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LES PROBLÈMES DE L'EXCLUSION

EN ESPAGNE ( X V I siècles)
Idéologie et discours

COLLOQUE INTERNATIONAL
(Sorbonne, 13, 14 et 15 mai 1982)
TRAVAUX DU «CENTRE DE RECHERCHE
SUR L'ESPAGNE DES X V I ET X V I I SIÈCLES »
I
Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

LES PROBLÈMES DE L'EXCLUSION


EN ESPAGNE ( X V I siècles)
Idéologie et discours

COLLOQUE INTERNATIONAL
(Sorbonne, 13, 14 et 15 mai 1982)

Etudes réunies et présentées par


Augustin REDONDO

Ouvrage publié avec le concours


du Centre National de la Recherche Scientifique

PUBLICATIONS DE LA SORBONNE
14, rue Cujas, 75230 Paris cedex 05
1983
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les
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Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

© 1 9 8 3 , P u b l i c a t i o n s d e la S o r b o n n e
I S B N 2-85944-065-8
INTRODUCTION

Le « Centre de Recherche sur l'Espagne des X V I et X V I I siècles »


(C.R.E.S.) travaille depuis plusieurs années sur les mentalités et les
systèmes de représentation en Espagne pendant la période considérée. Le
programme mis en œuvre a amené les membres de ce Centre (dans le
cadre de la R.C.P. 581 du C.N.R.S.) à étudier dernièrement les divers
aspects de la folie (omniprésente au Siècle d'Or) et à s'intéresser au rôle
qu'elle avait joué comme moyen d'exclusion (1). Ces travaux ont
débouché ainsi sur le problème général de l'exclusion. De là est née
l'idée du Colloque International dont les Actes (publiés aujourd'hui)
ouvrent la nouvelle collection créée aux « Publications de la Sorbonne » :
«Travaux du Centre de Recherche sur l'Espagne des X V I et X V I I siè-
cles ».
En organisant cette rencontre, nous ne pensons pas avoir cédé à une
mode, même si le thème a donné lieu récemment à plusieurs volumes,
hors du domaine ibérique toutefois (2). Il est vrai que les problèmes que
connaissent nos sociétés ont mis au premier plan des notions telles que
celles de marginalité et d'exclusion. Néanmoins, le développement des
recherches d'anthropologie historique et culturelle a conduit à jeter un
autre regard sur les sociétés du passé et à mettre l'accent sur les
diversités, les différentes formes de culture, les tensions qui en résultent,
sur les rapports conflictuels existant entre les groupes dominants et
dominés. L'apparition de processus de marginalisation et au-delà d'exclu-
sion n'est-elle pas la conséquence des oppositions sinon des affrontements
issus de ce contexte ?
Cependant, le marginal n'est pas l'exclu, même si de profondes
similitudes existent entre eux et si l'on a trop souvent tendance à les
confondre (les participants à la rencontre que nous présentons n'ont
d'ailleurs pas su toujours éviter cette confusion). Le marginal — comme
son nom l'indique — se situe en marge des normes et des comportements
majoritaires, fréquemment de façon volontaire. Mais sa situation aux
frontières du corps social est potentiellement réversible. Son intégration
ou sa réintégration dans ce corps est possible tant qu'il n'est pas devenu

(1) Cf. Visages de la folie (1500-1650) (Paris, Publications de la Sorbonne, 1981).


(2) Cf. notamment : Exclus et systèmes d'exclusion dans la littérature et la civilisation
médiévales (Aix-en-Provence, Sénéfiance, 1978, n° 5) et Les marginaux et les exclus dans
l'histoire (Paris, 1979, Cahiers Jussieu, n° 5). Ce dernier volume comporte une étude qui
porte sur l'Espagne : Jean Vilar, « Le picarisme espagnol : de l'interférence des marginalités
à leur sublimation esthétique» (p. 29 sq.).
un exclu. Celui-ci, en revanche, est catégoriquement rejeté par le groupe
majoritaire ; il est proscrit par les lois ou les valeurs dominantes.
L'exclusion implique en effet une rupture — parfois ritualisée — par
rapport à la société, rupture dont les effets sont presque définitivement
irréversibles.

Or, l'Espagne qui, dès la fin du X V siècle, assiste à la mise en place


des structures de l'état monarchique centralisé, à la création de la
nouvelle Inquisition, à l'expulsion des juifs et aux problèmes posés par
les conversos, à la progressive introduction des statuts de pureté de sang,
à la valorisation de l'idéologie aristocratique et au renforcement des
différenciations sociales, possède en son sein de puissants facteurs de
ségrégation et de rejet. C'est à une réflexion sur les processus d'exclusion
aux X V I et X V I I siècles, pendant la période des souverains de la
Maison d'Autriche (avec un point de départ à l'époque des Rois
Catholiques et, dans quelques cas, à une époque antérieure) qu'invitait le
colloque organisé par le C.R.E.S. à la Sorbonne les 13, 14 et 15 mai
1982. Ce colloque — qui n'aurait pu se tenir sans l'aide financière du
C.N.R.S. et du Conseil Scientifique de l'Université de Paris III, orga-
nismes auxquels vont nos remerciements — invitait non seulement à une
réflexion sur l'idéologie de l'exclusion et les divers discours qu'elle a
suscités, sur les représentations (littéraires notamment) auxquelles elle a
donné lieu et sur leurs caractéristiques, mais aussi à une réflexion,
indissociable de la première, sur les mentalités et les comportements
majoritaires pendant la période considérée.
Comme lors des rencontres précédentes, la plus grande liberté
méthodologique a été laissée aux auteurs de communications, ce qui a
permis des approches multiples et complémentaires du thème (histori-
ques, sociologiques, ethnologiques, littéraires) et favorisé les échanges
entre les participants. Malheureusement, pour des raisons économiques, il
n'a pas été possible de rendre compte des discussions fructueuses qui
eurent lieu alors.
Trois directions de recherche sont apparues à travers les exposés faits
pendant le colloque.
Toute une série de travaux se sont intéressés aux aspects religieux de
la ségrégation (qui aboutit à un rejet de caractère social). L'Inquisition a
joué un rôle capital dans la mise en place des processus d'exclusion mais,
pour une large part, elle n'a jamais été que le porte-parole du pouvoir
royal, de l'Eglise et des groupes majoritaires désireux de protéger leurs
intérêts et leurs valeurs grâce à la défense d'une idéologie dominante
étroitement conservatrice, orthodoxe et «nationaliste». Tous les «dé-
viants» ou considérés comme tels ont ainsi eu à souffrir du rejet
infamant : nouveaux chrétiens d'origine juive ou maure, gitans, sorcières,
renégats, etc. C'est à la dimension globale du discours d'exclusion utilisé
(avec ses implications religieuses, mais aussi économico-sociales) que se
sont attachés Louis Cardaillac et Augustin Redondo, cependant que
Josette Riandière La Roche et Francisco Marquez Villanueva en ont
étudié un aspect important, celui qui a trait respectivement aux juifs (et
conversos) et aux morisques, dans une perspective qui, en ce qui
concerne ces derniers, prend en compte l'apparition d'un courant qui leur
est favorable dans quelques secteurs de l'opinion publique espagnole.
Pour sa part, Ricardo García Cárcel a examiné la situation des sorcières
au regard du Saint-Office, en relation avec le rôle social qu'elles ont
joué, et Bartolomé Bennassar, de son côté, s'est efforcé de dessiner, à
partir de documents inquisitoriaux, une typologie des renégats (ici
chrétiens passés à l'Islam) qui donne toute leur importance à ceux qui,
par véritable inclination pour la religion musulmane, se sont exclus
volontairement de la communauté catholique. Bernard Vincent, quant à
lui, a cerné l'espace d'exclusion que constitue la prison inquisitoriale du
X V I siècle, partagée entre archaïsme et nouveauté.
D'autre travaux ont directement mis l'accent sur les aspects juridiques
et économiques de l'exclusion, en fonction de l'idéologie dominante.
C'est ainsi que Jean-Marc Pelorson s'est penché sur le sort réservé aux
aliénés mentaux et aux bâtards, obligés de supporter fréquemment une
ségrégation postulée par la majeure partie des juristes. José Antonio
Maravall, lui, a examiné la situation du travailleur manuel lequel, dans le
cadre d'une société tripartite, fortement hiérarchisée, a été l'objet d'un
rejet ignoble de la part des privilégiés, malgré son rôle producteur
fondamental, même si des voix discordantes ont commencé à se faire
entendre, sur ce point, dès la fin du X V siècle. Joseph Pérez s'est
interrogé sur le sens des projets de réorganisation de la bienfaisance, qui
voient le jour au X V I siècle. Il les interprète, non comme une tentative
en vue de réintégrer les mendiants dans le circuit économique, mais
comme un processus permettant d'exclure les pauvres en général,
processus qui accompagnerait la réhabilitation du travail. Il revenait à
Antonio Domínguez Ortiz d'analyser la condition des enfants abandon-
nés, de souligner les tragiques conséquences pour eux de l'ostracisme
dont ils ont souffert et des spoliations réalisées à leur détriment dans les
hospices qui les accueillaient, de montrer aussi comment des esprits
éclairés ont demandé la réforme de ces centres d'accueil, mais ces
demandes n'ont pris vraiment forme qu'au X V I I I siècle.
Une troisième série de communications ont étudié les représentations
de l'exclusion au Siècle d'Or, essentiellement à travers les textes
littéraires. François Delpech s'est intéressé, de la sorte, au cas des
jumeaux qu'il a mis en relation avec les anciennes mythologies
indo-européennes dans lesquelles ils sont soumis à un rejet puis à une
réintégration sociale à la suite d'épreuves initiatiques, scénario que l'on
retrouve dans l'Espagne des X V I et X V I I siècles, préoccupée par les
problèmes d'ascendance et de ségrégation. Sylvia Roubaud, quant à elle,
s'est attachée à caractériser le cheminement du héros chevaleresque dont
la destinée oscille entre deux pôles : d'un côté, incorporation à la société
aristocratique, de l'autre, rupture par rapport à cette société et exil.
Alessandro Martinengo, pour sa part, a mis en évidence que, dans le
Songe de l'Enfer, Quevedo (influencé par l'atmosphère de la Contre-
Réforme) a adopté une attitude d'intolérance intellectuelle et a précipité
parmi les hérétiques les alchimistes et les astrologues.
Deux exposés ont porté sur la folie et sur le discours d'exclusion
qu'elle a provoqué. Monique Joly a analysé — en particulier à travers
l'œuvre cervantine — les pratiques discursives liées à des attitudes de
rejet suscitées par des comportements que les Castillans de l'époque
classique déclarent relever d'une folie et d'une sottise feintes, cependant
que Françoise Vigier a abordé le problème des relations qui existent
entre l'aliénation et les diverses formes d'exclusion qu'elle entraîne et elle
a tenté de dégager les particularités de la représentation dramatique de la
folie et de la ségrégation qui en découle, dans le théâtre de Lope de
Vega.
Jean Canavaggio, de son côté, a étudié une des procédures
d'exclusion instituées par l'Espagne du Siècle d'Or : celle qui concerne la
peine des galères. Il a donc cerné le discours tenu sur et par le galérien,
aussi bien sur le plan pénal et réglementaire que sur le plan littéraire, ce
qui lui a permis de souligner le dévoiement qui permet le passage de l'un
à l'autre.
Telles sont les lignes de force des contributions réunies dans ce
volume. Les travaux présentés constituent une première série de réponses
aux problèmes soulevés, que des recherches complémentaires, dans
d'autres directions, devraient venir utilement compléter. En effet, si les
processus d'exclusion que connaît l'Espagne des X V I et X V I I siècles
sont comparables, dans une assez large mesure, à ceux qui existent, au
même moment, dans d'autres pays européens, il n'en reste pas moins que
certaines pesanteurs spécifiques (l'action de la nouvelle Inquisition, la
présence des nouveaux chrétiens, l'exacerbation de l'idéologie aristocrati-
que, le repliement sur soi de tout un pays dès le milieu du X V I siècle,
etc.) ne doivent pas être oubliées. Elles multiplient, de ce fait, les
facteurs de ségrégation. Elles permettent aussi une vision plus large et
diversifiée du champ de l'exclusion, et, partant, elles fournissent d'autres
renseignements sur l'idéologie et les comportements des groupes majori-
taires.

