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UNIVERSITE LUMIERE LYON 2

INSTITUT DE PSYCHOLOGIE
C.R.P.P.C

MASTER HUMANITES ET SCIENCES HUMAINES


MENTION PSYCHOLOGIE

SPECIALITE
« PSYCHOPATHOLOGIE et PSYCHOLOGIE CLINIQUE »
Parcours Recherche
2005-2006

APPROCHE PSYCHODYNAMIQUE ET PSYCHOPATHOLOGIQUE


DES EXPERIENCES VECUES COMME « PARANORMALES »

Présenté par :
RABEYRON Thomas
****
****
**** / trabeyron@wanadoo.fr

Directeur de recherche : Professeur Bernard CHOUVIER


2
SOMMAIRE

INTRODUCTION.................................................................................................................. 1
CHAPITRE I : CHAMP DE RECHERCHE
1.1 Qu'est-ce qu'une expérience vécue comme paranormale ................................................... 3
1.1.1 Définition du paranormal.......................................................................................... 3
1.1.2 Proposition de classification des différents types d'expériences paranormales ....... 3
1.2 Occulte, paranormal et psychologie ................................................................................... 6
1.2.1 Psychologie et occulte, dimensions historiques ........................................................ 6
1.2.2 Freud et l'occultisme ................................................................................................. 8
1.2.3 Psychologie, psychopathologie et paranormalité ..................................................... 11
1.3 Bref panorama des connaissances provenant d'autres disciplines ..................................... 14
1.3.1 Approche cognitive.................................................................................................... 14
1.3.2 Données issues de la neurophysiologie et de la parapsychologie scientifique......... 15
1.3.3 Approches provenant des autres sciences humaines................................................. 16
1.4 Problématique et hypothèses.............................................................................................. 17
CHAPITRE II : CHAMP METHODOLOGIQUE
2.1 Présentation du lieu de stage .............................................................................................. 18
2.2 Dispositif utilisé et recueil des données ............................................................................ 18
2.3 Questionnement du dispositif utilisé et limites de la méthodologie employée .................. 19
CHAPITRE III : CHAMP CLINIQUE
3.1 Premier cas : Astride .......................................................................................................... 21
3.2 Deuxième cas : Monsieur M. ............................................................................................. 24
3.3 Troisième cas : Madame F. ................................................................................................ 29
3.4 Quatrième cas : Eliane ....................................................................................................... 31
3.5 Cinquième: Lara................................................................................................................. 33
CHAPITRE IV : CHAMP THEORICO-CLINIQUE
4.1 Expériences paranormales et problématique traumatique.................................................. 36
4.1.1 Expériences paranormales et séparations ................................................................ 36
4.1.2 Perceptions extra-sensorielles, traumatisme précoce et relation anaclitique .......... 37
4.1.3 Autres formes de traumatismes et expériences paranormales .................................. 41
4.2 Expérience paranormale et transmission psychique inconsciente ..................................... 43
4.2.1 Communication infra-verbale et identification projective normale.......................... 43
4.2.2 Identification projective pathologique et poltergeist ................................................ 44
4.2.3 Contenu transgénérationnel, pratiques spirites et apparitions................................. 46
4.3 Métabolisation intrapsychique de l'expérience paranormale ............................................. 53
4.3.1 L'expérience paranormale inaugurale et son devenir............................................... 53
4.3.2 Un vécu de dépersonnalisation ? .............................................................................. 54
4.3.3 Symbolisation primaire, transmission et transfert de pensée.................................... 57

CONCLUSION....................................................................................................................... 62

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................. 64
1
INTRODUCTION

Apparitions, visions, perceptions « extra-sensorielles », spiritisme… Il est aussi difficile de tenter de


définir le « paranormal » que d’y échapper tant il est devenu omniprésent au sein des médias, que ce soit
sous forme de séries télévisées à succès, de reportages, de films, ou encore d’ouvrages et d’articles de
journaux. Ce phénomène sociologique ne se cantonne pas aux œuvres de fiction. Les sondages mettent
en effet en évidence qu’une part non négligeable de la population croit et rapporte avoir vécu ce type
d’expérience1, quelle que soit la couche sociale ou le niveau d'éducation2. Ces expériences dites
« paranormales » ont donc une réalité sociale forte qui doit avoir son pendant au sein de la réalité
psychique individuelle.
Intéressé par le caractères intrigant de ces expériences étranges, je me suis tourné, il y a maintenant
quelques années, vers plusieurs associations qui recueillaient ce type de « témoignages ». Au fil de mes
rencontres, j’ai pu constater que ces expériences étaient très fréquentes et qu’elles avaient généralement
un impact psychologique fort sur les personnes qui les vivaient : fascination, peur , incompréhension,
pouvant engendrer éventuellement différentes formes de souffrance psychique. Pourtant, ceux qui
rencontrent ces expériences ne vont pas toujours consulter un psychologue, préférant se tourner vers des
voyants, magnétiseurs et l’ensemble du milieu ésotérique avec, malheureusement, les conséquences
néfastes que cela peut parfois entraîner jusqu’au risque de dérive sectaire.
C’est peut-être pour cette raison que l’on trouve assez peu de travaux consacrés spécifiquement à
cette forme de « clinique des marges »3 dans le champ psychanalytique. Elles sont en effet rarement
abordées frontalement par les « psy » malgré un intérêt marqué de la part de S.FREUD pour ce qu’il
était convenu d’appeler alors l’occulte.
Pourtant, il existe depuis maintenant quelques années un certain nombre de travaux dans différents
domaines scientifiques (psychologie cognitive, neurobiologie, etc.) qui tentent de comprendre les
croyances et les expériences paranormales. Parallèlement à ces travaux de recherches, certains pays
européens, comme l’Allemagne, ont également mis en place des centres dans lesquels des psychologues

1
Selon un sondage IFOP publié en 2004 , 45% des personnes interrogées ont indiqué croire à la transmission de pensées et
34% aux miracles et selon un sondage Gallup, de juin 2005, 75% des américains ont rapporté croire à au moins une
expérience paranormale parmi ces catégories : perceptions extra-sensorielles, maisons hantées, fantômes, télépathie,
clairvoyance, astrologie, communication avec les morts, sorcières, channeling. Plus généralement, selon A. GOULDING
(2004), la croyance aux perceptions extra-sensorielles se situe aux alentours de 50%, lors de sondages effectués dans divers
pays, tandis qu’environ 25% des personnes interrogées disent avoir vécu ce type d’expérience. Les statistiques indiquent
également que les femmes vivent d’avantages d’expériences paranormales que les hommes.
2
Contrairement à ce que l'on serait tenté de penser a priori, les statistiques indiquent que les croyances au paranormal ont
tendance à augmenter au sein de la population avec le niveau d'éducation, en particulier chez les étudiants en début de cycle
universitaire. Voir notamment à ce sujet D.BOY et G.MICHELAT, Croyances aux parasciences, dimensions sociales et
culturelles, Revue Française de Sociologie, XXVII, avril-juin 1986, p. 175-204.
3
Expression utilisée par P. LE MALEFAN, notamment dans son dossier en vue de l’obtention de l’Habilitation à Diriger des
Recherches en Psychologie.
2
cliniciens proposent des consultations pour les personnes en difficultés face à ces expériences4. En effet,
les études sur ce thème montrent que les demandes d’informations et de suivis lors de ces vécus
particuliers, le plus souvent déstabilisants, sont rarement satisfaites5. Force est de constater qu’en France,
il n’existe à l’heure actuelle aucune structure spécifique pouvant combler ce manque.
L’hypothèse sous jacente à ce travail sera donc que les expériences paranormales peuvent être non
seulement un objet d’étude enrichissant pour la psychologie clinique dans son ensemble mais qu’il
existe également une nécessité à développer une réflexion et des outils thérapeutiques pour cette clinique
limite à la phénoménologie spécifique.
Ce travail de recherche aura tout d’abord pour objectif de tenter de définir ces expériences, puis de
déterminer, selon une perspective psychodynamique, les traits spécifiques de ce que nous pourrions
appeler une clinique de la paranormalité. J’essaierai alors, dans une approche globale, de repérer les
processus intrapsychiques et intersubjectifs à l’œuvre chez les personnes rapportent ces expériences.
Par le biais d’un stage en institution psychiatrique et en centre médico-psychologique, j’ai pu
rencontrer plusieurs patients correspondant à ce thème de recherche. En effet, des études ont montré
qu’environ la moitié des personnes rapportant des expériences paranormales souffrent de troubles
psychopathologiques6 et il était donc prévisible que je puisse me trouver en contact avec certains
d’entre elles au sein de cadres de soin habituels.
Ce travail sera principalement divisé en quatre parties principales que l’on peut regrouper en trois
temps :

• Tout d’abord, un état de la question permettra de définir plus précisément ce que


j’entends par le terme d’« expérience vécue comme paranormale » et de proposer un
panorama de nos connaissances actuelles sur ce sujet (Chapitre I : Champ de recherche),

• Puis, dans un second temps, après avoir défini le cadre des rencontres avec les patients
(Chapitre II : Champ méthodologique), cinq cas cliniques permettront d’illustrer mon
propos (Chapitre III : Champ Clinique),

• La voie sera alors ouverte pour le troisième temps de ce travail, une élaboration
théorico-clinique visant à rendre intelligible les dimensions spécifiques et énigmatiques
de cette « clinique de la paranormalité » (Chapitre IV : Champ théorico-clinique).

4
En particulier, l’Institut für Grezengebeite der Psychologie und Psychohygiene (IGPP) en Allemagne. S.FREUD a d’ailleurs
eu des échanges avec l’un des membres de cet institut à propos de l’occultisme, le docteur F. HOPP-MOSER, fille de Emmy
von N. Deux lettres de cette correspondance ont été retrouvées. Elles datent du 13 juillet 1918 (publiée par BAUER en 1986) et
du 10 octobre 1918 (inédite).
5
MILTON J.(1992), Effects of "paranormal" experiences on people's lives : An unusual survey of spontaneous cases. Journal
of the Society for Psychical Research, 58, 314-323.
6
Cf. FACH. W. (2004), The phenomenology of exceptionnal experiences : an analysis og IGPP conseling cases, The
Parapsychological Association, 47th Annual Convention Proceedings of thePresented Papers, 321-322.
3
CHAPITRE I : CHAMP DE RECHERCHE

1.1 Qu’est ce qu’une expérience vécue comme paranormale ?


1.1.1 Définition du paranormal
Le Larousse propose la définition suivante du paranormal :

« Se dit de certains phénomènes, d’existence établie ou non, dont le mécanisme et les


causes, inexpliqués dans l’état actuel de la connaissance, seraient imputables à des forces
de natures inconnue, d’origine notamment psychique (perception extrasensorielle,
psychokinèse, etc.) »
D’un point de vu psychologique et plus particulièrement sur le plan intrapsychique, une expérience
paranormale sera donc le vécu, par un sujet, d’un phénomène dont les origines, les causes et les
mécanismes lui demeurent inconnus. Autant dire que le paranormal peut s’avérer être un concept aux
contours particulièrement flous ! Il semble en effet se définir davantage en creux par rapport à la
normalité qu’en fonction de ce qui le constitue intrinsèquement et l’on retrouve d’ailleurs fréquemment
ce flou dans les médias. On comprend alors pourquoi du point de vu de la psychologie, mais aussi de
celui d’autres sciences humaines, il peut paraître étonnant d’utiliser l’expression d’ « expérience
paranormale ». Plusieurs arguments me paraissent pouvoir être amenés pour légitimer ce choix. Tout
d’abord, en utilisant cette expression, je choisis de partir du discours du patient. En effet, comme nous
l’avons vu en introduction, le terme de paranormal est fermement ancré sociologiquement. Il est donc
présent dans les représentations de nombreux patients. Ensuite, je suppose qu’il y a, derrière ces
expériences des dimensions suffisamment spécifiques pour qu’il s’avère pertinent de catégoriser sous
cette appellation un certain nombre de vécus, qu’il conviendra de définir, et qu’un clinicien est
susceptible de rencontrer. C’est donc cette clinique particulière, qui confronte fréquemment le clinicien à
des « états et des aires intermédiaires »7, que je vais à présent tenter de définir.

1.1.2 Proposition de classification des différents types d’expériences paranormales


Au cours des dernières années, j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec de nombreuses
personnes rapportant des expériences paranormales. Cependant, s’agissant d’un échantillon qui n’est pas
représentatif, il est difficile de s’en servir afin d’établir une classification rigoureuse. De la même façon,
il serait délicat de ne m’en tenir sur ce plan qu’aux cinq cas cliniques qui seront présentés dans ce
mémoire. C’est pourquoi, partant d’une classification proposée par les psychologues cliniciens de
l’I.G.P.P. et portant sur 652 cas collectés de 1996 à 20018, je vais pour ma part dégager cinq catégories
d’expériences paranormales9 :

7
Terme qui m’a été proposé par R. ROUSSILLON.
8
Pour plus de détails voir FACH. W., The phenomenology of exceptionnal experiences : an analysis of IGPP conseling cases,
The Parapsychological Association, 47th Annual Convention Proceedings of thePresented Papers, pp.321-322. Je remercie
4

1- Phénomènes « internes » et sentiment d’être influencé : Vécus localisés sur/dans le corps ou à


« l’intérieur » de la psyché du sujet et qui s’expriment généralement sous forme somatique et/ou par
l’audition de voix. Le caractère « paranormal » de ces expériences provient de leur origine attribuée à
des causes externes « magiques » comme des « esprits » ou des « fantômes ».

2- Apparitions, visions et états modifiés de conscience : Contrairement à la première catégorie


d’expériences, il s’agit de phénomènes vécus dans l’environnement du sujet et non à l’intérieur de sa
psyché: apparitions (lumières, ombres, visages, etc.) et sensations ou « visions » d’ « entités »,
d’ « esprits ». Ce type d’expérience se produit fréquemment à l’endormissement et au réveil, lors d’états
plus ou moins modifiés de conscience, voire de paralysie du sommeil10. Elles peuvent également donner
lieu à des descriptions spécifiques en terme de transe, d’expérience mystique, ou de Near Death
Experience (NDE)11.

3- « Poltergeist » : Personnes qui rapportent des mouvements, des déplacements, des disparitions et
apparitions d’objets selon des modalités qui leur demeurent inexplicables. Ces phénomènes sont
généralement associés a l’audition de différents bruits dans leur environnement immédiat (pas, chutes
d’objets, etc.) et se produisent souvent dans des conditions familiales particulières (déménagement,
adolescent en crise, conflits, etc.).

4- « Perceptions extra-sensorielles » : Impression d’avoir accès à des informations concernant des


évènements présents (clairvoyance et télépathie), passés (rétro-cognition) ou futurs (précognition) sans
l’intermédiaire des sens connus, en particulier lors des rêves. Ces expériences concernent le plus souvent
des proches et des évènements de vie importants.

5- Pratiques médiumniques : Expériences en lien avec des pratiques « occultes » et des techniques
spirites comme l’écriture automatique, le « Oui-Ja »12 et le « channeling »13. Ces techniques sont le plus
souvent utilisées dans l’espoir de rentrer en contact avec des proches disparus14.

Renaud Evrard, étudiant en psychologie clinique à l’Université de Strasbourg et stagiaire cette année à l’I.G.P.P., qui ma permis
d’avoir accès à de nombreuses données concernant cet Institut.
9
Les psychologues de l’I.G.P.P. ont pour leur part dégagé une sixième catégorie « rêves prémonitoires ». Cette distinction ne
me parait pas particulièrement pertinente, ce type d’expérience renvoyant déjà à la catégorie des « perceptions extra-
sensorielles ».
10
La « paralysie du sommeil » est un trouble du sommeil qui advient généralement à l’endormissement ou au réveil
Caractérisée par l’impossibilité de bouger ou de parler, elle est souvent associée à une sensation de présence inquiétante et à des
hallucinations. L’état de paralysie dure généralement de quelques secondes à plusieurs minutes. C’est un trouble du sommeil
relativement fréquent : 20% de la population en aurait fait l’expérience, en particulier lors de l’adolescence.
11
Les Near Death Experiences (NDE), appelées aussi Expériences de Mort Imminente en français (EMI), désignent les
expériences se déroulant généralement lors d’arrêts cardiaques et de comas (environ 10% des personnes) et faisant état de
critères spécifiques : impression de voir son corps de l’extérieur, voyage dans un tunnel, lumière, revue de vie, etc.
12
Le « Oui-Ja » est une technique spirite utilisée pour communiquer avec les « esprits ». Ce dispositif se compose d’une
planchette sur laquelle sont gravées des lettres, des chiffres et les expressions « oui » et « non ». Les participants à la séance
placent leur main sur un verre qui est ensuite censé se déplacer de lettre en lettre jusqu’à former le message communiqué par
l’ « esprit » au groupe.
5
Je proposerai, dans la partie clinique, cinq cas qui illustreront ces différentes expériences. Cette
catégorisation ne doit pas faire oublier qu’une même personne peut parfois, et c’est même fréquent,
rapporter plusieurs de ces expériences (comme dans les cas cliniques abordés).
On notera également que ce temps des définitions n’est pas une fin en soi, l’objectif étant de
proposer une cartographie globale de ces expériences pour ensuite mieux analyser les processus sous-
jacents qui les caractérisent .
On peut également repérer une certaine adéquation entre cette classification et des pathologies
psychiques, en particulier pour ce qui concerne la première catégorie (« phénomènes internes et
sentiment d’être influencé », fréquents dans le discours de patients psychotiques). De la même façon,
pourquoi parler d’apparition plutôt que d’hallucination ? Pourquoi parler de « phénomène interne »
plutôt que de manifestation psychosomatique ? L’objectif n’est pas ici de se rapporter à des catégories
de psychopathologie existantes mais de partir du vécus des sujets sans a priori, c'est-à-dire décrire, avec
leurs termes, une réalité clinique qu’ils vivent comme paranormale. Ce sera donc dans un second temps
que nous ferons des liens entre ces croyances, ces ressentis, et des outils conceptuels issus de la
psychopathologie. Qui plus est, s’agissant d’un thème de nature particulière, touchant à la question de la
croyance, cette approche me parait intéressante pour éviter, du moins en partie, les effets du « décrire-
construire »15 décrit par B.MEHEUST.
On pourra également noter que ces expériences sont de natures variées. En effet, même si elles sont
généralement labellisées « paranormales », qu’y a-t-il de commun entre un « poltergeist » et une
personne qui vit une NDE, entre celui qui pratique le spiritisme et cet autre qui rapporte des rêves
prémonitoires ? Si j’ai fait le choix de rassembler ces expériences sous le même terme, c’est que je
suppose qu’elles renvoient à des processus identiques, idée renforcée par le fait qu’il est très fréquent
qu’une même personne vive plusieurs de ces expériences. Qui plus est, rappelons que ces expériences
ont un trait commun : elles confrontent un sujet avec son environnement selon des modalités qui lui
demeurent inexplicables. C’est ensuite la nature de cette interaction avec l’environnement en question
qui varie, pouvant être de deux types, allant du sujet vers l’environnement (pôle projectif) ou de
l’environnement vers le sujet (pôle incorporatif).
A présent, ces quelques définitions étant posées, nous pouvons avancer dans la compréhension de
ces expériences. Je propose, pour commencer, un aperçu des rapports entre paranormal et psychologie.

