EN NEUROSCIENCES
4 e
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
Mark F. Bear • Barry W. Connors • Michael A. Paradiso
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
III
4
édition
NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
Traduction et adaptation
André Nieoullon
Professeur de Neurosciences
Université d’Aix-Marseille
Marseille, France
IV
Dédicace
L’éditeur décline toute responsabilité, exprimée ou implicite, y compris toute garantie quant à l’exactitude, la compréhen-
sion ou l’actualité du contenu de l’ouvrage.
Ce travail ne peut en aucun cas se substituer à une évaluation clinique par un professionnel de santé de l’état d’un patient,
considérant, entre autres, que l’évaluation de l’état d’un patient et la prescription médicale doit prendre en compte, à titre indi-
viduel, toute une série de paramètres comme l’histoire individuelle du malade, son âge, son poids, son genre, les résultats d’exa-
mens cliniques et paracliniques, y compris les traitements dont il bénéficie au moment de l’examen et du diagnostic. L’éditeur
ne donne ainsi aucune recommandation ou conseil d’ordre médical et cet ouvrage doit être considéré comme un outil de
référence dans un contexte théorique. Seuls les professionnels de santé, et non l’éditeur, sont habilités à utiliser les informations
contenues dans cet ouvrage afin d’éclairer leur appréciation clinique et de les aider au diagnostic et à la prescription médicale.
Compte tenu de l’avancée rapide des connaissances dans le domaine médical et de la santé, plus généralement, les indi-
cations figurant dans cet ouvrage, notamment en ce qui concerne les médicaments à utiliser et les doses à prescrire, doivent
faire l’objet de vérifications par les professionnels de santé au moment d’une éventuelle prescription. Ainsi, au moment de la
prescription de ces médicaments, les professionnels de santé sont invités à se référer d’abord aux notices d’utilisation associées
à chaque produit par le laboratoire qui le commercialise, pour en vérifier les conditions d’utilisation, les avertissements sur
les éventuels effets secondaires et les associations médicamenteuses, les dosages spécifiques à chaque catégorie de patients,
de même que les contre-indications potentielles, notamment lorsqu’il s’agit d’un médicament nouveau, encore peu prescrit et
dont la gamme d’utilisation thérapeutique en ce qui concerne le dosage est resserrée. Conformément à la réglementation en
vigueur, l’éditeur ne saurait être tenu responsable pour toute atteinte ou dommage à la personne qui résulterait de l’utilisation
abusive et non conforme à la Loi des données figurant dans cet ouvrage.
Éditions Pradel
John Libbey Eurotext
127, avenue de la République
92120 Montrouge
France
e-mail : contact@jle.com
http://www.jle.com
ISBN 978-2-36110-082-7
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sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, y compris la photocopie, le scanning, ou d’autres procédés électro-
niques, ou utilisée par un système de recherche, d’archivage et d’information sans l’autorisation écrite du propriétaire du
copyright, sauf pour de courtes citations dans le corps d’un article ou d’une revue.
P R É FAC E À L ’ É D I T I O N F R A N Ç A I S E
Les neurosciences ont acquis une autonomie récente au sein des sciences de
la vie dont elles représentent désormais le plus important domaine de recherche.
Les sciences du cerveau fédèrent des dizaines de disciplines plus ou moins auto-
nomes qui explorent avec des méthodes et des niveaux d’approches qui leur
sont propres la nature du fonctionnement du système nerveux. Boulimiques,
elles absorbent toutes les autres sciences, mathématiques, physique, techniques
de l’information, biologie moléculaire, génomique, etc., jusqu’aux sciences
humaines et sociales. De fait, l’accaparement de toutes les nouvelles technolo-
gies est le moteur d’un développement qui accumule les superlatifs par le nombre
des laboratoires et des chercheurs, des doctorants, des journaux internationaux
(plus de 300). Les publications s’amoncellent d’une manière exponentielle et les
informations accumulées apparaissent à beaucoup d’entre nous sous la forme
d’un mur conceptuellement impénétrable. Cette évolution renforce une tendance
pour chaque chercheur à s’enfermer dans sa propre sous-discipline, elle-même
complexe et en perpétuelle évolution.
À titre d’exemple, il est désormais admis que les connaissances structurales
et fonctionnelles, de plus en plus précises et généralement obtenues à l’aide de
modèles animaux, constituent les bases nécessaires pour appréhender la nature
des dysfonctionnements et maladies psychiatriques. La démarche est conforme
aux principes de la médecine expérimentale depuis Claude Bernard. Dans le sil-
lage de la Decade of the Brain (États-Unis, 1990-2000), des dizaines de milliards
d’euros ont été affectés des deux côtés de l’Atlantique pour découvrir les causes,
les mécanismes physiopathologiques et les traitements de ces maladies, essentiel-
lement à partir d’approches moléculaires et génomiques. « Mieux connaître
pour guérir » est le programme imposé par les agences de financement partout
dans le monde. Cependant, en dépit d’efforts gigantesques, aucune stratégie n’est
présentement disponible pour proposer une conception cohérente des processus
psychopathologiques et corollairement, une neuropharmacologie efficace, restée
en l’état depuis des décennies.
Les neurosciences, globalement, progressent sur les bases du réductionnisme,
le projet mis en œuvre s’exprimant selon deux dogmes. L’un, fondamental,
stipule que tout ce que le cerveau fait (pensées, imaginaire, comportement,
etc.) est explicable à partir de ses composants de base, les neurones ; l’autre, dit
de l’identité, énonce que tout événement mental correspond à un événement
cérébral qui lui est causal, de telle sorte que la connaissance de ce dernier permet
la connaissance du premier. Rien n’arrêtera cette ardente quête pour démon-
ter, pièce par pièce, jusque dans son infime construction, les mécanismes de la
machine cérébrale. Ainsi, de nombreux laboratoires concentrent leurs efforts
pour enfin cartographier les connexions synaptiques d’un seul neurone dans un
cerveau de souris. Au bout de ce gigantesque effort se concrétisera l’espoir de
proposer une « théorie du cerveau » intelligible et à terme, si l’on parvient à
reconstruire un tout à partir des éléments, pourra-t-on résoudre le dilemme con-
naître versus comprendre. Le cerveau humain pourrait alors se comprendre lui-
même. Pour de nombreux chercheurs, cependant, cette quête d’une cohérence
globale, d’une synthèse, est devenue une tâche impossible. Certains parlent d’im-
passe, ou de crise. Ceci n’aurait rien de redoutable : toutes les grandes disci-
plines scientifiques en ont connu avant de renaître sur d’autres bases théoriques,
technologiques et surtout paradigmatiques. Rien de surprenant si l’on considère
que l’on s’adresse à l’ensemble constitué le plus complexe de l’univers, celui qui
permet de connaître tous les mondes possibles. Retenue et modestie sont de mise.
VI Préface à l’édition française
Depuis la nuit des temps la transmission du savoir relève d’un art réservé
à une catégorie particulière d’individus non seulement qui savent et mais sur-
tout, qui ont un esprit clair. Connaître est commun, vouloir transmettre et savoir
transmettre est plus rare. Ici nous sommes dans un autre monde, celui où se
retrouvent tous ceux que nous appelons les Maîtres. Nos Maîtres, de la petite
école jusqu’aux hauts grades, habitent à jamais nos mémoires et continuent de
faire de nous ce que nous serons toujours : des apprentis. Ils paraissaient tout
savoir, mais ils avaient à nos yeux cet esprit critique peu commun qui les rendait
capables d’extraire avec certitude l’essentiel, de déblayer nos esprits des scories
qui naturellement l’encombrent pour nous offrir les bases sur lesquelles nous
avons pu, avec le temps, à notre tour construire. Et l’on entend encore « … il a
été l’élève de… », manière de dire que la personne a hérité d’une certaine forme
de savoir et de l’art de le transmettre. Il est implicitement entendu que le Maître
restera inégalé, entouré d’une respectueuse affection.
L’enseignement, me semble-t-il, n’est plus une activité aussi honorée qu’elle
le fût. Est-il possible d’imaginer qu’il y a quelques décennies, le professeur
entrait dans l’amphithéâtre précédé et annoncé par un appariteur, les étudiants
se levaient, entendaient « asseyez-vous » et le cours commençait avec craie et
tableau vers lequel les têtes étaient orientées, mues en va-et-vient pour transcrire
notes et schémas, dans le silence ; il en était ainsi dans les facultés de sciences
ou de médecine. L’apprenti-enseignant que j’étais s’entendait dire « une heure
de cours, dix heures de préparations ». Il me vient en mémoire que l’une des
nombreuses réformes subies - et enterrées - par notre enseignement supérieur
stipulait que les plus anciens du corps professoral devaient se produire devant
les étudiants nouveaux venus dans l’université. Sage proposition pour ceux qui
devaient recevoir, mais plus encore, pour ceux qui devaient transmettre.
Quel que soit le symbole, des piliers ou de la pierre angulaire, il faut con
struire l’édifice à partir de bases. On ne transmet pas des parcelles, mais un tout
ayant une cohérence de la première à la dernière ligne, reposant sur un chemine-
ment historique, à chaque étape les vérités naissant de contradictions. L’esprit
critique surplombe le savoir. Il faut craindre que ne s’engramment dans les
neurones de nos étudiants des enseignements dispensés à partir de champs précis
et limités de recherche, spécialisés, enracinés dans le présent, coupés de la longue
accumulation temporelle des savoirs, nourris de repères bibliographiques ne
dépassant pas 5 ans. Cela forme des esprits rectilignes peu enclins à exhumer des
contradictions, à formuler des hypothèses nouvelles, à détecter les impasses des
modèles existants de pensée et de représentation et globalement peu aptes
à œuvrer pour des changements de paradigme. La fragmentation du savoir
pourrait s’aggraver en raison d’un clicktivisme qui paraît se généraliser, qui
morcelle au détriment du tout.
Ces quelques réflexions, parmi d’autres, naissaient alors que j’avais sous les
yeux, sur le bureau, ce magnifique ouvrage écrit par Mark Bear, Barry Connors
et Michael Paradiso. Il s’agit d’une quatrième édition revue et actualisée ;
la première datait de 1996. Vingt ans pour parfaire, réécrire, compléter. Elle
rassemble les connaissances fondamentales et actuelles de la discipline. Nos
pensées oscillent entre un monde de publications dont on ne voit pas de fin et un
Préface à l’édition française VII
ensemble précis, rectangulaire, épais de 1 000 pages, un coffret d’un bon poids
que l’on nous offre contenant une cohérence dans le savoir, qui se déroule avec
sagesse de la première à la dernière page. Résultat impressionnant devant lequel
on se sent humble. Cohérence du tout, un tout cohérent. L’immense savoir trans-
formé par la volonté de transmettre, un art de la transmission qui nous saisit
d’émerveillement. Il me revient à l’esprit ces manuscrits de nos grands auteurs,
à la Bibliothèque nationale, les mots remplacés, les lignes réécrites et surtout, ce
qui m’a toujours plongé dans la perplexité, ces pages supprimées par des traits
de plume en croix : jetées comme hors sujet, ou inutiles au propos essentiel, ou
comme source de confusion. L’on imagine ici le tri délicat, la réflexion inquiète
pour les choix nécessaires devant le « mur de données », puis l’écriture, puis les
suppressions au nom de ce qui fait l’âme de l’œuvre : cette « cohérence d’un
savoir ».
Parcourant les chapitres, j’ai vite pris la mesure de tout ce que je ne savais pas
ou que j’avais oublié. Parallèlement, on est saisi par l’émerveillement de décou-
vrir et d’apprendre dans un tel contexte : ce qui était compliqué devient clair,
grâce à des mises en pages attractives, des figures et des encadrés qui propo-
sent autant de béquilles pour la mise en mémoire. Les découvertes de récente
actualité s’intègrent naturellement au socle des matières constitutif du domaine.
Les données expérimentales, certaines datant des deux dernières années sont
transformées en schémas ou graphiques simples et directement compréhensi-
bles. Pénétrant dans l’ouvrage, chacun y trouvera son fil rouge. Les structures
élémentaires, des bases moléculaires aux interactions cellulaires sont clairement
exposées, de même que les apports récents de la génomique. J’ai apprécié une
direction que l’on pourrait dénommer « intégrative », faisant une large part à
la physiologie — au sens classique — c’est-à-dire aux grandes fonctions, dont
les capacités neuropsychologiques. Les exposés combinent des approches « top-
down » et « bottom-up ».
À qui s’adresse ce livre qui paraît être plus qu’un manuel sans être un traité ?
Impérativement à tous ceux qui doivent enseigner les neurosciences, quel que
soit le niveau des diplômes, des classes de fin d’études secondaires à l’ensei
gnement supérieur. Aux étudiants, il apportera un socle de connaissances
fondamentales ayant peu d’équivalents pour les cursus de neurobiologie, de
psychologie scientifique et bien évidemment de neurologie et de psychiatrie.
Tous les membres de ces disciplines commençant par « neuro » auront à cœur
de se procurer l’ouvrage.
Michel Le Moal
Membre de l’Académie des Sciences
Professeur émérite à l’Université de Bordeaux
Neurocentre Magendie, Inserm U1215, Bordeaux
IX
INTRODUCTION
Q U E L Q U E S R E C O M M A N DA T I O N S
POUR MIEUX ABORDER CET OUVRAGE…
E
xploitez au mieux ce que vous apporte Neurosciences, à la découverte
du cerveau, pour conforter et approfondir vos connaissances en neuro
sciences, dans un domaine où les progrès sont rapides. Ce guide d’uti-
lisation est conçu pour vous permette une utilisation optimale de cet ouvrage.
Le sommaire du chapitre
Il s’agit de l’utiliser comme une sorte de « feuille de route », qui vous per-
mettra de suivre l’organisation et la progression des connaissances présentées
sur chaque thématique. C’est aussi un outil particulièrement utile pour réviser
ensuite les connaissances acquises.
Questions de révision
Testez votre compréhension des concepts introduits à chaque chapitre en
répondant à ces questions.
XVI Quelques recommandations pour mieux aborder cet ouvrage…
Questionnaire d’auto-évaluation
Au chapitre 7, ce type de questionnaire est conçu pour vous permettre de
vous familiariser avec l’anatomie du système nerveux.
XVII
REMERCIEMENTS
E
n 1993, lorsque nous avons sérieusement débuté la rédaction de la pre-
mière édition, nous avons eu la chance de travailler en étroite collabo-
ration avec une équipe remarquable, dévouée et talentueuse — Betsy
Dilernia, Caitlin et Rob Duckwall et Suzanne Meagher —, qui nous a réellement
aidés à produire le livre. Betsy a poursuivi sa collaboration avec nous pour les
trois premières éditions. Notre succès doit beaucoup à ses efforts extraordinaires
pour améliorer la compréhension de notre texte et, plus généralement, la qualité
de cet ouvrage. Le départ à la retraite tout à fait justifié de Betsy nous a tous
beaucoup affectés mais, par chance, nous avons travaillé pour cette quatrième
édition avec Tom Lochhass, qui a été recruté à la place de Betsy. Tom, par ailleurs
un auteur reconnu, partage avec Betsy le souci du détail et nous a quelque peu
bousculés pour que nous ne nous endormions pas sur nos lauriers. Nous sommes
fiers de cette quatrième édition et très reconnaissants à Tom de n’avoir jamais
transigé avec l’excellence associée à cet ouvrage. Nous ne saurions aussi évoquer
sa participation sans le remercier pour son extrême patience lorsque les auteurs,
pris par leurs obligations, ne remettaient pas leurs textes dans les délais impartis.
Il est quelque peu incroyable qu’en dépit du temps considérable qui s’est
écoulé depuis le début de ce travail — 21 années ! — nous soyons toujours la
même équipe : Caitlin, Rob et Suzanne. L’agence Dragonfly Media Group de
Caitlin et Rob a produit les illustrations, en collaboration avec Jennifer Clements,
et le résultat parle de lui-même ! Les artistes se sont littéralement emparés de nos
concepts, parfois quelque peu nébuleux, pour en faire une merveilleuse réalité.
La qualité des illustrations a toujours été une priorité pour les auteurs et nous
sommes très satisfaits que cette équipe ait pu nous conforter dans le sentiment
que nous avons produit l’ouvrage en neurosciences le plus accessible et le plus
richement illustré qui soit. Enfin, nous sommes pour toujours extrêmement
reconnaissants à Suzanne, qui nous a assistés en permanence tout au long de
cette aventure. Sans son incroyable dévouement à ce projet et sa totale fidélité,
le livre n’aurait jamais pu être achevé. Suzanne, tu es la meilleure ! Et ceci reste
vrai depuis 1983 !
Pour cette nouvelle édition, nous avons le plaisir de remercier un nou-
veau membre de l’équipe, Linda Francis. Linda est assistante éditoriale chez
Lippincott Williams & Wilkins. Elle a travaillé constamment avec nous, notam-
ment en nous aidant à respecter les contraintes de l’édition. Son efficacité, sa
flexibilité, et sa bonne humeur furent très appréciées.
Dans l’industrie de l’édition, les éditeurs paraissent changer fréquemment.
Pour ce qui nous concerne, nous tenons à remercier chaleureusement l’un des
éditeurs seniors qui a été toujours l’avocat fidèle de notre projet : Emily Lupash.
Merci à vous, Emily, et à tout votre staff ! Cela a été un réel plaisir de travailler
avec vous.
Nous souhaitons encore remercier les fondateurs du cursus de neurosciences
à l’Université Brown. Nous remercions chaleureusement Mitchell Glickstein,
Ford Ebner, James McIlwain, Leon Cooper, James Anderson, Leslie Smith,
John Donoghue, Bob Patrick et John Stein pour tout ce qu’ils ont fait pour
développer les meilleurs enseignements des neurosciences dans cette Université.
Merci aussi à Sebastian Seung et Monica Linden pour avoir contribué à réno-
ver l’enseignement des neurosciences au Massachusetts Institute of Technology
(MIT) à Boston. Monica, qui est maintenant au département de neurosciences
de Brown University, a fait de nombreuses suggestions pour améliorer encore
cette quatrième édition. Et nous l’en remercions chaleureusement.
XVIII Remerciements
IMAGES
Couverture
Image IRM du cerveau humain permettant de révéler la diffusion des molé-
cules d’eau. La diffusion des molécules d’eau dans le cerveau s’effectue de
façon préférentielle en suivant les faisceaux d’axones. Les axones représentent
les connexions « électriques » du système nerveux et conduisent les potentiels
d’action produits par les neurones. Cette image révèle quelques-unes des voies
neuronales par lesquelles s’effectue la communication entre différentes parties
du cerveau. L’image a été obtenue à l’aide d’un algorithme permettant de visua-
liser les faisceaux d’axones à l’aide de pseudo-couleurs. Les couleurs varient en
rapport avec la direction de la diffusion des molécules d’eau dans le cerveau.
(Source : courtoisie de Satrajit Ghosh et John Gabrieli, McGovern Institute for
Brain Research et Department of Brain and Cognitive Sciences, MIT.)
SOMMAIRE SYNTHÉTIQUE
4e PARTIE Neuroplasticité
23 Développement du cerveau................................................................ 798
24 Apprentissage et mémoire.................................................................. 840
25 Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation... 888
Glossaire................................................................................................... 925
Références................................................................................................. 949
Index......................................................................................................... 973
XXIII
Bases théoriques
Concevoir les bases biologiques du fonctionnement cérébral dans l’ère
post‑génomique…..................................................................................... 31
Révision des moles et de la molarité.......................................................... 64
L’équation de Nernst................................................................................ 69
L’équation de Goldman............................................................................ 72
Méthodes d’enregistrement du potentiel d’action..................................... 81
Méthode du patch-clamp..................................................................... 93
Théorie du complexe « SNARE » et libération des neurotransmetteurs.... 121
Potentiels d’inversion................................................................................ 124
« Pomper » les ions et les neurotransmetteurs........................................... 152
Imagerie par résonance magnétique.......................................................... 186
TEP et IRMf............................................................................................ 187
Organisation corticale révélée par imagerie optique et calcique................. 347
Inhibition latérale..................................................................................... 428
Des grenouilles à trois yeux, des colonnes de dominance oculaire
et autres bizarreries…............................................................................... 826
Le concept de période critique.................................................................. 828
Plasticité synaptique : tout est dans le « timing »...................................... 902
Le vaste monde de la dépression à long terme........................................... 907
Focus
Les développements de la microscopie...................................................... 27
Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal........................................ 39
Auto-stop sur le « rétro-rail » :
focus sur transport axoplasmique rétrograde............................................ 44
Retard mental et épines dendritiques........................................................ 46
Comprendre la structure du neurone et sa fonction par la fabuleuse
« Cre »...................................................................................................... 50
Mort par injection létale........................................................................... 76
Anesthésie locale....................................................................................... 101
Sclérose en plaques, maladie démyélinisante............................................. 102
Comportement électrique éclectique des neurones.................................... 104
Le rêve d’Otto Loewi................................................................................ 108
Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…..................................... 129
Des mutations effrayantes et des poisons.................................................. 135
Les endocannabinoïdes de votre cerveau................................................... 158
Ces poisons si excitants : beaucoup trop de si bonnes choses…................. 165
De l’eau dans la tête.................................................................................. 184
Nutrition et tube neural............................................................................ 192
Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate, calcium ou
simplement de l’eau ?................................................................................ 261
Souvenirs d’un repas cauchemardesque…................................................ 270
Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?............................................... 273
XXIV Liste des textes encadrés
L E S AU T E U R S D E S E N C A D R É S
« LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE »
Bases
cellulaires
CHAPITR E 1
Neurosciences : passé, présent et futur 2
CHAPITR E 2
Neurones et cellules gliales 22
CHAPITR E 3
Membrane du neurone au repos 56
CHAPITR E 4
Potentiel d’action 78
CHAPITR E 5
Transmission synaptique 106
CHAPITR E 6
Neurotransmetteurs :
organisation anatomobiochimique du système nerveux 140
CHAPITR E 7
Anatomie du système nerveux 176
Annexe
Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 212
2
CHAPITRE 1 Neurosciences :
passé, présent
et futur
LES NEUROSCIENCES
AUJOURD’HUI
Niveaux d’analyse............................................................................... 12
Chercheurs en neurosciences.............................................................. 13
Démarche scientifique en neurosciences.............................................. 15
Expérimentation animale en neurosciences......................................... 16
Coût de l’ignorance : les maladies du système nerveux........................ 18
CONCLUSION
INTRODUCTION
L’
homme a toujours cherché à savoir comment il voit et comment il
entend ; pourquoi certaines choses sont bonnes et d’autres mau-
vaises ; comment il bouge ; comment il raisonne, apprend, mémorise
et oublie ; quelle est l’origine de la colère et celle de la folie. La recherche dans le
domaine des neurosciences commence à éclaircir ces mystères et les résultats de
tous ces travaux constituent le contenu de cet ouvrage.
Le mot « neurosciences » est récent. La Society for Neuroscience (Société des
neurosciences), association de chercheurs en neurosciences, n’a été fondée qu’en
1970 (en France, la Société des neurosciences a été créée en 1988, elle comprend
plus de 2 500 membres). Cependant, l’étude du cerveau est aussi ancienne que
la science elle-même. Historiquement, les scientifiques qui se sont intéressés au
système nerveux venaient de disciplines diverses : médecine, biologie, psycholo-
gie, physique, chimie, mathématiques. La révolution des neurosciences est venue
du fait que ces scientifiques ont réalisé que le plus grand espoir de comprendre
le fonctionnement du cerveau résidait dans une approche résolument pluri
disciplinaire, une combinaison des approches traditionnelles et de technologies
modernes, pour parvenir à une vision actualisée de l’organisation et du fonc-
tionnement cérébral et ouvrir de nouvelles perspectives. Aujourd’hui, quelle que
soit l’approche qu’ils mettent en œuvre, la plupart des scientifiques impliqués
dans la recherche sur le système nerveux se considèrent comme des chercheurs
en neurosciences. En fait, même si les enseignements de neurosciences peuvent
être dispensés par les départements de psychologie ou de biologie, selon les
universités, et qu’il est alors possible de parler de neuropsychologie ou de neuro-
biologie, le cours porte toujours sur les neurosciences. Actuellement, la Society
for Neuroscience est, dans le domaine de la biologie expérimentale, la plus impor-
tante association de scientifiques et celle qui se développe le plus rapidement.
Loin d’être hyperspécialisé, ce domaine est au contraire presque aussi vaste que
l’ensemble des sciences naturelles, le système nerveux étant le point commun
de toutes les études. Pour comprendre le fonctionnement du cerveau, il est de
fait nécessaire d’acquérir des connaissances dans des domaines variés, depuis
la structure moléculaire de l’eau, jusqu’aux propriétés électriques et chimiques
du cerveau ; mais aussi pour tenter de comprendre pourquoi le chien de Pavlov
salivait en entendant une cloche sonner. C’est dans cette vaste perspective que
cet ouvrage part à la découverte du cerveau.
L’aventure commence par une brève histoire des neurosciences. Comment
le cerveau a-t-il été perçu à travers les âges ? Qui sont les chercheurs en neuro
sciences d’aujourd’hui, et quelle est leur approche dans l’étude du cerveau ?
4 1 – Bases cellulaires
Les origines
des neurosciences
Le système nerveux — cerveau, moelle épinière et nerfs — est vital et per-
met de sentir, de bouger, et encore de penser. Comment l’homme en a-t-il pris
conscience ?
Il est prouvé que, dès la préhistoire, nos ancêtres considéraient le cerveau
comme un organe vital. Les musées archéologiques comptent de nombreux
crânes d’hominidés datant d’un million d’années et plus, qui montrent des traces
de lésions crâniennes mortelles, probablement infligées par d’autres hominidés.
Il y a 7 000 ans, des interventions étaient déjà pratiquées au niveau du crâne
(un procédé appelé trépanation), non pour tuer mais pour guérir (Fig. 1.1). Ces
crânes montrent des signes de guérison, ce qui indique que l’opération était pra-
tiquée sur des êtres vivants et n’était pas seulement un rituel accompli après
la mort. Quelques individus ont, semble-t-il, survécu à plusieurs opérations du
crâne. Le but recherché par ces premiers chirurgiens n’est pas clair, même s’il
est envisageable que ce procédé était utilisé pour traiter les maux de tête ou les
troubles mentaux. Mais peut-être ne s’agissait-il simplement que d’ouvrir une
porte de sortie aux mauvais esprits…
Les écrits des premiers médecins de l’Égypte ancienne, datant de presque
5 000 ans, montrent qu’ils avaient reconnu plusieurs symptômes liés à des lésions
Figure 1.1 – Évidence d’une intervention
cérébrales. Cependant, c’est le cœur et non le cerveau qui était considéré à cette
neurochirurgicale de l’époque préhistorique. époque comme le siège de l’âme et des souvenirs. En fait, alors que le reste du
Ce crâne humain date de plus de 7 000 ans. corps était soigneusement préparé pour la vie après la mort, le cerveau du défunt
Il a fait l’objet d’une intervention du vivant du était simplement retiré par les narines et jeté. L’idée que le cœur était le siège de
sujet. (Source : Alt et al., 1997, Fig. 1a.) la conscience et de la pensée n’a ainsi pas été remise en question à cette époque
et celles qui ont suivi, jusqu’à Hippocrate.
Cerveau Cervelet
1 cm
Figure 1.6 – Substance blanche et
substance grise.
La simple section du cerveau en
deux parties révèle la dualité de la
matière cérébrale.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 7
Hémisphères
cérébraux
Cerveau
Cervelet
Système
nerveux
Moelle épinière central
Système
nerveux
périphérique
Figure 1.7 – Organisation anatomique des deux principales subdivisions du système nerveux. Sillon Lobe
Le système nerveux comprend deux parties : le système nerveux central (SNC) et le système ner- central pariétal
veux périphérique (SNP). Le SNC comprend lui-même le cerveau et la moelle épinière et le cerveau Lobe
Lobe
frontal
est subdivisé en trois parties principales représentées par les hémisphères cérébraux, le cervelet et occipital
le tronc cérébral. Le SNP est représenté par l’ensemble des nerfs et des cellules nerveuses situées
hors du cerveau et de la moelle épinière.
Le cerveau au xixe siècle
À la fin du xviiie siècle, les connaissances sur le système nerveux peuvent se
résumer ainsi :
•• une atteinte du cerveau peut supprimer les sensations, empêcher le mou-
vement, altérer la pensée, et même entraîner la mort ;
•• les nerfs assurent la communication entre le cerveau et le corps ;
•• il est possible de distinguer dans le cerveau des sous-régions qui jouent
probablement des rôles différents ;
•• le cerveau (sinon l’esprit) fonctionne comme une machine et obéit aux lois
de la nature.