A. REDONDO
I. IDÉOLOGIE DE L'EXCLUSION:
DE L'EXCLUSION RELIGIEUSE
A L'EXCLUSION SOCIALE
VISION SIMPLIFICATRICE
DES GROUPES MARGINAUX
PAR LE G R O U P E D O M I N A N T DANS L'ESPAGNE
D E S X V I et X V I I S I È C L E S

Si l'on considère l'histoire des Juifs et des Morisques en Espagne,


leur destin semble se superposer : ce sont deux minorités ethniques et
religieuses qui sont restées en marge de la Nation. Dans ces différents
cas, il y eut de la part du groupe dominant une mise en application d'un
processus d'assimilation qui, lorsqu'il vint à échouer, se transforma en
rejet : c'est le sens de l'expulsion des Juifs en 1492, et de celle des
Morisques en 1609.
L'histoire des Gitans peut nous paraître bien différente, puisqu'il
s'agit d'une communauté qui, tout en refusant de s'intégrer, demeura sur
le sol espagnol. Néanmoins, remarquons que leur expulsion, même si elle
ne fut jamais réalisée, fut maintes fois envisagée, soit au niveau des
Cortès, soit au niveau du discours : « Se debe ejecutar en ellos la ley del
destierro perpetuo de España, como se ejecutaría justamente en el judío
o morisco expelido, si volviese a ella» écrit-on en 1619 (1).
Voilà donc un point commun à ces trois communautés : elles ont eu à
s'affronter au problème de l'exclusion. Nous voudrions aujourd'hui
pousser au-delà cette comparaison. En effet, dans l'Espagne des X V I et
X V I I siècles, ces minorités continuent à faire problème : l'expulsion des
Juifs n'a rien résolu puisqu'on accusera les conversos de cryptojudaïsme,
de même les Morisques seront accusés de perpétuer la présence de
l'Islam sur le sol hispanique. Morisques et Gitans dans les moments de
crise seront au centre d'un même débat, en particulier dans les premières
années du X V I I siècle. Arbitristas et chroniqueurs, hommes de robe et
hommes d'Eglise, nous donneront leur point de vue sur cet acte suprême
de l'exclusion que fut l'expulsion des Morisques ; à ce propos, à diverses
reprises un parallèle entre Morisques et Gitans et aussi entre Conversos,
Morisques et Gitans sera établi (2).
Ce sont les bases idéologiques de ce discours majoritaire sur
l'exclusion que je voudrais essayer de préciser aujourd'hui à la lumière

(1) Sancho de Moncada, Restauración política de España, edición a cargo de Jean


Vilar, Madrid, Clásicos del pensamiento económico español, 1974, p. 222.
(2) Signalons en particulier les œuvres de Bleda, Guadalajara y Javier, Aznar
Cardona, Damián Fonseca, chroniqueurs de l'expulsion des Morisques, et celles des
«arbitristas»; en particulier les discours de Salazar de Mendoza, Moncada et Quiñones.
de travaux récents qui nous apportent à la fois des éléments de réflexion
et une documentation nouvelle. Je pense en particulier à la thèse
monumentale de Bernard Leblon sur les Gitans (3) et aussi au livre
d'Henry Méchoulan Le sang de l'autre ou l'honneur de Dieu, sans oublier
les ouvrages connus de tous, en particulier ceux de Caro Baroja,
Domínguez Ortiz et B. Vincent.
Dans un premier temps, je voudrais qualifier ce discours qui est
essentiellement religieux, et dans ce discours, je privilégierai la notion
d'infidèle et montrerai en quoi cette notion est source d'exclusion, puis
dans un deuxième temps, j'analyserai en corollaire la notion de peuple
élu, et finalement je proposerai une interprétation de ce discours.

Nous découvrons à la base de l'idée d'exclusion un discours religieux.


Déjà le décret d'expulsion des Juifs évoquait «el gran daño que a los
cristianos se ha seguido y sigue de la participación, conversación y
comunicación que han tenido y tienen con los judíos (4)». L'on craint
que les Chrétiens soient pervertis et contaminés par la «dañada creencia
y opinión». Guadalajara y Javier, parlant des Morisques, évoquera leur
«pestilencia pegajosa» (5) et dira qu'il faut éviter que «su contagión se
pegue a los demás» (6). Et au sujet des Gitans, Moncada rappellera que
le bon pasteur doit veiller sur son troupeau : « No hay ley que obligue a
criar lobillos en tan cierto daño futuro del ganado» (7).
S'il y a donc un risque de perversion, de contamination voire de
destruction, c'est que ces différents groupes minoritaires représentent
d'une certaine façon le mal : les noms d'animaux qui leur sont attribués
se réfèrent à la symbolique du mal que l'on retrouve de la Genèse à
l'Apocalypse. Le terme de mépris de «perro» très souvent attribué aux
Conversos et aux Morisques désigne dans la Bible ceux dont la conduite
et le caractère sont impurs (8). Aznar Cardona et bien d'autres
assimilent les Morisques aux loups, aux rapaces et aux serpents, symbole
du Mal dans l'Ecriture: «Estos eran los lobos en las ovejas, los zánganos
en la colmena, los cuervos entre palomas, los perros en la Iglesia, los
gitanos entre los israelitas y finalmente los herejes entre los
Católicos (9). » et lorsque Quiñones dans son discours sur les Gitans
(3) Leblon (Bernard), Les gitans d'Espagne. Recherches sur les divers aspects du
problème gitan du X V au X V I I I siècle, Montpellier, 1979, 3 tomes.
(4) Cité par Domínguez Ortiz (Antonio), Los judeoconversos en España y América,
Madrid, Istmo, 1971.
(5) Guadalajara y Javier (Fray Marcos de), Memorable expulsión y justísimo destierro
de los Moriscos de España, Pamplona, Nicolas de Assiayn, 1613, f° 32 v°.
(6) Ut supra, f° 130 r° á 131 v°.
(7) Moncada op. cit., p. 225.
(8) Epître de Paul aux Philippins, 3, 2: « Prenez garde aux chiens». C'était alors une
épithète que les juifs attribuaient aux païens. Les chroniqueurs de l'expulsion traiteront les
Morisques de «perros descreídos» et de «perros moriscos». Correas, dans son Refranero,
indique: «perros llaman a moros, porque no tienen quien les salve el alma y mueren como
perros. »
(9) Aznar Cardona (Pedro), Expulsión justificada de los Moriscos españoles y suma de
las excelencias de nuestro rey don Felipe el Católico Tercero deste nombre, Huesca, Pedro
Cabarte, 1612, II, f° 62 v°.
emploiera à leur égard l'expression de «maldita canalla» il retrouvera la
même expression utilisée avec son sens étymologique contre les Conver-
sos et les Morisques (10).
Un pas de plus dans cette présentation est franchi lorsque nos auteurs
affirment que Conversos et Gitans non seulement représentent un mal
qui peut contaminer la société, mais encore qu'ils l'incarnent, c'est-à-dire
qu'ils sont la représentation du Démon. Guardiola parlera du «Talmud
infernal» (11), Otalora accusera les conversos de crime de lèse-majesté
divine et humaine (12) et Escobar del Corro développera la théorie selon
laquelle «leur nature est perverse, leur semence est mauvaise et
engendre à l'égard des Chrétiens une propension naturelle à la
haine (13)». Le converso, vu comme légitime descendant du juif, est
donc habité par un principe du mal, transmissible, une sorte de nouveau
péché originel. On comprend que de telles théories aboutissent à la
conception raciste de la pureté du sang. Dans un texte, cité par
Poliakov, on lit même cette peinture caricaturale et expressive du
converso : «Ils ont une figure de bouc, ils ont des cornes au front et un
appendice caudal (14)». On ne dit pas qu'ils sentent le soufre, mais ils
n'en sont pas moins reconnaissables à leur haleine fétide (15).
Quant aux Morisques, ils sont présentés comme les disciples de
Mahoma, lequel n'est autre qu'un suppôt de Satan. Mahoma est qualifié
de dragon par Blas Verdú, et nous savons que tel est le symbole du mal
dans l'Apocalypse de saint Jean (16) ; et Bleda précisera: «sus tratos eran
como de hijos y familiares de Satanás (17). »
Au sujet des gitans fray Pedro de Figueroa, un écrivain politique de
l'époque de Philippe IV affirmera que leur nom signifie « ténébreux » et il
ajoutera: «Bien les cuadra el nombre, porque son vasallos del Principe
de Tinieblas... Sus engaños, o son pacto del demonio o embustes para
robar... Bien los llamé vasallos del demonio, porque no es otra cosa un
aduar de gitanos que un exército de Satanâs (18) ». A ce propos, il est
intéressant de remarquer que l'Inquisition, pourtant si prudente lors-
qu'elle a à examiner les procès de sorcellerie, soupçonne fortement les
Gitans d'être des adeptes de Satan ; en effet, à partir de l'étude des
formules et des conjurations utilisées, les qualificateurs du Saint-Office