13
Le channeling est un terme américain qui signifie « canal » et qui renvoie à la pratique spirite de l’ « incorporation ». Lors
d’une séance, un « esprit » est censé s’exprimer au travers de l’un des médiums présents et faire ainsi office de lien entre le
« monde des morts » et celui des vivants.
14
Depuis quelques années, l’utilisation d’appareils d’enregistrement modernes fait également office de « support » à ces
techniques (appareil photo, ordinateur, enregistreur numérique, etc.).
15
MEHEUST B., Somnambulisme et Médiumnité, p. 454-455
6
1.2 Occulte, paranormal et psychologie16
1.2.1 Psychologie et occulte, dimensions historiques
Il me paraît important d’étudier brièvement les rapports complexes qu’ont entretenu et
qu’entretiennent la psychologie et l’occulte. En effet, comme le souligne P.BERNACHON :

« cette affaire de l’occultisme et de la télépathie a un destin à part dans l’histoire de la


psychanalyse. Elle n’y occupe certes pas une place majeure mais retient l’attention par
tous les mouvements qui se forment autour d’elle, croyance, frayeur, danger pour la
psychanalytique, et les atermoiements qui en découlent, entre annexion et rejet : s’en
occuper ou pas, en parler ou ne pas en parler, et surtout publier ou pas. »17
Comme dans toute recherche, l’objet d’étude modèle son cadre théorique, et l’occulte n’échappe à
cette règle, bien au contraire. On retrouve en effet, face à cette question, un mélange d’intérêt et de
méconnaissance, de croyance et de rejet a priori. Une partie de l’occulte semble ainsi partiellement
« occultée » dans la littérature psychanalytique. Pour comprendre cette situation contemporaine, il est
nécessaire au préalable d’en dégager brièvement quelques perspectives historiques. Nous pouvons tout
d’abord suivre quelques pistes, ouvertes par H.ELLENBEGER, dans son ouvrage intitulé « A la
découverte de l’inconscient », dans lequel il s’attache à mettre en lien les découvertes freudiennes et les
théories et pratiques élaborées antérieurement, en particulier depuis l’époque de F.A.MESMER.
L’intérêt d’une telle approche est qu’elle permet de retrouver, dans un certain nombre de théories
« paranormales » d’aujourd’hui, les restes de théories d’hier, sortes de dépôts culturels, qui bien qu’ayant
été exclus du champ scientifique, n’en demeurent pas moins présents et actifs dans notre société. Ainsi,
les conceptions du « magnétisme » et du « fluide » trouvent leurs origines dans les théories
mesmériennes de la deuxième moitié du XVIII ème siècle. Mais ces théories d’antan ont également été
les premières formes de conceptualisation de l’inconscient, comme le remarque notamment
R.ROUSSILLON, dans son ouvrage « Du baquet de Mesmer au « baquet » de Sigmund Freud ». Et les
cadres thérapeutiques d’alors tiraient leur existence des conceptions du fonctionnement psychique de
l’époque. F.A.MESMER, le Marquis de PUYSEGUR, l’abbé FARRIAT, J.P.F.DELEUZE, ont été
autant de théoriciens et de praticiens qui ont accompagné l’évolution d’un cadre, tout d’abord élaboré de
façon externe, jusqu’à sa reprise et son élaboration par S.FREUD. Ainsi, comme le souligne R.
ROUSSILLON, le baquet de Mesmer « n’est pas une représentation, c’est un représentant matérialisé,
un symbole concrétisé des trajets de la libido et des processus psychiques qui les sous-tendent »18 tandis
que le somnambulisme artificiel du Marquis de PUYSEGUR peut-être pensé comme un cadre dans
lequel « la structure libidinale et les processus psychiques vont se « matérialiser », se figurer dans la

16
Les termes « paranormal » et « occulte » ne sont bien sûr pas synonymes. Si je me permets de les rapprocher, c’est qu’une
proximité certaine les relie dans la littérature et qu’aborder la question du paranormal nécessite d’aborder celle de l’occulte.
Ceci dit, l’occulte implique une dimension ésotérique que l’on ne retrouve pas dans le concept de paranormal.
17
BERNACHON P., De quelques mécanismes de transmission, Libres cahiers pour la psychanalyse, n°10, p.65.
18
ROUSSILLON R., Du baquet de Mesmer au « baquet » de Sigmund Freud, p. 41.
7
« vision », « la prédiction » faisant ainsi de « la double vue l’ancêtre de l’insight »19. Les théories
psychanalytiques d’aujourd’hui trouvent donc en partie leurs sources dans les théories occultes d’hier.
Mais cet héritage est longtemps resté voilé, suite à la rupture opérée par J.M.CHARCOT qui
réussit à reprendre, à travers un abord « scientifique » et académique de l’hypnose, une partie de
l’héritage de ces penseurs. Dans ce mouvement, il se sépara des connaissances issues de la tradition des
somnambules « magnétiques » ou « lucides », jugées troubles et bien trop chargée de « merveilleux
scientifique » comme aimait à l’appeler J-P.DURAND de GROS20. Et peut-être conservons-nous
aujourd’hui encore, au sein de nos modernes représentations, un peu de cette scission d’hier. Mais le
temps passant, ce flou des origines semble s’amenuiser et plusieurs travaux récents redonnent leur juste
place à ces pensées dans la constitution des théories psychologiques actuelles. Ainsi, B.MEHEUST,
dans la lignée d’H.ELLENBERGER reprend, dans son imposante somme intitulée « Somnambulisme
et Médiumnité », l’ensemble des faits et des théories élaborées historiquement sur ce thème et montre
que les problématiques soulevées par l’occulte ont été, de par le passé, l’objet de débats passionnés.
Faisant retour de façon périodique dans notre histoire, elles furent, au début du XX ème siècle, au centre
des intérêts des plus grands esprits21. R.PLAS insiste elle aussi sur ces origines oubliées et montre que
les premiers psychologues ont :

« presque tous été de près ou de loin, impliqués dans des recherches qui seraient, de nos
jours, exclues du champ de la psychologie et renvoyées à la parapsychologie comme, par
exemple, l’étude de ces phénomènes que l’on appelle actuellement « perception extra-
sensorielle » ou « télépathie ». »22
La prise de conscience de cet héritage risquait-il, pendant un temps, de décrédibiliser cette
discipline ? Peut-être est-ce pour cette raison que les :

« recherches des premiers psychologues, qui côtoyaient les frontières de l’occultisme sans
toutefois les franchir, sont le plus souvent oubliées, voir déniées par leurs successeurs.
Elles sont, au mieux, considérées comme une maladie infantile de la psychologie. »23
Pourtant, force est de constater que les méthodes mises en place par ces chercheurs dans ces
domaines ont souvent été révolutionnaires pour leur époque. Ainsi, certaines de ces théorisations ont non
seulement aidé au développement des conceptualisations psychodynamiques24 mais aussi à la mise en
place de nouvelles techniques de psychologie expérimentale25. L’étude de l’occulte a également permis,

19
ROUSSILLON R., Du baquet de Mesmer au « baquet » de Sigmund Freud, p. 40.
20
PLAS R., Naissance d'une science humaine : la psychologie. Les psychologues et le merveilleux psychique, p. 16.
21
MEHEUST B., Somnambulisme et Médiumnité, t.2, p. 146-154.
22
PLAS R., Naissance d'une science humaine: la psychologie. Les psychologues et le merveilleux psychique, p. 11.
23
PLAS R., Naissance d'une science humaine: la psychologie. Les psychologues et le merveilleux psychique, p. 12.
24
Comme l’ont été les écrits de F.MYERS, membre de la Society for Psychical Research (SPR) et qui développa,
parallèlement à S.FREUD, C.G.JUNG et P.JANET, un modèle de l’inconscient qui influença non seulement P.JANET mais
également S.FREUD. (PLAS R., Naissance d'une science humaine: la psychologie. Les psychologues et le merveilleux
psychique, p. 133).
25
Notamment C. RICHET, prix Nobel de médecine et de physiologie en 1913, qui proposa le premier certaines méthodes
statistiques pour tenter de mettre en évidence la télépathie à partir de jeux de cartes. Cette idée fut reprise non seulement par J.B.
8
à travers l’observation des médiums au début du siècle, la mise en place d’un savoir
psychopathologique, comme l’a notamment étudié P.LE MALEFAN dans sa thèse sur les délires
spirites26. Ainsi, entre origines et objet d’étude, l’occulte est donc un domaine particulier pour la
psychologie, qui, comme le remarque S.MIJOLLA-MELLOR « n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur
de la psychanalyse, mais que celle-ci s’efforce d’approcher avec sa méthode propre »27. Et l’on ne
s’étonnera donc pas que S.FREUD se soit lui aussi vivement intéressé à ces questions.

1.2.2 FREUD et l’occultisme


Comme le souligne R. KAËS, l’intérêt de S.FREUD pour l’occultisme est resté :

« une question longtemps méconnue, cachée, occultée, et jusqu’à ces toutes dernières
années en France : des manuscrits ont disparu, des textes ont attendu vingt ans pour être
publiés (après la mort de FREUD), davantage encore pour être traduits, et certains ne le
sont pas encore. »28
S.FREUD a en effet entretenu avec l’occulte des rapports complexes et ambivalents. E.JONES,
connu pour ses positions sceptiques sur ce sujet, indique que S.FREUD « fournit autant de preuves de
sa foi en l’occultisme que de ses doutes ». Cependant, et comme le montre clairement les analyses de
C.MOREAU dans son ouvrage « Freud et l’occultisme », et de W.GRANOFF et J.M.REY dans
« L’occulte, objet de la pensée freudienne »29, les positions de S.FREUD étaient plus nuancées. S’étant
tout d’abord montré sceptique jusqu’en 1910, S.FREUD va progressivement reconnaître dans la
télépathie un noyau dur de vérité au sein de l’occultisme. Il semble donc plus juste de résumer les
positions de S.FREUD comme le propose ainsi C.MOREAU :

« 1/ Freud refuse toute vision occultiste du monde. En ce sens on peut affirmer qu’il ne
croit pas en l’occultisme 2/ Freud accepte, dans le cadre d’une conception scientifique de
l’univers, d’admettre l’hypothèse de la télépathie. »30
S.FREUD, dans « Psychanalyse et télépathie » définit les phénomènes occultes comme :

« toutes choses qui semblent plaider en faveur de l’existence réelle de forces psychiques
autres que celles connues jusqu’ici dans le psychisme humain ou animal, ou qui révèlent
des facultés mentales non admises pour l’instant. »
Il aborda dans plusieurs de ses ouvrages la question de l’occulte et rédigea quatre textes sur ce
thème. Tout d’abord « Psychanalyse et télépathie », rédigé en juillet 1921 et publié en 1941, dans lequel
il tente d’expliquer trois « prophéties ». Puis, en décembre 1921, il publie « Rêve et télépathie », dans la

RHINE, qui développa cette technique avec les célèbres cartes de Zener à la Duke University, mais aussi par les psychologues
expérimentalistes de l’époque. (PLAS R., Naissance d'une science humaine: la psychologie. Les psychologues et le merveilleux
psychique, p. 150-154).
26
C’est par exemple la transe médiumnique qui permit à G. BALLET d’illustrer le concept de psychose hallucinatoire
chronique (P. LE MALEFAN, Folie et spiritisme, histoire du discours psychopathologique sur la pratique du spiritisme, ses
abords et ses avatars (1850-1950), p.101 à 104).
27
Dictionnaire International de Psychanalyse, p. 12.
28
KAËS R., Transmission de la vie psychique entre générations, p.19.
29
Ouvrage qui a d’ailleurs été ré-édité, en 2005, sous le titre « La transmission de pensée ».
30
MOREAU C., Freud et l’occultisme, p.20.
9
revue Imago, où il analyse le « rêve de la naissance de jumeaux » qui plaide selon lui en faveur de
l’existence de la télépathie. Il publie ensuite « La signification occulte des rêves », en 1925, toujours
dans Imago, texte dans lequel il précise qu’il ne croit pas aux rêves prophétiques mais bien aux rêves
télépathiques. Et enfin, dans « Rêve et occultisme », en 1932, il reprend différents exemples provenant
de ses articles précédents. Membre d’honneur de plusieurs sociétés de recherche psychique31,
S.FREUD effectua même quelques expériences avec sa femme et sa fille ainsi qu’avec
S.FERENCZI32. Ce thème était donc manifestement d’un grand intérêt pour S. FREUD qui alla
jusqu’à dire, dans une lettre du 24 juillet 1921, adressée à H.CARRINGTON :

« Je ne suis pas de ceux qui refusent dès l’abord l’étude des phénomènes psychiques dits
occultes parce qu’elle est anti-scientifique, indigne d’un savant, voire dangereuse. Si je me
trouvais au début de ma carrière scientifique au lieu d’être à sa fin, je ne choisirais peut-
être pas d’autre domaine de recherches en dépit de toutes les difficultés qu’il présente. »33
On peut distinguer deux approches au sein de l’abord freudien de l’occultisme. L’une, que nous
pourrions qualifier de « sceptique », qui vise à expliquer rationnellement, au moyen de la psychanalyse,
un certain nombre de faits qualifiés d’occulte. Dans « Une névrose démoniaque au XVII ème siècle »,
S.FREUD fait l’hypothèse que la possession est le fruit de forces psychiques inconscientes projetées à
l’extérieur. Dans l’ « Avenir d’une illusion », il s’intéresse au spiritisme et aux apparitions, supposant là-
aussi qu’il s’agit de projections à l’extérieur de la réalité psychique inconsciente, déniant au passage
toute réalité matérielle à la médiumnité. Il analysa également, dans « L’interprétation des rêves », les
apparitions et la divination, concevant cette dernière comme une illusion, car selon lui : « C’est bien en
réalité l’avenir que le rêve nous montre, non pas tel qu’il se réalisera, mais tel que nous souhaitons le
voir réalisé »34. Il interpréta également le crédit accordé par certains aux coïncidences, dans l’ « Homme
aux rats », à travers le concept de toute puissance des pensées, approfondissant ce thème dans « Totem
et Tabou » où il indiquera, a propos du religieux, ce qu’il concevait très certainement aussi à propos de
l’occulte :

« Les dogmes religieux ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la


réflexion ; ils sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les
plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. »35
A ce sujet, il est intéressant de remarquer que S.FREUD se demande d’ailleurs, dans « Rêve et
occultisme » :

31
FREUD fut membre correspondant de la Society For Psychical Research (SPR), à partir de 1911, puis membre d’honneur en
1938 et cela, jusqu’à sa mort. Il fut également membre d’honneur de l’American Society for Psychical Research (ASPR), à
partir de 1915, et membre d’honneur de la société grecque de recherche psychique à partir de 1923.
32
Avec qui il effectua des expériences avec une voyante, à Berlin, en 1909 (MOREAU C., Freud et l’occultisme, p.64).
33
Cité par MOREAU C., Freud et l’occultisme, p. 90.
34
FREUD S., L’interprétation des rêves, p.92.
35
FREUD S., L’avenir d’une illusion, p.44.
10
« N’y a-t-il pas identité entre l’intérêt suscité par l’occultisme et l’intérêt porté aux choses
religieuses ? Nous soupçonnons, en effet, que l’un des buts secrets de l’occultisme est de
porter secours à la religion menacée par le progrès de le pensée scientifique. »36
Puis, dans « Au-delà du principe de plaisir », il analysa certains comportements, perçus comme
l’influence d’un « sort » ou de la « destinée », comme pouvant être le fruit de la compulsion de
répétition. Enfin, il aborda également le phénomène du « déjà vu » dans « Un trouble du souvenir sur
l’Acropole » et dans le célèbre texte intitulé « l’inquiétante étrangeté », S.FREUD s’intéressa à ce
sentiment particulier, apparaissant notamment lors de l’évocation du double.
Mais au-delà de cette première analyse « critique », qui permit probablement aussi à S.FREUD de
conjurer ses propres tendances superstitieuses37, il développa au fil des années la conviction qu’il y avait
un noyau de réalité au sein de l’occultisme, la télépathie, comme le montre ses nombreuses
correspondances. Par exemple, dans cette interview, de 1935, accordée à C.TABORI, il indique :

« La transmission de pensée ne peut être simplement accidentelle. Quelques gens disent


que je deviens crédule en vieillissant, mais je ne le pense pas. J’ai simplement appris toute
ma vie à accepter des faits nouveaux, humblement. »
S.FREUD explique aussi dans une lettre de 1922, adressée à M.EITINGTON, que la lecture du
« traité de métapsychique » de C.RICHET38 « le rendait perplexe jusqu’à lui en faire perdre la tête »
faisant suite à une remarque adressée à ce même M.EITINGTON, un an plus tôt, que « la pensée de
cette pomme acide me fait frémir, mais il n’y a pas moyen d’éviter d’avoir à la mordre »39. On connaît
également le célèbre épisode du « poltergeist » se produisant en présence de S.FREUD et C.G.JUNG.
Mais principalement pour des raisons politiques, et malgré l’insistance de plusieurs de ses disciples, en
particulier C.G.JUNG et S.FERENCZI, S.FREUD préfèrera ne pas mêler trop étroitement la
psychanalyse aux « flots noirs » de l’occultisme de peur de les voir emporter le crédit naissant que le
monde scientifique commençait à lui accorder. S.FREUD a cependant développé des positions
intéressantes concernant la télépathie, la concevant comme un processus qui « consisterait en effet en ce
qu’un acte psychique d’une certaine personne suscite le même acte psychique chez une autre
personne »40. Il pourrait s’agir selon lui d’une forme de communication archaïque, d’un phénomène
« purement somatique » à l’œuvre notamment chez les insectes. Ainsi, même si l’occulte n’était pas un
thème central de la pensée freudienne, on trouve, dans ses ouvrages et ses correspondances, de
nombreuses réflexions montrant l’intérêt qu’il portait à cette question. Nous verrons dans la partie
théorico-clinique qu’un certain nombre de ses hypothèses sont toujours d’actualité pour essayer de saisir
la clinique de la paranormalité.

