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2022 07:33

Continuité

Art déco
Montréal moderne
Sandra Cohen-Rose

Numéro 128, printemps 2011

URI : https://id.erudit.org/iderudit/64360ac

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Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

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Citer cet article


Cohen-Rose, S. (2011). Art déco : Montréal moderne. Continuité, (128), 10–12.

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M M é m o i r e

ART DÉCO bre et baignées de lumière pro-


venant de luminaires circu-

MONTRÉAL MODERNE laires encastrés, est toujours


appréciée pour son esprit de
modernité.
Illuminée par le soleil couchant
ou par l’éclairage électrique, la
tour de l’Université de Mont-
réal se transforme en lance
dorée. Devant, quatre grandes
urnes de style classique, sym-
bolisant l’accumulation des
connaissances, tiennent une
vigile silencieuse.

Le pavillon Roger-Gaudry de l’Université de Montréal, UN RESTAURANT-BATEAU


signé Ernest Cormier, a été le premier édifice moderne Depuis sa fermeture en 1999,
d’importance au pays. le restaurant du neuvième
Photo : Linda Turgeon étage du magasin Eaton, un
joyau classé monument histo-
rique, reste désert, dans l’at-
En mai 2009, Montréal accueillait le 10e Congrès mondial sur l’Art tente d’être restauré.
En pénétrant dans cette salle
déco de l’International Coalition of Art Deco Societies. À cette occasion, où l’Art déco se dévoile dans
toute sa splendeur urbaine, on
le patrimoine Art déco de Montréal a été reconnu mondialement. est vite ramené dans les années
1930. On s’y prend aisément
pour un passager de première
Parcours en cinq temps. classe voyageant sur un transat-
lantique luxueux entre les
deux guerres. Conçu de main
par Sandra Cohen-Rose lier de l’enseignement univer- de maître par l’architecte fran-