(10) Quiñones (Juan de), Discurso contra los gitanos, Madrid, J. González, 1631, f° 1
v°. On retrouve deux fois cette même expression sous la plume de Cervantès.
(11) In Tratado sobre la nobleza de España (1591), cité par Méchoulan, Le sang de
l'autre ou l'honneur de Dieu. Indiens, juifs et Morisques au Siècle d'Or, Paris, Favard, 1979.
(12) In Summa nobilitatis hispanicae (1559), cité par Méchoulan, op. cit., p. 126.
(13) Mechoulan. op. cit.. p. 128.
(14) Poliakov (Léon), De Mahomet aux Marranes, Paris, Calmann-Lévy, 1961.
(15) Du même auteur, Les Juifs et notre histoire, Paris, Flammarion, 1973, p. 65.
(16) Verdú (Fray Blas), Engaños y desengaños del tiempo con un discurso de la
expulsión de los Moriscos de España, Barcelona, Sebastián Mathevad, 1612, f° 145.
(17) Bleda (Jaime), Crónica de los Moros de España, Valencia, Felipe Mey, 1618,
livre VIII, chap. IV, p. 1023-1024.
(18) Cité par J. Caro Baroja, Las formas complejas de la vida religiosa. Religión,
sociedad y carácter en la España de los siglos XVI y XVII, Madrid, Akal, 1978. Voir
également García Arenal (Mercedes), «Morisques et Gitans», Mélanges de la Casa de
Velazquez, tome XIV, 1978, p. 510.
dans bien des procès déduisirent l'existence d'un pacte avec le démon.
Comme le dit Leblon, cette croyance était solidement enracinée dans les
esprits et l'Inquisition contribuait à la maintenir (19).
Une telle vision a pour conséquence une visée exclusive totale: parmi
les Conversos, les Morisques, les Gitans, on ne saurait considérer des cas
individuels : tous les membres de la communauté sont concernés, même
les plus jeunes enfants. Aznar Cardona justifiant l'expulsion des
Morisques cite le cas des enfants de Sodome, qui partagèrent le sort de
leur famille (20). Guadalajara y Javier cite dans le même sens le livre
d'Esdras (21) et le père Simón de Rojas écrit dans son mémoire que tous
les enfants morisques doivent être expulsés car «han mamado el odio
que tienen a nuestra religión católica y la raíz infecta tienen dentro de
sus entrañas ». Il suffit donc d'avoir une origine conversa, morisque ou
d'appartenir à « la secta del gitanismo » comme dit Quinones (22) pour
mériter d'être exclu de la communauté. Moncada plaidera donc lui aussi
pour l'expulsion totale des gitans : «... acude a esto el santo bando de
vuestra magestad que expelió los Moriscos y los niños con los Moriscos,
por la razón del real bando : Cuando quiera que algún detestable crimen
se comete por alguna universidad, es bien sean todos punidos (23). »

Dans ce discours sur l'exclusion, revient sans cesse une notion qu'il
convient maintenant de préciser et d'étudier dans toutes ses conséquen-
ces, c'est la notion d'infidèle. Juifs, Morisques et Gitans sont tour à tour
traités d'hérétiques, d'apostats et d'infidèles. Le dernier des qualificatifs
est bien sûr le plus fort, puisqu'il fait d'eux les égaux des Turcs, des
Berbères ou des Maures, mais nous sentons bien qu'hérétique et apostat
supposent également une coupure de la société chrétienne et sont
souvent employés dans le sens d'infidèles.
Par exemple, un texte postérieur à l'époque qui nous intéresse, mais
qui reprend une argumentation développée en 1644 par Villalobos, doyen
de la faculté de Salamanque, expose des vues particulières sur le droit
d'asile: «el sagrado no vale a los Moros, Judíos y herejes, y a todos
aquellos que tienen seta contraria de la religion católica, porque ésta con
la inmunidad favorece a sus hijos, es constante que no debe valer a los
gitanos» (24). Voilà donc les Morisques, les Juifs et les Gitans exclus du
droit d'asile car ils partagent une même infidélité.
Et lorsque Guadalajara y Javier vantera les mérites du Comte de
Salazar qui a mené à bien l'expulsion des Morisques il écrira : « el cual
como heredero de la ilustre antigua sangre de los Velasco, enemigos
acérrimos de infieles, tomó esto a pechos y por sus comisarios entendió

(19) Leblon, op. cit., p. 978.


(20) Aznar Cardona, op. cit., 1 partie, chap. 35.
(21) Guadalajara y Javier, op. cit., 1 partie, chap. 25.
(22) Quiñones, op. cit., f° 6 v°.
(23) Moncada, op. cit., p. 224.
(24) Cité par Leblon, op. cit., p. 1117-1126.
purificar la tierra y arrancar de cuajo la cizaña y gramen que sembró por
los ángulos de la Cathólica España, la maldita secta de Mahoma (25). »
Blas Verdú surenchérit : « No son estos sarracenos infieles como quiera
no solamente apóstatas sino unos faraones en la dureza (26)».
Voilà donc le maître-mot lâché : Conversos, Morisques et Gitans sont
des infidèles. Or, quel doit être le sort réservé à ces gens-là? De
multiples citations nous donnent une même réponse : c'est l'exclusion. Le
Patriarche Ribera s'exprime de façon tout à fait claire dans un sermon
qu'il prononça le 27 septembre 1609, c'est-à-dire cinq jours à peine après
la publication du décret d'expulsion des Morisques de Valence: «La
mayor honra de todos es la compañía de los fieles, así como la mayor
deshonra e ignominia es tratar con infieles ; porque ni mirallos a la cara
lo podéys hazer sin afrentaros, séase quien se fuere, aunque sea
rey(27)». Il nous donne une définition de l'infidélité: «son de aquellos
que no confiesan a Cristo Nuestro Señor por Dios» et s'appuyant sur
l'évangile de Jean il écrit : « déstos dize el Santo Apôstol : no los acojáis
a vuestras casas, ni les digáis : " norabuena estéis " porque el que los
saluda, en cierta manera se hace participante de su secta» (28).
Et le Patriarche de s'interroger : comment avons-nous pu traiter
familièrement et même amicalement ces gens-là «viendo con nuestros
ojos que hazían ceremonias de Mahoma, y confesando nosotros mismos
que eran baptizados».
Il affirme que tous les chrétiens valenciens ont péché gravement pour
avoir accepté cette coexistence, «yo el primero que he pasado cuarenta
años en paz con éstos». Et il présente comme modèle l'attitude des
Hébreux face aux idolâtres, donnant en exemple le zèle de Mattathias
«que como viese que uno del pueblo de Israel ofrecía sacrificios a los
ídoles, por mandamiento del perverso rey de Antíocho, se encendió
tanto del celo de Dios que le temblaron los huesos, y arremetiendo al
que sacrificava al ídolo y al que se lo havía mandado, los mató a
ambos (29).
Mais le Gitan mérite-t-il ce titre d'infidèle ? Nous trouvons pour eux
des soupçons de paganisme, d'irréligion, d'hérésie jusque dans les textes
de loi qui les concernent et dans les «Actes des Cortès », et bien sûr
aussi dans les discours vengeurs qui réclament l'expulsion. Il est présenté
comme l'infidèle-caméléon capable d'adopter la religion du groupe
majoritaire : « Muy grandes hombres los tienen por Herejes y muchos
por gentiles idólatras, o ateos, sin religión alguna, aunque en la
apariencia exterior se acomoden con la religión de las provincias donde
andan, siendo con los turcos, turcos, con los herejes, herejes, y entre
cristianos, baptiçando algún muchacho por cumplir (30).»

(25) Guadalajara y Javier, op. cit., f° 144 v° — 145 r°.


