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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 25 (2006) 33–35

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Cas clinique

Toxicité systémique à la mépivacaïne après un bloc axillaire


chez un patient insuffisant rénal chronique
Systemic toxicity with mepivacaine following axillary block
in a patient with terminal kidney failure
I. Tanoubi *, N. Vialles, P. Cuvillon, J. Ripart
Département d’anesthésie–douleur, groupe hospitalo-universitaire Carémeau, place du Professeur-Debré, 30000 Nîmes, France
Reçu le 6 mai 2005 ; accepté le 6 juillet 2005

Disponible sur internet le 25 octobre 2005

Résumé

La mépivacaïne est un anesthésique local (AL) ayant un délai d’installation rapide et une durée d’action courte. Peu de publications ont rapporté la
survenue d’effets systémiques après son administration périnerveuse. Nous rapportons le cas d’un patient de 54 ans insuffisant rénal chronique, opéré
d’une fistule artérioveineuse du membre supérieur, ayant présenté des troubles neurologiques au décours d’une injection de 375 mg de mépivacaïne à
1,5 % pour un bloc plexique par voie axillaire. Le patient a successivement présenté une dysarthrie, une confusion mentale, une perte de tout contact
verbal et une agitation incoercible, sans convulsions ni troubles du rythme cardiaque. Au moment de l’apparition de ces signes. Le dosage plasmatique
de mépivacaïne était de 5,1 µg/ml. L’administration d’oxygène et de midazolam a permis de traiter efficacement le patient, et l’intervention a été
reportée au lendemain sous anesthésie générale. L’incidence de ce type d’effets secondaires des AL est estimée à 0,01 % grâce au respect des règles de
bonne pratique clinique. Les mesures de prévention et de traitement de l’accident toxique sont discutées.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

As onset time and duration of sensory block are intermediate, mepivacaine is widely used for regional anaesthesia. Few reports of systemic adverse
effects are available following nerve blockade with mepivacaine. We report the case of a 54-year-old patient suffering from terminal renal failure who
needs the confection of an arteriovenous shunt under axillary brachial plexus block. At completion of the injection of 25 ml (375 mg) of 1.5%
mepivacaine the patient presented dysarthria, mental confusion followed by a loss of verbal contact and agitation, but no convulsion or cardiac
dysrythmia. The patient received midazolam and surgery was planned the following day under general anaesthesia. Plasma mepivacaine concentration
at time of neurological signs was measured at 5.1 µg/ml. Prevention and treatment of systemic toxic effects after regional anaesthesia are discussed.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Anesthésie locorégionale ; Bloc axillaire ; Mépivacaïne ; Toxicité systémique

Keywords: Anaesthesia; Conduction: nerve block; Mepivacaine; Local anaesthetics; Adverse effects

1. Introduction sité des anesthésiques locaux utilisés. Le choix de l’agent


anesthésique dépend essentiellement de ses propriétés phar-
L’expansion de la pratique des blocs nerveux périphéri- macocinétiques et pharmacodynamiques (délai d’installa-
ques au cours de ces dernières années a été associée à la diver- tion, durée d’action, bloc différentiel pour l’analgésie, puis-
sance d’action pour l’anesthésie). Parmi les effets secondaires
et les complications, la toxicité systémique est fréquemment
* Auteur correspondant. mise en avant pour les anesthésiques les plus puissants donc
Adresse e-mail : itanoubi@gmail.com (I. Tanoubi). les plus toxiques (bupivacaïne, ropivacaïne) [1].
0750-7658/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.annfar.2005.07.076
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La mépivacaïne offre une cinétique d’action (rapidité d’ins- mentale (soit 45 minutes après la fin de l’injection). Le taux
tallation et courte durée d’action) adaptée aux interventions de mépivacaïne était à 5,1 µg/ml. L’intervention a été repor-
de durées brèves et à la chirurgie ambulatoire. Son implica- tée au lendemain et réalisée sous anesthésie générale sans
tion dans des accidents toxiques est peu documentée. Nous incident.
rapportons dans ce contexte le cas clinique d’une intoxica-
tion systémique à la mépivacaïne.
3. Discussion