Au cours du siècle qui suivit, les connaissances sur l’organisation et les
fonctions du cerveau progressèrent plus que dans toute l’histoire qui avait
précédé. Ces travaux eurent un caractère fondamental, conférant à la recherche
du xixe siècle un rôle essentiel dans le progrès des connaissances sur le cerveau.
À titre d’illustration, quatre éléments déterminants sont évoqués ci-dessous.
Moelle
épinière
Racines ventrales
Racines
dorsales
Pour vérifier cette hypothèse, la même méthode que celle de Bell et Magendie,
cherchant à identifier les fonctions des racines spinales, fut mise en œuvre :
détruire différentes parties du cerveau et observer les déficits sensoriels et moteurs
qui en résultent. Cette approche consistant à détruire des parties du cerveau de
façon systématique pour déterminer leur fonction relève de la neurologie expéri-
mentale. En 1823, le fameux physiologiste français Marie-Jean-Pierre Flourens
utilisa cette méthode sur plusieurs espèces d’animaux (notamment des oiseaux),
pour démontrer que le cervelet joue un rôle évident dans la coordination du
mouvement. Il en conclut aussi que le cerveau est impliqué dans la sensation et
la perception, comme Bell et Galien l’avaient suggéré avant lui. Mais, contraire-
ment à ses prédécesseurs, Flourens fournissait un solide support expérimental à
la théorie de la localisation des fonctions cérébrales.
Que représentent toutes les circonvolutions à la surface du cerveau ? Ont-
elles des fonctions différentes ? Cette idée paraissait évidente au jeune étudiant
en médecine autrichien, Franz Joseph Gall. Pensant que les bosses du crâne cor-
respondaient aux circonvolutions du cerveau, Gall suggéra en 1809 que certains
traits de caractère — tels que la générosité, la réserve, l’instinct de destruction,
etc. — pouvaient être en relation avec la forme de la tête (Fig. 1.10). Pour confor-
ter ses propositions, Gall et ses disciples effectuèrent des mesures sur le crâne de
centaines de personnes représentant un large éventail de personnalités, depuis le
surdoué jusqu’au fou criminel. Cette nouvelle « science », mettant en relation la
structure de la tête avec les traits de la personnalité, prit le nom de phrénologie.
Bien que la plupart des scientifiques n’aient jamais pris au sérieux les déclara-
tions des phrénologistes, ceux-ci ont néanmoins réussi à toucher l’imagination
populaire de leur temps et un manuel de phrénologie fut publié en 1827 et tiré à
plus de 100 000 exemplaires !
Flourens fut un des plus violents opposants de la phrénologie. Sa critique
reposait sur des bases simples. D’une part, il n’y a pas de corrélation entre les Figure 1.10 – Carte phrénologique.
dimensions du crâne et celles du cerveau. D’autre part, Flourens, au moyen des En accord avec les travaux de Gall et de ses
lésions expérimentales, montra que les caractères particuliers ne sont pas isolés disciples, les traits du comportement peuvent
dans les parties du cerveau répertoriées par la phrénologie. Mais Flourens sug- être mis en rapport avec la forme de diffé-
géra aussi que toutes les régions du cerveau sont impliquées de façon équivalente rentes parties du crâne. (Source : Clarke et
dans toutes les fonctions cérébrales, ce qui s’avéra erroné par la suite. O’Malley, 1968, Fig. 118.)
10 1 – Bases cellulaires
C’est au neurologue français Paul Broca qu’il revient d’avoir apporté les élé-
ments les plus déterminants sur la question de la localisation des fonctions céré-
brales (Fig. 1.11). Un jour, il examina un patient qui comprenait les mots mais ne
pouvait pas parler. Lorsque cet homme mourut, en 1861, Broca observa atten-
tivement son cerveau et découvrit une lésion du lobe frontal gauche (Fig. 1.12).
À partir de ce cas et de plusieurs autres cas similaires, Broca conclut que cette
région du cerveau humain était spécifiquement reliée au langage.
Sur la base de ces observations, la localisation cérébrale fit l’objet d’une
intense recherche expérimentale sur l’animal. En 1870, les physiologistes alle-
mands Gustav Fritsch et Eduard Hitzig montrèrent qu’en appliquant de faibles
décharges électriques sur une région précise de la surface exposée du cerveau
d’un chien, de discrets mouvements pouvaient être générés. Le neurologue
écossais David Ferrier reproduisit ces expériences sur des singes et, en 1881, il
démontra que l’ablation de cette partie du cerveau entraînait la paralysie des
muscles. De même, le physiologiste allemand Hermann Munk prouva, au moyen
Figure 1.11 – Paul Broca (1824-1880). de lésions effectuées chez l’animal, que le lobe occipital du cerveau était spécifi-
C’est en étudiant le cerveau d’un homme quement concerné par la vision.
ayant perdu l’usage de la parole après une
Comme cela sera discuté dans la deuxième partie de cet ouvrage, au niveau
lésion cérébrale (Fig. 1.12) que Broca fut
convaincu que les différentes fonctions céré-
cérébral il existe un partage très précis des tâches, les diverses régions étant sus-
brales pouvaient siéger dans des régions ceptibles de remplir des fonctions très différentes. Les cartes actuelles de l’orga-
particulières du cerveau. (Source : Clarke et nisation anatomofonctionnelle du cerveau rivalisent avec celles les plus élaborées
O’Malley, 1968, Fig. 121.) des phrénologistes. La grande différence est, cependant, qu’à l’opposé des phré-
nologistes les scientifiques ont recours à une expérimentation très rigoureuse
Sillon central avant d’attribuer une fonction spécifique à une partie donnée du cerveau ; dès
lors, il semble que l’idée de Gall n’était pas si fausse. Il est alors intéressant
de se poser la question de savoir pourquoi Flourens, le pionnier de la localisa-
tion fonctionnelle cérébrale, s’est trompé en pensant que le cerveau fonctionnait
comme un tout et ne pouvait pas être subdivisé en sous-régions fonctionnelle-
ment différentes. Il est possible que ce chercheur pourtant doué soit passé à côté
de la localisation cérébrale pour plusieurs raisons, mais il est clair qu’une des
raisons principales était son opposition viscérale à Gall et à la phrénologie. Il
ne pouvait en aucune façon accepter l’idée de Gall, qu’il considérait comme un
lunatique ! Cette anecdote nous rappelle alors combien la science, pour le meil-
leur et pour le pire, était et reste véritablement une activité qui ne peut pas être
Figure 1.12 – Photographie du cerveau à totalement dénuée de subjectivité.
partir duquel Broca établit la théorie de la
localisation des fonctions cérébrales. Évolution du système nerveux. En 1859, le biologiste anglais Charles Darwin
Ce cerveau est celui du patient ayant perdu (Fig. 1.13) publia De l’origine des espèces. Cet ouvrage étonnant proposait une
l’usage de la parole avant son décès en 1861. La théorie de l’évolution, à savoir que les espèces se développaient à partir d’un
lésion qui produit ce type de déficit est identifiée ancêtre commun. Selon sa théorie, les différences entre les espèces reposaient sur
par un cercle. (Source : Corsi, 1991, Fig. III, 4.) un processus que Darwin dénomma la sélection naturelle. Dans les mécanismes
de la reproduction, les traits physiques des descendants sont quelquefois diffé-
rents de ceux des parents. Si ces traits sont utiles à la survie, les descendants eux-
mêmes se reproduiront, augmentant ainsi la possibilité de transmettre ces traits
positifs à la génération suivante. À travers plusieurs générations, ce processus a
permis le développement des caractères qui distinguent les espèces de nos jours :
des nageoires pour les phoques, des griffes pour les chiens, des mains pour les
ratons laveurs, etc. Cette seule intuition a révolutionné la biologie. De nos jours,
il est incontestable que les preuves scientifiques, depuis l’anthropologie jusqu’à
la génétique moléculaire, sont en faveur de la théorie de l’évolution par la sélec-
tion naturelle.
Pour Darwin le comportement faisait partie des caractères transmis suscep-
tibles d’évoluer. Par exemple, il remarqua que les réactions de peur étaient les
mêmes chez plusieurs espèces de mammifères : les pupilles des yeux s’agran-
dissent, le cœur s’accélère, les poils se hérissent ; ceci est valable pour les hommes,
comme pour les chiens. Pour Darwin, la similitude de cet ensemble de réponses
prouvait que l’évolution des espèces venait d’un ancêtre commun, qui possédait
Figure 1.13 – Charles Darwin (1809-1882). le même trait comportemental (présumé positif parce qu’il permettait d’échap-
Darwin proposa sa théorie de l’évolution, expli- per aux prédateurs). Puisque le comportement est le reflet de l’activité du sys-
quant comment les espèces évoluent par sélec- tème nerveux, il est vraisemblable que les mécanismes du cerveau qui génèrent
tion naturelle. (Source : The Bettman Archive.) ces réactions de peur soient similaires, sinon identiques, à travers les espèces.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 11
L’idée que le système nerveux des différentes espèces est issu d’un ancêtre
commun et donc que la possibilité existe de mécanismes similaires, permet d’ex-
trapoler à l’homme les résultats obtenus chez l’animal. Ainsi, par exemple, cer-
taines caractéristiques de la conduction des potentiels d’action le long des fibres
nerveuses ont d’abord été étudiées chez le calmar ; mais on sait maintenant
qu’elles s’appliquent aussi à l’homme. Aujourd’hui, la plupart des neurobiolo-
gistes ont recours aux modèles animaux pour étudier les mécanismes des proces-
sus humains. Par exemple, les rats montrent des signes évidents de toxicomanie
si la possibilité leur est donnée de s’auto-administrer de la cocaïne. De ce point
de vue, les rats représentent donc un modèle animal important dans la recherche
consacrée à l’effet des drogues psychotropes sur le système nerveux.
Par ailleurs, de nombreux traits comportementaux sont fortement adaptés à
l’environnement d’une espèce donnée. Par exemple, les singes qui se balancent de
branche en branche ont une vue perçante, tandis que les rats, qui glissent le long
des canalisations souterraines, ont une vision faible mais un sens accru du tou-
cher grâce aux vibrisses présentes sur leur museau. La structure et la fonction du
cerveau de chaque espèce reflètent ces adaptations. En comparant les spécificités
du cerveau des différentes espèces, les neurobiologistes ont ainsi pu identifier les
parties du cerveau correspondant aux différents comportements. La figure 1.14
en montre des exemples chez les singes et les rats.
7 cm
3 cm
Chercheurs en neurosciences
Les chercheurs du domaine des neurosciences se regroupent dans une très
vaste communauté ayant en commun l’étude du cerveau, sous ses différents
aspects. Ces chercheurs sont qualifiés de neurobiologistes, se référant au fait
qu’ils sont d’abord des biologistes. Cependant, leur appartenance à des disci-
plines diverses, du domaine clinique ou encore de la psychologie, par exemple,
amène à les qualifier plus globalement de « neuroscientifiques » (neuroscientists).
Ce terme paraît très impressionnant, un peu comme « spécialiste des fusées »,
mais les auteurs de ce manuel, comme les autres, ont d’abord été des étudiants.
Quelle que soit leur motivation — connaître les causes de sa propre mauvaise
vue ou comprendre pourquoi, à la suite d’un accident vasculaire, une personne
proche ne pouvait plus parler — ces neurobiologistes ont partagé le même désir
de comprendre comment fonctionne le cerveau. Cela sera peut-être aussi le cas
de certains étudiants qui se pencheront sur cet ouvrage.
Le travail du chercheur est gratifiant, mais le parcours est difficile et nécessite
de nombreuses années d’études : d’abord, obtenir un master, puis un doctorat en
sciences ou un doctorat en médecine (ou les deux). Suivent en général plusieurs
années de recherche post-doctorale, pour se familiariser avec les nouvelles tech-
niques et les approches scientifiques modernes, sous la direction d’un chercheur
confirmé. Enfin, le jeune chercheur est prêt à travailler à l’Université, dans un
grand organisme de recherche de type CNRS, INSERM, ou encore CEA en
France, dans un institut ou à l’hôpital.
De façon schématique et quelque peu artificielle, la recherche en neuro
sciences peut être divisée en deux grands domaines : celui de la recherche clinique
et celui de la recherche fondamentale, de caractère souvent expérimental. La
recherche clinique est essentiellement dirigée par des médecins. Chez l’homme,
les spécialités médicales concernant le système nerveux sont représentées par la
neurologie, la psychiatrie, la neurochirurgie et la neuropathologie (Tab. 1.1). De
nombreux chercheurs de ce domaine suivent la tradition de Broca : ils tentent
d’expliquer le rôle des différentes parties du cerveau à partir des troubles du
comportement causés par des lésions cérébrales dans une démarche dite « ana-
tomoclinique ». D’autres orientent leurs études sur les apports et les risques des
nouveaux types de traitements.
14 1 – Bases cellulaires
Spécialiste Fonction
Neurologue Docteur en médecine : diagnostic et traitement des maladies du système
nerveux
Psychiatre Docteur en médecine : diagnostic et traitement des troubles de l’humeur
et du comportement
Neurochirurgien Docteur en médecine : chirurgie du cerveau et de la moelle épinière
Neuropathologiste Docteur en médecine et/ou docteur en sciences : étude des altérations
du tissu cérébral en rapport avec la pathologie
Dénomination Fonction
Neurobiologiste du développement Analyse le développement et la maturation du système
nerveux
Neurobiologiste moléculaire Étudie la nature et la fonction des molécules du cerveau,
notamment à partir du matériel génétique des neurones
Neuroanatomiste Étudie la structure du système nerveux
Neurochimiste Étudie la chimie du système nerveux, notamment la signa-
lisation intra et intercellulaire
Éthologiste Étudie les bases des comportements spécifiques d’une
espèce en milieu naturel
Neuropharmacologue Observe les effets des drogues sur le système nerveux
Neurophysiologiste Mesure l’activité électrique du système nerveux
Psychologue, neuropsychologue, Étudie les fondements biologiques des comportements
comportementaliste
Psychophysicien Mesure quantitativement les capacités de perception
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 15
1. NdT : en France, l’expérimentation animale est sous la tutelle du Ministère de l’agri-
culture, chargé du respect des normes récemment actualisées par une directive européenne
qui définit avec précision les conditions d’utilisation des animaux à des fins de recherche
biomédicale et de formation, sous le contrôle d’une Commission nationale de l’expéri-
mentation animale (CNEA), placée sous la tutelle du Ministère de l’éducation nationale,
de l’enseignement supérieur et de la recherche.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 17
Maladie Description
Maladie d’Alzheimer Maladie dégénérative progressive du cerveau entraînant la sénilité
et la démence
Syndrome autistique Maladie émergeant pendant le développement, caractérisée par
un déficit de communication et des interactions sociales, souvent
accompagnée de comportements limités et répétitifs
Infirmité motrice Trouble moteur causé par une atteinte du cerveau, pouvant interve-
cérébrale nir au moment de la naissance
Dépression Trouble sévère de l’humeur caractérisé par l’insomnie, la perte
d’appétit et le sentiment de découragement
Épilepsie État caractérisé par des troubles périodiques de l’activité électrique
du cerveau pouvant entraîner des crises convulsives, des pertes de
conscience et des troubles sensoriels
Sclérose en plaques Maladie qui affecte la conduction nerveuse, avec des épisodes de
faiblesse, et se traduisant par un manque de coordination motrice et
jusqu’à des troubles du langage
Maladie de Parkinson Maladie dégénérative du cerveau se traduisant par des difficultés de
déclenchement du mouvement volontaire
Schizophrénie Maladie psychotique grave, caractérisée par des illusions, des
hallucinations et un comportement étrange
Paralysie spinale Perte de sensation et de mouvement due à une lésion traumatique
de la moelle épinière
Accident vasculaire Altération de la structure du cerveau causée par l’obturation des
cérébral (AVC) vaisseaux ou, au contraire, par une hémorragie cérébrale. Les AVC
conduisent généralement à un déficit sensoriel, moteur et/ou cogni-
tif plus ou moins définitif, avec des récupérations longues et souvent
très partielles
2. NdT : une étude en 2010 chiffre en Europe le coût des maladies du cerveau et leur prise
en charge, affectant plus d’un tiers des 514 millions d’habitants, à 798 milliards d’euros
(Gustavsson et al. European neuropsychopharmacology 2011 ; 21 : 718-79).
3. National Institute of Neurological Disorders and Stroke. “Parkinson Disease back-
grounder”, 18 octobre 2004.
4. US Department of Health and Human Services, Agency for Healthcare Research and
Quality. “Approximately 5 percent of seniors report one or more cognitive disorders”,
mars 2011.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 19
Conclusion
Les sciences du cerveau représentent un domaine tout à fait particulier de
l’activité humaine. De nombreux chercheurs ont contribué à l’élaboration des
fondements des neurosciences au cours des générations précédentes. Aujourd’hui,
des hommes et des femmes travaillent, à différents niveaux et avec des techno
logies variées, pour tenter d’expliquer le fonctionnement cérébral.
Afin de préciser le rôle du système nerveux, d’intéressantes observations ont
déjà pu être réalisées, sans intervenir sur le cerveau lui-même. Ainsi, en étudiant
le comportement, qui reflète l’activité cérébrale, il est possible d’évaluer pré-
cisément les capacités et les limites du système nerveux. La modélisation des
principes du fonctionnement cérébral par les neurosciences théoriques constitue
également une façon d’aborder la complexité du système nerveux. Un autre type
20 1 – Bases cellulaires
d’analyse porte aussi sur l’étude des ondes du cerveau sur le scalp, ce qui corres-
pond à des évaluations de l’activité électrique en différentes parties du cerveau
en rapport avec leur activité. Enfin, de nouvelles techniques d’imagerie assistée
par ordinateur permettent maintenant aux chercheurs d’explorer la structure
du cerveau in vivo ; et avec des méthodes encore plus sophistiquées, des mesures
sont effectuées de l’activité des différentes parties du cerveau, jusqu’en rapport
avec des activités mentales. Toutefois, quelle que soit leur puissance, aucune de
ces méthodes non traumatiques, ancienne ou nouvelle, ne peut remplacer l’ex-
périmentation sur le tissu cérébral vivant. Objectivement, il n’est pas possible
de tenir compte de signaux recueillis à distance sans savoir comment ils sont
générés, ni ce qu’ils signifient. Pour comprendre comment est organisé et fonc-
tionne le cerveau, il faut ainsi pouvoir ouvrir le crâne et examiner ce qu’il y a à
l’intérieur, que ce soit par les méthodes anatomiques, en neurophysiologie, ou
encore en neurochimie.
La recherche en neurosciences avance à grands pas et fait naître des espoirs
réels pour de nouveaux traitements dans tous les domaines des maladies du sys-
tème nerveux, qui touchent et handicapent des millions de personnes chaque
année. Cependant, en dépit de ces progrès considérables des dernières décennies
et depuis plusieurs siècles, il nous reste encore un long chemin à faire pour com-
prendre comment fonctionne réellement le cerveau. Mais c’est aussi cela qui fait
que cette recherche est si excitante : notre ignorance est telle que chaque pas
dévoile d’étonnantes découvertes.
QUESTIONS DE RÉVISION
CHAPITRE 2 Neurones
et cellules gliales
LA DOCTRINE DU NEURONE
Coloration de Golgi............................................................................ 25
Contribution de Cajal......................................................................... 26
Encadré 2.1 Focus Les développements de la microscopie
ORGANISATION DU NEURONE
Soma.................................................................................................. 27
Encadré 2.2 Bases théoriques Concevoir les bases biologiques du
fonctionnement cérébral dans l’ère
post-génomique…
Encadré 2.3 Les voies de la découverte Modifier les gènes chez la souris,
par Mario Capecchi
Membrane neuronale.......................................................................... 37
Cytosquelette..................................................................................... 37
Encadré 2.4 Focus Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal
Axone................................................................................................. 38
Encadré 2.5 Focus Auto-stop sur le « rétro-rail » : focus
sur le transport axoplasmique rétrograde
Dendrites........................................................................................... 44
Encadré 2.6 Focus Retard mental et épines dendritiques
CLASSIFICATION
DES NEURONES
Classifications basées sur la structure des neurones............................ 47
Classification basée sur l’expression génique...................................... 49
Encadré 2.7 Focus Comprendre la structure du neurone
et sa fonction par la fabuleuse « Cre »
CELLULES GLIALES
Astrocytes.......................................................................................... 52
Cellules gliales et myélinisation........................................................... 52
Autres types de cellules, non neuronales............................................. 53
CONCLUSION
INTRODUCTION
T
ous les organes du corps sont formés de cellules. Les fonctions spéci-
fiques des cellules et leurs interactions déterminent celles des organes que
ces cellules forment. Le cerveau est un organe à part entière — l’organe le
plus sophistiqué et le plus complexe que la nature ait inventé ; mais la stratégie de
base utilisée pour l’étude de son fonctionnement n’est pas différente de celle mise
en œuvre pour explorer le pancréas ou encore le poumon, à titre d’illustration.
L’observation doit d’abord porter sur le rôle propre des cellules, puis, dans un
second temps, il est nécessaire de comprendre comment celles-ci s’assemblent
pour travailler ensemble. Dans le domaine des neurosciences, il n’est pas utile de
vouloir séparer le cerveau de l’esprit ; la compréhension de l’action des neurones,
puis de celle des réseaux qu’ils forment, devrait permettre d’expliquer l’origine
de la pensée créatrice ; en tout cas nous le pensons. Le plan de cet ouvrage illustre
cette « neurophilosophie ». Il est d’abord consacré à l’étude des cellules formant
le système nerveux : leur structure, leur fonction, ou encore leurs modes de com-
munication entre elles. Dans les chapitres suivants, il explique comment ces cel-
lules sont assemblées en circuits, qui sont à la base des sensations, de la percep-
tion, du mouvement, du langage ou encore des processus émotionnels.
Ce chapitre est centré sur la structure des différents types de cellules du
système nerveux : les neurones et les cellules gliales. Les neurones et les cellules
gliales représentent de vastes catégories cellulaires. Dans chacune d’entre elles,
de nombreuses sous-catégories peuvent être distinguées, avec des différences de
structure, de chimie, ou simplement de fonction. Mais, distinguer neurones et
cellules gliales est absolument fondamental. En effet, bien qu’il y ait à peu près
le même nombre de neurones et de cellules gliales dans le cerveau humain adulte
(environ 85 milliards de chaque), ce sont bien les neurones qui sont responsables
des fonctions si particulières du cerveau. En raison notamment de leur contri-
bution aux circuits qui sous-tendent les fonctions cérébrales, ce sont, de fait, les
neurones qui ressentent les modifications de l’environnement, communiquent ces
informations à d’autres neurones et commandent les réponses du corps à ces
sensations. Les cellules gliales contribuent elles aussi aux fonctions du cerveau
mais principalement en isolant, en protégeant et en nourrissant les neurones
situés dans leur entourage. Si le cerveau était, par exemple, comparé à un cookie
au chocolat, les neurones seraient les pépites de chocolat, alors que les cellules
gliales seraient comparables à la pâte qui forme le gâteau et répartit les pépites de
chocolat. En fait, le mot « glie » vient du mot grec qui signifie « glu », suggérant
que la fonction principale de ces cellules est d’empêcher le cerveau de s’écouler
par les oreilles ! Comme nous le verrons plus loin, cette vision des choses plutôt
naïve montre l’ampleur de notre ignorance en ce qui concerne la fonction de ces
cellules gliales. Mais, il est vrai que les neurones jouent le rôle le plus important
dans le traitement de l’information cérébrale.
Enfin, les neurosciences, comme d’autres sciences, ont leur propre langage
et, pour le comprendre, il faut en connaître le vocabulaire. À cette fin, chaque
chapitre est suivi de mots-clés dont il faudra vous assurer que vous en comprenez
bien le sens. Au fur et à mesure de l’avancée de notre découverte du cerveau, le
vocabulaire des neurosciences vous deviendra ainsi plus accessible.
24 1 – Bases cellulaires
La doctrine du neurone
Les scientifiques sont confrontés à un certain nombre d’obstacles dans
l’étude de la structure des cellules du cerveau, le premier étant leur très petite
taille. De fait, la plupart des cellules ont un diamètre de 0,01 à 0,05 mm. Sachant
que, à titre de comparaison, la pointe d’un crayon non taillé est d’environ 2 mm,
les neurones apparaissent ainsi 40 à 200 fois plus petits (le tableau 2.1 présente
une révision du système métrique). Cette taille est à la limite ou au-delà de ce que
l’on peut voir à l’œil nu ; les neurosciences cellulaires n’ont donc pas progressé
jusqu’au développement du microscope, à la fin du xviie siècle. Mais d’autres
obstacles restaient à franchir. L’observation de tissus cérébraux au microscope
nécessite en effet la réalisation de coupes extrêmement fines, l’idéal étant des
coupes à peine plus épaisses que le diamètre des cellules. Or les tissus cérébraux
ont la consistance d’une gelée, c’est-à-dire qu’ils ne se présentent pas de façon
assez ferme pour pratiquer ces coupes très fines. L’observation anatomique du
cerveau restait donc conditionnée par le développement d’une méthode per-
mettant de durcir le cerveau sans altérer sa structure et par l’invention d’un
appareil permettant de réaliser les coupes observables au microscope. Au début
du xixe siècle, les scientifiques ont découvert comment « fixer » les tissus en les
immergeant dans du formol et un appareil appelé microtome a permis de réaliser
des coupes de tissu fixé de très faible épaisseur.
Coloration de Golgi
La coloration de Nissl n’explique cependant pas tout. Un neurone avec colo-
ration de Nissl ressemble à un petit amas de protoplasme contenant un noyau.
Mais les neurones sont beaucoup plus que cela. Il fallut en fait attendre les tra-
vaux de l’histologiste italien Camillo Golgi (Fig. 2.2) pour mieux comprendre
leur rôle. En 1873, Golgi découvrit qu’en mettant du tissu cérébral dans une
solution de chrome argenté, un petit pourcentage de neurones seulement pre-
nait uniformément une coloration sombre (Fig. 2.3). Cette méthode est appelée
depuis coloration de Golgi. Elle a permis de montrer que le corps de la cellule
neuronale, c’est-à-dire la partie du neurone située autour du noyau mise en évi-
dence par la coloration de Nissl, n’est en fait qu’une petite partie du neurone. Les
figures 2.1 et 2.3 montrent comment ces colorations histologiques donnent des
aspects très différents du même tissu. Actuellement, l’histologie reste un domaine
très dynamique des neurosciences, avec son credo selon lequel « les progrès dans
la connaissance du cerveau sont essentiellement liés à sa coloration » (The gain
in brain is mainly in the stain).
Soma
Figure 2.3 – Neurones colorés par la méthode de Golgi.
(Source : Hubel, 1988, p. 126.)
Contribution de Cajal
C’est Camillo Golgi qui mit au point le premier procédé de coloration des
neurones, mais c’est un de ses contemporains espagnol qui en tira le meilleur
profit. Santiago Ramon y Cajal, histologiste brillant et artiste, connaissait la
méthode de Golgi depuis 1888 (Fig. 2.5). Au cours des 25 années suivantes, dans
une remarquable série de publications, Cajal tenta de démontrer l’existence de
Figure 2.5 – Santiago Ramon y Cajal (1852- circuits dans plusieurs régions du cerveau, en utilisant la méthode de Golgi
1934). (Source : Finger, 1994, Fig. 3.26.) (Fig. 2.6). Ironiquement, Golgi et Cajal parvinrent à des conclusions opposées
au sujet du neurone. Golgi proclamait que les neurites des différentes cellules
fusionnent entre eux pour former un reticulum continu ou réseau nerveux, sem-
blable aux veines et aux artères de la circulation. Selon cette théorie dite « réticu-
laire », le cerveau apparaît alors comme une exception dans la théorie cellulaire,
qui établit que la cellule, à l’échelon unitaire, constitue l’unité fonctionnelle élé-
mentaire de tous les tissus animaux. À l’opposé, Cajal soutenait vigoureusement
que les neurites des neurones ne sont pas reliés les uns aux autres, mais qu’ils sont
probablement en contiguïté et non en continuité. C’est en rattachant la nature du
neurone à la théorie cellulaire que fut émis le concept de neurone. Cajal et Golgi
partagèrent un prix Nobel en 1906 mais ils restèrent toujours rivaux.
Les données obtenues au cours des cinquante années suivantes étaient net-
tement en faveur du concept de neurone mais ce n’est que vers 1950 que les pro-
grès du microscope électronique en apportèrent la preuve finale (Encadré 2.1).