(26) Blas Verdú, op. cit., chap. 9.
(27) Fonseca (Padre Damián de), Justa expulsión de los Moriscos de España, Roma,
Iacomo Mascardo, 1612, p. 99.
(28) Ut supra, p. 78.
(29) Ut supra, p. 81.
(30) Sancho de Moncada, op. cit., p. 217.
On a l'impression qu'une mythologie religieuse se crée autour de lui :
le Gitan est par antonomase le profanateur du temple et des lieux sacrés
(ce qui ne veut pas dire bien sûr qu'il n'y ait pas eu des cas
concrets... (31)). Rien d'étonnant à cela, nous explique-t-on, les gitans
n'ont-ils pas jadis osé s'attaquer à l'enfant Jésus, lors de sa fuite en
Egypte? (32). On les accuse aussi d'être des hérétiques et de ne pas
hésiter à faire baptiser leurs enfants, pour obtenir à chaque fois subsides
et présents. Moncada fait un parallèle entre l'irréligion des gitans et des
Morisques : il affirme que ce que dit Bleda des Morisques est aussi
valable pour les premiers (33).
N'insistons pas sur l'infidélité supposée des conversos : dans bien des
textes ils sont assimilés dans leur totalité à des cryptojudaïsants. Le
converso serait même l'infidèle par excellence, le perfide, héritier des
juifs qui n'ont pas voulu reconnaître Dieu en Jésus-Christ ; et cela au
point que Morisques et Gitans sont parfois mentionnés en référence aux
juifs. Aznar Cardona nous dit des Morisques «eran como los judíos
obstinados » (34). Il les voit comme des juifs aggravés d'islamisme. Et
avant lui, en 1587, l'évêque de Segorbe, Martín de Salvatierra, avait
envoyé au roi un «parecer» dans lequel il faisait un rapprochement
analogue : « queda probado y concluido que esta abominable gente esta
ciega y rebelde en su infelidad, por su pura rebeldía y malicia, según y
como lo han estado judíos (resistiendo al espíritu santo que los ha
alumbrado y alumbra en tantos siglos de anos) y se puede bien afirmar
que esto permite Dios que así sea por ser la secta de Mahoma tan
partícipe y semejante a la ley de Moisén, en lo que toca a la
circuncisión (35). »
Et de même des Gitans : une des légendes qui couraient sur leur
origine, et qui est attestée jusqu'au X V I I I siècle dans un rapport de
Campomanes, est qu'ils pourraient bien être d'origine juive : « Créese
mas general y problamente que esta especie de gente son originariamente
judíos (36). »
Dans la logique de ce discours d'exclusion nous percevons donc un
double mouvement : la disqualification des groupes marginaux qui
s'appuie sur une argumentation religieuse, en même temps qu'une
affirmation de la supériorité du peuple des fidèles. Face aux groupes
exclus, le peuple chrétien s'affirmera détenteur de la vérité ; face à un
groupe morisque qui prône la tolérance et qui prétend « que cada uno se
salva en su ley, el moro en la suya y el judío en la suya », on affirme
que hors de l'Eglise et hors de la société chrétienne il ne peut y avoir de

(31) Par exemple, à Barcelone en 1608 on vole une custode avec l'hostie consacrée.
Les voleurs sont des gitans qui seront envoyés aux galères par l'inquisition — libro 732.
(32) Cité par Leblon, op. cit., p. 182.
(33) Moncada, op. cit., p. 217.
(34) Aznar Cardona op. cit., f° 44. Voir Méchoulan, op. cit., p. 207.
(35) Le texte du «parecer» de Martín de Salvatierra se trouve dans Boronat y
Barrachina, Los Moriscos españoles y su expulsión, Imprenta de Francisco Vives y Mora,
1901 I, p. 627-628.
(36) Cité par Leblon, op. cit., p. 332.
salut (37). Ici encore nous trouvons une affirmation qui engage toute la
communauté ; et pour le prouver on utilisera à nouveau un discours
religieux, toujours en référence avec des textes bibliques, et là encore
nous allons voir s'exprimer des idées qui contiennent en germe toutes les
exclusions, tous les ostracismes.
Dans cette optique, l'histoire de l'Espagne s'inclut dans une vision
plus générale de l'histoire du monde vue comme une histoire sainte.
L'histoire du monde ne saurait être le jouet de forces aveugles ou le
résultat de causalités rationnelles. Elle a un sens et un sens religieux,
c'est-à-dire qu'elle se déroule sous le regard de Dieu, et que c'est sa
Providence, qui dirige le monde. Cette histoire, c'est avant tout le récit
des relations de Dieu avec son peuple et de ce peuple avec Dieu. Ce qui
veut dire qu'il y a un peuple élu. Mais ce peuple élu pourra perdre
définitivement ou provisoirement la faveur de Dieu lorsqu'il s'éloignera
des préceptes divins. C'est ce qui est arrivé au peuple hébreu qui, par
ses infidélités répétées, a démérité. Le peuple hébreu a été très puissant
et, comme nous l'avons vu tout à l'heure, mérite d'être souvent cité en
exemple. Et une des pierres de touche de cette fidélité est précisément le
refus de l'infidèle. Bleda énonce ce principe: «una, de las mayores
ofensas que puede recibir la fe y que mas derriba los reynos, es dejar
vivir en ellos a los herejes sin castigo», et il montre comment les
Israélistes d'abord très puissants ont eu la faiblesse d'accueillir les
Cananéens «y poco a poco fueron enflaquecidos y disminuidos por el
favor divino hasta su total rendición» (38).
Et à ce principe il y a un corollaire : l'Ancien Testament annonce le
Nouveau et le préfigure : l'histoire de l'Eglise est la reprise de celle du
peuple biblique : « Casi todos los Santos Padres y San Pablo afirman que
todo lo que pasó en los santos patriarcas y profetas, era figura de lo que
en la iglesia christiana avía de acaecer» et dans la chrétienté des X V I et
X V I I siècles, c'est l'Espagne qui assume ce rôle de peuple élu (39).
Bleda l'exprime clairement qualifiant Philippe III de «nuevo David» et
de «Abraham en la fe» (40). Et concrètement, l'expulsion des Morisques
a la même signification que celles relatées dans l'Ancien Testament :
«esta hazaña de la expulsión de los Moriscos de España fue representada
al vivo en aquella de los progenitores de Mahoma, Ismael y Agar, de
quien tomaron el apellido de Agarenos», et plus clairement encore: «la
expulsión de Agar e Ismael fue figura de la expulsión de los Moros de
España» (41). N'oublions pas précisément que, pour les vieux chrétiens,
les Morisques sont censés descendre de cette lignée bâtarde.
Pour les Gitans même raisonnement : Sancho de Moncada commence
son discours en établissant un lien entre l'histoire de l'Espagne et les

(37) Voir Cardaillac (Louis), Morisques et Chrétiens, Paris, Klincksieck, 1977, p. 310.
(38) Bleda, op. cit., p. 908.
(39) Ut supra, p. 907. Bleda précise ailleurs (p. 115) que l'Espagne a reçu l'Amérique,
de par la providence divine, en récompense de l'expulsion des Juifs. L'expulsion des
Morisques de la même façon laisse espérer de grands bienfaits politiques.
(40) Cardaillac (Louis), op. cit., p. 48.
(41) Bleda, op. cit., p. 907.
récits du livre de l'Exode, et il conclut: «siempre los gitanos afligieron al
pueblo de Dios (42)». C'est donc en tant qu'infidèles, que le peuple de
Dieu demandera leur expulsion.
La qualité de peuple élu entraîne des relations privilégiées entre Dieu
et son peuple. Dieu se manifestera à travers des révélations, des
prophéties, des miracles. Tous les chroniqueurs les rapportent par
dizaines: comètes dans le ciel, vierge qui pleure, hostie qui saigne,
cloche qui sonne seule le tocsin pour prévenir l'Espagne du danger des
Morisques et pousser les responsables à prendre la décision de
l'expulsion (43). Mais ce peuple élu de Dieu sera châtié, car il est
aveugle et tarde à prendre en considération les avertissements divins.
C'est ainsi qu'à maintes reprises, les catastrophes naturelles seront
considérées comme une manifestation de la colère de Dieu irrité par la
puissance des Morisques au milieu des chrétiens. Guadalajara y Javier
raconte longuement comment le pays aragonais fut dévasté par une
tempête qui arracha tout sur son passage, les arbres, les calvaires,
détruisant même plusieurs églises, et l'hiver qui suivit fut si rigoureux
que la plus grande partie des récoltes fut gelée (44). Consentir la
présence de si grands pécheurs, c'est littéralement attirer les foudres du
ciel sur soi.
Au sujet des Gitans, Bernard Leblon, après avoir étudié les «Actas»
des Cortès de Castille, écrit: «Les délégués aux Cortès semblent prêts à
faire retomber sur la tête des Gitans la responsabilité morale des
catastrophes qui sont en train de s'abattre sur l'Espagne : guerre des
Pays-Bas; désastre de l' Armada invincible (1589); attaques contre
Lisbonne et la Coruña (1589), soulèvement de Saragosse (1591),
conversion d'Henri de Bourbon (Henri IV) qui convoitait la couronne de
France, briguée par Isabelle Claire-Eugénie, fille de Philippe II (1594) ;
déficit du trésor ; baisse de la production agricole et augmentation du
coût de la vie. De la même façon, parfois, les paysans rendent
responsables les gitans des fléaux naturels qui détruisent leurs
récoltes (45)». «Y plegue a Dios que el consentir pecados tan públicos
no sea causa de parte de nuestros castigos » lit-on dans un de ces
rapports.

(42) Moncada, op. cit., p. 213.


