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ECOLE DOCTORALE 588

THESE POUR L’OBTENTION DU DOCTORAT EN HISTOIRE

LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE :


Devenir acteur de décolonisation (1931-1994)

Présentée par Mme Marie–Héléna LAUMUNO

Préparée sous la direction de M. Jean-Pierre SAINTON, Professeur, 22e section


(Université des Antilles)

Jury :
MMes BLERALD Monique, Professeur, 73e section (Université de Guyane)
MULOT Stéphanie, Professeur, 19e section (Université de Toulouse)
HIDAIR-KRIVSKY Isabelle, MCF HDR, 20e section (Université de Guyane)
MM. ANAKESA KUKULULA Apollinaire, Professeur, 18e section (Université des Antilles)
MOOMOU Jean, Maître de Conférences, 22e section (Université des Antilles)

Soutenue le 12 Décembre 2019 - Campus du Camp-Jacob


LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

DÉDICACE

A toi Mandoudou, ma mère-grand-mère (1907-1995)


Tant de prières aux défunts
Tant de véyé racontées
Ta lumière illumine ma vie !

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

REMERCIEMENTS

Ce long chemin parcouru durant 4 années vers la conclusion de cette étude ne serait pas
possible sans mon directeur de thèse, Mr Jean-Pierre SAINTON qui a su m’accorder sa
confiance et n’a jamais hésité à me recevoir au besoin et fréquemment dans son espace
privé. Je lui dois en particulier les conseils méthodologiques et tactiques qui ont facilité
l’avancée de mes travaux.

Ma gratitude va ensuite vers tous ces « gens du gwoka » qui m’ont accordé volontiers
des entretiens, à tous ceux qui m’ont introduite auprès d’acteurs inédits, ceux que l’on
ne soupçonne pas et qui ont tant à raconter. J’ai une pensée particulière pour Man Soso,
ma première interlocutrice, en vie, quand la présente thèse est sortie de terre et qui n’est
plus pour la tenir entre les mains, autant qu’elle l’a fait pour mes travaux précédents.

Que tous ceux qui, comme elles ont quitté ce monde en nous laissant comme source
unique leur expérience personnelle soient ici remerciés pour leur précieux trésor.
Les disques, articles, tracts, photographies et films viennent de tous ceux qui ont
compris qu’en ouvrant leur collection à l’Autre, ils participaient à l’écriture d’une
histoire trop longtemps enfouie.
Je dois toute ma reconnaissance à mon professeur de musique, Gérard GROS et
consultant en musicologie. Grâce à lui, l’analyse sonore des œuvres musicales fût
possible.
Enfin, sans le soutien quotidien de ma famille comment aurais-je pu travailler jour et
nuit pour accomplir cette tâche combien enrichissante mais si laborieuse ?
Merci à tous !

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

SOMMAIRE

Introduction générale ........................................................................................................................... 13

PARTIE 1 : APPROCHES CONCEPTUELLES, THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES


D’UNE ETUDE PIONNIÈRE

Introduction……………………………………………………………………………. 23

Chapitre 1 : Les pratiques culturelles négro-africaines aux tambours depuis la


colonisation esclavagiste ................................................................................. 29

Chapitre 2 : Notre étude : dans le champ de la culture .......................................... 73

Chapitre 3 : A la recherche des gens du gwoka : matériaux et méthodes ............. 109

PARTIE 2 : L’ACTEUR DU GWOKA DANS UNE PRATIQUE SACRÉE (1931-1969)

Introduction ....................................................................................................................................... 147

Chapitre 4 : Des femmes et des hommes : profil, rôle, image ........................................................... 149

Chapitre 5 : Une communauté de partage : les zanfan-lanklo .......................................................... 183

Chapitre 6 : Le gwoka des zanfan-lanklo, une pratique musicale plutôt entre profane et
sacrée………………………………………………………………………………………………219

PARTIE 3 : POUR UN GWOKA CIVIQUE : LA NAISSANCE D’UN AUTRE TYPE D’ACTEUR


(1970-1994)

Introduction ....................................................................................................................................... 300

Chapitre 7 : Des actrices et acteurs d’un autre profil ? ...................................................................... 304

Chapitre 8 : Un contexte de crise favorable au civisme..................................................................... 358

Chapitre 9 : « L’acteur civique » à l’œuvre : ..................................................................................... 388

Conclusion générale ................................................................................................... 450

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

SIGLES DE L’ÉTUDE

ADG : Archives Départementales de la Guadeloupe


MPGI : Mouvement Populaire pour une Guadeloupe
AFDERS : Association française pour le développement
Indépendante
de l'enregistrement et de la reproduction sonore.

AGEG : Association générale des étudiants de PCG : Parti Communiste Guadeloupéen


la Guadeloupe
UGTG : Union Générale des Travailleurs de la
AGTAG : Association Générale des Travailleurs Guadeloupe
Antillo-Guyanais
UNEEG : Union Nationale des Elèves et Etudiants
Guadeloupéens
ANOM : Archives nationales des Outre-Mer
ARC : Alliance Révolutionnaire Caraïbe
UPG : Union des Paysans de la Guadeloupe
BIJENGWA : Bik a Jennès Gwadloup (lieu ou
rassemblement de la Jeunesse de Guadeloupe) UPLG : Union Populaire pour la Libération de la
Guadeloupe
BUMIDOM : Bureau pour le Développement des
Migrations dans les Départements d'Outre-mer UTA : Union des Travailleurs Agricoles

CASC : Comité d’Animation Sportive et culturelle de UTEG : Union des Travailleurs émigrés
Sainte Anne
SGEG : Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe
FAG : Front Antillo-guyanais

GKM : Gwoka modèn

GLA : Groupe de Libération Armée

GONG : Groupe d’Organisation Nationale de la


Guadeloupe

LAMECA : La Médiathèque Caraïbe

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Table des figures1

Partie 1
Figure 1 : Représentation iconographique des danses des Noirs : Peinture, dessin, photographie
(XVIIIè -XIXè)
Figure 2 : Photographie d‘une bamboula, 1903, Edition Phos.
Figure 3 : Photographie des tanbou de la Guadeloupe : djembéka, tanbou-ka, tanbou-a-mas
Figure 4 : Partition de propositions d’écriture musicale des « phrasés rythmiques » du gwoka
Figure 5 : Grille du gwoka, un langage commun référentiel ?
Figure 6 : Partition des emprunts mélodiques et rythmiques : quelques exemples
Figure 7 : Tableau d’une pratique ouverte des musiques dites traditionnelles
Figure 8 : Schéma des formes de décolonisation française à la décolonisation culturelle
Figure 9 : Photographie de Marcel Lollia dit Vélo, tanbouyé (1931-1984)
Figure 10 : Photographie de Ti-Papa, joueur de tam-tam, fin des années 1920, Collection Edgar Littée,
Label Phos.

Partie 2
Figure 11 : Photographies de 2 acteurs du gwoka peu médiatisés
Figure 12 : Trois critères de différenciation des acteurs : ancienneté, naissance, sexe (doc 1, 2, 3)
Figure 13 : Origine des patronymes des acteurs du gwoka nés ente 1890s et 1950s
Figure 14 : Environnement des acteurs : secteur rural, ville
Figure 15 : Schéma cartographique des communes de naissance et de référence
Figure 16 : : Coupure de presse, dessin d’un tanbouyé, Revue Guadeloupéenne, 1944-1962
Figure 17 : Carte de naissances des acteurs du gwoka (1931-1969)
Figure 18 : Carte des usines de la Guadeloupe durant les années 1950, Christian Schnakenbourg
Figure 19 : Photographies de quelques singularités du gwoka
Figure 20 : Une entrée précoce dans la vie active : quelques exemples
Figure 21 : Graphique des occupations professionnelles
Figure 22 : Tableau du métier en héritage
Figure 23 : Schéma de la cour, lieu de vie
Figure 24 : Pochettes d’albums et schémas de composition : Trois exemples
Figure 25 : Photographie des pochettes d’albums : L’image des chantè
Figure 26 : Tanbouyé opérationnels en Guadeloupe, années 1960

Figure 27 : Calendrier hebdomadaire et annuel des rites festifs du gwoka

Figure 28 : Rôle principal des acteurs

1
Les figures de la partie technique (partie I, chapitre 3, C2, pages 131 à 144) ne sont pas indiquées.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 29 : Extrait d’une chanson, « Zombi baré moin », 1966


Figure 30 : Coupure de presse, Carnaval à Pointe-à-Pitre, 1966 et 1969
Figure 31 : Tournée de quelques troupes de danses en Guadeloupe- années 1960
Figure 32 : Illustrations diverses : L’image des femmes, 1964, 1968 (doc. 1 et 2)
Figure 33 : Photographie d’un chanteur à Paris, 1937
Figure 34 : Photographie d’un album gwoka, Paris, 1939
Figure 35 : Schéma théorique du gwoka profano-sacré

Partie 3
Figure 36 : Coupure de presse, Obsèques aux tanbou, Pointe-à-Pitre,1977
Figure 37 : Temps de pratique des doyens du gwoka
Figure 38 : Graphique des âges des nouveaux acteurs
Figure 39 : Photographies pochettes d’albums gwoka, Paris, 1978 et 1981
Figure 40 : Carte des communes de référence des acteurs
Figure 41 : Graphique des occupations professionnelles (1969-1994)

Figure 42 : Graphique de la répartition des rôles par sexe (1969-94)


Figure 43 : Tableau de la transmission familiale
Figure 44 : Pochettes d’albums illustrées aux couleurs du rastafarisme, 1978-1992
Figure 45 : Photographies de Marie-Céline Lafontaine et Jacqueline Cachemire
Figure 46 : Photographies de pochettes d’albums illustrant la fanm-tanbouyé
Figure 47 : Tableau de répartition des rôles des femmes et des hommes au sein des orchestres gwoka
Figure 48 : Peinture sur papier d’un tanbouyé, Michelle Chomereau-Lamotte, 1985 (vol. 1 et 2)
Figure 49 : Carte du léwòz ka Fanm, Jabrun Baie-Mahault, 1993
Figure 50 : Photographies des grandes figures du gwoka au Festival Emile Laposte, Martinique, 21juin
1975.
Figure 51 : Photographie de Robert Loyson (1928-1989)
Figure 52 : Calendrier renouvelé des rencontres festives aux tambours

Figure 53 : Photographie de Gérard Lockel et de Casimir Létang dit Kazo


Figure 54 : Schéma des réseaux de Lockel et de Casimir Létang : Quelques croisements
Figure 55 : Tableau des chansons de sauvegarde du gwoka : quelques exemples
Figure 56 : Guy Conquet, de la Martinique à l’Europe, 1975-1993 (photos 1 et 2)
Figure 57 : Le gwoka moderne à la Conférence de Bonneveine, Anse-Bertrand, 1985
Figure 58 : Photographie de la troupe Banza en spectacle en France, novembre 1989
Figure 59 : Les dernières photos de Marcel Lollia dit Vélo : concert, funérailles, 1979-1984
Figure 60 : Page du journal Guadeloupe 2000, Juin 1984.
Figure 61 : Illustrations dédiées de Marcel Lollia dit Vélo, 1993 (pochettes albums)
Figure 62 : Chronologie de l’action culturelle par les gens du gwoka (1931-1994)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

GUIDE DE LECTURE DU CRÉOLE


GUADELOUPÉEN (à partir du lexique de l’étude)

Quelques graphèmes du créole Exemples Traduction française


guadeloupéen
ann kann Canne à sucre
anm fanm Femme
é mé Mai
è lagè, gè Guerre, guère
i lari, rimé Rue, bouger, danser
en sendika, biten, Lapwent Syndicat, chose, Pointe-à-Pitre
in lizin Usine
ò léwòz, métropòl Léwòz (terme musical), métropole
onn yonn Un
onm nonm Homme
u lannuit Nuit
ng zingzing Libellule
k ka, kontè, kòd, kongo Ka (terme musical), conteur, corde,
kongo
ky kyè Cœur, courage
s sèl, mas, masyé Sel, seul, masque, se déguiser
y yenki, way, péyi Uniquement, aie, pays, tanbouyé,
chachayè
w woulé, waché, lawonn Woulé ( terme musical), battre des
mains, cercle
z mizè Misère

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

INTRODUCTION GENERALE

« Dans ces maisons obscures, dont les façades ne trahissent rien de ce qu’elles recèlent, combien d’obscurs,
qu’on ne connaîtra jamais, et qui pourtant sont là tout près ! Là-haut, sous les toits, cette petite lumière éclairant une
mansarde, quelle humble existence s’y cache ? Celui qui habite là, que fait-il ? Est-ce un heureux, est-ce un résigné ? ou
bien quelqu’un à qui la vie pèse trop lourd ? »
Alfred Amédée Masson-Forestier, écrivain français (1952-1912), Histoire
des petites gens, Revue des Deux mondes, 1894, (réédition juillet 2009)

1. Notre parcours et notre quête personnelle

Ce travail de recherche découle d’une quête personnelle en tant qu’actrice du gwoka, d’abord
dans la pratique, à laquelle vient progressivement s’ajouter la Recherche. En effet, mon implication
dans cette pratique culturelle chantée, dansée aux tambours et désignée par gwoka, répond à la quête
d’une maîtrise. C’est un parcours qui relève de la logique imprégnation-transmission. Celle-ci
intervient à deux reprises. D’abord pour la danse puis pour le chant. L’imprégnation s’est produite
pour la danse à l’extérieur de la cellule familiale et la transmission fut encadrée à l’occasion de
ballets de scène et au sein d’écoles du soir.
C’est par suivisme que j’accède au chant. La famille y joue un rôle majeur. Les chanteurs des
léwòz associatifs du nord Basse-Terre et de la région des Grands-Fonds Ste Anne créent par la suite
l’envie. Toutefois l’exercice du chant léwòz se fait progressivement dans des lieux de confiance
comme le Jabrun de Man Soso2. Intégrant progressivement le réseau gwoka, les sollicitations de
scène s’accélèrent. Etre fanm-répondè sur scène ou dans les enregistrements discographiques aux
côtés d’acteurs confirmés comme Luc-Hubert Séjor, Marie-Line Dahomay, Akiyo, Guy Conquet,
Jomimi, Kimbòl, Kannida, Fanmkika, aiguisent l’appétit. Voyager pour chanter son territoire en
Martinique, en Haïti, à Montréal, à Paris, au Bénin, aide à l’affirmation de soi dans une esthétique
et une gestuelle propre de fanm-chantè. En 2007, un deuxième léwòz de femmes est organisé chez
Man Soso. Ce léwòz avait pour but de redynamiser Jabrun et de donner à des femmes inédites un
lieu d’expression. Car, l’image que le gwoka renvoyait encore était celle d’une pratique hyper-
masculine. La naissance du groupe féminin Fanmkika au sein duquel j’exerce régulièrement le
chant et ponctuellement la danse, me conforte dans la pratique du gwoka comme fanm-dansè et
fanm-chantè. Les retours des concerts privés ou publics en Guadeloupe de même que l’admiration

2
Nom que nous attribuons à une des lieux mythiques du gwoka en Guadeloupe située dans la section de Jabrun dans la commune de
Baie-Mahault et créée par Man Soso alias Bach Athanaïse épouse Dino et dont ce lieu mythique a fait une grande figure du gwoka.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

suscitée par les voyages culturels contribuent à atténuer progressivement l’idée de l’hypo-féminité
du gwoka. Ce parcours pratique s’enrichit d’une autre expérience, théorique cette fois, celle de la
Recherche prolongée par la publication en 2011, 2012 et 20133. Deux pôles interagissent.
L’expérience de la Recherche débute alors en 1996 et se poursuit aujourd’hui par la présente thèse.
C’est au cours de l’année 2015 que débute la préparation de cette thèse car une grande
interrogation m’ habite : Le gwoka est-ce un amusement ? Elle est motivée par les comportements et
discours proférés au cours du projet d’inscription du gwoka au Patrimoine Culturel Immatériel porté
par l’UNESCO. Le projet abouti le 26 novembre 2014 mais il a divisé les acteurs. En tant que
responsable de la cellule définition-identification pour le Lyannaj Pou gwoka, préparateur du dossier
de septembre 2010 à mars 2011, je fûs directement confrontée aux tensions, amertumes et
indispositions suscitées par l’idée même de l’inscription. Les propos me sont parvenus comme le porte-
parole du rapport que les acteurs du gwoka entretiennent avec cette pratique. Mais qui sont ces gens ?
Que leur apporte le gwoka ? La volonté de protéger individuellement le gwoka par un grand nombre
de Guadeloupéens, connus et inédits, s’est révélée par cet évènement. La crainte des risques encourus
par l’inscription, opposée aux ouvertures protectrices de la pratique, a créé une fracture au sein du
réseau. Fort heureusement, le gwoka ne se pratique jamais seul et la nécessaire collaboration des
acteurs a dissipé la fracture dès l’accomplissement de l’inscription. Car les manifestations gwoka sont
en effet des lieux de rencontre de femmes et d’hommes tanbouyé, dansè, chantè, répondè, chachayè,
autres instrumentistes. Toutefois, une innovation musicale ou administrative peut, en un clin d’œil,
perturber le réseau.
Alors, ma grande interrogation se transforme en hypothèse pour la présente recherche : Le gwoka
n’est pas un amusement pour ceux qui le pratiquent. S’il n’est pas musique à leurs yeux, il convient
d’en proposer une définition en envisagent d’autres clés de lecture.

2. Sujet de l’étude

Intitulée « Les gens du gwoka en Guadeloupe de 1931 à 1994 » cette étude vise à présenter le
gwoka de l’intérieur. Antérieurement à la période retenue, il est décrit par des yeux étrangers c’est-à-
dire par ceux qui ne le vivent pas, le jugent et le présentent comme un amusement ou un désordre

3
Laumuno Marie-Héléna, Chansons et politique en Guadeloupe (1960-2003), Mémoire de Master en sciences humaines et sociales,
mention histoire de l’art, spécialité constructions identitaires, Université de Franche-Comté, 2010, (dir. Catherine Vuillermot)
--------------------------------, Gwoka et politique en Guadeloupe, 1960-2003, 40 ans de construction du « pays », L’Harmattan, 2011.
-------------------------------, Et le gwoka s’est enraciné en Guadeloupe, Chronologie d’un patrimoine culturel immatériel sensible,
Nestor, 2012.
------------------------------, Man Soso, une histoire du gwoka en Guadeloupe au XXè siècle, Jasor, 2013.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

social et par conséquent, ses acteurs, comme des amuseurs et des marginaux. C’est par les yeux de ces
acteurs que le gwoka est ici appréhendé. Il s’agit d’une nouvelle entrée. Ces gens sont ainsi réhabilités
comme acteurs de l’histoire. Ce sont nos petites gens de Guadeloupe. Ce travail fait suite à des études
d’acteurs individuels que d’autres spécialistes. Nous évoquons, à ce propos, l’étude en créolistique
entreprise par Maéva Augusty autour des voies et moyens de l’affirmation culturelle pour trois acteurs
du gwoka4. Il s’agit du tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo (1931-1984), les chanteurs Guy Conquet
(1946-2012) et Lukuber Séjor né en 1948. Ces études se limitent à quelques acteurs, les plus connus.
D’autres demeurent dans l’ombre.
Notre investigation fait suite à celle que nous avons menée à propos d’une danseuse-chanteuse et
organisatrice de léwòz5 Athanaïse Bach dite Solange et Man Soso (1918-2017)6. Elle nous a appris à
repérer les acteurs par leur place. Elle réunit en une même personne les deux types d’acteurs sur
lesquels nous travaillons. C’est d’une part l’acteur central, porteur direct des langages esthétiques du
gwoka (chant, danse, musique) et d’autre part l’acteur périphérique, y apportant sa contribution selon
ses compétences. Certains de nos acteurs cumulent les deux mais d’autres n’occupent qu’une place.
L’étude porte sur un ensemble de personnes qui se recoupent en catégories en fonction de leurs
rôles respectifs, de leur génération ou de leurs oeuvres. Et, si tous les acteurs ne sont pas décrits, ils
sont tous représentés par un groupe auquel ils pourraient appartenir. C’est une approche de groupe
qui donne accès de manière indirecte à l’ensemble des acteurs. Le sujet abordé suppose le
développement des formes littéraires de la présentation d’acteurs comme la biographie ou le portrait.
Par ailleurs, le récit anecdotique se révèle parfois nécessaire pour éclairer une idée mais aussi pour
rapporter des émotions et rendre ainsi à ces acteurs leur essence humaine, quand bien même qu’ils
constituent un objet de recherche.
3. Temps et espace
Notre thèse couvre un temps court de 1931 à 1994 soit 63 ans. Pour l’histoire de la colonisation, la
période débute par la célébration du rattachement des colonies à la France. C’est d’abord, en 1930,
celle du Centenaire de l’Algérie française puis, pour les Antilles et la Guyane, celle, en 1935 du
Tricentenaire du rattachement des Antilles et de la Guyane. Dix ans plus tard, ces colonies connaissent
une décolonisation inédite dans la forme que le rapport Guernut en 1930 avait recommandée :
« intégration pleine et entière des colonies françaises des Caraïbes au sein de la Grande Patrie

4
Maëva Maddijah Augusty, Une vison de l’affirmation culturelle guadeloupéenne, Aux travers des figures de Vélo, Konkèt et
Lukuber, Mémoire de Master 2, Créolistique et Marche des Langues, Université des Antilles, 2016 ( dir. Gerry L’étang).
5
Désigne ici une réunion nocturne en musique, chant et danse aux tambours.

6
Marie-Héléna Laumuno, Man Soso, une histoire du gwoka au XXè siècle, Editions Jasor, Guadeloupe, 2013.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

française 7». Celle-ci s’effectue en 1946, dans l’enthousiasme des ex-colonisés, balayé dix ans à peine
après la loi du 19 mars 1946, par les déceptions. En effet, à partir de 1958, l’enthousiasme de cette
décolonisation administrative fait place au mécontentement face à un développement économique et
un progrès social qui tardent à venir. Et le mécontentement se manifeste par la revendication d’une
vraie décolonisation, politique cette fois, à partir des années 1970. La revendication s’étiole au cours
des premières années 1990. Les plus virulents défenseurs de la décolonisation politique se muent en
défenseurs de la cause noire8. Ainsi, la décolonisation est un fait déterminant pour cette étude mais
elle est envisagée dans sa dimension culturelle c’est-à-dire comme un acte destiné à corriger les
représentations des pratiques, des objets, des hommes, des femmes… construites par le système
colonial.
Cette approche de l’histoire du gwoka par les acteurs fixe aussi nos bornes chronologiques à celles
du tanbouyé le mieux reconnu de la Guadeloupe, Marcel Lollia dit Vélo, de sa durée de vie de 1931 à
1984 et aux premières années de l’affirmation de sa mémoire de 1984 à 1994. Lorsqu’il naît, certains
acteurs sont déjà opérationnels. Ce sont ses aînés. Lorsqu’il meurt en 1984, d’autres sont encore
enfants. Mais tous sont ses contemporains. Ils constituent notre objet d’étude. Ces acteurs exercent
cette pratique circonscrite à une petite communauté dans un premier temps, avant de s’ouvrir à d’autres
arrivants, parfois inattendus, et motivés pour la plupart par la décolonisation qu’ils jugent ratée.
L’espace considéré est la Guadeloupe. Pour les besoins de la thèse, le cadre spatial est à la fois
réduit à quelques îles de la Guadeloupe et élargi à la France hexagonale. En effet, à l’échelle de la
Guadeloupe, l’archipel de 8 îles est réduit aux 6 les plus proches. En revanche, au cours des années
1930, le rapport Guernut signale une tendance à l’émigration en France métropolitaine provoquée par
la misère économique et morale. Cette misère est accentuée par les dégats de la catastrophe cyclonique
de 1928. Et au cours des années 1960, l’émigration sporadique fait place à l’émigration de masse
encouragée par l’Etat et par les études supérieures. Le territoire du gwoka s’en trouve ainsi prolongé à
la France hexagonale et singulièrement à Paris.

4. Positionnement épistémologique

L’histoire constitue la discipline majeure de notre étude. Elle guide notre problématique et dicte
la recherche des grands tournants de la période retenue. Elle joue de l’uniformité des acteurs tantôt en
regroupant les hommes et les femmes, tantôt en les distinguant et montre ainsi que le gwoka ne peut

7
Nelly Schmidt, La France a-t-elle aboli l’esclavage ? Guadeloupe-Martinique-Guyane,1830-1935, Perrin, Paris, 2009, page 263.
8
L’ASDNP, Association pour la sauvegarde des droits nationaux des Peuples de Guadeloupe, Guyane, Martinique naît à Paris le 23
janvier 1992. Cette association précède le CIPN, Comité International des Peuples Noirs, crée en 1993.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

s’affranchir ni des questions de diversité ni des questions de genre. Dans le cadre de la présente étude,
l’histoire étudie, par ailleurs, le parcours des acteurs. Elle inscrit leur œuvre dans les grands débats et
faits historiques majeurs de leur temps comme en Guadeloupe, les mutations de l’économie sucrière
au milieu des années 1960 ou encore l’affirmation des nationalismes à partir des années 1970. Car le
contexte historique détermine leur perception du gwoka. Par ailleurs, l’étude focalise sur les acteurs
d’une pratique locale mais elle s’inscrit dans un fait historique qui marque le monde, la décolonisation.
Elle tend à œuvrer à l’ouverture du local sur le monde et s’enrichit de la sorte par le changement
d’échelles.
En revanche, d’autres sciences humaines complémentaires de l’histoire interviennent pour mieux
connaître les acteurs du gwoka. L’histoire vient s’associer à l’anthropologie et à la sociologie pour
envisager l’homme comme un être façonné par des faits culturels et sociaux. Il s’agit, par la présente
étude, de rechercher entre les acteurs, des logiques de relations, des éléments de comparaison, de
généralisation, de complexité et de singularité. Par ailleurs sont analysées les formes esthétiques,
littéraires et artistiques mises en œuvre pour faire passer les messages contenus dans les productions
écrites, orales, sonores et iconographiques. Ainsi, l’art et la littérature complètent l’histoire.

5. Problématique et intérêt de l’étude


L’étude est d’abord celle des gens. Ils constituent un ensemble d’acteurs dont chacun participe à
sa manière à la vitalité du gwoka pour la période considérée. L’étude s’articule autour de la notion
d’acteur culturel. La notion est empruntée à l’action envisagée sous l’angle de la politique culturelle
des territoires c’est-à-dire de l’action publique en matière d’infrastructures, afin de faciliter l’accès de
tous, à la culture.
Mais, dans le cadre de la thèse, nous prenons en compte l’expression mot à mot pour l’attribuer à
un individu ou à un groupe agissant sur la représentation d’un objet considéré qu’il s’est approprié. Si
la colonisation a produit et véhiculé une représentation négative ou légère de cet objet, le contexte de
la décolonisation devrait produire le contraire de cette représentation. Alors cette étude des gens du
gwoka s’interroge sur le processus par lequel ils deviennent des acteurs de décolonisation c’est-à-dire
des acteurs de la déconstruction des représentations du monde construites par la colonisation.

Ainsi, de 1931 à 1994, en Guadeloupe, comment les contemporains de Marcel Lollia dit Vélo,
illustre tanbouyé, par leur profil et les enjeux qui animent leur pratique, peuvent-ils corriger l’image
du gwoka véhiculée par la colonisation esclavagiste et participer ainsi à l’élaboration d’une autre forme
de décolonisation qui serait plus accomplie ?

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

De cette problématique émerge la notion « d’acteur culturel de décolonisation » qui devient la


charpente de la démonstration. Ici, dans le cadre de cette étude la décolonisation entreprise par l’acteur
ou l’actrice de décolonisation n’est ni politique ni administrative. Elle est culturelle c’est-à-dire qu’elle
bouscule non pas le statut du territoire concerné mais la culture coloniale.
Pour comprendre la notion, il faut s’appuyer principalement sur des auteurs qui traitent de la
question. Au plan local, il s’agit de la sociologue Guadeloupéenne Dany Bebel-Gisler qui se positionne
à la fois en chercheure et actrice afin d’inviter les Guadeloupéens à « devenir ce qu’ils sont9 » et non
pas subir ce que la colonisation a fait d’eux. A l’échelle de la France, nous nous appuyons sur le
discours de la philosophe et politologue Françoise Vergès qui éveille les consciences sur
l’inachèvement de la décolonisation10. A l’échelle mondiale, trois auteurs retiennent notre attention à
ce propos. C’est d’abord l’ethnologue Georges Balandier qui, observant les sociétes africaines à l’issue
des indépendances constate la dualité de l’Afrique en quête de modernité mais encore très marquée
par les siècles de colonisation11. De même, l’ethnomusicologue britannique John Blacking, à travers
son ouvrage, « How musical is man » maintes fois éditées de 1973 à 2011, propose une approche de
la musique, différente de celle que la colonisation européenne a diffusée dans le monde12. Ces auteurs
ne traitent pas du gwoka mais nous donnent des outils de réflexion pour étudier le processus de
construction des acteurs de cette décolonisation culturelle, par le biais de la pratique du gwoka.
Ce travail de recherche tente de mettre à nu les modalités de construction d’un acteur culturel dans
les sociétés marquées par l’esclavage et la colonisation, et par une décolonisation atypique par laquelle
elles demeurent sous la tutelle de l’ex-métropole. Dans un tel contexte, les acteurs du gwoka, de
manière spontanée ou par une volonté affichée, deviennent les correcteurs des représentations
coloniales du gwoka.

6. Méthode suivie
La particularité d’une telle étude est qu’elle ne dispose d’aucune source exhaustive clairement
identifiée. C’est une pratique de bénévole et de semi-professionnels, non consignée. Il faut constituer
la source à partir d’un corpus dispersé. Celui-ci renferme des données d’acteurs à savoir des données
relatives aux identités et aux oeuvres. Le corpus est puisé dans les témoignages, les albums

9
L’expression est utilisée en référence à l’ouvrage de Dany Bebel-Gisler, Le défi culturel Guadeloupéen, Devenir ce que nous
sommes, Editions Caribéennes, 2000.
10
Françoise Vergès, Leïla Cukierman, Gerty Dambury, Décolonisons les Arts, L’Arche, 2018 / Françoise Vergès, Un féminisme
décolonial, La fabrique, 2019
11
Georges Balandier, L’Afrique ambigue, Terre Humaine, Plon, 1981 (1ère édition, 1969)
12
John Blacking, Le sens musical, Editions de Minuit, 2011 (1ère édition 1973)

13
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

discographiques, dans les biographies, autobiographies, brochures, films documentaires,


conférences… L’utilisation des collectes disponibles allège notre tâche. Les investigations antérieures
à l’étude se révèlent d’une grande utilité. Notre collecte personnelle à partir de notre carnet personnel
d’adresses, s’y ajoute pour donner 519 acteurs auxquels s’arrête arbitrairement la récolte.
Ces acteurs sont de type différent :
- Des centraux exerçant par des expressions artistiques typiques.
- Des périphériques dans l’organisation puis dans de nouveaux rôles.
- Des inédits pour lesquels les informations sont très, voire, trop limitées pour une
exploitation efficace.
- Des connus pour s’être distingués dans leur commune de résidence, ou avoir pris part à des
enregistrements discographiques. Ces derniers sont les nantis de l’étude. Car, ils sont les
plus nommés et décrits et les plus sollicités pour les témoignages. Sur eux, on en sait plus.
Ils sont les acteurs majeurs de l’échantillon, par la densité de l’information qu’ils offrent. C’est
principalement sur eux que s’appuie l’étude. Sur les 519 acteurs, ils sont au nombre de 90 acteurs (1ère
période) et de 102 acteurs (2è periode) soit 192 acteurs au total dont 177 témoins. Un autre type de
témoin est pris en compte. Il s’agit des non-acteurs quoique peu nombreux, au nombre de 5, n’occupant
aucun rôle ni central, ni périphérique. Leur témoignage n’en est pas moins riche.
Le temps de parole des témoins est inégal allant de quelques minutes à des heures. Certains
témoignages sont recueillis en plusieurs temps particulièrement pour des personnes avec qui nous
entretenons une certaine proximité, soit du point de vue des relations personnelles, soit par nos activités
artistiques. C’est le cas notamment des témoins de Marie-Galante en particulier Marcel Cusset dit
Serge qui fût tanbouyé au sein de la première association qui nous a formée. Il en fût de même pour la
danseuse Chaben Férriée Olivier dite Dòdòz, notre ancienne voisine ou encore Luc-Hubert Séjor avec
qui nous partageons notre quotidien. Quoique proches de certains acteurs, nous avons traité la parole
de tous les témoins avec la distance nécessaire à l’objectivité de l’analyse.
L’autre source majeure est le disque. Il s’agit d’un tout en un. Ce support nous offre des chansons
à analyser mais aussi des pochettes illustrées. Celles-ci relèvent d’un art éphémère, mais riche
d’informations à propos du gwoka et de sa perception par les acteurs qui le portent. Par ailleurs, le
disque gwoka constitue, par le titre et le commentaire des albums, un autre type de source littéraire.

14
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

7. Le vocabulaire spécifique
Une des difficultés que rencontre ce travail de recherche doit être au préalable souligné. A
défaut d’un synonyme, le terme gwoka devient récurrent sauf les rares fois où nous le désignons par
« pratique ». Cet unique synonyme dans l’étude assouplit la récurrence sans l’éliminer. L’orthographe
du terme varie en fonction des citations. De notre initiative, ce mot représente une seule entité que
nous écrivons en un seul mot d’après les conventions orthographiques du créole guadeloupéen :
g.w.o.k.a. Dans son aspect tangible, répéter toutes les expressions artistiques du gwoka alourdit le
propos. En Guadeloupe, dire Nou ka joué gwoka13 signifie que la circonstance d’exercice réunit
musique, danse et chant. D’après l’universitaire ethnomusicologue et anthropologue Apollinaire
Anakesa Kululuka, cette indissociabilité de la danse, du chant et de la musique est un héritage du
concept de musique de l’Afrique subsaharienne14. C’est pourquoi, le terme musique, en fonction des
situations, évoque dans notre étude, la danse, le chant, la pratique instrumentale ou encore la pratique
instrumentale uniquement. Et en parlant d’instrument, là encore, c’est le créole guadeloupéen qui nous
sert d’appui pour nommer le tambour. Nous le dirons « tanbou » comme il se dit en créole
guadeloupéen et occasionnellement tambour comme il se dit en français.
Par ailleurs, chacun des mots et expressions qui suivent mériteraient une définition plus
approfondie afin de mieux saisir leur sens. Celle-ci alourdirait encore la présentation du lexique
spécifique au gwoka. C’est pourquoi, nous en proposons une traduction en français ou une brève
définition. Utilisés dans la démonstration, leur définition sera plus complète :
Bèlè : bèlè (chant de travail en Guadeloupe)
Bouaké : percussioniste dont le rôle est de frapper sur la caisse du tanbou à l’aide de deux baguettes
pour obtenir le son.
Chachayè : joueur de calebasse
Chantè : chanteur
Dansè : danseur
Déboulé : parade carnalesque de groupes à pied joués par des tanbou portés en banboulière ou noués
par une corde à taille des musiciens
Gwoka : gwoka, pratique culturelle aux tambours en Guadeloupe
Gwo-ka modèn : forme contemporaine du gwoka créée par Gérard Lockel (guitariste). L’orthographe
du mot relève du choix de l’auteur.

13
Nous jouons du gwoka
14Apollinaire Anakesa Kululuka, Les voies du marronnage et la culture des libertés : itinéraire à travers la culture musicale
subsaharienne dans Marronnage et diversité culturelle, Actes du Colloque de la Biennale du Marronnage 2010, Ibis Rouge Editions,
Guyane, 2012, page74.

15
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Gwotanbou : Terme par lequel s’est désigné ou se désigne encore le gwoka ou le tambour par des
aînés. Littéralement, il se traduit par « gros tambour »
Lasistans : public des manifestations gwoka
Lawonn ou wonn-la : cercle imaginaire formé par l’ensemble des participants aux manifestations
gwoka.
Léwòz : manifestation nocturne en chants, musiques et danses aux tambours/ musique, chant ou danse
spécifique de la dite manifestation.
Mas : expression d’une métamorphose mentale consistant par le déguisement à se mobiliser pour une
cause. Le mas donne son nom à un déguisement burlesque de fortune, à des groupes à pied usant d’une
parade singulière pour un carnaval engagé.
Répondè ou lé-répondè : répondeur (chœur répondant à celui qui mène le chant nommé chantè
(chanteur)
Tanbou : tambours du gwoka
Tanbouyé : musicien aux tambours
Ti-bwa : instrument artisanal fait de bambou et dont le son est produit en frappant sur les bambous à
l’aide de deux baguettes.
Véyé : veillée mortuaire festive
Certaines récurrences de l’étude ne peuvent se passer d’une large définition avant toute démonstration :
Léwòz : Le léwòz désigne à la fois un phrasé rythmique, mélodique et gestuel d’une part et d’autre part
la manifestation nocturne en musique, chant et danse gwoka. C’est le contexte qui permet d’élucider
le sens. La « swaré-léwòz » est parfois utilisée mais nous considérons qu’il s’agit là d’interprétations
subjectives, le terme n’existant pas dans le créole courant ni dans les chansons qui évoquent ces
rassemblements. Par ailleurs, il est inutile de préciser le temps dans la mesure où le léwòz a lieu
généralement la nuit. Il n’existe pas de léwòz en matinée.
Rythme : Le rythme est l’ordre par lequel se succèdent les figures de notes (noire, croche, blanche etc
…)15. Par conséquent, c’est une composante des musiques en général. Le terme ne révêt aucune
singularité pour aucun genre musical. Il ne peut être propre au gwoka. Il est purement technique. Pour
prendre en compte tous les éléments techniques, esthétiques, sociaux et émotionnels qui entrent dans
la composition et l’exécution des dits « rythmes », l’expression « phrasé rythmique » nous semble plus
approprié. Les sept les mieux connus et les plus en usage se désignent par : toumblak, léwòz, menndé,
kaladja, graj, gwajanbèl, woulé.

15
Adolphe Danhauser, Théorie de la musique, Editions Henry Lemoine, Paris, 1996, page 41.

16
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ce lexique du gwoka est utilisé dans la thèse, en créole guadeloupéen. A ce propos, un guide
de la lecture du créole est proposé16. Par ailleurs, le créole guadeloupéen est la langue des surnoms
attribués aux acteurs du gwoka dans les milieux populaires. De ce fait, nous désignons nos acteurs par
leur nom, prénom, surnom ou sobriquet comme Marcel Lollia dit Vélo ou Kacy Gabin dit Ravèsèl ou
encore Athanaïse Bach dite Man Soso. Mais l’étude sur les acteurs est de nature à construire des
familiarités. Aussi, nous nous permettons de les désigner par leur sobriquet ou par leur surnom comme
Artèm, Napo, Vélo, Kawno, Man Soso ; Dòdòz…
D’autres mots et noms désignent les acteurs du point de vue de leur identité, de leur rôle et leur
statut. Ils méritent quelques précisions :
- Artiste : Cette fonction désigne celui qui produit des œuvres d’art de quelque nature que ce
soit. Est considéré aussi comme artiste celui qui répond à des critères juridiques établis dans
le domaine de l’art c’est-à-dire qui exerce ses activités artistiques dans un cadre
professionnel. Dans le contexte de l’étude, l’artiste est employé dans les deux sens. Nos
artistes sont : chantè, dansè, tanbouyé, chachayè, joueur de ti-bwa, plasticien, le
photographe, chorégraphe… qu’ils soient amateurs, semi-professionnels ou professionnels.
- Fanm-tanbouyé, fanm-chanté, fanm-dansè, fanm-chachayè : Ce rôle associé au genre est
une terminologie qui répond aux besoins de la thèse. Ce terme est choisi afin de mieux
signifier explicitement le rôle tenu par les actrices sans les confondre avec les acteurs
occupant les mêmes rôles Car, en créole guadeloupéen, il n’y a pas d’accord. Le tanbouyé
ou la tanbouyé ne se distinguent que par l’article en français. En créole guadeloupéen,
l’article n’existe pas non plus. A l’occasion, en fonction du contexte, nous pourrons
employer les termes de nonm-tanbouyé, nonm-chanté, nonm-dansè, nonm-chachayè pour
désigner les rôles masculins.

- Kawno (1919-1998) : Ce titre est le sobriquet de François Jernidier (1919-1998). Interrogé


par Marie-Céline Lafontaine, celle-ci a rapporté ses propos dans un ouvrage qui le désigne
par son surnom et l’écrit C.A.R.N.O.T. Toutefois, s’il s’agit d’un sobriquet, il est d’un
usage exclusivement oral et, d’après les conventions du créole guadeloupéen, il s’écrit
K.A.W.N.O. Nous adoptons cette orthographe créole, dans le cadre de la thèse.

16
Ce guide figure en page 7 du présent manuscrit.

17
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Conquet : Il s’agit de Guy Conquet (1946-2012) conformément à l’Etat-Civil.


L’orthographe varie d’un support à un autre : Conquette, Konkèt, Conquet. Nous
respectons, à propos de cet acteur l’orthographe choisie par chacun des supports.

8. Plan de rédaction
Notre plan de recherche se décline en 3 parties :
- Notre thèse étant la première de l’histoire des acteurs du gwoka, il a fallu présenter largement
nos approches conceptuelles, théoriques et méthodologiques. Nous y avons alors consacré
toute la première partie de la thèse. Celle-ci commence par poser la question de l’historicité
du gwoka à travers les certitudes et les doutes : Le gwoka est-il africain, caribéen ou
guadeloupéen ? Le chapitre premier propose des éléments de réponse en considérant le
continent africain comme la terre de gestation, les Caraïbes comme la terre sœur et la
Guadeloupe comme la terre d’exercice. C’est cette répartition des rôles que la colonisation
esclavagiste a attribué aux territoires des pratiques culturelles négro-africaines aux tambours.
Par ailleurs, la thèse tend à démontrer que l’action culturelle est commune aux acteurs du
gwoka. Pour cela, il faut éclaircir la notion de culture en montrant comment cette notion
controversée alimente la Recherche et peut donc aujourd’hui soutenir une étude historique du
gwoka. C’est le contenu du deuxième chapitre. C’est en ce sens que, s’appuyant sur l’idée de
décolonisation du gwoka, la question du changement culturel opéré par ses acteurs, nous paraît,
judicieuse. C’est aussi dans cette partie que nous décrivons la méthode par laquelle nous avons
constitué notre échantillon d’acteurs. En effet, la notion de gens, propre à plusieurs disciplines,
sert de charpente au troisième chapitre. La base de données, que nous avons établie lui donne
de la matière. Ainsi, cette première partie, porte d’entrée de notre démonstration est à la fois
historique, géographique, notionnelle et technique.
- La deuxième partie montre des acteurs du gwoka, dans leur démarche de décolonisation de
l’image de leur pratique. Leur action se déroule sur une période de 30 ans environ, de la
naissance de Marcel Lollia en 1931, premier acteur du gwoka par sa popularité, au retour en
Guadeloupe de Gérard Lockel en 1969, acteur innovateur. Dans cette partie, il convient
d’identifier la pratique des acteurs du gwoka en montrant qu’elle s’inscrit dans une opposition,
celle du profane et du sacré à la fois. Pour cela, les chapitres successifs proposent d’abord de
décrire les hommes et les femmes en privilégiant leur rôle et leur image. La communauté que
forment ces acteurs est ensuite analysée, pour la période, comme un diagnostic social et culturel

18
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

sur un temps donné. Puis les aspects profanes et sacrés du gwoka sont étudiés par le biais de
ses symboles, ses manifestations, ses ressources humaines et la valeur principale qu’il dégage.
- La troisième partie montre la communauté élargie à de nouveaux arrivants dans une autre
démarche de décolonisation du gwoka. Celle-ci supplante la dimension sacrée de la pratique
sans l’éliminer. De cette nouvelle démarche, nous en avons déduit un acte civique. Il convient
de ce fait, de montrer, comment prend naissance un nouveau type d’acteur porteur de ce
civisme. Pour cela, nous distinguons, au sein du groupe des arrivants, des groupes spécifiques
et leurs apports singuliers. Nous recherchons ensuite le contexte favorable à la naissance de ce
nouvel acteur et montrons la portée de son œuvre pour l’épanouissement d’autres rôles et la
réactivation d’une sacralité revendiquée, dans l’univers du gwoka.

19
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

PARTIE I : APPROCHES CONCEPTUELLES, THEORIQUES ET


METHODOLOGIQUES D’UNE ETUDE PIONNIERE

Introduction

Le champ spatial du gwoka couvre uniquement le continent américain et singulièrement


l’espace Caraïbe pour ceux qui conçoivent les musiques, chants et danses aux tambours comme une
construction des travailleurs esclaves. Dans leurs travaux, la phase de construction africaine est à peine
effleurée ou ignorée. Elle se limite à quelques évocations. Des auteurs originaires de la Caraïbe
française appartiennent à cette école qui pourrait emprunter à l’école littéraire de recherches
scientifiques caribéennes, la désignation de « caribéaniste ».

En revanche, en 1967, le sociologue et anthropologue Roger Bastide (1898-1974), étudie la


résurgence des pratiques africaines dans les Amériques afin, selon lui, de combler le retard de
l’historiographie sur l’intérêt porté aux pratiques culturelles noires. Une nouvelle école prend
naissance. Ses auteurs font une part plus large et plus affichée à la place de l’Afrique dans la
construction des pratiques repérées au sein des populations serviles dans les Amériques et les Caraïbes.
En effet cet intérêt ne s’est manifesté que tardivement, à cause des préjugés à l’encontre des Noirs,
inventés par le système esclavagiste :

« L’intérêt porté à l’étude des civilisations africaines en Amérique ne date que de quelques années. Il a
fallu attendre la suppression de l’esclavage ; car jusque-là on ne voyait dans le nègre que le travailleur,
non le porteur d’une culture17 »

Le groupe des « caribéanistes » comptent, Jacqueline Rosemain (née en 1930) originaire de la


Martinique et professeur de musique connue pour ses publications à propos de l’histoire des danses et
musiques des Antilles. Elle a enseigné la musique durant de longues années et s’est intéressée aux
musiques des Amériques. A ce propos, elle décrit les différents types de chants et danses aux tambours
durant l’esclavage. Il s’agit des « bel airs » chantés ou dansés pour la fête ou dans le cadre du travail
collectif ou individuel. Ce sont aussi les danses et chants exécutés lors des veillées mortuaires et pour
la lutte aux bâtons principalement par les nègres marrons lors des assemblées. Dans la ville, les
travailleurs esclaves ont aussi leurs chants comme les berceuses. L’espace urbain est aussi le lieu du
carnaval18. De même, Isabelle Leymarie, musicienne et musicologue, présente les musiques des Noirs
propres à chacun des territoires de la Caraïbe et de l’Amérique Latine. La même année, en 1996,
Gabriel Entiope, universitaire et historien, étudie la danse des esclaves sous le prisme de la résistance.
Pour montrer l’invention du Nègre par le système esclavagiste, il évoque la Nigritie de Zeus19 mais
son propos est centré sur l’image du Noir dans la société caribéenne des plantations.

17 Cette citation de Roger Bastide est reprise par Isabelle Leymarie dans son livre Du tango au reggae, 1996 en introduction.
18
Rosemain Jacqueline, La musique dans la société antillaise, 1635-1902, Guadeloupe-Martinique, L’Harmattan, 1990, chapitre la
Musique serve, pages 49-74.
19
Entiope Gabriel, Nègres, danse et résistance, 1996, page 64.

20
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C’est par ce biais que l’Afrique est évoquée. Cette restriction d’échelle s’oppose à la démarche
de l’écrivain américain Leroi Jones (1934- 2014) qui montre que la musique et singulièrement le Blues,
est révélatrice de la mutation identitaire du Noir qui passe de l’Africain à l’Américain une fois arrivé
aux Etats-Unis. L’Amérique est le lieu où il prend conscience de son appartenance à un groupe
spécifique car, le pays dans lequel il débarque lui est étranger.

« La chanson de travail a pris en Amérique un caractère particulier pour plusieurs raisons. D’abord, bien
qu’il fût courant en Afrique occidentale de chanter en travaillant, il est manifestement très différent de
cultiver son propre champ dans son propre pays et de faire un travail forcé dans un pays étranger20 »

Ce constat est important pour comprendre la construction du blues et celle de l’image des
acteurs qui le portent. La nouvelle « école » qui naît de cet élargissement du champ spatial des études
des musiques produites par les descendants des travailleurs esclaves pourrait intégrer l’école de
« l’Atlantique noir ». Ce concept est celui de Paul Gilroy (né en 1956), sociologue anglais. Il établit
l’existence d’un espace géo-historique de modernité, l’Atlantique entre le XVIè et le XXè, au sein
duquel l’homme africain n’est pas sujet mais pleinement acteur. L’Atlantique noir désigne « l’espace
public transnational dont les contours épousent ceux de la diaspora africaine, où s’élaborent et se
mélangent les cultures noires depuis le système esclavagiste »21. Nous empruntons ce concept à
l’auteur en dépit des controverses dont il fait l’objet22 afin de montrer le rôle de l’Océan Atlantique
qui établit le lien entre l’Amérique et l’Afrique. Notre concept prend en compte le rapport des pratiques
culturelles des Noirs avec l’Europe. Loin de réveiller la douloureuse histoire de la Traite négrière, cette
école s’appuie simplement sur la géographie des lieux des pratiques culturelles des Noirs de la Caraïbe.

Le gwoka fait partie de ces pratiques. Nous l’étudions depuis ses racines africaines jusqu’à son
ancrage en Guadeloupe en passant par ses points de convergence caribéennes. C’est la géographie du
gwoka. A la suite de ces auteurs, nous envisageons ce champ spatial plus étendu que celui de la Caraïbe
ou des Amériques en inscrivant l’histoire du gwoka dans l’histoire du monde et pas seulement dans
l’histoire locale ou régionale.

Si l’Afrique précoloniale est le point de départ de la pratique en question, le précolonial ne peut


être la seule période étudiée. Car de telles bornes signifieraient que la Traite et l’esclavage ont détruit
ces pratiques sur le continent de départ des captifs du XVIè au XIXè, qu’elles se sont poursuivies sur
le continent d’arrivée en s’adaptant, en se transformant au vu des influences… et qu’elles auraient
disparu du continent africain. Il n’en est rien. Ceux qui sont partis ont laissé derrière eux des pratiques
qui existent encore aujourd’hui.

Nous préférons rechercher les racines africaines du gwoka dans des sources ou des travaux de
recherche qui datent de la période de l’esclavage négrier et de la colonisation et au-delà, dans la mesure
de leur disponibilité. Cette démarche est nécessaire pour comprendre le sens de ces pratiques. En effet,
la période coloniale fournit les sources ethnographiques africaines par le récit des fonctionnaires

20 Leroi Jones, Le peuple du blues, la Musique Noire dans l’Amérique blanche, Gallimard, chapitre Esclaves africains, esclaves

américains page 41.


21
Définition synthétique de l’Atlantique noir proposé en 2007 par les membres de la revue Mouvements lors de l’entretien avec Paul
Gilroy, De l’Atlantique à la mélancolie post-coloniale, interview par Jim Cohen et Jade Lingaard, n° 51, 2007.
22
Alice Aterianus -Owanga et Pauline Guedj, On the waves of the Ocean, Des musiques dans l’Atlantique noir, Cahiers
d’études africaines, EHESS, pages 865-882.

21
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

français en mission comme Louis de Grandpré (1761-1846)23 ou des explorateurs comme Jean-
Baptiste Douville (1897-1837)24. Par ailleurs Marcel Griaule (1898-1956), ethnologue français, dirige
des études ethnographiques en Afrique durant les années 193025. En compagnie de l’ethnologue
Michel Leiris (1901-1990), qui accomplit une mission ethnographique et linguistique de Dakar à
Djibouti sur trois ans (1931-1933)26, il mène des investigations auprès de la population. Ils vivent
ensemble des aventures que Michel Leiris raconte dans son ouvrage « l’Afrique fantôme » : lecture
d’un carnet de chansons, achat d’un mouton pour reportage d’un sacrifice animal en Ethiopie27.
D’autres ethnologues suivent la même voie comme Georges Balandier qui quitte l’Europe pour
accomplir sa première enquête sur le terrain en 194628 .

Ainsi, les récits de voyage ou les résultats des collectes couvrent une longue période qui s’étend
du XVIè au milieu du XXè siècle. De même par les études post-coloniales, les cultures et civilisations
dominées gagnent en intérêt. Le français ethnobotaniste et docteur en Lettres et Sciences humaines
Roger Sillans29 et son collaborateur gabonais, l’abbé Raponda-Walker (1871-1968)30 décrivent en
1962, les rites et croyances du Gabon dans lesquels la dimension religieuse des tambours est prise en
compte. Ces pratiques trouvent progressivement leur place dans la recherche. Elles constituent l’objet
de l’école des Black Studies dans les universités américaines. Mais ce concept de musiques noires fait
l’objet de controverses. Ainsi, s’opposant à l’expression Black Music l’anthropologue, ethnologue et
universitaire Emmanuel Parent s’insurge :

« D’un point de vue musicologique, l’idée même de « musique noire » a du mal à tenir car elle mêle une
multitude de traditions très différentes. Les faire entrer dans un concept global, c’est un point de vue
racial, et finalement raciste. Mais paradoxalement, la « musique noire » est constamment revendiquée
par ceux qui la jouent, qu’ils soient jazzmen de Chicago, musiciens de Jamaïque ou rappeurs du Bronx…
Ce sentiment de communauté et de continuité musicales ne provient pas d’un héritage homogène de
l’Afrique, d’une improbable culture qui se serait transmise par-delà l’esclavage, mais davantage d’une
expérience commune dans le contrecoup des colonisations… 31».

En revanche, des historiens africains exerçant en France s’intéressent à ces nouveaux objets. C’est
le cas de Joseph Ki-Zerbo (1922-2006) originaire de Haute-Volta actuel Burkina Faso, Théophile
Mwené Ndzalé Obenga (né en 1936), historien et linguiste originaire de la République du Congo. De
même, des universitaires africains exerçant dans des universités africaines comme le musicologue et
Docteur en Droits de l’Homme, Antoine Menda Tchebwa, éclairent ces questions. Par ailleurs, des
chercheurs européens ou africains de la musique font des musiques chants et danses traditionnelles

23
Louis De Granpré (1761-1846), officier de marine française effectue un voyage à la Côte Occidentale d’Afrique entre 1786 et 1787.
C’est l’une des sources d’information de l’historien et linguiste Théophile Obenga dans son ouvrage Afrique Centrale Précoloniale,
documents d’histoire vivante, 1974
24
Jean-Baptiste Douville (1794-1837) effectue un voyage au Congo et dans l’intérieur de l’Afrique Equinoxiale entre 1828 et 1832
25 Jolly Eric, Marcel Griaule, ethnologue, la construction d’une discipline (1925-1956), Journal des Africanistes, années 2001, 71-1,

pages 149-190
26
Michel Leiris (1901-1990), l’Afrique fantôme, Gallimard (2015, réédition) page 11
27
Michel Leiris, op cit page 447.
28
Georges Balandier (1920-2016), l’Afrique ambiguë, page 15
29
Roger Sillans est un chercheur français né en 1921cité dans Palau-Marti, Revue de l’histoire des religions, année 1964, pages 109-
110
30
André Raponda-Walker est un abbé né au Gabon en 1871 et décédé en 1968. Sa durée de vie est connue par la Bibliothèque Nationale
de France (site Gallica). Il est cité dans Palau-Marti, Revue de l’histoire des religions, année 1964, Persée, pages 109-110
31
Parent Emanuel est interrogé par le magazine Télérama à l’occasion de l’ouverture de l’exposition Great Black Music à la Cité de la
musique à Paris (de mars à Août 2014) et dont il est le commissaire scientifique.

22
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

dans l’Afrique d’aujourd’hui, leur centre d’intérêt. On peut citer Monique Brandilly (née en 1921),
ethnomusicologue française, qui donne une riche présentation des grandes aires musicales africaines
et des types d’instruments en usage dans les musiques traditionnelles d’Afrique. Et, progressivement,
sont proposées, à la fin du XXè siècle des études spécifiques aux rites et croyances dans lesquels les
tambours occupent une large place.

Ces auteurs, inventeurs de nouvelles terminologies pour leurs recherches, affirment ainsi leur
spécialité. La bendrologie désigne selon son auteur originaire de Burkina Faso, Maître Titinga Frédéric
Pacéré (né en 1943), avocat et écrivain, les structures techniques, la sociologie et la littérature orale
relatives au tambour désigné par « bendré 32». La drummologie est la science qui étudie tous les
« instruments parleurs » comme le tambour33. Elle est étudiée par le sociologue Niagouran Bouah
(1935-2002), universitaire ivoirien

Par conséquent, le XXè siècle est celui du nouveau regard des chercheurs sur les études africaines
qui passent des études périphériques, enfouies dans d’autres recherches, vers le centre, en tant qu’objet
à part entière. Cette nouvelle place donne plus de visibilité aux « musiques, chants et danses noires ».
Elles sont ainsi appelées pour désigner les expressions artistiques exercées par les populations issues
des migrations des Africains et de leurs descendants d’abord en Amérique, de manière forcée puis, par
choix, dans le monde. Les populations noires les revendiquent comme leur bien commun par-delà les
controverses. Le débat n’est pas clos. Il a le mérite de donner de l’impulsion à la recherche.

32Pacéré Tinga Frédéric, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, l’Harmattan, 1991, pages 12-13 et page 86
33
Niagoran Bouah Georges (1935-2002), anthropologue et professeur à l’Université d’Abidjan est interrogé par le philosophe ivoirien
Léon Ahouo, De l’importance des tambours dans les manifestations politiques et religieuses, n° 3092, Africultures 2003, Site Internet.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE 1 : LES PRATIQUES CULTURELLES NEGRO-AFRICAINES AUX


TAMBOURS DEPUIS LA COLONISATION ESCLAVAGISTE

A. L’Afrique noire précoloniale, terre de conception d’une pratique libre

1- Les pratiques musicales aux tambours : des formes et du sens

Lorsque l’étudiant en histoire, originaire du Burkina Faso, Joseph Ki Zerbo (1922-2006),


décide d’écrire l’Histoire de l’Afrique en 1962, les priorités l’obligent à omettre le Nord du continent
c’est-à-dire la partie méditerranéenne dont il maîtrisait moins la connaissance du passé. Le résultat en
1969 aboutit à une Histoire de l’Afrique Noire de l’Antiquité aux indépendances. L’espace d’étude de
cette histoire couvre la vallée du Nil et les territoires du sud du Sahara qui composent en 1963, à Addis-
Abbeba, l’Organisation de l’Unité Africaine. S’appuyant sur ces expériences de regroupement,
L’Afrique Noire peut se définir comme celle de tous les peuples qui ont participé au développement
de la cité égyptienne, qui ont organisé les empires et les royaumes, qui ont participé à leur apogée
comme à leur déclin, qui ont réorganisé les nouveaux Etats à l’issue des indépendances. C’est une
entité politique.

Pour Antoine Manda Tchébwa, cette Afrique des peuples trouve son unité dans le peuple
34
Bantu . Le point de départ de ces populations demeure flou : tantôt du sud du Nigéria actuel, tantôt
du bassin du Nil. Toutefois ils ont essaimé dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne et l’Egypte
lors des différentes phases de migrations entre 1000 AVJC et 1100 de notre ère. L’Afrique noire
constitue dès lors le lieu d’expression de la mémoire collective entretenue par des peuples qui
constituent la diaspora bantu.

Là, se maintiennent de multiples assemblées en musique, chants et danse où le corps est mis
en scène notamment par des gestes dansés et par des peintures corporelles. Ces assemblées se repèrent
par leurs formes expressives. Elles sont animées par des instruments de fabrication artisanale. Parmi
ces instruments, Antoine Menda Tchebwa montre que le tambour revêt une place particulière dans la
transmission des messages, l’accompagnement des danses et chants, l’organisation des réjouissances
et les célébrations diverses, dans les principaux rituels de la vie :

« Le tambour africain est considéré́ comme une manifestation musicale qui a des répercussions évidentes
dans le cadre culturel de la Caraïbe… Les tambours ne sont pas seulement un moyen de distraction, ils
sont aussi un moyen essentiel de communication et ils servent à la préservation des traditions orales des
cultures africaines qui se sont répandues dans la Caraïbe… »35. Les exemples qui suivent mettent
en évidence les fonctions du tambour en divers lieux :

- Théophile Obenga retranscrit un récit de voyage de l’officier de la Marine française Louis


Marie-Joseph Ohier Comte de Grandpré (1761- 1846) qui effectue un voyage sur la Côte

34
Antoine Manda Tchebwa, Les rencontres fondatrices à Cuba, 2012 (pages 131-161)
35Santiago Torrès, Francisco, Les voix alternantes, le tambour africain comme voix de résistance dans la littérature francophone de la
Caraïbe, Francophonies d’Amérique (13), Université de Porto-Rico, pages 107-117

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

occidentale de l’Afrique en 1786 ou 1787. Dans la description des instruments de musique


du peuple Vili dans le Royaume de Loango, il montre que les tambours se distinguent, par
leur taille et par leur fonction sociale :

« … les plus petits sont ceux dont on se sert pour la danse. Ce dernier est fait d’une branche de
mapou (baobab), sa longueur est d’environ sept pieds36 et son diamètre d’à peu près quinze
pouces37 ; un des bouts est recouvert d’une peau de cabri mal tendue, et qui rend un son très
sourd. L’instrument est souvent creusé à l’aide du feu, mais il reste toujours si épais que le bois
ne peut vibrer ; par conséquent il ne rend jamais qu’un son imparfait. Celui qui le touche s’assied
dessus ou le porte entre les jambes, suspendu à une corde. Ils ignorent l’usage des baguettes et
ne battent qu’avec la main…38 »

- Une autre description des tambours est proposée par Laurent de Lucques39. Elle est reprise
par Georges Balandier pour le royaume de Kongo au cours des XVIè-XVIIIè siècles. A
chaque taille sa fonction :
« Il y a ici beaucoup de tambours grands et petits, qu’on fait résonner aux festivités, en temps
de guerre et en d’autres occasions. Les plus gros servent à d’autres fins déterminées… les
tambours du Congo n’ont pas la forme des tambours d’Europe ; ils sont d’une seule pièce de
bois, très gros, et bien creusés ; la partie supérieure est recouverte d’une peau qu’ils frappent
non avec des baguettes, mais avec les mains… Quand la peau d’un de ces tambours crève, il
faut que le comte (de Soyo) donne un poisson à celui qui le frappe et une mesure de millet ou
de fèves. Le comte s’acquitte de suite de cette obligation, sans cela il appréhenderait qu’on ne
lui casse la tête. 40»
- De même, en Afrique équatoriale occidentale au XXè siècle, les tambours font partie du
matériel initiatique et rituels liés aux croyances traditionnelles dans une région où règne
partout la forêt, propice, d’après les croyances populaires, au séjour des esprits41. Ce ne
sont pas les seuls instruments de musique. Toutefois, dans la hiérarchie des instruments, ils
occupent la première place. On distingue les tambours à une ou deux peaux, grosses ou
petites, avec des positions de jeu différent, des modes de vibration variées à savoir frappe
à mains nues ou baguettes. La peau animale couvre les tambours. Il s’agit d’une peau de
mouton, de chèvre, d’antilope et parfois d’une oreille d’éléphant, ou de la membrane qui
recouvre le cou de la tortue de mare ou de rivière. La peau peut-être exceptionnellement
humaine. Dans un tel cas ce tambour portatif était autrefois réservé au chef42.

On peut donc déduire que le tambour à lui seul est un témoin des racines africaines du gwoka
parce qu’on y reconnaît les bases de la fabrication, toutes approches confondues. Toutefois, la question
de sa conception renvoie au débat sur la continuité des pratiques culturelles des sociétés africaines
précoloniales, dans les sociétés caribéennes depuis la Traite et l’esclavage. En effet, sur environ 90
années du XXè siècle les défenseurs de la continuité s’opposent à ceux qui montrent que les
manifestations socio- culturelles africaines, pour des raisons diverses, n’ont pu se perpétuer au sein
des populations serviles des Caraïbes et des Amériques. Lucie Pradel, universitaire française d’origine

36
Un pied vaut 33 cm (note de l’auteur)
37
Un pouce vaut 27,07 mm (note de l’auteur)
38
L. Degranpré cité par Obenga Théophile, Afrique Centrale précoloniale, Documents d’histoire vivante, 1974, page 61
39
Laurent de Lucques est un missionnaire catholique qui séjourne au Congo au début du XVIIIè siècle.
40
Georges Balandier, La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIè au XVIII è siècle, page 110
41
Raponda Walker, Sillans Roger, Rites et croyances des peuples du Gabon, 1983 (réédition), page 2.
42 Raponda Walker, Sillans Roger, Rites et croyances des peuples du Gabon, 1983 (réédition), page 73

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

guadeloupéenne et spécialiste de littérature caribéenne propose une synthèse du débat porté


principalement par des sociologues et des anthropologues43.

C’est un vieux débat en effet, qui remonte au XIXe siècle et qui a été relancé au XXe par les
anthropologues blancs américains puis par des Européens comme Herskovits ou Roger Bastide.
L’anthropologue américain Herskovits (1895-1963) disait déjà que :

« La plupart des attitudes, coutumes et caractéristiques culturelles du Noir américain remontent


directement ou indirectement de l’Afrique 44».

Le débat n’est pas spécifique aux pratiques musicales aux tambours. Il est plus largement celui
de la reconnaissance des origines africaines des Noirs des Amériques. A peine le continent américain
sorti de l’esclavage, malgré les difficiles conditions de vie des Noirs, cette reconnaissance est effective
parmi les élites noires. En effet l’étudiant en histoire et sociologie William Edward Burghardt Dubois
(1868- 1963), en 1890 scande sa fierté nègre :

« Je suis nègre, et je me glorifie de ce nom ; je suis fier du sang noir qui coule dans mes veines.45 »

Il reconnaît ainsi ses racines africaines en opposition à d’autres Noirs instruits qui renient
l’Afrique, trop sauvage pour être leur terre d’origine. Les intellectuels de la négro-renaissance aux
Etats-Unis sont ses héritiers. Ils reprennent à leur compte cette idée et insistent non seulement sur la
cohérence de la culture américaine et africaine mais sur la capacité des Noirs à construire leur
personnalité. Ce sont Langston Hughes (1902-1967), Claude Mac Kay (1860-1947), Countee Cullen
(1903-1946), Sterling Brown (1901- 1989), Jean Toomer (1894-1967). Ils font partie de l’équipe du
mouvement du New Negro. Le New Negro s’oppose au Old Negro nourrit par un complexe
d’infériorité qui lui fait reproduire la littérature des maîtres blancs. Le mouvement du New Negro vise
à créer un modèle noir dans le domaine de la littérature et des Arts. Dans son manifeste ce groupe
insiste sur la personnalité noire 46 :

« Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité noire sans
honte ni crainte. Si cela plaît aux Blancs, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu
importe. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si cela
plaît aux gens de couleur, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. C’est pour
demain que nous savons en édifier, et nous nous tenons dressés au sommet de la montagne, libres en
nous-mêmes ».

Le mouvement initialement « étasunien » gagne l’Amérique et la France où résident des


étudiants noirs. Toutefois, la question de la méthodologie apaise le débat. Elle préconise de retenir
l’idée de l’Afrique comme point de départ historique des usages plutôt que de rechercher des
« survivances, résurgences, traces, apports » africains dans les manifestations socio-culturelles des

43
Pradel Lucie, Dons de mémoire de l’Afrique à la Caraïbe, chapitre Le témoignage de l’anthropologue, pages 86 à 91.
44
L’anthropologue est cité par Leroi Jones, Black People, édition 2013, page 26
45
WEB Dubois, The Soul of Black Folk (Les âmes Noires) est cité par Kesteloot dans l’Anthologie négro-africaine et sa pensée décrite
par de même que par Dufoix Stéphane dans Race et diaspora noire africaine, Raisons Politiques, n°21, 2006.
46
Le mouvement est défini dans l’article Who and What is negro ? La littérature nègre en débat de la Harlem Renaissance à la littérature
parisienne, Anthony Mangeon, Littératures noires, 2011, Les actes de Colloque, Musée du Quai Branly.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Noirs des Amériques. D’autres opérateurs comme l’imaginaire47 interviennent aussi dans le débat sur
la rupture et la continuité des formes d’une pratique culturelle d’un territoire à un autre.

Mais si le débat autour des racines africaines des pratiques aux tambours reste vif du point de vue des
formes tangibles de la pratique, le sens de cette pratique peut trancher le débat.

Dans le domaine musical, l’ethnomusicologue John Blacking propose une nouvelle donne qui
envisage un héritage musical autrement que dans ses formes. En effet, à la définition de la musique
par des critères sonores, l’auteur privilégie une définition moins technique, plus humaine et révélatrice
du sens de la musique :

« On m’avait appris à comprendre la musique comme un système de mise en ordre des sons
dans lequel un ensemble cumulatif de règles et une série croissante de structures sonores
permises avaient été inventées par des Européens que l’on tenait pour doués de capacités
musicales exceptionnelles…Je suis persuadé qu’une approche anthropologique de l’étude de
tous les systèmes musicaux permet de mieux les comprendre que l’analyse des structures
sonores prises comme choses en soi… 48»

Cette étude sur le sens humain de la musique, substitue le terme « d’exécution musicale49 », au
terme de « musique ». Cette nouvelle donne accorde toute sa place à l’ensemble des caractéristiques
humaines c’est-à-dire biologiques, psychologiques, sociologiques et culturelles qui guident cette
exécution. Appliqué aux pratiques aux tambours, il convient de rechercher le sens qui guide
l’exécution des musiques aux tambours de la Caraïbe dans les manifestations aux tambours de
l’Afrique précoloniale. Car elles précèdent les formes. Le passé se fait guide du présent. L’ethnologue
Georges Balandier montre l’intérêt de cette articulation. Elle permet à la connaissance sociologique de
palier à une documentation historique lacunaire. La manipulation doit par dessus tout, se faire avec
précaution à cause du risque d’anachronisme50.

Des spécialistes mettent en oeuvre cette méthodologie. En effet, c’est à partir des pratiques
observées par Leroi Jones (1934-2014) que l’écrivain retrouve les structures de la danse et du chant
venus d’Afrique faisant du présent un témoin du passé. Du point de vue du sens, l’auteur souligne que
le chant, la musique, la danse sont intimement liés à l’existence de l’homme et au culte des dieux.51.
Ce sens fait de la musique, du chant et de la danse une interface entre l’homme et l’au-delà. C’est
pourquoi les biens culturels immatériels venus d’Afrique par les travailleurs esclaves, doivent leur
survie à leur caractère immatériel :

« Seuls la religion (et la magie) et les arts non plastiques ne furent pas entièrement submergés par les concepts
euro-américains. Ni la musique, ni la danse, ni la religion ne produisent d’objets : c’est ce qui les sauva. Il était presque
impossible d’anéantir ces expressions non matérielles de la culture africaine. Et c’est là l’héritage le plus manifeste du
passé africain, même aux yeux du Noir américain contemporain. Mais signaler que le blues, le jazz et la version noire de

47
Concept d’Arjun Appadourai pour montrer l’adaptation des populations à la mondialisation, 2015.
48 John Blacking, Le sens musical, 2011 (réédition) pages 7-9
49
John Blacking, Le sens musical, 2011 (réédition) page 15
50
Geoges Balandier, La vie quotidienne au Royaume de Kongo du XVIè au XVIIIè siècle, Hachette, Paris, page 9.
51
Leroi Jones, op cit, page 56

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la religion chrétienne dépendent largement de la culture africaine n’a rien d’original. L’important est de savoir comment
tout cela en découle.52 »

Alors, avant leur exercice en Guadeloupe, quel était le sens des pratiques aux tambours au
départ des captifs ?

2- Des pratiques de culte dans l’Afrique noire depuis le VIIè siècle

Les tambours sont les instruments centraux du culte royal. Dans l’organisation politique des
empires et des royaumes du VIIè au XVIè siècle, étudiée par l’historien Joseph Ki-Zerbo, le rôle
du tambour et la place du « tanbouyé », sont soulignés. A ce propos, l’auteur utilise les récits des
géographes arabes comme Ibn Hawkal (entre 910 et 920- probablement décédé en 988). Ce
géographe turc effectue un voyage de Bagdad au bord du Niger. C’est un témoin controversé car
soupçonné d’intention propagandiste pour le Maghreb oriental53. Toutefois, pour une période dont
la documentation est rare, il est accueilli par l’historien en tant que source fiable. L’autre
informateur est le géographe Al Bakri (1040-1094), un écrivain arabe de Cordoue en Espagne qui
rédige une Description de l’Afrique septentrionale en 1087.

D’après ces informateurs, l’historien appréhende la musique comme un acte de célébration du


roi que l’islamisation, depuis le IIIè siècle, de nombreuses sociétés africaines n’a pas effacé. Les rites
royaux sont effectués par une garde rapprochée qui participe à toutes les manifestations officielles
pour les intronisations comme pour les audiences solennelles. L’intronisation du roi, ses discours, ses
audiences, ses déplacements, son décès… sont marqués du son des tambours. A ce titre, le tanbouyé
fait partie de la cour royale et occupe une fonction de prestige. L’historien multiplie les exemples pour
bien montrer que diverses parties de l’Afrique pratiquent ce culte commun :

- Au Ghana54, en 1062, les audiences du roi Tounka Menin sont annoncées par la dûba. Il
s’agit d’un tambour fabriqué à partir d’une longue pièce de bois évidée. Cette annonce est
accueillie par ceux qui profèrent une marque d’adoration au roi mais aussi par les
musulmans. Les uns s’agenouillent à l’approche du roi et lui jettent de la terre sur la tête
tandis que les autres l’accueillent plus modestement en battant des mains55.
- De la fin du XIIè à la fin du XVIè siècle, l’Afrique noire connaît une période d’essor
nommée « Grands siècles » par Joseph Ki-Zerbo. L’évolution des Empires est décrite par
le géographe arabe Ibn Battouta (1304-1368 ou 1377) né à Tanger qui effectue de nombreux
voyages en Afrique Noire de même par l’historien, géographe et philosophe Ibn Khadoun
(1332-1406). Là, le tambour royal a une fonction mystique. Antoine Manda Tchebwa 56 ,
unversitaire originaire du Congo-Kinshasa, docteur en droit et musicologue le confirme en
citant l’historien et philosophe rwandais Alexis Kagame57 pour montrer la place du

52
Leroi Jones, op cit page 37
53
Garcin Jean-Claude, Ibn Hawqal, l’Orient et le Maghreb, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 35, 1983
54
Le Ghana est décrit tantôt comme une ville, tantôt comme un Empire
55
Ki-Zerbo Joseph, Histoire de l’Afrique noire, 1978, page 110
56
Radio Okapi, Emission Le Grand Témoin, République Démocratique du Congo, 24 février 2013 mis en ligne le 26 février 2013,
radiookapi.net
57
Anthère Nzabatsinda, Symbolique des animaux et des objets chez Alexis Kagame (1912-1981), écrivain du Rwanda, Littérature
africaines, 2011, page 496. L’écrivain est un philosophe rwandais qui fait du Rwanda le terrain de ses recherches en philosophie et en
anthropologie. Il est aussi connu comme écrivain de la tradition, des langues et de la littérature africaine.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

tambour dans la symbolique régalienne au Rwanda. Cette place se maintient de la mise en


place de l’institution monarchique par la dynastie des Banyiginya58 au XVè siècle jusqu’à
la colonisation allemande décidée par la Conférence de Berlin en 1885. Dans ce royaume,
le tambour n’est pas seulement un attribut du pouvoir. En fait, c’est lui qui détient le
pouvoir. Il est investi d’une double autorité spirituelle et temporelle :

« Le tambour dynastique désigne le roi. Le tambour « Karinga » du Rwanda dépasse le Mwami en âge
et en dignité. C’est lui qui est intronisé et qui règne sur le pays … Même si le roi meurt injustement, le
tambour Karinga reste là, seul, comme souverain du pays de façon que les princes … combattent pour
lui sans que personne parmi eux ne soit intronisé s’il ne descend directement du dernier roi légitime. Là
où Karinga se trouve, même si le roi en personne ne s’y trouve pas, d’autres tambours sont battus en son
honneur. Lorsqu’il est en voyage, on le reçoit partout comme s’il s’agissait du roi… et quand ils étaient
tous les deux en voyage, c’est le roi qui devait marcher derrière lui. Le pays qui possède un tambour
dynastique n’est vaincu que lorsque celui-ci est pris. Aussi longtemps que les ressortissants de ce pays
sont en possession de ce tambour… ils ont l’espoir de reprendre le dessus…59 »

Dans d’autres royaumes et Empires, les cérémonies fastueuses de la cour royale mettent
en scène le tambour. L’unité et la diversité régionale des rites ne peut se démontrer qu’à
travers plusieurs exemples

- Au XVè-XVIè, dans l’Empire du Mali, dirigé par le sultan Souleymane, les


audiences ou autres solennités donnent lieu à un protocole orchestré par la garde
rapprochée constituée de commandants, de prédicateurs, de savants, de juristes,
d’esclaves en armes…. Ces séances ont lieu à l’extérieur, sous un arbre. Des
chanteurs ouvrent la procession et l’installation du roi sur son trône fait retentir les
frappements de tambours, de sons, de cors et de trompettes. A la cour, la musique
est exécutée à partir d’instruments divers comme les koras60, les tam-tams, les
balas61, les guitares diverses et les cornes d’éléphant. Un pas de danse solennel, le
douga, est réservé exclusivement au roi et à l’un de ses dignitaires62.
- Dans l’Empire de Gao ou Empire Songhaï au XIè-XVIè siècle qui s’étend du
Sénégal et de la Gambie au Niger actuels, l’Empereur, a pour attribut traditionnel le
tambour et le feu sacré qui font partie des cérémonies protocolaires63.
- Dans le royaume Yorouba au XVè siècle, se développe principalement dans la ville
du Bénin un art de cour pour les rites et protocoles. Cet art consiste au travail du
laiton, de la sculpture sur bois ou ivoire, le travail du fer, du cuivre, le tissage ou la
fabrication des tambours. Réservé à un corps de métiers spécialisés, hiérarchisés
avec une échelle de titres depuis l’apprentissage jusqu’à la maîtrise et possédant
leurs rues et leurs sanctuaires propres, cet art accorde du prestige à ces spécialistes64.

58
Vansina Jan, L’évolution du Royaume Rwanda, 1961, page 9
59
Manda Tchebwa Antoine, op cit note 86, page 15
60
Instrument de musique cordophone dont la résonance des cordes est produite par une grosse calebasse ou par une caisse en bois
61
Instrument de musique idiophone appelé aussi balafon ou balani. Il est constitué de lames de bois sur lesquels frappe le percussionniste
pour obtenir une mélodie.
62
Ki Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, page 140
63
Histoire de l’Afrique noire, page 14
64
Histoire de l’Afrique noire, page 164

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Au sud du royaume de Loango durant le XVIIè et le XVIIIè siècle65, plus


précisément chez les peuples Fumu de la région de Diosso, lors des funérailles du
roi, des hommes sont attelés au char funèbre qui se dirige vers le lieu de
l’inhumation. Le cortège est formé des membres du groupe en question auxquels
s’ajoutent les délégations de toutes les provinces. Il est rythmé par les battements
du tambour que les joueurs exécutent en marchant entourés et suivis de nombreux
danseurs. Les assistants chantent, pleurent en brandissant des gourdins. Arrivés à la
limite des terres de Diosso, après avoir décliné l’identité du défunt à un groupe de
guerriers armés de bâtons, les gens du cortège sont pris d’assaut par les guerriers
afin que d’autres membres du cortège rejoignent le roi dans la mort. Il s’en suit des
morts et des blessés66.
Mais les manifestations ne sont pas réservées au pouvoir royal. Dans les familles, elles sont au service
de la lignée. Les ancêtres sont célébrés en musique.
En effet, chez les villageois, le culte des ancêtres se manifeste par des assemblées religieuses
qui correspondent aux grands moments de la vie communautaire. Leur fréquence s’explique par
l’ancestralisation des défunts et la divination des ancêtres67. Quand arrive l’âge la vieillesse, l’approche
de la mort fait de l’individu un être empreint de sagesse qui a la connaissance des traditions orales et
de l’histoire du clan. Les ancêtres sont ainsi voués à un culte qui consiste non seulement à honorer les
morts mais à détenir une emprise sur les vivants. C’est par les rites funéraires que s’effectue
l’ancestralisation du défunt depuis la préparation du corps jusqu’aux funérailles et au retour de deuil.
Ces rites garantissent la proximité entre les vivants et les morts. Le monde des morts et celui des
vivants entrent en symbiose.

Une fois les funérailles accomplies, le processus de divination se met en œuvre. Les morts
deviennent protecteurs des vivants. Les vivants leur adressent action, parole, cérémonies pour obtenir
leur grâce. Garants de la continuité du groupe, les ancêtres ont pour mission de veiller sur les vivants.
Ce statut d’ancêtre est destiné par conséquent aux chefs de clan. Pour remplir sa mission de protecteur,
le corps du chef de clan est enterré généralement à proximité des habitations. Les rites changent en
fonction des peuples mais l’offrande, la musique, le chant et la danse constituent le point commun des
rites funéraires. Par extension, tous ceux qui pénètrent dans le monde des morts ont vocation à protéger
le monde des vivants. Le tambour est ancré dans la vie du village. Toutefois, il arrive que les
cérémonies dédiées aux ancêtres ou aux éléments divinisés se déroulent sans tambours comme le
montrent les deux exemples suivants :

- Dans le royaume de Loango des XVIIè / XIXè siècles, chez les peuples Vili et
Yombé du Royaume, des pouvoirs surnaturels sont dévolus au roi, à l’ancêtre et aux
éléments de la nature. Les cérémonies prennent la forme de danse, de chant, de
musique, de prières, de libations, de consommation de vin de palme ou de raisin.
Deux veillées mortuaires sont organisées. Une de courte durée nommé masuku
mama où la cérémonie se limite à des chants par les assistants assis en demi-cercle

65
Hagenburger-Sacripanti, Les fondements du pouvoir au royaume de Loango, 1981, page 22
66
Hagenburger-Sacripanti, Les fondements du pouvoir au royaume de Loango, 1981, page 85
67 M. Cros & J. Bonhomme (éds.), Déjouer la mort en Afrique. Or, orphelins, fantômes, trophées et fétiches, 2008, pages159-168

30
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

autour du défunt. La musique qui rythme les chansons est produite par des femmes
qui font s’entrechoquer des tiges de bambou fendues longitudinalement. L’autre
veillée est destinée au fumage du corps placé au-dessus d’un feu entretenu et
surveillé par les femmes. Le liquide qui sort du corps enfumé est recueilli dans des
calebasses et absorbé par les parents du défunt afin de les protéger. Les festivités
sont de deux ordres : la dégustation du repas offert par les membres du clan et le
récit des mythes par les conteurs. Le vin compte parmi les cadeaux funéraires68.
- A l’occasion des rites funéraires, chez certains peuples, les masques sortent. Dans
le village de Kabinda au royaume de Loango, la cérémonie est aussi destinée à
obtenir les grâces du Nkisi qui désigne le premier ancêtre installé sur la terre du clan
familial. Divinisé, il est honoré dans un sanctuaire autour duquel se déploient de
nombreux interdits. C’est en son nom qu’une véritable police de l’observance des
interdits est assurée par les Badungas. Ce sont des masques derrière lesquels se
dissimulent soit des civils hommes ou femmes, soit des soldats69.

Toutefois, ceux qui font la musique, qui chantent et dansent à la cour royale ou au sein des
familles villageoises demeurent anonymes. Ce sont des acteurs et actrices de l’ombre. A leur sujet, les
termes sont impersonnels : « on bat du tambour70 » ou encore : « C’est par un tambour que … ». Les hommes
ne sont pas cités. Ils semblent avoir un rôle de fait. C’est par déduction qu’ils sont découverts à moins
qu’ils appartiennent précisément à des groupes comme les chasseurs, les forgerons ou les pêcheurs.
Les acteurs qui occupent un rôle particulier sont nommés. Dans le royaume de Kongo au XVIIIè siècle,
par exemple, Monseigneur Joseph Cuvelier dont les observations sont rapportées par Georges
Balandier, relate une cérémonie de naissance de l’organisation provinciale du royaume au cours de
laquelle un des chefs de clan est nommé. Il prononce comme suit la devise de son clan par laquelle il
fait allégeance au roi :

« Je suis Mankunku, celui qui renverse. J’ai bousculé les n’dembo, les tambours des
puissants71 »

Le nom des femmes n’est pas plus précisé. C’est plutôt leur présence et leur rôle qui sont
soulignés lorsqu’elles occupent une place fondamentale dans la cérémonie en question ou dans
l’organisation. Des exemples pris dans des régions différentes montrent que dans diverses parties de
l’Afrique, des femmes occupent le rôle principal de musicienne au tambour :

- En Ethiopie, le 21 septembre 1932, deux ethnologues français, Marcel Griaule et


Michel Leiris se retrouvent chez une femme pour une cérémonie de sacrifice d’une
brebis. Cette femme s’appelle Malkham Ayyahou et interprète des chants qu’elle
accompagne de la musique du tambour qu’elle produit. Elle a pouvoir de guérison
et ses cérémonies, à ce propos, se font en chants, battements de mains et tambour72.

68
Hagenburger-Sacripanti Franck, Les fondements du pouvoir au Royaume de Loango, 1981, page 169.
69
Hagenburger-Sacripanti Franck, Les fondements du pouvoir au Royaume de Loango, page 47
70 Ki Zerbo, Histoire de l’Afrique Noire, page 139
71
Balandier Georges, Au royaume de Kongo du XVIè au XVIIIè, 1965, page 20
72
Michel Leiris, l’Afrique fantôme, page 485.

31
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Au Gabon entre 1945 et 196873, l’oréga est un tambour en bois spécial de la société
secrète féminine du Njembé. … L’une des extrémités en volute, s’appuie sur le bras
gauche, tandis que l’autre est maintenue avec la main ; de la main droite, les femmes
frappent avec une baguette, tantôt par coups espacés, tantôt par coups redoublés »
- Chez les peuples Vendas d’Afrique du Sud la danse d’initiation préconjugale
appelée domba est jouée au tambour et dansée par des femmes. Pour rendre la
justesse du rythme du tambour, elles bougent le corps pour que le mouvement ne
participe plus uniquement de leurs mains mais de l’ensemble du corps, rendant avec
satisfaction, de manière technique le « sentiment » de la musique74
- Dans le désert, entre le Soudan et le Niger, chez les Toubous et apparentés, le chant
est le domaine réservé des femmes, les hommes ne le pratiquent qu’en dehors de
l’espace humanisé du village et à la condition qu’il n’y ait pas de femme au moment
du chant, de la génération de leur mère. Chez les Touaregs, les femmes jouent du
tambour notamment le tindé ou tendé. Il s’agit d’un tambour de bois utilisé tantôt
comme mortier, tantôt comme tambour lorsqu’on y tend une peau pour la fête. Elles
frappent à mains nues sur la peau75.

En définitive, depuis l’Afrique noire des Royaumes et des Empires (VIIè-XIIè) des
manifestations dansées, chantées et tambourinées sont connues dans l’ensemble de l’espace
subsaharien y compris la zone sahélienne. Ces manifestations aux tambours sont à la fois politiques et
religieuses. Ces caractères n’éliminent pas la fonction festive. Le tambour est un attribut du pouvoir et
un objet de culte. Mais, à lui seul, il ne peut détenir toute la sacralité. Il lui faut, pour atteindre ce statut,
d’autres langages d’accompagnement comme la musique, parfois exécutée uniquement par la voix et
par d’autres instruments de même que le chant ou la danse généralement associés. La sacralité est
rendue, par un ensemble interactif, dont les langages respectifs se nourrissent mutuellement. Il arrive
que ces trois expressions soient dissociées en fonction des contextes. Alors, en contexte esclavagiste,
dans les Caraïbes et singulièrement en Guadeloupe, ces langages se maintiennent, dans cette logique
d’imbrication-dissociation au plan des expressions et des fonctions.

B. Dans la Caraïbe et en Guadeloupe : Des amusements aux yeux des étrangers

1- Une chaîne de bamboulas caribéens

L’espace Caraïbe est envisagé dans sa plus large acception. Il s’étend à deux espaces
continentaux du continent américain, l’un au nord, les Etats-Unis et l’autre au sud, le Brésil. Ces
espaces partagent l’histoire de l’esclavage avec l’archipel Caribéen. Par ailleurs, ces deux espaces ont
attiré des voyageurs et inspiré des peintres européens durant l’esclavage. Par ces sources la vie
quotidienne des travailleurs esclaves dans ces territoires est connue du XVIIè à la fin du XIXè. Car,

73
Roger Sillans effectue ses observations au Gabon de 1945 à 1968 et André Raponda-Walker, prêtre originaire du Gabon et ethnologue,
assure sa mission catholique et observe les rites et croyances du Gabon jusqu’à la mort en 1968.
74
Blacking John, Le sens musical, Les Editions de Minuit, 2011, page 122 et planche 2.
75 Monique Brandilly, Introduction aux musiques africaines, 1997, pages 85-86.

32
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

l’esclavage est aboli dans les colonies françaises des Amériques en 1848 mais, aux Etats-Unis, il dure
jusqu’en 1865 et au Brésil, jusqu’en 1888.

Ces voyageurs, circulant dans les Caraïbes rapportent des scènes de danse. Ils constituent des
sources, de type iconographique ou littéraire, pour la musique des travailleurs esclaves. Leurs peintures
et leurs récits ne soulignent pas de rencontres musicales entre les peuples indiens d’Amérique et des
peuples africains qui coexistent. Pourtant, deux peuples qui pratiquent en musique, sur un même
territoire, à partir d’instruments artisanaux, des rites de passage, ont pu échanger. Ni le témoignage
des missionnaires catholiques, ni l’archéologie précolombienne n’en font état76. En revanche, la
bamboula est la manifestation au tambour la plus décrite du XVIè siècle au début du XXè siècle pour
l’espace Caraïbe. Cette manifestation circule d’un territoire à un autre. Elle nourrit l’inspiration des
plasticiens et des écrivains. Depuis le XVIIIè siècle, les plasticiens l’imaginent par le prisme du festif.
Ce sont les premiers plasticiens du tambour dans les Caraïbes. Une chaîne de bamboulas unit donc du
XVIIè au XXè siècle différents territoires du continent américain et de l’archipel des Caraïbes. A
chaque plasticien sa singularité dans le support choisi comme dans la scène rapportée.

- Agostino Brunias (1730-1796) est un témoin international. Peintre d’origine


italienne, il est au service du Sir William Young, à la Dominique. Il séjourne aussi
probablement à la Grenade et à la Barbade. Brunias peint les populations esclaves
dans leurs rassemblements en musique et danses :

76
Uri Alex et Françoise, Musiques et musiciens de la Guadeloupe, chapitre La vie musicale des Amérindiens, 1991, pages 22-28

33
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 1: Représentation iconographique des danses des Noirs : peintures et dessin

(XVIIIè-XIXè siècles)

Peintures de Brunias :
Scènes de danse des Noirs (haut)
Joute ou jeux de combat aux bâtons (bas)
Source : www-histoire-image-org.

34
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pour José Lewest, ces peintures expriment une ouverture vers la représentation des
populations non blanches et hors de l’élite77. Elles représentent des rassemblements
musicaux appelés bamboula où des Noirs, en situation de danses sont observées de
l’intérieur par le peintre qui semble faire partie du public. Les tanbouyé quelque soient
leur nombre sont des hommes. Ils sont aussi danseurs. Les femmes occupent aussi cette
fonction ou encore font partie du public78

- Le peintre italien Isaac Mendes Belisario (1795-1849) s’installe en Jamaïque en


1830 où il peint des portraits et des paysages. Les pratiques en musique des
travailleurs esclaves, sont connues par ce peintre :

- Gamain Louis-Honoré-Frédéric (1803-1871), peintre français réalise en 1836 « la


bamboula ». La toile fait partie de la collection du Musée du Nouveau Monde de la
Rochelle. C’est une œuvre éloignée de sa spécialité car Louis-Honoré-Frédéric est
un peintre des marines. La toile représente un rassemblement nocturne de danseurs
et de tanbouyé :

77
Lewest José, Les processus de reconfiguration dans l’art caribéen, Guadeloupe, Haïti, Jamaïque, Thèse de Doctorat en Arts
Caribéens, Faculté des Lettres et Langues, Université des Antilles, sous la Direction de Dominique Berthet, soutenue le 18-12-2015,
pages 39-40.
78
Centre d’art britannique de Yale, Connecticut, Etats- Unis.

35
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Gamain, La bamboula,
1836-Huile sur toile
Source : Collection des Musées, alienor.org (description page suivante)

36
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Edward Windsor Kemble,


The bamboula, 1885
Source: Granger Collection (Description page suivante)

Les danseurs sont trois femmes et 2 hommes ensemble. Ils affichent des postures
différentes et entrent en interaction avec les musiciens assis chacun sur leur tambour en
position de jeu. De part et d’autre des tanbouyé se tiennent des groupes majoritairement
féminins. Vêtus de blanc, toutes portent une coiffe de tissu coloré autant que les
danseuses. Les flambeaux qui dégagent une flamme d’un rouge écarlate focalisent
l’attention. Eclairant le cercle formé par les participants, ils contrastent avec le paysage
en toile de fond, dans la pénombre. Celle-ci marque bien la nuit comme le moment de
la manifestation bien que le ciel qui couvre la scène soit représenté dans le bleu vif du
jour. La taille des personnages traduit une scène que le peintre observe de loin. Sans
doute veut-il exprimer le caractère privé et secret de cette assemblée ? Le lieu de la
manifestation demeure incertain en l’absence d’informations suffisantes sur un auteur
très peu connu. Il se peut que la scène se déroule dans une île de la Caraïbe ou aux Etats-
Unis.

37
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Edward Windsor Kemble (1861-1933) est un témoin des Etats-Unis. En 1885, le


dessinateur et illustrateur réalise « The bamboula ». Cette œuvre figure parmi les
tableaux qu’il a réalisés en tant que témoin des danses. La scène est décrite de près
avec de nombreuses précisions quant aux mouvements des corps exprimant les trois
langages de la manifestation. Têtes levées et bouches ouvertes femmes et hommes
du chœur exécutent le chant. A ceux qui composent le premier plan, le peintre
accorde une sévère concentration marquée par la gravité des visages au cours de
l’exécution. La danse est exécutée en couple. Ou encore, les danseurs, un homme et
une femme, pieds –nus, se donnent la main l’un à l’extrémité du demi- cercle des
participants invitant l’autre, par ce geste convivial, à entrer dans la danse. Eux aussi
chantent. La musique est assurée par quatre tanbouyé qui jouent chacun sur un
tambour dont la petite taille les oblige à poser les genoux au sol ou à s’y asseoir.
Eux aussi chantent et jouent en même temps. Parmi les participants, un homme
brandit un bâton terminé par un petit objet en forme de poire. Le bâton domine la
foule et l’homme chante aussi, les yeux fixés sur le danseur. Le peintre étant
originaire des Etats-Unis, la scène pourrait représenter les danses du Congo Square
à la Nouvelle Orléans, marché aux esclaves puis espace de danses des afro-
américains après l’abolition de l’esclavage.

Ces principaux informateurs utilisent le mot bamboula tantôt au masculin, tantôt au féminin.
Le ou la bamboula fait partie des trois danses les plus en vigueur dans les Caraïbes et l’Amérique
latine à savoir la calenda, la bamboula, la chica appelée aussi Congo79. Le terme désigne à la fois la
danse, la musique, la réunion en musique. Moreau de St Méry l’emploie pour nommer le plus gros des
tambours dans les danses aux tambours des nègres80. Au début du XVIII è siècle, le mot devient
féminin pour désigner de manière péjorative la « danse des nègres » en Côte d’Ivoire, et, au milieu du
XIXè siècle il se rapporte à une danse violente et primitive. D’après le professeur Mukala Kadima-
Nzuji, dans le Congo Square au XIXè siècle, la bamboula est une danse du souvenir marquant
l’attachement à l’Afrique. Le mot mambula est employé au sein des populations noires de la Nouvelle-
Orléans pour désigner les ancêtres, et le mot « bahambula » signifie « ceux que l’on a écartés » c’est-
à-dire les populations serviles du continent américain. Alors, l’usage du mot bamboula exprimerait au
sein des travailleurs esclaves la prise de conscience de leur condition d’étrangers en terre d’Amérique.
Toutefois, il appartiendrait aux langues sara et bola de la Guinée portugaise et serait issu de « ka-
mombulon » et « kam-bumbulu », qui signifient « tambour »81.

Les trois artistes cités désignent les manifestations représentées par le terme bamboula. Mais
qui les désigne comme tel ? Est-ce les Européens observateurs ou les Africains serviles et leurs
descendants nés dans les Caraïbes ? Une réponse pourrait renseigner l’image de cette manifestation
aux tambours dans le contexte de l’esclavage négrier. En l’état de la recherche, elle fait cruellement
défaut. Mais la littérature offre aussi quelques témoignages au sujet des rencontres aux tambours.

79 Picotti Dina, La présence africaine en Argentine et l’identité latino-américaine, Menaibuc 2003, page 150.
80
Moreau de St Méry, De la danse, 1801, BNF Gallica.
81
Kadima-Nzudji et Malonga, Héritage de la musique africaine dans les Amériques et les Caraïbes, Festival Panafricain de Dakar,
L’Harmattan, 2007.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Comme les peintres, les témoignages des voyageurs retiennent la manifestation aux tambours
comme un espace de danse. Ses acteurs sont dans une logique d’amusement. La danse est décrite
parfois sans être nommée. Dans ce cas, c’est l’usage des tambours et le rôle des acteurs qui permettent
de l’identifier. Benjamin Latrobe (1764-1820) en 1819, architecte britannique d’origine française et
émigré aux Etats-Unis raconte une scène à laquelle il assiste lors de la visite de la ville de la Nouvelle-
Orléans :

« La musique était jouée par deux tambours et un instrument à cordes…. Le corps de


l’instrument était une calebasse… Un vieil homme, à califourchon sur un tambour
cylindrique d’environ trente centimètres de diamètre, le frappait du bord de la main et
des doigts avec une vélocité incroyable. L’autre tambour, une sorte de caisse ouverte à
douves était tenu entre les jambes et frappé de la même façon… Un autre instrument
… était fait d’un morceau de bois découpé ayant à peu près la forme d’une batte de
cricket, avec au milieu, tout du long une profonde rainure… On le frappait
énergiquement sur le côté avec un court bâton…. Il y avait aussi une calebasse, percée
d’un trou rond cerné de clous en cuivre, qu’une femme frappait avec deux bâtons. 82»

En revanche Médéric Louis Elie Moreau de St Méry (1750-1819) nomme


chacune des danses qu’il décrit. L’historien et juriste est un Blanc créole de la
Martinique qui a longuement vécu à St Domingue. En 1789, il entame la rédaction d’un
texte consacré à la danse dans laquelle celles des Amériques sont minutieusement
décrites. Il distingue les types de danses en fonction de la localisation des habitants du
continent de même que par leur statut :

« Ce que je viens de dire du rapport qui existe entre la danse et le climat, les mœurs et les habitudes d’un
peuple est facile à vérifier par l’observation et comme l’Amérique est l’objet principal de mes recherches,
il m’est aisé d’y trouver des preuves de ce que j’avance…83 ».

Il montre que la danse des nègres comporte des caractéristiques liées à leur affectation et leur
localisation :

« Parmi les esclaves, il en est comme les domestiques des villes… à cause des mille
circonstances que la domesticité même fait naître, se considèrent comme une classe
intermédiaire entre les esclaves et les affranchis et qui adoptent dans beaucoup de
choses les mœurs de ces derniers. Leur danse est donc la même que celle des blancs
avec les différences piquantes que la nature même des personnages y introduit…Il
faudrait avoir vu ces bals pour en concevoir toute la singularité…84 ».

Le rappel de l’ensemble des danses et l’intégralité de la description de l’auteur, sont nécessaires à


montrer la richesse de cette source pour les danses africaines des esclaves (facture des tambours,
instruments à percussions et à cordes, répartition des rôles par sexe, accessoires, structure du chant,

82
Benjamin Latrobe est cité par Tchiemesson Aurélien dans Sun Ra, un noir dans le cosmos, L’Harmattan 2004, page 13.
83
Moreau de St Méry, De la danse, 1801, page 13, BNF Gallica.
84
Moreau de St Méry, de la danse, 1801, page 35, BNF Gallica.

