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Continuité

Frederick Law Olmsted


Sculpteur de paysages
Daniel Chartier

Numéro 90, automne 2001

Le mont Royal : nature urbaine

URI : https://id.erudit.org/iderudit/16071ac

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Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

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Citer cet article


Chartier, D. (2001). Frederick Law Olmsted : sculpteur de paysages. Continuité,
(90), 23–25.

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p a r Daniel Chartier
FREDERICK LAW OLMSTED

L
e Prospect Park, à Brooklyn,
I ' E m c r a l d N e c k l a c e , à Boston,
les p r e m i e r s p a r c s n a t i o n a u x
a m é r i c a i n s , le p a r c du M o n t -
Royal, à Montréal, c o m p t e n t
Sculpteur de paysages
parmi les oeuvres qu'il a signées,
seul ou en collaboration avec son associé
Calvert Vaux. Frederick Law Olmsted, ce
n é o p h y t e qui a c o n ç u et s u p e r v i s é un
ouvrage aussi magistral et visionnaire que
Central Park à N e w York, s'est contre tout
e n t e n d e m e n t i m p o s é c o m m e un grand
maître. Les oeuvres de ce génie de l'archi-
tecture de paysage et de l'urbanisme ont
profondément marqué l'Amérique et les
c o n c e p t s qu'il a d é f e n d u s a p p a r a i s s e n t
bien souvent comme des caractéristiques
fondamentales de l'américanité.

REDÉCOUVRIR O L M S T E D

Si les décennies 1940 à 1970 ont sérieuse-


m e n t m a l m e n é ce précieux héritage, sa
c o n s e r v a t i o n et sa mise en valeur sont
aujourd'hui revenues a l'honneur. La res-
tauration de Central Park est à la fois cause
et conséquence de la renaissance de N e w
York et bien des villes s'inspirent de cet
exemple.
Au cours des dernières années, la Ville de
Montréal et les Montréalais ont eux aussi
souligné à maintes reprises la nécessité de
s'inspirer de la vision de Frederick Law
O l m s t e d pour m e t t r e a d é q u a t e m e n t le
m o n t Royal e n v a l e u r . C u r i e u s e m e n t ,
c e t t e volonté est s o u v e n t a c c o m p a g n é e
d'interprétations caricaturales, sinon aber- Intimement lié à Vimage de la ville, le parc du Mont-Royal
rantes, de ses i n t e n t i o n s par rapport au
mont Royal. Si l'on veut vraiment tirer parti nourrit l'imaginaire des Montréalais depuis le dernier quart
de cet héritage, il faut à la fois en compren-
dre le sens général et les particularités.
Le document le plus important pour com- du XIX' siècle. A F heure où le sort de la montagne divise
prendre la vision d'Olmsted pour le mont
Royal est sans c o n t e s t e le livre Mount et inquiète, il est bon de revisiter les principes
Royal, paru en 1881, soit quatre ans après
le processus de design. Même s'il est par-
fois difficile de citer cet ouvrage en raison
de celui qui en a conçu Paménagement. Regards sur Fœuvre
d'un style complexe qui multiplie les dou-
bles négations et les preuves par l'absurde, de Frederick Law Olmsted, pionnier etgrand'maître
il d e m e u r e une démonstration éclatante
de la force de p e n s é e de ce visionnaire.
Les principes généraux qu'il dégage peu-
de Farchitecture de paysage en Amérique.
vent encore s'appliquer à une vaste
gamme de projets.
Pour Olmsted, tout aménagement doit se Joyau d u parc du Mont-Royal, le chemin
fonder sur u n e vision à long t e r m e , en O l m s t e d (ou chemin des Calèches)
p e n s a n t aux g é n é r a t i o n s à venir, e t l'on a fait l'objet d'importants travaux
doit respecter s c r u p u l e u s e m e n t c e t t e de réhabilitation dans les années 1990.
vision. L e s a m é n a g e m e n t s n ' a t t e i g n e n t Photo: Daniel Chartier, Ville de Montréal