L’augmentation déterminante de la capacité de résolution du microscope élec-
tronique a effectivement permis de montrer à cette époque que les neurites des
neurones ne sont pas en continuité les uns avec les autres (Fig. 2.7). Par consé-
quent, notre point de départ de l’exploration de cerveau se doit d’être le neurone
lui-même.
Encadré 2.1 FOCUS
Organisation du neurone
Comme cela a déjà été mentionné, le neurone (encore dénommé cellule ner
veuse) comprend trois parties principales : le soma, les dendrites et l’axone.
L’intérieur du neurone est séparé de son environnement par une enveloppe qui
le délimite, la membrane neuronale, apparaissant comme posée sur un squelette
interne complexe ou cytosquelette, qui donne à chaque partie de la cellule son
aspect particulier tridimensionnel. L’intérieur du neurone et les différentes par-
ties qui le composent peuvent être décrits de la façon suivante (Fig. 2.8).
Soma
La forme du soma est variable, mais le plus souvent sphérique. Le corps cel-
lulaire d’un neurone typique a environ 20 µm de diamètre et le liquide aqueux
se trouvant à l’intérieur de la cellule est dénommé le cytosol. Il s’agit d’une
28 1 – Bases cellulaires
Mitochondrie
Membrane
Noyau
Reticulum
endoplasmique
rugueux Polyribosomes
(RE rugueux)
Appareil de Golgi
Ribosomes
Reticulum
endoplasmique lisse
(RE lisse)
Cône
axonique
Microtubules
Axone
Gène
Gène
Promoteur Terminator
ADN DNA
Exon 1 Exon 2 Exon 3
1 Transcription
Intron 1 Intron 2
ADN
Transcription
Transcrit
d’ARNm (b) ARNm
3 Sortie du noyau
Cytoplasme
(a)
cas des exons spécifiques sont également retirés avec les introns, conduisant à
un épissage « alternatif », qui forme un ARNm particulier. Celui-ci encode réel-
lement une protéine différente. Ainsi, la transcription d’un gène unique peut
donner différents ARNm, et, partant, des protéines différentes.
Les ARNm passent du noyau, au travers des pores de l’enveloppe nucléaire,
jusqu’aux sites de synthèse des protéines situés en d’autres endroits du neurone.
Sur ces sites, les molécules protéiques s’assemblent comme le font les molécules
d’ARNm, en créant une chaîne de plusieurs petites molécules. Pour les protéines,
les blocs de construction sont représentés par les acides aminés, dont il existe
20 sortes différentes. L’assemblage des protéines à partir des acides aminés, sous
le contrôle des ARNm, s’appelle la traduction.
L’étude de ce processus, qui commence avec l’ADN du noyau et se termine
par la synthèse des molécules protéiques dans la cellule, relève de la biologie
moléculaire dont le « dogme central » peut être résumé schématiquement de la
façon suivante :
transcription traduction
ADN ARNm protéine
génétique présente dans nos chromosomes sous forme d’ADN. Nous connais-
sons aujourd’hui l’ensemble des 25 000 « mots » de notre génome et nous savons
où ces gènes peuvent être trouvés sur chacun des chromosomes. De plus, nous
savons aussi quels sont les gènes dont l’expression est spécifique des neurones
(Encadré 2.2). Ces connaissances ont ainsi considérablement accru notre com-
préhension des bases génétiques de plusieurs maladies du système nerveux.
Pipette permettant
de maintenir l’œuf
en place
Œuf de souris
fertilisé
Dans les neurones, plusieurs ribosomes sont attachés à des membranes parti-
culières dénommées reticulum endoplasmique rugueux ou RE rugueux (Fig. 2.10).
Le RE rugueux est très abondant dans les neurones, beaucoup plus que dans les
cellules gliales ou dans toute autre cellule non neuronale. En fait, comme cela
a déjà été mentionné, le RE rugueux est aussi reconnu sous le nom de corps de
Nissl, à cause de ses propriétés de coloration spécifiques. Ce sont en effet ces
structures qui sont colorées positivement par la méthode de Nissl, qui fut mise
au point il y a environ 100 ans.
Noyau Enveloppe
nucléaire
Pore
Ribosomes
Reticulum endoplasmique Figure 2.10 – Reticulum
rugueux (RE rugueux) endoplasmique rugueux.
ARNm
ARNm ARNm
RE rugueux
Ribosome
libre
ARNm
en cours
ARNm
de traduction
en cours
Figure 2.11 – Synthèse des protéines sur un de traduction
Protéine
ribosome libre et sur le reticulum endoplas-
néosynthétisée
mique (RE) rugueux.
Les ARN messagers (ARNm) se fixent aux
ribosomes, initiant par-là la synthèse des
protéines. (a) Les protéines synthétisées sur
les ribosomes libres sont destinées au cyto-
sol. (b) Les protéines synthétisées sur le RE Nouvelle protéine
rugueux sont destinées à être transférées à associée à la membrane
une membrane. Les protéines associées aux
membranes sont insérées dans la membrane (a) Synthèse protéique (b) Synthèse protéique
dès leur assemblage. sur un ribosome libre sur le RE rugueux
Protéine
Reticulum endoplasmique nouvellement
rugueux (RE rugueux) synthétisée Appareil de Golgi
Figure 2.12 – L’appareil de Golgi.
Cet organite complexe est impliqué dans
la récupération des protéines nouvellement
synthétisées et dans leur adressage dans les
régions appropriées du neurone.
rugueux. C’est à ce niveau que les protéines qui sortent de la membrane seraient
soigneusement « repliées », ce qui leur confère leur structure tridimensionnelle.
D’autres régions du RE lisse ne sont pas impliquées dans la synthèse protéique
mais plutôt dans celle des lipides et agissent aussi pour contrôler les concentra-
tions internes de substances telles que le calcium (ceci est particulièrement vrai
pour les cellules musculaires, où le RE lisse représente le reticulum sarcoplas
mique, comme on le verra dans le chapitre 13).
L’ensemble des disques délimité par une membrane dans la partie du soma
la plus éloignée du noyau constitue l’appareil de Golgi, décrit pour la pre-
mière fois en 1898 par Camillo Golgi (Fig. 2.12). Il s’agit d’un site de traite-
2 – Neurones et cellules gliales 37
(a)
Membrane neuronale
La membrane neuronale délimite le pourtour cellulaire. Elle intervient pour
maintenir le cytoplasme à l’intérieur du neurone, mais elle joue aussi un rôle + O2 + CO2
pour contenir certaines substances hors du neurone. Cette membrane a environ
5 nm d’épaisseur et contient de nombreuses protéines. Certaines de ces protéines
associées de la membrane agissent pour maintenir un gradient, c’est-à-dire une
Acide
différence de concentration de différentes substances entre l’intérieur et l’exté- pyruvique
rieur du neurone. D’autres forment les pores, qui sélectionnent les substances Sources
pouvant pénétrer à l’intérieur du neurone. Une des caractéristiques importantes d’énergie
Protéines stockées
du neurone est la composition protéique de la membrane qui varie selon son Glucides
et fournies
appartenance au soma, aux dendrites ou encore à l’axone. Lipides
par l’alimentation
(b)
On ne peut comprendre la fonction des neurones sans connaître la structure
et les fonctions de la membrane et de ses protéines associées. Cet aspect est si
Figure 2.13 – Rôle de la mitochondrie.
important qu’il sera largement repris dans les quatre chapitres suivants : il s’agit, (a) Composants de la mitochondrie. (b) Res-
en fait, de comprendre comment la membrane donne aux neurones la faculté piration cellulaire. L’ATP représente l’énergie
remarquable de véhiculer et de transmettre les messages nerveux, non seulement utilisée par les neurones.
au travers du cerveau, mais également dans tout l’organisme.
Cytosquelette
Précédemment, nous avons comparé la membrane neuronale à la tente d’un
cirque, drapée au-dessus d’un échafaudage interne. Cet échafaudage représente
le cytosquelette, qui donne au neurone sa forme caractéristique. Les « os » de
ce cytosquelette sont constitués par les éléments caractéristiques que sont les
microtubules, les microfilaments et les neurofilaments (Fig. 2.14). Contrairement
à la tente du cirque, cependant, le cytosquelette n’est pas statique. Ses éléments
sont de fait sans cesse régulés et déterminent probablement des changements
permanents de la forme même du neurone. Cette notion est fondamentale et
s’oppose à une image de rigidité de la structure du système nerveux, encore trop
souvent répandue. Pour tout dire, en lisant cette phrase, il est vraisemblable que
vos neurones sont en train de se modifier…
38 1 – Bases cellulaires
Cône axonique
Axone
Jusque-là, nous avons exploré le soma, les organites, la membrane et le
cytosquelette, qui représentent des éléments structurels appartenant à toutes les
cellules du corps. À l’inverse, l’axone est une structure qui n’appartient qu’au
Collatérales neurone, hautement spécialisée dans la transmission de l’information dans le
axoniques
système nerveux.
L’origine de l’axone se situe dans une partie du neurone appelée le cône
Figure 2.15 – Axone et collatérales d’axone.
Un peu à la manière d’un fil électrique, l’axone axonique, qui s’amincit pour former le segment initial de l’axone (Fig. 2.15).
véhicule les messages nerveux à distance, Deux caractères importants distinguent l’axone du soma. Premièrement, le
dans le système nerveux. Le sens de la trans- RE rugueux ne s’étend pas dans l’axone et il ne s’y trouve peu, sinon pas, de
mission de l’information nerveuse est indiqué ribosomes libres. Deuxièmement, la composition protéique de la membrane de
par les flèches. l’axone est fondamentalement différente de celle du soma.
2 – Neurones et cellules gliales 39
Encadré 2.4 FOCUS
100 nm
Qu’est-ce qui peut être à l’origine des altérations de DNF et à la démence. Les espoirs thérapeutiques portent
la protéine tau ? Il n’y a pas encore de réponse claire à alors sur la possibilité de réduire les dépôts d’amyloïde
cette question mais l’attention se porte sur une autre dans le cerveau. Les besoins de trouver des solutions
protéine qui s’accumule dans le cerveau des patients thérapeutiques sont urgents : rien qu’aux États-Unis,
atteints de maladie d’Alzheimer, appelée protéine amy- plus de 5 millions de personnes sont atteintes de cette
loïde. Ce domaine de recherche est en perpétuelle évolu- maladie tragique1 !
tion et les choses bougent très vite. Aujourd’hui, le
consensus se fait sur l’hypothèse selon laquelle la pro-
duction anormale de la protéine amyloïde est l’une des 1. En France cette maladie touche plus de 850 000 per-
toutes premières phases du processus qui conduit aux sonnes et en Europe près de 5 millions, comme aux États-Unis.
2 – Neurones et cellules gliales 41
neurone établit un contact synaptique avec une autre cellule, on dit qu’il innerve
cette cellule.
Le cytoplasme de la terminaison axonique présente plusieurs différences avec
celui de l’axone. Premièrement, les microtubules ne s’étendent pas jusque dans
la partie terminale de l’axone. Deuxièmement, cette partie terminale contient de
nombreuses petites « billes » entourées de membrane, les vésicules synaptiques,
d’un diamètre de 50 nm, environ. Troisièmement, un revêtement particulière-
ment dense en protéines couvre la surface intérieure de la membrane qui fait
face à la synapse. Quatrièmement, une autre caractéristique de la terminaison
axonique est le nombre important de mitochondries que l’on y trouve, ce qui
révèle un grand besoin d’énergie.
Synapse. Les chapitres 5 et 6 sont entièrement consacrés à la transmission de
l’information d’un neurone à l’autre à travers la synapse. Nous n’en donnerons
ici qu’un bref aperçu.
La synapse présente deux éléments distincts, qualifiés de présynaptique et
de post-synaptique (Fig. 2.16). Ces termes indiquent le sens habituel du trajet
de l’information nerveuse, de la partie présynaptique vers la partie post-synap-
tique. L’élément présynaptique est généralement formé d’un bouton terminal,
alors que l’élément post-synaptique peut être représenté par une dendrite ou le
soma d’un autre neurone. L’espace situé entre la membrane présynaptique et la
membrane post-synaptique représente la fente ou espace synaptique. La trans-
mission de l’information d’un neurone à l’autre au niveau de la synapse constitue
une série d’opérations complexes déterminant la transmission synaptique.
Dans la plupart des synapses, l’information, sous forme d’impulsions élec-
triques se propageant jusqu’à l’extrémité de l’axone, est transformée dans le bou-
ton terminal en un signal chimique, qui permet le franchissement de l’espace
synaptique. Au niveau de la membrane post-synaptique, ce signal chimique est
en général à nouveau transformé sous forme d’un signal électrique. Le signal
chimique est lui-même représenté par un neurotransmetteur, stocké et libéré
par les vésicules synaptiques dans la partie présynaptique. Différents types de
neurotransmetteurs correspondent en général à différents types de neurones.
La transformation de l’information nerveuse, d’électrique à chimique puis,
dans un deuxième temps, de nouveau de chimique à électrique, donne aux neu-
rones une capacité d’intégration des informations nerveuses. Ces mécanismes
sont impliqués notamment dans les processus mnésiques et liés à l’apprentis-
sage. Le dysfonctionnement de la transmission synaptique est par ailleurs res-
ponsable de certains troubles neurologiques et mentaux. C’est aussi au niveau de
la synapse qu’agissent la plupart des drogues psychoactives.
Transport axoplasmique. L’absence de ribosomes est une des caractéris-
tiques du cytoplasme des axones, y compris la partie terminale. Puisque les
ribosomes sont impliqués directement dans la biosynthèse des protéines, en leur
absence la synthèse des protéines de l’axone n’a lieu que dans le soma ; puis elles
sont transportées jusqu’à l’extrémité de l’axone. C’est en fait dès le milieu du
xixe siècle que le physiologiste anglais Auguste Waller montra que les axones ne
pouvaient persister lorsqu’ils étaient séparés de leur soma. La dégénérescence
des axones qui suit leur section est ainsi dénommée dégénérescence wallérienne.
Comme celle-ci peut être mise en évidence par une coloration histologique
appropriée, elle est utilisée pour le traçage des voies nerveuses.
La dégénérescence wallérienne intervient car le flux normal de matériel,
notamment de protéines, apporté à partir du corps cellulaire vers les terminai-
sons axoniques, est interrompu. Ce transport de protéines à l’intérieur de l’axone
s’appelle le transport axoplasmique. Le transport axoplasmique a été démontré
pour la première fois dans les années quarante, par les expériences du neurobio-
logiste américain Paul Weiss et ses collègues. Ils découvrirent qu’en nouant un
fil autour d’un axone, des composants cytoplasmiques s’accumulaient du côté
de l’axone le plus proche du soma. En défaisant le nœud, ces composants conti-
nuaient à descendre dans l’axone à l’allure de 1 à 10 mm/j.
2 – Neurones et cellules gliales 43
Direction
du transport
axoplasmique
antérograde
Vésicule
Kinésine
Microtubules
44 1 – Bases cellulaires
Encadré 2.5 FOCUS
Dendrites
Le terme « dendrite » vient du mot grec qui signifie « arbre », indiquant que
ces neurites, dans leur extension depuis le soma, ont une configuration similaire
à celle des branches d’un arbre. L’arborisation dendritique désigne collective-
ment l’ensemble des dendrites d’un neurone ; chaque ramification constitue une
branche dendritique. Les arborisations dendritiques présentent une variété de
formes et de dimensions permettant de classer les neurones en différents groupes,
sur ce critère.
2 – Neurones et cellules gliales 45
Comme les dendrites représentent des sortes d’antennes du neurone, ils sont
couverts de centaines de synapses (Fig. 2.19). La membrane dendritique située
sous la synapse (la membrane post-synaptique) possède de nombreuses molé-
cules protéiques spécialisées, les récepteurs, représentant les sites d’action spéci-
fiques des neurotransmetteurs au niveau synaptique.
Les dendrites de nombreux neurones sont recouvertes de structures particu-
lières, les épines dendritiques, qui reçoivent certains types de synapses. Ces neu-
rones particuliers sont qualifiés de neurones épineux, les épines représentant de
petits diverticules couverts de synapses, disposés préférentiellement sur la partie
distale (éloignée du soma) des dendrites (Fig. 2.20). La morphologie particulière
des épines dendritiques a littéralement toujours fasciné les neurobiologistes et,
cela, depuis leur découverte par Cajal. Elles pourraient contribuer à l’intégration
de l’information nerveuse sous forme de cascades de réactions de signalisation
variées, initiées par certains types d’activation synaptique. De fait, la structure
des épines est sensible au type et à l’intensité de l’activation synaptique. De façon
intéressante, des altérations de la forme et du nombre d’épines dendritiques ont Figure 2.20 – Épines dendritiques.
été mises en évidence à partir de cerveaux de patients ayant souffert de troubles Cette figure représente une reconstruction
cognitifs (Encadré 2.6). tridimensionnelle d’un segment de dendrite
Le cytoplasme des dendrites est, quant à lui, en grande partie comparable à comportant des épines dendritiques, éla-
celui des axones. Il contient des éléments du cytosquelette et des mitochondries. boré par une analyse d’images automatisée.
Cependant, une différence intéressante concerne la présence de polyribosomes La variabilité dans la forme et dans la taille
des épines dendritiques est parfaitement
dans les dendrites, souvent situés juste sous une épine (Fig. 2.21). Cette décou-
visible sur cette représentation. Chaque épine
verte suggère la possibilité d’une régulation de la synthèse des protéines à ce
représente un site synaptique pour une ou
niveau par la transmission synaptique, dans quelques neurones. Dans le cha plusieurs terminaisons axoniques. (Source :
pitre 25, nous verrons combien, en fait, la régulation de la synthèse des protéines Harris et Stevens, 1989.)
est essentielle pour la mémorisation d’informations nouvelles.
Encadré 2.6 FOCUS
Les épines dendritiques reçoivent normalement les épines dendritiques, dépend de façon critique de l’envi-
informations afférentes au neurone, par l’ensemble des ronnement durant la petite enfance. Un environnement
synapses qui s’articulent à leur niveau. Purpura nota « appauvri » durant cette période « critique » du déve-
que les épines dendritiques des enfants retardés étaient loppement peut alors résulter en de sévères altérations
assez similaires à celles des fœtus. Il suggéra que le retard des circuits neuronaux. Cependant, il y a aussi de bonnes
mental reflétait l’impossibilité de la mise en place des nouvelles : la plupart des déficits engendrés par ces
connexions normales des réseaux neuronaux pendant le déprivations au cours du développement peuvent être
développement. Depuis ces travaux princeps, les trente réversés, si la compensation intervient suffisamment
années qui ont suivi ont permis d’établir que le dévelop- tôt ! Dans le chapitre 23, nous montrerons combien l’ex-
pement synaptique normal, incluant la maturation des périence peut influencer le développement cérébral.
Neurone en étoile
Cellule pyramidale
Figure 2.23 – Classification des neurones sur la base de l’organisation de leur arborisation den-
dritique.
Les cellules pyramidales et les cellules en étoile sont parfaitement identifiables sur la base de la
forme de leur arborisation dendritique ; ces deux types de neurones sont représentés au niveau du
cortex cérébral.
Cellules gliales
Dans ce chapitre, il a surtout été fait état des neurones. Cependant, même si ce
choix est justifié par le niveau des connaissances acquises dans ce domaine, cer-
tains scientifiques considèrent les cellules gliales un peu comme les « oubliées » des
neurosciences. Ces chercheurs pensent qu’il sera assez prochainement démontré
que les cellules gliales participent beaucoup plus au traitement de l’information
dans le cerveau qu’il n’est considéré habituellement. Actuellement, il paraît
ainsi évident que les cellules gliales contribuent au fonctionnement cérébral, en
étroite synergie avec la fonction neuronale. De fait, le rôle des cellules gliales
est peut-être secondaire mais, sans elles, le cerveau ne pourrait pas fonctionner
correctement.
50 1 – Bases cellulaires
Encadré 2.7 FOCUS
Parents X
ADN
Descendance
Figure A
Créer une souris présentant le knockout d’un gène sélectivement dans les neurones cholinergiques est réalisé en croisant une souris floxée avec
le gène d’intérêt (gène X) flanqué par deux sites loxP avec une autre souris chez laquelle la recombinase Cre est sous contrôle du promoteur du
gène de la ChAT. Chez les petits, le gène X est délété sélectivement dans les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire les neurones cholinergiques.
2 – Neurones et cellules gliales 51
d’illustration appelons ce gène X. Pour répondre à cette obtient une descendance exprimant le transgène seule-
question nous allons croiser la souris qui comporte le ment dans les neurones cholinergiques, puisque la
gène X floxé avec la souris qui exprime Cre sous le séquence « stop » a été supprimée seulement dans ces
contrôle du promoteur ChAT (la souris « ChAT-Cre »). neurones (Fig. B).
Chez les petits, le gène floxé est éliminé seulement dans Si nous préparons un transgène comportant une pro-
les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire seulement téine fluorescente, nous pouvons utiliser la fluorescence
dans les neurones cholinergiques (Fig. A). pour étudier les connexions de ces neurones choliner-
Il est également possible d’utiliser Cre pour per- giques. En supposant par exemple que le transgène
mettre l’expression d’un nouveau transgène dans les fluorescent n’est actif que lorsque le neurone lui-même
neurones cholinergiques. Normalement, l’expression est en activité, alors il est possible de monitorer l’activité
d’un transgène nécessite qu’il soit inclus dans la séquence des neurones cholinergiques en mesurant des flashes de
d’un promoteur, en amont de la région encodant pour la lumière émis par les neurones. Il est également possible
protéine ciblée. La transcription du transgène n’inter- d’envisager d’utiliser des transgènes qui tuent les neu-
vient pas si une séquence « stop » est insérée entre le rones cholinergiques ou encore qui les rendent inactifs.
promoteur et la séquence encodant pour la protéine. Il est dans ce cas possible d’aborder la fonction de ces
Considérons maintenant ce qui est susceptible d’arriver neurones ainsi mis hors circuit. Dès lors, il n’y a guère
lorsque nous générons une souris transgénique compor- que les limites de l’imagination des chercheurs qui
tant cette séquence « stop » flanquée de deux sites loxP. puissent limiter ce qu’il est possible de faire avec ce type
En croisant cette souris avec la souris « ChAT-Cre », on de technologie !
Parents X
ADN
Descendance
Figure B
Le transgène d’intérêt (transgène X) peut lui aussi être exprimé sélectivement dans les neurones cholinergiques. La première étape est de créer
une souris chez laquelle l’expression du transgène est bloquée par l’insertion d’une séquence stop floxée, située entre un promoteur ubiquitaire
et la région codante du gène. Dans une seconde étape, le croisement de cette souris avec la souris ChAT-Cre produit une descendance chez
laquelle la séquence stop a été supprimée sélectivement dans les neurones cholinergiques, ce qui permet l’expression du transgène seulement
dans ces neurones.
52 1 – Bases cellulaires
Astrocytes
Les cellules gliales les plus nombreuses sont les astrocytes (Fig. 2.24). Ces
cellules comblent l’espace situé entre les neurones. L’espace compris entre les
neurones et les astrocytes mesure environ 20 nm de large, seulement. En consé-
quence, l’extension ou la rétraction des neurites, dont il a été fait état, pourrait
étroitement dépendre des astrocytes. Ces cellules représentent ainsi l’essentiel de
l’environnement dans lequel « baignent » les neurones. Cet environnement est
plus formé par ces cellules que par un liquide présent dans l’espace intercellu-
laire, lequel se trouve, de ce fait, très réduit.
Les astrocytes participent à la régulation de la composition du milieu extra
cellulaire. Ainsi, les astrocytes forment une sorte d’enveloppe autour des jonc-
tions synaptiques (Fig. 2.25), contribuant à réduire la diffusion des molécules
Figure 2.24 – Représentation d’un astrocyte.
de neurotransmetteurs qui ont été libérées. Les astrocytes présentent aussi dans
Les astrocytes sont représentés en grand
nombre dans le système nerveux où ils leurs membranes des protéines spécifiques, qui leur permettent de capter acti-
occupent l’espace entre les neurones et les vement de nombreux neurotransmetteurs et autres molécules agissant dans l’es-
vaisseaux sanguins. pace synaptique. Il a été récemment démontré que les membranes des astrocytes
présentent également des récepteurs à certains neurotransmetteurs qui, comme
les récepteurs situés sur les neurones, peuvent générer des phénomènes élec-
triques et biochimiques dans les cellules gliales. Outre la régulation des taux de
neurotransmetteurs synaptiques, les astrocytes contrôlent aussi la concentration
extracellulaire de certaines substances qui pourraient empêcher le bon fonction-
nement des neurones ; telle la concentration des ions potassium dans le milieu
extracellulaire.
Oligodendrocytes
Feuillets
Axone de myéline
Cytoplasme Nœud
des oligodendrocytes de Ranvier Mitochondrie
Conclusion
L’étude des caractéristiques structurales du neurone laisse percevoir sa fonc-
tion et celles de ses différentes parties, car structure et fonction sont étroitement
corrélées. Par exemple, l’absence de ribosomes dans l’axone laisse supposer,
avec raison, que les protéines présentes dans la terminaison axonique sont pro-
duites dans le soma et transportées dans la terminaison nerveuse via le trans-
port axoplasmique. Le grand nombre de mitochondries dans la partie termi-
nale de l’axone illustre par ailleurs une grande demande d’énergie nécessaire au
fonctionnement synaptique. La structure élaborée de l’arborisation dendritique
paraît, quant à elle, particulièrement adaptée à la réception des informations par
le neurone : c’est en effet l’endroit où la plupart des synapses s’établissent.
Depuis l’époque de Nissl, il est établi que le RE rugueux représente un
élément important des neurones. Mais quelle en est la signification ? Le RE
rugueux est le site de la biosynthèse des protéines, notamment de celles associées
à la membrane. Ces différentes protéines de la membrane neuronale ont alors
été reconnues comme conférant seules au neurone sa faculté exceptionnelle de
recevoir, de transmettre et de stocker l’information nerveuse.
QUESTIONS DE RÉVISION
BASES IONIQUES
DU POTENTIEL DE REPOS
Potentiels d’équilibre.......................................................................... 67
Encadré 3.2 Bases théoriques L’équation de Nernst
Distribution des ions de part et d’autre de la membrane..................... 70
Perméabilité ionique relative de la membrane au repos....................... 71
Encadré 3.3 Bases théoriques L’équation de Goldman
Encadré 3.4 Les voies de la découverte De l’importance des canaux
ioniques dans ma vie,
par Chris Miller
Rôle fondamental de la régulation de la concentration de potassium
extracellulaire..................................................................................... 75
Encadré 3.5 Focus Mort par injection létale
CONCLUSION
INTRODUCTION
P
our aborder de façon relativement simple la question de la propagation
et de la transmission des informations nerveuses dans le système nerveux
central, prenons un exemple simple : posons-nous la question de savoir
à quel problème le système nerveux est confronté lorsque l’on marche inopiné-
ment sur une punaise (Fig. 3.1). La réaction est automatique : un cri de douleur
au moment où l’on se pique le pied et un retrait rapide pour éliminer la cause de
la douleur. Pour que cette réponse simple se produise, le percement de la peau
doit se traduire en signaux neuronaux, qui se propagent rapidement et sûrement
le long des nerfs sensoriels de la jambe. Au niveau de la moelle épinière, ces
signaux sont transmis aux interneurones. Certains de ces neurones sont connec-
tés avec les parties du cerveau qui interprètent les signaux comme étant de nature
douloureuse ; d’autres sont en rapport avec les neurones moteurs qui contrôlent
les muscles de la jambe, permettant de retirer le pied très rapidement. Ainsi, un
réflexe aussi simple que celui-là a recours au système nerveux pour recueillir,
distribuer et intégrer l’information. Un des buts de la neurophysiologie est de
comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de ces fonctions.
Pour transmettre l’information à distance, le neurone utilise des signaux élec-
triques qui se propagent le long de l’axone. En ce sens, les axones ressemblent
à des fils téléphoniques. Cependant l’analogie s’arrête là car le type de signaux
utilisé par le neurone est soumis à l’environnement particulier du système ner-
veux. Dans le fil de cuivre du téléphone, l’information est transportée sur de
longues distances, à grande vitesse (environ la moitié de la vitesse de la lumière)
car le fil téléphonique est un merveilleux conducteur d’électrons, bien isolé et
suspendu dans l’air (l’air étant mauvais conducteur d’électricité). Les électrons
se déplacent donc à l’intérieur du fil au lieu de disparaître en rayonnements.