39
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

effets physiologiques). Ils sont décrits explicitement par les mots de l’auteur que nous présentons sur
la forme d’un dictionnaire :

- Kalenda : « Quand les nègres veulent danser, ils prennent deux tambours, c’est-à-dire, deux
espèces de tonneaux d’inégales longueurs, dont l’un des bouts reste ouvert, tandis que l’autre reçoit
une peau de mouton bien tendue. Ces tambours (dont le plus court se nomme bamboula, parce qu’il
est fait quelquefois d’un très gros bambou qu’on a creusé) résonnent sous les coups des poignets et le
mouvement des doigts du nègre à califourchon sur chaque tambour. On frappe lentement sur le plus
gros et avec beaucoup de vélocité sur l’autre. Ce son monotone et grave est accompagné par le bruit
d’une quantité de petites calebasses où l’on a mis des cailloux et qui sont percées dans leur longueur
par un long manche qui sert à les agiter. Des Banzas, espèces de guitares grossières à quatre cordes,
se mêlent au concert dont les mouvements sont réglés par le battement de mains des négresses qui
forment un grand cercle. Elles composent toutes une sorte de chœur qui répond à une ou deux
chansons principales, dont la voix éclatante répète ou improvise une chanson. Un danseur et une
danseuse ou des danseurs pris en nombre égal dans chaque sexe, s’élancent au milieu de l’espace et
se mettent à danser, en figurant toujours deux à deux. Cette danse peu variée, consiste dans un pas
fort simple où l’on tend successivement chaque pied et où on le retire en frappant plusieurs fois
précipitamment de la poitrine et du talon sur la terre, comme dans l’anglaise. Des évolutions faites
soi-même autour de la danseuse qui tourne aussi et change de place avec le danseur, voilà tout ce
qu’on aperçoit, si ce n’est encore le mouvement des bras que le danseur abaisse et relève en ayant les
coudes assez près du corps et la main presque fermée ; la femme tient les deux bouts d’un mouchoir
qu’elle balance. On croirait difficilement, quand on n’a pas vu cette danse, combien elle est vive,
animée, et combien la rigueur avec laquelle la mesure y est suivie lui donne grâce. Les danseurs et
les danseuses se remplacent sans cesse, et les nègres s’y enivrent d’un tel plaisir qu’il faut toujours
les contraindre à finir cette espèce de bals nommés Kalendas, (en celte Galvenda : ce qui signifie
appel donc, sans doute, à cause du bruit du tambour) qui ont lieu en plein champ dans un terrain uni
afin que le mouvement des pieds ne puisse y rencontrer aucun obstacle 85. »

- Vaudoux : C’est une danse de St Domingue plus particulièrement dans la partie


occidentale française : « il y a depuis longtemps un genre de danse appelé Vaudoux, qui exige
deux à quatre personnes et qui est caractérisé par des mouvements où il semble que le haut du corps,
les épaules et la tête se meuvent par ressorts. Cette danse a aussi lien avec le tambour, les battements
de main et le chant à chœur. J’ignore d’où elle a pris son nom mais son effet est tel sur les nègres,
qu’ils dansent quelquefois jusqu’à tomber en défaillance 86»

- Don Pèdre ou la Danse à Don Pèdre87 : « La danse qui porte son nom consiste comme le
Vaudoux, dans l’agitation des épaules et de la tête ; mais cette agitation est extrêmement violente, et
pour l’accroître encore ; les nègres boivent en s’y livrant, de l’eau de vie où ils imaginent de mettre
de la poudre à canon qu’on a bien broyée. L’effet de cette boisson, hâté et augmenté par leurs
mouvements, a une si grande influence sur tout leur être qu’ils entrent dans une véritable fureur, dans
des convulsions réelles ; ils dansent en faisant d’horribles contorsions, jusqu’à ce qu’enfin tombant
dans une sorte d’épilepsie qui les renversent, ils sont dans un état qui semble les menacer de la mort…
Quel être bizarre que l’homme ! Dans quel excès il cherche le plaisir !88»

- Le Chica aux Isles du Vent et à St Domingue : « C’est aux négresses de l’île Hollandaise
de Curaçao, qu’il faut accorder la palme pour la manière de danser le chica, il est même difficile de

85
Moreau de St Méry, De la danse, 1801 pages 37-40
86
Moreau de St Méry, De la danse, 1801 pages 40-41
87 Désignation par l’auteur Moreau de St Méry. Don Pèdre est celui lui le nom d’un nègre superstitieux et hardi du quartier du Petit-

Goave, connu de la justice comme chef de bande dangereux. Selon l’auteur la danse est connue depuis 1768, page 41
88
Moreau de St Méry, De la danse, 1801 pages 41-42

40
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

concevoir jusqu’à quel degré, elles ont su pousser l’art qu’on y cherche ; il va si loin, que leur buste
semble indépendant de sa base, qu’elles agitent avec une mobilité qui lasse même la vue »89

Moreau de St Méry nomme ces danses auxquelles il a assisté. Ces danses lui sont familières.
Toutefois, il appartient au groupe des Blancs créoles de la Martinique donc c’est un témoin dont le
propos perd en fiabilité vu son regard extérieur pour une pratique dont il ne connaît que l’aspect
tangible. L’étude du Vaudoux90 par d’autres spécialistes des sciences humaines apporte une réponse
qui nuance le caractère festif retenu par Moreau de St Méry.
Ainsi, Carmen Bernan est une anthropologue et historienne française. Elle définit le Vaudou
comme une pratique qui s’est transmise depuis les sociétés africaines précoloniales à St Domingue et
Haïti. C’est un rite de transe mystique dont la caractéristique majeure est la présence de dieux
anthropomorphisés qui pénètrent le corps du praticien en le propulsant dans un état second. D’après
la spécialiste, St Domingue puis Haïti n’a pas l’exclusivité de ce rite. Il se pratique au Brésil sous le
nom de canbomblé au Brésil et santéria à Cuba91. Dans le texte de Moreau de St Méry, les
circonstances de ces danses ne sont pas indiquées. Leurs circonstances permettraient de saisir leur
sens. Mais, des études récentes comme celles de Liliane Prévost et Isabelle de Courtilles
respectivement psychologue et spécialiste de l’Afrique de l’Ouest montrent que ces pratiques
observées durant l’esclavage dans la colonie du Brésil constituent en réalité des lieux
d’épanouissement des religions noires des travailleurs esclaves. Ces derniers ont gardé les orixas92 de
leurs ancêtres Yorubas et le culte de leurs ancêtres Bantu93. En effet, Roger Bastide (1898-1974) fait
partie des premiers chercheurs à étudier le sens religieux de ces danses dans les sociétés en question.
Il a montré comment les religions afro-brésiliennes se sont développées dans la ville de Bahia :
« Pour pouvoir subsister durant toute la période esclavagiste, les dieux noirs avaient été obligés de se
dissimuler derrière les statues d’un saint ou d’une vierge catholique. Ce fut le point de départ d’un
mariage entre le christianisme et la religion africaine dans lequel, comme dans tous les mariages, les deux
conjoints devaient tous deux également changer plus ou moins profondément pour s’adapter l’un à
l’autre.94 »

L’adoption de la religion catholique ne s’est pas accompagnée de la disparition des cultes


africains. Un syncrétisme s’est développé attribuant à chaque orixa un saint catholique et faisant
précéder toute cérémonie africaine d’une messe. Ce syncrétisme est aussi une des caractéristiques du
Vaudou haïtien et de la Santéria cubaine où des éléments catholiques et des dieux africains se
rencontrent. La danse aux tambours, dans un tel cadre est une expression religieuse syncrétique.

89
Moreau de St Méry, De la danse, pages 43-46
90
Orthographe utilisée par le narrateur Moreau de St Méry.
91
Bertrand Carmen, La chevauchée des Dieux, Le Vaudou haïtien, Clio Voyages culturels, 2006, clio.fr
92
Êtres surnaturels et gardiens de la nature comme de l’activité humaine, ils prennent possession de leurs fidèles durant les danses
rituelles dans les lieux de culte. Cette définition est proposée dans Marzal Manuel, Recherche de Science religieuse, page 234.
93
Isabelle de Courtilles et Liliane Prévost, Les racines des musiques noires, l’Harmattan, 2016, pages 102-103.
94
Roger Bastide (dans son livre les religions africaines au Brésil) est cité par Marzal Manuel, page 234.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- En Guadeloupe : la fête aux tambours de la sanction à la résistance

Comme dans toutes les colonies de la Caraïbe, les danses aux tambours se décrivent par ceux
qui les observent. Il convient de rappeler les contraintes auxquelles ces pratiques aux tambours sont
soumises. Ainsi, en 1685, l’édit du roi visant à donner un cadre juridique à la gestion des esclaves sur
les habitations de la Guadeloupe, de la Martinique et de St Christophe est enregistré au mois de
décembre en Guadeloupe. Cet édit plus communément connu sous la désignation de Code Noir à partir
du XVIIIè siècle, dans son article 2 impose, pour « maintenir la discipline de l’Eglise catholique
apostolique et Romaine » le baptême obligatoire à tous les esclaves de la colonie. Toute autre religion
est interdite. Par cet édit, la vie de l’habitation est réglementée par le calendrier liturgique : le
dimanche et jours de fêtes sont des jours de repos (article 6). Par ailleurs, toutes les assemblées
d’esclaves en plein air ou dans un lieu clos est interdit sous peine de sanction : punition corporelle
contre les travailleurs esclaves contrevenants, (article 16) amende pour les maîtres contrevenants
(article 17).
Conformément à cet article, les assemblées aux tambours peuvent difficilement se tenir. Le
calendrier se vit comme une opportunité en guise de mise en pratique, du sens que les Africains ont de
la vie. En effet, dans la pensée africaine, tout est sacré. Par conséquent tout ce que les captifs africains
mis en esclavage, rapportent de l’Afrique, est transmis en tant que bien sacré. Cette pensée peut -être
une explication à la relecture du calendrier en vigueur dans le territoire d’installation. De ce fait, les
Noirs, tout en adoptant le catholicisme, adaptent les pratiques négro-africaines saux tambours au
calendrier. Il n’y a plus de roi à glorifier mais il y a encore des défunts à célébrer, et des moments de
recueillement à organiser, en famille :

Les fêtes religieuses comme les mariages et les baptêmes, deviennent des jours
d’assemblées aux tanbou entre travailleurs esclaves issus des mêmes peuples et voisins
d’habitation95.

Le 1er novembre, fête de la Toussaint pour les catholiques devient jour de célébration
des défunts pour les travailleurs esclaves au cimetière. Le rite comprend, des
illuminations, des libations, des chants et l’usage de végétaux96 La célébration des morts
s’effectue aussi au cours des véyé97 la veille des funérailles catholiques. Celles-ci, le
jour même sont précédées d’une procession aux tambours et autres instruments à
percussion de fortune puis, à l’issue de la cérémonie catholique, la procession reprend
pour conduire le défunt au cimetière réservé aux esclaves98.

Le dimanche, jour de repos catholique devient jour de la bamboula ouverte, publique


pour les Noirs. Elle se produit aussi durant le temps libre les dimanches ordinaires et

95
Dutertre Jean-Baptiste, père dominicain effectue plusieurs voyages à la Guadeloupe. Ces scènes sont décrites dans son Histoire
générale des Antilles habitées par les Français (1667-1671), Archives de la Guadeloupe.
96
Félix Longin, Voyage à la Guadeloupe, 1816-1822, page 140.
97
Veillée mortuaire animée
98
L’abbé Casimir Dugoujon qui effectue deux séjours à la Guadeloupe de 1840-41 et de 1848-1849 relate une scène de funérailles dans
la commune de Ste Anne dans le recueil de lettres qu’il publie en 1845, page 72, Editions L’Harmattan, 2015.

42
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

les dimanches de fêtes. La bamboula se déroule en ville et des danses similaires se


déroulent à la campagne99.

Le samedi saint, jour du réveil des cloches pour les catholiques devient un jour de bain
collectif en musique100.

Ces rencontres musicales aux tanbou s’incrustent dans le calendrier de la liturgie catholique afin de
s’adapter au nouveau contexte. Il s’agit là d’une adaptation de survie. Ces pratiques sont des rituels
d’antipossession et de repossession en réponse aux rituels d’écrasement de leur humanité par la
violence du système esclavagiste101. La colonisation esclavagiste, de la sorte, transforme les
travailleurs esclaves pratiquants les musiques aux tanbou en résistants face à leur deshumanisation.

Les évangélisateurs catholiques jugent ces pratiques comme un culte concurrent et


obscurantiste. La question de la christianisation des Noirs devient alors une obsession pour le clergé.
A l’affût de la moindre manifestation étrangère à la religion catholique au sein des populations
esclaves, les textes qu’ils rédigent traduisent cette obsession :

Jean-Baptiste Labat a peu séjourné en Guadeloupe. Toutefois, il a vécu plus longuement


à la Martinique où il a débarqué en 1694. Son séjour y dure jusqu’en 1705 entrecoupé
de voyages à la Barbade, à St Domingue, à la Dominique, à St Christophe, à St Thomas
et en Guadeloupe. Ces descriptions valent pour toute l’Amérique où se danse la calenda
par les Espagnols qui l’ont appris des nègres qui l’ont importé de Guinée102 Il justifie
la Traite négrière comme voie salutaire pour la christianisation des Nègres :

« Le plus grand malheur qui puisse arriver à ces pauvres Africains, serait la cessation
de ce trafic. Ils n’auraient alors aucune ressource pour parvenir à la connaissance de la
vraie religion dont on les instruit à l’Amérique, où plusieurs se font chrétiens. Eh plut
à Dieu que l’on achetât tous ces misérables nègres et que l’on dépeuplât l’Afrique !103 ».

Une des descriptions de Labat permet de connaître non seulement la danse calenda mais aussi
l’image qu’elle renvoie à l’Eglise catholique représentée par le clergé local :

« Celle qui leur plaît davantage est le calenda, elle vient de la côte de Guinée, et suivant toutes les
apparences du royaume d’Arada. Les Espagnols l’ont apprise des nègres et la dansent de la même manière
que les nègres… Les danseurs sont disposés sur deux lignes, les uns devant les autres, les hommes d’un
côté et les femmes de l’autre. Ils sautent, font des virevoltes, s’approchent à deux ou trois pieds les uns
des autres, se reculent en cadence jusqu’à ce que le son du tambour les avertisse de se joindre en se
frappant les cuisses les uns contre les autres, c’est-à-dire les hommes contre les femmes. A les voir, il
semble que ce soit les coups de ventre qu’ils se donnent, quoiqu’il n’y ait cependant que les cuisses qui
supportent ces coups. Ils se retirent dans le moment en pirouettant, pour recommencer le même
mouvement avec des gestes tout-à-fait lascifs, autant de fois que le tambour en donne le signal, ce qu’il

99
Félix Longin, Voyage à la Guadeloupe, 1816-1822, page 142
100 Abbé Casimir Dugoujon, Lettres sur l’esclavage et l’abolition dans les colonies, Présentation de Nelly Schmidt, L’Harmattan, 2015,
page 35.
101
Hutton Clinton, Esclavage et origines cosmologiques de l’art afro-caribéen in Art contemporain de la Caraïbe, Mythes, croyances,
religions et imaginaires, HC édition, Paris, 2012, pages 14-21.
102
Révérend Père Labat, Voyages aux Isles de l’Amérique (Antilles), 1693-1705, Editions Duchartre, Paris, 1930, page 51.
103
Labat est cité par Pradel Lucie dans Don de mémoire de l’Afrique à la Caraïbe, Littératures et Culture des îles anglophones,
l’Harmattan, 2000, page 75.

43
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

fait souvent plusieurs fois de suite. De temps en temps ils s’entrelacent les bras et font deux ou trois tours
en se frappant toujours les cuisses et se baisant. On voit par cette description abrégée combien cette danse
est opposée à la pudeur. On a fait des ordonnances, dans les Iles, pour empêcher les calendas, non
seulement à cause des postures indécentes et tout-à-fait lascives dont cette danse est composée, mais
encore pour ne pas donner lieu aux trop nombreuses assemblées des nègres qui, se trouvant ainsi ramassés
dans la joie, et le plus souvent avec de l’eau de vie peuvent faire des révoltes, des soulèvements ou des
parties pour aller voler… Pour leur faire perdre l’idée de cette danse infâme, on leur a appris plusieurs à
la française, comme le menuet, la courante, le passe-pied et autres, aussi bien que les danses rondes et
branles…104 »

Casimir Dugoujon, missionnaire en fonction en Guadeloupe au XIXè siècle cherche une


explication à ces pratiques africaines. Il s’interroge. Il accuse. Il culpabilise presque. Et le dilemme
qui l’habite est un aveu d’échec :

« Les Nègres sont extrêmement pieux et semblent portés aux pratiques religieuses… Ils se rendent en
foule aux saints offices. Le dimanche, ils remplissent les églises et s’y tiennent avec le plus profond
respect et dans le plus grand recueillement. Mais ces heureuses dispositions n’étant ni dirigées ni
éclairées, dégénèrent en déplorables superstitions. Le crucifix, les statues de la Vierge, les images des
saints, ne sont pour eux que des fétiches. Ils ont conservé au sein du catholicisme toutes les pratiques
païennes ou mahométanes qu’ils ont apporté de l’Afrique…Mais si les esclaves sont encore païens, à qui
la faute ? … On ne dira pas, je pense que leurs superstitions leur viennent de la Guinée ; il y a déjà assez
longtemps que la traite est prohibée et la plupart sont nés dans le pays105....

Dans les lettres de Casimir Dugoujon les travailleurs esclaves qui maintiennent les pratiques
d’origine africaine sont décrits comme des esclaves de mauvaises mœurs par opposition aux esclaves
de « bonnes mœurs ». L’habitation Beausoleil de Saint -Claude est un modèle pour l’éducation de ces
populations aux bonnes mœurs tel que le conçoit le clergé. Dans ce cadre, l’éducation chrétienne
représente une ligne de fracture entre les travailleurs esclaves qui adoptent les rites chrétiens et ceux
qui maintiennent leurs pratiques africaines. Cette séparation entre les bons nègres chrétiens et les
mauvais nègres païens basée sur des critères religieux est donc une invention de l’Eglise
catholique mise en œuvre par le clergé local :

« Leurs esclaves qui aujourd’hui appartiennent aux domaines, se font remarquer par leurs bonnes
mœurs106…Pour mieux faire sentir le ridicule du reproche de paganisme que l’on fait à l’esclave, je
rapporterai ici les résultats qu’a obtenu une dame européenne sur son habitation par le moyen de la
religion… Le premier édifice qui a été achevé est une charmante chapelle ; elle s’élève au milieu de cases
de leurs esclaves… Elles (la dame européenne et sa nièce) font tous les soirs la prière avec eux… elles
enseignent et expliquent le catéchisme ; l’instruction est suivie du chant des cantiques pour lesquels les
nègres montrent beaucoup de goût…Elles me répétaient souvent qu’il s’opérait autour d’elles un
changement très sensible dans les mœurs de leurs esclaves… Elles se trouvaient heureuses au milieu de
leurs nègres, qu’ils étaient excellents, beaucoup meilleurs que les paysans des environs de la capitale et
surtout que les habitants de ses faubourgs. J’étais moi-même ravi de ce que je voyais et de ce que
j’entendais ; le soir lorsque nous sortions pour la promenade et que nous nous dirigions du côté où était
l’atelier, au lieu de ces chants barbares et obscènes que l’on entend partout ailleurs…Cette habitation

104
Labat Jean-Baptiste, Voyage aux Isles, Chronique aventureuse des Caraïbes (1693,1703), édition de 1998, pages 230-232.
105
Abbé Casimir Dugoujon, page 71
106
Lettre d’un ecclésiastique qui a habité la Guadeloupe, dans Abbé Casimir Dugoujon, Lettres sur l’esclavage et l’abolition dans les
colonies françaises, 1840-1850, page 130

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

aurait représenté l’image d’une société de parfaits chrétiens, si on eût pu parler de mariage à des
esclaves107. »

Après l’abolition de l’esclavage, s’ouvre une deuxième forme de colonisation sur le continent
africain. Pour cette période, le clergé se plaint aussi des actes religieux délictueux des Nègres. Prosper
Philippe dit Monseigneur Augouard (1852-1921), évêque au Congo français, dans une lettre écrite à
ses parents de sa ville de mission Dakar le 18 décembre 1877, durant 28 années passées au Congo tient
des propos similaires à ceux de l’abbé Dugoujon :

« Le grand obstacle de la conversion des Noirs du Sénégal est le mahométisme qui promet des plaisirs
sensuels auxquels l’homme s’attache malheureusement trop vite. Dimanche dernier, étaient la fête des
marabouts qui immolaient ce jour un agneau pour faire Tabachi disaient-ils. Deux grands marabouts
étaient montés sur des chevaux arabes… entourés d’une foule des plus pittoresques chantant à tue-tête
leurs chants de fête sur un ton monotone et discordant et s’accompagnant du traditionnel tam-
tam…Aujourd’hui, grâce aux efforts de nos confrères, ils disparaissent peu à peu… Espérons que nous
finirons par les convertir à notre sainte religion !... 108».

Parallèlement, en Guadeloupe, les manifestations aux tanbou trouvent une nouvelle


circonstance d’expression par une cérémonie familiale que la famille Massembo appelle depuis le
début du XXè siècle, Grap a Congo. En effet, la mère de Rose-Aimée Massembo (1925-2014), l’une
des officiantes, appelée Agathine, Anaïs Massembo et le père de Violette Massembo (1929-2002),
Anatole Massembo, d’après le témoignage des deux cousines organisent déjà la cérémonie à la fin du
XIXè siècle.

Avant cette période, les sources font défaut pour le nom et le contenu de la cérémonie. Celle-ci est
dédiée aux ancêtres de leur famille. Elle est composée de chants, de danses et de musiques produites
par des tambours autour d’un rituel d’appel puis de renvoi des ancêtres. Organisée tour à tour par des
familles différentes le 1er et 2 novembre, c’est une nouvelle adaptation des rites funéraires religieux
africains, qui trouve une place dans le calendrier chrétien109.

D’après l’historien Jean-Claude Blanche, s’engage pour le travail dans les îles des Amériques,
l’essentiel de cette deuxième vague de main d’œuvre africaine recrutée au Congo dans les régions de
M’Boma, Punta da Lenha, Saint-Victor, Loango110. D’après l’historienne Céline Flory, il faut
distinguer deux types de travailleurs. Les engagés de statut libre sont recrutés du comptoir français de
Gorée à la ville de Cape Coast au Ghana. Les prélèvements s’effectuent sur l’ensemble du littoral nord-
ouest africain. En revanche, les captifs rachetés sont prélevés sur différents sites mais principalement
au Gabon, dans le Loango et sur les rives du fleuve Congo. Les hommes et femmes de cette deuxième
vague d’immigration qui arrivent en Guyane, Guadeloupe et Martinique entre 1854 et 1862 sont âgés
de 16 à 32 ans. En dépit de la diversité des lieux de prélèvements, ils sont appelés « Congos » dans le

107
Lettre d’un ecclésiastique qui a habité la Guadeloupe, dans Abbé Casimir Dugoujon, s, 1840-1850, pages 140-141
108 Monseigneur Augouard, 28 années au Congo, Lettres de Monseigneur Augouard, BNF Gallica, page 17
109
D’après le témoignage des plus anciennes organisatrices du Grap a Kongo de Moravie, Capesterre, Guadeloupe, nées en 1925 et
1929, leur grand-mère participait déjà à la manifestation soit à la fin du XIXè et début du XXè siècle, témoignage de Rose-Aimée en
novembre 1995 et de Jacqueline Massembo en 2011 et en 2018.
110
Blanche Jean-Claude, L’immigration Congo en Guadeloupe, Historial Antillais, pages 155-157

45
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

langage courant, dans la presse et par les commissaires de l’immigration alors que le terme ne devrait
être utilisé que pour les rachetés111.

La désignation est devenue, dans les colonies des Amériques françaises, synonyme de
« immigrant africain » et traduit l’appartenance à un groupe distinct de Nègres. Ces nouveaux
Africains renforcent dans les colonies françaises le culte des ancêtres aux tanbou. Ce sont à la fois les
pratiques existants en Guadeloupe et les pratiques qu’ils recréent une fois arrivés dans cette colonie.
Celles-ci demeurent vivantes car se perpétuent de génération en génération. Des sources provenant de
témoins civils en témoignent pour le XXè siècle. Ils montrent que les pratiques aux tambours en
Guadeloupe sont de formes multiples.

C- Les Guadeloupéens et le gwoka : Un objet diversement identifié


1- Les données du consensus : une désignation, un instrument

La pratique en question se désigne unanimement par une expression unique, « gwoka ». Mais,
le sentiment de propriété collective donne libre cours à l’instabilité graphique.

Ainsi, l’appellation gwoka renvoie pose un problème d’étymologie. En effet, la désignation


orale varie de goka112 à boka113auquel il convient d’ajouter n’goka114. L’origine du mot est encore
hypothétique. Par ailleurs les premières traces écrites du mot ne datent que des années 1940. Il figure
dans des textes littéraires, textes libres ou poème 115:

Dans les sources écrites françaises en 1947 il s’écrit « gros-ka » :

« Maos ce soir… l’ombre partout s’est tassée multipliant les mouches à feu. Une légère brise venant de
la montagne, répand dans la campagne une avalanche de bruits. Le foyer n’a plus de flamme. Le tam-
tam d’un « gros-ka » rythmant une chaude biguine, danse, va et vient dans l’air, au gré de la brise. C’est
le premier samedi du Carnaval…, Jean Roche, Revue Guadeloupéenne, 1947.

Dans les sources écrites françaises en 1957 il s’écrit « gros- ca » :

« Coquioco ! Zanmis, jou-la ka rouvè, chè !


Jou-la nous ka atten-ne dèpis lontemps
Ciel-la clais con cristal : nous ké ni bel beau-temps
Pou fête à commune an nous, chè ! »
Dumain cé bô riviè avè salade conconme…
Ca pas kaller sans rhum
Pou quioquer l’appétit… On chaud danser gros-ca

111
Flory Céline, De l’esclavage à la liberté forcée, Histoire des travailleurs africains engagés dans la Caraïbe française au XIXè,
Karthala, 215, page 348
112 Vol 2, disque Kaloukéra, 1965.
113
Témoignage de Guy Conquet dans Press Book, Paris, 1993
114
Simone Scharwtz-Bart, Un plat de porc aux bananes vertes, 1967, page 83. En note de fin d’ouvrage, l’auteure précise qu’elle a pris
la liberté de cette transcription parce que le terme désigne en dialecte Sango des rives du fleuve Oubangui entre la République
centrafricaine et la République Démocratique du Congo, le même instrument, de forme identique, d’interprétation voisine.
115
Revue Guadeloupéenne, 1947 et 1957

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Léroses avè guita ; temps en temps on ti bian …


Et tout ça pou lu lendumain116,

Le mot est tantôt simple, tantôt composé. Cette instabilité graphique traduit encore
l’incertitude sur la fabrication du mot. Le terme envisagé comme une seule entité n’a
pas encore trouvé d’explication. Le terme ka qui compose le mot gwoka peut donner
lieu à maintes interprétations vu le mystère qu’il constitue aux yeux de ses acteurs.
Ainsi, au regard de l’Afrique antique, d’après Kaya Jean-Pierre décédé en 2013, juriste
et panafricaniste d’origine congolaise, le Ka est la force vitale. Il représente la Nature
Divine117. De même, vu que la rumeur accorde du crédit à la récurrence de la syllabe
ka dans les musiques et danses de la Caraïbe. Nous citons les mots en question qui
inspirent cette rumeur. Celle-ci peut ouvrir des pistes de recherche dans l’espace caraïbe
pour comprendre l’origine du mot. Nous citons en guise d’exemples le calypso, du soca
de Trinidad, du ka de Ste Lucie, du kata de Grenade et de Carriacou. S’ajoutent aussi
des rites congos du Brésil dont certains remontent au XVIIè siècle comme le
calundùm, un rite bantou exécuté par les Congos au Brésil. Le cabula, bien connu dans
le centre et sud du Brésil, à la ville comme à la campagne, honore plusieurs dieux
suprêmes d’origine bantoue : Gana Zumba, Xangô, Ôgun ou d’autres divinités
amérindiennes et noires. Par ailleurs, le maracatù est une spécialité du Carnaval de
Recife et des Etats de Paraiba et Alagoas118.

Du point de vue du créole guadeloupéen, l’adjectif gro ou gwo qualifie une taille, une qualité,
un rang, une valeur marchande. Il peut éclairer le sens du mot gwoka et celui de gwotanbou par lequel
la pratique est désignée par des personnes d’un certain âge en Guadeloupe. Mais est-ce bien des
adjectifs, des suffixes ou des substantifs ? Le mystère demeure. Il faut relever aussi qu’une des
hypothèses sur l’origine du mot n’a pas encore fait preuve d’historicité. Elle est même contestée. Il
s’agit de celle qui attribue le terme, aux barriques recyclées avec laquelle les tonneliers fabriquaient
les tanbou119. Ils étaient appelés gros-ka et ti-ka. Depuis 1982, Joslen Gabali, enseignant, réfute
publiquement cette hypothèse. Son argument s’appuie sur les premiers tanbou, fabriqués en bois
fouillé qui réfute l’explication de la désignation de la pratique par le mode de fabrication des tanbou120.
En l’état actuel de la recherche, l’historien ne peut apporter d’éléments pour trancher le débat.

Avant les années 1940, dès la fin du XIXè siècle jusqu’au milieu du XXè siècle, c’est le terme
bamboula qui désigne les manifestations de type gwoka. Cette assemblée attire les voyageurs. Ce sont
davantage les expressions publiques et festives aux tanbou tant dans les bourgs, la ville et la campagne
qui retiennent l’attention. Par conséquent, le spectaculaire, le pittoresque et l’exotique constituent
l’essentiel des récits mettant en scène des acteurs réguliers comme des occasionnels. Les scènes sont
rapportées comme des amusements non plus par le clergé mais par des civils. L’accusation de

116
Auguste Bazerque, Poème Cé fèt commune an nous, Revue Guadeloupéenne, 1957
117
Kaya Jean-Pierre, La théorie de la révolution africaine : Repenser la crise africaine 2007 page 45
118
Isabelle Leymarie, Du Tango au Reggae, 1996, pages 43-48
119
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique en Guadeloupe, 2002, page 137
120
Joslen Gabali, Diadyée, Editions Créapub, 1982, pages 88-89.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

profanation du culte chrétien disparaît. Les récits se sécularisent par leurs informateurs qui ne sont
plus des religieux mais des voyageurs civils.

Ces voyageurs sont : Fernand Hue (1846-1895), écrivain et journaliste associé à Georges
Haurigot, un Blanc créole né en 1856 qui publie en 1886, un ouvrage de Géographie traitant des
Grandes Colonies françaises des Antilles. Il s’agit en réalité d’une présentation historique et
géographique de ces colonies. Armand Corre (1841-1908), médecin qui séjourne en Guadeloupe de
février 1885 à mars 1887 publie à Paris en 1890 un ouvrage intitulé « Nos créoles » dans lequel il
dénonce les comportements jugés mauvais des Blancs créoles pour la prospérité de la colonie. Robert
Huchard, voyageur aux Antilles françaises en 1906 fait le récit journalier de son deuxième passage en
Guadeloupe. Son livre est une sorte de chronique du temps présent en Guadeloupe. A l’issue du récit
des tensions politiques qui animent l’île, il raconte la superstition des nègres de la campagne de Pointe-
à-Pitre et la fête organisée dans la ville à l’occasion de l’arrivée d’un homme politique. Corneille
Bazile, instituteur dans la commune des Abymes et résidant à Pointe-à-Pitre publie en 1926 « Un
pèlerinage aux Abymes ». Il y décrit la dite commune à travers des habitations liées à l’activité sucrière
des usines ou à celles qui appartiennent au domaine colonial. Il relate les fêtes qui s’organisent au sein
des familles et par la municipalité de même que les jeux et les duels.

D’après ces voyageurs, la bamboula s’identifie à une structure constante comprenant de la


danse et du chant tambouriné. Toutefois, les circonstances, les acteurs, les formes et les caractéristiques
divergent. En effet, à leurs yeux, la bamboula se pratique de nuit, lors de l’opération « grager
manioc121 », à la pose des travailleurs relayeurs122. C’est un lieu de plaisirs où les Noirs se rencontrent.
Les Blancs créoles les fréquentent aussi123. C’est la danse de référence des Noirs à tel point qu’ils la
confondent avec d’autres danses de bals124. C’est aussi un bal public improvisé dont la musique est
assurée par un seul « gros tambour » fabriqué à partir d’un tonneau dont une face recouverte d’une
peau de cabri est frappée par un musicien. Le musicien produit le son en s’y asseyant à califourchon.
La danse consiste à avancer et à reculer au son du tanbou. Les chansons interprétées en dansant
recouvrent des thèmes divers. Ils traitent de scènes obscènes, d’histoires de la vie quotidienne des
interprètes, de vieilles légendes. Le chant est conduit par une femme à laquelle répondent d’autres
femmes. Des individus originaires de la colonie sont aussi attirés par la bamboula :

C’est ainsi que Edgar Littée (1866-1932), en promenant son objectif sur les scènes de la
Guadeloupe et de la Martinique photographie une bamboula. Elle se déroule de jour, sur un terrain
vague, probablement à la campagne au son de trois tanbou joués chacun par des hommes autour d’un
public composé d’hommes et de femmes endimanchés. Il n’y a ni danses, ni chants apparemment.

121 Râper le manioc pour le réduire pour en faire une pâte à partir de laquelle se fabrique la farine.
122
Fernand Hue, Nos grandes colonies, Amérique, Oudin Editeurs, 1886, page 95, BNF Gallica.
123
Armand Corre, Nos Créoles, 1890, Archives de la Guadeloupe.
124
Robert Huchard, Des hommes et des choses, page 236, BU Manioc

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 2 : Photographie d’une bamboula125 ( collection Christelle Lozère)

L’écrivain Léon Belmont, président de la Société Régionale d’action littéraire guadeloupéenne


imagine une scène de bamboula, à la plage, lors d’une fête officielle célébrée en famille. La musique
est assurée par une femme qui exécute les sons du tanbou sur une casserole frappée à mains nues. Un
chant, par un lead auquel répond un chœur mixte, est exécuté au rythme du tanbou et les danseuses,
pieds nus et poings aux hanches, esquissent librement la danse126. La presse d’opinion et d’information
complètent les variantes de la bamboula. Ce sont des bals où les gens dansent en couple127 organisées
lors des victoires électorales :

« Pour fêter l’élection de l’Eminent, le Maire Wilfrid Gros-Roche donna lundi sur le
Cours Nolivos une réjouissance populaire. A côté de la timbale municipale une
bamboula effrénée se faisait entendre128 »

La presse d’information décrit la bamboula comme une danse exécutée dans les rues à
l’occasion du Carnaval, un bal chez des particuliers dans les bas quartiers, l’animation au tanbou d’une
fête où se rencontrent marchandes de pistaches et passionnés des jeux de hasard129.

En définitive, le terme bamboula est plus ancien que le terme gwoka. Dès le XIXè siècle, il se
retrouve dans les livres et dans la presse. C’est une manifestation qui s’identifie à ses trois expressions

125 Marcel Lefranc, « La Guadeloupe », La dépêche coloniale illustrée, 1903, 30 juin, numéro 12, p. 171 (Cliché PHOS), collection

Christelle Lozère.

126 Belmont Léon, Mimi, mœurs guadeloupéennes, 1911, BU manioc


127
Journal La Crucifiée, 1902, Archives de la Guadeloupe.
128
Journal La Crucifiée, 1902, Archives de la Guadeloupe.

129 Journal Le Colonial, Archives de la Guadeloupe, 12 février 1918.

49
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

artistiques généralement associées. Mais la bamboula est plurielle autant que le tanbou est à la fois
unique et multiforme.

L’instrument répond à une facture particulière. Il fut longtemps appelé tam-tam ou gro-tanbou.
Ces appellations ont vieilli et quasiment disparu. Il se distingue des autres tambours de la Guadeloupe
par une désignation courante, tanbou dont les synonymes sont ka, tanbou-ka. Il rappelle, par son
portrait, d’autres tambours des Caraïbes et Amériques. La base de la facture est identique quoique
chaque territoire y mette sa touche particulière. En Guadeloupe, le portrait admis et reconnu de tous
est l’instrument volumineux réalisé à partir d’une caisse cylindrique renflée en bois. La peau animale
est fixée par un cordage formé du cercle retenant la peau sur laquelle s’exécute le son et d’un laçage
en Y le long du fût. Le laçage sert à régler, à l’aide de petites baguettes dénommées « klé » disposées
sur le pourtour de la caisse, la tension de la peau afin d’obtenir la sonorité recherchée. Ce système de
serrage constitue la caractéristique singulière des tanbou, en dépit de variantes de forme ou de taille.
Le tanbou est un membranophone à une face. Il s’exécute à mains nues en frappant sur la peau réglée
par le tanbouyé à l’aide des klé qu’il serre ou desserre à souhait.

Une autre forme de caisse en entonnoir s’utilise aussi dans les manifestations gwoka. C’est le
djembéka inspiré de tambours d’Afrique de l’Ouest fabriqués en monobloc. Son introduction dans le
gwoka se prête à de multiples interprétations. La plus plausible nous semble être celle de Christian
Mathurin. Ce tanbouyé est ouvert à tous les types de membranophones. Son surnom Patakoum lui
vient d’un phrasé régulier qu’il exerce sur des congas. C’est un ami proche de Vélo qui sur ces derniers
jours jouait sur un djembéka130. Le tanbouyé raconte dans un témoignage la naissance du djembé-
ka probablement durant les années 1970 :

« Je leur ai demandé de me donner un tambour (djembé). Un des gars me dit qu’il m’en
donne un mais qu’en échange je lui donne une somme symbolique. Je crois lui avoir
donné 1 ou 10 francs de l’époque. Ce que j’avais sur moi. En une après-midi, il a pris
un fût nu et m’a monté un djembé. Il m’a appris la technique de laçage et de tension du
djembé. Mais le jour où j’ai tenté de le serrer. - tu sais je n’ai pas assez de patience -
j’ai fait ce que j’ai pu mais sans arriver à le tendre correctement. Il produisait donc un
son plutôt moyen, et j’étais donc obligé de le chauffer. Un jour, la peau s’est crevée.
J’étais loin de maîtriser la technique africaine de montage de la peau mais comme je
fabriquais des tambours gwoka, j’ai fait un gars me faire deux cercles métalliques. C’est
comme ça que j’ai monté une nouvelle peau mais avec le système de montage gwoka.
Le djembé-ka était né. J’étais encore en Martinique …

Vélo n’avait pas de tambour. Il jouait sur le tambour de Linlin. A cette époque il était
déjà tombé très bas avec l’alcool… Le véritable tambour de Vélo c’est celui qu’il utilise
dans ses disques, un ka… Mon djembé et tous les autres tambours que j’avais, je les ai
laissés en Martinique… De là, j’ai fait ma femme, restée en Martinique, m’envoyer le
djembé.

Je l’ai offert à Vélo. Je me rappelle qu’il est descendu à Pointe-à-Pitre avec. Il disait :
Regardez on m’a donné un pilon. C’est ainsi qu’il appelait le djembé, à cause de la
forme du fût. Et c’est comme ça que Vélo a eu le premier djembé qui avait en
Guadeloupe. Et le premier djembé-ka parce qu’il était déjà monté en ka, avec 6 clés à

130
La rumeur dit que le djembéka sur lequel jouait Vélo appartenait à son ami tanbouyé Christian Mathurin qui le lui avait offert ou
qui le lui prêtait. Car Vélo avait fini par perdre le sien.

50
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

l’époque… »131.

Figure 3 : Les tanbous de la Guadeloupe : djembéka, tanbou-ka, tanbou-a-mas

Collection Laméca, 2003

Christian Mathurin et le djembéka


de Vélo, 24 juillet 2003,
Blanchard Gosier

Photo : Vélo jouant de son djembéka avec le groupe Takouta


Source : Journal Guadeloupéen, Article « Twa Jou pou
gwoka » - 21 novembre 1979

131
Entretien retranscrit en ligne, accordé à Gustave Michaux-Vignes, anthropologue et responsable du pôle musique de la médiathèque
départementale de la Guadeloupe (LAMECA), interview audio Lameca, Fonds Palé pou sonjé.

51
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Au gré des fantaisies, la caisse du tanbou devient rectangulaire, plus allongée, de taille
démesurée. Elle peut être colorée ou stylisée. Au déboulé, elle se fait aussi plus allongée, refermée à
chaque extrémité par deux peaux ou encore plus plat et plus large et se joue avec des baguettes ou à
l’aide d’un gourdin. Dans ce cas, il se porte en bandoulière sur la hanche ou sur la poitrine. Ces
variantes comprennent le tanbou-chan ou ti-tanbou sur lequel se jouent les sons aigus. Ces sons
peuvent se fredonner comme une chanson d’où le rôle de chantè qui lui est attribué. Il est de petite
taille. Le tambour désigné par bas ou tanbou-bas rappelant la sonorité de la guitare basse et la kontrè-
bas désignent les plus gros tanbou exécutant les sons graves. Puisque ces tanbou sont attachés au
corps, ce ne sont plus uniquement les mains qui rendent le son mais l’ensemble du corps en vibration.
Le tanbou se porte aussi à la taille à l’aide d’une lanière pour certains types de mas132. Dans ce cas, il
se joue à mains nues tandis que le tanbouyé se déplace au cours de la parade. Les tanbou qui jouent
exclusivement la musique aux tanbou du Carnaval de type mas sont des tanbou-a-mas. Vélo, tanbouyé
le plus reconnu de la Guadeloupe a exploré le tanbou du léwòz, le djenbé-ka et le tanbou-chan du mas.

La norme technologique de tous les tanbou des manifestations gwoka est le mode de serrage
par les « klé », le laçage en Y et le mode d’encordage autour de la peau. Le tanbou-ka du léwòz, du
mayolè, du Grap a Congo, du mas a kongo, de la-bòdé et occasionnellement de la véyé et du vénéré,
du bèlè principalement le grager manniòk peut être considéré, comme le tanbou originel. Il a engendré
au gré des occasions et besoins, d’autres tanbou à qui il a transmis des composantes et une sonorité
génétique. Le tanbou-ka est entendu comme un tanbou-mère à l’échelle de la Guadeloupe.

Un tanbou-ka géant : Village Djembé-ka Ka et djembé-ka,


International du ka Source : collection
un jeu partagé du tanbou
et des tambours du Sud personnelle Source : Collection personnelle
Source : Fondal-ka, Petit-Canal

132
Les défilants des mas a kongo portent le tanbou à l’aide d’une lanière rattachant la hanche au tanbou

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Tanbou-a-mas au cours du déboulé (Source : collection personnelle)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Vélo jouant du tanbou-chan avec le groupe Akiyo, début années 1980


(Collection David Angerville)

54
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Des décalages et divergences d’identification à une nouvelle approche

Les brochures et livrets réalisés par des musiciens et danseurs portent la marque d’une
interrogation sur l’identification du gwoka. Celle-ci s’exprime à travers leur description du gwoka
mais ne se dit pas explicitement. C’est une interrogation implicite voire silencieuse, mais qu’il convient
d’éclairer pour notre étude. A ce propos, ces publications techniques non conventionnelles de
musiciens et dansè ne peuvent être ignorées. Car ils posent le problème du mode et de la pédagogie de
la transmission du gwoka dans une société de l’écrit. Ils interrogent aussi le mode de transcription des
techniques musicales du gwoka pour un apprentissage répondant aux conventions esthétiques de la
pratique. Produits par des musiciens et des danseurs à partir de leur propre expérience, ces livrets
posent en définitive la question d’une tradition musicale à l’épreuve de l’intégration dans les musiques
du monde. Les décalages se repèrent aussi entre ce qui se dit du gwoka et ce qui se fait en réalité. Ce
qui se dit spontanément par ces musiciens est que le gwoka s’identifie à « 7 rythmes ».

Cette identification a pour origine le disque Vélo et son gwoka, premier disque gwoka produit
par un Guadeloupéen en 1964 et enregistré au cours d’un léwòz à Dampierre Gosier. Les premiers,
produits à Paris, à la fin des années 1930 et en 1963 ne font presque pas état des « phrasés rythmiques ».
Mais le succès du disque de 1964 intitulé Vélo et son gros-ka consacre ces schémas des titres de
l’albums comme représentatifs du gwoka. Ainsi, qu’ils soient d’un grand usage ou rarement exécutés,
les phrasés rythmiques du léwòz s’inscrivent dans la mémoire populaire et deviennent un automatisme
pour l’identification du gwoka. Mais, les publications techniques comme les publications de
chercheurs donnent une autre identification au gwoka bien au-delà des 7 phrasés. Au niveau de la
recherche scientifique, l’identification du gwoka est tout aussi complexe. Le tableau qui suit fait la
synthèse des points de vue des musiciens et des propositions des chercheurs à propos de l’identification
du gwoka :

• La première colonne du tableau indique les initiales des auteurs. Ce sont : GL/ Gérard
Lockel,LM-C/ Lafontaine Marie-Céline,GJ/Gabali Joslen,TG/ Troupé Georges, LR/Lurel
Roger, AP/ Augusty Philippe, UAetF/ Urie Alex et Françoise,RG/ Rosemain Jacqueline,
PE/Pitard Eddy, LI/Leymarie Isabelle, DC/ Dahomay Christian, C-TJ / Cashemire- Thôle
Jacqueline, BL/Blou Léna, NF/Négrit Frédéric, SPJ/Solvet Jean-Pierre, LMH/Laumuno Marie-
Héléna, DM / Diakòk Max, PTR/Pater-Torin Raymonde, CG/ Coco Gilbert, MF/ Marcin
Freddy, CD /Cyrille Dominique DM-L/Dahomay Christian, SP /Sitchet Pierre, CJ/ Camal
Jérôme.
• La date de parution des brochures ou ouvrages figure à la suite des initiales. La colonne
suivante indique les instruments cités de manière explicite ou implicite par les auteurs pour
l’identification du gwoka. Par exemple : Gérard Lockel, en 1976, dans le livret
d’accompagnement de son coffret d’albums indique le rôle des instruments rythmiques
artisanaux typiques que sont le tanbou-boula et le tanbou-makè. Il y ajoute d’autres instruments
artisanaux : la batterie-ka et le guadlouka. Son Traité de gwoka modên en 1981 propose des
exercices pour l’exécution du gwoka sur les instruments rythmiques artisanaux typiques et sur
des instruments universels : la contrebasse, la guitare, le piano, le violon, l’accordéon, le
saxophone, la flûte, la trompette, le trombone. Nous considérons donc, que l’auteur définit le

55
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

gwoka comme une musique qui se joue sur l’ensemble de ces instruments contrairement à ceux
pour qui l’identification du gwoka se fait par le tanbou. Le tableau indique ces points de vue.

• La colonne des manifestations, expose toutes les formes de musique par lesquels le gwoka peut
être identifié. La rubrique « Toutes manifestations au tanbou » désigne toutes les
manifestations possibles, connues ou improvisées. La première de la liste se nomme léwòz :
assemblée nocturne publique en chants, danses et musiques aux tambours. Elle, contrairement
aux autres manifestations réunit plusieurs « phrasés rythmiques », au moins les 7 plus connues.
Ces « phrasés rythmiques » font l’objet de propositions d’écriture musicale selon les codages
issus du solfège. Nous en retranscrivant deux, l’une de Georges Troupé pour le tanbou. Le
trompettiste, directeur d’une école de musique enseignant la pratique instrumentale et la lecture
musicale à partir du gwoka, propose l’écriture de ces phrasés, dans une démarche pédagogique.
L’autre proposition est celle du musicien professionnel, Jean-Philippe Fanfant pour la batterie,
dont il est spécialiste. Il propose aussi une écriture du « phrasé rythmique » du déboulé du Mas-
a-Sen-Jan enlevant le timbre de la caisse claire pour avoir la sonorité attendue et ajoutant le
« phrasé rythmique » du ti-bwa. Le musicien en question explique qu’il obtient le son du ti-
bwa en frappant sur le rebord de la tom basse133. A ce propos, les retranscriptions qui suivent
sont les 7 propositions d’écriture musicale des « phrasés rythmiques » du léwòz par Georges
Troupé pour le tanbou, de Jean-Philippe Fanfant pour la batterie d’une part et du tanbou avec
ti-bwa pour les tanbou du mas-a-Senjan134.
• La colonne des manifestations funéraires représente trois types de rencontres. Ce sont, la véyé
où se réunissent, la veille des funérailles, les parents alliés et amis autour du défunt ; le vénéré
qui clôture les rites, neuf jours après les funérailles. Le Grap-a-Kongo désigne la cérémonie
familiale aux ancêtres organisée par quelques familles d’immigrants Congos avant d’être
maintenue par une seule famille dans la commune de Capesterre Guadeloupe. Il a lieu le
1ernovembre. Il faut entendre par mas le défilé carnavalesque rythmé par les tanbou du léwòz
ou des tanbou de fonctions et de tailles différentes. Le mayolè est un jeu de combats aux bâtons
rythmés par des tanbou. La-bòdé peut se traduire en français par virée. Elle est animée par des
chants, danses ou musiques aux tanbou ou encore par des battements de mains
exclusivement… La-bòdé peut avoir ses propres chansons parfois grivoises ou bien elle
reprend les chansons de la véyé, du vénéré ou du léwòz. Elle est pratiquée généralement lors
des excursions de groupe.

133 Jean-Philippe Fanfant, Les plus grands rythmes caribéens, Afro Caribbean Grooves for drumset, Paris, avril 2009, page 37
134
Troupe carnavalesque de Pointe-à-Pitre très populaire au milieu du XXè siècle.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 4 : Propositions d’écriture musicale de « phrasés rythmiques » du gwoka


Georges Troupé, 7 « phrasés rythmiques » du gwoka, écrits pour le tanbou

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Jean-Philippe Fanfant, 8 « phrasés rythmiques » du gwoka, écrits pour la batterie

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AUTEURS,
DATE DE INSTRUMENTS
PUBLICATION

Autres
Toutes
instruments Manifestation
Tanbou manifestations Léwòz s funéraires
Mas Mayolè Bèlè
locaux ou
aux tanbou
unversels

GL, 1976 et 1981 X X X X

GJ, 1982 X X X X X X

L M-C, 1985 X X

TG, 1988 X X X

LR, 1988 X X X

AP, 1988 X X X

UA et F, 1988 X X X X

RJ, 1990 X X

PE, 1990s X

LI, 1996 X X X X

DC, 1997 X X X

C-T J, 2004 X X

BL, 2005 X X

NF, 2006 X X

S J-P, 2007 X

LMH, 2011,2012 X X X X X X X X

DM, 2011 X

PTR, 2012 X X

CG, 2013 X X

MF, 2016 X X X X

CD, 2016 X X

60
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

D M-L, 2017 X X

SP, 2018 X X X

CJ, 2018 X X

Figure 5 : Gwoka, un langage commun référentiel ?

Le tableau montre le décalage entre ce qui se fait et ce qui se dit du gwoka. Il


traduit une certaine ambiguïté dans la perception de la pratique. Des musiciens ont
proposé une identification du gwoka. C’est le cas du guitariste Gérard Lockel, le
premier musicien à avoir publié une proposition d’identification. C’est l’inventeur du
gwoka modên135. En effet, en 1981, un dessin cartographique introduit son « Traité de
Gwoka modên ». C’est une clé offerte aux lecteurs pour cette identification à travers
diverses manifestations, activités économiques et mouvements sociaux. Joslen
Gabali136, en revanche tanbouyé et enseignant spécialiste de Lettres Modernes le décrit
principalement par ses acteurs et ses manifestations. Par ailleurs, pour la majorité des
musiciens, le tanbou demeure l’instrument unique du gwoka. C’est par exemple la
proposition de Georges Troupé en 1988.

A partir des années 1990, les publications se multiplient. Plusieurs praticiens


musiciens et / ou musicologues publient leur méthode respective d’apprentissage. Si
celles-ci sont différentes, elles renvoient toutes à la vision commune d’une musique
dont le tanbou répond à un portrait unique. Parfois, l’identification du gwoka se retrouve
dans le glossaire proposé par le musicien.

On peut, à ce propos, citer Christian Dahomay qui montre que le gwoka s’exprime par
ses hauts lieux de pratique, par ses manifestations culturelles, par le portrait du
praticien. Des artistes–auteurs de travaux de recherche, d’ouvrages ou d’articles
donnent aussi leur vision du gwoka en matière de définition ou d’identification. Par
exemple, Roger Lurel est un guitariste et saxophoniste. A l’occasion du Colloque de
Pointe-à-Pitre autour des musiques Guadeloupéennes137, il propose une étude
musicologique du woulé138. Pour lui le gwoka est un ensemble de musiques aux tanbou
auxquels il convient d’ajouter les musiques des véyé. De même, en 1988, des travaux
de recherche sur les musiques de la Guadeloupe font l’objet d’une publication sous
l’égide de la Région Guadeloupe. Ses auteurs sont Françoise Lancréot-Uri, musicologue
et Alex Uri, journaliste. C’est principalement par son origine et les apports de différents
peuples qui ont peuplé la Guadeloupe que ces auteurs présentent le gwoka dont les

135
Forme du gwoka exécutée par des instruments nouveaux c’est-à-dire autre que le tambour (définition de l’auteur page 11)
136
Gabali Joslen, Diadyée, Gwoka, 1982
137
Colloque organisé les 25 et 26 novembre 1986 à l’initiative de l’association pour la création d’un Office Régional du Patrimoine
Guadeloupéen présidée par Michel Bangou et soutenu par le Conseil Régional de la Guadeloupe (actes du Colloque, Editions
Caribéennes, 1988, page 3
138
Op. cit note 4

61
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

manifestations sont multiples : léwòz, chants de travail et veillées funéraires139.

D’autres artistes de même type font des propositions différentes en fonction de leur
spécialité. Philippe Augusty, Frédéric Négrit et Gilbert Coco sont trois musicologues et
musiciens respectivement saxophoniste, bassiste et guitariste. Ils sont tous les trois
auteurs-compositeurs. Tous les trois pratiquent le gwoka à partir de leur propre
instrument, l’essentiel d’après Gilbert Coco est de reproduire dans le jeu des
instruments la pulsation du tanbou quand bien même que celui-ci serait virtuel140. La
proposition de définition du gwoka est plus large chez Frédéric Négrit :

« … ensemble des musiques, danses et chants rythmés, d’origine guadeloupéenne, à


base de percussions, orchestré par deux batteurs au minimum œuvrant sur deux
tambours de fonctions différentes : le tambour boula qui soutient le rythme au même
titre que le kalbas141 et le tambour makè … 142»

En définitive, face à ces décalages d’identification, du point de vue musical, on peut s’en tenir
à la conception musicale de John Blacking143 et à toutes les propositions des artistes pour définir le
gwoka. Il se définit comme le son du tanbou organisé par des Guadeloupéens. C’est le son du tanbou
que celui-ci soit physiquement ou virtuellement présent. A partir du moment où des Guadeloupéens
qui ont le sentiment de s’approprier le gwoka décident que ce qu’ils font est du gwoka, il faut considérer
qu’ils ont raison. Plutôt qu’une simple définition musicale qui consiste en un difficile et délicat
exercice, ils identifient davantage le gwoka en référence à son histoire passée, à ses usages politiques
et sociaux et à la condition sociale de ses acteurs.
Les propositions des chercheurs ne sont pas plus consensuelles. Ces chercheurs sont
principalement des spécialistes de la musique. Leurs premières etudes sur le gwoka sont incluses dans
des travaux sur les musiques traditionnelles des territoires français des Amériques. Avant les années
1980, aucune recherche de niveau universitaire n’est consacrée spécifiquement au gwoka. Toutefois,
son identification dans des ouvrages ou rapports montre bien que l’instrument majeur en est le tanbou.

Ainsi, le rapport culturel de l’AGEG144 en 1970, identifie le gwoka à partir de trois langages
La musique assurée par 2 Ka, la mélodie et la danse145. Marie-Céline Lafontaine146, ethnologue
d’origine guadeloupéenne, est la première à publier le parcours d’un tanbouyé, Jernidier François dit
Kawno147 (1919-1998), connu pour ses deux spécialités exercées en parallèle, les quadrilles et le
gwoka. Cette étude lui donne l’occasion de dire que le gwoka est distinct du léwòz. En effet, la
confusion est fréquente parce que le gwoka est spontanément décrit comme un ensemble de 7
« rythmes » exécutés par des tanbou, dansés et chantés.

139
Uri Françoise et Alex, Le chant de Karukéra, 1988, pages 34, 38-42
140
Coco Gilbert, Itinéraire d’un musicien guadeloupéen…, 2013, page 100
141 Instrument à percussion réalisée à partir d’une calebasse que l’on remplit de graines végétales
142
Négrit Frédéric, Musique et immigration dans la société antillaise, 2006, page 193
143 John Blacking, Le sens musical, Les Editions de Minuit, 2011, pp 11-40. Ce chapitre montre et l’auteur le dit explicitement que « la

musique est du son humainement organisé »


144
Association Générale des Etudiants Guadeloupéens, 9è Congrès en 1970. La date nous est indiquée par des étudiants ayant participé
au congrès : Félix Cotellon, Jean-Pierre Sainton, Eric Nabajoth.
145
Rapport culturel de l’AGEG, paragraphe : La période actuelle : le gro ka, 1970, page 13
146
Alors ma chère moi, Carnot par lui-même, Propos recueillis par Marie-Céline Lafontaine, 1985 (page 34, 149, note 66)
147
C’est la transcription en créole guadeloupéen du nom du musicien que l’auteure a préféré retranscrire en français (Carnot).

62
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Quelques années plus tard, pour montrer la richesse et la diversité des musiques de l’Amérique
Latine et des Caraïbes, Isabelle Leymarie décrit toutes les musiques de cette région. Elle inscrit celles
de la Martinique et de la Guadeloupe dans un même ensemble musical appartenant aux Antilles
françaises. Cet ensemble musical qui se joue aux tanbou comprend les bélairs (ou bèlè) qui pour elles
sont des « léwòz de métier », des musiques aux tanbou lors des veillées mortuaires et les vénéré148, les
soirées de léwòz, les kout mizik149. Liliane Prévost et Isabelle de Courtilles, montrent principalement
que ces musiques sont nées de l’interpénétration des cultures provoquée par la Traite négrière.
Contrairement à Isabelle Leymarie, elles distinguent les musiques de la Guadeloupe et de la Martinique
mais les assimile à l’africanité rendue par le rythme englobant le chant, la danse et la musique. Elles
distinguent, le gwoka et le léwòz en définissant ce dernier comme le lieu de transmission du gwoka
auprès des jeunes et le gwoka, comme un « style » musical parmi tant d’autres comme la biguine, le
quadrille, le zouk150. Réunir ces musiques dans un même ensemble relève aussi de la démarche de
Dominique Cyrille, ethno-musicologue spécialiste des musiques et danses afro-caribéennes pour
montrer qu’elles trouvent leur point de convergence sociale dans leur capacité à résister aux
expressions culturelles imposées durant l’esclavage. En effet, comparant le bèlè de la Martinique, le
gwoka de la Guadeloupe et les quadrilles jouées et dansées sur les deux territoires, elle montre
comment les acteurs de ces expressions musicales ont su user de résistances cachées, à travers leur
manière de danser, de chanter et de jouer. Pour montrer ce point de convergence, elle décrit chacune
de ces expressions. C’est ainsi que le gwoka est présenté comme un ensemble comprenant la danse, le
chant, la musique aux tambours sur principalement sept rythmes.151

Mais lorsque Freddy Marcin, Docteur en Etudes anglophones et interculturalité veut montrer
la place du gwoka dans la société, il recherche toutes les manifestations qui font vivre le gwoka. Il
s’agit des léwòz, des véyé et du carnaval152

Dans son article le gwoka anti-colonialisme et post-colonialisme153, Jérôme Camal,


universitaire d’origine française exerçant aux Etats-Unis donne sa définition du gwoka. Il montre alors
comment de manière sonore et visuelle le gwoka affiche la mission politique qui lui est confiée. Mais
l’auteur, de manière implicite identifie cette musique comme une expression qui peut s’exécuter sur
d’autres instruments et sur le tanbou.

L’identification la plus récente du gwoka est celle de Pierre Sitchet de son nom d’artiste Gino
Sitson, musicologue et chanteur. Etudiant la pratique d’une famille en Guadeloupe, la famille
Geoffroy, il décrit le gwoka comme une expression musicale jouée, dansée et musiquée aux tanbou.
Mais, dans le même temps, son travail de recherche prend en compte la spécialité de la famille qui est
celle des véyé et du boulagèl154 pour lesquels le tanbou s’exprime parfois de manière occasionnelle.

148
Rituel funéraire le 9è jour après les funérailles
149
Moment informel de rencontre musicale chantée et dansée aux tambours.
150
Isabelle de Courtille et Lilian Prévost, les racines des musiques noires, L’Harmattan, 2016, page 118.
151
Dominique Cyrille, Quadrilles, Gwoka, Bèlè, Musique, danse et résistance en Guadeloupe et en Martinique, dans Françoise Vergès,
Les armes miraculeuses, 2016, pages 118-122.
152
Marcin Freddy, Le gwoka à l’heure de l’Unesco : entre reconnaissance et interpénétration culturelle, dans Kroubo Dagnini Jérémie,
Musiques noires, l’histoire d’une résistance sonore, 2016, pages 253, 259.
153
Camal Jérôme, Le gwoka entre colonialisme et anticolonialisme, 2018, site Internet e-publications, dossiers et articles, Lameca, 2018.
154
Type de chant où le rythme est assuré par des battements de main et des onomatopées en voix de gorge. Le boulagèl est aussi appelé

63
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

En dépit des divergences d’identification, le léwòz qui réunit un tryptique artistique comprenant
la danse, le chant et la musique, constitue tant chez les artistes-musiciens que chez les chercheurs la
manifestation la plus représentative du gwoka. Mais, ce n’est qu’une des formes du gwoka. Le léwòz
n’est pas le gwoka. Ces divergences appellent une nouvelle approche du gwoka qui relève de notre
proposition dont la présente étude s’en fait le porteur. En effet, c’est le tanbou qui réunit l’ensemble
des formes évoquées par les musiciens et les chercheurs. Il peut être cylindrique renflé pour le tanbou
le plus courant, conique pour le djembé-ka, cylindrique allongé pour le ti-tanbou chan de la parade des
mas et cylindrique aplati pour le grand tambour dit tanbou-bas ou bas de cette parade également. Sa
taille varie en fonction des circonstances de 30 à 50 cm de hauteur, 30 à 45 cm de largeur, de 105 et
150 cm pour la circonférence du cadre. Les lieux de conception et d’exercice des pratiques culturelles
aux tambours dans l’Afrique précoloniale, dans les plantations caribéennes durant l’esclavage et dans
les colonies africaines des métropoles européennes confortent cette nouvelle approche d’identification
du gwoka plus en phase avec la réalité de la pratique en Guadeloupe. Le gwoka est pluriel. Il se définit
donc comme un genre musical composé de multiples formes comportant elles-mêmes des nuances
régionales et des styles propres à certains acteurs. La multiplicité des formes rend compte du caractère
« percussif » de la musique même lorsque le tanbou est virtuellement présent et que sa résonance est
rendue par une mise en scène du corps des participants. Ce sont :

- Les manifestations où le tanbou est réellement présent : Ce sont le léwòz, cette réunion
nocturne en musiques, chants et danses aux tambours autour d’un public participant dénommé
lasistans ; le mayolè qui constitue une joute aux bâtons entre deux compétiteurs ; la bamboula
qui s’apparente au léwòz à la différence qu’il se tient en journée comme de nuit, la parade des
mas au cours du carnaval usant, en fonction des choix, de toutes les tailles et formes du tanbou.
- Celles où la présence du tanbou peut être réelle ou virtuelle : le bèlè interprété pour stimuler
le travail, la véyé définie comme le moment de la veillée mortuaire animée du point de vue
musical par des chansons et danses particulières comme la lutte dansée ; le vénéré qui réactive
ce moment de recueillement en musique pour clôre les rites funéraires à courte échéance car
ceux-ci reviennent en fonction des familles à l’issue des 9 et 40 jours de deuil et à l’occasion
de l’anniversaire du décès. La-bòdé qui est un moment de rassemblement en toute occasion.
- A ces formes vivantes, il convient d’ajouter les formes qui en découlent c’est-à-dire le gwoka
de scène exécutés respectivement par des troupes de danse et par des ensembles musicaux de
type traditionnels. Il convient d’ajouter à ces ensembles musicaux ceux qui pratiquent le
« gwoka moderne » qui découle du « gwoka modèn » proposés par Gérard Lockel en 1969. A
la différence des formes précédemment citées, il a un caractère double. En effet il appartient à
la fois au gwoka vivant par le discours qui l’accompagne et les moments de rencontres qu’il
anime et au gwoka de restitution car son espace d’exercice est surtout le spectacle.

64
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Conclusion du chapitre 1

Le gwoka s’exerce et s’enracine en Guadeloupe. Cette place exprime à la fois un parcours et un


aboutissement. En effet, la colonisation esclavagiste crée la géographie et l’histoire des pratiques
culturelles aux tambours. La métaphore de la famille exprime leur circulation entre les différents
espaces et leur continuité dans le temps. De ce fait, elles sont le produit d’une mère fondatrice,
l’Afrique des Empires et des Royaumes ; d’une fratrie au sein des Caraïbes et des Amériques et d’un
enfant enraciné en Guadeloupe.

La colonisation donne aussi une image à ces pratiques culturelles. D’un exercice libre et ouvert
organisé par les autorités politiques et par la société, dans les villages de l’Afrique précoloniale, les
manifestations aux tambours se fraient un passage difficile dans le système de la plantation coloniale
esclavagiste, où les rapports entre ceux qui pratiquent et ceux qui observent relèvent de la méfiance.
Ceux qui observent ne se contentent pas de voir, d’entendre et d’écouter, ils jugent. Dans un tel
contexte, les acteurs de ces pratiques sont des résistants qui cherchent par tous les moyens à les faire
perdurer.

Les manifestations aux tambours se transmettent de génération en génération et prennent plusieurs


formes. En Guadeloupe, l’une prend le dessus, c’est le léwòz. Elle donne son identification au gwoka
dans les discours mais pas dans l’exercice. Le tanbou physique ou virtuel, de forme classique ou
adaptée au besoin vient éclairer le décalage entre les usages et l’identification spontanée. Le gwoka est
multiforme. Ses acteurs n’en sont que plus nombreux.

65
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE II

NOTRE ÉTUDE : DANS LE CHAMP DE LA CULTURE

A. Une représentation controversée de la culture

1- Essai de définition

Du point de vue littéraire, le mot culture semble récent dans les deux langues. En effet il ne
figure pas dans le dictionnaire étymologique français de 1863. C’est du verbe que se déduit le nom.
Cultiver vient du latin colere qui exprime le travail de la terre. Colere veut dire précisément « cultiver
la terre à produire ». Le dictionnaire souligne qu’il s’emploie beaucoup au figuré pour exprimer l’utile
et le beau :

« On cultive le cœur et l'intelligence pour leur faire produire des fleurs et des fruits155 ».

Par conséquent, la culture, lorsqu’elle ne désigne pas l’activité agricole, est le produit de la pensée
humaine. Dans ce domaine, il se dit cultor en latin avec des déclinaisons. Nous retenons cultura ou la
philosophie de la culture de l’âme ou encore cultus pour la nourriture de l’esprit ou pour le fait
d’honorer sa famille, sa patrie ou ses dieux. L’origine latine du mot démontre de son usage pour des
éléments relevant de la formation de l’homme comme l’éducation ou le culte156.

Dans le créole guadeloupéen, le mot est encore plus récent. Il n’est pas encore reconnu
de la communauté des créolistes car il ne figure pas dans les dictionnaires édités au cours des dernières
décennies157 à moins de désigner un individu cultivé par grangrèk158. Ce terme vient du terme grèk qui
signifie une cafetière de grande taille comparativement au terme kafétyè qui désigne une cafetière de
petite taille. La différence exprime une réalité sociale, celle d’une distance entre les intellectuels et les
autres. En revanche, le linguiste et universitaire haïtien Prophète Joseph propose les mots kilti ou lakilti
comme traduction en créole haïtien du mot « culture ». Le mot figure dans les deux parties français-
créole et créole-français du dictionnaire qu’il dirige en 2008159. Il est donc passé dans le créole haïtien
courant. Il est vrai que l’haïtien constitue avec le français les deux langues de la République d’Haïti.
Mais, en Guadeloupe, le français est la langue officielle et le créole guadeloupéen, la langue de la
familiarité160 quoique le créole guadeloupéen soit, depuis peu, enseigné et langue de communication
écrite161.

155
Dictionnaire étymologique de la langue française usuelle et littéraire par M. A Mazure, Eugène Belin, 1863, page 61
156
Dictionnaire Gaffiot latin-français, 1934, pages 449 à 451, lexilogos.com
157
Dictionnaires créole guadeloupéen-français : Tourneux et Barbotin, Karthala en 1990, Bernini-Montbrand, Luwig, Poullet, Telchid
chez Orphie, 4è édition, 2012
158
Savant, cultivé, instruit dans le Dictionnaire créole-français, Bernini-Montbrand, Luwig, Poullet, Telchid chez Orphie, 4è édition,
2012, page 158.
159
Prophète Joseph, Dictionnaire haïtien-français/français-haïtien, Editions Konbit, 2008, pages 98 et 189.
160
Ama Mazama (Marie-Josée Cérol, Langue et identité en Guadeloupe : une perspective afro-centrique, Editions Jasor, 1997, page 61.
161
Factum-Sainton Juliette, Manuel de graphie du créole guadeloupéen, Conseil Général, 2è édition revue et corrigée,2009, page 10.

66
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les deux langues, français et créole guadeloupéen, quoique de statut différent se


côtoient et interfèrent. C’est le terme kilti qui est employé couramment en créole guadeloupéen pour
exprimer la culture au sens figuré. Aucune confusion n’est possible avec l’activité agricole pour
laquelle les mots sont différents. Par exemple la culture de la canne à sucre se traduit par le nom du
produit : kann et pour dire que la canne à sucre est cultivée en Guadeloupe, les créolophones
l’expriment par la phrase suivante :

An Gwadloup yo ka planté kann162.

Le mot kilti dans le créole guadeloupéen appartient aux mots crées par dérivation. Cette
construction linguistique consiste à garder le radical du mot auquel il est ajouté un post-fixe163. Cette
fois la dérivation se produit du français au créole : au radical, le post-fixe créole se substitue au post-
fixe « ure » français :

Culture à kilti. La même construction se produit pour : facture à fakti, voiture à


vwati ou saumure à somi ou sonmi. Il arrive même que le modèle intervienne dans les
noms propres comme Boisdur à Bwadi ou Vamur à Vami. Alors, en Guadeloupe,
kilti, est un mot récent, emprunté au français, crée par les créolophones de la
Guadeloupe maîtrisant le français et qui relève encore de l’oralité.

Du point de vue anthropologique, le champ sémantique est large. Car la culture s’entend
comme la transmission culturelle d’une manière de penser, d’agir, de savoir. La culture est aussi
l’ensemble des capacités et habitudes propres au groupe comme les mœurs, les croyances, les arts, les
lois, les coutumes… Elle se vit de manière inconsciente. Les éléments de la culture n’ont de sens que
s’ils constituent un ensemble cohérent par rapport à l’ensemble auquel ils appartiennent. La diversité
des cultures de même que le modèle culturel ou les évolutions culturelles dans le temps et dans l’espace
constituent des données de la culture.

En Amérique du Nord, l’anthropologie est culturelle quand elle est sociale au Royaume Uni.
Elle oppose durant les années 1930, ceux qui limitent les études anthropologiques à l’organisation
sociale de l’être humain, à ceux qui en étudie les caractères culturels qui seuls distinguent l’homme de
l’animal :

« L’homme est un animal intelligent qui peut former des habitudes, vivant en groupe et possédant
le langage. Bien des espèces sont dotées de plusieurs de ces capacités, mais seule l’espèce humaine les
réunit toutes les quatre… Certains singes sont par exemple capables d’inventions, mais ils sont incapables
de les transmettre ; elles tombent immédiatement dans l’oubli, car les singes ne peuvent en faire des
coutumes…Seul l’homme peut innover, communiquer ses trouvailles à ses congénères, qui peuvent
l’adopter de façon pérenne164. »

La culture est donc proprement humaine. L’idée de progrès humain est associée à la culture.
Cette définition anthropologique proposée par Pascal Perrineau165 n’est pas très récente. Mais elle

162
En Guadeloupe, on cultive la canne à sucre.
163
Cérol Marie-Josée, Une introduction au créole guadeloupéen, Editions Jasor, 1991, page 66
164
Georges Murdock cité par Dianteill Erwan, Anthropologie culturelle ou anthropologie sociale, une dispute transatlantique ? L’Année
sociologique, Convergences, croisements et dissonances, Vol 62, pages 93-122, chapitre La guerre des anthropologues, 2012/1
165
Perrineau Pascal, Sur la notion de culture en anthropologie, Revue de Science Politique, Persée, 25-5, 1975, pages 946-968

67
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

traduit la complexité de cette notion et les controverses qu’elle a suscitées dès le milieu du XXè siècle
entre 1946 et 1975. Par ailleurs le débat autour de l’inscription de l’anthropologie dans le social ou
dans le culturel, montre l’opposition du social et de la culture dans les travaux d’anthropologie pour la
période indiquée.

Dans le domaine de la musique, reconnaissant l’anthropologie comme la science de la culture,


des anthropologues des musiques montrent comment l’étude anthropologique de certaines musiques
comme le jazz est pertinente. Des arguments de cette pertinence, se déduit une définition de la culture :

« Le jazz constitue sous maints aspects une démarche semblable à celle de


l’anthropologie, une « mise au jour critique d’une conception du monde et d’un ordre
social166 ».

Ainsi, les études anthropologiques des phénomènes musicaux portent sur les caractéristiques
culturelles des acteurs. Ces études portent sur leur conception de la musique, de leur environnement,
de leurs relations sociales, sur les questions de genre et les problématiques raciales et politiques à
propos des phénomènes de transmission… La biographie, la discographie, les mobilités sont des
supports d’étude de la communauté qu’ils forment

L’étude anthropologique récente d’un acteur du gwoka en Guadeloupe met en oeuvre la culture
de cet acteur. En effet, l’anthropologue et universitaire Florabelle Spielmann réalise une monographie
du tanbouyé Fred Anasthase dit Edo167. Cette étude est le produit de plusieurs séances d’entretien qui
ont débuté en 2011. L’étude montre les influences de l’environnement géographique, familial et amical
sur sa perception de la musique.

Mais la culture répond t’elle à un substantif ou à un adjectif ? Cette interrogation s’appuie sur
deux auteurs, l’une, Dany-Bebel Gisler (1935/2003), sociolinguiste chargée de recherche au CNRS,
originaire de la Guadeloupe et l’autre, Arjun Appadourai, anthropologue et sociologue. Ces deux
chercheurs, quoique de formation différente accordent à la culture une place considérable dans leurs
études. Si le traitement de la culture est attendu pour l’anthropologue, pour la socio-linguiste, celle-ci
relève d’un choix lié à son objet d’étude principal, les rapports entre les deux langues en usage en
Guadeloupe.

C’est dans ce cadre que Dany Bébel Gisler publie son premier ouvrage sur la question, Langue
créole, force jugulée en 1976. Mais c’est l’ouvrage qu’elle produit en 1989 intitulé « Devenir ce que
nous sommes » qui propose une définition de la culture en observant le vécu des populations
concernées. Cette définition est implicite. Elle part du constat d’une schizophrénie permanente au sein
du groupe des créolophones de la Guadeloupe principalement les groupes des Noirs et des Indo-
guadeloupéens. Car, la revendication politique d’indépendance ne s’accompagne pas d’une volonté
d’émancipation économique et culturelle. Elle en appelle à la cohérence :

166 Citation extraite de l’article de présentation de l’ouvrage de Jean Jamin et Patrick Williams, Une anthropologie du jazz Alice

Atérianus-Owanga , dans Volume ! 2014/1 (10:2), pages 244 à 249


167
Florabelle Spielmann, Fred « Edo » Anasthase, Monographie d’un makè, Collections Rèpriz, Editions Nestor, 2018.

68
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« Maké hélé « Fwansé déwò » toupannan nou ka manjé biskui a-i, sé manjé soup an zasyèt
plat…Apatoudi pran lanmè adan kannòt a lendépendans. Pisimyé ou sav la ou kay. Ou poko sav kijan
olyé ou sav kijan men ou poko sav la ou kay »
« Ecrire, crier « Français dehors ! » tout en voulant profiter des avantages qu’ils procurent, c’est manger
de la soupe dans une assiette plate, une totale contradiction…il ne suffit pas d’embarquer sur le bateau
de l’indépendance. Il vaut mieux savoir où l’on va, même si l’on ne sait pas tout-à-fait comment, que de
savoir comment sans connaître la destination.168 »

L’un des défis de la sociologue est de faire de la langue créole un outil de communication écrite
et orale quelque soit le domaine traité. L’enjeu culturel est de prendre le contre-pied de la
représentation coloniale du créole guadeloupéen, en opposition à la langue française, sortir de
l’enfermement de la langue dans l’affectivité et la faire passer aussi dans le discours et dans les idées
abstraites169. Pour cela il est nécessaire de comprendre que la représentation du créole guadeloupéen a
été construite dans un contexte de domination durant l’esclavage négrier et dans la période post-
esclavagiste. La mémoire collective étant fortement marquée par l’esclavage, elle nourrit cette
représentation que la connaissance de l’histoire et de la tradition orale, étoufés par le système
esclavagiste, peuvent transformer170.

Les travaux de Dany-Bebel Gisler offre par cet exemple, une définition de la culture comme
une représentation de l’objet considéré ; cette représentation est construite par l’histoire des sociétés.
Et l’enjeu fixé par la sociologue montre que cette représentation peut évoluer, se transformer grâce à
l’information. La culture n’est pas élaborée une fois pour toutes. Elle est dynamique.

Arjun Appadourai, préfère l’adjectif « culturel » au substantif « culture ». Le nom sous-entend


que la culture est un objet matériel ou immatériel. Celui-ci emprisonne la culture dans un discours
racialisé au profit des groupes dominants. En revanche, l’adjectif favorise l’ouverture aux groupes
marginaux et dominés. Le culturel prend en compte leurs conceptions du monde et leurs activités
propres. Le culturel est à la fois le lieu des différences et de ressemblances au sein des classes, genre,
rôles, groupes, nations171.
L’anthropologue et la sociologue se rejoignent eu égard de l’usage du substantif ou de l’adjectif.
Leurs travaux respectifs disent que la culture est représentation de soi, conception du monde et identité.
Mais comment la culture devient-elle un opérateur dans l’étude des musiques ?

2- Culture et identité dans l’univers musical : Exemples des musiques pratiquées en Guadeloupe

L’identité du musicien se révèle à travers ses pratiques culturelles de même c’est sa culture qui
guide son oeuvre. Ainsi, dans les processus de création musicale, l’identité et la culture interagissent.
La chanson illustre cette interaction. En effet, elle traduit de prime abord, par sa structure, l’intérêt
que portent les acteurs à la pratique de groupe :

168
Extrait d’un poème en créole guadeloupéen et en français en guise d’avertissement au lecteur dans Devenir ce que nous sommes,
Editions Caribéennes, 1989, pages 7 et 8
169
Bebel- Gisler, Devenir ce que nous sommes, éditions Caribéennes, 1989, page 54
170
Idée développée dans Devenir ce que nous sommes pages 98 et 136
171
Arjun Appadourai, Après le colonialisme, Les conséquences culturelles de la globalisation, Petite Biblio Payot, 2015, pages 42-46

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Si pani lé répondè pa ni chantè !172


C’est la caractéristique majeure de ce type de chanson de mode responsorial où la réponse d’un chœur
est en alternance avec le couplet de celui qui mène le chant et qui pourrait se désigner à ce titre, le
chantre. Le répondè suit le chantè qui généralement lui donne la réponse dès les premiers segments
de la chanson. C’est lui qui commence donc le chant et appelle lé répondè le plus souvent par un terme
générique qui traduit une certaine hiérarchie entre les rôles :
Kriyé lé répondè ou bien lé répondè réponn173/
Généralement, tant que le répondè ne reçoit pas l’ordre d’exécution, il ne peut agir. En fonction des
chansons, de certaines régions ou de certains styles, le chantè indique son entrée au tanbouyé174 et se
fait maître de la coda de la chanson.
Ay konnyé ka la175 » peut être l’une des expressions par laquelle s’effectue la commande du chantè au
tanbouyé. Le répondè est constitué, dans des manifestations typiques du gwoka notamment le
léwòz176,la véyé177, le vénéré178 d’un nombre important de personnes. A l’occasion, il peut se limiter à
deux ou trois personnes surtout pour la scène. Mais, la chanson gwoka ne se pratique jamais en
solitaire. Des chanteurs comme Aurélien Céleste (1945- 2014) plus connu sous le nom de Ti Séles dans
son Testaman se sont essayé en solo. De même Gérard Lockel, guitariste et inventeur du gwoka modên
a composé la chanson Indépendance sans répondè. Toutefois, lorsque les syndicalistes de l’UGTG179
l’interprètent au cours des congrès ou à d’autres occasions, ils transforment l’un des segments
mélodiques de la chanson, en répondè :
Sové péyi-la 180. En tant que connaisseurs des conventions du gwoka, ils reconstruisant ainsi la chanson
d’après la logique de la répartition des rôles et de la valeur de partage et d’entraide qui caractérise le
gwoka.

Les premières chansons connues sont interprétées, dans le milieu populaire, par des groupes sociaux
défavorisés. Ces morceaux n’ont pas de caractère revendicateur. Toutefois, elles exposent de manière
récurrente une condition sociale.
Ainsi, en 1900 un extrait de chanson illustre une carte postale de la collection Edgar Littée. La carte
date probablement de l'année 1900. Cette chanson circule au cours des 50 années suivantes entre la
Martinique et la Guadeloupe car en Guadeloupe, c’est le chanteur Guy Conquet qui la fait connaître
par son interprétation adaptée à la fin des années 1960 :
Répondè : Abraham soulagez-moin !
Chantè : Yacht ti-Bouc ka monté goudou ! goudou !
Répondè : Abraham soulagez-moin !
Chantè : Ulali dèyiè ka pédalé

172
Sans chœur, pas de chanteur !
173
Appelez les répondeurs (ou bien) Les répondeurs, veuillez répondre !

174
Musicien au tanbou. Le makè qui exécute les sons aigus et le duo avec le dansè quand il y en a un se distingue du boula
généralement au nombre de 2 qui maintient le rythme par des sons graves.
175
Frappe le ka (ou le tambour)
176
Manifestation nocturne aux tanbou répondant à des conventions. Le public n’est pas que spectateur. Il a une fonction participative.
177
Veillée mortuaire typique animée.
178
Comme l’indique le sens premier du terme, c’est le retour de la véyé au cours duquel les mêmes rites sont exécutés en mémoire du
défunt.
179
UGTG : Union Générale des travailleurs de Guadeloupe, créée en 1973, détaché des syndicats métropolitains et revendiquant le
gwoka comme marqueur de l’identité de la Guadeloupe
180
Sauvez le pays ! autrement dit Libérez le pays !

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ou pa dit moin mône la té raide kon ça


Chantè : Abraham soulagez-moin181 !...

Le commentaire indique : « La chanson créole qui illustre cette carte relate une scène de la Martinique
et donne prétexte, une fois encore à un double sens coquin : il est question pour mademoiselle Ulali,
de ne pas rater la navette qui relie la Rivière Salée à Fort-de-France (le Yacht ti Bouc) dont elle entend,
au loin démarrer le moteur : goudou ! goudou ! Mademoiselle Ulali, « ka pédalé » demande à Monsieur
Abraham de la soulager, car la côte qui lui reste à monter est raide... La chanson traduit ainsi une
difficulté que vit la plaignante.
Plus tard, probablement en 1918 « An ba la tè pa ni plézi 182» est une chanson rapportée par le Journal
Le Colonial. Elle est entendue au cours d'une bamboula dans la ville de Pointe-à-Pitre. C’est extrait
évoque la mort qui met fin à tous les plaisirs.
Et dans l'entre-deux-guerres, après la première guerre mondiale, des chansons de véyé viennent
rappeler à la fois les souffrances de la guerre et le dévouement à la France, mère patrie :
A Dardondèl, pa ni vayan bwélo ou toro
Répondè : Pran fizi-la monté kan menm183
Ou bien
O Léons o a la monté
An ka monté a Dardanèl184
Une version antérieure de la chanson date probablement de l'entrée des Noirs en politique à la fin du
XIXè siècle.
O Léons o a la monté
An ka monté o parlèman
An kay fè lé blan palé dè mwen185
Pour la seconde guerre mondiale, la version change pour rappeler l’accueil des dissidents de la
Guadeloupe à l’appel de De Gaulle de 1940
O Léons o a la monté
Général Dè Gòl ki fè kriyé mwen186
Et Guy Conquette, dans ses concerts modifie encore le texte pour dire son refus de la guerre.
O Léons o ala monté
An ka kyouyé moun ki pa fè mwen ayen187
Et le malheur du poilu trompé ou la condition des femmes seules par le départ de leurs compagnons à
la guerre est évoqué dans cette autre chanson des années 1920 :

181
Répondeur : Abraham soulage-moi
Chanteur : Le Yacht ti-Bouc (nom d’un navire transportant des passagers) monte goudou ! goudou !
Répondeur : Abraham soulage-moi
Ulali pédale à l’arrière
Tu ne m’as pas dit que le morne était si dur…
Répondeur : Abraham soulage-moi

182
Sous terre, point de plaisir.
183
A Dardannelles, point de vaillance
Prends le fusil et monte quand même.
184
O Léonce o ou Léon, je monte à Dardannelles.
185
O Léonce o ou Léon, je monte à Dardannelles, je vais faire les Blancs parler de moi.
186
O Léonce o ou Léon, c’est le Général de Gaulle qui m’a appelé.
187 O Léonce o ou Léon, je vais tuer des gens qui ne m’ont rien fait

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pannan mwen dan larmé


Répondè : A pa kouyonnad
Madanm an mwen ka fouyé patat
Woyoyoye, mwen ka défann la patri é bouwèl-la ka menné la vi188

En observant les chansons créées par des musiciens du gwoka, on peut aussi constater que
celles-ci reflètent la représentation de leur auteur à propos du sujet traité. Par conséquent, les
nombreuses chansons dédiées aux femmes par le chanteur Yvon Anzala est le reflet de sa
représentation des femmes en tant que compagnes. Ce chanteur né en 1948 déclare ouvertement sa
passion des femmes et son désir de les protéger. Des chansons expriment cette passion. Elles évitent
des médisances à leur encontre. Elles les défendent dans les rapports de couple. Ce sont des titres à
succès par l’émotion que suscite la mélodie et par la thématique. Les extraits suivants en témoignent :

Lauto-la : Loto-la charmé lé dèmwazèl189

Gendam la : Jandam-la ki verbalizé-mwen-la, i ké pèd madanm-a-li190

San sa : O swa-la, an pa kay dòmi san sa191

Lamityer mwen ka mandé-w : Soso mwen pa mandé-w ni lò ni la fòwtinn, sèl biten mwen ka mandé-w ou
ké ban-mwen on lamityer sensèr192

Lévé mwen : Lévé mwen lè ou vlé, dèpi sé pou sa an paka dòmi193.

De même, des compositions de jeunes musiciens se distinguent par les problématiques de leur
« monde ». L’exemple le plus signifiant est celui d’un album récent émanant de jeunes Guadeloupéens
nés entre 1976 et 1994 et pratiquant le gwoka. Les titres du CD traduisent bien leur perception du
territoire par des jeunes de leur temps :

Pa ni rézo194 : Les difficultés d’accès au réseau du téléphone mobile

Byen mèsi195/ Foufou : La délinquance des jeunes

Péyi dèwò196 : Les difficultés d’intégration des jeunes Guadeloupéens en France


« hexagonale ».

Gadé an rivyè-la197 : La gestion des déchets polluants

Il serait encore possible d’y ajouter les onomatopées, les mots et les couplets génériques qui
traduisent l’environnement social des compositeurs ou interprètes. Toutefois, la chanson gwoka

188
Pendant que je suis à l’armée (à la guerre), oh, quel malheur, ma femme fouille des patates
Ah ! je défends la patrie et la malheureuse mène la belle vie.
189
La voiture a charmé les demoiselles
190
Le gendarme qui m’a verbalisé perdra sa femme
191
Ce soir, je refuse de m’endormir sans cela
192
Soso, je ne t’ai demandé ni or ni fortune, Tout ce que je te demande c’est une amitié (amour) sincère.
193
Réveille-moi quand tu veux. Dès qu’il s’agit de cela, je ne dors pas.
194
Il n’y a pas de réseau
195
Merci bien
196
Pays du dehors
197
Voyez dans la rivière

72
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

présente ainsi une certaine ambivalence. Elle porte en elle joie et souffrance, séduction et violence,
supplication et autorité… Elle rappelle une expression utilisée en Guadeloupe pour dénoncer
l’ambivalence des relations et des sentiments, sans doute expression d’une représentation de soi :
« Tanbou a dé bonda »198.

Ces chercheurs et musiciens mettent en évidence la dimension humaine de la création musicale


et rendent opérationnels la notion de culture. Elle est judicieuse pour la production individuelle comme
pour la production de groupe. De même, la culture anime la perception collective des musiques par les
groupes qui les pratiquent.

Par ailleurs, la musique construit l’identité du groupe à l’exemple des musiques dites
traditionnelles en Guadeloupe. En effet, Le gwoka dit traditionnel crée une catégorie d’acteurs qui se
ressemblent par des choix communs. Ces acteurs pratiquent le gwoka dit traditionnel qui participent à
l’identité de ses acteurs. Il convient avant tout de définir et présenter ces musiques dites traditionnelles.

La notion de musique traditionnelle se popularise en Guadeloupe avec l’arrivée d’une autre


forme de gwoka dit gwoka modèn. Cette forme devient progressivement « gwoka moderne » par
glissement sémantique lorsque d’autres musiciens adaptent la théorie à leur démarche musicale et
créent de nouvelles formations qui en découlent. A partir des années 1970, la naissance de ces
nouvelles formations détermine la forme du gwoka pratiqué en fonction de la composition des
orchestres, des titres et des chorégraphies. Trois tendances cohabitent désormais dans le paysage
musical gwoka : le gwoka dit traditionnel, le gwoka modèn de Gérard Lockel, le gwoka dit moderne
adapté au gwoka modèn.

En dehors des théories musicales, de manière visuelle et sonore, ces tendances se déclinent en
deux grandes catégories, celle qui utilise uniquement des instruments typiques du gwoka comme le
tanbou ou le chacha … et celle qui joue d’instruments typiques du gwoka et d’instruments universels.
Mais les deux catégories en réalité ne sont pas opposées. Elles se nourrissent mutuellement. Donc le
gwoka est aussi un terrain d’exercice du débat sur la notion de « musique traditionnelle » puisque sans
« le dit traditionnel », le « dit moderne » semble ne pas avoir d’existence même.

Et pour trouver d’autres caractéristiques au gwoka dit traditionnel, il faudrait le comparer à


d’autres musiques dites traditionnelles pratiquées en Guadeloupe. En faisant référence au Centre
Régional des Musiques et Danses Traditionnelles et Populaires de la Guadeloupe199 appelé Centre
Rèpriz, quelques éléments du gwoka dit traditionnel sont décelés. Pour cela, nous nous appuyons sur
deux productions du Centre Régional. La première, publiée en 2010200, cite les musiques
traditionnelles et populaires de la Guadeloupe, à promouvoir.

Cette énumération des musiques montre que le traditionnel est alors associé au populaire
quoiqu’une musique traditionnelle n’appartient pas forcément aux couches populaires et n’est pas
forcément connue de tous. C’est le cas des chants de travail en voie de disparition à cause de la

198
Le tambour a deux faces.
199
Le centre est constitué en association en 2005 avec un président et un conseil d’administration. Depuis 2006, il bénéficie d’une
subvention de la Région et de la DAC (Direction des Affaires Culturelles). Ce centre bénéficie des services d’une musicologue,
spécialiste des musiques et danses de la Caraïbe comme responsable de la mission patrimoine.
200
Centre Rèpriz, Programme triennal, Editions Nestor, Guadeloupe,2010, page 14

73
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

mécanisation. De même, les chants de marins par des ressortissants des îles de la Désirade et des
Saintes ne sont que des interprétations de scène. Le chant de type traditionnel libanais ou de type
traditionnel haïtien évolue dans un espace circonscrit aux groupes en question. Pour ce qui est du
mayolè, il perdure grâce à des ensembles musicaux et des centres culturels municipaux localisés dans
dans la région du sud Grande-Terre principalement dans les communes du Moule et de St François.

En dépit des doutes à propos de leur caractère populaire, nous retenons comme musiques
traditionnelles, la liste complète des musiques proposées par le Centre Rèpriz :

« Gwoka, biguine, quadrille, chants de noël, chants de véyé, chants de travail, musiques de carnaval,
traditions indiennes, mayolè, chants de tradition libanaises, chants de traditions haïtiennes, chants
marins ».

Cette liste est confirmée par une autre publication du Centre en 2015201qui précise la forme des
chants alors enseignés par les associations. C’est le cas du boulagèl202 pour la véyé de même que le
chanchari203, le grajé manniòk204, le kannida205.

Ces chants ont des points communs qui sont autant de caractéristiques des pratiques musicales
traditionnelles qu’elles soient chantées, dansées ou jouées. En effet, du point de vue du temps, ces
chants ont en commun l’ancestralité de leur création. Leurs acteurs évoquent à leur égard une période
de création fort lointaine, difficilement déterminable et souvent imaginée. Au plan linguistique, ils sont
tous chantés dans la langue populaire de leurs groupes respectifs même si les chants de noël font
quelque peu digression. Ils sont majoritairement pratiqués tout au long de la vie du pratiquant.

Du point de vue spatial, ces chants ont leurs espaces de prédilection. Toutefois, ces espaces
s’élargissent au gré des évolutions en s’adaptant. Le chant gwoka par exemple, se pratique dans les
espaces typiques comme le léwòz, la véyé, le carnaval, le travail rural… mais il se produit aussi sur
scène. Du point de vue de la création musicale, Dominique Cyrille, musicologue spécialiste des
musiques et danses de la Caraïbe, montre que le chant traditionnel est le produit d’une fabrication par
emprunt206. En effet, le chanteur improvise des paroles sur des airs qui existent. C’est comme si une
banque de données mélodiques était à leur disposition en cas de besoin. Nous proposons quelques
exemples de chansons gwoka dont les textes différents sont mis en musique sur une même mélodie.
Ils illustrent cette logique double d’emprunt-improvisation propre aux musiques dites
traditionnelles. Chacune des versions devient tour à tour une citation pour une prochaine version :

- An di manman an kalé mayé / An di manman an té bwè on koka kola (Robert Loyson / Germain-
Calixte Gaston, années 1960-70)
- Pi an pi méchan asi ké-la, nou kay sinyé la pé asi ké-la / ki-y bon, ki-y mové a Lansbètran, nou
kay fouté on milyé an méri-la / Tonbé asi do aka Aba, nou ka lé manjé tòti aka Aba (Turgot
Taret, 1966/ Germain-Calixte Gaston, chanson inédite/ chanson inédite des véyé)

201
Centre Rèpriz, Etat des lieux de l’enseignement des Musiques et Danses traditionnelles de Guadeloupe, Editions Nestor,
Guadeloupe,2015, page 12.
202
Chant de véyé accompagnés d’onomatopées en voix grave de gorge.
203
Traduction mot à mot : chant de labour à la charrue à boeufs
204
Traduction : fabrication de farine de manioc
205
Traduction : chant de la terre
206 Dominique Cyrille, O pli bèl son, Bèlè et chants de travail de la terre en Guadeloupe, Nestor, Guadeloupe, 2012, page 111

74
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- A Vélo pa chanslé é Maya / An rivé an léwòz a-yo-la/ Di adyé pou Man Dévayé/ Soulajé Kòd
a bouwo-la/ La mwen yé, la mwen yé pa tini rézo (chanteur inconnu, enregistrement 1963/
Cassius, 1964/ Napoléon Magloire 1964/Dolor Méliot, années 1960/ Sept son @ to, 2015)207

Et en matière d’emprunt-improvisation, des couplets identiques interfèrent d’une forme du gwoka


à une autre. Ce qui se chante au travail, se chante dans les rencontres nocturnes d’autant que les
acteurs sont les mêmes. Ces couplets deviennent des génériques du chant gwoka et du chant
populaire en général. Les exemples suivants se retrouvent dans le bèlè, le léwòz et dans les chants
de Noël :

Mondyé, an ja pasé adan tout lé farmasi Manman-mwen di-mwen

An ka mandé-yo dé sou longan lanmou Mon garçon mariez-vous

Farmasyen-la ka touné-mwen lè do An réponn manman toutan riyan, an souryan

I ka fè mwen konprann Si mayé té bon an té ja mayé209

An tro jènn pou mwen enmé208

L’emprunt-improvisation unit aussi les territoires et témoignent dans ce cadre, du voyage des
mélodies d’un territoire à un autre notamment entre la Martinique et la Guadeloupe pour les
rencontres aux tambours :

O Méril o, sa ki vayan lévé lan men (Martinique, Guadeloupe)

Mésyé zédam byen bonswa (Guadeloupe)/ Mango vè a bon i bon (Martinique)210

207 J’ai dit à maman que je vais me marier/ j’ai dit à maman que je boirais un coca-cola/

Plus en plus méchant sur le quai, nous allons signer la paix sur le quai/ Bon ou mauvais, nous allons mettre de l’ordre à la mairie/
Tomber sur le dos chez Abarre (patronyme), nous allons manger de la tortue chez Abarre.
Moi Vélo, je n’ai pas de chance avec Abarre/ Je suis arrivée dans leur léwòz/ Dis adieu pour Madame Dévayé (patronyme)/ Soulagez
la corde du bourreau/ La où je suis, il n’y a pas de réseau.
208
Père, je suis passé dans toutes les farmasi/ Je leur demande 2 sous de remède d’amour/ Les pharamaciens me tournent le dos/ Ils me
font comprendre que je suis trop jeune pour aimer, Version recueillie lors d’une prestation de bèlè par les Frères Aglas, Festival gwoka
2003.
209
Ma maman m’a dit /Mon garçon mariez-vous/ J’ai répondu à Maman tout en riant, en souriant/ Si le mariage était bon/ Je me serais
déjà marié, Version recueillie lors d’une prestation de bèlè par les Frères Aglas, Festival gwoka 2003.

210 Traduction des deux extraits : O Méril o ! que les vaillants lèvent la main : extrait 1.

Bonsoir Messieurs et mesdames /Fiche que la mangue est bonne (variété de mangue qui se mange verte en Martinique. Cette mangue
se mange mûre en Guadeloupe et se nomme mango fil autrement dit mangue fil) : extrait 2.

75
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais le gwoka dit traditionnel évolue, s’adapte. Le cas de Solange Pé-en-Kin faisant jouer les
chansons du gwoka par des orchestres de bal est une rencontre fructueuse pour le gwoka. Le cas de
Guy Conquet introduisant des instruments universels dans ses compositions donne naissance à un autre
type de composition. Le cas de Anzala ou de Céleste Aurélien enregistrant avec des chanteurs des
orchestres de bals est aussi significatif. De même, alors que Gérard Lockel n’accorde que peu de place
au chant dans ces formations musicales, les chefs d’orchestre séduits par la nouvelle forme
« lockélienne » du gwoka n’éliminent pas le chant.

Alors, la ligne de fracture entre les acteurs des musiques dites traditionnelles, exercées sur un même
territoire participe davantage d’un sentiment que d’une réalité. Des acteurs, animés de la perception
qu’ils ont d’eux-mêmes, pratiquent plusieurs musiques dites traditionnelles eu égard à leur origine.
Cette pratique ouverte participe de l’identité de ces acteurs.

76
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 6 : Partition des emprunts rythmiques et mélodiques : quelques exemples211

211
Transcription musicale : Gérard Gros

77
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 7 : Une pratique ouverte des musiques dites traditionnelles

Chant Léwòz Quadrille Mayolè Véyé Carnaval Noël Biguine Bèlè


marin

Solange Bach
dite Man Soso x x x x x
(1928-2017),
Fanm-chantè-
dansè
Louis -Victor dit
Napoléon x x x x x x x
Magloire
(1919-2003)
Chantè-dansè
François
Jernidier dit x x x
Kawno (1919-
1998)
Tanbouyé-
dansè-chantè
Eulalie Edward
né en 1934 x x x x x
Chantè-dansè
Yvon Aubierge
Anzala né en x x x x x x x x
1948
Chantè

B- Une étude inscrite dans une autre décolonisation

1- Bref rappel historique de la décolonisation des vieilles colonies de la France

Pour les colonies françaises, la marche à la décolonisation chevauche la période post-


esclavagiste. En effet, l’abolition de l’esclavage ne s’est pas accompagnée d’une émancipation sociale
pour les anciens esclaves et leurs descendants. L’affranchi demeure travailleur de l’habitation avec
incitation par les autorités à adhérer au contrat d’association212 parce que ce type de contrat est une
façon de disposer d’une main d’œuvre dans des conditions proches de l’esclavage.

Le travailleur demeure sous l’autorité du propriétaire au sein d’un atelier. En dépit des
résistances de toutes sortes, l’affranchi se retrouve dans les mêmes logiques que durant l’esclavage :

212 L’acte d’association du 18 août 1848 stipule dans son article 14 le temps de travail, les attributions du propriétaire (fournir la case,

le jardin, les frais de soins des blessures au travail, les sanctions en cas d’absence, le droit pour le travailleur à une certaine quantité de
sucres fabriquée »

78
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

domination/résignation/résistance. Alors, l’esclavage est -il réellement aboli 213? Au cours des années
1920 et 1930 des rapports au ministère des colonies font état de la misère économique intellectuelle et
morale qui règne en Guadeloupe. Handicapée par le manque d’infrastructures économiques,
l’illettrisme, les bas salaires, l’alcoolisme et les tensions socio-raciales, la Guadeloupe donne
l’impression que l’abolition de l’esclavage n’a rien changé.

C’est dans ce contexte que le rapport Guernut, suite à la mission d’enquête de 1936 à 1937,
recommande la forme de décolonisation que connaîtra la Guadeloupe et les autres colonies françaises
en 1946 : « intégration pleine et entière des colonies françaises des Caraïbes au sein de la Grande Patrie française214 ».