2. Observation Nous rapportons un cas d’accident de toxicité systémique


secondaire à un passage intraveineux de mépivacaïne chez
Un patient, âgé de 54 ans, était hypertendu et atteint d’une un patient insuffisant rénal de 54 ans. Dans ce cas, le délai
insuffisance rénale chronique dialysée (néphropathie hyper- d’apparition des troubles neurologiques et l’inefficacité du
tensive) associée à plusieurs complications dégénératives bloc suggèrent un passage intraveineux direct des anesthési-
(neuropathie périphérique, rétinopathie, artériopathie des ques locaux. Le seuil considéré toxique de la mépivacaïne est
membres inférieurs). L’intervention consistait en une réfec- au-delà de 5 µg/ml. Ce chiffre est probablement plus rapide-
tion d’une fistule artérioveineuse au niveau de l’avant-bras. ment atteint chez le patient insuffisant rénal chronique à cause
Une séance de dialyse était réalisée la veille de l’intervention d’une fraction libre de produit plus importante.
et le contrôle d’efficacité attestée par un bilan sanguin (iono- Les complications à type d’échec, de lésions neuronales
gramme, créatinine, urée). L’examen préanesthésique du ou de toxicité systémique des anesthésiques locaux sont com-
patient avait retrouvé une pression artérielle à 180/90 mmHg. munes à toutes les techniques d’anesthésie locorégionale. La
L’auscultation cardiopulmonaire était sans particularité. Sur bonne pratique clinique de l’anesthésie locorégionale a fait
le plan neurologique, le patient se plaignait de dysesthésies nettement régresser l’incidence des accidents de neurotoxi-
très douloureuses et gênantes des membres inférieurs. cité systémique au cours de ces 30 dernières années passant
Après mise en place d’un accès veineux, de lunettes à oxy- de 0,2 à 0,01 % [2,3], même si ce genre d’accident est de
gène (3 l/min) et monitorage standard, un bloc du membre moins en moins rapporté dans la littérature.
supérieur par voie axillaire a été réalisé. Après repérage des La toxicité systémique des anesthésiques locaux est le fait
battements de l’artère axillaire, une anesthésie locale de la d’une concentration sérique toxique. Cette toxicité est la résul-
peau a été effectuée (2 ml de lidocaïne à 1 %). Le bloc a été tante de deux mécanismes possibles : injection intravascu-
réalisé avec une technique de neurostimulation (neurostimu- laire accidentelle directe ou résorption sanguine massive et
lateur Stimuplex™ HNS 11, B Braun Germany). L’aiguille rapide à partir du site d’injection. Les signes neurologiques
(Stimuplex™ 22 Gauge, 50 mm, B Braun Germany) a été précèdent le plus souvent les signes cardiovasculaires, comme
introduite au-dessus de l’artère avec une intensité initiale de dans notre cas clinique (manifestation initiale : dysarthrie).
2 mA (durée d’impulsions : 0,1 ms, fréquence : 1 Hz). Une Ainsi, l’accident neurologique représente un signal d’alarme,
réponse distale du nerf médian a été obtenue et conservée imposant l’arrêt de l’injection. Cet arrêt permet de limiter la
pour une intensité réduite jusqu’à 0,4 mA. Après test aspira- toxicité cardiaque, qui survient pour la plupart des anesthé-
tif (pas de reflux sanguin), l’injection a été fractionnée : 25 ml siques locaux à de plus forte concentration (lidocaïne, mépi-
de mépivacaïne à 1,5 %. Douze minutes après la fin de l’injec- vacaïne, ropivacaïne). Tel n’est en revanche pas le cas de la
tion, le patient présentait une dysarthrie avec confusion men- bupivacaïne et de l’étidocaïne qui peuvent s’avérer cardio-
tale, perte de tout contact verbal et agitation incoercible. Il toxiques avant toute manifestation neurologique [4]. Ces sub-
n’y a pas eu de convulsions généralisées, ni de troubles hémo- stances possèdent en effet une marge très étroite entre neuro-
dynamiques ou troubles du rythme cardiaque. et cardiotoxicité [5].