36
FREUD S., Le rêve et l’occultisme.
37
MOREAU C., Freud et l’occultisme, p.25.
38
S.FREUD avait d’ailleurs rencontré C.RICHET, prix Nobel de médecine, en 1913, et fervent défenseur de la métapsychique,
ancêtre de l’actuelle parapsychologie, lors de l’un de ses passages en France.
39
Lettre adressée à M.EITINGTON le 4 février 1921.
40
FREUD S., Nouvelles conférences sur la psychanalyse.
11
1.2.3 – psychologie, psychopathologie et paranormalité
Plusieurs auteurs, à la suite de S.FREUD, ont essayé de poursuivre une analyse psychanalytique des
expériences paranormales. Nous reprendrons plus en détail ces auteurs et leurs théories dans la partie
théorico-clinique, mais nous pouvons citer dès à présent la psychanalyste D. SI AHMED, qui a rédigé
une thèse de psychologie originale, sous la direction de D.ANZIEU, intitulée « Parapsychologie et
psychanalyse », et qui aujourd’hui encore intervient assez fréquemment auprès de personnes qui
rapportent ce type d’expériences41. On remarquera également les travaux de deux psychiatres
d’orientation psychanalytique sur ces questions : E.LABORDE-NOTTALE, dont les analyses portent
plus spécifiquement sur la voyance et Ph.WALLON, qui a rédigé plusieurs ouvrages sur le paranormal,
notamment un « Que sais-je ? ». On notera aussi les travaux de P.LE MALEFAN, que nous avons déjà
cité et qui a également étudié les « sorties hors du corps » et les NDE. Enfin, il existe de nombreux
psychanalystes dont les théorisations abordent partiellement ces expériences. On pense ainsi à
l’ensemble des travaux sur le transgénérationnel, à commencer par les écrits de N.ABRAHAM et M.
TOROCK sur la « crypte » et le « fantôme », de J.GUYOTAT, R.KAËS ou encore A.MIJOLLA-
MELLOR. Quelques auteurs étrangers ce sont également penchés sur ces questions, notamment le
célèbre psychanalyste italien E.SERVADIO, passionné par les questions parapsychologiques, et les
psychiatres américains J.EINSENBUD et J.EHRENWALD qui ont également rédigé plusieurs
articles et ouvrages sur ce thème.
Les premières hypothèses freudiennes, mais aussi la plupart des travaux plus récents, montrent que
les « expériences paranormales » sont souvent abordées à travers différentes formes de
psychopathologie. On serait ainsi tout d’abord tenté de lier schizophrénie et expérience paranormale car
certains vécus de schizophrènes leurs paraissent souvent « paranormaux », comme l’indique V.TAUSK
dans son article « La machine à influencer » :

« Certains malades ressentent les modifications éprouvées au niveau de leur propre corps
et de leur esprit tantôt comme étrangères, tantôt comme hostiles ; ils attribuent ces
altérations uniquement à une influence psychique étrangère, une suggestion, une force
télépathique provenant des ennemis. »42
Il est ainsi fréquent que des schizophrènes décrivent des vécus télépathiques43 et des ressentis
appartenant à la catégorie précédemment définie, dans la première partie de ce mémoire, comme
« phénomènes internes et sentiment d’être influencé ». V.TAUSK interprète d’ailleurs ces impressions
comme étant situées entre le sentiment d’aliénation et une version plus tardive et évoluée représentée par
41
D. SI AHMED est membre de l’Institut Métapsychique International (IMI), fondation reconnue d’utilité publique, créée à
l’initiative de C.RICHET, en 1919, et qui est actuellement le seul organisme français composé de plusieurs chercheurs et
scientifiques travaillant sur ces questions.
42
TAUSK V., La machine à influencer, p. 94
43
D’ailleurs, la première patiente, schizophrène, de la clinique psychiatrique où j’effectuais mon stage commença la
conversation, lors de notre première rencontre, en m’expliquant qu’elle avait des capacités télépathiques ! Dans mon mémoire
de première année de Master, j’ai également rencontré un patient schizophrène, Ahmed, qui rapportait des vécus de même
nature.
12
la « machine à influencer ». E.LABORDE-NOTTALE, dans « La voyance et l’inconscient », note
également cette parenté au niveau temporel et avance :

« On peut comparer par analogie le rapport au temps du schizophrène et le caractère


apparemment intemporel de la voyance. En effet, le thème de la voyance est fréquemment
au centre des délires des schizophrènes, dont une des peurs peut être qu’on leur vole leurs
pensées. Une de leurs convictions tout aussi fréquentes est qu’ils peuvent lire dans les
pensées d’autrui, ce qui a d’ailleurs été décrit comme trait essentiel de la démence
précoce. »44
Ce lien entre expériences paranormales et schizophrénie a également été observé par les auteurs
anglo-saxons. Ainsi, A.GOULDING, qui a terminé, en 2004, à l’université de Göteborg, sa thèse sur
les liens entre expérience paranormale et santé mentale, explique que les personnes correspondant au
concept de schyzotypie45 ont tendance a rapporter davantage d’expériences paranormales que le reste de
la population, laissant ainsi penser que « les gens qui croient au paranormal ou qui vivent des
expériences paranormales peuvent être vues comme prédisposées à la maladie mentale »46. Cependant,
bien qu’il existe dans le discours des patients schizophrènes des vécus de type « paranormaux », il est
difficile de déterminer leur spécificité tant tout ce qui leur arrive peut sembler « paranormal », d’un point
de vu subjectif et devant l’éclatement de la pensée dont ils sont l’objet.
Outre la schizophrénie, on relie fréquemment expérience paranormale et pensée magique, en
particulier chez les patients obsessionnels. Dans ce cas, la pensée magique peut être interprétée comme
la régression à un mode de pensée animiste pré-objectal et à une surestimation des processus de pensée.
On pourrait aussi évoquer les états hystériques crépusculaires ainsi que certaines problématiques propres
aux états limites.
On peut alors se demander quels liens entretiennent d’une façon générale expériences paranormales
et psychopathologie. Ce type d’expérience est-il nécessairement relié à une forme de psychopathologie
ou une personne « normale » peut-elle en vivre également? Les données issues de l’I.G.P.P. et les
statistiques déjà évoquées en introduction indiquent que des sujets sains psychologiquement peuvent
effectivement rapporter de telles expériences47. C’est d’ailleurs ce que confirme A.GOULDING :

« Malgré le lien évident entre croyances et expériences paranormales et la schyzotypie, il


ne s’ensuit pas pour autant nécessairement que les croyances et les expériences
paranormales soient associées à des pathologies mentales. »48
Conclusion à laquelle arrive également J.P.VALLA pour qui « les expériences religieuses ou
paranormales surviennent chez de nombreux types de personnalité et indépendamment de la pathologie

44
LABORDE-NOTTALE E., La voyance et l’inconscient, p. 100.
45
La schyzotypie est le terrain héréditaire présent chez ceux (évalué à 3% de la population) qui auront tendance à développer
une schizophrénie.
46
GOUDLING A., Mental health aspects of paranormal and psi related experiences, p.13.
47
A l’I.GPP, 50% des personnes qui viennent consulter ne souffrent pas de troubles psychopathologiques.
48
GOUDLING A., Mental health aspects of paranormal and psi related experiences, p.16.
13
des individus. »49. Des psychologues50 ont même remarqué que certains de ces vécus étaient au contraire
source de bien être, développait le sens de la réalité et aidaient à se sentir mieux. En outre, si l’on
compare des groupes cliniques et non cliniques de personnes évoquant ce type d’expériences, celles qui
sont rapportées dans les groupes cliniques le sont de façon plus négatives, étranges et perturbantes. De
plus, les groupes cliniques reconnaissent moins l’étrangeté des expériences paranormales par rapport à
des expériences habituelles.
Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ces observations. Il est tout d’abord
envisageable que certains parmi ceux qui rapportent ces expériences, même s’ils ne sont pas encore
malades, risquent de le devenir ultérieurement. Ainsi, selon P.E MEEHL51, les personnes vivant des
expériences de ce type ont plus de risques de développer des pathologies mentales et d’après
C.McCREERY et G.CLARIDGE52, il est essentiel de repérer ces expériences pour prévenir
d’éventuelles décompensations. Une autre hypothèse, proposée notamment par A.GOUDLING, est
que ces personnes rencontrent certaines formes d’interactions « paranormales » réelles. Malgré ces
diverses hypothèses, il faut bien constater que ces expériences demeurent énigmatiques. C’est pourquoi
il me paraît intéressant d’envisager une autre piste qui guidera cette recherche et qui, du même coup,
légitimera en grande partie son intérêt. Que des patients rapportent des expériences paranormales n’est
pas étonnant en soi. En revanche, que des personnes qui ne souffrent pas de pathologies psychiques le
fassent aussi l’est davantage, ce qui plonge manifestement les auteurs anglo-saxons dans une grande
perplexité, ne sachant dans quelle catégorie « classer » ces vécus. Il me semble donc qu’une approche
psychodynamique peut aider à penser plus finement ce paradoxe des « expériences paranormales chez
des personnes normales ». Ainsi, au vu des données dont nous disposons, je propose l’hypothèse
suivante : tous ces sujets, qu’ils soient atteints de pathologiques psychiques ou non, rencontrent le même
type d’expérience mais elles vont secondairement être vécues, et métabolisées différemment selon les
spécificité de chacun. Toute la question alors est de déterminer la nature de ces expériences ou plutôt
quels sont les processus qui les caractérisent.
C’est avec ce préalable que nous aborderons un peu plus loin la partie clinique, sachant cependant
que les personnes rencontrées sont des patients. Il s’agira donc de déceler les processus à l’œuvre qui
traversent différentes « structures » psychopathologiques. Je propose à présent, pour compéter cet état de
la question, de découvrir brièvement les connaissances issues d’autres disciplines.

49
VALLA J.P., Les expériences religieuses et paranormales dans la population montréalaise, p.799.
50
Voir notamment SCHUMAKER J. F. (1987). Mental health, belief deficit compensation, and paranormal beliefs.The
Journal of Psychology, 121, 5, 451-457.
51
MEEHL P.E. (1990). Toward an integrated theory of schizotaxia, schizotypy, and schizophrenia. Journal of Personality
Disorders, 4, 1-99.
52
McCREERY C., et CLARIDGE G., Healthy schizotypy: The case of out-of-the-body experiences.
14
1.3 Bref panorama des connaissances provenant d’autres disciplines
En dehors des recherches portant sur les expériences paranormales et venant des domaines
psychanalytique et psychosociologique, on trouve également des travaux intéressants issus d’autres
disciplines. Il me semble essentiel de les évoquer ici, ne serait-ce que succinctement, car ce champ de
recherche, étant donné sa complexité, implique une approche large et trans-disciplinaire.

1.3.1 Approche cognitive


Une première approche a été proposée par des psychologues cognitivistes à partir d’une échelle
d’évaluation appelée « Paranormal Belief Scale » (PBS). Développée par J. TOBACYK et G.
MILFORD, en 1983, elle repose sur un questionnaire composé de 61 questions en lien avec 7 facteurs
orthogonaux53. Les résultats de cette échelle montrent que la structure des croyances au paranormal est
multidimensionnelle et qu’il n’existe pas un facteur qui permettrait d’expliquer l’ensemble de ces
croyances. C’est pourquoi les psychologues cognitivistes ont tenté de déterminer les multiples facteurs
pouvant être à l’origine des croyances et des expériences paranormales54. C’est notamment dans cette
perspective qu’ils ont développé le concept de « personnalité encline à la fantaisie » (fantasy-prone
personality) pour désigner les personnes qui tendent davantage à croire et à vivre des expériences
paranormales. Environ 4% de la population correspondrait à cette catégorie qui aurait des difficultés à
différencier imaginaire et réalité. De nature introvertie, elles se trouvent souvent dans un état de rêverie à
l’état d’éveil et ont une tendance à « halluciner » des objets imaginaires. Un certain nombre
d’indicateurs de ce type de personnalité ont été observés comme l’hypnotisabilité, le fait de vivre des
rêves lucides ou encore de rapporter des expériences de « sortie hors du corps ». Si l’on suppose que les
personnes qui vivent des expériences paranormales appartiennent effectivement à cette catégorie, il reste
à déterminer pourquoi. Le psychologue H.J.IRWIN a ainsi noté qu’un traumatisme ayant eu lieu dans
l’enfance pouvait engendrer un plus grand attrait pour le paranormal55. De la même façon, des sujets
ayant eu des parents alcooliques ont des scores plus élevés sur la PBS. Certains psychologues ont alors
proposé comme hypothèse que les expériences et les croyances paranormales permettaient de lutter
contre ou de diminuer l’anxiété. J.F.SCHUMAKER (1987) a ainsi montré que les personnes qui
croyaient au paranormal avaient tendance à rapporter moins de symptômes de détresses psychologiques

53
TOBACYK J., MILFORD G. (1983). Belief in paranormal phenomena : Assessment instrument development and
implications for personality functioning. Journal of Personality and Social Psychology, 44, 1029-1037. Les sept facteurs en
question sont les croyances religieuses traditionnelles, les phénomènes psi, la sorcellerie, la superstition, les formes de vies
extraordinaires, le spiritisme et la prémonition.
54
Ainsi différencient-ils relativement peu croyances et expériences paranormales. A ce sujet, les statistiques montrent, ce qui
parait logique, que les personnes qui croient au paranormal rapportent davantage d’expériences paranormales que les personnes
qui n’y croient pas .
55
HIRVIN H.J. (1994), Chilhood trauma and the origins of paranormal belief : a constructive replication, psychological
reports.
15
que des « sceptiques »56. Ces croyances pourraient selon lui servir de « biais cognitif » pour maintenir
un état d’équilibre mental. Plusieurs autres hypothèses ont été proposées : croyance au paranormal
s’appuyant sur une mauvaise évaluation des probabilités, illusions cognitives provenant d’une
évaluation inadaptée d’évènements aléatoires, autres formes d’illusions et d’artefacts, etc.. Il existe
d’autres pistes de recherches que nous ne pourrons qu’aborder brièvement. Tout d’abord, la nature des
hallucinations chez les personnes qui rapportent des expériences paranormales et qui pourrait confirmer
qu’une part de la population, non diagnostiquée psychotique, présente au cours de sa vie des
hallucinations franches, le plus souvent dans des états de conscience particuliers. Il semble également
que dans un certain nombre de cas, il s’agisse davantage d’une problématique à la croisée de la
croyance, de l’interprétation et de l’illusion que de l’hallucination, les anglo-saxons utilisant le terme de
« delusion » pour définir des « croyances erronées qui impliquent habituellement une mauvaise
interprétation de certaines perceptions et expériences »57.

1.3.2 Données issues de la neurophysiologie et de la parapsychologie scientifique


Différentes expériences montrent que certains paramètres neurophysiologiques et physiques sont
aussi à prendre en compte pour comprendre ces expériences. On remarquera tout d’abord les travaux
suisses d’O.BLANCK, en 2002, qui, lors de stimulations du gyrus angulaire, entre lobes temporal et
pariétal, chez une patiente atteinte d’épilepsie partielle, engendra des sensations en partie identiques à
celles vécues lors d’une OBE ce qui, pour l’auteur, « suggère que les OBE et illusions complexes
somatosensorielles peuvent être artificiellement induites par des stimulations électriques du cortex »58.
M.PERSINGER a lui aussi ouvert une piste de recherche intéressante en montrant comment des
stimulations par ondes électro-magnétiques, également au niveau de la zone temporo-pariétale,
pouvaient induire certaines formes d’hallucinations et de « sentiment de présence ». Ce phénomène
pourrait notamment être une piste pour comprendre la récurrence d’apparitions dans certains lieux
réputés « hantés ». On remarquera aussi les travaux de P. BRUGGER59, qui suggèrent que certaines
« pensées paranormales » sont en lien avec un taux élevé de dopamine dans le cerveau, plus
particulièrement la L-Dopa, qui favoriserait certaines « associations ».
Il existe également un courant de recherche, la parapsychologie scientifique, qui tente d’étudier en
laboratoire certains phénomènes paranormaux dénommés aussi « phénomènes psi »60. L’hypothèse qui

56
SCHUMAKER J. F. (1987). Mental health, belief deficit compensation, and paranormal beliefs.The Journal of Psychology,
121, 5, 451-457.
57
GOULDING A., Mental health aspects of paranormal and psi related experiences, p.9.
58
BLANK O., ORTIGUE S., LANDIST. SEEK M. (2002) , Stimulating illusory own-body perceptions., Nature, 219, p.269.
59
D. BRUGGER P. et all. (2001), Associative processing and paranormal belief, Psychiatry Clinical Neuroscience., 55, P.595.
60
Pour une revue de littérature, voir l’ouvrage de D. RADIN, la conscience invisible, Presses du Châtelet, 2000.
16
guide la recherche de ces scientifiques61 est que certains de ces phénomènes auraient une réalité
objective. Leurs recherches, effectuées dans des conditions contrôlées, ont donné lieu à certains résultats
étonnants62 pour lesquels il n’existe cependant pas de théorie explicative malgré plusieurs pistes de
recherche reposant notamment sur la physique moderne63. S’agissant d’effets faibles et difficilement
reproductibles, ces chercheurs n’excluent pas que ces résultats puissent également avoir pour origine un
ensemble de biais et d’artefacts subtils64. Ces travaux, aussi méconnus que controversés, ouvrent un
angle paradigmatique différent pour comprendre certaines de ces expériences. Or, la plupart des
psychologues, ne connaissant pas ces recherches, excluent a priori la possibilité d’existence
d’interactions de ce type. Depuis quelques années, on voit pourtant se multiplier des laboratoires de
psychologie travaillant sur ce sujet dans différents pays européens, en particulier en Grande-Bretagne65.
On remarquera notamment les recherches effectuées à partir d’IRM et de TEP, résumées par la
psychologue C.ALEXANDER66, montrant certaines caractéristiques électroencéphalographiques
particulières chez les personnes qui rapportent des perceptions extra-sensorielles.

1.3.3 Approches provenant d’autres sciences humaines


Parmi l’ensemble des autres sciences humaines, il me semble que se dégagent de très nombreux
travaux d’orientation ethno-anthropologique. Dans le cadre de ce travail, je n’ai pu en aborder que
quelques uns. Ainsi, j’ai tout d’abord rencontré les travaux de J.FAVRET-SAADA qui a longuement
étudié, dans « Les mots, la mort, les sorts », la pratique de la sorcellerie dans le bocage normand. Dans la
continuité de ces recherches, on peut également évoquer l’ouvrage de D.CAMUS « Voyage au pays du
magique », dont certaines observations recouperons notre matériel clinique. Je citerai également les
travaux de F.LAPLANTINE qui a dirigé un ouvrage collectif intitulé « Un voyant dans la ville »,
analysant la pratique d’un voyant lyonnais, et a aussi consacré un livre au spiritisme brésilien, co-écrit
avec M.AUBREE, et intitulé « La table, le livre, les esprits ».
Par ailleurs, plusieurs auteurs ont abordé ces questions sous un angle épistémologique. C’est le cas
d’I.STENGERS 67ou de B.MEHEUST que nous avons déjà cité à plusieurs reprises.

61
La Parapsychological Association (PA), organisme qui regroupe les scientifiques travaillant dans ce domaine, est membre de
l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) depuis 1969. Ces chercheurs sont en quelque sorte les
descendants des membres des sociétés de recherche psychique du début du siècle.
62
On remarquera en particulier, parmi ces recherches, le dispositif Ganzfeld, crée à l’initiative du psychologue
C.HONORTON, qui vise à étudier l’existence de la télépathie. Pour plus d’informations, Cf. BEM D. et HONORTON C.
(1994), Does psi exist ?, Psyhological Bulletin, 115, 4-18.
63
Voir à ce sujet, l’article du physicien français O. COSAT de BEAUREGARD, « La rationalité du paranormal », dans le
numéro des Cahiers Confrontation intitulé « Télépathie » ainsi que cet article du prix Nobel de physique B.JOSEPHSON :
Biological Utilisation of Quantum nonLocality, Foundations of Physics, Vol. 21, 197-207, 1991.
64
Pour plus de détails, Cf. J.ALCOCK (2003), Give the null hypothesis a chance, Journal of Consciousness Studies 10, 29-50.
65
Plusieurs universités britanniques comptent des scientifiques qui ont été formés à la parapsychologie expérimentale à la
Koestler Parapsychologie Unit, située à l’Université d’Edimbourg. Pour plus d’informations voir : http://moebius.psy.ed.ac.uk/
66
ALEXANDER C.(2002), Psychic Phenomena and the Brain, 45th Annual Convention of the PA, 9-24.
67
STENGERS I. (2002), Le psi, Jocker du futur ?, discours prononcé lors du congrès 2002 de la Parapsychological
Association.
17
1.4 Problématique et hypothèses
Les données que nous avons vues précédemment mettent en lumière la complexité de ces
expériences. Les aspects historiques démontrent l’importance qu’ont eu ces problématiques pour la
psychologie. Elles me paraissent aujourd’hui toujours aussi intéressantes pour les psychologues, ce que
n’avait pas manqué de noter en son temps S.FREUD. Les approches cognitives, quant à elles, sont
enrichissantes mais offrent principalement un abord de surface. Il me semble donc qu’une approche
psychodynamique, tout en prenant en compte les connaissances issues d’autres domaines et fondée sur
une métapsychologie des processus, est à même de fournir une étude approfondie de la réalité psychique
des personnes qui rapportent ces expériences.

Dans cette perspective, je propose la problématique suivante :

Pourquoi certaines personnes vivent-elles des expériences qu’elles qualifient de paranormales ?


Quelle est la spécificité de ces expériences ? Dans quelles conditions surviennent-elles ? Quels sont
les processus intrapsychiques et intersubjectifs qui les caractérisent ? Comment ces expériences
s’articulent-elles avec l’ensemble de la vie psychique et certaines données psychopathologiques ?

Et les hypothèses suivantes :

• Première hypothèse :
L’expérience paranormale serait une forme de défense face à une séparation traumatique venant
faire écho à une individuation et séparation difficile d’avec l’objet primaire.

• Deuxième hypothèse :
L’expérience paranormale aurait pour origine des formes de transmissions psychiques
inconscientes en lien avec des processus d’identification projective et l’expression de contenus
transgénérationnels.