D o s s i e r numéro quetre-vinp-dix ~
MOUNT ROYAL

Le Design Map, le plan d ' O l m s t e d p o u r toute leur ampleur qu'après plusieurs spécifiquement lié au mont Royal
l'aménagement d u parc du Mont-Royal, décennies, lorsque les arbres ont atteint devraient être implantés ailleurs.
est a d o p t é par le conseil municipal de leur maturité et que les sous-bois se sont Il importe de servir l'ensemble des
M o n t r é a l en 1877. Frederick Law O l m s t e d reconstitués. citoyens, en n'oubliant pas les gens fai-
souhaitait que la montagne soit découverte
Chaque intervention, grande ou petite, bles ou malades, qui ont le plus besoin de
du bas vers le haut, doucement. La Côte
doit aussi être subordonnée à une idée ces lieux. Aussi, l'idée directrice est-elle
Placide, le Piedmont, la Pente rocheuse,
l'Escarpement, le Serpentin, la Fougeraie, directrice forte, car tous les éléments d'inciter les visiteurs à monter lentement
la Clairière, le Sommet sont autant d'une œuvre d'art véritable sont au service la montagne en profitant du charme des
d'étapes qui offrent une transition du concept. Il faut faire du lieu une œuvre paysages naturels.
entre la ville et la montagne. d'art globale, non simplement une accumu- Pour Olmsted, cette approche contreba-
Source: Services des parcs. Ville de lation d'éléments fonctionnels ou esthéti- lance mieux que toute autre les influen-
Montréal ques, fussent-ils artistiques. ces urbaines néfastes. Non seulement elle
La nature exceptionnelle du mont Royal est bénéfique pour le corps, mais elle aide
dicte les aménagements et les activités les hommes à s'élever spirituellement.
qui peuvent y être réalisées ou s'y tenir. Cette grande œuvre d'art « naturelle» est
Toute activité ou tout équipement non l'investissement le plus rentable qui puisse
être, son rayonnement s'étendant sur la
ville tout entière. Toute autre idée direc-
trice gaspillerait des fonds publics et des
UNE ŒUVRE MULTIPLE qualités exceptionnelles de ce lieu.
Outre le parc du Mont-Royal, trois autres grands parcs conçus par Olmsted présen- A partir de ces prémisses, il définit la stra-
tent un design adapté à leur situation particulière: South Park, à Chicago, Belle Isle, à tégie particulière de mise en valeur de la
Detroit, et Franklin Park, à Boston. Ce dernier fait partie d'Emerald Necklace, un montagne. Ainsi, il faut laisser le prome-
réseau de parcs aux vocations complémentaires, une notion également développée par neur s'imprégner de la poésie des paysa-
Olmsted. Pour relier ces chapelets de parcs ou circuler dans ces vastes paysages, il éla-
ges naturels avant de découvrir les points
bore avec Calvert Vaux le concept des routes de promenade.
Riverside, le développement résidentiel qu'il a dessiné en banlieue de Chicago, est de vue spectaculaires. Pour ce faire, le
cité par le grand historien Lewis Mumford comme l'une des contributions majeures caractère particulier des huit districts
de l'Amérique à l'urbanisme. Portent aussi sa griffe particulière l'aménagement du topographiques est accentué par des trai-
campus universitaire Stanford, l'exposition universelle colombienne de Chicago et tements paysagers spécifiques où les
Biltmore, le fabuleux domaine de Cornelius Van der Bilt où se trouve un centre de végétaux sont surtout utilisés pour créer
recherche sur la foresterie. des effets de masse et non de jolis aména-
La Olmsted Vaux & Company, une firme qu'il a fondée, puis léguée à ses fils, a lais- gements horticoles.
sé sa marque sur des milliers de sites en Amérique.
Pour faire paraître la montagne plus haute
et plus vaste, Olmsted favorise la croissance

w numéro quatn-vrrl0-dïx D o s s i e r
de végétaux luxuriants au pied de la monta- et propose finalement un aménagement
gne, par opposition à une flore arctique et formel entouré d'une promenade plantée.
revêche près du sommet. Il propose aussi Enfin, il défend énergiquement sa propo-
d'utiliser le terme mont Royal plutôt que sition d'observatoire couronnant le som-
parc. met et insiste pour que ce bâtiment avec
Pour faciliter la découverte de ces diffé- une large terrasse et une tourelle basse
rents milieux par le plus grand nombre, il demeure discret.
conçoit le chemin des Calèches, dont les
pentes douces n'exigent pas d'attelage U N HUMANISTE PRÈS DE LA NATURE
imposant. Un seul cheval suffit pour y cir- Avant de laisser sa marque dans le domaine
culer. De même, il planifie un réseau pié- de l'aménagement, Olmsted se distingue
tonnier accessible aux personnes en fau- en décrivant de manière exhaustive le
teuil roulant. mode de vie esclavagiste du Sud des États-
Les bâtiments, les escaliers et les autres Unis. Ses convictions abolitionnistes
constructions doivent simplement mettre l'amèneront à quitter la direction des tra-
en valeur les éléments naturels, plutôt vaux de Central Park pour diriger l'orga-
que devenir objets de contemplation. nisation des secours aux combattants
Enfin, ce scénario sommaire devrait être nordistes blessés pendant la guerre de
confié à une équipe dédiée à ces objectifs Sécession.
et principes et dont l'expertise se raffine- Sa détermination pour que soit créé
rait au fil des interventions. Central Park, sans imaginer en diriger un
Ces principes particuliers peuvent et doi- jour l'aménagement, puis ses concepts
vent orienter les actions dans la mesure où d'aménagement reposent sur l'intuition
ils n'entrent pas en contradiction avec la que, comme lui dans sa jeunesse, les Visionnaire, O l m s t e d crée un effet de
conservation et la mise en valeur des urbains doivent avoir accès à des milieux nature généreuse en amplifiant certaines
grands éléments patrimoniaux. naturels de qualité où ils pourraient se caractéristiques des milieux naturels q u i
cultiver au contact de gens bien éduqués. composent la montagne. Ainsi, il touche
U N PLAN La très grande qualité des paysages qu'il l'âme des gens.

