. Son père juif, K. avai ent enregistré des succès aussi
M. Weinstein, et sa mère arménienne , précoces (à l'époque de la jeunesse de
Clara Kasparian, passaient leurs heures Capablanca et de Reshevsky, des épreu­
de loisirs à résoudre des problèmes ves aussi dures étaient inexistantes) . Aussi
d' Échecs . Un soir, ils échouèrent sur l'un n'y eut-il rien de surprenant à ce qu'à
d'eux ; le jour suivant, le petit « Garrik » , 19 ans, Kasparov devienne candidat au
âgé de six ans, et auquel on n'avait jamais titre mondial en remportant le tournoi
enseigné la marche des pièces , leur en interzonal de Moscou .

146
Mais il ne devait pas uniquement au Kasparov est une exploration infatigable
nombre des points qu'il marquait la masse des ouvertures compliquées . Il n'a pas
d'admirateurs qu'il attira promptement à gardé pour lui toutes ses découvertes . Le
lui. Non, c'était l'aspect artistique de son monde de langue anglaise s'est réjoui de
style qui les séduisait. L'éclat de ses pouvoir en profiter par le truchement des
sacrifices spécul atifs , son génie de éditions britanniques B .T. Batsford Ltd.
l'attaque et de la combinaison rappelaient En outre , Kasparov n'a pas manqué de
le jeune Alekhine . Les attaques directes philosopher sur la nature des Échecs,
et brutales des parties ouvertes (1 . e4) chose rare pour quelqu'un d'aussi jeune .
étaient évitées . Les offensives de Dans « Mes Parties » le premier ouvrage
Kasparov étaient plus raffinées . Elles de ce type dû à la plume d'un joueur de
démarraient le plus souvent par 1. d4 et 19 ans , il expose ses vues à la fin des
engageaient d'abord l'adversaire à l'aile­ années soixante-dix , brièvement mais
dame . Pour s'emparer de l'initiative, il ne avec combien de force . Il est assez
s'effrayait jamais devant le sacrifice d'un courageux pour attaquer la mystique alors
ou de plusieurs pions . Alors seulement, il dominante de Karpov, qu'il décrit comme
tournait sa magie tactique vers le Roi. quelqu'un qui est étouffé par le côté
Son jeu était à la fois le triomphe de sportif et dont le pragmatisme détourne
l'harmonie et de la beauté de l'attaque , le contenu échiquéen de l'événement. Il
sans égard pour une vraisemblable annonce un nouveau stade de créativité
correction mais guidé plutôt par le désir et confirme sa participation à la lutte des
et l'audace de risquer beaucoup afin de i d é e s encore en p l e in développe­
mieux explorer les limites de ses dons ment : « La discussion des idées ira
inventifs . toujours plus avant, car la vérité ne peut
Les grands de notre temps se résulter que de la confrontation des
distinguent par leur attitude face au opinions . » Il n'est pas difficile d'admettre
combat . Petrossian voyait l'échiquier à quel point le cœur de cet auteur s'est
comme un champ de mines qui devait donné aux Échecs .
être neutralisé pour éviter la défaite , Encore gamin, Kasparov disputa des
Karpov le traite en maître du champ de parties comme celle-ci qui lui valut
bataille qui consent ou refuse d'accorder l'appréciation de Botvinnik : « L'avenir
une nullité à l'adversaire . Tal était enclin des Échecs est dans les mains de ce
à déchaîner les tempêtes dont les ténèbres petit. »
pouvaient comporter des conséquences
mortelles et le diable emportait celui qui
y commettait la dernière faute . La beauté
du jeu demeurait accessoire dans ses plans
et elle pouvait y faire de brèves
apparitions comme y éclater dans toute sa
splendeur. Pour Kasparov, c'est l'élément
sportif qui reste secondaire . Il joue pour
la beauté des Échecs , et c'est pour cela
qu'on l'aime.
Mais la force créatrice n'est pas donnée
en un instant. L'autre aspect du travail de
147
Maguerramov - G. Kasparov
Match d'entraînement, 11 ....... i. 8

Bakou 1971 111 1 1 1 1 1 1 1 l l l l l l lil ll l 7

Gambit de la Dame refusé


1 11 .tl l l l l l l�I 1 !11 6

1. Cf3 Cf6 2. d4 e6 3. c4 d5 4. Cc3 Fe7 1111111 1111111 1111111 5

5. Fg5 0-0 6. e3 h6 7. Fh4 b6 8. Db3 Fb7


9. Fxf6 Fxf6 10. cxd5 exd5 11. Tdl.
1 !�!1 111111 4

L'idée des Blancs dans cette suite de la . :::'..I 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 3

variante Tartakover est de bloquer le


pion « d » noir et de museler le Fou-dame
811. .:. . l lQJl
. 811�1 2

situé derrière. Si 11. Fd3 c5! 12. dxc5 75 l l l l l l l�1 .. �ll l l l l l 1d 1

Cd7 et les Noirs ont un bon jeu. Malgré A B C D E F G H


cela, Kasparov tente l'expérience.
11 • c5?! U. dxc5 Cd7 13. c6?!
...

L'acceptation du sacrifice de pion par 19 . Fxf3!!


..•

13. cxb6 n'était pas un risque véritable. Un superbe Fou-Tartakover dont le


Sur le nouveau sacrifice p r oj e t é sacrifice introduit une suite forcée.
13. ... d4!? 14. Cxd4 Dxb6 les Blancs 2 0 . g x f 3 D h 4 + 21. T f 2 C x d 4 +
auraient pu immédiatement éliminer 22. Fe2 Cxf3+ 23. Rf1 Dh3+ 24 . Tg2
l'unité adverse la plus forte par 13. Dxb6 Ch4 25. Tgl Tad8 26. Del?
Cxb6 et jouer ensuite 16. f3! et il est clair Les Blancs pouvaient opposer une plus
que si les Noirs avaient assez de jeu pour longue résistance par 26. Da4, et si
un pion, ce n'était pas le cas pour deux. 26. ... Cxg2 27. Txg2 Te5 28. Dg4 avec
13 • Fxc6 14. Cd4?
•.• juste un petit retard matériel en finale.
Cette pseudo-blocade hâtive est plus 26 • Td3! 27. Df2 Cf3!
•..

faible que le simple 14. Fe2 ou l'aigu Presque le zugzwang. Si 28. Fxd3
14. Cxd5 Cc5 15. Cxf6+ Dxf6 16. Dc3. Cxh2 mat, ou 28. Dg3 Cd2+ 29. Rel
14 • ... Fxd4 15. Txd4!"? Txg3 30. Txg3 Cf3+ 31. Rf2 Cxgl et
Désormais, Kasparov est dans son gagne.
élément. Si pourtant 15. exd4 Dg5 16. g3 28. Th1 Tde3 29. Tgl Rh8.
Tfe8+ 17. Fe2 Dg4 les Blancs doivent Un coup gratuit au but prophylactique.
donner un pion s'ils veulent mettre leur Si maintenant 30. a4 alors 30. ... a6 etc.
Roi en sécurité. Suit à présent la dernière menace qui met
15 . Cc5 16. Ddl Ce6 17. Td2 d4!
••• un point final.
Au prix d'un pion, ce qui est 30. Th1 b5 0-1.
insignifiant pour lui, Kasparov lance tout Au plus haut niveau, les véritables
à coup une forte attaque et fait payer aux combats d'aujourd'hui ressemblent le plus
Blancs leur retard de développement. souvent à des matches de boxe dans
18. exd4 Te8 19. f3. lesquels, les deux camps engagés dans un
Espérant placer le Roi à l'abri en f2. furieux corps à corps, n'épargnent pas
Sans espoir serait 19. d5 Cf4+ 20. Fe2 leur sueur sans pourtant obtenir grand­
Cxg2+ 21. Rfl Fd7!, par exemple : chose ; et la nullité en est le résultat
22. Rxg2 Dg5+ 23. Rfl Fh3+ 24. Rel vraisemblable. Le Suédois Ulf Andersson
Dg2 et gagne (Kasparov). est un des grands-maîtres les plus difficiles