• Troisième hypothèse :
L’expérience paranormale serait la conséquence de transfert de pensées complexes concernant
tout autant des processus de métabolisation intrapsychique que leurs prolongements susceptibles
de prendre la forme de communications intersubjectives spécifiques.
18
CHAPITRE II : CHAMP METHODOLOGIQUE

2.1 Présentation du lieu de stage


J’ai eu quelques difficultés à trouver un lieu de stage adapté à ma recherche. En effet, étant donné
qu’il n’existe pas, en France, de structures spécifiquement consacrées à ce type de demande, quel cadre
de recherche fallait-il envisager pour rencontrer des personnes rapportant des expériences
paranormales ? Au vu des données statistiques dont je disposais, je pouvais espérer entendre des sujets
ayant vécus ce type d’expérience en ayant accès à une large population68. C’est pourquoi je me suis
tourné vers des lieux me permettant d’accéder à un grand nombre de patients. J’ai effectué mon stage de
Master Recherche au sein d’un pôle psychiatrique constitué d’un centre médico-psychologique (CMP),
d’une clinique psychiatrique (faisant partie du dispositif de secteur) et d’un hôpital de jour, sur une
période de six mois, de janvier à juin 2006. J’étais présent deux jours par semaine, les mardis et
mercredis, dormant sur place les mardis soirs, ce pôle psychiatrique n’étant pas situé à proximité de
Lyon. J’ai participé à plusieurs activités dans le cadre de ce stage. J’ai tout d’abord pu rencontrer, au
CMP, près d’une dizaine de patients lors d’entretiens à vocation thérapeutique. J’ai également assisté à
des séances d’un groupe d’activité manuelle sur l’hôpital de jour. Enfin, j’ai pu rencontrer plusieurs
patients sur la clinique à qui j’ai proposé un espace de parole lors de leur hospitalisation.

2.2 Dispositif utilisé et recueil des données


Parallèlement à cette démarche de formation, j’ai développé le dispositif de recherche suivant. Le
recueil du matériel clinique s’est effectué à partir d’entretiens individuels, non directifs, avec des patients
envoyés par les équipes soignantes du CMP et de la clinique psychiatrique. J’avais auparavant présenté
à l’ensemble du personnel mon thème de recherche, qui a été bien accepté, et le type de patients attendu.
Il pouvait s’agir de patients qui avaient été suivis, qui étaient en train d’être suivis ou de tout nouveau
patient qui se présenterait. Sur les six patients qui m’ont été adressés, quatre correspondaient
précisément à ma recherche. Je proposais ensuite aux patients qui m’étaient envoyés un cadre précis.
Etudiant en psychologie, je réalisais un travail de recherche sur les expériences vécues comme
paranormales. Dans cette perspective, je souhaitais m’entretenir avec eux. Nous nous rencontrerions tout
d’abord à cinq reprises. Ils me parleraient de leurs expériences, sachant que cela me fournirait le matériel
clinique nécessaire à ma recherche et que les données seraient anonymisées. En contre-partie, cet espace
pourrait représenter pour eux un lieu de parole à propos de ces expériences et de leur histoire. Au terme
des cinq entretiens, nous déciderions ensemble d’éventuels entretiens supplémentaires. Dans trois cas,
j’ai proposé aux patients de nous voir à nouveau à trois reprises afin d’obtenir davantage de matériel
clinique. J’ai enfin indiqué clairement au début des entretiens, et chaque fois que cela m’a semblé
68
Cf. FACH. W. (2004), The phenomenology of exceptionnal experiences : an analysis og IGPP conseling cases, The
Parapsychological Association, 47th Annual Convention Proceedings of the Presented Papers, 321-322.
19
nécessaire, qu’en tant que stagiaire psychologue, je ne me positionnais pas sur la question de la réalité
« objective » de ces phénomènes mais de leur réalité « subjective », c’est à dire la façon dont ces
personnes avaient vécues ces expériences et comment elles s’articulaient avec l’ensemble de leur vie
psychique. Les entretiens avaient lieu en face à face dans un bureau du CMP.
Sur les cinq patients présentés dans ce mémoire, trois cas correspondent précisément à la
méthodologie décrite ci-dessus. Pour le troisième cas, celui de Madame F., la seule différence concerne
le nombre d’entretiens car je n’ai pu la voir qu’une seule fois. En effet, elle fut hospitalisée avant notre
deuxième rencontre. Ayant fini mon stage avant qu’elle ne soit rétablie, je n’ai donc pu la revoir dans le
cadre d’un nouvel entretien, même si j’ai échangé quelques mots avec elle durant son hospitalisation.
J’ai quand même choisi de présenter ce cas car j’ai eu accès à des données cliniques à son sujet par
différentes sources (personnel, dossier, etc.). Le premier cas présenté (Astride), correspond également à
une patiente que je n’ai pu voir qu’à une seule reprise. Mais les conditions de l’entretien furent bien
différentes. Patiente manifestement en grande détresse, et notamment en lien avec la dimension qu’elle
vit comme étrange de certaines expériences personnelles, je l’ai rencontré au cours d’un long entretien
de deux heures, en compagnie d’un psychiatre. Ce dernier, qui travaille dans une clinique psychiatrique
privée, connaissait mon thème de recherche et lui avait proposé une consultation conjointe. Comme
Astride n’a pas souhaité participer par la suite à d’autres entretiens de recherche, je n’ai pu la revoir. J’ai
malgré tout choisi de présenter ce cas car il m’est apparu particulièrement typique de la phénoménologie
rencontrée auprès des personnes vivant certaines expériences comme paranormales et susceptibles de
consulter pour cela.
J’ai également fait le choix d’utiliser un magnétophone, demandant aux patients s’ils étaient
d’accord pour être enregistrés. Ils ont tous accepté. J’ai fait ce choix car cela m’évitait d’avoir à prendre
des notes lors des séances, avec les inconvénients que cela peut présenter dans une séance en face à face.

2.3 Questionnement du dispositif utilisé et limites de la méthodologie employée


Quelle a pu être l’influence de mon thème de recherche sur le dispositif de recherche et la
méthodologie mise en place ? Tout d’abord, comme le remarque P.LE MALEFAN, le paranormal
interroge nécessairement :

« l’attitude du clinicien envers ce qui est proprement extraordinaire, soit ce qui vient mettre
en question son rapport à la rationalité ambiante et aux catégories fondamentales qui
ordonnent le monde, ainsi que sa conception de la psyché et de sa pratique. La difficulté est
ici d’ordre épistémologique autant que transférentielle »69
Cette double difficulté, épistémologique et transférentielle, m’a semblé particulièrement présente
dans ma recherche, tout d’abord au niveau du dispositif qui a eu à peu près le même « effet » sur les

69
LE MALEFAN P. , La « sortie hors du corps » est-elle pensable par nos modèles cliniques et psychopathologiques ? Essai de
clinique d’une marge. A propos d’un cas, p. 524.
20
différents patients rencontrés. Les premiers entretiens furent une longue énumération, riche en détails,
des différentes expériences paranormales vécues par les sujets. Ceux-ci ont généralement peu la
possibilité d’évoquer ce qu’ils ont vécu, pourtant de façon souvent bien inquiétante. Le fait d’en parler a
donc un effet cathartique et cela explique certainement en partie pourquoi les patients acceptaient très
volontiers ces entretiens. On peut aussi s’interroger sur ce que représentait pour eux le fait qu’un étudiant
en psychologie leur propose de parler de leur expérience paranormale. On sortait là d’un cadre classique.
Peut-être, d’une certaine façon, se trouvaient-ils mis à la place de celui qui sait, ce qui pourrait expliquer
une tendance qui leur fut commune (hormis peut-être chez Madame F.), celle d’une volonté de me
convaincre. Peut-être avais-je moi-même « pressenti » cette composante de la rencontre, ce qui fut à
l’origine de mon choix d’utiliser un magnétophone ? Ne s’agissait-il pas là d’une tentative
d’ « objectiver » ces expériences, faisant ainsi écho aux vécus des patients insistant fréquemment sur la
« réalité » des expériences qu’ils amènent ? On ne peut pas exclure non plus que le magnétophone ait pu
amplifier une certaine forme de reconnaissance narcissique, et qu’associé à l’aura de la notion de
recherche, cela ait pu renforcer le caractère « unique » de leur expérience.
Il me paraît important de souligner enfin un autre choix méthodologique initial. J’ai opté pour
aborder l’ensemble des expériences paranormales et non pour faire un travail centré sur un type
d’expérience en particulier. Ce choix, déjà justifié dans la première partie, a eu des conséquences dans la
clinique et son analyse. En effet, les cas abordés pourront peut-être paraître très (trop ?) variés, voire
hétérogènes. Pourtant, plus qu’une limite, c’est bien un choix dont il s’est agi. Certes, les répercussions
cliniques sont loin d’être négligeables car cela m’a conduit à présenter cinq cas plutôt que d’en
approfondir un ou deux. Mais il me semble que, compte tenu de l’état actuel de la question dans ce
domaine, une vue transversale est plus pertinente car nombreux sont les liens qui peuvent être faits entre
les différents vécus paranormaux. Et, comme nous le verrons, les patients font eux-mêmes ces liens.
Cette approche m’a permis de faire travailler davantage les cas entre eux. Cela représenta pour moi l’une
des difficultés majeures à laquelle je me suis trouvé confronté. Cependant, même si le nombre de cas est
assez élevé pour un travail de Master Recherche, il reste restreint pour un réel approfondissement de la
question qui ne pourrait s’envisager que dans un travail de thèse. Une des autres limites de ce travail
provient du fait qu’il y a deux patients que je n’ai vu qu’une seule fois, restreignant ainsi le matériel
clinique auquel j’avais accès et peut-être la profondeur de l’analyse.
On remarquera enfin que les patients de mon échantillon ne se sont pas tous « positionnés » de la
même façon que ce soit par rapport à leurs vécus paranormaux ou par rapport à moi. Cela est-il
susceptible d’avoir pu biaiser mon recueil de données ? En effet, il y a une différence entre une demande
spécifiquement formulée pour ces expériences (Astride), des patients suivis de longue date et évoquant
régulièrement des vécus paranormaux (Monsieur M., Lara, Eliane) ou une personne en voie de
décompensation (Madame F.).
21
CHAPITRE III : CHAMP CLINIQUE

Pour des raisons de confidentialité, cette version du mémoire ne propose pas la description
détaillée des cas cliniques.

Premier cas : Astride


Ce premier cas est celui d’une phénoménologie « poltergeist ». Astride décrit de façon
récurrente des phénomènes étranges dans son environnement qui ont commencé après une rupture
amoureuse, le décès d’une grand-mère dont elle était très proche et un déménagement pour retourner
vivre chez ses parents. Astride pense que ces phénomènes ont pour origine ses grand-parents décédés.
Déjà hospitalisée pour bouffées délirantes, Astride présente également des traits maniaco-dépressifs.
Elle semblait peu disposée à faire des liens entre sa vie psychique et ces phénomènes.

Deuxième cas : Monsieur M.


Le cas de Monsieur M. est particulièrement riche car il conjugue pratiquement toutes les
catégories d’expériences « paranormales » : phénomènes internes et corporels, états modifiés de
conscience, proximité avec un cas de poltergeist et pratiques spirites. Monsieur M. associe ainsi
pratique du magnétisme et certaines dimensions psychosomatiques, avec des dimensions paranoïaques.

Troisième cas : Madame F.


Le cas de Madame F. est à la rencontre entre expériences paranormales de type magnétisme et
une problématique de deuil concernant une mère et un frère décédé il y a de nombreuses années. Chez
Madame F. les expériences paranormales ont commencé après une séance de yoga par la vision d’une
lumière blanche éblouissante. Elle présentait elle aussi des troubles bi-polaires.

Quatrième cas : Eliane


Eliane a pendant très longtemps « vu » des apparitions à son endormissement et la nuit. Elle
décrivit également quelques phénomènes de type poltergeist a minima . Ces phénomènes s’inscrivent
dans une problématique de deuil sachant que les parents d’Eliane sont décédés avant ces apparitions
ainsi qu’un frère probablement assassiné.

Cinquième cas : Lara


Lara est un exemple d’impressions de « perceptions extra-sensorielles », vécues tout autant sur
le mode « télépathique » que « prémonitoire ». Ces impressions sont reliées à une ancienne petite amie
22
qu’elle a du mal à oublier. Les impressions « paranormales » permettent ainsi de garder une sorte
de lien avec l’être aimé, faisant office de défense face à une rupture impensable.
23
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36

CHAPITRE IV : CHAMP THEORICO-CLINIQUE

Certains passages, pour cette version du mémoire, ont été supprimés pour des raisons de
confidentialité (ces passages sont indiqués par ****).

4.1 Expérience paranormale et problématique traumatique


4.1.1 Expérience paranormale et séparations
Dans les différents cas décrits précédemment, nous remarquerons tout d’abord que les expériences
paranormales se produisent à la suite d’un contexte de séparation, qu’il s’agisse d’une séparation
amoureuse ou d’un décès. Monsieur M. et Lara commencent en effet à rencontrer des phénomènes
paranormaux à la suite de séparations amoureuses tandis qu’Eliane et Madame F. vivent des
expériences paranormales directement en lien avec le décès de certains proches. Quant à Astride, elle
conjugue séparation avec un petit-ami et décès d’une grand-mère dont elle était très proche juste avant
que ne commencent les phénomènes de poltergeist.
Cette caractéristique est également présente dans la littérature. E.LABORDE NOTTALE indique,
à propos d’un voyant, que « les premières sensations d’avoir un don de double vue étaient liées, chez
Monsieur C., à une dépression en rapport avec une rupture sentimentale. »70 et l’anthropologue
D.CAMUS, concernant des voyants et des magnétiseurs, remarque qu’ « il est […] frappant de
constater que tous ces individus ressentent les manifestations de leur aptitude à des moments très
difficiles de leur existence »71. Il propose notamment les exemples d’une dame ayant eu des flashs de
voyance qui ont débuté après le décès de sa fille, et celui d’un homme commençant à avoirs des flashs
du même ordre, suite à la mort de sa femme et de sa fille. Comment comprendre cet aspect clinique ?
Une première piste nous est donnée par H.J.IRWIN qui propose comme hypothèse que les
expériences paranormales permettraient de lutter contre l’angoisse suscitée par des évènements de vie
traumatiques72. En ce sens, l’expérience paranormale serait une défense contre certains évènements de
vie difficiles à élaborer, en particulier des séparations, ce qui pourrait expliquer les résultats statistiques
de certaines recherches anglo-saxonnes selon lesquelles les personnes rapportant des expériences
paranormales ont tendance à être moins anxieuses. Cette hypothèse semble être en adéquation avec le
cas de Monsieur M., pour qui la pratique du magnétisme a, semble-t-il, été une aide pour surmonter une
rupture amoureuse. Cependant, dans les autres cas, cet aspect paraît moins flagrant. Peut-être est-il
nécessaire de distinguer la tentative que représente l’expérience paranormale comme défense face à une
séparation et sa réussite effective. Voyons plus en détail la spécificité idiosyncrasique des cas étudiés

70
LABORDE NOTTALE E., La voyance et l’inconscient, p.62.
71
CAMUS D. Voyage au pays du magique, Enquête sur les voyants, guérisseurs, sorciers.., p.50.
72
HIRVIN H.J. (1994), Chilhood trauma and the origins of paranormal belief : a constructive replication, psychological
reports.
37
afin d’essayer de comprendre pourquoi et comment ce type d’expérience pourrait constituer une
modalité défensive.

4.1.2 Perceptions extra-sensorielles, traumatisme précoce et relation anaclitique


Les expériences paranormales seraient donc davantage susceptibles de se produirent après une
rupture amoureuse. C’est le cas de Lara. qui décrit une relation fusionnelle qu’elle ne peut mettre au
passé n’arrivant pas à s’empêcher de penser, notamment sous forme de « rêves prémonitoires », à son
ex-petite amie D.. Lara a longtemps eu le sentiment de « savoir » ce qui se passait encore dans la vie de
D. alors qu’elles étaient séparées. Cela pouvait aller jusqu’à l’impression de savoir à quel moment D.
avait des relations sexuelles avec une autre personne, ou le sentiment qu’elle « la sentait en elle quand
elle n’était pas là »73. Lara avait acquis la conviction qu’après avoir rêvé d’une autre ex-petite amie,
elle croisait D. dans les jours suivants. Comment comprendre ce que décrit Lara et ces impressions de
perceptions extra-sensorielles ?
Peut-être pouvons-nous tout d’abord penser ces vécus comme étant le fruit d’une évaluation erronée
des coïncidences, ce que S.FREUD appelle la complaisance au hasard, Lara rêvant fréquemment de D.
et ne se rappelant, par un processus de « mémoire sélective », que des fois où elle l’a réellement croisée.
S.FREUD a également proposé comme hypothèse, dans « une prémonition onirique accomplie », que
dans ce type de cas, il pourrait s’agir d’une création après-coup selon un processus de censure qui
modifie la causalité en l’inversant : Lara aurait inversé le temps du rêve avec le moment où elle a
effectivement vu D.. Reste alors à déterminer quelle est l’origine intrapsychique des processus
conduisant à de tels mécanismes.
On peut ainsi remarquer que ces rêves prémonitoires se font par le « biais » d’une autre ex-petite
amie, qui plus est toujours la même, comme si un même investissement libidinal reliait deux personnes
avec la mère de Lara. En effet, Lara fait d’elle-même des liens entre sa relation avec D. et sa mère74. Il
est donc fort probable que cette séparation très difficile l’ait renvoyée à une relation maternelle
archaïque. Il semble ainsi que demeurent chez Lara des processus qui demandent inlassablement à
s’exprimer, notamment sous forme de ces « rêves prémonitoires ». Quels sont ces processus ? D’après
les éléments cliniques dont nous disposons, Lara décrit sa relation à sa mère étant enfant, comme
fusionnelle, « à la limite de l’inceste ». Dans le discours de Lara, concernant D., on retrouve une
relation du même ordre, comme si Lara pouvait encore vivre une relation aussi forte, relation dont elle
n’aurait pu faire le deuil. Cet impossible renoncement vient-il faire écho à une séparation d’avec l’objet
primaire qui se serait mal déroulée ? Peut-être cela tire-t il sa source de l’épisode dépressif dont la mère
de Lara fut victime lors de la petite enfance de sa fille. La séparation n’engendrait-elle pas chez cette

73
Nous rejoignons ici les processus d’incorporation : Lara reproduit avec D. ce qu’elle a peut-être dû faire avec sa mère lors
d’une situation psychique difficile, la mettre en elle. Nous y reviendrons plus loin.
74
Lara a notamment pu dire que ce qui lui plaisait chez D. était le fait qu’elle ait des enfants !
38
dernière des affects dépressifs, Lara devenant une enfant décevante ? Cela pourrait avoir eu pour
conséquence la création chez celle-ci d’un clivage entre une partie d’elle-même adaptée et une autre qui,
ne pouvant se séparer de sa mère (pour ne pas la faire déprimer), rechercherait donc inlassablement de
nouvelles relations afin de vivre le même état fusionnel. L’impression d’avoir des perceptions extra-
sensorielles serait ainsi la conséquence de cet impossible renoncement et symboliserait cette
problématique de séparation. Le sentiment d’être toujours en contact avec l’autre, que ce soit de façon
« télépathique » ou « prémonitoire » permettrait de garder un lien avec l’objet malgré son absence et de
lutter ainsi contre de fortes angoisses anaclitiques. Face à une séparation insupportable, ces impressions
seraient une solution de dernier recours avant une atteinte plus profonde du Moi à travers des états de
dépersonnalisation, une sorte de dernier rempart avant un état d’effondrement psychique. Ces
impressions se situent en effet à la limite entre perte d’identité et perte d’objet. Une part de Lara, qui n’a
pu se séparer, clivée, régresserait à une pensée magico-phénoméniste pour surseoir au traumatisme,
ouvrant alors sur un lien étrange et magique, souvent teinté d’un « sentiment d’évidence » qui n’est pas
sans rappeler les premières relations à la mère.
Lara, qui n’a pas vécu depuis une nouvelle histoire amoureuse, semble avoir trouvé un
aménagement en projetant dans le futur un nouvel état amoureux merveilleux qu’elle « pressent »
comme lui arrivant un jour, seul moyen de dompter des processus qui demandent inlassablement à
s’exprimer dans un état de fusion primaire.
On remarquera également, au-delà de cette dimension fusionnelle, l’importance du double dans
cette recherche de Lara qui appréciait de retrouver chez D. « quelqu’un qui était comme elle ». Elle
recherche peut-être ainsi un double d’elle-même, un double narcissique, lui permettant de construire
certains pans de psyché qui n’ont pas pu se constituer en temps voulu.
Ces différentes caractéristiques sont également repérables dans la relation transféro-contre-
transférentielle. Lara sentit tout de suite que ça « collerait » entre nous, et au-delà de certains
mouvements de séductions75, souhaita que nous ayons un « objet commun » (comme une course de
cheval ou un match de foot) qui permettrait de démontrer la réalité de ses capacités précognitives.
E.LABORDE NOTTALE a également remarqué que les cas de perceptions extra-sensorielles
étaient fréquemment en lien avec des ruptures amoureuses. Elle note d’ailleurs que les « flashs » sont du
registre visuel et qu’ils « réunissent », contrairement à la parole qui sépare. La « double vue » permet
ainsi, comme nous l’avons déjà envisagé, de rester lié avec ceux qui sont loin. Elle vient compenser, ou
combler, un abandon76. On peut également penser que ces séparations ravivent des angoisses
d’abandon, angoisses élaborées lors de la position dépressive, décrite par M.KLEIN, angoisses d’être