(43) Voir par exemple Bleda, op. cit. livre VIII, chap. 8; Aznar Cardona, op. cit.,
7; Guadalajara y Javier, op. cit., I, 16.
(44) Guadalajara y Javier (Marcos de), Prodición y destierro de los Moriscos de
Castilla, Pamplona, 1614, f° 20. Et plus loin, f° 69, il précise encore: «Dios estava ayrado
contra nosotros por consentir que gente sacrilega y notariamente apóstata hiciere los
escarnios que hacían.»
(45) Leblon, op. cit. pp. 1536-1537. Au sujet des juifs, Poliakov écrit: «Les positions
respectives se cristallisent définitivement à la fin du Moyen Age. Sur un fond de
démonologie et de «chasse aux sorcières», le juif finit par assumer le rôle de bouc
émissaire par élection. Pour les masses, il est meurtrier d 'enfants chrétiens, profanateur
d'hosties, empoisonneur de puits. C'est le sorcier qui a propagé la peste noire. (Les Juifs et
notre Histoire, p. 65.)
Dans la deuxième partie de mon exposé, je voudrais aller au-delà de
l'analyse des textes et passer à un niveau interprétatif, c'est-à-dire me
demander ce que représente cette exclusion des groupes marginaux. Pour
cela, je m'aiderai de deux livres de René Girard, l'un de 1978 s'intitule
Des choses cachées depuis la fondation du monde, et l'autre, de parution
toute récente, Le bouc émissaire. Edmond Cros dans son livre Ideología
y genética textual, el caso del Buscón (46), ainsi que dans un article de
1980, publié dans Imprévue (47) reprend les thèses d'anthropologie
fondamentale de René Girard et les applique de façon originale à la
lecture du Buscón. De quoi s'agit-il? René Girard utilise le concept de
l ' a p p r o p r i a t i o n qui, d i t - i l , d é b o u c h e sur « l a m i m e s i s de
l'antagonisme» (48). En d'autres termes, les groupes humains comme les
individus ont une tendance fondamentale à s'opposer pour s'approprier
les biens qu'ils convoitent. La rivalité entre les groupes qui nous
intéressent porterait sur le point de savoir quel est le peuple élu de
Dieu. C'est «la concurrence dans l'élection divine» (49). C'était déjà la
thèse de Méchoulan. Et cette rivalité, cette mimesis de l'appropriation,
aboutit à une mimesis de l'antagonisme, autrement dit au rite sacrificiel
de la victime émissaire.
Et Edmond Cros faisant sa propre lecture du Buscón pose en fait en
des termes nouveaux le problème de l'exclusion des groupes marginalisés
dans l'Espagne du Siècle d'Or. En effet, sa réflexion le conduit à des
conséquences majeures, à savoir l'interprétation de la pratique inquisito-
riale qui, dès lors, n'est plus un simple accident historique, mais
correspond à une tendance latente des collectivités humaines ; cela
l'amène donc à voir des pratiques d'exorcisme tant dans les fêtes et en
particulier le Carnaval que dans la pratique de l'autodafé. Il observe que
si le carnaval représente un fantasme collectif de déstructuration sociale,
l'autodafé ritualise la reconstruction de l'unité de conscience du
groupe (50).
Une telle vision vient corroborer ma propre présentation du discours
de l'exclusion : Juifs, Morisques et Gitans incarnant d'une certaine façon
le mal, on appelle donc de ses vœux l'exorcisme. Dès lors, le feu
inquisitorial est le meilleur rempart contre l'hérésie. Moncada ira même
jusqu'à suggérer qu'on brûle les gitans comme hérétiques: «... siendo

(46) Cros (Edmond), Ideología y genética textual. El caso del Buscón. Madrid, Planeta,
1980.
(47) Cros (Edmond), «Histoire et au-delà de l'histoire. A propos de quelques repères
génétiques », Imprévue, 1980-2, pp. 1-9.
(48) Girard (René), Des choses cachées depuis la fondation du monde. Paris, Grasset,
1978, p. 35.
(49) Méchoulan, op. cit., p. 143 et suivantes.
(50) Il est intéressant de remarquer que lors des fêtes du « Corpus », apparaissent
parfois Moros, Juifs ou Gitans. Voir, par exemple, Vicente Lleo Cañal, Arte y espectáculo :
la fiesta del Corpus Christi en Sevilla en los siglos XVI y XVII, Sevilla, 1975. On sait aussi,
grâce aux discursos festivos du licenciado Reyes Messía de la Cerna, qu'en 1594, à Séville,
fut représentée l'expulsion de Agar. Agar portait les habits caractéristiques d'une dame
sévillane au X V I siècle, mais avait une toque juive; cela correspondait à un double
système de références, l'un destiné à indiquer que l'événement avait eu lieu dans le passé,
et l'autre servait à préciser que l'événement continuait à avoir une portée actuelle.
disposición del derecho platicada en España, quemar a los tales
(herejes)» (51). Holocauste gitan qui ne sera pas pratiqué en Espagne,
mais qui sera réalisé, ne l'oublions pas, en même temps que l'holocauste
juif, dans les fours crématoires des camps de concentration nazis, en
référence à un discours d'exclusion qui proclamait la supériorité raciale
d'un groupe ethnique.
Bleda, pour sa part, pose le problème de cette façon: « ¿ de dónde le
vino a España tanto bien (ser libre de la contagión de las herejfas) ? De
sus católicos reyes que la cercaron toda con los terribles muros de fuego
del santo tribunal de la Inquisición por grande beneficio y misericordia
de Dios nuestro Señor, en que se detuvieron los lobos carniceros,
rapaces... » (52).
Avec un tel rite, la communauté sera réconciliée avec elle-même,
puisque la cause supposée du désordre se transforme en cause d'ordre.
En fin de compte, le bouc émissaire, celui qui est sacrifié ou celui qui est
expulsé, chargé de ses propres péchés et de ceux du peuple élu, fonde la
légitimité du groupe et devient le symbole de l'ordre. La causalité du
mal est maintenant disparue : dans une même causalité magique, le
drame sacrificiel vécu par le bûcher et l'expulsion assure et perpétue la
vie du groupe.
Nous sommes donc invités avec de telles considérations à voir le
problème de l'exclusion comme un phénomène inhérent à toute société,
phénomène qui peut apparaître à un moment donné de son histoire. En
ce sens René Girard pose ce principe général : « Les minorités ethniques
et religieuses tendent à polariser contre elles les majorités. Il y a là un
critère de sélection victimaire relatif, certes, à chaque société, mais
transculturel dans son principe. Il n'y a guère de sociétés qui ne
soumettent leurs minorités, tous les groupes mal intégrés ou même
simplement distincts, à certaines formes de discrimination, sinon de
persécution (53)».

Un tel point de vue contribue à nous expliquer pourquoi la vision des


groupes exclus est simplificatrice : elle l'est non seulement parce qu'elle
trouve sa justification dans un même discours, mais encore parce que la
persécution a ses stéréotypes. René Girard écrit: «A première vue, les
chefs d'accusation sont assez divers, mais il est facile de repérer leur
unité. Il y a d'abord les crimes de violence qui prennent pour objet les
êtres qu'il est le plus criminel de molester... en particulier les jeunes
enfants. Il y a ensuite les crimes sexuels, le viol, l'inceste, la bestialité.
Les plus fréquemment invoqués sont toujours ceux qui transgressent les
tabous les plus rigoureux relativement à la culture considérée. Il y a
enfin les crimes religieux, comme la profanation d'hosties. Là aussi, ce
sont les tabous les plus sévères qui doivent être transgressés» (54).
(51) Moncada, op. cit., p. 220.
(52) Bleda, op. cit., p. 113.
(53) Girard, Le bouc émissaire, p. 30.
(54) Ut supra, p. 26.
Or, nous constatons que Conversas, Morisques et Gitans sont accusés
de s'attaquer aux enfants soit pour des sacrifices rituels, soit pour les
vendre aux infidèles (55). De même les membres de ces communautés
sont constamment accusés de commettre l'inceste, en même temps que
des sacrilèges religieux (56). La société vieille-chrétienne se sent minée
par un travail de sape de ses valeurs fondamentales ; aussi, ces différents
groupes minoritaires suscitent-ils les mêmes phobies, car ils représentent
les mêmes risques: risque social, ils sont, dit-on, très prolifiques; risque
économique, ils n'ont pas la même attitude vis-à-vis de l'argent et
vis-à-vis du travail; la propriété individuelle, par une trop grande
économie, un sens trop aigu des affaires, ou par le vol, serait en péril ;
risque politique, enfin, puisqu'ils sont censés représenter une cinquième
colonne à l'intérieur du pays (57). Se dire peuple élu, c'est s'assurer des
avantages acquis et c'est se protéger contre ceux qui pourraient les
rogner.
Autrement dit, comme l'a écrit B. Vincent, à travers l'infidèle, c'est
«l'autre» qui apparaît (58). A travers la peur de l'infidèle, c'est la peur
de l'autre, et on en a tellement peur que l'on veut le disqualifier et
l'exclure. On habille ainsi d'un discours religieux une crainte qui a des
causes sociales, politiques, économiques.

En guise de conclusion, je voudrais seulement faire quelques


remarques: le discours que j'ai analysé est le discours dominant,
majoritaire, dont les manifestations les plus caractéristiques se situent
dans le premier tiers du X V I I siècle, c'est-à-dire dans la période
marquée par les préparatifs et ensuite les conséquences de l'expulsion
des Morisques. Mais il y eut d'autres discours, certains différents,
d'autres contraires (59). L'exclusion n'a pas été toujours vue comme la
seule solution capable de régler la présence des groupes minoritaires. Il
ne faut pas oublier, par exemple, dans le débat suscité par le problème
de la «limpieza de la sangre», la position d'un fray Agustín Salucio pas
plus que celles de Cellorigo ou de Pedro de Valencia qui, comme
d'autres, affirment au sujet des Morisques qu'ils étaient «assimilables» et
en rien différents des espagnols. «Es de considerar que todos estos