148
à battre directement . Kasparov réussit ici 13 . . . . h5 était une meilleure défense ,
une de ses parties préférées avec sa bien qu 'il soit ensuite difficile , par
méthode désormais éprouvée : l'offre exemple après 14. Fe2 , d' arriver au
précoce d'un pion pour l'attaque . roque .
14. d5!
Avec la marque de fabrique Kasparov !
(A comparer avec la partie précédente) .
I l exécute u n sacrifice réellement
G. Kasparov - U . Andersson spéculatif pour aiguiser le combat sans se
Tilburg 1981 soucier de parvenir à un résultat clair et
Défense Ouest-Indienne garanti . Le plan adverse est contré de
cette façon et les Noirs seront forcés
d'affaiblir leur aile-roi afin de poursuivre
1. d4 Cf6 2. c4 e6 3. Cf3 b6 4. a3. leur développement pour le moment
Que ce coup modeste de Petrossian empêché par le puissant Fou-dame dont
soit aujourd'hui considéré comme une la diagonale s'est ouverte .
« arme » montre à quel point la théorie 14 . . . . e x d5 15. Fg2 c6 16. 0-0 f6.
des ouvertures s'est affinée . C'est un pas Si 16 . . . . f5 pour parer à l'ouverture de
dans la lutte pour la case e4 que les Noirs la colonne « e » les Blancs disposent alors
« sacrifient » maintenant délibérément. de divers plans d'attaque : Cd2-f3-e5 ou
4 . . . . Fb7 5. Cc3 Ce4!? 6. C x e4 Fx e4 d4; f2-f3 et e3-e4; h4-h5 et g3-g4; a3-a4 au
7. Cd2!? Fg6!? moment propice . Vraisemblablement, il
Andersson pense consolider son aile-roi n'y a déjà plus de défense sûre .
dont le Cavalier a disp aru . Mais , 17. Tel!
paradoxalement , le Fou remplit cette Un ordre de coups habile . L'immédiat
tâche au mieux de b7 . 17. e4 permettrait 17 . . . . d x e4 18. F x e4
8. g3 Cc6? ! Ff7, offrant aux Noirs une chance de
Préférable était 8 . . . . c6 9 . Fg2 d5 consolider leur position.
10. 0-0 Fe7 1 1 . e4 avec un léger plus pour 17 . . . . Fe7 18. Dg4 Rf7 19. h5 Fh7
les Blancs. 20. e4 d x e4 21. F x e4 F x e4 22. C x e4.
9. e3 a6 10. b4 b5. La chute du défenseur de la case g6
Andersson, le profond et froid stratège, interdit aux Noirs d'opérer le roque
imagine un plan destiné à récupérer un artificiel . Sans espoir est 22 . . . . Tf8
peu d'espace . Les Blancs ne peuvent pas 23 . Tadl d5 24. C x f6! de même que
s'emparer du pion « b » adverse , car la 22 . . . . Te8 23 . Dg6+ Rf8 et maintenant
protection du leur se révélerait illusoire. l'attaque est poursuivie par le coup
11. c x b5 a x b5 U. Fb2 Ca7. élégant 24. g4 ! avec l'assaut irrésistible
Les Noirs découvrent leur plan : ils du Cavalier via g3 et f5 . Finalement, si
voudraient jouer d7-d5 accompagné de la 22 . . . . d5 , alors 23 . Tadl Dc7 24. Dg6+
m a n œuvre C a 7 - c 8 - d 6 - c4 , a s s u r a n t Rf8 (ou 24 . . . . Rg8 25 . F x f6) 25 . C x f6
l'égalisation , e t il n'y a pas d e façon F x f6 26 . F x f6 Df7 27 . Fg7 + D x g7
normale de l'empêcher. 28 . Dd6+ Rg8 29 . Te7 Dg4 30. Td4 suivi
13. h4! h6?! du mat . Kasp arov prévoit une
Occupés à leurs manœuvres, les Noirs combinaison finale et amène sa dernière
ne s'attendent pas à ce qui va arriver. réserve.

149
22 • ••• Ce8 23. Tadl Ta7. G. Kasparov -T. Petrossian
Bugojno 1982
Défense Bogolioubov

8
1. d4 Cf6 2. e4 e6 3. Cf3 Fb4+ 4. Fd2
7 De7 5. g3 Fxd2+ 6. Dxd2 0-0 7. Fg2 d5
6
8. 0-0 dxe4.
Cette décision qui ouvre la grande
5 diagonale au Fou blanc et bientôt deux
4 colonnes pour les Tours adverses, se
révèle lourde de conséquences.Les Noirs
3
parviendront-ils à couvrir leur pion « b »
2 et à développer leur propre Fou ?
9. Ca3 c5.
9. .. Td8 10. Dc2 c5 est acceptable
.

A B C D E F G H aussi.
10. dxc5Dxe511. Tac1Ce612. Cxe4
De7 (?)
Une aussi petite faute et pourtant déjà
Andersson a apparemment tout fatale. Kasparov indique 12 . ... Td8
défendu, mais Kasparov n'en réussit pas 13.Dc2 Fd7 14.Db3 et l'avantage blanc
moins à fracasser la position noire (un n'est que minime.A présent, nous allons
nouvel écho de la partie prédédente avec être témoins d'un spectacle rare : le plus
son sacrifice de Cavalier en f3). grand spécialiste dans le resserrement de
24. Cxf6!! gxf6. l'espace adverse va se retrouver lui-même
Ou 2 4 . . . . F x f 6 2 5 . D g 6+ Rf 8 ballotté et étranglé à mort.
26. Fxf6 gxf6 27.Te6! et gagne. 13. Cfe5Cxe514. Cxe5 Cd5.
25. Dg6+ Rf8 26. Fel! d5 27. Td4!Cd6 Les Noirs résolvent ainsi le problème
28. Tg4Ct7 29. Fxh6+ Re8 30. Fg71-0. de l a g r a n d e d i a g o n a l e . Ma i s i l s
Le pion « h »va de l'avant. repoussent encore l a seconde tâche
Le super-solide Andersson qui n'avait d ' a che v e r l e u r d é v e l opp e m e n t . S i
encore jamais été défait de cette façon, maintenant 15.Fxd5 alors 1 5.... Td8.
s'exclama « Je ne jouerai plus contre Kas­ 15. Tfdl Cb616. Da5! g617. Td3 Cd5.
parov ! » Il n'est déjà plus possible de trouver de
Après des résultats aussi brillants, le coup utile ! Si 17. ... Td8 alors 18. Dc5!
jeune homme de Bakou vole de rubriques comme dans la partie (occupation de c7).
en revues spécialisées sous les regards L'offre d'un pion de la part des Noirs est
admiratifs de ses supporters de plus en illusoire.
plus nombreux. A peine avait-il acquis la 18. e4 Cb619. Ffl!
réputation de jouer sans cesse des parties Au premier abord, un coup bien
brillantes, que Kasparov montra d'autres mystérieux. Kasparov en montre les
facettes de son talent qui ne cessait de raisons : si, au lieu de cela, 19. h4? alors
s'affiner. La partie suivante contre le 19.... f6! 20. Cc4 Cxc4 21. Txc4 b6
maître des maîtres de la stratégie, est une 22. Dc3?! Fa6 23. Tc7 Dxc7 24. Dxc7
de celles qu'il estime le plus. Fxd3 avec une issue incertaine. Mais