75
Même si elle a eu des relations avec des garçons dans le passé, Lara préfère les relations féminines car selon elle « il n’y a
pas de défis avec les garçons ». Les choix sexuels de Lara semble bien évidemment en lien étroit avec les problématiques
maternelles en jeu lors des perceptions extra-sensorielles.
76
Cf. le cas de Coccinelle (La voyance et l’inconscient, p.62).
39
abandonné provenant de la crainte de ses propres pulsions agressives envers l’objet total et d’un rejet
possible de sa part. D.W.WINNICOTT remarque d’ailleurs à ce propos que :

« chez les personnes de type schizoïde, il se peut que la position dépressive ne se réalise pas
de façon significative et il est nécessaire d’avoir recours à une re-création magique, faute
de ce que l’on décrit comme réparation et restauration. »77
L’expérience paranormale pourrait être pensée comme ayant cette fonction de re-création magique,
notamment dans le cas des perceptions extra-sensorielles.
On remarquera dans l’histoire d’Astride, comme dans celle de Monsieur M., de grands états de
fusions avec la mère. Quelques expressions commençant par « on » de la part de la mère d’Astride
montre clairement une certaine confusion entre elle et sa fille tandis que Monsieur M. décrit une mère
particulièrement envahissante. Certaines expériences paranormales, qu’il s’agisse de magnétisme, de
perceptions extra-sensorielles, ou de poltergeist, traduisent donc une indifférenciation avec
l’environnement qui pourrait avoir pour origine un rapport particulier à la mère. Cela a notamment pu
générer une posture transférentielle chez Lara et Monsieur M. incluant une certaine familiarité teintée
d’une difficulté à trouver la bonne distance. Cela pu aller jusqu’à un transfert par retournement de la part
de Monsieur M. lorsqu’il décrivit les fois où il s’était fait battre, me faisant ressentir une souffrance que
lui-même ne semblait pas vivre. Cette problématique maternelle donnerait lieu à un traumatisme
précoce, un traumatisme primaire, rendant ces personnes particulièrement sensibles aux séparations
amoureuses et au développement secondaire d’expériences paranormales. Dans de telles situations,
certaines formes d’expériences de ce type constitueraient une régression à des points de fixation
correspondant à des états relationnels antérieurs, avant la distinction claire entre la mère et l’enfant. Nous
rejoignons ce que remarque J.BERNAT :

« la croyance et la propension à l’occulte ne sont donc que la réalisation d’un fantasme


narcissique, celui de la nostalgie d’un temps sans frontières entre moi et le monde – que
réalise en permanence l’animisme – permettant l’union des affects et du monde externe
dans la toute puissance de la pensée hallucinatoirement réalisée, hors toute frontières entre
le moi et le monde, entre moi et objet »78
On peut également faire un parallèle avec les théorisations de V.TAUSK qui montre que cet état est
le fruit de la nostalgie de l’étape de constitution du moi où les pensées de la mère deviennent celles de
l’enfant, ce qui explique que l’on retrouve très fréquemment, dans le discours des schizophrènes, la
croyance en des influences télépathiques79.
Au vu du matériel clinique dont nous disposons, je propose donc comme hypothèse que
l’expérience paranormale est la conséquence de deux traumatismes. Un premier, précoce, en lien avec la

77
WINNICOTT D.W. , De la pédiatrie à la psychanalyse, p.152.
78
BERNAT J., Transfert et pensée, p.151.
79
TAUSK V., De l’influence de la machine à influencer chez les schizophrènes. De mon côté, j’avais déjà rencontré un tel lien, dans
le cadre de mon mémoire de Master I, où le patient schizophrène que j’avais étudié, Ahmed, avait la conviction de vivre des
expériences télépathiques que j’avais rattachées à un état d’agonie primitive.
40
séparation d’avec la mère, qui s’est enkystée chez le sujet et qui est ravivée lors d’une séparation
traumatique plus tardive, donnant lieu à une défense sous forme d’expérience paranormale.
Concernant cette problématique de séparation, nous pouvons nous référer aux théorisations de
M.MALHER pour qui l’angoisse de séparation fait son apparition à la fin de la phase symbiotique,
dans une période relativement tardive vers 12 ou 18 mois80. La phase symbiotique se caractériserait par
une fusion psychosomatique avec la mère apportant l’illusion de la toute puissance et de l’omnipotence.
Elle débouche sur la phase de séparation-individuation allant du dixième mois jusqu’à trois ans,
permettant notamment la construction de la permanence de l’objet. Séparation et individuation sont
étroitement liées, la naissance psychique de l’être humain étant simultanée de l’acquisition du sentiment
d’être séparé et en relation. Dans les expériences paranormales, et tout particulièrement les perceptions
extra-sensorielles, il y aurait donc régression à cette symbiose de façon à lutter contre des angoisses de
séparation archaïques ravivées par une séparation effective d’avec l’objet d’amour, ce que l’on retrouve
de façon flagrante dans les propos de Lara. C’est également cet aspect symbiotique qui donne cette
coloration particulière des expériences paranormales qui, comme nous l’avons vu dans la partie clinique,
renvoie toujours à une forme d’interaction directe et mystérieuse avec l’environnement. Les différentes
expériences paranormales seraient des modalités différentes d’expressions de cet aspect régressif à une
modalité symbiotique.
La difficulté d’une telle théorisation est qu’elle renvoie à une expérience précoce, comme une
agonie primitive, ayant été exclue de la subjectivité du sujet. Elle n’est donc pas facilement repérable car
elle s’exprime davantage par ses conséquences en creux que par un souvenir clair et précis. On peut
cependant repérer plusieurs éléments, en plus de ceux décrits précédemment, allant dans le sens de la
prégnance de la dimension archaïque maternelle dans ces cas.
On remarquera tout d’abord chez Lara et Monsieur M. de fortes addictions, au cannabis et à
l’alcool, qui ont cédé la place aux expériences paranormales, comme si ces expériences faisaient office
d’aménagement suite à la disparition du recours à des drogues. Les drogues n’étaient-elle pas alors une
tentative de renouer avec cet état de fusion primaire, notamment grâce aux états de conscience induits
par ces substances ? Lara a d’ailleurs fait explicitement le lien entre son addiction à la cigarette et son
ex-petite amie. Dans ces deux cas, c’est quand l’addiction disparaît que les croyances au paranormal
surgissent comme une autre forme d’investissement.
On retrouve également chez Lara et Monsieur M. des conduites à risque, même si elles ne sont pas
tout à fait de même nature. Lara dit avoir eu de nombreux accidents : elle est restée coincée au dessus
d’un point, simplement retenue par les cheveux. Etant enfant, elle a été prise dans un feu de campagne.
Elle a également eu un accident de moto et est aussi restée coincée sous un canoë. Monsieur M. aurait
également failli se faire tuer plusieurs fois lors de bagarres. Ces conduites à risques sont-elles une

80
MAHLER M et all., La naissance psychologique de l’être humain.
41
tentative de revivre et de mettre au présent du Moi des vécus agonistiques ? Dans le cas de Monsieur
M., on pourrait également se demander si le fait de chercher délibérément des situations pour se faire
battre ne sont pas un moyen de ressentir une enveloppe de souffrance (M.ENRIQUEZ).
Ainsi, un certain nombre d’éléments cliniques laissent penser que l’expérience paranormale pourrait
être une forme de défense face à une expérience traumatique précoce, conséquence d’une séparation
difficile d’avec l’objet primaire, pouvant notamment avoir pour origine des vécus agonistiques.

4.1.3 Autres formes de traumatismes et expériences paranormales


En plus de cette première forme de traumatisme précoce, les données cliniques dont nous disposons
conduisent à s’interroger sur d’autres formes de traumatismes, survenus ultérieurement, et n’étant pas
forcément du registre de la séparation. On peut tout d’abord noter que les pères de Lara, Monsieur M.,
et Eliane étaient tous trois alcooliques et battaient leur femme. (****)
H.J.IRWIN a également remarqué la prédominance de parents alcooliques et d’abus sexuels chez
les personnes rapportant des expériences paranormales. Cet abus et les conséquences d’un père
alcoolique pourraient engendrer chez l’enfant des théorisations paranormales qui font retour comme
mode de défenses dans des situations difficiles. J’ai été surpris de voir ainsi chez Eliane et Lara une
sorte de croyance en une justice divine selon laquelle ceux qui feraient du mal payeraient forcément un
jour, ce qu’on peut relier au fait que le père de Lara soit allé en prison et celui d’Eliane soit mort jeune.
Chez Lara, cette « théorisation » va jusqu’à une croyance en un Dieu omniprésent.
Dans ces cas, l’expérience traumatique semble avoir eu lieu dans l’enfance mais elle pourrait
également survenir à l’âge adulte, après un accident ou une grave maladie, engendrant chez la personne
une certaine sensibilité à ce même traumatisme chez autrui. C’est ce que remarque D.CAMUS qui
indique, concernant certains voyants, que :

« la nature de ces phénomènes est directement liée à leur propre vie, à ce qui les préoccupe
le plus. Ainsi ceux en mal de « cocon familial » vont-ils être « prédestinés » à sentir les
séparations. Ceux qui ont eu à subir de traumatisantes afflictions à cause de maladie ou
d’accidents vont être particulièrement sensibles à ces situations. »81
Ce phénomène est effectivement très fréquent chez les voyants82. On peut supposer, dans cette
optique, que l’expérience paranormale (comme le développement de flashs de voyance, par exemple)
est le fruit d’une tentative d’élaboration : aider les autres pour s’aider soi-même par un processus
d’identification. Chez Monsieur M., cette sensibilité pour les jeunes filles violées et agressées est peut-
être le signe d’un abus, réel ou imaginaire, dont il aurait été victime enfant (lorsqu’il s’était retrouvé seul
dans une cave « avec des plus grands ») et cette volonté de les soigner serait un moyen de gérer de façon
intrapsychique sa propre agression.

81
CAMUS D. Voyage au pays du magique, Enquête sur les voyants, guérisseurs, sorciers.., p.50
82
Ainsi G.CROISET, un célèbre voyant hollandais, qui avait failli se noyer étant jeune, se disait plus particulièrement doué
pour retrouver des personnes mortes noyées.
42
Cependant, étant donné le matériel clinique dont nous disposons, il est difficile de confirmer cette
hypothèse car, dans la plupart des cas, chez Monsieur M. et Lara en particulier, on observe à la fois
une problématique de séparation primaire et un deuxième traumatisme sous forme d’abus plus tardif. Il
est donc difficile de faire la part des choses, et cela d’autant plus qu’il est très probable que ces différents
traumatismes se combinent avant de donner lieu à l’expérience paranormale.
On peut se demander dans quelle mesure l’expérience paranormale pourrait alors être une forme de
symbolisation de ces expériences traumatiques. En d’autres termes, à partir de quand peut-on distinguer
une expérience paranormale symbolisante et une expérience paranormale de nature pathologique ? Peut-
être cette différence dépend-elle du lien qu’entretiennent l’expérience paranormale et le traumatisme.
Chez Lara, il semble qu’elle puisse progressivement « jouer » avec ces expériences permettant ainsi un
travail, certes long et difficile, d’élaboration. En revanche, il peut arriver que l’expérience paranormale
vienne figer l’inpensable, ce qui, comme l’a souligné M.BALINT83, peut donner lieu un phénomène
d’idéalisation qui empêche de voir la souffrance par un déni du traumatisme sous-jacent. Que ce soit
chez Astride, Eliane84 ou Monsieur M., l’expérience paranormale semble avoir ainsi davantage cet
aspect figé, qui se traduit par une sorte de fascination face aux phénomènes et une impossibilité de les
envisager en lien avec leur histoire.
Cette question de la symbolisation difficile rencontre des données ethno-psychanalytiques.
G.DEVEREUX indique ainsi que :

« L’individu traumatisé peut chercher à échapper à ses difficultés par un usage abusif de
matériaux culturels qui, non déformés, ne se prêtent pas à une utilisation symptomatique ou
encore en isolant certains traits culturels irrationnels qui peuvent servir à des fins
symptomatiques sans distorsion préalable. »85
Nous rejoignons ici la question de la croyance. Dans le cas de Monsieur M., l’expérience
particulière qu’il vit va être pensée à travers des matériaux culturels relevant du domaine du paranormal,
en l’occurrence les théories du magnétisme. Chez Astride ou Eliane, c’est la théorie en la survivance
des esprits qui fait office de « rationalisation ». La croyance, est ainsi, comme le souligne T.NATHAN
une économie psychique inconsciente à double-face, permettrant de réguler la frontière
dedans/dehors »86. C’est ce que note également J.GUYOTAT concernant les délires de filiation :

« le mécanisme est ainsi très près de celui de la possession par des esprits ancestraux qui
fonctionne dans certaines cultures ou religions ou encore des phénomènes de hantise des
croyances spirites. Ces croyances et religions tiennent un langage qui permet d’intégrer

83
BALINT M., Notes sur la parapsychologie et la guérison parapsychologique.
84
Chez Eliane, on retrouve également comme trace une forme d’arrêt de la pensée. S’agit-il d’une autre forme de protection
face à un traumatisme ?
85
DEVEREUX G., Ethnopsychiatrie générale, NRF, Gallimard, Paris, 1970, p 13.
86
NATHAN T. , La folie des autres, traité d’ethnopsychiatrie clinique, p.78.
43
dans le groupe, ces phénomènes ; ce qui n’est que peu le cas dans nos cultures
occidentales. »87

4.2 Expérience paranormale et transmission psychique inconsciente


4.2.1 Communication infra-verbale et identification projective normale
Je souhaiterais à présent analyser un aspect récurrent du discours des personnes vivant des
expériences paranormales. Elles décrivent fréquemment une dimension relationnelle particulière
caractérisée par une forme d’hypersensibilité à autrui. On la retrouve dans la description que fait
Monsieur M. de sa pratique de magnétiseur. Il a le sentiment de ressentir les pathologies des personnes
suffisamment précisément pour être capable de déterminer l’origine de leur douleur sans qu’elles aient
besoin de le lui indiquer oralement. Madame F. pense de la même façon ressentir ce qu’on attend
d’elle, sans qu’on lui dise, lorsqu’elle doit réaliser une composition florale. Quant à Lara, elle pense être
capable de voir, dès le premier regard, si une personne lui conviendra, si elle a une bonne « aura ». Cette
forme d’hypersensibilité, souvent interprétée comme un « don » ou un « sixième sens », est fréquente
chez les personnes qui vivent des expériences paranormales88. Comment comprendre cette impression
de ressentir ce que pense et vit autrui de façon exacerbée ? Quels peuvent être les processus psychiques
caractérisant cette « faculté » ?
Il me parait tout d’abord important de repérer les logiques de communication non verbales et infra-
verbales en jeu dans ce type de dynamique inter-relationnelle. E.LABORDE-NOTTALE utilise ainsi
le terme de « micro-mimiques » pour désigner les éléments à la base de cette communication
appartenant au registre de la transmission psychique inconsciente. Or, d’après d’A.CICONNE qui s’est
particulièrement intéressé à cette question, « la voie royale » de la transmission psychique inconsciente
n’est autre que l’identification projective et plus particulièrement l’identification projective normale,
élaborée par W.R. BION dans la continuité des travaux de M. KLEIN. L’identification projective
normale est en effet un mode de communication reposant sur la communication non-verbale. Selon
W.R.BION, la mère, par l’intermédiaire de la rêverie maternelle et sa fonction alpha, va « détoxiquer »
les éléments bêta qui correspondent aux données sensorielles brutes vécues par le bébé, pour les lui
renvoyer ensuite sous forme d’ « éléments alpha » qui forment une « barrière de contact » à l’endroit où
les éléments bêtas sont transformés en éléments alpha. Cette « détoxication », par l’intermédiaire de la
fonction alpha ouvre la voie aux processus de formation du symbole et à la constitution d’une :

87
GUYOTAT J, Mort, naissance et filiation, p.87.
88
Cette « capacité » est certainement également à l’œuvre chez les personnes installées comme voyant (Cf. F.LAPLANTINE
et coll., Un voyant dans la ville).
44
« membrane qui, de par la nature de sa composition et sa perméabilité, sépare les
phénomènes psychiques en deux groupes, l’un remplissant les fonctions de la conscience et
l’autre les fonctions de l’inconscience.»89
La qualité de cette barrière varie selon les individus et permet le maintien entre conscient et
inconscient. On peut supposer que chez des personnes comme Monsieur M., Madame F. ou Lara, il
existe une certaine porosité, une perméabilité au niveau de cette barrière de contact, entre processus
conscients et inconscients, se traduisant par une capacité à repérer et interpréter certaines « micro-
mimiques ». Le développement de façon exacerbée de cette forme d’identification projective peut avoir
des origines variées et qui renvoient à ce que nous avons vu dans la première partie : rester dans un état
de fusion primaire, lutter contre la séparation d’avec l’objet, repérer des changements d’humeur
brusques90.
Qu’il s’agisse du registre des perceptions extra-sensorielles, comme dans le cas de Lara, ou celui du
magnétisme, comme chez Monsieur M., on peut supposer que les mêmes processus sont en jeu selon
des modalités différentes. Dans la pratique du magnétisme, cette forme d’identification semble plus
archaïque, plus proche du corps tandis qu’avec les perceptions extra-sensorielles, nous sommes dans un
registre plus élaboré relevant de la dimension visuelle91. Il s’agirait donc, que ce soit pour le magnétisme
ou les perceptions extra-sensorielles, d’une caractéristique de l’identification projective normale
particulièrement développée, mais néanmoins inconsciente. Cette sensibilité proviendrait d’une forme
de porosité face aux processus primaires, donnant lieu à des ressentis et à des pensées figuratives de
l’ordre de l’empathie et de l’intuition. Les sujets interprèteraient ensuite les informations qu’ils
obtiendraient ainsi comme ayant pour origine un sixième sens, conception « magique » qui provient
peut-être de l’aspect également « magique » de la première relation avec la mère, lors de l’état de
préoccupation maternelle, qui appartient au registre du trouvé/crée décrit par D.W. WINNICOTT. On
remarquera également que cette forme de sensibilité, potentiellement à l’œuvre à tout moment et chez
tout être humain, trouve son expression la plus forte dans des états de consciences modifiés, qui
renvoient certainement eux aussi à des modalités de relation précoce aux autres et au monde.