(55) Pour les Juifs, différents textes dans Caro Baroja (Julio), Los judíos en la España
moderna y contemporanea, Madrid, Arion, 1962, 3 tomes. Pour les Morisques, Cardaillac,
op. cit., p. 21 ; pour la tradition littéraire concernant les gitans, Leblon, p. 1460, et son tout
récent ouvrage; Les gitans dans la littérature espagnole, Toulouse, France-Ibérie Recherche,
1982.
(56) Aznar Cardona, op. cit. , f° 36 r° 39 et autres textes.
(57) Voir, par exemple, pour les Morisques, l'article de Hess (Andrew), «The
Moriscos: an Ottoman fifth column in Sixteen Century Spain », The American Historical
Review, 1968-1969, LXXIV, p. 125, et pour les gitans, Moncada, op. cit., p. 214.
(58) Domínguez Ortiz (Antonio), Vincent (Bernard), Historia de los Moriscos. Vida y
tragedia de una minoria Madrid, Revista de Occidente 1978, n 2
(59) Par exemple, Francisco Marquez Villanueva fait fort justement état d'une opinion
modérée qui politiquement ne réussit pas à s'imposer, in « El Morisco Ricote y la hispana
razón de Estado», Personajes y temas del Quijote, Madrid, Taurus, 1975, p. 229-335.
Moriscos en cuanto a la complexión natural, y por el consiguiente en
cuanto al ingenio, condición y brío son españoles como los demás que
habitavan en España» (60). Là nous ne sommes plus dans le discours
d'exclusion, et pourtant, nous pouvons nous demander s'il n'y a pas dans
ces positions contraires, une attitude commune qui est le refus de
reconnaître l'autre dans son identité réelle. D'un côté, on le chasse,
parce qu'il est différent, de l'autre on lui refuse le droit à la différence,
en voulant le faire identique à soi ; n'est-ce pas là une forme plus perfide
d'exclusion ?
Et ma dernière remarque sera la suivante : étudier en soi le discours
d'exclusion peut nous faire oublier que pendant des décennies des gens
d'origine diverse, tant bien que mal, dans la vie quotidienne, ont essayé
de coexister. Ailleurs, on discutait sur la convenance des mariages
mixtes, tandis que d'autres dans leurs villages pratiquaient ces unions,
pas très nombreuses il est vrai ; ces gens habitaient les mêmes quartiers
et parfois même fraternisaient. N'oublions pas que le problème converso
s'est éteint de lui-même sans expulsion, sans drame collectif. La réalité
de ces siècles est fort complexe ; elle ne peut donc se saisir dans sa
totalité dans l'analyse du discours dominant ; le discours d'exclusion est
certainement celui qui a eu le plus de prise sur la réalité politique et
sociale de l'époque. Il ne fut pas le seul.
Louis CARDAILLAC
(Université de Montpellier III)

(60) Le traité de Pedro de Valencia a fait l'objet d'une édition et d'une étude de
Régine Castellarnau, Toulouse, Thèse de 3 cycle, Université de Toulouse-Le-Mirail, 1981.
LE DISCOURS D ' E X C L U S I O N DES « D É V I A N T S »
TENU PAR L'INQUISITION
A l'ÉPOQUE DE CHARLES QUINT

La nouvelle Inquisition fut officiellement instaurée en Espagne, à la


fin du X V siècle, pour protéger l'intégrité de la foi en luttant contre les
hérésies. Par essence, elle ne pouvait donc avoir qu'une action
répressive. Il lui incombait de localiser les «déviants» (ceux qui
enfreignaient la norme), de les isoler de la communauté, de les
poursuivre, de leur faire reconnaître que leurs croyances étaient
« erronées » ou « hérétiques » et de leur infliger un châtiment en
conséquence, les peines attribuées ayant des effets à court et à long
terme.
Cette puissance redoutable ne cessa de croître jusqu'en 1560 puisque
le Saint-Office eut à connaître non seulement d'hérésie et d'apostasie,
mais encore de délits divers tels que la bigamie et la sodomie, cependant
qu'il lui revint d'exercer un contrôle étroit sur les livres. Puissance
d'autant plus redoutable qu'il est fort rare qu'un prévenu poursuivi par
l'Inquisition soit déclaré innocent. Tout est mis en œuvre pour le perdre
et permettre sa condamnation, c'est-à-dire pour le transformer en exclu.
Et même si par bonheur il est blanchi, il n'en continue pas moins à
supporter l'infamie et le rejet qui s'attachent à celui qui a eu affaire aux
inquisiteurs.
Mais les poursuites impliquaient un langage normatif et une procédu-
re. L'institution inquisitoriale fut ainsi conduite à se donner un code.
Dès le X I V siècle, l'Inquisition médiévale disposait du Directorium
inquisitorum de Nicolau Eymerich, qui sortit des presses au début du
X V I siècle et qui eut une nouvelle vie à partir de 1578, grâce aux gloses
de Francisco Peña (1). Mais le Manuel d'Eymerich était trop général,
cependant que d'autres formes d'hérésie — qu'il ne pouvait prévoir —
étaient apparues. C'est pourquoi Torquemada, le premier Inquisiteur
général de Castille, avait été amené, en 1484, à réunir une série
d'Instructions à l'usage du Saint-Office, qui furent complétées en 1485 et
1498. Son successeur, Diego de Deza, fit de même en 1500 et 1503. Pour

(1) Cf. l'édition récente du texte de Nicolau Eymerich, faite d'après celle de l'abbé
Marchena de 1821 : Manual de Inquisidores para uso de las Inquisiciones de España y
Portugal (Barcelona, Fontamara, 1974). Cf. aussi l'édition française: Nicolau Eymerich-
Francisco Peña, Le manuel des inquisiteurs (introduction, trad. et notes de Louis
Sala-Molins, Paris-La Haye, Mouton, 1973).
la période qui nous intéresse, la procédure inquisitoriale est régie par ces
dispositions puisqu'il faudra attendre 1561 pour que le Grand Inquisiteur
Fernando de Valdés en promulgue d'autres (2). Toutefois, comme celles
de Torquemada-Deza étaient souvent inadaptées aux situations spéci-
fiques de l'époque de Charles Quint, le Conseil de l'Inquisition fut
obligé, fréquemment, d'adresser des directives aux tribunaux de district
et de répondre aux nombreuses questions que lui posaient les inquisiteurs
provinciaux, même si, à l'occasion, ces derniers pouvaient s'appuyer sur
le Repertorium inquisitorum paru à Valence en 1494 (3).
C'est à travers cette correspondance — que nous avons été amené à
examiner au cours de nos recherches dans les Archives inquisitoriales —,
ainsi qu'à travers les indications fournies par divers procès ou par
certains écrits contemporains que nous voudrions essayer de cerner le
discours d'exclusion tenu par le Saint-Office à l'égard des «déviants» ou
de ceux qu'il considérait comme tels. Ce qui nous intéresse, en effet,
c'est surtout le discours effectif de l'Inquisition en fonction de la
conjoncture, plus que le discours normatif (et général) qui se dégage des
instructions auxquelles nous avons fait allusion ou de tel Manuel à
l'usage des inquisiteurs.

Le discours inquisitorial d'exclusion utilise plusieurs schémas. Le plus


fréquent consiste à souligner la déviance par rapport à la norme
officielle, c'est-à-dire par rapport aux croyances et aux comportements
orthodoxes dominants. Mais rapidement le discours passe d'un plan
strictement religieux à un plan racial et social. L'Inquisition en arrive en
effet à poser une sorte de postulat : de par leurs origines, certains
membres de la communauté introduisent l'infection dans l'organisme
qu'elle constitue, car ils sont voués à la déviance la plus caractérisée :
l'apostasie. Il s'agit évidemment des nouveaux chrétiens et notamment
des nouveaux chrétiens d'origine juive : il est bien connu que jusque vers
1530 les victimes les plus nombreuses de l'institution inquisitoriale furent
les conversos (4).
Mais avant d'aller plus loin, il faut insister sur les caractéristiques du
Saint-Office. Tribunal d'Eglise créé pour protéger la pureté de la foi
catholique, il est davantage encore un tribunal d'Etat politiquement
soumis à la Couronne puisque l'Inquisiteur général est nommé par le

(2) Cf. José Luis González Novalín, El Inquisidor General Fernando de Valdés
(1483-1568) (2 t., Universidad de Oviedo, 1968-1971), I, p. 237 sq. Cf. aussi id., « Reforma
de las leyes, competencia y actividades del Santo Officio durante la presidencia del
Inquisidor General don Fernando de Valdés (1547-1566)» (in La Inquisición española.
Nueva visión, nuevos horizontes, vol. dirigido por Joaquín Pérez Villanueva, Madrid, Siglo
Veintiuno, 1980), p. 209-213.
(3) Cf. l'édition française : Le dictionnaire des inquisiteurs (introduction, trad. et notes
de Louis Sala-Molins, Paris, Ed. Galilée, 1981).
(4) C'est ce que confirment les recherches récentes. Cf. par exemple Ricardo García
Cárcel, Origenes de la Inquisición española. El tribunal de Valencia, 1478-1530 (Barcelona,
Ed. Península, 1976), p. 194 sq.
souverain et que le Conseil de l'Inquisition est un conseil de gouverne-
ment au même titre que les autres (5). Il a été un instrument utilisé par
le centralisme monarchique pour cimenter l'Etat moderne en formation
sur une base religieuse unitaire, un instrument qui a permis de contrôler
la vie et la pensée des sujets, d'éliminer tout ce qui pouvait contrarier le
renforcement du pouvoir royal allant de pair avec celui de l'unité
«nationale». La Couronne a donc permis l'élimination des nouveaux
chrétiens accusés de judaïser. Mais cette élimination a également d'autres
causes qu'il ne faut pas oublier.
Malgré l'emprise du souverain, l'Inquisition — et le Conseil plus
directement — a eu tendance à acquérir le plus d'autonomie possible
(même si la marge de manœuvre était souvent étroite), n'hésitant pas
pour cela, lorsque l'occasion se présentait, à jouer du pape contre le
roi (6). Il faut avoir cette tendance présente à l'esprit pour comprendre
le rôle effectif que le Saint-Office a pu jouer. En effet, au Conseil de
l'Inquisition, qui acquiert une autorité croissante sur les tribunaux de
district, et à la tête de ceux-ci, apparaissent rapidement des juristes vieux
chrétiens, qui appartiennent en particulier aux couches supérieures du
monde rural, à cette fraction de riches laboureurs en réelle
expansion (7). Ils ont véhiculé une idéologie étroitement orthodoxe,

5) Sur les diverses interprétations de l'Inquisition, cf. la synthèse de R. García