sitaire au Québec, Cormier n’a çais Jacques Carlu, en collabo-
L’époque de l’Art déco a pas placé la chapelle au centre ration avec les architectes du
laissé une importante trace de la construction. Il y a plutôt magasin Eaton, Ross and Mac-
La cour d’honneur dans l’architecture montréa- installé une tour en forme de donald, le neuvième étage a été
du pavillon est dotée laise. Malgré la disparition de gratte-ciel miniature, qui abrite modelé d’après le S.S. Île-de-
de spectaculaires nombreux édifices de ce style, entre autres une bibliothèque. France, un paquebot de 1927 –
luminaires circulaires. la métropole est toujours riche Construit en béton armé, orné le favori de feu madame Eaton.
de ces constructions des années de granit et de marbre de Mis- Carlu avait œuvré sur le S.S.
Photo : François Rivard
1920 à 1950. sisquoi, l’édifice arbore un re- Île-de-France sous la direction
vêtement de brique vitrifiée de Pierre Patout.
UN PAVILLON D’OR chamois qui accentue sa struc- Égalant en opulence les salles
Un premier témoin majeur se ture linéaire et produit un effet de bal des transatlantiques de
dresse sur le versant nord du moderne et lumineux. Au dé- l’époque, la spacieuse salle à
mont Royal : le pavillon princi- part, Cormier a dû faire face à manger de 40 m sur 23 prend la
pal de l’Université de Montréal, une forte opposition concer- forme d’une nef immense. Les
aujourd’hui le pavillon Roger- nant l’utilisation de la brique, plafonds, qui atteignent 10,7 m,
Gaudry, édifié de 1924 à 1942 et celle-ci n’étant habituellement absorbent la lumière naturelle
imaginé par Ernest Cormier, ar- pas employée pour des struc- et artificielle filtrée par du verre
chitecte montréalais réputé. Au tures monumentales. dépoli ou opale. En support
lieu de concevoir un pavillon de À la base de la tour, de grandes aux fenêtres en claire-voie,
style gothique, comme on le lui portes en bois couleur miel ac- 16 colonnes de marbre d’Esca-
avait demandé, Cormier a créé cueillent le visiteur et l’invitent lette, aux coloris roses et gris
le premier édifice moderne à pénétrer dans la cour d’hon- pâle, ajoutent à la majesté de la
d’importance au Canada. neur et l’amphithéâtre. La salle. Conformément à l’esprit
En rupture avec la tradition et composition pure de ces salles, Art déco, les murs sont orangés.
voulant symboliser le rôle sécu- aux colonnes couvertes de mar- Le marbre noir de Belgique
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contraste avec l’alliage Monel
blanc des bases de tables, des
portes et des balustrades. L’en-
semble est mis en valeur par un
plancher au dessin harmonieux
en sept teintes, en tuiles de
« ruboléum » provenant de la
Montreal’s Dominion Oilcloth
and Linoleum Company.
Les linteaux entre les colonnes
sont dotés de bas-reliefs aux
motifs d’inspiration culinaire,
exécutés à Paris par le sculp-
teur français Denis Gélin
dans une approche cubiste.
Natacha Carlu, l’épouse de
Jacques Carlu, a peint à Paris
les longues murales exposées
aux deux extrémités de la salle
à manger, sous lesquelles se De pur style Art déco, l’édifice Aldred évoque une fontaine figée. Le restaurant du neuvième
trouvent des fontaines illumi- Photos : Sandra Cohen-Rose et Colin Rose étage du magasin Eaton a
nées. Le neuvième étage du été conçu sur le modèle du
magasin Eaton témoigne de la S.S. Île-de-France, un paquebot
collaboration entre architectes contraste, les entrées et les fe- Marie-Victorin, le pavillon est de 1927.
et artistes et des liens étroits nêtres du rez-de-chaussée sont doté de splendides bas-reliefs
qui unissaient les communau- couvertes de motifs floraux, ty- exécutés par les sculpteurs
tés artistiques de Paris et de piques de l’Art déco nordique : montréalais Henri Hébert et
Montréal. pin, chêne et branches d’érable. Joseph Guardo.
Au-dessus des entrées princi- Les façades peu profondes, ver-
COMME UNE FONTAINE pales, des horloges octogonales, ticales, donnent à cet édifice
Le plus bel exemple montréa- serties dans de la ferronnerie plutôt bas, symétrique et conçu
lais d’architecture de pur style très ouvragée, marquent le en brique et en pierre une forte
Art déco, l’édifice Aldred, par temps en chiffres romains. Dans impression d’élan vers le ciel.
Barott and Blackader, ressem- le hall, du marbre précieux, des Dans son axe central, une fon-
ble à une immense fontaine portes d’ascenseur en bronze taine à paliers aboutit à un bas-
figée. Sa forme pyramidale gravé, des grillages aux décors relief octogonal qui représente
tronquée, dont les étages supé- complexes, des luminaires aux un vieil homme, le Temps, por-
rieurs s’élèvent en retrait, a été formes allongées et octogonales tant la barbe et tenant dans ses
édictée par le règlement muni- ainsi que des frises créent une mains un sablier. Il prend les
cipal. Nommé en l’honneur de atmosphère luxueuse. Des pan- traits de Neptune, le dieu des
J. E. Aldred, président de la neaux de bronze moulé repré- Eaux dans la mythologie ro-
Shawinigan Water and Power sentent des volées d’oiseaux maine. Grâce au temps et à l’eau,
Company, le bâtiment fait seu- venues se percher sur des fils les arbres et les arbustes se déve-
lement 98 m de haut et compte télégraphiques et symbolisent loppent et s’épanouissent.
23 étages (dont un 13e étage). Il à leur tour la nature et la En haut des murs, sous des Un bas-relief d’Henri Hébert
semble donc, selon les stan- technologie. urnes de pierre, Hébert a ornant le pavillon administratif
dards new-yorkais, plutôt trapu. sculpté quatre grands bas- du Jardin botanique.
L’utilisation de contreforts ver- BAS-RELIEFS AU JARDIN reliefs colorés. Chacun repré-
ticaux tronqués aux 8e, 13e et Datant de 1932, le pavillon ad- sente une plante du Canada. en latin du club des jeunes natu-
16e étages, mais qui se poursui- ministratif du Jardin botanique Au-dessus de l’entrée, un autre ralistes, « Considérez comment
vent sur toute la hauteur de de Montréal fut l’un des plus bas-relief d’Hébert, dont les croissent les lis des champs ».
l’édifice, confère un effet de grands défis de la Ville en ma- lignes simplifiées sont caractéris- Le pavillon du Jardin botanique
cascade à la façade réalisée en tière de création d’emplois tiques de l’époque, montre deux témoigne du pouvoir de la col-
calcaire d’Indiana. Des tym- en pleine crise économique. jeunes filles arborant les che- laboration dans la réalisation
pans décorés de dessins futu- Conçu par l’architecte de la veux courts typiques des années d’un projet architectural où l’or-
ristes en fonte d’aluminium et Ville, Lucien Kéroack, en 1930. Le plancher du hall est in- nementation joue un rôle
en verre noir accentuent la ver- consultation avec le fondateur crusté d’un charmant dessin de unique.
ticalité de l’immeuble. En du Jardin, le frère botaniste lis stylisés qui entoure le slogan
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M é m o i r e