4.2.2 identification projective pathologique et poltergeist


Cependant, cette hypersensibilité est parfois associée à une dimension pathologique. Cela semble
être le cas chez Monsieur M. à travers une étonnante transmission des pathologies d’autrui sur lui-
même. La plupart des troubles somatiques dont il souffre aujourd’hui sont en effet des affections qu’il a
dû « soigner » en tant que magnétiseur. Il dit lui-même ne pas s’être « protégé » au début de sa

89
BION W.R., Réflexion faite.
90
E.LABORDE-NOTTALE utilise l’expression de « capacités météorologiques » pour désigner la faculté de repérer des
changements d’humeurs imprévisibles.
91
Ce qui n’est cependant pas toujours vrai, un certain nombre de voyants décrivant l’impression de ressentir également
corporellement ce que vit ou ce qu’à vécu le consultant. Mais le registre visuel demeure généralement le plus prégnant.
45
pratique92. Cette forme de « transfert », associée à l’amélioration des patients, fait que Monsieur M.
pense qu’il existe une interaction sous forme de « fluide »93 entre lui et son consultant. Les personnes
vivant ce type d’expérience sont à la fois très sensibles, consciemment, du résultat de ces interactions
(sous forme de l’hypersensibilité que nous venons de voir), mais plus inconscientes quant à ce qui en
constitue la nature (généralement interprétée sous forme de théorisations occultes)94. On peut supposer
que ce « transfert » des pathologies provienne d’un processus d’incorporation, c’est à dire que « le moi
incorpore l'objet sans le transformer » et qu’ « il est lui-même transformé par l'objet, il est aliéné à
l'objet »95. Ce type de processus peut être la conséquence d’une expérience de survie psychique précoce
et revient à mettre l’objet maternel à l’intérieur de soi. Cette modalité défensive de l’identification
projective serait donc toujours à l’œuvre chez Monsieur M. qui s’en servirait dans le cadre de sa
pratique de magnétiseur, prenant ainsi la douleur d’un autre en accomplissant parfois un certain travail
de transformation96. Nous passons donc d’une forme accrue de l’identification projective à une modalité
pathologique qui vise à prendre le mal d’autrui sur soi.
Un autre versant de l’identification projective permet de penser une catégorie d’expérience
paranormale qui fonctionne sur un mode projectif différent du mode incorporatif que nous venons de
voir : les poltergeists. Rappelons qu’il s’agit de personnes qui rapportent des déplacements et des
disparitions d’objets dans leur environnement ainsi que l’audition de bruits variés inquiétants dont
l’origine leur demeure inconnue (Astride). Les différents auteurs qui se sont intéressés aux poltergeist
ont noté qu’il semble y avoir, dans cette situation, projections des conflits intrapsychiques sur
l’environnement. C’est notamment le cas de D.SI AHMED, qui analysa en détail le cas de la famille
Lemerle97, pour laquelle le poltergeist, à travers la maison, venait « chanter » les souffrances familiales.
On peut alors se référer à l’une des formes pathologiques de l’identification projective qui consiste à
se débarrasser d’un contenu mental perturbant dans les objets externes. Contrairement à l’identification
projective normale, au service de la communication, l’identification projective pathologique est alors au
service de l’évacuation et vise à dénier la réalité psychique. Comme l’a montré W.R.BION, dans le cas
de l’identification projective pathologique, les parties projetées, les éléments bêta, peuvent se désintégrer
et désintégrer les objets qu’elles enkystent formant des « objets bizarres » chargés d’hostilité
persécutrice, libérant le moi de la perception persécutrice dont la partie psychotique est l’objet, face à
l’angoisse de dépression provenant de la rencontre avec la réalité. Ceci n’est pas sans rappeler le cas
d’Astride et l’on retrouve dans de très nombreux cas de poltergeists ce vécu de persécution de la part

92
On retrouve fréquemment chez les magnétiseurs cette mise en garde contre une pratique du magnétisme sans « protections »
(cf D. CAMUS).
93
Conception, comme nous l’avons vu dans la première partie, qui date de F.A. MESMER.
94
comme chez Monsieur M. qui résiste à l’idée que son fluide ne soit pas de nature paranormal.
95
CICCONE A., la transmission psychique inconsciente, p. 24.
96
Se mettant par exemple à vomir face à une patiente avec des plaques d’eczéma.
97
SI AHMED D., Parapsychologie et psychanalyse, p 107.
46
des objets environnants. Peut-être s’agit-il d’une forme évolutive donnant lieu ensuite à une
décompensation franchement psychotique ? C’est peut-être ce qui s’est passé, par exemple, dans le cas
du président SCHREBER chez qui les premières manifestations anormales étaient du registre du
poltergeist98. De plus, un élément transférentiel vient étayer le fait que la nature du processus en jeu est
de ce type lors d’un poltergeist. En effet, toute remarque lors de l’entretien avec Astride qui tendait à
faire un lien entre les phénomènes qu’elle vivait et sa réalité psychique étaient mal perçus. Ainsi, comme
A. CICCONE le souligne : « les interprétations de l’analyste sont alors vécues comme une tentative de
repousser et de réintroduire à l’intérieur du patient le contenu insupportable et effrayant »99.
Plus généralement, on peut se demander dans quelle mesure Astride n’utilise-t-elle pas son
environnement comme objet de médiation, le poltergeist apparaissant comme une tentative d’expression
et d’externalisation d’un conflit intrapsychique. La visée thérapeutique sera de le considérer comme un
« médium malléable »100, de façon à aider progressivement le patient à se réapproprier cette
problématique intrapsychique projetée sur l’environnement, faisant du même coup disparaître son
caractère inquiétant. Il s’agira principalement d’aider le patient à retrouver le conflit en cause.

4.2.3 Contenu transgénérationnel, pratiques spirites et apparitions


Comme nous l’avons vu dans la partie clinique, Monsieur M. fait référence à des expériences qui
lui ont fait particulièrement peur lors de la rencontre avec un poltergeist au sein de la famille d’une amie.
Quand Monsieur M. en parle avec cette amie, il a un « flash » dans lequel il voit un « allemand enterré
dans le jardin », allemand qui aurait été tué par l’ancien propriétaire. Rappelons également que
Monsieur M. aimait faire des séances de spiritisme afin de savoir des « choses cachées », à l’origine de
« souffrances familiales ». Lors de ces séances, il cherchait en particulier à communiquer avec sa grand-
mère décédée et les « informations » obtenues par ce biais semblaient ensuite confirmées par sa mère.
Cette dimension inter ou transgénérationnelle est également présente dans le discours d’Astride qui fait
référence à une grand-mère dont elle était très proche, mais qui, tout en étant « morte et enterrée »,
semble encore bien présente car, selon elle, ses « insomnies et ses pétages de plomb » sont en lien avec
les esprits de ses grands-parents. On remarquera également les morts à répétition dans la famille
d’Eliane et de Madame F. Une dimension transgénérationnelle semble donc très présente.
Les conceptualisations développés par N. ABRAHAM et M. TOROCK, en particulier dans leur
célèbre ouvrage « L’écorce et le noyau », offre plusieurs pistent de réflexion dans cette perspective.
Selon ces deux auteurs, suite à un deuil inavouable consécutif à la perte d’un objet jouant le rôle d’idéal
du moi, il y a mise en œuvre chez le sujet d’une incorporation de l’objet conduisant à la forme d’une

98
Comme l’a pertinemment remarqué un étudiant de Strasbourg, R.EVRARD, dans son mémoire de Master I de psychologie
clinique sur les personnes hantées.
99
CICCONE A., La transmission psychique inconsciente, p. 45.
100
ROUSSILLON, Paradoxes et situations limites de la psychanalyse.
47
« crypte », d’un « caveau secret ». A l’origine de cette incorporation, se trouve un secret honteux en lien
avec l’objet. Le sujet garde alors ce secret et la honte de l’autre : il y a transmission de ce secret honteux.
Il peut également se produire une « identification endocryptique » lorsqu’il y a chez le sujet un échange
de son identité avec l’identité fantasmée de l’objet jouant le rôle d’idéal du moi. L’ombre de l’objet se
réincarne alors dans la personne donnant lieu à une identification occulte et imaginaire, un « fantasme
d’empathie identificatoire ». Mais la formation de cette crypte peut également avoir des conséquences
sur les générations suivantes. Elle peut donner lieu à la création d’un « fantôme », fruit de la
transmission d’une « crypte ». Il s’agit donc d’une conséquence de la crypte dans la deuxième
génération (voire dans les génération suivantes, même si son effet tend alors à s’atténuer), modalité
sensorielle et figurative d’un objet transgénérationnel qui peut faire retour dans la vie consciente du
sujet. Pour ces auteurs, le fantôme est plus précisément :

« le travail dans l’inconscient du secret inavouable d’un autre (inceste, crime, bâtardise,
etc.). […] Sa manifestation, la hantise, est le retour du fantôme dans des paroles et des
actes bizarres, dans des symptômes (phobiques, obsessionnels, etc.). L’univers du fantôme
peut s’objectiver dans des récits fantasmatiques. On vit alors un affect particulier que
Freud décrit comme « inquiétante étrangeté. »101
Il est donc :
« un fait métapsychologique. C’est dire que ce ne sont pas les trépassés qui viennent nous
hanter, mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres. Si le fantôme n’est pas
lié à la perte d’un objet, il ne saurait (donc) être le fait d’un deuil manqué […]. Le fantôme
des croyances populaires ne fait donc qu’objectiver une métaphore qui travaille dans
l’inconscient : l’enterrement dans l’objet d’un fait inavouable »102
Les « esprits » qui reviendraient hanter aussi bien Monsieur M. qu’Eliane seraient-ils les
conséquences de ces phénomènes d’encryptement et de fantômes ? Au vu des données cliniques, on
peut en effet émettre l’hypothèse que la mère de Monsieur M. était porteuse d’une « crypte » ayant
pour origine le secret honteux de sa naissance : le fait que sa grand-mère ait eu un enfant alors que son
mari était parti au front. Cette hypothèse peut nous permettre de penser les « flashs » de Monsieur M..
Face à une « maison hantée », topique externe représentant sa propre topique interne, Monsieur M.
projette ce qui, selon lui, est à l’origine de la hantise de cette maison, un « allemand enterré dans le
jardin », retour fantomatique du mari de la grand-mère, mort à la guerre S. TISSERON fait également
référence à ce type de flash, fugitifs et angoissants, qui « fonctionnent donc comme des fragments figés
et gelés de débuts d’élaboration psychiques menés dans l’enfance mais abandonnés en cours de
route »103 et qui « peuvent témoigner d’expériences psychiques personnelles clivées, mais aussi
constituer la trace de secrets familiaux remontant à plusieurs générations »104. Puis, ces traces

101
ABRAHAM N. et TOROK M., L’écorce et le noyau, p. 391.
102
ABRAHAM N. et TOROK M., L’écorce et le noyau, p. 429.
103
TISSERON S., Le psychisme à l’épreuve des générations, p. 136.
104
TISSERON S., Le psychisme à l’épreuve des générations, p. 136.
48
« s’organisent peu à peu en fantasmes conscients, d’abord vécus comme étrangers à lui-même par le
sujet »105et souvent associées à un sentiment d’inquiétante étrangeté.
Il y aurait donc, inscrit en Monsieur M., ce secret familial, contenu transgénérationnel qui fera tout
d’abord retour sous forme « hallucinatoire » lors de ce flash de voyance, puis confirmé par la mère de
Monsieur M. après une séance de spiritisme. On ne s’étonnera pas que ces flashs, et ces séances de
spiritisme, n’aient guère aidé l’autre famille car nous sommes ici dans le registre du délire de
clairvoyance tel que décrit par D.MELTZER, l’identification projective étant alors toxique car elle
remplace l’expérience de l’autre par la sienne. Nous voyons ainsi dans quelle mesure le point de bascule
est fragile entre une identification projective aiguisée et sa dimension pathologique, entre
hypersensibilité à une forme de communication non-verbale et projection dans l’autre d’un contenu
psychique intolérable.
Cette hypothèse est étayée par le fait que d’autres éléments, moins « paranormaux », semblent être
également des traces de ce fantôme. Le fait que Monsieur M. ait dû épouser une jeune femme se
trouvant enceinte renvoie au mariage obligé de sa propre mère. Ce que la grand-mère de Monsieur M. a
vécu (« je me marie non pas parce que je l’aime mais parce que je vais avoir un enfant ») semble donc
se reproduire, sans être pensé, à chaque génération, selon diverses modalités d’expression, qu’elles
appartiennent au registre du paranormal ou non. Un autre élément va dans le sens de cette hypothèse, au
sein de la relation transféro-contre-transférentielle : ces secrets sont généralement bien gardés et peuvent
engendrer de vives réactions émotionnelles. Est-ce que cela pourrait expliquer le fait que Monsieur M.,
après avoir parfois semblé entrevoir subrepticement certains liens entre sa vie personnelle et ses
expériences paranormales, ait eu des difficultés pour venir aux séances suivantes, au point de
« s’étouffer avec un clapet » ? Nous avons peut-être là aussi une piste pour comprendre les problèmes
médicaux de Monsieur M. sachant que la crypte peut parfois se convertir en somatisation106.
Cette approche théorique me parait également intéressante pour essayer de penser la clinique
d’Astride. Rappelons que, dans certains moments de crise, Astride se sentait « possédée », « double »,
disant alors des « choses étranges » comme (****) ». Nous pouvons mettre en lien ce que dit Astride
dans ces moments de crise avec les phénomènes étranges qu’elle vit dans son environnement et qu’elle
attribue principalement à sa grand-mère décédée dont elle était très proche et qui était, pour elle, comme
une « deuxième maman ». Ne serions-nous pas là face à un phénomène d’ « identification
endocryptique »? Astride n’était-elle pas possédée par sa « grand-mère », l’inceste dont il est question
pouvant correspondre à une réalité vécue par la génération de ses grands-parents ? Cette perception se
traduirait chez Astride par la théorisation selon laquelle l’esprit désincarné de sa grand-mère lui jouerait
des tours.

105
TISSERON S., Le psychisme à l’épreuve des générations, p. 137.
106
ABRAHAM N. et TOROCK M., L’écorce et le noyau, p.83.
49
Enfin, on peut évoquer le même type de problématique dans le cas d’Eliane dont le deuil du frère,
manifestement idéalisé, semble impossible. (****)

La clinique de Madame F., particulièrement énigmatique, semble être également en lien avec une
problématique transgénérationnelle. Les théorisations de J.GUYOTAT offrent plusieurs interprétations
relevant du registre du délire de filiation. J.GUYOTAT a en effet noté la prégnance d’expériences
paranormales lors de vécus transgénérationnels, renvoyant à une organisation magique de la pensée et
donnant lieu à une « toute puissance de la pensée sur le cours des choses, action magique sur le corps,
régression à une position où l’enfant se sent deviné par la mère et inversement, a la possibilité de
deviner les pensées de la mère »107. Ainsi, les « phénomènes d’influence, ceux du phénomène du
devinement et de la transmission de pensée occupent une place privilégiée par leur fréquence »108 au
sein des délires de filiation, ayant pour conséquence des « phénomènes télépathiques pathologiques ».
J.GUYOTAT propose ainsi comme hypothèse que troubles de filiation et télépathie proviennent d’un
vécu de transmission intergénérationnelle, « le moi du patient perdant en quelque sorte, ses limites dans
le temps »109. Ils peuvent avoir pour origine un non-dit à la génération antérieure, ce que G.
ROSOLATO a également souligné comme donnant lieu à la croyance en des pouvoirs de la pensée ou
en l’existence des revenants110. J.GUYOTAT remarque que « ces patients font souvent preuve d’un
flair extraordinaire à propose d’évènements historiques précis et vécus à la génération précédente »111,
ce qui confirme ce que nous avons observé dans le cas de Monsieur M. concernant ses flashs de
voyance et sa pratique du spiritisme. Mais cela correspond aussi au cas de Madame F. qui rapporte des
intuitions et des flashs concernant ce que sa propre mère aurait vécu, a priori un abus sexuel, et que nous
retrouvons également dans le cas d’Astride concernant sa grand-mère. J.GUYTOTAT remarque dans
un cas similaire que « les pensées de sa mère sont en elle et les siennes sont dans sa mère » ce qui
semble tout à fait en adéquation avec ces deux cas cliniques. Peut-être est-ce également le cas chez
Lara, sous une forme différente qu’elle retrouve dans ses relations amoureuses, et donnant lieu à un
« système télépathique »112.
Le lien avec une problématique de la filiation semble particulièrement présent chez Madame F. à
travers cette étrange incertitude concernant le père de son enfant. On remarquera aussi que cette même
Madame F. a décompensé en découvrant que sa fille avait peut-être des relations avec le neveu d’un
des pères hypothétiques. J. GUYOTAT remarque à ce propos le lien fréquent en clinique entre la
représentation mythique de l’immaculée conception et celle du besoin de guérir, très présent chez
Madame F., est également au premier plan chez Monsieur M. comme nous l’avons déjà vu. De la
107
GUYTOTAT J., Mort, naissance et filiation, p.54.
108
GUYTOTAT J., Mort, naissance et filiation, p.20 .
109
GUYTOTAT J., Mort, naissance et filiation, p 73.
110
ROSOLATO G, Le non-dit, Nouvelle revue de psychanalyse , 1976, n°14, 5-26.
111
GUYTOTAT J., Mort, naissance et filiation, p 74.
112
GUYTOTAT J., Mort, naissance et filiation, p. 79
50
même façon, toujours selon J.GUYOTAT, certaines organisation maniaco-dépressives pourraient être
l’une des conséquences de l’expression délirante de la filiation narcissique (les cas de Madame F. et
d’Astride semblent aller dans ce sens), s’associant à un « hyper investissement des coïncidences », cette
tendance à « trop interpréter » très présente chez Madame F. Nous rejoignons ici la « complaisance au
hasard » décrite par S.FREUD et qui « joue, lors de la formation d’une idée phantasmatique, le même
rôle que la complaisance somatique dans le symptôme hystérique, ou la complaisance verbale dans le
mot d’esprit »113.