150
maintenant la Td3 est protégée et les Un exemple pratique frappant de ses
Blancs conservent leur étau d'acier. Une recherches est donné précisément dans le
deuxième pointe de 19. Ffl surgira à la « gambit Botvinnik » de la défense Slave
fin. du Gambit de la Dame, que Botvinnik
19 . . . . Tes. avait lui-même « sorti » à l'occasion du
Comme seule chance pour les Noirs de match radio URSS-États-Unis de 1945 .
reprendre leur souffle , Kasparov donne Cette arme à double tranchant requiert
1 9 . . . . f6 2 0 . C c 4 F d 7 , q u i c o û t e un énorme travail préparatoire de part et
cependant u n pion. d'autre .
20. T3dl TfS 21. a3 Rg7 22. b3! Deux parties jumelles jouées à la suite
Avec douceur, Kasparov continue de l'une de l'autre au championnat d'URSS
serrer la vis. de 1 9 8 1 permirent à Kasparov de
22 . . . . RgS 23. a4 TdS. triompher avec les Blancs dans cette
A la perspective de Tcl-c5 et Da5-c3 , variante . R e m arquables furent l a
Petrossian perd courage . profondeur d e ses analyses préliminaires,
24. Dc5 1-0. ainsi que son aptitude à réfuter sur
Car après 24 . . . . D x c5 (on remarquera l'échiquier un coup adverse surprenant et
que 24 . . . . Tx dl ne survient plus avec son audace de répéter la variante contre
échec ! ) 25 . T x d8 + Df8 26 . T x f8 + un joueur visiblement averti . Dans la
R x f8 27 . Tc7 f6 28. a5 ! force un gain première partie, après une préparation
matériel décisif. théorique soignée , il fut confronté à la
Les connaisseurs doivent bien s'assurer nouveauté d e Timochtchenko
que c'était Petrossian qui jouait avec les (22 . . . . Cc6-a5) . Après cinquante-trois
Noirs . Il fut évident que Kasparov minutes, Kasparov trouva 23 . b2-b3 ! et
développa très vite un vaste arsenal sacrifia bientôt une figure ; ainsi son
d' ouvertures . D ans les matches de attaque perça et aboutit au 43e coup . A
candidats de l'année suivante, en tant que l'analyse « post-mortem » commune avec
favori indiscutable, il va démontrer ses d'autres joueurs, Sviechnikov prétendit
capacités de battre ses adversaires sur que 30 . . . . Fd6-e5 aurait sauvé les Noirs.
leurs propres terrains : contre Beliavski A la ronde suivante, ce fut à Dorfman
p a r d e s moyens t actiques , contre d'aller chercher le lion dans son antre.
Kortchnoï avec l'ouverture Catalane et 1. d4 d5 2. c4 c6 3. Cf3 Cf6 4. Cc3 e6
des finesses p o sitionnelle s , contre 5. Fg5 d x c4?! (Indiqué par Botvinnik en
Smyslov p ar sa maîtrise en finale . 1 945 , mais la variante s ' était déj à
Étonnamment vite dans sa carrière, il présentée jusqu'au 12e coup dans une
parut répéter, en un temps beaucoup plus partie Szabo-Euwe, Hastings 1938-39) .
court, le développement universel du 6. e4 b5 7. e5 h6 8. Fh4 g5 9. C x g5 h x g5
grand Alekhine. 10. F x g5 Cbd7 11. e x f6 Fb7 12. g3 c5
Botvinnik a donné à Kasparov le titre 13. d5 Db6 14. Fg2 0-0-0 15. 0-0 b4
de « Joueur-chercheur » , le considérant 16. Ca4 Db5! 17. a3! CbS 18. a x b4 c x b4
ainsi comme un égal . Cet honneur, il ne 19. Fe3 F x d5 20. F x d5 T x d5 21. De2
l'a fait qu'à ceux qui se donnent la peine Cc6 22. Tfcl Ca5!? 23. b3! c3 24. C x c3
d'un travail personnel de recherches b x c3 25 . T x c3 + Rd7 26. Dc2 Fd6
conduisant et amenant à l'élaboration de 27. Tel Db7 28. b4! D x b4! 29. Tbl! Dg4
nouvelles armes théoriques. 30. F x a7! ! Fe5!? (La prétendue amélio-

151
ration - esprit du Bilguer, gare à toi ! partie inégalable où les complications
Timochtchenko avait joué 30 . . . . e5 , d a n s l e s q u e l l e s l e s d e u x j o u e u rs
ratant selon Kasparov lui-même sa s ' engagèrent sans l' ombre d'une
meilleure chance pratique après 3 1 . Da2! hésitation, tint son public en haleine et
qui eût consisté en 3 1 . . . . Df5 . Dorfman dont l'issue demeura incertaine jusqu'au
pare la menace 3 1 . f3 avec un échec du dernier moment en raison d'un zeitnot
Fou . ) 31. Tc5! T x c5 32. F x c5! Cc6 dramatique .
33. Dd3+ ! Rc8 34. Tdl Cb8 35. Tel! Da4 Kasparov s'empara de l'initiative et
36. Fd6+ Cc6 37. F x e5 Td8 38. Dbl! choisit un sacrifice de figure connu dans
Td5 3 9 . Db8 + Rd7 40 . Dc7 + Re8 une variante suraiguë de la défense
41 . D x c6 + D x c6 42 . T x c6 T x e5 B e n o n i m o d e rn e . L a p artie fut
43. Tc8+ 1-0. débordante d' entreprises hardies qui
S'attendre à ce que le gambit Botvinnik remplirent de nombreuses colonnes dans
soit enterré , c'est mal connaître l'histoire. les revues et les livres spécialisés . Le
Deux ans plus tard, ce fut Tal, le chevalier vainqueur à lui seul contribua à diverses
sans peur et sans reproche qui , face à versions . L'espace , la modestie et son
Kasparov dans une compétition par aversion pour le plagiat , incitent l'auteur
équipes soviétiques , suivit une autre à limiter ses commentaires à quelques
voie : 22 . . . . Ce5 ! et qui obtint la nullité points d'exclamation et d'interrogation.
au 43e coup après un combat passionnant. L' observateur non préparé admirera
Mais le dernier mot n'est pas encore dit. l'enchaînement de coups brillants , un peu
Un peu plus tard cette année-là, à Niksic, comme l'homme des cavernes put être
le Yougoslave P . Nikoli c , posa au abasourdi p ar l ' explosion d ' une
magicien de Riga des problèmes épineux supernova au firmament qui dépassait son
en divergeant quelques coups plus tôt : entendement.
17. d x e6 F x g2 18. R x g2! La lutte des
idées continue de plus belle . Kortchnoï Kasparov
-