L’HÉRITAGE DE DOM BELLOT un excellent exemple d’un style


architectural d’églises catho-
Avant la Révolution tranquille, liques que l’on trouve, hors de
les églises catholiques se multi- l’Europe, seulement au Québec
pliaient afin d’accueillir les et dans l’est de l’Ontario : le style
nombreux fidèles. L’une des Art déco ecclésiastique que l’on
plus remarquables églises Art nomme le dom-bellotisme. Il
déco, celle de Saint-Jean- doit son nom au moine architecte
Berchmans (1938-1939), s’avère français Dom Bellot, qui croyait

en la nécessité de moderniser L’église Saint-Jean-Berchmans,


Michel Gilbert l’architecture des églises catho- fière représentante du
restauration de mobilier et objets d'art anciens liques. dom-bellotisme
Les architectes Lucien Parent Photo : François Rivard
et René-Rodolphe Tourville,
qui furent les collaborateurs de la couleur, dans ce cas-ci une
Dom Bellot lors de la construc- lumière jaune tamisée qui pé-
tion de la basilique de l’Oratoire nètre par les fenêtres et illu-
Saint-Joseph, se sont inspirés mine les formes. Les bas-reliefs
de son esthétique pour conce- au-dessus des portes d’entrée,
voir l’église de Saint-Jean- exécutés par Henri Hébert, té-
Berchmans. moignent encore une fois de
Les formes et les lignes mar- l’usage des éléments décoratifs
quent la prédominance de l’au- et de l’étroite collaboration entre
tel et y attirent l’œil. De grandes les architectes et les artistes pen-
voûtes en chaînette constituent dant la période Art déco.
la charpente. De hautes fenê- ■
tres éclairent directement la nef, Sandra Cohen-Rose est la prési-
à l’extérieur de laquelle sont dente fondatrice d’Art Déco Mont-
situés les bas-côtés. réal et l’auteure de Northern
Tout comme Dom Bellot, Deco. Art Deco Architecture in
Parent et Tourville ont utilisé Montreal.

Coiffeuse Art déco (c. 1935)



Attribuée à Jean-Marie Gauvreau
Directeur, École du meuble de Montréal MORDU D’ART DÉCO
Acajou, contreplaqué, laiton, verre, tissu
Art Déco Montréal, un organisme bilingue à but non
Collection Famille Lemelin (Les Plouffe)
lucratif, fait connaître et apprécier la période Art déco pour
mieux assurer la protection du patrimoine de cette époque.
Info : 418 253-5128 • 1 888 515-5128 L’organisme organise régulièrement des tours, des conférences
doucine@globetrotter.net • www.artebois.com et d’autres événements. Info : www.artdecomontreal.com

Le Centre
de conservation
Aux du Québec :
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