En revanche, la charge électrique du cytosol de l’axone est transportée par des
atomes chargés électriquement, les ions, au lieu d’électrons libres. Le cytosol
est donc beaucoup moins conducteur que le fil de cuivre. De plus, l’axone n’est
pas particulièrement bien isolé, et il baigne dans un milieu extracellulaire salé,
conducteur d’électricité. Ainsi, si l’activité électrique se propageait passivement
le long de l’axone, elle ne tarderait pas à disparaître.
Par chance, la membrane neuronale présente des propriétés lui permet-
tant de transmettre un type particulier de signaux — l’impulsion nerveuse ou
potentiel d’action — qui surmontent ces contraintes biologiques. Comme nous
le verrons plus loin, le terme « potentiel » se réfère à une distribution différen-
tielle de charges électriques de part et d’autre de la membrane. À l’opposé des
signaux électriques qui se déplacent d’une façon passive, les potentiels d’action
ne s’altèrent pas avec la distance : ce sont des signaux d’amplitude et de durée
fixes. L’information est codée par la fréquence des potentiels d’action de chaque
neurone, ainsi que par la population particulière et le nombre de neurones qui
émettent des potentiels d’action dans un nerf donné. Ce code est semblable au
Morse utilisé en télégraphie ; le message est présent dans le pattern des potentiels
d’action. Les cellules susceptibles de générer des potentiels d’action, tant ner-
veuses que musculaires, ont une membrane excitable. Dès lors, le terme « action »
traduit bien des changements intervenant au niveau de la membrane du neurone.
Lorsqu’une cellule possédant une membrane excitable ne génère pas d’im-
pulsions, elle est dite « au repos ». Dans le neurone au repos, le cytosol de la
…
58 1 – Bases cellulaires
Vers le cerveau
Moelle
épinière
3
Corps cellulaire
d’un motoneurone
Corps cellulaire
d’un neurone sensitif
4
1
2
Axone d’un
neurone sensitif
Axone d’un
motoneurone
(a) H2O = O = +
–
+
H H
+ –
–
–
+
+
+
+ +
+
–
Na+ Cl–
–
+
+ + +
+ –
+
+ –
+
–
+
+
– +
– +
+ –
– + +
+
+ +
+
+ –
–
+
– +
+
+ –
– + – +
+ – + + – – +
+
+ +
+ +
–
– +
+ –
+ –
+
+
+
Na+
+
+
– +
+
– +
– +
Cl– +
–
+
Figure 3.2 – L’eau est un solvant polaire.
–
+ ++ – (a) Représentations de la structure atomique
Na+
+
+
Cl– +
+ –+
Na+
+ +
+
–
– +
Phospholipides membranaires
Comme mentionné ci-dessus, les substances présentant des charges élec-
triques vont se dissoudre dans l’eau à cause de la polarité de la molécule d’eau.
Ces substances comprenant des ions et des molécules polaires ont une « affi-
nité pour l’eau » ; elles sont qualifiées d’hydrophiles. Cependant, les composés
dont les atomes sont associés par des liens de covalence non polaires ne sont pas
susceptibles d’interactions avec l’eau. Un lien de covalence non polaire s’éta-
blit lorsque les électrons sont répartis uniformément dans la molécule, de sorte
qu’aucune partie ne prend une charge électrique nette. Ces composés ne sont
pas solubles dans l’eau ; ils n’ont pas d’affinité pour l’eau et sont ainsi qualifiés
d’hydrophobes. Pour prendre un exemple simple, l’huile d’olive est une substance
hydrophobe. L’huile et l’eau ne se mélangent pas. Plus généralement, les lipides
représentent un type de molécules insoluble dans l’eau, jouant un rôle important
dans la structure des membranes biologiques. Les lipides de la membrane du
neurone contribuent au potentiel de repos et au potentiel d’action en formant
une barrière, qui s’oppose au passage des ions solubles dans l’eau et, en fait, de
l’eau elle-même.
Les principaux constituants des membranes cellulaires sont les phospholi-
pides. Comme les autres lipides, les phospholipides se composent de longues
chaînes non polaires d’atomes de carbone liés à des atomes d’hydrogène. De plus,
les phospholipides comportent à une extrémité de la molécule un groupement
phosphate polaire (un atome de phosphore lié à trois atomes d’oxygène). Les
phospholipides présentent ainsi une « tête » polaire hydrophile et une « queue »
non polaire hydrophobe.
La membrane neuronale est constituée d’une double couche de molécules de
phospholipides. La coupe transversale de la membrane illustrée par la figure 3.3,
montre que les têtes hydrophiles font face à l’environnement aqueux interne et
externe, tandis que les longues chaînes hydrophobes se font face. Cette organi-
sation stable est dite en bicouche de phospholipides ; elle isole effectivement le
cytosol du neurone du milieu extracellulaire.
Figure 3.3 – Bicouche de phospholipides
La bicouche de phospholipides constitue l’élément principal de la structure de la membrane de la
cellule nerveuse et forme une barrière au passage des ions solubles dans l’eau.
Groupements phosphate
représentant la « tête »
polaire
Chaînes hydrocarbonées
constituant une « queue »
non polaire
Extérieur de la cellule
Bicouche
de phospholipides
Intérieur de la cellule
3 – Membrane du neurone au repos 61
Protéines
Le type des molécules protéiques et leur distribution cellulaire différen-
cient les neurones des autres types de cellules. Les enzymes, qui catalysent les
réactions chimiques dans le neurone, le cytosquelette, qui donne au neurone sa
forme particulière, les récepteurs, sensibles aux neurotransmetteurs : tous ces
constituants cellulaires se composent de molécules protéiques. Le potentiel de
repos et le potentiel d’action dépendent aussi de protéines particulières qui sont
incorporées dans la membrane et traversent la bicouche de phospholipides. Ces
protéines représentent des voies de passage sélectif que les ions utilisent pour
traverser la membrane.
Structure des protéines. Pour accomplir leurs nombreuses fonctions dans
le neurone, les protéines présentent une grande variété de forme, de taille et de
caractéristiques chimiques. Avant d’aborder leur diversité, il paraît nécessaire de
revenir brièvement sur la structure de ces protéines.
Comme on l’a vu dans le chapitre 2, les protéines sont des combinaisons de
20 acides aminés différents. La figure 3.4a illustre la structure de base d’un acide
aminé. Tous les acides aminés ont un atome central de carbone (le carbone α),
lié par covalence avec quatre groupes de molécules : un atome d’hydrogène, un
groupement aminé (NH3+), un groupement carboxyl (COO–) et un groupement
variable appelé le groupement R (R pour résidu). Les différences entre acides
aminés proviennent de la taille et de la nature de ces groupements R (Fig. 3.4b).
Les propriétés du groupement R déterminent les réactions chimiques auxquelles
chaque acide aminé peut participer.
La synthèse des protéines se fait dans les ribosomes, au niveau du corps
cellulaire. Dans ce processus, les acides aminés sont assemblés en une chaîne
formée par des liaisons peptidiques, qui associent le groupement aminé d’un
acide aminé au groupement carboxyl du suivant (Fig. 3.5a). Les protéines se
composant d’une seule chaîne d’acides aminés sont également dénommées
polypeptides (Fig. 3.5b).
La figure 3.6 illustre les quatre niveaux de structure d’une protéine. La struc-
ture primaire est comme une chaîne, dans laquelle les groupements R d’acides
aminés sont liés par des liaisons peptidiques. Cependant, tandis que la molé-
cule protéique est synthétisée, la chaîne polypeptidique peut s’enrouler en une
spirale appelée hélice alpha. L’hélice alpha est un exemple de structure secon-
daire d’une molécule protéique. Au sein des groupements R, les interactions
peuvent provoquer des modifications encore plus poussées de la morphologie
tridimensionnelle de la molécule. Ainsi, les protéines peuvent se courber, se plier
et prendre une forme globulaire. Cette forme particulière, propre à chaque pro
téine, est qualifiée de structure tertiaire. Enfin, différentes chaînes de polypeptides
peuvent s’associer pour former une molécule plus importante : cette protéine
présente alors une structure quaternaire. Dans ce cas, chacun des polypeptides
entrant dans la composition d’une protéine comportant une structure quater-
naire est qualifié de sous-unité.
Protéines canaux. La surface exposée d’une protéine peut être chimique-
ment hétérogène. Les parties présentant des groupements R non polaires exposés
sont de caractère hydrophobe et auront tendance à s’associer rapidement avec
les lipides. Les régions comportant des groupements R polaires exposés sont de
caractère hydrophile et auront tendance à éviter l’environnement de lipides. En
conséquence, il est facile d’imaginer des types de protéines en forme de bâtonnet,
avec des groupements polaires à chaque extrémité et des groupements hydro-
phobes seulement au centre de la molécule. Lorsqu’il est incorporé dans une
bicouche de phospholipides, ce type de protéines voit donc sa partie hydrophobe
tournée vers l’intérieur de la membrane et ses deux pôles hydrophiles exposés à
l’environnement aqueux, de part et d’autre de la membrane.
Les canaux ioniques se forment à partir de molécules protéiques de ce type, qui
traversent la membrane. De façon caractéristique, un canal fonctionnel à travers
la membrane correspond à un assemblage de 4 à 6 molécules protéiques sem-
blables, qui forment un pore (Fig. 3.7). La composition des sous-unités varie d’un
type de canal à l’autre et détermine aussi leurs propriétés spécifiques. La sélectivité
62 1 – Bases cellulaires
H
+H –
3N C COO
(a)
H H H H H
+H – +H C COO– +H – +H – +H –
3N C COO 3N 3N C COO 3N C COO 3N C COO
CH CH2 H C CH3 CH2 CH2
H3C CH3 CH CH2 CH2
H3C CH3 CH3 S
CH3
H H H H H H H
+H – +H – +H – +H – +H – +H – +H C COO–
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N
H H H H H H H H
+H +H C COO–
3N
+H – +H – +H – +H – +H – +H – –
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 2N C COO
H CH3 CH2 CH2 H C OH CH2 H2C CH2 CH2
SH OH CH3 CH2 C CH
NH
OH
(b)
ionique, déterminée par le diamètre du pore et la nature des groupements R qui les
tapissent, est une des propriétés importantes de la plupart des canaux ioniques. Il
existe des canaux potassiques, qui sont sélectivement perméables aux ions K+. De
même, les canaux sodiques sont perméables aux ions Na+, les canaux calciques
aux ions Ca2+ et ainsi de suite. Le mécanisme d’ouverture (ou d’activation) des
canaux ioniques (en anglais gating) est une autre propriété importante de la plu-
part de ces canaux. Les canaux qui possèdent cette propriété peuvent s’ouvrir ou
se fermer, en d’autres termes faire fonctionner ce mécanisme d’ouverture, selon
des modifications du microenvironnement local de la membrane.
Ce thème très important sera approfondi dans les chapitres suivants, mais
il est d’ores et déjà essentiel de retenir que la compréhension du rôle des canaux
ioniques dans la membrane neuronale est la clé de la neurophysiologie cellulaire.
3 – Membrane du neurone au repos 63
Liaison peptidique
H R2 H R2 H R4
+H
3N C C N C COO– +H
3N C C N C C N C C N C COO–
R1 O H R1 O H H O H R3 O H H
(a) (b)
Acides aminés
Sérine
Sérine
Leucine
(a)
(c)
Sous-unités
Hélice α
(b)
Figure 3.6 – Structure des protéines.
(a) Structure primaire : elle est représentée par la séquence des acides ami-
nés constituant le polypeptide. (b) Structure secondaire : enroulement du
polypeptide en hélice α. (c) Structure tertiaire : repliement tridimensionnel
du polypeptide. (d) Structure quaternaire : plusieurs polypeptides s’asso-
(d)
cient pour former une protéine plus grosse (polymère).
Milieu extracellulaire
Sous-unité
polypeptidique
Cl– Diffusion
Les ions et les molécules en solution dans l’eau sont constamment en mou-
vement. Ce mouvement erratique dépendant de la température a cependant
tendance à répartir les ions uniformément dans la solution. Ainsi se forme un
(b)
mouvement d’ions, depuis les régions de forte concentration vers les régions de
plus faible concentration ; ce mouvement s’appelle la diffusion. Pour prendre un
exemple concret, si on ajoute une cuillère de lait dans une tasse de thé chaud, le
lait va tendre à se diluer uniformément dans le thé. Si l’énergie thermique de la
dissolution diminue, comme avec du thé glacé, la diffusion des molécules de lait
Na+ Na+ sera considérablement plus longue.
Bien que les ions ne soient pas de nature à traverser directement la bicouche de
phospholipides, la diffusion va tendre à les pousser à travers les canaux situés dans
la membrane. Par exemple, si NaCl est en solution dans le milieu d’un seul côté
Cl– Cl–
d’une membrane comportant des canaux qui permettent le passage de Na+ et Cl–,
les ions Na+ et Cl– vont traverser jusqu’à ce qu’ils soient uniformément répartis
des deux côtés de la membrane (Fig. 3.8). Comme dans l’exemple précédent, le
lait dans le thé, les ions vont se déplacer clairement d’une région de forte concen-
(c) tration vers une région de faible concentration (voir pour révision l’Encadré 3.1
sur les mesures de concentration). La différence entre les concentrations s’appelle
Figure 3.8 – Diffusion.
(a) Une solution de NaCl a été dissoute dans
la partie gauche d’un compartiment séparé Encadré 3.1 BASES THÉORIQUES
par une membrane imperméable. La taille
des lettres Na+ et Cl– indique la concentra-
tion relative de ces ions. (b) Des canaux per-
mettant le passage des ions Na+ et Cl– ont Révision des moles et de la molarité
été insérés dans la membrane. À cause de
la forte différence de concentration (gradient La concentration des substances Une solution millimolaire (1 mM)
de concentration) existant entre les deux représente le nombre de molécules contient 0,001 mole par litre. L’abré
compartiments, les ions Na+ et Cl– vont pas- par litre de solution. Le nombre de viation qui représente la concen
ser des régions de forte concentration vers molécules est exprimé généralement tration s’écrit conventionnel lement
les régions de plus faible concentration, de
en moles. Une mole représente entre crochets. [NaCl] = 1 mM et se
la gauche vers la droite. (c) En l’absence
6,02 × 1023 molécules. Une solution lit : « La concentration de la solution
d’autres facteurs, le déplacement des ions
à travers la membrane cessera lorsque les est dite molaire (1 M) lorsque la de NaCl est de 1 millimolaire ».
concentrations de part et d’autre de cette concentration est d’une mole par litre.
membrane perméable seront égales.
3 – Membrane du neurone au repos 65
Bases ioniques
du potentiel de repos
Le potentiel de membrane — ou voltage de la membrane — d’un neurone est
représenté par le symbole Vm. Il peut être mesuré en introduisant une micro
électrode dans le cytosol. Une microélectrode est le plus souvent constituée d’un
tube de verre très fin, possédant une extrémité effilée obtenue par étirage à chaud
(0,5 µm de diamètre) qui pénètre dans la membrane d’un neurone avec le mini-
mum de lésion. Ce tube est rempli d’une solution conductrice de l’électricité et
connecté à un appareil appelé voltmètre. Le voltmètre mesure la différence de
potentiel entre l’extrémité de cette microélectrode et une deuxième électrode pla-
cée en dehors de la cellule (Fig. 3.11). Cette méthode permet de montrer que la
charge électrique n’est pas équivalente de part et d’autre de la membrane neuro-
nale. L’intérieur du neurone est négatif par rapport à l’extérieur. Cette différence
constante représente le potentiel de repos et se maintient tant que le neurone ne
génère pas de potentiel d’action.
Voltmètre
Terre
Microélectrode
En général, le potentiel de membrane d’un neurone au repos est d’envi- Intérieur Extérieur
ron – 65 millivolts (1 mV = 0,001 volts). Ce potentiel de repos négatif de la de la cellule de la cellule
membrane interne du neurone, Vm = – 65 mV, est une des conditions indispen-
sables au fonctionnement du système nerveux. L’origine de ce potentiel négatif
K+
de la membrane est liée à la nature des ions en présence et à la façon dont ils se
répartissent à l’intérieur et à l’extérieur du neurone. K+
Potentiels d’équilibre
Considérons une cellule hypothétique dont l’intérieur est séparé de l’exté-
rieur par une membrane de phospholipides pure, ne comportant aucune proté-
A– A–
force électrique qui ramène les ions K+ à l’intérieur équilibre exactement la force – +
A–
de diffusion qui les pousse à l’extérieur. Un état d’équilibre se crée, dans lequel les
– + A–
forces électrique et de diffusion sont opposées et égales, et dans ces conditions le
déplacement des ions K+ à travers la membrane s’arrête (Fig. 3.12c). Le potentiel – +
d’équilibre ionique, ou plus simplement potentiel d’équilibre, est la différence de – +
potentiel qui compense exactement un gradient de concentration ionique ; il est – +
représenté par le symbole Eion. Dans l’exemple ci-dessus relatif aux ions potas-
(c)
siques, le potentiel d’équilibre sera d’environ – 80 mV.
L’exemple illustré par la figure 3.12 montre qu’il est assez facile de générer Figure 3.12 – Établissement d’un équilibre
une différence de potentiel constante à travers la membrane. Un gradient de au travers d’une membrane sélectivement
concentration ionique et une perméabilité ionique sélective sont des éléments perméable.
suffisants. Avant d’examiner ce qui se passe avec de véritables neurones, quatre (a) Une membrane imperméable sépare deux
remarques importantes peuvent être faites à partir de cet exemple. compartiments dont l’un contient une très forte
concentration de sels (« intérieur ») et l’autre une
1. De grandes variations du potentiel membranaire sont le résultat de très faibles faible concentration (« extérieur »). (b) L’inser-
modifications de la concentration ionique. Dans l’exemple de la figure 3.12, tion dans cette membrane de canaux sélective-
l’insertion des canaux potassiques a permis l’écoulement des ions K+ hors de ment perméables aux ions K+ induit d’abord un
la cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire passe de 0 mV au potentiel déplacement de ces ions du compartiment le
d’équilibre de ces ions, c’est-à-dire – 80 mV. Cependant, il est notable que plus concentré vers le moins concentré, selon
cette redistribution ionique n’a affecté que faiblement les concentrations de le gradient de concentration ; ici de la gauche
K+ de part et d’autre de la membrane. Pour une cellule de 50 µm de diamètre, vers la droite. (c) L’accumulation des charges
contenant 100 mM de K+, il peut être établi qu’une modification de concen- positives à l’extérieur et de charges négatives
à l’intérieur tend à ralentir le déplacement des
tration d’environ 0,00001 mM est suffisante pour faire passer la membrane
ions K+ de l’intérieur vers l’extérieur. Un équi-
de 0 à – 80 mV. C’est-à-dire que, lorsque les canaux ont été insérés et que les
libre s’établit de telle façon que le déplacement
ions K+ ont migré jusqu’au point d’équilibre, la concentration interne de K+ des ions à travers la membrane s’arrête, contri-
est passée de 100 mM à 99,99999 mM, ce qui représente une différence de buant alors à établir une différence de charge
concentration négligeable. électrique entre les deux côtés.
68 1 – Bases cellulaires
Égal Égal Égal 2. La différence de charge électrique s’opère à la fois sur les surfaces interne et
+,– +,– +,– externe de la membrane. La bicouche de phospholipides est si fine (moins de
5 nm d’épaisseur) qu’une interaction de type électrostatique s’opère entre les
+ – + – + – + – ions situés de chaque côté. De fait, la membrane peu conductrice se com-
– + – + + porte comme une capacité électrique. Ainsi, les charges négatives à l’intérieur
+ + –
– + du neurone et les charges positives à l’extérieur sont mutuellement attirées
+ – +
– – + – + vers la membrane cellulaire, un peu comme, par une chaude soirée d’été, les
+ moustiques sont attirés vers une fenêtre par une lampe éclairée de l’intérieur.
– + – + –
+ –
– – De même, la charge négative à l’intérieur de la cellule n’est pas distribuée de
+ – + – +
+ + – façon uniforme dans le cytosol : elle est plutôt localisée sur la face interne de
– +
+ – + + – la membrane (Fig. 3.13). Cette propriété de la membrane s’appelle la capa-
– + +
– citance.
+ – – + – + –
– + – 3. La quantité d’ions transportés ainsi que la vitesse de transport des ions à travers
– + – + –
la membrane sont proportionnelles à la différence entre le potentiel membra-
Cytosol Milieu naire et le potentiel d’équilibre. Comme cela apparaît sur la figure 3.12, une
extracellulaire fois les canaux insérés, le mouvement de K+ ne s’établit que si le potentiel
Membrane
membranaire et le potentiel d’équilibre diffèrent. La différence entre le poten-
Figure 3.13 – Distribution des charges élec tiel membranaire réel et le potentiel d’équilibre (Vm – Eion) pour un ion parti-
triques de part et d’autre de la membrane. culier s’appelle la force électromotrice. Ce thème sera à nouveau abordé dans
Parce que la membrane est extrêmement fine, les chapitres 4 et 5, en étudiant le déplacement des ions à travers la membrane
les charges situées de part et d’autre sont en au cours du potentiel d’action et de la transmission synaptique.
interaction électrostatique ; ceci contribue à
favoriser la distribution des charges électriques 4. Quand, pour un ion particulier, la différence de concentration entre les deux
de chaque côté de la membrane, l’intérieur côtés de la membrane est connue, il est facile de calculer le potentiel d’équi-
étant négatif par rapport à l’extérieur. Dans ces libre. Dans l’exemple de la figure 3.12, la concentration de K+ était supposée
conditions, tant le cytosol que le milieu extra- plus importante à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur. En partant de cette
cellulaire est électriquement neutre. donnée, il a pu être déduit que le potentiel d’équilibre serait négatif si les
membranes étaient sélectivement perméables à K+. Pour prendre un autre
exemple, avec une concentration de Na+ plus forte à l’extérieur de la cellule
(Fig. 3.14), si la membrane contenait des canaux sodiques, Na+ s’écoulerait
selon le gradient de concentration vers l’intérieur de la cellule. L’entrée d’ions
chargés positivement amènerait le cytosol situé près de la surface interne
de la membrane à se charger positivement. L’intérieur de la cellule, chargé
positivement, ralentirait alors le flux des ions Na+ en tendant à les ramener
en arrière, à travers les canaux. À une différence de potentiel donnée, la force
électrique qui repousse les ions Na+ compenserait exactement la force de
diffusion qui les pousse à l’intérieur. Dans cet exemple, le potentiel membra-
naire à l’équilibre serait positif à l’intérieur de la cellule.
Les exemples des figures 3.12 et 3.14 démontrent que, si la différence de
concentration ionique à travers la membrane est connue, il est alors possible de
calculer le potentiel d’équilibre pour chaque ion. Supposons que la concentra-
Figure 3.14 – Autre exemple d’établissement tion des ions Ca2+ soit plus élevée à l’extérieur de la cellule et que la membrane
d’un équilibre au travers d’une membrane soit sélectivement perméable à Ca2+. Peut-on dire si l’intérieur de la cellule sera
sélectivement perméable. positif ou négatif au point d’équilibre ? Qu’en est-il par ailleurs en supposant
(a) Une membrane imperméable sépare deux
que la membrane soit sélectivement perméable à Cl– et que la concentration de
compartiments, l’un de forte concentration en
sels (« extérieur »), l’autre de faible concen-
tration (« intérieur »). (b) L’insertion dans la
membrane de canaux sélectivement per-
Intérieur Extérieur
méables aux ions Na+ résulte initialement en
de la cellule de la cellule
un déplacement des ions Na+ au travers de
la membrane, selon le gradient de concentra-
tion ; ici, de la droite vers la gauche. (c) L’ac- + – + –
+ –
cumulation de charges positives à l’intérieur Na+
et de charges négatives à l’extérieur, tend à
Na+ Na+ Na+ Na+ Na+
ralentir le mouvement des ions Na+ de l’ex- + –
térieur vers l’intérieur. Un équilibre s’établit + – + –
alors, de telle manière que le déplacement A– + –
A– A– A– A– –
des ions Na+ s’arrête, conduisant à l’établis- + – A
sement d’une différence de charges entre les + –
+ –
deux côtés de la membrane ; dans ce cas, + –
l’intérieur de la cellule est chargé positivement
par rapport à l’extérieur. (a) (b) (c)
3 – Membrane du neurone au repos 69
Cl– soit plus forte à l’extérieur de la cellule ? (dans ces exemples, attention à la
charge ionique !).
Les exemples précédents montrent qu’il existe un potentiel d’équilibre pour
chaque ion, correspondant au potentiel de membrane qui serait obtenu si les
membranes n’étaient perméables qu’à cet ion seulement. Ainsi peut-on parler
du potentiel d’équilibre du potassium, EK ; du potentiel d’équilibre du sodium,
ENa ; du potentiel d’équilibre du calcium, ECa, etc. Enfin, connaissant la charge
électrique d’un ion et la différence de concentration entre les deux côtés de la
membrane, il est possible de déduire que l’intérieur de la cellule sera positif ou
négatif au point d’équilibre. En fait, la valeur exacte du potentiel d’équilibre en
mV peut être calculée en utilisant une équation basée sur des principes de chimie
physique, l’équation de Nernst, qui prend en compte la charge de l’ion, la tem-
pérature et le rapport entre les concentrations ioniques intérieure et extérieure.
L’équation de Nernst permet de calculer la valeur du potentiel d’équilibre d’un
ion donné. Par exemple, si la concentration de K+ est 20 fois plus élevée à l’inté-
rieur d’une cellule par rapport à la concentration externe, l’équation de Nernst
s’écrit : EK = – 80 mV (Encadré 3.2).
L’équation de Nernst
On peut calculer le potentiel d’équilibre d’un ion en À la température du corps (37 °C), l’équation de
utilisant l’équation de Nernst : Nernst pour les ions les plus importants, K+ , Na+, Cl– et
RT [ ion ]e Ca2+, s’écrit plus simplement :
E ion = 2,303 log [ K + ]e
zF [ ion ]i E k = 61,54 mV log +
[ K ]i
dans laquelle :
[ Na + ]e
Eion = potentiel d’équilibre de l’ion E Na = 61,54 mV log
[ Na + ]i
R = constante gazeuse
[ Cl − ]e
T = température absolue E Cl = − 61,54 mV log
[ Cl − ]i
z = charge de l’ion
[ Ca 2 + ]e
F = constante de Faraday E Ca = 30,77 mV log
[ Ca 2 + ]i
log = logarithme de base 10
[ion]e = concentration ionique à l’extérieur de la cel- Pour calculer le potentiel d’équilibre d’un ion donné
lule à la température du corps, il suffit par conséquent de
[ion]i = concentration ionique à l’intérieur de la cel- connaître les concentrations ioniques de part et d’autre
lule de la membrane. Par exemple, dans la figure 3.12, il est
stipulé que la concentration de K+ est dix fois plus élevée
L’équation de Nernst repose sur les principes de à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur :
base de la chimie physique. Rappelons que le point
De ce fait, si
d’équilibre résulte de deux influences : la diffusion, qui [ K + ]e 1 1
assure le mouvement des ions selon le gradient de = et log = − 1,3
[ K + ]i 20 20
concentration, et la charge électrique par laquelle les
ions de charge opposée sont attirés et ceux de charge de alors EK = 61,54 mV × – 1,3 = – 80 mV.
même type, repoussés. L’élévation de l’énergie ther- Notez que, dans l’équation de Nernst, il n’y a pas de
mique de chaque particule accroît la diffusion et, par prise en compte de la perméabilité ou de la conductance
voie de conséquence, la différence de potentiel obtenue ionique. De ce fait, calculer la valeur de Eion ne nécessite pas
au point d’équilibre. Eion est donc proportionnel à T. que l’on connaisse le niveau de perméabilité ou de sélectivité
Par ailleurs, l’augmentation de la charge électrique de de la membrane pour l’ion en question. Il existe un potentiel
chaque particule diminue la différence de potentiel d’équilibre pour chaque ion présent au niveau du milieu
nécessaire pour équilibrer la diffusion. Eion est donc intra et extracellulaire. Eion représente le potentiel de
inversement proportionnel à la charge de l’ion (z) ; il membrane qui compense tout juste le gradient de concen-
n’est pas nécessaire de tenir compte de R et F, qui sont tration de cet ion, de telle manière qu’aucun courant ionique
des constantes. ne soit généré si la membrane est perméable à cet ion.
70 1 – Bases cellulaires
Milieu
extérieur Milieu intérieur
Rapport Eion
Milieu extérieur Milieu intérieur
extérieur/intérieur (à 37 °C)
Na+
Na+ K+
K+
Na+
Na+
+
K+ Na+ K
Na+
Figure 3.16 – Pompe à sodium-potassium.