Càrcel, ibid., pp. 13-33. Contre vents et marées, Louis Sala-Molins continue à défendre la
thèse d'un Saint-Office étroitement dépendant de Rome et donc tribunal ecclésiastique : cf.
son introduction à Le dictionnaire des inquisiteurs, op. cit. La position de Bartolomé
Bennassar qui fait de l'Inquisition un tribunal d'Etat paraît plus conforme à la réalité. Cf.
de cet auteur (et alii), L'Inquisition espagnole ( X V - X I X siècle) (Paris, Hachette, 1979),
p. 75 sq., ainsi que son article «L'Inquisition espagnole au service de l'Etat» (in L'Histoire,
n° 15, sept. 1979, p. 36-46). Pour d'autres chercheurs comme Francisco Tomás y Valiente,
il faut privilégier le caractère mixte de l'institution inquisitoriale : cf. « Relaciones de la
Inquisición con el aparato institucional del Estado» (in La Inquisición espańola, op. cit.,
p. 45-46).
(6) Cf. F. Tomás Valiente, op. cit., p. 47-47. Cf. également J. Ignacio Tellechea
Idígoras, «El proceso del arzobispo Carranza, test de las tensiones Iglesia-Estado», p. 70.
— Il est significatif que, entre 1516 et 1518, alors que le pouvoir royal envisageait une
réforme de l'Inquisition et une limitation des prérogatives du Saint-Office, le Conseil ait
tout mis en œuvre, par l'intermédiaire de son représentant à Rome, pour amener le pape à
ne pas donner suite aux projets de la couronne inspirés par le Grand Chancelier Jean le
Sauvage, que l'on disait à la solde des conversos. Finalement, ce fut le souverain lui-même
qui, à la demande de la Suprema, enjoignit à son ambassadeur auprès du Saint-Siège de
faire annuler la convention signée au moment des cortès de Saragosse de 1518 et qui
prévoyait une importante modification de la structure et de la procédure inquisitoriales. Il
est vrai que Le Sauvage était mort entre temps... (cf. la lettre de Charles à l'ambassadeur
Luis Carroz en date du 7 mai 1519 et d'autres lettres sur le même sujet: A.H.N.,
Inquisición, libro 256, fol. 475 v°-476 r°, 476 r°-v°, 476 v°-477 r°). En d'autres occasions, le
Saint-Office s'appuya sur la Couronne contre le Pape, notamment lorsque les nouveaux
chrétiens Diego de las Casas et Alonso Gutiérrez, forts de l'accord auquel nous venons de
nous référer, réussirent à obtenir du Saint-Siège des brefs qui restreignaient les pouvoirs de
l'Inquisition (cf. A.H.N., Inquisición, libro 256, fol. 473 v°-475 v° et fol. 492 r°-493 r°;
lettres d'avril et juillet 1519).
(7) L'auteur d'un mémoire inédit demandant la réforme du Saint-Office, au moment
des cortès de Tolède de 1538-1539 (cf. infra note 16), nous fournit un témoignage de poids
à ce propos puisqu'il écrit: «... que los Inquisidores son honbres y los secretarios son
honbres, tan pecadores como otros, y aun muchos dellos labradores, nasción muy contraria
de los conversos... » (fol. 15 r°). L'aversion des laboureurs vieux chrétiens à l'égard des
«nationaliste», ségrégationniste et donc anti-conversa. Les nouveaux
chrétiens, suspects de judaïser, ont été leur cible favorite. Il est vrai que
l'offensive contre les conversos s'est alimentée d'un antisémitisme
populaire largement répandu. C'est que les nouveaux chrétiens consti-
tuaient, vers la fin du X V siècle, une partie importante des classes
moyennes urbaines en plein essor économique et intellectuel. Hommes
d'argent — ils étaient en particulier les collecteurs d'impôts tant haïs —
et de négoce, hommes de science, bien placés dans l'administration et les
conseils royaux, le gouvernement des villes (nombreux regidores), l'Eglise
(une part des cadres du clergé séculier et du clergé régulier), unis d'autre
part à la noblesse par des liens matrimoniaux, ils ont provoqué la
jalousie et la haine des masses, et notamment des laboureurs fiers de
leur pureté de sang. Celle aussi des secteurs vieux chrétiens et
conservateurs de l'Eglise, qui se sont considérés spoliés des bénéfices et
des honneurs qu'ils considéraient comme leurs, et ce, d'autant plus que
les premières poursuites inquisitoriales ont paru mettre en évidence
l'apostasie de bon nombre de nouveaux convertis (8).
La politique de la Couronne ne peut ainsi être séparée d'un contexte
qui met en évidence des conflits non seulement spirituels, mais davantage
encore économiques et sociaux. L'Inquisition a contribué à régler à sa
façon — c'est-à-dire fort mal — le problème posé par la place des
conversos dans la société espagnole (9). Il est vrai également que la
grande aristocratie terrienne (qui avait conquis de nouveaux fiefs dans le
royaume de Grenade et pouvait se passer de l'argent des descendants des
juifs) laissa faire. Voulut-elle se dédouaner et effacer le souvenir de ses
apparentements «impurs» ou pensa-t-elle que son hégémonie risquait

conversos est suffisamment connue pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir (cf. par
exemple Antonio Domínguez Ortiz, Los juedeoconversos en España y América, Madrid,
Istmo, 1971). — Il ne faut pas oublier, d'autre part, que les Colegios Mayores les plus
prestigieux — San Bartolomé de Salamanque, Santa Cruz de Valladolid — avaient introduit
des statuts de pureté de sang pour leurs membres dès le X V siècle (cf. Albert A. Sicroff,
Les controverses des statuts de pureté de sang en Espagne du X V au X V I I siècle, Paris,
Didier, 1960, p. 80-90) et que l'Inquisition recruta souvent parmi les juristes qui s'y
formaient le personnel dont elle avait besoin, car ils alliaient à une solide formation la
réputation d'appartenir à des familles de vieux chrétiens. Or, les laboureurs se vantaient de
n'avoir pas été contaminés par les juifs, dont les activités étaient totalement étrangères aux
leurs... On comprendra toute la portée du témoignage que nous avons précédemment cité.
(8) De ce point de vue, le cas le plus significatif est sans doute celui de Juan
Martínez Silíceo, d'humble souche paysanne, mais qui devint archevêque de Tolède en 1546
et se heurta au puissant chapitre tolédan, dans lequel figuraient plusieurs chanoines
appartenant à d'importantes familles tolédanes conversas. Il fut à l'origine du statut de
pureté de sang qui s'appliqua au chapitre tolédan et donna lieu à un grand débat. La
double ratification du souverain et du pape marqua la cristallisation de l'obsession de toute
l'Espagne (cf. Albert A. Sicroff, Les controverses des statuts de pureté de sang..., p. 95 sq.
et Julio Caro Baroja, Los judíos en la España moderna y contemporánea, 3 t., Madrid,
Arion, 1962, II, p. 276 sq.)
(9) Cf. Henry Kamen, Histoire de l'Inquisition espagnole (Paris, Albin Michel, 1966),
p. 59-60. Cf. également Francisco Márquez Villanueva, « Conversos y cargos concejiles en
el siglo XV » (in Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, LXIII, 1957, p. 503-540),
p. 536-537.
d'être mise en péril par la montée de cette bourgeoisie urbaine (10) ?
Quoi qu'il en soit, la liquidation des nouveaux chrétiens avec le rituel
cortège d'autodafés, de bûchers, de confiscations de biens et de
déshonneur pour les condamnés et leur famille fut la triste réalité des
années 1480-1530 (11).
Le discours de l'Inquisition à l'égard des conversos est, depuis le
début, un discours d'exclusion. Cela est visible dès le texte qui, le 27
septembre 1480, donne aux inquisiteurs le pouvoir de poursuivre «ceux
qui ont pris seulement le nom et l'apparence de chrétiens, mais qui
reviennent à la secte et aux superstitions des juifs et observent les
cérémonies, rites et coutumes judaïques» (12).
Il s'agit là d'une entreprise qui conduit à l'élimination systématique,
en divers endroits, des nouveaux chrétiens — dont tous étaient bien loin