Pendant le tournoi olympique de 1. d4 Cf6 2. c4 g6 3. g3 Fg7 4. Fg2 c5


Lucerne en 1 9 8 2 , quand l ' équipe 5. d5 d6 6. Cc3 0-0 7. Cf3 e6 8. 0-0 e x d5
soviétique rencontra la Suisse , le 9. c x d5 a6 10. a4 Te8 11. Cd2 Cbd7
champion du monde Karpov décida de 12. h3 Tb8 13. Cc4 Ce5 14. Ca3 Ch5
prendre un jour de repos . Kasparov se 15. e4! Tf8!? 16. Rh2 f5? ! 17. f4 b5!
trouva ainsi pour la première fois 1 8 . a x b 5 ! ? a x b 5 19. Ca x b5 f x e4
confronté à Kortchnoï. L'arrière-plan de 20. F x e4! Fd7! 21. De2! Db6! 22. Ca3
querelles amères entre Kortchnoï et Tbe8 23. Fd2? D x b2! 24. fx e5? F x e5
l' « Établissement » soviétique , ainsi que 25. Cc4 C x g3! 26. Txf8+ T x f8 27. Del!
la perspective de leur prochain match de C x e4+ 28. Rg2 Dc2!? 29. C x e5 Tf2+?
candidats au titre mondial, donna à la 30. D x f2! Cxf2 31. Ta2! Df5 32. C x d7
partie un caractère passionné . Ce fut Cd3 33. Fh6? D x d7 34. Ta8 + Rf7
l ' affrontement le plus âpre de ces 35. Th8? ! Rf6! 36. Rf3? D x h3+ 0-1. Un
dernières années. Sans être un exemple combat de titans rappelant une partie
irréprochable d'art échiquéen , ce fut une Lasker-Napier, Cambridge Springs 1904.

152
Le match Karpov-Kasparov
de 1984-1985

Quand le match de championnat du « de grand-maître » , sans le moindre


monde avec Karpov commença en heurt , en une quinzaine de coups
automne 1984, Kasparov était le plus seulement. Selon le réglement, les nullités
jeune joueur qui ait jamais disputé un ne comptaient pas , et à l'inverse de ce
match pour le titre mondial . En fait, ce qu'avait imaginé Fischer, l'esprit combatif
fut à un double match auquel on assista. n'en fut pas stimulé mais annihilé .
Le premier fut l'essor du héros, un envol Kasparov révélait une autre personnalité ,
désordonné caractérisé par des attaques tout à fait inattendue , pour le psychologue
incorrectes vite essoufflées , comme ce fut de l'ennui .
le cas dans la deuxième partie . Il avait Quand, dans la seizième partie , il tenta
offert un pion à son habitude par d4-d5 une attaque , Karpov tout d'abord ne
et , à sa déception , cela le conduisit dans remarqua pas une variante de gain et
une situation précaire où , comme un ensuite une finale avec un pion de plus .
prestidigitateur rappelant le j eune Comme il ne se trouvait pas à court de
Alekhine , il dut tirer une combinaison de temps , ses erreurs rendirent les obser­
sauvetage de son chapeau . D ans la vateurs perplexes . Son but ne semblait
troisième partie il fut assez malade , et son plus être uniquement de remporter les six
jeu s'en ressentit. Dans la sixième , il victoires nécessaires au gain du match ,
attaqua , rata un coup gagnant compliqué mais de détruire psychiquement son jeune
et manqua encore , par la suite , une jolie rival en ne lui passant plus rien . Quand le
nullité dans une finale de Tours , champion du monde ramassa un pion
(découverte par Shamkovich) . Dans les dans la partie 27 et porta la marque à
parties sept et neuf, il subit deux nouvelles 5-0, cette issue incroyable sembla pra­
défaites en faisant usage de la défense tiquement acquise . Quand il se tira
Tarrasch , chère à son cœur mais d'affaire avec un pion de moins dans la
théoriquement douteuse . Après n euf partie 3 1 , Kasparov se rattrapa de justesse
parties seulement, le jeune homme était au bord de l'abîme .
mené 4-0. Il n'avait clairement démontré Dans la partie 32, Kasparov saisit enfin
qu'une chose : la sottise de vouloir battre l'occasion de faire main basse sur un pion
Karpov par la force pure . et de remporter la toute première victoire
C'est alors que commença soudain un de sa vie sur Karpov . Mais cette partie ne
second match , Kasparov se mettant à représentait pas encore la ligne de partage
jouer dans un tout autre esprit . Il se des eaux . Dans les quatorze parties
contrôla nerveusement et se décida à suivantes , les lutteurs en restèrent au
montrer qu'il ne pouvait plus être vaincu partage du point.
quand il ne prenait plus aucun risque Un changement insensible venait
agressif. Avec les Blancs , il ne tenta pourtant de se produire : le challenger
pratiquement rien, et avec les Noirs il avait pris l'initiative dans la plupart des
réalisa la plus longue série ininterrompue parties. Dans la dernière d'entre elles, la
de nullités de !'Histoire : 17. La plupart défense fut assez faible pour permettre
étaient de ces nullités exsangues dites une attaque à sacrifice gagnante ( décou-

153
verte par McCambridge) , mais le génie progresser la théorie des ouvertures. Mais
de l'attaque passa à côté tout comme le il s'agissait toujours de jeu d' Échecs . Ce
champion du monde avait lui-même qui se produisait maintenant était tout
manqué 33 . a5-a6, indiqué par Sham­ autre chose : de la politique .
kovich. Au cours d'une conférence de presse
Sur les trente-sept dernières parties , quelque peu cahotique, le président de la
trente-cinq s'étaient achevées par la FIDE Florencio Campomanes , stupéfia
nullité ! Étant donné la rogne fumante le monde en annonçant que le match était
des amateurs moscovites, ce « record » fini. Il expliqua qu'il était devenu une
remettait sur le tapis la vieille question de simple épreuve d'endurance et que les
la mort des Échecs par la nullité . Mais en réserves psychiques , sinon psycholo­
faisant fi des parties avortées en courtes giques , non seulement des deux parti­
nullités et en ne considérant que les cipants , mais aussi de tous ceux qui
parties achevées sur un score positif, il touchaient au match de près ou de loin,
fallait reconnaître que les Échecs, même étaient épuisées. (Quelle était la fatigue
au plus haut niveau, étaient loin d'être des officiels ?) Il fixa un nouveau match
épuisés . qui débuterait sept mois plus tard. Cette
Les efforts d'une lutte de cinq mois décision souleva une des plus fracassantes
devinrent alors visibles pour Karpov. Il controverses de l'histoire du Jeu et, à
perdit deux parties coup sur coup . Avec l' exception des bureaucrates et des
les Blancs dans la 47e, il ne fut plus psychiatres , laissa tout le monde insatis­
lui-même et succomba dans un milieu de fait.
jeu sans les Dames.
Dans la 48e, Kasparov combattit la Un Kasparov furieux éclata : « Le
défense Petrov et gagna une finale de monde des Échecs ne peut accepter une
pions . L'avance de Karpov s'était soudain telle issue . » Campomanes le soupçonna
réduite à 5-3 et les fans espéraient un de l'avoir injurié en russe . Karpov écrivit
miracle. Au lieu de cela, les officiels une lettre et réclama une prompte reprise
soviétiques, toujours zélés à protéger leur du m atch . La FIDE fondée p our
champion du monde modèle de toutes les réglementer le championnat du monde , à
Russies , en appelèrent à un deus ex la suite de cette décision arbitraire , courut
machina. le risque d'y perdre sa légitimité.
Il y avait une autre défense russe Il ne resta plus aux joueurs d' Échecs
(Petrov) , introuvable dans !'Encyclopédie qu'à espérer, qu'en automne 1985 , ils
de Kasp arov et Keene parue chez pourraient assister à ce grand duel
Batsford. Le déroulement du match avait échiquéen dont l'affaire de 1984-1985
perdu sa fascination pour se muer en ne leur avait donné qu'un avant-goût et
marathon apathique . Le principal mérite que , cette fois , l'impulsivité , les nerfs et
d u match é t a i t , p a r s e s analyses les implications politiques leur seraient
préliminaires , d' avoir affiné et fait épargnés .