Par ailleurs, depuis 1944, des élites locales des colonies françaises d’Amérique réclament la
départementalisation. Aimé Césaire pour la Martinique et Gaston Monnerville incarnent cette
revendication. Celle-ci est effective par la loi d’assimilation du 19 mars 1946 votée à l’Assemblée
Constituante. Il n’y a plus de gouverneur. Le préfet représente l’Etat dans les anciennes colonies de
Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion. Il a des compétences dans les domaines suivants :
administration, éducation, police, développement économique. Les compétences du Conseil Général
se réduisent même si ses décisions ne sont plus contrôlées par le représentant de l’Etat comme au temps
du gouverneur.

Cette décolonisation est inédite. Elle crée de nouveaux départements qui sont en réalité
d’anciennes colonies administrées par leur ancienne métropole. Le territoire est à la fois libéré de la
colonisation et dépendant de l’ancienne métropole. Ce modèle suscite bien des interrogations de la
part des historiens. Chacun d’eux tente de comprendre les raisons et la mise en œuvre de cette
décolonisation inédite. Ils montrent que la question culturelle figure parmi les enjeux de ce nouveau
statut. En effet la culture de l’assimilation revêt des dégrés différents en fonction des territoires
notamment entre la Guadeloupe et la Martinique215. Ou bien l’assimilation culturelle est contestée et
supplantée par une identité propre216. Mais, la départementalisation peut être entendue sous l’angle du
changement social au profit de la culture française dans une société de production désormais
transformée en société de consommation. Le paradoxe est flagrant en Guadeloupe et en Martinique217.

Cette forme de décolonisation inhabituelle pour l’Etat suscite de la part du pouvoir politique
des stratégies diverses et flexibles en fonction des situations à gérer. Elles passent de la « décapitation »
des nationalismes à l’adaptation des dispositifs nationaux et la mise en œuvre des dispositifs
d’intégration218.

213
D’après Nelly Schmidt, La France a t’elle aboli l’esclavage ? Perrin, 2009
214
Le rapport est commenté par Nelly Schmidt… 2009, pages 262-263
215 Jean-Pierre Sainton, La décolonisation improbable, Editions Jasor, 2012, pages 120-126.
216
Laurent Jalabert, La colonisation sans nom, La Martinique de 1960 à nos jours, Rivages des Xantons, pages 210-222.

217
Maël Lavenaire, Décolonisation et changement social aux Antilles françaises, De l’assimilation à la « Départementalisation » ;
socio-histoire d’une construction paradoxale (1946-1961), Thèse de doctorat en Histoire contemporaine, Université des Antilles,
2017, (dir. Jean-Pierre SAINTON), pages 221-238, 415-426.

218
Sylvain Mary, Les Antilles de la colonie au département, Enjeux, stratégies et échelles de l’action de l’Etat, 1944-début des années
1980), Sorbonne Université, 2018, (dir. Olivier FORCADE), pages 300, 323, 463-474, 564-569.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ce schéma de décolonisation peut se dire contrasté car réunissant pour un même territoire de
même que pour une même société, un statut et une condition dont les logiques se contrarient. Comment
être, à la fois, émancipé et dépendant ? Le dilemme bouscule l’existence même de l’individu. Un être
contrasté peut naître de ce dilemme. Et la décolonisation politique ou administrative ne satisfait pas
les penseurs du post-colonialisme.

2- Le post-colonialisme à l’origine des Cultural studies

Il se définit comme une nouvelle pensée dans le monde globalisé. Interrogé par la revue Esprit,
Achille MBembe, historien, philosophe originaire du Cameroun et spécialiste du post-colonialisme
présente cette nouvelle pensée219. Elle a ses précurseurs issus des mondes dominés : Aimé Césaire,
Gandhi, Frantz Fanon, Léopold Sedar-Senghor. Paul Gilroy, sociologue britannique et théoricien du
Black Atlantic appartient aussi à cette école. Des intellectuels issus des anciennes métropoles ont
préparé cette nouvelle pensée : Jean-Paul Sartre, Michel Foucault ou Jacques Derrida. Ces derniers
montrent que les intellectuels français ne sont pas restés en dehors de cette nouvelle manière de voir
le monde depuis l’ex- colonisé pour défendre l’humanité de celui-ci.

Cette pensée se développe aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, en Inde, en Australie et en


Afrique. Elle naît dans le contexte des luttes anticoloniales qui ont créée chez le colonisé le besoin
d’agir par lui-même, de manière volontaire en tant que citoyen. Des intellectuels ouvrent la voie à cette
quête d’autonomie de la pensée. C’est le cas du Palestinien apatride Edward Said qui, dans les années
1980 éveille les consciences sur le dispositif culturel imaginé par la colonisation aux côtés du dispositif
politico-militaire. Le psychanaliste Ashis Nandy développe l’idée de mental war à savoir la lutte
matérielle et mentale contre le colonialisme ou l’universitaire Gayardy Chakabortri Spivak qui
interroge la raison à ce propos.

Mais il faut attendre les années 1980-90 pour que le post-colonialisme prenne corps par la
création d’une nouvelle école dénommée subaltern studies220 ou cultural studies. 221 Elle rend sa place
de constructeur de l’histoire aux sans voix et sans pouvoir (femmes, subalternes, paysans,
marginaux…).

Les thématiques prisées par cette école sont celles de la libération des esprits, des processus de
construction de la mémoire, dans les conditions de la captivité esclavagiste, pour la religion, la
musique, les arts, les chants… Enfin la globalisation renforce la pensée coloniale car elle est le lieu
des formes contemporaines du capitalisme économique au détriment de la vie humaine et assoit l’idée
selon laquelle la plantation coloniale fut le laboratoire de l’expérience autoritaire sur le monde. Cette
expérience se poursuit par la globalisation. La pensée post-coloniale dénonce la mondialisation de la
colonisation et remet en cause le XIXè siècle comme point de départ de la colonisation puisque la
Traite esclavagiste est le temps de la marchandisation des hommes et des grandes migrations forcées.

219
Achille MBembe, Qu’est-ce que la pensée postcoloniale ? (Entretien), Revue Esprit, Pour comprendre la pensée post-coloniale,
décembre 2006.
220
Désignation dans le texte d’Achille Bembe
221
Désignation par Arjun Appadourai, page 10.

80
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dans la pensée post-coloniale, la colonisation commence avec la Traite et l’esclavage au XVIè siècle
où la nouvelle structure que constitue la plantation nie leur humanité et les oblige à se penser autrement.

Le post-colonialisme est ainsi une manière de raisonner, une élaboration d’arguments propres
à ce courant de pensée. Elle critique la pensée coloniale pour le décalage entre le discours sur la foi
proclamée en l’homme et les actes de violence contre les colonisés. Cette pensée prône la fin de
l’inhumanité et des barrières raciales pour une communauté plus fraternelle.

Le post-colonialisme devient opérationnel par la déconstruction des représentations et des


symboles et le démasquage du mensonge colonial de l’universalisme et de l’humanisme. Le post-
colonialisme est un positionnement. En effet il réinvente l’assujetti contraint au silence et à l’inaction
par la domination coloniale, pour en faire un homme nouveau :

« Un individu vivant, parlant, conscient, agissant, dont l’identité est le résultat d’un
triple mouvement d’effraction, de gommage et de réécriture de soi. ».

Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans le piège de la racialisation et de la glorification de


la race. Il s’agit plutôt de reconnaître l’Autre et d’accepter sa différence. Le post-colonialisme se
rapproche de la pensée afro-américaine. Elle croit en la transformation du monde et au dépassement
de la dialectique dominant/dominé créée par la colonisation depuis l’esclavage négrier jusqu’à la
colonisation intégrale du monde. Le post colonialisme est le temps de la réinvention du sujet. Et
d’abord du corps de l’assujetti meurtri par la violence de la colonisation.

Achille Bembé fait des préconisations dans le domaine des relations sociales et de la religion :
sortir dans la logique de la vengeance qui engendre de la violence, solliciter le religieux. L’auteur se
porte en pédagogue pour définir ce qu’il entend par religion dans le cadre de cette réinvention du corps.
C’est une manière quasi-révolutionnaire de penser la religion :

« Le religieux représente, ici, la ressource imaginaire par excellence. Le religieux s’entend non pas
seulement comme rapport au divin, mais aussi comme instance de la cure et de l’espérance, dans un
contexte historique où la violence a touché non seulement les infrastructures matérielles, mais aussi les
infrastructures psychiques, à travers le dénigrement de l’autre, l’affirmation selon laquelle il n’est rien.
C’est ce discours – parfois intériorisé – sur le rien qui est interrogé par certaines formes du religieux, la
visée finale étant de faire en sorte que ceux qui étaient à genoux puissent enfin se lever et marcher. Dans
ces conditions, la question à la fois philosophique, politique et éthique est de savoir comment
accompagner cette « montée en humanité » – montée au bout de laquelle le dialogue d’homme à homme
redevient possible et remplace les injonctions d’un homme face à son objet ».

Les figures qui incarnent cette démarche sans utiliser la terminologie sont Martin Luther King,
Nelson Mandela, le Mahatma Gandhi. La pensée post-coloniale n’est ni anti-européenne ni anti-
américaine. Elle condamne non pas l’Europe mais le fait colonial européen. Elle condamne non pas
les Etats-Unis mais ses stratégies de domination politique. La pensée de Fanon, de Senghor ou de
Césaire dite « pensée noire » est avant tout celle de la responsabilité dans l’obligation de répondre de
soi-même et d’être garant de ses actes.

La réception de cette nouvelle pensée n’est pas uniforme. Des chercheurs se l’approprient et
l’adaptent. L’exemple qui suit dans le domaine de la musique est significatif à ce propos. Il montre un

81
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

autre aspect des limites de la décolonisation dans la continuité de la colonisation. » La post-


colonisation exprime la continuité du fait colonial à l’exemple du rap en France

Marie Sonnette, sociologue et universitaire française propose une autre grille de lecture des
œuvres des rappeurs dans le contexte de la post -colonisation. Avant tout, elle fait le point sur sa lecture
de la post -colonisation. Il ne faut pas y voir ce qui vient après la colonisation mais ce qui reste de la
colonisation du point de vue des rapports entre ex-colonisés et métropole. Les rapports de domination
se perpétuent ou se renouvellent. La post-colonisation se distinguerait du post-colonialisme par la
continuité coloniale en contexte de décolonisation. Le propos de la sociologue s’appuie sur celui de
Nicolas Bancel, spécialiste de l’histoire coloniale et post -coloniale :

« Le devenir postcolonial a donné naissance à de nouvelles réalités sociétales non seulement là-bas, dans les anciennes
colonies mais aussi au cœur de l’hexagone »

La grille de lecture à partir des chansons du rap en France décrit la réalité de la post-
colonisation :

- Questionnements sur le passé colonial : Esclavage, traite ou colonisation sont les


thématiques majeures des chansons. Ces thématiques participent à la construction
d’une mémoire individuelle de ce passé. Les rappeurs d’origine martiniquaise ou
guadeloupéenne évoquent le système esclavagiste et la résilience de leurs
ascendants travailleurs esclaves. Ceux qui sont originaires de l’Amérique du Sud
évoquent la colonisation du continent. Les enfants d’Africains installés en France
évoquent les difficultés de l’Afrique et l’ambiguïté de la politique française de
l’Afrique
- Passé colonial comme traumatisme : Celui est général. Le passé est évoqué comme
une douleur permanente.
- Persistance de la dialectique privilège/désavantage : L’ex colonisé et ses
descendants accusent un retard d’émancipation intellectuelle et économique. Il est
victime du racisme et discriminations multiples
- Rapport ambigue à l’ex-métropole : Les rappeurs retracent leurs trajectoires
composées de migrations, d’installation et de déceptions dans l’ancienne métropole.
Les récits sont biographiques ou empreints de fiction.
- Rapport ambigue au territoire dans l’ex-métropole : Les rappeurs montrent leur
attachement à leurs quartiers par les images et par les mots. Le territoire est tantôt
adulé, tantôt haï. L’appropriation est collective par l’usage du « nous » dans les
chansons. Le rappeur est le porte-parole des habitants de son territoire.222
Ces chansons donnent l’impression d’un passage de l’état de colonisé à l’état de post-colonisé avec le
mal-être que les arts savent bien rendre. La post-colonisation fonctionne comme une logique coloniale
qui demeure après la décolonisation. Toutefois, à travers le domaine des Arts, un opérateur est proposé

222
Sonnette Marie, La mise en scène des appartenances post-coloniales, Revue Nouveau cahier de marge, Identité/ Identités, janvier
2018, revues.univ - lyon3.fr.

82
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pour rendre la décolonisation plus effective. Cet opérateur met en œuvre le fait de décoloniser ou de
« dé-naturaliser » à l’exemple des Arts.
Décolonisons les Arts ! C’est le titre de l’ouvrage rédigé par des artistes d’horizons divers et
dirigé par Gerty Dambury, Leila Cukierman et Françoise Vergès223.
Gerty Dambury est Guadeloupéenne écrivaine et metteur en scène internationale vivant à Paris.
Elle est auteure de plusieurs pièces de théâtre. Leila Cukierman est à la fois antillaise et polonaise et
créatrice de compagnies de théâtre à Paris. C’est aussi une écrivaine. Françoise Vergès est la seule
directrice de cet ouvrage à ne pas occuper une fonction d’artiste. Politologue et universitaire française
originaire de la Réunion, elle prête un grand intérêt au fait décolonial224. Cet intérêt se manifeste par
des publications et des conférences à ce propos. Nous retenons particulièrement la conférence donnée
en Guadeloupe sur les femmes et l’intersectionnalité225 , entourée de Amandine Gay, réalisatrice et
comédienne, Stéphanie Mulot, anthropologue et universitaire. Cette notion est entendue comme le
cumul des discriminations à l’encontre d’une personne ou d’un groupe. Elle participe du fait
« décolonial226 » qui consiste, comme le préconise les cultural studies à rendre leur place aux acteurs
oubliés de l’histoire comme le sont les femmes.
Le livre en question porte le nom de l’association DAL227 créée en 2015 en France. C’est un
outil de mobilisation contre le racisme dans le monde des arts.
Plus qu’une association, il s’agit d’un mouvement visant à identifier les causes de l’existence
des artistes « racisé.es »228 quelque soit la forme artistique considérée. Etre racisé.e signifie d’être
identifié.e par des qualités ou des stigmatisations, qui deviennent des marqueurs sociaux, synonymes
de privilèges ou de désavantages. Tous ceux et celles qui subissent les désavantages dus à leur religion,
leur culture ou leur couleur de peau sont des racisé.es. La présence de ces personnes au sein du monde
des arts montre la réalité d’un monde pensé comme un monde ouvert. C’est pour éveiller les
consciences à cette réalité que l’association DAL est créée. L’ouvrage fait partie des outils de diffusion
de cette réalité. La question est épineuse car pas moins de dix-sept artistes du théâtre, du cinéma, de
la musique, de la danse, des arts plastiques apportent leur contribution à cet outil littéraire de lutte.
La méthodologie de la rédaction mérite d’être décrite pour montrer que les contributeurs sont
en fait des discriminés conscients de la nécessité de jeter un autre regard sur la pratique artistique donc
de mettre en œuvre le post-colonialisme. Ainsi, chaque contribution prend la forme d’une réponse à
un questionnaire soumis par les coordonnateurs de l’ouvrage. Chaque contributeur est de la sorte invité
à décrire la démarche décoloniale de sa pratique artistique de même que l’effet envisagé sur les arts
décolonisés.

223
Gerty Dambury, Leila Cukierman et Françoise Vergès, Décolonisons les Arts, L’Arche, 2018
224
Expression employée pour signifier la réalité d’une situation politique, économique, sociale, culturelle vécue par les sociétés à l’issue
de la décolonisation.
225
La conférence intitulée « L’intersectionnalité comme outils des droits humains » est donnée le 15 octobre 2017 au Mémorial Acte de
la Guadeloupe dans le cadre du Festival du Film des Droits de l’Homme 2017.
226
Le terme « décolonial » est employé dans le questionnaire adressé aux contributeurs, Décolonisons les Arts page 9
227
Décoloniser Les Arts
228
Dans l’ouvrage les hommes et femmes sont réunis sous le même terme. Le féminin est obtenu par l’addition d’un point suivie de la
voyelle « e »

83
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dans la synthèse rédigée par Françoise Vergès, la définition de la décolonisation générale


précède une autre plus spécifique aux arts décolonisés. La réinvention du regard porté sur le monde
dans le contexte du post-colonialisme participe de ce mouvement. Le monde hérité d’une histoire
« patriarcale, misogyne et coloniale » devient par ce mouvement un monde sans fracture, un monde
inclusif, un monde pensé comme une construction humaine, économique et politique et non comme
un phénomène naturel. Cette réinvention s’appuie sur l’histoire de la traite et de l’esclavage. Le
discours est pédagogique. Nous bénéficions ainsi de la définition de ce qui serait « une décolonisation
intégrale »
« Décoloniser c’est apprendre à voir de nouveau, de manière transversale, inter
sectionnelle, à dénaturaliser le monde où nous évoluons, fabriqué par des êtres humains
et les régimes économiques et politiques… Il s’agit de comprendre le monde autour de
nous, de ne négliger ni le grand ni le petit… Décoloniser, c’est inévitablement
commencer avec la traite et l’esclavage colonial construit comme aussi naturels que le
jour et la nuit. L’Eglise, l’Etat, la culture, le droit les justifiaient.229 »

Et la méthodologie est tout indiquée : déconstruction et rééducation mentale :


« Il faut désapprendre pour apprendre à nouveau, rééduquer tous ses sens – regard,
écoute, toucher, odorat, – qui ont été endommagés mais aussi apprendre le silence. »

Le mouvement de décolonisation artistique défend deux valeurs, celle de la liberté et de la libération :


« On leur oppose la liberté de création. A la DAL, nous défendons ce droit. Mais nous
sommes aussi pour la libération, cette action collective qui vise non pas la seule création
individuelle mais la libération de l’énergie créatrice dans la société…Pour ces artistes,
il ne s’agit pas de répondre dans un face à face à l’Europe et à son occidentalo-centrisme
mais de se libérer de son emprise et d’explorer d’autres imaginaires, périodicités,
spatialités, spiritualités230 ».

Il s’agit là de préconisations pour une « décolonisation culturelle ». Cette perception de la


décolonisation est pressentie par Georges Balandier 231. Avec Françoise Vergès, cette préconisation se
transforme en un opérateur. C’est l’accomplissement d’efforts pour rompre avec la vision du monde
et de soi telle qu’elle a été construite par la colonisation. La composition musicale et la Recherche dans
le domaine du gwoka utilisent cet opérateur avec quelques limites.

3- Décoloniser le gwoka : une autre manière de pratiquer

Le « gwoka modèn » ou GKM s’inscrit dans la démarche de la décolonisation de l’écriture


musicale du gwoka de même que de son rôle dans la société. Le témoignage de son créateur, plus de
40 ans après la diffusion de cette invention, donne la preuve de sa détermination quant à sa volonté de
rupture avec des schémas établis par la colonisation :

« Je cherchais un système différent pour travailler la gamme du gwoka. En effet, elle est atonale. C’est
pourquoi il me fallait trouver un système autre que le système occidental. Ce n’est qu’après réflexion et
expérimentation que j’ai fini par inventer une écriture pratique pour reproduire rythmes et mélodies… Je

229 Sous la direction de Gerty Dambury, Leïla Cukierman, Françoise Vergès, Décolonisons les Arts, L’Arche, 2018, pages 120-121
230
Sous la direction de Gerty Dambury, Leïla Cukierman, Françoise Vergès, Décolonisons les Arts, L’Arche, 2018, pages 127-129
231
Georges Balandier, l’Afrique ambigüe, Plon, 1969, pages 363-396

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

reste persuadé que le gwoka a toujours eu cet aspect spirituel qui fut supprimé certainement par la force,
et quoique amputé de cette force, il a toujours joué son rôle de soutien auprès du peuple guadeloupéen.232

Il fallait dès lors oublier les portées habituellement utilisées pour lire la musique sur des
« portées circulaires ». Il fallait défaire l’oreille des mélodies habituelles pour entendre le gwoka joué
par des instruments dans sa gamme propre. Gérard Lockel a réalisé un travail de déconstruction sonore.
Le nouvel ensemble musical qui naît de cette recherche de singularité musicale induit aussi un travail
de déconstruction visuelle de l’orchestre du gwoka tel que l’on y était habitué. Et si la nouvelle portée
qu’il invente en rajoute à cette déconstruction visuelle, elle participe surtout d’une déconstruction du
mode d’apprentissage de la lecture musicale.

L’atonalité d’après Gérard Lockel c’est le fait de se libérer comme dans le Free Jazz (Hornet Colman,
Cecile Taylor) des accords occidentaux pour l’harmonie, exemple do mi sol comme accord majeur ou
do mi bémòl, sol (accord mineur). Le musicien s’affranchit des codes occidentaux. Cependant, les
chantè comme Anzala ou Ti Céleste respectent ces acccords et sont reconnus comme des chantè gwoka
de renom. L’atonalité n’est donc pas une généralité dans la composition musicale des titres gwoka.

Par ailleurs, le gwoka dès sa conception africaine jusqu’à sa pratique en Guadeloupe a pour
instrument central le tanbou autant que ses semblables caribéens. Gérard Lockel lui-même le
reconnait :

« J’ai eu des contacts avec des musiciens d’autres pays ayant à peu de choses près la même histoire que
nous. La différence entre eux et nous, c’est que leurs traditions sont restées une spiritualité, et même dans
certains pays, une religion dont le tambour est un élément essentiel233… Dans la musique, le tambour est
la base essentielle sur laquelle tout repose »234

Mais la composition de son ensemble musical peut prêter à controverses. En effet, l’orchestre
ainsi constitué rappelle les orchestres de bals jouant singulièrement la biguine, que l’auteur critique
comme musique tonale, se prêtant à l’aliénation musicale. Par ailleurs, l’introduction d’instruments
nouveaux est de nature à faire perdre au tanbou la place centrale qu’il a toujours occupé dans le gwoka
et que Gérard Lockel revendique. Le GKM présente dès lors des marques d’ambigüité.

De plus, Gérard Lockel choisit de donner au gwoka un orchestre du genre des bals. Avec Robert
Mavounzy, il a animé ces bals notamment au cabaret huppé de La Cigale de Paris. Il reproduit aussi
les orchestres de Jazz avec lesquels il a joué, entouré de musiciens américains. De même la danse
exécutée physiquement, par un danseur, est désormais exécutée dans le GKM, par un danseur virtuel
jouant non pas sur un tanbou mais sur un instrument à percussion inventé par le musicien, le
gouadlouka235.

Et, parmi les musiciens qui ont suivi la voie de Gérard Lockel en créant des orchestres dits de

232
Gérard Lockel, Gwoka modèn, ADGKM, 2011, page 72 et page 61
233
Gérard Lockel, Gwoka modèn, ADGKM, 2011, page 61
234
Gérard Lockel, Traité de Gwoka modèn, Initiation à la musique guadeloupéenne, auto-édition, page 16
235
Instrument réalisé à partir de 3 petites caisses cylindriques de taille inégales et ouvertes par un orifice monté sur un support. Le son
s’exécute en frappant sur les caisses à l’aide de deux petites baguettes dont le bout est habillé par un caoutchouc.

85
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

gwoka moderne, il faut attendre 10 ans environ après la création du GKM, pour que Christian Laviso,
accorde de nouveau, au sein des formations qu’il crée, Horizon puis Simmen-Kontra, à sa manière
toute la place au tanbou en reproduisant sur la guitare des phrases rythmiques du tanbou-makè. De
même, Sonny Troupé va éduquer l’oreille de l’auditeur par l’exécution de ces phrases rythmiques sur
la batterie.

Du point de vue de la Recherche, Jérôme Camal, ethnomusicologue, anthropologue et


universitaire débute ses travaux de recherche par la musique de Gérard Lockel qui pour lui est une
forme de Jazz236. Toutefois, il reconnaît que le gwoka modèn n’est pas l’unique terrain d’exercice des
relations qui se jouent entre acteurs à travers l’espace sonore, ce qu’il appelle l’auralité237. Les léwòz
des années 1970-80 relèvent aussi de cette « auralité ». Mais, l’ethnomusicologue consacre son étude
au créateur du gwoka modèn parce que ce musicien affiche clairement ses idées au sein du camp
patriotique guadeloupéen238 . Il y est ressenti comme l’effort de contestation le mieux réussi :

« I should also make clear that gwoka modènn was not the only way in witch gwoka became a part of anticolonial
aurality…So-called traditionnal forms of music, especially swaré léwòz, played a central role in diffusing
anticolonial ideology and throughtheir participatory ethics, building a sense of community. But I want to focus on
Lockel’s music because within the camp patriotique, it presents perhaps the most accomplished and sustained effort
to merge form and message and to use music to foster an anticolonial subjectivity. »239

Toutefois, nous constatons que « l’auralité » de Gérard Lockel évolue ou encore souffre de
contradictions et s’inscrit alors par une certaine démarche d’intégration dans « l’auralité créolisée240 »
developpée par Jérôme Camal. En effet, en 2015, créateur du GKM abandonne l’idée d’une portée
singulière pour le gwoka. Car le recueil de chansons qu’il publie en 2015 comprend la transcription
musicale de ces dernières sur les portées qu’il a rejetées 40 ans auparavant. Il s’en explique par les
besoins de l’élève formé par un système scolaire, qu’il a critiqué comme support d’aliénation culturelle
durant près de 40 années.

« Si on veut que la transmission soit faite, on est obligé de se servir de ce que l’on apprend aux enfants à
l’école. C’est la raison pour laquelle j’ai utilisé le solfège241 ».

Pourtant Gérard Lockel semble bien dans le même temps valoriser le gwoka comme une pratique qui

236
Jérome Camal, From gwoka modenn to Jazz Ka : Music, Nationalism and Creolization in Guadeloupe, A dissertation presented to
the Graduate School of Arts and Sciences of Washington University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Doctor
of Philosophy, University of St Louis in Missouri, 328 pages, mai 2011

237
Le spécialiste désigne par auralité, la contestation anticoloniale par le sonore.
238
C’est le terme employé pour désigner en Guadeloupe les mouvements indépendantistes au cours des années 1980 principalement
ceux portés par les nouveaux syndicats UTA, UPG puis de l’organisation politique nationaliste UPLG
239
Jérôme Camal, Creolized Authority, The University of Chicago Press, USA, 2019, page 77 / Traduction : Je dois également préciser
que le gwoka modènn n’était pas la seule voie pour faire du gwoka une part (une voie) de l’auralité anticoloniale. Les formes dites
traditionnelles de la musique, en particulier les « soirées léwòz », ont joué un rôle central dans la diffusion de l’idéologie anticoloniale
par leur éthique participative, en construisant un sens de la communauté. Mais je veux me concentrer sur la musique de Lockel parce
que, dans le camp patriotique, il représente peut-être l’effort le plus accompli et soutenu pour opérer la fusion d’une forme (musicale) et
d’un message et d’utiliser la musique pour favoriser une subjectivité anticoloniale.
240
Jérôme Camal, Creolized Authority, The University of Chicago Press, USA, 2019, page 8. L’auralité créolisée se définit comme
complémentarités et des contradictions dans les relations entre acteurs à travers le domaine du son
241
Gérard Lockel, GKM recueil, page 7

86
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

contribue à faire du Guadeloupéen l’homme nouveau que la pensée post-coloniale préconise :

« Etre gwoka demain, à mon avis, devrait être une façon de penser, d’agir, de parler, de s’habiller, de se
nourrir, une manière de vivre afin qu’il y ait un style, une personnalité qui soit propre à tous ceux qui
seraient gwoka 242».

Gérard Lockel entame une démarche de décolonisation culturelle pour la musique du gwoka en
dépit des limites. Mais la mobilisation d’autres sources pour la Recherche à propos de cette pratique
sont autant de pistes qui mettent encore en oeuvre la décolonisation culturelle.

Gino Sitson, musicien et spécialiste de la voix, est connu sous le nom de Pierre Sitchet au sein
de son université avec laquelle il prépare et soutien son doctorat de musicologie en juin 2017. Ses
rencontres et voyages en Guadeloupe ont nourri son attrait pour le gwoka. Il en fait le sujet de recherche
de sa thèse pour des esthétiques singulières principalement à partir de la problématique de la
transmission familiale et régionale. Il les analyse dans leur signification en tant qu’héritage et pratique
sociale. C’est principalement les sources utilisées qui nous intéressent dans le contexte de la
l’application de la décolonisation culturelle dans le monde de la Recherche. Ses matériaux de
Recherche comme le nomment l’auteur de la thèse sont très divers. Tous relèvent de l’immatériel.

Ce sont des entretiens longs et semi directifs recueillis dans des espaces privés et intimes pour
la plupart. Les deux principaux interviewés sont deux membres de la famille sur laquelle repose
l’étude. D’autres entretiens lui ont permis de recueillir des témoignages et éclairages techniques de la
part de Guadeloupéens en Guadeloupe et à l’extérieur.

La source est aussi le témoignage de l’auteur lui-même en tant que participant à des
manifestations gwoka. Cette participation qui se concrétise par des supports sonores fait du chercheur
un témoin-acteur pour sa propre recherche. Elle traduit l’intérêt pour le sujet d’un chercheur impliqué
dans l’action. Cette implication est volontaire mais nouvelle pour le chercheur :

« Cette remarquable opportunité d’observation participante fut la première d’une


longue série. Elles nous permirent de mettre en œuvre une analyse minutieuse et
méticuleuse du discours et des pratiques de nos interlocuteurs, et également de notre
propre discours et de nos actes243 ».

Les sources sont aussi des tests participatifs, des auditions et archives sonores. Ces sources
sont des incontournables car le sujet porte sur des faits musicaux sonores. Les interviewés sont des
personnes connues du gwoka et qui se sont volontiers prêtées à ces prélèvements. Des évaluations
d’interprétation de chansons sur la base d’un questionnaire ont été proposées à des chanteurs au moyen
de l’outil Internet. Les enregistrements ont été traduits sous la forme de spectrogrammes pour faciliter
l’analyse technique et physiologique des esthétiques ciblées. Cette étude met en valeur ces esthétiques
qui jusque-là étaient non exploitées, considérées comme simplistes et ordinaires.

242
Gérard Lockel, GKM recueil, page 5
243
Sitchet Pierre, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le Gwoka, genre musical guadeloupéen le santiman et la lokans, Thèse
de doctorat soutenue le 27 juin 2017 sous la direction de Jean-Marc Chouvel, Université Paris-Sorbonne, page 18

87
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cependant, l’étude est centrée sur une famille guadeloupéenne pour laquelle la transmission du
gwoka est connue sur 3 générations depuis le début du XXè siècle244. Cette famille s’est constituée en
ensemble musical depuis1979. Mais sa renommée vient des prestations qu’il a données à l’extérieur
de la Guadeloupe à partir du milieu des années 1990. La troupe acquiert sa renommée pour avoir su
gagner un rayonnement à l’échelle de la France puis à l’international en participant à des festivals de
musique. Ce n’est pas la Guadeloupe par elle-même qui a fait leur célébrité mais la France hexagonale
qui renvoie cette célébrité à la Guadeloupe. C’est une traduction du rapport entre ex-colonisés et
métropole. Sans la renommée conquise dans l’Hexagone, l’ensemble musical aurait-il été reconnu au
point d’être choisi comme étude de cas par le chercheur ?

Par ailleurs, d’autres sources du gwoka sont encore vierges comme l’évènement culturel. C’est
une source à exploiter. Le Festival gwoka de Sainte Anne est un exemple signifiant. Il a lieu chaque
année au mois de juillet. Il rassemble un nombre important d’artistes. Leurs noms sont portés sur le
programme annuel en forme d’affiche pour les toutes premières éditions puis de flyers et enfin de
livrets. Cette source est disponible pour les 31 éditions du festival dont le premier concert date de
1989245. A ce jour, ces programmes ne sont pas encore exploités. Nous pouvons dégager quelques
orientations de recherche en distinguant les informations concernant l’organisation et les informations
ethnographiques :

Les artistes du festival :


Ce sont d’abord des anonymes du léwòz annoncés par leur fonction :
« Chantè, répondè, makè, boularien246
Sa ki vayan lévé lan men247 »
Les artistes sont ainsi nommés pour la 2è édition. Ils sont identifiés par le nom du groupe auquel
ils appartiennent. Pour certaines éditions comme celles de 1993, les musiciens animateurs du léwòz
sont regroupés selon leur fonction et sont nommément désignés. Les artistes décédés sont aussi
présents par les hommages qui leur sont rendus. Cette rubrique est très récente parmi les activités du
Festival. Ce fut Robert Loyson248 en 1996, Reynoir Casimir Négoce249 et Moune de Rivel250 en 2018.
Le nombre d’artistes participants ne cesse de croître. De 1989 où le nombre de groupes participants
est de 3, en 2018 ils sont au nombre de 29. Cette croissance doit interroger les motivations de la
participation.

244
Sitchet Pierre, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le Gwoka, genre musical guadeloupéen le santiman et la lokans,
Thèse de doctorat soutenue le 27 juin 2017 sous la direction de Jean-Marc Chouvel, Université Paris-Sorbonne, pages170- 173
245 Conférence de Félix Cotellon, 30è festival gwoka de Ste Anne, le 15 juillet 2017. Félix Cotellon est un membre fondateur du Festival.
246
Dans l’exécution de la musique gwoka, le boularyen désigne le ou les tanbouyés affectés à l’exécution des sons graves et de la
rythmique de base sur des tambous réglés manuellement à cet effet.
247
Chanteur, répondeur, makè (musicien du tanbou makè) boularyen (musicien du tanbou boula) Que les vaillants lèvent la main, affiche
de 1988.
248
Robert Loyson décédé en 1989 fut un chanteur de véyé, léwòz, de scène et du disque.
249
Casimir Reynoir Négoce décédé en 2017 fut un accordéoniste des quadrilles, un animateur de léwòz dans la section de Jabrun Baie-
Mahault et annoncé dans le programme du Festival comme « artiste du Festival disparu… »
250
Cécile de Virel dite Moune de Rivel décédé en 2014 fut une chanteuse des musiques de bals de Paris depuis les années 1930. Elle a
interprété des titres du gwoka de véyé enregistrés par des artistes de Ste Anne.

88
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

L’ensemble musical ou la troupe de danse permet de connaître la sociologie des acteurs car il
sous-tend des noms, des prénoms, des âges, des lieux de naissance, des professions, des domiciles. De
même du point de vue historique, il permet d’étudier les évolutions des rôles par sexe, les hiérarchies,
les chansons transmises. Par ailleurs, le nom attribué à chaque ensemble musical doit être analysé pour
connaître le rapport des acteurs au gwoka. Majoritairement en langue créole, ce nom traduit
l’affirmation d’une appartenance linguistique et culturelle à un territoire. De même, la date de création
du groupe interpelle le contexte.
La thématique des spectacles, des chansons et des danses peut être exploitée pour comprendre
les enjeux généraux et particuliers du gwoka. Les costumes et accessoires rendent aussi compte de la
perception du gwoka par ses acteurs.

Les acteurs non-artistes du gwoka


Ce sont les intervenants aux conférences débats du Festival. Ces conférences débutent en 1990.
Les intervenants sont des chercheurs des universités et cadres de la fonction publique ou territoriale
affectés dans diverses structures administratives ou collectivités territoriales. Certaines années sont
plus fructueuses que d’autres et les conférences répondent par exemple à des projets culturels inscrits
dans un schéma de développement global pour la Guadeloupe. Le Festival peut se révéler comme le
laboratoire d’une politique culturelle qu’il convient d’étudier. C’est peut-être une hypothèse d’analyse
de l’évènement. Les conférenciers interviennent sur une thématique proposée par le Festival. La
compétence pour laquelle ils sont invités exprime sur la période les ambitions des organisateurs. Les
intervenants sont étudiés comme des acteurs indirects du gwoka.
Mais l’étude du Festival ne peut faire l’économie d’une autre piste d’exploration, le mécénat
public. En effet, les logos des mécènes illustrent les supports de communication. Jusqu’en 1992, la
manifestation est sponsorisée par des acteurs privés. Ce sont des entreprises localisées dans la
commune de Ste Anne ou dans d’autres communes de la Guadeloupe mais appartenant à des
Guadeloupéens originaires de la commune. Progressivement le nombre de sponsors augmente et
dépassent les limites de la commune. Les radios locales font partie des contributeurs.
A partir de 1993, le Festival est soutenu par des institutions publiques représentant le Ministère
de la Culture et par les collectivités territoriales. Le contexte de la création du Festival doit être mis en
parallèle avec le recours à l’acteur public pour montrer que le Festival est un évènement qui relève de
la post-colonisation.

Les absents des supports de communication du Festival :


Le présentateur du Festival, les photographes et reporters, les invités des stands et les membres
de l’association organisatrice ne sont pas nommés. Le relevé de leurs données personnelles autant que
ceux des artistes et non artistes sont autant d’informations à propos des enjeux du festival.
En définitive, entreprendre des travaux de recherche dans la logique de la décolonisation
culturelle incite à envisager d’autres approches et à explorer d’autres sources mais aussi à rechercher

89
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

les éléments qui rendent compte de la permanence des schémas coloniaux. C’est dans cette logique
que nous étudions l’acteur du gwoka comme un acteur culturel qu’il convient de définir.

C- L’acteur culturel, un rôle autrement envisagé

1- L’histoire et ses acteurs

En 1863, le mot acteur ne figure pas dans le dictionnaire étymologique de la langue française251
ni pour les termes usuels retenus ni pour les expressions spécifiques. Le mot « agir » permet à
l’étymologie de l’acteur de se découvrir par déduction. D’après ce dictionnaire, Agri vient du latin
« agere » qui signifie faire quelque chose. Mais le dictionnaire distingue le simple fait de faire de celui
d’agir. C’est une faculté humaine sans laquelle l'homme, ne serait pas responsable de ses actes. Agir
est un acte autant physique que mental, qui engage.

Mais l’Histoire n’a pas toujours cru en ses acteurs. Bernard Lepeti montre l’intégration
progressive de l’acteur dans la Recherche historique. L’individu ou le groupe agissant n’était pas
toujours pris au sérieux252. En fait, il n’a pas toujours été étudié. L’auteur développe son propos par
l’exemple de la Révolution française mais sa thèse ne concerne pas que ce fait historique. Pour lui,
lorsque l’historien prend en compte les acteurs de l’histoire, il est confronté à un profond changement
car la priorité est désormais donnée à l’acte et à l’action. En effet, l’histoire éclipsait les acteurs des
faits parce que l’histoire sociale est d’abord une histoire conjoncturelle étudiée selon l’approche
d’Ernest Labrousse et de Fernand Braudel. Cette histoire est surtout basée sur le traitement statistique
des données. C’est une histoire qui recherche les causes du fait historique souvent par la conjonction
de causes initialement indépendantes les unes des autres et qui se développent selon l’une des 3
temporalités possibles : le temps long des oppositions sociales, temps cyclique des évolutions
économiques, temps court des stratégies et des imputations. Dans un tel contexte, le temps est essentiel
et provoque ainsi l’omission de l’action de l’homme.

Dans le cas de l’histoire de la Révolution française, l’acteur émerge avec Albert Soboul. En
1958, il publie les Sans culottes parisiens en l’an II, dans lequel il montre la véritable place de ce
groupe dans le processus révolutionnaire. Ce groupe a su concilier ses comportements et ses aspirations
propres avec les nécessités et exigences des acteurs au pouvoir à savoir la bourgeoisie. Mais le plan
même de l’ouvrage montre que l’acteur n’a pas encore toute sa place dans le processus historique ;

En réalité, l’acteur émerge lorsque l’histoire s’intéresse à de nouveaux objets plus


humanisés par exemple le corps et non plus la mortalité, la vie amoureuse et non plus la fécondité
légitime ; les manières de table et non plus les rations alimentaires, les langues, les images, les mythes
et non plus les techniques de production. L’histoire quitte la méthodologie du quantitatif pour passer
à l’interprétatif. Ce passage inaugure l’entrée en scène de l’histoire des mentalités dans
l’historiographie française.

251 Dictionnaire étymologique de la langue française usuelle et littéraire par M. A Mazure, Librairie classique d’Eugène Belin, 1863,

extraits page 5
252
Bernard Lepeti , L’histoire prend t-elle ses acteurs au sérieux ? Espace-Temps, année 1995, 59-61.

90
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais l’acteur en tant qu’individu n’est pas encore au centre de l’étude parce que l’histoire des
mentalités est celle du collectif, celle des processus culturels impersonnels, celle des identités
culturelles partagées. En fait, l’acteur est encore oublié. Il manque le questionnement à propos de ce
que la société composée d’êtres libres de faire, fait ou est susceptible de faire. Il manque la confiance
accordée à l’homme en tant que producteur du fait historique.

Et ce sont les travaux d’Alain Cottereau publiés en 1987 et 1992 sur la question de la confiance
dans le processus révolutionnaire qui donne toute sa place à l’acteur. L’historien montre que les
dispositifs mis en place traduisent cette confiance que gagnent en eux-mêmes les acteurs de la
Révolution. En ce sens, la gestion de l’espace public ne se fait plus à l’échelle de la Nation mais à
l’échelle locale. Et c’est par le face à face des hommes que se résolvent les problèmes. De même, les
lois sont interprétées à l’échelle locale.

C’est ainsi qu’un autre modèle historiographique entre en vigueur. La société est autrement
envisagée. Elle est un produit de l’interaction des êtres qui la composent, le produit de la pratique
sociale. C’est le jeu des acteurs qui la construit. Les identités sociales et les liens sociaux ne sont pas
définis une fois pour toutes. Ils sont instables, changeants en fonction de la situation à gérer. L’usage
dépasse et efface même la nature par laquelle se définissait jadis les liens et les identités sociales. La
société trouve ses principes dans ce que les hommes et les femmes du moment en font. Et chaque
contexte construit des identités nouvelles pour les mêmes personnes.

Cette entrée progressive de l’acteur dans l’histoire de la Révolution française propulse l’acteur.
L’historien montre comment le fait s’est progressivement élaboré et comment il a évolué. L’histoire
est donc en perpétuelle évolution. Celle-ci dépend des acteurs qui la font évoluer en fonction de leurs
propres enjeux. L’acteur est désormais au centre du processus historique.

Sans acteur, pas d’histoire. Donner la priorité aux acteurs de l’histoire, c’est lui rendre son
humanité. Mais la prise en compte des acteurs en leur reconnaissant une place considérable dans le fait
historique pose la question de la définition même de la nature humaine. Des penseurs comme Karl
Marx et Jean-Paul Sartre se sont interrogés sur la nature humaine.

Citant Jacques Derrida, philosophe français (1930-2004), le journaliste français et étudiant en


philosohie Nicolas Dutent253 revient sur la question de la « nature humaine » selon l’approche
marxiste. La nature humaine peut être considéré comme individuelle autrement dit déterminée par la
psychologie individuelle c’est-à-dire composée de tempéraments, de traits de caractère, de
dispositions, de préférences inconscientes qui constituent des déterminismes pour l’attitude humaine
face à une situation. Ou encore la nature humaine peut être envisagée dans une approche sociale c’est-
à-dire un être disposant d’une identité et de particularités communes à l’humanité, susceptibles de
tisser des relations entre les hommes. D’après Karl Marx, aucune de ces approches ne peut générer
une transformation de l’homme car ce changement dépend de lui et uniquement de lui. C’est
l’existentialisme. Pour Marx cette transformation historique est possible et même recommandée pour
dépasser les pesanteurs de son époque. Cet homme transformé qui montre sa capacité à s’émanciper

253 NicolasTudent, L’homme acteur de l’Histoire et inventeur de lui-même dans la pensée marxiste, Médiapart, 2010.

91
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

par lui-même est acteur de l’histoire d’après Marx et Sartre. Les deux philosophes pensent que cette
transformation est possible.

Cette nouvelle approche de l’humanité fait de l’homme un acteur de lui-même et par


conséquent un acteur de l’Histoire. Donc l’idée de « nature humaine » doit être repensée dans la
fabrique de l’Histoire. Cette approche fait que l’acteur en tant qu’homme précède l’Histoire, c’est lui
qui la construit. Cette capacité à se transformer fait de l’Homme un être libre. Elle donne à l’homme
une lourde responsabilité par rapport à l’Histoire car si l’homme fabrique l’Histoire, il faut qu’il
assume et rende compte de ce qu’il a produit.

Cette transformation de l’homme doit prendre deux aspects : il faut produire des idées relatives
à ce changement et il faut passer à la pratique. L’exigence de la théorie et de la pratique est un
incontournable. L’homme, acteur de l’Histoire montre que celui-ci agit en conscience de ses capacités
à transformer, à corriger… Plus qu’un simple acteur l’homme devient alors un acteur critique de
l’Histoire. Il devient maître et possesseur de l’Histoire que s’il est capable de dépasser les
déterminismes afin de produire le Monde tel qu’il le conçoit. Toute action de l’Homme sur le Monde
c’est à-dire sur la transformation du Monde est une révolution même lorsque l’acteur est l’historien
lui-même. Mais devenir un acteur culturel est un autre défi pour l’Homme.

2- L’acteur culturel, une notion empruntée à la politique culturelle

Ce paragraphe vise à poser les bases de la notion d’acteur culturel, dans le cadre de la Vè
République. A ce titre, nous nous appuyons sur un chapitre de l’ouvrage collectif dirigé par les
historiens Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, à propos des grandes questions que pose le
culturel comme un opérateur de l’histoire254. Ce chapitre qui fait juste un point historique sur la
politique culturelle au temps de André Malraux est complété du décret du 10 mai 1982 relatif à
l’organisation du ministère de la culture.

En France, la culture est le fait de deux grands acteurs depuis les années 1950 ; le public par la
création du ministère de la Culture créée en 1958, les collectivités territoriales depuis les lois de
décentralisation de 1980. Cette institutionnalisation de la culture a pour but de démocratiser la culture.
Mais la démocratisation culturelle a ses limites parce que les évènements culturels sont soumis aux
lois du marché. L’érosion de cette démocratisation fait l’objet de nombreuses critiques de la part du
citoyen dans un Etat où l’égalité est une valeur revendiquée.

L’acteur culturel appartient au domaine public. Il désigne l’Etat ou les collectivités locales. En
tant qu’acteur des politiques culturelles, il élabore des projets et les met en œuvre. Les acteurs privés
porteurs ou collaborateurs de projets culturels sont aussi des acteurs culturels.

L’Etat joue son rôle d’acteur culturel en créant un ministère des Affaires culturelles confié à
André Malraux, résistant et écrivain. Et l’offre culturelle s’étend à l’ensemble de la France par la

254 Jean-Pierre Rioux, François Sirinelli, Pour une histoire culturelle, Seuil, Paris, 1997, pages 319-324.

92
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

création des Maisons de la Culture en 1961 afin de faire connaître les créateurs et les œuvres françaises
à travers le théâtre.

Des citoyens deviennent acteurs culturels en dénonçant les insuffisances de la politique


culturelle et en proposant des actions culturelles citoyennes. Ainsi, les acteurs de Mai 68 sont des
acteurs culturels parce qu’ils produisent des idées en forgeant la notion de « non-public » et mettent
en œuvre des actions pratiques pour concrétiser leurs idées. Le « non public dénonce la non-
démocratisation culturelle voulue par l’Etat parce qu’une « immensité humaine » n’a pas encore
accédé au « phénomène culturel » et n’a aucune chance d’y accéder. En fait en tant qu’acteur culturel,
le citoyen éveille les consciences sur le caractère inégal et sélectif de l’accès à la culture. L’acteur
culturel impose sa voix à l’offre culturelle.

L’Etat en tant qu’acteur culturel renforce son rôle par les grands travaux. Et la nouvelle
politique culturelle de l’Etat est plus démocratique. En effet, le décret de 1981 relatif à l’organisation
du Ministère de la Culture stipule que :

« Le ministère chargé de la Culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur
capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique
de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux pour
le profit commun de la collectivité tout entière ; de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit
et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français
dans le libre dialogue des cultures du monde255 ».

C’est la conception institutionnelle de la culture. En favorisant le développement de ces


capacités, elle vise à faire du citoyen un acteur culturel. L’Etat produit par sa politique culturelle
diverses catégories d’acteurs culturels.

L’acteur culturel est donc, dans le cadre de la gestion de l’espace public l’initiateur d’une
politique culturelle. L’action culturelle de l’Etat peut être soumise à des controverses par des opposants
ou des réformateurs. Ces trois types d’acteurs culturels occupent des fonctions différentes dans un
même cadre, celui de l’aménagement culturel du territoire pour lequel ils entrent en interaction. Dans
le monde des Arts, l’acteur culturel s’identifie autrement. En effet, par sa spécialité, il est au cœur des
manifestations culturelles en tant que danseur, chanteur, musicien, comédien, plasticien… A travers
ses prestations, il impulse sa conception du monde. Son rôle est essentiellement artistique comme le
fait observer Anne Martin-Fugier256 qui montre que la mondialisation a changé la perception de l’art
au sein des artistes.

« L ‘art-pour-le-marché257 » est la conséquence de l’art globalisé. Toutefois, parmi les douze


artistes français interrogés par la spécialiste des Lettres, certains adhèrent à cette logique de marché
qui permet au public de connaître la création contemporaine alors que d’autres regrettent que celle-ci
transforme, par l’abondance, l’art en évènementiel. Si la majorité des artistes sélectionnés par la
spécialiste traite prioritairement des enjeux économiques de leur production et de leur parcours de la

255
Journal officiel de la République française, Décret n°82-394 du 10 mai 1982 relatif à l’organisation du ministère de la Culture, 11
mai 1982, page 1346.
256
Anne Martin-Fugier est une historienne de l’art et Docteur en Lettres
257
Expression employée par Anne Martin-Fugier dans Artistes, Actes Sud, 2014, page 11.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

formation au succès, certains évoquent, dans leur témoignage, leur perception de l’artiste tel qu’ils
veulent être regardés :

« …je voudrais que mon travail soit reconnu comme une démarche intellectuelle et plastique,
qu’il ne soit plus chez les collectionneurs mais dans les musées. Qu’il puisse parler à tout le
monde, contribuer à l’échafaudage humain 258….

De même, la seule femme du groupe des interrogés réussit, par son succès à faire reculer la
notion d’artiste-femme. L’artiste est avant tout celui où celle qui est reconnue pour la qualité de ses
œuvres :

« La presse raconte que je suis l’artiste française la plus exposée à l’étranger. Mais je
ne sais pas si, à l’étranger, on me considère comme une artiste française. C’était le cas
quand j’ai exposé aux Etats-Unis au début… mais c’est fini…. J’ai commencé dans les
années 1970…une femme artiste en France, au début des années 1970, qui, en plus,
avait un petit ami artiste, c’était moins que zéro 259… ».

Alors, Anne-Martin Fugier s’interroge : l’artiste, en voulant changer le monde, serait-il un


philosophe ou entrerait-il en concurrence avec la philosophie dont la mission est de conduire les
hommes à une autre culture, celle de la vérité, du bonheur et de la liberté ? En effet, l’artiste est capable
en, élaborant une pensée de transformer le monde autant que le fait le philosophe. Certains artistes
pensent qu’ils le dépassent même dans cette mission.

« L’art …doit exercer notre capacité à percevoir en débarrassant la perception des


préconceptions véhiculées par le langage pour l’ouvrir à l’infinie diversité de la nature telle qu’elle se
donne. L’artiste a donc pour rôle de faire voir ce qu’on ne voit pas ou plus260 » …

L’artiste est donc un acteur culturel. L’art est capable de transformer l’artiste en acteur culturel.
En effet, il transforme l’homme dans tous les aspects de l’existence individuelle et collective. Par
ailleurs, l’artiste par sa capacité novatrice est capable de transformer le spectateur en acteur en lui
faisant interroger ses sens. L’exemple du happening inventé par l’artiste Américain Allan Kaprow est
révélateur à ce propos. Il sort l’œuvre d’art de son aspect contemplatif pour une perception plus
dynamique, plus implicative du spectateur. C’est la notion même de spectateur de l’œuvre d’art qui est
ainsi remise en cause car le spectateur devient lui-même acteur. Il passe d’un côté à l’autre. C’est
l’artiste qui impulse ce changement aussi radical. Il est acteur et son spectateur aussi. Et l’action
culturelle fait la renommée d’artistes à l’échelle de leur groupe et à l’échelle du monde.

258
Fabien Merelle, jeune plasticien français dans Anne Martin-Fugier dans Artistes, Actes Sud, 2014, page 31
259
Annette Messager, plasticienne française confirmée dans Anne Martin-Fugier dans Artistes, Actes Sud, 2014, page 31
260
Idée de Herman de Vries rapportée par Anne Mauglin-Delcroix, L’art comme alternative à la philosophie, un défi d’artiste.
Observatoire n°41, 2012, pages 24-29.

94
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Des acteurs culturels à l’œuvre : corriger les images coloniales ? Exemple de Joséphine
Baker et de Bob Marley.

Joséphine Baker change l’image du corps noir. C’est une artiste polyvalente. Chanteuse, danseuse et
actrice de cinéma, elle occupe la scène de 1925 à 1975 jusqu’à quelques jours avant son décès en
1975

Avant l’arrivée sur scène de Joséphine Baker, la sexualité est reconnue comme utile mais
cantonnée à des zones ciblées261. Pour l’opinion publique, cette femme dénudée sur scène remet en
cause la séparation entre l’homme civilisé et le sauvage. Cette tenue de scène lui a été proposée lors
de la pièce La Revue Nègre présentée au public français en 1925. Elle refuse dans un premier temps à
cause de l’incorrection qu’elle lui inspire puis accepte pour exécuter une danse dite « danse
sauvage262 ».

Pour l’époque, l’artiste représente une menace pour la civilisation et dans ce cas, la réponse à
cette remise en cause est l’animalisation de la femme noire. Cette stratégie dissipe toute ressemblance
entre l’homme civilisé blanc et l’homme animalisé noir. Il en ressort un portrait stéréotypé du noir,
sauvage, oisif, danseur. Ce portrait est élaboré par des écrivains allemands et autrichiens. Par
extension, le jazz qu’elle danse devient musique subversive. Le stéréotype franchit les barrières du
social pour atteindre le politique à travers la crainte d’une Amérique, dépassant l’Allemagne vaincue
de la 1ère guerre mondiale, par sa culture de masse. Le Nouveau monde est présenté comme
destructeur de l’Ancien vu le succès de Joséphine Baker. Ce succès s’explique par le fait que le corps
de Joséphine Baker ainsi fabriqué pour la scène correspond au portrait nègre tel que le conçoit la
préoccupation du metteur en scène qui trouve que la Revue ne refléte pas suffisamment ce portrait
assez nègre :

« En assujettissant Joséphine Baker, il allait la transformer en icône vivante. Il manipula le


spectacle et les participants selon des codes compréhensibles par le public français, conditionné
à avoir un regard spécifique envers les « Noirs » en général, la « Femme noire » en particulier,
agissant pour que la réception de l’œuvre corresponde à ce que Bourdieu explique de « l’œuvre
d’art [qui] ne prend un sens et ne revêt un intérêt que pour celui qui est pourvu du code selon
lequel elle est codée263 ».

La fabrication de cette altérité du corps de Joséphine Baker n’est pas exclusive à l’Allemagne.
En France, elle est présentée à l’Exposition coloniale de 1931 comme « la Reine des Colonies ». La
réaction de Joséphine Baker à cette animalité prescrite est de se prêter au jeu.

Le personnage est complexe. Elle ne change rien de ses grimaceries sur scène, confirmant ainsi
la caricature. « Elle jouait la négresse que l’on souhaitait qu’elle soit 264». L’artiste sort de la catégorie des
femmes par l’androgynie sur laquelle insiste des écrivains. A leurs yeux, elle n’est donc pas femme

261 Pascale Avenel-Cohen, L’autre beauté de Joséphine Baker, Beauté et laideur dans la littérature, la philosophie et l’art allemand et

autrichien au XXè siècle, Germanica, n°37, 2005, pages 69-78,


262
Perrault Sylvie, Danseuse noire au music-hall la permanence d’un stéréotype, Corps, N°3, 2007/2, 2007, pages 65-72.
263 Sylvie Perrault, Danseuse noire au music-hall la permanence d’un stéréotype, Paragraphe Un corps lointain et imaginé, N°3, 2007/2,

2007, pages 65-72,


264
Bourdié Annie, Corps noir, enjeux de la création chorégraphique contemporaine d’Afrique ? 19 juin 2016, blog.univ-tise2.fr

95
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

mais « garçonne ». Au contraire, elle abonde dans leur sens en parodiant sur la scène l’image de la
sauvage :

« Je n’ai pas la prétention d’être jolie. J’ai les genoux pointus et les seins comme un garçon de
dix-sept ans. Mais si mon visage est maigre et laid, si les dents me sortent de la bouche, mes
yeux sont beaux et mon corps intelligent265 ».

Les critiques qui lui sont proférées ne font pas moins référence à son animalité par des
journalistes français, à sa dégénérescence par les églises catholiques de Vienne, à la démesure des prix
d’entrée à ses spectacles en Allemagne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Hongrie.

Ainsi, tout en répondant au stéréotype du noir sauvage, elle réussit par sa performance à
impulser une libération avant-gardiste des mœurs en un temps où la sexualité et la sensualité sont
taboues. Elle suscite auprès de femmes parisiennes une autre image d’elle-même celle de la femme,
belle par les cheveux courts lissés et plaqués sur le crâne avec des produits capillaires spéciaux
commercialisés par l’artiste. En 1920, elle est sollicitée pour l’écriture de ses mémoires par l’écrivain
Marcel Sauvage. Et comme pour parodier l’altérité, elle adopte douze enfants de nationalité différente.

Mais, Joséphine Baker incarne surtout l’image allégorique de la femme africaine noire telle
qu’elle est perçue et véhiculée par les imageries diverses et les exhibitions comme les zoos humains et
les expositions coloniales. Le stéréotype perdure. Elle est tout de même une actrice culturelle qui a su
provoquer une interrogation sur la représentation du monde basée sur la hiérarchie et la séparation des
races créées par la colonisation. Elle provoque la réflexion sur les libertés de la femme en matière de
sensualité et de sexualité.

Plus tard, dans les chorégraphies et photographies, ces codes du début du XXè siècle se
retrouvent comme un héritage que la danseuse-chanteuse n’a pas réussi à effacer. L’idée de corps noir
et de danse noire demeurent dans le monde des Arts. Mais plus tard, Bob Marley réussit-il à changer
changer l’image du cheveu crépu ?

Robert Nesta Marley (1945-1981) est un artiste chanteur jamaïcain qui appartient au
mouvement rasta. Cette caractéristique se définit comme un mouvement basé sur des considérations
de classe et de race dans le contexte de la Jamaïque colonisée 266».
Le mouvement rastafarien ou rasta débute en Jamaïque en 1938 par une révolte de travailleurs
agricoles et du bâtiment exigeant de meilleurs salaires. La révolte s’étend aux pauvres et crée une
conscience de classe et de race. Des socialistes et marxistes diffusent au cours de cette révolte, leurs
idées par leurs journaux sans être entendu comme des forces capables de favoriser le développement
intellectuel de la société. Ainsi, sur une période de 20 ans environ des pauvres de la Jamaïque
développent l’idée de promotion de l’héritage africain par lequel ils construiront leur libération. Des
symboles de cet héritage sont adoptés : drapeau de l’Ethiopie impériale, tambour, calice. Ils sont
identifiables à leurs dreadlocks.

265
Entretien pour Marseille-matin le 21 novembre 1931, rapportée par la journaliste Nathalie Muller pour la chaîne France Musique le
2 juin 2017 dans l’émission de Jazz, 10 petites choses que vous ne savez pas sur Joséphine Baker.
266
Campbell Horace, Rasta et Résistance, Chapitre III : Les origines de rasta, Camion Blanc, 2014, pages 167-177.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La musique est aussi un marqueur d’identité pour les rastas. Ils passent du rocksteady dont le
répertoire est celui des chansons d’amour au reggae pour chanter la délivrance et la rédemption des
Noirs. Cette musique se suffit à une ligne de basse unique et des percussions utilisés jadis par des
travailleurs esclaves. Bob Marley est issu d’une famille paternelle blanche jamaïcaine, ce qui le situe
dans la catégorie des classes aisées quoique son père n’ait pas participé à son éducation. Les Marley
sont des hommes d’affaires et des planteurs. Sa mère est une négresse du ghetto Trenchtown. C’est
elle qui l’élève. Les versions divergent sur sa rencontre avec les dreadlocks : soit par des classes
moyennes dissidentes de la culture occidentale, soit depuis l’enfance et l’adolescent par les rude
boys267 du ghetto.
Il adopte cette musique et aide les Jamaïcains à découvrir leurs racines et la richesse de leur
histoire et à lutter pour leur émancipation culturelle. Les chansons évoquant des notions bibliques
comme Exodus ou Redemption Song, indiquent la branche rastafari à laquelle il appartient,
l’Ethiopianisme. Dans les années 1970, ce mouvement est perçu comme une contre-culture en
opposition aux références occidentales.
Les dreadlocks de Bob Marley apportent à sa performance originalité et singularité. Il les porte
lâchés et les secoue lors de ses concerts que le public voit lors de ses tournées mondiales à travers les
médias qui couvrent ses concerts. Ces dreadlocks font partie de sa mise en scène. Il met en scène son
corps pour faire passer sa musique, ses messages et ses dreadlocks qui signifient littéralement « nattes
effrayantes268 » Cette coiffure est en réalité composée de torsades capillaires épaisses qui constituent
sa performance. Il les célèbre dans la chanson « Dread Natty Dread ». La rumeur veut que le titre et la
thématique de la chanson soient en rapport avec un surnom par lequel des jamaïcains le saluaient quand
ils le rencontraient. Cette attention prêtée aux dreadlocks est illustrée par son portrait qui illustre la
pochette du vynile alors que ces dreadlocks commencent à pousser.
« A dreadlock Congo Bongo…
Eh children, get your culture
And don’t stay there and gesture…

Don’t care what the world seh…269 »

Mais à partir de l’enregistrement de cet album en 1974, les trois choristes qui l’accompagnent
forment le trio I-Threes composé de Rita Marley, son épouse, Marcia Griffiths and Judy Mowatt.Sur
scène, contrairement à Bob Marley, chanteur lead, les femmes choristes n’exposent pas leurs
dreadlocks. Pour ces femmes, cette coiffure est cachée sous un turban.

267 « Marlous toujours entre deux mauvais coups, le surin glissé dans la manche prêt à jaillir. Première génération d’une jeunesse livrée
à elle-même, les « rude boys » se répandent sur les talus du ghetto comme l’herbe folle. Ils rêvent de devenir joueurs de cricket,
footballeurs professionnels ou vedettes de la chanson, mais le plus souvent se mettent au service des partis politiques ou des trafiquants
de drogue, comme hommes de main. » Dordor Francis, Bob Marley, Librio Music, 1999, page 22.
268
Jérôme Beauchez et Caroline Cooper, Marronnages érotiques : le dance-hall jamaïcain entre érotisme et slackness, Cultures et
conflits, 2016, 3-4 (n° 103-104), pages 189-106
269
Album Bob Marley and the Wailers, Natty Dread, 1974/ traduction Un dreadlock Congo Bongo…
Eh les enfants, obtenez (emparez-vous) votre culture. Et ne restez pas là à faire des gestes…Peu importe (ne prêtez pas attention) à ce
que le monde attend

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le succès mondial de Bob Marley participe au rayonnement du mouvement rastafari qui


dépasse le groupe des Noirs. C’est à partir de son décès que le mouvement prend de l’ampleur et que
la coiffure des dreadlocks se popularise. Mais, il faut attendre les années 2000 pour qu’un mouvement
mondial, Nappy, qui débute aux Etats-Unis promeut la culture du cheveu crêpu auprès des femmes
principalement.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 8 : Des formes de décolonisation française à la décolonisation culturelle

DES FORMES DE DÉCOLONISATION FRANÇAISE


A LA DÉCOLONISATION CULTURELLE

POST-COLONISATION POST-COLONIALISME

Décolonisation
Décolonisation
indé-
culturelle
pendantiste
Décolonisation
sans
indépendance

LÉGENDE

Tension

Préconisation

Production

Décolonisation réelle

Décolonisation rêvée

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Conclusion du chapitre 2

La décolonisation française s’effectue à des rythmes différents et sous des formes différentes. Elle est
plurielle et limitée. Ses limites constituent un champ d’investigation tant pour la décolonisation de type
indépendantiste que pour la décolonisation de type assimilationniste. Cette limite donne naissance au
post-colonialisme comme une nouvelle pensée débarrassée des schémas coloniaux. De même la post-
colonisation rend compte d’une logique de continuité des schémas coloniaux. La décolonisation
culturelle est préconisée comme un nouvel opérateur pour une décolonisation plus accomplie. C’est
une autre décolonisation dont l’acteur n’est pas l’ancienne métropole mais la société qui se mobilise.
Notre étude s’inscrit dans cette autre décolonisation. C’est l’idée de culture qui la fait autre. Quoique
controversée, dans le domaine de la musique, la culture peut soutenir cette autre décolonisation, parce
qu’elle participe, à la construction de l’identité des musiciens qui jouent ensemble et regardent dans la
même direction. Cette identité de groupe détermine le choix des musiques à jouer. Les musiques dites
traditionnelles comme le gwoka sont significatives à ce sujet.
Cette autre décolonisation vise le changement culturel qui tente de mettre fin aux images et logiques
coloniales. Quelques exemples individuels pris dans le gwoka montrent que la décolonisation culturelle
est opérationnelle pour cette pratique. Mais pour chacun des exemples, des contrastes s’imposent. Ils
traduisent les difficultés à s’affranchir complètement de la culture coloniale. Deux cas d’acteurs
culturels célèbres, observés au prisme de cet opérateur montrent la même difficulté. L’hypothèse d’une
décolonisation culturelle aussi limitée que la décolonisation politique ou administrative est posée.

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CHAPITRE III :

A LA RECHERCHE DES GENS DU GWOKA :


MATERIAUX ET METHODES

A. Définir les gens

1- Dans les relations sociales et politiques

Le terme latin gent qui signifie les gens est à la fois singulier et pluriel au Xè siècle. Il est
employé dans des expressions latines comme gent au singulier et genz au pluriel jusqu’au XIVè siècle.
Toutefois, à la fin du Xè, il est employé pour désigner un groupe de personnes dans le domaine des
relations humaines. Au XIIIè siècle, le contexte d’usage s’enrichit et le terme gens est employé dans
un domaine qui peut relever de la famille élargie, de la démographie, de la société. En effet, des textes
évoquent les gens des communes de même que les gens de maison. Ces termes peuvent être traduits
par maisonnée, population des communes270, ou société communale. Ce sont donc des groupes unis
par une caractéristique commune. Celle-ci est sociale ou juridique dans le cas des exemples proposés.
Au XVIè siècle, une autre caractéristique, culturelle, cette fois vient unir des gens dans un même
groupe, l’exemple des gens de lettres ou écrivains est significatif à ce propos.

En créole guadeloupéen, gens se dit « moun ». Il est à la fois masculin et féminin. Il signifie
« on » comme dans moun ka di271 désignant un ensemble de personnes indéfini ou une seule personne
non identifiée ou que l’on ne nomme pas. Il peut être ainsi péjoratif. Il peut aussi être neutre, sans
dégager aucun jugement, aucun sentiment, être juste fonctionnel comme dans le monde du football
(moun-a-football). Moun peut représenter donc le singulier ou le pluriel. Moun signifie aussi un
groupe pour lequel sont indiquées des caractéristiques d’origine, de rang social, de particularités
physiologiques… Dans ce cas le mot appartient à la catégorie des indécomposables comme moun-
Lapwent ou moun-vini, moun-a-chalè ou moun-a-men sal, moun-soud ou moun-lad, moun-mò ou
moun-sou272. Ce type de construction linguistique comprend deux mots reliés par un tiret ou reliés au
moyen de l’élément (-a-) avec deux traits d’union273. Elle correspond à une seule entité. Conformément
à ce mode de fabrication, en créole guadeloupéen, le sujet de notre étude « Les gens du gwoka » se
traduit par moun-a-gwoka. Obéissant aux logiques de construction par dérivation dans le créole
guadeloupéen, les préfixes dé et rè d’une part et d’autre part les suffixes é et aj se combinent
respectivement au radical moun pour donner les verbes et substantifs suivants :

270 Ce sont les villes autonomes qui sont moins soumises à l’autorité du seigneur ou du roi.
271
Traduction française : on dit
272
Traduction française : les Pointois ou les étrangers, les extravagants ou les sorciers, les sourds ou les lépreux, les morts ou les sourds.
273
Cette construction est démontrée par Factum-Sainton Juliette dans Le Manuel de la graphie du créole guadeloupéen, 2009.

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Dé-moun-é / dé-moun-aj qui signifie action ou l’état de dépossession de son humanité.


Re-moun-é/ re-moun-aj qui signifie l’action ou l’état de réappropriation de son
humanité274.

Ce terme de moun constitue un fort réinvestissement sémantique dans la quête identitaire que
traverse la Guadeloupe depuis une quarantaine d’années avec le mouvement de revendication d’une
souveraineté. Cette quête s’exprime par le terme moun-Gwadloup ou Gwadloupéen. Il désigne, dans
ce contexte, la population de la Guadeloupe comme un potentiel de ressources humaines. L’humanité
est ainsi proclamée dans des chansons, dans tous les genres musicaux, poèmes et dans la parole
ordinaire, celle de tous les jours. Le mot est aussi empreint d’émotion. En effet, moun-a-gwoka signifie
aussi des gens qui affectionnent le gwoka. Mais dans le créole guadeloupéen, cette affection a son
superlatif bon-moun. Tout en reconnaissant ce superlatif, les classements qui vont s’opérer au sein des
gens, dans notre étude, ne seront pas ceux du degré d’affection pour le gwo-ka qui serait à notre avis
difficile à rendre opérationnel.
Mais plutôt, au regard de la place centrale que revêt l’humanité proclamée, retrouvée,
reconstruite à travers cette désignation de « moun-a-gwoka », la thèse devra plutôt montrer que, plus
qu’une simple désignation le terme recouvre la conscience d’une identité de groupe qui anime les
« gens du gwoka ». Tout au long de la démonstration, elle présente des acteurs en quête d’humanité à
travers une pratique multiforme du gwoka. Ces gens du gwoka sont dans une démarche de
« remounaj »

Les « gens » désignent une identité de groupe comme le montrent des exemples de musiciens et de
chanteurs. Nous limitons notre propos à trois exemples. Les Antillais français et francophones en
France métropolitaine sont étudiés par Négrit Frédéric, musicien, auteur-compositeur guadeloupéen
résidant à Paris et Docteur en musicologie. Les chanteurs français et francophones dont l’étude est
dirigée par Barbara Lebrun, universitaire d’origine française exerçant aux Etats-Unis et spécialiste des
French Cultural Studies. Les femmes instrumentistes sont étudiées par l’ethnologue française Aline
Tauzin. Ces exemples montrent que la musique forge une identité commune à un groupe initialement
disparate.

Ainsi, durant les années 1960, les migrations des Guadeloupéens et Martiniquais vers la France
et singulièrement vers Paris s’accélèrent, encouragées par la politique publique des migrations. Des
Haïtiens migrent vers Paris poussés par les crises politiques successives. Influencés par les musiques
de leur territoire respectif et celles de la Caraïbe, ces Antillais développent en France un
« cosmopolitisme musical »275 . Ce terme est employé par l’auteur pour exprimer la rencontre et les
échanges des hommes et des musiques de leurs territoires de départ dans leur nouvelle ville d’adoption
en l’occurrence Paris. Cette ville fut pour ces musiciens le lieu d’un melting pot musical c’est-à-dire
de fusion de deux musiques comme la biguine wabap créée vers 1950 par Al Lirvat ou la biguine plus
libre à tendance jazz276.

274 Ces termes sont régulièrement exprimés par des artistes comme Luc-Hubert Séjor au cours de ses concerts et comédies musicales de
1993 à 2002. Il est repris par l’économiste universitaire Philippe Verdol, coordonnateur de l’ouvrage LKP Ce que nous sommes,
Démounaj et pwofitasyon dans la Guadeloupe contemporaine, L’Harmattan, 2012.
275
Frédéric Négrit page 89
276
Frédéric Négrit pages 116-119

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C’est la mise en scène des corps chantant qui constitue l’objet des travaux publiés sous la
direction de Barbara Lebrun. Les gens étudiés dans ce cadre sont des chanteurs populaires réunis dans
un même ouvrage qu’il s’agisse de rock, de zouk, de spectacle de cabaret ou de variété. Ces chanteurs
se distinguent par leur performance non pas au sens français du terme mais au sens anglais. Elle désigne
« tout usage du corps ainsi que ses modes d’exécution (gestuelle, mise en scène, déplacements,
etc…)277 ». Celle-ci a un impact sur le public et participe du succès du chanteur.
Parmi les artistes retenus, Jocelyne Béroard et Edith Leffel sont originaires de la Guadeloupe
et de la Martinique. L’auteure qui les a étudiées Brenda F. Berrian est professeure d’études africaines
et antillaises à l’Université de Pittsburg. Elle décrit les performances de ces chanteuses par leur
capacité à créer entre elles et le public un rapport de connivence par les gestes scéniques et par les
mots familiers des créoles martiniquais et guadeloupéens adressés au public. Par ailleurs, la thématique
des chansons renvoie au public l’image de deux femmes solidaires de la cause féminine dans les
relations amoureuses. Leur succès vient aussi de leur position de chanteuse-vedette au sein d’un milieu
hyper-masculin. La pochette des albums qui présentent leur portrait soigné à volonté, participe aussi
de cette performance.
La pratique musicale révèle aussi la marginalité des femmes. Cette question est posée par le
Colloque du 29è festival d’Ambronay des 3 et 4 octobre 2008278. Les gens de la musique dont il s’agit
sont des femmes. Les processus de marginalisation mettent à nu le rôle des monothéismes dans la place
des femmes de même que l’évolution de la représentation des femmes à travers notamment l’image de
la patronne des musiciens, Sainte Cécile. L’exigence de pudeur et l’image des arts du spectacle guident
le choix des hommes et des femmes pour la pratique instrumentale comme pour les formes artistiques.
Mais cette marginalité féminine trouve ses limites dans d’autres sociétés. En effet, deux peuples
africains, les Baka du Cameroun et les Isa du Bénin sont respectivement étudiés par les
ethnomusicologues et universitaires Susanne Fürniss-Yacoubi et Madeleine Leclair. Dans ces sociétés,
la logique de l’activité musicale suit celle du groupe pour toutes les activités. La complémentarité
l’emporte sur la hiérarchie des sexes d’autant que l’activité musicale a vocation à maintenir la cohésion
sociale et à entretenir les rites. L’identité de groupe dépasse aussi cette hiérarchie, s’impose parce
qu’elle unit le groupe autour des mêmes pratiques et mêmes difficultés.

2- Les gens de la musique comme communauté : intégration, marginalisation ou ressource ?

L’historien Roger Chartier et le sociologue Pierre Bourdieu, en s’interrogeant sur la réalité ou les
apparences des évolutions épistémologiques de leur discipline respective, s’entendent sur la notion de
« communauté » pour désigner les « gens ». Cette notion a remplacé les classes sociales ou les
catégories socioprofessionnelles279 autrefois étudiées par l’histoire économique d’Ernest Labrousse.

277
Barbara Lebrun propose cette définition dans l’introduction de l’ouvrage Chanson et performance, Mise en scène du corps dans la
chanson française et francophone, Logiques sociales, L’Harmattan, 2002, page 12.
278 Aline Tauzin (coordonnatrice), Musiques, Femmes et Interdits, Cahiers d’Ambronay / 6, Editions Ambronay, 2013.
279
Bourdieu Pierre et Chartier Roger, Gens à histoire, gens sans histoire, Politix, n°6, 1989

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais que représente la « communauté » ? Comment identifier ce groupe puisqu’en tant que
communauté, il ne correspond ni à la catégorie sociale ni à la classe sociale ? Le sociologue Claude
Jacquier montre le retour de la notion de « communauté » sans stigmatisation ni rejet. Il cherche à
réhabiliter la notion par de nouvelles approches contraires voire opposées même au communautarisme
comme logique de repli. En ce sens, la communauté est plutôt ouverte. Elle contribue à l’intégration
du groupe en question. La gouvernance internationale ou locale de même que les regroupements
professionnels illustrent cette nouvelle approche
A travers la définition de la « communauté » employée au quotidien, Claude Jacquier donne
des outils pour l’identifier. Est considérée comme une communauté, un ensemble d’individus qui
bénéficie de manière indivise d’un bien commun. Cette caractéristique se rapporte à l’idée de
patrimoine commun que la communauté se partage, ce qui crée des relations entre les membres. Il y
existe donc un lien patrimonial qui unit la communauté. Par ailleurs, elle est le résultat d’une naissance
involontaire. Mais le débat280 oppose les sociologues sur les points de convergence et les différences
entre communauté et société, soit qu’ils les opposent, soit qu’ils démontrent leur coexistence sans que
l’une ne contrarie l’autre.

Ce bien commun dont traite Claude Jacquier peut être aussi le folklore, comme expression du
peuple. Dès le début du début du XIXè siècle, il constitue en France un objet d’étude prolifique au sein
des sociétés savantes. Il concerne toutes les traditions populaires à savoir les croyances, pratiques,
rituels, contes, légendes. Il comprend des expressions artistiques comme les musiques, les chants et
les danses.

C’est en réaction à la consommation de masse accusée d’étouffer les musiques traditionnelles


qu’un mouvement de promotion du folklore est né en France au milieu du XXè siècle. De 1964 à 1981,
il se présente comme un mouvement à la fois culturel, idéologique et identitaire. Il présente l’acteur
du folklore sous un jour nouveau :

« Être folkeux, chanter dans sa langue, reprendre des airs de son pays, c’est d’abord lutter pour
la survie des cultures régionales, aller à l’encontre de l’uniformisation planétaire. C’est ensuite
essayer de créer une société plus conviviale où chacun aurait sa place, où la musique ferait partie
du quotidien et ne serait pas un produit industriel. Le modèle ? Le village d’avant la révolution
industrielle, avec ses fêtes et ses veillées au coin du feu, le chant de moissons... C’est de véritable
retour aux sources dont il est question. Les folkeux ont soif d’authenticité. Dans les régions
(Bretagne, Alsace, Occitanie qui englobe plusieurs « pays » de l’Auvergne à la Provence...),
pratiquer le folk signifie également affirmer son identité... Une identité longtemps bafouée par
des siècles de centralisation de l’Etat français, et qui resurgit dans les années 1970 : les minorités
de l’Hexagone se réveillent et prennent la parole.281 »

280
Jacquier Claude, Qu’est-ce qu’une communauté ? …, Vie sociale, n°2, 2011
281
Valérie Rouvière, Le mouvement folk en France, MODAL (revue)/ FAMDT (Fédération des Acteurs et Actrices des Musiques et
danses traditionnelles) , 2002 ( article)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Sur le teritoire français, la notion de folklore est diversement appréciée d’après les contextes. Ainsi,
en Guadeloupe, les premiers disques du gwoka portent tous l’indication de « folklore ». C’est de la
sorte que le gwoka est nommé par les producteurs. Cette indication identifie l’album.

« Folklore Guadeloupéen, Bloncourt Francillette et Groupe Emeraude282 »

« Disques Célini présentent Taret Turgot, Le roi du folklore guadeloupéen283 »

« Spécial folklore avec le Cercle Culturel Ansois284 »

Le mot « folklore » suit le titre de la chanson indiquée sur la pochette du disque ou sur le macaron du
vinyle même. Son utilisation est plus ou moins fréquente en fonction des producteurs. Les troupes dites
folkloriques répondant à un type de prestation, assument cette désignation dans leur déclaration de
constitution et de dépôt des statuts de leur association :

« L’association dite « Groupe folklorique Caribana fondée en 1963 a pour but de développer les qualités
artistiques des élèves et anciens élèves des écoles de la commune de Bouillante, d’enrichir et de faire
connaître le Folklore de la Guadeloupe, d’apporter une note artistique à certaines manifestations
officielles ou privées285.

Ces troupes sont ainsi désignées par la presse lors des reportages. Mais la remise en cause du
doudouisme littéraire a raison de cette notion. En effet, ce courant littéraire est mis à mal par différents
courants littéraires286. C’est d’abord la négritude de Césaire et de Damas dans les années 1930. Puis,
le doudouisme est étouffé par une négritude plus rebelle portée par Guy Tirolien, Joseph Zobel.
L’antillanité de Edouard Glissant l’achève. La créolité et la post-créolité sont désormais les grands
courants de la fin du XXè siècle par lesquels les sociétés caribéennes s’expliquent et s’imaginent. Le
folklore est alors attribué à la représentation des pratiques locales dans une forme légère, aseptisée et
ne privilégiant que la beauté physique. Folklore et doudouisme désormais associés passent de la
reconnaissance à la marginalité. Le parcours d’un artiste comme Guy Conquet montre que le folklore
entre en tension avec l’authenticité des pratiques.

« Guy Conquet, un Ka c’est un Ka, ça ne peut pas être autre chose.

Fils de paysans coupeurs de canne né et élevé dans la musique gro’ka (sa mère est chanteuse et danseuse
de gro’ka), a suivi un itinéraire tourmenté avant de « prendre conscience » en 1964 d’abord (avec la grève
des paysans), en 1967 (avec le procès des nationalistes), en 1973 (avec sa propre arrestation). Après avoir
mis le doigt dans l’engrenage de la « folklorisation », il change radicalement de cap en replongeant dans
son enfance, il revient aux sept rythmes du gro’ka et tout en restant fidèle aux sources, transforme
profondément cette musique, introduisant progressivement de nouveaux instruments, calebasse, guitare
électrique, piano 287»…

282
Folklore Guadeloupéen, Bloncourt Francillette et Groupe Emeraude, Label Kaloukéra, KF 01 Médium, 1966
283
Album, Disques Célini présentent Taret Turgot, Le roi du folklore guadeloupéen, Label Aux Ondes, 45T, Vol 4, 1966
284
Album, Spécial folklore avec le Cercle Culturel Ansois, Label Aux Ondes, Vol 1, 1966.
285
Récépissé n°998 de déclaration de constitution et de dépôt des statuts de l’Association « Groupe Folklorique Caribana », 25
septembre 1964, Préfecture de la Guadeloupe.
286
Françoise Simamotchi-Bronès, Les littératures des Antilles françaises, des doudouistes aux post-créolistes, Québec français,
174,55-58.
287 Guy Conquet, Press book (extraits), Paris, 1983. D’après ce press book, Guy Conquet s’est produit au sein de la troupe folklorique

La Brisquante de 1967 à1971.

106
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Et, si le folklore peut intégrer ou marginaliser en fonction des contextes, pour Leroi Jones,
alias Amiri Imamu Baraka (1934-2014), critique littéraire, poète et dramaturge288 la communauté
musicale formée par un groupe, qui n’a d’autres choix que de s’installer sur un territoire initialement
étranger, utilise la musique comme une ressource collective. La communauté devient « peuple ». C’est
la conclusion qu’il tire de son étude sur les gens du blues.

En dehors de la polémique autour de la paternité de l’étude, le « peuple du blues » étudié par


Leroi Jones, renseigne sur les modalités de constitution de la communauté musicale des Noirs du blues.
Elle débute par l’installation du groupe sur un territoire donné. Ce territoire étranger et imposé lui fait
prendre conscience de son appartenance à un ensemble dépossédé de son humanité par le système qui
l’y a installé. La reconstruction de cette humanité est la deuxième étape de formation de la
communauté. L’individu reconstruit au sein du groupe, devient un nouveau produit formé par le
maintien de la civilisation constitutive d’une part et de la gestion des éléments de la civilisation
adoptive, d’autre part. C’est la « transmutation » qui s’effectue autour d’un élément commun. Pour le
peuple du blues, c’est la musique qui favorise cette « transmutation »289 de Noir Africain à Noir
Américain. Ce processus crée au sein du groupe une conscience communautaire, celle par qui le groupe
prend conscience qu’il constitue une unité qui appartient désormais à cette nouvelle société et qu’il
doit mettre tout en œuvre pour y vivre et assurer son existence. Le blues participe de cette
reconstruction. Elle prend le sens d’une humanité nouvelle ou de la réappropriation d’une humanité
perdue :

« Il y a des étapes bien déterminées dans la transmutation du Noir d’Africain à Américain : ou du moins
y a t-il, je crois, des modifications très visibles dans les réactions du Noir à l’Amérique depuis l’époque
de son importation première en tant qu’esclave , jusqu’à l’époque actuelle et je maintiens que c’est dans
sa musique que ces modifications sont le plus clairement dessinées…Et ce que je tiens le plus à souligner
c’est que je considère le début du blues comme un des débuts du Noir américain. Ou disons plutôt que la
réaction du Noir à son expérience dans ce pays et la relation qu’il en a faite dans son anglais, est un des
débuts de l’apparition consciente du Noir sur la scène américaine… C’est seulement lorsque vous prenez
conscience de l’appartenance à un pays qu’on peut vous y considérer comme un résident permanent…
Plus tard, la musique profane allait s’élever contre les conditions de vie, ici, en Amérique. Car la plupart
des esclaves ne songeaient plus à s’en aller. Ce pays était devenu le leur et ce qui se mit à les intéresser
fut simplement d’y vivre un peu mieux et un peu plus longtemps290 »

La construction de la communauté est, dans de telles conditions, un acte politique où les individus
expriment en commun leur culture car prennent conscience d’eux-mêmes et exercent des
responsabilités les uns envers les autres291 .
C’est pourquoi, indifféremment, pour notre étude, nous recherchons des individus. A travers
leurs points communs : générations, niveau d’études, préférence musicale régionale, de leur
appartenance à une troupe de danses ou à un ensemble vocal ou musical…. Ils forment des groupes

288
Parent Emmanuel, Ralph Elliso, critique de Leroi Jones, L’Homme, n°181, 2007. D’après Emmanuel Parent, l’écrivain noir américain
Ralph Ellison (1914-1994) serait l’initiateur de l’étude reprise par Leroi Jones.
289
Leroi Jones énonce le processus dans l’introduction de son ouvrage Blues People en 1963 traduit en français en 1968, édition 2013,
page 18
290
Leroi Jones, le peuple du Blues, 2013, pages 15-72
291
John Blacking, Le sens musical, Les Editions de Minuit, page 37

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

distincts mais ensemble, ils sont tous capables de former une communauté d’acteurs du gwoka.
Antérieurement aux présents travaux, des spécialistes nous offrent déjà un échantillon d’acteurs.

3- Les gens du gwoka : objet de Recherche

Entre les travaux de Marie-Céline Lafontaine qui a retracé le parcours du tanbouyé Kawno
raconté par lui-même et les travaux récents, plus d’une trentaine d’années se sont écoulées.

En effet, les gens du gwoka sont présents dans tous les travaux mais, pour la très grande
majorité des études restituées, ils ne sont pas au centre des études car elles portent principalement sur
leur oeuvre. Ainsi Océane Chautard étudie en 2008 les enjeux identitaires du gwoka. Cette étude prend
pour appui l’enregistrement sonore. Des gens du gwoka sont numériquement recensés. On ignore leur
identité : 78 interprètes et des musiciens. Seuls sont nommés quelques musiciens référents de certaines
formes de gwoka pratiquées comme Gérard Lockel pour le « gwoka modèn ». Les 62 producteurs sont
recensés de même que les 34 distributeurs mais ils ne sont pas nommés. Un inventaire discographique
figure en fin de rédaction. On y trouve les noms des groupes et interprètes ayant enregistrés un album
entre 1973 et 2007292.

Jacques Schwarz-Bart, universitaire et musicien saxophoniste, à travers sa présentation du


gwoka comme un art de résistance montre que les gens du gwoka sont les héritiers des travailleurs
esclaves résistants293. Cette caractéristique les distingue d’autres communautés de musiciens.

Parfois les travaux portent sur un petit nombre d’acteurs. C’est ainsi que Vincent-Lagrin
Stéphan présente le groupe Akiyo comme les gens de l’autre Carnaval294. De même, Maeva Augusty
spécialiste de créolistique étudie en 2016 l’affirmation culturelle qui unit trois figures du gwoka : Guy
Conquet, Vélo et Lukuber Séjor295. En revanche, la thèse de Pierre Sitchet, musicologue, étudie
principalement le mode de transmission de deux esthétiques du gwoka au sein d’une petite
communauté, familiale cette fois, la famille Geoffroy, bien qu’il fasse référence tout au long de son
étude à d’autres acteurs ou actrices de cette pratique culturelle296, élargissant de la sorte sa communauté
d’étude.

Nous avons, nous-mêmes, étudié le parcours de vie d’une des doyennes du gwoka en 2012297 .
C’est une actrice qui a su jouer pleinement son triple rôle de danseuse, chanteuse et d’organisatrice de
léwòz. Elle est aussi présentée comme une paysanne dont le destin, tracé par les représentations
familiales de la fille aînée et de la femme du temps de sa jeunesse, n’a pas entravé le désir
d’émancipation qu’elle a su assouvir par le gwoka. A la suite de son décès, des travaux sur la
construction de sa mémoire ont été présentés dans le cadre d’un Colloque du CRILLASH298. Ce travail

292
Ce travail intitulé Les sillons du gwoka est disponible en ligne intégralement depuis le 6 novembre 2007.
293
Schwarz-Bart, Faire du musée un lieu de présentation des arts de résistance, Africultures n°91, 2013.
294
Vincent-Lagrin Stéphan, Akiyo-la, la ou kalé konsa ? Vacarme 1997.
295
Augusty Maeva, Trois figures de l’affirmation culturelle en Guadeloupe, Mémoire de Master 2, CRILLASH, 2016.
296 Sitchet Pierre … Deux esthétiques…., Thèse de doctorat, Paris, 2017.
297
LAUMUNO …, Man Soso…, 2012.
298
Ce colloque, Traces et empreintes des artistes dans les mouvements culturels et sociopolitiques, De Violeta Para à Vélo, a été organisé
par Le Centre de Recherches Interdisciplinaires en Lettres Langues Arts et Sciences Humaines, Université des Antilles, 5, 6, 7 mars
2018, DPLSH St Claude.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

de recherche à propos d’un acteur se poursuit par la présente étude qui prétend prendre en compte
l’intégralité des acteurs ou à défaut leurs représentants.

Cette étude comporte des contraintes. Pour l’historien Antoine Prost, le singulier accorde à l’acteur
individuel une place considérable dans la production du fait : « l’acteur fait l’histoire299 » :

« Quand ils sont pluriels, les acteurs de l’histoire ont une responsabilité plus limitée dans le
déroulement des évènements. Plus qu’acteurs, ils sont témoins, observateurs passifs et souvent
discrets. Ils subissent les conséquences des situations et l’historien s’attache alors à l’amont de leur
réaction, à ce qui la conditionne300… »

Mais les gens du gwoka en tant que communauté d’acteurs renvoient à la fois au groupe retenu
dans son ensemble. Ce sont des individus, des groupes formés à leur tour, en fonction de critères ciblés,
par ces individus. Ce sont aussi des acteurs centraux, des acteurs périphériques, des troupes de danse,
des ensembles musicaux, des femmes, des adeptes de mouvements spirituels comme les rastas… Car,
pris dans son ensemble, le groupe demeure emprisonné dans des caractéristiques et des enjeux
communs qui nient les différences et les nuances.

Cette pluralité donne des outils opérationnels pour rendre compte de la conscience communautaire.
Il s’agit du « nous » même si les membres de la communauté se distinguent par leur identité propre
relative à leur profil, leur œuvre et leurs enjeux respectifs. Ce « nous » traduit une expérience commune
vécue à laquelle des réactions collectives sont possibles. C’est aussi un « nous » solidaire qui fait de
la communauté un système interdépendant qui garantit sa pérennité. Si le « nous » collectif constitue
l’éthique des grandes entreprises, il n’est pas évident pour une pratique culturelle où chacun est libre
de sa participation et de ses émotions. De plus, les individualités demeurent, par le profil sociologique
et par les enjeux de la production artistique.

Par ailleurs la communauté n’est pas protégée des oppositions et des tensions entre les groupes
d’une part et entre les individus d’autre part. Ni la coopération, ni les tensions ne peuvent être
exclusives. Les relations ne sont pas figées. Il faut plutôt envisager un jeu permanent entre les acteurs.
Ainsi, la périodisation choisie pour cette thèse est celle qui rapproche le plus et qui divise le moins.
De même, les acteurs ne sont pas regroupés par région de pratique en dépit de l’éclatement
géographique du territoire. La communauté gwoka s’étend à l’ensemble de la Guadeloupe et à Paris,
lieu de migrations privilégié. Cette extension en rajoute à la flexibilité du « nous » collectif. Chaque
acteur est plutôt susceptible de faire à sa manière en fonction des outils dont il dispose.

299
Prost Antoine, Les acteurs dans l’histoire, L’histoire aujourd’hui, 1999, page 413
300
op cit note 6 page 416

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Etudier un grand nombre d’acteurs sur une période déterminée revient au plan du temps, de
l’espace, de la production et des enjeux à s’inscrire dans une logique de compromis. Le cadre de la
communauté étant posée, la collecte peut alors commencer.

B. De la collecte des acteurs à la base de données

1- La collecte autour de Vélo, point de départ de la recherche

Figure 9 : Marcel Lollia dit Vélo, tanbouyé (1931-1984)

La recherche d’une documentation sur la vie de l’acteur qui limite les bornes chronologiques
de notre sujet constitue la première étape de notre collecte.
Nous avons vuVélo301 pour la première fois en tant que tanbouyé au sein de la troupe de danses La
Brisquante au moment où il était au sommet de son art. A ce moment-là, à Grand-Bourg Marie-
Galante, des associations sportives et culturelles invitaient la troupe à donner une prestation au cours
de leur bal annuel. Puis, nous l’avons revu à Pointe-à-Pitre peu de temps avant son décès.
A ce moment-là, dans les années 1970, son addiction lui rongeait déjà très fortement le corps. Il était
souvent vêtu d’une chemise dont il nouait les deux pans par un nœud qui tombait sur son abdomen. Il
arrivait que la chemise soit remplacée par une veste d’un gris noir. Il disait que cette veste lui avait été
offerte par Alain Bracmort. C’était un batteur et un manager de la région de Pointe-à-Pitre.
Vélo portait la veste en guise de chemise c’est-à-dire boutonnée sur sa poitrine sans aucun autre
vêtement en dessous. Le pantalon de couleur foncée parfois trop long pour ses jambes se terminait sur
des chaussures de plastique appelées « Mika » et portées par les plus pauvres. La tête nue laissait voir

301 Lollia Marcel dit Vélo, principalement tanbouyé et chanteur occasionnel, léwòz, gwoka de scène, gwoka du disque.

110
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

son crâne presque chauve. Parfois, il la couvrait d’un chapeau de paille à bords relevés. Le couvre-
chef pouvait être aussi une casquette neutre ou décorée d’un logo.
Souriant, se déplaçant d’un pas lent mais décidé, il passait là où il y avait du monde comme par exemple
à l’arrêt d’un bus. Ceux qui l’avaient côtoyé lui faisaient des signes de la main en passant ou encore
venaient lui faire une petite bise en guise de bonjour. Il arrivait même que certaines personnes qui le
connaissaient bien lui proposent de quoi manger :
Un jour, à la question « Vélo, ou ja manjé302 ?, il n’a pas répondu. Ce silence fut tout de même
suivi d’un geste de la part de cette dame. C’était un sandwich qu’il accepta.
Un autre jour, il s’amusait à toucher violemment les passagers en attente du bus. Ce geste l’amusait. Il
cherchait soit à les bousculer soit à attirer l’attention comme le font généralement les marginaux qui
recherchent de la compagnie. Cette même dame est intervenue. Elle devait assurément faire partie de
son entourage : Vélo, ka ou ka fè-la 303 ? Le silence en guise de réponse ne l’a pas empêché de mettre
fin au geste qui dérangeait.
A son sujet, de telles anecdotes sont nombreuses, nous aurions voulu les collecter toutes et les analyser.
Cette ambition ne peut aboutir. C’est pourquoi nous nous sommes satisfaites de quelques pans de sa
vie racontées par quelques témoins parmi lesquels ses proches amis et sa famille.

Il faut s’approprier l’existant et initier des investigations personnelles. Dans le cas de Vélo,
acteur disparu, nous entendons par investigations personnelles des sources qui n’ont pas été collectées
ou d’autres qui méritent un complément. Elles mettent en évidence la nécessaire diversité de la
documentation pour rencontrer et connaître le parcours des acteurs du gwoka.

Ainsi, les documents les plus récents au sujet de cet acteur sont les récits, films et photographies
de sa dépouille et de ses funérailles. Les concerts qu’il a donnés, entouré de ses derniers compagnons
de musique ont fait l’objet de reportages dans la presse quotidienne. Quelques photographies sont
disponibles à ce propos. Une discographie fait connaître non seulement les titres sur lesquels il a joué
mais les chansons qu’il a enregistrées peu de temps avant son décès. Cette discographie dévoile les
tanbouyé, chantè et répondè qui l’ont accompagné. Il laisse un témoignage qu’il a donné de manière
fortuite au cours d’une émission radio. La documentation écrite est aussi dispersée dans des ouvrages
publiés, des travaux de recherche.

La documentation Vélo se compose des témoignages recueillis antérieurement à nos


recherches. Nous les avons exploités. Ils proviennent principalement de ses trois principaux
compagnons de musique des années 1960, Napoléon Magloire (1919-2003)304et Artèm Boisbant
(1930-2006) 305. On le retrouve en effet à leur côté sur le disque Vélo et son gwoka sorti en 1964. Il
a aussi joué avec le tanbouyé-dansè-chantè Antoine Sopta (1933-2016). A la fin de sa vie il est entouré
de jeunes nés au cours des années 1950-60. Ils témoignent de ses dernières années vécues ensemble.
Ces témoins sont les tanbouyé Michel Halley, Addy Gatoux, Djilys Frecinat, Nanon Jean-Pierre

302
Vélo, tu as déjà mangé ?
303
Vélo, qu’est-ce que tu fais ? Expression employée pour interpeller un individu sur son comportement inapproprié.
304
Brochure Almanaka 2004/ Collecte LAMECA (médiathèque Caraïbe) 2005.
305
Brochure Almanaka 2004 / Collecte LAMECA (médiathèque Caraïbe) 2005.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Marso306. Didier Juste307, autre tanbouyé adolescent lors du décès de Vélo en 1984 raconte des grands
moments de tanbou qu’ils ont vécu.

Par ailleurs, nous disposons d’un entretien qu’il a accordé à Michel Reinette lors d’une
émission radio308 en 1980. La discographie309 de Vélo est riche car il est le tanbouyé attitré de plusieurs
maisons de disques. Des articles310 à son sujet en particulier à la fin de sa vie ou à propos de son décès
constituent un fonds de sources écrites. Son décès est vécu en Guadeloupe comme un évènement et
suscite l’intérêt des passionnés et professionnels de l’audio-visuel pour des photographies ou films
depuis l’exposition de la dépouille jusqu’à l’enterrement. A l’issue de son décès, des hommages lui
sont rendus par la presse ou par des associations. Les traces de cet hommage311 servent notre étude.
Vélo est un acteur du gwoka qui suscite l’analyse d’un parcours croisé d’acteurs. Un Master
d’anthropologie312 , à ce propos, enrichit nos sources.

L’existant est complété par des investigations personnelles. Avant leur décès, Guy Conquet313et
Casimir Reynoir314 qui ont joué avec lui l’ont évoqué dans des entretiens qu’ils nous ont accordé. Et
pour la présente thèse nous avons sollicité de nouveau quelques-uns de ses compagnons comme Michel
Halley et Djilys Frecinat pour des compléments de témoignages. De même, nous avons rencontré
séparément son fils Patrick Lollia315 et la mère de celui-ci, Faro Yvonne. D’autres compagnons de
musique de Vélo nous ont aussi parlé de lui dans des entretiens plus ou moins longs. Ce sont Fernand
Gabriel316, Ursule Téomèl317, tous deux batteurs d’orchestres de musique de scène ou de bals. De
même des artistes du gwoka ont raconté ce qu’ils ont vécu avec lui. Il s’agit du chantè Lukuber Séjor,
de Suzy Palatin, fanm-dansè et comédienne, David Angerville percussionniste, collectionneur de
disques et animateur radio, du trompettitse Georges Troupé318 , de Dagonia Viviane319,membre
d’association et Morvan Christian320,tanbouyé. Quelques documents d’Etat-Civil321 , le film de la fête
des cuisinières de 1966, de même que des photographies complètent la collecte.

La nature des sources et les deux grandes étapes de cette première collecte guide la collecte des
sources pour les autres acteurs. Elle débute comme pour Vélo par une enquête orale.

