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ÉTUDE XII
(0p.10)

Fr. CHOPIN

Parler technique instrumentale à propos d'une oeuvre qui n'est qu'un cri sublime de révolte,
indiquer des doigtés fa où vit et palpite l'âme de tout un peuple, composer des exercices pour c;;tte
musique animée de la force mystérieuse et terrible du génie, ceci peut paraître une méconnais-
sance singulière du sens profond de cette étude, un point de vue bien incompréhensif de l'élé-
ment pathétique et exalté qui constitue son essence particulière.
Cependant la vie, l'élan, la véhémence qui sont dans ces pages ne seront traduits avec vé-
rité que par un interprète pour qui la diffü:ulté n'existe plus et qui ne sent pas se dresser entre
lui et les sentiments qu'il doit exprimer, les obstacles nombreux de la technique.
Il faut donc apporter à l'étude d'œuvres semblables à:celle-ci une modt>stie et un respect qui
sont déj1t de la compréhension, qui ennoblissent et dignifient la virtuosité en l'asservissant il l'in-
terprétation, ne point se hasarder avant d'en dominer le côté matériel, dans une exécution faîte
d'indications sommaires,de nuances improvisées et d'emploi de pédale abusif, mais au contraire
s'efforcer exclusivement d'acquérir pllr un travail patient et scrupuleux cette force des doig-ts, cPtte
égalité du jeu, cette beauté sonore qui se feront ensuite les serviteurs de la pensée mu;:icale.
Lorsque cette tâche nécessaire sera accomplie et seulement alors, l'interprète pourra prouw;r
qu'il a du génie, de l'imagination ou simplement du talent; Chopin lui en offre les moyt>ns.
On approfondira en premier lieu le rôle technique de la main gau~he en travaillant séparément
les quelques formules m<-lodiques essentielles qui constituent son écriturr.
1° la for mule dn début:

Travailler d'abord en descendant rt en montant chromatiquement sur une étendue d'une octave
l'exercice suivant, en tierces mineures.

m.g.

Puis en tierces majeures:

ten.
etr.
11i.g.
=
prolonger et accélérer progressivement le trille, mais toujours en rythmant par trois.
Ensuite transposer dans tous les tons les successions suivantes:

1Jl..p,:

,, ,,
a 2 2 ~ "
4 0

"i l ï
r~s
4 1 4 1 ~ t i 1 i l

et ·pi J J j:1:f i.t il i

E~i-, 1
j fiÎ
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1
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ôt !.ï= ele.

EDITION NATIONALE
 . .
1· 'ï:.:"'"'r':l:!-"':i.:'i'::'~--:!':>:"!;'""::;:'°"::;.:-'':t:'=;!;-"::;•,-,-:,::,•::;-•::.:···:::...:.:.,;.;;.:;.;;,:_:.:..:.;..;.;;.__;_;__;__;_;__;_::..:.;;__:..;.._:..;.._:..;..;_;_;...::,.;__..,;
0

illlhrlilialÎÎ....__~,--.?lliYll~tll:Sillrttl·
wa:1··· .ii· 1· ;_;;·
..:..:.:.::......:..:......:.._.:::;;_.;_.:..:;;,;~-
~- 8 '<-·~

79

.Et enfin, travailler le traE tel qu'il est écrit avec les rythmes:
~ -"3' ~ ---7"

qui seront du reste

LJ U i:.r LJ'
ï U..- c..;.t 1"=LJ"'='li l l.lt
employés à la main gauche pour toute l'étude.
u I il! ïlr 1

N.B. Il faut à l'exécution, que l'accent du second doigt sur chaque temps ne ralentisse au-
cunement le flux orageux de ces premières mesures; il faut d'autre part que le rythme ainsi
indiqué soit extrêmement vigoureux.
Or l'emploi du doigté de Chopin ne permet pas à certains pianistes de donner à chacun de
ces accents l'énergie nécessaire sans emprunter un appui de la main qui détruit l'égalité du
jeu et retarde sa volubilité. C'est là une question de conformation manu.elle dont les exercices
ci-dessus doivent avoir raison.
Si cependant après les avoir travaillés avec soin et sans sp laisser décourager par la len-
teur des résultats obtenus, on ne peut arriver it d(lnner à ce passage la robustesse et la vélocité
désirables, on pourra utiliser le doigté suivant qui même s'il ne devait pas ètre employé à l'exé-
cution constitue une excellente étude de legato.
2-:r-;1----:-,,-.-------------
~ r i r l; f JJ ;;j
.. != 3. _, l" !••; --
F L f Î j sz ~ ~ & fr - f j
' ~ ~ ~ ~ lii J ïl ~ J~ 5
o 3 ;!"-etc.
m.r.t1%,i\'Î - - - -

2° Les formules d'arpèges similaires à celle de la o~•mesure:

A travailler d'abord aim;i chromatiquement dans tous les tons:

tm.
l
n,
t r tJ
tJJ21
ensuite avec les rythmes indiqués plus haut.
On travaillera également lt> doigté suivant qui permet de prononcer plus éloquemment le crescendo.