154
Le match bis Karpov-Kasparov
de 1985

Ce fut le meilleur match de cham­ défaut, Karpov dépensa trop de temps


pionnat du monde jamais joué . pour tomber dans une mauvaise finale et
Des éloges qui ne sont pas décernés à il succomba au 42e coup . Dans la bataille
la légère. Tous les espoirs exprimés d'un colossale de la 2e partie, Kasparov sacrifia
heurt primordial des styles au niveau le les deux Fous pour une Tour dans une
plus élevé furent enfin réalisés dans le sicilienne, manquant de peu la victoire .
match bis. Deux facteurs le rendirent D a ns la p artie 4 , en dépit d ' une
fo ndamentalement différent de l a amélioration surprenante d'une ligne du
première rencontre : l a révision des règles premier match , il fut peut-être trop
et la maturation créative de Kasparov. La optimiste et dut consentir à l'égalisation.
limitation du match à vingt-quatre parties Ce ne fut que dans la 5e partie que
impliquait que le protagoniste mené aux Kasparov revint à son agressivité
point devait fuir les nullités (la FIDE irréfléchie , donnant un pion sans obtenir
supposant que l'argent pouvait motiver d'attaque. Ayant pris du retard à la
deux communistes résolus ajouta une marque , il ne pouvait recourir à la
règle pénalisant la somme des prix de stratégie de nullité du premier match. Il
1 % par nullité) . commença une incroyable série de
En même temps, Kasparov avait bien sacrifices de pions corrects : dans cinq
appris sa leçon à l' « Université Karpov » : parties consécutives et dans onze des dix­
il ne pouvait pas attaquer inconsidé­ neuf parties restantes ! Jamais auparavant
rément . Les attaques devaient être personne n'avait montré tant d'audace au
épurées par un tamis plus fin. Il adopta sommet . Cela allait des stratagèmes
en conséquence un style d'agression a n n u l a n t s r a f fi n é s a u x a t t a q u e s
contrôlée , plein de surprises propres à spéculatives étonnantes , donnant une
déstabiliser Karpov et qui se montra qualité ici ou là. Au paroxysme de la
implacable . partie 9 il donna ingénieusement un
Le champion, cherchant à deviner les deuxième et un troisième pion pour forcer
innovations et leur improvisant des la nullité . Karpov n'avait jamais subi le
réponses se retrouva comme rarement à poids d'une pression aussi impitoyable , et
court d e temp s . Co nfro ntée à ce dans la partie 11 il y répondit par une
problème, la machine de précision qu'est gaffe élémentaire. La marque était à
Karpov révéla ses pieds d'argile . nouveau égale : 2-2.
Les amateurs accoutumés à des erreurs Mais personne n'était préparé à la
nerveuses réciproques ou sinon à de bombe de Kasparov dans la partie 12.
rapides nullités , ne purent que Dans une banale position de sicilienne
s'émerveiller d'un niveau de jeu sans vue des milliers de fois, il plaça au Se coup
précédent. Kasparov déballa sa première un surprenant sacrifice de pion issu en
surprise dès la première partie en droite ligne de son laboratoire . Karpov
permettant la défense Nimzovitch contre éluda le problème en rendant prompte­
laquelle il plaça le coup excentrique de ment le cadeau pour annuler. La même
Romanichine 5 . g3 . Sa garde prise en situation se reproduisit quatre parties plus

155
tard et les analyses de Karpov lui supposer qu'il éprouva de sérieux doutes
apportèrent la conviction qu'il pouvait à propos de son sensationnel sacrifice .
conserver le présent. La scène était prête Le nouveau coup de Karpov est destiné
pour un chef-d'œuvre . à rendre le pion pour une bonne initiative ,
réduisant la « machine infernale » à un
simple feu d ' artifice b o n m arché .
Kasparov a toutefois vu plus loin .
A. Karpov - G. Kasparov 11 . ... Fc5!?
16e partie du second match Non ! Le sacrifice est permanent, réel .
Moscou 1985 Le jeune homme courtise toujours la
Défense Sicilienne tension et le déséquilibre . Le plus vieux
des deux se refuse pourtant à de telles
1. e4 c5 2. Cf3 e6 3. d4 c x d4 4. C x d4 spéculations. Disposé à prendre la charge
Cc6 5. Cb5 d6 6. c4 Cf6 7. Clc3 a6 8. Ca3 de la défense , Karpov compte que le
d5!??! matériel supplémentaire prévaudra finale­
Le sacrifice de pion qui a donné le ment .
frisson au monde entier des Échecs . En 12. 0-0!?
se basant sur le Cavalier hors-jeu , les L'année suivante, face à Van der Wiel
Noirs saisissent l'initiative . La critique , à Bruxelles, Karpov voulut améliorer le
grands-maîtres compris , fut unanime à jeu blanc par 12. Fe3 ! F x e3 13 . Da4+
louer Kasparov pour avoir trouvé pareille Cd7 14. D x b4 Fc5 15. De4+ et il aurait
surprise . Quelques mois plus tard, la dû l'emporter. Il aura ici tout lieu de
vérité se fit jour en Hongrie : le sacrifice regretter de n'avoir pas éliminé à temps
avait déjà été joué vingt ans plus tôt par le Cavalier noir avancé.
Peter Dely contre K . Honfi lors du 12 . ... 0-0 13. Ff3.
championnat national. Maintenant, et en plusieurs occasions
9. c x d5 e x d5 10. e x d5 Cb4 ll. Fe2. par la suite, Karpov dédaigne une chance
Meilleur que le coup de H o nfi de rendre le pion pour l'égalité , par
1 1 . Da4+ qui aurait dû perdre . Dans la exemple : 13 . Fg5 Cb x d5 1 4 . C x d5
12e partie , Karpov avait joué 1 1 . Fc4 et D x d5 15 . F x f6 D x dl 16. Ta x dl g x f6.
après 1 1 . . . . Fg4 (et non 1 1 . . . . b5 12. Kasparov reconnaît avec justesse que
0-0 !) 12. Fe2 F x e2 13 . D x e2+ De7 les Karpov joue pour le gain .
Noirs eurent bien vite récupéré le pion et 13 . . . . Ff5 14. Fg5 TeS 15. Dd2? !
annulèrent au 13e coup . C'était ici la dernière chance d'activer
Le lendemain de la présente partie , le le mauvais Cavalier : 15 . Cc4 Fd3 16. a3
maître yougoslave Velickovic publia une F x c4 1 7 . a x b 4 F x b 4 rétablissant
longue analyse en faveur de 1 1 . Fc4 Fg4 l'équilibre matériel avec des perspectives
12. Dd4 ! et si 12 . . . . b5 13 . Cc x b5 ! (Tal réciproques .
indiqua ensuite 13 . h3 Fh5 14. 0-0 b x c4 15 . . . . b5 16. Tadl Cd3.
1 5 . T e l + Fe7 1 6 . d6) 1 3 . . . . a x b 5 « Une pieuvre monstrueuse centra­
14. F x b5 + Fd7 15 . d6 avec une attaque lisée » (Keene) . Maintenant Kasparov
gagnante . Moscou peaufina les analyses recommande 17 . d6 Ta7 18. Cd5 ou le
de Belgrade et, dans les parties suivantes , sacrifice de qualité 17 . . . . D x d6 ! ? . En
Kasparov esquiva 2 . . . . e6, visiblement tout cas , les Blancs n'arriveront jamais à
peu désireux de tenter le diable . On peut déloger la pieuvre : 1 7 . Fe2? C x f2

156
18. Txf2 b4. Leurs propres Cavaliers Hélas trop tard à présent pour expier !
n'en deviennent que plus pitoyables. 28 . ... g4! 29. Dd2 Rg 730. f3?!
17. Cabl h618. Fb4b419. Ca4 Fd6. A court de temps, le désir frénétique
de faire passer la crampe ne fait que hâter
la fin.
30. ... Dxd631. fxg4.
8
i.1 Il n'y a plus rien car 31. Cb2 Dd4+
111111 7 32 . R h l Dxb2 3 3 . Dxb2 Cxb2

ill l l l l l 6 34. Txd7 et le doublement des T ours


noires sur la seconde rangée est fatal.
111111 5
31. ... Dd4+ 32. Rhl Cf633 . Tf4.

tZJll!lil 4 Ou 33. h3 T e3! conservant la pression.