Un autre type d’expérience est particulièrement présent au sein de la clinique d’Eliane : les
apparitions. Dans ce cas, il me semble également possible de s’appuyer sur une théorisation du
transgénérationnel. Pour cela, il me paraît intéressant de se référer à un récent article de B. CHOUVIER
qui propose une illustration de problématiques transgénérationnelles à travers l’analyse de l’un des
ouvrages du célèbre écrivain Henry James : « Le tour d’écrou ». B. CHOUVIER propose comme
hypothèse qu’il « existe une seule et même figure fantomatique chez Henry James, objet
transgénérationnel transmis en héritage de la lignée paternelle »114. Il insiste notamment sur le prologue
de ce livre dans lequel « un jeune garçon voit un fantôme dans la chambre où il dormait avec sa mère »,
l’ensemble de ce texte littéraire visant selon B. CHOUVIER à sublimer cette vision d’effroi. Cette
lecture de l’œuvre d’Henry James illustre ce retour du fantôme sous forme d’apparitions. Ce que donne
à voir, de l’intérieur, le tour d’écrou, est souvent décrit par les personnes qui vivent des expériences
paranormales, tout particulièrement lors de phénomènes d’apparitions et de visions. Ce qui, chez Henri
James, a été porteur d’une symbolisation à travers l’écriture semble ainsi s’exprimer chez Eliane de
façon autrement plus brute, sous forme hallucinatoire. Ce questionnement a également traversé
B.PENOT qui s’intéresse au phénomène de la « revenance » chez les état-limites et qui remarque que :

« ce phénomène de la « revenance » vient à se manifester, dans le champ du représentable,


sur le mode fantomatique. De sorte que ces apparitions posent doublement question quant
à leur valeur de représentation psychique ; d’abord parce qu’elles sont d’emblée pour le
sujet matière à un doute fondamental, et que celui-ci les perçoit comme venant de
l’extérieur ».115
Cette question devient d’autant plus complexe dès lors que l’hallucination est partagée, qu’elle
devient groupale, comme c’est le cas dans la clinique d’Eliane, avec sa mère et son frère, ou de
Monsieur M. avec un autre magnétiseur116. Ce type de vision interroge le sujet sur la réalité objective
de ce qu’il perçoit. Ce doute est l’une des clés de la littérature fantastique et du tour d’écrou, comme le
remarque B.CHOUVIER. Cette ambiguïté se retrouve dans les différentes lectures qui ont été faites de

113
Lettre de S.FREUDà C.G.JUNG du 16 avril 1909.
114
CHOUVIER B., Souffrance traumatique, imagos parentales et transgénérationnel, p.20.
115
PENOT B., Le phénomène du revenant dans les cas limites, p.124.
116
L’hallucination collective dans les expériences paranormales est aussi un thème très intéressant que nous ne pourrons
malheureusement pas développer ici par manque de place.
51
cette oeuvre117. B. CHOUVIER analyse les différentes apparitions du fantôme qui « s’expatrie du
monde interne pour venir habiter le monde externe » 118 et remarque que le fantôme provient d’une
« action psychique qui trouve-crée l’image comme hallucination-perception »119 et remarque que « la
figure fantomatique apparaît, c’est à dire fait irruption dans le champ perceptif, non à la manière d’un
simple objet interne (reconnu à soi), mais comme une réalité externe étrangère, la figure étrangement
inquiétante du forclos qui fait retour »120, ce qui engendre chez la spectatrice une stupeur provoquée par
la collusion de « l’objet libidinal représenté et le percept ». C’est pourquoi le fantôme, quand il fait
retour sur le mode hallucinatoire est « l’apparition […] étrange d’un même qui n’est pas reconnu par le
sujet »121. Ce retour du fantôme se fait par un retour du perçu sur le mode de l’unheimlich
caractéristique de l’objet transgénérationnel. Dans le cas d’Henry James, B.CHOUVIER montre
comment ce fantôme peut être pensé comme provenant de l’héritage de la figure tyrannique du grand-
père, W.JAMES, qui avait déshérité son fils mais dont la fortune avait néanmoins fait vivre ce dernier,
dans la culpabilité, objet transgénérationnel exorcisé dans l’œuvre de H.JAMES.
Partant de la clinique et de cette illustration littéraire, on peut remarquer plusieurs traits
caractéristiques de l’apparition. Tout d’abord, le fait qu’elle soit associée au sentiment d’inquiétante
étrangeté, conséquence d’une réalité interne perçue au niveau externe, flou des limites qui trouve
fréquemment son origine dans une dynamique transgénérationnelle. Ce sentiment d’inquiétante
étrangeté est très présent dans le cas d’Eliane qui a d’ailleurs déménagé face à la peur que lui inspirait
ces apparitions. Ensuite, l’apparition se caractérise par son caractère récurrent, sachant comme le
remarque B.PENOT, que ce « caractère de répétition de la revenance […] nous place au-delà du
principe de plaisir »122. On pourrait être tenté de penser que l’apparition vient faire suite à un deuil
inachevé. P.CATALA remarque ainsi que :

« Les apparitions de défunts se produisent souvent chez des personnes n'ayant pas réussi à
accomplir leur deuil, ou au sein de communautés spirites, où le maintien de la croyance en
l'au-delà est cruciale. »123
La clinique d’Eliane montre en effet une impressionnante suite de deuils. L’apparition, et la
croyance qui lui est généralement associée, que l’on retrouve dans tous les cas présentés en clinique,
serait ainsi un moyen de lutter contre un processus de deuil difficile à élaborer. Si l’autre est encore en
vie, dans un ailleurs qui sera bientôt rejoint par la personne endeuillée, la souffrance issue de la perte
117
L’une voyant une narratrice atteinte de délires hallucinatoires chroniques, « Animée par sa conviction délirante, elle sait
donner vie à ses fantômes internes et les projeter dans le monde environnant » et l’autre voyant cette œuvre comme une
tentative de rendre compte, de l’intérieur, de l’engouement pour le paranormal et des apparitions de cette époque. Quoiqu’il en
soit, et comme le remarque B. CHOUVIER, « les deux versions se complètent et s’enrichissent mutuellement, à la seule
condition de croire en l’existence psychique réelle des fantômes ».
118
CHOUVIER B., Souffrance traumatique, imagos parentales et transgénérationnel, p.24.
119
CHOUVIER B., Souffrance traumatique, imagos parentales et transgénérationnel, p.39.
120
CHOUVIER B., Souffrance traumatique, imagos parentales et transgénérationnel, p.39.
121
BORIE N., L’inquiétant , p.19.
122
PENOT B., Le phénomène du revenant dans les cas limites, p.124.
123
CATALA P., Apparitions et hallucinations.
52
d’un proche est en partie diminuée. Concrètement, comment pouvons-nous alors penser les apparitions
décrites par Eliane ? remarquons tout d’abord qu’elles sont visuelles, sous formes d’ombres qui sortent
des murs, d’une femme habillée de blanc ou encore de son chat. Mais aussi sensorielles : une « odeur
pestilentielle », en présence d’objets ayant appartenu à sa mère, et des « coups » sur les jambes, lui
rappelant là-aussi le comportement de sa mère. Ce type d’hallucination est nécessairement un
phénomène hypercomplexe, composé de plusieurs processus, que nous pouvons néanmoins essayer de
dégager. Ainsi, il me semble tout d’abord que dans ces différents cas, comme le remarque
G.GIMENEZ : « L’hallucination est ainsi une solution économique à court terme pour la psyché. Mais
très vite la tension revient, et le sujet se retrouve dans une situation analogue »124, cette tension étant en
lien avec un processus de deuil comme nous venons de le voir. Il est également possible de penser de
telles hallucinations comme étant la conséquence d’un défaut au niveau de l’appareil de représentation,
une erreur de classification. Ce qui devrait appartenir au domaine de la re-présentation (je pense à ma
mère qui venait me voir le soir) apparaît comme une présentation (ma mère est là ce soir). Chez Eliane,
sa mère décédée est présente et la pensée à un revenant devient la perception d’un revenant, que ce soit
sous forme visuelle (la femme drapée de blanc ?) ou sensorielle (sensation dans les jambes). La psyché
fait donc une erreur de catégorisation, d’agentialisation. Nous nous situons alors dans le registre d’une
pathologie de la symbolisation de la symbolisation (R.ROUSSILLON), Eliane n’ayant peut-être pas
les capacités représentative suffisantes, en particulier en situation de deuil125.
Mais, cette dynamique peut également être conçue autrement comme le remarque B.PENOT,
faisant référence aux travaux de N.ABRAHAM, notant que « bien plus que le deuil mal fait d’un objet,
ce serait donc une lacune dans la symbolisation qui constituerait, si l’on ose dire, l’étoffe du revenant. ».
Cette interprétation rend intelligible ce retour compulsif de l’apparition, différent du retour du refoulé car
produit d’une « disposition topique transgénérationnelle d’inconscient à inconscient » selon
N.ABRAHAM et M.TOROCK. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, « ce ne sont pas les trépassés
qui viennent hanter, mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres »126. Il me semble ainsi
possible de dégager un gradient concernant le processus de deuil faisant appel au registre du paranormal,
partant du sentiment de présence, tel que décrit par Eliane ou Madame F., ou l’autre semble être en soi,
et allant jusqu’à l’apparition.
Il existe donc différentes formes d’expression de ce contenu transgénérationnel, que ce soit sous
formes de flashs, lors de séances de spiritisme et d’états particuliers ou encore sous forme de sentiments
de présence ou d’apparition.

124
GIMENEZ, p. 70.
125
On peut également émettre l’hypothèse que ce processus de catégorisation se déconstruit en partie à l’entrée dans le
sommeil, expliquant pourquoi ces expériences, notamment chez Eliane se produisent le soir et la nuit.
126
ABRAHAM N. et TOROK M., L’écorce et le noyau, p.427.
53
Si nous comprenons à présent mieux le contenu de ce qui se transmet lors de ces expériences, il
convient également d’essayer de comprendre comment ce contenu se métabolise et se transmet. C’est
que nous allons à présent essayer de cerner en interrogeant le devenir intrapsychique de ces expériences.

4.3 Métabolisation intrapsychique de l’expérience paranormale

4.3.1 L’expérience paranormal inaugurale et son devenir


Je propose maintenant de nous attarder sur la façon particulière dont les expériences paranormales
sont vécues, et plus particulièrement la première d’entre elles, susceptible d’engendrer des sentiments
intenses, agréables ou désagréables, source d’une grande joie ou au contraire à l’origine de fortes
angoisses. Dans les cas cliniques dont nous disposons, ce fut un profond courant d’amour pour
Monsieur M., une lumière éblouissante pour Madame F., une synchronicité étonnante pour Lara, un
évènement « impossible » pour Astride, une première apparition en compagnie de sa mère pour Eliane.
Le premier vécu de ce type peut-être considéré comme inaugural car il est généralement le premier
d’une longue série comme le montre les cas cliniques : développement du magnétisme chez Monsieur
M., ressentis particuliers et développement de facultés artistiques chez Madame F., phénomènes de
poltergeist chez Astride, perceptions extra-sensorielles chez Lara, apparitions à répétition chez Eliane.
Une fois que le psychisme se serait emparé de cette dimension paranormale, aurait-il tendance à
l’investir progressivement davantage ? Cette remarque fait écho aux récits de NDE. En effet, car si la
plupart des personnes décrivent cette expérience comme bénéfique et apaisante, s’accompagnant
d’ailleurs d’une disparition de la crainte de la mort, un faible pourcentage (environ 5%) rapportent une
« NDE négative » constituée d’une vision cauchemardesque qui engendre au contraire une angoisse
terrifiante de la mort. Les NDE amènent aussi fréquemment ceux qui les ont vécues à voir se développer
en eux des capacités artistiques et de perceptions extra-sensorielles. Les NDE posent donc de façon
cruciale une problématique que l’on retrouve dans l’ensemble des expériences paranormales, à savoir la
façon dont le psychisme va métaboliser l’expérience paranormale inaugurale. On peut supposer que
cette métabolisation s’articulera ou non à l’éventuelle dimension pathologique de l’expérience127. Il
existe en effet un ensemble de « réponses » potentielles face à ce type d’expérience pouvant aller des
troubles psychopathologiques à une simple curiosité pour un ressenti inhabituel, en passant par des
rapports plus complexes évoquant le « Je sais bien mais quand même » d’O.MANNONI128.
Nous pourrions faire à ce propos un parallèle entre les expériences paranormales, les vécus
mystiques et la création artistique. Ainsi, B.CHOUVIER s’est interrogé sur la nature pathologique de
l’expérience mystique dont « le sentiment océanique constituerait une régression à l’état primitif du

127
Nous y avions déjà fait allusion en fin de première partie théorico-clinique voyant comment certaines expériences
paranormales pouvaient être un moyen de recouvrir et de dénier différentes formes de traumatisme.
128
MANNONI O., Je Sais Bien, Mais Quand-Même, in Clés pour L'imaginaire ou l'Autre Scène.
54
moi »129, provenant d’un bouleversement des rapports entre le moi et le ça et pouvant tirer sa source
d’une situation traumatogène extrême. En ce sens, aussi bien l’expérience mystique, qu’un certain
nombre d’expériences paranormales (en particulier les sentiments internes, les perceptions extra-
sensorielles et les expériences médiumniques) bouleverseraient les catégories habituelles du Moi, de ses
rapports au temps et à l’espace, nécessaires à sa constitution et décrites par D.ANZIEU. Nous ne
sommes pas non plus très loin de l’expérience artistique, susceptible, elle aussi, de mettre en contact
avec certaines dimensions psychiques inconscientes. La différence entre les expériences paranormales,
mystiques et artistiques tient au fait que, dans la majorité des cas, le vécu paranormal est spontané tandis
que les expériences mystiques, comme la création artistique, sont généralement le fruit d’une recherche
de la part du sujet (bien sûr, il existe des exceptions notables à cette règle générale).
Je propose à présent d’étudier différentes hypothèses afin de déterminer plus précisément encore la
nature de ce vécu sur le plan intrapsychique et son déploiement dans l’espace intersubjectif.

4.3.2 Un vécu de dépersonnalisation ?


Au fil de mes lectures, une première piste m’a semblé envisageable pour essayer de penser ces
formes d’expériences paranormales : le concept de dépersonnalisation. D’après le Dictionnaire
international de Psychanalyse, le terme de dépersonnalisation désigne :

« l’apparition d’impressions subjectives de changement affectant la personne elle-même


ou le monde qui l’entoure. Leur intensité est variable, pouvant aller d’une simple
impression vertigineuse à des impressions de transformations corporelles pénibles, du
sentiment fugace d’une étrangeté de l’environnement à celui d’une impression de
changement du monde devenu méconnaissable, mort ou déshabité. Des moments de
dépersonnalisation peuvent survenir au cours de l’évolution habituelle de tout individu ou
s’inscrire dans des tableaux cliniques franchement pathologiques. »
La dépersonnalisation a notamment été abordée par S.FREUD dans « L’inquiétante étrangeté » et
« Un trouble du souvenir sur l’Acropole » où il aborde la question de la déréalisation, souvent associée à
la dépersonnalisation et qui porte sur des sentiments touchant à la projection du monde. Le concept de
dépersonnalisation pourrait correspondre aux expériences paranormales que nous venons de décrire,
renvoyant à une réalité clinique pathologique ou non et touchant à des processus traversant les
différentes structures. La dépersonnalisation renvoie à des situations cliniques variées et ses tentatives
d’explications le sont tout autant. P. SCHILDER a proposé comme hypothèse que la
dépersonnalisation était le fruit d’un désinvestissement de la libido tandis que H.NUNBERG la relie à
l’effet traumatique d’un retrait de libido. D.W.WINNICOTT a pour sa part relié la personnalisation du

129
CHOUVIER B., La temporalité psychique, p.142.
55
moi avec la façon dont l’enfant est soigné, le handling, la dépersonnalisation provenant de carences à ce
niveau-là130.
Dans cette optique, l’exemple de Monsieur M. me paraît particulièrement intéressant et mérite que
nous nous y attardions. Assis sur son canapé, en train de regarder à la télévision des images de guerre,
Monsieur M. ressent soudainement un grand sentiment d’amour. Il est traversé par un « courant » et
comprend aussitôt qu’il peut à présent « guérir ». Cette expérience est davantage intelligible si on la
replace dans son contexte. Monsieur M. vient de se séparer de son amie et vit manifestement une
rupture qui lui est insupportable au point qu’il tentera de mettre fin à ses jours. Lorsque Monsieur M. vit
cette expérience, il est dans cette situation de rupture amoureuse depuis quelques mois. Comment dès
lors penser la dépersonnalisation dans ce cas ?
La théorisation la plus aboutie me paraît être ici celle de M.BOUVET qui a longuement travaillé sur
les rapports entre dépersonnalisation, relation d’objet et névrose obsessionnelle. M.BOUVET remarque
que :

« La stabilité, la cohérence du moi dépendent étroitement de la persistance de relations


objectales avec un objet significatif. La perte de ces relations, ou de leur objet, ce qui est
synonyme, puisque l’objet ici n’existe qu’en fonction de ses rapports avec le sujet, entraîne
de graves désordres de l’activité du Moi, tels que phénomènes de dépersonnalisation,
troubles psychotiques. »131
Dans cette perspective, le grand sentiment d’amour qu’a ressenti Monsieur M. proviendrait d’un
désinvestissement libidinal de son ex-petite amie, donnant lieu à un repli sur le Moi de cette charge
libidinale importante. Concernant le fait que Monsieur M. ait associé cette impression subjective à
l’idée qu’il pouvait guérir, nous pouvons proposer l’interprétation suivante. Cette jeune fille qu’il avait
quittée récemment correspondait aux mêmes investissements que ceux dévolus précédemment à sa
mère. Or cette dernière se trouvait être battue par son mari, ce pour quoi Monsieur M dit avoir éprouvé,
enfant, une grande culpabilité. Il aurait trouvé comme « solution réparatrice» de « soigner » des jeunes
filles qui avaient été violées ou agressées. Il se trouve que son amie venait de le quitter car il avait tenté
de retrouver l’agresseur de cette dernière, ce qu’elle ne souhaitait pas. Avec cette rupture, et cette
impossibilité de punir l’agresseur de cette jeune fille, l’aménagement mis en place par Monsieur M. ne
tenait plus donnant lieu alors à un sentiment de dépersonnalisation s’exprimant immédiatement sous la
forme de ce « sentiment de pouvoir guérir ».
Il me semble que les théorisation de P.FEDERN peuvent également nous aider pour comprendre
les expériences paranormales en lien avec des vécus de dépersonnalisation. Selon P.FEDERN, dans la

130
Les trois derniers auteurs évoqués le sont à partir de l’entrée « dépersonnalisation » du Dictionnaire international de
Psychanalyse, lui-même cité dans la bibliographie de ce mémoire.
131
BOUVET M., Oeuvres psychanalytiques, La relation d’objet, p.51
56
« La psychologie du moi et les psychoses », on peut définir la dépersonnalisation « comme l’expérience
subjective de l’éclatement du moi »132. Toujours selon cet auteur :

« Tous les phénomènes d’étrangeté et de dépersonnalisation relèvent d’un même et unique


paradoxe. Bien que les perceptions, les aperceptions ou les proprioceptions soient
modifiées, l’intelligence et les perceptions ainsi que les compétences et les ajustements
demeurent intacts »133
Les personnes qui vivent des expériences paranormales essaieraient donc de donner du sens à des
expériences d’étrangeté et de dépersonnalisation. Les tentatives d’explications irrationnelles auraient
pour origine l’ « irrationalité » des mécanismes psychiques en jeu. Le sujet ne reconnaît en effet aucun
changement de son moi et il peut « seulement dire que les objets extérieurs ou ses expériences intérieurs
ont subi un mystérieux changement ». Cette altération de la fonction de base du sentiment d’unité du
moi conduit le sujet à vivre une expérience « fondamentalement mystérieuse » et, dans « de nombreux
cas l’émotion est aussi ressentie comme étrangère » (P.FEDERN), comme pour Monsieur M. ou
Madame F. Le sentiment d’étrangeté aurait pour origine « la perte ou le retrait de l’élément libidinal de
l’investissement de la frontière du moi ». Pour P. FEDERN, il s’agit de « variations d’états sains ou
malades du moi », les frontières du Moi étant perpétuellement en changement. Dans cette perspective,
certaines expériences paranormales serait la conséquence d’une forme de « respiration normale » du
Moi, en particulier lors de certaines crises de dépersonnalisation donnant lieu à une hypersensibilité, ce
qui a pour conséquence que « le contenu accru du moi mental est également sensible à ces stimulis.
L’empathie et la télépathie semblent causées par ce fait »134. Le déjà-vu serait également une
conséquence de la dépersonnalisation selon P.FEDERN135
Cet auteur a aussi étudié ces fluctuations des limites du Moi lors d’états hypnagogiques. Il a
remarqué, tout comme l’avait fait V.TAUSK avant lui, la distinction du Moi psychique et du Moi
corporel dans certains états. V.TAUSK136 a étudié cet aspect, montrant que le Moi corporel n’est parfois
plus reconnu et que son action peut être attribuée à une « machine à influencer », ces expériences
provenant du Moi corporel pouvant également être interprétées de façon paranormale, en particulier
sous forme d’influence télépathique.
Selon P.FEDERN, cette séparation du Moi corporel et du Moi psychique se produit également à
l’endormissement et au réveil. L’un peut subsister tandis que l’autre disparaît de façon transitoire,
donnant lieu à des sentiments étranges. Ce que l’on observe donc dans la schizophrénie comme l’a
remarqué V.TAUSK se produirait donc également lors d’états hypnagogiques et hypnopompiques. Cet
132
FEDERN P., La psychologie du Moi et les psychoses, p.255.
133
FEDERN P., La psychologie du Moi et les psychoses, p.256.
134
FEDERN P., La psychologie du Moi et les psychoses, p.267.
135
Qui l’explique ainsi « De façon transitoire un souvenir sous la forme d’une expérience émergente passe la frontière
idéationnelle du sentiment du moi ou bien une perception passe la frontière du sentiment perceptif du moi, en premier lieu à un
moment où cette frontière est sans investissement narcissique et immédiatement après quand elle a déjà reçu un investissement
narcissique. ». S.FREUD et S.FERENCZI se sont également intéressé à cette question.
136
TAUSK V., La machine à influencer.
57
hypothèse permet de rendre intelligible un grand nombre d’expériences vécues comme paranormales.
Dans les cas cliniques présentés, plusieurs expériences se produisent effectivement dans des « états
étranges de la conscience » tels que les appelle J.P.VALLA137. Madame F. voit une lumière blanche
aveuglante et vit un sentiment très désagréable tandis qu’elle fait une séance de yoga, cette activité
favorisant les états modifiés de conscience. Astride vit une grande partie des phénomènes de poltergeist
à l’endormissement ou même la nuit. Eliane rapporte également des impressions étranges quasiment à
chaque fois la nuit. Monsieur M. décrit également des expériences étranges, comme une OBE138, alors
qu’il est sur le point de s’endormir. Ainsi, cet aspect paraît particulièrement important dans les
expériences paranormales, en particulier pour la première catégorie dégagée, c'est-à-dire les
« phénomènes internes et sentiments d’être influencé » qui, dans un grand nombre de cas, semblent
effectivement être explicables par cette distinction Moi psychique/Moi corporel. Le sujet ne
reconnaissant plus ce qui vient de son propre corps, il l’analyse ensuite comme étant le fruit de forces
occultes. Cela peut nous permettre également de mieux appréhender les expériences paranormales chez
des personnes ne souffrant pas de troubles psychopathologiques. S’agissant de phénomènes transitoires
provenant de fluctuations d’états et de sentiments du moi, ils peuvent tout à fait se produire dans
certaines situations particulières (notamment toute la gamme des états modifiés de conscience), sans
pour autant affecter l’ensemble de la psyché du sujet sur un versant pathologique.