Cette protéine associée à la membrane trans-
Membrane
porte les ions à travers la membrane, contre
Cytosol un gradient de concentration. Elle utilise de
l’énergie pour effectuer ce transport.
La pompe calcium est aussi une enzyme, qui transporte activement les ions
Ca2+ en dehors du cytoplasme, à travers la membrane cellulaire. Des mécanismes
additionnels réduisent la concentration intracellulaire de calcium ionisé à un
niveau très faible (0,0002 mM), impliquant des protéines qui lient le calcium et
divers organites intracellulaires, tels que les mitochondries et les différents types
de reticulum endoplasmique qui séquestrent des ions calciques cytosoliques.
Les pompes ioniques sont les héros méconnus de la neurophysiologie cel-
lulaire ; elles travaillent à l’arrière-plan pour assurer l’existence et le maintien
des gradients de concentration ionique. Ces protéines n’ont pas le prestige des
canaux ioniques mais sans elles le cerveau ne pourrait pas fonctionner.
L’équation de Goldman
Si la membrane d’un neurone était seulement per- Vm étant le potentiel membranaire, PK et PNa repré-
méable aux ions K+, le potentiel de repos serait égal à sentant respectivement les perméabilités relatives ; les
EK, soit environ – 80 mV. En réalité, le potentiel de repos autres termes étant les mêmes que ceux de l’équation de
de la membrane d’un neurone est d’environ – 65 mV. Nernst.
Cette différence s’explique par le fait que les neurones Si la perméabilité ionique de la membrane au repos
au repos ne sont pas exclusivement perméables aux pour K+ est 40 fois supérieure à celle de Na+, en uti-
ions K+ ; il existe aussi une certaine perméabilité aux lisant les concentrations de la figure 3.15, l’équation de
ions Na+. En d’autres termes, la perméabilité relative de Goldman s’écrit :
la membrane neuronale au repos est plutôt élevée pour
40 (5) + 1 (150)
K+ et plutôt basse pour Na+. Si la valeur des perméabi- Vm = 61,54 mV log
lités relatives est connue, il est alors possible de calculer 40 (100) + 1 (15)
le potentiel membranaire au point d’équilibre en utili- 350
= 61,54 mV log
sant l’équation de Goldman. Soit, pour une membrane 4 015
perméable seulement à Na+ et K+ à 37 °C : = − 65 mV
P [ K + ]e + PNa [ Na + ]e
Vm = 61,54 mV log K
PK [ K + ]i + PNa [ Na + ]i
Canal
potassium
Milieu Shaker
Membrane
extracellulaire
Membrane
Cytosol
Boucle située
au niveau du pore
(a)
(b)
Pour ma part, je n’ai jamais considéré la sur la façon dont ils fonctionnaient et pro-
recherche comme un travail mais plutôt duisaient de l’électricité. Parallèlement, au
comme un jeu. Ainsi, démarrer un nouveau fur et à mesure que je découvrais ce monde,
projet, aussi futile soit-il, m’a toujours paru j’étais submergé de données et horrifié par
un plaisir plutôt égoïste. Et ce n’est que plus la complexité des cellules vivantes. En parti-
tard qu’interviennent les difficultés, sous culier, l’interprétation des données de l’ex-
forme de recherche de financement, de sueur périmentation n’était le plus souvent pas
et de doutes en tous genres, nécessaires pour univoque, notamment au regard d’expé-
attaquer ces problèmes – et parfois résoudre Chris Miller riences réalisées sur des membranes isolées.
ces questions – que nous fournit la nature. C’est ainsi que C’est cette combinaison de fascination et d’horreur face
j’ai passé les 40 dernières années de ma vie avec le plus à cette complexité du vivant qui m’a conduit à m’inté-
fascinant des jouets : les canaux ioniques, ces protéines resser à des membranes artificielles de composition bien
transmembranaires qui font réellement l’activité des neu- définie, développées dans les années 1960 par Paul
rones sous forme de signal électrique. Si l’on considère Mueller. Ces modèles permettaient alors d’envisager
que le cerveau est un peu comme un ordinateur – ce qui d’analyser les caractéristiques de ces protéines particu-
est inexact mais permet une métaphore – alors les canaux lières sorties de leur monde si complexe. J’ai donc tra-
ioniques sont un peu comme des transistors. En réponse vaillé sur une méthode permettant d’insérer ces canaux
aux contraintes biologiques, ces minuscules pores for- ioniques dans des membranes artificielles, et j’ai utilisé
ment des systèmes de diffusion pour les ions Na+, K+, les membranes ainsi équipées de canaux pour enregis-
Ca2+, H+ et Cl–, qui transportent les charges électriques trer l’activité des canaux potassiques au moment même
au travers de la membrane, génèrent et transportent le où commençaient à se développer les méthodes d’enre-
signal nerveux. Je suis littéralement tombé amoureux de gistrement par patch-clamp. Je confesse aujourd’hui que
ces protéines lorsque je me suis accidentellement inté- je m’amusais un peu avec mes premiers enregistre-
ressé à un type de canaux potassiques, alors que je tentais ments… Pouvoir ainsi observer et modifier l’activité de
d’isoler une protéine tout à fait différente, une enzyme simples protéines juste devant mes yeux en temps réel
sensible au calcium. Et au fil des années cet amour s’est était — et reste — tout simplement fascinant !
considérablement développé, à tel point que j’ai mainte- Accessoirement, cette forme de jeu m’a donné l’oc-
nant une vraie collection de ces fascinantes protéines. casion de comprendre qu’il est possible d’aborder des
Ma formation initiale en physique, suivie d’une expé- questions de grande complexité par une approche
rience en tant que professeur de mathématiques dans un quelque peu réductionniste. Au milieu des années 1980,
lycée, m’a permis ensuite d’intégrer une formation doc- j’ai eu la chance d’avoir dans mon laboratoire des
torale dans les années 1970, jusqu’à développer mon post-doctorants de talent – Gary Yellen, Rod MacKinnon
propre laboratoire à Brandeis University, sans réelle for- et Jacques Neyton, parmi d’autres – qui travaillaient sur
mation en neurobiologie ou en électrophysiologie. C’est la sélectivité ionique de différentes catégories de canaux
en parcourant la littérature et grâce à mon entourage à potassiques. Les questions étaient alors de savoir com-
l’université que j’ai pu m’imprégner de cette culture et ment différencier des ions aussi similaires que les ions
que j’ai été de plus en plus fasciné par les canaux potassiques ou les ions sodiques ; et comment cette
ioniques. À cette époque, nous n’avions que peu d’idées sélectivité ionique se maintenait lorsque les neurones
3 – Membrane du neurone au repos 75
Tel est le cas chez une lignée de souris dénommée Weaver. Ces animaux ont les
plus extrêmes difficultés à maintenir leur posture et à se mouvoir correctement. La
mutation a été identifiée comme portant sur un seul acide aminé de la boucle du
pore d’un canal potassique exprimé sélectivement dans un type de neurone par-
ticulier du cervelet, une région de l’encéphale impliquée de façon critique dans la 20
Potentiel de membrane (mV)
coordination motrice. La conséquence principale de cette mutation est que les ions 0
Na+ et K+ passent indifféremment par le canal. L’augmentation de la conductance
– 20
sodique se traduit par un potentiel de repos moins négatif que la normale, altérant
par là le fonctionnement de la membrane (d’ailleurs, ce potentiel de membrane – 40
aux valeurs négatives anormales dans ces neurones est considéré comme à l’ori- – 60
gine de leur mort prématurée). Au cours de ces dernières années, il est ainsi devenu
– 80
évident qu’un certain nombre de maladies neurologiques transmises héréditaire-
ment, comme certaines formes d’épilepsie notamment, pourraient être expliquées – 100
1 10 100
par des mutations de canaux potassiques spécifiques. [K+]o (mM)
Figure 3.19 – Dépendance du potentiel de
membrane de la concentration extracellu
Rôle fondamental de la régulation laire de potassium.
de la concentration de potassium extracellulaire Parce que la membrane neuronale au repos
est principalement perméable aux ions potas-
La membrane du neurone au repos étant essentiellement perméable à K+, sium, une variation de concentration de K+ de
le potentiel membranaire est proche de EK. Pour la même raison, le potentiel 10 fois, de 5 à 50 mM, provoque une dépo-
membranaire est particulièrement sensible aux variations de la concentration de larisation de la membrane de 48 mV. Cette
potassium extracellulaire. La figure 3.19 illustre cette relation. Une augmentation fonction est établie par l’équation de Goldman
de dix fois de la concentration extracellulaire des ions potassium, de 5 à 50 mM, (voir Encadré 3.3).
76 1 – Bases cellulaires
Encadré 3.5 FOCUS
Conclusion
En étudiant les mécanismes du maintien du potentiel de la membrane du
neurone au repos, il apparaît que l’activation de la pompe sodium-potassium
produit et maintient à travers la membrane un gradient de concentration d’ions
potassium important. La membrane neuronale au repos est largement per-
méable à ces ions K+, grâce à la présence des canaux potassiques. Compte tenu
de ce gradient de concentration existant au travers de la membrane, l’intérieur
du neurone est négatif par rapport à l’extérieur.
La différence de potentiel électrique existant à travers la membrane est ainsi
comparable à celle d’une batterie de voiture dont la charge serait maintenue par
le travail des pompes ioniques. Le chapitre suivant est ainsi consacré à l’étude des
mécanismes qui font que cette énergie électrique parcourt notre cerveau.
QUESTIONS DE RÉVISION
PROPRIÉTÉS
DU POTENTIEL D’ACTION
Différentes phases du potentiel d’action............................................. 80
Déclenchement du potentiel d’action.................................................. 80
Encadré 4.1 Bases théoriques Méthodes d’enregistrement
du potentiel d’action
Déclenchement d’une salve de potentiels d’action............................... 82
Enregistrements optogénétiques : contrôle de l’activité neuronale
par la lumière..................................................................................... 83
Encadré 4.2 Les voies de la découverte La découverte
des channelrhodopsines,
par Georg Nagel
POTENTIEL D’ACTION :
LA THÉORIE
Courants et conductances membranaires............................................ 86
Complexité du potentiel d’action........................................................ 87
POTENTIEL D’ACTION :
LA RÉALITÉ
Canaux sodiques dépendants du potentiel.......................................... 90
Encadré 4.3 Bases théoriques Méthode du patch-clamp
Canaux potassiques dépendants du potentiel..................................... 96
Potentiel d’action : vue d’ensemble..................................................... 96
PROPAGATION
DU POTENTIEL D’ACTION
Facteurs influençant la vitesse de propagation.................................... 99
Myéline et conduction saltatoire......................................................... 100
Encadré 4.4 Focus Anesthésie locale
Encadré 4.5 Focus Sclérose en plaques, maladie démyélinisante
POTENTIELS D’ACTION,
AXONES ET DENDRITES
Encadré 4.6 Focus Comportement électrique éclectique des neurones
CONCLUSION
INTRODUCTION
C
e chapitre est consacré au signal qui transmet l’information à distance
dans le système nerveux, le potentiel d’action. Comme cela a déjà été
mentionné, le cytosol du neurone au repos présente une charge négative
par rapport au milieu extracellulaire. Le potentiel d’action correspond au ren-
versement rapide de cet état, de telle sorte que l’intérieur de la membrane devient
transitoirement positif par rapport à l’extérieur. Le potentiel d’action est sou-
vent désigné par les termes d’influx nerveux ou de décharge neuronale.
Les potentiels d’action générés par une cellule ont tous la même amplitude et
la même durée. Ils ne s’affaiblissent pas au fur et à mesure de leur propagation
vers l’extrémité de l’axone. Il faut se souvenir de ce fait essentiel : la fréquence
des potentiels d’action et/ou leur association en bouffées (pattern ou patron de
décharge) représente le code utilisé par les neurones pour transmettre l’infor-
mation d’un endroit à l’autre du système nerveux. Ce chapitre est consacré aux
mécanismes responsables du potentiel d’action et de sa propagation dans la
membrane axonale.
80 1 – Bases cellulaires
40
Dépassement
20
Potentiel de membrane (mV)
0 0 mV
Phase Phase
ascendante descendante
– 20
– 40
Hyperpolarisation
– 60
Potentiel de repos
– 80
0 1 2 3
(a) Temps (ms) (b)
4 – Potentiel d’action 81
Les potentiels d’action générés dans certaines fibres nerveuses de la peau (la
douleur est traitée dans le chapitre 12) sont à l’origine de la perception de la dou-
leur aiguë consécutive à la blessure du pied sur la punaise. La membrane de ces
fibres est considérée comme possédant un type particulier de canal sodique, qui
s’ouvre lorsque la terminaison nerveuse est étirée. Les faits se déroulent donc
ainsi : (1) la punaise pénètre dans la peau ; (2) la membrane des fibres nerveuses de
la peau est étirée et déchirée ; (3) les canaux perméables aux ions Na+ s’ouvrent.
82 1 – Bases cellulaires
Amplificateur
Courant Courant injecté
injecté
+
+
Potentiel de membrane (mV)
+ Terre 0
40
Électrode
Électrode d’enregistrement
0
de stimulation
– 40
– 65
– 80
(a) (b) Temps
Axone
4 – Potentiel d’action 83
– 65 mV
Temps
Enregistrements optogénétiques :
contrôle de l’activité neuronale par la lumière
Comme nous venons de le voir, les potentiels d’action naissent de la dépolari-
sation de la membrane au-delà d’une valeur seuil à laquelle s’ouvrent les canaux
sodiques, ce qui permet l’entrée des ions Na+ dans le neurone. Pour pouvoir contrô-
ler artificiellement la décharge des neurones, historiquement, les électrophysiolo-
gistes utilisaient des microélectrodes pour injecter du courant directement à l’inté-
rieur de ces neurones, cellule par cellule. Cette difficulté a été récemment contournée
par une méthode révolutionnaire nommée optogénétique, qui permet d’introduire
dans les neurones ciblés des gènes particuliers s’exprimant dans les membranes
sous forme de canaux ioniques ayant la propriété de s’ouvrir à la lumière.
Dans le chapitre 9, nous discuterons de la façon dont l’énergie lumineuse
est absorbée par des protéines qualifiées de photopigments pour générer des
réponses dans nos rétines à l’origine de notre perception visuelle. Bien entendu,
la sensibilité à la lumière est une propriété de nombreux organismes. Et c’est
ainsi qu’en étudiant les réponses à la lumière d’une algue verte, des chercheurs
travaillant à Francfort en Allemagne, ont caractérisé un photopigment, qu’ils
ont appelé channelrhodopsine-2 (ChR2). En introduisant le gène de la ChR2 dans
des cellules de mammifères, ils ont alors montré que celui-ci encode un canal Figure 4.4 – Contrôle optogénétique de l’ac-
cationique sensible à la lumière, perméable aux ions Na+ et Ca2+ (Encadré 4.2). tivité neuronale dans le cerveau d’une souris.
Ce canal a la particularité de s’ouvrir rapidement lorsqu’il est exposé à la lumière Le gène encodant la channelrhodopsine-2 a
été introduit dans les neurones du cerveau
bleue et, dans ce cas, le flux cationique qui pénètre les cellules est suffisant pour
de cette souris par l’intermédiaire d’un virus.
entraîner une dépolarisation membranaire au-delà du seuil des potentiels d’ac-
Dès lors, l’activité de ces neurones peut être
tion. L’intérêt majeur de cette méthode fut alors démontré par les chercheurs, contrôlée par une illumination utilisant une
notamment aux États-Unis, en mettant en évidence que le comportement de lumière bleue délivrée localement à l’aide
rats ou de souris peut être modifié de façon spectaculaire en procédant à l’illu- d’une fibre optique. (Source : courtoisie du
mination de neurones dans lesquels le gène de la ChR2 avait préalablement été Dr Ed Boyden, Massachusets Institute of
inséré (Fig. 4.4). Les développements de cette méthode permettent aujourd’hui Technology.)
84 1 – Bases cellulaires
Lorsqu’en 1992, après mon post-docto- recherche des rhodopsines chez Chlamydo
rat à Yale puis à Rockefeller University, je monas. Peter a donc demandé cet ADN et je
suis entré à l’Institut de biophysique du l’ai quant à moi fait exprimer dans les ovo-
Max Planck à l’Université de Francfort, je cytes. Nos premières expériences furent
me suis intéressé aux mécanismes contri- décevantes, et l’addition ou, au contraire, la
buant à maintenir les gradients de concen- suppression d’ions Ca2+ dans la solution
tration ionique au travers des membranes dans laquelle baignaient les ovocytes ne
cellulaires. Le directeur de mon départe- changeait rien au potentiel de membrane
ment, Ernst Bamberg, m’a convaincu de lorsque cette préparation était illuminée,
développer une nouvelle approche basée comme nous aurions pu l’espérer si nous
sur l’utilisation des rhodopsines micro- avions eu un canal calcique sensible à la
Georg Nagel
biennes, protéines connues pour transporter lumière. S’il existait un courant induit par la
les ions au travers des membranes lorsqu’elles absorbent lumière, celui-ci était très faible et n’était pas influencé
de l’énergie lumineuse. Nous avons donc exprimé le gène par de quelconques modifications de la composition
d’une bactériorhodopsine dans des ovocytes de xénope ionique du milieu extracellulaire.
et mesuré ainsi, grâce à des microélectrodes et après Cependant, comme l’idée de l’existence d’un canal
expression du gène, le courant généré par l’illumination ionique dont la conductance serait sensible à la lumière
de ces cellules. Dès 1995, nous avons ainsi montré que continuait à me séduire, idée que la plupart de mes col-
l’illumination de la bactériorhodopsine s’accompagnait lègues rejetaient alors, j’ai poursuivi mes travaux en
d’un flux de protons (H+) au travers de la membrane ; et modifiant encore et encore la composition des milieux
en 1996 nous avons entrepris d’étudier, par une méthode extracellulaires. Je me souviens d’un soir où j’ai soudain
similaire, l’activation du transfert des ions Cl– utilisant obtenu un incroyable courant entrant suite à une expo-
une halorhodopsine. sition à la lumière, en utilisant une solution dont la com-
À cette époque, nous avons reçu de Peter Hegemann, position visait à inhiber les courants calciques. J’ai pensé
de l’Université de Regensburg, l’ADN des chlamyop- qu’il y avait un problème technique, en particulier avec
sines-1 et 2. Elles devaient représenter des photorécep- le tampon utilisé pour préparer la solution. De fait, en
teurs de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii. vérifiant je me suis rendu compte que cette solution était
Malheureusement, comme l’ensemble des laboratoires plutôt de pH acide et donc qu’elle contenait un excès
qui ont reçu cet ADN, nous n’avons pas pu observer de d’ions H+. Mais ce fut un déclic et j’ai réalisé que le cou-
changements de potentiel de membrane induits par l’illu rant que je venais d’enregistrer dépendait des ions H+.
mination. J’ai cependant accepté de tester une nouvelle Ainsi, en acidifiant le milieu intracellulaire de l’ovocyte,
rhodopsine récemment découverte, toujours à partir de j’ai montré que j’étais capable de générer des courants
Chlamydomonas, lorsque Peter m’annonça que cette pro- sortants, déclenchés par l’exposition à la lumière. Dès
téine, qu’il souhaitait nommer chlamyrhodopsine-3, se lors, il m’apparaissait évident que la chlamyrhodop-
comportait comme un activateur dépendant de la lumière sine-3 contrôlait les flux de protons au travers de la
de la conductance calcique membranaire. Bien que cette membrane. Et c’est ainsi que j’ai proposé à Peter
protéine n’ait pas encore été purifiée à cette époque, la Hegemann et à Ernst Bamberg de nommer cette proté-
séquence de la chlamyrhodopsine-3 fut détectée dans un ine channelrhodopsine-1. D’autres expériences ont par
centre de recherche à Kazusa, au Japon, dans une banque la suite révélé que plusieurs cations monovalents transi-
d’ADN séquencé à partir de Chlamydomonas, cette taient par ce canal channelrhodopsine-1. Les faibles
séquence présentant de très grandes similarités avec celle courants que nous avions initialement enregistrés étaient
de la bactériorhodopsine. Ces caractéristiques faisaient simplement liés au très faible niveau d’expression de la
de cette protéine un très bon candidat pour satisfaire la protéine dans les ovocytes.
4 – Potentiel d’action 85
0
Vm
(a) 0
Vm
K+ K+
K+ + + + +
EK = – 80 mV
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – –
IK = gK (Vm– EK) > 0
(b)
0
Vm
– 80
K+ K+
EK = – 80 mV + + + + + + + + + + + + +
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – – – – – – – – – – –
IK = gK (Vm– EK) = 0
K+ K+
(c)
le sens qui rapproche Vm de ENa ; dans ce cas, le courant sodique INa représente
un courant entrant dans la cellule. En supposant maintenant que la membrane
soit beaucoup plus perméable au sodium qu’au potassium, l’afflux d’ions Na+ à
l’intérieur du cytoplasme va dépolariser le neurone jusqu’à ce que Vm soit proche
de ENa, soit + 62 mV.
Ce qui se passe ici est tout à fait remarquable : il suffit de modifier la perméa-
bilité de la membrane de telle manière que celle-ci soit transitoirement plus per-
méable aux ions Na+ que K+ pour inverser le potentiel membranaire. En théorie, la
phase ascendante du potentiel d’action peut alors s’expliquer ainsi : en réponse à
la dépolarisation de la membrane au-delà du seuil, les canaux sodiques s’ouvrent.
Cela permet l’afflux des ions Na+ dans le neurone, ce qui entraîne une dépolarisa-
tion massive jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit proche de ENa.
Comment expliquer maintenant la phase descendante du potentiel d’action ?
En supposant simplement que les canaux sodiques se referment rapidement et
que les canaux potassiques s’ouvrent, la perméabilité ionique dominante de la
membrane est ramenée de Na+ à K+ ; et les ions K+ s’écouleront hors de la
cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit de nouveau égal à EK.
Le modèle théorique choisi pour expliquer les mouvements ioniques interve-
nant lors du potentiel d’action dans un neurone idéal est illustré par la figure 4.6.
Dans ce modèle, la phase ascendante d’un potentiel d’action s’explique par le
passage à travers la membrane d’un courant sodique entrant et la phase des-
cendante par le passage d’un courant potassique sortant. Le potentiel d’action
repose simplement sur le déplacement des ions à travers les canaux dont l’ou-
verture dépend des modifications du potentiel membranaire. Ainsi ce modèle
simple rend compte en grande partie des bases ioniques du potentiel d’action.
Mais qu’en est-il, en réalité, dans les neurones ?
g >> g
K Na
Extérieur
Canal Canal
du neurone
K+ sodique K+ potassique
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + V
m
– – – – – – – – – – – – – – – – – – –
Intérieur
K+ K+
– 80 mV
du neurone
(a)
g >> g
Na K
K+ K+
V
m
– –
Na+ Na+
Entrée de sodium – 80 mV
(b)
g >> g
K Na
Sortie de potassium
K+ K+
– – – – – – –
V
m
+ + + + + + +
– 80 mV
(c)
g >> g
K Na
K+ K+
+ + + + + + + + + + + + + + + + + +
V
m
– – – – – – – – – – – – – – – – – –
K+ K+
– 80 mV
(d) Temps
Milieu I II III IV
extracellulaire
+ + + +
+ + + +
+ + + +
+ + + +
Milieu
intracellulaire
(a)
S1 S2 S3
S4 S5 S6
+
+
+
+
Boucle
(b)
de la région du pore
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ +
+ + + +
+ +
+ +
+ +
– 65 mV – 40 mV
Méthode du patch-clamp
L’existence réelle de canaux dépendants du potentiel membrane sous-jacente. Si l’on retire alors l’électrode de
dans la membrane n’était qu’une hypothèse, jusqu’au déve- la cellule, on peut arracher le morceau de membrane
loppement de méthodes permettant d’étudier les protéines (Fig. Ac), et mesurer les courants ioniques tout en appli-
individuelles de ces canaux. Au milieu des années 1970, quant des voltages constants à travers la membrane
deux neurobiologistes allemands, Bert Sakmann et Erwin (Fig. Ad). Avec un peu de chance, il est possible de déter-
Neher, mirent au point une nouvelle méthode révolution- miner les courants qui passent dans un seul canal. Si, par
naire, pour laquelle ils reçurent le prix Nobel en 1991. exemple, la partie de membrane contient un canal
Cette méthode permet d’enregistrer les courants sodique dont l’ouverture est dépendante du potentiel et
ioniques au travers d’un type de canaux. La première si on modifie le potentiel membranaire de – 65 à – 40 mV,
étape consiste à descendre doucement l’extrémité effilée le canal va s’ouvrir et le courant passera à travers (Fig. Ae).
d’une électrode de verre, de 1-5 μm de diamètre, jusqu’à Avec un voltage membranaire constant, l’amplitude du
la membrane du neurone (Fig. Aa), puis à pratiquer une courant reflète la conductance du canal et le temps de
aspiration au travers de la pointe de l’électrode (Fig. Ab). passage du courant reflète la durée d’ouverture du canal.
Légèrement aspirée, la partie de membrane sous-jacente La méthode du patch-clamp montre que la plupart
s’insère à l’intérieur de la pointe de l’électrode et se trouve des canaux basculent entre deux états de conductance,
étroitement associée aux parois de verre. Cet échantillon que l’on peut interpréter comme « ouvert » ou « fermé ».
membranaire dénommé scellement « giga-ohm » (à Le temps d’ouverture est variable, mais la valeur de la
cause de sa grande résistance électrique, > 109 Ω) ne conductance d’un type de canal ne change pas. Les ions
laisse passer les ions présents au niveau de l’électrode peuvent passer au travers de ces canaux à une cadence
qu’au travers des canaux présents dans la partie de étonnante : bien plus d’un million par seconde.
Pipette
Pointe Canal Canal
de la pipette sodium (fermé) sodium (ouvert)
Na+
Neurone
(a)
Échantillon
membranaire
« giga-ohm » (b) (c) (d)
Vm
– 65 mV
Intérieur
(e)
Figure A
94 1 – Bases cellulaires
5 ms
– 40 mV
Vm
– 65 mV
(a)
Canal fermé
Courant
entrant
1 3 4
Courant 2
entrant
(b)
Canal sodique
Na+
Membrane
1 2 3 4
(c)
Effets des toxines sur le canal sodique. Au début des années 1960, des
chercheurs de l’Université Duke ont été à l’origine de la découverte des effets
bloquants de la tétrodotoxine (TTX), une toxine isolée des ovaires d’un pois-
son japonais très particulier, sur les canaux sodiques (Fig. 4.11). Les courants
sodiques, ainsi que les potentiels d’action, peuvent effectivement être bloqués au
moyen de la TTX ; cette toxine virulente obstrue le pore perméable aux ions Na+
en se liant fortement à un site spécifique situé à l’extérieur du canal. Comme cela
4 – Potentiel d’action 95
sera à nouveau mentionné, ce composé est fréquemment utilisé dans les expé-
riences pour bloquer la propagation des influx dans le muscle ou le nerf. La TTX
est fatale lorsqu’elle est ingérée. Pourtant ces poissons sont très appréciés au
Japon et les spécialistes du sushi s’entraînent de nombreuses années et doivent
obtenir une licence du gouvernement pour pouvoir préparer ce poisson, de façon
qu’en le mangeant on ressente un léger engourdissement de la bouche. C’est ce
qui s’appelle se nourrir dangereusement !
La TTX est une des nombreuses toxines naturelles interférant avec les canaux
sodiques dépendants du potentiel. Une autre de ces neurotoxines qui bloque
les canaux est la saxitoxine, produite par les dinoflagellés du genre Gonyaulax.
La saxitoxine est concentrée dans les praires, les palourdes, les moules et autres
coquillages associés à ce genre de protozoaire. Occasionnellement, les dinofla-
gellés se développent, causant ce que l’on nomme une « marée rouge ». Manger
des coquillages à ce moment-là peut s’avérer fatal, à cause de la concentration
anormalement élevée de la toxine.
En plus de ces toxines qui bloquent les canaux sodiques, d’autres substances
interfèrent avec le fonctionnement neuronal en produisant des ouvertures inap-
propriées des canaux ; telle la batrachotoxine, isolée de la peau d’une espèce de
grenouille de Colombie. La batrachotoxine provoque une ouverture des canaux
sodiques à un potentiel plus négatif que la normale. De plus, l’ouverture du
canal est plus longue que normalement, brouillant ainsi l’information codée par
les potentiels d’action. D’autres toxines, telles que la vératridine produite par une
sorte de muguet et l’aconitine extraite du bouton d’or, présentent un mécanisme
d’action similaire. Enfin, l’inactivation des canaux sodiques est aussi affectée par
des toxines de scorpions ou d’anémones de mer.