Mais à présent la concentration centrale
111111 i 3
des Noirs fait la décision.

cill�l 2 33 . ... Ce4 34. Dxd3 Cf2+ 35. Txf2


Fxd3 36. Tfd2.
77 l l l l l l tZJ Les Blancs ont un plein équivalent pour
A B c D E F G H la Dame. Si seulement les Cavaliers
ineptes étaient postés, disons en gl et h3
protégeant le Roi...
Ici seulement Kasparov se mit à 36. ... De3 3 7. Txd3 Tel! 3 8. Cb2 Df2
«jouer ». Pourquoi ? Parce que cette 3 9. Cd2 Txdl+ 40. Cxdl Tel+ 0-1.
position fut anticipée lors de ses analyses Kasparov proclama que cette partie
préparatoires ! Ses perspectives sont était sa meilleure création «en ce qui
excellentes puisque, ainsi qu'il le note concerne le grandiose du plan général »
lui-même, «le merveilleux duo du Ff5 et et sa réussite suprême parce que disait-il,
du Cd3 paralyse complètement les trois « mon adversaire était un joueur de
pièces lourdes blanches » . super-classe ».
20. Fg3 Tc8 21. b3 g5! L'esprit d'Alekhine acquiesça à coup
En avant sur tous les fronts!La menace sûr.
... g4 prévient le coup libérateur Cb2. Si La tension insoutenable se relâcha à
maintenant 22. h4 alors 22 . ... Ce4 (ou l'abandon de Karpov. La foule moscovite,
22. ... Cg4) garde une forte attaque (Kas­ dont la sympathie allait de plus en plus au
parov). jeune sudiste, fit, debout, retentir la salle
22. Fxd6 Dxd623 . g3 Cd 7! 24. Fg2. des colonnes de ses ovations. Elle
Si 24. Cb2 Kasparov tenait prêt acclamait l'art et la manière révolution­
24. ... Df6 25. Cxd3 (ou 25. Cc4 C7e5 naires de son nouveau héros.
2 6 . Cxe 5 Cxe 5 2 7 . F e2 F d 3 !) Dans la partie 19, l'approche non
25. ... Fxd3 26. Dxd3 (ou 26. Fg4 Ce5!) orthodoxe de la Nimzovitch du challenger
26. ... Ce5 capturant la Dame en plein tourna une nouvelle fois à la confusion du
milieu de l'échiquier. Mais les Noirs champion qui glissa dans une position
durcissent à présent leur poigne de fer sur sans espoir à l'ajournement. Un Kasparov
la position. confiant eut l'insolence de révéler son
24 . ... Df6 25. a3 a5 26. axb4 axb4 coup sous enveloppe à l'assistance. Il
27. Da2 Fg6 28. d6. menait désormais de deux points. Mais

157
dans la partie vingt-deux, ce fut à son gagnant encore les 14e et 16e parties . Puis
tour de commettre une bévue à court de il connut un passage à vide rappelant ce
temps , en donnant un échec excessif. qui était arrivé à Karpov lui-même contre
Karpov avait ramené l'écart à un point. Kortchnoï à la fin du match de Baguio.
Un an de combat acharné trouva sa L'ex-champion du monde gagnant trois
,
conclusion dans la dernière partie , la 24e , parties consécutives , mais il avait le
où Kasparov n'avait besoin que d'une handicap du challenger : il devait vaincre
nullité pour réaliser son ambition. Avec à tout prix pour récupérer le titre car un
les Noirs, la plupart des joueurs auraient match nul suffisait à Kasparov pour le
choisi une défense solide puisque Karpov conserver . La tâche était sans doute
n'était guère homme à se laisser aller à insurmontable : avec les Blancs dans la
des attaques audacieuses . Avec une 22e partie, Kasparov joua un Gambit de
sicilienne Scheveningue ondulante , la Dame à la perfection et après quarante­
Kasparov invita son adversaire à l'assaillir six coups d'une stratégie brillante , il
à l'aile-roi. Karpov démoralisé joua une contraignit Karpov à l'abandon. Les deux
Tour en h3 avec une attaque fumeuse . dernières parties ne furent plus qu'une
Soudain Kasparov investit un pion , formalité . Kasparov ne gagnait qu'avec
changeant complètement le décor. Face à un point d'avance , mais il pouvait souffler
l'abdication après dix ans de règne , pendant un an (ND T) .
Karpov esquiva une répétition de coups En 1987, lors du match de Séville , le
mais se retrouva confronté à une contre­ quatrième « Jugement de Caïsa » en
attaque rugissante . Avec seulement trois quatre ans , l'énergie du champion était
minutes pour cinq coups, il donna une épuisée par sa lutte politique incessante
figure et s'écroula au 40e coup . Deux contre le président de la FIDE. La qualité
coups plus tard, le champion du monde de son jeu s'en ressentit . Les deux
abandonnait la partie, perdant le match champions menèrent à tour de rôle . Puis
et sa couronne . Garri Kasparov, avec un Karpov prit la tête à l'avant-dernière
score de cinq gains, trois défaites et seize partie et il parut sur le point de regagner
nulles, se leva et reçut des applaudis­ le titre mondial en annulant la 24e et
sements délirants . A l'âge de 22 ans, il dernière partie . Mais dans cette nouvelle
était le 13e et le plus jeune des champions et dramatique conclusion, Kasparov
du monde de toute !'Histoire des Échecs. commença la partie tranquillement et
Le match revanche , qui eut lieu à gagna un pion en zeitnot pour finalement
Londres et à Leningrad de juillet à forcer la capitulation de son adversaire
octobre 1986, fut tout aussi férocement dans une finale de Dames et pièces
disputé. Après quatre nulles , Kasparov mineures . Comme le prévoit le règle­
marqua le premier et Karpov égalisa dès ment, sur une marque égale (12-12) , le
la partie suivante. Encore deux nulles et titre restait à Kasparov pour trois autres
Kasparov reprit l'avantage ; il s'en tint là années. Durant ce règne, de nouvelles
jusqu'au déménagement pour Leningrad. surprises créatives et au niveau de l'orga­
Il porta son avance à trois points en nisation attendent le monde des Échecs .