4.3.3 Symbolisation primaire, transmission et transfert de pensée


Les expériences paranormales, et plus particulièrement les perceptions extra-sensorielles, posent la
question de savoir ce qui se transmet, ce qui se transfère. Cette question a été longuement abordée par
les psychanalystes dans le cadre de l’analyse et il est possible de s’appuyer sur quelques unes de ces
théorisations pour penser les expériences paranormales. On peut tout d’abord supposer, comme le fait
P.DECOURT, qu’il existe deux types de processus :

« Le premier niveau concerne celui du langage et de son interprétation. Le deuxième se


rattache à la mise en jeu de processus plus ou moins irrationnels. Ils constituent
probablement le fondement du transfert »139
A.GREEN remarque à ce propos que la transmission de pensée est une forme de transfert dans
laquelle circulent des représentations. Il convient alors, selon cet auteur, de distinguer six types de
représentations se transmettant dans ce cadre : la pulsion, le représentant psychique de la pulsion,
l’affect, le représentant-représentation, le représentant de mot, les représentants de la réalité. A.GREEN
propose alors comme hypothèse que « la télépathie s’exprimerait comme transfert de pensée s’étayant

137
VALLA J.P., Les états étranges de la conscience.
138
LE DSMIV fait figurer les OBE les dans trouble de dépersonnalisation (F.48,1) « sensation ou le sentiment d’être détaché
ou d’être un observateur extérieur de son propre corps ou de certaines de ses parties, l’appréciation de la réalité restant intacte.
139
DECOURT P., Introduction, in Transmission, transfert de pensée, interprétation, p.9.
58
entre personnes sur ce qui se transfère entre soma et psyché dans le fonctionnement pulsionnel »140. Ce
transfert psyché/soma me semble rejoindre l’intuition de S.FREUD, selon laquelle :

« une telle transmission de pensée se fait avec une facilité particulière au moment où une
idée émerge de l’inconscient ou, en termes théoriques, lorsqu’elle passe du « processus
primaire » au « processus secondaire ».141
Mais alors comment se représenter la nature de ces processus psychiques capables de se transmettre,
dans l’espace, d’un individu à un autre ? Selon J.C.ARFOUILLOUX, cette forme de transmission
intrapsychique ouvre sur un « code singulier de communication »142, un codage somato-psychique
constitué d’« images sensorielles et motrices qui s’inscrivent dans le corps et vont constituer elles-
mêmes des systèmes codés, susceptibles de transposer du somatique au psychique et inversement. »143
Ces systèmes codés permettent « une communication de préconscient à préconscient, plutôt que
d’inconscient à inconscient, car le processus se situe à la lisière de l’inconscient et du préconscient,
plutôt qu’au niveau du seul inconscient »144. Cette forme de communication permettrait de penser
certaines expériences paranormales, en particulier la télépathie, H.VERMOREL remarquant à ce sujet
que « le transfert de pensée relève d’un mode de communication primitif, au sein de la relation mère-
enfant des premiers temps »145. Toujours selon H.VERMOREL, il s’agit d’un « mode de
communication primitif qui est d’ordinaire recouvert par des formations psychiques plus élaborées ».
Nous rejoignons ici les hypothèses de S.FREUD concernant une forme de communication archaïque à
l’œuvre chez les insectes146. Nous serions alors dans le registre d’une topique archaïque, un pré-soi dans
un espace unidimensionnel, un noyau « agglutiné » ou ambigu, comme l’appelle J.BLEGER, qui
continuerait à s’exprimer en chacun de nous, et plus particulièrement dans certaines circonstances,
notamment les expériences paranormales. H.VERMOREL note ainsi que l’

« on pourrait situer le transfert de pensée dans un espace qui, d’un côté, va


asymptotiquement jusqu’à la confusion sujet-objet d’une identification maternelle
originaire et qui, d’un autre côté, s’en dégage par l’identification projective et
introjective »147

140
GREEN A., Transmission intrapsychique et auto-interprétation. Transmission interpsychique et interprétation adressée à
l’autre, in Transmission, transfert de pensée, interprétation, p.25
141
FREUD S., 1925 cité par Gillepsie
142
ARFOUILLOUX J.C., Relation d’inconnu, séduction, transfert de pensée, in Transmission, transfert de pensée,
interprétation, p.25.
143
ARFOUILLOUX J.C., Relation d’inconnu, séduction, transfert de pensée, in Transmission, transfert de pensée,
interprétation, p.50.
144
ARFOUILLOUX J.C., Relation d’inconnu, séduction, transfert de pensée, in Transmission, transfert de pensée,
interprétation, p.51.
145
VERMOREL H, L’occulte dans la pensée freudienne : réflexions métapsychologiques, in Transmission, transfert de pensée,
interprétation, p. 63.
146
FREUD S. Psychanalyse et télépathie.
147
VERMOREL H, L’occulte dans la pensée freudienne : réflexions métapsychologiques, in Transmission, transfert de pensée,
interprétation, p. 68.
59
Pour H.DEUTSH, les personnalités « as if » auraient une capacité particulière à repérer les
messages de ce registre et à deviner ainsi les pensées d’autrui. C’est également ce que suggère
F.ROUSTANG concernant les « frontaliers », qui seraient, d’une certaine façon, plus « éveillés » à
certains stimulis censés rester inconscients chez l’individu sain148. Cela expliquerait, toujours selon
F.ROUSTANG, pourquoi certains de ces patients ont une affinité particulière avec les animaux, car
cela ouvre sur un mode de communication archaïque particulièrement développé chez ces derniers.
Ce type de communication à deux, a également été étudié en détail par M.De M’UZAN, dans le
cadre analytique, montrant comment une certaine intimité se crée entre analyste et analysant. Elle peut
donner lieu à des « itinéraires correspondants », des coïncidences, des correspondances, ce que
D.WIDLOCHER appelle également des « systèmes de co-pensée ». M.De M’UZAN parle de
« pensées paradoxales », issus de « transferts paradoxaux »149 qui proviennent du préconscient de
l’analysé et envahissent l’espace psychique de l’analyste pour y former une « chimère psychologique ».
Cette chimère correspond à des représentations étranges et inattendues qui surgissent chez l’analyste,
pouvant engendrer un sentiment de dépersonnalisation, comme si l’appareil psychique du patient était
devenu celui de l’analyste. A.GREEN remarque, concernant la chimère, qu’elle représente une
troisième scène où se rencontrent deux doubles, celui du patient et celui de l’analyste, et où se jouent
alors les phénomènes télépathiques. Ce type de chimère se produit très certainement chez des personnes
qui se fréquentent souvent, en particulier les couples. Cela peut peut-être nous aider à comprendre ce
que rapporte Lara avec cette impression de savoir ce que pensait D., ainsi que les rêves prémonitoires
concernant cette dernière. Ces chimères laisseraient-elles de tels « itinéraires correspondants » que ceux
qui les suivent pourraient être amenés à retrouver le comportement de l’autre inconsciemment ? Elles
sont certainement aussi présente dans la pratique de voyants ou de magnétiseurs comme Monsieur M.
Pour résumer, on peut donc supposer qu’il existe une forme de communication primaire, reposant
sur le registre infra-verbal, et se constituant lors des premières relations avec la mère. Cette forme de
communication se complexifie progressivement jusqu’au langage parlé. Elle reste cependant toujours
présente, en particulier dans certaines situations (états modifiés de conscience, à nouveau), étant plus
opérante chez certaines personnes. Cette forme de communication se situerait à l’intersection entre
processus intrapsychiques et intersubjectifs, expliquant pourquoi elle peut donner lieu à un certain
nombre de signes dont l’analyse, inconsciente, peut engendrer différentes formes de transfert de pensées
jusqu’à conduire à certaines expériences paranormales, en particulier dans le registre des perceptions
extra-sensorielles.
Cette forme de communication interroge donc ce qui, du sujet, se métabolise dans le trajet allant du
soma à la psyché et des traces mnésiques aux différentes formes de symbolisation. Nous pouvons nous

148
ROUSTANG F., Qu’est ce que l’hypnose ?
149
DE M’UZAN M., De l’art à la mort.
60
appuyer sur les théorisation de P.AULAGNIER150 qui a proposé une vision originale de l’articulation
entre le soma et la psyché à partir de la clinique de la psychose. Elle a ainsi dégagé trois niveaux de
métabolisation de la matière psychique : le stade originaire, donnant lieu à une forme originaire de
représentation appelée pictogramme, puis la représentation de chose ou phantasme, correspondant aux
processus primaires, et enfin la représentation de mot dépendant des processus secondaires. Ce travail de
métabolisation est toujours à l’œuvre car il y a une contrainte de la psyché à re-présenter face aux
excitations du monde externe. C’est lors des différentes étapes de ce travail de symbolisation que se
constitueraient les signes et les proto-représentations que nous avons vu précédemment ouvrant sur des
communications spécifiques pouvant donner lieu à des transferts de pensée.
On évoquera également les travaux D.ANZIEU sur le « Moi-peau » qui est la « figuration dont le
Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-
même comme Moi à partir de son expérience de la surface du corps »151. Le Moi-Peau appartient donc
également à ces premières formes de symbolisation. Il a huit fonctions qui correspondent aux huit
fonctions de la pensée : maintenance, contenance, constance, signifiance, correspondance, individuation,
sexualisation, energisation. Certaines expériences paranormales peuvent être pensées comme étant le
fruit de défaillances du Moi-Peau et de certaines de ses fonctions. Ainsi, dans le cas de fantasmes de
perceptions extra-sensorielles :

« l’ angoisse paranoïde d’intrusion psychique se présente sous deux formes : a) on me vole


mes pensées (persécution) ; b) on me donne des pensées (machine à influencer). Là les
fonctions pare-excitante et conteneur existent distinctement mais insuffisamment. »152
Les fonctions pare-excitante et conteneur seraient donc insuffisamment constituées lors de
perceptions de ce genre. On remarquera également dans certains cas que « l’aplatissement de l’image
du corps peut entraîner la confusion imaginaire du tube digestif et du conduit respiratoire, avec des
troubles somatiques subséquents »153. Cet aplatissement peut entraîner une figuration de l’espace
psychique comme une surface plane, ce qui conduit à une confusion dedans/dehors, monde
interne/monde externe, ce qui n’est pas sans rappeler le cas de Monsieur M. On peut ainsi supposer,
que chez certaines personnes qui rapportent des expériences paranormales, la constitution de l’image du
corps est défaillante, laissant des traces repérables dans une altération de l’enveloppe psychique.
C’est notamment le cas dans les « signifiants formels », également décrits par D.ANZIEU et qui
peuvent être considérés comme une première forme de symbolisation des pictogrammes. Les signifiants
formels ont une dimension psychopathologique par rapport aux signifiants de démarcation décrits par
G.ROSOLATO154 et relèvent de ce que J.MC DOUGALL appelle l’ « hystérie archaïque ». Ils sont

150
AULAGNIER P., La violence de l’interprétation.
151
ANZIEU D., Le Moi-Peau, p.1.
152
ANZIEU D., Le Moi-Peau, p.117.
153
ANZIEU D., Le Moi-Peau, p. 250.
154
ROSOLATO G., Eléments de l’interprétation.
61
des « représentants psychiques, non seulement de certaines pulsions, mais des diverses formes
d’organisation du Soi et du Moi . A ce titre, ils semblent s’inscrire dans la catégorie générale des
représentants de choses, et plus particulièrement des représentations de l’espace et des états des corps
en général »155. Les signifiants formels sont donc des « représentations des contenants psychiques »,
c'est-à-dire des « représentations de configurations du corps et des objets dans l’espace ainsi que de
leurs mouvements »156. Ils sont à la jointure entre inconscient et préconscient et forment ainsi des proto-
représentations de l’espace et du corps. Ils se présentent sous forme de syntagme verbal, dans une
indifférenciation du corps et de l’environnement extérieur. Il n y a donc pas de sujet dans les signifiants
formels. Ce sont des images du corps proprioceptives ou tactiles, kinestésiques qui ne peuvent être
refoulées.
Un exemple de signifiant formel nous est donné dans la clinique par Monsieur M. qui décrit des
rêves éveillés particuliers avec une sensation d’augmentation et de diminution de son corps. D.ANZIEU
remarque en effet que « les signifiants formels sont souvent vécus avec angoisse, comme un cauchemar
éveillé »157. Nous pouvons ainsi supposer que, dans certains cas, l’expérience paranormal est en lien
avec des signifiants formels. Certains vécus inhabituels appartenant à ce registre pourront être interprétés
comme paranormaux, rejoignant ce que nous avons déjà vu concernant la dépersonnalisation.
Mais on peut aussi supposer que ces signifiants formels rentrent également en jeu dans les
communications avec autrui. Ils deviennent alors la source de divers signes pouvant donner lieu à des
formes de transferts de pensées. Nous rejoignons alors ce que décrit T.NATHAN à propos des
contenants formels :

« Les contenants formels ressemblent à des objets, des rythmes, des images plus qu’à des
mots. Ils sont perçus comme des modifications de la structure corporelle et sont donc
véhiculés essentiellement par des mouvements corporels difficilement perceptibles à l’œil
nu. Ils peuvent être exceptionnellement véhiculés par le langage, mais toujours de manière
imprécise. Ils constituent la matière des premiers échanges entre la mère et le bébé. »158
Cela permet de comprendre pourquoi les transferts de pensées portent très rarement sur des
données comme des chiffres ou des lettres, mais le plus souvent sur des formes, des couleurs, et des
informations générales de ce type. En effet, ces contenants formels appartiennent à des registres
corporels qui ne permettent pas d’arriver à la même finesse que le langage. Cette forme de
communication semble également rejoindre ce qu’E.LABORDE-NOTTALE a appelé des
« scopèmes » qu’elle définit comme étant des « représentations psychiques imagées sous formes
d’idéogrammes qui émergent à partir de groupes de sensations ».

155
ANZIEU D., Le Moi-Peau, p.1.
156
ANZIEU D., Le Moi-Peau, p.270.
157
ANZIEU D., Les signifiants formels, p.14.
158
cité par CICONNE A., La transmission psychique inconsciente , P.55.
62
CONCLUSION

En 1921, S.FREUD écrivait déjà dans « Psychanalyse et télépathie »159:

« Il ne semble plus possible de repousser l'étude de ce qu'on appelle les


phénomènes occultes, ces choses qui prétendument cautionnent l'existence même de
forces psychiques autres que celles que nous connaissons chez l'homme et chez
l'animal, ou qui dévoilent chez l'un et chez l'autre des facultés auxquelles jusque-là
on ne voulait pas croire. La pente vers ces recherches paraît irrésistible. »
Comme nous l’avons vu dans la partie théorique, l’objet d’étude particulier que constitue le
paranormal engendre des réactions de croyance et de rejet qui n’ont pas toujours favorisé les recherches
sur ce thème. Pourtant, et j’espère que ce mémoire aura permis de confirmer ce point, les expériences
vécues comme paranormal, que nous avons choisi de classé en cinq catégories160, sont d’un grand
intérêt, comme l’avait déjà remarqué S.FREUD. Nous retiendrons pour notre part trois raisons
principales pour légitimer l’importance d’un abord propre à la clinique de la paranormalité :

• Ces expériences ont une spécificité propre. Elles appartiennent à l’expérience humaine
au même titre que la création artistique ou l’expérience mystique par exemple, tout en
partageant d’ailleurs avec elles certains points communs.

• Elles ne sont pas rares, contrairement à ce que l’on serait tenté de penser a priori, les
sondages montrant non seulement leur fréquence mais aussi leur impact sur ceux qui les
vivent.

• Elles peuvent être source de grandes souffrances, en particulier quand elles ne peuvent
être intégrée de façon harmonieuse à l’ensemble de la vie psychique ou quand elles
s’articulent de trop près à l’expression de troubles psychopathologiques.

Dans le cadre de ce mémoire, nous avons en particulier abordé ces expériences sous un angle
psychopathologique, les cinq cas cliniques présentés correspondant à des sujets rencontrés dans des
contextes psychiatriques. Nous avons ainsi proposé trois hypothèses pour essayer de répondre aux
questionnements engendrés par la rencontre des expériences énigmatiques rapportées par ces patients
Nous avons tout d’abord supposé que certaines expériences vécues comme paranormales pouvaient
être une forme de défense face à une séparation traumatique venant faire écho à une séparation difficile
d’avec l’objet primaire. Les différents cas étudiés ont confirmé cette hypothèse, en adéquation avec les
données issues de la littérature, montrant au passage comment cette possibilité traumatique prenait
parfois sa source au-delà de la petite enfance.

159
FREUD S., Psychanalyse et télépathie, in W.GRANOFF et J.M.REY, L'Occulte, objet de la pensée freudienne, p.11.
160
Cf. partie théorique, p. 4.
63
Mis à part l’impact manifeste des séparations, ces cinq cas nous ont également conduits à nous
interroger sur les formes de transmissions psychiques inconscientes pouvant être en lien avec ces
expériences. Nous avons ainsi tenté de montrer comment certains de ces vécus étaient associés à des
processus d’identification projective et à l’expression de contenus transgénérationnels. Dans cette
optique, nous avons observé de quelle manière le magnétisme et les perceptions extra-sensorielles
pouvaient correspondre à une forme exacerbée de l’identification projective normale, tout en pouvant
subrepticement basculer vers des formes pathologiques incluant des mécanismes de projection et
d’incorporation. Quant à la dimension transgénérationnelle, elle s’est trouvée confirmée dans plusieurs
cas, en particulier par le biais de certaines pratiques médiumniques apparues comme les effets du
manque à penser que constitue un noyau transgénérationnel non symbolisé.
Nous avons alors travaillé une dernière hypothèse, abordant tout d’abord l’expérience paranormale
comme un vécu de dépersonnalisation pour ensuite nous tourner plus précisément vers la question de
son devenir intrapsychique et intersubjectif, ouvrant la voie à la question du transfert de pensées et de la
symbolisation primaire. L’expérience paranormale nous est alors apparue comme pouvant être le fruit
d’un mode primitif de communication d’ordinaire recouvert par des fonctions psychiques plus
élaborées, mais susceptible de resurgir préférentiellement dans certaines conditions.

La diversité des hypothèses étudiées provient de notre volonté initiale d’aborder l’ensemble de ces
expériences selon une approche globale, n’évitant pas à l’occasion l’apport d’autres disciplines, de façon
à mettre en lumière les traits communs qui font la spécificité de cette clinique des marges. Au-delà des
aspects psychopathologiques, manifestes dans les cas étudiés, on peut se demander dans quelle mesure
de telles expériences sont les conséquences de fonctionnements habituels du psychisme et plus
particulièrement du Moi, amplifiées notamment dans certaines états modifiés de conscience. Cette
question ne pourrait être approfondie que dans un travail portant sur une population plus large, incluant
des personnes ne souffrant pas de troubles psychopathologiques, mais vivant néanmoins ce type
d’expériences.

Un tel objet d’étude pourrait peut-être redevenir, comme il l’a déjà été par le passé, un formidable
moteur pour la recherche en psychologie et pour la connaissance intime de la vie psychique.
64
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