Que nous apprennent ces toxines ? D’abord, que les différentes toxines
affectent la fonction des canaux ioniques en se fixant sur différents sites de ces
protéines. Ces informations ont ainsi contribué à résoudre la structure tridimen-
sionnelle des canaux sodiques. Ensuite, les toxines peuvent être utilisées comme
des outils pharmacologiques pour étudier les conséquences du blocage des
potentiels d’action. Par exemple, comme nous le verrons plus loin, la TTX est
un agent fréquemment utilisé dans les expériences nécessitant le blocage d’une
activité nerveuse ou musculaire. Enfin, la dernière et sans doute plus importante
leçon tirée de l’utilisation de ces toxines : faites donc attention à ce que vous
mangez !
96 1 – Bases cellulaires
Na +
Sortie
e
Entrée d
de K
+
(a)
(b)
Courants correspondant
Courant sortant
aux canaux potassiques
dépendants du potentiel
(d)
(e)
Sortie de K+
Courant transmembranaire
« net » Courant sortant
Courant entrant
(f)
Entrée de Na+
Propagation
du potentiel d’action
Pour transférer l’information d’un point à un autre du système nerveux, il
est nécessaire que le potentiel d’action qui a été généré se propage dans l’axone.
Ce processus est semblable à ce qui se passe lors de la mise à feu d’une fusée.
Imaginez que vous tenez une fusée de feu d’artifice dans la main et une allumette
enflammée dans l’autre, pour la mise à feu. La fusée décolle quand elle est suffi-
samment chauffée (au-delà d’un certain seuil) à sa base. Puis la chaleur dégagée
par la combustion se propage vers le segment de fusée situé juste au-dessus,
jusqu’à ce qu’il prenne feu à son tour. La flamme va se propager ainsi progres-
sivement tout au long de la fusée, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à brûler. Il est
important de remarquer que la fusée, qui a été allumée à un bout, ne peut brûler
que dans un sens : la flamme ne peut pas revenir sur elle-même car le matériel
combustible à l’arrière a déjà été utilisé.
La propagation du potentiel d’action le long de l’axone est semblable à la
propagation de la flamme le long de la fusée. Lorsque l’axone est suffisamment
dépolarisé pour atteindre le seuil nécessaire, les canaux sodiques dépendants du
potentiel s’ouvrent et le potentiel d’action est initié. L’afflux de charge positive
dépolarise le segment de membrane situé juste devant, jusqu’à ce qu’il atteigne
le seuil à son tour et génère son propre potentiel d’action1 (Fig. 4.13). Ainsi, le
potentiel d’action poursuit son chemin vers l’axone jusqu’à ce qu’il parvienne
à son extrémité dans les terminaisons axoniques et déclenche la transmission
synaptique (voir chapitre 5).
Le potentiel d’action généré à l’une des extrémités de l’axone ne se propage
que dans une seule direction ; il ne peut pas revenir en arrière. Cela provient
de ce que la membrane située juste en arrière est devenue réfractaire, à cause
de l’inactivation des canaux sodiques. Mais, comme la fusée, un potentiel d’ac-
tion peut être généré à partir de l’une ou l’autre extrémité de l’axone et ainsi se
propager dans une direction ou l’autre (bien que, en général, les potentiels d’ac-
tion ne se propagent que dans une seule direction ; celle-ci est dénommée pro
pagation orthodromique. La propagation des potentiels d’action en sens inverse
sur l’axone est dénommée quant à elle propagation antidromique). Parce que la
membrane axonique est excitable (c’est-à-dire capable de générer des potentiels
d’action) sur toute sa longueur, l’influx nerveux se propage régulièrement. Il
en est de même avec la fusée car le matériel combustible s’étend régulièrement
sur toute sa longueur. Cependant, contrairement à la fusée, l’axone présente la
faculté de régénérer sa capacité de mise à feu.
+ +
Temps zéro +
+ +
1 ms plus tard +
+ +
La vitesse de conduction des potentiels d’action est variable, avec une valeur
moyenne de 10 m/s. Comme, du début à la fin, le potentiel d’action ne dure
que 2 ms, la longueur de la membrane concernée par le potentiel d’action à un
moment donné peut être calculée simplement de la façon suivante :
10 m/s × 2 × 10– 3 s = 2 × 10– 2 m
2. NdT : a contrario, l’intervalle entre les nœuds de Ranvier, qualifié de « segment inter-
variqueux », présente une excitabilité moindre et comporte une forte densité de canaux
potassiques.
4 – Potentiel d’action 101
Encadré 4.4 FOCUS
Anesthésie locale
Même si vous avez décidé de résister à la douleur, à Canaux
un moment vous ne pouvez plus la supporter et vous sodiques
allez voir votre dentiste ! Heureusement, le pire qui vous I II III IV dépendants
du potentiel
attend pour traiter votre carie n’est que la piqûre provo-
quée par l’aiguille, qui va lui permettre de vous adminis-
trer l’anesthésique localement. Après l’injection, votre
bouche est rapidement engourdie et vous pouvez rêvas-
ser, alors même que le dentiste fraise votre dent et vous
traite efficacement. Mais qu’est-ce qui a été injecté et
comment cela agit-il ? N
Les anesthésiques locaux sont des agents qui vont C
temporairement bloquer la propagation des potentiels
d’action le long des axones. Ils sont qualifiés de « locaux »
car ils sont administrés à l’intérieur même du tissu à anes-
thésier. Les axones de petit diamètre, qui déchargent à Hélice alpha S6
haute fréquence, sont les plus sensibles au blocage de la
conduction nerveuse par les anesthésiques locaux.
Le premier anesthésique local utilisé en médecine a
été la cocaïne. Ce produit a été initialement extrait des
feuilles de coca en 1860, par le chimiste allemand Albert
Niemann. En accord avec les usages en pharmacologie
de cette époque, Niemann a entrepris de goûter lui-même
son produit, et a constaté un engourdissement de sa
langue. Néanmoins, il s’avéra très vite que la cocaïne C2H5 C2H5
Encadré 4.5 FOCUS
Axone
+ +
Temps zéro
Figure 4.15 – Conduction saltatoire.
La myéline contribue à une diffusion plus large + +
Potentiels d’action,
axones et dendrites
Les potentiels d’action étudiés dans ce chapitre ne concernent que les axones.
En règle générale, la membrane des dendrites et du soma ne génère pas de poten- Neurone
pyramidal
tiel d’action lié au sodium car cette membrane contient peu de canaux sodiques
dépendants du potentiel. Seule la membrane qui contient cette protéine spé-
cifique est capable de générer des potentiels d’action et ce type de membrane
excitable se trouve généralement dans les axones. C’est pourquoi la partie du
neurone qui donne naissance à l’axone à partir du soma, le cône axonique, s’ap-
pelle aussi la zone d’initiation de l’influx nerveux. Dans les neurones du cerveau
ou de la moelle épinière, la dépolarisation des dendrites et du soma causée par
les afférences synaptiques issues d’autres neurones entraîne le déclenchement
de potentiels d’action si la dépolarisation de la membrane du cône axonique Zone d’initiation
dépasse le seuil (Fig. 4.16a). Dans la plupart des neurones sensoriels, toutefois, des influx nerveux :
la zone d’initiation des décharges se trouve près des terminaisons du nerf senso cone axonique
riel, là où la dépolarisation provoquée par la stimulation sensorielle entraîne le
déclenchement de potentiels d’action se propageant le long des nerfs sensoriels (a) Neurone
(Fig. 4.16b). sensoriel
Dans le chapitre 2, il a été mentionné que les axones et les dendrites pré-
sentent une morphologie différente. Ils ont aussi des fonctions différentes, qui
sont entre autres spécifiées au niveau moléculaire par la nature des protéines
existant dans la membrane. Les différents types de canaux ioniques et leur den-
sité dans la membrane expliquent aussi les propriétés électriques caractéristiques Zone d’initiation des influx nerveux :
terminaison nerveuse sensorielle
des différents types de neurones (Encadré 4.6). (b)
Zone membranaire à haute densité
de canaux sodiques dépendants
du potentiel
Encadré 4.6 FOCUS
QUESTIONS DE RÉVISION
DIFFÉRENTS TYPES
DE SYNAPSES
Synapses électriques........................................................................... 109
Synapses chimiques............................................................................ 112
Encadré 5.2 les voies de la découverte Pour l’amour des épines
dendritiques,
par Kristen M. Harris
PRINCIPES
DE LA TRANSMISSION
SYNAPTIQUE CHIMIQUE
Neurotransmetteurs........................................................................... 118
Biosynthèse et stockage des neurotransmetteurs................................ 119
Libération des neurotransmetteurs..................................................... 120
Encadré 5.3 Bases théoriques Théorie du complexe « SNARE »
et libération des neurotransmetteurs
Récepteurs des neurotransmetteurs et leurs effecteurs........................ 123
Encadré 5.4 Bases théoriques Potentiels d’inversion
Recyclage et inactivation synaptique des neurotransmetteurs.............. 127
Neuropharmacologie.......................................................................... 128
Encadré 5.5 Focus Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…
PRINCIPES DE L’INTÉGRATION
SYNAPTIQUE
Intégration des potentiels post-synaptiques d’excitation (PPSE)......... 130
Contribution des propriétés des dendrites à l’intégration synaptique... 131
Inhibition............................................................................................ 134
Encadré 5.6 Focus Des mutations effrayantes et des poisons
Neuromodulation............................................................................... 135
CONCLUSION
INTRODUCTION
L’
un des principaux enseignements des chapitres 3 et 4 a été de montrer
comment l’énergie mécanique — la blessure causée par une punaise —
était convertie en signal nerveux. D’abord, les canaux ioniques spé-
cialisés situés dans les terminaisons du nerf sensoriel laissent entrer des charges
positives dans l’axone puis, lorsque la dépolarisation ainsi induite atteint un
certain seuil, elle génère des potentiels d’action. Comme la membrane axonique
est excitable et contient des canaux sodiques sensibles au potentiel, les potentiels
d’action se propagent régulièrement sur toute la longueur des nerfs sensoriels,
sans perte d’amplitude pour maintenir toute la force de ce signal. Pour que cette
information soit intégrée par tout le système nerveux, il est nécessaire que le
signal soit transmis à d’autres neurones, par exemple les neurones moteurs qui
contrôlent la contraction musculaire, ou encore aux neurones du cerveau et de
la moelle épinière responsables d’une réponse réflexe coordonnée. À la fin du
xixe siècle, il a été établi que ce transfert de l’information d’un neurone à un
autre s’effectue à des sites de contact spécifiques et c’est en 1897 que le physio-
logiste anglais Charles Sherrington donna à ces sites le nom de synapses. Le
processus de transfert de l’information impliquant une synapse est de ce fait
dénommé transmission synaptique.
La controverse sur la nature physique de la transmission synaptique a duré
près d’un siècle. Considérant la rapidité de la transmission synaptique, une des
hypothèses attrayantes suggérait qu’elle pouvait être assimilée à du courant
électrique passant d’un neurone à l’autre. L’existence de ces synapses électriques
fut démontrée à la fin des années 1950 par Edwin Furshpan et David Potter,
deux physiologistes travaillant sur le système nerveux de l’écrevisse à l’Univer-
sity College à Londres et par Akira Watanabe qui travaillait sur les neurones
du homard au japon, au Tokyo Medical and Dental University. Il est admis
aujourd’hui que les synapses électriques sont communes, tant dans le système
nerveux des invertébrés que dans celui des vertébrés, incluant les mammifères.
Une autre hypothèse, datant aussi de la fin du xixe siècle, suggérait que
des messagers chimiques transmettent l’information d’un neurone à l’autre à
la synapse. En 1921, Otto Loewi, chef du Département de pharmacologie de
l’Université de Graz, en Autriche, conforta ce concept de synapse chimique en
montrant que la stimulation électrique des axones innervant le cœur de la gre-
nouille libérait une substance chimique et que cette substance pouvait mimer
les effets de la stimulation du neurone sur les battements du cœur (Encadré 5.1).
Plus tard, Bernard Katz et ses collègues de l’University College à Londres, ont
démontré que la transmission synaptique rapide entre l’axone d’un neurone
moteur et un muscle squelettique était le résultat d’une médiation chimique. En
1951, au moyen d’un nouvel instrument, la microélectrode en verre, John Eccles
de l’Australian National University, a pu étudier la physiologie de la transmission
synaptique dans le système nerveux central (SNC) des mammifères. Ces expé-
riences révélaient que de nombreuses synapses du SNC utilisent également un
neurotransmetteur. Aujourd’hui nous savons que les synapses chimiques repré-
sentent le plus grand nombre des synapses du cerveau et au cours de ces dix
dernières années de véritables révolutions sont intervenues dans la connaissance
de la transmission synaptique, notamment grâce à de nouvelles méthodes utili-
sées dans l’étude de la structure et de la fonction des molécules concernées. Ces
…
108 1 – Bases cellulaires
Encadré 5.1 FOCUS
Synapses électriques
Les synapses électriques présentent une structure et un fonctionnement rela-
tivement simples, permettant au courant ionique de passer directement d’une
cellule à l’autre. Les synapses électriques sont situées en des régions particulières
des cellules, dites jonctions étroites ou gap junctions, en anglais. Les gap junctions
sont présentes entre cellules à peu près dans tout l’organisme et interconnectent
de nombreuses cellules, y compris non neuronales ; par exemple des cellules
épithéliales, des cellules de muscles lisses ou du muscle cardiaque, des cellules
hépatiques, des cellules sécrétrices ou encore des cellules gliales.
Lorsque ces gap junctions interconnectent deux neurones, elles peuvent fonc-
tionner comme des synapses électriques. À ces points de jonction, l’espace entre
les membranes pré et post-synaptiques est de l’ordre de 3 nm et de petites protéines
dénommées connexines forment les éléments moléculaires de ces connexions. Six
connexines se combinent pour former un canal, que l’on appelle un connexon, et
deux connexons (l’un de chaque cellule) se combinent pour mettre les canaux en
continuité (Fig. 5.1). C’est par ces jonctions étroites que les ions passent directe-
ment du cytoplasme d’une cellule au cytoplasme de l’autre. Le pore formé par les
connexons est parmi les plus importants. Avec un diamètre d’environ 1 à 2 nm,
il est assez gros pour que les ions les plus importants ainsi que de nombreuses
petites molécules organiques puissent passer au travers.
Cellule 1 Connexons
cytoplasme
Gap
junction
3.5 nm 20 nm
Connexon
Cellule 2 Connexine
cytoplasme
Ions et molécules Canal formé par l’association
(b) de petite taille de pores présents dans (c)
chacune des membranes
110 1 – Bases cellulaires
Cellule 1
Vm de la cellule 1
Potentiel
0 d’action
Dendrite Enregistrement
du potentiel
de membrane
Vm de la cellule 1 – 65
Enregistrement 0 1 2 3
du potentiel Temps (ms)
de membrane
Gap Vm de la cellule 2
junction – 63
Vm de la cellule 2
– 64 PPS électrique
Dendrite
– 65
0 1 2 3
(a) (b) Cellule 2
Temps (ms)
Figure 5.2 – Synapses électriques.
(a) Microphotographie au microscope électronique d’une gap junction interconnectant deux den-
drites, ce qui constitue une synapse électrique (Source : Sloper et Powell, 1978). (b) Un potentiel
d’action généré dans un neurone provoque un léger courant ionique suivi d’un potentiel post-
synaptique (PPS) électrique dans un second neurone, par l’intermédiaire d’une gap junction.
5 – Transmission synaptique 111
(a)
Avec gap junctions :
Potentiel d’action
Vm de la cellule 1
–0 Enregistrement
de Vm
Oscillations
de la cellule 1
1
– 65 Gap junction
Vm de la cellule 2
–0 2
– 65 Enregistrement
de Vm
de la cellule 2
(b)
Sans gap junctions :
Vm de la cellule 3
Enregistrement
–0 de Vm
de la cellule 3
3
Sans gap
– 65 junction
Vm de la cellule 4
4
–0
– 65
Enregistrement
0 1 2 3 4 5 de Vm
de la cellule 4
Temps (s)
Synapses chimiques
Dans le système nerveux de l’homme adulte, en règle générale, la transmis-
sion synaptique dans son écrasante majorité est de nature chimique ; c’est la
raison pour laquelle ces synapses font ici l’objet d’un examen tout particulier.
Les différents types de synapses chimiques présentent, de fait, un certain nombre
de caractéristiques communes (Fig. 5.4).
À la synapse, les membranes pré et post-synaptiques sont séparées par une
fente ou espace synaptique de 20-50 nm de large, ce qui représente 10 fois la
largeur de l’espace qui les sépare dans les gap junctions. L’espace synaptique est
rempli d’une matrice de protéines extracellulaires fibreuses, qui fait adhérer les
membranes pré et post-synaptiques. L’une des fonctions de cette matrice est de
maintenir associées les parties pré et post-synaptiques de la synapse. Le côté pré
synaptique de la synapse, l’élément présynaptique, est généralement représenté
par une terminaison axonique. De façon caractéristique, la terminaison contient
des douzaines de petites sphères délimitées par une membrane, de 50 nm de
diamètre environ, dénommées vésicules synaptiques (Fig. 5.5a). Ces vésicules
stockent les neurotransmetteurs, qui sont des agents de nature chimique per-
mettant la communication avec le neurone post-synaptique. De nombreuses
terminaisons axoniques contiennent aussi des vésicules de taille plus impor-
tante, d’environ 100 nm de diamètre, appelées granules de sécrétion. Ces gra-
nules contiennent une protéine soluble qui a un aspect compact au microscope
électronique, de sorte qu’ils sont quelquefois dénommés vésicules à cœur dense
(Fig. 5.5b).
Dans les membranes pré et post-synaptique se trouvent accumulées des pro-
téines formant des zones de différenciation membranaire. Du côté présynaptique
les protéines qui se trouvent à la face intracellulaire de la membrane, dans le
cytoplasme de la terminaison axonique, présentent une organisation qui res-
semble à un champ de petites pyramides. Les pyramides et la zone membra-
naire correspondante représentent les sites réels de la libération des neurotrans-
metteurs ou zones actives. Les vésicules synaptiques sont rassemblées dans le
cytoplasme adjacent aux zones actives (Fig. 5.4).
Terminaison axonique
(élément présynaptique)
Granules
de sécrétion
Mitochondries
Récepteurs iq u e
Dendrite post-synapt
Mitochondrie
Terminaison
présynaptique
Élément
post-synaptique Zone active
(a)
Vésicules
synaptiques
Vésicules
« à cœur dense »
(b)
Soma
Dendrite
Axone
Axones
(a) (b)
Terminaisons
présynaptiques
Épine dendritique
post-synaptique
Figure 5.7 – Illustration de différentes formes
et de différentes tailles de synapses dans le
Éléments
système nerveux central. post-synaptiques
(c)
(a) Synapse axoépineuse : une fine terminai-
son axonique contacte une épine dendritique. Axone
Axone
Notez que la terminaison axonique peut être (d)
identifiée de façon caractéristique par la pré- Éléments
sence de nombreuses vésicules synaptiques présynaptiques
et l’élément post-synaptique par les épaissis
sements membranaires (densité post-synap-
tique). (b) La même branche axonique se divise
pour former deux terminaisons présynap-
tiques, l’une de plus grande taille que l’autre,
chacune contactant le soma de la cellule cible.
(c) Représentation d’une situation exception- (a)
nelle où une terminaison axonique de grande
taille englobe littéralement le soma de la cel-
lule sur laquelle elle s’articule. (d) La même
terminaison axonique contacte simultanément
Zones actives
5 éléments post-synaptiques différents. Notez
dans ce cas que les synapses les plus larges Axone
présentent plus de zones actives.
Motoneurone
Fibres musculaires
Gaine de myéline
Axone
Jonction neuromusculaire
Vésicules
synaptiques
Zone active
Espace synaptique
Récepteurs
Appareil
sous-neural
Fibre musculaire
Terminaisons axoniques Région des plaques motrices post-synaptique
(éléments présynaptiques) (éléments post-synaptiques)
Figure 5.9 – Jonction neuromusculaire.
A la jonction entre le nerf et le muscle, la membrane post-synaptique, encore dénommée
plaque motrice, est organisée en de nombreux replis formant un appareil sous-neural où
sont situés les très nombreux récepteurs de l’acétylcholine.
116 1 – Bases cellulaires
La première fois que j’ai réalisé une importée de Norvège, alors qu’il partait
observation au microscope, ce fut pour y d’Harvard pour rejoindre la nouvelle école
voir une épine dendritique. C’était magni- de médecine de Rootstown dans l’Ohio. Je
fique pour une première observation, et cet fus complètement extasiée par les possibili-
amour pour les épines dendritiques ne m’a tés extraordinaires que m’apportait cette
plus quitté depuis. À l’époque, j’étais étu- nouvelle méthode utilisant les sections
diante en neurosciences à l’Université d’Illi- d’hippocampe. Et j’ai tenté de mettre au
nois et c’était dans ce domaine vraiment point une méthode de coloration utilisant
une période fantastique. Je me souviens du l’imprégnation argentique de ces coupes
congrès annuel de la Society for Neuroscience Kristen M. Harris fraîches pour terminer ma thèse de PhD
en 1979, rassemblant près de 5 000 partici- avec Teyler. Cette fois je ne commis pas la
pants (aujourd’hui, environ 25 000…), et même erreur, je préparai les coupes jusqu’à
du numéro de membre qui m’a été attribué à l’époque (et leur observation immédiate. Comme cela apparaît sur la
que j’ai toujours) : le numéro 2 500 ! figure A, visualiser les épines était un ravissement !
Mon projet était de découvrir comment se présen- Malencontreusement, la résolution du microscope
tait une épine dendritique issue d’un cerveau « qui avait optique ne permettait pas d’observer la forme et le
appris », en entraînant des animaux à apprendre, puis nombre de ces épines.
en utilisant la coloration de Golgi pour quantifier les Après ma thèse je me souviens d’avoir parlé de mon
changements potentiels d’épines dendritiques tant en parcours lors d’une école d’été réputée, qui s’est tenue
termes quantitatifs que sur le plan de leur forme. Avec au laboratoire de biologie marine de Woods Hole,
enthousiasme, j’ai préparé les cerveaux d’un grand Massachusetts. Au cours de cette session, j’ai été initiée
nombre de rats en réalisant des coupes histologiques de aux méthodes de reconstitution permettant une analyse
cerveaux entiers, en les traitant par imprégnation argen- tridimensionnelle à partir d’une observation au micros-
tique, puis en les stockant sous butanol. J’ai ensuite cope électronique (3DEM). J’ai été littéralement harpo-
engagé plusieurs étudiants pour monter ces coupes et nnée par cette méthode qui permettait de reconstruire le
les observer au microscope. À notre grand désespoir, détail des dendrites, des axones ou encore des cellules
plusieurs mois après cette étape préparatoire, nous gliales ; et pas seulement de compter et de mesurer les
avons constaté qu’il ne restait plus de dépôt argentique, épines dendritiques. Les observations permettaient aussi
entraînant la fin prématurée et inéluctable de ce si beau de voir comment se forment les synapses et comment les
projet. cellules gliales y contribuent (Fig. B). Objectivement la
C’est alors que j’ai eu la chance de rencontrer le plateforme 3DEM offrait des possibilités considérables.
Professeur Timothy Teyler alors que j’assistais à une Depuis ce temps, ma vie continue d’être centrée sur les
Gordon Research Conference. Il venait de développer processus à la base du développement et de la plasticité
aux États-Unis une méthode d’étude basée sur l’utilisa- des synapses en rapport avec l’apprentissage et la
tion de coupes d’hippocampes de rat in vitro, qu’il avait mémoire.
Terminaison
axonique
Épine dendritique
Rat adulte Cellule
Dendrites gliale Vésicule
Densité
Soma post-synaptique
Épine
du neurone Dendrite dendritique
Axones Axone
Cellule gliale
Dendrites Épine
Mitochondrie
Coloration de Golgi (Harris, 1980) 1 micron
Figure A Figure B
5 – Transmission synaptique 117
Plus tôt dans ma carrière, alors que la biologie molé- (plasticité au cours de la mémorisation, par exemple), ou
culaire révolutionnait notre approche du cerveau, je fus encore en rapport avec le développement de pathologies
l’une des rares personnes à poursuivre mes travaux utili- neurologiques ou psychiatriques touchant jusqu’à
sant la 3DEM. De fait, avec la possibilité d’accéder au l’essence même de ce qui fait l’homme.
niveau moléculaire, chacun s’est attaché à tenter de com-
Représentation tridimentionnelle (3DEM)
prendre comment ces molécules agissent au travers des d’une dendrite avec synapse (en rouge)
organites intracellulaires, y compris dans les dendrites et et ses organelles
les épines, et la 3DEM fut dès lors mise au service de la
description de l’organisation des synapses. Ces possibili-
tés de reconstruction 3D ont suscité l’intérêt de nom-
breux biologistes et neurobiologistes. L’automatisation
des quantifications y a beaucoup contribué. Par exemple,
la figure C illustre une observation récente utilisant des
colorations imagées de diverses organelles liées à la
transmission synaptique au cours du développement.
Les perspectives de ces travaux sont dès lors centrées sur
la compréhension des mécanismes du changement de la
structure des synapses dans les conditions fonctionnelles Figure C
Principes de la transmission
synaptique chimique
Les mécanismes de la transmission synaptique chimique sont complexes. Les
opérations peuvent être décrites en différentes étapes : tout d’abord, les neu-
rotransmetteurs doivent être synthétisés et incorporés dans les vésicules synap-
tiques, puis les vésicules doivent déverser leur contenu dans l’espace synaptique
en réponse à un potentiel d’action présynaptique pour permettre la réponse
électrique ou biochimique du neurone post-synaptique au neurotransmetteur.
Enfin, un mécanisme procède à l’élimination du neurotransmetteur de l’espace
synaptique. Pour être efficace dans la sensation, la perception et le contrôle du
mouvement, il est par ailleurs nécessaire de considérer que toutes ces actions
doivent être effectuées très rapidement. Il n’est donc pas étonnant que les physio-
118 1 – Bases cellulaires
Neurotransmetteurs
Depuis la découverte de la transmission synaptique chimique, la recherche
s’est attachée à identifier les neurotransmetteurs présents dans le cerveau. Il
semble que la plupart des neurotransmetteurs se rattachent à une des trois caté-
gories chimiques suivantes : (1) les acides aminés, (2) les amines, (3) les peptides
(Tab. 5.1). La figure 5.10 en montre quelques exemples. Les neurotransmetteurs
appartenant au groupe des acides aminés et des amines représentent tous de
petites molécules organiques, contenant au moins un atome d’azote ; ils sont
stockés dans et libérés par les vésicules synaptiques. Les neurotransmetteurs
peptidiques représentent des molécules de taille plus importante, qui sont stoc-
kées dans et libérées par les granules de sécrétion. Comme mentionné ci-dessus,
les granules de sécrétion et les vésicules synaptiques sont fréquemment obser-
vés dans les mêmes terminaisons axoniques. En conséquence, très souvent des
neuropeptides sont trouvés dans les mêmes terminaisons axoniques que celles
contenant des amines ou des acides aminés jouant le rôle de neurotransmetteur.
On verra plus loin que ces différents neurotransmetteurs, éventuellement pré-
sents dans les mêmes terminaisons nerveuses, sont libérés dans des conditions
différentes.
HO
O CH3 OH
CH3 C O CH2 CH2 N+ CH3 HO CH CH2 NH2
CH3
(b) ACh NE
Carbone
Oxygène
Azote
Hydrogène
Arg Pro Lys Pro Gln Gln Phe Phe Gly Leu Met Sulfure
(c) Substance P
Peptide Vésicules
précurseur Neuropeptide actif synaptiques
(propeptide) (neurotransmetteur)
Noyau 3 4
1 2
Granules
Ribosome de sécrétion
Appareil de Golgi
Reticulum
endoplasmique Molécule
rugueux précurseur
(a) 1 Enzyme
de biosynthèse
Molécule
de neurotransmetteur
Transporteur
2
vésiculaire
Vésicule
synaptique
(b)
Présynaptique
Vésicules 4
1
synaptiques
Figure 5.13 – Visualisation de la libération
des neurotransmetteurs par l’élément pré
synaptique, à partir de la région post-synap
tique.