Le patient a été oxygéné par masque facial. L’administra- Un traitement immédiat d’un accident neurologique toxi-
tion intraveineuse d’un bolus de 2 mg de midazolam a permis que permet généralement une récupération sans séquelles.
d’arrêter l’état d’agitation. Après dix minutes, le contact ver- Dans notre cas, l’injection immédiate de midazolam a suffi et
bal a pu être rétabli. L’examen neurologique du patient ne n’a laissé comme séquelle qu’une amnésie postcritique. Ce
retrouvait qu’une amnésie « postcritique » séquellaire. Le cas clinique renforce l’idée, généralement admise, de ne pas
patient présentait un bloc axillaire inefficace (absence de bloc- masquer les prodromes neurologiques par une sédation exces-
moteur, et bloc sensitif partiel mais difficilement évaluable sive. La survenue d’une crise convulsive peut être immédiate
du fait de l’état postcritique). À distance, le patient affirmait ou secondaire à ces prodromes. Le traitement symptomati-
n’avoir pas perdu conscience. Cependant, il expliquait que que repose sur l’arrêt de l’injection, l’oxygénation au mas-
son état d’agitation était lié à des douleurs des membres infé- que, l’injection immédiate d’anticonvulsivants (benzodiazé-
rieurs de sa polynévrite qui s’étaient brutalement exacerbées pines dans la plupart des cas, barbituriques dans les formes
au point de devenir insupportable et entraînant cet état d’agi- réfractaires), voire l’intubation endotrachéale et la ventila-
tation. tion mécanique en cas de détresse respiratoire.
Un dosage plasmatique veineux de mépivacaïne a été réa- Peu d’accidents sont rapportés dans la littérature avec la
lisé par méthode colorimétrique au moment de la confusion mépivacaïne. Un accident toxique à la mépivacaïne a été
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publié en 1998 mais non confirmé par des dosages biologi- à type de paresthésies, de ponction artérielle ou veineuse est
ques [6]. Ce patient (ASA II, hypertendu, correction d’une identique.
maladie de Dupuytren) a présenté une augmentation de la À ce jour, aucune étude clinique sur l’incidence des com-
pression artérielle, accompagnée d’une fibrillation auricu- plications systémiques ne permet de privilégier la mépiva-
laire, agitation, confusion mentale puis perte de conscience. caïne à la lidocaïne. Ainsi, une équipe retrouve huit accidents
L’accident s’est produit 12 minutes après la pratique d’un sur 6620 blocs axillaires, sans différence selon que de la lido-
bloc axillaire à la mépivacaïne : 850 mg contenant 0,225 mg caïne ou de la mépivacaïne est injectée [3]. En fait, les acci-
d’adrénaline. Les troubles neurologiques et cardiovasculai- dents avec la mépivacaïne sont rapportés pour des doses éle-
res du patient se sont corrigés après d’administration intra- vées. Sur un faible collectif, sept accidents neurologiques
veineuse de labétolol, de métoprolol et de midazolam. Le mineurs sont rapportés chez 200 patients recevant un bloc
patient s’est réveillé après 15 minutes. Devant le succès du axillaire avec injection de 50 ml mépivacaïne alcalinisée 1,2 %
bloc nerveux périphérique, la chirurgie est réalisée malgré la [9]. Avec 10 mg/kg de mépivacaïne à 2 % des taux plasmati-
persistance de la fibrillation auriculaire. Ultérieurement le ques supérieurs à 6 µg/ml sont rapportés au cours de bibloc
patient a refusé la cardioversion et a été traité médicalement. du membre inférieur [10]. Ces accidents ne permettent pas
Un autre exemple de toxicité est décrit chez un sujet âgé opéré de réduire la vigilance quant à l’apparition de signes de sur-
d’une fracture de col du fémur sous anesthésie locorégio- dosage sanguin [11].
nale, associant un bloc fémoral paravasculaire et un bloc scia-
tique parasacré [7]. Les substances utilisées sont la ropiva- 4. Conclusion
caïne 0,75 % pour le bloc fémoral et de la mépivacaïne 1,5 %