306
Ces 3 amis et compagnons de musique de vélo ont témoigné dans Almanaka 2005
307
Blog personnel /photos ouvrage Urie Françoise et Alex, Le chant de Karukéra, 1991, page 135.
308
Emission Black Music avec Michel Reinette, José Cipolin, Dominique Dollin, Max Severin, 7 décembre 1980.
309
Label Emeraude, Célini, Debs – Chantè et tanbouyé sur disque label Nèg mawon - Tanbouyé-Makè sur disque "Butterfly Island",
Fabiano Orchestra," Le Cercle Culturel Ansois et Vélo", disques Célini - Tanbouyé des ensembles musicaux Takouta et Akiyo (1963 à
décennie 1980)
310
Jakata, France-Antilles, Lendépendans, Guadeloupe 2000.
311
Affiches réalisées pour le 1er mémorial Vélo en juin 1994
312
Augusty Maddijah Maeva, Trois figures de l’affirmation culturelle en Guadeloupe, Vélo, Konkèt et Lukuber, Master en créolistique
et marchés des langues, Université des Antilles, 2016.
313
Compagnon de léwòz et d’enregistrement discographique, témoignage
314
Compagnon des léwòz, témoignage du 4-01-2013.
315
Fils et mère du fils de Vélo
316
Musicien spécialiste de la batterie, témoignage février 2017
317
Musicien, répondeur pour enregistrement discographique, voisin de Vélo, témoignage du 20-10-2015.
318
Georges Troupé nous accorde un témoignage sur son parcours de vie en janvier 2009. Il évoque ses moments de musique avec Vélo.
Ces moments sont confirmés par Lukuber Séjor et Suzy Palatin qui y participaient.
319
Membre d’association, témoignage février 2017.
320
Membre d’association, voisin que quartier de Vélo, témoignage
321
Copie acte de naissance n°000541, 7-12-1931, Pointe-à-Pitre / Copie acte de décès n°310, 5-06-1984, Abymes.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- L’enquête orale

La première étape consiste à recueillir la parole des acteurs par la collecte, la transcription et
l’analyse322. Le témoignage oral est un incontournable parce que les faits, en dehors de quelques
contributions de la presse à partir des années 1940, ne sont consignés nulle part vu le caractère oral de
la pratique. Il faut partir à sa recherche. C’est surtout le bouche à oreille qui sert de guide mais est-ce
qu’il guide vers le meilleur témoin ? C’est une hantise qui habite le chercheur-collecteur en
permanence craignant d’avoir râté le meilleur témoin. C’est un accident de recherche à envisager :
faire ce dont on dispose mais ce dont on dispose n’est ni forcément le plus riche ni le plus efficace.

L’élaboration de notre enquête orale connaît plusieurs phases. La première est guidée par une
fiche technique préalablement préparée et complétée à mesure que se déroule l’entretien. L’articulation
de l’oral, de l’écrit et du visuel constituent les différentes opérations de la collecte. La fiche comprend
des éléments d’identité et les grandes phases du parcours de vie de l’interviewé. Nous l’avons intitulée
à ce propos : « Naître et vivre en milieu gwoka ». Ce sont les conditions de naissance, l’implication
personnelle, les circonstances de la pratique. C’est à ce stade que l’interviewé décrit son réseau de
transmission et de pratique. La dernière question est celle de leurs dernières volontés à propos des rites
funéraires. Ce premier stade concerne les plus âgés des acteurs, en fait les doyens vivants du gwoka
nés entre le début du XXè siècle et la décennie 1940 (Annexe A).

Progressivement la fiche s’enrichit de questions plus précises. Elle concerne principalement les
témoignages par e-mail. Les éléments d’identité précèdent la découverte du gwoka, les faits de
participation, le réseau de transmission et de pratique. Pour ces acteurs nés entre 1950 et 1980,
quelques contacts physiques ont donné lieu à de long témoignages, moins techniques que ceux
recueillis par e-mail, par téléphone ou par les réseaux sociaux. Par ailleurs, des entretiens ont été
menées à partir de quelques supports de mémoire. Ce sont des photographies, des articles de presse,
un disque. Ou encore au cours de l’entretien, nous évoquons à propos de l’interviewé un fait que nous
avons vécu ou qui nous est rapporté. Ce sont autant de prérequis nécessaires au déclenchement de la
parole et à l’affûtage des souvenirs (Annexe C).

Une phase d’inventaire précède la collecte. Cette première étape relève de notre propre
expérience. Autour de nous, les acteurs centraux du gwoka sont d’abord interrogés. Ce sont des parents,
des amis, des compagnons et compagnes de musique, des directeurs d’ensembles musicaux. Des
acteurs non artistes sont aussi interrogés. La collecte prend la forme d’une chaîne d’acteurs. Car, ce
sont ces personnes qui nous invitent à en interviewer d’autres en nous introduisant même auprès de
personnes qui nous sont inconnues de même qu’auprès d’acteurs restés jusque-là dans l’ombre.

Le travail de l’historien et universitaire Frédéric Régent nous apporte son aide. C’est en fait
une entrevue virtuelle qu’il obtient des travailleurs esclaves de la France pour les années 1790 à 1848.
Nous retenons de ce type de témoignage une révélation personnelle du témoin. Il décrit ses liens
sociaux, ses activités économiques, ses pratiques culturelles. Dévoilant des sentiments, il est empreint
d’émotion. Le témoignage est l’expression de la mentalité de l’interviewé et une part de son intimité323.

322
Simha Aron, Franck Alvarez-Péreyre, Précis d’ethnomusicologie, CNRS Editions, 2013, page 53.
323 Régent Frédéric, Gonfier Gilda, Maillard Bruno, Libres et sans fers, Fayard Histoire, pages 16-17.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Il est soumis à des contraintes linguistiques324 à prendre en compte pour mieux comprendre
l’environnement culturel du témoin.

Cette partie retrace l’expérience que nous avons vécue en début d’investigations avec un
échantillon de 34 personnes nées entre 1907 et 1952. Le choix de la langue est libre. Le premier contact
avec l’interviewé guide vers la langue à employer. La première contrainte est celle du bilinguisme
créole- français du collecteur. Il se révèle indispensable pour passer d’une langue à une autre avec
aisance au besoin et éviter une lourdeur linguistique qui risquerait de compromettre l’entretien. Seuls
deux collaborateurs ont entrepris de témoigner dans les 2 principales langues parlées en Guadeloupe
c'est -à- dire à la fois le créole guadeloupéen et le français.

Le témoignage en langue créole, à propos du gwoka dans le parcours de vie des acteurs, est une
source particulière. Car, l’usage de la langue créole lui apporte des caractéristiques singulières dont le
chercheur doit être conscient. Cette conscience doit être encore plus aiguisée lorsque le créole
guadeloupéen de l’entretien est utilisé par des personnes exclusivement créolophones, au moins
octogénaires et issues du milieu rural de surcroît. L’entretien en langue créole devient de la sorte,
intéressant, par ses atouts et ses difficultés.

Atouts :

- La confiance : Face à quelqu’un qui expose sa vie, sa vie privée, la confiance doit
régner et le fait de parler la même langue crée entre le collecteur et le témoin des
relations privilégiées. Les barrières liées à l’âge, au rang social, au sexe …
s’estompent, s’assouplissent. Témoin et collecteur forment alors un couple le temps
de l'entretien avec toutes les complicités que cela implique.
- L’aisance pour la mémoire de l'individu : Cette condition linguistique s’explique par
le milieu dans lequel il a grandi et continue de vivre en dépit du progrès social. Elle
s'explique par l’absence ou la brièveté de scolarité qui est le cas pour la grande
majorité de nos témoins nés entre le début du XXè siècle et le début des années 1940.
Dans sa langue, celle de son quotidien, il s'exprime mieux et se comprend et réussit
à évoquer des souvenirs très lointains qui datent pour certains de bien plus de 50 ans.
C'est en créole que ces souvenirs sont inscrits dans sa mémoire et il peut les restituer
avec davantage de fidélité en créole. Le degré d'altération du souvenir devient
moindre grâce au créole guadeloupéen.

Difficultés :

- Les faits approximatifs : Il est important de relever les termes de


l’approximation afin susciter la précision des faits par une question personnelle
comme par exemple l’âge au moment des faits. Quelques-uns reviennent
régulièrement dans les témoignages : dapré mwen, an ka kwè, koté, dan lé, pi

324
Régent Frédéric, Gonfier Gilda, Maillard Bruno, Libres et sans fers, Fayard Histoire, l’usage de la langue créole par les travailleurs
esclaves, les relations maître-esclave, les travaux et les jours pages 19 à 58

114
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

gran, pi piti, astè325,. De même le terme toupatou326 est un indicateur de quantité,


ou de lieu mais indique parfois une échelle géographique.
- Le décryptage du message : Il faut comprendre tout ce qui se dit quand le témoin
s’exprime dans une langue qu’il partage avec le collecteur mais qui comprend
des formules de son temps :

• Là sé enpé fèy tòl, an ka kwè sété on van : là c’était des feuilles de tôles
éparpillées qui rappelent le passage d’un cyclone.
• Sété on kaz an palisad : c’était une maison réalisée en panneau de bois léger,
fragile
• Ti moun téka fè kabann a-yo : les enfants faisaient leur couchage de fortune avec
des haillons.
• Astè : pour marquer une hésitation, une pause mais aussi pour passer à une autre
idée. Il convient de détecter sur le champ la fonction de ce mot c’est-à-dire soit
la rupture, soit la continuité dans les propos du témoin parce que le rythme a
aussi son importance dans l'analyse du témoignage.
• Krizokal : c'est un terme péjoratif pour désigner la fantaisie dans le domaine de
la bijouterie mais elle l'utilise dans le sens mélioratif.
• I mété mwen sèvi planch a kabann : sorcellerie qui déclenche la maladie, I travay
mwen ou I mannyé kò an-mwen : sorcellerie327
• Yo ban mwen on ben : On m’a fait prendre un bain de feuillage pour tout le corps

Par ailleurs, des chansons ponctuent les propos. Elles servent d’espace d’aération du
message. Elles dévoilent le rapport du témoin au gwoka. Pour lui, l’expression chantée y revêt une
place majeure. Car, dans un témoignage quel qu’il soit, le témoin évoque toujours ce qui est valorisant
pour lui en tant que personne mais aussi pour l’objet dont il parle. Par le témoignage, il dévoile sa
personne, c’est cela l’identité narrative328 avec laquelle il faut compter dans tout témoignage. Il s’agit
du sentiment d’un moi permanent qui donne à l’individu la sensation de continuité, de cohérence et
d’unité de lui-même. Ainsi, le récit participe à la construction du narrateur en articulant deux éléments
de son identité soit l’élément qui dit qui fait quoi et celui qui dit comment il le fait.

Plusieurs témoins ponctuent ainsi leur parole. C’est la particularité du témoignage d’Artèm
Boisbant, Napoléon Magloire, Médélice Baptista, Gérard Nerplat, Vélo, Man Soso… Et, s’il faut
transcrire ces chansons, celle-ci doit prendre en compte la structure de l’interprétation « chantè/
répondè » de même que les onomatopées qui en constituent parfois le refrain.

325 Traduction française : Il me semble, je crois, aux environs de, supérieur à, inférieur à, euh…
326
Traduction française : partout
327
Traduction française des phrases : Il m’a condamné à servir de planches de lit/ Il m’a travaillé/ Il m’a touchée (agressée) le corps.
328
Cette notion de Paul Ricoeur est analysée par Fredéric Delvigne et Cécile de Rickel, La construction de l’identité par le récit,
Psychothérapies, 2010/4, (Vol 30), pages 229-240

115
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Autres sources

Livres et brochures

De 1981 à 1984, dans la section de Jabrun Baie-Mahault réputée pour ses léwòz329, l’ethnologue
originaire de la Guadeloupe et domiciliée dans cette région, Marie-Céline Lafontaine interroge un
tanbouyé qui lui est familier. Les entretiens se déroulent dans la maison du témoin située sur le front
de mer du bourg de la commune de Goyave, à l’est de la Basse-Terre. Jernidier François Moléon dit
Kawno (1919-1998) raconte son enfance, sa vie de musicien et ses compagnons de route.

Le travail de Marie-Céline Lafontaine fut pour nous un exemple. C’est ainsi qu’en 2014, nous
avons effectué la même démarche cette fois auprès d’une actrice cette fois. Considérée comme la
doyenne des praticiens du gwoka et la figure emblématique des léwòz de Jabrun, Bach Athanaïse dite
Solange dite Man Soso (1918-2017) est interrogée. Le résultat de cette investigation est un récit de la
vie de Man Soso en forme de dialogue. Nos questions et ses réponses sont retranscrites. Les réponses
du témoin sont analysées.

Nous aurions souhaité retrouver des parcours de vie rédigées par les acteurs eux-mêmes. Ils
sont rares. Gérard Lockel, guitariste, créateur du gwoka modèn entreprend cet exercice à l’âge de 83
ans. Le récit est chronologique et les temps forts de sa vie sont sa naissance, son enfance, sa vie sur
l’habitation où il assiste à des scènes de gwoka, sa vie de musicien à Paris et son retour en Guadeloupe
avec ses idées novatrices pour le gwoka. Son travail de musicien en Guadeloupe au retour de Paris
constitue l’essentiel de l’ouvrage, 282 pages contre 62 pour la vie en Guadeloupe avant le départ pour
Paris. La publication date de 2012, mais la rédaction débute en 2008. Le bilan de sa vie rapporté dans
l’ouvrage s’étend sur 80 ans de 1928 à 2008. Quatre-vingts ans d’une vie riche de rebondissements
familiaux et musicaux. La musique gwoka est au cœur de l’ouvrage et l’auteur, conscient de cette
richesse présente un bilan spécifique de son innovation à la fin du livre. L’ouvrage complète une courte
biographie qu’il a rédigée dans le livret qui accompagne le coffret de 3 vinyles distribués vers 1975330.

Certains points de cette autobiographie semblent forts intéressants mais il nous fallait
rencontrer le musicien pour quelques éclaircissements. Déjà en 2011, avant la sortie de son ouvrage,
nous avions rencontré Gérard Lockel, à son domicile pour un entretien au sujet de la composition de
la chanson Indépendance. En auteur méticuleux, il ne nous a pas permis de retranscrire le texte qu’il
nous dicte. Il choisit de l’écrire et nous le remet. En novembre 2016, après qu’il ait produit en 2015 un
coffret de 6 disques compacts de concerts et de titres des années 1960 aux années 2012, nous le
rencontrons de nouveau. C’est un homme en retrait que nous avons rencontré mais avec la même
détermination pour la promotion du gwoka et singulièrement du gwoka modèn, son invention.

329
Le mot ici peut prêter à confusion. Il désigne ici le rassemblement musical mais la région est aussi réputée pour l’invention ou
l’exercice d’une nuances rythmiques appelée léwòz-jabren léwòz de Jabrun)
330 Date indiquée par l’auteur dans le livre autobiographique Gwoka modên, 2012, pages 16 et 337. Des collectionneurs indiquent les

dates de 1976 ou 1979 pour la sortie de ce coffret.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La même année, Le guitariste Gilbert Coco publie son parcours de musicien à partir de
photographies commentées parmi lesquels celles qu’il a réalisées au sein de l’ensemble musical dirigé
par Guy Conquet en Guadeloupe et à Paris331. Ces deux ouvrages alimentent notre collecte mais
d’autres sources écrites sont aussi disponibles.

Presse et bulletins

Durant les années 1940 à 1970, les manifestations gwoka sont rapportées par la presse
d’information quotidienne, la presse catholique, la presse politique. Mais les acteurs du gwoka font
l’objet d’articles à partir du début des années 1980 :

• Le 10 juin 1984, le journal Jougwa publie un entretien que Guy Conquet (1946-
2012) accorde à Michel Reinette. Ce journal anticolonialiste, d’information de
contenu politique, économique social, éducation et histoire fait suite à un autre
magazine, le Journal Guadeloupéen qui paraît en Guadeloupe de 1979 à 1986.
Le directeur de publication est Dannick Zandronis, professeur de lettres et
journaliste. Dans ce numéro, le journal donne la parole à des artistes. La rubrique
intitulée « Parole » vise à faire connaître la vie, le cheminement musical et les
formes musicales adoptées par des musiciens. Ceux qui ont un parcours dans la
musique gwoka sont Guy Conquet, Robert Oumaou (décédé en 2018 à 64 ans)
multi instrumentiste (tanbou, guitare basse, percussionniste et pianiste) et Alain
Jean-Marie, pianiste. Le témoignage de Guy Conquet est complété d’un livret
réalisé par l’association Mouvman Kiltirel Akiyo en 2011 pour lui rendre
hommage.
• Cette première initiative n’est pas suivie. Il faut attendre 10 ans plus tard, en 2004
pour qu’un livret de témoignages soit publié en Guadeloupe par l’Association
Gwadloup Environnement Patrimoine. Le but est de mettre en œuvre des projets
de valorisation de protection et de diffusion du patrimoine. Celle-ci commence
par un recueil de témoignages à propos de Vélo. Cette association dont le siège
social se situe dans la commune de Goyave en Basse-Terre, a voulu pour cette
édition spéciale combler le vide sur la vie du musicien qui a marqué l’histoire du
gwoka. Interrogeant les personnes qui ont côtoyé Vélo, leurs propos sont
retranscrits en français et en créole. Des éditions suivantes, de 2006 à 2009 sont
publiées. Les biographies changent. Elles passent des praticiens de la première
génération des acteurs connus aux nouvelles générations. Mais le livret interroge
surtout les personnes les plus connues du gwoka voire les personnalités. D’autres
acteurs sont encore dans l’ombre et les acteurs non-artistes ne sont pas interrogés.

Dans le même temps, un bulletin d’information bimestriel sur le gwoka vient enrichir le
paysage de la presse écrite en Guadeloupe à l’initiative de l’association Léwòz. Le siège est situé à
Morne-à-l’Eau, commune de la Grande-terre. L’actualité du gwoka y est rapportée. Les deux

331
Coco Gilbert, Itinéraire d’un musicien, Nestor, 2013, pages 126 et 148.

117
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

rédacteurs, Guy Nertomb, et Jean-Pierre Lodin font un retour sur les manifestations gwoka sous la
forme de photographies commentées ou de brefs reportages :

La première de couverture décline la vie d’un acteur du gwoka à partir d’un entretien. Les
réponses en français sont retranscrites. A travers ces réponses, on devine les questions portant sur
l’enfance et la famille, l’entrée dans le monde adulte et du travail, les expériences musicales, l’image
du gwoka. C’est ainsi que nous avons pu tirer profit du témoignage de Napoléon Magloire (1919-
2013), de Fritz Naffer (né en 1956), de Joselita Jacques, de Léon Leborgne (né en 1962) et de Gérard
Pomer (né en 1942).

Ces productions écrites se complètent par le disque qui n’est pas qu’un document sonore.

Albums discographiques

Cet objet constitue à la fois une source sonore par la musique, littéraire par les chansons,
iconographique par l’illustration de la pochette. C’est une caractéristique du disque en général. Mais,
du point de vue littéraire, pour de nombreux disques gwoka, à la chanson s’ajoute le commentaire du
disque. De même, l’illustration met en scène principalement l’instrument et l’acteur. Il traduit ainsi la
place du tanbouyé dans la hiérarchie des rôles. La chanson présente les répertoires et en dégageant les
thématiques et le lexique montre les enjeux de la pratique du gwoka.

Mais d’après Jean Quéniart332, historien et universitaire français, la chanson doit être prise dans
son intégralité. C’est pourquoi l’attention est portée aussi sur ses caractéristiques musicales et
esthétiques afin de montrer qu’elles aussi sont porteuses de sens pour le gwoka.

La collecte des albums vinyles puis disque compact est possible grâce à des collecteurs privés.
Car la médiathèque Bettino Lara dite Lameca (ou la musique des Caraïbes) est un espace jeune par
rapport à notre période333. Les collecteurs privés sont leurs partenaires de choix. Toutefois, le disque
gwoka comme source est limité par la datation. Ce sont les références commerciales qui pourraient
servir de guide pour la datation mais encore faudrait-il retrouver l’ensemble de la production des
entrepreneurs. Car, aucune des maisons n’est spécialisée dans la production gwoka.

En fonction des maisons de disques, les catalogues sont complets334, inachevés335 ou


inexistants336. Par conséquent, pour exploiter les disques, il faut d’abord commencer avant toute
analyse par rechercher la date de sortie des albums. (Annexe A)

332 Jean Quéniart « la Chanson, actrice de l’Histoire, Université de Rennes, 1998.Les actes sont publiés en 1999.
333
La médiathèque est inaugurée en 1997 et la mission de collecte des traditions musicales et dansées de la Guadeloupe date de juin
2005.
334
La collection Béville et un diaporama sur la biographie du producteur et sa collection de disques sont disponibles à Lameca, diaporama
Beville, Lameca
335
Nous disposons d’un catalogue fourni par Raymond Célini comprenant les 5 premiers vinyles du label Aux Ondes à partir de 1968.
336
D’après le responsable d’édition pour la Maison Debs, le patron refusait de tenir un catalogue.

118
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pour la période des années 1930-59, ce sont principalement les disques des bals de Paris que
nous exploitons. Leur date est indiquée par des spécialistes collecteurs qui ont réalisé un catalogue à
cet effet. Nous nous y conformons.

Pour les albums gwoka édités de 1963 à 1969-70. Leur date respective n’a fait l’objet d’aucune
recherche ni de collectes. Nous les avons obtenues grâce au croisement d’annonces de sorties des
disques dans la presse, des références d’édition, de quelques rares indications de dates sur les albums,
des faits historiques, d’annonce de sortie dans la presse. Ce n’est qu’un essai. A partir là, nous avons
arrêté une année ou une période pour chacun des albums.

Le tableau de présentation pour cette période montre leur identification par le gros titre de la
pochette suivi des éléments relevant de la propriété intellectuelle du produit comme le label, le
producteur, l’éditeur, l’illustrateur… La musique de l’album est indiquée dans cette même colonne.
C’est la deuxième colonne qui donne la forme de musique lorsqu’elle est portée sur la pochette.
L’orthographe de l’époque y est respectée : roulé, toumblack, les roses, calenda. Parfois la mention
« folklore » remplace cette indication. L’artiste principal est désigné dans une colonne de même que
les autres artistes qui l’accompagnent. Les sources d’information par lesquelles la date est retrouvée
même de manière approximative sont indiquées. Ce sont des rares catalogues d’édition (C), la
référence de l’album (R) ou d’autres sources d’informations diverses (ID).

A partir des années 1970-80, en dépit de quelques dates approximatives, l’année de sortie est
plus aisée à retrouver. Elle figure généralement sur l’album en particulier lorsqu’il s’agit des musiques
d’artistes ou d’ensembles musicaux internationaux (Kassav, Edith Lefel…) Car, ces artistes invitent
des tanbouyé sur des enregistrements. Pour les albums gwoka, l’indication de date est systématique
lorsque l’album est produit hors de la Guadeloupe et par des artistes professionnels. Autrement, pour
obtenir une date, le croisement d’indications est aussi nécessaire.

119
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C- Les gens du gwoka : chiffres, outils, limites,

1- Ti-Papa peut-il être retenu comme acteur ?

L’individu relève à la fois de l’Histoire et de la légende. Ti-Papa doit sa popularité à une histoire
dont plusieurs versions sont publiées. La plus ancienne est un article de presse de 1912337 . Elle raconte
qu’à l’occasion de la fête patronale des Abymes, le 1er dimanche du mois de décembre, en 188…338 le
tanbouyé accompagné de deux de ses aides339 s’installe face à l’église où se tient la messe en présence
d’une foule nombreuse. Gêné par le son du tambour qui entrave l’audibilité du sermon, il délègue tour
à tour ses serviteurs pour demander au tanbouyé de cesser sa musique. Chacun des serviteurs tour à
tour se trouve envoûté par la musique. Le public assiste à un envoutement du serviteur qui se met à
danser. Ce fut d’abord la sacristine Mélanie puis le bedeau Babylas. Le curé lui-même fût envouté
lorsqu’il décida d’adresser en personne sa requête au tanbouyé ne voyant pas revenir ses serviteurs. Il
fut suivi de l’ensemble des fidèles. L’histoire se termine par le départ de Ti-Papa et de ses aides,
renonçant de continuer à jouer lors de l’intervention des gendarmes à cheval, refusant de les faire
danser au son du tanbou ;

Dans la version de 1957 d’un recueil de contes340, l’histoire s’intitule « Pé tambou a ». Le


tanbouyé n’est pas nommé. Mais la perturbation de la cérémonie religieuse cette fois-ci, est
volontaire :

« Parions, dit nèg-la que je démolis la procession dimanche ! »

Le tanbouyé pousse la provocation en se déplaçant au même rythme que la procession. Tantôt,


il la suit, tantôt il la devance. La scène se termine par la malédiction qui condamne le tanbou et les
danseurs. Elle s’accomplit par la peau qui crève, l’averse qui disperse les danseurs, la dispute entre le
tanbouyé et sa femme. De plus, le tanbouyé est sommé de confesser ses péchés. Suite à ce retour au
calme, la ferveur catholique s’épanouit en toute sérénité.

Une autre version date des années 1960 quoique publiée en 2002341 . Cette fois non plus, le
tanbouyé n’est pas nommé mais l’auteur raconte l’histoire dans un paragraphe qui lui est consacré342 .
La scène change de commune. Elle se déroule à Grand-Bourg Marie-Galante, au cours d’une
« bamboula ». Elle change aussi de circonstance : Il n’y a pas de messe. Mais la gêne touche le même
individu, le curé. Il est envoûté mais cette fois l’auteur souligne bien que le diable et le « tafia » qui
accompagnent le tanbou en sont responsables.

337 Journal le Colonial du mercredi 11 décembre 1912, Archives de la Guadeloupe.


338
La date est indiquée comme suit en début d’article pour montrer l’incertitude ou l’approximation. L’article figure dans le Chant de
Karukéra rédigé par Alex et Françoise Urie en 1991, page 45.
339
Il s’agit probablement des deux tanbouyé boula qui assurent la base rythmique de la musique tandis que le tanbouyé makè marque
des sons aigus en toute liberté.
340
Georgel Thérèse, Contes et légendes des Antilles, 1957 (1ère édition, Fernand Nathan) Editions Nathan, 1994, page 118
341
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique en Guadeloupe, 1928-1978, 2000, page 143.
342
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique en Guadeloupe, 1928-1978, 2000, chapitre « Avec Ti-Papa, Vélo », page 137

120
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

L’histoire inspire des artistes qui la mettent en chanson. En 2000, elle est enregistrée sous le
titre « Pé tanbou la 343». C’est la même histoire où le tanbouyé n’est pas nommé cette fois non plus. Il
n’est plus question de prêtre mais d’un locuteur français non nommé. La scène se déroule de nuit dans
un quartier populaire de Pointe-à-Pitre. Deux ans plus tard, un autre ensemble musical s’en inspire
encore par le titre « Mon pè344 ». Cette fois l’histoire est plus fidèle à la première version publiée, par
les personnages de Ti-Papa et de Mélanie la sacristine. L’autre serviteur en revanche change de nom.
Au lieu de Babylas, il s’appelle Barabas. C’est toujours un personnage de l’histoire sainte catholique.
Les envoûtés sont plus nombreux et laïcs cette fois. Il s’agit du juge et du maire. L’histoire se termine
par le refus de Ti-Papa de jouer pour faire danser des gendarmes.

Faut-il l’étudier comme un homme ou figure cosmogonique ? L’historicité du tanbouyé Ti- Papa n’est
pas garantie. En effet, une photographie qui date probablement de la fin des années 1920345 montre un
homme assis sur son tambour. La photographie d’origine est intitulée « Ti-Papa, joueur de tam-tam »
et indique qu’elle est prise à Pointe-à-Pitre. C’est la seule photographie disponible en l’état actuel de
la recherche. A son allure, l’homme semble très jeune. Le commentateur des photographies, sous
couvert du propriétaire, Edgar Littée, ancien professeur de Sciences Physiques et photographe amateur,
donne des indications de date concernant la naissance de Ti-Papa. La période de naissance de Ti-Papa
peut être approchée. Il serait né vers l’extrême fin du XIXè soit plus précisément au cours des années
1890.

Mais, dans la langue créole, le sobriquet « Ti Papa » par lequel il est désigné est une marque d’affection
et de reconnaissance attribuée à quelqu’un de l’entourage. C’est aussi une manière de reconnaître un
talent. On peut seulement supposer en l’état de la recherche que le tanbouyé pris en photographie, par
les Editions Phos, correspond à celui que décrit le journal Le Colonial au début du XXè siècle. En
effet, au début du XXè siècle, un tanbouyé est régulièrement évoqué dans plusieurs articles signés soit
par le journaliste Mérovil résidant à Pointe-à-Pitre ou par Riboulogoche346. Il peut être décrit à partir
des manifestations au tanbou rapportées par le journal :

343
Faites taire le tambour, Simen’n Kontra, Album Lévé’y Ho, 2000, titre 9.
344
Mon père (désignation courante des curés de paroisse), Album A la rèpriz, 2002, titre 4.
345
Cette date est indiquée dans le livre qui présente les photographies du label Phos : Renault Jean-Michel, la Guadeloupe en 1900,
Editions du Pelican, 1990. Le label Phos est la propriété d’Edgar Littée qui a réalisé le cliché du tanbouyé durant les années 1900.
L’ouvrage a été réalisé en 1990 sous le regard du propriétaire Edgar Littée que l’auteur prend en photo et raconte les circonstances de
ce cliché en page 10. La date est approximative mais elle renferme donc une certaine fiabilité.
346
L’une des pages du Journal Le Colonial, est datée d’un jour et d’une date qui ne correspondent pas au calendrier, ce qui nuit à son
historicité. Cette figure dans l’ouvrage Karukéra, page 40

121
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 10 : Ti-Papa, joueur de tam-tam, fin des années


1920, Collection Edgar Littée, Label Phos

C’est un homme jeune, de type négroïde. Il exerce la musique dans la région de Pointe-à-Pitre/Abymes
en plein centre-ville ou dans les faubourgs, de jour comme de nuit, en fin de semaine ou le dimanche
à l’occasion des fêtes patronales. Il peut jouer tête nu ou coiffé d’un bonnet rouge. Selon la
manifestation, il joue seul ou accompagné de plusieurs ou de deux tanbouyés situés de part et d’autre
de son tanbou. Le son rendu par ces deux tanbou est amplifié par des renforce-sons non décrits. S’agit-
il d’une jarre comme le fera plus tard le tanbouyé François Jernidier Moléon dit Karno (1919-1998) ?
Avant la prestation, il « décolle347 » et se nourrit dans un bistrot.

Le sobriquet par lequel il est nommé est une lacune majeure pour son identification. Des
personnes nées au début des années 1900 et interrogées sur le gwoka se souviennent peu ou pas de cet
homme348. En l’état de la recherche, il convient donc de classer son histoire parmi les mythes du gwoka.

Elle rappelle le mythe par le fait d’être un récit bien plus ancien que son narrateur, et relevant
de la transmission et de la mémoire qui assure sa conservation349. En effet, la première version publiée
date de 1912 et le narrateur tente de dater en vain l’histoire350. Le récit s’est transmis pour le moment
non seulement au sein des acteurs du gwoka sur plusieurs générations mais aussi dans les sociétés
guadeloupéennes et martiniquaises et probablement haïtiennes351 du début du XXè au début du XXIè.

347 Boire du rhum avant d’accomplir une tâche.


348
Athanaïse Bach dite Man Soso (1918-2017) dit en avoir entendu parler mais ne l’a pas rencontré (interview de 2013 dans le cadre de
la publication de l’ouvrage Man Soso, Une histoire du gwoka au XXè siècle. En revanche, Fortuné Dolor un tanbouyé né en 1935 dit
avoir joué à ses côtés. Contrairement à la présentation du Journal Le Colonial. Pour lui, Ti-Papa était le meilleur tanbouyé boula de la
Guadeloupe.
349
Cette définition est proposée par Jean-Pierre Vernant, historien spécialiste de l’antiquité grecque dans l’avant-propos de son recueil
de mythes grecs, l’Univers, les Dieux et les hommes, 1999, pages 10-11.
350
188… c’est la date rapportée par cette version.
351
Le recueil de contes en 1957 est réalisé à partir d’une collecte de l’auteur aidée par des Guadeloupéens, martiniquais et haïtiens. Les
créoles utilisés pour le retranscrire sont tantôt martiniquais tantôt guadeloupéens.

122
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Aujourd’hui encore, le personnage de Ti-Papa est évoqué dans le milieu du gwoka en tant que maître
de transmission d’illustres tanbouyés352

L’histoire rappelle aussi le mythe tel que l’a analysé Roland Barthes : une parole, un message,
un système de communication et le signifiant d’un signifié. Il rappelle les mythes cosmogoniques c’est-
à-dire un récit créateur de l’univers tel que le conçoit le groupe humain auquel il appartient353.
Appliqué au gwoka, cet univers serait la société guadeloupéenne. Le groupe humain serait constitué
par les acteurs du gwoka. Les versions contées et chantées insistent tous sur une citation qui traduit
l’image que renvoie le gwoka à ses acteurs. Les chansons l’utilisent en guise de répondè354. Elle
constitue ainsi la ritournelle de chansons qui rappellent la confrontation avec ses adversaires. Celle-
ci est incessamment rappelée par allitération :

- Pé tanbou-a pé: conte de 1957


- Pé, pé, pé tanbou-la: chanson gwoka de 2000
- Mon pè té di sé sé sé, mon pè té di sésé tanbou-la, chanson gwoka de 2002.
- En face, le tanbouyé signifie sa détermination :
- Mamaille ! Baille la voix ! (Enfants ! donnez de la voix, chantez plus fort)355 conte
de 1957
- An ka joué tanbou an-mwen, on tanbou kè manman ban-mwen, jis tan labadijou
kasé356, chanson, année 2000.
- Tanbou-la dérayé, tanbou-la déranmé, tanbou chalviré, tanbou-la kay sonnéééé,
chanson de 2002.

Ti Papa est à la fois homme et figure cosmogonique. Il lui est attribué des caractéristiques
surnaturelles comme le fait de laver son tambour avec du sang, avant d’entrer en scène357. S’agit-il de
sang humain ou animal, le témoin ne le précise pas. Sa confrontation avec le curé le décrit comme un
chef de groupe, un rebelle, un effronté. Il défie le catholicisme. Son histoire semble appartenir au
mythe de la victoire du gwoka contre l’Eglise et de sa distance avec l’Etat. A travers son parcours de
vie, fut-il légendaire, il passe d’une personne (vie sociale, affective, sentimentale, nom…) à un
personnage (rôle dans le gwoka) et à une personnalité (reconnaissance et sollicitation régulière, titres,
missions).

En attendant d’exploiter ses éventuelles données, nous le considérons comme un acteur légendaire
du gwoka pour la période étudiée. Pour les autres acteurs, nous partons à la recherche d’une tendance
générale avant de les distinguer par période dans l’étude proprement dite.

352
D’après le témoignage du tanbouyé Artem Boisbant en 2005, le plus illustre des tanbouyés de la Guadeloupe Marcel Lollia dit Vélo
(1931-1984) a été formé par Ti-Papa. En revanche Vélo, d’après le témoignage de Luc-Hubert Séjor n’aurait pas connu Ti-Papa, sa
photographie lui a juste été présentée par le poète, admirateur du gwoka, Guy Cornély (1921-2005)
353
Kesteloot Lilyan, Dieux d’eau du Sahel, 2007, page 63.
354
Les répondeurs qui donnent la réplique au chantè (le lead) comme pour rappeler le propos.
355
Traduction proposée par l’auteur du recueil de contes en page 122
356
Je continue de jouer de mon tambour, un tambour dont j’ai hérité, jusqu’à ce qu’au lever du jour.
357
Témoignage de Luc-Hubert Séjor citant Guy Cornély le 23 janvier 2016.

123
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Bilan global de la collecte : le portrait des acteurs

Cette partie purement technique est réalisée à partir du logiciel Excel. Elle résulte de notre base
de travail dont les données se présentent sous la forme d’un tableau à 25 items regroupées en 3
domaines principaux :

• Profil sociologique, 10 items : nom, prénom, surnom ou sobriquet, sexe, date de


naissance, décennie de naissance, commune ou région de naissance, occupation
professionnelle du père, occupation professionnelle de la mère, occupation
professionnelle de l’intéressé.
• Degré de participation à la pratique du gwoka, 8 items propres : lieu de
découverte ou d’initiation, lieu de référence, rayonnement extérieur, rôle
artistique de référence dans les expressions principales du gwoka, autre rôle
artistique dans les expressions principales du gwoka, rôle non artistique dans le
gwoka, pratique ou transmission en famille, années de décès.
• Les œuvres individuelles et collectives, 2 items principaux : oeuvres pour la
période 31-69, œuvres pour la période 70-94

A partir de ces items, des outils d’analyse sont produits. Ce sont principalement des graphiques et des
tableaux d’après les données suivantes :

Les conditions sociales d’implication : origine, âge

La désignation

La désignation prend en compte l’identité officielle quand elle est connue ou l’identité intime c’est-
à-dire le non savann358 comme Paul-Hélène pour Massembo Germain ou uniquement le surnom
comme Ti-Tavie ou Toussine ou le sobriquet comme Hibè-Poul, Chal-bòno ou Dòdoz. Les deux types
de désignations sont prises en compte quand elles sont connues comme pour Beaujour Eric dit Bodjo
ou Barul Harry dit Tuco.

Tous les patronymes sont recherchés sur le site Anchoukaj créée sous l’égide du Comité Marche du
23 mai 98 et la Région Guadeloupe, par des généalogistes animés par la question de l’identification
des descendants des travailleurs esclaves. Ce site est validé par les Archives Départementales de la
Guadeloupe. Des actes d’Etat-civil et des témoignages des acteurs révèlent l’origine des patronymes
issus de l’immigration africaine (IA) et indienne (II) après l’esclavage comme la famille Mavounzy
(Grand -Bourg Marie-Galante), Massembo (Capesterre Guadeloupe), Virapin ou Sirangon (Grand-
Bourg). Et, en remontant la généalogie de certains acteurs comme Solange Pé-En-Kin, on retrouve le
nom de son père issu de l’immigration chinoise de la même période. De même des témoignages
contribuent à l’identification des descendants des Syriens et Libanais qui s’installent en Guadeloupe.
Il s’agit des familles Debs, Hajjar, Romanos, Gabriel.

Le nom change d’orthographe au fil du temps : Loison devient Loyson et Vorin se change en Vaurin.
Et le retrait de l’accent permet aussi de retrouver des noms qui n’étaient pas initialement reconnus par

358
Prénom usuel utilisé par les proches et non déclaré

124
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

le site. La commune ou la région d’attribution du nom de ces acteurs confirme l’origine : Troupé à
Sainte-Anne, Nègre pour le Gosier et Lérémon pour la région de nord Basse-Terre.

Des patronymes ne sont pas retrouvés probablement à cause de la perte de registres comme l’a souligné
l’anthropologue Jean-Luc Bonniol pour la commune de Terre-de-Bas et les fabricants du site
Anchoukaj pour d’autres communes. Ceux qui ne sont connus que par un sobriquet, un prénom, un
surnom font partie de la catégorie des non-identifiés.

Le tableau et graphique qui suivent apportent une réponse à la question :

D’où vient le patronyme des acteurs du gwoka ?

Acteur portant le patronyme d’un 56,69%


travailleur esclave affranchi en 1848 ou
antérieurement

Acteur portant le patronyme d’un africain 1,37%


immigrant en Guadeloupe à la fin du XIXè
siècle

Acteur portant le patronyme d’un autre 1,96%


immigrant en Guadeloupe à la fin du XIXè
siècle

Acteur portant un patronyme d’une autre 1,3%


origine

Acteur de phénotype noir dont l’origine du 35,62%


patronyme n’est pas identifiée

125
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ORIGINE DES PATRONYMES

Affranchi 1848 immi grants africains fin XIXè Autre immigrant fin XIXè-début XXè Autre ori gine Phénotype noir non identifi é

La tranche d’âge

La question est de savoir si ces acteurs appartiennent à la catégorie des enfants (0 à10 ans), des
adolescents (11 à 17 ans), de jeunes adultes (18 à 25 ans), des adultes (de 26 à 65 ans), des séniors
(plus de 65 ans).

L’élaboration de l’inventaire à partir des sources disponibles ne nous permet pas de disposer de la date
de naissance de l’échantillon dans son intégralité. Les résultats que nous affichons concernent un
échantillon limité à 230 acteurs. Par ailleurs, même lorsque cette date nous est indiquée avec précision,
la décennie de naissance suffit à l’étude de la tranche d’âge. Par ailleurs, pour répondre à notre
question, une date-seuil est nécessaire. Nous la fixons à l’extrême fin de notre période. Autrement
dit :

126
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les tableaux et graphiques répondent aux questions suivantes :

Quel est l’âge des acteurs de notre échantillon en 1994 ?

Enfants (0 à10 ans) nés après les années 1980 Néant

Adolescents (11 à 17 ans) nés au cours des années 1980 0,87%

Jeunes adultes (18 à 25 ans) nés au cours des années 1960 et 1970 7,83%

Adultes (de 26 à 65 ans) nés au cours des années 1950,1940,1930 68,26%

Séniors (plus de 65 ans) nés au cours des années 1920,1910,1900,1890 23,04%

ACTEURS PAR TRANCHES D'ÂGE

Adolescents Jeunes adultes Adultes Séniors

Comment évolue le nombre d’acteurs par décennie de naissance ?

Décennie de naissance Nombre

1890 3

1900 6

1910 12

127
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1920 31

1930 28

1940 44

1950 52

1960 33

1970 18

1980 2

NOMBRE D' ACTEURS PAR DECENNIE DE NAISSANCE


60

50

40

30

20

10

0
1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980

Degré d’implication : Etude comparative par sexe et par rôle

Le sexe

L’échantillon est pris en compte dans son intégralité car le sexe de tous les acteurs est connu
des témoins. Ainsi, Napoléon Magloire et Odette Parfait dit Boisbant témoignent de l’enregistrement
de l’album Vélo et son gros-ka sorti en 1964, au domicile situé à Dampierre Gosier d’un homme
dénommé Jojo Captant. Sur cet album un homme assure le chant aux côtés de Napoléon Magloire. Il
s’agit du chanteur Cassius. A Grand-Bourg Marie-Galante, au cours des années 1960-70, deux
hommes connus pour une désignation qui semble être leur patronyme ou leur sobriquet sont des fidèles
animateurs de véyé. Cho Beausivoir est remarquée dans la commune du Gosier en tant que fanm-

128
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

tanbouyé animant de son propre tambour diverses manifestations. Philomène est un homme répondè
de Germain-Calixte lors des véyé et des enregistrements discographiques. Sambin et Tagliamento font
partie du groupe d’hommes dont la photographie illustre l’album de Robert Loyson produit par Camille
Hildebert dit Sopran’n. Ce sont les invités de Robert Loyson. Ils chantent en lead. C’est Gérard Pomer
qui cite le dénommé Ti-Coq comme tanbouyé avec qui il a joué à ses débuts. Il remporte le deuxième
prix de tanbouyé lors d’un « concours de tam-tam » organisé à la section Rivière des Pères en région
Basse-Terre le 1er septembre 1947.

Il convient de comparer l’implication des femmes et hommes dans la pratique du gwoka. La première
question ouvre sur une autre qui montre l’évolution de cette implication.

Quelle est la répartition des acteurs par sexe ?

Hommes 77,89%

Femmes 22,11%

RÉPARTITION DES ACTEURS PAR SEXE

Hom mes Femmes

Pour chacune des 4 générations de notre période, combien de femmes et d’hommes pratiquent le
gwoka (ce calcul prend en compte le nombre d’acteurs dont la décennie de naissance est connue soit
230 acteurs).

129
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Générations Femmes Hommes

1890-1920 20 31

1930-1950 23 101

1960-1970 15 37

1980 2 0

Le rôle

Les expressions typiques du gwoka constituent un tryptique. En effet, le chant, la danse et la


musique aux tambours sont généralement associés. Au gré des circonstances et des acteurs l’une ou
l’autre expression peut être volontairement escamotée. Mais, c’est par le double rôle ou le triple rôle
joué par chacun des acteurs que nous mesurons leur degré d’implication dans le gwoka. Toutefois, les
acteurs sont souvent reconnus pour un rôle principal. Là aussi nous croiserons les rôles et le sexe afin
de déceler de grandes tendances au sujet des préférences des hommes et des femmes. L’échantillon est
étudié dans son ensemble car le rôle, nous le rappelons est l’un des critères majeurs de constitution de
cet échantillon.

Les rôles qui seront analysés sont principalement celui de tanbouyé, de chanteur, de danseur. Le rôle
de répondè est tenu par l’ensemble des acteurs du gwoka lors des manifestations. Mais il arrive que
des acteurs soient exclusivement des répondè. En effet, des chanteurs comme Robert Loyson (1928-
1989) ou Germain Calixte (1922-1987) ou Sergius Geoffroy (1944-1992) ont leur équipe de répondè
avec lesquels ils se déplacent de manifestations en manifestations. Cette situation se retrouve en
particulier chez les chanteurs de véyé. Car parmi leurs répondè, ils ont des experts du banjogita ou
boulagèl.

Lasistans est une expression bienveillante vis-à-vis de ceux qui participent aux manifestations sans
être ni chantè, ni répondè, ni tanbouyé, ni dansè. Il arrive qu’il réponde au chant tout en gardant une
certaine avec l’orchestre. Mais le dansè peut surgir de lasistans. C’est pourquoi nous traduisons
lasistans par public participant autrement dit par le répondè ou par la danse, à sa convenance. Dans
une collecte d’acteurs du gwoka, le réflexe est plutôt à la recherche des acteurs principaux. Ceux qui
forment exclusivement lasistans ne sont sollicités que de manière occasionnelle voire accidentelle.
Nous avons rencontré lors de notre enquête Emmanuel Duro pour les véyé de la commune de Ste Anne,
Laumuno Eliane pour les véyé de Marie-Galante et Brudey Edouard pour les manifestations aux

130
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

tambours lors des fêtes patronales dans les bars de Terre-de-Bas. Toutefois, lorsque lasistans se
distingue par un rôle qu’il se donne, il est sollicité comme témoin-acteur. C’est le cas de Alain Caprice,
présent sur des manifestations gwoka pour la photographie ou Rosan Mounien qui assure
l’encadrement des rencontres gwoka. Mais tout acteur est un membre potentiel de lasistans.

Le graphique qui suit montre sur la base de l’ensemble des acteurs, la répartition des rôles principaux
tous sexes confondus et le tableau distingue le pourcentage de femmes de celui des hommes.

REPARTITION DES ACTEURS PAR ROLE PRINCIPAL

chantè dansè lasistans répondè tanbouyé

131
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

REPARTITION DES ACTEURS PAR ROLE ET PAR SEXE

Femmes Hommes

Chantè 9,59% 25,24%

Dansè 11,35% 13,7%

Répondè 20,94% 74,76%

Lasistans 2,15% 3,91%

Tanbouyé 2,94% 32,09%

Mais la représentation populaire des rôles, le tanbouyé est le rôle attendu pour les hommes, et le dansè,
le rôle attendu pour les femmes. Le tableau qui suit montre la répartition des rôles entre femmes et
hommes par tranche d’âge. Dans la danse, nous incluons aussi la lutte dansée au cours des veyé, le
bènaden de même que le mayolè.

Le rôle de tanbouyé est-il réservé aux hommes et celui de dansè aux femmes ? (Le tableau prend en
compte les 93 tanbouyé femmes et hommes dont la décennie de naissance est connue et les 57 dansè
dont la décennie de naissance est connue.

NOMBRE DE TANBOUYÉ PAR TRANCHE D’AGE

Tranche d’âge Femmes Hommes

1890-1920 4 10

1930-1950 0 39

1960-70 4 35

1980 1 0

132
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

NOMBRE DE DANSÈ PAR TRANCHE D’AGE

Tranche d’âge Femmes Hommes

1890-1920 9 6

1930-1950 14 16

1960-70 6 6

1980 0 1

Mais un même acteur peut cumuler plusieurs rôles. Les trivalents occupent les trois rôles du
tryptique fondamental du gwoka. Ils sont tantôt dansè, tantôt chantè, tantôt tanbouyé soit sur diverses
manifestations soit au cours d’une même manifestation. Certains acteurs adoptent aussi un autre
instrument universel. Ceux-là, nous les retenons comme bivalents. La même répartition permet
d’apprécier deux autres bivalences, celle de la tenue d’un double rôle central et périphérique, celle de
la double pratique du gwoka vivant, celui qui se pratique au sein d’une communauté dont le gwoka
assure le lien et le gwoka de restitution qui se pratique par le disque ou par la scène.

133
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1890-1920 1930-1950 1960-1970 1980

Trivalence 4 2 9 1

(Dansè, chantè,
tanbouyé)

Bivalence 1 2 6 1

(Tanbouyé,
autre instrument
universel)

Bivalence (rôle 3 10 3 0
central et rôle
périphérique)

Bivalence 20 64 24 0

(Gwoka vivant
et gwoka de
restitution)

134
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Synthèse des données

La pratique du gwoka de 1931 à 1994 est marquée par l’unité et la diversité de ses acteurs. Leur
patronyme indique qu’ils sont majortairement issus d’au moins un parent affranchi ayant reçu son
patronyme en 1848. A défaut de l’identification de certains patronymes pour des raisons diverses, le
phénotype des non-identifiés indique leur origine négro-africaine. Cette origine est aussi le fait de
l’immigration post-esclavagiste. Elle concerne un très faible nombre d’acteurs. Ces groupes forment
le groupe des Afro-guadeloupéens du gwoka. Cette désignation s’appuie sur celle de « l’Afro-
caribéen » choisie par Romain Cruise pour désigner les descendants des africains dans les territoires
de la Caraïbe. D’autres groupes participent au gwoka mais en plus faible nombre. Ce sont des Indo-
guadeloupéens ou des Syro ou Libano-guadeloupéens. Ces personnes adoptent le gwoka et contribuent
ainsi à son ouverture sur le grand public.

Nos acteurs sont nés entre 1890 et 1980. Les plus nombreux sont les adultes âgés de 34 à 74
ans en 1994. L’âge moyen de la pratique, 40 ans indique que le gwoka est le lieu de gens d’âge mûr.
Les plus âgés s’associant à de plus jeunes révèle le caractère intergénérationnel de la pratique. Des
adolescents et des jeunes adultes s’y impliquent. Marcel Lollia, (1931-1984), d’après des témoignages,
est déjà tanbouyé dès l’âge de 14 ans. Il intègre la troupe de la Brisquante en 1961 à l’âge de 30 ans et
figure nommément sur un album pour la première fois, en 1964. Guy Conquet (1946-2012) débute
dans le gwoka par des animations de véyé et de la-bòdé, en tant que chanteur. Il enregistre son 1er
disque à l’âge de 21 ans, en 1967. Bernier Locatin et Delice Zénon, âgés de 14 ans, participent à
l’enregistrement d’un album de la troupe Caribana en 1966.

Les orchestres, tant ceux qui relèvent d’une création spontanée ou organisée lors des
manifestations typiques, spectacles ou albums, traduisent aussi le caractère intergénérationnel de la
pratique du gwoka. Cette caractéristique traduit la permanence de la transmission. Elle explique la
croissance régulière des acteurs nés entre 1890 et 1960. Des jeunes sont recrutés dans les troupes de
danses des années 1960. Ils sont alors âgés de 10 à 30 ans. Ils constituent les artistes de ces troupes.
Celles-ci sont des lieux de transmission. Elles contribuent à l’urbanisation du gwoka sans fracture entre
la ville et la campagne. Car, durant cette période, les plus âgés, reconnus de leur communauté sont
sollicités pour une transmission cadrée. C’est ainsi que Valcidor Toussine assure le monitorat de
danses au sein de la troupe La Brisquante dès sa création en 1946. Kawno, Etienna Pactole, Christen
Aigle sont sollicités comme tanbouyé pour les troupes de danse La Brisquante et Caribana. Mais la
rencontre de la ville et de la campagne se produit aussi dans l’autre sens. La ville rejoint la campagne
pour l’étude des danses rurales en immersion chez Man Soso à Jabrun. Les plus jeunes acteurs nés au
cours des années 1970 et 1980 sont moins nombreux au début des années 1990. Car, leur participation
aux manifestations gwoka est soumise à la volonté et à l’accompagnement des familles.

Les répondè sont les plus nombreux. C’est un rôle important vue la structure du chant gwoka. Le
chantè aussi expert soit-il a besoin du répondè. Lors des manifestations, les répondè se dévouent pour
rendre avec efficacité la réponse attendue par le chantè. Faire le répondè est un acte de solidarité envers
le chantè. Le chœur doit être quantitativement important et qualitativement puissant. De notre
échantilon, ceux qui ne jouent pas le rôle de répondè sont ceux qui assistent aux manifestations en tant

135
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

qu’observant ou qui s’impliquent autrement dans le gwoka. Ce sont des mécènes comme Paco
Rabanne, des producteurs discographiques comme Marcel Mavounzy, Raymond Célini, Henri Béville,
Henri Debs ou Servais Liso. Ce sont aussi des journalistes comme Jean Chomereau-Lamotte, Michel
Reinette ou Frantz Succab. Ce sont encore des directeurs et directrices de troupes de danse comme
Mme Amèl, Mme Adeline alias Aimé Adeline ou Armand Chérubin.

Viennent ensuite en nombre presqu’égal les tanbouyé et les chantè. Le tanbouyé connaît le répertoire
du gwoka. Il doit pouvoir identifier le titre aux premières notes et savoir le « schéma rythmique »
correspondant à chaque chanson. Il arrive que les tanbouyé jouent et chantent à la fois. Cette situation
ne se présente guère dans les manifestations typiques. Marcel Cusset né en 1940 raconte qu’en revenant
de l’école de Grelin alors qu’il était âgé de 7 à 8 ans, il voyait jouer le dénommé Garbélis, un homme
qui exerçait la profession de tonnelier à l’usine Doro de St Louis. Assis sur le tambour qu’il avait
fabriqué, cet homme jouait et chantait comme pour se libérer de la fatigue du travail. Et Marcel Cusset
forme avec son frère un duo complice : tanbou-makè pour l’un et tanbou-roulè pour l’autre autrement
dit tanbou-boula. Le duo est aussi celui de Boisbant Odette Parfait dit Artèm et Marcel Lollia dit Vélo,
l’un tanbou-makè et l’autre tanbou- boula, qui se produisent dès que l’occasion se présente. Ils assurent
les rôles de chantè, répondè et de tanbouyé.

Les dansè sont les moins nombreux. La danse gwoka prend des allures diverses en fonction des
circonstances. C’est une succession de pas d’un corps en mouvement sur des membres inférieurs et
supérieurs jamais tendus mais toujours pliés. Cette position est-elle celle du travailleur de la terre, du
pauvre en supplication, exposant sa condition de dominé, d’inférieur ? La danse est aussi celle du
déboulé ; marche au pas militaire plus que danse même. Cette fois est-ce l’expression d’une marche
déterminée vers un idéal à atteindre à tout prix ? Est-ce une fuite face à une condition trop lourde à
assumer ? Par ailleurs, lors des véyé des hommes s’affrontent par un jeu de force au son des voix de
gorge ou des tambours. Ils cherchent à se toucher la bouche. Ils cherchent à se renverser. Ces deux
luttes dansées appelées respectivement bènaden et sové vayan donnent pour gagnant le vayan ou le
majò. Là aussi ces défis concernent-ils ceux qui sont en jeu ou, dans la circonstance dans laquelle elle
est pratiquée, s’agit-il de la recherche de la victoire sur la mort ? Le dansè, par sa performance rend
compte du rapport des acteurs du gwoka à cette pratique et de l’image que ces acteurs se renvoient à
eux-mêmes.

Les chiffres par sexe montrent que les hommes sont plus nombreux que les femmes. Toutes les
comparaisons entre la pratique féminine et la pratique masculine donnent la primauté aux hommes. Il
n’y a qu’en fin de période q’une jeune fille de notre échantillon, née en 1981, est tanbouyé alors que
nous n’avons pas trouvé de jeune garçon exerçant le même rôle. Toutefois, tout au long de la période,
les femmes ne sont jamais absentes sur aucune des tranches d’âge et dans tous les rôles. La danse n’est
pas réservée aux femmes et l’exécution du tambour aux hommes. Tous les rôles sont partagés en dépit
de l’inégalité profonde qui sépare les deux sexes. Dès lors, l’intégration féminine semble être une tâche
plus laborieuse. Elle est double : s’intégrer au sein d’une pratique en décalage avec l’image des femmes
assignées aux taches ménagères et à l’éducation des enfants, s’imposer au sein d’un milieu
majoritairement masculin. L’hyper masculinité de la pratique semble être une contrainte permanente
pour les actrices du gwoka.

136
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Du point de vue des acteurs qui le pratiquent, notre échantillon nous permet de relire la composition
de base de « l’orchestre gwoka ». C’est un quatuor composé d’un chantè, d’un groupe de répondè,
d’un groupe de tanbouyé, d’un dansè. C’est la particularité de cet orchestre auquel il convient d’ajouter
lorsqu’il est présent et participant, lasistans. Auquel cas le quatuor devient quintet. Mais les membres
de l’orchestre sont ils polyvalents ?

La polyvalence des fonctions au cours des manifestations, nous semble plutôt faible. En effet, du
point de vue du tryptique central, peu d’acteurs sont à la fois tanbouyé, chantè, dansè. Des acteurs
connus pour cette trivalence sont d’abord reconnus pour une ou deux valences. La troisième passe au
second plan. Elle est occasionnelle. La polyvalence du tryptique central semble être une exception ou
une expertise difficilement accessible.

Par ailleurs, quelques tanbouyé s’intéressent aussi à d’autres instruments non spécifiques au gwoka.
Ce ne sont pas forcément des instruments à percussion. Les choix s’opèrent des instruments à cordes
aux instruments à vent. Cette polyvalence est quasi inexistante avant les années 1960-1970. Des
expériences durant cette période sont menées par La Brisquante qui réunit le piano de Mme Evelyne
Thermes et le tanbou. Camille Hildevert dit Soprann joue de la caisse claire puis du saxophone au sein
de la troupe La Brisquante. Robert Loyson dans le titre Nou kalé a Kutumba ou Guy Conquête dans
Ban Clé a Titine, Si sé konsa ou pa ni rézon introduisent des instruments à vent. Et en 1969, Gérard
Lockel propose le gwoka modèn joué sur des instruments industriels, majoritairement.

La polyvalence existe du point de vue de la conjonction des rôles centraux et des rôles périphériques.
C’est dans ce double rôle que se trouvent les facteurs de tambours. Initialement, les tanbouyé se
fabriquent eux-mêmes leur tambour. A moins d’éprouver une grande confiance pour le facteur, il est
recommandé de fabriquer soi-même son tambour. C’est tout un art. Ceux qui préfèrent le bois fouillé
doivent trouver un tronc rongé par les termites ou encore doivent savoir comment obtenir le bois fouillé
à l’aide du feu. S’il faut creuser, faut-il connaître les bois tendres à souhait afin que le tambour supporte
les frappes et rende la sonorité recherchée. Faut-il aussi savoir choisir la peau, la traiter et la fixer. Cet
art est dévolu à quelques hommes et à des femmes de notre échantillon nés entre 1890 et 1950 : Ravèsèl
Kacy (1890-1989), Artèm Boisbant (1930-2003), Bernis Antoinette (1890-1986), Yves Thôle, Félix
Flauzin, tous deux nés dans la décennie 1950. D’autres compétences se rencontrent encore comme la
danse et le chant d’une part et d’autre part l’organisation de léwòz pour Man Soso ; la pratique du chant
et la rédaction d’articles sur le gwoka comme Marie-Céline Lafontaine ; la danse et la direction
artistique d’une troupe de danse comme Hilaire Francisque (1935- 1995), Alex Nabis ou Jacqueline
Cashemire. Par ailleurs, dans cette catégorie entrent aussi des collectionneurs comme les tanbouyé
David Alex Angerville et Lembert Roberto dit Késito ou Krédito ou le percussionniste Jocelyn Virapin.

Le gwoka vivant et le gwoka de restitution pratiqué par un même acteur crée aussi de la polyvalence.
En début de période, ce double rôle revient principalement à ceux qui ont été sollicités par les troupes
de danses. Ces experts de leur communauté restreinte sont désormais au service du gwoka de scène et
du disque tandis que la pratique au sein de la communauté du gwoka vivant se maintient. C’est le
même rôle qui se retrouve dans des manifestations typiques et spontanées et dans des manifestations
plannifiées et formalisées.

137
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les gens du gwoka ont une pratique commune mais cette pratique ne leur donne pas un portrait
uniforme pour autant. L’âge, le sexe, la tranche d’âge, le ou les rôles principaux, la polyvalence créent
au sein du groupe des acteurs, de la diversité.

Conclusion de la partie 1
Cette partie avait pour but de poser les bases de notre recherche. Ce fut d’abord le parcours
historique du gwoka qui s’inscrit sur le temps long. En fonction des écoles, elle remonte à l’Afrique
précoloniale ou encore à la plantation esclavagiste qui l’a installée en Guadeloupe. Cette longue
histoire est celle du tanbou qui se retrouve dans des manifestations diverses et multiples et qui constitue
le lien, entre des formes multiples et diverses du gwoka. Cette étude est aussi l’occasion d’éclairer
l’identification du gwoka et de proposer un arbitrage pour assouplir, voire gommer le décalage entre
le discours des acteurs et des chercheurs. C’est le tanbou qui se prête le mieux à cet arbitrage. De ce
fait, sont prises en compte, pour la présente recherche, toutes les manifestations musicales usant
principalement de cet instrument à percussion, reconnu par l’ensemble des acteurs, comme instrument
majeur du gwoka. Et les différentes adaptations de l’instrument ne sont que des contraintes liées aux
circonstances de la pratique, ou encore des fantaisies d’artistes. Ces manifestations sont poreuses par
leur contenu et par leurs acteurs qui n’en sont que plus nombreux.
De même, l’étude comprend une notion majeure, la culture. C’est la charpente de l’étude. Des
spécialistes de l’histoire, de l’anthropologie et de la sociologie et de la littérature l’ont diversement
envisagée et nous ont fourni des exemples pour une analyse efficace de l’acteur du gwoka. La notion
donne aussi un autre sens à la décolonisation. C’est dans sa dimension culturelle que l’étude des acteurs
du gwoka sollicite ce fait historique. La culture associée à l’identité, intervient aussi dans les processus
de composition musicale et dans les choix musicaux des pratiquants. Elle révèle l’usage d’autres
sources pour comprendre les musiques. Elle crée un autre type d’acteur.
Celui-ci appartient au groupe des « gens » du gwoka en Guadeloupe. La notion de « gens »,
davantage en usage en littérature qu’en histoire, trouve sa place dans le domaine de l’histoire à travers
la notion de « communauté ». Du point de vue des pratiques musicales, cette communauté est
diversement analysée ; tantôt comme comme un groupe folklorique, tantôt comme un peuple. Dans le
cadre de l’étude des acteurs, la pratique d’une communauté peut être envisagée comme une ressource
collective.
Et, pour établir un échantillon d’acteurs représentatifs de la communauté gwoka, il a fallu
d’abord rechercher celui qui délimite notre période à savoir Marcel Lollia dit Vélo (1931-1984). Les
sources disponibles à son sujet nous ont guidé vers celles de l’ensemble de l’échantillon. Elles sont de
toute sortes, orales, écrites, sonores et même totales comme l’album discographique.
A défaut de répertorier les acteurs du gwoka dans leur intégralité, l’échantillon constitue un corpus
d’individus représentatifs d’un groupe impossible à répertorier dans son ensemble. Ces individus
opérent principalement en groupe de tailles diverses selon les périodes. Toutefois, ils répondent à un
portrait général sur toute la période étudiée. Ce portrait est principalement marqué par l’hyper-
masculinité de la participation, par une pratique multigénérationnelle, par la prévalence des rôles
centraux sur les rôles périphériques.

138
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

A chaque période ses enjeux. La première concerne ceux qui sont opérationnels de la naissance du
tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo en 1931 à l’arrivée dans le paysage du gwoka du guitariste Gérard
Lockel, avec une proposition musicale dite gwoka modèn en 1969. Représentés principalement par 70
acteurs et 20 actrices, dont les données sont complètes, leur profil, leur condition sociale, et la manière
dont ils organisent leurs manifestations gwoka, les unissent dans une communauté praticienne d’un
gwoka de nécessité oscillant entre le profane et le sacré.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

DEUXIEME PARTIE : LES ACTEURS DU GWOKA DANS UNE PRATIQUE SACRÉE (1931-
1969)
Introduction

Le passé lointain et l’image des pratiques musicales négro-africaines durant l’esclavage, invitent à
questionner leur dimension sacrée au sein du groupe qui en a hérité. Il est en effet difficile de penser
que la modernité de la société affecterait le caractère sacré de ces pratiques. En effet, l’homme
demeure, en dépit du temps, sensible au sacré.

« Le sacré est une dimension de l’être qui à la fois se manifeste et se cache mais, qui en tout
cas, affecte l’homme dans les couches les plus profondes de son existence. Les effets de cette
affection peuvent être conscients ou inconscients359 »

Notre démonstration passe par la place du sacré dans nos sociétés. En dépit des lois laïques,
l’expression « Bon Dieu » renvoie à l’élévation d’un Être invisible, que l’on imagine puissant, au-
dessus de tout acte. Il est invoqué au quotidien sous diverses désignations : Père éternel, Bon Dieu
Seigneur, L’Esprit Saint… Ainsi, les lois laïques de la République n’ont pas sécularisé les sociétés des
Amériques françaises360.

Des chansons gwoka invoquent cet Être supérieur :


« Yo ataké bondyé asi latè
Yo vlé ataké bondyé men dans lèspas361 » (Les hommes sur la Terre, Germain Calixte Gaston,
1969)
« Alé di-yo téléfoné manman ban-mwen Bondyé
An vwè-mwen malad an té kouché asi do lopital
Mèdsen a-yo piki a-yo planté an ren an-mwen
Sé Pè étèwnèl ki ké ban-mwen on konsolasyon an ké mò.362 » (Man Dèni interprété par Christen
Aigle, 1970s-80s)

C’est par cet Être que se ponctue la parole populaire :

359
Joris Geldhof, Sacré, salut et liturgie. A la rencontre de la théologie et de l’anthropologie, Transversalités 2009/4 (n°112).

360
Laurent Jalabert, La colonisation sans nom, La Martinique de 1960 à nos jours, Rivages des Xantons, 2007, page 217.
361
Traduction : Ils ont attaqué le Bondieu sur terre. Ils veulent l’attaquer dans l’espace.
362
Allez leur dire ; téléphonez à ma mère Bondieu ! Je me suis vu malade couché sur le dos à l’hôpital. Leur médecin, leur piqûre est
plantée dans mes lombaires. C’est le père éternel qui me donnera une consolation. Je vais mourir (quel malheur !)

140
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Tonnè di dyé …, padon bondyé, Bondyé é é... 363!

Ou encore la grâce lui est rendu pour ses bienfaits :


Si a pa té Pè Ètewnèl… Sé gras a Pè Etèwnèl, Sé gras a Bondyé Sennyè364 .

Le spécialiste des pratiques musicales, Apollinaire Anakesa, originaire du Congo-Kinshasa,


universitaire, anthropologue et ethnomusicologue, définit le sacré chez l’Africain comme une
intériorité totalisante dans laquelle l’homme retrouve avant tout son essence divine, ce qui le distingue
des autres êtres terrestres365.

Par ailleurs, il rappelle que dans la pensée africaine, le profane n’existe pas. Les sociétés
africaines sont les lieux du tout-sacré. Par conséquent, vues les racines du gwoka, cette pensée africaine
nous guide vers l’étude de ses acteurs, en tant que constructeurs d’une pratique sacrée, dont ils ne
pourraient, pour autant, occulter la dimension profane, en tant qu’originaires de la Guadeloupe,
territoire français.
Cette notion de sacré qui anime notre démonstration bouscule notre positionnement en tant
qu’observatrice et analyste. Car, dans les sociétés évangélisées depuis le système esclavagiste négrier,
le sacré est réservé à la religion dominante. Cette culture qui détermine nos discours, nos choix et nos
pratiques, accorde l’exclusivité de la sacralité au « Bon Dieu » et par extension aux saints qui
l’entourent. La prise de distance avec notre propre culture chrétienne, est nécessaire. Car, il s’agit de
montrer comment, à partir de l’analyse des formes de participation des acteurs du gwoka cette pratique
est vécue par ses acteurs, comme un acte réellement sacré.
Sur une période donnée, entre la naissance de Marcel Lollia dit Vélo en 1931 et la proposition
musicale du musicien Gérard Lockel en 1969, notre démonstration se décline en trois chapitres. Ils
montrent, le processus par lequel le gwoka s’inscrit dans l’ambivalence profane/sacré. Le chapitre
premier se consacre aux acteurs et actrices opérationnels pour la période retenue. Ils sont identifiés en
tant qu’individus, par leur profil sociologique et leur image. Ils forment une communauté partageant
une culture commune. Nous l’analysons au deuxième chapitre. C’est cette communauté, par des
moyens divers, qui construit l’ambivalence annoncée. Le troisième chapitre se consacre à son analyse.

363
Tonnerre de Dieu, Dieu pardonne-moi, Mon Dieu !
364
Si ce n’était pas le Père éternel…c’est grâce au Père Eternel… c’est grâce à Dieu…
365
Anakesa Apollinaire, Florentz… sur les marches du soleil, Millénaire, 1998, pages 9-10.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE IV

DES FEMMES ET DES HOMMES : PROFIL, RÔLE, IMAGE

A- Des gens du gwoka opérationnels mais à peine identifiés

1- Des hommes majoritairement tanbouyé ou chantè

Nous ne disposons pour eux que d’un nom, d’un rôle et d’un lieu. L’emploi du conditionnel, pour
les présenter succinctement, ne doit pas être appréhendé comme une sanction à leur encontre, mais il
s’agit d’une forme employée par principe de précaution en prévision d’une éventuelle nouvelle
information à leur sujet. Pour plusieurs de ces acteurs, l’information nous est parvenue par plusieurs
intermédiaires. Aussi, les descriptions qui suivent doivent être considérées comme des données en
attente.
Pour les années 1930, Raphaël Judor serait un tanbouyé de la région des Grands Fonds Abymes. Il
aurait initié son fils Bertin au tanbou qui à son tour aurait initié ses fils Berton, St Eloi et un de leur
cousin Robert366. Pour la même décennie qui se prolonge aux années 1960, Tètèch Mirka serait localisé
dans la commune de Petit-Canal. C’est Marcel Lollia qui le cite parmi les tanbouyé qui l’ont précédé.
Sur la même liste figure le nom de Achille Pauloby.367 Mais les tanbouyé se livrent parfois à des
compétitions. C’est ainsi que le 1er septembre 1947, un « concours de tam-tam » est organisé à la
Rivière des Pères de Basse-Terre. Le nombre de participants n’est pas connu mais les vainqueurs
seraient :
« Premier prix de tambouié (Maquè et boula)
Bonalair Stanislas, section La Diotte
Cazier Elin, Rivière des Pères
600 francs
Deuxième prix de tambouié
Ti coq et Duloup, Pont Calebassier
400 francs368 »
Et, parmi les premiers tanbouyé qui auraient été recrutés par la troupe de danse La Brisquante créée
en 1946, figure Danaus Maro qui participe au Festival Folklorique de la Caraïbe en 1952369. Par
ailleurs, en 1962, Alan Lomax ethnomusicologue en mission en Guadeloupe rencontre des tanbouyé

366
Témoignage de Berton et St Eloi Judor, Berton et St Eloi Judor, gwoka dèpi twa jénérasyon… Almanaka 2007/ Collecte
personnelle téléphonique de juillet 2015
367
Lukuber Séjor a conservé une liste de 3 noms de tanbouyé que lui avait citée Marcel Lollia dit Vélo. Lukuber Séjor est un chanteur
et auteur-compositeur du gwoka.
368
Fiche résultats du Concours de tam-tam de la rivière des Pères du 1er septembre 1947, illustration ouvrage Alex et Françoise Urie,
Le chant de Karukéra, Musiques et Musiciens de la Guadeloupe, Région Guadeloupe, 1991, page 36.
369
Clartés « Le Festival Folklorique de la Caraïbe, août 1952. Roger Sienzonit

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

dans la commune de Morne-à-l’Eau. Ils seraient membres de la famille Nart et se nommeraient Gilbert
et Richard370. Alors que tous jouent du tanbou du léwòz, Turenne Ambrosio durant les années 1960
serait spécialiste du tanbou des Mas-a-Sen Jan :
« il ouvrait le défilé avec son sifflet . Il habitait à la cour Selbonne et c’est sous l’abri qui jouxtait sa
maison que les membres du « mas se réunissaient, prenaient le départ, mangeaient, faisaient des ateliers-
costumes371. »
Grâce à la photographie commentée, un nom peut être associé à un portrait de tanbouyé. C’est
ainsi que certains tanbouyés sont identifiés. Ainsi, pour la région de Basse-Terre, une photographie
représenterait Pierre Modalire en position de jeu. La scène semble se dérouler dans un espace réduit.
L’homme pose, les mains levées prêtes à frapper sur le tanbou posé devant lui, une cigarette aux lèvres
et la poitrine dégagée derrière une chemise ouverte, le ton grave. La photographie date de 1978372 mais
Pierre Modalire accompagne Gérard Pomer lors de son premier enregistrement discographique au
début des années 1960373. Mais si nous disposons juste des données basiques pour ce premier groupe
de tanbouyé, ce sont nos témoins qui citent leurs compagnons de route. C’est ainsi que Louis-Victor
Magloire dit Napoléon cite ses aînés tanbouyé : son père, un de ses cousins. Ces personnes évoluent
dans la commune du Gosier :
« Mwen, papa mwen té ka konnyé tanbou. Kouzen Méda té ka konnyé tanbou. Tout sé moun- la té ka
jwé. Yo pa té lwen Magaya…Alò sé banna a Ejenn, Artèm, Kouzen Méda, lé Martial ki té ka konnyé374 »
Mais les hommes sont aussi chantè. Pour les décennies 1930 et 1940, dans ce groupe de
personnes pour lesquelles nous avons peu de données, nous n’avons pas de chantè. A partir des années
1950, le nom de Alfred Labasse est cité principalement comme chantè. C’est plutôt sous le sobriquet
de Alfrèd makonmè375 qu’il est connu. Ce sont des personnes bien plus jeunes que lui qui le présentent
comme une figure des léwòz et des mas à Pointe-à-Pitre. En fait sa maison serait un lieu de rencontres
musicales aux tanbou. Il serait entouré pour ces échanges de tanbouyé comme Roger Sienzonit, Marcel
Lollia dit Vélo, Sully Zami et Tannis376.
Alfred Labasse enregistre un disque à la maison Debs. Pour l’occasion il est chantè. Il est
accompagné par deux tanbouyé : Zami et Justinie377. Il serait aussi connu pour le ben démaré378 du
nouvel an à Bas du Fort Gosier où il se rendrait en compagnie de ses amis, des gens du gwoka et
d’autres adeptes du jeu de dés379. Il serait un chanteur réputé mais la documentation, à son propos, est
sommaire. Son portrait illustre son album ce qui permet de mettre un visage à son nom si souvent
prononcé pour le gwoka à Pointe-à-Pitre.

370
Fonds Alan Lomax avril-août 1962, La Médiathèque Caraïbe, 2007
371
Birman Jacqueline, Mas-a-Sen Jan, Nestor 2012, page 26
372
Claude Philogène, Les songes créoles du Nô de Karukéra, Lettres adressées à Nineta Geneviève, Institut Nôka, 2018, page 117.
373
Gérard Pomer, Congné go-ka èvè Gérard Pomer, 45 T, disque Kaloukera, entre 1962 et 1964. Sur la pochette, il est nommé comme
Pierre Modalie. Gérard Pomer nous confirme que cette personne était bien le tanbouyé de cet enregistrement.
374
Moi, mon père jouait du tanbou. Cousin Médart jouait du tambour. Tous ces gens n’étaient pas loin de Mare-Gaillard… Alors
c’est la bande de Eugène, Artèm, Cousin Médart, les Martial (la famille) qui en jouaient. Artèm s’appelle Boisbant Odette Parfait
(1930 -2005), Cousin Médar serait en réalité Médart Méri. Mare-Gaillard est une section rurale de la commune du Gosier, Témoignage
de Louis -Victor Magloire dit Napoléon Magloire, dans Napoléon Magloire, le chanteur de léwòz, Brochure Almanaka 2004, page 14.
375
Alfred, homosexuel
376
Témoignage Fritz Naffer, Le métronome du gwoka guadeloupéen, Brochure Almanaka 2008. Fritz Naffer est né en 1956. Tannis
serait Hyzirin François (décédé en 2019 à l’âge de 82 ans) appelé aussi Bagi ou encore Guy Conquet l’appelerait Barkès.
377
Alfred Labasse, Disques Debs, entre 1965 et 1966.
378
Bain de délivrance des mauvaises ondes d’une année passée. Il se prend généralement à la mer le 31 décembre à minuit ou le 1er
janvier au cours de la journée.
379
Témoignage « Eric Cosaque, Jénérasyon Konsyans, on mèt a manniòk pou sové la tradisyon », Brochure Almanaka 2008. Eric
Cosaque est né en 1952.

143
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

D’autres chantè ont été enregistrés dans la commune de Morne-à-l’Eau pour les collectes
d’Alan Lomax que nous avons citées précédemment. Ce seraient Prillon Daniel, Ramier Pierre, Valcy
Turenne, Wayer Michel, Caravelle Colbert, Dorvan Kléber et Dorvan Guy dont on entend la voix sur
la collecte de la 1ère version connue de la chanson Elwa :
Elwa mwen ka vwayajé
Mwen ka vwayajé
Adan on bato an Mahogany
Elwa mwen ka vwayajé
Malédisyon an kò an-mwen
Aie mwen kalé380
Ces chantè ne sont pas connus en dehors de cet enregistrement. Car leur voix n’a été imprimée sur
aucun des supports discographiques commercialisés. De même Isidore Guimba, au cours des années
1960 serait un chantè de la région d’Anse-Bertrand qui, au cours des années 1960 se produirait avec
la troupe de danses de la commune. Il ne fut jamais enregistré381. Dans la région de Baillif, Durville
Monza pour les années 1950-60382 serait, d’après sa famille, un chantè et dansè du léwòz. Lui non
plus n’a pas été enregistré383. D’autres chantè l’ont été comme Gérard Othély, Firmin Marester,
Sydney Lérémon. Ce dernier serait un spécialiste des véyé. Il enregistre un album en 1967 avec la
Maison Debs. Entouré de trois amis qui l’accompagnent, il est photographié pour l’occasion. Les
quatre exécutent des battements de mains qui se perçoivent aisément dans l’enregistrement384. La sortie
de ce disque est annoncée dans la revue Parallèles qui fait l’éloge du chantè et de l’album :
« Le DD 74 présente un groupe de Baie-Mahault dirigé par Sydney Lérémon qui chante des
chansons de veillées. Il s’agit d’authentiques chansons populaires, de la tradition des veillées
créoles pures de toute influence et qui offrent aux chercheurs de la musique antillaise des
éléments précieux de documentation. On y retrouve des modulations des chanteurs africains
occidentaux et la beauté âpre de ces chants constitue en soi un plaisir que nous conseillons à
tous 385»

Gérard Othély ou Otély est connu pour la chanson de véyé :


Répondè : An tandé woulo Tirèn volé on lapen aka Dézi
Chantè : Tirèn on lapen o, Tirèn volé on lapen aka Dézi

Mais aux côtés du chantè, il y a lé-répondè. Certains acteurs se prêtent à ce rôle aux côtés d’un
chantè auquel ils demeurent fidèles. C’est le cas des lé-répondè de Robert Loyson pour la commune
du Moule qui se nommeraient René Rameau, Serge Lennox, Evariste Malherby, Aurel Pinston, René
Rameau, Arsono Borilla, Camélien Fulcon, Mercedès Acesse, Henri Renaison, un dénommé
François386.

380
Eloi, je voyage, je voyage dans un bateau en mahogany, Eloi je voyage, la malédiction est dans mon corps, Ah je m’en vais.
381
Bertrand Anca, Folklore à la Guadeloupe Le Cercle Culturel Ansois, Revue Parallèles,1966/ Témoignage de Armand Chérubin, 10
juillet 2015
382
Cette année n’est pas énoncée dans le témoignage. Elle est calculée à partir de l’année de naissance du petit-fils (année 1970). Donc
Durville serait né durant les années 1930 et son fils qui témoigne de sa participation au léwòz serait né au cours des années 1950. On
considère que Durville serait opérationnel dans le gwoka entre la naissance de son fils (1950 et celle de son petit-fils (1970s).
383
Témoignage de Maxime Monza, fils de Durville et de Rosan fils de Maxime, Durville Monza dit Vivilo, Kaladja Vivilo, mé ki vivi
é sa, brochure Almanaka, 2009.
384
Cette audition fut possible grâce à une réédition de l’album dans une compilation appelée Patrimwan, Vol 2 , Disques Debs, 2006.
385
Article de la Revue Parallèles, Nouveaux disques à Pointe-à-Pitre, 1967
386
Ces noms ont été fournis par Janackdoulary Judes, un des compagnons de chant et répondè lui-même de Robert Loyson. Ces noms
sont régulièrement énoncés par Patrick Solvet qui a bien connu Robert Loyson, originaire de la ville de Ste Anne et chanteur, tanbouyé
lui-même du gwoka. Patrick Solvet est né au cours de la décennie 1960.

144
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cependant, des hommes préfèrent la danse. Pour le concours de tam-tam de la Rivière des Pères
en 1947, Fronton Victorin habitant la rue Malian de Basse-Terre de même que Goma Maximilien
demeurant à la section St Louis auraient remporté les 1er et 2è prix de danse. Leur récompense de 200
francs est 2 à 4 fois inférieure à celle des vainqueurs de la compétition des tanbouyé387 ; ce qui indique
une hiérarchie des acteurs du gwoka. Quelques années plus tard à Porto-Rico, en 1952, à l’occasion
d’un voyage culturel, deux hommes Carbonel Danielo et Jean Michel, seraient aussi du voyage comme
dansè388. Les hommes dansè représentent 14% de l’ensemble de cette catégorie d’acteurs pour lesquels
nous avons recueilli quelques données basiques.
En définitive, les hommes occupent tous les rôles. Toutefois s’il faut classer le rôle masculin
dans le gwoka en s’appuyant sur ces acteurs peu connus, les tanbouyé et chantè arrivent en tête suivi
des lé-répondè et des dansè. En matière de petite percussion, elle fait rarement pour la période l’objet
d’un rôle précis. Un acteur Hizyrin François dit Bagi, Tannis ou Barkès décédé en juillet 2019, à l’âge
de 82 ans389 est bien connu de la région de Jabrun Baie-Mahault. Il serait un vertueux joueur de siyak390
, chantè et tanbouyé spécialiste du boula. Qu’en est-il des femmes pour lesquelles nous avons juste un
nom, un rôle et un lieu ? Occupent t’elles autant que les hommes tous les rôles ?

387
Fiche résultats du Concours de tam-tam de la rivière des Pères du 1er septembre 1947, illustration ouvrage Alex et Françoise Urie,
Le chant de Karukéra, Musiques et Musiciens de la Guadeloupe, Région Guadeloupe, 1991, page 36.

388
Clartés « Le Festival Folklorique de la Caraïbe, août 1952.
389
Avis d’obsèques radiodiffusées, Radio Caraïbes International, 24 juillet 2019.
390
Sorte de râcleur.

145
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 11 : Photographies de deux acteurs peu médiatisés

Alfred Labasse, chanteur des années 50-60, Pointe-à-Pitre, collection Disques Debs,
années 1960

146
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pierre Modalire ou Modalie, tanbouyé des années 1960, région Basse-Terre, Collection
Claude Philogène.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Une participation féminine plutôt dansée

Pour les femmes, les rôles se classent comme suit pour la danse, le chant et la musique : 68%,
27%, 18,18%. Les fanm-dansè sont celles du « concours de tam-tam de la Rivière des Pères » qui aurait
réuni des hommes et des femmes, chacun dans son rôle. Les femmes ne participeraient pas à la
compétition des tanbouyé contrairement à celle des dansè.
Deux d’entre elles auraient remporté à ce propos le 2è prix ex-aequo. L’une se nommerait
Abancourt Réjane. Elle habiterait à Pont Calebassier à Basse-Terre. Le domicile de l’autre, Elisabeth
Prian, l’autre éventuelle lauréate n’est pas indiquée391. Lors du Festival de Porto-Rico de 1952, les
fanm-dansè seraient au nombre de 7 personnes. Ce seraient des femmes de la région pointoise qui
assureraient principalement la danse de scène au cours d’un spectacle. Elles se nommeraient Alcindor
Renée, Alexis Marlène, Coudair Fleurette, Léogane Mirette, Louis Jocelyne et Macal Louise. Toussine
Valsidor dite Tousinn Papyé -a-Luil, femme d’un certain âge, se produirait sur scène aux côtés de
femmes plus jeunes. Elle serait âgée à la date du Festival de Porto-Rico de 49 ans environ392. Ceux qui
l’auraient connue la décrivent comme une femme de très petite taille, marchandes d’accras, ce qui lui
vaudrait son sobriquet.
Au cours des années 1950, d’autres fanm-dansè montrent leur performance. En effet, lors de la
nuit des artistes guadeloupéens dans la commune de Capesterre Guadeloupe en 1959, Melles Lautric
et Kelly seraient particulièrement appréciées393. Ces femmes exécuteraient donc la danse de scène tout
comme Souriant Marguerite et « Melle Michaux-Vignes » en 1961 à Basse-Terre 394. Toutefois
quelques-unes sont nommées pour la danse hors scène. Il faut y voir une danse autonome c’est-à-dire
libérée des contraintes du spectacle. Parmi les femmes qui s’y prêteraient, Dolorès dite Dodo et Ti-
Tavie seraient connues à Pointe-à-Pitre durant les années 1960 au cours des rencontres aux tanbou.
Elles sont décrites comme des camarades de danse395.
Durant la même période, Marivat Arissilya dite Atouris participerait régulièrement aux danses
au tanbou dans la commune de Grand-Bourg. Elle serait originaire de la commune de St Louis et vivrait
en couple à Grand-Bourg avec un cordonnier du nom de Selbonne. Son autonomie que l’on pourrait
dire artistique, s’exprimerait par le fait qu’elle ne s’embarrassait d’aucune tenue particulière pour la
danse, qu’elle dansait peu, allant et venant à sa guise du centre aux marges du cercle formé par le public
et l’orchestre396. Et, en matière de danse autonome, mobile cette fois, une autre femme, Stéphanie
Plocoste marquerait la danse des mas de Pointe-à-Pitre durant les années 1960. Elle cite des femmes
qui auraient occupé le même rôle qu’elle :
« Madanm vin rantré, té tini gran Béatris ki té ka rété lari Bouchonni Lordonnay, Anriyèt ki té
ka rété Fonlojé é ki té ka vann toupi, Séyina, Anjéyina, Dolorès ki alé vann pwason lahal apwé
sa, té tini Emili, Miyonèt, Natali, Olga Pistol é mwen menm Èstéfanni…Lé yo té fin dansé asi
boulva, yo té ka pasé an vil-la… Nou sé madanm-la nou té chantèz…397»

391
Fiche concours de tam-tam, op cit
392
Acte de naissance N° 178 du 28 mai 1903, Pointe-à-Pitre / Article du journal l’Etincelle, Festival de la Caraïbe, août 1952.
393
Journal l’Etincelle, La nuit d’artistes guadeloupéens à Capesterre, 11 avril 1959.
394
Revue Guadeloupéenne, La Guadeloupe à l’honneur, 4 avril 1961
395
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique, … 2002, page 140
396
Témoignages de Liliane Frenet, de Laumuno-Cafournet Anne, Cafournet Jean-Paul, 8 au 15 août 2015, Grand-Bourg Marie-Galante.
397
Ce témoignage est retranscrit dans Birman Jacqueline, Mas a Sen Jan, Editions Nestor , 2013, page 90-91 : Ensuite des femme sse
sont greffées ; Il y avait grande Béatrice qui habitait à la rue Bouchonni Lordannay, Henriette qui habitait au Fonds Laugier et qui vendait
des topinambours, Séina, Angéina, Dolorès qui est allé vendre du poisson à la halle, il y avait aussi Emilie, Mignonnette, Nathalie, Olga

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ces femmes ainsi décrites ne seraient pas que danseuses. Elles seraient aussi des fanm-chantè.
Mais d’autres femmes, ne pratiqueraient que le chant. Bourseau Albertine398 originaire de Vieux-
Habitants feraient partie de cette catégorie. Son chant gwoka serait d’abord celui du travail rural puis
des léwòz. Piréa Analouse qui habiterait à Dupré Ste Anne de même que Eugénie Mickaëlla dite
Doudou originaires de la même commune seraient des fanm-chantè. Alors que la première chanterait
les léwòz, l’autre préfèrererait les véyé.
Parfois, la pratique du chant gwoka et le tanbou reviennent à une même femme. Quatre femmes
et probablement cinq de notre échantillon répondraient à ce double rôle. La plus âgée de la période,
Simone Minervin serait née vers 1909 et décédée au cours des années 1940, après 1945 à l’âge de 36
ans399. Elle serait connue dans la région de Petit-Bourg/ Baie-Mahault, dans le nord Basse-Terre. Ce
serait la compagne de François Jernidier dit Kawno (1919-1998). D’autres habitants de la région
comme Athanaïse Solange Bach et Dino Gabin la connaitraient comme organisatrice et chanteuse de
léwòz et sachant jouer du tanbou. Le tanbouyé Kawno raconte leurs échanges. Lui, dit qu’il l’aidait
dans l’organisation de ses léwòz tandis qu’elle lui apprenait à jouer du tanbou du léwòz400 ou lui
enseignait d’autres techniques :
« Eben mon chè, an menm an po to ko byen konnèt kongné tanbou. Mè lèw vwè nou dé la, mwen
é fanm-la… alò li menm ka pran men a’y konsa… Alò i ka di mwen : « Mi sé konsa pou’w kongné alò… Mé èvè dwèt a’y,
i ka kongné tout tanbou-la èvè dwèt a’y401 »
Les trois autres femmes seraient opérationnelles durant les années 1960. Madame Pactole
Etienna serait une fanm-tanbouyé de la région de Bouillante. Elle jouerait du tanbou avant même
d’intégrer aucune troupe de danses. Vers les années 1964, elle serait bien plus âgée que les jeunes
danseuses de la troupe avec qui elle partagerait les prestations. Elle devait être âgée de près de 50
ans402. Cette femme est citée comme tanbouyé âgée de 57 ans de la troupe Caribana dans la Revue
Parallèles de Anca Bertrand403. Aussi âgée, dans la campagne du Gosier, Cho Beausivoir aurait laissé
le souvenir d’une femme qui transcenderait les barrières culturelles entre les hommes et les femmes.
Fumant la pipe, cultivatrice et pêcheur au besoin, elle circulerait dans les sentiers, son tanbou sur la
tête pour se rendre aux différentes manifestations pour lesquelles elle serait même sollicitée404. Et,
dans la campagne Judor Odilia est issue d’une fratrie de tanbouyé, d’un père tanbouyé et d’une mère
dansè. Elle saurait jouer du tanbou.

Pistol et moi-même Stéphanie… Lorsqu’ils avaient bien dansé, ils faisaient le tour de la ville…Nous les femmes, nous assurions le
chant., traduction de l’auteure pages139-140.
398
Témoignage de Toussine Albertine Bourseau, Lokans a fanm té ka tchouyi kafé, Almanaka 2007. Cette femme demeure une référence
dans sa région comme témoin de la vie d’antan. A ce titre, son témoignage figure dans l’ouvrage de Lanoir L’Etang Luciani, Réseaux
de Solidarité dans la Guadeloupe d’hier et d’aujourd’hui, L’Harmattan, 2006, page 135. L’auteure est chercheuse en anthropologie.
399
Son âge est calculée d’après les indications de François Jernidier au cours de son entretien avec l’ethnologue Marie-Céline
Lafontaine en 1986
400
Léwòz désigne ici la manifestation nocturne en musique.
401
« Eh bien ma chère, en ce qui me concerne, je ne savais pas encore bien jouer du tambour, mais quand il nous arrivait d’être seuls
tous les deux, la femme et moi … alors d’elle-même elle met sa main comme ça…elle me dit : « Voici comment il faut battre !... Elle
joue tous les rythmes du tambour avec ses doigts » Carnot par lui-même, Alors ma chère, moi… Propos d’un musicien recueillis et
traduits par Marie-Céline Lafontaine, Editions Caribéennes, pages 114/115 (version créole guadeloupéen), pages 50 et 52 (version
française).
402
Christian Dahomay, musicien témoignage de août 2018 ; Marcel Magnat, tanbouyé, 2018 ; Camille Cairo, ancienne danseuse et
membre du Conseil d’administration de l’association Caribana de Bouillante, le 14 mars 2019 (entretien téléphonique)
403
Revue Parallèles, n°14, 1966.
404
Information de Jean-Pierre Edward, décembre 2018. L’informateur est un parent de la dite fanm-tanbouyé. Il est âgé de 50 ans au
moment de l’entretien.

149
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Et, parmi les personnes interrogées par Alan Lomax en 1962 dans la campagne de Morne-à-
l’Eau se trouve une femme Lauzanne Bertile qui serait fanm-chantè et probablement fanm-tanbouyé405.
Ainsi, en dépit du fait que l’identité de ces personnes se limite à quelques indications, elles sont
présentées dans des rôles divers et témoignent d’une bivalence et d’une inégalité de la répartition des
rôles entre les hommes et les femmes. Ces situations seront étudiées pour les acteurs aux données plus
épaisses afin de confirmer ou d’infirmer cette polyvalence et cette inégalité. Mais, pour ces acteurs
mieux connus, il convient d’abord de décrire leur profil social. Par eux, une carte d’identité des gens
du gwoka sera établie à partir de la tranche d’âge, le sexe, la localisation géographique, le groupe
ethnique, le milieu social.

B- Des gens du gwoka opérationnels et très connus

1- Un patronyme, marqueur d’un groupe ethnique

Les patronymes révèlent les groupes ethniques d’appartenance. Les Noirs des campagnes
s’identifient à leur nom et aux emplois qu’ils occupent. Le coupeur de bananes du peintre Rohner
renvoie à la réalité de la division ethnique du travail dans les exploitations bananières en Guadeloupe.
En effet, il est représenté par un homme noir portant sur la tête un régime de bananes406. L’homme est
le prototype de la main d’œuvre salariée des plantations de bananes.
Pour l’emploi sucrier sur les habitations, entre 1946 et 1965, Christian Schnackenbourg désigne
la main d’œuvre par « prolétariat nègre ».
Les inspecteurs agricoles font partie du groupe des Blancs. Ce sont des métropolitains pour les
usines qui appartiennent aux sociétés métropolitaines ou des Blancs créoles pour les sociétés familiales
guadeloupéennes. La direction de l’habitation est assurée par le directeur général des exploitations.
Par conséquent, la hiérarchie est blanche407 et la division ethnique du travail montre le clivage social
noir/blanc
Toutefois, d’autres groupes humains rendent plus complexe le clivage socio-racial en Guadeloupe.
En effet, l’approche humaine de la sucrerie fait état pour la main d’œuvre salariée, de « coolies ». Les
chiffres de cette population en 1952 sont approximatifs, environ 1200 à 1300 pour la région du nord
Grande-Terre soit 6 à 700 à Petit-Canal, 600 à Port-Louis, une vingtaine à Anse-Bertrand408. Ils
seraient nombreux dans certains secteurs ruraux des communes de Port-Louis et de Petit-Canal. Ce
groupe se reconnaît à son phénotype. Ils sont, d’après l’auteur, Noir par la peau et Blanc européen par
les cheveux, le nez et les lèvres :

405
Fonds Allan Lomax, collecte 1962, Morne -à-l’Eau, Lameca.
406
Marie-Emmanuelle Desmoulins, « L’intermède guadeloupéen de Georges Rohner : l’ensemble de la mairie de Basse-Terre (1934-
1936) », [En ligne], 6 | 2005, mis en ligne le 01 septembre 2005,
407
Christian Schnackenbourg, Histoire de l’industrie sucrière … 1946-1965 L’ Harmattan , 2015, pages 105-106.
408
L’auteur Guy Lasserre précise que ce sont ses données personnelles.

150
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« On les reconnaît à leurs cheveux lisses d’un noir de jais, à leurs lèvres fines et au nez
aquilin qui, malgré le noir profond de leur peau les rapproche des Européens.409 »
Mais, tous les Noirs n’appartiennent pas aux couches populaires de la population et tous les
Blancs aux couches supérieures. Des Noirs briguent des mandats politiques. L’exemple de Gratien
Candace (1873-1953) est significatif à ce propos. Il est originaire de la ville de Baillif. Il est d’abord
instituteur normalien puis, après avoir obtenu un Doctorat ès sciences, devient professeur. Il est aussi
directeur de rédaction de plusieurs journaux410. Il occupe un mandat de député de 1912 à 1942.
De même Maurice Satineau (1891-1960), journaliste né dans la commune de Baie-Mahault est
élu député de la Guadeloupe de 1936 à 1942 et sénateur de 1952 à 1958.
Par ailleurs, les mulâtres issus du métissage Noir/Blanc et leur ascension politique et sociale
participent de la complexité de la ligne de couleur.
Parmi les Blancs de la Guadeloupe, tous ne sont pas descendants des colons du système
esclavagiste. Deux groupes sont issus de l’immigration des XIXè et XXè siècles. En effet, au XIXè
siècle, la Guadeloupe accueille ses premiers Syriens et Libanais.
Le deuxième groupe de migrants Blancs vient d’Italie quasiment tous d’un village unique. Il
s’agit d’une immigration secondaire dont le nombre de ressortissants présents en Guadeloupe est de
123 adultes et 104 enfants. Ce sont principalement des commerçants même si 23% d’entre eux
travaillent dans le bâtiment. En 1954, ils sont au nombre de 102411.
En définitive, entre les années 1930 et les années 1960, la population de la Guadeloupe est constituée
de deux grands groupes : les Noirs et les Blancs. Les Noirs sont d’une part des Afro-guadeloupéens
nés en Guadeloupe et dans d’autres pays de la Caraïbe et d’autre part, les Indo-Guadeloupéens, qu’ils
soient noirs de peau ou non. Ils sont appelés Noirs, Nègres et en créole guadeloupéen Nèg, Zendyen.
Le deuxième groupe comprend les Blancs issus de populations blanches nées en Europe, au Proche-
Orient ou en Guadeloupe. Ils sont appelés en créole guadeloupéen Blan, Siriyen, Blan- Matignon, Blan
péyi. L’inscription de chaque individu dans un groupe est un exercice périlleux mais le patronyme
peut aider à l’identification des groupes.
Le groupe majoritaire de la population correspond aux couches les plus basses de la société. Ils
constituent aussi la majorité de notre échantillon d’acteurs. Ces personnes sont âgées de 70 à 20 ans et
moins à la fin de notre première période soit la décennie 1960. Ces 81 personnes se répartissent sur
trois générations. Les plus âgées sont nés à la fin du XIXè. C’est le cas de Canfrin Aloïs dit Lolo (1899-
1977). Ils font partie des doyens identifiés. A mesure que l’on avance dans le temps, le nombre
d’acteurs augmente. Ainsi, ceux qui sont nés durant les années 1940 sont les plus nombreux. Ils ont
la vingtaine à la fin de notre période. Mais ce sont des enfants et adolescents nés au cours des années
1950 qui clôturent notre échantillon. Ils sont 6 : Bernier Locatin, Delice Zénon, Eric Cosaque, Esnard
Boisdur, Marguerite dite Jacqueline Massembo, Max Félix Rambhojan.
Dans son étude sur la question de la couleur dans le monde créole, le Professeur Jean-Luc
Bonniol déplore la perte d’un registre particulier qui pourrait renseigner sur l’origine des habitants de
Terre-de-Haut :
« En ce qui concerne les sources utilisables à la Désirade, un document fondamental, qui a disparu pour
Terre-de-Haut des Saintes, a subsisté : c’est le Registre d’Inscription des Nouveaux Citoyens, dans lequel

409
Guy Lasserre, une plantation de canne aux Antilles : La Sucrerie Beauport (Guadeloupe), Les Cahiers d’Outre-Mer, année 1952, 5-
20, pages 297-329.
410
Biographie de Gratien Candace, site de l’Assemblée Nationale.
411
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe, De l’émancipation à l’assimilation, (1848-1948), Ibis Rouge, 2006, page 231.