158
L'avenir des Échecs 20

Nous avons suivi le développement des l ' autre direction . B e aucoup vont à
idées aux Échecs des origines à nos jours l'extrême limite de leurs moyens , mais
et avons consacré une attention parti­ c'est au pôle créateur que des terres
culière aux grands joueurs d'aujourd'hui nouvelles sont sans cesse défrichées pour
et à leurs contributions originales . Il en enrichir les amoureux des Échecs.
ressort qu'aux Échecs aussi, il existe une Les observateurs suivent avec scepti­
dialectique des pôles opposés caractérisée cisme les efforts faits pour réaliser un
dans !'Histoire par deux conceptions « ordinateur champion du monde » dont

fondamentales , deux tendances et deux la conception originale est une


écoles de pensée opposées : l'école exagération m é s anique de l ' esprit
technique et l'école créatrice . Cette te chnique des Echecs . S a réalisa­
dualité dont chaque composante est tion représenterait la fin stérile du
p arfaitement valable , continue de développement si fécond des idées aux
s'op]J.oser pour la suprématie du monde Échecs .
des Échecs. Mais refusons-nous à envisager un
L'Histoire des Échecs s'est développée _ monde mécanique et attendons plutôt la
en cycles. Les éléments optimistes sont poursuite de l'antagonisme dramatique et
les suivants : chaque fois que l'école humain des idées et des nouvelles
technique, s'appuyant sur des découvertes conquêtes artistiques . Si dans le monde
scientifiques , parvient à fixer de nouvelles futur l'homme fait usage de ses capacités
frontières aux Échecs , apparaissent de pour amener une démocratisation de la
grands artistes créateurs et des penseurs culture et une extension énorme des
qui s ' é cartent des règles établies , loisirs , le jeu d'Échecs excitera l'intérêt
explorant sans malice mais avec esprit de nouveaux millions d'adeptes, et se
d'aventure de nouveaux territoires . p oursuivra sans fin , dans ce défi
C'est ainsi qu'aux Échecs, l a tension intellectuel qui comble la part de l'homme
originelle entre l'esprit et la matière, le toujours tournée vers le beau.
contrôle et la liberté , la domination C'est ainsi que s'achevait la première
(championnats) et l'amour (la passion du édition anglaise et , au bout d'une
jeu) , continue d'être . Cette tension entre quinzaine d'années , il n'est pas nécessaire
deux conceptions opposées se retrouve de modifier ces lignes.
avec tous les grands joueurs . Leur choix En 1 9 60 , l ' auteur remporta le
les porte habituellement dans l'une ou championnat du monde . Non, il ne battit

159
pas le grand Tal. Il faisait seulement lorsqu'il remporta le tournoi de Linares
partie de l'équipe américaine d'étudiants et qu'il eut l'impudence de le faire devant
qui gagna le titre de la catégorie à Karpov . Dès lors , Spassky représenta aux
Leningrad. Nous regagnâmes le pays avec Échecs son pays d'adoption : la France .
un moral au plus haut, toutefois sans En Occident, les jeunes maîtres, bien
l'illusion grandiose d'avoir démontré une qu'ils soient plus nombreux que jamais à
quelconque supériorité de notre société . pratiquer leur art , sont confrontés aux
La réaction officielle soviétique à cet conditions économiques (un Américain
insuccès momentané trahit un autre type d'âge moyen qui , des années durant , était
de psychologie . Les membres de l'équipe accoutumé à compter parmi les dix
furent sanctionnés de mesures discipli­ meilleurs joueurs des États-Unis , se situe
naires . Peu après , les fonctionnaires désormais vers la cinquantième place) .
lancèrent une nouvelle campagne « sco­ L ' influ e n c e du t i e r s m o n d e s ' e st
lastique » pour « fabriquer » de nouveaux rapi d e m e n t é l a r gi e . En 1 9 8 2 , un
talents échiquéens, ce qui suscita paral­ Philippin , Eugenio Torre , a pris place
lèlement les protestations du MI Panov parmi les candidats au titre mondial . En
dans les « Izvestia » . 1984 , la Chine a partagé la huitième place
La mentalité officielle avait exclu une p armi quatre-vingt-huit équipes
possibilité : la prestation des Américains olympiques, en compagnie de puissances
d a n s c e t t e c o m p é t i t i o n avait é t é échiquéennes traditionnellement recon­
simplement supérieure . Un tel fait ne nues comme la Yougoslavie ou les Pays­
pouvait être reconnu, car il ne corres­ B as . Avoir une pensée pour l' effet
pondait pas à l'idéologie selon laquelle la qu'allait entraîner l'arrivée d'un quart de
société soviétique invincible accomplissait l'humanité dans le royaume des Échecs
une mission historique qui la rendait était tout à fait justifié . En outre , on peut,
supérieure dans tous les aspects de mieux que ce ne fut jamais le cas , saluer
l ' existence , c ' est- à-dire qu'il était l'arrivée des féminines parmi les joueurs
i m p o s s i b l e d ' a t t r i b u e r un é c h e c d'Échecs de qualité . La Suédoise Pia
quelconque sur cette voie à une faute du Cramling et les deux jeunes Hongroises,
système : une telle erreur ou perfidie ne Judith et Zsofia Polgar qui ne sortent pas
pouvait être qu'un fait individuel . de la « fabrique » d' amazones échi­
L'histoire se répéta à la suite de la quéennes représentée par la Géorgie
sévère défaite de Spassky contre Fischer soviétique , ont même déjà battu des
en 1972 . Contrairement à l'espoir que candidats au titre mondial masculin . Elles
nous avions manifesté , Spassky reçut à illustrent encore une fois le fait nouveau
Moscou un accueil glacial , la presse le qui se produit actuellement : la métropole
fustigea et durant un an les voyages à soviétique ne parvient plus qu'avec peine
l'étranger lui furent interdits. Pendant ce à demeurer la super-puissance .
temps , les plus forts de ses collègues On n'a pu qu'exulter à la victoire de
soviétiques furent contraints de renoncer Fischer . Pour la première fois, un
à leur « douce » existence et à participer champion d' Échecs se hissait au niveau
au championnat d'URSS (le vainqueur d'une super-star, comme un acteur chéri
en 1973 : un nouveau Spassky) . En 1983 , du public ou une altesse d'une maison
les rapports de Spassky avec la bureau­ royale européenne . Mais 1'« ère » Fischer
cratie connurent une nouvelle dégradation se révéla fugitive . Dans le vertige du