(10) Les cortès aragonaises et les cortès castillanes protestèrent à diverses reprises
contre les agissements de l'Inquisition. Les représentants des 18 villes de Castille qui
avaient droit à siéger aux cortès appartenaient à cette noblesse urbaine liée souvent aux
riches négociants conversos. C'est d'elle qu'émanèrent des requêtes visant à réformer le
Saint-Office, aussi bien en 1520 qu'en 1523 ou 1525, par exemple (cf. Cortes de los antiguos
reinos de León y de Castilla (Madrid, Real Academia de la Historia), t. IV, 1882, p. 322,
381 et 414) et non de la grande aristocratie terrienne.
(11) Il est bien connu qu'on a attribué l'origine de l'Inquisition à la cupidité des Rois
Catholiques qui pensaient résoudre les problèmes économiques auxquels ils avaient à faire
face grâce aux richesses des conversos (de ce point de vue, l'expulsion des juifs en 1492
était complémentaire de la création du Saint-Office puisque ceux qui restaient devenaient
chrétiens et constituaient ipso facto une proie pour les inquisiteurs). Il est difficile d'avoir
des données chiffrées précises sur les rentrées financières liées aux condamnations et à leur
suite (confiscation de biens, amendes, habilitations, suppression d'habits de pénitence,
etc...). Jusqu'en 1530, il semble que l'opération ait été incontestablement positive. Ainsi, et
pour le tribunal de Valence, R. García Cárcel a pu montrer que les recettes étaient
nettement supérieures aux dépenses — du simple au double — : sur les 31 années pour
lesquelles il a pu recueillir des données, le solde global était le suivant: 6.431.517 sols de
crédit contre 3.476.085 sols de débit (cf. Orígenes de la Inquisición española, p. 151).
L'excédent revint à la Couronne. Tristán de León affirma postérieurement à l'empereur que
les Rois Catholiques avaient retiré plus de dix millions de ducats de l'entreprise
inquisitoriale (cf. Henri Charles Lea, A History of the Inquisition of Spain, 4 t., New York,
Macmillan, 1906-1907, II, p. 367 et Tarsicio de Azcona, Isabel la Católica, Madrid, B.A.C.,
1964, p. 422). Après 1530, l'opération fut moins intéressante, sinon franchement déficitaire
pendant certaines périodes (cf. H. Kamen, Histoire de l'Inquisition espagnole, p. 156 sq.).
Pour ce qui est des origines de l'Inquisition, il est difficile de mettre en avant la cupidité
des Rois Catholiques, même si les aspects financiers de cette institution ne doivent pas être
ignorés. En effet, les projets de restauration économique du pays, nourris par les
souverains, ne pouvaient comporter l'élimination de l'active bourgeoisie conversa (cf. les
pertinentes remarques de A. Domínguez Ortiz, Los judeoconversos..., p. 37-38). Il faut
bien admettre que le dessein politique (unité «nationale» cimentée par la religion) a primé
toute autre considération et qu'ils ont accepté les poursuites contre les conversos accusés de
judaïser. En revanche, l'Inquisition est allée au-delà de la tâche qui lui avait été assignée,
en présentant presque systématiquement les nouveaux chrétiens comme des judaïsants.
(12) Cf. ce texte par exemple dans R. García Cárcel, Orígenes de la Inquisición
española, p. 195. — Sur l'action de l'Inquisition contre les nouveaux chrétiens judaïsants ou
prétendus tels, cf. Bernardino Llorca, «La Inquisición española y los conversos judíos o
marranos» (in Sefarad, II, 1942, p. 113-151) et «Los conversos judíos y la Inquisición
española » (in Sefarad, VIII, 1948), p. 357-389). Cf. aussi: José Cabezudo Astraín, «Los
conversos aragoneses según los procesos de la Inquisición» (in Sefarad, XVII, 1958,
p. 272-282).
de judaïser —, par le seul fait qu'ils étaient d'origine juive (13). Cela a
été souligné très tôt par un Hernando del Pulgar ou un fray Hernando
de Talavera, eux-mêmes conversos, mais chrétiens sincères (14). Ce
discours d'exclusion ne variera pas tout au long de l'époque de Charles
Quint, même si après 1530 il ne se traduit pas dans les faits par les
grandes poursuites antérieures, d'autant plus qu'il y a les quelques
années d'accalmie qui correspondent à « l'invasion érasmienne » en
Espagne (15). Mais il connaît des moments d'intensification en période

(13) L'historiographie juive considère fréquemment que la plupart des nouveaux


chrétiens n'avaient pas abandonné, en se convertissant, la religion de leurs pères (cf.
notamment Fritz Baer, Die Juden in Christlichen Spanien, 2 t., Berlin, Akademic Verlag &
Schocken Verlag, 1929-1936). Cette thèse donnerait raison aux inquisiteurs, qui voyaient en
tout converso (ou presque) un judaïsant. Il faut noter cependant la position diamétralement
opposée de B. Netanyahu (The Marranos according to the Hebrew Sources of the 15 th and
Early 16 th Centuries, The American Academy for Jewish Research, XXXI, 1963) pour qui
la grande majorité des nouveaux chrétiens, à l'époque de l'établissement de l'Inquisition,
étaient effectivement des chrétiens. Ce serait l'action du Saint-Office qui aurait provoqué
un nouvel essor du judaïsme. — Il semble bien que la réalité ait été différente. Parmi les
conversos, antérieurement à 1492, il y avait incontestablement des judaïsants ; d'autres
pratiquaient une sorte de religion syncrétique et d'autres enfin — surtout parmi ceux qui
avaient le rang social le plus élevé — étaient des chrétiens sincères. Il va de soi que les
conversions forcées de 1492 augmentèrent le nombre des judaïsants. Mais au fil des ans, les
nouveaux convertis ou leurs descendants s'assimilèrent dans leur presque totalité et le
criptojudaïsme fut très réduit (cf. par exemple A. Domínguez Ortiz, Los judeoconversos...,
op. cit.)
(14) Cf. ce qu'écrivait Hernando del Pulgar dans sa Crónica de los Reyes Católicos
(2 t., Madrid, Espasa Calpe, 1943, chap. CXX, t. I, p. 439): «Algunos de los parientes de
los presos e de los condenados notificaron al Rey e a la Reyna que aquella ynquisiçión e
execuçión no se hacía en la forma que devía ser fecha por justiçia, e que era muy
agraviada, por muchas raçones. Espeçialmente dizían que la bula que se ynpetró del Papa
sobresta materia conprehendía solamente a los cristianos convertidos a la Fe del linaje de
los judíos, e no otros algunos, donde se presumía quel procurador que la ynpetró quiso
macular a todos los de aquel linage, haciendo en aquella bula espeçialidat dellos e no de
otros». Certes Pulgar semble uniquement rapporter des propos de nouveaux chrétiens, mais
l'insistance avec laquelle il transcrit ces propos dans le passage cité et dans d'autres montre
qu'il n'est pas loin de penser de méme et de trouver que la discrimination de fait dont
souffrent les conversos est en contradiction avec les principes du catholicisme et totalement
inacceptable. — Dans la Católica impugnación, fray Hernando de Talavera s'en prend bien
aux faux convertis, mais il n'en affirme pas moins: «Que yerra gravemente el que de -
nuesta a los cristianos nuevamente convertidos llamándolos marranos y marrandíes y mucho
más llamándolos herejes» (chap. VIII, p. 82, Barcelona, Juan Flors, 1961). Et dans la
«Confession de foi» qu'il enregistra devant notaire, le 14 mai 1507, alors qu'il était á
l'article de la mort, fray Hernando affirme sans ambages: «... el liçençiado Luzero y sus
cónplizes querían dar una grand manzilla en la santa yglesia destos Reygnos, procurando
que no obiese conversos, lo qual es manifiesto contra la santa fee católica, que quiere que
no aya distinçión de Judío ni de Griego, y que donde quiera que bivieren sean Reçebidos y
tratados como un pueblo y como aquellos que tienen una fee y un bautismo...» (cf. ce
texte en appendice au travail de Tarsicio de Azcona «La Inquisición española procesada
por la Congregación General de 1508 » in La Inquisición española, op. cit., p. 130).
(15) Il va de soi qu après les éliminations en masse de la première période, il était plus
difficile pour le Saint-Office de trouver des «judaïsants», d'autant plus que nombre de
conversos s'étaient fondus dans la masse des vieux chrétiens, parfois en changeant de nom
ou (et) de lieu d'implantation. Sur les débuts du règne de Charles Quint, cf. Fidel Fita,
«Los judaizantes españoles en los cinco primeros años (1516-1520) del reinado de Carlos I»
(Boletín de la Real Academia de la Historia, XXXIII, 1898, p. 307-348). — Sur la vague
érasmienne en Espagne, dont le sommet se situe aux alentours de 1528-1530, cf. Marcel
Bataillon, Erasmo y España (México-Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1966).
VÊLEZ DE GUEVARA, Luis: 101, W
186, 197.
VÉLEZ-MALAGA : 119.
WACHTEL, N. : 93.
VENDRELL DE MILLÁS, Francisca : WAGNER, C.P. : 208.
80.
WAGNER, Klaus: 80.
VENEGAS, Alejo : 150, 162. WARD, D. : 178, 183, 185, 186.
VENISE : 133, 149, 169. WARNKE, K. : 181.
VERDÚ, fray Blas : 13, 15. WASHINGTON: 210.
VERGARA, Juan de : 36, 37, 44. WILSON, M. : 194.
VERINO: 243.
WITTENBERG: 32, 33.
VERRE, licencié de: cf. VIDRIERA,
licencié.
VEXLIARD, A. : 145, 146.
Viaje de Turquía: 156.
VIANA, Felipe de: 117, 118.
VIC: 97. X
VIDRIERA, licencié: 227, 235, 237.
VIERGE, sainte: 55. XARDIM, J u a n : 30.
VIGIER, Françoise: 8, 228, 239. XÉRICA, el donzel d e : 233.
VILAR, Jean: 5, 11, 77, 165, 259, XIMÉNEZ DE EMBUM (famille) : 82,
269. 84.
VILAR, Pierre: 136, 166. XIMÉNEZ DE RADA, Rodrigo : 87.
VILLALAR: 34.
VILLALBA, Marc de: 141.
VILLALBA Y ESTANA, B. : 233.
VILLACORTA, T. : 168.
VILLALOBOS (doyen de Salaman-
que) : 14. Y
VILLALÓN, Cristóbal de: 154.
VILLALVILLA: 143. YAMA: 202.
VILLANUEVA, saint Thomas de : 40. YAMI : 202.
VILLAR MALDONADO, Ignacio: 61. YÁÑEZ FAJARDO, Diego A n t o n i o :
VILLARASA, Juan de: 120, 121. 131.
VILLENA, Enrique de: 141, 142, 158. YATES, Frances A. : 225.
VILLEGAS, Antonio de: 82.
VILLENEUVE, Roland: 41.
VIN AVER, E. : 207.
VINCENT, Bernard: 7, 11, 21, 38,
40, 79, 93, 94, 119, 121, 138, 161.
VIN AS MEY, Carmelo : 148.
Z
VIRUÉS, Alonso de : 37.
Visages de la folie: 5, 8, 180, 239.
VISO, marquis del : 261. ZAMORA: 107.
VITAL, Laurent: 168. ZAMORA, évêque de : 172-173.
VIVASVAT: 202. ZEUS : 188.
VIVES, Juan Luis: 36, 154, 161. ZORRILLA, J o s é : 77.
VIVES Y MORA, Francisco : 16. ZUGARRAMORDI : 97, 98.
VRIES, J. de: 187. ZYSBERG, A n d r é : 257, 258.

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