151
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

reçoivent un patronyme les anciens esclaves qui accédaient à une existence légale juste après :
l’Emancipation de 1848. Un tel document permet d’avoir une idée extrêmement précise, individu, par
individu, de la structure sociale de la Désirade à cette date, d’identifier qui sont les anciens esclaves et
parfois qui étaient les propriétaires des habitations sur lesquelles ils travaillaient ; par là il permet
également d’avoir une idée approchée des composantes raciales de la population, faisant là encore de
l’année 1848 une remarquable bonne année de départ. 412»
En effet, en dépit des pesanteurs du système esclavagiste qui demeurent après l’abolition de
l’esclavage, cette année est celle où chaque affranchi désormais dispose d’un nom. Ce nom permet
d’identifier leurs descendants. Leur inscription dans une catégorie se prête à débat. Le terme Afro-
descendant est diversement envisagé. Jean-Luc Bonniol et Darlu Pierre l’emploient et le définissent
comme suit :
« Des populations intensément brassées durant les cinq derniers siècles, et dont les interrogations sur
leurs origines sont exacerbées par le fait qu’ils sont largement privés, du fait de l’histoire de la traite et
de l’esclavage, d’information généalogique 413».
Pour l’historienne Sarah Fila-Bakabadio, ce sont des Afro-Américains c’est-à-dire un groupe où se
réconcilient deux identités : les origines africaines et l’identité américaine contemporaine414. Et nous,
afin de montrer leur parcours de la terre des déportés du continent africain à la Guadeloupe, comme
Romain Cruise l’a fait pour les Caribéens415, nous les appelons Afro-Guadeloupéens.
Toutefois, quelque soit la désignation, le point de convergence entre ces définitions, est la
mémoire du travailleur esclave. Cette mémoire se fait de plus en plus consciente du fait des travaux
des chercheurs. Ce n’est que très récemment que l’origine des patronymes des Noirs de la Guadeloupe
descendants des travailleurs esclaves est connue. Cette recherche est assez inédite pour décrire ces
diverses phases. Elle débute par une université populaire créée à Paris sous la direction de deux
médecins d’origine Guadeloupéenne, Serge Romana et Emmanuel Gordien. Le dernier est un
universitaire passionné d’histoire et de généalogie. L’objectif est de diffuser des cours et d’organiser
des conférences et colloques sur l’histoire des travailleurs esclaves. Une marche silencieuse est
organisée à leur initiative à Paris le 23 mai 1998 pour impulser un début de construction de mémoire
pour les travailleurs esclaves. Ces derniers sont reconnus comme leurs aïeux noirs, par les 40000
marcheurs qui ont pris part à la manifestation. La demande d’histoire se réveille et conduit à la création
d’un atelier de généalogie à propos de l’histoire des familles de la Guadeloupe et de la Martinique
composé d’une cinquantaine de personnes sous la direction d’Emmanuel Gordien. L’atelier consulte
en 2006 les Archives nationales de Paris afin de relever les noms des nouveaux libres à partir des
microfilms des registres de 1848. De cet atelier, sont crées, un ouvrage, Non an nou416 , et un site
« Anchoukaj » validé par les Archives Départementales de la Guadeloupe et de la Martinique. La
construction d’une mémoire consciente de la descendance des travailleurs esclaves s’établit ainsi à
partir de ces registres.
Ces derniers constituent la dernière phase du processus d’attribution du patronyme de l’ancien
travailleur esclave. En effet, en 1839 par l’ordonnance du 11 juin de la même année, l’idée d’abolir
l’esclavage qui gagne les milieux politiques s’accompagne d’une organisation juridique. Des

412
Jean-Luc Bonniol, Matériaux généalogiques pour l’histoire des populations…, 1989.
413
Jean-Luc Bonniol et Pierre Darlu, « L’ADN au service d’une nouvelle quête des ancêtres ? », Civilisations 63 | 2014.
414
Sarah Fila-Bakabadio, « Du global au particulier », Cahiers d’études africaines,168 | 2002, mis en ligne le 22 novembre 2013
415
Romain Cruise, Une géographie populaire de la Caraïbe, Mémoire d’encrier, 2014, pages 211-220.
416
Traduction française : Nos patronymes

152
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« registres matricules » sont ouverts pour recueillir les déclarations des travailleurs esclaves dont la
présente ordonnance fait obligation. En effet, tous les propriétaires doivent déclarer tous leurs
travailleurs esclaves. Ils doivent désormais être identifiés par un numéro et un surnom au besoin pour
les différencier. L’abolition de l’esclavage est proclamée par le Gouverneur Layrle le 27 mai 1848. Et
le 27 juin 1848, le Conseil privé de la Guadeloupe lance les opérations de déclaration de travailleurs
esclaves par des données plus riches : patronyme, prénom, surnom, lieu et date de naissance ou âge
présumé, lieu de résidence, nom des parents417. Les noms sont ainsi attribués de 1848 à 1862. C’est
ainsi que 87752 Guadeloupéens reçoivent des noms de famille. L’exemple qui suit montre la formule
officielle consacrée à l’enregistrement du patronyme des affranchis de 1848 :
N° 385
Scholastique Cosaque
« L’an mil huit cent quarante neuf, le quinzième jour du mois de mars, s’est présenté devant nous Gaspard
Jean Casse, maire officier de l’Etat-Civil de la commune de Grand-Bourg de Marie-Galante s’est
présentée, la citoyenne Scholastique, à l’effet d’être inscrite sur les registres de l’Etat-civil de cette
commune, en exécution du décret du Gouvernement Provisoire du 27 avril 1848 qui abolit l’esclavage et
de l’article 3 de l’arrêté du Conseil Privé du 27 juin suivant. La dite, Scholastique née en cette île, âgée
de soixante quatorze ans, domiciliée au Grand-Bourg, inscrit pour le numéro 1010 du registre matricule
de cette commune et à laquelle nous avons donné le nom patronymique de Cosaque. 418»
L’exploitation des registres d’inscription confirme la caractéristique d’Afro-guadeloupéens à
un groupe de personnes par la traçabilité de leur lignée. Le mystère sur le nom de famille est désormais
levé. Des lignées peuvent désormais se reconstituer jusqu’en 1848 pour la majorité des acteurs du
gwoka opérationnels entre 1931 et 1969. La lignée de 3 d’entre eux montrent que l’on peut remonter
de l’affranchi à notre acteur et retrouver parfois le lien de parenté avec précision :
• Marcel Ambroise Lollia dit Vélo, tanbouyé et chantè né le 7 décembre 1931 à
Pointe-à-Pitre est le fils de Marcel Venance Lollia, né le 8 février 1908 à
Gosier419 , le petit-fils de Justin Lollia né le 7 août 1883 à Gosier420, l’arrière-
petit-fils de Félix Lollia né le 21 mai 1860 et l’arrière arrrière petit-fils de Pierre
Lollia âgé de 22 ans en 1860421 . Le nom Lollia est attribué dans la commune du
Gosier à neuf affranchis de 1848, nés à dans cette commune, qui ne sont pas issus
d’une même fratrie d’après leur numéro de matricule. L’un d’eux se nomme
« Saint » Pierre. Il est enregistré sous le matricule 2531. Peut-être s’agit-il de
l’arrière- arrière-grand-père de Vélo ?
• Jernidier François dit Kawno, tanbouyé et chantè est né le 1er décembre 1919
dans la commune de Baie-Mahault. Son grand-père paternel Jacques Jernidier
est âgé de 41 ans et habite la commune de Grand-Bourg Marie-Galante sur
l’habitation Richelieu lorsqu’il déclare la naissance de la mère de Kawno,
Jernidier Robertine le 10 février 1874 dans la même commune. Elle est née le 1er
février de la même année de son père Jacques et de sa mère Guigal Françoise422.
Jacques, grand-père de Kawno a 15 ans lorsqu’en 1848 il reçoit à Grand-Bourg
Marie-Galante le nom de Jernidier sous le matricule 5325.

417 Le site Anchoukaj indique le patronyme, le prénom, la matricule et la commune de résidence.


418
Registre de naissance, acte n°385, Grand-Bourg Marie-Galante, 1849, ANOM Etat-civil.
419
Acte de naissance n°541,1931, Pointe-à-Pitre, Archives Départementales de la Guadeloupe
420
Acte de naissance n° 115, 1883, Le Gosier, ANOM Etat-Civil
421
Acte de naissance N°59, 1860, Le Gosier, ANOM Etat-civil.
422
Acr-te de naissance n°7, 1874, grand-Bourg Marie-Galante, ANOM Etat-Civil

153
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

• Boulbou Louise Alexina, tanbouyé et dansè naît à Grand-Bourg Marie-Galante


en 1904423 de Boulbou Saint-Jean né en 1876 dans la même commune424. St
Jean est le fils de Jean-Charles Boulbou âgé de 26 ans à la naissance de son fils425.
Entre 1848 et 1857 durant la période d’attributions des patronymes à Marie-
Galante, il n’a pas plus de 6 ans. C’est donc son père ou sa mère qui reçoit le
patronyme en 1848. Il s’agit peut-être de Boulbou Christophe né à Marie-Galante
et enregistré sous le matricule 1311 qui décède en 1883 à l’âge de 84 ans426.
Les Afro-Guadeloupéens de notre échantillon sont majoritaires. Ils appartiennent à deux
catégories. Ceux qui portent un patronyme d’affranchi de 1848 l’ont obtenu entre 1848 et 1862.
L’affranchi est le premier de la lignée depuis l’esclavage et notre acteur le dernier pour notre période.
Certains comme Moco Désir (1931-2019) ou Nagau Lauraine ont un ascendant bossale. Ils étaient
appelés aussi par leur descendance et dans les milieux populaires, nèg- batiman pour signifier le fait
qu’à l’abolition de l’esclavage, ils venaient de débarquer en Guadeloupe en dépit de l’abolition de la
Traite depuis 1815427. Des noms comme Ismaël ou Jean-Louis ont été retrouvés en Martinique de
même la famille Samson a reçu ce nom à la fois en Martinique et en Guadeloupe tandis que le nom
Perrin fut attribué à des affranchis de la Martinique.
L’autre catégorie d’Afro-Guadeloupéens appartient à la vague migratoire des descendants
d’immigrants africains dits Kongo428arrivés en Guadeloupe entre 1857 et 1861. Dans notre échantillon
figurent Violette Donineaux dite Massembo429 (1929-2002) et Marie-Louise dite Rose-Aimée
Massembo (1925-2014). Ces deux femmes appartiennent aux petits-enfants des 309 à 394 immigrants
qui ont été affectés sur les habitations de Capesterre Guadeloupe, l’une des communes sucrières les
mieux dotées en immigrants430 à la fin du XIXè siècle.
Violette Massembo est née le 12 décembre 1929 à Capesterre Guadeloupe431. C’est la fille de
St Jean Massembo né 25 avril 1905 de Anatole Massembo son père et de Banka Désirée sa mère432.
Anatole né le 10 juillet 1874 est déclaré sous le nom de sa mère l’africaine Vouella433 puis reconnu
du « dit Joseph » âgé de 59 ans le 3 mai 1905. Ce dernier habite le hameau de Cambrefort434.
Lorsqu’un nom ne figure pas dans les registres, le recours à l’autre parent permet de retrouver
l’origine de l’acteur concerné. Nous n’avons pas retrouvé le nom de Chabin mais le nom Placerdat que
porte le père de Chabin Olivier dite Dòdòz est attribué à un affranchi à St Louis Marie-Galante435. La

423
Acte de naissance n°86, Grand-Bourg Marie-Galante, ANOM Etat-Civil.
424
Acte de naissance n°149, 15 août 1876, Grand-Bourg Marie-Galante, ANOM Etat-Civil.
425
Acte de naissance n° 149 du 25 août 1876, Grand-Bourg Marie-Galante, ANOM Etat-Civil.
426
Acte de décès n° 69 du 3 avril 1883, Grand-Bourg Marie-Galante, ANOM Etat-Civil.

427
Film Citoyens bois d’ébène de Franck Salin (Témoignage de Emmanuel Gordien), 2018.
428
Céline Flory dans son ouvrage « De l’esclavage à la liberté forcée, Histoire des travailleurs africains engagés dans la Caraïbe
française au XIXè siècle », Karthala, 2015. D’après l’auteur, les immigrants captifs rachetés viennent du Gabon, de Loango et du
fleuve Congo et les Africains libres sont prélevés sur la côte Krou autrement dit le liitoral qui s’étend du Sénégal au Ghana actuel,
page 153-175.
429
Elle a adopté le nom Massembo et se présente comme telle.
430
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe…, 2006, pages 195-196.
431
Information de sa fille Marie-France Massembo à l’occasion du décès de Violette le 10 mai 2002 à Cambrefort Moravie, Capesterre
Belle-Eau.
432
Acte de naissance n°75, 1905, Capesterre Guadeloupe
433
Acte de naissance n°110, 1874, Capesterre Guadeloupe
434
Acte de reconnaissance le 3 mai 1905, Capesterre Belle-Eau.
435
Placerdat, Saint-Louis, Site Anchoukaj

154
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

mère de Gérard Lockel porte un patronyme hérité de Beauregard Joachim, un affranchi, né à Morne-
à-l’Eau, qui a reçu le nom dans la commune des Abymes sous le n° de matricule 2614436 . Et le nom
peut subir des altérations au fil des générations ou d’une commune à l’autre. C’est ainsi que Coutaret
en 1848 dans la commune de la Désirade devient Contaret ou Nagaud dans la commune de Sainte-
Rose devient Nagau à Saint-Louis Marie-Galante ou encore Loison à Morne-à-l’Eau se transforme en
Loyson pour le Moule.
En dépit des recours à l’autre parent ou aux altérations, l’origine des patronymes comme ceux
de Canfrin Aloïs dit Lolo et Maurice dit Lin, Vincent Blancus ou Gérard Pomer restent introuvables.
Celui de Germain-Calixte Gaston est probablement attribué en 1835, antérieurement donc à l’abolition
de l’esclavage 437. Les patronymes minoritaires sont ceux des descendants des Indo-Guadeloupéens
comme Max Félix Rambhojan et de Janackdoulary Judes dit Ti-Jid. Le nom de Charlie Chomereau-
Lamotte est celui d’un capitaine français au service du roi arrivé en Grande-Terre en 1767438.
Par le patronyme des acteurs du gwoka, leur origine est connue. Il permet de connaître les
différentes vagues de migrations par laquelle leurs aïeux se sont installés en Guadeloupe. Ils
s’identifient aussi à des communes qui sont des éléments de leur identité.

Figure 12 : Trois critères de différenciation des acteurs : ancienneté, décennie de naissance, sexe

Doc 1 : Acte de naissance de Aloïs Canfrin dit Lolo (1899-1977), ANOM Guadeloupe.

436
Beauregard, Morne-à-l’Eau, Site Anchoukaj

437
Marie-Line Dahomay, Chaben Gaston-Germain-Calixte, On chantè véyé, 2017, pages 77-78.
438
Journal Le Monde hors-série, Une saga familiale en noir et blanc, rubrique Histoire Enquête, Janvier-Février 2010.

155
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

De son nom d’Etat-civil Canfrin Aloïs : « Aujourd’hui dix février mil huit cent quatre-vingt-dix-neuf à trois
heures ( illisible), par-devant nous Antonin Hamot Maire et Officier de l’Etat-Civil de la commune de la
Capesterre Marie-Galante est comparu le sieur Eugène Canfrin , âgé de quarante six ans , cultivateur domicilié
en cette commune lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin dont il se reconnaît être le père né en sa
demeure le premier du mois à sept heures du matin , de la demoiselle Louise Laumuno, âgée de dix-neuf ans,
cultivatrice domiciliée en la dite commune section des frères ( probablement), hameau ( illisible) Rameaux et
auquel il a déclaré vouloir donner le nom de Aloïs. Les dites, déclarations faites en présence des sieurs Léonard
Jean-François, âgé de vingt six ans, aide secrétaire municipal et Désir Alexandre Surfoin (probablement), âgé
de cinquante neuf ans, charpentier domicilié en la dite commune … Mention : Décédé aux Abymes le 5
décembre 1977 -Mention faite au DPP le 7 octobre 1982439

439
Extrait de l’acte de naissance n°17 de la commune de Capesterre de Marie-Galante, ANOM Etat-Civil.

156
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Doc 2 : Répartition des acteurs par décennie de naissance


20

18

16

14

12

10

0
1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950
440

440
Le graphique représente les acteurs dont la décénnie de naissance est attestée (témoins, acte de naissance) soit 72 personnes.

157
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Doc 3 : Répartition par sexe des actrices et acteurs441

22%

hommes
femmes

78%

441
Cette répartition prend en compte tous les acteurs et actrices de notre échantillon pour la période indiquée (1931-1969) soit 81
personnes.

158
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 13 : Origine des patronymes des acteurs du gwoka nés ente 1890s et 1950s

50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
Affranchi Afrique Inde Europe inconnu

Graphique réalisé à partir du site Anchoukaj pour les descendants d’affranchis de 1848 et de sources diverses pour les autres
(témoignages, presse…). Il prend en compte les acteurs du gwoka dont l’origine ethnique a été retrouvée soit 55 personnes.

159
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Une adresse : de la commune natale à la commune de référence

Les communes de naissance ne sont pas connues pour l’ensemble des acteurs de l’échantillon.
Mais, sur les 31 personnes dont le secteur rural ou le quartier urbain de naissance ou de l’enfance est
connu, 27 sont nés à la campagne, 3 sont nés à la ville dans des quartiers populaires :

Figure 14 : Environnement des acteurs : secteur rural, ville


XIXè siècle
Bernis Louise Marie Antoinette dite Achoun, fanm-dansè, section Saline, hameau de Bellevue, Le
Gosier442
Canfrin Aloïs dit Lolo, nonm-dansè, section Bontemps Rameaux (Capesterre Marie-Galante)443
Kacy Gabin dit Ravèsèl, nonm-tanbouyé, hameau Calvaire (Sainte-Anne)444
Décennie 1900
Boulbou Alexina, fanm-tanbouyé-chantè, habitation Trianon, Grand-Bourg Marie-Galante445
Laumuno Eliane, fanm-a-lasistans, lieu-dit habitation Clairange, Grand-Bourg Marie-Galante446
Ponture Laurenza, fanm-dansè, habitation Petite Terre, section La Rivière de coin, Baie-Mahault447
Vilus Ernest Octavien, nonm-tanbouyé, section Mare-Gaillard, hameau Bernard (Le Gosier)448
Décennie1910
Bach Athanaïse Solange dite Man Soso, fanm-dansè-chantè à Daubin, Petit-Bourg449
Coco Nicolas dit Cholo, nonm-chantè, hameau Boucher, Ste Anne450
Ismaël Gratien dit Marzans, nonm-chantè-dansè, Petit-Havre, Le Gosier451
Magloire Louis-Victor dit Napoléon, nonm-chantè-dansè, Mare-Gaillard, Le Gosier452
Décennie1920
Aigle Etienne dit Christen, nonm-chantè-dansè-tanbouyé, Cacao, Ste Rose
Baptista Médélice, fanm-chantè, section Schoelcher, Vieux-Habitants453
Blancus Vincent, nonm-chantè-tanbouyé, section Gros Plaine, Pointe-Noire454
Canfrin Maurice dit Lin, nonm-chantè, section Balisiers, Capesterre Mgte455

442
Acte de naissance n°161, Le Gosier, 1890.
443
Acte de naissance n°17, Capesterre Marie-Galante, 1899
444
Acte de naissance n°44, Ste Anne, 1899.
445
Acte de naissance n°86, Grand-Bourg Marie-Galante, 1904
446
Acte de naissance n°16, Grand-Bourg Marie-Galante, 1907
447
Acte de naissance n°79, Baie-Mahault, 1900
448
Acte de naissance n°169-15, Le Gosier, 1902
449
Acte de naissance n°110, Petit-Bourg, 1918.
450
Acte de naissance n°255, Ste Anne, 1918.
451
Témoignage de sa fille Charlise Tandaveren accordé au quotidien France-Antilles, 18 et 19 septembre 2016.
452
Témoignage accordé à Lameca (2004), et Bulletin Léwòz (2006)
453
Témoignage accordé à Lameca (2004),
454
Témoignages de son fils Emmanuel Blancus, Almanaka 2008 et entretien téléphonique, 9 décembre 2018.
455
Acte de naissance n°89, Capesterre Mgte, 1926

160
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Germain-Calixte Gaston, nonm-chantè, rue Alexandre Isaac, section Rambouillet, Port-Louis456


Kancel Tertulien Blanchino, nonm-chantè-tanbouyé, section Papin, Les Abymes457
Lockel Gérard, nonm a lasistans, section Ste Marie, Capesterre Guadeloupe puis section des Mangles,
Petit-Canal458
Loyson Robert, nonm-chantè, section Lafontaine, Le Moule
Zodros Blaise Valentin, nonm-chantè, section Barre de l’île, St Louis Marie-Galante459
Décennie 1930
Chabin Ferriée, fanm-dansè, Grelin, Saint-Louis460
Lollia Marcel Vélo, nonm-tanbouyé, rue Raspail, Pointe-à-Pitre461
Moco Désir, nonm-chantè, section Parsonne, Grand-Bourg Mgte462
Sopta Antoine, nonm-chantè-dansè-tanbouyé, Bone, Ste Rose463
Décennie 1940
Conquet Guy, nonm-chantè-tanbouyé, quartier Morne Miquel de Pointe-à-Pitre puis section Jabrun,
Baie-Mahault 464
Cosaque Eric, nonm-a -lasistans, faubourg Bébian, Pointe-à-Pitre465
Nankin Vernan Isaïné, nonm-a -lasistans, Parsonne, Grand-Bourg466
Séjor Luc-Hubert, nonm-a -lasistans, section Calvaire, Ste Anne467
Sergius Geoffroy, nonm-chantè, Cavanière, Ste Anne
Troupé Georges, nonm-a -lasistans, Calvaire, Ste Anne468
Cusset Marcel Serge, nonm-tanbouyé, grandit à la section Grelin (Saint-Louis Marie-Galante)
Nos acteurs sont majoritairement des ruraux. Mais la ville de Pointe-à-Pitre joue aussi le rôle
de commune natale. C’est la ville natale du tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo né à la rue Raspail. Plus
tard, alors qu’il est déjà adulte sa mère quitte Pointe-à-Pitre pour la section de Chartreux dans la
commune du Lamentin. De même Eric Cosaque nait au Faubourg Bébian où il passe son enfance avant
de s’installer avec ses parents dans la commune de Capesterre469.
Pointe-à-Pitre est une exception pour les lieux de naissance mais en réalité, elle n’est pas n’est
pas si éloignée de la campagne si bien que les acteurs du gwoka s’y retrouvent. En effet, Henri Bangou
dans ses Mémoires relate la vie à Pointe-à-Pitre entre les années 1930 et 1990. On peut parler à son
propos d’une ruralité urbaine.
Car, c’est une ville où les déplacements entre les quartiers sont assurés par les charrettes à
bœufs, mode de transport rural. Celles-ci déforment la chaussée. Les activités de la ville sont le petit
commerce du marché animé par les paysannes qui ramènent à la ville les produits de leur jardin vivrier.

456
Acte de naissance n°8, Port-Louis, 1922
457
Témoignage de son petit-fils Smith Kancel pour Almanaka 2008 et flyer du memorial Blanchinot Kancel du samedi 09 novembre
2013, Lamentin.
458
Autobiographie, Gwoka modèn, 2012, page 17
459
Entretien accordé à la brochure Jeunes acteurs de vie, Conseil Général de la Guadeloupe 2011.
460
Collecte personnelle (2015)
461
Acte de naissance n°541,1931, Pointe-à-Pitre
462
Acte de naissance n°183,1934, Grand-Bourg Marie-Galante
463
Témoignage accordé à Lameca (2005) et au Bulletin Léwòz (2008)
464
Témoignages : Guy Conquet accordé à Lameca (2008), collectes personnelle Guy Conquet (2008) et Bach Athanaïse Solange
(2012-2013).
465
Témoignage accordé à la brochure Almanaka, 2008.
466
Collecte personnelle juillet 2017, avril 2018
467
Acte de naissance n°119, Ste Anne et collecte personnelle 2015 et 2017.
468
Collecte personnelle en 2009.
469
Témoignage de Eric Cosaque rapporté par la brochure Almanaka, 2008.

161
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le petit commerce est aussi celui des petites épiceries proposant des produits importés pour
l’alimentation, l’énergie, l’hygiène que se procurent les paysannes avec les revenus de la vente de leurs
produits.
La ville et la campagne ne s’opposent pas. Les deux espaces entrent en relation à travers les
besoins de leur population respective quoique la ville offre des produits nouveaux comme la glace et
la limonade470. Mais, la ville se distingue par ses petits métiers et ses animations. Marcel Mavounzy,
futur directeur de Maison de production, habite dans cette ville quand il revient en Guadeloupe en
1927 avec sa mère et son frère, après quelques années passées au Panama où il est né :
« Partout où l’on pouvait passer à Pointe-à-Pitre, il y avait toujours un air musical qui s’échappait tantôt
d’un salon de coiffure ou d’un chantier d’ébénisterie, tantôt de l’atelier du ferblantier ou de l’échoppe du
cordonnier, et tout cela dans un quartier habité par des familles vivant en harmonie avec leurs voisins »471.
La musique de Pointe-à-Pitre était aussi le gwoka des années 1940-60. C’est la ville des
bamboulas472 avec des chantè réputés comme Grand Ferlande ou encore des tanbouyé célèbres
comme le dénommé Ti-Papa puis Marcel Lollia, des associations organisatrices de rencontres
musicales comme les Roses Fanées, la société des Marins, la société Sainte-Anne, Sous des
Ménagères, Les Cuisinières. Parmi les acteurs du gwoka il y avait des femmes comme Ti Tavie,
Dolores, Laurenza, Augustine 473 et Toussine474
Au plan administratif, la majorité de nos acteurs naissent dans un secteur rural qui se distingue
du quartier urbain. Mais, il arrive que la commune de naissance, soit masquée voire effacée, par la
commune de référence. C’est la commune à laquelle la mémoire populaire associe le nom de chaque
acteur. Les deux types de communes se confondent parfois mais elles peuvent être différentes. C’est
le cas pour 14 de nos acteurs qui ont quitté leur commune natale pour une autre commune de la
Guadeloupe. L’un d’eux, Solange Pé-En-Kin, par ses activités musicales professionnelles a pour ville
de référence, Paris.
Le passage de la commune de naissance à la commune de référence s’explique par des facteurs
de migrations différents. Ils sont connus pour quelques acteurs. La famille de Gérard Lockel déménage
pour des raisons économiques. En effet, elle quitte la commune de Capesterre Guadeloupe pour le nord
de la Grande-Terre alors que l’enfant a 6 ans. Elle s’installe d’abord dans la commune d’Anse-Bertrand
où elle séjourne durant environ 4 à 5 années. Elle se dirige ensuite vers la campagne de Petit-Canal
aux Mangles où la mère est affectée comme receveuse des Postes et le père personnel d’encadrement
probablement Inspecteur agricole sur l’Habitation « Philipsburg ou Féré ». La famille y est logée475.
Pour Bach Athanaïse dite Man-Soso, le facteur est plutôt social. Née en 1918 dans la commune de
Petit-Bourg, elle est élevée par sa tante maternelle dans la section de Daubin car sa mère trouve en
cette sœur, une bonne éducatrice. Elle y vit jusque l’adolescence car sa tante, devant déménager, la
remet à sa mère qui la confie de nouveau à une autre tante habitant Pointe-à-Pitre. C’est là qu’elle
rencontre son premier amour Gaétan puis Gano, le père de ses enfants qu’elle suit sur les terres qu’il
cultive à Jabrun Baie-Mahault. Nous sommes en 1946-47. Elle quitte Jabrun à deux reprises puis

470
Bangou Henri, Mémoires du présent, Témoignages sur une société créole de l’après-guerre à nos jours, Editions Jasor, 1992, pages
9 à 59.
471
Mavounzy Marcel Serge, Cinquante années de musique et de culture en Guadeloupe, 1928-1978, Présence Africaine, 2002, page
15.
472
Rencontre musicale chantée et dansée aux tambours. Elle peut se tenir de jour comme de nuit.
473
Il s’agit de Ponture Laurenza et de Hatchi Augustine les seules identifiées des quatre femmes. L’identité de Toussine est incertaine.
474
Mavounzy Marcel Serge, Cinquante années de musique et de culture en Guadeloupe, 1928-1978, Présence Africaine, 2002, page
140.
475
Lockel Gérard, Gwo-ka modèn, Production ADGKM, 2012, pages 17-28

162
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

revient y vivre définitivement avec son futur mari Dino Gabin dit Sonòr476. Pour Man-Soso, le facteur
de migration est d’abord social puis sentimental.
C’est aussi le facteur sentimental qui explique aussi la migration de la commune de naissance
Saint-Louis à la commune de référence Grand-Bourg pour Chabin Ferriée dite Dòdòz. Elle naît à St
Louis en 1934 et grandit dans le secteur de Grelin. Adulte elle se marie en janvier 1962 avec Georges
Urie originaire et résidant de la commune de Grand-Bourg. Elle s’y installe où elle donne naissance à
cinq enfants entre 1959 et 1969. Lorsqu’en 1984 le mariage est dissous, elle regagne sa commune
natale où elle refait sa vie477. Cette migration sentimentale est aussi une migration de proximité. Elle
s’effectue entre communes voisines comme pour Coco Nicolas dit Cholo. Il naît à Ste Anne en 1918
de deux parents Saintannais. C’est dans la commune voisine, Le Gosier qu’il se marie le 29 janvier
1944 à Solvar Elia478 . Cette ville devient sa commune de référence pour le gwoka. Le couple habite à
Beaumanoir Gosier. De même, Ponture Laurenza quitte la commune de Baie-Mahault pour vivre dans
des quartiers populaires de Pointe-à-Pitre notamment à la rue la Reine et à Dino (futur quartier de
Lauricisque). Toutefois, durant les années 1940 alors que son fils est encore enfant, elle travaille à
Baie-Mahault comme femme de ménage pour la famille Blandin479. Cette commune de Baie-Mahault
accueille Dino Gabin dit Sonòr né dans la commune du Gosier dont la mère Zélie Dino travaille sur
l’habitation Jabrun. C’est là qu’il rencontre Solange Athanaïse Bach qu’il prend pour épouse en
1984480. Et la commune de Baie-Mahault devient celle de Guy Conquet né à Pointe-à-Pitre. Sa mère
Bach Athanaïse adopte la commune de Baie-Mahault alors qu’il est encore enfant.
La migration peut s’effectuer entre deux îles éloignées. Deux Marie-Galantais ont une commune de
référence éloignée de leur commune de naissance. Il s’agit de Canfrin Aloïs dit Lolo et Ignol Edouard
dit Kafé. Le premier est né en 1899 dans le secteur de Bontemps Rameaux de la commune de
Capesterre Marie-Galante. Il est cité par Gérard Lockel, Bach Athanaïse, Guy Conquet et, plus tard
par Frantz Succab481 comme dansè du léwòz482 vivant dans la commune de Baie-Mahault. Son acte de
naissance porte la mention : « Décédé aux Abymes le 5 décembre 1977483 ». Le lieu du décès signifie
que le défunt s’est éteint dans un établissement hospitalier situé sur le territoire de cette ville. Ignol
Edouard dit Kafé décédé en octobre 2017 à l’âge de 75 ans484 prend naissance dans la commune de St
Louis Marie-Galante. Il quitte Marie-Galante à l’âge de 12 ans avec sa mère pour vivre à Pointe-à-
Pitre485.
Les migrations s’effectuent en revanche entre deux communes plus ou moins éloignées pour
Kancel Tertulien Blanchino et Blancus Vincent. Le premier passe d’une île à l’autre. En effet, né aux
Abymes en 1925, commune de la Grande-Terre, c’est dans la commune du Lamentin dans le nord
Basse-Terre que Kancel Tertulien Blanchino passe la plus grande partie de sa vie. Il vit dans cette
commune depuis les années 1960 en tant qu’épicier et agriculteur. La distance est moins longue pour
Vincent Blancus car s’effectue dans une même région, le nord Basse-Terre. Il passe de la commune

476
Entretien qui nous est accordé de décembre 2012 à mars 2013.
477
Livret de famille présentée par l’intéressée le 8 juillet 2016
478
Mention portée à l’acte de naissance Coco Nicolas, n°255, Ste Anne, 1919.
479
Cette dame nous racontait spontanément sa vie durant l’année scolaire 1969-70.
480
Extrait du livret de famille des époux Dino/Bach
481
Journaliste et auteurs d’articles politiques en Guadeloupe durant les années 1970-90. Il rédige un article dans son journal Jakata
« Lolo Camphrin, un des derniers grands danseurs de gro-ka », Jakata, PG 1080, Archives Départementales.
482
Ici léwòz désigne le rassemblement musical nocturne.
483
Acte de naissance n°17, Capesterre Marie-Galante, 1899.
484
Avis d’obsèques radiodiffusées, Bèl Radio, 7 octobre 2017
485
Brochure Almanaka 2009.

163
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

limitrophe est, à une commune limitrophe du nord ouest. En effet il naît en 1921 dans la commune de
Pointe-Noire et avec sa mère, il va vivre dans la commune du Lamentin puis à Sainte Rose à partir de
l’adolescence. Ste Rose devient sa commune de résidence définitive et par conséquent sa commune de
référence pour la pratique du gwoka.
Vivant sur un même territoire, et appartenant à 3 générations qui seraient au sein d’une même
famille, des grands-mères et grands- pères, des mères et pères, des enfants, ces personnes appartiennent
à un milieu précaire qui les marginalise. Leur pratique musicale participe à leur marginalisation ou à
leur reconnaissance en fonction de ceux qui les observent.

Figure 15 : Schéma cartographique des communes de naissance et de référence

Schéma cartographique des communes de naissance et de référence

164
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C- Entre marginalisation et reconnaissance

1- Une bande de vyé-nèg : désocialisation ou identité nègre ?

L’identification du vyé-nèg s’appuie sur le lexique du créole guadeloupéen. Dans cette langue, un
vyé soulyé est une chaussure hors d’usage et vieillie par l’âge mais elle peut signifier aussi une
chaussure qui sied mal et qui cause des douleurs plantaires. Dire aussi : An ni on vyé la-grip486 c’est
mettre en évidence le caractère atypique de cette pathologie, différente des grippes habituelles, plus
invalidante que d’autres grippes que l’intéressé aurait déjà contractées.
Les auteurs qui ont travaillé sur les problématiques de la couleur ont donné des éléments
d’identification du vyé-nèg. Jean-Pierre Sainton, historien et universitaire le place pour la Guadeloupe
de la fin du XIXè siècle, au dernier rang de la hiérarchie des désignations du nègre, en référence à des
préjugés sociaux négatifs. C’est « un nègre misérable, de peu de valeur, sans éducation487 »
Le nèg est un Noir. D’après Romain Cruise, c’est la désignation spécifique, pour la Caraïbe
francophone, des descendants des déportés mis en esclavage alors que dans les Antilles anglophones
ils sont appelés Black488. Ce groupe s’identifie à son aspect physique :

« Il faut peu d’imagination pour réaliser que les Africains définis comme ayant la peau foncée,
ayant généralement les lèvres plus épaisses, le nez plus large et les cheveux plus grossiers étaient
loin de la forme idéale. Sous la forme normative, les Africains étaient moins beaux que les
Européens… un beau visage, un beau corps, une belle nature, un beau caractère et une belle âme
sont inséparables. 489 »

Stéphanie Mulot, anthropologue et universitaire montre que l’identification du nègre par la couleur de
la peau noire est limitée parce que les chaben et les métis combinent à la fois le phénotype noir et le
phénotype blanc. Ils sont l’expression d’une « alliance des races490 » . Pour Jean-Pierre Sainton les
représentations sociales des individus sont combinées au phénotype. Cette combinaison aboutit à trois
« sociotypes identitaires… : nèg nwè, nègre métissé et franc-mulâtres491 » En associant la qualité de
vyé tel qu’il se conçoit en créole guadeloupéen et l’identification géographique, physique et sociale du
nègre tels que le proposent les auteurs précédemment cités, nous proposons d’identifier le vyé-nèg du
gwoka davantage comme la perception de celui-ci par l’autre qui le juge. Aux yeux de l’autre, le vyé
nèg se reconnaît à sa désocialisation.
Il mène une existence misérable.
Il a peu de valeur aux yeux de l’autre.
Son choix musical est dépassé, socialement invalidant, marginal au regard des autres pratiques
musicales.
Il appartient au groupe des nèg nwè, des chaben, des métis ou nègres métissés, des francs mulâtres.

486
Traduction française : J’ai une grippe sévère.
487
Jean-Pierre Sainton, Couleur et société en contexte post-esclavagiste…page 67.
488
Romain Cruise, Une géographie populaire de la Caraïbe…, page 172.
489
Anthony B. Pinn, What is American African religion ? Fortress Press, Minneapolis, 2011, page 6. L’auteur évoque le Philosophe
Cornel West comparant le corps grec comme le corps idéal et le corps noir.
490
Stéphanie Mulot, « Chabines et métisses dans l’univers antillais », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 27 | 2008.
491
Jean-Pierre Sainton, …pages 124-125.

165
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dans le groupe des Noirs, l’apparence physique n’est pas opérationnelle pour l’identification
du vyé nèg. Parmi nos acteurs, plusieurs d’entre eux sont chaben ou dit chaben. C’est le cas de Eulalie
Edward de la Désirade, Germain-Calixte Gaston de Port-Louis, Coco Nicolas dit Cholo de Ste Anne
et du Gosier, Christen Aigle de Sainte-Rose, Florelle Loïal de Ste Anne, Brudey Edouard et Aimé
Clémil de Terre de Bas, Francisque Hilaire de Bouillante. Pour d’autres, ni le phénotype noir, chaben
ou métis, ni le sociotype ne fonctionnent. Ce sont des Indo-Guadeloupéens comme Janackdoulary
Judes dit Ti-Jid de la commune du Moule ou Max Félix Rambhojan de Baie-Mahault ou encore un
blan-péyi comme le dit François492 demeurant au Moule et répondè de Robert Loyson. Leur choix
pourrait s’expliquer par une marginalisation volontaire ou par suivisme si leur réponse à la question
explicitement posée ne se rejoignaient. Pour l’un, ses origines multiples participent de son libre choix.
Le gwoka est pour lui non seulement un héritage familial et un patrimoine local mais il n’est pas
incompatible avec les cérémonies indiennes de la Guadeloupe. Pour l’autre, le cercle d’amis pratiquant
le gwoka et dont il faisait partie niait les barrières raciales :
« Mon choix du gwoka vient du fait que ma mère est métisse. Mon père est un Kongo. Il jouait
du violon. Il a chanté avec Robert Loyson, avec Germain-Calixte. Il donnait des sérénades493 de
violon le soir ou le dimanche matin. Le gwoka m’a pénétré par là. Je suis le seul de ma famille
à faire du gwoka…Moi je suis un guadeloupéen. Ce qui se fait en Guadeloupe m’intéresse même
si on m’appelle partout où je vais « zendyen ». J’ai des choses au fond de moi. Dans la musique
indienne, je sais ce que je fais. Je peux dire de même pour le léwòz… Les zendyen sont entrés
en Guadeloupe dans un contexte de division entre les nègres et les zendyen par la faute des
Blancs ; d’où la haine entre les deux … Je fais les deux. Je suis prêtre indien494 et je joue du
tanbou.495 »
« An sé on zendyen. Granpapa an mwen sété Janackdoulary Jouanès. I fèt a Sen-Franswa. I
téré an simityè a zendyen an 1946. Mé adan moun ki té ka joué avè Robè, sans an-nou pa té
konsa. Dan-lè- komansman, Robè té ka chanté véyé. Pa té ni zafè a nèg ni zendyen. Té ni on
blan Matignon ki té ka vin fè répondè. Non a-y sété Fanswa496. »

Le terme de vyé nèg est explicitement prononcé au sein des familles et dans les milieux
populaires. Yvon Anzala le dit à propos de sa famille hostile aux acteurs du gwoka :

« Gran frè an-mwen sòti larmé, i pa té vlé an té ay an véyé… Fanmiy an mwen pa té vlé an té
alé. Pas sété koté a vyé-nèg. Ou sav té ni léwòz, té ni véyé. Adan léwòz-la sé boug-la té ka goumé,
tout sé biten-lasa. Sé boug la té ka joué grenndé a-yo. Lè yonn té gannyé lòt… yo té ka goumé.
Yo té ni razwa a-yo497…

492
Pour le moment, l’individu n’est pas identifié.
493
Chant collectif interprété par un homme accompagné de ses amis à l’intention d’une fille convoitée.
494
Cette fonction est attestée par Man Soso en 2012 qui fréquente en tant que marchande de friandises les cérémonies en musique que
l’intéressé organise et qui se désigne probablement par natron. Man Soso les désigne par « léwòz a zendyen ».
495
Témoignage de Max Rambhojan, Collecte de Lameca, 2005.
496
Je suis un indien. Mon grand-père s’appelait Janackdoulary Joanès. Il est né à Saint-François. Il est enterré au cimetière des indiens
depuis 1946. Parmi les gens qui ont joué avec Robert Loyson, notre sens n’était pas comme cela. Au début Robert chantait la véyé. Il
n’y avait pas d’affaire de nègres et d’indiens. Il y avait un blanc Matignon qui venait faire lé-répondè (choriste). Son nom était François.
Témoignage de Janackdoulary Judes, juin 2016, Le Moule.
497
Mon frère rentrait de son service militaire. Il ne voulait pas que je fréquente les véyé…Ma famille ne voulait pas que j’y aille. Parce
que c’était l’univers des vyé-nèg. Vous savez, il y avait des léwòz, il y avait des véyé. Lors des léwòz les gars se livraient à des bagarres,
à toutes ces choses. Les gars jouaient aux dés. Quand l’un l’emportait sur l’autre, ils se bagarraient… Témoignage de Yvon Anzala, août
2016, Le Moule.

166
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Il en est de même pour Antoine Sopta ou Artèm Boisbant. Mais Guy Conquet explique son
choix du gwoka afin de changer cette image de vyé-nèg dans le gwoka :
« Ki ou pran mizik kiben an ka chanté-y, ki ou pran la mizik ahisyen, an ka chanté-y…An rantré
an gwoka pou té sòti adan zafè a vyé-nèg la498
Dans les milieux populaires, le vyé-nèg s’identifie davantage à ses pratiques désocialisantes :
incivilités intempestives, alcoolisme, jeux de hasard, errance…. Il peut avoir une vie sociale par sa
profession ou sa famille ou ses autres relations mais ses pratiques nuisent à son intégration sociale.
Dans les milieux intellectuels, le terme n’est pas explicite mais l’image et le jugement ne sont
pas moins présents. Il se lit par déduction. Sa marginalisation dans la poésie antillaise est dénoncée
par l’écrivain Martiniquais Etienne Léro dans la revue Légitime Défense en 1932 :
« Il est profondément inexact de parler d’une poésie antillaise. Le gros de la population des Antilles ne lit pas,
n’écrit pas et ne parle pas le français… Là-bas le poète (ou le « barde » comme ils disent), se recrute, en fait
exclusivement dans la classe qui a le privilège du bien-être et de l’instruction. (Et s’il fallait chercher la poésie là
où on la contraint à se réfugier, c’est dans le créole qu’il faudrait puiser qui n’est point un langage écrit, c’est dans
les chants d’amour, de tristesse et de révolte des travailleurs499 ».
L’auteur reconnaît que ceux qui pratiquent les chants de travail sont porteurs de l’identité nègre.
Ce sont eux les vyé-nèg, des travailleurs illétrès exprimant en chansons leurs sentiments. Le regard de
l’auteur est bienveillant voire reconnaissant pour la ressource poétique qu’ils constituent. Et, de ce
premier mouvement intellectuel des étudiants noirs naît celui de la Négritude avec cette fois des
étudiants noirs de toute la diaspora : Caraïbes, Etats-Unis, Afrique. Durant la même période, le poème
Cahier d’un retour au Pays natal en 1939 valorise les noirs exécutant des chants, des danses et des
musiques au tanbou. Ces vyé-nèg chantè, dansè, tanbouyé non nommés sont ceux en lesquels le poète
Aimé Césaire se reconnaît :
« Et à moi mes danses
Mes danses de mauvais nègre
A moi mes danses…500
En revanche, la position de la Revue guadeloupéenne est ambigüe concernant les musiques aux
tanbou et par déduction ceux qui les pratiquent. Cette revue fondée sous l’impulsion du gouverneur
Bertaud en 1944, devient sur une cinquantaine de pages environ, la tribune d'une élite noire
guadeloupéenne. La Revue Guadeloupéenne rééditée le 28 janvier 1949, se constitue en association
déclarée en préfecture le 8 février de la même année. Elle met fin à ses activités en 1962. La Revue
décrit les musiques au tanbou comme une pratique décalée par rapport à une norme établie. Les vyé
nèg sont ceux qui entravent l’assimilation et le métissage musical que recommande l’article :
« L'Afrique vibre encore en nous Guadeloupéens. Elle vibre dans notre gros tambour et notre triangle,
pourquoi le nier ?... Mais puisque nous sommes des assimilés, pouvons-nous l'être politiquement tandis
que moralement, culturellement nous ne vibrerions qu'à l'unisson de nos frères noirs ? Ce serait faire
injure à une culture que l'on ne nous offre pas avec parcimonie. Ce serait faire injure à l'opiniatreté de
nos aieux et à un grand nombre de nos contemporains, opiniatreté dont la résultante a été de faire de nous
des citoyens de la métropole. Nous devons boire à la coupe de la polyphonie des Maîtres occidentaux
pour nous faire un intérieur d'occidental... L'assimilation intellectuelle ne signifie pas l'oubli. Il est sacré
de revivre à travers les millénaires comme il est sensé de suivre l'évolution des idées et des mœurs. Les
Basques, les Bretons ne sont-ils pas Français en même temps qu'ils sont Basques et Bretons ? Pourquoi

498
Qu’il s’agisse de musique cubaine, qu’il s’agisse de musique haïtienne, je chante… J’ai choisi le gwoka afin de sortir de cette affaire
de vieux nègre. Témoignage de Guy Conquet, 12 août 2008, Jabrun Baie-Mahault (collecte personnelle)
499
Etienne Léro, Misère d’une poésie, Légitime Défense, 1932, page 10, BNF Gallica.
500
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine,1971, page 153.

167
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ne serions-nous pas à la fois Français et Africains ? Etre à la fois Nègre et Blanc, c'est sur cette note que
je veux résumer notre position musicale. Etre Blanc volontairement : aimer, pratiquer, vivre la sévère
musique des grands Maîtres donc parachever notre mimétisme, notre assimilation s'il faut employer le
terme à la mode501 ».
Félix Thorin est le signataire de cet article. Il jouit d'une grande considération au sein de la
Revue Guadeloupéenne. Ses collaborateurs le présentent comme l'intellectuel complet et le critique
musical de référence. Il est le porte parole de la revue dans ce domaine. Par ses propos, la revue prône
l’assimilation musicale pour le praticien du gwoka. Cette assimilation musicale est un devoir en
remerciement à l’assimilation politique établie par la loi du 19 mars 1946, trois ans auparavant. Elle
doit se traduire par la fusion de la musique africaine et de la musique européenne. La musique n’est
plus que musique. Elle doit traduire une identité culturelle composite délibérément choisie.
Parallèlement, l’article en question et d’autres articles sur la musique ont pour signature un
tanbouyé en action. Le message de ce dessin semble dire que le gwoka est la musique identitaire du
groupe des Noirs de condition modeste et semble prendre celle-ci en considération par cette signature.
L’image de l’acteur du gwoka varie selon les besoins.

501
Revue Guadeloupéenne, Réflexions sur la musique, 5 juillet-Août 1949.

168
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 16 : Coupure de presse, dessin d’un tanbouyé, Revue Guadeloupéenne, 1944-1962

Dessin conclusif des articles sur la musique, Revue Guadeloupéenne, 1944-1962.

169
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le premier espace de célébrité du praticien du gwoka est la formation musicale informelle. Le


terme orchestre n’est pas employé. Il est sous-entendu dans l’expression : An té ka joué èvè… ou bien
I té ka joué èvè502 … Ces orchestres informels sont composés initialement de chantè, de répondè, de
tanbouyé. C’est la base de l’orchestre. Les dansè viennent s’y ajouter en fonction de la forme du gwoka
considérée.
Il arrive qu’un dansè devienne une figure attitrée d’un ensemble musical. Max Rambhojan cite
Sergo pour l’ensemble musical des léwòz de Jabrun (Baie-Mahault)503 de même que Stéphanie
Plocoste et ses autres camarades femmes sont les dansè des Ma- a-Sen Jan504. Au sein des orchestres,
chacun occupe un rôle unique ou pluriel en interaction avec d’autres rôles. Ces orchestres sont marqués
d’une grande variété du point de vue du nombre de membres qui s’élève de 2 à 5.
Le duo de tanbouyé comprend parfois deux parents ou deux amis comme Marcel Lollia, ami et
cousin de Artèm Boisbant505 ou les frères Cusset de Saint-Louis Marie-Galante506. En dehors des rôles
attendus, ces orchestres comprennent parfois d’autres instrumentistes comme l’accordéon. Cet
instrument est familier des milieux populaires. François Jernidier dit Kawno fait partie d’un ensemble
musical pour un léwòz à Jabrun Baie-Mahault dans les années 1950. Au sein de la formation, il est
tanbouyé-makè, François Hyzirin dit Bagi est au tanbou-boula, Marcel Méril à l’accordéon, Athanaïse
Bach dite Man-Soso et Dino Gabin dit Sonor assurent le chant507. Lé-répondè ne sont pas nommés.
Pourtant le chant gwoka s’interprète de manière responsoriale. Alors nous nous permettons de supposer
que les membres de tous les orchestres cités assurent lé-répondè comme un rôle incontournable.
C’est pour le léwòz que les formations musicales sont décrites avec le plus de précisions et sont
les plus variées. Elles sont parfois exclusivement masculines comme des léwòz organisés au cours des
années 1930 dans les campagnes de Ste Anne, Gosier et Saint François qui rassemblent trois hommes :
Octavien Vilus au tanbou-makè, Eugène Jacob au tanbou-boula, Louis-Victor dit Napoléon Magloire
au chant508. A la même période, deux cousins Augustin Bernis et Georges Martial, tous deux
originaires de la commune du Gosier se produisent ensemble au cours des léwòz509. Des femmes se
produisent aussi ensemble et constituent à elles seules une formation musicale comme durant les
années 1935-36 ; Marie-Antoinette Bernis dite Achoun et Bernis Victorine sa sœur toutes les deux au
tanbou accompagnées au chant par Camélia Jeanne (probablement)510.
Pour la véyé, les membres des orchestres sont plus nombreux. Ainsi, vers les années 1950,
Robert Loyson (1928-1989) s’entoure de nombreux lé-répondè et boula511 comme Tagliamento,
Sanbin, Fernand Pomègue, Arsono Borilla, Acesse Mercédès, Henri Renaison, Abel Gabriel, Camélien
Fulcon, Evariste Malherby, René Rameau, Orel Pinston, Serge Lennox, Janackdoulary Judes dit Ti
Jid. Parfois, Omer Benin, un joueur de syak l’accompagne512. A ses débuts, Sergius Geoffroy (1944-

502
Je jouais (faisais de la musique) avec… Il ou elle jouait (faisait de la musique) avec…
503
Collecte de Lameca, 2005.
504
Jacqueline Birman-Seytor, Mas a Sen Jan…, 2012.
505
Artèm Boisbant ou Brabant, collecte Lameca, 2005, Morne-à-l’Eau.
506
Marcel Cusset, collecte personnelle, août 2015.
507
Témoignage de Carnot dans « Alors ma chère, moi…, 1986.
508
Louis-Victor Magloire dit Napoléon, Brochure Almanaka, 2004.
509
Témoignage de Serge Nègre, Almanaka 2009.
510
Témoignage de Louis Victor Magloire dit Napoléon Magloire dans Almanaka 2008.
511
Dans ce contexte, les hommes qui font le boula c’est-à-dire les onomatopées en voix de gorge appelées banjogita ou boulagèl ou
boula.
512
Janackdoulary Judes, collecte personnelle, juin 2016.

170
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1992), trouve des membres de sa famille pour l’accompagner comme son oncle paternel Nelson
Geoffroy, son père Evariste Geoffroy et d’autres connaissances comme Esména Perran.
Les ensembles musicaux de bèlè se constituent spontanément sur les lieux du travail. Ils sont
nombreux car ils rassemblent l’ensemble des travailleurs. Et, pour le travail du manioc les grajé-
manniok réunissent les travailleurs qui râpent le tubercule au rythme des chansons513 de même pour la
cueillette des cerises du café514.
A la différence des orchestres de bals de la ville, l’orchestre gwoka ne porte pas de nom avant le milieu
des années 1960. Il est constitué de personnes qui jouent ensemble de la musique au moyen d’un
instrument. Dans le cas du gwoka, les deux principaux instruments quand ce ne sont pas les seuls sont
le tanbou, instrument artisanal et la voix, instrument naturel. La particularité de l’orchestre gwoka est
le dansè. L’essentiel est que l’ensemble des membres de l’orchestre s’exécute en interaction.
Le vocabulaire de l’orchestre varie selon les témoins comme par exemple pour désigner les
tanbouyé : boula, tanbou- boula / tanbou woulè, makè, tanbou-makè. L’instrument et son praticien
portent le même nom :
« Tannis té ja ka boula byen515… » (Jernidier François dit Kawno.)
« Mwen an té tanbou-makè, frè an mwen té tanbou woulè 516 » (Cusset Marcel dit Serge)
De même l’exécution du tanbou se dit : jouer, battre ou cogner :
An pa to-o ka kongné gwoka-la… Alò an mandé-y ki moun ki ka joué517… (Jernidier François dit
Kawno)
« Arthème Boisbant était batteur de gros-tambou » (Marcel Mavounzy)
Faire partie d’un orchestre gwoka est une marque de prestige. Désormais, dans leur milieu, ces
personnes sont connues par leur métier et par la pratique du gwoka. Le prestige pour le tanbouyé vient
aussi du fait qu’il joue d’un instrument. Ceux qui savent en jouer bénéficient d’une grande
considération. Celle-ci s’exprime autant dans les quadrilles que dans le gwoka.
Les instruments des pauvres sont l’accordéon, la guitare, le tanbou di bas, le syak ou wacha, le
tanbou. Les premiers sont davantage dans les quadrilles mais ces genres musicaux étant exercées par
les mêmes personnes, leurs instruments se rencontrent. C’est ainsi que des tanbouyé gwoka
commencent par jouer des quadrilles avant poursuivre par le gwoka sans pour autant abandonner les
quadrilles. D’autres pratiquent au départ les deux. D’autres encore abandonnent l’un au profit de
l’autre. Les genres musicaux sont interchangeables.
Les pratiquants font preuve d’ingéniosité et créent des instruments inédits à partir de matériaux
de récupération518. Des objets sont transformés ou recyclés pour devenir des instruments de fortune.
Ainsi, le peigne dont les dents sont entourées d’un papier fin devient harmonica. Le pot à guigoz rempli
de graines devient maracas. La bouteille vide dans laquelle soufflent ceux qui en ont la dextérité se fait
flûte ; ou celle sur laquelle se frappent les mesures à l’aide d’un objet en métal, se fait petite percussion.
Le corps se fait percussion par les battements de mains. Parfois, l’instrument relève d’une pure

513
Dominique Cyrille, O pli bèl son… 2012,
514
Témoignage de Médélice Baptista, Collecte Lameca, 2005.
515
Tannis jouait bien
516
Moi j’étais le tanbouyé-makè et mon frère le tanbouyé-woulè (autrement dit le tanbouyé-boula)
517
Je ne jouais pas encore le tambour…Alors je lui ai demandé qui jouait.
518
Témoignage de Moco Lucien dit Nadir et de Cafournet Jean-Paul, juillet-août 2015 collecte personnelle.

171
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

invention comme ce fragment de sommier métallique rehaussé de capsules qui devient un instrument
percussif à sonnailles519
Faire partie de l’orchestre gwoka favorise ainsi l’intégration sociale. Le pratiquant devient
autre. Il gagne en considération. Il embrasse donc des fonctions valorisantes qui compensent la
modestie de sa condition sociale. Sa considération s’enrichit. Au plan social, le yonn a lòt520, cette
valeur de solidarité et de responsabilité partagée par la communauté se manifeste dans l’orchestre du
gwoka. L’exemple des chantè-véyé le montre bien. Pour chanter, il faut plusieurs groupes en
interaction :
Celui qui lance le chant par exemple :
Kach kach byen ma bal, Volan la ka volé i kay jou Dominik521
Ceux qui répondent, lé-répondè et batteur de mains :
Kach kach byen mabal
Celui qui lance l’appel au banjogita522 :
Ayayayaye, ban mwen on bèl banjo, an di-w yonn, dé…523
Les chantè qui répondent à cet appel :
Houmbo…
Il faut au moins 3 groupes, en dehors de celui qui lance le chant de type banjogita généralement chanté
lors des véyé.
Par ailleurs, plusieurs onomatopées se superposent et des chanteurs solistes se relaient sur 3 à 4
couplets :
Chantè 1
Volan la ka volé i ni on sèl fé aryè
Répondè : Kach kach byen ma-bal
Nwaré ka fè chyen i ka fè volan
Répondè : Kach kach byen ma-bal
Douvan pòt a Nwaré tini on banbou léjé
Répondè : Kach kach byen ma-bal524
Chantè 2
Asi bambou-la tini on mòso tòl
Répondè : Kach kach byen ma-bal
Asi mòso tòl-la tini twa mo laten …
Répondè : Kach kach byen ma-bal 525…

Se produire au sein d’un orchestre répond aussi à un enjeu économique. Les activités gwoka
constituent des ressources d’appoint pour compléter les modestes revenus. Si la véyé est un lieu où
l’animation est intégralement offerte, il n’en est pas de même pour le léwòz.
Profitant de la paie des ouvriers, ces léwòz sont organisés. Dans l’espace de convivialité se
vendent des repas et des boissons. Péyé la gout ou an-nou dékolé sont les termes consacrés au partage
d’une boisson entre amis. A chacun son tour de payer. Les jeux aussi sont une source pour les

519
Témoignage de Cafournet Jean-Paul et de Lucien Moco Nadir concernant un dénommé Hibè-Poul à Grand-Bourg Marie-Galante à
la fin des années 1960/1970.
520
L’un à l’autre (la solidarité mutuelle)
521
Cache cache bien ma balle, Le soukounyan vole, il va à la Dominique
522
Onomatopées en voix grave de gorge
523
Aie, donnez-moi un banjo (ou banjogita), j’ai dit 1,2,3
524
Le soukounyan vole, il n’a qu’un feu arrière/ Noiret se transforme en chien, il se transforme en volant / Devant la porte de Noiret il
y a un bambou léger/
525
Sur le bambou il y a un morceau de tôle/ Sur le morceau de tôle il y a trois mots latins.

172
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

organisateurs : jeux de dés, de loto ou de dominos. Des municipalités sollicitent des orchestres pour
l’animation des fêtes de communes moyennant cachet. Devant les bars, le tanbou bat son plein. Là
aussi, le but est le gain. C’est l’occasion d’arrondir les fins de mois. Chacun sait se saisir des moindres
opportunités.
Les participants aux manifestations gwoka, à travers l’orchestre qu’ils constituent, occupent
des rôles qui leur confèrent une spécialité gratifiante pour des personnes de condition modeste. Ils sont
désormais proclamés tanbouyé, dansè, chantè principalement. Il faut y ajouter les chachayè, les bouakè
qui constituent souvent un second rôle.
Plus qu’un simple rôle, avoir les compétences pour participer à une manifestation gwoka devient un
grade interne à la communauté. Les acteurs du gwoka se sentent autrement utiles et le gwoka les
valorise. Ce sont des personnes connues et sollicitées pour les évènements familiaux. Ils constituent
des ressources humaines qur lesquelles on peut compter.

2- Des vayan ou majò : entre compétition et émulation


Le vaillant est celui qui a la capacité à endurer et le major est le premier de la compétition.
Celle-ci se joue entre les acteurs mais il ne suffit pas de dépasser l’autre. La compétition établit entre
deux adversaires la course à l’expertise. Il convient de déployer les efforts pour l’atteindre. Car
l’héritage des aînés doit se perpétuer au mieux. L’émulation est aussi l’une des logiques majeures du
gwoka. Il s’agit de se surpasser à chaque prestation afin de justifier de son titre de tanbouyé, chantè,
dansè, chachayè, bouakè et autres…
Celui qui détient un titre cherche à exceller. Le gwoka ne se pratiquant pas seul, l’émulation
s’accompagne d’une compétition entre les praticiens d’une même fonction. Le chant, la danse, la
musique mais aussi les jeux au cours du mayolè ou de la véyé sont autant d’espaces de compétition.
L’exercice du gwoka devient un jeu complexe d’acteurs où l’interaction provoque des relations
contradictoires.
Deux exemples sont significatifs de cette complexité :
- Durant la véyé, les hommes s’adonnent à la lutte qui s’exprime différemment en fonction des
compétiteurs et des lieux. Elle oppose deux partenaires. Elle est décrite, selon nos témoins,
pour les régions du Gosier, de Marie-Galante, de la Désirade, de St François, du Moule. Elle
prend plusieurs formes, celle du corps à corps où il s’agit de renverser le partenaire et le clouer
au sol. La position la plus adoptée par les lutteurs est, le face à face accroupi, les bras reliés
vers l’adversaire et prêts à le saisir. Le lexique employé pour cette lutte traduit l’épreuve de la
force. C’est le sové vayan526. Le terme peut s’entendre comme l’acte qui consiste à sauvegarder
un titre : le vayan. A la véyé, il s’apparente à de la danse. C’est une mise en scène du corps,
une gestuelle précise.
- Cette forme de prise au corps à corps existe en dehors de la véyé. Là, ceux qui la pratiquent la
désignent par le terme classique de « lutte ». Ce n’est plus de la danse.
« Nou té ka lité »527
Certains l’emploient aussi dans le cadre de la véyé. Les chansons qui les accompagnent
traduisent l’idée de combat :

526
Traduction probable : littéralement le vaillant sauvé (autrement dit celui qui réussit à sauver son titre)
527
Nous engagions la lutte

173
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« Baré, baré moun la baré528 »


Le terme baré signifie attraper. Baré quelqu’un c’est le capturer pour éviter ses méfaits. L’analyse
même de la structure du texte renseigne sur le rapport de force entre les parties. En effet, la répétition
du terme a un rôle incitatif. Des voix réunies incitent les hommes à s’empoigner. Et le vainqueur est
le vayan529. Il doit maintenir son titre. Ces luttes civiles ou pratiquées dans le cadre d’un culte funéraire
comme la véyé ont leur résonance dans les régions indiquées.
D’autres chansons encore expriment la compétition et le défi lancé à l’autre :
« Viré-w pou-w goumé » 530
Cette compétition autour de la force humaine n’est pas propre à la Guadeloupe. En Martinique,
la chorégraphe Clara Desportes a recueilli le témoignage des danseurs-lutteurs nées entre 1911 et
1930531 . Le titre consacré en Martinique est le danmyé. Il rappelle par le geste guerrier en plusieurs
points le sové vayan des véyé en Guadeloupe. Cette lutte se fait aux tambours avec des bâtons parfois.
Le qualificatif attribué au plus fort et régulièrement vainqueur est tout aussi significatif. C’est
le majò532 :
« Un homme qui affronte, qui n’a pas peur. Il a un caractère spécial, Il a le sens aigu de
l’observation. Il exerce son autorité sur la-wonn. Il maîtrise les éléments pour être majò533 ».
Le vayan est donc le plus fort. En Guadeloupe, il est aussi appelé majò. En Guadeloupe comme
en Martinique, des rumeurs circulent sur sa force physique et mentale. On dit que le coup de pied du
majò peut être mortel, que le coup de poing l’est autant. En Guadeloupe, des anecdotes rendent compte
des exploits mortels du vayan. Certains sont fiers d’être reconnus comme vayan : Magloire Louis -
Victor dit Napoléon, Marcel Cusset, Eulalie Edward, Simone Jacques, Contaret Tirolien … C’est dire
le prix accordé à ce titre dans l’univers du gwoka.
Par ailleurs, l’expertise s’évalue à des compétences esthétiques. En effet, au cours des manifestations,
les félicitations font partie du jeu :
Byen dansè s’écrie le chantè lorsque la prestation du danseur ou de la danseuse lui satisfait.
Byen chantè s’écrie lé-répondè à la fin du chant félicitant ainsi le lead qu’ils ont soutenu au cours du
chant.
Byen joué. C’est l’exclamation du chantè à l’attention de ses répondè ou à l’attention des tanbouyé.
Parfois, c’est au cours de la chanson que le chantè donne ses félicitations au répondè :
Bravo lé répondè
Zò ka réponn a la rèpriz534.
Ou encore, les caractéristiques du bon chantè se traduisent par, chanté an santiman ou encore
an lokans. Marie-Céline Lafontaine définit la lokans et la rèpriz comme les principes fondamentaux
de l’interprétation des chants. Elle définit la rèpriz par le rythme et la lokans par « beau chanter »535 .
Pourtant si la lokans et le santiman ne concernent que le chant, la rèpriz est une exigence esthétique
pour les trois expressions ce qui complexifie le sens. Le terme est aussi employé dans l’exécution des

528
Retenez les gens, retenez-les
529
Traduction : vaillant
530
Reviens te battre (ne t’enfuis pas !)
531
Film Clara et les majors, Documentaire de Guy Deslauriers écrit par Patrick Chamoiseau, 2014.
532
Le premier, le plus fort.
533
Définition indiquée dans le film Clara et les majors, Documentaire de Guy Deslauriers écrit par Patrick Chamoiseau, 2014.
534
Traduction des phrases d’encouragement : Bien danseur, Bien chanteur, Bon jeu, Bravo les répondeurs (le chœur), vous répondez
à la reprise (comme attendu)
535 Marie-Céline Lafontaine, Le chant du peuple guadeloupéen ou plus c’est pareil, plus c’est différent, Cahiers d’études africaines,

1997, 148, pages 907-942.

174
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

quadrilles. Une définition plus large et plus significative des trois expressions artistiques du gwoka est
proposée par Dominique Cyrille, ethnologue ayant travaillé à la conservation et au développement des
musiques traditionnelles en Guadeloupe :
La rèpriz s’exprime dans le corps, dans le rythme et dans la spiritualité de la musique. Elle exprime la profondeur
du sens des musiques et danses traditionnelles536
En observant les dansè, les chantè et les tanbouyé, nous constatons que la rèpriz se matérialise
par un arrêt avant le passage à un autre cycle de pas pour la danse ou à un autre cycle de phrasés
musicaux sur le tanbou, avant de reprendre le chant. C’est à la fois l’arrêt et la reprise du chant, de la
danse, du makè tandis que les tanbouyé-boula maintiennent la base rythmique. Pour eux, pas de rèpriz !
Gino Sitson, musicologue pratiquant le gwoka et effectuant des séjours réguliers en Guadeloupe
a choisi de faire de la lokans et du santiman du chant gwoka, les objets d’étude pour sa thèse de
musicologie. Il étudie les données physiologiques de ces esthétiques afin d’en proposer une définition.
L’esthétique du santiman est comparée à celle d’autres chants afin d’en saisir le sens. Il en conclut que
le santiman est une intention d’émotion apportée dans la composition et l’interprétation. Le santiman
est une esthétique du sens, de l’intention, de ce qui surgit de l’intérieur.
« C’est avant tout une forme d’harmonie interprétative qui tient compte de la symbolique, du rythme, du
style, et de l’histoire racontée par la chanson 537 ».
Pour le santiman, le musicologue a choisi comme laboratoires d’étude les familles Geoffroy et
Boisdur qui sont cousins et spécialiste du chant de véyé. La lokans qui pourrait faire penser par la
traduction française à l’éloquence est en réalité un savoir-faire transmis. Il se manifeste par la capacité
d’improvisation du texte et de la mélodie. Notre rencontre avec l’auteur en 2014 fut l’occasion de lui
proposer notre définition de la lokans :
« La lokans est la capacité à moduler la voix du point de la hauteur, de l’intensité, de moduler la vitesse
du rythme, d’introduire de courts break (arrêts) dans l’interprétation, d’improviser à souhait. La lokans
est personnelle. C’est vraiment sur ce terrain que le chanteur est attendu. »538
Pour le musicologue, c’est avant tout la capacité d’improvisation qui donne la lokans. Cette
capacité est soumise à des acquis qui constituent une banque de données accumulées et dans lequel le
chantè va puiser à souhait. Cette capacité du chantè est observée par Gino Sitson lors des véyé. Gérard
Lockel que cite Gino Sitson le confirme539 Mais le bèlè est aussi l’occasion de sortir ses acquis et la
capacité à agencer les mots, les phrases et les histoires qui contribuent aussi à créer la lokans.
Il n’y a pas de titres précis pour valoriser ceux qui ont la maîtrise de la lokans et du santiman
dans le chant gwoka. Ils obtiennent la renommée au sein de la communauté et en cas de besoin ils sont
sollicités et recommandés. Napoléon Magloire se plaît à dire :
« A disèt tan, an té ja on vèdèt, yo té ka vin chèché-mwen »540 .
Ainsi, nous regroupons les acteurs du gwoka par catégories en fonction des données disponibles
à leur égard. Celles-ci traduisent leur degré d’implication ou l’intensité de la reconnaissance à leur
égard. Mais tous, sur la période reçoivent des yeux de l’autre à la fois mépris et bienveillance. Ils sont
tous membres d’une communauté unie par le besoin.

536
Dominique Cyrille, A la rèpriz, une étude des quadrilles de Guadeloupe, Nestor, 2009, pages 9 et 136.
537
Pierre Sitchet, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le gwoka, genre musical guadeloupéen : le santiman et la lokans
page 223. Le nom d’artiste et d’usage de Pierre Sitchet est Gino Sitson.
538
Pierre Sitchet, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le gwoka, genre musical guadeloupéen : le santiman et la lokans
page 250.
539
Pierre Sitchet… page 249.
540
A 17 ans, j’étais une vedette, on venait me chercher (j’étais très sollicité). Témoignage de Louis-Victor Magloire dit Napoléon,
Bulletin Léwòz, n° 3, 2006

175
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE V :

UNE COMMUNAUTÉ DE PARTAGE : LES « ZANFAN-LANKO »

A- Un cadre géographique et humain

1- La Guadeloupe des couleurs : des paysages et des hommes

La géographie des îles de la Guadeloupe est étudiée pour la période de 1926 à 1931 grâce à la
présentation historique, géographique et économique de la Guadeloupe rédigée en 1926 par l’Agence
générale des colonies. Cet organisme procède au dépôt légal de cette présentation en 1931.
D’après les données fournies par cette agence, Marie-Galante, les îles des Saintes et la Désirade
sont des « dépendances » de la Guadeloupe. La première, avec une superficie de 14932 hectares est la
plus étendue. Située au sud -est de la Basse-Terre, elle est à six lieues de Pointe-à-Pitre avec laquelle
elle est en relation constante par un bateau postal pour un service régulier. La culture du coton est en
recul et la canne à sucre en est la principale activité. Les sucres sont transportées par goélettes. Elles
aussi favorisent les relations entre Marie-Galante et la ville de Pointe-à-Pitre. La Désirade, île-
commune est située à 11 km de la Pointe des Châteaux, presqu’île qui termine la commune de St
François et la Grande-Terre. Elle vit de la culture du coton, de la production de chaux, du petit bétail
et de la pêche. Ces activités favorisent les relations avec le reste de la Guadeloupe. Mais par la
léproserie installée depuis le XVIIIè siècle, l’île reçoit les malades de la Guadeloupe et des colonies
voisines. Par ailleurs, un bateau -poste assure deux fois par semaine la liaison entre la Désirade et la
Grande-Terre par la commune de St François.
Les Saintes constituent un petit archipel car se composent de plusieurs îlots dont les deux
habités sont séparées par un canal de 5km. Ils forment deux communes distinctes. En 1931, les cultures
principales de Terre de Bas sont le coton, le café, le cacao, le raisin et la canne à sucre. Par ailleurs,
aux Saintes, des bois d’une excellente qualité servent à construire les bateaux et le bois d’Inde fournit
une huile précieuse. Mais l’activité principale de ce petit archipel est la pêche. Là aussi les liaisons
maritimes avec Pointe-à-Pitre et avec la Basse-Terre sont assurées par voiliers ou par bateau postal,
une à deux fois par semaine. Toutefois, en dépit de toutes ces activités, la période des années 1930-
60 est celle où la Guadeloupe participe à la grandeur de la France au plan économique. Les deux
productions qui en profitent sont le sucre et le rhum qui deviennent les images représentatives d’une
fausse prospérité. Il s’en suit la construction d’une « identité sucrière locale541 »
Le phénotype dominant de la population des îles de la Guadeloupe découpent aussi le territoire.
En effet, la Guadeloupe majoritairement noire est formée de la Grande-Terre, La Basse-Terre, Marie-
Galante, Terre de Bas, La Désirade. La Guadeloupe majoritairement blanche comprend Saint-
Barthelemy et Terre-de-Haut.

541
Touchelay Marie-Christine, La Guadeloupe, une île-entreprise, des années 1930 aux années 1960. Les entrepreneurs, le territoire,
l’Etat, Thèse de doctorat d’histoire, Université Paris 13è, 2017 (dir. Danièle Fraboulet), pages 133-147.

176
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais, sur le plan anthropologique, Terre-de-Haut est distincte de la Désirade. En effet, la


pratique raciale au sein de la société à Terre-de-Haut fut légère durant la période de l’esclavage. Car
le groupe des Blancs n’a pas eu à s’entourer de barrières lui permettant de s’isoler du groupe des Noirs
en trop faible nombre. Ce fut le contraire à la Désirade où la domination blanche s’est exercée sur des
travailleurs esclaves dans les champs de coton au même titre que les travailleurs esclaves du sucre dans
le reste de la Guadeloupe542. Au plan des activités, ces îles proches de la Guadeloupe renvoient à deux
images : l’une tournée vers la mer, Terre de Haut alors que la Désirade, le reste de la Guadeloupe et
Terre de Bas sont tournées vers l’exploitation de la terre. Ce rapport au territoire participe aussi au
découpage régional de ce territoire archipélagique.
Au plan de la géographie physique, la Guadeloupe est un archipel mais, du point de vue de la
géographie humaine, c’est un territoire constitué de plusieurs régions discontinues. En 1931, l’archipel
de Guadeloupe comprend 8 régions dont la population est inégale. Les deux principales abritent
conjointement 230.597 habitants. Vient ensuite Marie-Galante située au sud de la Basse-Terre. Sa
population est de 25.433 habitants. Saint-Martin et St Barthelemy séparés de la Guadeloupe par
plusieurs pays de la Caraïbe, viennent au 3è et 4è rang des régions de la Guadeloupe pour le nombre
d’habitants. Leur population respective est de 5377 et 2354 habitants. Les régions les moins peuplées
sont, d’une part les Saintes au sud avec 1942 habitants et d’autre part La Désirade au nord- est, laquelle
est rattachée à Petite Terre. Cette région compte 1704 habitants543.
Trente ans plus tard, en 1961, dans l’étude démographique de Guy Lasserre commentée par un
spécialiste de la démographie, Claude Lévy, se distinguent sept régions en Guadeloupe en fonction des
paysages, des activités agricoles et de la densité de population :
« Sept régions sont ainsi définies : la zone vide du massif montagneux boisé de la Guadeloupe volcanique, la côte
au vent de la Guadeloupe proprement dite avec 148 habitants au km2, la côte sous le vent dont la densité est de
131 habitants au km2, la région bananière atteignant 301 habitants au km2, les plaines et plateaux sucriers de
Grande-Terre et de Marie-Galante avec 103 habitants au km2, les petites dépendances sèches dont la densité varie
de 71 à 100 habitants544 ».
L’échantillon d’acteurs du gwoka que nous avons recensés pour la période des années 1930 à
1960 reflète les données démographiques des îles de la Guadeloupe. En effet, le nombre de personnes
pour lesquelles le lieu de naissance est connu, se répartit en fonction de la taille démographique de
chacune des îles. Le classement qui en résulte est le suivant : 27 pour la Grande-Terre, 21 pour la
Guadeloupe proprement dite13 pour Marie-Galante, 2 pour Terre de Bas, 1 pour la Désirade, 0 pour
Terre-de-Haut.

542
Jean-Luc Bonniol, Matériaux généalogiques pour l’histoire des populations, Autour de la ligne de couleur en monde créole,
Revue écologie, Vol 7, n°1, Laboratoire d’Ecologie Humaine et d’Anthropologie, Aix-en-Provence, France, 1989.
543
Population de la Guadeloupe en 1931, Journal de la société des américanistes, 1933, 25-2, pages 382
544
Claude Lévy, Peuplement et Population de la Guadeloupe, Population, année 1963, 18-1, pages 137-141

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 17 : Carte de naissance des acteurs du gwoka (1931-1969)545

545La carte prend en compte uniquement les acteurs pour lesquels le lieu de naissance est connu (information de témoins ou
documents d’Etat-civil)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ces activités agricoles déterminent des espaces qui participent à la construction des identités
paysagères régionales de la Guadeloupe. Les crises construisent aussi ces identités. Les décennies 1930
et 1940 correspondent au temps des crises de l’industrie sucrière à la Guadeloupe. A la catastrophe
humaine et économique provoquée par le cyclone de 1928 s’ajoutent les difficultés financières des
producteurs de sucre. Les usines sont touchées par la faillite ou par l’endettement. La crise touche
aussi les petits distillateurs qui doivent faire face à l’endettement ou à la concurrence du rhum d’usine.
L’essor de la banane est le résultat de la politique de relance économique dans le cadre de la recherche
de solutions à la crise. Elle se développe principalement dans le sud de la Basse-Terre. Dans cette
région, les destructions des caféières et cacaoyères ou les graves dommages qu’elles ont subies par le
cyclone de 1928, obligent leurs propriétaires à se reconvertir en producteurs de bananes destinées à
l’exportation546.
Mais, dès 1946, l’économie sucrière retrouve une croissance considérable sur environ 20 ans
que Christian Schnakenbourg désigne par les « Vingt glorieuses ». Ainsi, en 1950, la carte agricole de
la Guadeloupe comprend deux grandes régions économiques. La principale comprend les 13 usines
réparties sur la Grande-Terre, Basse-Terre et Marie-Galante et leur domaine foncier547 . Les usines
marquent le paysage et induisent un autre découpage régional. En effet, au regard de l’activité sucrière,
la Guadeloupe est composée de deux grandes régions, celle des régions sucrières : Grande-Terre, Côte-
au-vent de la Guadeloupe proprement dite, Marie-Galante. Les régions non sucrières sont les autres
îles et la Côte-sous-le-vent de la Guadeloupe proprement dite. A la fin des années 1950, en dépit des
difficultés, la culture du café se maintient dans les campagnes de Baillif, Bouillante, Vieux-Habitants,
Pointe-Noire de la Côte-sous le Vent de même que dans les régions bananières du sud de la Basse-
Terre548.

Ainsi, à partir des années 1930, les activités se diversifient dans la continuité des grands travaux
publics des années 1920 et la reconstruction suite au cyclone de 1928, sans mettre en péril l’activité
sucrière locale. Au contraire, celle-ci connaît une reprise considérable. Elle profite des difficultés de
l’activité betteravière de la métropole. La productivité s’améliore. De nouvelles espèces d’une richesse
saccharine plus élevée sont introduites non seulement dans les plantations de l’usine mais aussi dans
les exploitations des petits planteurs encouragés ou obligés à le faire. La mécanisation s’introduit sur
les exploitations par l’usage des premiers tracteurs. Par ailleurs, les sociétés sucrières consacrent une
partie de leur activité à la banane.
Ainsi l’augmentation du rendement moyen s’accélère. Les usines augmentent aussi leur
capacité de broyage par rapport au début du siècle. Durant les Vingt glorieuses, l’usine est un acteur
clé de l’économie quoique la départementalisation favorise le développement des activités
commerciales et de services. Mais l’économie est dominée par l’activité sucrière qui occupe la part
majeure de la richesse produite dans le département. Entre 1950 et 1965, le sucre demeure le premier

546
Christian Schnackenbourg, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe, Fluctuations et dépendance, 1884-1946, L’Harmattan,
pages 157- 169.
547
Christian Schnackenbourg, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe aux XIXè et XXè siècles, 1946-1965, L’Harmattan,
pages 12-13

548
Lafleur, Gérard (2006), La culture du café en Guadeloupe, de son introduction à sa quasidisparition. Bulletin de la Société
d'Histoire de la Guadeloupe, (145), 59–120.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

produit exporté avec augmentation régulière du volume exporté. Le rhum est toujours en revanche
devancé par la banane et sa part diminue avec des fluctuations dans le volume des exportations.
Canne à sucre et banane constituent les paysages typiques de la Guadeloupe. Chacune de ces
deux cultures est associée à l’une des deux plus grandes îles de la Guadeloupe. A la Grande-Terre, la
canne à sucre et à la Basse-Terre, la banane même si la culture de la canne à sucre est aussi présente.
Les régions acquièrent chacune une identité paysagère.
Toutefois, en matière d’emploi, si les données trop incertaines entravent les calculs ne laissant
place qu’aux estimations, ces dernières montrent la domination économique de la production sucrière.
En effet, dans les grandes régions sucrières comme le nord et l’est de la Grande-Terre de même qu’à
Marie-Galante, l’activité sucrière ne laisse quasiment pas de place à aucune autre activité. En Basse-
Terre, elle est aussi présente mais elle partage l’activité avec la banane et quelques autres cultures pour
le moins marginales.
Ainsi la Guadeloupe de cette période est un territoire agricole majoritairement sucrier. La majorité
de nos acteurs travaille dans le secteur agricole. Nous en avons recensé 44 sur les 81 personnes sur
lesquelles se concentre l’étude. Toutefois, si ces travailleurs sont majoritaires, ils ne sont pas les seuls
à pratiquer le gwoka. En réalité, le gwoka de la période 1931-1969 est en réalité une pratique plus
rurale que cannière. En dépit des activités, cette pratique est le fait d’une communauté à la fois une et
diverse.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 18 : Carte des usines de la Guadeloupe durant les années 1950, Christian
Schnakenbourg

Carte des usines de la Guadeloupe durant les années 1950549

549
Christian Schnackenbourgs, Histoire de l’industrie sucrièreen Guadeloupe aux XIXè et XXè siècles, Les « Vingt glorieuses » de la
sucrerie guadeloupéenne (1946-1965), L’Harmattan, 2015, page 13

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Des « zanfan-lanklo » : un portrait général et des singularités du gwoka

L’enclos signifie un lieu fermé, sécurisé même. Le terme est employé pour désigner une
catégorie d’individus. En créole guadeloupéen, le terme d’enclos a le même sens. Les gens qui
l’occupent ont un profil qui reflète l’enclos. Nous les désignons par zanfan-lanklo afin d’épouser une
formule émanant de la parole populaire comme expression juste d’une réalité et d’une représentation
d’affect. Pour ces « enfants de l’enclos » pratiquant le gwoka, la description du portrait est possible.
Car, à partir du XXè siècle, des gens de tout bord s’intéressent et prennent part à la pratique du gwoka
sous des formes multiples. Ils rejoignent ainsi l’univers des zanfan-lanklo sans répondre pour autant à
cette caractéristique, au plan social. Pour eux, vu le caractère écclectique du groupe tant du point de
vue social, qu’ethnique et du point de vue de la diversité de leurs rôles, le terme de « lyannaj »
emprunté à l’anthropologue Denetem Touam Bona convient bien mieux550 . Nous y reviendrons mais
nous pouvons déjà dire que si ces nouveaux arrivants du « lyannaj » animés par d’autres enjeux
participent, par des formes innovantes à la pratique du gwoka, les enfants de l’enclos, eux, pratiquent
les formes typiques par lesquelles ils sont identifiés.
En effet, les « zanfan-lanklo » sont au coeur des manifestations gwoka et occupent des rôles
centraux. Sans eux, pas de gwoka ! Ils sont, de ce point de vue, des nonm et des fanm-dansè, tanbouyé,
chantè, lé-répondè, chachayè, kònè de même que des nonm et des fanm a lasistans551. L’identification
des enfants de l’enclos les concerne exclusivement. Ce sont les plus anciens acteurs du gwoka.
Le terme « enfant de l’enclos » par lequel nous les désignons est un faux ami. Il ne concerne
nullement des enfants du point de vue de l’âge. Ce sont autant des enfants que des adultes. Cette
désignation que nous avons retenue pour désigner le groupe en question se traduirait plutôt par
originaires ou ressortissants d’un lieu qui rassemble des gens qui se ressemblent en de nombreux points
tout en tant différents.
La première fois que cette expression nous est parvenue, elle venait d’une octogénaire de la
Guadeloupe, évoluant dans notre environnement familial. Elle désignait par « enfant de l’enclos », des
gens qui se connaissaient et qui entretenaient des relations régulières de toutes sortes. C’était une
communauté d’amitié et de partage. Le terme lui venait à la bouche systématiquement lorsque des gens
de même condition contractaient mariage ou vivaient en union libre. Pour elle, l’enfant de l’enclos
puisait ses besoins dans l’enclos c’est-à-dire à l’intérieur de la communauté. Ce besoin allait jusqu’au
partenaire. L’expression employée par cette octogénaire semblait être connue de tout son entourage
familial et du voisinage. Personne ne s’étonnait de la formule. Et même lorsqu’elle l’employait en
dehors, de son environnement proche, ses interlocuteurs savaient de qui et de quoi elle parlait. Il faut
croire qu’elle avait gardé en mémoire cette formule qui appartenait à tout un ensemble. Ce n’était pas
le produit de son imaginaire. L’enfant de l’enclos répondait à une réalité sociale et culturelle.

550
Dénetem Touam Bona, Les métamorphoses du marronnage, Lignes 2005/1, n°16, pages 36_40 Mis en ligne sur
Cairn.info le 01/02/2014

551 Ces acteurs sont des danseurs et des danseuses, des tanbouyés hommes et femmes, des chanteurs et des chanteuses, des répondeurs

et des répondeuses (chœur), des chachayeurs (ou joueurs de calebasses) hommes et femmes, des soufflants de conques à lambi
notamment pour annoncer la tenue des véyé. L’assistance désigne le public participant composé d’hommes et de femmes.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

On eut dit une petite société emboîtée dans une autre, plus étendue. Cette dernière, reconnue
de tous, semblait se composer de petits groupes d’enfants de l’enclos entre lesquels se nouaient
d’intimes relations. Mais les enfants de l’enclos pouvaient aussi être inconnus les uns des autres même
en partageant les mêmes modes et les mêmes conditions de vie. Jamais ce terme n’était employé pour
des privilégiés. Les notables étaient épargnés de cette dénomination. Cette appropriation par un groupe
défini construisait la conscience de l’enclos. C’était donc le lieu des pauvres qui n’avaient d’autre
choix que de se rapprocher, même dans l’anonymat. Ils ne pouvaient que compter les uns sur les autres
dans une entraide sociale et économique permanente. C’était une condition de survie.
Un enfant de l’enclos n’était jamais très éloigné d’un autre même lorsqu’il fallait parcourir
plusieurs kilomètres par des moyens rudimentaires pour secourir son semblable. Ni le temps, ni la
distance ne séparaient les enfants de l’enclos. La géographie de l’enclos n’avait pour limite que le
social et la culture. L’enclos était indéfini pourvu que ceux qui le composaient fussent semblables dans
le travail, dans l’alimentation, dans les loisirs, les croyances… Celles qui déterminaient le choix du
prénom exprimaient à la fois une identité catholique et une culture en marge du catholicisme. En effet,
le choix du prénom se faisait à partir du calendrier chrétien. Des acteurs de notre échantillon se
prénomment Ferriée comme Chabin Ferriée dite Dòdòz552 parce que le mot figurant à l’Almanach est
attribué à un prénom par la famille. D’autres se prénomment St Eloi comme Judor St Eloi553 .Ce
prénom figure à l’Almanach le jour de la fête du saint patron des métallurgistes554 devenu patron des
ouvriers d’usine. Parfois, c’est le prénom officiel qui vient de l’almanach. Sur deux d’entre eux,
consultés figure au 2 mai le prénom officiel de Bach Athanaïse dite Man Soso. Le prénom lui a été
attribué avec une légère altération.
Le prénom usuel connu uniquement des proches, le non-savann555 vient parfois aussi du
calendrier. Napoléon, martyr au IVè siècle mais surtout empereur sous le 1er et le second Empire en
France est fêté selon le calendrier catholique le 15 août. C’est le non-savann de Magloire Louis-Victor.
Le choix réfléchi du prénom en fonction de celui des saints catholiques montre l’importance de la
sécurité divine dans la famille. Celle-ci cherche à protéger l’enfant en lui attribuant le prénom de son
saint de naissance ou encore le nom d’une figure du catholicisme. Le nom de Marie mère de Jésus et
de Jean, apôtres de Jésus donne des multitudes de prénom composés comme Marie-Louise pour Rose-
Aimé Massembo556 et Bernis Marie-Antoinette pour Achoun557. Le souci de protection crée aussi le
prénom secret dit non-kaché que seul connaît la famille nucléaire. Le non-kaché n’est pas inscrit sur
les registres de naissance. Il en résulte de la part de cette communauté une mise à distance du dogme
imposé pour vivre, à sa manière, la religion catholique dont il fait sienne en toute liberté. Les pratiques
de la communauté autour du prénom, dans une logique de protection répondent déjà au marronnage
spirituel.

Mais, en dépit des pratiques communes, les enfants de l’enclos étaient susceptibles de
s’opposer, d’entrer en concurrence les uns avec les autres. Entre les enfants de l’enclos régnait parfois
la loi de la jungle. Médisance, violence physique, violence verbale animaient les relations. C’est à qui
l’emporterait sur l’autre. Toutefois, les enfants de l’enclos avaient tout intérêt à se serrer les uns contre

552
Extrait du livret de famille
553
Témoignage de juillet 2015
554
Clartes, Autour de la Saint-Eloi, 1er décembre 1963.
555
Traduction française, le nom de savane autrement dit le prénom usuel non déclaré.
556
Témoignage de sa fille Jacqueline, janvier 2019.
557
Acte de naissance n° 161, Le Gosier, 16 décembre 1890.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

les autres face à ceux qui les comprenaient peu et les présentaient comme des êtres de contre nature.
Mais on ne peut ignorer la couleur des gens de l’enclos. Ce serait omettre de souligner une des
caractéristiques par laquelle l’enfant de l’enclos se reconnaissait une descendance commune ! Elle se
révèle physiquement par la couleur de la peau et la texture du cheveu. Parfois ce sont leurs propres
frères et sœurs de descendance qui voudraient leur faire perdre leurs habitudes, jugées, comme
archaïques. Ils étaient perçus, de la sorte, par ceux qui avaient socialement émergé et se désolidarisaient
des pratiques de l’enclos. En ce sens, ils étaient classés au dernier rang de ce groupe dont seule la
descendance désormais assurait l’unité. Enfin, l’enfant de l’enclos était nommé comme tel par un
membre de l’enclos qui savait de quel enclos il parlait. Survivre, vivre et revivre, telles étaient les
garanties de la perennité de l’enclos et de ses enfants.
En définitive, les zanfan-lanklo constituent une communauté de culture dont les membres, dans le
cadre de cette étude se découvrent, à travers des courtes biographies et par des chiffres. Nous désignons
chacun de ces membres par « personne » tant qu’elle est présentée en « civil » c’est-à-dire par son
identité classique comprenant son âge, son lieu de naissance, son origine ethnique. Dans le cadre de la
pratique du gwoka, ces personnes deviennent acteurs et actrices. Nous les désignons comme tels.
Nous les avons prélevés des 6 îles proches de la Guadeloupe à savoir Grande-Terre,
Guadeloupe proprement dite, Marie-Galante, Terre de Bas, Terre de Haut, Désirade. La présentation
de ces acteurs est parfois anecdotique afin de transcrire leurs émotions et respecter leur humanité même
s’ils sont des objets d’étude. Des récits les décrivent. Des photographies les montrent. La littérature,
l’histoire, la géographie et les statistiques se rencontrent pour faire leur connaissance.

L’enfant de l’enclos pratiquant le gwoka est une femme ou un homme. Elle ou il reçoit à
domicile surtout pour celles et ceux qui sont aujourd’hui en retrait de toute activité. C’est ainsi que
leur univers se découvre et par là même leur personnalité. Nous les présentons dans un ordre
chronologique des plus âgés aux plus jeunes. Les premieres sont nés entre 1910 et 1920 et les derniers
qui sont ou qui pourraient être les enfants des premiers, sont de la décennie 1940.
La plus âgée des personnes que nous rencontrons est Athanaïse Bach dite Man-Soso (1918-
558
2017) . Elle est chanteuse, danseuse et organisatrice de léwòz. C’est une femme de teint noir avec
des cheveux crépus et de grande taille. Elle réside à Jabrun Baie-Mahault. Ce secteur ne fait plus partie
de la campagne profonde de la commune. C’est une zone périurbaine prolongeant le secteur de Jarry
autrement dit la zone économique la plus active de la Guadeloupe. La maison est divisée en plusieurs
logements qui abritent ses proches. Dans l’arrière-cour du fond se tient un vaste jardin fruitier qui se
prolonge à l’ouest par un autre, vivrier cette fois. Lorsque la santé de Man-Soso lui permettait encore
de cultiver cette parcelle, elle y récoltait chataîgnes et ignames. Une autre cour latérale avec manguiers
et surettiers est délimitée par la route qui mène à la zone d’activités du secteur de Convenance.
La résidence de Man-Soso est là. Elle résiste à la rénovation urbaine. Elle préserve sa ruralité.
Mais la cuisine, dernière pièce ajoutée à la maison avec le concours de son mari Sonor et de son frère
Charles, traduit la modernité de notre témoin. L’agencement est rudimentaire. Mais les appareils
ménagers sont ceux d’une cuisine moderne : four à micro-ondes, réfrigérateur, cuisinière. Elle n’hésite
pas non plus à utiliser le mixer de sa petite-fille pour la fabrication des jus de fruits. Plus question de
presser à la main ou au presse-purée et de filtrer au passe-thé ! A ses dires, cette époque est dépassée.

558
Entretiens des mois de décembre 2011 à mars 2013, Jabrun, Baie-Mahault.

184
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pourtant elle ne conçoit pas d’être correctement vêtue sans son « mouchoir559 » madras nouant
élégamment son crâne. Elle a une mémoire intacte quant à sa vie de femme et de praticienne du léwòz.
Elle se prête volontiers aux interviews se déplaçant même jusqu’à l’antenne de radio. Elle garde un
esprit jeune, ouvert, prêt à affronter ses interlocuteurs.
Il est vrai qu’elle est entourée de personnes de tous âges, ceux de sa génération comme ceux
de ses petites filles sur qui elle compte fortement depuis la disparition de son époux Dino Gabin dit
Sonor, joueur de syak560, chantè et lé-répondè en 2010 et de ses deux enfants respectivement en 2009
et 2012. Lorsque des animations au tanbou sont organisés chez elle, le plus souvent à sa demande, elle
ne peut s’empêcher de danser assise sur sa chaise roulante qui la soulage des déplacements devenus
trop lents.
Les travaux des champs et le gwoka l’ont rapprochée de Kawno alias Jernidier François (1919-
561
1998) , son cadet. Elle l’appelait Lé Ka. D’autres personnes de leur entourage l’appelaient aussi Cha-
cha. Ce tanbouyé se faisait aussi parfois chantè et dansè d’un mouvement posé mais expressif. Il n’avait
pas de style vestimentaire particulier en dehors d’une casquette qui ne le quittait pas. Ses photos de
musicien le montrent au-devant de la scène au cours des léwòz chez Man Soso562.
Là, il est détendu, observant les performances de ses compagnons. Cigarette à la bouche, les
mains dans les poches, c’est en connaisseur qu’il observe et décrypte. Il n’hésite pas non plus à faire
lé- répondè en « petit comité ». Des photos témoignent d’autres genres musicaux qu’il explore avec
des musiciens différents. Son réseau musical est le même tant pour les léwòz de Man Soso que pour les
bals aux quadrilles. On y reconnaît les mêmes personnes. Assis sur son tambour, il se dévoile en
performeur enlevant sa chaussure de plastique, le mika563 des pauvres pour poser son talon sur la peau
de l’instrument, afin de rendre le son convoité, tandis que sa concentration se mesure à l’intensité de
son regard perdu, droit, cherchant à transcender le monde réel. Il est élégant et, pour les quadrilles,
caressant le tambour de basse564 d’une main, il prend un air séducteur face au photographe, les yeux
masqués par des lunettes noires, fier de sa performance. Ce qui fait son originalité c’est la peau de son
tanbou sur laquelle il place une ligne en métal retenue par des épingles. A l’arrière du tanbou, il place
une jarre probablement comme amplificateur de son. Il est mort avec ce secret qu’il n’a livré à personne.
Il fut peu interrogé, il est vrai sur cette technique.
Ce tanbou qu’il garde jalousement est fabriqué à partir d’un tonneau. Pour lui, c’était une
marque de qualité. Il se réclame des « anciens » de qui il tient son jeu. Pour lui, le léwòz est avant tout
une manifestation rurale et un lieu où des experts s’expriment ; des gens qui savent jouer les musiques
du léwòz, qui savent chanter, qui savent danser. Il y a des régions réputées pour cela.
Il ne croit pas si bien dire parce que Capesterre Belle-Eau autrefois appelée Capesterre
Guadeloupe fait partie de ces régions fertiles pour le gwoka. C’est dans cette commune qu’est née
Marie-Louise alias Rose-Aimée Massembo (1925- 2014)565 .Elle habite à la campagne dans un des

559
Carré de tissu madras de 0, 90 m noué sur la tête en guise de coiffe.
560
Instrument artisanal de bois généralement de bambou constitué de stries et se jouant par frottage d’une baguette sur les stries. C’est
une sorte de le râcleur.
561
Entretiens accordés à l’ethnologue Marie-Céline Lafontaine en 1984 pour l’ouvrage Alors ma chère, moi…, Editions Caribéennes,
Paris, 1986.
562
Photos illustratives de l’ouvrage Alors ma chère, moi…, Editions Caribéennes, Paris, 1986, planches 3 à9
563
Chaussures de plastique appelées aujourd’hui méduses
564
Tambour large et plat des orchestres de quadrilles
565
Collecte personnelle de 1995 (Rose-Aimée Massembo), de novembre 2018 et février 2019 (Jacqueline Massembo), Capesterre
Belle-Eau.

185
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premiers lotissements ruraux de la commune. Mais c’est principalement dans la maison où elle a été
élevée qu’elle reçoit, entourée de ses filles Vania, Jacqueline, Franciane, Francelène, Sulyane et sa
petite cousine Marie-France. Cette dernière est la fille de Violette Donineaux dite Massembo (1929-
2002), cousine de Rose-Aimée. Elle est très impliquée dans la pratique du Grap a Kongo. Marie-France
en assume fièrement le relais.
A Cambrefort Moravie, sur la même propriété, toute la famille se retrouve. Les enfants passent
d’une maison à l’autre. Les constructions familiales se poursuivent. Les maisons se rénovent. Rose-
Aimée est la doyenne de la famille. La taille la plus grande lui revient aussi. Quand elle se lève, elle
domine tout le monde comme pour rappeler son rôle de patriarche maintenant que ceux qui lui ont
légué le déroulement de la cérémonie et les chansons sont décédés. La véyé et les funérailles de Rose-
Aimée se sont déroulées en musique gwoka avec des chansons de véyé, du léwòz et du Grap a kongo
comme elle a vécu.
Mais la commune de Capesterre Guadeloupe a aussi vu naître Gérard Lockel566 en 1928.
Toutefois, le guitariste a peu de lien avec cette commune car c’est à Baie-Mahault, dans le bourg qu’il
habite. Sa maison fait face à la mairie de la commune où il s’est installé depuis son retour de Paris. De
dos, elle s’ouvre sur une autre rue. C’est là l’entrée. C’est là qu’il accueille, assis dans sa cuisine. De
là on aperçoit le grand escalier qui mène à ses ateliers de musique. Là où il a vu passer tant de gens,
ceux qui venaient chez lui pour entendre et comprendre le gwoka modèn, sa création.
Ses humeurs passées et son grand âge ont fait le vide autour de lui. Il ouvre la conversation
par les nouvelles de la semaine, celles qu’il a entendues à la radio, celles qui concernent la musique en
particulier, des faits qui lui ont plu, des faits qui le dérangent. Il reste un grand passionné de musique.
De temps en temps, il reprend sa guitare. Il a vu passer le temps du gwoka de l’habitation à Petit-Canal,
à Paris pour des musiques de bals et du Jazz et au gwoka modèn après son retour en Guadeloupe en
1969. En gardien des codes et de l’authenticité, il explique, il développe. Il en a encore à raconter dans
des livres et dans des albums qu’il est encore prêt à éditer.
Lui, il est connu comme un grand innovateur du gwoka mais Dòdoz alias Chabin Fériée
567
Olivier née en 1934 n’a rien inventé. Elle est juste une femme de très petite taille mais combien
active dans la danse. Elle est née en 1934 dans la commune où elle habite aujourd’hui, St Louis Marie-
Galante. Sa modeste maison en dur est située juste en face de celle de ses voisins qui eux ont choisi
une réhabilitation plus luxueuse. Elle se dit fière d’être revenue dans sa commune de naissance après
plusieurs années passées à Grand-Bourg de 1962 à 1984.
Autour de sa résidence elle cultive des plantes médicinales pour son usage personnel. Plantées
tout autour de la véranda non couverte à l’entrée de la maison, c’est l’entretien de ses plantes qui retient
l’attention. Dòdòz en offre à ses visiteurs et en explique bien l’usage. Il est très rare de la surprendre
au repos. Les travaux ménagers occupent son temps après avoir passé la journée au jardin. Elle élève
des cochons, elle plante des patates. Elle a cessé ses activités professionnelles depuis quelques années
mais la balayeuse des rues a gardé l’habitude du balai de fines branches appelé « balé-zo568 ». Elle
s’entretient avec ses visiteurs tout en chassant à l’aide de ce balai miracle la poussière qu’elle imagine
sur ce sol propre. Elle poursuit ses loisirs de danseuse au sein d’une troupe de quadrilles et d’un groupe
de carnaval. Elle souhaite une véyé et des funérailles au gwoka.