F^n octobre 1877, le conseil municipal crée tient avant tout à cette chimie extraor- Photo: Linda Turgeon
de Montréal approuvait le Design Map de dinaire entre des paysages pastoraux très
Frederick Law Olmsted. Ce plan repose amples, qui dégagent un profond sentiment Parmi les joyaux légués par Olmsted, le
sur les principes énoncés dans le livre de paix, et des espaces boisés inextricables mont Royal est l'un des rares qui ne soit
Mount Royal et reflète la palette du grand où l'on se sent perdu dans une nature pas envahi par un zoo, un musée, une
maître. On peut y observer l'agencement généreuse. Cet effet ne découle pas sim- autoroute, un terrain de golf, de balle, de
subtil des aires ouvertes et des secteurs boi- plement d'un travail de conservation des tennis, de football ou un stade avec
sés ou remarquer la position du chemin paysages, il résulte de modulations du sol de vastes stationnements. La force du
des Calèches, des sentiers secondaires, des et de l'amplification de certaines caracté- concept et de l'argumentaire d'Olmsted a
escaliers et des trois bâtiments principaux ristiques des milieux naturels. Le but n'est permis le rejet de projets incongrus. Non
parmi les masses végétales et la topogra- pas de faire joli, mais de toucher l'âme des seulement le parc du Mont-Royal est-il
phie. Olmsted souhaitait que les différents gens. À (.entrai Park, il fait déplacer cinq moins amoché que bien d'autres, mais il
secteurs soient découverts en partant du millions de verges cubes de terre pour creu- s'est agrandi substantiellement avec le
bas de la montagne jusqu'au sommet. ser des étangs, rehausser des monticules et temps (de 380 initialement à 494 acres
La qualité de l'accessibilité constitue un créer un système de circulation sophistiqué. aujourd'hui). On peut encore y goûter la
élément fondamental du design d'Olmsted. F.n 1889, il écrit un texte pamphlétaire sur quiétude d'espaces boisés d'une grande
On comprend dès lors qu'il ait été très ce même parc dans lequel il insiste sur la qualité, ce qui n'est pas le cas d'une multi-
déçu lorsque la Ville de Montréal a refusé nécessité d'abattre certains arbres plantés tude d'autres parcs urbains qui ont vu leur
d'acquérir la propriété de Sir Hugh Allan, sous ses directives afin que d'autres végé- environnement se dégrader sérieusement.
l'homme le plus riche du Canada, afin de taux, parvenus à maturité, puissent enfin Il y a un siècle, des critiques affirmaient
créer une entrée digne de la montagne être mis en évidence. que ce parc était d'abord et avant tout
depuis le centre-ville. Il pestait aussi contre Ce visionnaire et la commission qu'il a destiné aux riches résidants du Mille carré
la piètre qualité des travaux exécutés dans dirigée à Yosemite, en Californie, ont par doré. Aujourd'hui, des gens de tous reve-
le parc. ailleurs permis aux États-Unis de devenir nus, de toutes origines et de toutes condi-
Les paysages pastoraux sont aussi au cœur la première nation à créer de grands parcs tions le fréquentent. Ils goûtent au charme
de sa stratégie de design. Initialement, le nationaux. Chargé de mettre en valeur ces de l'œuvre d'un grand maître, même si
secteur du lac aux Castors est donc conçu paysages à couper le souffle, il propose plusieurs n'y voient que le cadeau d'une
comme une vaste aire ouverte aux courbes simplement de garder intacte l'exception- nature généreuse. T e l était le vœu
douces, qui serait devenue l'une des plus nelle beauté naturelle des falaises ocres. d'Olmsted.
raffinées du continent. Puis, ayant reçu la Ce lieu est devenu le deuxième parc
commande de créer un vaste réservoir, il national américain et l'un des plus fré- Daniel Chartier est architecte paysagiste à la
exige que ses dimensions soient réduites quentés. Ville de Montréal.

D o s s i e r numéro qùatTV-vingt-dix t.

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