(a) Cette microphotographie représente la sur-
face extracellulaire de la terminaison nerveuse,
Canaux
calciques au niveau de la zone active de la jonction neu-
(présumés) romusculaire de la grenouille. (b) Dans cette
vue, l’élément présynaptique a été stimulé de
façon à déclencher la libération du neurotrans-
metteur. Les pores représentent les régions de
fusion de la membrane des vésicules synap-
tiques avec la membrane de la terminaison
(a) nerveuse sous l’effet de l’exocytose, là où le
neurotransmetteur a été libéré. (Source : Heu-
ser et Reese, 1973.)
Pore de fusion
des vésicules
synaptiques
(exocytose)
(b)
Potentiels d’inversion
Nous avons vu dans le chapitre 4 que lorsque les
À des valeurs positives
canaux sodiques sensibles au potentiel de la membrane du potentiel de membrane,
s’ouvrent durant le potentiel d’action, les ions Na+ l’ACh induit un courant sortant
pénètrent dans la cellule, entraînant la dépolarisation
rapide de la membrane vers le potentiel d’équilibre du
Extérieur
sodium, ENa, d’environ 40 mV. À l’inverse des canaux Courant
sensibles au potentiel, toutefois, de nombreux canaux membranaire
ioniques associés aux récepteurs des neurotransmet-
teurs sont perméables à plusieurs types d’ions. Par
exemple, les canaux associés aux récepteurs de l’ACh Potentiel
Tracé de la courbe
de membrane
des jonctions neuromusculaires, sont perméables aux I-V traduisant
ions Na+ et K+. l’action de l’ACh
Influx nerveux
Axone
Terminaison
(a) axonique
Dendrite
post-synaptique
Enregistrement
Molécules de neurotransmetteurs de Vm
Espace
synaptique
PPSE
Vm
Cytosol
– 65 mV
Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
Influx nerveux
Axone
Terminaison
(a) axonique
Dendrite
post-synaptique
Enregistrement
Molécules de neurotransmetteur de Vm
PPSI
Vm
Cytosol
– 65 mV
Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
Les protéines effectrices sont soit des canaux ioniques présents dans la
membrane et qui sont directement sensibles aux protéines G (Fig. 5.17a), soit
des enzymes assurant la synthèse de molécules particulières dénommées seconds
messagers qui diffusent plus loin dans le cytosol (Fig. 5.17b). Les seconds messa-
gers ont la possibilité d’activer d’autres enzymes du cytosol, qui peuvent réguler
le fonctionnement des canaux ioniques et modifier le métabolisme cellulaire. Les
récepteurs couplés aux protéines G jouant un rôle important dans le contrôle
du métabolisme, ils sont aussi désignés parfois sous le terme de récepteurs méta-
botropiques.
Le chapitre 6 étudie de façon détaillée les divers neurotransmetteurs, leurs
récepteurs et leurs effecteurs. Cependant, il faut savoir qu’un même neurotrans-
metteur peut avoir des effets synaptiques divers, selon les récepteurs auxquels
il est associé. L’effet de l’ACh sur le cœur et sur les muscles du squelette est un
exemple de cette diversité. L’ACh ralentit le rythme des contractions du cœur
en provoquant une lente hyperpolarisation des cellules du muscle cardiaque.
Au contraire, dans les muscles squelettiques l’ACh induit la contraction en
provoquant une dépolarisation rapide des fibres musculaires. Cette différence
s’explique par la nature des récepteurs mis en jeu. Dans le cœur, le récepteur à
l’ACh est associé à un canal potassique par l’intermédiaire d’une protéine G
et les fibres du muscle cardiaque sont hyperpolarisées par l’ouverture du canal
potassique. Dans les muscles squelettiques, le récepteur est en revanche un canal
ionique sensible à l’ACh perméable au Na+ et les fibres musculaires sont dépo-
larisées par l’entrée de sodium résultant de l’ouverture de ce canal.
5 – Transmission synaptique 127
Protéine G Protéine G
Seconds
messagers
(a) (b)
3. NdT : cette notion d’autorécepteur est dans certains cas élargie à la présence de récep-
teurs situés sur la partie somatodendritique du neurone, lorsque celui-ci est à même de
libérer le neurotransmetteur à ce niveau par un mécanisme somatodendritique ou qu’il
existe des collatérales de l’axone formant localement des synapses avec les dendrites du
même neurone. L’effet de la mise en jeu de ces récepteurs est également compris comme
exerçant un rétrocontrôle inhibiteur sur l’activité neuronale.
4. NdT : c’est notamment le cas pour les acides aminés excitateurs comme le glutamate,
qui est principalement éliminé de l’espace synaptique par l’action très efficace de diffé-
rents types de transporteurs situés sur les astrocytes associés à la synapse et/ou des trans-
porteurs neuronaux situés principalement dans la partie post-synaptique de la synapse.
128 1 – Bases cellulaires
Neuropharmacologie
Tous les aspects de la transmission synaptique étudiés ci-dessus — la syn-
thèse des neurotransmetteurs, leur stockage dans les vésicules synaptiques, l’exo-
cytose, la fixation des neurotransmetteurs sur leurs récepteurs et l’inactivation
des neurotransmetteurs — sont d’ordre chimique. Il est donc possible d’agir sur
ces mécanismes au moyen d’agents pharmacologiques, de médicaments ou de
toxines spécifiques (Encadré 5.5). La neuropharmacologie est la discipline qui
étudie l’effet de ces drogues5. sur le système nerveux.
Nous avons mentionné précédemment que certains gaz toxiques peuvent
interférer avec la transmission synaptique en inhibant l’activité de l’AChE de
la jonction neuromusculaire. Cette interférence est un des effets des drogues,
consistant à inhiber le fonctionnement normal de protéines spécifiques impli-
quées dans la transmission synaptique ; ces drogues sont qualifiées d’inhibiteurs.
Les inhibiteurs des récepteurs de neurotransmetteurs, appelés antagonistes des
récepteurs, se fixent sur les récepteurs et bloquent le mécanisme normal d’action
du neurotransmetteur. Le curare, par exemple, un poison traditionnellement uti-
lisé par les Indiens d’Amérique du Sud au bout d’une flèche pour paralyser leur
proie, représente un antagoniste de récepteurs. Il se fixe fortement aux récepteurs
de l’ACh présents sur les cellules des muscles squelettiques et bloque les effets de
l’ACh, empêchant ainsi la contraction musculaire.
D’autres agents pharmacologiques se lient aux récepteurs mais, au lieu de les
inhiber, ils imitent les effets des neurotransmetteurs synthétisés naturellement.
Ce sont les agonistes des récepteurs. La nicotine, un dérivé du tabac, en est un
exemple. La nicotine, en se liant aux récepteurs de l’ACh du muscle, entraîne leur
activation. C’est pourquoi les canaux ioniques du muscle sensibles à l’ACh sont
également dénommés récepteurs cholinergiques nicotiniques, pour les distinguer
des autres types de récepteurs à l’ACh, tels que ceux du cœur qui ne sont pas
sensibles à la nicotine6 Il existe aussi des récepteurs cholinergiques nicotiniques
au niveau du SNC. Ce sont d’ailleurs ceux qui sont impliqués dans les effets de
l’addiction et de la dépendance au tabac.
La complexité de la transmission synaptique la rend particulièrement prédis-
posée au corollaire médical de la loi de Murphy, qui dit que si un processus phy-
siologique peut se dérégler, il se déréglera. Lorsque la transmission synaptique
n’est pas correctement assurée, le système nerveux fonctionne mal. Des anoma-
5. NdT : la notion de drogue est ici considérée au sens pharmacologique, c’est-à-dire d’un
agent pharmacologique actif et non au sens populaire qui associe la drogue à la toxico-
manie.
6. NdT : cette seconde catégorie de récepteurs cholinergiques est sensible à un autre
agent, la muscarine ; de ce fait, cette deuxième catégorie de récepteurs est dénommée
récepteurs cholinergiques muscariniques.
5 – Transmission synaptique 129
Encadré 5.5 FOCUS
Principes de l’intégration
synaptique
La plupart des neurones du SNC ont la capacité de recevoir plus ou moins
simultanément des milliers d’informations synaptiques, qui activent différentes
combinaisons de récepteurs-canaux et de récepteurs couplés aux protéines G.
Le neurone post-synaptique intègre tous ces signaux complexes et génère un
signal simple : le potentiel d’action. La transformation de nombreux signaux
synaptiques de nature chimique ou électrique en un seul type d’énergie est à la
base de l’intégration de l’information neuronale, le cerveau effectuant des mil-
liards d’opérations à chaque seconde. Pour comprendre ce phénomène, il faut
alors tenter de rendre compte de certains principes de base de l’intégration des
informations synaptiques. L’intégration synaptique est le processus par lequel
de multiples potentiels d’action afférant au neurone se combinent dans un seul
neurone post-synaptique.
Pas de courant
Sens du courant entrant
Sommation spatiale
Afférence présynatique
PPSE
PPSE
Vm Vm Vm
– 65 mV – 65 mV – 65 mV
d’arrosage percé. L’eau peut prendre deux directions : soit elle se dirige vers l’in-
térieur du tuyau et continue à s’écouler, soit elle sort par les trous. De la même
façon, le courant synaptique peut prendre deux directions : soit il se propage à
l’intérieur de la dendrite vers les régions somatiques du neurone, soit il passe au
travers de la membrane dendritique. À une certaine distance de la zone d’entrée
du courant, l’amplitude du PPSE devient nulle à cause de la dispersion du cou-
rant au travers de la membrane.
L’atténuation de la dépolarisation le long du câble dendritique en fonction
de la distance est représentée par le graphique de la figure 5.20. Pour simplifier
les mathématiques, on considérera ici que la dendrite est infiniment longue, sans
branchement, et de diamètre uniforme. Cette atténuation présente une allure
exponentielle avec l’accroissement de la distance. L’amplitude de la dépolarisa-
tion de la membrane à une distance donnée (Vx) peut être calculée par l’équation
suivante : Vx = Vo/ex/λ, dans laquelle Vo est la dépolarisation d’origine (juste au
niveau de la synapse), e (= 2,718…) est la base des logarithmes, x représente la
distance depuis la synapse, et λ est une constante qui dépend des propriétés de la
dendrite. Quand x = λ, alors Vx = Vo/e ; soit : Vλ = 0,37 (Vo). Cette distance λ,
marquant l’endroit où le taux de dépolarisation représente 37 % de la dépolari-
sation initiale, est dénommée constante de longueur dendritique (souvenez-vous
que cette analyse est volontairement très simplifiée. Les dendrites n’ont pas de
longueur infinie, elles sont très branchées et ont tendance à s’effiler vers les extré-
mités, ce qui affecte la diffusion des courants et, par conséquent, l’efficacité des
potentiels synaptiques).
La constante de longueur est un index de la distance sur laquelle la dépola-
risation peut s’étendre le long d’une dendrite. Plus la constante de longueur est
grande, plus il est probable que les PPSE générés dans des synapses éloignées
dépolariseront la membrane du cône axonique. Dans notre dendrite idéale, élec-
triquement passive, la valeur de λ dépend de deux facteurs : (1) la résistance au
flux du courant longitudinal le long de la dendrite, appelée résistance interne
(ri), et (2) la résistance au flux du courant à travers la membrane, appelée la
résistance membranaire (rm). Le courant passera généralement par la voie où la
5 – Transmission synaptique 133
Vm Vm
Injection
de courant
Enregistrement Enregistrement
de Vm de Vm
Vers
le corps
cellulaire Figure 5.20 – Atténuation passive de la dépo
Câble dendritique larisation avec la distance, le long d’une den
(a)
drite.
(a) Un courant est injecté dans une dendrite
Pourcentage de la dépolarisation
Inhibition
Comme nous l’avons vu, la contribution d’un PPSE à la genèse d’un poten-
tiel d’action dépend de plusieurs facteurs, y compris le nombre de synapses
excitatrices coactives, la distance entre la synapse et la zone d’initiation des
potentiels d’action, ou encore les propriétés des membranes dendritiques. Dans
le cerveau, toutes les synapses ne sont cependant pas excitatrices. Le rôle de cer-
taines synapses consiste à éloigner le potentiel membranaire du seuil du potentiel
d’action ; c’est le rôle des synapses inhibitrices qui exercent un contrôle puissant
sur l’activité neuronale (Encadré 5.6).
Potentiels post-synaptiques d’inhibition (PPSI) et effets de shunt. Les
récepteurs post-synaptiques des synapses inhibitrices sont très semblables à ceux
des synapses excitatrices ; il s’agit dans ce cas aussi de récepteurs canaux. Les
seules différences importantes entre ces récepteurs concernent les neurotrans-
metteurs auxquels ils sont associés et le type d’ions qu’ils laissent passer. Les
récepteurs de la plupart des synapses inhibitrices ne sont perméables qu’à un seul
ion, l’ion Cl–. L’ouverture du canal chlore laisse passer les ions Cl– dans un sens
qui tend vers le potentiel d’équilibre du chlore, ECl, d’environ – 65 mV. De ce fait,
au moment où le neurotransmetteur est libéré, si le potentiel de la membrane est
supérieur à – 65 mV, l’activation de ces canaux produit un PPSI hyperpolarisant.
À l’inverse, si le potentiel de membrane est à ce moment de – 65 mV, l’activa-
tion du canal chlore ne produit aucun PPSI puisque la valeur du potentiel de
membrane est déjà équivalente à ECl (c’est-à-dire le potentiel d’inversion pour
cette synapse ; voir Encadré 5.4). Mais, si aucun PPSI n’apparaît, le neurone
est-il réellement inhibé ? Dans ce cas, on considère en effet que l’action du neu-
rone est réellement inhibée. La figure 5.21 illustre le cas suivant : une synapse
excitatrice est située sur la partie distale d’une dendrite et une synapse inhibitrice
sur une partie plus proximale, plus proche du soma. L’activation de la synapse
excitatrice entraîne un afflux de charges positives dans la dendrite. Ce courant
dépolarise la membrane et se déplace en direction du soma. Cependant, à l’en-
droit où la synapse inhibitrice est active, le potentiel de la membrane est presque
égal à ECl, c’est-à-dire à – 65 mV. Donc, à cet endroit précis le courant positif
passe à l’extérieur de la membrane et ramène Vm à – 65 mV. Cette synapse joue
le rôle d’une dérivation électrique associée à une chute de la résistance membra-
naire ; elle empêche le courant de se propager à travers le soma vers le cône
axonique. Ce type d’inhibition (shunting inhibition) se traduit par le déplacement
vers l’intérieur des ions chlore négatifs, ce qui est formellement équivalent à un
courant positif sortant. Cette inhibition est comparable à l’apparition d’un gros
trou dans le tuyau d’arrosage déjà percé : toute l’eau va s’écouler par cet endroit
de moindre résistance avant d’arriver au jet qui permet d’arroser.
Ceci explique comment les synapses inhibitrices contribuent également à
l’intégration synaptique. Lorsque les PPSI sont soustraits des PPSE, le neurone
post-synaptique est moins susceptible de produire des potentiels d’action. De
plus, l’inhibition réduit de façon drastique rm et par conséquent λ, laissant ainsi
le courant positif passer à l’extérieur à travers la membrane au lieu de passer
dans les dendrites vers la zone d’initiation des potentiels d’action.
Géométrie des synapses excitatrices et inhibitrices. Les synapses inhibitrices
du cerveau dont le GABA est le neurotransmetteur correspondant, ont toujours
une morphologie caractéristique de type II de Gray (voir Fig. 5.8b). Cette struc-
ture contraste avec celle des synapses excitatrices qui utilisent le glutamate et qui
ont toujours une morphologie de type I de Gray. La corrélation entre structure et
fonction a servi à établir les relations géométriques entre les synapses excitatrices
5 – Transmission synaptique 135
Encadré 5.6 FOCUS
et inhibitrices sur les neurones, au plan individuel. En plus de leur présence sur
les dendrites, sur beaucoup de neurones les synapses inhibitrices sont regroupées
sur le soma et près du cône axonique, occupant une position particulièrement
importante pour contrôler l’activité du neurone post-synaptique.
Neuromodulation
La plupart des mécanismes post-synaptiques mentionnés ci-dessus impliquent
des récepteurs qui sont eux-mêmes des canaux ioniques. Les synapses com-
portant des récepteurs-canaux véhiculent la majeure partie de l’information
136 1 – Bases cellulaires
Dendrite
Soma
Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm
PPSE
Vm de la Vm du
dendrite soma
(a)
Dendrite
Soma
Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm
PPSE
Vm de la Vm du
dendrite soma
(b)
Figure 5.21 – Effets d’inhibition.
Le schéma représente un neurone recevant à la fois une afférence excitatrice et une afférence inhibitrice. (a) La stimulation de l’afférence excitatrice
entraîne un courant entrant qui diffuse vers le soma de la cellule où un PPSE peut être enregistré. (b) Lorsque les afférences excitatrice et inhibitrice
sont simultanément mises en jeu, le courant dépolarisant « fuit » au travers de la membrane avant d’atteindre le soma.
Récepteur β Canal
adrénergique NA potassique
Adényl
cyclase
1
2
5
3
Protéine
Protéine G kinase
L’AMPc stimule une autre enzyme, la protéine kinase. La protéine kinase est
le catalyseur d’une réaction chimique appelée phosphorylation, qui se traduit par
le transfert de groupements phosphates (PO3) de l’ATP jusqu’à des sites spé-
cifiques situés sur des protéines cellulaires particulières dénommées phospho-
protéines (Fig. 5.22). La phosphorylation peut modifier la conformation d’une
protéine et donc sa fonction.
Dans certains neurones, une des protéines phosphorylée par l’élévation des
taux d’AMPc est un type particulier de canal potassique de la membrane den-
dritique. La phosphorylation provoque la fermeture de ce canal, réduisant ainsi
la conductance au potassium de la membrane. En soi, cette action sur les canaux
potassiques ne provoque pas d’effet dramatique sur le neurone. Cependant, elle
a une conséquence plus importante : la diminution de la conductance potassique
augmente la résistance de la membrane dendritique et augmente donc la constante
de longueur. C’est comme si on réparait les trous du tuyau d’arrosage percé avec
du ruban adhésif : l’eau s’écoulera davantage par le tuyau et moins par les parois
du tuyau. En augmentant λ, les synapses excitatrices distales, d’action faible sur
la genèse du potentiel d’action, deviennent plus efficaces pour dépolariser la zone
d’initiation des potentiels d’action au-delà du seuil ; la cellule deviendra donc
plus excitable. Ainsi, la fixation de la noradrénaline aux récepteurs β modifie en
elle-même peu le potentiel membranaire mais elle accroît de façon significative
la réponse induite par un autre neurotransmetteur d’une synapse excitatrice. Ce
processus impliquant plusieurs intermédiaires, il prolonge l’activité synaptique
qui peut ainsi durer beaucoup plus longtemps que le très court moment de la
présence effective du transmetteur lui-même dans l’espace synaptique.
Nous avons décrit un récepteur particulier couplé aux protéines G et les
conséquences de son activation dans un type de neurone mais il faut savoir
que d’autres types de récepteurs peuvent induire la formation d’autres types de
seconds messagers. L’activation de chacun de ces récepteurs va initier une série
de réactions biochimiques dans le neurone post-synaptique, sans provoquer sys-
tématiquement de phosphorylation ni de diminution de la résistance membra-
naire. En fait, dans un autre type de cellules, l’AMPc, avec d’autres enzymes,
peut induire sur l’excitabilité cellulaire des changements fonctionnels de carac-
tère inverse de ceux mentionnés précédemment.
Le chapitre 6 abordera plus longuement la modulation synaptique et ses
mécanismes mais il est déjà perceptible que les diverses formes de modulation
de la transmission synaptique offrent un nombre presque illimité de possibilités
de traitement et d’utilisation par le neurone post-synaptique de l’information
codée par le neurone présynaptique.
138 1 – Bases cellulaires
Conclusion
Ce chapitre a présenté les bases théoriques de la transmission synaptique
chimique. Le potentiel d’action, que la punaise a fait naître dans le nerf sensoriel
dans le chapitre 3, s’est propagé le long de l’axone dans le chapitre 4 et a mainte-
nant atteint la terminaison axonique dans la moelle épinière. La dépolarisation
de la terminaison a déclenché l’entrée d’ions Ca2+ à travers les canaux calciques
sensibles au potentiel, ce qui a par la suite stimulé l’exocytose du contenu des
vésicules synaptiques. Le neurotransmetteur libéré a diffusé à travers l’espace
synaptique et s’est fixé à des récepteurs spécifiques situés dans la membrane
post-synaptique. Le neurotransmetteur (probablement du glutamate) a provo-
qué l’ouverture des canaux ioniques, permettant ainsi la genèse d’un courant
positif dans la dendrite post-synaptique. Puisque le nerf sensoriel a initié des
potentiels d’action à fréquence élevée et que plusieurs synapses ont été activées
en même temps, les PPSE se sont additionnés pour amener la zone d’initiation
de la décharge du neurone post-synaptique au seuil de dépolarisation et cette
cellule a généré des potentiels d’action. Si la cellule était un neurone moteur, ce
mécanisme d’action aurait entraîné la libération d’ACh à la jonction neuromus-
culaire et la contraction du muscle. Si la cellule post-synaptique était un inter-
neurone utilisant le GABA comme neurotransmetteur, son action consisterait à
inhiber ses cibles synaptiques. Si cette cellule utilisait enfin un neurotransmet-
teur impliqué dans la neuromodulation comme la noradrénaline, elle provoque-
rait des modifications durables de l’excitabilité ou du métabolisme de ses cibles
synaptiques. C’est la grande variété des interactions synaptiques chimiques qui
explique la diversité et la complexité des comportements (tel qu’esquisser un
mouvement de retrait d’un membre à la suite d’une douleur), en réponse à des
stimuli simples (comme marcher accidentellement sur une punaise).
Il est aussi nécessaire de s’intéresser à la chimie de la transmission synap-
tique de façon plus détaillée. Le chapitre 6 est consacré à l’étude particulière
des divers systèmes de neurotransmetteurs. Enfin, après avoir examiné les sys-
tèmes moteur et sensoriel dans la 3e partie, nous étudierons la contribution des
divers neurotransmetteurs au fonctionnement du système nerveux et cherche-
rons à élucider leur rôle dans le comportement. Il est ainsi tout à fait justifié de
porter autant d’attention à la transmission synaptique car, comme nous l’avons
déjà mentionné, les défauts de la communication intercellulaire sont à l’origine
de nombreux troubles neurologiques et psychiatriques. De plus, virtuellement,
toutes les molécules psychoactives, qu’elles soient d’un intérêt thérapeutique ou
illicite, exercent leur effet par ces synapses.
Les connaissances acquises dans le domaine de la transmission synaptique,
ajoutées aux données sur le traitement de l’information nerveuse et sur les effets
des drogues, donnent une clé supplémentaire pour comprendre les bases cel-
lulaires de la mémorisation et de l’apprentissage : la mémoire des expériences
passées paraît se construire grâce aux variations de l’activité des synapses
chimiques dans le cerveau. Plusieurs possibilités sont envisagées dans ce cha-
pitre pour modifier l’activité synaptique, depuis les variations survenant dans
l’entrée de Ca2+ dans l’élément présynaptique et la libération des neurotransmet-
teurs, jusqu’aux changements intervenant aux récepteurs post-synaptiques ou de
l’excitabilité. Tous ces changements sont susceptibles de contribuer au stockage
de l’information par le système nerveux (chapitre 25).
5 – Transmission synaptique 139
QUESTIONS DE RÉVISION
RÉCEPTEURS-CANAUX
Structure des récepteurs-canaux......................................................... 161
Récepteurs-canaux des acides aminés................................................. 162
Encadré 6.4 Focus Ces poisons si excitants :
beaucoup trop de si bonnes choses…
RÉCEPTEURS COUPLÉS
AUX PROTÉINES G
Structure des récepteurs couplés aux protéines G............................... 167
Caractère ubiquitaire des protéines G................................................. 167
Effecteurs des récepteurs couplés aux protéines G.............................. 169
DIVERGENCE
ET CONVERGENCE
ENTRE LES SYSTÈMES
DE NEUROTRANSMETTEURS
CONCLUSION
INTRODUCTION
L
e fonctionnement du cerveau humain est basé sur une organisation
méthodique d’innombrables réactions chimiques. De l’ensemble de ces
réactions chimiques, celles qui sont associées à la transmission synap-
tique comptent parmi les plus importantes. Le chapitre 5 a présenté les prin-
cipes généraux de la transmission synaptique chimique, avec des exemples liés
à quelques neurotransmetteurs spécifiques. Ce chapitre explore plus en détail la
variété et le raffinement des grands systèmes neuronaux, tels qu’ils peuvent être
identifiés par leur neurotransmetteur.
Ces systèmes neuronaux se trouvent caractérisés par le fait qu’ils rassemblent
des populations de neurones utilisant un même neurotransmetteur. Les trois
groupes principaux de neurotransmetteurs : les acides aminés, les amines et les
neuropeptides ont déjà été mentionnés dans le chapitre précédent. La liste par-
tielle des neurotransmetteurs connus, comme celle présentée dans le tableau 5.1,
dénombre déjà près de 20 molécules différentes. Chacune d’entre elles définit
un système neuronal particulier. En plus de la présence de la molécule de neu-
rotransmetteur elle-même, ces systèmes neuronaux présentent tous des méca-
nismes moléculaires spécifiques, responsables de la synthèse du neurotransmet-
teur qu’ils expriment, de son stockage dans les vésicules, de son élimination
synaptique et de sa dégradation, et de son action post-synaptique (Fig. 6.1).
La première molécule identifiée comme neurotransmetteur, par Otto Loewi
dans les années vingt, est l’acétylcholine ou ACh (voir Encadré 5.1). Le pharma-
cologue britannique Henry Dale introduisit le terme cholinergique pour qualifier
les cellules qui produisent et libèrent l’ACh (Dale partagea le prix Nobel avec
Loewi en 1936 pour ses travaux sur la neuropharmacologie de la transmission
synaptique). Dale inventa aussi le terme de noradrénergique pour les neurones
associés à l’action de la noradrénaline (NA). Par convention, le suffixe -ergique
est ainsi également utilisé pour les autres neurotransmetteurs identifiés. Il est
donc fait état de synapses glutamatergiques pour les synapses associées au glu-
tamate, de synapses GABAergiques pour celles qui impliquent le GABA, de
synapses peptidergiques pour celles qui utilisent les neuropeptides comme neu-
rotransmetteur, etc. Ces adjectifs désignent aussi plus généralement les divers
systèmes neuronaux utilisant ces neurotransmetteurs. Par exemple, l’ACh et tous
les neurones et mécanismes qui lui sont associés, représentent, collectivement, le
système cholinergique.
Avec cette terminologie, ce chapitre commence l’exploration des systèmes
neuronaux identifiés par le neurotransmetteur qu’ils utilisent dans la communi-
cation intercellulaire : d’abord, il se focalise sur les stratégies expérimentales qui
ont permis de les étudier ; puis il décrit les mécanismes relatifs à la biosynthèse,
au métabolisme et aux effets post-synaptiques des principaux neurotransmet-
teurs. Avec une meilleure connaissance de ces systèmes, il sera alors possible
d’envisager dans le chapitre 15 leur rôle potentiel dans le contexte de leur contri-
bution individuelle à la régulation des fonctions du cerveau et du comportement.
142 1 – Bases cellulaires
Terminaison
axonique présynaptique
Enzymes de synthèse
des neurotransmetteurs
Transporteurs vésiculaires
Transporteurs neuronaux
Enzymes de dégradation
Récepteurs-canaux
Protéines G
Coupe
de tissu
nerveux
Figure 6.2 – Immunocytochimie.
Cette méthode utilise des anticorps marqués pour localiser les molécules à l’intérieur des cellules. (a) La molécule étudiée (un candidat neurotransmet-
teur, par exemple) est injectée à un animal, induisant une réponse immunitaire et la production d’anticorps. (b) Le prélèvement sanguin permet ensuite
d’isoler les anticorps du sérum. (c) Les anticorps, marqués par une molécule permettant de les visualiser, sont appliqués sur des coupes de cerveau.
L’anticorps marqué permet de repérer les cellules contenant l’antigène, c’est-à-dire le neurotransmetteur putatif. (d) Agrandissement d’un complexe
formé par le neurotransmetteur « candidat », l’anticorps et le marqueur permettant de le visualiser.
144 1 – Bases cellulaires
Figure 6.3 – Localisation immunocytochimique
d’un neurotransmetteur peptidique.