566
Collecte personnelle, août 2009 et entretiens téléphoniques, octobre 2017 à janvier 2018, Baie-Mahault.
567
Collecte personnelle, août 2015, St Louis Marie-Galante.
568
Balai artisanal réalisé à partir de branchages effeuillés.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ces personnes ont transmis le gwoka à ceux de la génération suivante. Ainsi, Guy
569
Conquet ( 1946-2012) a hérité de Man-Soso et de Kawno. Jabrun est son univers. Quelque soit le
quartier où il réside à Paris, c’est cet univers qu’il tente de retracer dans la maison qu’il occupe. Ses
amies de Paris, Manuela Vicente et Catherine Humblot, se rappellent les plats qu’il préparait sur les
réchauds à charbon. Elle se souviennent aussi des séances de tanbou qu’il donnait après les repas
invitant les voisins de Paris à partager ce moment de musique.
Jabrun c’est la grande maison réalisée à partir de plusieurs cases de travailleurs. Jabrun c’est
chez Man-Soso, sa mère mais c’est aussi chez lui. La chambre qu’il occupe quand il est de passage en
Guadeloupe est décorée de tous les cadeaux qu’il reçoit de ses fans : un tableau, un fût décoré, des
livres, son chapelet… L’ameublement est sobre ; juste un lit pour le musicien de passage. Et, à Paris,
la chambre qu’il occupe au 4 Passages des abbesses dans le 18è demeure encore, quelques mois après
son décès, intacte. Elle renferme tous ses souvenirs et l’ensemble des documents de son travail d’artiste
professionnel : les contrats, les affiches, les tenues de scène, le lecteur CD, les enregistrements des
concerts, le sac en cuir à longue bandoulière qu’il emportait régulièrement. Le chapeau qu’il a porté
durant les dernières années de sa vie est accroché sur le porte-manteau de même que son long manteau
d’hiver.
Guy Conquet connaissait bien Georges Troupé qui est né la même année que lui. Ils ont beaucoup
échangé autour de la musique. Georges a repris une de ses chansons bien connue du répertoire du léwòz
Youyou avec son orchestre de gwoka moderne, Kimbòl. Car, Georges Troupé570 (1941-2009) était un
trompettiste et directeur artistique d’atelier de musique. Grand, mince, un large sourire accueillant, il
donnait d’amples réponses à toutes les questions posées. Il ne manquait jamais de dire le temps et le
labeur qu’il avait fallu déployer pour défricher la propriété familiale afin d’y construire son lieu de vie
et de création artistique. Toutefois, il a su préserver un espace pour les arbres fruitiers : cajou, avocat,
quenette, coco, amandes, calebasse… Des plantes médicinales complètent la convivialité du lieu.
L’aménagement éclaté est conforme aux activités de l’hôte et de sa famille. A chaque espace sa
fonction : une salle de cours de musique et de répétition à l’usage de son propre ensemble musical, une
aire de jeux à destination des jeunes élèves de l’atelier musical, un abri pour la pause et le goûter. C’est
dans la salle de musique qu’il recevait ; une vraie salle de classe avec tableau noir, chaises, instruments
de musique divers, partitions affichées au tableau, disques pour la formation par l’audition… Il donnait
son témoignage en créole ponctué d’expressions françaises. Le témoignage qu’il nous accorde est
simple. Il retrace son expérience dans le gwoka mais par-dessus tout dans la musique en général. Pour
lui le gwoka est avant tout musique et comme toute musique, elle est destinée à évoluer par ceux qui
ont les compétences pour le faire. En effet, il était très attaché à la formation musicale académique. Il
racontait avec fierté sa formation à Paris et le rôle que celle-ci jouait dans sa vie de musicien. Valette,
la section où il vivait se situe entre la ville et la campagne de Ste Anne. Toutes ses passions y sont
réunies : sa famille, la vie à la campagne qui lui rappelle son enfance et son atelier de musique.
La famille Troupé et la famille Séjor ont des liens de parenté. C’est dans le milieu familial que Georges
Troupé et Lukuber Séjor 571alias Séjor Hubert Luc né en 1948, se sont rencontrés. C’est un chanteur et
un animateur culturel. Sa famille et ses proches amis l’appellent Michel. Quand il n’est pas dans sa
résidence principale aux Abymes, il est à Lemesle Sainte-Anne où il passe l’essentiel de son temps.

569
Entretiens Lameca, août 2008/ Collecte personnelle août 2008.
570
Collecte personnelle, janvier 2009, Valette, Ste Anne
571 Collecte personnelle janvier 2016 et mars 2017/ Entretiens accordés à Maëva Augusty, étudiante en créolistique, option

anthropologie, Université des Antilles, 2016.

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C’est là, à la campagne qu’il se sent bien, là où il vit avec la nostalgie de la tradition qu’il s’applique à
perpétuer.
L’aménagement de la demeure de Lemesle en atteste, entre atelier et maison. Les seuls conforts
sont les incontournables WC et évier. L’aménagement d’un espace dédié à la cuisson réalisé avec pots
en fer blanc et prêt à recevoir les brindilles flambantes pour la préparation des repas, révèle son
attachement aux cuisines du temps de sa grand-mère. L’entrée de la maison est révélatrice de l’état
d’esprit du personnage. Une poupée noire de plastique dont les bras se terminent par des grandes
branches de charbon de bois lui sert de totem. Lui qui aime à se dire « soldat de la résistance culturelle »
met en œuvre ce rôle dans cette demeure de Lemesle où il passe ses journées à résister aux appels de
la mondialisation quand il n’est pas en animation dans diverses communes de la Guadeloupe autour de
très jeunes enfants principalement.
Ces personnalités ont conscience de la nécessité du faire ensemble dans l’univers des « zanfan-
lanklo ».

Figure 19: Photographies de quelques singularités du gwoka

Athanaïse Bach dite Man Soso (1918-2017), François Jernidier dit Kawno (1919-1998),
collection Daniel Losio, début années 2000. collection Colette Pentier, années 1980.

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Marie-Louise Massembo dite Rose Aimée Gérard Lockel né en 1928, collection Gérard
(1925-2014), collection personnelle, 1986. Lockel, années 1950

Chabin Ferrié Olivier dite Dòdoz née Guy Conquet (1946-2012), collection Guy Conquet,
en 1934, collection personnelle, 2016. années 1960.

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Georges Troupé (1946-2009), extrait Séjor Luc-Hubert dit Lukuber né en 1948, collection
feuillet cérémonie des funérailles du personnelle.
Musicien, juin 2009.

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B- D’une culture à une conscience communautaire

1- La précarité, une condition générale

Les conditions de vie précaire constituent le résultat d’un enchaînement de difficultés qui passe de
la brièveté ou l’absence de scolarité, au travail précoce.

Figure 20 : Une entrée précoce dans la vie active : quelques exemples

Nom et prénom/ durée de vie Age au premier emploi Fonctions occupées jusqu’à 14/
16 ans

Jernidier François 10 ans Gardien de bœufs, transporteur de


1919-1998 cannes en charrette572

Bach Solange 12 ans Employée dans la restauration,


1918-2017 ouvrière de la banane,
transporteuse de planches 573
Baptista Médélice Enfant (âge non précisé) Ramasseuse de cerises de café,
Née en 1921 cueilleuse de cerises de café574

Moco Désir 15 ans Ramasseur et mise en paquets de


1934-2019 cannes à sucre 575

Chabin Ferriée Olivier 9 ans Petits travaux du jardin,


576
Née en 1934 servante

Eulalie Edward 5 ans à 10 ans Ébéniste, petits travaux de marin577


Né en 1934

Enfant, Athanaïse Bach, future fanm-dansè-chantè et organisatrice de léwòz n’a pas été
scolarisée de même que Louis-Victor dit Napoléon futur chantè. Les deux expliquent ce déficit de
scolarité par des contraintes familiales. Athanaïse dite Man Soso a été élevée par sa tante, la sœur de
sa mère à qui cette dernière l’a confiée. Celle-ci ayant un peu plus de moyens passait aux yeux de la
famille comme la mieux placée pour éduquer un enfant d’autant qu’elle n’avait pas enfanté. Elle n’a
pas jugé utile de scolariser Athanaïse si bien que celle-ci n’avait pas de camarades. Elle jouait avec les
animaux du petit élevage de sa tante. De retour chez sa mère, sur décision de sa tante qui déménageait,
elle était déjà trop âgée, selon ses dires, pour être scolarisée. En fait cela signifie qu’elle était déjà en

572
Témoignage publié dans l’ouvrage Carnot par lui-même, Alors ma chère moi…, Editions Caribéennes, L’Harmattan, page 19-20
(version française).
573
Témoignage de décembre 2012 à mars 2013, Baie-Mahault, collecte personnelle.
574
Témoignage de 2005, Vieux-Habitants, collecte Lameca. L’âge est indiqué par le terme « enfant » au cours du témoignage.
575
Témoignage de Moco Lucien Nadir, août 2015, Grand-Bourg, collecte personnelle.
576
Témoignage de août et avril 2016, St Louis, collecte personnelle.
577
Témoignage avril 2015 (entretien téléphonique) et juillet 2018, La Désirade, collecte personnelle.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

âge de remplacer sa mère auprès de ses petits frères pendant que celle-ci se rendait au travail, dans les
champs de cannes à sucre où elle était amarreuse. Elle n’avait pas encore douze ans dit-elle.
A défaut de scolarité, L’Eglise catholique lui donne son unique instruction. En effet, pour les
parents, cette intruction était fondamentale dans la formation des enfants. L’Eglise jouait encore un
rôle important dans cette société pourtant laïque. Le curé était aussi respecté que l’instituteur. Il
recevait les enfants et les préparaient aux sacrements de l’enfance à savoir la première communion, la
profession de foi et la communion solennelle. Ces sacrements étaient considérés au sein des familles
comme des rites de passage. Athanaïse se rappelle les rites de la première communion comme le choix
d’une sœur de communion appelée masè pour les filles ou d’un frère de communion, le monfrè pour
les garçons de même que le chodo578 et gâteau fouetté comme pâtisserie favorite de ses sacrements.
L’instruction religieuse orale, ne lui a pas apporté les fondamentaux du savoir c’est-à-dire la
lecture et l’écriture. En revanche ses petits frères allaient à l’école payée, chez des métrès à koté579,
comme elle les appelait. Ce sont des personnes qui créaient, à leur domicile, des écoles pour les enfants
avant leur scolarisation à l’école officielle. On y apprenait la lecture, l’écriture et le calcul. Parfois,
elles ajoutaient à leur programme quelques fondamentaux de l’instruction religieuse comme les prières
du dogme catholique. Consciente du handicap causé par ce déficit de scolarité, elle cherche
l’émancipation à travers quelques fondamentaux pour les besoins du quotidien. Elle apprend à signer
son nom, sait compter et lire l’heure.
Louis-Victor Magloire vit la même histoire. Ses parents ne l’ont pas scolarisé. Sa tante qui l’a
recueilli au décès de sa mère pourrait le faire. Mais, dit-il, il était trop tard. En fait l’âge de la scolarité
obligatoire étant de 15 ans, s’il l’avait été, il ne lui resterait que 3 ans de formation scolaire à accomplir.
La scolarité aux yeux de ses parents devenait sur un temps aussi court, inutile. Lui aussi regrette cette
absence de scolarité.
Cette situation ne dépendait pas uniquement des conditions sociales des parents. En effet des
personnes de la génération de Athanaïse et de Louis-Victor ont fréquenté l’école jusqu’aux études
supérieures. C’est le cas d’Emmanuel Duro, lasistans des véyé. Enfant de la campagne, il fait des
études supérieures et devient ingénieur en bâtiment.
Scolariser ses enfants ou pas était avant tout une question de culture. L’éducation des garçons
avait la primauté sur celle des filles. Pour elles, l’apprentissage des travaux ménagers était
indispensable parce qu’elles devaient entretenir leur foyer, la seule perspective pour les filles étant le
mariage et la maternité. L’Eglise le rappelle :
« Vous femmes, vous avez toujours en partage la garde du foyer, l’amour des sources, le sens des
berceaux… Epouses, mères de famille, premières éducatrices du genre humain dans le secret des
foyers580… »

C’était particulièrement vrai à la campagne. Les petits frères de Athanaïse ont été scolarisés et
c’est elle qui leur servait le repas du midi que sa mère préparait avant son départ aux champs. Dans
certaines familles, des filles se sont émancipées. Gerty Archimède (1909-1980), inscrite au barreau de
la Guadeloupe en 1939 est la première femme à exercer la profession d’avocate en Guadeloupe. George

578
Traduction possible : masè : ma sœur (compagne) de communion/ monfrè : mon frère ou compagnons de communion/ chodo :
crème sucrée à base de lait et d’œufs.
579
Traduction possible : institutrices libérales
580
Journal Clartés, Les messages du Concile, Aux femmes, Réconciliez les hommes avec la vie, avril 1965

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Tarer née en 1921 à Morne-à-l’Eau devient sage-femme. C’était des filles de la ville. A la campagne,
la condition des filles les contraignait à accomplir le « service de l’aînée » qui les sacrifiaient au profit
de leurs cadets. Ce service privé décidé par la famille était comme une sorte de service civil obligatoire
dictée aux aînées. Elles portaient avec les parents la responsabilité de la fratrie581.
Lorsqu’elles fréquentaient l’école, le moindre accident de la vie y mettait un terme et encore
plus, si la mort d’un des deux parents intervenaient au cours de leur scolarité. Leur destin d’aînée les
rattrapait, interrompait brusquement cette émancipation. Elles étaient assignées au service des plus
jeunes de la fratrie.
La politique scolaire explique aussi le défaut de scolarité. Pourtant, après le passage du cyclone de
1928, la scolarité s’améliore. Le nombre d’enfants scolarisés progresse de 17000 en 1930-1931 à près
de 23000 en 1937-38582. Le nombre de classes augmente avec l’ouverture d’écoles notamment dans
les hameaux.
Mais l’offre scolaire demeure insuffisante. En 1938, à Pointe-à-Pitre, la municipalité,
constatant que des écoles clandestines se substituent aux écoles publiques, décide d’ouvrir deux classes
enfantines. Le nombre insuffisant de classes crée le projet de classe à mi-temps. Il est d’abord appliqué
en 1928 face à l’urgence puis, discuté au sein du Conseil Général de la Guadeloupe sur son efficacité,
le projet est repoussé. La moyenne d’élèves par classe est élevée d’où le surpeuplement scolaire. De
nombreux enfants ne fréquentent pas l’école.
Le gouverneur Bertaud en fait le constat en 1944 où 30000 enfants en âge scolaire ne vont pas
à l’école. Il explique cette situation par l’insuffisance et l’état des écoles publiques de même que la
négligence des maires. Toutefois, l’examen du Certificat d’Etudes Primaires qui couronne le cycle des
apprentissages fondamentaux rend compte des évolutions de la scolarisation. De 1930 à 1937, le
nombre de candidats passe de 581 à 1212 soit une augmentation de plus de 52%. Le nombre de lauréats
augmente aussi passant de 282 à 581 soit une augmentation de près de 55%. Le pourcentage d’admis
demeure relativement stable, atteignant environ les 40% des candidats avec toutefois un écart
considérable de moins de 10 à 50 % entre les communes583.
Ainsi, les difficultés liées à l’offre scolaire n’expliquent qu’en partie le déficit de fréquentation
scolaire des enfants. Il s’explique aussi par la condition sociale et par le rapport de la famille à
l’éducation. En effet, depuis la fin de l’esclavage, les affranchis ont conscience du rôle de l’Ecole
comme un moyen de promotion sociale. Il était important que les enfants soient scolarisés pour
échapper à la misère des champs. Cette image de l’école émancipatrice s’est transmise. Dans les
premières décennies du XXè siècle, les enfants de la ville comme de la campagne bénéficient d’une
scolarité même si la scolarisation en ville est 2 fois plus élevée que celle de la campagne584. Quelque
soit le territoire concerné, les parents envisagent pour leurs enfants un emploi de bureau.
Toutefois à la contrainte de la condition sociale, s’ajoute celle de la distance. Valentin Zodros,
futur chantè et musicien de syak585 se rend à l’école de Grelin dans la commune de St Louis Marie-
Galante peu éloignée du domicile de ses parents. Il y va à pied en passant par des sentiers. Il peut

581
Témoignage de Laumuno Eliane, Grand-Bourg, 1994.
582
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe, De l’émancipation à l’assimilation (1848-1946), Ibis Rouge, 2006, Page 109.
583
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe… page 119.
584
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe, page 120.
585
Traduction française : racleur en bambou

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

même rentrer chez lui pour le déjeuner. Parfois, il emporte avec lui son repas : un coui586 d’ignames et
de patat 587qu’il cache dans les arbres et qu’il sort de sa cachette pour le déjeuner du midi.
D’autres enfants, qui habitent trop loin de la maison familiale font des kilomètres à pied pour
588
y venir . Ces enfants emportent leur repas dans une boîte de conserves. La frugalité du mets exprime
la pauvreté des familles : peu de chair de morue ou de poisson, plutôt des morceaux de fruits à pains
ou de patates douces cuites à l’eau ou rôties ou encore des morceaux d’ignames, le tout arrosé de
quelques gouttes d’huile. Parfois, ce sont les fruits des arbres environnants de l’école qui leur servent
de repas à midi ou encore des cannes à sucre qu’ils épluchent à l’aide de leur janbèt589 ou de leurs
dents590.
La distance est une contrainte mais elle ne freine pas l’ardeur du savoir. Pour palier à cette
contrainte, les enfants et principalement les garçons, dans les années 1950 à Marie-Galante, font la
route ensemble en poussant devant eux un cerceau de fer afin de réduire le trajet.
Par ailleurs, la scolarité peut être déficitaire ou non accomplie. Marcel Cusset, futur tanbouyé
et chantè de véyé fréquente l’école de Grelin dont il garde de bons souvenirs mais abandonne à l’âge
de 9 ans sachant à peine lire et écrire591. Moco Désir, futur chantè de véyé a une scolarité à peu près
semblable car il sait juste lire et écrire592. Mais l’échec scolaire touche aussi des enfants comme Yvon
Anzala, futur chantè qui quitte l’école à 13 ans après des redoublements répétés, et sans savoir ni lire
ni écrire593. Eulalie Edward, futur chantè de la Désirade fréquente l’école primaire de 5 ans à 10 ans594.
Parfois, l’abandon est volontaire, contraint par la marginalisation scolaire et la pauvreté
matérielle. C’est ainsi que Gérard Pomer, futur tanbouyé quitte l’école à l’âge de 15 ans595 parce qu’il
se sent rejeté par l’institution. Gérard Lockel, futur guitariste et créateur du gwoka modèn annonce à
ses parents son désir d’abandonner l’école à l’âge de 12 ans.
Quelques acteurs, en revanche, ont une scolarité satisfaisante ou réussie. Luc-Hubert Séjor dit
Michel, futur chantè a été scolarisé dès la petite enfance, à l’âge de 4 ans à lékòl péyé596. Il découvre
l’école publique au cours élémentaire. Il poursuit une formation technique à Pointe-à-Pitre. Forcé par
les dégâts matériels causés dans sa famille par le cyclone Inès en 1966, il quitte l’école sans le diplôme
technique qu’il convoitait597. Contrairement à Luc-Hubert, Georges Troupé, futur trompettiste et chef
d’orchestre, fait ses classes primaires à Douville Sainte-Anne. A 16 ans, il quitte la Guadeloupe pour
une école technique à Paris car il envisage le métier d’électrotechnicien afin de travailler à l’usine à
sucre. Il sera électrotechnicien même s’il n’embrasse pas l’emploi qu’il convoitait.
Pour des parents qui exercent des métiers ruraux ou de petits métiers de survie à la ville, avoir
un fils ou une fille exerçant un emploi de services est le signe que l’ascenseur social a fonctionné à

586
Traduction : récipient réalisé à partir d’une calebasse.
587
En créole guadeloupéen, patat désigne la patate douce.
588
Témoignage » Valentin Zodros, « Mon instrument est le syak » retranscrit dans le magazine Jeunes, acteurs de vie, Conseil Général
de la Guadeloupe, 2001.
589 Traduction française : canif (couteau de poche)
590
Maurice Barbotin, Marie-Galante en Guadeloupe, Sa vie créole, son guide historique, L’Harmattan, 2001, pages 166-168.
591
Témoignage de Août 2015 et avril 2016, St Louis Marie-Galante, collecte personnelle.
592
Témoignage de son fils Lucien Nadir, août 2015, Grand-Bourg, collecte personnelle.
593
Témoignage accordé au Bulletin Léwòz, n°9, mai 2008.
594
Témoignage avril 2015 (téléphonique) et juillet 2018, La Désirade, collecte personnelle.
595
Témoignage accordé au Bulletin Léwòz, n°2, octobre 2006.
596
Traduction française possible : une école tenue par une institutrice libérale.
597
Témoignage de janvier 2016, mars 2017, collecte personnelle.

194
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

fond. C’est ainsi que, par la détermination de sa mère patissière et cuisinière et de sa grand-mère,
Micheline Hatchi, future fanm-dansè devient infirmière en psychiatrie598.
Mais généralement, l’ascenseur social au sein des familles fonctionne à peine. L’enfant suit
généralement ses parents du point de vue professionnel. Toutefois, les schémas de transmission sont
divers. Ils traduisent une volonté d’émancipation d’une génération à une autre. Elle est accomplie par
quelques enfants qui ne suivent pas forcément la voie professionnelle de leurs parents.
Gérard Pomer, futur tanbouyé, devient ouvrier en bâtiment alors que ses parents sont des
cultivateurs. Parfois, le changement de profession se limite au passage de la terre à l’usine. Napoléon
Magloire exerce diverses professions parmi lesquels celui de chauffeur-transporteur des cannes à sucre
à l’usine. Il est aussi agriculteur599. Valentin Zodros, fils d’agriculteur devient ouvrier industriel.
Ce glissement de la terre à l’usine est aussi une réminiscence de la période post-esclavagiste.
A partir des années 1860, les créations d’usines s’accélèrent et la demande de main d’œuvre augmente.
Celle-ci provoque l’abandon massif du travail sur les habitations et du travail de la terre en général
pour l’usine qui offre de meilleurs salaires. Travailler à l’usine représente donc une promotion sociale
offrant aux cultivateurs la possibilité de sortir du travail de la terre comme métier exercé pour autrui.
En dépit des nombreuses fermetures dues principalement à la concentration de l’activité sucrière, entre
1930 et 1950, 11 usines à sucre en service favorisent encore cette promotion.600
Les cultivateurs n’hésitent pas à quitter leur commune d’origine pour se faire embaucher à
l’usine. C’est ainsi que des Marie-Galantais comme Moco Constant Désir, Zodros Valentin ou Marcel
Cusset dit Serge, après avoir exercé des métiers divers dans leur commune respective deviennent
ouvriers d’usines.
Les femmes des couches populaires qui ont accès à l’école prennent d’autres voies, elles
ouvrent des petites épiceries appelées boutik ou lolo. Cette structure peu rentable, pratique le
commerce de détail pour les produits alimentaires comme pour les produits pharmaceutiques courants
principalement pour ceux qui sont prescrits contre les douleurs passagères. Les familles s’y procurent
le sel par grains, le sucre par cornet, le saindoux par feuille, l’huile par centilitre, le rhum par roquille
et le café en grain non grillé par chopine et les comprimés à l’unité. Les courses se font ainsi au jour
le jour. La vente à crédit facilite les achats. Ces lolos existent encore en Guadeloupe jusqu’aux années
1960601.

598
Témoignage du 9 juin 2017, Ste Rose, collecte personnelle
599
Témoignage accordé au Bulletin Léwòz, n°03, décembre 2006 et à la Brochure Almanaka, 2004.
600
Carte des usines en activité entre les deux guerres dans Schnakenbourg Christian, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe
aux XIXè et XXè siècle, Fluctuation et dépendance, L’Harmattan, page 136-137/ Carte des usines de la Guadeloupe dans les années
1950 dans Schnakenbourg Christian, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe aux XIXè et XXè siècle, Les « Vingt Gorieuses »
de la sucrerie (1946-1965), L’Harmattan, page 13.
601
Jean-Pierre Sainton et Raymond Gama, Mé 67, Mémoire d’un évènement, Société Guadeloupéenne d’édition et de diffusion, 1985,
photographie page 32.

195
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 21 : Graphique des occupations professionnelles

Occupations professionnelles des acteurs du gwoka (1931-1969)

Occupation professionnelle

tertaire ( bureau, arts, service à la personne…)

ouvriers ( terre, mer, usine)

artisan( bois, bâtiment, mécanique,


boulangerie…)

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

Le graphique prend en compte les acteurs dont la profession est connue soit 67 personnes

196
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 22 : Le métier en héritage

Acteur du gwoka Métier du père Métier de la mère Métier de l’acteur du gwoka

Athanaïse Bach Cultivateur Cultivatrice Cultivatrice602


(1918-2017)
Coco Nicolas dit Cholo Cultivateur Cultivatrice Cultivateur603
(1918-2016)
Louis-Victor Magloire Cultivateur Couturière Cultivateur604
(1919-2013)
François Jernidier Non indiqué Cultivatrice / cultivateur605
(1919-1998)
Lollia Marcel Maçon Non déclaré Boulanger, écailleur de poisson,
(1931-1994) petits métiers de service à la
personne606
Chabin Fériée Olivier Cultivateur Cultivatrice Cultivatrice 607
Née en 1934
Moco Désir Cultivateur Cultivatrice Cultivateur, ouvrier d’usine 608
(1934-2019)

602
Acte de naissance n°110, 1918, Archives Etat-Civil Mairie Petit-Bourg.
603
Acte de naissance n°255, 1918, Sainte-Anne
604
Témoignage Lameca 2005 et brochure Léwòz, 2006.
605
Carnot par lui-même, Alors ma chère, moi … 1989, page 19
606
Témoignages de Guy Cornély et Raymond Célini, Almanaka, 2004 / de Luc-Hubert Séjor, janvier 2016.
607
Extrait acte de mariage n°8, 24 janvier 1962 (extrait du livret de famille).
608
Acte de naissance n°183, Grand-Bourg Marie-Galante

197
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La misère est généralisée. Les facteurs sont multiples et le principal est la faible qualification
professionnelle. En Guadeloupe, durant les années 1930-50, la majorité de la population des
campagnes et des bas quartiers de la ville mène une existence précaire. Celle-ci est exacerbée dans les
discours politiques autant que dans la littérature.
Ainsi, lorsqu’en 1936, le Guyanais Félix Eboué est nommé pour la première fois gouverneur
de la Guadeloupe, il représente l’espoir d’une vie meilleure pour les couches populaires. Edouard
Coradin, écrivain originaire de la commune de Saint-Claude décrit son arrivée le 21 octobre 1936.
C’est la liesse populaire. L’auteur exprime le ressenti des plus démunis, conscients des divisions socio-
raciales de la société. Leur propos oppose ceux qui cumulent pouvoir et bien être matériel à ceux qui
sont soumis à la fois à la domination et à la misère. La fracture Blancs riches /Noirs pauvres est vive.
« Blan-là toujou tini raison duvan la loi, Yo ka vive en fraîcheu et dômi en couvètu soie. Nègue-la qui ka
coupé canne, mannié houe, ka dômi en chaleu é roulé en laboue, Travail en soleil et lapli, yo ka vive en
maléré sò. Magré tou ça yo pé fè, yo toujou tini tô. Gouvelmen Fouance voyé Eboué ban nou pou ban
nou foce é courage et tiré nègue à gunou. 609
La condition sociale des couches populaires est si alarmante qu’elle devient une préoccupation
électorale et un argument à l’adoption de nouvelles idéologies porteuses d’espoir pour les plus
démunis. En tant que parlementaire, le premier discours d’Aimé Césaire à la Première Assemblée
Constituante le 20 décembre 1945 dénonce les difficiles conditions de vie des populations de la
Guadeloupe et de la Martinique. Il réclame, en guise de solution, le financement des équipements.
Il rappelle que cette situation perdure depuis la période de l’esclavage. A travers son discours,
il réclame un changement de condition pour les actuels travailleurs de la terre, descendants des
travailleurs serviles. En fait, il exige une véritable sortie des logiques de la colonisation par
l’amélioration des conditions de vie.

Je demande à M. le ministre de réfléchir aux aspects humains de cette situation, de penser à nos
fonctionnaires, déjà insuffisamment payés, à nos ouvriers qui, dans la zone du dollar, touchent seulement
50 francs par jour, enfin et surtout au nombre incroyable des nôtres qui sont condamnés sans rémission
au chômage, à la misère, à la maladie. Si vous voulez que les Antilles et la Martinique se tirent du mauvais
pas où les a conduites la vieille politique héritée du pacte colonial, il n'y a qu'un moyen : les équiper …
pour résorber le chômage de nos jeunes gens, pour élever le niveau de vie des ouvriers… je vous demande
de passer immédiatement aux actes. Les travailleurs de la Martinique et des Antilles attendent depuis
trois siècles, ils sont à la limite de la souffrance et de la patience… 610

Et, lorsque la Sécurité Sociale arrive en Guadeloupe en 1947, cette institution est présentée
comme une solution à la précarité. Mais, en 1949, la situation sanitaire et sociale de la Guadeloupe est
encore déplorable. Les handicaps sociaux sont sévères. En effet, en matière d’habitat, la structure
dominante est celle de la case en bois posée sur quatre pierres. Le logement atteint rarement plus 15 à
20 m2. Le nombre d’occupants atteint 6 à 8 personnes. Quelques maisons sont pourvues en électricité

609
Les blancs qui ont toujours raison devant la loi, vivent dans la fraîcheur et dorment dans la soie. Les nègres qui coupent la canne
manient la houe, dorment dans la chaleur et se roulent dans la boue, travaillent au soleil et sous la pluie, deshérités du sort ; Ils ont beau
faire, toujours ils ont tort. Le gouvernement de la France a envoyé Eboué vers nous, pour nous donner force et courage et lever les nègres
à genoux. » traduction de l’auteur. Ce texte intitulé Débarquement du Gouverneur Eboué à Basse-Terre, sur le Cours Nolivos le 21
octobre 1936 est publié dans « Félix Eboué, Les années guadeloupéennes, Discours de 1936 à 1938, Archives Départementales de la
Guadeloupe, pages 24-25.
610
Discours à la Première Assemblée Nationale Constituante, 20 décembre 1945, Site de l’Assemblée Nationale.

198
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

dans les bourgs. L’alimentation en eau est assurée par la récupération des eaux de pluie depuis les
gouttières dans les citernes, barriques ou jarres et par la mare.
En Grande-Terre, l’eau s’achète à la citerne communale. Les maisons sont dépourvues de
sanitaires. L’état de santé de la population est inquiétant et la lutte contre les fléaux sociaux constitue
les principaux axes des politiques publiques. Les maladies les plus courantes sont les parasitoses
intestinales, la lèpre, la typhoïde et la tuberculose.
Pourtant les professionnels de santé sont en augmentation depuis 1949. On compte plus de
médecins, plus de pharmaciens, plus de dentistes. En 1957, le nombre de médecins s’élève à 1 pour
2600 habitants essentiellement localisés dans les villes de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre. Mais leur
nombre ainsi que celui des sages-femmes demeure insuffisant. Un tiers des communes en est dépourvu.
L’aide médicale gratuite facilite tout de même l’accès aux soins et la situation s’améliore
progressivement. De 1949 à 1958, les revenus nets des ménages après impôts, en francs courants,
augmentent de 230% alors que le PIB croît de 123%. Depuis le début des années 1950, le traitement
des fonctionnaires est aligné sur celui de la France métropolitaine et majoré de 40% sur le salaire de
base et les fonctionnaires originaires de la France hexagonale reçoivent en plus une prime
d’éloignement. Ces derniers ont les moyens d’employer du personnel domestique.
Mais, jusqu’en 1954, la part du primaire dans la population active se maintient à 50%. Le
nombre de personnes en grande difficulté sociale demeure important. Il détermine le taux de fécondité
des femmes. Entre 1952 et 1956, le taux de natalité est de 39,3 pour mille habitants et le taux de
mortalité de 12,2. L’âge moyen du décès en 1954 s’élève à 41 ans. Les hommes vivent moins
longtemps, soit jusqu’à 39 ans en moyenne. Les décès des enfants de moins de 5 ans est de 1 sur 4
contre 1 sur 18 en métropole. Mais la politique sociale des années 1960 basée sur le principe de parité
sociale conduit à l’extension des allocations familiales aux DOM ce qui atténue la précarité 611 .
Pourtant, le sentiment d’injustice sociale demeure. Les dépositions des prévenus au procès qui
fait suite aux soulèvements populaires des 21 et 22 mars à Basse-Terre et du 26 mai 1967 à Pointe-à-
Pitre612 témoignent de la prégnance de ce sentiment. La population, d’après les témoignages est
confrontée à des insuffisances alimentaires, au désespoir, à la santé mentale déficiente613 , au chômage
endémique614 , à la misère et à la pauvreté615 . En Guadeloupe, cette condition correspond au maléré.
Ce terme employé dans la langue créole signifie miséreux. La pauvreté rend vulnérable aux malheurs
de la vie comme la faim, la maladie ou la mort… considérée au sein des populations les plus démunies
comme de la malchance. Etre maléré c’est cumuler à la fois le mal être social et le mal être mental.
Le chant gwoka est porteur de ce sentiment de double mal être. En effet ce chant, jusqu’aux
années 1960, porte essentiellement la mémoire d’une misère sociale. Elle traduit le traumatisme de la
condition sociale noire au cours de l’esclavage puis des ouvriers et paysans dans la société post-
esclavagiste dont la décolonisation administrative n’assure pas encore un développement satisfaisant.
Cette condition s’est profondément inscrite dans la mémoire et s’exprime par le chant à travers sa
composition littéraire même.

611
Cette situation sanitaire et sociale est décrite par le Directeur de la Sécurité Sociale, Jacques Thorin, La problématique de la Sécurité
Sociale dans un Département d’Outre-Mer : le cas de la Guadeloupe dans De l’abolition de l’esclavage à la Départementalisation, les
vérités difficiles, Editions Jasor, 2001, pages 205-215.
612
Le Procès des Guadeloupéens, Dix-huit patriotes devant la Cour de Sureté de l’Etat français, L’Harmattan 2000.
613
Déposition de Pierre Sainton, médecin, le 22 février 1968, procès des Guadeloupéens du 19 février au 1er mars 1968.
614
Déposition de Serge Glaude, instituteur le 22 février 1968, procès des Guadeloupéens du 19 février au 1er mars 1968.
615
Déposition de Rémy Flessel, conducteur de travaux, instituteur le 22 février 1968, procès des Guadeloupéens du 19 février au 1er
mars 1968.

199
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Des « onomatopées de la souffrance » ponctuent diverses chansons : Wayayay, Woyoyoy,


616
Anmwé …
Par ailleurs des « génériques de la misère » s’empruntent de chansons en chansons : « savé sa
maléré », « savé sa doulouré », savé sa dézolan617 »
De chansons en chansons s’empruntent des phrases types de la misère avec ou sans espérance
de mieux-être :
Exemple 1 :
An ja pléré, maten é swa an ja pléré
Pa tini mouchwa pou pé swiyé dé zyé an-mwen618…
Exemple 2 :
An ja pléré, dé zyé an-mwen
Ki me rèsanm on narozwar
Arozwar-la sé pou arozé la-ri
Sé pou lè bonèr pasé sé pou-y pa bonnyé zyé an-mwen619
Exemple 3 :
An tini pitit -an-mwen
Kouché asi bra an-mwen
Men tini zanfan an-mwen
Pou mwen bay bwè é manjé620
La misère marque, de ce fait, la thématique et le lexique du chant sans pour autant afficher
aucune revendication sociale. Le dénuement est permanent mais la condition sociale est vécue comme
une fatalité. Cette misère s’étend aux relations familiales et sentimentales. Le chant gwoka est pour
cette période le chant du manque « pa ni», « pa tini » 621
Cette condition d’existence crée au sein des « zanfan-lanklo » des relations d’interdépendance.

2- Un réseau de survie

L’environnement géographique et social favorise le réseau. Pour les « zanfan-lanklo », à la


ville comme à la campagne, l’habitat est populaire. Son organisation socio-spatiale se prête aux
échanges. A la ville, le faubourg et la cour sont les prototypes de la vie en communauté. Roméo Terral
et Mario Selise, spécialistes de l’étude des villes en Histoire et urbanisme, dans l’étude sur l’habitat
urbain dans les villes de la Martinique et de la Guadeloupe, définissent le faubourg et la cour comme
deux espaces sociaux en interaction, le second étant conçu de l’extension du premier :
« Les faubourgs rassemblent des zones d’habitat précaire qui se sont développées, à partir du milieu
du XIXè siècle, sur des terrains pentus ou marécageux, non assainis, et où se sont multipliées des
constructions « spontanées »…L’extension des faubourgs répond à une logique de mise en œuvre par les
populations urbaines qui s’emploient à̀ suivre une trame viaire particulière avec des habitations qui
s’organisent linéairement à des chemins étroits ou des passages ouverts à la circulation piétonne622. »

616
Aie, A moi
617
Sachez que c’est malheureux, sachez que c’est douloureux, sachez que c’est désolant.
618
J’ai déjà pleuré matin et soir j’ai déjà pleuré, il n’y a pas de mouchoirs pour m’essuyer les yeux.
619
J’ai déjà pleuré, mes deux yeux ressemblent à un arrosoir. L’arrosoir c’est pour arroser la rue. Quand le bonheur passera c’est pour
que la poussière ne m’aveugle.
620
J’ai mon enfant couché sur les bras. J’ai mon enfant à donner à boire et à manger (à nourrir)
621
Traduction française : le chant du « Il n’y en pas »
622
Romain Terral et Mario Selise, Dynamiques urbaines communes et spécificités des villes des Antilles françaises (Guadeloupe,
Martinique) des origines de la colonisation à nos jours, Etudes caribéennes, La ville caribéenne, les villes dans la Caraïbe, 39-40, avril-
août 2008.

200
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les gens habitent ces lieux de vie parce que le faubourg à l’origine est un secteur de la ville
coloniale. Ce fut, d’après les spécialistes cités, l’espace urbain de refuge des travailleurs esclaves en
marronnage puis l’espace d’installation des nouveaux libres. Parmi les exemples cités par les auteurs
figure la rue Raspail. Elle répond à la configuration des faubourgs nés de l’implantation d’une usine.
C’est là que prend naissance le futur tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo. De même, Téomèl Ursule né en
1932 à Gosier y a vécu et a assisté à des manifestations gwoka à l’occasion de la fête de l’usine le jour
de la St Eloi623 . Et Marcel Cusset qui quitte temporairement Marie-Galante pour travailler à Pointe-
à-Pitre fréquente cette rue624.
Les cours situées dans la ville de Pointe-à-Pitre portent le nom de leur propriétaire à l’exemple
de la cour Zamia, la cour Selbonne, la cour Montbruno. Mais durant les années 1960, la cour peut
correspondre à la configuration spatiale sans se nommer comme telle.
C’est notre propre témoignage qui alimente la description de la cour urbaine. J’y ai vécu toute
mon enfance durant les années 1960 au domicile de ma grand-mère. Elle vivait là depuis les années
1950. A cette époque, nous avions connaissance des cours de Pointe-à-Pitre où se rendait ma grand-
mère pour visiter ses parents de Pointe-à-Pitre. La configuration était la même à l’exception de
certaines cours de Pointe-à-Pitre qui s’ouvraient et se refermaient par une porte.
Notre cour ne se situait pas plus à la périphérie du bourg. Au contraire, elle faisait face à
l’église si bien que notre adresse était « Rue de l’église ». L’entrée de notre cour était balisée par une
salle de cinéma à gauche, un arbre à pain et un pied de cythère qui séparait la 1ère maison, de la salle
de cinéma. Cette entrée se prolongeait par un sentier qui conduisait à la sortie de la cour, délimitée par
deux maisons. Celles-ci avaient une face qui donnait sur une rue appelée Rue des Sœurs parce qu’elle
se prolongeait sur une école tenue par des religieuses. Dans cette rue se trouvait un hôtel. On était donc
loin de la périphérie urbaine. Nous avions le sentiment d’habiter en plein cœur de la ville.
La vie de ma cour était un espace communautaire. Le plan de la cour rend compte de ce mode
de vie contraint par la proximité des habitations sur un espace restreint. Celui-ci montre ses limites
spatiales : la salle de cinéma à l’est devant laquelle se trouvait un espace vert appelé savann625, à l’ouest
une barrière de tôle qui séparait notre cour d’une cour voisine, au sud l’église séparée de notre cour
par une rue et au nord, la rue des sœurs devenue aujourd’hui officiellement « Rue de la savane ».
Aux 9 maisons se joignaient un atelier de forgeron. Derrière chacune des maisons, un espace
individuel était réservé à chaque famille. Cet espace s’appelait aussi lakou626. Le nôtre abritait la
cuisine, le cabinet de toilette et les plantes médicinales. Chacune des maisons correspondaient chacune
à une famille. Les noms qu’elles portaient ; Bastaraud, Rippon, Goram, Phanor, Saban, Urie, Canneval,
Laumuno étaient des noms d’affranchis de 1848 attribués majoritairement dans les communes de St
Louis ou de Grand-Bourg. Notre cour était presqu’exclusivement le lieu des Afro-Guadeloupéens en
dehors de la salle de cinéma qui appartenait à un Blanc péyi du nom de Grenier.
Ces familles regroupaient plusieurs petits métiers de l’alimentation, de l’ameublement, de la
santé, de l’habillement : marchande, gadèd-zafè627, femme de ménage, forgeron, marchande de fruits

623
Téomèl Ursule est un musicien de bal qui nous a accordé un entretien le 12 septembre 2015. La fête de St Eloi qu’il évoque est celle
du Saint Patron des ouvriers du fer. C’est ce jour qui était consacré en Guadeloupe à la fête des ouvriers des usines.
624
Témoignage de août 2015, Saint-Louis Marie-Galante.
625
Traduction littérale : savane
626
Traduction de la cour en français
627
Voyante

201
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

et de légumes, frotè628 et matelassière, couturière. Seules les deux plus jeunes femmes exerçaient des
métiers plus qualifiés comme le secrétariat ou l’aide aux soins.
Les occasions d’échanges ne manquaient pas. Nous nous passions les allumettes, les bougies.
Les rares réfrigérateurs de la cour étaient à pétrole et abritaient les vivres de leurs propriétaires et des
autres familles. Celles qui connaissaient les plantes médicinales donnaient des semis et des plants aux
autres, conseillaient à l’occasion. Les malheurs des uns étaient portés par toute la cour : un jeune tombé
d’un arbre ou un décès et voilà toute la cour mobilisée.
On s’appelait « voisin » ou « voisine ». Mais entre les familles les échanges étaient plus
fréquents et plus profonds selon les affinités. En effet, la marchande de boudin et de bébélé629 disposait
d’un foyer fait des 3 roches au-dessus duquel s’élevait un plateau métallique. Ce foyer était utilisé pour
la cuisson des têtes de bœufs, des tripes et du boudin, dans des faitouts réalisés à partir de fûts découpés
dans des barils à huile recyclés. Elle mettait volontiers ce foyer et son pilon à épices au service des
familles qui préparaient les « pains de maïs » appelés « pen-miy » enveloppés dans des feuilles de
bananes.
Cette préparation donnait lieu à plusieurs ateliers qui regroupaient femmes et enfants. Ces
derniers étaient délégués à l’égrenage des maïs et à leur transformation à l’aide du pilon en pâte à cuire.
Les hommes partaient à la cueillette des feuilles de bananes, les faisaient réchauffer sur le foyer tandis
que les femmes faisaient bouillir l’eau qui allaient recevoir les pains de maïs à cuire. La période de
l’avent était aussi l’occasion de chanter Noël. Toutes les familles se réunissaient tous les soirs chez la
même voisine, celle dont la cour était la plus grande.
Mais au gré des évènements, les échanges prenaient la forme de l’entraide ou viraient en
tensions que le secours de l’un à l’autre rendait éphémères. Vue la configuration de la cour et la vie
qui s’y déroulait, notre espace de vie des années 1960 pour lequel nous n’usions d’aucune désignation
n’était pas moins une cour qui ne disait pas son nom.
Toutefois la vie communautaire n’est pas l’apanage de la cour. Celle-ci anime aussi la vie de
la campagne. A la cour de la ville répond le plato et le fon de la campagne. Le plato ne correspond pas
toujours au plateau tel qu’il se décrit par la géographie physique. C’est souvent une colline ou une
plaine qui se démarque du reste de l’espace géographique par une sorte de balisage naturel. Le fon
correspond plutôt à un secteur. Il désigne parfois le vallon cultivé. Le plato ou le fon constituent un
espace de vie qui réunit une ou plusieurs familles. C’est aussi un espace de tensions et d’entraide.
Il nous vient à l’esprit des chansons gwoka ou des chansons d’assemblée au tanbou d’autres
pays de la Caraïbe, reprises par des Guadeloupéens pratiquant le gwoka. Ces chansons évoquent le
lakou, le plato, le fon comme des espaces de vie où se nouent des relations de toutes sortes. Elles n’ont
pas été enregistrées au cours des années 30-60 mais au-delà. Nous nous permettons tout de même cet
écart chronologique. Car ces titres montrent le caractère patrimonial de ces lieux de vie, dans l’univers
du gwoka, et l’usage permanent de ces espaces, comme lieux de scène dans la composition des
chansons.
-Charoyo raconte plusieurs épisodes de la vie sur un plato : une vache qui beugle, des relations tendues
de voisinage :
Répondè : Woy Charoyo o
Chantè : Joli ka wouklé

628
Masseuse
629
Soupe préparée à partir de légumes, de boulettes de farine (les dombrés) et de tripes

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Joli anmèrdé charoyo


Répondè : Woy Charoyo o
Chantè : An plen plato Fofo
Vwazinaj lévé kòlè
Kont Charoyo630
-Dévenn (Fon Féran) relate un meurtre inexpliqué dans un secteur rural dénommé Fon Féran :
Répondè : Dimanche jou dè rèpo
Sété la dévenn pou lé Bouko
Chantè : A mé zanmi sa té tris
Pou té vwè Cholo kouché a tè-la
Rémon ka woulé an pay a kann-la
San ka koulé kon dlo an Fon Féran631…
-An lakou-la est un titre d’accueil des cérémonies vaudou repris par un ensemble musical gwoka
Répondè : Nou rivé nan lakou a
Nou ap dèmandé
Si pa gen yon moun o
An lakou a632

Dans la cour, les fonds et les plateaux, des familles sont locataires ou propriétaires mais l’accès à la
propriété demeure un idéal que la communauté aide le futur propriétaire à atteindre. C’est une fierté
que de dire que l’on a construit sa maison même pour les demeures les plus vulnérables.

630
Woy Charoyo, Joli es fâché, Joli maugré Charoyo ; Sur la plato Fofo, le voisinage est mécontent de Charoyo. C’est une chanson de
Guy Conquet interprété régulièrement dans ses concerts et dans les léwòz en Guadeloupe durant les années 1970.
631
Dimanche, jour de repos, c’était la déveine pour la famille Boucaud. Ah mes amis, c’était triste de voir Cholo couché à même le sol,
Raymond se roule dans la paille des cannes à sucre, le sang coule à Fonds Féran. Chanson de Esnard Boisdur sortie sur support
discographique, intitulé Katel au début des années 1980 en Guadeloupe
632
Nous sommes arrivés dans la cour. Nous nous demandons s’il n’y personne dans la cour. Chanson reprise sur l’album du groupe
musical Krey, A la rèpriz, en 2000.

203
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 23 : La cour, lieu de vie

La cour, un lieu de vie des acteurs du gwoka (1931-1969)

La maison est un idéal à atteindre. C’est une marque de responsabilité et d’émancipation. Tout
jeune homme en âge de fonder un foyer commence par construire sa maison633. En fonction des
moyens matériels du maître d’ouvrage, la construction se fait par des professionnels ou par des
spécialistes du bâtiment634 de l’entourage du constructeur dans le cadre du « koudmen » c’est-à-dire
l’échange de services entre pauvres sur un principe de confiance et de solidarité.
L’anthropologue Guadeloupéenne Luciani Lanoir-Létang montre que l’on retrouve le
« koudmen » dans tous types de travaux agricoles dans toute la Caraïbe et aux Amériques635. Les
« koudmen » sont autant d’occasions d’entonner des chansons pour donner de l’entrain et renforcer la
cohésion parce qu’à un chanteur répond l’ensemble des travailleurs ou encore le chant est entonné à
tour de rôle par chacun des travailleurs.
Ces chansons ne sont pas exclusivement réservées aux travaux agricoles. Dominique Cyrille a
recueilli des chansons de travail dans le cadre de la fabrication des planches auprès de personnes
domiciliées à Marie-Galante et dans les communes de la Côte-sous-le-vent principalement de Pointe-

633
Jack Berthelot, Kaz antiyé jan moun ka rété, L’habitat populaire aux Antilles, Perspectives créoles, 2002 (2è édition), page 77 ;
634
Luciani Lanoir-Létang, Les réseaux de solidarité, 2006, pages 195-196
635
Luciani Lanoir-L’Etang, Les réseaux de solidarité, 2006, pages 189-194.

204
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Noire et de Deshaies. Elles sont nées entre 1910 et 1940. Les chansons étaient interprétées quand ces
scieurs de long ou ceux qui les ont assisté ou accompagné étaient encore en activité. Ces chansons, en
fonction de la région portent des noms différents : chanté a rapon et fannbwa à Marie-Galante, sur la
Côte-sous-le Vent siyé bwa636.
Parmi nos témoins, seuls François Jernidier dit Kawno et Athanaïse Bach dite Man Soso nous
ont fait un long récit de la maison de leur enfance. Les termes employés pour désigner la maison se
retrouvent principalement dans les propos de Kawno. Le joupa637 est employé pour les maisons légères
et provisoires construites par les pauvres pour parer au plus pressé. Les kaz –an- palisad638 sont des
demeures aux façades fragiles. Les kaz sont en planches. Elles sont plus solides. Ce terme kaz est
employé plus généralement pour désigner la maison en bois, de construction basique.
La description de l’architecte guadeloupéen Jack Berthelot montre la simplicité de la case
typique et ses évolutions possibles :
« La case en bois en Guadeloupe est constituée de plusieurs modules égaux entre eux. Ce sont des carrés
de 3x3m ouverts d’une porte au milieu de chaque côté. L’agrandissement se fait… sans démolition ni
transformation de la paroi extérieure »639.
Le toit de la kaz dont le plus simple, à deux versants, est fait de tôles.
Pour le curé Maurice Barbotin (1920-2013), l’habitat populaire reflète les inégalités de la
pauvreté. Ce curé arrive en Guadeloupe en 1947. D’abord aumônier de l’orphelinat de St Jean Bosco,
il est vicaire de la paroisse du Lamentin, de Port-Louis puis de Ste Anne et de St Louis Marie-Galante
de 1951 à 1968640. Sa bibliographie compte plusieurs ouvrages sur Marie-Galante. Dès son arrivée à
Marie-Galante, il se promène dans l’île et observe la vie rurale dont il rapporte les récits pour les années
1950 environ. D’après son témoignage, la maison populaire répond à plusieurs modèles :
« Les maisons les plus modestes sont construites à partir de poteaux de poirier et de façades en gaulettes.
Ces maisons sont réalisées par un charpentier-maçon qui enduit les façades de mortier. Car les cyclones
représentent une contrainte pour les constructeurs. Le sol est en terre battue et le toit est constitué d’herbes
séchées ou de tiges de canne à sucre, les tôles constituant un matériau de luxe que ne peuvent se payer
les personnes de condition modeste641.
La maison en bois est faite de planches soigneusement découpées de troncs d’arbre. Cette
maison fait intervenir divers corps de métier dont le scieur. Car, pour réaliser la kaz, il faut savoir
scier, raboter, prendre des mesures. Il faut savoir joindre les chevrons avec des tenons et des mortaises
bien ajustées. Il faut savoir aussi clouer, cheviller, réaliser les portes et les fenêtres. Cette maison
nécessite du savoir-faire et l’expertise d’un charpentier.642 Mais parmi les maisons en planches, il y en
a qui sont plus solides que d’autres. Elles servent même d’abri en cas de cyclone643.
Mais l’habitat des pauvres est vulnérable à l’incendie des champs de canne et aux cyclones. En
effet, à la campagne, pour faciliter la coupe de la canne à sucre et éviter les démangeaisons provoquées
par les pwa graté644 les petits planteurs mettent le feu au champ de cannes. Avant de l’enflammer, ils
prennent soin de creuser un sillon tout autour du champ en guise de coupe-feu pour éviter que celui-ci
ne se propage sur les champs voisins ou sur les maisons. Parfois, ces précautions se révèlent

636
Dominique Cyrille, O pli bèl son, Bèlè et chants de travail de la terre en Guadeloupe, Editions Nestor, 2012, page 38.
637
Carnot par lui-même, Alors ma chère, moi, 1986, page 27 pour la version française du témoignage.
638
Laumuno Marie-Héléna, Man Soso, une histoire du gwoka au XXè siècle, 2013, page 66.
639
Jack Berthelot, Kaz jan moun ka rété, 2002, page 81.
640
(2014) In Mémorian Père Maurice Barbotin, Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe (169),5-6, https:// doi.org
641
Maurice Barbotin, Marie-Galante en Guadeloupe, Sa vie créole son guide historique, l’Harmattan, 2001, page 9.
642
Maurice Barbotin, Marie-Galante, 2001, page 176.
643
Maurice Barbotin, Marie-Galante, 2001, page 80.
644
Plante urticante

205
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

insuffisantes, des maisons et des champs voisins sont détruits. C’est une catastrophe qui provoque la
désolation des victimes privés de leur bien. La désolation s’empare aussi des responsables car
l’indemnisation des victimes ne peut se faire qu’en nature et en koudmen réparateur cette-fois. Ils sont
pour leur part privés d’une partie de leur bien qu’ils doivent redistribuer aux victimes et d’une partie
de leur temps qu’ils doivent consacrer à la reconstruction des maisons et des champs645.
Les catastrophes aggravent la pauvreté. Kawno et Man-Soso se souviennent des dégâts causés
par le cyclone du 12 septembre 1928. Cet ouragan de classe 4 avec des vents soutenus et des rafales
de plus de 200km a touché la Guadeloupe dans son ensemble. Les services météorologiques ont
recommandé l’évacuation de la population des zones les plus exposées aux marées d’ouragan à savoir
Capesterre Belle-Eau et Saint –François.
En dépit de ces précautions, c’est un désastre humain et matériel. Le nombre de morts est de
1500 morts environ. Les disparus et les blessés sont nombreux. Les maisons ont été soufflées par la
violence des vents. Les municipalités en font le bilan. Seules trois maisons résistent à St François. La
commune de Sainte-Anne est complètement rasée, le Gosier et le Moule presqu’entièrement. La
commune de Petit- Bourg est ravagée646. Cet ouragan marque les mémoires. Lorsque les témoins
décrivent ce qu’ils ont vécu durant ce cyclone connu sous le nom de siklònn 28, le traumatisme est
encore vif.
Les années qui suivent le cyclone sont celles où les populations et particulièrement les plus démunis
tentent d’entreprendre une construction plus résistante aux cyclones. Construire devient un défi surtout
pour les plus sinistrés qui souhaitent construire une fois pour toutes.
Nos deux témoins expriment l’enjeu que représente ce type de construction. Bach Athanaïse
Solange dite Man-Soso a passé le cyclone de 1928 chez sa mère chez qui elle était revenue vivre. Elle
était alors âgée de 10 ans. Leur maison se situait aux Abymes. Elle fut marquée par les trombes d’eau
projetées sur le petit pont que la famille empruntait pour accéder à la maison. Elle considère sa famille
comme une heureuse survivante non seulement parce qu’elle ne compte ni blessés ni tués mais parce
que l’ouragan a seulement fait pencher la maison sans l’emporter comme ce fut le cas pour d’autres
familles qui ont perdu la leur647. Le cyclone 28 a aussi traumatisé François Jernidier dit Kawno. Il était
âgé de 9 ans. Le vent faisait s’écrouler les maisons, les feuilles de tôles volaient. Des gens ont quitté
leurs habitations trop fragiles pour se réfugier dans les buissons et les champs de canne. Avec sa mère,
il fait partie de ceux-là. Ils ont réussi à ne pas se faire emporter par le vent. Se mettre dans le sens
contraire du vent leur fut salvateur. Leur maison n’a pas tenue, comme beaucoup d’autres, elle fût
détruite. Et les plus démunis ont construit une demeure d’urgence faites de branchage et de feuilles
appelées « joupa ». Il fallait reconstruire. C’est ce qu’ils ont fait. Le témoin ne précise pas les
matériaux utilisés mais à la satisfaction qu'il manifeste dans son témoignage, la maison construite après
ce cyclone dans la section de Destrellan semblait garantir une plus grande sécurité à ses occupants648.
Cette reconstruction est tributaire de la solidarité de la famille et des amis.
En dépit de cette solidarité, le nombre de logements demeurent insuffisants jusqu’aux années
50. Les Sucreries coloniales construisent entre 1948 et 1953 150 logements alors qu’il en faudrait 800.

645
Témoignage de Chaben Ferriée, août 2015, de Dino Gabin, juin 2007 et de Laumuno Eliane, septembre 1994.
646
Pascal Saffache, Jean-Valéry Marc, Vincent Huyghes Belrose, Les cyclones en Guadeloupe, Quatre siècles cataclysmiques, Ibis
Rouge, 2003, pages 57-75.
647
Laumuno Marie-Héléna, Man Soso…, 2013, page 55.
648
Carnot par lui-même, Alors ma chère moi…, 1986, page 27

206
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La SIAPAP649 en construit 618 alors qu’il en faudrait 2000, la SAUB650 loge environ 100 familles sur
les 2500 personnes qu’elle emploie. Le recensement de 1967 indique que l’habitat est extrêmement
sommaire dans les trois communes du Nord de la Grande-Terre : 84% des logements sont de simples
cases en bois et des cases en gaulettes abritent encore des personnes dans les sections les plus
misérables.
Les métiers sont au service de la communauté. Ils reflètent les activités d’une communauté qui
développe les services dont elle a besoin. Les plus nombreux sont les cultivateurs et cultivatrices.
Même lorsqu’il exerce un autre métier, le travail de la terre n’est jamais abandonné. Le tanbouyé et
chantè Marcel Cusset est employé municipal et cultivateur. Ismaël Gratien dit Marzans, chantè et
dansè est employé des travaux publics et cultivateur. Valentin Zodros, chantè et joueur de petities
percussions et Magloire Louis-Victor dit Napoléon, chantè et dansè sont cultivateurs et ouvriers
industriel651.
Et, lorsque le cultivateur ou la cultivatrice travaille à l’extérieur, il se consacre à son jardin
vivrier et potager personnel le matin de bonne heure et le soir en fin de journée652. Les gros travaux
des champs sont l’occasion de réunir des gens de l’entourage amical et familial dans un espace de
solidarité.
Par ailleurs, le jardin vivrier constitue à la fois une sécurité alimentaire et un apport de revenus
parce que le cultivateur vend une partie de la récolte de son jardin vivrier à des femmes qui les
revendent sur le marché de la commune. De même les cultivatrices sont aussi marchandes653. Et le
jardin vivrier nourrit la famille de sang et le voisinage. Luc-Hubert Séjor aime à raconter que sa mère
l’envoyait récolter des ignames ou autres tubercules du jardin de leur cousine. De même, Jacqueline
et Rose-Aimé Massembo récoltent des ignames dans des jardins communs que la rumeur attribue à
l’œuvre des nègres marrons durant l’esclavage ou encore des gens appelés comme tels dans les milieux
populaires à cause d’un mode de vie marginal.
Au sein du groupe, les métiers et les rangs distinguent les uns des autres. Ainsi l’agriculteur
propriétaire d’un patrimoine foncier et d’un cheptel exerce son activité en toute autonomie. Il occupe
le sommet de la hiérarchie des gens de la terre. C’est le cas du père de Aglas Dunière. C’est aussi le
cas de Valcourt Gêne654. En fait c’est un « exploitant agricole ». Les cultivateurs sont aussi des
éleveurs. Leur petit élevage de volailles, de caprins, de bovins ou d’ovins remplit les mêmes fonctions
nourricières et économiques que les produits du jardin dont la vente réunit au sein de la communauté,
différents ateliers : les bouchers pour l’abattage, le grattage de la peau et le découpage de la viande.
Lors de l’abattage du bétail, les boudiniers et boudinières sont présents dès l’abattage pour recueillir
le sang, remplir les boyaux et les faire cuire. La vente de la viande et du boudin reste un moment
convivial.
Les métiers de la mer se développent aussi au sein de cette communauté. La position géographique de
la Guadeloupe rend la mer très proche de ceux qui habitent à la campagne comme à la ville. Au sein
des métiers de la mer, se comptent plusieurs activités : les plongeurs de lambi et de chatou655, les

649
Société Industrielle et Agricole de la Pointe-à-Pitre.
650
Société Anonyme des Usines de Beauport.
651
Témoignages de Marcel Cusset de août 2015, de Ismaël Marzans de mai 2010, de Valentin Zodros, mai 2016 (collecte personnelle)
/ de Magloire Louis-Victor dit Napolèon, Bulletin Léwòz n°3, décembre 2006 et colecte 2005 Lameca.
652
Témoignage téléphonique, Zodros Valentin, mai 2016, collecte personnelle.
653
Témoignage de Bach Athanaïse dit Man Soso, mars 2012, et de Loïal Florelle, juillet 2015.
654
Témoignage de Barfleur Jean dit Baba pour Valcourt Gêne, novembre 2018 (entretien téléphonique).
655
Pieuvre

207
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pêcheurs au filet qui tendent, depuis leur canot, des filets pour retenir les poissons et d’autres qui posent
des casiers ou qui utilisent des lignes pour la pêche à la traîne. Les tortues qui viennent pondre sur le
rivage sont aussi capturées et consommées 656. Les langoustes sont prises au fusil ou au bâton657.
Ces produits de la mer sont vendus en bord de mer et les invendus souvent les plus petits appelés kokrèl
ou bien ti tchoutout a pwason658 sont rapportés dans les familles et partagés entre voisins. Les plus
pauvres consomment toujours ces kokrèl et les voisins ne se gênent pas pour le leur lancer en guise de
mépris. Le pêcheur est à la fois fabricant de casier pour son propre usage ou encore, d’autres hommes,
en bord de mer se consacrent à cette fabrication. Les barques sont construites par des charpentiers. La
pêche recueillie peut- être vendue à une marchande créant ainsi le métier de marchande de poissons.
Le pêcheur-vendeur ou la marchande de poissons embauche occasionnellement une petite main qui est
l’écailleur de poissons. On le dit « Kayèd-pwason » mais sa tâche en se limite pas à l’écaillage. Il évide
complètement le poisson et le remet prêt-à-cuire à l’acheteur qui lui donne une pièce. L’écailleur est
aussi un polyvalent. Il assure le déchargement des canots et aide la marchande à remplir et à porter son
panier contre une pièce. Il recueille aussi les invendus, les consomme et les distribue à ses proches et
connaissances659.
Ces corps de métier assurent la nourriture des pauvres même si d’autres personnes plus aisées
leur achètent aussi des produits qui proviennent de la mer et de la terre. Le cultivateur, le pêcheur,
l’éleveur sont des consommateurs de leur propre récolte. Ils produisent d’abord pour se nourrir.
Il faut souligner que les gens de ce milieu se nourrissent des plats typiques du milieu. Les
épiciers de campagne ou du bas quartier de la ville fournissent le sel, la farine de blé, le riz et le
saindoux en guise de graisse. Le pain est fabriqué au four artisanal alimenté par les feux de bois. Cette
tâche revient aux boulangers et pour palier au manque de pain lorsque l’argent manque, des dannkits
nourrissent la famille660.
Pour se nourrir, le menu de la journée est sobre : le matin, les adultes prennent du café en grande
quantité. Aux enfants, l’eau de café c’est-à-dire un café très dilué est servi. Parfois le café est préparé
par un membre de la famille qui le distribue au petit matin aux parents du voisinage. Des féculents du
jardin comme le fouyapen ou la patat sont rôtis661. Ils accompagnent le café. Ces féculents rôtis sont
aussi emportés au jardin pour la pause de la mi-journée. A midi, le repas est plus conséquent. Et ce
sont surtout les féculents dits rasin qui le composent. Le soir le plus souvent une tisane sucrée sert de
repas662. Par ailleurs, des fruits sont dégustés durant toute la journée.
Parallèlement les femmes mettent leurs atouts comme les travaux de couture, au service de la
communauté. Elles confectionnent principalement les tenues des grands jours pour les fêtes
religieuses, les mariages, les décès. Généralement les tenues des jours ordinaires sont confectionnées
au sein de la famille soit à l’aide d’une machine à un fil soit tout à la main663. Ces vêtements sont
utilisés jusqu’à l’usure extrême. Le rapiéçage et les transformations leur redonnent sans cesse une

656
Maurice Barbotin…, pages 152.
657
Maurice Barbotin…, pages 318-319.
658
Minuscule poisson, le terme est péjoratif.
659
Témoignages de Marcel Cusset, août 2015 et avril 2016, Saint-Louis Marie-Galante et de Eulalie Edward, avril 2015, juillet 2018.
660
Témoignages de Solange Athanaïse Bach, décembre 2012 à mars 2013, de Chabin Férriée dite Dòdòz, août 2015 et avril 2016,
Massembo Rose-Aimée, novembre 1996 et 2002. Les dannkit sont des galettes de farine de blé.
661
Témoignages de Solange Athanaïse Bach, de Chabin Férriée dite Dòdòz, Massembo Rose-Aimée, 1996 à 2016.
662
Témoignage de Ponture Laurenza, 1970, Pointe-à-Pitre, collecte personnelle.
663
Témoignage de Laumuno Eliane, septembre1994, Grand-Bourg Marie-Galante.

208
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

seconde vie. La broderie du linge de maison est aussi réalisée par les filles de la famille. Ce savoir-
faire est transmis de mère à fille.
L’ensemble de ces métiers se développe pour les besoins de l’entourage, mais ce sont aussi des
résurgences de la période post-esclavagiste. Car pour contourner les contraintes de l’organisation du
travail après l’abolition de l’esclavage, les anciens cultivateurs prouvent leur capacité à assurer leur
subsistance par leurs propres moyens en développant des petits métiers dans le petit commerce de
proximité et l’artisanat : charbonniers, marchandes de bois, de feuilles, de sirop…, couturière,
blanchisseuses, domestiques… Le divertissement procure aussi du revenu.
Même le bal fait partie des amusements solidaires. A la ville comme à la campagne, le bal des
pauvres prend diverses formes. Le bal aux quadrilles est une adaptation des quadrilles françaises et
compte quatre figures correspondant à quatre musiques différentes ; la poule, l’été, le pantalon et la
pastourelle664. Ces bals sont régulièrement organisés. Ils sont perçus, au sein des populations
défavorisées, comme le loisir de luxe. Ceux qui le pratiquent en sont très fiers. Fiers de savoir danser
plusieurs figures d’un même genre musical sans compter la biguine qui termine le cycle des quatre
figures665.
Des familles sont réputées pour l’organisation de ces bals qui réunissent les gens de même rang
social. Les parents de Marcel Cusset en sont de fervents organisateurs. Solange Bach dite Man Soso
commence par organiser ces bals sous sa véranda puis devant le succès de ces soirées, elle loue une
salle à cet effet dans la commune de Morne-à-l’Eau.666
Le quadrille est le bal du pauvre comparativement au bal de la ville qui réunit des personnes de
toutes catégories. Savoir danser les quadrilles est présenté comme un exploit. Ces danses collectives
répondent à des codes dont la moindre erreur nuit à l’ensemble des danseurs et se détecte aisément. Ce
sont des danses posées, sans mouvements du bassin. Des témoins rapportent que ce sont les seuls bals
autorisés par leurs parents, parce qu’ils sont considérés comme des danses respectables667. Le contact
le plus fréquent entre le corps des danseurs et celui des danseuses se fait par la main. L’entrave aux
codes peut entrainer une exclusion au sein du groupe668.
Le bal aux quadrilles familial est le moment où chacun apporte une boisson ou une pâtisserie
même si les organisateurs se chargent de fournir l’essentiel. Le bon danseur, le bon joueur de siyak669
le bon guitariste, le bon tanbouyé di bas670 sont des figures au sein de la communauté. A l’orchestre,
l’accordéoniste est considéré comme le principal musicien, le plus doué, parce qu’il sait jouer de cet
instrument mélodique671. L’accordéoniste joue les mélodies alors que le rythme est assuré par un grand
tambour dit tanbou di bas, d’un racloir appelé wacha ou siyak. L’accordéoniste est une personnalité
au sein de la communauté. Casimir Reynoir est sollicité dans les bals de quadrilles de sa commune
Petit-Canal et au-delà. C’est lui qui anime les bals aux quadrilles de Man-Soso. La danse est, selon la
région et les formes empruntées parfois menée sous la direction d’un commandeur. Devenir

664
Dominique Cyrille, A la repriz, une étude des quadrilles en Guadeloupe, Editions Nestor, 2009, pages 35-37.
665
Témoignage de Artèm Boisbant, 2005, collection Lameca.
666
Témoignage de Solange Bach… 2012-2013, Marcel Cusset. 2015-2016
667
Témoignages de Laumuno Eliane, 1994 / de Chabin Ferriée août 2015, avril 2016/ de Solange Athanaïse, décembre 2012 à mars
2013.
668
Dominique Cyrille, A la rèpriz, Une étude des quadrilles de Guadeloupe, Editions Nestor, 2009, page 50.
669
Racloir
670
Tambour large et plat
671
Témoignage de Casimir Reynoird dit Négòs, Petit-Canal, janvier 2013.

209
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

commandeur est une promotion. Le commandeur est aussi une personnalité. Ce type de quadrilles
s’appellent kadri o komandman.
Une autre forme de bal réunit encore les adultes issus des milieux modestes. C’est le bal-bouké.
Ce bal circule entre des mêmes participants. Le même type d’orchestre l’anime. Parfois, un guitariste,
complète l’ensemble musical. Les titres interprétés sont les mêmes que ceux qui se jouent dans les bals
de la ville. Au cours de la soirée, sur un morceau, un bouquet de fleurs circule entre les danseurs. Celui
qui le tient à la fin du morceau organise le prochain bal. Ces bals dont le ticket d’entrée représente une
somme modique servent à compléter les revenus de la famille672. Parfois, ils sont organisés pour
financer un projet.
Ce type de dépense intervient lors de la construction du logement ou de l’acquisition d’une
673
charèt . Ces projets en dépit de la participation de l’entourage de la communauté nécessitent
l’intervention d’un spécialiste, ce qui engendre des frais supplémentaires que ne peuvent couvrir les
seuls revenus du travail.
Le bal peut servir par lui-même à réaliser certaines parties de la maison, cette fois, non pas par
un apport en argent mais par l’énergie des corps. En effet, le sol des maisons les plus modestes est fait
en terre battue. Il faut une couche de terre assez épaisse pour éviter que le sol ne s’érode à chaque
nettoyage avec le balai des pauvres, le balé-zo ou balé-an-zo. Alors la technique utilisée pour obtenir
un sol épais et rigide est de lancer à la fois un peu d’eau et un peu de terre à mesure qu’évoluent les
danseurs. Ceux-ci marquent les pas sur le sol en les accentuant comme pour executer le rythme saccadé
d’un instrument. Au bout de quelques jours, le sol devient dur comme du roc à la manière du sol en
béton. Ces bals de la solidarité traduisent les valeurs de cette communauté où l’un ne peut se passer de
l’autre. L’entraide est permanente674. Ces bals du temps libre, le samedi et le dimanche sont à la fois
une forme de travail bénévole au service de l’autre. Ils contribuent à souder la communauté.
Autre moment de plaisir, le patipèch675 porte bien son nom. C’est le moment où des familles
qui ont le plus d’affinités se détendent à la plage. Celles qui habitent à la campagne y vont en charèt.
Elles y passent la journée. Tout au long du trajet, des chansons accompagnent l’excursion familiale.
Sur place aussi, c’est la fête. Les instruments font partie du matériel de plage en particulier la guitare,
l’accordéon, le ti-bwa, les chacha, le tanbou, l’harmonica676. On danse, on chante en famille.
Au cours de cette journée, les hommes et les garçons les plus âgés pêchent. Ce sont des pwason
677
soley , des burgots et des yaya, ces petits fruits de mer qui s’accrochent sur les roches. La famille
consomme ces petits mollusques avec des donbré678. Ce repas est préparé sur place sur un feu de
brindilles. La récolte, parfois ramenée à la maison sert à nourrir la famille et les voisins après salaison.
La pêche des petits crabes rouges et noirs appelés touloulou est réservée aux enfants. S’il a plu
abondamment quelques jours auparavant, il suffit de les ramasser parce qu’ils courent sur la plage et
jusque sur la route et aux abords de celle-ci. C’est à qui en ramasse le plus. Si non, les enfants
s’amusent à verser de l’eau de mer dans les trous des crabes pour les faire remonter. C’est à qui réussit

672
Les bals sont décrits par les témoignages de Laurenza Ponture… et de Laumuno Eliane… de Chabin Ferriée …1970,1994, 2015,
2016.
673
Traduction française : Char à bœufs.
674
Marie-Céline Lafontaine, Bal à quadrille ou le bal de quadrille au commandement de la Guadeloupe : un sens, une esthétique, une
mémoire, Présence africaine, 1982, 1, n° 121-122.
675
Littéralement la partie de pêche. En fait il s’agit d’une sortie en famille à la plage ou à la rivière.
676
Cette journée à la plage avec plusieurs familles est racontée par Reynoir Casimir…2013.
677
Maurice Barbotin… page 110.
678
Petites boulettes de farine

210
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

à les faire remonter le plus vite. La pêche des enfants peut être consommée sur place par toute la
famille.
Par conséquent, la journée à la plage est une détente collective et une journée de pêche familiale
pour nourrir la famille et ses alliés.
En définitive, les zanfan-lanklo mènent une existence difficile. C’est la difficulté du quotidien
qui favorise la construction d’une communauté de partage. Du niveau de scolarité à l’exercice du
métier et au mode d’habitat, ces gens se retrouvent, se comprennent et cherchent à régler ensemble des
problèmes de survie. Chacun se sent responsable de l’autre. Cette responsabilité mutuelle donne lieu
à la pratique d’un gwoka dont le contenu rappelle, en fonction des acteurs, des circonstances et du
contenu un acte sacré. Autrement il devient un acte dépourvu de toute intériorité ; un acte ordinaire,
profane, somme toute.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE VI

LE GWOKA DES « ZANFAN- LANKLO » : UNE PRATIQUE MUSICALE


ENTRE PROFANE ET SACRÉE

A- Sacraliser les choses et les hommes

1- Le tanbou et le tanbouyé : une même autorité majeure

En dehors du gwoka, le tambour occupe une place importante dans la hiérarchie


des instruments tant pour ceux qui jouent, chantent et dansent sur ses sonorités. Robert
L. Winzeler, anthropologue et universitaire américain reconnaît la sacralité du tambour. Pour lui, par
son usage en tant qu’instrument unique, il donne naissance aux « religions naturelles ». Pour le montrer
il s’appuie sur deux auteurs. Ernest Crawley qui reconnaît la puissance des tambours comme les
instruments les mieux liés à l’émotion humaine. A ce titre, les tambours agissent sur le corps humain
à la manière de la détonation d’un canon. Utilisés en association avec la danse, ils constituent un canal
de communication majeur avec les esprits.679 ». L’autre auteur, Rodney Needhman montre que c’est
principalement la percussion des tambours qui joue ce rôle même lorsque cette percussion est rendue
en dehors des tambours par des battements de mains, des gifles ou sur des objets à consistance dure.
Le tambour est un objet sacré en contexte de religion. Il peut être aussi sacré, placé au dessus des
objets et des hommes, en dehors des pratiques religieuses. A ce titre, il peut être consacré comme
objet de cohésion de toute une communauté. L’ostention du tambour participe de cette production.
C’est ainsi que le tanbouyé géant de Kinshasa est réalisé par André Lufwa dit Papa Lufwa680. Interrogé
sur le sens de cette oeuvre, il retrace son histoire. Ayant participé à un concours d’exposition à Liège
alors qu’il fait ses études d’arts plastiques à Léopolville (future Kinshasa), l’une des deux œuvres
retenues pour l’exposition s’intitule « L’homme du tam-tam ». Plus tard, cette œuvre est retenue
comme symbole de la Foire internationale de Kinshasa (FIKIN) en 1969. Il en fait une œuvre géante
en ciment blanc de 2, 30 mètres de hauteur qui pèse 800 kg qu’il intitule pour l’occasion « Le batteur
de tam-tam ». C’est une œuvre en porte-à-faux qui surplombe la ville de Kinshasa. Les muscles
proéminents constituent l’originalité de l’œuvre. Papa Lufwa veut ainsi rendre hommage aux efforts
consentis par les organisateurs de la foire pour cette première édition. La sculpture est placée à l’entrée
de la foire et domine la ville. Elle exprime ainsi cette idée d’effort collectif, transmise à l’ensemble
de la société, alors que l’indépendance politique vient d’être acquise. Art, politique et social fusionnent
en une œuvre artistique unique et créent au sein de toute la société une émotion partagée.

679
De Robert LWinzeler, Anthropology and religion, What we know, think and question, 2012, pages 92-94

680
L’artiste, âgé de 93 ans est interrogé par un journal local, le Congolais en 2016. Les questions et les réponses de l’entretien sont
retranscrites dans l’édition du 29 juillet 201§ sous le titre « Concepteur de la statue de la FIKIN, l’artiste Lufwa réclame son droit
d’auteur »

212
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ainsi, le tambour fait autorité. Il tient ce rang des éléments de la nature animale
et végétale qui le composent. La nature étant sacrée, les produits naturels ou
considérés comme tels par leur mode de fabrication le sont aussi. A ces éléments
naturels s’ajoute le tanbouyé qui en joue. D’un simple instrument, le tambour devient
un « tryptique interactif 681» naturel : Homme-Faune-Flore. De ce fait, il est placé à un
niveau supérieur, au-dessus même de l’homme.
Pour le gwoka des années 1960, des artisans, facteurs de tanbou, réalisent la caisse en « bwa-
fouyé ». Mais, d’après Artèm Boisbant683, la caisse peut-être aussi un baril recyclé. Il s’agit d’un
682

petit tonneau provenant du transport de liquides, entre la France métropolitaine et la Guadeloupe.


Garbélis, un tonnelier qui travaille à l’usine Doro de St Louis récupère les vieux tonneaux et les
transforme en tanbou. Marcel Cusset assiste à sa fabrication par Garbélis, de loin son aîné, et apprend
ainsi684à fabriquer et à jouer du tanbou.
Ainsi la caisse quelque soit la matière utilisée pour la fabriquer est d’origine naturelle. La caisse
en « bwa-fouyé » est le résultat d’un processus naturel c’est-à-dire du creusement naturel d’un tronc
d’arbre comme par exemple un arbre attaqué par des poux de bois. Ce phénomène se produit souvent
pour l’avocatier. Le creusement du tronc à travailler peut -être intentionnellement réalisé en y mettant
le feu. Et, si ce creusement doit se faire par des outils adaptés, il faut choisir un arbre dont le tronc est
malléable comme le bois du mapou ou du fruit-à-pain685.
Les fabricants peuvent avoir des préférences. L’essentiel est de garder le caractère naturel de
la matière. ALorsqu’il réalise ses tanbou en bois, Artèm Boisbant dit qu’il n’aime pas utiliser l’arbre
à pain car trop mou. Il lui préfère le gommier, plus approprié. D’après Marcel Cusset dit Serge,
tanbouyé né en 1940 et habitant à St Louis Marie-Galante, la fabrication du tanbou réunit des éléments
naturels en l’état ou recyclés. La peau est celle du cabri, du lapin ou du mouton récupérés après
l’abattage des animaux pour la consommation familiale. Des lianes sont utilisées pour enserrer la
peau. Marcel Cusset utilise le tronc du génipa qu’il appelle joumpa686 pour la fabrication du tanbou
et Luc-Hubert Séjor, une liane appelée zèl-a-ravèt pour le cordage. Pour les klé, ce sont les branches
des arbustes connus sous le nom de ti-fey ou encore de bwad-fè que préfère ce dernier. Artèm donne
des indications pour le traitement de la peau. Elle ne peut être traitée sans tenir compte du cycle lunaire.
« Fò rèspèkté po-la ou ka mété asi-y la. Ou ka pran po-la. Ou ka mété-y an dlo, ou ka séché-y byen. Ou
ka fèy an lalin montan. Fò lalin-la ka monté687.
L’exécution du son est aussi naturelle. En fonction des circonstances et des formes du tanbu
utilisé le tanbouyé frappe à mains nues, à l’aide de baguettes ou d’un gourdin sur la peau animale. Un
autre mode d’exécution du tanbou doit être souligné pour la période. Il s’agit du bouaké. C’est le fait
qu’un musicien rende le son à l’aide de deux baguettes sur la caisse du tanbou dont un autre musicien
frappe à mains nues, sur la peau. En fait le son est produit simultanément par deux musiciens, un sur

681
Nous empruntons cette idée et expression du tryptique interactif au professeur Théophile Anakesa à propos de la musique de Jean-
Louis Florentz.
682
Traduction : bois fouillé (évider le tronc d’un arbre)
683
Témoignage de 2005, collecte LAMECA.
684
Témoignage de Marcel Cusset, août 2015, St Louis Marie-Galante
685
Témoignage de janvier 2016, collecte personnelle.
686
Il est auusi appelé jennpa en Guadeloupe
687
Il faut respecter la peau à poser sur la caisse. Vous prenez la peau, Vous la mettez dasn l’eau. Vous la faites sécher. Il faut le faire à
la lune montante. Il faut que la lune monte.

213
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la peau et l’autre sur la caisse688. Ce mode d’exécution est différent mais les baguettes, nouveaux
éléments qui interviennent dans cette exécution, sont aussi naturelles.
En tant qu’instrument unique des manifestations gwoka, le tanbou obéit à un
principe d’unicité qui lui confère une place majeure dans la production collective des
émotions. De même, la place qu’il occupe physiquement dans les rencontres traduit sa centralité. En
effet, le tanbou est toujours au centre de l’orchestre quelque soient le nombre de tambours, un, deux
ou trois pour la période. Ce principe de centralité favorise son ostention. Il entraîne le tanbouyé dans
son unicité et sa centralité. Tanbou et tanbouyé créent conjointement les émotions des participants
selon deux modèles :
L’éxécution directe dans toutes les manifestations où le tanbou est physiquement présent : le léwòz, le
mayolè, le grap-a-kongo, la parade des mas. L’exécution virtuelle où la percussion habituelle du
tanbou est rendue par des battements de mains ou par d’autres moyens percussifs. Il concerne le bèlè,
la véyé et le vénéré. Parfois le modèle est double, réunissant l’exécution virtuelle et l’exécution directe.
Mais le tanbou ne peut rendre à lui seul les émotions. La circonstance la rend aussi sans égard pour le
tempo de la musique. Ainsi, une mélodie apparemment gaie à l’écoute peut être interprétée dans une
circonstance triste comme le décès, la colère ou tout autre évènement malheureux.

Le tanbou tient, par ailleurs, le rôle de régulateur des relations. De tanbouyé à tanbouyé,
méfiance et confiance animent un jeu permanent. La compétition est rude et se transforme parfois en
tension. Cette compétition se solde par des jeux de mauvais sort entre deux tanbouyé ou entre un
tanbouyé et un non-tanbouyé. Napoléon Magloire recommande le recours au « Bon Dieu » pour se
protéger et guérir du mauvais sort.
La maîtrise de l’éxécution tambourinée est une exigence des rencontres musicales. Elle suscite,
de ce fait la jalousie entre les praticiens, qui tout en partageant leur passion se méfient les uns des
autres. Au sein de la communauté, c’est un individu qui jouit d’une popularité. Il est envié pour sa
dextérité, son savoir-faire musical. Les qualités du bon tanbouyé se mesurent à l’exécution des repriz.
Pour les chantè, la rèpriz est la capacité à s’arrêter, repartir et être à l’aise vocalement, sans gêner lé-
répondè ou les tanbouyé. C’est une forme esthétique de la danse, du jeu du tanbou et du chant. Au
niveau des tanbouyé, la rèpriz est le dernier cycle de mesures qui fait une pause sur un son aigu. Si le
tanbouyé est libre de ses frappes lorsqu’il n’est pas en interaction avec un dansè, il doit être capable,
face au dansè, de marquer la rèpriz de manière simultanée avec celui-ci ou celle-ci. La rèpriz est
annoncée par les frappes ou par le mouvement du dansè. C’est aussi à cette dextérité que s’évalue la
performance de l’un comme de l’autre. La soustraire au tanbouyé, c’est le priver d’une réputation.
Lorsque la peau de son tambour éclate, le tanbouyé peut être déstabilisé et perdre ses qualités
de bon joueur. C’est la peau qui fait le tanbou. Sans lui, il est inutilisable et le plus grand malheur qui
puisse arriver à un tanbouyé c’est l’éclatement de la peau. L’ennemi sait combien il peut atteindre le
tanbouyé en s’attaquant à son tanbou. Le tanbouyé Fortuné Dolor né en 1935 à Goyave raconte une
mésaventure de Marcel Lollia dit Vélo avec une de ses relations intimes :

688
Article de Roger Fortuné, Carnaval Mi Masses, Revue Guadeloupéenne, 1947 et Témoignage de Guy Rospart dit Kaya, 2005,
collecte LAMECA.

214
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« Madanm-a-y krévé sa douvan Equinox. I té ka joué sa pou-y té ni lajan…i té ni on talon a soulyé longè
lasa. I krévé po-la, Vélo tonbé mal o prèmyé kou. Sé dòktè yo menné-y 689»

Le fait n’est pas prouvé. Et, quand bien même que l’histoire fut réinterprétée et surenchérie
par le narrateur lui -même tanbouyé, il traduit la relation fusionnelle qui lie le tanbouyé à son tanbou
et que peut mettre à profit des gestes malveillants.

Pour la période des années 1930-60, être tanbouyé répond à une contrainte, celle de pouvoir fabriquer
soi-même son tanbou. C’est un savoir-faire indispensable au tanbouyé. Cette convention explique le
fait que les tanbouyé soient les moins nombreux des acteurs centraux du gwoka. Le tanbou ne se prête
pas. Le tanbouyé est aussi artisan facteur de tanbou. Les filles Bernis fabriquent elles-mêmes leur
tanbou. Une autre femme du Gosier, Cho Beausivoir fabrique ses tanbou elle-même. Odilia Judor sait
les fabriquer parce que vit dans une famille où les tanbouyé se transmettent ce savoir de père en fils et
qu’elle les voit faire.
Par ailleurs, le tanbouyé éprouve une certaine méfiance à l’encontre de la présence des femmes
au léwòz. Car, la diablesse est une femme. C’est un être surnaturel. Elle sait cacher ses signes
distinctifs comme son pied de bouc ou de veau. Elle est décrite comme une femme qui a les atouts de
la peau, de la danse et de la tenue vestimentaire pour séduire le tanbouyé. En effet, sa danse est
sensuelle et vêtue d’une belle robe sur sa peau claire, elle s’infiltre dans les léwòz690.
La fille de Man-Soso, Théodora, enfant est effrayée au cours d’un léwòz à Jabrun (Baie-
Mahault) au domicile de Man-Soso. Elle était assise sous une table quand elle fût frappée par les pieds
d’une mûlatresse dont un sabot remplaçait un pied lui rappelant la patte de l’âne ou du cheval. Effrayée
elle se réfugie dans les jupes de sa mère. Pour Man-Soso, cette diablesse est la délégation de l’ennemi
pour troubler son léwòz. Cette dame peut aussi entrer dans le cercle du léwòz et danser jusqu’à envouter
le tanbouyé et partir avec lui pour le perdre dans les bois. Son mythe d’apparition le mercredi des
Cendres symbolise la lutte farouche entre Dieu et Satan dont elle est l’auxiliaire691.
Des plantes protectrices sont recommandées au tanbouyé. Lorsqu’il se rend au léwòz, il doit se mettre
par exemple du pyé a poul692 dans les poches. Cette plante est celle que les familles mettent dans une
assiette sur le ventre d’un défunt afin d’éviter que le ventre ne gonfle. Le tanbouyé en s’en protégeant
montre les passerelles entre les deux manifestations. De même, celui qui veut déstabiliser le tanbouyé
se métamorphose pour commettre des méfaits.

Enfourchant son tanbou pour en jouer, le tanbouyé est doté de pouvoirs. Il peut attirer le
malheur voire la mort si ce geste se produit à l’intérieur d’une maison. Des récits mythiques
accompagnent le tanbou. Nous rappelons celui qui met en scène le personnage de Ti-Papa. Ce récit
qui se transmet de génération en génération diffuse l’idée que le tanbou est magique en déclenchant

689
Sa femme a défonçée (cela, le tanbou) devant l’épicerie Equinoxe.Il jouait de cela (du tanbou) pour se faire un peu d’argent. Elle
avait des chaussures à talon longs comme cela (à souhait). Elle a défoncé la peau. Vélo est tombé dans les pommes. On l’a conduit
chez le médecin.
690
Napoléon Magloire le dit et Man Soso aussi dans leurs témoignages, 2005, 2012-2013.
691
Geneviève Léti, L’univers magico-religieux antillais…, L’Harmattan, 2000, pages 55-56.
692
Espèce d’herbe sauvage.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

chez n’importe quel individu fût-il un curé la fougue de la danse. Il dit encore que le tanbouyé est aussi
puissant que l’Eglise et l’Etat qu’il ose braver.693
Un autre récit mythique circule dans le milieu du gwoka, c’est celui du nègre marron c’est-à-
dire du travailleur esclave fugitif qui, caché dans les bois, prend le temps de fabriquer son tanbou et
incite les autres travailleurs esclaves non-fugitifs à se révolter. C’est au nègre marron qu’est attribué
la pérennité du gwoka. Ce récit présente ainsi le gwoka comme un acte de résistance à l’oppression du
système esclavagiste et fait de son instrument majeur, un objet de puissance. Cette caractéristique
explique l’attrait des hommes pour l’instrument et la désignation de fanm-nonm 694 comme un mépris
pour celles qui en jouent.
D’un acteur marginalisé sur la plantation esclavagiste et au-delà, l’image du tanbouyé change.
Le spécialiste des pratiques musicales, Apollinaire Anakesa, originaire du Congo-Kinshasa,
universitaire, anthropologue et ethnomusicologue, définit le sacré chez l’Africain, comme une
intériorité totalisante dans laquelle l’homme retrouve avant tout son essence avant de recourir à aucun
être695. Il rappelle ainsi, que dans la pensée africaine, le profane n’existe pas. Par conséquent, les
sociétés africaines sont les lieux du tout-sacré. Cette pensée africaine nous guide vers l’étude des
acteurs Afro-guadeloupéens du gwoka, en tant que constructeurs d’une pratique sacrée. Ces derniers
ne pourraient, pour autant, occulter la dimension profane du tambour, car originaires de la Guadeloupe,
territoire français. Cet aspect profane se lit dans l’ostentation du tanbouyé. Celle-ci s’effectue d’abord
par les troupes de danse puis par le disque.
Le disque produit en Guadeloupe à partir de l’année 1963, le rend plus visible. La sociologue Nathalie
Heinich montre que la célébrité est créée par la reconnaissance interne à un groupe alors que la
visibilité est une célébrité médiatique. C’est une forme moderne de la célébrité. Elle est rendue par la
médiatisation du visage. Le ratio de célébrité peut se calcule au nombre de fois qu’apparaît le visage
de l’interessé sur un support médiatique696.
Pour étudier cette visibilité véhiculée par le disque, nous choisissons sept albums où le
tanbouyé occupe des positions différentes. Ils sont commercialisés entre 1964 environ et 1969 :
Vélo et son gros-ka697, 33T
Robert Loyson accompagné par le tandem Vélo et Boisbant698, 45T
Le Cercle Culturel Ansois et Vélo699,33T
Congné Go-ka èvè Gérard Pomer700, 45T
Les Anges noirs du go-ka du groupe Caribana de Pigeon Bouillante701
Lovency / Vélo, Caso702, 45T

693
Ce mythe est relaté et étudié dans la première partie de la présente thèse, chapitre 3 : A la recherche des gens du gwoka, C1 : que
faire de Ti-Papa, page 131-134.
694 Traduction : femme-homme (femme qui se comporte comme un homme ou que la rumeur pense qu’elle détient les qualités

physiques et les comportements propres aux hommes)


695
Anakesa Apollinaire, Florentz… sur les marches du soleil, Millénaire, 1998, pages 9-10.
696
Nathalie Heinich, De la visibilité, Gallimard,2012, pages 24-27/ 407-412.
697
Label Emeraude, GPE 5A, 33T, 1964
698
Label Aux Ondes, Vol 6, 45 T, 1966-67
699
Label Aux Ondes, Hors série, 33T, 1966-67
700
Label Kaloukera, 1962 -1964. Certains le situent plus tard en 1970. Ce qui est peu probable vu la physionomie du tanbouyé âgé d’à
peine 20 ans alors qu’il est né en 1942.
701
Label Kaloukéra, 45T, 1434, 1966.
702
Label Disques Debs, 45T, 1969-70

216
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le Guy Conquête groupe703,45T

Figure 24 : Pochette et schémas de composition esthétique : Trois exemples

Exemple 1 : Album Folklore de la Guadeloupe, Vélo et son gros-ka, 33T, Label


Emeraude, Pointe-à-Pitre 25-09- 1964.

Pochette recto disque Schéma de composition


esthétique

703
Label Disques Debs, DD 242, 1969.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Exemple 2 : Album Les Anges noirs du go-ka du groupe folklorique Caribana de


Pigeon Bouillante, Bernier Locatin et Délice Zenon,45T Label Kaloukéra, Basse-
Terre 1964-66 (collection Krédito)

Pochette recto disque Schéma de composition esthétique

218
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Exemple 3 : Album Congné Go-ka èvè Gérard Pomer et Pierre Modalie (chant),
Paul Marivat,45T Label Kaloukéra, 1966-1967 (probablement 1970)

Pochette recto disque Schéma de composition esthétique

C’est par la photographie que le tanbouyé est représenté sur la pochette des albums. Ce sont
des supports de petite taille. Ils prennent la forme de carrés de 17,5 cm de côté pour les 45 tours. Les
deux 33 tours mesurent respectivement 25 cm et 30 cm de côté. Les portraits sont majoritairement en
pied, représentant le tanbouyé en situation de jeu, les mains en action.
Des scènes sont prises sur le vif et d’autres sont anticipées. Les poses sont variées. Le tanbouyé
est soit assis sur le tanbou, soit assis sur un petit siège bas qui se devine, soit assis sur le sol alors que
le tanbou est posé devant lui. Une seule scène montre le tanbouyé agenouillé devant le tanbou. De
même, la position debout semble exceptionnelle parce qu’elle n’est montrée qu’une seule fois. Dans
ce cas, le musicien se penche pour que ses mains atteignent la peau. Sa force physique est démontrée
par son torse nu, pose inédite pour l’illustration des pochettes de disque en général. Le disque gwoka
apporte cette nouveauté.
Une des scènes le décrit utilisant son talon posé sur la peau afin d’exécuter le son. Ces œuvres
placent le tanbouyé au centre de l’action. La maquette rend compte de cette place. Celle-ci est rendue

219
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

par une photographie unique ou par deux photographies placées côte à côte ou l’une en dessous de
l’autre. Elles sont mises en évidence par le contraste des couleurs : un fond coloré ou un fond bicolore
sur des photos noir et blanc. Les formes géométriques classiques ou inédites rendent aussi cette
centralité. Parfois, pour une seule parmi les œuvres choisies, les lignes sont tracées de sorte de donner
une impression de profondeur où sont installées des tanbouyé.
L’expression du musicien varie selon les poses : souriant, l’air grave, concentré, ou bien
extatique. Sa tenue vestimentaire mérite une attention particulière afin d’inscrire cette œuvre dans un
courant artistique qui serait l’expression du doudouisme ou encore dans un courant artistique propre
au gwoka.
Le doudouisme est un courant littéraire qui débute au XIXè siècle. Il privilégie l’exotisme et le
rêve de l’île des Antilles. Pour Jack Corzani, cette littérature est celle des gens de couleur qui
choisissent la voie de la pasteurisation du réel et qui va jusqu’à proposer une nature édulcorée704. La
dénonçant au profit d’une négritude rebelle, le poète Guy Tirolien refuse les symboles du doudouisme
commes les « doudous » et propose une relecture de ces symboles comme la métaphore du papillon
Guadeloupe, la fleur du flamboyant, les romances705… En 1964 l’illustration du tanbouyé sur le disque
« Vélo et son gros-ka », relève du doudouisme par la tenue du tanbouyé affublé d’un grand chapeau
de paille, jambes de pantalon retroussées, chemise à carreaux qui rappellent les tenues de scène des
troupes de danse706. La pose qu’il prend par le sourire qu’il esquisse en rajoute à son bonheur. Pour
toutes les autres œuvres qui suivent, le tanbouyé porte une tenue ordinaire, ce qui importe c’est son
expertise. Le réel s’impose dans la représentation iconographique du tanbouyé. Cette représentation
iconographique du tanbouyé nous invite à y voir un nouveau courant artistique qui célèbre le tanbouyé
et qui peut s’appeler le « tanbouyisme ». Les plasticiens, les producteurs, les maquettistes, les chantè
et les tanbouyé qui se prêtent et soutiennent ce nouveau courant sont des « tanbouyistes ». Ce courant
a pour modèle le tanbouyé et parfois le tanbou comme pour montrer la personnification de l’instrument.
Le tanbou autant que le tanbouyé sont sur le même pied d’égalité eu égard à leur nature.
Ainsi composées, ces œuvres dont la pochette du disque est le support crée de la visibilité pour
les tanbouyé représentés. Il s’agit de Marcel Lollia dit Vélo. Ce tanbouyé originaire de Pointe-à-Pitre
est le premier à être sollicité par le producteur Marcel Mavounzy pour le premier enregistrement gwoka
de ce producteur. Celui-ci, depuis les années 1950 produit des musiques de bals et, dans un contexte
de développement du tourisme cherche à proposer un autre produit, à la clientèle touristique.
Marcel Lollia est choisi par un producteur qui ne fait pas partie de la communauté gwoka. C’est
le temps où les producteurs choisissent leurs musiciens et en refusent d’autres. Marcel Lollia est le
premier à être choisi. Celui-ci propose d’autres tanbouyé comme son compagnon de musique et
probablement cousin Artèm Boisbant pour l’accompagner au tanbou boula. Ses maîtres probables,
Tètèch Mirka et Achille Poloby ne sont sollicités. Roger Sienzonit aurait pu l’être sans doute mais il
décède vers 1963707. Les autres producteurs suivent la voie de Marcel Mavounzy. En effet, Raymond
Célini avoue sa préférence pour cet homme qu’il a connu par sa mère qui tenait une épicerie à Grand-
Baie Gosier et que Vélo fréquentait :

704
Jack Corzani, Léon-François Hoffmann, MarieLyen Piccione, Littératures francophones, Les Amériques, Haïti, Antilles-Guyane,
Québec, Belin Sup Lettres, 1998, pages 105-106.
705
Guy Tirolien, Balles d’Or, 1961
706
Vélo et son gros-ka, GPE 5A, 1964.
707
Témoignage de Jean-Claude et Christian Sienzonit en 2015, Abymes.

220
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« Pas la peine de me demander qui était tanbouyé sur les enregistrements que j’ai produits. C’était
Vélo708 ».
Et même lorsqu’il produit le Cercle Culturel Ansois qui a ses propres tanbouyé confirmés
comme Sylvert Erbland, Bertili Chérubin, Berlange et Serge Palin709, le producteur impose Vélo710.
La visibilité de ces tanbouyé en est affectée. L’inscription « Le Cercle Culturel Ansois présente Vélo »
est loin de la réalité. C’est d’ailleurs, d’après Armand Chérubin711, la raison pour laquelle la troupe n’a
enregistré que 3 disques dans le style léwòz, véyé et chants de noël, alors que le projet était plus
ambitieux. Raymond Célini raconte que pour garantir la disponibilité de Marcel Lollia, il l’invitait à
séjourner à son domicile et c’est en connaissance familière qu’il accompagnait même sa femme au
marché de Pointe-à-Pitre. Il est accompagné au tanbou-boula par Boisbant Odette Parfait dit Artèm.
Le duo se produit régulièrement pour les enregistrements. Mais son fidèle boularyen712 n’a pas de
visibilité par le disque.
Plus tard, la maison Debs le rencontre grâce à ses relations avec le musicien et animateur radio,
Casimir Létang (1935-1996) qui le propose comme tanbouyé pour l’enregistrement d’un titre. Dans la
région de Basse-Terre, Gérard Pomer est sollicité par le patron de la Maison de production Kaloukéra,
Henri Béville. C’est un tanbouyé réputé du Bas du bourg. Il se produit régulièrement, dans le quartier.
Son expertise fascine le producteur.
Pour les deux adolescents tanbouyé âgés de 14 ans au moment de l’enregistrement, Bernier
Locatin et Délice Zenon, nous ignorons leur mode de recrutement. Toutefois, les informations portées
à l’album laissent à penser qu’ils viennent de « l’école » de la troupe de danses Caribana de Bouillante.
La photographie des autres musiciens qui participent aux enregistrements ne figure pas sur les albums
qui offrent toute la place aux tanbouyé. Guy Conquet est un musicien polyvalent qui danse, chante et
joue du tambour. Pourtant, pour l’album illustré par Guy Conquet en position de jeu, ce n’est pas lui
le tanbouyé mais c’est dans ce rôle qu’il est montré. C’est dire la place du tanbouyé aux yeux des
producteurs.
Toutefois, aux côtés des tambouyé, d’autres figures s’imposent. Ce sont des chantè. Ils
bénéficient par le disque d’une renommée et d’une visilité remarquable car leur nom figure en gros
caractère et leur photographie illustre la pochette de leurs albums respectifs. Le verso comme le recto
du disque participe à leur consécration. Le premier album gwoka en 1963, montre le portrait d’un
homme en gros plan la bouche ouverte en position de chant. Son identité n’est pas dévoilée. La rumeur
dit qu’il s’agit de René Perrin mais l’historicité de l’information n’est pas attestée. Pour lui, point de
visibilité puisqu’il ne figure qu’une unique fois sur une pochette de disque et dans l’anonymat. Mais,
pour Germain-Calixte Gaston et Robert Loyson, la visibilité est garantie. C’est la différence avec
François Taret dit Turgot par exemple à qui le disque ne donne aucune visibilité en dépit du fait qu’il
est désigné par « Roi du Folklore » sur la pochette de son album en 1966.
Par ces œuvres, le tanbouyé sort de son univers. Il est porté devant la scène publique. L’art du
disque participe de cette mutation. Cet art crée des artistes du gwoka et principalement des tanbouyé
et des chantè. Dans la composition esthétique des albums discographiques, le tanbouyé occupe une

708
Témoignage de Raymond Célini, décembre 2015, Les Abymes (Collecte personnelle)
709
Ces personnes sont citées par Armand Chérubin dans son ouvrage-témoin : Anse-Bertrand, En mémoire de ceux qu’on oublie,
2011, page 173 et lors d enos entretiens à son domicile dans la commune d’Anse-Bertrand, juillet 2015.
710
Témoignage de Armand Chérubin, juillet 2016, Anse-Bertrand, Collecte personnelle
711
Témoignage de juillet 2016, Anse-Bertrand (Collecte personnelle). Armand Chérubin est membre de l’association Cercle Culturel
Ansois fondée en 1965.
712
Musicien qui joue du tanbou boula

221
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

place qui lui permet d’être vu et considéré. La visibilité du tanbouyé est portée par deux courants
artistiques, l’un emprunté, le doudouisme puis l’autre qui donne une esthétique singulière au gwoka,
le « tanbouyisme ».
Mais, la visibilité des tanbouyé est inégale voire contrastée. En effet, ceux qui bénéficient de
cette considération par les premiers disques gwoka sont au nombre de 6. C’est Marcel Lollia dit Vélo
auquel il faut ajouter son compagnon tanbouyé Boisbant Odette Parfait dit Artèm qui obtient non pas
la visibilité mais la renommée en participant à la quasi-totalité des prestations de Vélo. Ce sont aussi
les deux tanbouyé adolescents Bernier Locatin et Delice Zenon. C’est Gérard Pomer. C’est aussi Guy
Conquet, présenté dans ses compétences de tanbouyé. Le disque, en leur donnant de la visibilité les
consacre comme artistes, aux yeux du grand public.
En définitive, pour le gwoka vivant, tanbou et tanbouyé bénéficient de l’ostention telle des
reliques. En revanche, dans le gwoka de restitution, le disque construit la visibilité médiatique du
tanbouyé. L’homme et son tanbou bénéficient de la sorte d’une considération à la fois profane et sacrée
qui associe l’ostention du gwoka vivant et l’ostentation du gwoka de restitution. Cette double élévation
les consacre comme des artistes profano-sacrés. D’autres acteurs les rejoignent par leur grade de
maître.