pour la sciatique. Le patient présente 20 minutes après la fin Nous rapportons le cas d’un accident neurologique à la
d’injection une altération de l’état de conscience avec une mépivacaïne qui rappelle que les bonnes pratiques cliniques
bradycardie. La réanimation fondée sur l’administration (injection lente fractionnée, respect des doses) sont obliga-
d’atropine et de midazolam est efficace et la chirurgie est réa- toires pour la pratique de l’anesthésie locorégionale en toute
lisée sous anesthésie générale avec suites opératoires favora- sécurité.
bles.
La mépivacaïne est une molécule (amidoester) dont les
Références
caractéristiques sont proches de la lidocaïne adrénalinée : délai
d’installation rapide et durée d’action courte. L’absorption et [1] Polley LS, Santos A. Cardiac arrest following regional anesthesia with
la diffusion de la mépivacaïne dépendent de plusieurs para- ropivacaine: here we go again! Anesthesiolgy 2003;99:1253–4.
mètres (site d’injection, terrain, dose totale injectée, vitesse [2] Cox B, Durieux ME, Marcus MA. Toxicity of local anesthesics. Best
d’injection...) à l’origine d’une grande variabilité des don- Pract Res Clin Anaesthesiol 2003;17:111–36.
[3] Brown DL, Ransom DM, Hall JA, Leicht CH, Schroeder DR,
nées pharmacocinétiques et la difficulté à déterminer une dose Offord KP. Regional anesthesia and local anesthetic-induced systemic
limite unique commune à tous les blocs. La toxicité est due à toxicity: seizure frequency and accompanying cardiovascular
la forme libre d’AL. Les anesthésiques locaux de type amide changes. Anesth Analg 1995;81:321–8.
(lidocaïne, mépivacaïne, bupivacaïne, ropivacaïne) sont très [4] Albright GA. Cardiac arrest following regional anesthesia with eti-
liés (55 à 95 %) aux protéines plasmatiques, en particulier à docaine and bupivacaine. Anesthesiology 1979;51:285–6.
[5] Morishima HO, Pedersen H, Finster M. Bupivacaine toxicity in preg-
l’a1-glycoprotéine acide (orosomucoïdes). Dans notre cas, nant and non pregnant ewes. Anesthesiology 1985;63:134–9.
la fraction libre de mépivacaïne a pu être majorée par l’insuf- [6] Koscielniak-Nielson ZJ. An unusual toxic reaction to axillary block
fisance rénale qui réduit la synthèse d’orosomucoïdes. Ainsi, by mepivacaine with adrenaline. Acta Anaesthesiol Scand 1998;42:
les seuils de toxicité sont plus rapidement atteints par éléva- 868–71.
[7] Mullanu C, Gaillat F, Scemama F, Thibault S. Acute toxicity of local
tion de la fraction libre. D’autres pathologies peuvent aug-
anesthesic ropivacaine and mepivacaine during a combined lumber
menter la fraction libre : plexus and sciatic bloc for hip surgery. Acta Anaesthesiol Belg 2002;
• insuffisance hépatique sévère ; 53:221–3.
• dénutrition (cancer) ; [8] Serradell A, Herrero R, Villanueva A, Santos A, Moncho JM. Com-
• tabagisme important ; parison of three different volumes of mepivacaine in axillary plexus
block using multiple nerve stimulation. Br J Anaesth 2003;915:519–
• âge (nouveau-né).
24.
Dans tous les cas, la réduction des doses au « minimum [9] Pearce H, Lindsay D, Leslie K. Axillary brachial plexus block in
efficace » reste une règle de sécurité à privilégier. Ainsi, des 200 consecutives patients. Anaesth Intensive Care 1996;24:453–8.
auteurs ont administré chez 114 patients des doses décrois- [10] Agostoni M, Fannelle G, Nobili F, Sansone V. Plasma levels of
santes de mépivacaïne à 1 % dans un ordre aléatoire et ran- mepivacaine in the double block of the sciatic and the femoral nerve.
Minerva Anesthesiol 1992;58:281–4.
domisé : 36, 28 ou 20 ml (bloc axillaire avec recherche de [11] Tagariello V, Caporuscio A, De Tommaso P. Mepivacaine: update on
quatre réponses nerveuses) [8]. L’efficacité analgésique est an evergreen local anaesthesic. Minerva Anesthesiol 2001;67(9 Suppl
similaire dans les trois groupes. Le nombre de complications 1):5–8.

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