~ ~ ;.i,i ~
y: - t:
~ f (;r b L ( i - F ijl

travailler chromatiquement dans tous les tons.

5° Les 15~• et rnn:•mesures, dont l'étude sera précédée des exercices ci-après:

EDITION NATIONALE M.S.

80

Lie rr·1,s I:
IIIÎl(l'lil'(>,\':;

5° Mesures 25 et 2fL
1 1

fJ
j
S
t:H !I -JrJJ.□'tij
d1.JJ.

5
n
tÊ~; rê ►Jem1c·
î_r_r 5
0
1> l\frsure 28. Voir les exercices préparatoires étude 4. Op. tfl.
7° Mrsun•s 2~}-:511-31-32.
On obtiendra la régularité et la force des doigts en travaillant l'ench;IÎnement dt:-s positions
de la manièrt> suivante:
D'abord <·n supprimant le pouce.
-----===----;;:=-----
~-cfu w \;J±ifif:-tliiE
;{vAÇfü;;.~-::ritJ
~ 2 a 4 - a 5 5 ·4 - :-!' ~-t
ronlinuer rhronwliq11Pm,•nl avPc 1~ nlt'llW doigt,; •

puis ain,,i;

f't Pllfill: - ~. . ~r--i ,/,·.

·~J:
Y:f!?jpACJ4_.1;= et

Le doigtt;: c. '-----=--
:f ~ .5 -l
an commencemt>ut
·-
du trait nwsun', 2!) et 31 pPrmet urw

attaque plus sol id~ qut>: :9\-~: mais de même que pour frs modifitatic,ns pri>crdem-
~
ment indiquées, on n'l.'n deua faire usage que lorsque le doigté indiqué dans lP text,~ aura
étP soig-IH'llSPlllCllt étudié.
Une fois qllr' l'on s1·ra tnnt à fait maitre dP l'ex,·tution de ces dlvrrs pa:-;sages,on les réunira
par fragments de plus ,:n plus longs, jusqu'li ce que l'on puisse donner de la, totalité de la partir
confiée li la main gaucl1P mw interprétation assez vivante, assez éloquente pour que, sans l'ad-
jonction d!' la main droite, die constitue il t:-lle seule un morceau ayant son int\;r-êt musical
propr-e.
UtilisPr pom· CP travail d'ensemble IP, rythmes indiqu~s plus haut.
Comme tram il complémentain· de la main gauchP; voir lt·,, PXPrcicP~ relalH;; ii l't\tud,· H.Op.10
et qui seront p,1rfaiteme11t it leur plaee ici.

l:DlTION 1'ATIONALI:
h

81

De la diction noble et passionnée de la main droite, de la vérité de ses accents, dépendent

la. beauté et l'émotion de cette étude.
Considérée du point de vue purement technique, son exécution ne présente pas d1• difficul-
tés considérables. li ne faudrait cependant pas croire que l'on puisse. se dispensPl' d'en pré-
parer la parfaite interprétation par une éturte préalable. On néglige trop fréqut>mment de
travailler avec autant de soin que des passagf's plus rapides ou nécessitant d,·s déplace-
ments de main pfrillt>ux pour la justessP IPs successions• d'octaves ou d'accords <I,·caracti>re
expressif ou de jeu relativement aisé. D~ là, les scories de certaines exécution~,lt>s "piano"
joués trop piano et qui sont incolores, anémiques, sans timbre et sans vibration, les "forte"
durs, agressifs, comme écrasés sous urie attaque trop brusque.
11 va de soi que l'amplitude, la générosité de son n.'.·cessai!'es à Lt déclamation pathétique et
vibrante de cettl' ét11de s'accomoderaient fort mal d'imperfections de ce genre.
L1· travail de pn:paration consistera dùnc à. acquérir· par une étude attentive des principes l't
enn:ices suivants, la qualité de sonorité indispensable à la brlle interprétation de ces octavPs
et dP ces ac:cords.
Oit commencera par la répétition lente de la même oetave en graduant la sonorité dupp
au du JJ' au pp.
.f.ï' et
pp p mp Jf
·~ d
E.,•.I.' -6-