Figure 25: Photographies de pochettes d’albums : L’image des chantè


(Chantè non identifié)

222
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Germain-Calixte Gaston (1922-1987), chantè

223
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Robert Loyson (1928-1989), chantè

2- Devenir maîtres par la transmission et l’expertise

Le maître ou mèt en créole guadeloupéen dans les sociétés marquées par l’esclavage et la
colonisation renvoie à celui qui possède des travailleurs esclaves qu’il dirige et contrôle. C’est aussi
dans le domaine de la religion, pour les fidèles, celui qui éclaire, guide le chemin et décide :
« A pan-nou ki mèt 713» exprime la fatalité face à la décision du Dieu maître.
Etre maître s’emploie au niveau des métiers. C’est le patron. C’est l’ouvrier principal. C’est
aussi l’ouvrier chargé des tâches difficiles et qui les accomplit aisément :
- Le mèt pèl dans une entreprise artisanale de boulangerie est celui qui manipule la pelle à longue
manche pour enfourner et défourner le pain.
- Pour les femmes, la mèt-fédanm est une femme qui s’affirme et qui a la maîtrise de ce qu’elle
entreprend.
Dans toutes ces situations, le mâitre occupe un rang supérieur suscitant considération et respect.
Et, en recherchant les maîtres du gwoka le problème de la transmission se pose. Alors recevoir ou
choisir, que faire de l’héritage familial ? L’expression « transmission culturelle » nous semble
appropriée pour caractériser la passation des rôles au sein du gwoka par ceux qui sont au sommet de
la hiérarchie, les mèt. Mais la transmission peut prendre la forme de la reproduction d’une culture de

713
Nous ne sommes pas maître

224
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

masse ou alors elle peut relever d’un choix individuel délibéré où celui qui reçoit devient acteur de sa
propre socialisation au sein du groupe. Elle remet en cause la socialisation par contrainte714 et dans le
cas du gwoka atténue la distinction de mèt.
Appliquée au gwoka, il convient de se demander si la transmission est familiale, extra familiale ou
si elle relève d’un choix autonome. En tout état de cause, étudier la transmission des acteurs du gwoka
revient à rechercher le processus par lequel naît le mèt, par transmission familiale, extra familiale ou
par choix autonome des acteurs. Dans le gwoka, le statut de mèt n’est pas toujours explicité. Les
mèt sont considérés comme tels mais pas forcément désignés comme tels. La transmission se fait sous
des modalités différentes et le mèt joue des rôles variés. Il est modèle, conseiller, intronisateur ou
formateur.
Parmi les plus anciens de notre période, Ismaël Gratien dit Marzans né en 1916 rappelle sa
rencontre avec le gwoka, il évoque sa grand-mère Jacine qu’il accompagne aux léwòz depuis sa tendre
enfance715. Sans énoncer explicitement la distinction qu’il lui attribue, pour lui, sa grand-mère joue à
son égard le rôle de maîtresse de transmission716. On peut être fasciné par certains mais c’est celui qui
conseille qui devient le maître. Le cas de Louis Victor dit Napoléon Magloire né en 1919 est signifiant
à ce propos. Entourés de tanbouyé dans sa famille, il s’apprête à embrasser ce rôle quand il est sommé
par Octavien Vilus, un tanbouyé de sa région de choisir le chant :
« Papa mwen té ka konnyé tanbou. Kouzen Méda té ka konnyé tanbou. Tout sé moun-la té ka jwé. Nou
pa té lwen Magaya… é pannan fanmi an-nou ka chèché -nou, nou la ka gadé moun ka konnyé tanbou…
Oktavien di-mwen sé chanté pou mwen chanté717 ».
Mais le maître peut être le modèle sans être un proche. Lorsque Man Soso quitte Pointe-à-Pitre
pour Jabrun Baie-Mahault, elle découvre des léwòz organisés par une femme, probablement Simone
Minervin718. Cette femme danse et chante aux léwòz qu’elle organise à domicile. Alors Man-Soso en
fait de même.
Pour la génération suivante, le schéma demeure le même. Les plus anciens transmettent aux
plus jeunes. Aurélien Céleste né en 1946, accompagne sa mère aux véyé et léwòz alors qu’il est à peine
âgé de 6 ans719. Gérard Pomer devient tanbouyé et fabricant de tanbou en assistant avant l’âge de 15
ans, aux rassemblements de quinzaine, les bamboulas comme ils sont appelés dans le temps. Il
commence par réaliser un tanbou, à partir d’une conga avant d’utiliser des tonneaux de salaison, puis
en compagnie de Ti-Coq720 au quartier Rivière des Pères de Basse-Terre, il apprend à jouer721.
Au regard de ces exemples, la transmission familiale et la transmission extra-familiale sont en
concurrence dans la fabrication des maîtres. Le maître vient de la famille pour Ismael Marzans et
Aurélien Céleste. Il est à la fois familial et extra familial pour Gérard Pomer tandis que pour Napoléon
Magloire et Man-Soso, le mèt est hors de la famille.
Un des maîtres par la transmission est issu du choix autonome de deux acteurs. Il s’agit de
Sergius Geoffroy (1944-1992) originaire du secteur rural de Lamarre à Ste Anne. Il commence à

714
Une étude de Annick Percheron, La socialisation politique, Paris, Armand Collin, Collection U, 1993, page 20.
715
Interview de sa fille Charlise Tandavarayen accordée au quotidien France-Antilles de la Guadeloupe à l’occasion du décès de son
père en 2016.
716
Traduction possible : Femme-maître
717
Mon père jouait du tanbou. Mon cousin Médart jouait du tanbou. Tous ces gens jouaient (du tanbou) et alors que nos parennts nous
cherchent, nous regardons jouer ces gens.
718
Témoignage Almanaka, 2007 / Témoignage collecte personnellee, décembre 2012-mars 2013.
719
Témoignage Almanaka 2009
720
Nous l’avons cité parmi les acteurs inédits. Il a participé au concours de tam-tam de Basse-Terre en 1947.
721
Témoignage Bulletin Léwòz n°2, octobre 2006.

225
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

animer des véyé alors qu’il est à peine sorti de l’adolescence722. Il devient le maître de Simone Jacques
et de Yvon Anzala avec qui il n’a aucun lien de parenté.
Simone Jacques née en 1933 le rencontre au cours des véyé où elle est fanm-dansè-litè-
723
chantè de même qu’au cours des léwòz dans le sud Grande-Terre. Il la guide dans ses
interprétations724. Yvon Anzala est élévé dans la commune du Moule, il entend durant la nuit des sons
de véyé et de léwòz. Ses parents interdisent ces manifestations à leurs enfants. Adulte, il y va à leur
insu. Il est séduit par Sergius Geoffroy. Il veut chanter comme lui. Le jeune adulte transgresse l’interdit
familial et sa pratique commence par une phase de clandestinité. La séduction du chanteur de véyé est
déterminante. Anzala devient chanteur de véyé mais pratique aussi le bèlè pour lequel sa fanm-mèt est
sa marraine Mme Dupuits725.
Le cas du maître Sergius Geoffroy est intéressant à double titre. Il montre comment l’acteur du
gwoka peut être libre de sa transmission. Par ailleurs du point de vue du sens de la transmission, elle
s’effectue généralement des aînés aux plus jeunes. Mais, dans le cas de Sergius Geoffroy, elle se fait
dans le sens inverse, du jeune à l’ancien car Simone Jacques née en 1933 est de 9 ans son aînée, ou
encore la transmission se produit entre gens de même génération puisque 4 ans seulement le séparent
de Yvon Anzala.
Il est intéressant de rechercher si la transmission féminine est aussi variée que celle des hommes
à travers quelques cas :
- Nagau Loraine née en 1925 : Elle est élevée à Grelin dans la commune de St Louis à Marie-
Galante. Elle garde un souvenir des chants ruraux. Elle a assisté au grajé manniòk. Elle
commence par avertir son interlocuteur qu’elle est une enfant privée de sortie par ses parents
très sévères. Pourtant, elle raconte dans les moindres détails des scènes de chants autour du
travail du manioc. Elle assiste aussi au chant du sciage des troncs d’arbres, les fann bwa726
auxquels participe son père. Dès l’âge de 12 ans, elle travaille sur les exploitations de canne à
sucre. Adolescente ou alors adulte (le temps n’est pas précisé), elle travaille en compagnie
d’autres femmes. Le chant les stimule727.
- Chabin Fériée dite Dòdòz née en 1934 est élevée à la section Les Bas de St Louis Marie-
Galante, sa commune de naissance. Elle travaille dès le plus jeune âge dans les jardins aux
côtés de son père qui l’élève après la mort de sa mère. Il la met au travail des champs dès l’âge
de 9 ans. Elle explique son apprentissage de la danse par un environnement favorable :
« Dèpi toupiti an ka dansé. An sé moun Léba. Pa tini pon moun-Léba ki pa té ka dansé.
Dèpi ou sé mou- Léba, i fò-w dansé. »728
- Médelice Baptista née en 1921 témoigne pour différentes formes du gwoka. Mais c’est
principalement le bèlè interprété par les travailleurs des caféières qu’elle pratique. Elle ne
donne aucune précision sur ses aînés sinon qu’elle souligne qu’enfant, elle ramassait les cerises
de café, derrière les cueilleurs. Ces « gens » comme elle les appelle chantaient.

722
Francky Geoffroy, collecte personnelle, septembre 2009.
723
Traduction : femme danseuse-lutteuse- chanteuse. Elle réunit trois rôles.
724
Témoignage dans Almanaka 2007.
725
Témoignage dans Bulletin Léwòz, n°6, 2008.
726
Traduction possible : fendre (scier) le bois.
727
Témoignage 2005, collecte LAMECA
728
Tout jeune, je dansais déjà. Je suis originaire du secteur de Les Bas (St Louis Marie-Galante). Il n’y ait une personne originaire de
Les Bas qui ne sache danser. Dès que l’on est de Les Bas, on sait danser. Témoignage avril 2016, collecte personnelle.

226
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

-Samson Adélaïde : Enfant, elle habite juste en face d’une maison funéraire à Grand-Bourg
Marie-Galante, où les gens de la campagne s’installent depuis la veille des funérailles avec leur
défunt. Ils chantent et dansent au cours de la véyé. C’est bien plus tard qu’elle pratique le gwoka
au sein de l’association qu’elle créée. Sa famille est totalement absente de son apprentissage.
Il est exclusivement le fait d’une transmission extérieure.
- Judor Odilia née dans la décennie 1950 vit toute son enfance à Bouliqui dans la commune des
Abymes. Toute sa famille pratique le gwoka. Sa mère danse tandis que son père fabrique les
tanbou. Les filles de la famille dansent et jouent du tanbou. Les frères jouent du tanbou de
même que leur cousin. L’apprentissage de cette praticienne est exclusivement familial. Elle
vient de 4 composantes de sa famille occupant des fonctions différentes729.
- Massembo Jacqueline née en 1953 a toujours assisté aux grap a kongo au sein de sa famille
qui perpétue ce culte depuis plusieurs générations à Moravie Capesterre Belle-Eau. Dès le plus
jeune âge, elle mémorise le chant conduit par sa grand-mère Anaïs d’abord puis par sa mère
Rose-Aimée et la cousine de celle-ci Violette. Là aussi, l’apprentissage est exclusivement
familial730.
Ces cas nous montrent que la fabrication des maîtres est différente selon qu’ils transmettent à
des hommes ou à des femmes. Les maîtres des hommes proviennent à égalité des familles et hors de
la famille. Pour les femmes, les maîtres sont principalement extérieurs à la famille. Les maîtres des
femmes relèvent d’un choix autonome de la part de celles-ci, il ne s’agit pas d’une transmission passive
et systématique comme celle des hommes. De ce fait, ce choix du mèt est émancipateur pour les
femmes. Il leur donne une marge d’autonomie. Cette différence au niveau de la transmission peut
expliquer l’écart significatif entre le nombre d’acteurs et d’actrices du gwoka.
Les hommes, bien plus nombreux, suivent la voie de leurs parents. Les femmes, soumises à des
normes sociales, choisissent de suivre la voie de quelqu’un en qui elles se reconnaissent et accordent
leur confiance. Nous pouvons pour le moment dire, en nous appuyant sur la présente étude, que les
actrices du gwoka le deviennent par choix et non par automatisme. En tant que membre de la
communauté des « zanfan-lanko », elles choisissent ou non d’adopter leur pratique. Les maîtres et
maîtresses de transmission reconnus comme tels par leurs héritiers sont les suivants :
Simone Minervin, une voisine pour Man-Soso
Cueilleurs et cueilleuses de cerises du café pour Médélice Baptista
Père pour Nagau Lorraine
Ailleule, grand-mère, Mère, père pour Rose Aimée, Violette, Jacqueline
Massembo
Sergius Geoffroy, un collègue de chant pour Simone Jacques
Les habitants de la section Les Bas pour Dòdòz
Tanbouyé de la famille Lacroix pour Micheline Hatchi
Les acteurs des véyé pour Samson Georgette
Ces maîtres et maîtresses de transmission suscitent l’admiration de leurs héritiers qui leur voue
reconnaissance en les nommant, en les citant, en les décrivant dans leurs témoignages. Cette place
qu’ils occupent dans le parcours de nos acteurs participe de leur sacralisation. Ils représentent, aux
yeux de leurs héritiers, des personnalités.

729
Témoignage collecte personnelle, juillet 2015.
730
Témoignage, novembre 2011 et mai 2018, février 2019, collecte personnelle.

227
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le maître est aussi reconnu pour son expertise. Il requiert une visibilité importante. La passion
qu’il développe pour son art et l’expertise qui lui est reconnu, créent un cercle vicieux qui le contraint
à l’excellence constante. Le corps en est meurtri. Le monde de la musique illustre bien les revers de
cette passion par des addictions ou par des fins précoces et brutales. Le tanbouyé qui incarne ce profil
est Marcel Lollia dit Vélo. Il mène une vie de tanbouyé durant près de 40 années de sa vie qui ne dure
que 53 ans. Celle-ci se déroule entre la gloire et le martyr. La gloire et le martyr lui viennent de son
réseau étendu de relations. Le réseau familial est connu par les témoignages distincts de son fils et de
la mère de celui-ci731. La famille constitue le premier niveau de relations. Elle comprend deux groupes :
celui de ses parents et celui de sa vie intime. Enfant, il vit avec ses parents à Pointe-à-Pitre. Sa mère,
Lisette Téatin, quitte le foyer conjugal pour échapper à la violence de son compagnon, le père de
l’enfant, Venance Marcel. Elle laisse Vélo et sa sœur Antonia à son père. Depuis elle vit à la section
de Chartreux Lamentin avec son compagnon Albert Carthy originaire d’Anguilla. Vélo lui rend visite
à tout moment.
Du point de vue de sa vie intime, la mère de son fils est Yvonne Faro née en 1938 dans la
commune des Abymes. Elle est serveuse, cultivatrice. C’est aussi leur fils Patrick né le 16 février 1966
à Pointe-à-Pitre. Le couple ne vit pas ensemble.

La rumeur dit que Vélo ne vit que pour son tanbou. Mais, il ne néglige pas pour autant ses
responsabilités familiales. Il est le premier à reconnaître son fils à la naissance. D’après son fils, son
père et sa mère ne vivaient pas ensemble. Mais la mère raconte qu’au cours des rencontres musicales,
il assure la musique tandis qu’elle fait partie du personnel de service. Ces rencontres musicales ont
lieu sur Pointe-à-Pitre, dans les cours. Elle ne profite pas de ses gains. Il garde tout. Elle est serveuse
et accompagne sa mère dans cette tâche au service de la municipalité de Pointe-à-Pitre pour des besoins
ponctuels comme lorsque celle-ci organise des manifestations gwoka. La municipalité embauche alors
des musiciens et des serveurs.

C’est à cette occasion qu’elle se rend compte que Vélo entretient des relations intimes avec
d’autres femmes. C’est un infidèle et coureur de jupons. Des femmes l’interpellent sans cesse. Elle
n’ose faire part à son compagnon des angoisses engendrées par des altercations de peur de le perdre.
Vélo est un homme que la mère de son fils chérit. Elle est malheureuse à cause de son libertinage. Elle
aurait voulu tout changer, le garder pour elle seule mais impossible. Son talent et sa réputation de
tanbouyé séduit les femmes :

« Fanm pran’y an men an-mwen732 »

Leur rupture est encore plus douloureuse lorsqu’il décide de lui soustraire leur fils au motif qu’elle ne
serait pas capable de lui donner une éducation idéale. Elle travaille dans un libre service de Pointe-à-
Pitre quand il vient lui réclamer l’enfant. Il envisage de le faire élever par sa famille. Sur les conseils
de sa sœur, il confie Patrick à sa mère Lisette. Patrick marche déjà dit-elle. Il n’a que quelques mois
dit Patrick. Lisette Théatin née en 1909 dans la commune du Moule, mère de 4 enfants, 2 filles et 2
garçons dont Vélo, élève ce petit-fils qui l’appelle « Maman » dans la commune du Lamentin, à la

731
Témoignages de Patrick Lollia, Chartreux Lamentin, septembre 2018.
732 Traduction : Des femmes me l’ont pris, Témoignage de Yvonne Faro, juin 2017

228
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

section Chartreux.

Ses parents adoptifs en réalité ses grands-parents lui disent que Vélo est son père, qu’il joue du
tanbou. La grand-mère, Lisette accuse le gwoka d’avoir entraîné son fils dans l’alcool et dans une vie
de bohême animé d’une passion, le tanbou. Son grand-père adoptif Albert Carthy dit Albòt originaire
d’Anguilla et installé en Guadeloupe depuis les années 1940 l’enmène rencontrer régulièrement son
père qui joue dans la rue. Patrick l’appele Papa Bòt. Il appelle son père « Vélo ». Papa Bòt et Patrick
le cherchent partout jusqu’à ce qu’ils le rencontrent soit sur le marché de Pointe-à-Pitre soit sur le
boulevard. Vélo s’assure qu’il est propre et bien soigné. Quand il le rencontre, il visite tout son corps.
Ils vont prendre un pot ensemble. Puis, Vélo est séparé de son fils lorsqu’un jour son frère Frantz
enmène Patrick vivre dans sa famille à Paris. Il a dix ans. Vélo vit très mal cette séparation :

« Yo pran ti-moun an-mwen733 ! se lamentait-il sans cesse.

Le réseau est aussi celui de ses maîtres formateurs. C’est sa transmission aussi mystérieuse
soit-elle. Celle-ci relève de la rumeur car elle n’a pu être vérifiée. Les rumeurs qui circulent à propos
du parcours et de la transmission de Vélo ne viennent pas toutes des personnes qui les ont rapportées
mais ces personnes y croient et diffusent ce qu’elles considèrent comme une information. Ces
personnes appartiennent à des générations différentes. Dans la liste des informateurs qui suit, le
nombre qui précède les noms et les citations indique l’année de naissance de « l’informateur ».

1919 « D’après ce que j’ai cru comprendre, son intérêt pour le gros tambour lui venait de son père.
Mais c’est au contact d’un ancien, très ancien tanbouyé, un certain Ti-Papa qu’il s’est formé. (Marcel
Mavounzy)

1919 « Son père jouait de l’accordéon à la cour d’Orgemont. Je ne sais pas comment il a été élevé. Je
ne sais pas s’il a été élevé dans le gwoka » (Napoléon Magloire)

1920 : « Vélo est né au Lamentin. Il allait écouter du gro tanbou à Fonds Laugier… Marcel venait
écouter les mèt a manniòk de l’époque comme Napoléon Magloire, Artem Boisbant… » (Guy Cornély)

1930 : « Vélo a appris à jouer avec Ti Papa… A 14 ans, Vélo jouait déjà du tanbou » (Artèm Boisbant)

1940 : « Un jour, j’ai demandé à Vélo de me dire le nom des tanbouyé qu’il voyait jouer quand il était
jeune. Il m’a donné quelques noms que j’ai noté sur un petit bout de papier : Tètèch, Achil Poloby, Pè
Sienzonit… » (Luc-Hubert Séjor)

1950 : « Dès l’âge de huit ans, Vévé, son père joueur d’accordéon et de ka le sensibilise et l’initie au
son et aux vibrations du ka » (Philippe Augusty)

Nous avons retrouvé un des tanbouyés cités et quelques documents officiels pour certains :

Pè Sienzonit : né le 23 août 1926, Roger Sidonie Sienzonit exerçe le métier de manoeuvre. Il est
domicilié à Pointe-à-Pitre. Cet homme de grande taille mesure 1,75m. Il a le front bas les cheveux

733On m’a pris mon enfant. Cette lamentation est rapportée par des musiciens qui se produisaient régulièrement avec lui Georges
Troupé, Luc-Hubert Séjor et par un de ses voisins de la section de Chartreux, Jocelyn Jacquet.

229
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

noirs, les yeux marron foncé. Par son mariage le 16 avril 1935, il devient l’époux de Justine
Deloumeaux. Ils donnent naissance à 5 enfants. C’est un tanbouyé-makè. Son décès intervient
brutalement734. D’après ses proches, il aurait été choqué par une duperie dont il aurait été victime de
la part des responsables de la troupe La Brisquante à l’avantage de Vélo. L’horaire de départ lui aurait
été faussement communiqué par ces responsables afin de le remplacer furtivement lors d’un voyage à
l’étranger par Vélo. Le soir, il fut pris de vomissement qui entraîna la mort alors que son dernier enfant
né en 1963 n’était âgé que d’une quinzaine de jours. La direction de la troupe participe financièrement
aux obsèques735.

Tètèch n’est pas un inconnu mais son identité n’a pu être retrouvée. Toutefois, des habitants de Petit-
Canal ont juste entendu parler de lui comme un tanbouyé connu de la région. Un autre nom sans doute
un patronyme a pu être posé à côté de son surnom. Il est connu Tètèch Mirka par plusieurs personnes.

Ses prestations construisent aussi son réseau. Avant les enregistrements discographiques, il fréquente
les léwòz de Jabrun Baie-Mahault où il rencontre le tanbouyé Jernidier François dit Karno de Baie-
Mahault, Hyzirin François dit Bagi résidant à Baie-Mahault joueur de syak et tanbou-boula, Man Soso
danseuse et chanteuse, organisatrice des léwòz de Jabrun et Casimir Reynoir dit Négòs, accordéoniste.
Les enregistrements discographiques et les spectacles sont l’occasion de partager le gwoka avec
d’autres acteurs. Ce sont les chantè qu’il accompagne : Napoléon Magloire du Gosier, Cassius, Robert
Loyson du Moule, Germain Calixte Gaston dit Chaben de Port-Louis, Turgot Taret des Abymes, Guy
Conquet résidant dans la commune de Baie-Mahault, Valcourt Gêne de la commune d’Anse-Bertrand.

Son réseau comprend aussi des fanm-répondè des comme une dénommée Surprise et Simone
Jacques736. Parmi les chantè il faut aussi compter Paul Blamard, chanteur de musiques de bals. Les
spectacles de la Brisquante auquel il adhère au début des années 1960, lui donnent l’occasion de jouer
avec le tanbouyé Roger Sienzonit jusqu’à la mort de celui-ci en 1963. Au sein de cette troupe, il
rencontre de nombreux dansè et fanm-dansè dont Charlie Chomereau-Lamotte à qui il fait jouer le
tambour pour la première fois. Jacqueline Thétis fait partie de ces fanm-dansè derrière qui Vélo,
tanbour entre les jambes se déplace sur la scène pour lui marquer les pas737.

D’autres instrumentistes partagent la musique gwoka avec Vélo et d’autres instrumentistes.


Kawno et lui jouent ensemble à la Brisquante de même que Mira Délos,738, Artèm Boisbant et
Blanchino Kancel739 . Au sein de la troupe, une compétition farouche l’oppose à Antoine Sopta et
gâche leur relation740. A Pointe-à-Pitre, la société des Cuisinières le sollicite lors de leurs
manifestations en musique.741

734 Extrait du passeport Sienzonit Roger Sidonie délivré le 27 juillet 1952 à Pointe-à-Pitre
735
Témoignage de Sienzonit-Deloumeaux Justine née en 1935, épouse de Roger Sienzonit, décembre 2017-janvier 2018.
736
Napoléon Magloire, Collecte Lameca, Le Gosier, 2005
737
Témoignage de Jacqueline Thétis, Badof, mars 2018
738
Photographie collection Henri Debs, Mémoires et Vérités…, page 256
739
Seul son nom est indiqué.
740
Témoignages respectifs de Charlie Chomereau-Lamotte et Antoine Sopta, Almanaka 2005.
741
Film L’île d’Emeraude, La Guadeloupe, Collection 60 millions de Français, durée 00 :28 :54, une émission présentée par Philippe
Lamour, 17-04-1966.

230
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Par ailleurs, il rencontre d’autres acteurs du gwoka. Ce sont des professionnels du marché du
disque et le personnel qu’ils engagent pour la réalisation des albums. Ces professionnels sont les
patrons de maison de production dans l’ordre Marcel Mavounzy, Raymond Célini et Henri Debs. C’est
principalement le petit frère de Henri Debs, Philipe responsable de la production qui le reçoit lors des
enregistrements. Vélo fait l’objet de tensions entre les producteurs qui se l’arrachent mais
parallèlement cherchent à le protéger de ceux qui sont accusés d’abuser de son talent. C’est dans ce
contexte qu’il quitte la troupe La Brisquante après des tournées en France et dans la Caraïbe. Il
participe à des enregistrements avec la troupe Cercle Culturel Ansois mais il ne se produit pas sur
scène avec cette troupe contrairement à la Brisquante avec lequel il se produit régulièrement. Il ne
participe pas à l’enregistrement de leur album en 1967742 car, l’alcool et les différends ont consommé
la rupture avec la troupe.

En définitive, ce réseau lui donne un rayonnement qui dépasse la région pointoise où il s’exerce
régulièrement. Au cours des années 1950-60, ce réseau s’élargit. Sa position de mèt-tanbouyé se
confirme en dépit des difficultés personnelles qu’il rencontre.

La visibilité de Vélo commence dans la ville de Pointe-à-Pitre pour s’étendre à l’ensemble de


la Guadeloupe. En dépit des concerts donnés en dehors de la Guadeloupe, il demeure une vedette locale
car c’est sous couvert d’une troupe que s’effectue ces déplacements à l’étranger. Nathalie Heinich
montre que la célébrité a ses revers. Le célébré paie de sa personne car elle est sans cesse dans une
logique de défi individuel. Vélo en est un cas signifiant. Pour prouver ses qualités, le célébré se met à
l’épreuve pour donner un sens moral et une justification à l’excès de reconnaissance. Ce défi peut
mettre en péril sa personne physique. Pour le célébré, la rançon de la gloire est le sacrifice de la
personne743.

L’image de Marcel Lollia évolue. Par le disque, il acquiert une renommée, une visibilité et une
personnalité. Cette image peut être numériquement évaluée. En effet, sur les 35 albums gwoka produits
et répertoriés en Guadeloupe de 1963 à 1969, il est nommé 18 fois sur la pochette ou le macaron du
vynile et 7 fois dans les commentaires des albums. Du point de vue sonore, il est entendu 19 fois sur
ces mêmes enregistrements. La singularité de ses frappes participe de sa signature sonore. Mais sa
disponibilité liée à sa passion et à son addiction a pu contribuer à lui accorder la préférence des
producteurs en lieu et place d’autres tanbouyé plus exigeants quant aux conditions d’enregistrement.
Antoine Sopta qui l’a remplacé au sein de la troupe La Brisquante disait :

« Vélo sété tanbouyé La-Pwent 744» autrement dit il y avait des tanbouyé aussi valeureux que lui ailleurs
qu’à Pointe-à-Pitre. A défaut de vérifier leur expertise et de dire s’ils pourraient devenir maître-
tanbouyé à la place de Vélo ou partager avec lui ce rang, nous proposons une carte des tanbouyés
opérationnels au cours des années 60. Ce sont les collègues de musique de Marcel Lollia. Vue la
passion qu’il exerçait pour le tambour, il a pu tous les rencontrer.

742
Album La Brisquante, Groupe folklorique de l’Entraide (1946-1967), Production Socipress, Paris, 1967.
743
Nathalie Heinich, De la visibilité, Gallimard, 2012, pp 555-565.
744
Vélo était le tanbouyé de Pointe-à-Pitre, témoignage accordé à la brochure Almanaka, 2005.

231
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 26 : Tanbouyé opérationnels en Guadeloupe, années 1960

Berton JUDOR Bertilis CHERUBIN


Etienne, Christen AIGLE Robert JUDOR Appolinaire DOUSSAINT
Henri DELOS St Eloi JUDOR Sylvère ERBLAND
Mira DELOS Berlange PALIN
Antoine SOPTA Serge PALIN

Tètèch MIRKA
François JERNIDIER
Des Tanbouyé opéra tionnels en Guadeloupe, années 1960

dit Kawno
Guy KONKET Gilbert NART
Félix Max RAMBHOJAN Richard NART

Bernier
LOCATIN
Délice ZENON
Gabin KACY dit Ravèsèl
Justinie ? Eugène ?
Etienna PACTOLE
Turenne AMBROSIO Artem BOISBANT
Léon BOURGAREL Médard MERI
Éric COSAQUE Serge NEGRE Garbélis ?
Pierre MODALIRE Octavien VILUS Guy CUSSET
Serge CHRISTOPHE
ou MODALI Serge, Marcel CUSSET
Maro ou Roger
Rosan BIQUE
DANAUS
Michel CAYOL
Joby DENDELE
Derlis TICOUT
Alfred LABASSE
Christian RUFFINE
Roger SIENZONIT
Sully ZAMI
Guy ROSPART
dit Kaya
Dolor Fortuné

Ti-Coq
LEGENDE : Les lieux indiqués sont les communes de référence
Paul MARIVAT
Marcel MAGNAT Homme des tanbouyé pour le Gwoka.
Francillette Antoine Canu Femme Les décès indiqués sont ceux qui ont été attestés
Gérard POMER
BLONCOURT Décédé par des actes d'Etat-civil ou des témoignages.

Mais, au sein de son réseau, la souffrance et l’admiration de son entourage lui donnent une
force double. Il devient un maître supérieur », occupant de la sorte le sommet de la hiérarchie. Il entame
ainsi la marche vers le statut de personnage hautement symbolique et de maître incontesté qui se
précise ultérieurement. Et, en attendant cette élévation, ce sont d’autres attributs du gwoka qui sont
aussi sacralisés.

232
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Le bâton et le cercle, de l’ordinaire au mystère


Autant que le tanbou, ces 2 objets, dans le cadre des manifestations gwoka, relèvent à la fois du profane
et du sacré. Ils ont à la fois objets et symboles.
Le bâton se retrouve dans plusieurs types de danses, celle du mayolè, des jeux collectifs de la
véyé et la danse du léwòz. Le mayolè couvre une variété des danses aux bâtons. La plus connue est
celle qui oppose deux protagonistes qui se frappent chacun le bâton en le croisant. Le jeu consiste à
déséquilibrer le bâton de l’adversaire. La danse se fait au son des tanbou et des chansons spécifiques
aux mayolè sur le mode de l’alternance :
Répondè : Mayolè kousèlo pa tini kon silélé
Chantè : Pa tini kon silélé Pa tini kon silala
Répondè : Mayolè kousèlo pa tini kon silélé
Chantè : Bwa-la pa ni manman Bwa-la pa ni papa
Répondè : Mayolè kousèlo pa tini kon silélé745

Initialement cette lutte dansée se produit au cours des véyé à la Désirade comme le vivent deux
participants aux véyé de cette commune, Eulalie Edward né en 1934 et Contaré Tirolien, 79 ans en
2017. Leur témoignage respectif montre que les danses aux bâtons sont présentes à la véyé mais la
danse est différente de celle que nous venons de décrire :
« Vers 9H, on faisait le mayolè. C’était un bout de bois qui circulait entre des hommes au nombre de 12
assis sur de petits bancs. L’un d’entre eux est désigné pour retrouver celui qui cache le bâton derrière lui.
Cela se faisait au rythme du chant et du tambour. Toutes les véyé des sections Les galets, les Sables,
Soufleur, Baie-Mahault se déroulaient de la même façon746.
« Dans les véyé, on faisait des jeux comme « boutou-la ka maché 747». Les hommes assis sur un banc
faisaient circuler un bout de bois. C’est le seul jeu qu’on organisait à la Désirade avec le bâton748. »

Nos deux témoins sont formels, le mayolè est animé à la Désirade au tanbou di bas749 et le chant se
nomme bèlè750
A Marie-Galante, un joueur de mayolè assure seul sa performance. Il s’agit de Len Canfrin751.
Le cas de cet animateur est assez exceptionnel pour qu’il soit décrit d’autant que sa personnalité
explique en grande partie son originalité. Plusieurs témoins en dehors des acteurs du gwoka l’ont
remarqué dès les années 1940. Nous l’avons connu aussi et reconnu à travers les témoignages à son
sujet. Par ailleurs, son acte de naissance permet de connaître ses origines :
Il naît Canfrin Maurice le 22 octobre 1926 à Capesterre Marie-Galante d’une mère cultivatrice,
Vildina Saint-Elia originaire de la même commune et d’un père Canfrin Saint-Crépin plus connu sous
le surnom de Misyé Jo752. Son père, originaire de Grand-Bourg est aussi cultivateur. Len grandit dans

745
Il n’y a pas de mayolè comme celui-ci, Le bois n’a ni mère, ni père (autrement dit ce Mayolè est un expert, nul ne peut le
dépasser). Le bâton n’a aucune pitié.
746
Contaré Tirolien, collecte personnelle, juin 2016, La Désirade.
747
Traduction : le boutou (le bâton) marche (circule).
748
Eulalie Edward, témoignage, collecte téléphonique personnelle du 10 octobre 2016 et collecte physique du mois d’août 2017, La
Désirade
749
Tanbou plat généralement utilisé dans les musiques des quadrilles
750
Petit tambour rond qui fait partie de l’orchestre des quadrilles.
751
Témoignages de Samson Georgette, Marcel Cusset, Chabin Ferriée, août 2015 / de Nankin Venance, avril 2018, Marie-Galante.
752
Témoignage de Zig Elisa dite Elise, nièce de Lin Canfrin, janvier 2015

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la section Balisiers dans sa commune de naissance où habitent ses parents753. Adulte il s’installe dans
la section Gay de Capesterre Marie-Galante.
C’est un travailleur de la terre qui vit des produits de son jardin en particulier des pois qu’il
livre par paquets à ceux qui lui passent commande dans toute la région de Marie-Galante qu’il parcourt
à pied. Il vend aussi ses produits sur le marché de sa commune et sur les trottoirs lorsqu’il n’y a pas de
marché. Il livre aussi aux pêcheurs des gaulettes pour la fabrication des nasses. Il fabrique les gaulettes
après avoir coupé et effeuillé et écorché les branches extraites des buissons autour de sa modeste
maison. Après avoir coupé les gaulettes durant les bons doukou754 pour plus de garantie aux acheteurs,
il les assemble par paquets, se couvre de son chapeau de paille, les charge sur la tête en dépit de leur
longueur qui dépasse de loin son visage. Il prend la route, vêtu de son habituel short et chemise kaki à
manches retroussées, les pieds nus. Il chante tout au long du trajet et accélère le pas par moments pour
marquer le rythme de la musique.
Après livraison, il passe visiter sa famille en ville. Sa visite est brève et sa conversation est à
peine compréhensible car il emploie ses propres mots inaccessibles parfois ou encore énonce des
phrases dans un rythme très rapide en « mangeant » quelques mots. Cette difficulté d’élocution est
largement compensée par le chant qu’il entonne à tout moment.
Il est connu dans la commune pour ses animations au bâton. Qu’il soit à la véyé ou à la fête
communale ou dans une autre assemblée où il trouve sa place, il joue du bâton. Il se déplace toujours
avec plusieurs bâtons sans doute prélevés des gaulettes destinées aux pêcheurs. En remontant à son
domicile, il passe chez son beau-frère René L. et sa sœur Blondèt C. qui élève son fils Emmanuel en
même temps que leurs enfants. Là, il se tait car dit-il, dans son langage, par respect pour la maison de
son beau-frère qu’il désigne par « Monsieur L. ». De jour comme de nuit il se déplace à pied :
« An paka mété pyé an mwen an zékal755 » explique t’il
Les rumeurs vont bon train à son sujet. On dit qu’il est capable de se mofawzé756 pour se déplacer plus
vite parce qu’il est impensable qu’un homme puisse parcourir des trajets aussi longs à pied.

A son propos, Mme Eliane L. raconte :


« Quand j’ai commencé à faire la prière des morts, j’ai découvert que quelqu’un que je considérais comme
un frère puisqu’il était le frère de Blondèt avait un talent particulier. Len c’était lui, la vedette des veillées.
Il jouait au bâton seul. Il faisait monter le bâton et le récupérait sans jamais le faire tomber. Il arrivait à
pied à la véyé et faisait cela toute la nuit, accompagné de chanson qu’il chantait seul. Il avait une voix !
C’était l’attraction de la véyé. Mais les gens avaient peur de lui. On disait que son bâton était rangé. Lin
portait toujours un pantalon kaki et une chemise kaki. C’était un vaillant travailleur. Il faisait des cases
en gaulettes. Il allait chercher très loin les gaulettes et les portaient sur sa tête toujours coiffée d’un
chapeau de paille. Il chantait, il jouait du bâton. Il y avait la ronde Lin et les autres rondes. Parfois les
chanteurs se rassemblaient autour de lui757 ».
Enfin, son talent, reconnu de tous, par lequel il était nommé et identifié, impressionnait et
donnait cours aussi à bien des interprétations. Il fascinait le public par la capacité à faire rebondir le
bâton accompagné d’un chuintement qui en rajoutait aux rumeurs à son encontre. De même, sa
dextérité s’expliquerait par un séjour qu’il aurait effectué à Pointe-à-Pitre. Dans cette ville, il aurait
rencontré d’autres mayolè du secteur populaire de Lauricisque connus sous le nom de Popo Bèrlen et

753
Acte de naissance, Canfrin Maurice, 89/1926, Capesterre Marie-Galante
754
à la bonne lune. Les agriculteurs sont très attachés à ce rituel qui donne de bons fruits, qui évite l’invasion des champignons …
755
Je refuse de me mettre des coquilles au pied (de m’emprisonner les pieds)
756
Traduction : se zoomophiser (en chien notamment)
757
Témoignage de Laumuno Eliane, septembre 1994, Grand-Bourg Marie-Galante.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

de Popo Pawòl758 qu’il désigne dans ses chansons. Sa famille proche est formelle. Il n’a jamais quitté
Marie-Galante. Mais ces personnes ont pu le rencontrer lors des tournois de combats de coqs organisés
à Marie-Galante. Et là ils ont pu jouer du bâton ensemble parce qu’eux aussi étaient des experts dans
la manipulation du bâton.
Par ailleurs, des jeux collectifs dans les véyé des Grands Fonds se font au bâton. Le jeu peut se
dérouler entre deux personnes, l’un qui frappe le bâton sur le sol au rythme d’une chanson alors que
l’autre passe les mains en dessous du bâton en prenant garde à ne pas recevoir le bâton sur la ou les
mains. Une chanson dénommée zizipan accompagne le jeu759
Et le bâton est aussi celui du danseur du léwòz. Ce sont des hommes qui l’utilisent comme tel.
Blanchino Kancel (1926-1997) originaire des Abymes ayant vécu et fini sa vie dans la commune du
Lamentin était connu pour ses prestations aux bâtons alors qu’il portait pour la même occasion la veste
et le chapeau760 . De même, Ismaël Gratien Marzans se déplace avec son bâton à la main et anime ses
ateliers de danse, ce bâton à la main comme un fidèle compagnon761.
Un autre danseur a marqué les léwòz de la région de Baie-Mahault par sa danse au bâton au
cours des léwòz. C’est Aloïs dit Lolo Canfrin (1899-1977). Dans l’univers du gwoka, il est connu sous
le nom de Lolo Canfrin et sa commune de référence est Baie-Mahault. Il est réputé bon danseur.
Solange Bach dite Man Soso762 le décrit au cours d’un entretien :
M.S. : Hommes, femmes tous y dansaient … Il y avait Machin. Qui dansait avec son bâton… Comment
s’appelait-il ? J’oublie le nom du bougre … Euh … Ce n’était pas Thimotée…
M.H.-L : Où habitait cette personne ?
M.S. : C’étaient des gens qui venaient de partout pour la fête de Baie-Mahault. C’était la fête… Je ne
me souviens pas du nom de ce monsieur. Il avait un bâton. Alors que l’on jouait du tanbou, il dansait.
Mais il faisait des menaces (en dansant) avec le bâton.
M.H.-L : Peux-tu nommer d’autres personnes, t’en souviens-tu ?
M.S. : Oui, il y avait défunt Lolo ?
M.H.-L : Comment dansait-il ?
M.S. : Il dansait avec son bâton devant le tambour. Il faisait des menaces contre le tambour. Il faisait
passer le tambour sous sa jambe.
M.H.-L : Tu sais où habitait Lolo ?
M.S. : Lolo (Canfrin) habitait à Digue Baie-Mahault, pas trop loin d’ici. Il était de Baie-Mahault.
M.H.-L : Il fréquentait les bamboulas ?
M.S. : Oui, dans les bars. Les gens buvaient leur rhum. Ils buvaient et dansaient. Le tambour était bien
présent.763

Pour les trois types de danses précédemment décrites, le bâton enrichit les mouvements du
corps. C’est un accessoire qui occupe le rôle de « 5è membre » pour le danseur. Il participe de la
performance du danseur. Mais, ces manifestations dansées se déroulent la nuit. En Guadeloupe, le

758
Nous disposons de la photo d’un des deux dont nous n’avons pu connaître le prénom, collection Jacques Cilirie, n
759
René Geoffroy, collecte personnelle, octobre 2017 et Francky Geoffroy, témoignage téléphonique, juillet 2010.
760
Biographie pour le mémorial organisé à son intention le 9 novembre 2013 sous l’égide de la municipalité du Lamentin et de la
Région Guadeloupe (flyer).
761
Collecte personnelle, mai 2010 et témoignage brochure Almanaka 2007.
762
Solange Athanaïse Bach dite Man Soso (1918-2017) est chanteuse, danseuse et organisatrice de léwòz
763
Cet extrait est tiré d’un entretien accordé par Man Soso pour l’ouvrage « Man Soso, une histoire du gwoka au XXè siècle, Jasor,
2013, page 147.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

bâton utilisé pour se déplacer la nuit prend un autre ton. C’est un baton- ranjé764 ou baton-monté765
destiné à se protéger des êtres surnaturels de mauvaise intention comme les hommes qui se changent
en animal, les mofwazé. Le « baton-ranjé » pourrait mettre fin à la perfidie de l’homme-animal. Des
histoires d’hommes-chiens arrêtés en pleine nuit sont connues en Guadeloupe. Le bâton est un objet
ordinaire mais tout dépend des circonstances, il devient arme de défense, accessoire de danse et un
objet de protection contre les « mauvais esprits ». Le mayolè est une danse aux bâtons. Le but de cette
danse n’est pas de s’opposer à l’autre mais de l’accompagner et d’esquiver les coups. C’est tout un
art.
Au cours des manifestations rituelles du gwoka, le bâton suscite respect, peur et admiration.
Il est dit mystérieux parce que les mots manquent pour le caractériser. L’expression « I pa senp766 »
consacré dans la langue créole à ces situations ou objets incompréhensibles traduit en réalité leur
sacralité. Toutefois, à la différence du tanbou, celui qui en joue n’occupe pas de place particulière. Il
est vrai qu’il serait difficile de lui construire une visibilité médiatique sans support discographique.
Car, les chansons de mayolè n’ont pas été enregistré. Et, sur les albums de léwòz ou de véyé, c’est le
tanbouyé ou le chantè qui illustre la pochette et non le dansè.

Comme le bâton, un intérêt particulier est porté au cercle lors des manifestations gwoka. En
effet, chacune d’elles répond à une organisation spatiale circulaire dénommée la-wonn. C’est un faux
ami qui signifie plutôt cercle. Il s’élabore en des étapes différentes en fonction de la manifestation :
- Pour le léwòz, la bamboula ou les manifestations apparentées, le public se place de part et
d’autre de l’orchestre et resserre le cercle pour garantir une bonne réception visuelle et sonore
de la danse, de la musique et du chant. Il garantit une participation efficace pour lé-répondè et
l’harmonie des battements de mains.
- Lors de la véyé et du vénéré, la- wonn est formée par l’ensemble des animateurs du chant : le
chantè, les répondè, les « boulagèl767 ». Les trois groupes se rapprochent les uns des autres en
se serrant au maximum afin que les voix soient plus puissantes. La proximité des voix et des
corps sert de caisse de résonance. L’ensemble constitue le cercle.
Le cercle facilite la participation de l’ensemble des acteurs aux diverses manifestations. Mais le
cercle est aussi symbolique. Il représente la boucle que forment les étapes des funérailles : départ de
la maison du défunt pour la cérémonie catholique, retour à la maison mortuaire pour une dernière visite
à la famille et les libations au défunt lors de la consommation des restes de boisson de la véyé768. Pour
le Grap a Kongo, le cercle est aussi formé par une cérémonie en boucle : l’appel des ancêtres enterrés
sur la propriété familiale par le coup de fusil et par le chant d’entrée, les chants, musiques et danses,
le retour des ancêtres à leur demeure par le même rituel.
Lors du bèlè, le cercle se réalise par le relais des chanteurs. Il fait le tour de travailleurs tant pour
le chantè que pour lé-répondè. Une exception pour la disposition en cercle est apportée par la parade
des mas.

764
Un bâton doté de vertus ciblées.
765
Geneviève Léti, L’univers magico-religieux antillais, ABC des croyances et des superstitions d’hier et d’aujourd’hui, L’Harmattan,
page 117.
766
Il ou elle n’est pas simple (facile à comprendre, mystérieux)
767
Ceux qui exécutent le boula ou la banjogita (chant à onomatopées en voix de gorge masculin)
768
Laennec Hurbon, Le phénomène religieux dans la Caraïbe…, 1989, page 233.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le cercle correspond alors, dans un tel cadre à l’ensemble des personnes unies par un intérêt
commun et animé d’un sentiment d’élévation collective. C’est le lieu de circulation des énergies. Le
cercle dégage aussi un sentiment d’égalité entre tous les participants disposés à égale distance les uns
des autres.
En Guadeloupe, le cercle comme figure géométrique, revêt une importance majeure dans les
pratiques de guérison. En effet, les guérisseurs font passer leurs clients dans un cercle cabalistique. La
rumeur veut que trois médecins respectivement installés dans les communes du Moule, de Morne-à-
l’Eau et du Gosier, gagnés à la cause des soins non médicamenteux en font de même durant les années
1950-60769. Le centre du cercle aurait donc des vertus bienfaitrices.
Lors des rencontres musicales, le centre du cercle dégage une émotion particulière. Ce centre est
réservé aux danseurs et danseuses. Au cours de leur danse, par la place qu’ils occupent, ils mettent en
évidence la forme circulaire de l’espace. Le cercle est l’espace de tous les participants mais c’est en
particulier celui du danseur qui communique au public les messages de son corps. Placé au centre du
cercle et de plus au cours du léwòz, de la bamboula, du Grap-a-Kongo, de la-bòdé, face au tanbouyé,
le danseur ou la danseuse devient, le temps de la danse le maître de séance. Toujours plié jamais etiré,
il communique au public les messages de son corps. Serait-ce une position de supplication ? de
protection ? de modestie ? d’autant que la danse s’exécute pieds nus au contact du sol. Le centre du
cercle devient un espace auquel les participants vouent un grand respect. Le cercle n’est pas traversé
de part et d’autre. Celui qui veut se déplacer fait le tour extérieur du cercle. Il ne respecte pas fidèlement
la forme géométrique du cercle mais les participants aux assemblées ont toujours le sentiment d’en
former un. C’est un cercle imaginaire au même titre que la ligne horizontale qui forme l’horizon. Au
cours des divers rassemblements, la figure du cercle est largement évoquée à travers les génériques :

« Rantré an wonn-la /Sòti an wonn-la/Wouvè wonn-la/ Fèmé wonn-la !770

Par la régularité de cette organisation spatiale, le cercle est une forme ritualisée. Il contribue à
la mise en œuvre de toutes les manifestations du gwoka. Le cercle est fédérateur. Il fédère l’ensemble
des rencontres. Il fédère les différents langages du gwoka. Il crée l’unité entre les participants. Mais
comme pour le bâton, le cercle est une figure qui perd sa place dans le gwoka du spectacle où les ballets
de scène sont exécutés face au public. Et, tandis que la communauté gwoka pratique ses rencontres
dans des cercles humains formées par tous les participants, dans le monde, le cercle, prisé des artistes,
nourrit leur imaginaire.
En parlant de son art, le peintre Wassily Kandisky (1866-1944) dans une lettre du 12 octobre
1930 adressée à Will Grohmann771 montre sa puissance :
« Vous parlez du cercle et je suis d’accord avec votre définition. Il constitue une liaison avec le cosmique.
Mais je m’en sers formellement. Pourquoi le cercle me captive ? C’est qu’il est la forme la plus simple,
la plus modeste et qui s’impose sans scrupule. Il est précis mais inépuisablement variable. Il est stable et
instable en même temps. Il est silencieux et sonore en même temps. Il est une tension qui porte en elle-
même d’innombrables tensions. Le cercle est une synthèse des plus contrastées. Il fait la liaison entre le

769
Faute de preuve nous attribuons les faits à des rumeurs. Ces faits sont rapportés par des patients de chacun de ces médecins.
770
Entrez dans le cercle/ Sortez du cercle/Ouvrez la wonn/ Fermez la wonn.
771
Richard Conte, Cercle et imagination matérielle, Espace temps, Année 1994, 55-56, pp 134-142, / Richard Conte résume l’article
de Will Grohmann, La Grande Unité d’une œuvre, 1933 dans G di San Lazarro, Centenaire de Kandinsky, XXè siècle, décembre
1966.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

concentrique et l’excentrique dans une structure et dans l’équilibre. Parmi les trois formes primaires :
Cercle, triangle, carré, c’est l’indication la plus claire sur le chemin de la quatrième dimension. »
L’organisation spatiale des manifestations gwoka n’est pas anodine. Favorisant équitablement
la circulation d’une énergie entre tous les participants, elle représente une vision parfaite du monde.
Le cercle est, de ce fait, une forme privilégiée par les acteurs du gwoka.

B- Réinventer le calendrier du travail et des fêtes

Figure 27 : Calendrier hebdomadaire et annuel des rites festifs du gwoka

Semaine
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, samedi matin et après-midi : bèlè
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, samedi après-midi et soir : Grajé manniòk
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, samedi et dimanche soir : véyé et mayolè probable
Samedi: Bal a gwotanbou, léwòz o komandman
Samedi « de quinzaine » : léwòz
Année :
Janvier à décembre : bamboula des Fêtes patronales des bourgs et des sections rurales des communes
Épiphanie à Mercredi des Cendres : Mas-a-Senjan, Mas-a-Kongo772
Mars-avril : Dimanche et lundi de pâques : musiques, danses et chants aux tambours à la plage ou à la
rivière
Mai : bamboulas pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage
Mai ou juin : Dimanche et lundi de pentecôte : : musiques, danses et chants aux tambours à la plage
ou à la rivière
21 juillet : bamboulas pour la fête Schoelcher
10 Août : bamboulas des fêtes de St Laurent, patron des cuisinières
15 août : Fête de l’Assomption : musiques, danses et chants aux tambours à la plage ou à la rivière773
1er novembre : Grap a Kongo
24 et 25 décembre : chanté Noël

772
Groupes de masques à pied et évoluant au sein des tambours de taille variées.
773
Bèlè : chants de travail/ véyé : veillée mortuaire animée/ mayolè : rencontres musicales chantées et dansées aux tambours dont les
danses s’exécutent par un jeu de bâtons/ Bal a gwotanbou : bal animé par le gros tambour/ léwòz au komandman : rencontres nocturnes
en musiques, chants et danses aux tambours commandées par un soliste à la manière des quadrilles/bamboula : rencontres aux tambours
de jour ou de nuit/ Grap a Kongo : cérémonie en musique , danses et chants aux tambours dédiée aux défunts et ancêtres des immigrants
Kongo.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 28 : Rôle principal des acteurs774

Nom, Prénom, Désignation Travail et repos Mort Carnaval


populaire, année de naissance
AIGLE Etienne dit Christen, 1925 C/R, T, D
AIMÉ Clémil, 1932 C/R
AGLAS Dunière, années 1940 C/R
ANZALA YVON dit Obyèj, 1948 C/R C/R
BACH Athanaïse dite Solange et Man Soso, C/R, D
1918
BAPTISTA Médélice, 1921 C/R
BERNIS Marie-Antoinette dite C/R, T
Achoune, 1890
BLANCUS Vincent, 1921 C/R, T
BOISBANT Odette Parfait, 1930 C/R, T T, C/R
BOISDUR ESNARD, 1952 C/R C/R
BOISDUR Honorat épouse GEOFFROY, C/R, D C/R
1921
BOULBOU Alexina, 1904 D, T
CANFRIN Aloïs dit Lolo, 1899 C/R, D
CANFRIN Maurice dit Len, 1926 C/R C/R, D
CASIMIR Reynoird, 1949 A
CELESTE Aurélien, 1945 C/R C/R
CHABIN Férriée dit Dòdòz, 1934 C/R C/R
COCO Nicolas dit Cholo, 1918 C/R
CONQUET Guy, 1946 C/R C/R
CONTARET Tirolien, 1938 C/R, D
COSAQUE Eric, 1952 C/R/D
CUSSET Marcel, 1940 C/R, T
DELOS Henri, 1920 C/R, T
DINO Gabin dit Sonor, 1919 C/R, A
DONINEAUX dite Massembo Violette, 1929 C/R, D
EULALIE Edward, 1934 C/R, D
FORTUNÉ Dolor, 1935 C/R, T
FRANCILLETTE, Antoine dit Bloncourt, C/R, T
1908
GEOFROY Sergius, 1944 C/R C/R
GERMAIN-CALIXTE Gaston dit Chaben, C/R
1922

774
Bref commentaire du tableau : Sont représentés tous les adultes de notre première période. Ils occupent un rôle majeur pour les trois
type sde rencontres musicales étudiées. Ils sont pour la plupart polyvalents. Par ailleurs, chantè et lé-répondè (C /R) fusionnent dans une
même rencontre principalement pour celle du bèlè. Ceux qui n’occupent aucun rôle sont les enfants ou les adolescents observateurs et
futurs acteurs. Ce sont aussi ceux qui pratiquent exclusivement à partir des années 1960, le gwoka de scène. Les anagrammes désignent
chantè et/ou lé-répondè (C /R), dansè (D), T (tanbouyé), A (autre instrument, notamment à percussion).

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ISMAEL Gratien dit Marzans, 1916 C/R, D C/R


JACQUES Simone, 1933 C/R, D C/R, D
JANCKDOULARY Judes dit Ti-Jid, 1939 C/R C/R
JERNIDIER François dit Kawno, 1919 C/R, T D
JUDOR St Eloi, années 1940 C/R, T
KACYGabin dit Ravèstèl, 1899 C/R, T
KANCEL TERTULIEN dit Blanchino, 1925 C/R, D
LAUMUNO Eliane, 1907 C/R
LAURENT Turenne, 1913 C/R, D
LOCKEL Gérard,1928 R
LOIAL Florelle, 1928 C/R
LOLLIA Marcel dit Vélo,1931 C/R, T
LOYSON Robert, 1928 C/R C/R, D
MAGLOIRE Louis- Victor dit Napoléon, C/R, D C/R, D
1919
MARIVAT Joseph dit Ismani, 1945 C/R C/R
MASSEMBO Jacqueline, 1953 C/R, D
MASSEMBO Marie-Claire dite Rose- C/R, D
Aimée, 1925
MOCO Désir, 1934 C/R
MOLA Sylviane dit Aksidan, 1923 C/R
NAGAU Lorraine, années 1920 C/R
NEGRE Léon dit Serge, 1928 C/R, T
PERRIN René, années 1930 C/R
POMER Gérard, 1942 C/R, T
PONTURE Laurenza, 1900 C/R, D C/R/D
RAMBHOJAN Max, Félix, 1954 CR/T
ROSPART Guy dit Kaya, 1936 C/R, T
SEJOR Hubert, Luc-Hubert, 1948 C/R C/R
SIENZONIT Roger, 1926 C/R
SOPTA Antoine, 1933 C/R, D
TARET François dit Turgot, 1915 C/R
GENE Valcourt, 1911 C/R
VILUS Ernest dit Octavien, années 1900 C/R, T
ZAMI Bertin, 1943 C/R
ZODROS Valentin, 1927 C/R C/R

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1- Pour le travail de la semaine

Les acteurs et actrices du gwoka réinventent le calendrier du travail et des fêtes. En effet, les
rencontres musicales respectent le temps de travail et le repos sabbatique et dominical. Elles célèbrent
aussi les jours de fête et de commémorations civiles et religieuses. Elles créent, à partir du calendrier
courant, un autre calendrier. Par ailleurs, le contenu de ces rencontres répond à un rituel mis en place
par la communauté. Chaque acteur et actrice, en fonction de sa ou de ses spécialités apporte sa
contribution à ces rencontres en tant que tanbouyé, chantè, répondè ou dansè.

Le rituel du temps de travail est le bèlè. Nos témoins décrivent les bèlè avec plus ou moins de
précisions. C’est uniquement sur le travail rural que portent les témoignages suivants mais le bèlè est
le chant de tous les travaux collectifs de la terre, de la mer, du bâtiment et de tout autre petit métier.
Toute l’assemblée occupe un rôle au sein de cette rencontre musicale, c’est celui du lé-répondè. Il
traduit l’entraide qui anime la communauté.
Le terme bèlè fait partie du lexique des musiques aux tanbou de la Caraïbe. Il se pratique en tant que
danses aux tambours à la Dominique, à Grenade, à Sainte Lucie, Jamaïque, Martinique, Trinidad,
Tobago775 Nous rappelons que le bèlè en Guadeloupe776 a une expression unique, c’est le chant. Le
tanbou n’est pas présent car on ne vient pas au travail avec son tanbou sauf dans des circonstances
exceptionnelles. Cependant, les gestes sont rythmés par les mouvements des travailleurs et
travailleuses à la manière des rythmes exécutés sur les tanbou.
C’est ainsi que dans les champs de canne à sucre, en période de récolte, les bras des hommes
empoignent le roseau par le milieu alors qu’ils font monter le coutelas prêt à sectionner, le coupent
presqu’à la racine, le mettent à l’horizontale pour le débarrasser d’un coup sec de sa couronne de
feuilles qu’ils lançent plus loin. Cette couronne détachée du roseau sert d’amarre aux cannes pour en
faire des paquets à livrer à l’usine. La couronne est aussi utilisée pour nourrir le bétail. Les amarreurs
et amarreuses arrivent derrière les coupeurs comme des glaneuses, ramassent les roseaux, les disposent
sur deux amas de feuilles qu’ils resserrent respectivement pour obtenir un paquet de cannes. (Bach
Solange, Jabrun Baie-Mahault777). Ce sont des gestes pénibles que le chant accompagne et qui
s’apparente à une danse du travail. Dans un tel cadre, le bèlè a vocation à assouplir la pénibilité du
travail tout en accordant aux travailleurs le sentiment du travail accompli dans le temps imparti.
Notre témoin est familier de cette scène depuis son arrivée à Jabrun en 1946. Durant la même période,
en 1945, à Saint Louis Marie-Galante, les tâches sont distribuées pour le labour entre ceux qui
conduisent les bœufs, celui qui règle le sillon, ceux et celles qui nettoient et défrichent. Pendant ce
temps, d’autres rythment le travail par un orchestre placé à l’ombre d’un arbre. Celui-ci comprend des
tanbou, des triangles, des siyak778. D’autres y participent en chantant et en faisant des « wakas »
autrement dit des battements de mains (Pierre Sainton, Saint-Louis Marie-Galante779 )

775
Séminaire Maison du Bèlè, Sainte-Marie Martinique, janvier 2016.
776
Dominique Cyrille, O pli bèl son…, : Le mot mbèlè désigne une danse à la Jamaïque et en Martinique, et dans la langue Kongo, il
désigne un jeu d’émulation, 2012, page 101.
777
Témoignage de décembre 2011 à mars 2012, collecte personnelle.
778
Traduction : des râcleurs
779
Pierre Sainton, Vie et survie d’un fils de Guadeloupe, Editions Nestor, 2008, pages 124-125.

241
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dans les caféières, la cueillette se déroule du matin au soir. Les enfants ramassent les cerises
qui s’échappent de la cueillette des adultes. Le commandeur encadre les travailleurs. Il veille au bon
déroulement du travail. Il fixe l’heure et le temps de la pause repas. Il l’indique par des ordres
génériques perceptibles uniquement par les travailleurs qui décryptent les codes.
Le bèlè s’exprime à des moments divers au travail rural : au cours de la cueillette ou pour
rappeler au commandeur l’heure de la fin du travail. Un rituel marque la fin de saison. Il s’agit du
bouquet de fin de récolte offert au propriétaire de la caféière appelé le maître. Celui-ci organise une
réception à l’adresse des travailleurs. (Baptista Médélice, Vieux-Habitants780)
Le chant accompagne aussi le travail du manioc. Il s’agit de râper le tubercule au rythme du
chant. Ensuite, il faut recueillir le jus qui donnera au moyen de la cuisson la farine de manioc qui sert
à fabriquer les cassaves, un aliment nourricier très prisé des familles rurales. Ce grajé maniok est
diversement décrit :
- Une gigantesque râpe est placée dans une bassine en bois appelée bay. Quatre râpeurs opèrent
en même temps. Ils chantent alors. (Nagau Lorraine, Saint-Louis Marie-Galante781)
- Et pour stimuler le travail, le propriétaire d’une platine, grand-père de Magloire Louis-Victor
dit Napoléon l’accompagne par un instrument qui n’est pas pas un tambour mais plutôt un
instrument en bambou. (Magloire Louis-Victor, Le Gosier782).
- Les soirées grajé manniok sont des moments de travail plus intenses. Elles réunissent des
ouvriers dans une sorte de concours destinés à améliorer la productivité du travail (Lockel
Gérard, Nord Grande-Terre783/ Troupé Georges, Le Moule784). A cette occasion, le rythme est
scandé par des tambours. Le bèlè accompagne aussi d’autres petits travaux au sein des couches
populaires tant à la ville qu’à la campagne comme pour les travaux de voirie. Ces derniers
consistent au charriage et au cassage de roches puis au nivellement à l’aide de gros pilons
(Marcel Lollia, Pointe-à-Pitre785).
Les pêcheurs partent en mer ensemble le matin de bonne heure. Pour lever les filets, ils chantent
en gardant un rythme. Ils chantent aussi lorsqu’ils fabriquent les filets sur le bord de mer l’après-midi
après avoir vendu le produit de leur pêche (Marcel Cusset, Saint-Louis Marie-Galante).
Le bèlè rythme les travaux lourds des champs comme les labours. Dans ce cas, les chants sont
appelés chan a chari ou chanté a chari786. Ce sont les hommes qui exécutent le chant car les gros
travaux de labour leur sont réservés. Des techniques de chants sont mises en œuvre pour faire avancer
au plus vite les animaux de trait. Chacun use de son ingéniosité. Certains vont jusqu’à siffler et leurs
animaux identifiant leur sifflement, avançent au rythme des conducteurs qui les stimulent par cette
« musique de bouche ». (Max Rambhojan, Baie-Mahault787). Les travaux se réalisent aussi avec l’aide
des parents et amis dans un koudmen appelé aussi en fonction de travaux konvwa. (Aglas Dunyèr,
Sainte-Anne788).

780
Témoignage collecte LAMECA 2005
781
Témoignage collecte LAMECA 2005
782
Témoignage retranscrit dans le Bulletin Léwòz, n°3, 2006
783
Lockel Gérard, Gwoka modèn, 2012, page 33, autobiographie.
784
Georges Troupé, Collecte personnelle, Sainte-Anne, 18 janvier 2009. Le fait qu’il évoque concerne la ville du Moule Georges
Troupé
785
Emission radio Black Music, 7 décembre 1980.
786
Traduction française : chant de charrue
787
Témoignage collecte LAMECA, 30 novembre 2006.
788
Témoignage Aglas Dunyèr, Collecte personnelle, janvier 2015.

242
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le chant bèlè est un chant partagé. Son interprétation marque les temps forts sur l’action et
l’acteur mis en scène. Le geste de l’acteur accompagne l’action sur le temps fort créant la cohésion des
travailleurs. L’énergie est mise en commun.
Ici, entre gens de même sexe pour des lavandières et des travailleuses du manioc :
Chantè : Sé lavé mwen ka lavé lenj an mwen, lenj an –mwen
Répondè : Chalala chalala, o lo lo.789 (Marcel Lollia, Pointe-à-Pitre)
Chanson 2 : Komanse nou komansé
Grajé nou ka grajé
Grajé nou ka grajé 790(Nagau Loraine, Saint-Louis)
Là, entre ouvriers et ouvrières qui réclament la pause du midi qui tarde à arriver. Le temps fort est sur
la revendication :
Entrée chantè : Komandè-la voyé –mwen alé
Dèpi bon maten mwen la
Répondè : Komandè-la voyé –mwen alé
Chantè : La Pli la si do an –mwen
Répondè : Komandè-la voyé –mwen alé
Chantè : An kay bouyi manjé an-mwen
Répondè : Komandè-la voyé –mwen alé791 (Médélice Baptista, Vieux-Habitants).

Dans cette région de Vieux-Habitants, le bèlè est une pratique courante. Les ouvriers des exploitations
d’arbres fruitiers ou des caféières le pratiquent. Les ouvriers sont parfois accompagnés du son de la
corne du lambi. Dans cette région aussi, les jours de « grajé792 » la famille et les voisins s’y attellent
jusqu’à la nuit à la lumière des lampes à pétrole, des torches. Le travail s’accompagne de chants,
histoires, blagues. (Charlot Paul Armand, Vieux-Habitants793)

Si les tâches sont réparties en fonction du sexe, le chant est entonné par un homme ou par une
femme. Un autre ou une autre prend le relais et le répondè est entonné par l’ensemble des travailleurs.
Le groupe de travailleurs et travailleuses uni dans le travail est uni face à la pénibilité du travail. Le
chant bèlè est à la fois exutoire.
Des femmes donnent encore un autre rôle au chant, celui de l’appel à la fertilité de la terre dans
une autre circonstance, celle du travail dans les jardins vivriers.
Fòw chanté ba-y pou-y pòté 794!
Chanté-la ka fè tè-la byen795 !
Si l’homme se retrouve seul dans son jardin, il peut chanter pour apaiser et soulager la dureté du travail.
Des femmes aussi pratiquent seules le chant bèlè lors des travaux ménagers. Le « bèlè en solo » a la
même valeur que le chant pratiqué de manière collective. (Bach Athanaïse dite Man Soso, Casimir
Reynoir, Laumuno Eliane/ Baie-Mahault, Grand-Bourg Marie-Galante)

789
Traduction française : Je suis en train de laver le linge, le linge
790
Traduction française : Nous en train de commencer, nous sommes en train de râper le manioc)

791
Traduction française : Le commandeur libère-moi, J’ai la pluie sur le dos, Le commandeur libère-moi, Je vais préparer mon repas,
Le commandeur libère-moi
792
Râper les tubercules de manioc
793
Charlot Paul Armand, Nostalgie d’un monde perdu, Nestor, 2011, pages 86-157.
794
Il faut chanter pour elle pour qu’elle soit fertile. Témoignage Chabin Olivier Ferriée… août 2015, avril 2016
795
La chanson fait du bien à la terre. Témoignage Solange Bach… décembre 2012 à mars 2013.

243
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Interrogeant des chanteurs de bèlè, l’étude de Dominique Cyrille montre la rencontre entre des
travailleurs appartenant à des groupes différents comme les Afro-Guadeloupéens et les Indo-
Guadeloupéens. Nous reprenons à notre compte un extrait du témoignage de Clermont Lalsingué
(1935-2012) âgé de 77 ans au moment de l’interview afin de nous interroger sur le bèlè comme espace
de partage des langues locales :
« Toi tu es Indien, tu es entre deux descendants Africains, tu coupes la canne avec eux. Mettons que toi
tu coupes à droite et l’Africain coupe à gauche. Lui chante sa chanson en créole, celui-là chante en
Indien796…

Contrairement au bèlè qui s’exerce au travail, sur le temps libre se pratiquent le léwòz et la
bamboula mais il arrive que le banjogita ou boulagèl797 des rites funéraires soient interprétés sur le
temps libre en guise de divertissement. Léwòz et bamboula prennent la même configuration à la
différence que la première débute le soir, se prolonge dans la nuit, se termine au petit matin mais peut
encore durer toute la journée du lendemain. Il peut donc, en fonction des participants et de l’ambiance,
former une boucle de 24 heures (Athanaïse Bach dite Man Soso, Baie-Mahault798). La ou le bamboula
rappelle le léwòz dans son contenu. En effet elle pourrait se dire « matinée-bamboula » ou « soirée-
bamboula » car elle se déroule en journée ou en soirée contrairement au léwòz qui est exclusivement
une manifestation de la nuit.
D’après nos témoins, la ou le bamboula est tantôt apparentée au léwòz, tantôt assimilée au
léwòz. Elle semble être le terme par lequel des acteurs publics comme les municipalités désignent les
rassemblements au tanbou sur la période indiquée (années 1930-années 1960). Des bamboulas,
programmés lors des fêtes de communes réunissent indistinctement les musiciens et danseurs des
quadrilles et ceux du gwoka. Ils se déroulent habituellement sur la place du marché. Là l’orchestre
comprend les tambours des quadrilles, l’accordéon et les tanbou du gwoka. Les chansons sont ceux du
gwoka (Chabin Fériée dite Dòdòz, Grand-Bourg et St Louis Marie-Galante799). La ou le bamboula
commence au cours de la journée, peut durer toute la nuit et se poursuivre le lendemain. Des
marchandes de victuailles font aussi partie de l’animation. Elles viennent de la commune organisatrice
ou d’autres communes bien éloignées. Ce sont des « marchandes professionnelles » du bamboula.
(Athanaïse Bach dite Man Soso800). A chaque « quinzaine », un ou une bamboula réunit des hommes,
chantant et dansant autour d’autres hommes jouant le tam-tam. Les participants se partagent le repas
et la boisson tirée du sac.
(Gérard Pomer801).
La configuration du léwòz802 est parfois controversée et des manifestations totalement
différentes s’appellent léwòz. Ainsi l’action de chanter pour accomplir une activité rurale en
l’occurrence le chant de travail rural se désignent parfois par le terme léwozyé (Nagau Loraine, St
Louis Marie-Galante803). De même le léwòz désigne un moment de divertissement (Marivat Joseph

796
Dominique Cyrille, O pli bèl son…, la langue indienne dont il parle est le tamoul.
797
Chant interprété par des onomatopées en voix grave
798
Collecte personnelle, décembre à mars 2012.
799
Collecte personnelle, août 2015
800
Collecte personnelle, décembre à mars 2012.
801
Témoignage accordé au Bulletin Léwòz, n°2, octobre 2006.
802
Employé ici pour les rassemblements aux tanbou
803
Témoignage Lameca 2006, St Louis Marie-Galante

244
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

dit Ismani, Grand-Bourg Marie-Galante804 ) Les descriptions du léwòz contiennent des points de
convergences et de divergences :
Organisé par la famille, il se déroule devant la maison familiale mais, il arrive à l’occasion de
la fête communale, qu’une prestation soit donnée par la famille devant la mairie de la commune (Odilia
et Berto Judor, Bouliqui, Abymes805). Ces manifestations ont lieu la nuit. Toutefois, le samedi « de
quinzaine », en attendant leur rémunération, alors que les marchandes en profitent pour vendre leurs
sucreries, les tanbouyé jouent. Ce n’est pas un léwòz car il n’y a pas de léwòz de jour. La manifestation
débute à 21 heures et peut se prolonger au-delà de 22 heures. L’éclairage artisanal est obtenu par des
flambeaux. Le public participe en chantant, il forme ainsi ce qu’il est convenu d’appeler dans la
distribution des rôles du gwoka, lasistans. En revanche, tous les participants accompagnent les
chanteurs par des battements de mains. Un chant d’entrée ouvre habituellement le léwòz. (Florelle
Loïal, Ste Anne806)
L’accompagnement par les battements de main et le chant d’entrée ne renvoient pas dans cette
circonstance au tanbou virtuel puisqu’il est présent mais à « l’ambiance807 » créée par les tanbou et
qui provoque chez le public, la disposition à la réceptivité des messages du chant, des sonorités des
tanbou et des mouvements du danseur. Ces battements de mains du public constituent sa contribution
dans l’élaboration de « l’ambiance » que Memel-Foté décrit comme « le tam-tam des mains ».
Des femmes y viennent avec des travaux à faire comme par exemple le coton à « préparer »808
(Louis Victor dit Napoléon, Mare-Gaillard, Gosier809 ). Mais, lorsque les sœurs Bernis participent au
léwòz, au sein de leur petit groupe qui organise des léwòz, Fifine ou Victorine joue alors que Marie-
Antoinette fabrique les tanbou (Serge Nègre810, Napoléon Magloire811, Lucien Selbonne/ Le
Gosier812).
Des léwòz sont organisés dans les quartiers attenants aux usines. Le jour « de quinzaine », ce
sont les travailleurs du sucre des habitations comme des usines qui en organisent aussi en plein air
devant leur domicile (Bach Solange813 ).
Mais le léwòz est aussi une manifestation de la ville. Il entre dans l’animation des quartiers
populaires. Des hommes et des femmes y dansent et la danse des femmes attire principalement
l’attention. (Lockel Gérard, Nord Grande-Terre814).
D’autres rassemblements autour du tanbou ressemblent au léwòz. Ils sont plus spontanés mais
encore plus réguliers. Ils se déroulent le dimanche après la messe animés principalement par un
tanbouyé, Kacy Gabin dit Ravèsél qui joue devant un bar pour attirer les clients (Séjor Luc-Hubert,
Douville Ste Anne815).
Le léwòz est principalement, d’après la quasi-totalité des témoignages, un rassemblement de
plein air mais il a lieu parfois le samedi soir dans des espaces commerciaux tenus par des hommes ou
par des femmes tantôt appelés kafé, tantôt appelés casinos lorsque ces salles sont dédiées aussi aux

804
Témoignage retranscrit dans l’ouvrage de Dominique Cyrille…, 2012, page 54.
805
Témoignage Almanaka 2007/Collecte personnelle, juillet 2015.
806
Témoignage de Florelle Loïal, octobre 2015, Ste Anne.
807
Memel Foté, Rapport sur la civilisation animiste, Colloque d’Abidjan, avril 1961, Présence africaine, 1962, page 49.
808
Il s’agit sans doute du cardage pour la préparation des matelas car un des petits métiers est la matelassière ou le matelassier
809
Témoignage LAMECA, 2005.
810
Almanaka, 2009
811
Collecte Lameca, 2005.
812
Almanaka, 2009.
813
Collecte personnelle de décembre 2012 à mars 2013, Baie-Mahault.
814
Gérard Lockel, Gwoka modèn, 2012, page 41
815
Collecte personnelle, juillet 2016

245
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

jeux de hasard. Les musiciens y jouent la biguine, les quadrilles et du gwotanbou816. Le léwòz et le
quadrille ne se jouent jamais en même temps. Les léwòz peuvent se dérouler ou non dans les kafé ; de
même pour les casinos où l’accordéon est associé ou non au tanbou. (Jernidier François dit Kawno,
Baie-Mahault817).
D’après le témoin Kawno, dans la région du nord Basse-Terre, le léwòz est un ensemble de
musiques : graj, roulé, léwòz (Jernidier François dit Kawno818). Mais le toumblak est aussi la musique
essentielle du gwoka (Gérard Lockel819). Mais le grenndé qui se joue au cours du léwòz lui donne une
mauvaise réputation à tel point que des familles l’interdisent à leurs enfants (Yvon Anzala dit Obyèj,
Le Moule820). Parallèlement, des prestations au tanbou sont commandées par la municipalité à maintes
occasions. Un orchestre constitué de deux tanbouyé répond à la commande (Marcel dit Serge Cusset,
St Louis Marie-Galante821). Les organisateurs des rassemblements au tanbou sont aussi des
associations féminines comme la Société des Cuisinières ou celle des Roses Fanées qui organisent,
autour d’un repas typique, de la mi-journée au début de soirée, dans des quartiers urbains populaires,
en périphérie de la ville, des rencontres musicales où le tanbou est présent. Ce moment festif réunit
des membres de l’association qui dansent en groupe. (Marcel Mavounzy, Pointe-à-Pitre822).
En ville, les gens ont intégré le tanbou aux musiques de bals. Cela donne encore une musique
différente de celle qui se joue au tanbou à la campagne. En remontant à la période de l’esclavage, cette
pratique se retrouve déjà. Il y a la musique de la ville et celle des plantations. Mais le tanbou occupe
une place majeure dans les deux. (Eric Nabajoth, Pointe-à-Pitre823).
A l’occasion des fêtes officielles comme la commémoration de l’abolition de l’esclavage, le
léwòz clotûre les festivités. C’est un moment où l’espace de danse, devant les tanbouyé est occupé par
une personne âgée dont la danse sollicite l’ensemble du corps dansant dans une interaction permanente
avec les musiciens. (Pierre Sainton, Saint-Louis Marie-Galante824).
Et, lorsque les mêmes personnes animent les mêmes manifestations, celles -ci se croisent. Le
léwòz débute à Jabrun Baie-Mahault par un orchestre comprenant un tanbou, un accordéon et un
chanteur (Reynoir Casimir, Baie-Mahault825). De même, les quadrilles rencontrent le léwòz pour
donner le léwòz-o-komandman826. Solange Bach dite Man-Soso nomme ainsi ces rencontres. Elle
évoque le nom de celui chez qui ces manifestations ont lieu. Il s’agit de Ismaël Gratien dit Marzans
(1916-2016) 827domicilié dans la région de Mare-Gaillard au Gosier. Elle décrit l’orchestre composé
de tanbou du léwòz pour l’occasion. Placés en ligne face à face comme pour le bal à quadrilles, les
danseurs et danseuses exécutent les différentes figures des quadrilles. Ce type de bal s’ouvre et se
termine par une biguine828. Ce sont des quadrilles dont les règles de la danse sont chantées par le

816
Terme par lequel se désignait autrefois les musiques gwoka
817
Témoignage retranscrit dans Carnot par lui-même, Alors ma chère moi…, 1986, pages 53-55.
818
Témoignage retranscrit dans Carnot par lui-même, Alors ma chère moi… ,1986, pages 51.
819
Gérard Lockel, Gwoka modèn…, 2012, page 39
820
Yvon Anzala, collecte personnelle, août 2015, Le Moule
821
Collecte personnelle, août 2015, St Louis Marie-Galante
822
Marcel Mavounzy, Cent cinquante ans de musique…, 2002, page 140
823
Collecte personnelle, novembre 2017. Eric Nabajoth est un témoin des années 1930-69 et un acteur de la période 70-90.
824
Pierre Sainton, Vie et survie d’un fils de Guadeloupe, Editions Nestor, 2008, page 130.
825
Collecte personnelle, mars 2012, Petit-Canal
826
Traduction littérale : léwòz au commandement
827
Ce danseur est connu dans la région pour ce type de manifestations. On retrouve cette information dans sa biographie retracée par la
brochure Almanaka en 2006 et dans le France-Antilles de la Guadeloupe à l’occasion de son décès en septembre 2016.
828
Collecte personnelle, mars 2013, Petit-Canal

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

commandeur. Nos témoins désignent aussi cette manifestation par bal-a-gwotanbou. Mais ce terme
est aussi utilisé pour des bals organisés à Pointe-à-Pitre sans commandement avec les tanbou du
léwòz829 . La danse s’exécute dans ce cadre en solo ou encore par deux danseurs simultanément.
La configuration du léwòz est reprise aussi dans la-bòdé en fonction des circonstances. La-bòdé
est aussi une pratique collective qui réunit les mêmes rôles que le léwòz. Ainsi, les gens qui s’amusent
à la plage ou à la rivière ou dans d’autres lieux de détente et qui chantent et dansent autour d’un repas
font la-bòdé. Ces rassemblements festifs ont lieu principalement les jours de fête (Dòdòz, Marie-
Galante830). Par ailleurs des excursions se développent en Guadeloupe au cours des années 1940, c’est
une forme de pratique sportive au profit du tourisme et à l’attention des membres des clubs sportifs831.
Mais durant les années 1960, ces excursions organisées par des associations sportives et culturelles
sont animées, par des chansons appelées vokal ou waka. (Cafournet Jean-Paul832, Conquet Guy833/
Grand-Bourg Marie-Galante, Baie-Mahault). Elles sont accompagnées de battements de mains. Des
chansons habituellement interprétées au cours des véyé sont interprétées. Elles incitent à
l’improvisation par les participants. Ce sont à la fois des chansons et des jeux de rôle sur des thèmes
licencieux visant principalement les femmes :
Exemple 1 :
Répondè : Woy Ena, Ena mi on nonm an menné ba-w
Chantè : Yo di mwen ou enmé nonm ki… le jeu consiste à improviser sur une caractéristique propre à
un des participants désigné) An touvé (le participant désigné…) an menné ba-w834
Exemple 2 :
Répondè : Dédé o dédé o lésé mari an mwen ban mwen
Chantè : Mari an mwen sé on (un métier) i ni on (outil ou uniforme du métier) an dé janm a-y835
Exemple 3
Répondè : Oha
O Méril o Méril o
Répondè : Oha
Sa ki vayan lévé lan men
Répondè : Oha
Adan on Komin té ni on konkou
Té ni on konkou a gro bonda
Yo prézanté manzè (on nomme un participant et on le caractérise par rapport à sa carrure)
Bonda maté, si lè podiòm
Bonda miné, si lè podiòm836
A l’occasion des fêtes civiles et religieuses, les gens se réunissent dans les bars autour de la musique
aux tanbou. Il y en a qui dansent. (Brudey Edouard, Terre-de-Bas)
De nos quatre manifestations, le bèlè est un vivier de mélodies et de textes pour le léwòz et
pour la véyé. C’est ce qui se chante de jour au travail qui s’adapte le soir, à l’occasion d’un décès, à

829
Témoignages : Fritz Naffer, collecte personnelle, juillet 2008, Eric Cosaque août 2009 et mai 2010.
830
Collecte personnelle, août 2015, Saint Louis, Marie-Galante.
831
Jacques Dumont, Sport et assimilation à la Guadeloupe… L’Harmattan, 2002, page 275.
832
Témoignage de juillet 2015, collecte personnelle.
833
Témoignage du mois juillet 2008 et de février 2011, collecte personnelle.
834
Traduction : Oh Ena, voilà un homme que je te propose ; on m’a dit que tu voudrais d’un homme…
835 Traduction : Dédé o dédé o, laissez-moi mon mari, mon mari est …
836
Traduction : O Méril o, que les vaillants se lèvent ; Oha ; Dans une commune était organisé un concours de grosses fesses.
Mademoiselle s’est présentée sur le podium…Des fesses proéminentes sur le podium… Des fesses de petite taille sur le podium.

247
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la véyé ou encore à la bamboula ou au léwòz. Ces manifestations sont à leur tour et, particulièrement
la véyé est un vivier pour la-bòdé. Ainsi, bèlè, léwòz, bamboula, la-bòdé sont reliées par les mélodies.
Cette chaîne de mélodies et de textes ritualisent le répertoire du gwoka. Dans le cas de la communauté
des zanfan-lanklo qui en fait usage, cette chaîne unit l’ensemble des membres autour du tanbou,
instrument sacralisé. Il favorise l’harmonie du groupe.

2- Autour de la mort

La véyé se déroule en présence du défunt et le vénéré neuf jours après les funérailles. Ces
manifestations rejoignent les évènements funéraires catholiques du point de vue du temps. La véyé
précède la cérémonie catholique des funérailles et le vénéré s’accompagne de la messe à l’issue des
neufs jours de prières catholiques à l’attention du défunt. Le calendrier catholique ne détermine que le
temps et non la forme du rituel :
« Peu après la levée du corps, des bénévoles nettoient entièrement la maison du défunt afin qu’elle soit prête pour
la neuvaine qui commencera le lendemain. Les vêtements portés par le défunt lors des derniers moments de sa vie
seront lavés à grande eau, si possible à l’embouchure d’une rivière. On retrouve ici la symbolique de l’eau et de
l’océan, chemin que l’âme du disparu doit emprunter pour retourner au pays des ancêtres837 »

La véyé suit l’exposition du corps avant le vénéré au bout de neuf jours. Elle est annoncée
oralement à la campagne par un homme au moyen d’un générique chantée et parlée :
Lévé lévé, (nom du défunt) mò !
La véyé o swè-la
Sa ki tini chouval, monté chouval
Sa ki tini boukèt, monté boukèt
Sa ki pa ni ayen, monté a pyé (ou monté manman-yo)838

Cet homme annonce le générique par des sons de la conque à lambi pour éveiller l’attention.
Cette annonce révèle la présence dans le gwoka d’un autre musicien que l’on peut désigner par kònè.
Car, en créole guadeloupéen, la conque à lambi se désigne par kòn-a-lanbi839 à cause des longues
excroissances courbes de la conque rappelant des cornes. La création du verbe, désignant l’acte de
souffler dans la conque à lambi recyclée, en instrument de musique, se produit par dérivation. Le post-
fixe é, ajouté au nom, crée le mot kòné pour l’acte et par conséquent, konè pour l’acteur. Il peut être
un pêcheur annonçant la vente de la pêche ou un partisan politique, harcelant l’adversaire lors des
campagnes électorales, ou encore un participant ou organisateur de la véy, é annonçant celle-ci.

Le mot véyé pris dans le sens français signifie veillée. En Guadeloupe, dans la langue créole,
le terme véyé indique la circonstance pour laquelle la réunion funéraire s’organise. La communauté
dans son ensemble se mobilise autour de la mort pour garder le défunt toute la nuit avec la famille dans

837
Luciani Lanoir- L’Etang, Réseaux de solidarité dans la Guadeloupe d’hier et d’aujourd’hui, L’Harmattan, 2006, page 140.
838
Ecoutez, écoutez, (le nom du défunt) est décédé/ Que celui qui possède un cheval, monte son cheval (vienne à cheval) / Que celui
qui possède un âne, monte son âne (vienne à cheval) / Que celui qui ne possède rien (aucun moyen de transport), monte sa mère
(Vienne avec sa mère)
839
Traduction française : cornes de lambi

248
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

une logique de partage et de solidarité. Le défunt suscite du respect. Il est vénéré. Ne pas l’honorer
par les chants et danses c’est s’exposer à sa colère. De nombreuses recommandations sont rappelées à
l’occasion des décès. Elles symbolisent le pouvoir des ancêtres et par extension celui des défunts :
« Mais ce qui caractérise la mort a été un accident historique dont l’homme, selon certains mythes est
moralement et métaphysiquement responsable. Les Dogons racontent en effet que leurs premiers
ancêtres, les Andoumboulou vieillissant se transformaient soit en animaux (serpents soit en génies (gyini)
dans le monde profane : tel était le décret divin. Or la langue ésotérique ne devait point accéder aux
lèvres du profane : tel était le décret divin. Mais voici que le doyen des Andoumboulou passa outre et
communiqua le siguiso à un vivant qui le transmit à un autre. C’est l’infraction d’où est issue la mort. Ici
la mort est le résultat de la désobéissance de l’homme. Même conception chez les Bambara840 ».
Les rituels autour de la mort en Guadeloupe montrent à quel point le défunt est à la fois adulé
et craint. Cette croyance n’est pas l’apanage des pratiquants du gwoka. C’est une croyance généralisée.
Il faut lui permettre de partir en toute quitétude. Pour cela, des soins communs à l’ensemble de la
communauté sont portés à sa susceptibilité :
- Cacher les miroirs d’un linge blanc. Cette couleur étant celle des êtres surnaturels ou invisibles.
- Placer le cercueil les pieds tournés vers la porte de sortie afin qu’il quitte définitivement la terre et ne
vienne troubler la paix des siens.
-Faire des libations de rhum (de sucre parfois) à son intention pour accompagner et faciliter son départ.
-Déposer au fond du cercueil quelques vêtements qu’il utilisera dans le monde des morts.
Mais, à l’occasion des rencontres musicales funéraires, l’assemblée chante la vie du défunt
comme pour célébrer sa mémoire. Les chansons accompagnées ou non de tambour sont les supports
de la mémoire du défunt dont la construction débute par la véyé. Des chansons peuvent s’adresser au
défunt qui revêt à ce moment un caractère d’éternité. Ces assemblées funéraires sont à la fois des lieux
de mémoire et des espaces de divination du défunt.
Plusieurs de nos témoins ont vécu la mort de parents proches. Napoléon Magloire perd sa mère à l’âge
de 12 ans comme Céleste Wilfrid. Solange Bach perd son petit frère qui dècède dans son plus jeune
âge. Luc-Hubert Séjor perd sa grand-mère qui l’a élevée alors qu’il avait à peine 8 ans. François
Jernidier perd sa mère alors qu’il effectue son service militaire puis sa compagne durant les années
1940. Les enfants ont des souvenirs inégaux de la véyé de leurs parents respectifs. L’un d’eux fait
partie de nos acteurs-témoins et l’autre n’est qu’un témoin. Les autres ne s’en souviennent pas ou s’en
souviennent à peine.
« …Quand j’ai été élevé enfant, la 1ère veillée que j’ai vue… quelle est la 1ère veillée que j’ai vue ?
J’étais petit, j’ai vu la veillée de ma grand-mère. J’ai vu celle de ma mère (en fait de sa grand-mère), Man
Estéfanni. J’ai vu sa veyé. Ma grand-mère est morte tôt (jeune). J’ai vu la véyé de mon grand-père aussi.
Mais je ne m’en souviens pas vraiment. J’étais enfant. Ce que j’ai vu dans les véyé ce sont des gens qui
chantaient. Je les ai vus chanter dans les véyé. Je n’ai pas vu des gens lutter. Il n’y avait pas de tambour.
Il n’y en avait pas du tout. Je n’ai pas vu de tambour du tout. Il y avait la bande de Ivè Boileau qui chantait.
Les gros chanteurs comme on le disait… Ma mère l’appelait… c’était Konpè Jilien, Julien Damator (de
son vrai nom). Il y avait Olivier Pédurand qui se trouve être un de nos parents. Il y avait la bande de Guy
Albert Polybe. Il y avait la bande de Ti bènyé qui faisait fort le banjogita841. Il me semble qu’il y en avait
un qui venait dans les véyé et que l’on appelait Masélon Tiso. J’ai vu des gens chanter. J’ai vu des gens
raconter des choses aussi (conter) … J’ai entendu la bande d’Aurélien Lapousinyè racontant des blagues,
oui la bande de Dicken faire des démonstrations, lutter… Dicken, on l’appelait Bonosyo. Je l’ai vu lutter
même en véyé. Lutter sérieusement même ! Un jour je l’ai vu lutter. De mauvaises luttes même… Ah

840 Memel Foté, Rapport sur la civilisation animiste, Colloque sur les religions, Abifjan 1961, Présence Africaine, 1962, page 36.
841 Chant rythmé par des onomatopées en voix grave d’hommes

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

oui, chacun apportait quelque chose à la véyé. Mais cela se fait encore. Chacun venait avec quelque chose
qu’il s’agisse de … J’étais enfant, je n’étais pas là pour vérifier ce qu’ils apportaient. Tout ce que je sais
… et quand je le disais auparavant, les gens ne le prenaient pas au sérieux : les meilleurs moments que
j’ai vécus, c’était peut-être la véyé de Man Ya parce que je me rappelle bien. J’ai vu des cochons pendus
(des cochons égorgés pour la nourrir les participants) … la bande de Ton Paul tuer des cochons… de la
viande fraîche. Comme à l’époque, les gens consommaient rarement de la viande. Tu comprends il y
avait de la viande qui rissolait. Il y avait à manger. La musique animée par des battements de mains
d’hommes et de femmes et des chants en voix grave de gorge appelés banjogita ou boulagèl ou
boula842exclusivement interprétés par des hommes.
… » (Luc-Hubert Séjor, Sainte Anne843).
Jean Belmont né en 1925, dans ses mémoires de dissident au cours de la 2è guerre mondiale raconte
qu’il perd sa grand-mère et sa mère en 1936 alors qu’il est âgé de 11 ans. Il se souvient des véyé de
cette période. Son récit témoigne de l’association des croyances populaires et du catholicisme d’une
part, et, d’autre part, de l’image que la véyé renvoie à son environnement.

« Lorsque quelqu’un meurt on allume des centaines de bougies, autour et à l’intérieur de sa case. La
coutume est de veiller le mort. Cela signifie un défilé ininterrompu de centaines de personnes qui viennent
littéralement festoyer, avec rhum et victuailles. Ça coûte une fortune. Des conteurs viennent, on danse,
et même on se bat… On organise même des concours… Les curés ont beau se fâcher, certains refusent
de dire la messe ou de procéder à l’enterrement, rien n’y fait : c’est la tradition…La cérémonie c’est du
grand spectacle. Tout le monde est endimanché…844 »
C’est au cours de la véyé et du vénéré que des chansons et des prières dévoilent, au sein des acteurs
du gwoka une culture catholique diverse. Alors que certains adhèrent fidèlement aux rites funéraires
imposés, pour d’autres, la foi catholique est dépourvue de ferveur. Plusieurs chanteurs du gwoka ont
exprimé ce manque dans leurs chansons ou textes libres enregistrés :
- Germain-Calixte Gaston (1922-1987) : Zombi Baré mwen est une chanson qui fait le récit de
l’aventure d’un homme qui s’est perdu dans une région boisée, perturbé par les forces d’une
figure légendaire de la cosmogonie caribéenne, le zombi 845. Conformément au recours à
l’intercession divine, il adresse des prières à la Vierge Marie et récite le « Notre père ». Il ne
retrouve pas pour autant son chemin. Les prières sont inefficaces. Les forces catholiques et les
forces de la religion populaire entrent en concurrence. La victoire revient au zombi qui
représente une force supérieure à celle des forces catholiques. Pour la construction du texte, le
chanteur s’approprie les prières et expose leurs faiblesses. Le chanteur rend compte de cette
force en en faisant lé-répondè de sa chanson. C’est cette phrase qui ponctue le récit du chantè
pour bien convaincre l’auditoire de la victoire du zombi 846 :

842 Ces termes sont énoncés dans des chansons enregistrées. Si on prend le cas de Sergius Geoffroy (1944-1992) de la région des
Grand-Fonds de Ste Anne, il emploie régulièrement le terme de banjo ou banjogita. Gaston Germain -Calixte (1922-1987) de la
commune de Port-Louis, section Rambouillet, emploie plus souvent le terme de boulagèl ou de boula.
843
Collecte personnelle, janvier 2016.
844 Jean Belmont, 1926-1946, Une jeunesse guadeloupéenne, 2010, page 29.
845 Mort ressuscité ou esprit d’un mort qui n’a pas trouvé le repos : définition de Geneviève Léti, L’univers magico-religieux antillais,

L’Harmattan, 2000.
846
Gaston Germain-Calixte, Port Louis La nuit, Album Emeraude, 1966.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 29 : Extrait d’une chanson, « Zombi baré moin », 1966

Chantè : An di manman Zonbi baré-mwen Chantè : Maman, le zombi m’a fourvoyé


On maten an ay an bwa Un matin, je suis allé dans les bois
An koupé lyann, J’ai coupé des lianes
An koupé loren J’ai coupé des lorrains
Lan fè dé pakè an ka vwè zombi baré mwen Après deux paquets, je réalise que le zombi m’a
Répondè : An di manman Zonbi baré-mwen fourvoyé

Chantè : An di an ka fè on ti priyè Chantè : J’ai décidé de faire une petite prière


Pou mwen vwè chimen Afin de retrouver mon chemin
An pran « Je vous salue Marie » … J’ai entonné « l’Ave Maria »
Magré sa zombi baré-mwen Malgré tout le zombi m’a fourvoyé
Répondè : An di manman Zonbi baré-mwen Répondè : Maman, le zombi m’a fourvoyé
Chantè : An di an ka pran on dézyèm priyè Chantè : J’ai décidé de faire une 2è prière
Pou mwen vwè chimen Afin de retrouver mon chemin
An pran « Notre père « … J’ai entonné le « Notre père »
Magré sa zombi baré-mwen Malgré tout le zombi m’a fourvoyé

-Robert Loyson (1928-1989) : La chanson Si Papa mò est le testament de l’auteur qui demande
à être enterré sous un tonneau de rhum afin qu’il se délecte de toutes les gouttelettes qui en
jaillissent. L’un des couplets récités par un prêtre d’après le texte de la chanson est une parodie
d’une prière catholique en latin au niveau du texte et de la mélodie. Cette prière rappelle la
passion ou l’addiction du buveur de rhum. Il la compose pour lui selon ses besoins en fonction.
Les formules liturgiques sont tournées en dérision :
Sékliarom sé ròm
Amène o tonbo ròm
Domino sé kli a ròm (bis)

-De même, la chanson Hé bois de Sergius Geoffroy désacralise le curé :


Répondè : An kriyé woy hé bwa
Chantè : Manman Boriko an vwè lyann a labé-la
Répondè : An kriyé woy hé bwa
Chantè : Ibè Kozéma, sé-i ki mako a Pè Hébois847

Des ritournelles grivois et moqueurs sont aussi entonnées au cours des véyé désacralisant la prière
universelle. Elles arrivent aux oreilles des enfants qui les répètent innocemment au cours de leurs jeux :
Au nom du p…
Koko p…
Zaboka é fouyapen848

847
Traduction française : J’ai crié woy Hébois, Maman Boricaud J’ai vu la liane (la verge) du curé. Hubert Cozéma, c’est lui le maco
(le serviteur) du curé. Il s’agirait d’un curé affecté dans la commune des Abymes que les fidèles accusent d’avoir engrossé plusieurs
filles. Ce titre est enregistré dans les années 1970.
848
Au nom (du sexe des hommes), Coco (le sexe des hommes), Avocat et Fruit à pain, Témoignage de Guy Conquet, août 2008, Baie-
Mahault.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Antoine Sopta (1933- 2013) crée à partir de cette prière universelle la prière au rhum, pratique
courante des conteurs de véyé :
« Je vous salue chopine de rhum pleine de glace… Vous êtes bénie entre toutes les boissons alcooliques… Priez pour les
soulards et toux ceux qui sont morts sous les drapeaux alcooliques. Ainsi soit-il »849
-Guy Conquet (1946-2012) demande à un oiseau guérisseur ou à un quimboiseur, connu sous
le nom de Loïzo, de lui montrer son chemin. Cet oiseau ou cet homme, est présenté comme un
guide. C’est à lui qu’il s’adresse. Il a confiance en son pouvoir et substitue le pouvoir divin au
pouvoir de la nature qui détient aussi le pouvoir du guérisseur850.
Zozio gadè-d zafè
Ou ké montran chimen a Baie-Mahault851

Mais en Guadeloupe, un autre rite funéraire se déroule dans un espace encore plus circonscrit.
Il s’agit du Grap-a-Kongo. Deux de nos témoins ont assisté au Grap-a-Kongo alors qu’ils étaient
enfants. Pour Marie-Louise dite Rose-Aimée qui est née en 1925, enfant, elle a assisté à la cérémonie
organisée par sa grand-mère. Sa fille Jacqueline et elle se remémorent à leur tour les organisateurs du
Grap-a-Kongo organisés à la maison familiale :
Rose-Aimée (1925-2014) fut précédée de sa grand-mère dite Nini Vambana, de sa mère Anaïs
Massembo et de son cousin Anatole Massembo âgé de 30 ans en 1905852. Les traces de cette cérémonie
remontent au moins de la fin du XIXè siècle pour ces descendants d’immigrants africains arrivés en
Guadeloupe entre 1857 et 1861. A mesure que ces premiers organisateurs disparaissent, la cérémonie
passe exclusivement aux mains des femmes à partir des années 1940. Elles organisent, préparent les
objets du culte comme le fusil, la bouteille de rhum, l’assiette pour l’aspersion. Elles sollicitent les
hommes pour la musique car au sein de la cérémonie elles sont des chantè, des répondè et dansè.
Le Grap-a-Kongo est une cérémonie aux défunts des familles descendants des immigrants
Kongos en Guadeloupe. Son nom fait l’objet de plusieurs interprétations non élucidées à ce jour. Faut-
il y voir une expresssion du créole guadeloupéen qui signifierait littéralement « un lot de Kongos » ou
faudrait-il y voir un terme qui appartiendrait au kikongo ? La cérémonie se déroule le 1er novembre et
répond à un protocole strict afin de ne pas contrarier les défunts des Kongos à qui est dédiée la
cérémonie. Leur colère peut provoquer des malheurs au sein du groupe. Cette crainte exprime la
puissance des défunts et leur caractère divin. Le Grap-a-Kongo est la cérémonie débute par un appel
aux défunts enterrés sur la propriété familiale. Lors d’une procession sur le site de leur sépulture, les
participants entament un chant d’accueil :
Répondè : Zébi sola
Sola ya mesola
Répondè : Zébi sola
E ku sola
Répondè : Zébi sola
Sola ya ku sola
Répondè : Zébi sola

849
Album Les Maîtres du gwoka, Nostalgies Caraïbes, Volume 1, 1998. Les titres sont des rééditions des versions originales
enregistrées dans les années 1970.
850
Man Soso et Sonor et Guy Conquet affirment, dans leurs témoignages, l’existence de ce guérisseur à qui ils ont eu recours
851
L’oiseau guérisseur, montre-moi le chemin de Baie-Mahault, Disques Debs, 45DD242, 1969-70.
852
Acte de naissance n°110 du 10 juillet 1874, Capesterre Guadeloupe.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

E ku sola853
C’est un chant d’entrée en cérémonie comme il en existe un pour le chant d’entrée des véyé :
Répondè : Mésyézédam byen bonswa
Chantè : Byen bonswa la konpanyi
Répondè : Mésyézédam byen bonswa
Chantè : Salutasyon mèt a mò-la
Répondè : Mésyézédam byen bonswa
Chantè : Nou vini pòté on konkou854
La cérémonie se poursuit par les chants et danses au tanbou en langue kikongo855 . Des rituels
alimentaires et vestimentaires sont de rigueur. Des lotis sont préparés. Il s’agit de galettes réalisées à
partir de farine de blé et de pois verts. C’est en réalité un plat emprunté aux cérémonies indiennes. La
famille Massembo est très proche des Indo-Guadeloupéens de la commune de Capesterre. Elle
entretient des liens familiaux et sentimentaux avec ce groupe. A la fin de la cérémonie, le retour des
ancêtres à leur lieu de repos se fait par les participants qui se changent pour l’occasion. Ils se vêtissent
de blanc et de rouge ou encore de blanc. Cette couleur est à la fois la couleur de la solennité en
Guadeloupe eu égard à l’appartenance religieuse ou au rang social. Mais le rouge et le blanc sont des
couleurs que l’on retrouve dans des cérémonies dédiées à des divinités. Dans la santéria cubaine, le
rouge est la couleur du Dieu Yoruba, dieu du tonnerre, passionné de danse qui compte dans ses attributs
bâton, tambours sacrés et calebasses856. Dans le vaudou, ceux qui servent la déesse Erzili se vêtissent
de blanc quoique cette déesse ait aussi un penchant pour le bleu.857Les participants se réunissent pour
la cérémonie, vers les années 1930-35, à l’intérieur des maisons des organisateurs puis
progressivement, le Grap-a-Kongo devient une cérémonie ouverte en plein air devant une ancienne
case située sur la propriété de Cambrefort Moravie.
Des familles d’origine Kongo installées dans plusieurs régions de la Guadeloupe notamment
dans la région de Ste Rose l’organisent aussi858. D’autres familles Kongos de la région de Moravie
comme les Vanbana et les Zamore l’organisent aussi. Elle se termine par quelques chansons et danses
du léwòz. En dehors du Grap-a-Kongo, les organisatrices apprécient le léwòz qui clotûre la cérémonie
du Grap-a-Kongo (Massembo Rose-Aimée, Moravie Cambrefort Capesterre Belle-Eau).
A chaque objet de culte sa fonction : Le fusil sert à tirer des salves pour appeler puis renvoyer
les défunts. La fleur de canne d’eau appelée moukwanyan par les descendants de Congos en
Guadeloupe est attachée à une bouteille de rhum par un ruban blanc. Cette fleur sert à asperger les
participants de rhum en début et fin de cérémonie.