(a) Neurone du cortex cérébral marqué par
un anticorps dirigé contre un neuropep-
tide (Source : courtoisie du Dr Y. Amitai et
S. L. Patrick.) (b) Identification de trois diffé-
rents types de neurones sur une coupe histolo-
gique de cortex cérébral utilisant des anticorps
spécifiques dirigés contre trois neurotrans-
metteurs, chacun marqué par une sonde
fluorescente différente (vert, rouge et bleu).
(Source : courtoisie du Dr S. J. Cruikshank et
S. L. Patrick.)
La photographie en (a) a été prise avec un
grandissement plus important qu’à la photo-
graphie en (b). (a) (b)
Neurotransmetteur : ACh
+ + +
Antagoniste : Curare Atropine
– +
–
Figure 6.7 – Neuropharmacologie de la trans-
mission cholinergique.
Récepteur Récepteur Représentation schématique des sites de
Récepteurs : nicotinique muscarinique
liaison de l’acétylcholine (ACh), des agonistes
cholinergiques, qui reproduisent l’effet de
l’ACh, et des antagonistes, qui bloquent les
effets de l’ACh et des agonistes cholinergiques.
Neurotransmetteur : Glutamate
Divers agents pharmacologiques ont aussi été utilisés pour distinguer les
sous-types de récepteurs associés au glutamate. Trois sous-types de ces récepteurs
peuvent être cités : les récepteurs AMPA, les récepteurs NMDA et les récepteurs
kainate, d’après le nom des agonistes chimiques différents pour chacun d’eux
(AMPA pour α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate et NMDA
pour N-méthyl-D-aspartate). Les trois sous-types de récepteurs sont activés
par le glutamate mais l’AMPA agit seulement sur les récepteurs ainsi reconnus
comme AMPA, le NMDA seulement sur les récepteurs NMDA, etc. (Fig. 6.8).
Des analyses pharmacologiques similaires ont permis de distinguer les
récepteurs adrénergiques en deux sous-types, α et β et les récepteurs GABA en
GABAA et GABAB. Le même schéma s’applique à tous les systèmes de neu-
rotransmetteurs et certaines drogues se sont montrées très utiles pour établir des
sous-classes de récepteurs (Tab. 6.1). De plus, l’analyse pharmacologique consti-
tue un outil inestimable pour évaluer la contribution de ces différents systèmes
de neurotransmetteurs aux fonctions du cerveau.
Méthodes de liaison par utilisation de ligands. L’identification des systèmes
neuronaux commence par la caractérisation des neurotransmetteurs correspon-
dants. Cependant, vers 1970, en découvrant que de nombreuses drogues intera-
gissent sélectivement avec les récepteurs des neurotransmetteurs, les chercheurs
ont réalisé qu’ils pouvaient en premier lieu utiliser ces composés pour caractériser
aussi les récepteurs, avant même que le neurotransmetteur soit identifié. Solomon
Snyder, avec son étudiant Candace Pert, de l’Université Johns Hopkins, a été le
pionnier de cette approche en étudiant les récepteurs aux opïacés (Encadré 6.1).
Les opïacés représentent une vaste classe de produits largement utilisés en cli-
nique, mais qui font aussi l’objet d’un usage intensif par les toxicomanes. Leurs
effets permettent en particulier de soulager la douleur mais ces produits sont aussi
euphorisants et entraînent des constipations et des dépressions respiratoires.
148 1 – Bases cellulaires
ces chiffres permettent d’effectuer des calculs intéressants : s’il faut cinq sous-
unités pour former un récepteur GABAA fonctionnel et s’il existe un choix de
15 sous-unités, il y a donc 151 887 combinaisons de sous-unités possibles. Ceci
signifie qu’il y a potentiellement 151 887 récepteurs GABAA différents !
Il faut cependant savoir que la plupart des combinaisons de sous-unités
possibles ne sont jamais élaborées par les neurones et que, si cela était, elles ne
pourraient pas fonctionner correctement. Il est clair qu’une classification des
récepteurs comme celle du tableau 6.1, bien qu’utile, sous-estime considérable-
ment la diversité des sous-types de récepteurs présents dans le cerveau.
Organisation
anatomobiochimique
du système nerveux
Les neurotransmetteurs considérés aujourd’hui comme les plus importants
sont les acides aminés, les amines et les peptides. L’évolution est conservatrice et
opportuniste, et elle utilise souvent des choses banales et familières pour de nou-
veaux usages. Il semble que ce fait s’applique aussi à l’évolution des neurotrans-
metteurs. Ils sont en grande partie comparables aux substances chimiques qui
participent aux fondements de la vie, ces substances mêmes que les cellules de
toutes les espèces utilisent dans leur métabolisme, depuis les bactéries jusqu’aux
girafes. Les acides aminés, qui représentent les éléments de base de la structure
des protéines, sont nécessaires à la vie. La plus grande partie des molécules de
neurotransmetteurs connues à ce jour sont (1) soit des acides aminés, (2) soit
des amines dérivées des acides aminés, (3) soit encore des peptides formés à
partir des acides aminés. L’ACh est une exception : c’est un dérivé de l’acétyl
Co-enzyme A (acétyl CoA), un produit de la respiration cellulaire omniprésent
dans les mitochondries, et de la choline, qui joue un rôle important dans le méta-
bolisme lipidique du corps tout entier.
Les acides aminés et les amines neurotransmetteurs sont respectivement stoc-
kés dans et libérés par, des ensembles de neurones distincts. Selon la règle établie
par Henry Dale, connue comme le principe de Dale, les neurones sont classés en
populations, en fonction du neurotransmetteur qu’ils utilisent (cholinergique,
glutamatergique, GABAergique, etc.). Le principe de Dale énonce qu’un neurone
a une identité unique par rapport à un neurotransmetteur donné. Strictement
parlant, cependant, de nombreux neurones utilisant les peptides comme neu-
rotransmetteur ne respectent pas le principe de Dale car ils contiennent plus
d’un neurotransmetteur : un acide aminé ou une amine, et un neuropeptide.
Lorsque deux ou plus neurotransmetteurs sont libérés par une même termi-
naison nerveuse, ils sont dénommés cotransmetteurs1. De fait, au cours de ces
dernières années de nombreux neurones utilisant des cotransmetteurs ont été
identifiés, incluant ceux qui sécrètent deux neurotransmetteurs de petite taille
(comme le GABA et la glycine, par exemple). Toutefois, de nombreux neurones
ne paraissent libérer qu’un seul acide aminé et une seule amine jouant le rôle de
neurotransmetteur. Dans ce cas, cela permet de classer les neurones en catégories
distinctes, sans chevauchement possible. Ces neurones se distinguent par des
mécanismes biochimiques qui les caractérisent.
1. NdT : il est intéressant de souligner que les associations de neurotransmetteurs dans
les mêmes neurones paraissent respecter certaines règles, faisant que les coneurotransmet-
teurs les plus fréquemment associés avec d’autres sont incontestablement les neuropep-
tides, présents dans de très nombreux cas soit avec le GABA, soit avec des amines ou
encore avec d’autres neuropeptides (association peptide-peptide). En revanche, certaines
associations paraissent moins probables, comme celle des acides aminés avec les amines
dont les exemples sont très rares, même si des données récentes soulignent que des neu-
rones dopaminergiques pourraient libérer aussi du glutamate.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 151
Neurones cholinergiques
L’acétylcholine (ACh) est le neurotransmetteur de la jonction neuromuscu-
laire des vertébrés. Il est synthétisé par tous les neurones moteurs de la moelle
épinière. Les autres cellules cholinergiques contribuent aux fonctions de circuits
spécifiques, dans le système nerveux périphérique et dans le SNC, comme cela
sera évoqué dans le chapitre 15.
La synthèse de l’ACh nécessite la présence d’une enzyme spécifique, la cho-
line acétyltransférase (ChAT) (Fig. 6.10). Comme toutes les protéines présynap-
tiques, la ChAT est élaborée dans le soma, puis transportée jusqu’aux terminai-
sons axoniques par le transport axoplasmique. La ChAT ne se trouve que dans les
neurones cholinergiques et cette enzyme est donc un bon marqueur des cellules
utilisant l’ACh comme neurotransmetteur. L’immunocytochimie utilisant des
anticorps dirigés contre la ChAT peut être un bon moyen d’identifier les neu-
rones cholinergiques. La ChAT synthétise l’ACh dans le cytosol de la terminaison
axonique, puis le neurotransmetteur est concentré dans les vésicules synaptiques
grâce à l’action d’un transporteur d’ACh vésiculaire spécifique (Encadré 6.2).
La ChAT transfère le groupement acétyl de l’acétyl CoA à la choline
(Fig. 6.11a). La choline existe en faible concentration (micromolaire) dans le
milieu extracellulaire et elle est captée par les terminaisons axoniques grâce à un
transporteur membranaire spécifique impliquant un cotransport avec des ions
Na+ (voir Encadré 6.2). Étant donné que la quantité de choline disponible limite
la quantité d’ACh qui peut être synthétisée dans la terminaison axonique, le
transport de choline dans le neurone constitue une étape limitante de la synthèse
de l’ACh. Dans certaines pathologies comportant un déficit de la transmission
synaptique cholinergique, il est parfois prescrit un régime particulier à base de
choline, pour tenter de rétablir les niveaux d’ACh dans le cerveau.
Les neurones cholinergiques produisent aussi eux-mêmes l’enzyme de dégra-
dation de l’ACh, l’acétylcholinestérase (AChE). Cette enzyme est sécrétée dans
l’espace synaptique et se fixe sur les membranes de la terminaison axonique.
Cependant, l’AChE est aussi produite par quelques neurones non choliner-
giques ; elle ne constitue donc pas un marqueur aussi fiable des synapses choli-
nergiques que la ChAT.
Terminaison nerveuse
présynaptique
Transporteur
de choline
Transporteur
d’ACh ChAT Choline
ACh +
Acetyl CoA
Ach
ACh
Vésicule
Choline
AChE
ACh +
Acide acétique
Récepteurs de l’ACh
Élément post-synaptique
Figure A
Terminaison Transporteur Transporteur Terminaison
nerveuse neuronal neuronal de nerveuse
GABAergique du GABA glutamate 1 glutama-
tergique
Transporteur
2 Glu Transporteur
vésiculaire
GABA 2 vésiculaire
du GABA
de glutamate
GABA Glu
H+ H+
Membrane post-synaptique
la base d’un mécanisme de cotransport, dans le cas du médicaments vont agir sur l’action synaptique du neu-
GABA transportant 2 ions Na+ pour une molécule de rotransmetteur, qui pourra par exemple être ainsi pro-
neurotransmetteur. Au contraire, les transporteurs vési- longée. Dans le cas de la sérotonine, de la noradrénaline
culaires utilisent un contre-transport (antiport), qui ou de la dopamine, ceci se traduit par des effets sur
extrait une molécule de neurotransmetteur du cytosol l’humeur et le comportement. Mais l’étude des transpor-
pour la transférer dans la vésicule synaptique pour un teurs révèle aussi que certains dysfonctionnements des
ion H+ extrait de la vésicule. De fait, les membranes transporteurs pourraient rendre compte de troubles de
vésiculaires comportent des pompes à protons qui main- l’humeur ou des comportements, dans certains cas. Les
tiennent leur contenu à un pH très acide. médicaments les plus connus agissant selon ce principe
Quelle est alors la relation entre ces transporteurs et sont représentés par certains antidépresseurs, comme
les maladies ? De nombreuses drogues psychoactives, nous le verrons dans les chapitres 15 et 22. Toutefois,
telles que les amphétamines ou la cocaïne, sont des les relations entre neurotransmetteurs, médicaments,
bloqueurs puissants de certains de ces transports. En troubles de l’humeur et du comportement sont très com-
agissant sur ces transports pour les modifier, certains plexes et restent encore difficiles à établir avec précision.
O
O
CH3C
+ +
CoA HOCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 + CoA
Choline
Acétyl CoA + Choline acétyltransférase ACh
(ChAT)
(a)
O O
+ +
CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OH HOCH2CH2 N(CH3)3
Acétylcholinestérase
ACh Acide acétique + Choline
(b)
2. NdT : l’inhibition de l’AChE ne présente pas que des effets délétères. Chez les patients
souffrant de maladie d’Alzheimer, une démence très fréquente dont le premier facteur de
risque est l’âge, la déficience de la transmission cholinergique dans le SNC est rendue
responsable des troubles cognitifs et comportementaux dans les stades débutants et les
formes modérées de la maladie. L’utilisation de médicaments, développés dans les
années 1990 comme inhibiteurs de l’AChE, a alors pour effet de ralentir la dégradation
de l’ACh libérée et, partant, de contribuer à potentialiser la transmission cholinergique
centrale, avec des résultats satisfaisants.
154 1 – Bases cellulaires
HO Neurones catécholaminergiques
HO La tyrosine, un des acides aminés, est le précurseur de trois neurotransmet-
teurs aminergiques différents possédant en commun une structure chimique
(a) Noyau catéchol appelée noyau catéchol (Fig. 6.12a). Ces neurotransmetteurs sont collectivement
dénommés catécholamines. Ce sont la dopamine (DA), la noradrénaline (NA), et
l’adrénaline (Fig. 6.12b). Les neurones catécholaminergiques se trouvent situés
HO dans les régions du système nerveux impliquées dans la régulation du mouve-
ment, de l’humeur, de l’attention, et des fonctions végétatives, entre autres (voir
HO CH2CH2NH2
chapitre 15).
Tous les neurones catécholaminergiques contiennent la tyrosine hydroxy-
Dopamine (DA)
lase (TH), l’enzyme catalysant la première réaction de la biosynthèse des caté-
HO cholamines : la transformation de la tyrosine en un composé appelé DOPA
(L-dihydroxyphénylalanine) (Fig. 6.13a). L’activité de la TH est dite « limitante »
HO CHCH2NH2 de la biosynthèse des catécholamines. L’activité de l’enzyme est régulée par des
OH signaux variés survenant dans le cytoplasme de la terminaison axonique. Par
Noradrénaline (NA) exemple, une réduction de la libération des catécholamines par la terminaison
axonique entraîne une augmentation réactionnelle de la concentration des caté-
HO cholamines dans le cytosol, ce qui a pour effet d’inhiber l’activité de la TH. Ce
type de régulation est connu sous le nom d’inhibition par le produit de la réaction
HO CHCH2NHCH3 (end-product inhibition, en anglais). Par ailleurs, à l’inverse, lorsque les catécho-
lamines sont libérées dans l’espace synaptique à des taux élevés, l’augmentation
OH
Adrénaline
de [Ca2+]i qui accompagne la libération des neurotransmetteurs accroît l’activité
de la TH ; ainsi la production du neurotransmetteur est ajustée à la demande.
(b) Catécholamines
De plus, des périodes de stimulation prolongée des neurones catécholaminer-
Figure 6.12 – (a) Noyau catéchol et (b) caté- giques sont effectivement suivies d’une synthèse accrue des ARNm codant pour
cholamines. l’enzyme.
COOH
Tyrosine HO CH2CHNH2
Tyrosine
hydroxylase
(TH)
HO COOH
L-Dihydroxy-
(a) phénylalanine HO CH2CNH2
(DOPA)
DOPA
décarboxylase
HO
(b) Dopamine
(DA) HO CH2CH2NH2
Dopamine
β-hydroxylase
(DBH)
HO
Noradrénaline
(c)
(NA) HO CHCH2NH2
OH
Phentolamine
N-méthyltransférase
(PNMT)
HO
(d) Adrénaline
HO CHCH2NHCH3
Figure 6.13 – Biosynthèse des catéchola-
OH
mines à partir de la tyrosine.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 155
Neurones sérotoninergiques
La sérotonine est une monoamine appelée aussi 5-hydroxytryptamine ; en
abrégé : 5-HT. Elle est dérivée d’un acide aminé, le tryptophane. Il se trouve rela-
tivement peu de neurones sérotoninergiques dans le cerveau mais, comme cela
sera abordé dans la 3e partie de ce manuel, il semble qu’ils jouent un rôle tout à
fait déterminant dans les systèmes cérébraux qui régulent l’humeur, l’émotivité
ou encore le sommeil.
La synthèse de la sérotonine s’effectue en deux étapes, comme celle de la
dopamine (Fig. 6.14). Le tryptophane est d’abord transformé en un intermé-
diaire appelé 5-HTP (5-hydroxytryptophane) par l’enzyme tryptophane hydro
xylase. Le 5-HTP est alors converti en 5-HT par une autre enzyme, la 5-HTP-
décarboxylase. La synthèse de la sérotonine est limitée par la quantité de
tryptophane disponible dans le milieu extracellulaire baignant les neurones. La
source du tryptophane présent dans le cerveau est le sang, et la source du trypto-
phane présent dans le sang est l’alimentation (les céréales, la viande et le chocolat
sont particulièrement riches en tryptophane).
Après avoir été libérée par la terminaison axonique, la 5-HT est éliminée
de l’espace synaptique par un transporteur membranaire spécifique, situé sur
la terminaison nerveuse elle-même. Le processus de recaptage de la sérotonine,
comme celui des catécholamines, est sensible à certaines drogues. Par exemple,
plusieurs antidépresseurs, y compris la fluoxétine (commercialisée sous le nom
156 1 – Bases cellulaires
COOH
Tryptophane CH2CHNH2
N
Tryptophane
hydroxylase
COOH
5-hydroxytryptophane
(5-HTP) HO CH2CHNH2
N
5-HTP
décarboxylase
5-hydroxytryptamine HO CH2CH2NH2
(sérotonine, 5-HT)
N
3. NdT : les transporteurs vésiculaires des acides aminés excitateurs ont été clonés. Trois
sous-types de transporteurs, dénommés vGlut1, vGlut2, et vGlut3, présentent une distri-
+
GABA NH3CHCH2CH2COOH bution caractéristique dans le cerveau des mammifères, permettant de distinguer plu-
sieurs sous-populations de neurones glutamatergiques. Les anticorps dirigés contre ces
Figure 6.16 – Biosynthèse du GABA à partir transporteurs permettent un marquage fiable des neurones glutamatergiques par immu-
du glutamate. nocytochimie.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 157
Autres neurotransmetteurs
et messagers intercellulaires putatifs
En plus des acides aminés et des amines, quelques petites molécules pour-
raient jouer le rôle de messagers chimiques, entre les neurones. La recherche
se concentre actuellement sur l’adénosine triphosphate (ATP), une molécule-clé
du métabolisme cellulaire (voir Fig. 2.13), qui est aussi un neurotransmetteur.
L’ATP est concentré dans les vésicules de nombreuses synapses du SNC et du
système nerveux périphérique et il est libéré dans l’espace synaptique dans un
processus dépendant du Ca2+, tout comme n’importe quel autre neurotransmet-
teur. L’ATP est souvent présent dans des vésicules synaptiques où il coexiste avec
un autre neurotransmetteur. Par exemple, les vésicules synaptiques contenant
des catécholamines peuvent contenir jusqu’à 100 mM d’ATP, ce qui est tout à
fait considérable, en plus des 400 mM des catécholamines elles-mêmes. Dans
ce cas, on peut considérer que les catécholamines et l’ATP sont des cotrans-
metteurs. L’ATP est également un cotransmetteur avec le GABA, le glutamate,
l’ACh et divers neuropeptides dans des populations de neurones particulières.
L’ATP excite directement les neurones en activant un canal pour les cations.
En ce sens, il est possible de dire que le rôle de neurotransmetteur de l’ATP est, en
partie, semblable à celui du glutamate et de l’ACh. L’ATP agit au travers d’une
classe de récepteurs qualifiés de récepteurs purinergiques, dont certains sont des
récepteurs-canaux. De nombreux autres récepteurs purinergiques appartiennent
à la classe des récepteurs couplés aux protéines G. Après sa sécrétion dans l’es-
pace synaptique, l’ATP est dégradé par des enzymes extracellulaires, conduisant
à la production d’adénosine. L’adénosine elle-même n’est pas assimilable direc-
tement à un neurotransmetteur, n’étant pas présente dans des vésicules synap-
tiques, mais elle conduit à la stimulation de plusieurs sous-types de récepteurs
spécifiques.
L’une des découvertes les plus intéressantes de ces dernières années sur les
neurotransmetteurs porte sur de petites molécules lipidiques, dénommées endo-
cannabinoïdes, pour cannabinoïdes endogènes. Ces molécules présentent la par-
ticularité d’être libérées par l’élément post-synaptique et d’agir sur l’élément
présynaptique après diffusion (Encadré 6.3). La communication qui en résulte,
de l’élément post-synaptique vers la terminaison présynaptique, est qualifiée de
signalisation rétrograde. Par conséquent, les endocannabinoïdes représentent
des messagers rétrogrades. Les messagers rétrogrades sont considérés comme
véhiculant une information « en retour », après le franchissement du message
4. NdT : à ce jour, 5 sous-types de transporteurs des acides aminés excitateurs ont été
clonés. Les deux transporteurs principaux, dénommés EAAT1 et EAAT2 pour Excitatory
Amino Acid Transporter, sont situés sur les astrocytes et contribuent majoritairement à
l’élimination rapide du glutamate synaptique. Les autres transporteurs sont neuronaux.
Parmi ces trois derniers, le transporteur EAAT3 — encore nommé EAAC1 pour
Excitatory Amino Acid Carrier-1 — est le plus abondant et présente la particularité d’être
situé sur l’élément post-synaptique. L’une des avancées majeures dans le domaine des
transporteurs des acides aminés excitateurs concerne la mise en évidence de mécanismes
régulateurs de leur activité susceptibles d’ajuster finement la recapture du glutamate à
l’activité neuronale.
158 1 – Bases cellulaires
Encadré 6.3 FOCUS
lement impliqués dans les mécanismes des nausées, heureusement des effets secondaires. Le potentiel théra-
l’analgésie, la relaxation musculaire, le traitement des peutique des cannabinoïdes n’a pas encore été exploré
crises d’épilepsie ou encore la réduction de la pression totalement et de nombreuses avancées sont encore
intra-oculaire dans le glaucome. Un antagoniste des possibles, à la condition de pouvoir conserver les effets
endocannabinoïdes a ainsi été récemment testé comme thérapeutiques sans que cela puisse avoir des effets
médicament suppresseur d’appétit, mais il présente mal- psychoactifs ou d’autres types d’effets secondaires.
Terminaison
présynaptique
Récepteur
CB1
Vésicules
Canal Protéine G
calcique
Récepteurs Canal
des neurotransmetteurs calcique
Ca2+ Ca2+
Terminaison
post-synaptique
Enzyme
O
HO
NH
Récepteurs-canaux
Le chapitre 5 a montré que l’ACh et les acides aminés jouant le rôle de
eurotransmetteur servent de médiateurs dans la transmission synaptique
n
rapide, en agissant sur les canaux ioniques. Ces canaux sont en tous points
remarquables. Ainsi apparaît-il qu’un simple canal peut détecter des substances
chimiques spécifiques et qu’il peut être sensible à des variations du potentiel
de membrane. Il peut aussi réguler, avec une très grande précision, le flux de
courants étonnamment grands, il peut filtrer et sélectionner des ions très sem-
blables et son action peut être régulée par d’autres types de récepteurs. Pourtant,
chaque canal mesurant à peine 11 nm de long est à peine visible par l’utilisation
des meilleures méthodes actuelles de la microscopie électronique.
γ
α α
δ β
M1 M3
(a)
M2 Figure 6.18 – Arrangement des sous-unités
constituant le récepteur cholinergique nico-
Sites de liaison de l’ACh tinique.
(a) Vue en coupe du récepteur, avec un agran-
γ dissement montrant comment les quatre
α
α hélices α de chacune des sous-unités sont
assemblées entre elles. (b) Vue de dessus
δ β
montrant la position relative des deux sites de
(b) liaison de l’ACh.
5. NdT : une autre différence entre récepteurs nicotiniques est liée au fait qu’il existe de
nombreuses isoformes des sous-unités formant les récepteurs, en particulier α, β, et γ. Il existe
une régionalisation de l’expression des différentes sous unités dans le SNC, faisant que les
propriétés structurales des différents récepteurs nicotiniques diffèrent selon les structures
cérébrales. Ainsi les sous-unités composant les récepteurs nicotiniques de la jonction neuro-
musculaire et du SNC sont-elles différentes. Ces différences structurales traduisent des pro-
priétés fonctionnelles quelque peu spécifiques, selon les sous-types de récepteurs nicotiniques
considérés. Un intérêt tout particulier est apporté aujourd’hui au sous-type α7, qui est pré-
férentiellement exprimé dans les régions cérébrales impliquées dans les processus cognitifs.
162 1 – Bases cellulaires
Bien que chaque sous-unité présente une structure primaire différente, il existe
des parties de la molécule dans lesquelles les diverses chaînes polypeptidiques
présentent une séquence d’acides aminés similaire. Ainsi, chaque sous-unité pos-
sède quatre segments séparés ayant une structure en hélice α (voir figure 6.18a).
Comme les acides aminés composant ces segments sont principalement hydro-
phobes, ces quatre hélices α sont supposées occuper une position la plus com-
patible possible avec une interaction privilégiée avec les lipides membranaires,
c’est-à-dire une position transmembranaire, de façon similaire aux boucles qui
forment les pores des canaux sodiques et potassiques (voir chapitres 3 et 4).
Les structures primaires des sous-unités de nombreux récepteurs-canaux sont
maintenant connues et il y a des analogies évidentes entre elles (Fig. 6.19). Les
quatre segments hydrophobes qui traversent la membrane sont présents dans
chaque sous-unité et ils occupent à peu près la même position dans la protéine, que
ce soit dans le cas du récepteur cholinergique nicotinique, du récepteur GABAA
ou encore du récepteur de la glycine. La plupart des récepteurs-canaux sont vrai-
semblablement des complexes pentamériques, de façon tout à fait similaire à ce qui
est connu pour le récepteur cholinergique nicotinique. Néanmoins, les récepteurs
canaux du glutamate constituent une exception. Ces récepteurs étant des tétra-
mères, quatre sous-unités sont suffisantes pour former un canal fonctionnel. Il
est par ailleurs vraisemblable que le segment transmembranaire M2 des sous-uni-
tés qui forment les récepteurs ne traverse pas entièrement la membrane mais
représente plutôt une boucle qui entre et ressort à partir de la partie interne de la
membrane (Fig. 6.19c). La structure des récepteurs glutamatergique ressemble en
fait à celle du canal potassique (voir Fig. 3.17). Ceci a conduit à émettre l’hypothèse
quelque peu surprenante que les récepteurs du glutamate et les canaux potassiques
auraient pu évoluer à partir d’un même canal ionique représentant un ancêtre
commun. Les récepteurs purinergiques (de l’ATP) présentent aussi des structures
atypiques. Dans ce cas, chaque sous-unité n’a que deux segments transmembra-
naires et 3 sous-unités seulement pourraient constituer un canal fonctionnel.
Plus que les analogies, ce sont les variations dans la structure de ces récep-
teurs-canaux qui sont intéressantes : différents sites de liaison des neurotransmet-
teurs font qu’un canal répond au glutamate, tandis qu’un autre répond au GABA ;
par ailleurs, la présence de certains acides aminés situés au voisinage du pore font
que celui-ci laisse seulement passer les ions Na+ et K+, qu’un autre sera plus per-
méable aux ions Ca2+ et qu’un autre encore sera seulement perméable aux ions Cl–.
6. NdT : un autre paramètre détermine aussi l’efficacité de la signalisation impliquant ces
récepteurs-canaux, au plan de la cinétique d’activation : la probabilité d’ouverture du
canal, facilitée par des agents agissant de concert avec le neurotransmetteur comme par
exemple des substances endogènes ou d’origine pharmacologique qualifiées de « modu-
lateurs allostériques » qui augmentent la fréquence d’ouverture du canal ; telle l’action
des benzodiazépines sur le récepteur GABAA, comme on le verra ci-après.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 163
M1 M2 M3 M4 Récepteur Sous-unité
ACh α
GABAA α1
GABAA β1
GABAA γ2
Gly α
Gly β
Kainate Gluk1
Kainate Gluk2
Enregistrement
Molécules
de glutamate de Vm
Ca2+ Ca2+
Na+ Na+
Na+ Na+ Na+
PPSE
Vm
– 65 mV
K+ K+ K+ K+ K+
Récepteur Récepteur 0 2 4 6 8
(b) NMDA AMPA (c) Temps à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)
7. NdT : les données de la biologie moléculaire suggèrent également une diversité des
récepteurs-canaux des acides aminés excitateurs et des récepteurs AMPA en particulier.
Parmi les sous-unités composant ces récepteurs, la sous-unité nommée GluR2 contrôle
en fait la conductance calcique : sa présence contribue à rendre le canal moins perméable
au calcium.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 165
Encadré 6.4 FOCUS