Le pouce et le 5~• doigt forment avec la main une sorte

1
":f
1 i ~
,j t'fC,

d'arc dont celle-ci est le centrP

et dont l'écartement nP change pas, m,:11111
lorsq1œ la main quitte fr clarii,r 1·11tre dtw.1· octav1'.1·.
Les doi[its n•· jouant pas sont groupés et relevrs dP tf'lle maniPre qu'ils puissent constituPr
avec Ir dos de la main unP ligne horizontale s'étendant jusqu'à la seconde phalangP.
Leur extrémité est légèrement repliée vers l'int!;rieur de la main, autant pour éviter l'at-
taque involontairl' de notes étrangères à l'octave qut· pour solidifin la position dPs doigts et
de la main qui doit être fermemen't maintenue quel!,. q111:soit la nuance.
Dans cet exereicr, l'a.vant•bras prolonge la ligne de la main au inoment de l'attaque et con-
court par sa pesanteur il la graduation des nuances. Le poignet reste souple.
PP1Hlant les ,;i]PIIC:Ps,J'avant-hras Sl' relève en mi•me temps quP l,t main. Eviter dr rejP-
ter la lllain en arrièrP en quittant le clavier. La laisser pendre un peu au contrair(',aU moyen
d'un 1,··µ:er fléehiss1•ment du poignPt, mais t·n consenant toujours aux doig·ts leiir position
et lc·ur ,:carternent.
1-,.. jamais a11gmentPr la rapiditP du mouvement eu travaillant cet exercicf•. Compter drn:>.:
sur chaq1•" blanchr PL rteu.T ,;ur chaque demi-pause.
Travailler Pns11ite le;; g·ammes diatoniques et chrornatiqul's ,,t les arpt,ge, en n~·taves dans
tous Ir, tons et tnujo11rs de la même manière, c'est-it-dire Pli se servant Pxclusivement du poucP
Pt dn 5 11'." doigt, Pli nuanc.:ant du pp aujf d in1·ersr111ent <?t en mi11a12·eant 1111 ,-.jl,.nr•p entr1·
chaque octaYP.

r
.::;._
.t,. .t,.
+- -<>
r
-fr

O
El'.<.-~::
l'JJf',t.;tl,,• t ~ !· f f, µ -Il
l'i'
1
.r.r l'i'
Oll
1r========~- PP --=======1f
Ecouter attentivf'ment la sonorité produite, accélérer peu it peu le mouvement. Travailler Jps main,;
Sl:parfrs,car il va de soi que ces exercices sont également applicables à Lt main µ-auch,·.
La 1,t!Pur expressive et le timbre des orta1·es sont souvent enrichis par un,· prononciation pl11~
vibrant(• de la partie supérieure iinférieure à la main gauehei.C'est le ca, pnur Cf•t1,· i:•tudL'.

EDITION NATi.ONALE )I.S.

 ....
82

On développera utilement la force du cinquième doi.gt en travaillant de la manière suivan-

te les gammes et les arpèges:

E.v.
f.fm1w1es
rll
m.d. -
~
( )

Le 5~ doigt joue seul, le pouce ne fait que se poser sur sa touche sans l'enfoncer. Con-
server la même fermeté de doigts que précédemment et employer ies mêmes nuances.
Les règles de tenue de main pour les octaves jouées avec le pouce et le 4m_edoigt sont
identiques à celles indiquées pour l'exemple 1, mais le 5ru• doigt, au lieu d'imiter le mouve-
ment de repliement des autres doigts ne jouant pas, conserve presque la position qu'il avait
en participant à l'exécution.
Travailler avec ce doigté tous les exercices précédents.
Mélanger ensuite les deux doigtés en travaillant ainsi aux deux mains:
5 4 5 4 5 4 5 ~ 5
1 1 1 1 1 ! 1 1 1

~ ~ l ;~
111.d.• 5 4 5 4
"
., j
~ 1~
de.
t l a l l 9 l l ;o l
1
111.;r.51 l 1 1 1 l 1 1

..
1 '
1
5
1
•
1
5
1
4
l
5
1 •
1
5
l
5
• 5 4 5 4 5 4

S'efforcer de bien équilibrer la sonorité des octaves successives,en nuancant toujours.

Travailler ensuite la partie de main droite de toute l'étude avec les rythmes et les nu-
ances indiqués, mais en ne jouant que les octaves (c'est-à-dire en supprimant les notes in-
termédiaires qui constituent les accords) Etudier ainsi de la mesure 10 it la mesure 45, et
de !a mesure 50 à la mesure (HL~
Avant de passer à l'étude définitive de ces même::. passages tels qu'ils sont écrits, nous
conseillons le travail préliminaire d'exercices relatifs à la préparation des doigts avant l'at-
taque des accords, ce qui est une condition absolue de la sûreté de leur exécution et de la i'
plénitude de leur sonorité.
On pourra s'inspirer de la formule suivante, applicable aux gammes et aux arpèges dans 1
l
tous les tons:

l
(Les petites noies indiquent la préparation muette des accords) conlinuet· chrom:,liqu .. 111,•1>!

Compter I pour jouer chaque accord de blanches, 2 pour augmenter la pression des tou-
ches, 3 pour relever la main et l'avant bras, 4 pour la préparation muette dP l'aecord suivant,
la. main restant au dessus du clavier. Attaque franche, les doigts fermes jouant rigoureusement
ensPmble.
ALFRED CORTOT

"" Nous l,·nons à menlionnH que !t•s exerrir,., que nous venons d'indiqu!'l' ont pour objel d'assurer la b,·llt' !'Xt'•
cufion ,l'uttt' œuvr1> dél ..roiin,;e el non d, SP!'\'ir de base à un .. lht'o1·îe générale du jt'U d'octaves. On trouver" li cé
,u_jt,l, dan, l'analyse des ,;1ud .. s Op.25, l\'~5 !) d 111, mali;.re il un travail plus complet.
EDITION NATIONALE :11.S. ::iOO4

,a;usn,;u;a .Q