160
drame islandais , rares furent ceux à venin. Les vieux prétextes de sécurité à
prévoir que ,Fischer ne rejouerait jamais tout prix sont inopérants contre lui . »
plus aux E checs . L ' auteur eut l e Plus d'un maître américain qui avait rêvé
pressentiment d'un fait auquel il fallait d'une entrée sûre dans la classe moyenne
s'attendre quand il fut témoin du refus de se réveilla soudain et fut contraint de se
Fischer d'un demi-million de dollars , retourner vers d'autres sources d'inspi­
proposé par une firme hollywoodienne ration. L'Angleterre , longtemps parmi les
pour un cours d' enseignement . Le nations échiquéennes de second rang, sor­
motif : « Admettons que le cours n'était tit de sa torpeur, fournit des stimulants
pas parfait. Dans dix ans , on m'aurait matériels et se mit rapidement à sortir des
critiqué. » grands-maîtres. En 1984, les représentants
Il en est ainsi du mythe de l'avidité d' Albion décrochèrent les médailles
financière de Fischer. Ses admirateurs d'argent au tournoi olympique . N'ou­
durent se contenter de se remémorer les blions pas que la Renaissance commença
journées exaltantes de 1972, quand un quand Fischer entreprit de s'emparer de
Spassky dont la sportivité dépassait de la toute puissance échiquéenne et de la
loin l' acuité , fut nettement dominé . tirer vers l'Occident.
Toutes les objections que le nouveau Aucun héros ne surgit durant l'ère de
champion du monde avait auparavant Karpov. La décennie vit néanmoins une
formulées à tous les matches qui lui croissance à couper le souffle du monde
étaient proposés , plausibles en elles­ des Échecs. Autrefois, il était possible
rnêrnes , mais qui avaient conduit à tant pour un grand-maître de suivre sans aide
de négociations avortées , aboutirent toutes les nouvelles parties importantes ,
finalement à l' inexorable conclusion désormais leur multiplication arithmé­
qu'un véritable blocage paralysait sa tique nécessite un ordinateur pour tenir
créativité. (Ironiquement, une série des l'allure (cette fonction enregistrante et
exigences de Fischer concernant des révocable de l'ordinateur, son utilisation
modifications des réglernents de la FIDE dans des buts distractifs ou éducatifs et sa
d'abord refusées , furent ensuite adoptées capacité de surpasser l'esprit humain en
alors que le principal intéressé s'était parties très rapides et dans la conduite de
retiré de la compétition . Ainsi , par certaines finales ultra-simplifiées -
exemple , de l'exigence de Fischer que les comme Darne contre Tour - représente
n u l l i t é s ne c o m p t a s s e n t p a s . Le pour le moment sa contribution aux
déroulement ennuyeux par sa longueur Échecs , et non , comme on l' avait
du championnat du monde ayant opposé supposé , un stimulant et un défi pour la
Karpov à Kasparov, à Moscou en 1984- supériorité de l'homme sur le terrain du
1985 , eut cependant pour conséquence jeu lui-même) .
l'annulation de cette règle) . Le monde La « Théorie » des ouvertures, qui
des Échecs fut ainsi privé de spectacles progressait autrefois si confortablement
excitants, comme l'avait prédit en 1973 qu'un Lasker pouvait examiner les
l'étoile brésilienne Enrique Mecking : nouveautés de toute une année en un
« Seule la jeune génération de lutteurs jour, progresse aujourd'hui si rapidement
intrépides est parvenue à détruire le qu'elle est au-dessus des forces de l'esprit
mythe Fischer. . . Il ne faut pas se laisser encyclopédique d'un Gligoric ou d'un
contraindre à son style qui agit comme un Portisch . On peut acheter maintenant des

161
livres qui , par exemple , contiennent classiques eux-mêmes. Les découvertes
toutes les parties jouées dans l'année et des grands pionniers nées de la force de
ouvertes par une anglaise , statistiquement leur travail créateur, surgissent dans les
analysées selon le succès de chaque coup parties des jeunes maîtres d'aujourd'hui,
particulier. Quel progrès sur les méthodes habiles mais incultes , sous forme de
primitives quand certains d'entre nous se stratagèmes gagnants étudiés dont les
fabriquaient de telles collections bon origines leur échappent complètement.
marché de parties classées par ouverture (Un jeune maître américain fut une fois
à p artir d e d e u x e x e m p l a i r e s d e cité p o ur sa question « Qui était
Chakhmatny Biouletine, d'un pot d e colle Steinitz ? ») Un conseil de l'auteur : les
et d'une paire de ciseaux ! Cette activité méthodes historiques conservent leur
principalement axée sur la « théorie des valeur, qui ignore le passé, perd. Une
ouvertures » (en fait , exploitant une science p arachevée et une vision
expérience tirée de la pratique) a enrichi correspondante valent plus qu'une
notre jeu et l'a en même temps appauvri. connaissance au mot à mot des dernières
Tandis que, d'une part, il est fascinant nouveautés théoriques.
d'observer comment un maître , sans
· · importance mais zélé , réfute une attaque L' avenir appartient aux novateurs
naguère encore prisée, il est, d'autre part hardis qui saisiront dans son ensemble
triste de voir des légions de jeunes joueurs toute l'histoire de cette quête ininter­
porteurs d'espoirs qui connaissent jusqu'à rompue qui est une part essentielle de
leurs dernières finesses les défenses notre vie intellectuelle : la lutte des idées
classiques, mieux qu'il ne connaissent les aux Échecs.

162
Index des parties et positions
(Les numéros indiquées sont ceux des pages)

Alekhine 28 , 35 Larsen 97 , 99 , 102 , 103


Anderssen 20 Lasker 32, 50
Andersson 149 Lilienthal 33
Averbakh 52 , 91 , 108 Maguerramov 148
Benkë> 126 Najdorf 39 , 124 , 141
Botvinnik 42 , 43 , 45 , 46 , 72, 86 , 95 Nikitine 81
Bronstein 63 , 65 , 67 , 68 , 99 , 109 Pachman 65
Byrne D . 1 1 8 Panno 39 , 79
Byrne R. 126 Petrossian 9 1 , 92 , 94 , 95 , 102 , 103 , 1 14,
Capablanca 45 , 58 150
Donner 53 Pilnik 39
Doubinine 63 Porreca 68
Dufresne 20 Rabinovitch 42
Euwe 30 , 35 , 69 Reshevsky 50, 52, 53 , 54
Evans L . 1 10 Saidy 132
Fine 33 Schmid L. 94
Fischer R. 1 1 8 , 121 , 124, 126 Smyslov 56, 69 , 7 1 , 72 , 84
Flohr 30, 32 Spassky 39 , 107 , 108, 109 , 110, 1 1 1 , 1 14 ,
Geller 39 , 60 , 77 , 97 , 1 1 1 133 , 143
Gligoric 121 Taïmanov 92
Karpov 132, 133 , 134 , 156 Tal 77 , 79 , 81 , 83 , 84 , 86
Kasparov 148 , 149 , 150 , 152 , 156 Trifunovic 83
Keres 39 , 54, 57 , 58, 59 , 60 , 67 , 71 Troianescu 107
Konstantinopolski 46 Unzicker 134
Kortchnoï 141 , 143 , 152 Vidmar 43
Kotov 57 Wolf H. 28

163
Bibliographie

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Co . , Mahr . -Ostrau , 1930 .

Co m p o s i t i o n : E m pre i n t e s . 92 1 60 A n tony
Maq uette intéri eure : Jérôme Faucheux .

Imprimé en France par Pollina, 85400 Luçon - n ° 1 1 607


La lutte des Idées aux Échecs et la grandeur de leurs champions
ont inspiré ce livre . Pourquoi le j eu d'Échecs exerce-t-il une telle
fascination sur autant de gens ? C ' est qu'il est à la fois un sport
- des millions de gens le pratiquent à travers le monde - et
une science - des spécialistes étudient depuis plus d'un siècle
les tactiques de début, de milieu et de fin de partie . Mais c' est
aussi un art, qui , comme la littérature ou la peinture, a connu
différentes périodes . C ' est principalement sous cet aspect que
le grand . maître américain Anthony Saidy développe son livre .
« L'Histoire des idées aux Échecs , écrit-il dans sa préface, est
celle des j oueurs qui les ont incarnées . Mon intention est de résu­
mer ce que sont les grands artistes contemporains comme le fit
Richard Reti pour ceux de son époque . J'ai choisi treize des plus
grands j oueurs vivants et leurs meilleures parties pour illustrer
les conceptions importantes dans la marche des idées aux Échecs .
J ' espère que ce livre révélera au lecteur non seulement comment
les Échecs sont j oués par les experts , mais aussi pourquoi ils
le sont . »

Cet ouvrage, traduit par Sylvain Zinser , se veut une suite


moderne au livre de Richard Reti . Passionnant à lire, inhabi­
tuel par le ton et la démarche dans la littérature échiquéenne,
il répond à la curiosité de tous les j oueurs , amateurs ou non,
qui veulent en savoir plus sur l' attrait et l'impact du jeu d'Échecs
à travers le monde .

Ouvrage publié sous la direction de la Fédération française des


Échecs

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