853
Transcription et traduction de Masengo Ma Mbongolo, résidant en Guadeloupe, octobre 2002/ puis de Justin Gandoulou dans
Kongos de la Guadeloupe, L’Harmattan, 2011, page 159. L’auteur, anthropologue d’origine congolaise donne une traduction plus
ample du texte : Tu sais choisir, je vais choisir. Je t’ai choisi. Tu sais choisir. Je vais choisir. Oui choisis. Je t’ai choisi. Tu sais choisir.
854
Messieurs et Mesdames bien bonsoir ; Bien bonsoir la compagnie, Messieurs et Mesdames bien bonsoir, Salutations au maître du
défunt (le parent responsable de la manifestation), Messieurs et Mesdames bien bonsoir, nous sommes venus porter un concours
(apporter notre soutien).
Chant interprété respectivement par Francky Geoffroy et Wilfrid Céleste en septembre 2009 pour le premier et en août 2009 pour le
second.
855
Des chansons de la cérémonie ont été identifiées, traduits et retranscrits par des originaires de la République du Congo en 1992 : les
historiens Benjamin Kala et Jean N’Sondé, le musicien Alphonse N’Zendu.
856 Lydia Cabrera, La forêt et les Dieux : Religions afro-cubaines et medécine sacrée à Cuba, Editions Jean-Michel Place, 2003

(L’auteur est cité dans un article de Fabrice Hatem, Chango, L’Homme fait Dieu, le Dieu à figure humaine
857
Emile Marceli, Les grands dieux du vodou haïtien, Journal de la société des américanistes, année 1947, 36, pages 51-135.
858
Information de Dany Bebel-Gisler en 1995, S Rose, Guadeloupe

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

(Massembo Jacqueline, Moravie Cambrefort Capesterre Belle-Eau859).


La plante est reconnue par nos informateurs congolais dont les témoignages se rejoignent mais sont
discordants en quelques points :
« Cette plante a été identifiée au Congo comme étant le musangavulù. Elle est utilisée, au même titre que le vin
de palme (ou la boisson alcoolisée) et la noix de cola dans les pratiques religieuses traditionnelles. Toutes les
personnes consultées à Brazzaville ont été formelles à ce sujet. Cette plante, semblable à un roseau, pousse dans
les marécages ou au bord des rivières. En dehors des pratiques religieuses, on peut la mâcher pour se rafraîchir au
moment des fortes chaleurs, car, elle contient un suc un peu acide qui désaltère. Sur le plan religieux, elle est
surtout utilisée dans la bénédiction des vivants par une personne (le chef de clan, chef de lignage) de pouvoir, pour
leur assurer la santé et la prospérité (surtout la progéniture, les nièces et neveux). En cas d’événement majeur
(voyage lointain), elle peut être utilisée pour bénir le partant. En général, la bénédiction traditionnelle consiste à
mâcher le mùssangavulù (ou la noix de cola) et à en asperger le visage et le corps de celui que l’on bénit860 »
« En fait, nous utilisons plus les tiges et non les fleurs dans les cérémonies. La tige s’appelle Sangavoulou. C’est
une tige dont se servent les anciens, les chefs de famille pour bénir leurs parents. Exemple : un enfant ou un
membre de la famille voyage. Afin de lui souhaiter un bon voyage et que les esprits des ancêtres l’accueillent, le
chef mâche un peu de la tige dont le goût est un peu acide et crache le jus sur l’élément qui doit voyager. Cela se
fait aussi dans tous les cas d’imploration des mânes ancestrales sur des sujets donnés. Quelqu’un qui va passer un
examen, on lui donne le Sangavoulou. Il n’y a que le chef de famille qui a le droit de donner le Sangavoulou861 »
« Le mukuénia retient particulièrement notre attention. Il s’agit d’une magnifique plante rhizomateuse à feuilles
lancéolées en spirale. Elle est communément dénommée » Coste-canne d’eau dont le nom scientifique Costus
speciosus pour la variété de la Guadeloupe ; Costus lucanusianus pour la variété présente dans le bassin du Congo.
Toutes ces variétés sont de la famille des Zingiberacées et poussent généralement dans les régions tropicales. Cette
plante qu’au Congo, les kongo appellent « m’sanga-vulu » est souvent utilisée en médecine traditionnelle pour ses
vertus thérapeutiques mais aussi et surtout associée à la bénédiction. En arrivant en Guadeloupe, les Massembo
avaient certainement trouvé cette plante qu’ils connaissaient déjà. Ils n’avaient pas hésité à se la réapproprier, en
l’utilisant de la même façon qu’au Congo. Il semble que ce nom d’origine, en l’occurrence m’sanga-vulu » se soit
évaporé dès la deuxième ou troisième génération au profit d’un autre nom inventé à partir d’un son kuénia-kuénia
perçu au moment où sa tige est mâchée. Ainsi, devant cette carence, semble t’il le plus simple pour eux était de la
dénommer mukuénia. Les générations suivantes avaient continué à faire usage de cette plante considérée comme
sacrée lors de la cérémonie du grapp sans lui attribuer une véritable signification. Tout ce dont ils étaient sûrs c’est
que leurs aieux et plus près d’elles leurs grands-parents l’utilisaient pendant le grap a kongo… »862
Les chansons de la cérémonie sont en langue kikongo. Ce sont les plus anciennes chansons
connues du gwoka puisque Rose-Aimé et Violette les ont entendues chanter par leur mère et père nés
au début du XXè siècle.
Celle qui suit a été traduite et expliquée par des historiens, linguistes ou anthropologues originaires de
la République du Congo.
Version 1
E malélé
Oh tristesse
E malélé muna mongo
Oh tristesse sur la montagne
E ndoundou yaya è

859 Collecte personnelle, novembre 2011 et février 2019 (téléphone)


860
Jean N’Sondé, Congolais domicilié à Paris, docteur en Histoire, août 1991, témoignage écrit.

861
Médard Milandou, congolais domicilié à Brazzaville (République du Congo), journaliste, animateur radio, 13 août 1992.
862
Justin Gandoulou, Kongos de Guadeloupe, Karthala, 2011

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Oh le blanc, mon cher (mon ami, mon père)


E muna mungwa nkélé
Oh par le sel ? il est parti ?
E ndoundou mama é
Oh le blanc ma mère, (ma chère, mon amie)
Malélé : onomatopée utilisée dans beaucoup de chansons anciennes souvent tristes
Nkélé : onomatopée qui rythme les chansons
Kélé : est parti (du verbe ku-enda)863
Version 2
E malembe Eh, doucement,
E malembe muna mongo Eh doucement sur la montagne
E ndundu yaya é Eh, damnation ! le blanc
E muna mu nkwa kele Eh, le voilà qui arrive
E ndundu yaya é Oui, le Blanc, grands Dieux
Ndundu yayé ! Ndundu yayé ! Le Blanc, quel grand malheur !
Singa tata e ! Laisse-toi glisser, père !
Muna mu nkwa kele Il est là,
E malembe ! Eh, avançons doucement !864

En définitive véyé, vénéré et Grap-a-Kongo sont les rites de l’ancestralité. Ils traduisent
l’attachement aux ancêtres divinisés et aux défunts ancestralisés. Au cœur de ces rencontres, les
défunts sont des êtres sacrés, protégés par la famille et les proches, à qui ils accordent, en retour, leur
protection. Mais, ces rencontres sont aussi un moyen pour les familles et les proches de se soutenir
mutuellement, face à cette circonstance douloureuse que représente la mort.

3- Pour le Carnaval
Cette fête est à l’opposé du Carême qui correspond à un temps fort de la liturgie. Il désigne la
période pénitentielle du fidèle catholique durant 40 jours au cours duquel est rappelé la tentation de
Jésus-Christ par le diable. Le fidèle fortifie sa foi par des prières et par la sobriété du quotidien.
Dans les pratiques populaires, le Carême est précédé d’une période de défoulement voire de
débauche même afin d’assouvir les désirs les plus osés avant la période de pause. Il s’agit du Carnaval.
Il se fête dans plusieurs pays d’Europe : France, Allemagne, Italie, Espagne. Il se célèbre entre la fête
de Noël et le mercredi des cendres soit du 25 décembre au mois de février ou début mars environ.
Il n’est pas propre à la Guadeloupe. Toutefois deux parades inédites aux tambours se déroulent
en Guadeloupe durant la période du Carnaval. Ces parades sont désignées par mas -a -Sen Jan et mas-
a- Kongo. Leur origine fait l’objet d’inteprétations diverses en particulier pour les mas -a -Sen Jan.
Cette parade aurait-elle été créée pour opposer une autre parade au défilé des notables des grandes

863
Transcription, traduction et explication de Jean N’Sondé, historien et professeur d’histoire, 1996.

864 Traduction et transcription de Benjamin Kala, historien et linguiste domicilié à Nkayi, République du Congo, 1996.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

villes de la Guadeloupe ? Serait-elle à l’origine de la parade des Mas-a-Kongo par des dockers de
Pointe-à-Pitre865 ?
On connaît mieux l’origine de la désignation de ce groupe et le rang social de ses membres. En
fait il porte le nom d’un des ouvreurs de la parade, Saint-Jean Bernardin Germain866. Et des
témoignages font état de la condition sociale des participants.
Ce groupe adopte des costumes réalisés à partir de matériaux de fortune qui montrent la
condition des personnes déshérités habitués au « recyclage » des objets. Ils utilisent des rubans réalisés
à partir de vieux vêtements ou de chutes de tissu, des cornes des bœufs récupérés lors des abattages.
Les costumes rappellent aussi les métiers exercés au sein de ce milieu. En effet, les feuilles de canne
et la tenue de travail des paysans et ouvriers du sucre renvoient aux métiers de la canne à sucre867.
D’après le témoignage de Marcel Mavounzy, leurs premiers tambours sont issus de la
récupération des jouets des enfants de l’époque c’est-à-dire des petits tambours vendus dans le
commerce que les enfants accrochaient à leur cou868.
Ce groupe de Mas-a-Senjan est localisé à Pointe-à-Pitre parce que c’est une ville où sont
domiciliés des travailleurs de la canne. Ils partent d’un quartier situé près de l’actuel quartier des cités
Henri IV de Pointe-à-Pitre dans une rue qui n’existe plus, la rue Bouchony Lordonet. Ce quartier est
le leur, à l’origine de leur création. C’est le temps de Laurenza Ponture (1900-1983) originaire de la
commune de Baie-Mahault, de Tacita Joseph dit Bolo Pacha né en 1902 au hameau Macaille d’Anse-
Bertrand. C’est là que se tiennent les répétitions parce que c’est là que vit le « patron » du mas-a-
Senjan. C’est un lieu que les parents évitent aux enfants. Sa propre mère et sa ma-bònn869 y participent.
(Eric Nabajoth870).
D’après Laurenza Ponture interviewé régulièrement comme personne référente des mas a
871
Senjan , des gens de la bourgeoisie participent à la parade des mas-a-SenJan aux côtés des couches
populaires mais se camouflent sous les costumes et surtout sous le masque qui cache le visage pour ne
pas être reconnu du public. La parade de ce type de Mas est si différente de celle du Carnaval habituel
que les tableaux à leur sujet, dans le reportage de Roger Fortuné, secrétaire de la Revue
Guadeloupéenne, mérite une attention particulière872. Cette parade est celle des Mas -a-Kongo à
Pointe-à-Pitre.
Tableau 1 :
Défilé accompagné de tanbou puis danse d'adultes en duo face à face, mains aux hanches, pas
saccadés, intégralité du corps en mouvement
Tableau 2 :
Le tanbou joue un rythme de plus en plus saccadé. Au milieu d'un cercle formé par les autres
membres du groupe, deux hommes tiennent chacun, à leur extrémité, deux grands bâtons parallèles
qu'ils posent au sol puis le font remonter une fois qu'un adolescent monte dessus pour y danser en
équilibriste au rythme du tanbou ;
Tableau 3

865
Marcel Mavounzy, Cent Cinquante ans de Musique en Guadeloupe, Présence africaine, 2000, pages 181-183.
866
Jacqueline Birman Seytor, Mas a Sen Jan, Nestor Editions, pages 7 et 22.
867
Témoignages de Laurenza Ponture, 1970. Cette personne recevait à son domiile où nous habitions des gens qui venaient
l’interviewer sur le groupe des Mas-a-Sen-Jan dont elle faisait partie.
868
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique et de culture (1928-1978), Présence Africaine, 2002, page 183.
869
Personne qui porte l’enfant le jour de son baptême. Elle tient lieu de seconde mère dans l’éducation de l’enfant.
870
Témoignage de novembre 2017, Pointe-à-Pitre, collecte personnelle.
871
Au cours des années 1970, elle est régulièrement interviewée par l’animateur radio désigné.
872
Revue Guadeloupéenne, Carnaval Mi Masses par Roger Fortuné, 1947, Pointe-Pitre.

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Le groupe se scinde en deux, l'un formant un ensemble autour duquel tournoient les autres comme
pour une farandole en musique
Tableau 4 :
Arrêt des tanbou et exécution de petits mouvements du corps sur place des masques.
Le défilé rassemble plusieurs acteurs : les « tambouié 873», chanteurs, danseurs, des souffleurs
de conques de lambi, des joueurs de tambour di basse, des joueurs de bouaké. Il s’agit du son produit
par deux baguettes qu’un musicien frappe sur la caisse du tanbou alors que le tambouié lui, frappe sur
la peau. Les musiciens sont aussi des joueurs de oua-oui. Il s’agit d’un instrument constitué par un
cylindre de bambou sec, de deux à trois mètres, creusé de stries parallèles, transversales et dont une
extrémité repose à terre. Le musicien racle les tries à l'aide d'un morceau de bois, comme le
mandoliniste se sert de sa plume... L’orchestre des mas a Congo est aussi constitué de joueurs de
chacha qui sont décrits par l’auteur de l’article comme des maracas fabriqués à partir de calebasses.
Deux autres témoins ont retenu d’autres aspects comme la frayeur qu’inspirent les mas-a- kongos ou
encore le plaisir que procure la participation au mas -a -Senjan.
Les défilants s’enduisent de suie venant des cuves des usines à sucre. Ils sont appelés aussi « masque
à goudron ». Ils défilent de manière autonome, peu nombreux à travers la ville le mardi-gras durant
toute la journée. Ils surgissent sur la Place de la Victoire pour faire peur aux enfants. Quand ils passent
dans les rues, ils font semblant d’entrer dans les maisons. Les gens les évitent parce qu’ils prennent
plaisir à se frotter aux gens afin de salir leurs vêtements (Bach Athanaïse, Pointe-à-Pitre). Les
instruments utilisés au cours du défilé des Mas a Sen Jan sont les mêmes que ceux du léwòz. Les
tanbouyé ouvrent le défilé (Parfait Brabant dit Artèm874)
En Guadeloupe, au cours des années 1960 d’autres manifestations animent le Carnaval. En
effet, les bal-bouké875 sont organisés sur toute la période de janvier au mercredi des Cendres876. En
1966, le Carnaval est inauguré à Port-Louis avec musiques, danses, élection de miss Carnaval et vidé.
Par ailleurs, en 1967, dès le 26 janvier 1967, le programme du Carnaval de Basse-Terre est arrêté. Il
comprend dès le 28 janvier, des bals, des prestations de troupes folkloriques, des kermesses et se
poursuit par les défilés des jours gras jusqu’au mercredi des cendres877. En 1969, le dimanche 5 janvier
est le 1er jour du Carnaval878 avec un défilé à pied et le dimanche suivant 12 janvier est prévu par le
Comité un défilé de chars publicitaires.
Mais, dans d’autres rites funéraires les masques qu’ils soient grecs, italiens, asiatiques,
océaniens ou africains renvoient au culte des morts. De même, des parades aux tambours, célébrant
des divinités, constituent la spécialité de villes ou de régions des Caraïbes et de l’Amazonie. On peut
citer le maracatù où les tambours divers comme les gongues, les atabaques, les bombos ou encore les
surdos (portés en bandoulière), rythment la parade. C’est la spécialité de Recife et des Etats de Paraïba
et Alagoas au Brésil où des divinités sont célébrées comme Calunga, déesse bantoue de la mer. De
même, à Barranquilla en Colombie, des rituels Kongo sont pratiquées durant le Carnaval. Au Carnaval
de Panama, des danses mimant des personnages et animaux s’exécutent. Un chœur d’hommes

873
Orthographe de l’auteur
874
Témoignage Artèm Boisbant, Collecte Lameca, 2005.
875
Bal au cours duquel un bouquet de fleurs circule entre les participants pour le tirage au sort du prochain organisateur.
876
Témoignages de Laurenza Ponture, 1970, Pointe-à-Pitre/ de Laumuno Eliane, 1994 Grand-Bourg/ Chabin Ferriée, St Louis Marie-
Galante, août 2015.
877
Journal France-Antilles, Le Comité des jeunes a arrêté le programme du Carnaval 1967, 26 janvier 1967.
878
Journal France-Antilles, 1er jour du carnaval, peu de participants mais bien joyeux, 7 janvier 1969.

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répondant au chant d’un soliste joue parallèlement d’instruments divers dont des battements de deux
palets de bois et des tambours879. Le Carnaval aux tambours, dans ces territoires, est à la fois
divertissement par lequel la rue est investie comme le théâtre des opérations et, parallèlement, moment
de célébration des invisibles.
En Guadeloupe, la différence entre la parade des « mas aux tanbou » et le défilé du Carnaval
typique se lit en plusieurs points : les costumes en rapport avec l’esclavage et l’Afrique imaginée ou
encore des matériaux de récupération, l’orchestre aux tanbou, qu’il s’agisse du tanbou du léwòz ou des
tanbou de plus petite taille, par le tempo de la musique, la vitesse d’évolution de la parade,
l’organisation spatiale des défilants. Le milieu social est aussi un point de rupture entre les deux
parades. Ces mas-a-kongo et Mas-a-Sen-Jan pratiquent le carnaval d’une autre tendance au cours
duquel ils semblent se saisir d’une opportunité pour afficher l’histoire qui pour eux est la leur, et leur
condition sociale.
Les masques représentés, comme les Noirs enduits de suie ou de sirop de même que se
retrouvent au Carnaval de Jacmel pour lequel l’anthropologue Anne Sylvie Malbranke offre son
regard. Il s’agit de revivre dans l’esclavage, dans la colonisation et dans l’Afrique imaginée, les
spectres du passé pour les mettre à distance et trouver le courage d’endurer. Le regard de
l’anthropologue invite à penser que les adeptes de cette tendance du Carnaval de Guadeloupe,
représentent donc les fléaux anciens et actuels de la société pour une renaissance à l’issue des
festivités880.
De même, au cours de la parade du Carnaval, au sein ou en dehors des groupes constitués, des
individus arborent des déguisements qui font intervenir le fouet. Le mas-a kònn est l’un de ces
déguisements autrement dit masques de cornes habillés de feuilles de bananiers séchées, la tête
enserrée d’un bandeau terminé par 2 cornes de bœufs, de part et d’autre du front et brandissant un long
fouet claquant et menaçant. Là aussi, le fouet, dans un tel cadre, peut être compris comme le fléau des
violences physiques infligées aux travailleurs esclaves. Au sein de cette société marquée par
l’esclavage négrier, c’est le sens de ce fouet, qui rappelle d’une part, le pouvoir et la toute puissance
du maître et d’autre part, évoque la condition imaginée du travailleur esclavisé.
Ainsi, la parade des mas aux tambours du Carnaval, semble destinée à faire un retour sur
l’histoire ancienne et récente des populations noires. Le masque que représentent les participants, se
révèle comme une nécessité, qui lui confère, son caractère sacré. Car, cette métamorphose leur est
indispensable pour le rappel des faits par laquelle se fabrique le courage d’assumer cette histoire. En
même temps, il effraie, amuse, émerveille, égaie et exige pour cela, une condition physique. C’est
cela le gwoka du Carnaval, un lieu d’endurance.

879
Isabelle Leymarie, Du tango au reggae, Musiques noires d’Amérique Latine et des Caraïbes, Flammarion, 1996, pages 43, 150.
880
Agnès Molia, Rituels du monde, Haïti : le carnaval des spectres, Documentaire, 27mn, 2019.

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Figure 30 : Coupure de presse, Carnaval à Pointe-à-Pitre, 1966 et 1969

Carnaval de Pointe-à-Pitre, France-Antilles janvier 1966 et 1969

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C- Célébrer la Vie ou célébrer les femmes ? : l’exemple du chant

1- Femmes et chansons gwoka : Des lumières dans l’ombre

La Vie est ici entendue comme une valeur précieuse, portée par la communauté. En effet, la
pauvreté participe à la vulnérabilité de cette communauté exposée, de ce fait, à la maladie et à la mort.
Raymond Boutin montre cette vulnérabilité pour la période du XIXè siècle à 1946, à travers les chiffres
de la mortalité et les causes majeures de la mort : les affections parasitaires et intestinales, les maladies
vénériennes, l’alcoolisme881. La mort est très présente dans le chant gwoka. Et, comme un exutoire à
cette vulnérabilité, la Vie est célébrée. Mais contrairement au catholicisme qui célèbre la Vie comme
une valeur céleste après la mort, le chant gwoka célèbre la Vie terrestre avant la mort.
La première chanson gwoka connue par les sources écrites traduit cette célébration :

An ba la tè, pa ni plézi882 !

De même, l’adage populaire ignore la Vie après la mort :

Apré lan-mò sé ti-bèt883 !

Dans le chant gwoka, la thématique des femmes rejoint celle de la Vie. Car, dans les
représentations mentales, la maternité est de la responsabilité des femmes. C’est donc la femme qui
donne la Vie. Célébrer la Vie en chansons, c’est célébrer les femmes. Cette célébration touche la
femme dans son quotidien, dans son image et dans son corps. La visibilité des femmes et les textes à
leur propos sont les outils de cette célébration.
Des femmes chantent le gwoka et ce chant les honore. C’est le cas de Cécile Jean-Louis
Baghio’o (1918-2014) dite Moune de Rivel. Elle n’appartient pas au milieu des gens du gwoka de la
période étudiée. Elle est étrangère à la communauté de « lanklo » telle que nous l’envisageons. Elle
est connue et entendue sur les ondes en tant qu’animatrice radio en France métropolitaine. Ses
chansons sont connues mais son label n’est pas le gwoka. Elle est une référence dans les musiques de
bals. Elle n’est pas née en Guadeloupe mais son père est originaire de la commune de Sainte-Anne.
Elle se fait l’ambassadrice des musiques des Antilles et plus particulièrement de la Guadeloupe dans
les concerts qu’elle donne dans les cabarets en France métropolitaine et à New-York. Elle est guitariste,
pianiste, peintre, comédienne et actrice. Elle a une renommée internationale au point de composer pour
l’indépendance de la Haute-Volta, à la demande des dirigeants, l’Hymne de la Liberté.
Un tel palmarès laisse augurer une forte visibilité. Celle-ci ne fait aucun doute. Le nom de
Moune de Rivel renvoie à un visage connu par ses activités artistiques884 . Dès qu’elle est de passage

881
Raymond Boutin, La population de la Guadeloupe, De l’émancipation à l’assimilation (1848-1948), Ibis Rouge, 2006, pages 355-
378.
882
Traduction : Sous terre, point de plaisir !
883
Après la mort, il n’y a que des petites bêtes (il n’y a plus rien, c’est la putréfaction)
884
Cette biographie est réalisée à partir du livret rédigé par Jean-Pierre Meunier pour le commentaire du coffret de 3 CD, Moune de
Rivel, La Grande Dame de la Chanson créole réalisé de 1949 à 1962 et à partir du livre de Aude-Bagoué, Un siècle de musiques et de
musiciens traditionnels aux Antilles-Guyane, année non indiquée.

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en Guadeloupe, elle reçoit les honneurs de la presse. Le journal l’Etincelle, organe de presse du Parti
Communiste Guadeloupéen la décrit comme « une artiste au service de notre pays » en février 1964
qui puise son inspiration dans les « veillées, le vieux trésor de nos complaintes ou de nos chants de
lutte885.
Mais, le gwoka ne lui est pas étranger. En 1969, elle se produit au cinéma d’Arbaud en
collaboration avec la troupe de danses Emeraude de Basse-Terre. Sa photographie illustre l’article du
quotidien France-Antilles en compagnie des danseuses de la troupe portant le costume créole, la tête
nouée d’un foulard madras accompagnant son chant de sa guitare886. Elle se produit aussi seule et
sollicite des musiciens de la Guadeloupe parmi lesquels des tanbouyé. Mais c’est elle la vedette :
« Mardi soir, le d’Arbaud recevait l’une des plus grandes vedettes de la chanson antillaise. Il y
a près de deux ans que Moune de Rivel n’était pas venu en Guadeloupe…nombreux sont ceux
qui vinrent l’applaudir… Accompagné par un trio remarquable de gros-ka, le groupe folklorique
Emeraude de Mme Rous et l’incomparable pianiste Janine Remignard, Moune de Rivel donnait
le meilleur d’elle-même887. »
Elle est connue pour les musiques de bal. D’après le catalogue des musiques de bals antillais à
Paris, de 1946 à 1959, elle enregistre une vingtaine de disques888. Jean-Pierre Meunier, musicologue
et les Editions Frémeaux spécialiste du patrimoine musical rééditent près de 80 titres de Moune de
Rivel en 2015. Ces titres sont enregistrés en live au cours de concerts qu’elle donne à Paris ou encore
pour la réalisation d’albums dans la même ville avec environ 8 orchestres parmi lesquels ceux qu’elle
dirige. Quelques-uns de ces titres montrent qu’elle prend en compte le gwoka dans ces compositions.
Nous retenons à ce propos les titres suivants :
Kiembeli, 1950
Wap di wap, 1954
Calypso d’été 1958
Amédée, 1959
*Kiembeli est accompagnée de Claude Martial au piano, de Maurice Noiran au chacha et à la clarinette,
de Al Lirvat au trombone, de bongos et de batterie. Ce titre est joué en introduction de la soirée du 20
décembre 1950 à la Salle Pleyel de Paris. Le concert est retransmis à la radio. D’après Jean-Pierre
Meunier, c’est un air de Trinidad arrangé par Moune de Rivel889. L’interprétation du titre rappelle celle
des musiques noires étudiées par Leroi Jones : par l’alternance entre le chantè et les répondè autrement
dit la technique de l’antienne890 soit :
-Entrée par le lead (le chantè) : wowo wowo, wowo wo wo wo wo wo, Kiembéli, ma fiy kiembéli, Kiembéli ma fiy
kiembéli pa lésèy pati. I rivé de Gwadloup
Répondè : Kiembéli
Chantè : Li rivé à Pari
Répondè : Kiembéli
-Avec improvisation inspirée de la situation présente comme ce fut le cas dans les chansons de travail
en Amérique :

885
L’Etincelle, Guadeloupe, 8 février 1964, Archives Départementales de la Guadeloupe.
886
France-Antilles, Guadeloupe, mars 1969, Archives Départementales de la Guadeloupe.
887
France-Antilles, Guadeloupe, 15 mars 1969, Archives Départementales de la Guadeloupe.
888
Véronique Ginouvès(coordination), La Musique antillaise en France / Dicographie 1929-1959, AFAS, Conseil Général de la
Guadeloupe, Lameca, août 2008, pages 32-34.
889
Livret d’accompagnement de l’album.
890
Leroi Jones, Le Peuple du blues, Folio, édition 1997, page 52.

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Chantè : I rivé sal Pleyel


-Usage des onomatopées : Wowowowo
-Avec des ponctuations récurrentes :
Chantè : Li maché maché
Chantè : Li voyé li voyé
Li menné bigin-la
Li maré bigin la
Li soukwé bigin-la
Partie parlée : An nou alé
La puissance percusive rappelle, dans la composition des musiques américaines, l’importance accordée
aux éléments rythmiques. La percussion est imposante. Elle est assurée par une batterie et par des
bongos qui s’exécutent par le musicien dans des positions de jeu différentes. Le bongo appartient à la
famille des tambours et se retrouve dans des musiques de la Caraïbe principalement à Cuba.

*Wap di Wap est accompagné du chef d’orchestre Al Lirvat (Guadeloupe) au trombone, Maurice
Noiran (Martinique) et Sylvio Siobud (Guadeloupe) à la clarinette, Claude Martial (Guadeloupe) au
piano, Pierre Renay au bongos et Robert Mommarché à la batterie. Le texte évoque le gwoka en
montrant le dilemme qui anime le musicien de bal qui s’interroge sur l’usage et la préservation de cette
musique. Moune de Rivel donne deux réponses contradictoires : L’une par l’action à travers le maintien
de la technique de l’antienne et l’autre par la description du gwoka comme une musique de joie dont
le caractère archaïque invite cependant à lui préférer la biguine wabap891 :
Boula tanbou gwoka
Lakòrdéon chacha
Triang épi tibwa
Ou kasé kò e kalenda
Nou pa ka oubliyé
Sa sé mizik ki cho
Mè avè le progrè
Fò nou dansé bigin wabap…
Mé avè lè progrè
Nou ké dansé bigin wabap.892
La chanson évoque par ailleurs une danse nouvelle le chachacha venu du Brésil ou apportée de Cuba
par des Brésiliens. Mais à cette danse Moune de Rivel préfère le son du tanbou qu’elle écoute avec
satisfaction. Le gwoka vit en dépit des apports de musiques et danses nouvelles. Moune de Rivel
apprécie cette sauvegarde par les tanbouyé et les dansè.
Mwen té lakaz lésé chacha
Pou mwen tann ti Pòl bat tanbou
Dansé bigin é kalenda
Mwen té kontan, kontan, kontan893

891
Cette forme de biguine créée en 1950 à Paris par le tromboniste guadeloupéen Albert Lirvat dit Al Lirvat (1916-2007) se caractérise
par une expression plus libre basée sur la polyrythmie et une polyphonie. Elle se joue sur la batterie par un tempo plus rapide et l’usage
de syncopes d’après l’inspiration du batteur.

892
Boula, chacha et ti-bwa, kasékò et calenda, nous ne l’oublions pas. Ce sont des musiques chaudes. Mais avec le progrès, il nous
faut danser la biguine wabap.
893
J’étais à la maison, j’ai laissé le chacha (probablement) pour entendre Ti-Pòl jouer le tambour, j’en étais ravie.

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* Calypso d’été est jouée par Al Lirvat à la guitare, Sylvio Siobud à la clarinette et des musiciens non
identifiés au piano, bongo, à la batterie, aux tumbas, aux maracas. La chanteuse interprète seule la
chanson dont elle est l’une des compositrices. Comme le titre l’indique, c’est un calypso894. Le tanbou
est désigné par tam-tam. Le texte exprime la nostalgie de l’artiste qui regrette d’être loin de la
Guadeloupe dont le symbole est le « tam-tam ». Cette chanson est marquée par la prégnance des
percussions. La chanteuse est attachée à la Guadeloupe qu’elle se rappelle par la musique du tanbou :
Entends-tu le tam-tam chanter la-bas ?
Entends-tu le tam-tam chanter pour moi
Entends-tu le tam-tam comme autrefois
Vibrer dans les soirées
Refrain
Il n’y a pas d’amour jamais, jamais
Qui me fasse oublier
La Guadeloupe au tam tam dans la forêt
Vaste comme la mer

*Amédée est édité en 1959. Moune de Rivel la chante, accompagnée de l’orchestre de Pierre
Louis interprète la chanson « Amédée » : Les musiciens sont Al Lirvat au trombone, Barel Coppet à
la clarinette, Lucien Popotte à la clarinette, Pierre Louiss à la guitare, Eddy Louiss au chant et au
piano. Les caractéristiques rythmiques de la chanson rappellent la biguine. La chanson est composée
par Moune de Rivel et Yvonne Pierre. Elle traite d’un homme instruit qui le samedi part danser dans
une manifestation musicale au tanbou. Le « schéma rythmique » du gwoka qu’apprécie cet homme
est le woulé ou encore l’auteur exprime par le mot woulé le son du tanbou ou l’acte de jouer du
tanbou.
Le texte dresse par déduction le portrait de l’acteur du gwoka. Le fait d’être instruit et de danser le
gwoka sont incompatibles selon l’auteur. Amédée est un marginal en ce sens. Sa passion désole son
entourage.
Amédé, Amédé ou ou ou (batterie solo)
Amédé bèl gason ki bouré lenstriksyon
Mé lè sanmdi rivé i paré pou woulé (sans doute la danse woulé)
Amédé ka woulé woulé tanbou rimé
Ka ralé ba la tay (est-ce un nom de lieu ?)
Ou pépa kozé bay
Médanm pasé si sé pou règrété
Règrété soupiré Amédé kay dansé
Amédé kay woulé
Une artiste comme Moune de Rivel pourrait être célébrèe par le chant gwoka mais elle le pratique
sous couvert d’autres musiques. Et ce sont ces musiques qui lui donnent sa visibilité.
Parfois, le chant ne donne aux femmes qu’une visibilité collective dans un contexte de
folklorisation du gwoka. En effet, en Guadeloupe, la fin des années 1950 est celle d’un nouveau regard
sur le gwoka. Il sort de sa réserve pour devenir le « folklore » de la Guadeloupe convoité par les acteurs
publics du développement culturel du territoire. Nous reprenons à notre compte le terme « folkloriste »
utilisé dans le commentaire du premier disque gwoka édité en Guadeloupe895 pour désigner ceux qui
initient cette nouvelle image et se revendiquent comme tels. Le terme de « folkloriste » pour la période

894
Musique trinidadienne généralement exécutée pour le carnaval.
895 Album vynile, Vélo et son gros-ka, GPE 5A, Label Emeraude, Guadeloupe, 1964

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n’a rien de péjoratif. Au contraire, c’est avec fierté que se décrit la mutation sociale du gwoka. Elle se
déroule en plusieurs étapes : élaboration du projet par le directeur de la SITO (Société Immobilière
Touristique des Départements d’Outre-Mer) Roger Landry, appel à perfectionnement des troupes de
danse opérationnels et encouragement à d’autres créations, formation des jeunes et développement de
la danse comme langage central du gwoka de scène avec des conventions esthétiques896.

Le ballet devient la prestation majeure de la troupe de danse. Le chant passe au second plan et
cette autre conception de la danse gwoka provoque la dilution de l’individu dans la masse.
En effet, la troupe de danses la troupe dite folklorique naît dans un contexte de développement
du tourisme hôtelier. Elle s’identifie à la présence massive des femmes comme le montrent les
photographies de groupe897.La troupe donne des spectacles destinés à amuser et à divertir. L’esthétique
du groupe, centrée sur la beauté féminine, nourrit l’exotisme. La création de la troupe La Brisquante
est suivie de troupes de même type. A Pointe-à-Pitre en 1958 est créée l’Association Culturelle Acacia.
Dans diverses régions de la Guadeloupe, on assiste à l’explosion de ce type d’association culturelle
sur le modèle de la Brisquante à partir des années 1960 : Caribana de Pigeon Bouillante dirigée par un
instituteur Francisque Henri dit Hilaire naît en 1964, D’autres troupes naissent dans d’autres
communes comme Emeraude de Basse-Terre, Cercle Culturel Ansois d’Anse-Bertrand, Le Caillou
Combo Club de Pointe-Noire, Grajé Menndé de Pointe-à-Pitre898, Madiana de Grand-Bourg Marie-
Galante, Les Balisiers de Basse-Terre…..
Le visage des filles est jovial. Le sourire est recommandé. Bettino Lara, vice-président du Club
des Montagnards, décrit le sourire guadeloupéen comme une attractivité touristique
« Des hôtels certes oui... mais aussi et surtout le sourire et le bon accueil...899 ».
L’auteur de l’article le dit et en fait la démonstration par une illustration significative : le portrait
en buste d'une femme au teint clair, maquillée, parée de bijoux, vêtue d'une robe de cérémonie et
couverte d'une coiffe madras. Son profond sourire laisse apparaître ses dents d'un blanc écarlate. C’est
une représentation de la beauté imposée aux femmes. La danse, la pudeur, la beauté et le sourire
correspondent aux stéréotypes de la femme attendue dans le gwoka de scène.
Avec le « tour de la Guadeloupe » des troupes folkloriques, le stéréotype se diffuse. Relayés
par la presse, les danses du gwoka de scène donnent une plus grande visibilité aux danseurs et
danseuses. C’est la danse qui retient l’attention et qui forge la culture du spectacle gwoka auprès du
grand public. Désormais dans ce type de spectacle, les femmes sont danseuses. Elles forment aussi les
fanm-répondè. Mais il s’agit de « petites voix » disponibles pour les enregistrements discographiques
des troupes de danses de scène. Il n’y a pas d’exigence de performance vocale féminine. Elles sont
avant tout danseuses de scène. C’est un rôle standard, celui de la danseuse souriante. Elle est attendue
exclusivement sur le terrain de la danse collective. Aucune n’est nommée à de rares exceptions dans
les reportages. En conséquence, cette visibilité collective ne fait émerger aucune chanteuse du gwoka
de scène. La célébration de la femme ne s’exprime ni par la danse, ni par le chant de scène. Peut-être
faut-il attendre qu’un chanteur se donne cette mission de célébration.

896 Roger Fortuné, Interview de Roger Landry, directeur général de la SITO, Revue Guadeloupéenne, avril-mai-juin 1959.
897
Photographies du groupe La Brisquante, 21 février 1950, journal Clartés/ 14 janvier 1966, journal France-Antilles/ août 1967,
journal Clartés.
898
Témoignage de la Directrice de la Troupe, Mme George Tarer, 29 octobre 2015, Pointe-à-Pitre.
899
Revue Guadeloupéenne, Article de Bettino Lara, Des hôtels certes oui… mais aussi le sourire et le bon accueil, 1959.

264
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 31 : Tournée de quelques troupes de danses en Guadeloupe- années 1960

CENTRE CULTUREL ANSOIS


TOURNÉES DE QUELQUES TROUPES DE DANSES EN GUADELOUPE – ANNÉES 1960

C
PORT-LOUIS
PORT-LOUIS

LÉGEND E
LA
BRISQUANTE
Nom troupe de danse.
Troupes n’ayant joué
que dans leur commune.
Au moins 1 déplacement
vers une commune pour
prestation.
Au moins 2 déplacements
vers la même commune
pour prestation.
Indique la commune
d’attache de la troupe.
MADIANA

ÉMERAUDE Marie-Galante

265
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 32 : Illustrations diverses : L’image des femmes, 1957-1968

Troupes folkloriques années 1960


Emeraude, 1964-65 Cercle Culturel Ansois, 1968

266
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dessin couverture livre de contes, 1957

267
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Solange Pé-en-Kin : un triste clin d’œil aux femmes

Ce chanteur mérite une attention particulière car il est peu connu voire inconnu de l’univers du
gwoka. Nous le retenons parce que c’est un acteur inédit mais surtout pace que son répertoire, antérieur
de 30 ans environ au répertoire connu du gwoka, comprend des chansons aux femmes. De ce fait,
c’est un artiste précurseur de cette thématique.
Les incertitudes au sujet de sa vie personnelle de même que le caractère éphémère et inédit de
son oeuvre méritent cette attention. Les sources par lesquelles nous découvrons cet artiste sont des
enregistrements discographiques et des témoignages. Solange-Pé-en-Kin (1902-1940 ou 44) est le seul
acteur du gwoka opérationnel durant les années 1930, pour lequel des sources variées sont disponibles.
Ce sont des imprimés ayant valeur de sources comme le témoignage de Marcel Mavounzy qui,
dans une autobiographie publiée en 2002 évoque le personnage « Solange Péankin » pour les années
1920-30900. Par ailleurs, en 2005 Bagoé Aude-Anderson901 (1935-2010), passionné de musiques
traditionnelles crée une anthologie de ces musiques dans laquelle il présente des musiciens parmi
lesquels figure « Sosso Pé-en Kin ». Un troisième témoin, Victor Hégésippe Légitimus dit Gesip
Légitimus (1930-2000), fils de Darling Légitimus, producteur à la télévision donne quelques
informations au musicologue Jean-Pierre Meunier au sujet de Solange Pé-en-Kin en 1983902.
Les informations sont complémentaires. Les unes informent sur sa vie d’enfant et d’adolescent
et les autres retracent sa vie de musicien en Guadeloupe et à Paris. Par ailleurs, la discographie du
musicien est disponible grâce à la collecte des musicologues John Cowley, Alain Boulanger et Marc
Monneraye pour les orchestres des bals à Paris de 1929 à 1959903. Ces musicologues ont rédigé un
catalogue commenté des titres enregistrés comprenant de brèves biographies de quelques musiciens.
Solange-Pé-en-Kin y est présenté comme un chanteur et chef d’orchestre. Des sources écrites et
sonores à son sujet sont conservées à la BNF904.
Par ailleurs, depuis 1993, le musicologue Jean-Pierre Meunier en collaboration avec les
Editions Frémeaux et Associés réédite les originaux des enregistrements discographiques des bals
antillais de Paris des années 1930 aux années 1960. Une photographie de Solange-Pé-en-Kin illustre
le livret d’accompagnement de la réédition des titres. Ce livret est à la fois historique, littéraire et
iconographique. Il complète ainsi la palette des sources.
Les actes d’Etat-civil sont nécessaires pour connaître le milieu dans lequel a évolué le
personnage. Son acte de naissance et ceux de ses parents sont disponibles aux archives de l’Etat-Civil.
Une zone d’ombre demeure tout de même concernant son décès pour lequel l’acte n’a pas encore été
retrouvé.

900
Marcel Mavounzy, Cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe, 1928-1978, Présence africaine, 2002.
901
Bagoé Aude-Anderson, Encyclopédie de la musique traditionnelle en Guyane, De St Pierre à nos jours, un siècle de Musique,
Editions Lafontaine, année non indiquée.
902
Témoignage de Jean-Pierre Meunier, décembre 2017, collecte personnelle (entretien par e-mail)
903
John Cowley, Alain Boulanger et Marc Monneraye (dir. Véronique Ginouvès) La Musique antillaise en France… sous la direction
de Véronique Ginouvès, AFAS, Lameca, Conseil général de la Guadeloupe, 2008, page 14.
904
Article de presse/ Ce soir, 1937-1953, 7 mai 1937/ L’œuvre, Paris 1904-1944, 24 avril 1937/ L’Excelsior 1910-1943, Paris, 12 mai
1938/ L’Ouest Eclair, 1912-1944, 12 mai 1938/L’Intransigeant, Paris 1880-1948, 14 mai 1937, BNF Gallica.

268
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

D’après ces sources, Solange Pé-en-Kin est né et élevé en milieu favorable au gwoka c’est-à-
dire dans un bas quartier urbain d’une famille de condition modeste. Ses conditions de naissance et sa
désignation populaire rappellent l’identité des couches les plus défavorisées. En effet, il a un nom
officiel et un surnom. Son nom donne lieu à des interprétations orthographiques. En effet le même
personnage est cité différemment dans les textes : Solange Pé-en-Kin, Sosso-Pé-en-Kin, Solange
Péanquin, Sosso Péanquin. Nous le désignerons pour la présente étude par son surnom suivi de son
patronyme, Soso Pé-en-en-Kin ou Solange Pé-en-Kin et parfois uniquement par son surnom Soso. En
réalité, il est né Solange Flavien Pé-en-Kin le 13 mai 1902 et déclaré par son père le 21mai de la même
année. Il naît au faubourg Schoelcher, au domicile de la dame veuve Médand ou Médard qui semble
étrangère à sa famille. L’acte mentionne que la mère vivait temporairement chez cette personne alors
que son domicile se trouve dans la commune du Moule. C’est donc accidentellement que Soso Pé-en-
Kin prend naissance dans un faubourg de Pointe-à-Pitre905. Il est issu d’une famille modeste avec une
mère Talcona Marie-Virginie, Berthe, Rosale, Denise déclarée sans profession à la naissance du
musicien ; et un père, Eugène Pé-en-Kin exerçant le métier de postillon.
Il est issu d’origine ethnique diverses. Le nom qu’il porte est celui de son grand-père âgé de
31ans à la naissance de son père Eugène. Ce grand-père est « issu de l’immigration chinoise 906» Sa
grand-mère paternelle est elle aussi issue de l’immigration post-esclavagiste de travailleurs. Elle est
une immigrée africaine et s’appelle Maléako907. Ce sont tous deux des cultivateurs. Soso a donc des
racines rurales. Ses grands-parents paternels vivaient sur l’habitation Marfin au Lamentin. Du côté de
sa mère, fille naturelle, la grand-mère Elisabeth Lisma Talcona est couturière. Son domicile n’est pas
précisé. Tout ce que l’on sait c’est qu’elle a accouché de la mère de Soso au domicile d’une sage-
femme habitant le bourg de la commune du Moule.
Soso est issu d’une famille exerçant des petits métiers comme tous ceux qui pratiquent le
gwoka en Guadeloupe durant les années 1930-50. Il aurait été un enfant terrible des quartiers sensibles,
peu soucieux du respect de l’autorité, indésirable dans son quartier, vivant davantage à l’extérieur qu’à
la maison908.
Sa vie musicale en Guadeloupe est riche. C’est un amoureux du chant de toutes catégories en
Guadeloupe. En effet, Pointe-à-Pitre est la ville de la musique au temps de Soso Pé-en-Kin. C’est le
temps des casinos-dancings, des sérénades, des chanteurs de rue. Soso aurait été de ceux-là. La
sérénade est un moment de séduction des jeunes filles. Lorsqu’un garçon convoite une jeune fille, à la
tombée du jour, il se rend devant la maison des parents de la jeune fille et lui interpréte en compagnie
de ses camarades des chansons d’amour accompagnés parfois d’une guitare ou d’une mandoline909.
Le chant de rue est aussi une pratique de la ville. A Pointe-à-Pitre, installés dans un lieu de
grand passage voire la principale rue commerçante, les chanteurs interprètent leurs titres préférés
souvent de leurs propres compositions, vendent les copies imprimées et invitent leurs clients à chanter
avec eux. Soso Pé-an-Kin ferait partie de ces chanteurs de rue. Durant les années 1930, en France,
c’est un exercice libre, sans réglementation. Ils assurent à la ville un autre type d’activité musicale. En
Guadeloupe, durant les années 1920-30, ce type d’activité ne relève pas de la mendicité. La rue est

905
Acte de naissance n° Pé-en-Kin Solange, n°146, Pointe-à-Pitre, 1902.
906
Acte de naissance Pé-en-Kin Eugène, n° 107, Lamentin, 1865
907
Acte de naissance de la mère Talcona Virginie, n°257, Le Moule, 1885.
908
Aude Bagoué-Anderson, Solange Pe-En-Kin, chanteur de rue, chef d’orchestre, dans Encyclopédie de la musique traditionnelle en
Guyane, De St Pierre à nos jours, un siècle de Musique, Editions Lafontaine
909
Témoignage de Guy Héréson, mars 2014, Lamentin Guadeloupe. C’est un homme qui pratiquait dans son jeune âge la sérénade.
D’autres octogénaires ont des souvenirs heureux et malheureux de ces sérénades.

269
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

l’espace choisi pour exprimer cette passion du chant et assurer de manière autonome tant la promotion
de l’artiste que celle du domaine pratiqué. D’après les deux témoins précédemment indiqués, cet
homme ne passe pas inaperçu. Il chante lors des manifestations publiques et se serait fait ainsi une
réputation à tel point que nos témoins le connaissaient bien910. Mais c’est à Paris, qu’il pratique
l’essentiel de son activité musicale.
Cet artiste introduit le gwoka dans les bals nègres. Nous ignorons la date et les motivations de
son départ pour Paris. D’après les deux brèves biographies dont nous disposons, il serait encore en
Guadeloupe durant les années 1920 et au début des années 1930. Sans doute fait-il partie de ces
musiciens qui ont migré vers Paris après la catastrophe cyclonique qui a ravagé la Guadeloupe et
singulièrement la ville de Pointe-à-Pitre où il réside. Entre le temps des sérénades et des chansons de
rue d’une part et le temps des bals de Paris, des lacunes limitent le récit de son histoire musicale.
Les seules traces de sa musique à Paris datent d’une courte période de mai 1936 à juin 1939.
Il est alors âgé de 34 à 37 ans. Les albums qui le font connaître sont les 78 tours dont la pochette en
papier gris ou bleu foncé font juste fonction de protection du vinyle. Quelques pictogrammes atténuent
parfois la rudesse de la pochette. Mais ce ne sont pas encore des supports d’illustration.
C’est la société Crystalate Française dont le siège est à Paris qui édite le premier album label
911
Cristal , sur lequel Soso pose sa voix. Il est sollicité en tant que chanteur interprète. C’est en fait
l’orchestre Antillais du Bal Blomet dont il est membre qui enregistre. L’orchestre n’en est pas à son
premier essai. Le leader du groupe est le pianiste martiniquais Louis Jean-Alphonse surnommé
Alphonso et Aljean (1905 -1981). En 1935, il enregistre des biguines et fait appel à d’autres chanteurs.
Cette fois, en mai 1936, l’orchestre garde les mêmes instrumentistes qu’en 1935 mais change
de chanteur. Soso est entouré de Maurice Noiran à la clarinette, de Mémé Costin à la string bass, de
Anany à la batterie. Le disque ne porte pas le nom des autres musiciens mais le nom de l’orchestre
suivi de celui de Soso figure sur les deux faces de l’album montrant l’importance du chanteur pour la
promotion commerciale du disque912 ; ce qui le fait connaître des musiciens et du public des bals et
des acheteurs.
L’année suivante, le 11 juin 1937, il enregistre au sein de sa propre formation musicale « Sosso
Pé-en-kin et son orchestre » ou « Sosso Pé-en-Kin et son orchestre de folklore antillais ». Deux
membres de cette formation assurent le chant. Soso lui-même et une chanteuse-danseuse
professionnelle martiniquaise, Darling Légitimus (1907-1999). Les autres musiciens ne sont pas
indiqués dans le catalogue. Cette fois les enregistrements sont édités sous le label britannique ou
allemand Polydor à Paris. Il change encore de label avec la formation musicale à laquelle il a ajouté le
clarinettiste Michel Berté et un nommé Guichard (non identifié) probablement au banjo et à la guitare.
Pour l’édition du 8 janvier 1939, la formation porte le nom de « Sosso Pé-en-Kin et son
orchestre antillais avec Berté et Guichard ». Cette fois, il signe l’édition avec la branche
phonographique de la maison française de cinéma Pathé. Une précision de lieu est apportée au nom de
la formation « Sosso Pé-en-Kin au bal Bill Amour et son orchestre ». C’est en fait le nom d’un nouveau
cabaret parisien où se déroulent les bals animés par cet orchestre. Il revient à la désignation initiale de
son ensemble musical le 23 juin 1939 avec les musiciens habituels excepté Darling Légitimus. A ce

910
Marcel Mavounzy…, 2002, page 85/ Aude Bagoué….
911
Album 78T, Cristal 6066, Paris, Automne 1935
912
Album 78T, Cristal 6195, Paris Mai 1936.

270
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

groupe il ajoute Louis-Jean Alphonse qui l’avait sollicité pour son premier enregistrement en 1936913.
Il est inscrit à la SACEM durant les années 1940 et décède soit en 1940 soit le 22 mai 1944914
Soso enregistre en tout 32 titres sur 16 vyniles 78 tours soit deux titres par albums. Parmi ces
titres, 6 sont de la propriété intellectuelle de Aljean. La liste des titres peut être dressée à partir du
catalogue et des rééditions mais quelques titres seulement sont disponibles pour l’audition et le texte.
Par ailleurs, lors de ses concerts à Paris, il chante des inédits915.
Grâce à ces titres, le style de Soso comme artiste du gwoka se révèle. Nous retenons les titres
gwoka probables. Car, la qualité des enregistrements de l’époque ne permet pas d’identifier clairement
le tanbou. Les musicologues qui ont retrouvé la composition des orchestres et la distribution musicale
de chacun des titres enregistrés ne s’accordent pas sur la présence effective du tanbou gwoka pour
l’ensemble de ces titres. En revanche, l’unique photographie de Soso Pé-en-Kin disponible vient d’une
musicienne Marie-Magdeleine Carbet (de son vrai nom Anna Marie-Magdeleine 1902-
1996), rencontrée et interviewée chez elle à Paris le 7 février 1986 par Jean-Pierre Meunier. Elle a pu
obtenir cette photographie car elle donnait régulièrement des représentations et des conférences
auxquelles participaient le clarinettiste Michel Berté et le chanteur Soso Pé-en-Kin. La photographie
qui date de 1937 représente Soso Pé-en-Kin chantant devant un micro accompagné de 2 musiciens,
l’un jouant d’un tambourin et l’autre d’un tanbou identique à ceux des tanbouyé du léwòz916 , posé
entre les jambes, frappant à mains nues sur la peau. Le tanbou est visible sur la photographie. Il peut
être décrit. Se distinguent nettement :
- La caisse de couleur claire faite de douelles.
- La peau étendue sur la partie supérieure du tonneau et fixée par une épaisse masse circulaire.
- Les deux cercles de couleur foncée qui enserrent les douelles.
- Le mode d’exécution à mains nues, le tanbou placé entre les jambes du tanbouyé assis sur un
siège, légèrement plus élevé que le tanbou pour l’aisance du jeu.
Le mode de serrage n’est pas visible.

La présence du tanbou du gwoka est attestée par Gesip Légitimus (1930-2000) fils de la
chanteuse et comédienne Darling Légitimus (1907-1999) qui a joué avec Soso Pé-en-Kin. En effet,
d’après Jean-Pierre Meunier, Gésip, à la fin des années trente, est âgé de 7 à 10 ans
lorsqu’il accompagne sa mère Darling aux répétitions de l'orchestre de Soso Pé-en-Kin. Celui-ci est un
bon ami de la famille Légitimus. Il arrive que Gesip Légitimus se mette au tanbou, lors des répétitions.
Du point de vue de son rofil sociologique et de sa vie de musicien, nous pouvons dire
que Soso est né au sein de la communauté des « zanfan-lanklo » mais le gwoka qu’il pratique est celui
des bals de la ville. Il est le premier artiste identifié pour ce type de gwoka. Il est le premier artiste du
gwoka identifié à exercer à Paris. C’est par lui que le territoire du gwoka s’élargit à Paris dès le milieu
des années 1930. Par lui, le gwoka s’intègre dans le paysage musical de la métropole parisienne. Nous
pouvons le caractériser comme le bâtisseur de la « métropolisation » du gwoka c’est-à- dire
l’intégration du gwoka dans les pratiques culturelles des Guadeloupéens de la métropole. En dépit de
l’exercice du chant à Paris et dans les bals, il ne manque pas d’orienter ses compositions, eu égard au

913
La discographie du chanteur est retracée à partir du catalogue précédemment cité.
914
Les dates de décès proviennent de source privée (Gil Légitimus pour Jean-Pierre Meunier) ou d’organisme de dépôt des œuvres
discographiques.
915
Journal L’Ouest-Eclair 18 mai 1938, BNF Gallica.
916 Léwòz désigne ci le rassemblement musical nocturne.

271
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

genre musical exploré, dans le sens du gwoka de son milieu initial. L’influence du gwoka des
«zanfan- lanklo » qu’il laisse derrière lui, demeure forte. C’est par les textes aux femmes qu’il célèbre
la Vie.

272
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 33 : Photographie d’un chantè à Paris, 1937

Solange Pé-en-Kin Paris, 1937, Collection Jean-Pierre Meunier

273
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

L’image qu’il en donne est ambivalente. Les femmes sont à la fois martyr et bourreau. Pour le
montrer, les titres à étudier sont de deux types : ceux qui sont probablement accompagnés de tanbou
édités en 1936 et 1937 et un autre assurément de type gwoka édité en 1939.
Ce sont :
Des biguines917 : Cé grâce a Syriens, Tention çé sèpent, Zé a coq-la, Dans canne béquet A, Pou couvè
cone la, Telman Gerard mangé
Un toum-blake : Julo pren moin
Le « phrasé rythmique » auquel appartient ce dernier titre est indiqué sur le macaron du vynile édité
le 24 février 1939.
En effet, le toum-blake est un nom donné à un « phrasé rythmique » du gwoka. Mais comment
l’identifier en 1936 ? Et quelle définition donner au terme pour cette même année ?
Il est décrit dans les sources antérieures à notre période comme une danse. La graphie de celle-
est variée. En 1899, ce fut « towmblack chiré », une danse en couple pour une manifestation électorale
à Basse-Terre918. En 1918, ce fut toumblack pour une ou un bamboula au Morne Miquel de Pointe- à-
Pitre919. La description de la fin du XIXè est celle d’une danse dite endiablée sur un rythme rapide. Au
début du XXè siècle, le rythme est lent et les contorsions sont si profondes pour l’ensemble du corps
que le dansè est comparé à un « homme-caoutchouc ».
La musique de ce titre est exécutée par un seul instrument à percussion, le tanbou qui s’entend
distinctement. A l’audition du titre, l’orchestre de type bal avec les instruments universels n’est pas
en jeu. Du point des sons exécutés le tanbouyé joue d’un rythme binaire à quatre temps alors que la
mélodie se déroule sur trois temps. Le toum-blake de 1939 serait un mouvement polyrythmique. Par
ailleurs le titre a pour répondè : Délala ala ala. Et parmi ses morceaux enregistrés en 1939, l’un d’eux
portant le titre de Dé la la a-la, est interprété par le même chanteur et est indiqué comme un toum-
blake. En 1939, d’après ces deux titres Julo pren moin et Dé la la a -la, le texte et la mélodie du toum-
blake répondrait à une mélodie et à un chœur standardisés. C’est un titre qui interroge sur le temps de
la standardisation et des interférences des « phrasés rythmiques ». Ils semblent être récents, postérieurs
aux années 1960 ou encore ne semblent pas présenter un intérêt majeur pour les acteurs du moment.
Et jusqu’au début des années 1960, les « phrasés rythmiques » ne semblent pas être définitivement
établis. En effet, l’album « Vélo et son gros-ka » sorti le 25-09-1964 d’après le producteur Marcel
Mavounzy, comprend des titres indiqués sur un schéma rythmique que les générations d’après les
années 1960 identifient à un autre phrasé :
« Dis adié » indiqué comme « roulé » et identifié comme « toumblak »
« Moin pa chanceux » indiqué comme « calenda » et identifié comme « toumblak chiré920 »
Du point de vue littéraire, les chansons de Soso Pé-en-Kin retenues présentent les femmes
comme des êtres martyrs, dont l’existence est pétrie de douleur. Les résumés en attestent :
Zé a kòk-la : La chanson s’adresse à une femme à qui il est demandé de dire ce qu’elle a fait de sa
grossesse qu’elle a cachée à son entourage. Il lui est recommandé d’être désormais plus utile en
s’adonnant au travail dans les exploitations bananières.

917
La biguine est un type de musique jouée en Martinique, Guadeloupe et Guyane. C’est une musique de bals jouée par un ensemble
musical important composé d’instrumentistes variées. D’après des musicologues, les biguines sont diverses.
918
Journal La Crucifiée, Bamboula, 4 mai 1902, Archives Départementales de la Guadeloupe.
919
Cet article est publié dans Alex et Françoise Urie, Le chant de Karukéra…, 1991, page 40
920
Phrasé rythmique du toumblak joué sur un tempo rapide.

274
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Telman Gérard mangé : Gérard est le mari de la femme qui raconte l’histoire. Il a un appétit si
débordant qu’il mange démesurément à dégouter les porcs921. Elle aussi en est dégoûtée.
Pou couvè cone la : La femme qui pratique le multipartenariat dans sa vie intime le fait adroitement.
Les « cornes » qu’elle fait porter au partenaire avec qui elle vit sont, dans le milieu populaire, la
métaphore de l’infidélité féminine.
Jilo pren moin : C’est l’histoire d’une femme qui raconte les violences physiques conjugales dont elle
est victime. Elle décrit les scènes de violence dans les moindres détails.
L’artiste semble hanté par le malheur qui frappe les femmes dans leur relation de couple. C’est la
thématique majeure des trois chansons. Ces relations de couple sont conflictuelles. La violence des
mots le montre : kochon a-w la ! Kòn-la, ki nonm ésa ou ban mwen-la ? jilo pran mwen i jété mwen a
tè922. Le malheur se traduit par l’usage d’onomatopées : way way, ayayay ou woy.
Finalement, la vie trop courte de Solange Pé-en-Kin freine son élan pour les enregistrements.
Mais son œuvre est marquée par une image des femmes comme symbole du malheur. C’est la majeure
de ses chansons aux femmes. D’autres hommes enregistrent plus amplement le même type de chansons
à partir de 1963 avec des images plus diverses.

921
Des témoins de la région de Ste Anne St François ont reconnu cette chanson qu’interprétait dans les années 40-50 une femme âgée
et psychologiquement fragile, dans les rues. Elle ajoutait des jurons au texte. Le titre est peut-être une chanson populaire enregistré par
Soso après amendement du texte.
922
Ton sacré cochon, Quel homme m’a tu donné ? Les « cornes », Julo m’a empoignée et m’a jétée au sol.

275
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 34 : Photographie d’un album gwoka, Paris, 1939

Disque Jilo pren moin, toum-blake1939, collection Lembert Roberto


dit Krédito.

276
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Corps et vie de femmes, une spécialité du chant des hommes construit par des mythes

L’évocation du corps et de la vie des femmes est nourrie par la fabrication des mythes féminins.
Le catholicisme diffuse ses mythes à travers la Bible au Moyen-Age. Des clercs à qui le célibat et la
chasteté sont imposées sont chargées de cette mission. Ce sont des hommes auxquels les femmes sont
inaccessibles. L’image qu’ils diffusent ne peut-être neutre. Certaines sont parées de louange quand
d’autres sont diabolisées. Cette contradiction fabrique l’image des femmes dans les sociétés marquées
par le catholicisme. Les historiennes Agnès Wagner et Michèle Bubenicek, spécialistes de l’histoire
des femmes médiévales étudient cette contradiction qui se transmet de génération en génération923.
Elles montrent que ces mythes orientent ainsi la société et la pensée religieuse.
C’est ainsi que, Eve est la femme que Dieu créa après avoir crée l’homme de la poussière de la
terre, lui avoir donné le souffle de vie et l’avoir placé dans le jardin d’Eden. Il la créa à partir d’une
côte prélevée de l’homme924 . Elle vit nue dans le jardin d’Eden avec son homme Adam. Initialement,
ils n’avaient pas conscience de leur nudité. Mais le serpent pousse Eve à manger le fruit interdit par
Dieu en lui signifiant les vertus de ce fruit : voie de connaissance du bien et du mal et de l’intelligence.
La prise de conscience de leur nudité se produit par le non-respect de l’interdit divin. La sentence
divine touche le serpent, l’homme et la femme. Celle-ci est condamnée à vivre des relations difficiles
avec son homme, à l’enfantement dans la douleur, à la mortalité, au travail. Elle est consacrée à une
lourde charge, celle de mère de tous les vivants925.
Le jardin d’Eden est la métaphore du bien-être. C’est le Paradis dépouillé de sa douceur de
vivre par la faute d’Eve. Elle est donc la première pécheresse de la Terre. C’est par elle que la vie
humaine se charge de difficultés que sont la douleur, la mort, le travail. De plus, elle est redevable de
la vie à l’homme qui la domine. Elle est vulnérable aux séductions. Les clercs, au Moyen-Age la
présentent comme responsable du péché et de la pactisation avec le diable pour avoir enfreint la loi
divine. La femme est diabolisée par les clercs. Elle est pour l’homme une ennemie intime et par ses
vices, elle devient prédatrice des hommes.
Mais les femmes changent de visage avec le développement du culte marial au XIIè siècle qui
se renforce au XIXè siècle face à la sécularisation de la société. « Le XIXè est le siècle de Marie926 ».
C’est le temps des apparitions, le temps de la célébration de l’Immaculée Conception … Cette femme
est décrite comme le modèle à suivre. Contrairement à Eve, Marie se soumet à la loi divine pour la
naissance de son fils Jésus. Elle le sauve de la politique agressive d’Hérode. Elle l’assiste dans la mort.
Son culte est sans cesse revitalisé et la Guadeloupe n’y échappe pas. Après la 2è Guerre Mondiale, les
fidèles sont invités à faire des offrandes à une vierge mystérieuse dénommée la Vierge du Grand Retour
promenée dans la barque de son apparition à travers toutes les communes de la Guadeloupe et bercée
par la chanson :
« Chez nous soyez Reine, nous sommes à vous
Régnez en souveraine
Chez nous, Chez nous

923
Michelle Bubenicek, Histoire des femmes en Occident, an mil-15è siècle, Cours Université de Besançon, Franche-Comté, Centre
de Téléenseignement, Genres et Génération de l’Antiquité à nos jours, 2007-2008, pages 4 à 6.
924
Louis Segond, La Sainte Bible, Genèse 2, Alliance Biblique Universelle, page 10.
925
Louis Segond, La Sainte Bible, Genèse 3, Alliance Biblique Universelle, page 11.
926
Brigitte Waché, L’entrée de la piété mariale dans la liturgie, Exemple du XIXè siècle, Transversalités 2012, n°212, pages 201-219.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Soyez la Madone
Qu’on prie à genoux
Qui sourit et pardonne
Chez nous 927 »
En fait, il s’agissait d’une histoire inventée pour soutirer des deniers aux fidèles. L’affaire est
démasquée mais trop tard. Elle traduit l’ancrage de la figure de Marie dans l’imaginaire.
Parallèlement, en Guadeloupe l’imaginaire populaire crée un quotidien à la Vierge Marie. Le
conte en en est témoin. « Nèg né malhéré 928» est l’histoire de la distribution des chances à trois groupes
ethniques : le nègre, le mulâtre et le Blanc. Cette distribution a lieu à la maison de la Sainte Vierge qui
servit d’hôte pour l’occasion. Elle est toute dévouée au « Bon Dieu » et à ses invités. Elle dresse la
table, elle prépare des gâteaux et prépare le punch929. Un autre conte, « Pourquoi le chien ne parle
pas » retrace l’histoire du chien du « Bon Dieu » qui perd la parole pour avoir trahi le « Bon Dieu ».
La scène se déroule alors que le « Bon Dieu » rend visite à la Vierge Marie sur terre comme d’habitude
mais les liens qui les unit ne sont pas clairement indiqués. En revanche dans le chant gwoka, Marie et
le Bon Dieu forment un couple et celui-ci est confirmé dans une chanson de noël :
Répondè : Woulo ban mwen mayé-la
Woulo ban-mwen mayé-la
Woulo ban-mwen mayé-la
Tonnè di dyé ban-mwen mayé-la
Chantè : An tan Bon Dié
Té maren péchè
La Sent Vièj Mari
Machann pwason
On Balarou
Soté an janm a-y
Sé sa ki ban-nou
Lanfan Jézi930.
De même dans les chansons de Noél, le mystère de la naissance de Jésus est tourné en dérision :
A pa dòt ki konpè Michaud
Ki di Sen Josèf
Pa Papa Bon Dyé931.
Aux figures mythiques féminines du catholicisme s’ajoutent les figures mythiques populaires pour la
construction de l’image des femmes. On retrouve ces figures dans des contes recueillis entre 1957 et
1983.

- Thérèse Georgel les recueille auprès de ses connaissances mais aussi auprès d’anonymes,
ceux qu’elle nomme les humbles ou les travailleurs noirs. Ce sont bien des gens de cette communauté
que nous dénommons « zanfan-lanklo » Ces contes sont édités pour la première fois en 1957, dans les
territoires de la Caraïbe où elle a vécu son enfance à savoir en Guadeloupe, les Saintes, St Martin,
Haïti. Durant la période de l’esclavage, les travailleurs noirs dépourvus d’écriture par leur condition

927
Cette histoire racontée par plusieurs témoins dont Hector Poullet dans son livre « Kenbwa an Gwada » CaraïbeEditions, pages 159-
162. La version de la chanson rapportée par Hector Poullet diffère par endroits de la version plus commune que nous avons transcrite.
928
Traduction : le nègre est né miséreux.
929
Thérèse Georgel, Contes et légendes des Antilles…, 1994, pages 20-26.
930
Woulo, donne-moi le mariage. Tonnerre de Dieu, donne-moi le mariage. Du temps où le Bon Dieu était marin-pêcheur, la sainte
vierge Marie marchande poisson. Un balarou lui a sauté à la jambe. C’est ce qui nous a donné l’enfant Jésus.
931
Ce n’est autre que Compère Michaud qui dit que Saint Joseph n’est pas le père de Jésus.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

n’avaient d’autres modes de communication que la parole et le chant. C’est par ces canaux que le conte
s’est transmis d’où les nombreuses variantes et altérations.932
- Plus tard, en 1980, Alain Rutil collecte auprès des Marie-Galantais des contes pour une étude
littéraire. L’auteur est conscient de l’intérêt du conte pour comprendre les problèmes culturels
d’une société marquée par la colonisation. Le conte plonge aussi son auditoire dans un monde
de divinités ou d’hommes et de femmes divinisées. Il devient alors, légende et montre comment
la société servile a pu nourrir l’imaginaire des hommes de désespoir et de résilience.
Les contes recueillis par Alain Rutil à Marie-Galante racontent des histoires d’hommes, de
femmes, d’animaux. Les contes de l’auteur mettent en scène des femmes créées par l’imaginaire
populaire. Ce type de femme fait partie des personnages du conte « Konpè Louwa é Madanm a’y » où
le roi et sa femme décident de donner leur fille en mariage. L’élu de la famille sera le premier homme
qui serait capable de se procurer un bateau capable de se déplacer à la fois sur l’eau et sur terre. C’est
une femme zombi qui lui procure le bateau qu’il découvre au hasard dans un sous-bois. Le zombi prend
un sens différent selon qu’il soit haïtien, martiniquais ou guadeloupéen. L’un serait crée par la
résurrection d’un défunt et l’autre par le repos contrarié d’un défunt. Mais quelque soit son origine ou
son identité, c’est un être maléfique. Si en Haïti il garde l’apparence d’un être humain, en Guadeloupe
et en Martinique, il peut prendre diverses apparences. Il peut même être invisible et dans ce cas, c’est
par l’odorat, l’ouie ou le toucher qu’il est reconnu. C’est surtout la nuit qu’il se manifeste. Il est capable
de faire disparaître des vivants. Des disparitions mystérieuses en Guadeloupe ont été attribuées aux
méfaits d’un zombi. Il n’a pas de sexe, il peut être homme ou femme.
En revanche, dans le conte « Twa frè ki touné an twa mouton », une jeune fille trop heureuse
d’avoir retrouvé ses trois frères de qui elle fût séparée sur une longue période, cherche à leur préparer
leur repas. Il lui manque des allumettes. Elle s’adresse à l’une de leur voisine. C’est un être humain
mais elle est dotée de pouvoirs maléfiques. Ce sont trois peignes que la voisine offre aux trois frères
qui les changent en mouton :
« Mi an ka ba’w twa zalimèt é mi kado a frè a’w… sété on pengn blan… Lè yo fè twa kout
pengn an tèt a yo, yo enki touné an twa mal mouton.933 ».
Et parmi les personnages surnaturels, le soukounyan figure dans un des contes recueillis par
Thérèse Georgel. Elle le désigne par « L’oiseau de nuit ». C’est l’histoire d’une petite fille qui, pour
imiter sa marraine se change accidentellement en oiseau de nuit et rencontre bien des mésaventures
avant de retrouver sa forme humaine. Cet oiseau de feu est le soukounyan ou volan dont le conte
enseigne la méthode pour atteindre cette métamorphose :
« Une nuit que sa marraine ne dormait pas, elle vit sa marraine se lever, se déshabiller, se frotter le corps.
Mais elle n’entendit pas les paroles magiques et ne vit pas non plus que la marraine avait retiré sa peau
comme on enlève une robe, et l’avait accrochée à un clou derrière la porte.934 »

932
Thérèse Georgel, Contes et légendes des Antilles, Editions Pocket Jeunesse, 1994, pages 5-9.
933
Monsieur Raphaël Bastaraud pour Alain Rutil…1981, page 235.
934
Thérèse Georgel, … 1994, page 82.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cette métamorphose ne se retrouve pas uniquement dans le conte antillais. On la retrouve aussi dans
le roman féminin qui attribue aussi ce pouvoir aux femmes935 . Les ailes du soukounyan ou volan sont
en réalité les seins des femmes.
Par conséquent, la figure féminine dans les contes, les légendes et les mythes véhiculent une
image négative des femmes. En dehors de la Vierge Marie en tant que mère, les femmes sont
difficilement perçues comme des divinités adulées. C’est à un être complexe que renvoie l’imaginaire
forgé par le catholicisme et les croyances populaires forgées au sein des travailleurs esclaves dans le
contexte de la plantation. Les femmes symbolisent à la fois la douleur, la prédation, la duperie. Elles
symbolisent aussi la beauté physique mais trompeuse.

Ces identités féminines véhiculées par les contes et légendes influencent les compositions
musicales. Toutefois, le chant gwoka en tant qu’outil d’investigation, présente un dilemme. La
première fois que nous en avons fait usage comme tel, nous avons retenu toutes celles que nous avons
collectées. Les chansons inédites comme les chansons édités ont été étudiées936. Plus tard, ce sont
exclusivement les chansons éditées que nous avons étudiées937. Dans le cadre de la présente recherche,
la question se pose à nouveau. Cette fois, les caractéristiques du chant gwoka guident notre sélection.
En effet, retenir uniquement les chansons éditées c’est dire que seules celles-ci, sous prétexte de
disposer d’un texte définitif et d’un label discographique seraient recevables. Ce serait aussi dire que
l’édition fait le chantè-gwoka or l’édition massive à partir des années 1960 s’explique par des choix
de producteurs et d’autres opportunités qui ne sont pas profitables à tous les chanteurs. D’ailleurs,
notre échantillon de travail montre que les chantè-gwoka ne sont pas uniquement ceux qui sont
sollicités par les entrepreneurs discographiques. Il n’y a qu’à constater que les fanm-chantè ont été
oubliées par les producteurs. C’est ainsi que Sergius Geoffroy (1944-1992) est sollicité et sa mère,
Boisdur Honorat épouse Geoffroy dite Ora (1921-2008) qui lui a transmis la passion et les conventions
du chant, oubliée. De même pour Athanaïse Bach dite Man Soso (1918-2017) oubliée au profit de son
fils Guy Conquet (1946-2012) qui revendique dans ses témoignages l’héritage de sa mère.
C’est pourquoi, cette fois, des chansons inédites sont aussi retenues. Par ailleurs, ces inédits
viennent des chantè qui ont été ou non enregistrés. Même si la chanson nous parvient par le biais d’un
reportage à propos d’un chantè ou d’un film documentaire réunissant de nombreux chanteurs, elle est
bien plus âgée que la date à laquelle elle nous est parvenue. Car lors des enregistrements, les chantè
ont interprétés les titres de leur répertoire.
Notre étude comprend 7 inédits auxquels nous attribuons une période approximative en
fonction du témoignage de ceux qui les interprètent. Cette période n’est qu’un essai de datation par
tâtonnements et recoupements. Par leur caractère inédit, ces chansons n’ont pas de titre. Par
conséquent, les contraintes d’identification pour la présente étude leur attribuent les premiers mots de
la chanson, comme titre.

935
PY Fatima, Le surnaturel dans le roman féminin guadeloupéen, Thèse présentée pour le Doctorat en langues et littératures
françaises (littérature générale et comparée) Université des Antilles 2017, Roger Toumson (dir), page 337.

936
Cette étude a été entreprise pour la Maîtrise d’Histoire, Histoire de la Guadeloupe de 1848 à 1945 : Quelques acteurs de l’histoire
locale dans la mémoire populaire, à travers des expressions parlées et chantées de la tradition guadeloupéenne), sous la direction du
Professeur Jacques Adélaïde-Merlande, Université des Antilles Guyane, 1996.
937
Cette étude a été entreprise pour le Master en sciences Humaines et sociales… sous la direction de Madame Catherine Vuillermot,
maîtresse de conférences HDR, Université de Besançon, 2010.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Titre/ Circonstances/Informateur et date information/Date retenue pour la chanson


Sé lavé / lessive collective des femmes/ Marcel Lollia dit Vélo, 1981/1950s938
Ola-w mété/ travail collectif des femmes aux champs/ Nagau Lorraine/ 1940s-1950s939
A Dézirad/ travail collectif des femmes aux champs/ Man Soso/ 1940s-1960s940
Chat-la/ travail collectif des femmes aux champs/ Man Soso/ 1940s-1960s
Aglaé/ travail collectif des femmes aux champs/ Man Soso/ 1940s-1960s
Lè’w vwè an ké mò/ travail collectif des hommes aux champs/ Aglas Dunyèr/1950s941
Vonvon-la/ léwòz, véyé, travail collectif du bâtiment et des champs/ Simone Jacques/1940s

A ces inédits s’ajoutent 31 titres édités. La liste suivante indique le chantè les titres, la ville ou
la région d’enregistrement, la période de sortie du titre :
Chanteur inédit : Roulez, roulez, Guadeloupe,1963.
Magloire Louis-Victor dit Napoléon : Coq-la chanté/ Dis adié, Guadeloupe, 1964.
Cassius (non identifié) : Moin pas chanceux, Pa ban-mwen kou, Misié Rous, Félicité, Guadeloupe,
1964.
Sergius Geoffroy : Délaïde Maoba, Pa mannyé loli la, Yo prend Milo, Guadeloupe, 1965.
Gaston Germain- Calixte : Josette, Bébé, Dolorès, On boulet, Jou jédi-la, On nhomme a case en moin,
Dédé a ti lala, Elaïde Maoba, Robertine, Coclotè, La jeunesse en Alpha, Alphonsine, Manman moin
an té bouè on Coca- Cola, Guadeloupe 1966-1968 (probablement jusqu’en 1970-74).
Robert Loyson : Ban matelas an moin, An di manman an kalé mayé, An tanmarin tini dé gade mobil,
Malheu rivé, Madame voyagé, Léonne ma fi, Alphonsine, Nous kalé a Kutumba, Guadeloupe, 1966-
69 (probablement 1970)942.

Par ailleurs il est aussi intéressant parmi les morceaux choisis de souligner les difficultés
d’identification. Certaines chansons sont interprétées par deux chanteurs différents sur deux albums
distincts. Le fait d’être parfois interprétés dans des formes différentes du gwoka en rajoute à la
difficulté d’identification. Pour d’autres chansons, il y a tension entre le titre indiqué sur l’album et le
titre populaire. D’autres encore n’ont qu’une propriété populaire et pas de propriété intellectuelle au
sens juridique du terme. Il arrive aussi qu’une chanson inédite attribué à un chantè devienne propriété

938 Témoignage de Vélo à la radio, Emission radiodiffusée Black Music, Guadeloupe, 7 décembre 1980. Ce jour, il chante deux versions

du même titre, l’une qu’il situe au temps de l’empierrage manuel des rues de PàP (années 1950) et l’autre lors des lessives collectives
des femmes/ Traduction : C’est lavé (Nous lavons)
939
Témoignage de Nagau Lorraine, Collecte Lameca 2005. L’informatrice raconte son travail dans les champs de canne. En fonction du
témoignage, elle aurait la vingtaine/ trentaine alors qu’elle est née en 1925/ Traduction : Où tu as mis ?
940
Témoignage de Man Soso, collecte personnelle, 2011. L’informatrice interprète cette chanson dans les champs de Jabrun où elle
habite depuis 1946 environ après la naissance de son fils Guy Conquet né en avril 1946/Traduction : A la Désirade/ La chatte
941
Témoignage Dunyèr Aglas, Collecte personnelle 2015. La chanson est interprétée par le père de l’informateur et ses collaborateurs
alors qu’il est enfant. Il est né en 1949/ Traduction : Quand je mourrai
942 Traduction de tous les titres dans l’ordre de la liste : L’œuf du coq, Gérard a tant manjé, Dis adieu, je n’ai pas de chance, Ne me bas

pas, Monsieur Rous, Félicité, Délaïde Mahobah, Ne touche pas au pénis, Ils ont enrôlé Milo, Josette, Bébé, Dolorès, Un boulet, Ce jeudi,
Un homme chez moi, Dédé a ti lala, Délaïde Mahobah, Robertine, le quimboiseur, La jeunesse en Alpha, Alfonsine, Maman j’aurais bu
un Coca-Cola, Donne-moi mon matelas, J’ai dit à ma mère que je vais me marier, A Tmarin, il y a deux garde-mobiles, Un malheur est
arrivé, Madame a voyagé, Léonne ma fille, Alfonsine, Nous allons a Kutumba.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

intellectuelle d’un autre. La propriété populaire est admise de toute la communauté. Et, au regard de
celle-ci, la communauté ne parle jamais d’auteur-compositeur mais simplement de chantè.
Ainsi, pour cette étude, nous dirons « chantè » pour les hommes et « fanm-chantè » pour les
femmes. Ce rôle doit être considéré comme un générique. Il désigne soit l’auteur-compositeur, soit
l’interprète, soit le « propriétaire populaire ». Le statut d’auteur-compositeur n’a pour ces chansons
aucune valeur juridique parce que la plupart des chansons ne font guère l’objet de déclaration et en
réalité appartiennent à la communauté. Par ailleurs du point de vue mélodique, les emprunts font partie
des conventions de la composition. On serait tenté de dire que le répertoire gwoka est fait d’adaptation
de mélodies et de textes. Et l’usage des expressions et phrases génériques en guise d’improvisation,
confirment la difficulté d’attribuer un texte à un individu. Le chant gwoka relève davantage une
« propriété populaire » qu’une propriété individuelle.

Les chansons des albums émanent exclusivement des hommes. Quelques femmes y participent
comme fanm-lé-répondè943. En effet, des voix féminines s’entendent sur le premier album des années
1960 aux côtés du tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo dont le nom est prononcé dans la chanson et dans
l’ambiance de l’enregistrement 944. D’autres encore dans le cadre des troupes folkloriques assurent le
même rôle pour les enregistrements discographiques de leur troupe945. Ce sont des anonymes.
Des femmes identifiées par des témoins participent à l’enregistrement du premier album réalisé
par la Maison Emeraude. Cet album est enregistré à Belle-Plaine Gosier au domicile d’un dénommé
Jojo Captant946. Ces femmes sont Simone Jacques et une dénommée Surprise947 . Cette dernière est
nommée dans une des chansons, Moin pas chanceux948. Ainsi, la participation des femmes dans
l’interprétation des titres référencés est soumise aux titres imposés par les hommes. Mais, certaines
chansons, à les entendre semble être composées par des fanm-chantè à moins que des hommes aient
choisi de faire parler des femmes.
Célébrer la Vie à travers des chansons aux femmes, ne signifie pas magnifier les femmes. Il
faut entendre par célébration, la reconnaissance des femmes en tant que symbole de la Vie. Le regard
des hommes varie. L’intérêt pour cette célébration l’est autant. Il se mesure aux autres titres d’un même
album qui accompagnent ceux qui traitent ou évoquent les femmes. Il convient de mesurer cet intérêt
en vérifiant que des albums soient entièrement consacrées ou non aux femmes.
Notre méthode consiste à vérifier, dans notre sélection, le nombre de titres qui les évoque de
1963 à 1969-70. Les albums choisis sont étudiés dans l’ordre chronologique des enregistrements. Les
premiers albums des années 1960 sont produits à Paris en 1963, et en Guadeloupe en 1964. Arrivent
ensuite, ceux des chantè connus principalement pour les chansons aux femmes. C’est un style
commun à Robert Loyson, Germain-Calixte et Sergius Geoffroy. Il arrive qu’ils interprètent un même
titre comme une sensibilité commune partagée. Le résultat indique l’intérêt pour la thématique des
femmes : très fort, fort, moyen, faible, très faible en fonction du nombre de titres qui traitent des
femmes. Ce travail est l’occasion de présenter succinctement les autres titres qui accompagnent les

943
Chœur féminin
944
Album Bamboulas de la Guadeloupe, Label BAM, LD 399, 45T, 1963, Paris.
945
Album Emeraude, Kaloukéra, 45T, 1964/ Album Cercle Culturel Ansois, Aux ondes, 45T, 1966.
946
Témoignage de Artèm Boisbant, Lameca 2005 / Témoignage de Napoléon Magloire, Almanaka 2005.
947
Témoignage de Lambert Roberto dit Krédito : Napoléon Magloire désigne ces 2 personnes régulièrement pour cette circonstance.
948
Je n’ai pas de chance.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

chansons aux femmes, ce qui exprime encore le degré d’implication du chantè dans la célébration de
la Vie :
- L’album Bamboulas est le premier d’une longue série de disques gwoka des années 1960. Le
caractère inédit de cet album mérite d’être souligné. En dehors de la photographie en gros plan
d’un chantè, probablement René Perrin selon la rumeur, apparemment jeune, qui illustre la
pochette, l’album est anonyme du point de vue des participants. Les seuls noms qui y figurent
sont ceux du reporter Fazil Cémil et l’Association Française pour le développement de
l’enregistrement et de la reproduction sonore (AFDERS)949. Cette dernière est fondée à Paris
en 1954 dans le but de promouvoir les enregistrements des musiques et danses populaires.
L’année n’est pas indiquée. C’est par le catalogue de l’éditeur phonographique Boîte à Musique
(BAM) qui répertorie les albums de 1934 à 1978950 que nous retrouvons la date d’édition en
1963. C’est le premier album gwoka des années 1960. Son titre est « Bamboulas ». Le seul titre
concernant les femmes est Roulez, roulez. Les 3 autres titres sont Pa ka coutez moin Léopold.
Il s’agit d’une remontrance adressée à un individu entêté. Et les deux derniers titres sont A Vélo
et Fènan. Le premier est une chanson qui évoque les mésaventures du tanbouyé Marcel Lollia
avec un individu dénommé Maya. D’après François Jernidier Carnot, ce serait un policier qui
aurait tenu injustement l’intéressé dans une cellule du Poste de Police951. L’autre Fènan est une
histoire indescriptible par les mots obscurs qui composent le texte en dehors des mots
d’encouragement au tanbouyé Vélo. (Résultat : 1 titre sur 4 : intérêt très faible).
- Napoléon Magloire interprète deux chansons, Dis adié et Coq-la chanté sur les 10 titres de
l’album tandis que Cassius en interprète 4, Félicité, Moin pas chanceux, Pa ban moin coup et
Missié Rous. Un des autres titres est un salut au public du léwòz, An rivé. C’est un chant
d’entrée, un chant de bienvenue par lequel le chanteur signifie sa présence. Les autres titres
sont Missié Carè où l’orateur raconte ses malheurs à quelqu’un qui par son statut social est en
mesure de l’aider dans plusieurs domaines. C’est encore les malheurs d’une vie qui se déroulent
dans la chanson Vivile oh où le personnage principal qui mène une existence de plaisir, semble
avoir vécu une mésaventure par sa témérité. (Résultat : Napoléon (2/10) intérêt très faible /
Cassius (4/10), intérêt moyen.
- Dès son premier album, Sergius Geoffroy, enregistre de nombreuses chansons traitant des
femmes principalement au niveau des relations de couple. En effet, sur les 10 titres de cet
album, 6 titres traitent de ces relations et évoquent les femmes. Ces chansons s’intitulent
Délaïde Maoba, Coco-la, Gran bon matin, A case an moin, Pa manié loli-la, Yo pran Milo.
Les autres histoires traitent de relations humaines conflictuelles avec Chien-la pour lequel
la métamorphose d’un homme a mal tourné. De même un dénommé Saint-Val au volant de sa
voiture luxueuse est victime d’un accident à cause d’une mangouste et Malaba-la traite de
manière péjorative, d’un individu du groupe des Indo-Guadeloupéens : (Résultat : Sergius
6/10, intérêt très fort).

- Dès son premier album, Germain-Calixte Gaston dit Chaben fait une place considérable aux
femmes. A leur côté Zombi baré mwen est une moquerie à l’encontre de prières fondamentales

949
Album Bamboulas de la Guadeloupe, LD 399, 45T, format 17 cm, Paris, 1963.
950 Catalogue des publications phonographiques : numération détaillée, Série LD 300 à 399 (1953-1963 : Edition des LP 17 cm/puis 25
cm et 30 cm/ 33 mono, puis stéréo).
951
Carnot par lui-même, Alors ma chère moi…, 1986, page 77.

283
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

du dogme catholique incapables de dominer les esprits maléfiques. C’est le regard sur un tiers
qui anime la chanson An colonne par deux par le portrait d’un homme présenté comme un
intrus au sein de la fanfare de la commune. Cet album comporte deux titres Josette et Bébé
traitant des femmes. C’est le prototype discographique de Chaben. En effet, chacune de ces
éditions comporte quelque soit la maison d’édition au moins un titre consacré aux femmes. Les
autres titres sont, comme Golgotha des interprétations des récits bibliques ou encore un éloge
à la personne du chantè avec Moin cé la centrale. La chanson Méssié Mesdames bien bonsoir
est enregistrée auparavant par Sergius Geoffroy en guise de chant d’entrée des véyé et repris
par Gaston Germain-Calixte. Au total, entre 1966 et 1968-69, ce sont 5 albums en solo ou en
collaboration avec d’autres chanteurs ou troupes folkloriques, qui portent 6 titres qui traitent
des femmes. Elles s’intitulent : Jozette, Bébé, Jou Jédi-la, Dolorès, On n’homme a case en
moin, Elaïde Mahoba, Robertine, Coclotè (Résultat : Germain-Calixte : 6/ 16, intérêt moyen)

- Robert Loyson est le fidèle collaborateur de Germain-Calixte Gaston. C’est par ce dernier qu’il
entre dans le paysage discographique du gwoka952. Ils vivent tous deux dans deux communes
proches de la Grande-Terre, l’un à Port-Louis et l’autre au Moule. Par ailleurs, au sein du
Cercle culturel Ansois, ils se rencontrent. Certains de leurs titres figurent sur le même album.953
Les deux chanteurs ont aussi en commun les chansons aux femmes. A la différence de Germain
-Calixte Gaston, Robert Loyson possède un album sur lequel aucune chanson aux femmes ne
figure. C’est ainsi que Canne a la richesse traite de l’inquiétude des petits planteurs face aux
mutations de l’économie sucrière. De même Si Papa mò est un testament qui lui aussi procède
d’une relecture et d’une adaptation personnelle de la liturgie catholique. Mais d’autres
chansons traitent des femmes, mères ou compagnes. Résultat : (Robert Loyson : 8 sur 16 /
intérêt moyen)

- S’il faut classer les chanteurs édités qui ont chanté les femmes, Sergius Geoffroy arrive en tête
suivi de Robert Loyson et Germain-Calixte Gaston. Viennent ensuite Cassius puis Napoléon
Magloire qui se sont partagés un même album. Leurs chansons ajoutées aux titres inédits des
fanm-chantè, montrent les différentes images par lesquelles la femme est chantée et la Vie,
célébrée.

La femme active n’est quasiment pas traitée dans le chant des hommes. Il faut y voir le regard
réducteur des hommes qui considèrent les femmes avant tout comme mères et comme compagnes954.
La seule occupation « para-économique » et hédoniste des femmesexprimée dans la chanson d’un
homme est le jeu dans la Léonne ma fi par Robert Loyson. La fréquentation du casino est présentée
pour cette femme comme une addiction à tel point que l’accès au casino lui est interdit. L’auteur insiste
en jouant sur la place qu’il accorde aux deux mots qui portent le message à savoir « kazino » et
« Léonn » tantôt placés en début de segment mélodique, tantôt en fin. Tantot le nom de la femme est

952 Témoignage de Marcel Mavounzy, Cent cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe, 2002, page 222.
953
Album Le Cercle Culturel Ansois présente Loyson et Calixte, Aux Ondes, Vol 3, 1966-67.
954
Pour notre analyse, les termes signifiants des chansons sont mis en évidence en caractère gras.

284
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

répété comme pour exprimer une supplication. L’homme tente de l’extiper de cette addiction par des
mots de séduction.
Chantè : Léònn fò pa-w alé o kazino / Kazino-la vé pa Léòn
Manman Léònn palè Léònn/ Léònn pa vé kouté manman-y
Répondè : Léònn ma fi, Léònn doudou955
Cette chanson emprunte une forme musicale du gwoka inhabituelle à l’auteur plutôt spécialiste
du chant véyé. Il s’agit de la forme léwòz956 avec une succession de couplets brefs. Il répond à
l’alternance chantè-répondè qui peut se traduire par le mode AB contrairement aux autres chansons
de l’auteur de type véyé dans le mode AB (chantè-répondè) C (couplet narratif long) AB (chantè-
répondè).
Et ce sont les femmes elles-mêmes qui chantent la femme active. L’image qu’elles diffusent
est celle de la résignation par la répétition de l’acte dans la composition de la chanson :
Grajé nou ka grajé
Nou ka grajé manniòk
Froté nou ka froté
Grajé nou ka grajé 957 (Nagau Lorraine)
La résignation fait place à la résilience :
Tou lé maten fò-mwen ay an jaden pou mwen planté é rékòlté, pa menm tini pou mwen a-y o mawché …. Men
konm sé on biten ki bon pou mwen, mwen pa tini jou mwen fè jaden958. (Athanaïse Bach dite Man Soso)

Le chant des femmes au travail reflète aussi la pénurie des produits vitaux. Une des chansons de
femmes au travail en effet traduit l’anxiété des femmes face à cette pénurie :
O Bibilo, o Bibilo, ola-w mété mòso savon nwè-la959 ( Nagau Lorraine)
Il n’y a pas non plus de chansons qui soient dédiées aux femmes en tant que mère. Le terme
de manman par lequel elles sont désignées est utilisée en guise de ponctuation. Celle-ci peut- être
récurrente comme dans Garde à vous qui relate le soulagement que procure aux familles la fin de la
guerre d’Algérie :
An naljéri la gè tèrminé manman / Tou lé mèr danfan ka kriyé woulo manman/ Tou le pèr danfan ka
kriyé woulo manman960. (Robert Loyson)
Cette ponctuation est celle du chantè mais le répondè lui est chargé de célébrer l’action du personnage
qui constitue l’idée essentielle de la chanson : Viv Jénéral Dè Gòl961.
L’image de la mère dans plusieurs chansons est celle d’une femme décrite comme femme
puissante par les missions qui lui sont confiées. Dans Yo prend Milo, le départ d’un mari pour le service
militaire est vécu comme un drame. La mère intervient pour recevoir la plaignante et la soulager. Ce
recours à la mère s’exprime de manière récurrente par le répondè dans les deux chansons suivantes.
Elle est un soutien moral :
Chantè : Manman o Manman
Répondè : Kenbé mwen an ké mò962 (Sergius Geoffroy)

955 Album Robert Loyson accompagné par le tandem Vélo Boisbant, Aux ondes, 45T, PàP, 1967-68.
956
Désigne ici le rassemblement musical
957
Chant de femmes rapportée par Nagau Lorraine dans son témoignage, Lameca 2005 / Traduction Nous râpons. Nous râpons le
manioc. Nous frottons. Nous râpons.
958
Tous les matins, il me faut aller au jardin pour que je plante et que je récolte, il n’y en pas suffisamment pour que j’aille au marché.
Mais comme c’est quelque chose qui mefait du bien, je n’ai pas de jours (précis) pour aller au jardin.
959
Témoignage de Nagau Lorrain née en 1925, 2005, Saint-Louis Marie-Galante, Collecte Lameca.
960
En Algérie la guerre est terminée maman. Vive Général de Gaulle.
961
Bravo au Général De Gaulle
962
Sergius Geoffroy, Yo prend Milo, Album Sergius Geoffroy et son groupe Le Terrible, Emeraude, 1965.

285
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Répondè : Ban matla an mwen, Ban sonmyé an-mwen


Ban mwen récho an mwen Pou mwen rantré aka manman-mwen (Robert Loyson)
La mère est aussi une éducatrice qui protège et châtie. Son désir de protection est si intense qu’elle
protège à l’excès à tel point que cette surprotection peut -être contreproductive :
-Félisité pa di manman-mwen sa
Pa di manman -mwen sa
Manman-mwen ké ban mwen kou wayayay 963( Cassius)
-An di manman an kalé mayé
Pa okipé-w dè nòs an-mwen
Si-w okipé-w dè nòs an-mwen
Ou ké fè labé-la
Mal-mayé-mwen 964( Robert Loyson)
Parrallèlement, elle est un modèle à suivre, bonne conseillère et sa personne suscite le respect :
-Nou kalé a kutumba
-Manman-mwen ka monté a Kutumba965 (Robert Loyson)
-An di manman an té bouè on coca-cola966 (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
-Si a pa té pou manman-mwen, lontan-an krazé pédal a-w la wayayay967 ! (Napoléon Magloire)
Manman-mwen di mwen gason mariyé-vou968( Dunyèr Aglas)
-Maman’w sé manman’w Dolores o969 ! (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)

Ces qualités sont indéfectibles et c’est la raison pour laquelle le doute sur la qualité de la mère
est vécu par la femme qui le chante, comme une insulte :
Moun-Lapwent ka di an fè on anfan bata jété-y an ba vout-la, jété-y an ba bwa-la970 (Athanaïse Bach
dite Solange)
Les chansons dégagent l’idée que le respect qui est vouée à la mère est si important qu’il faut
un intermédiaire pour l’atteindre. La célébration de la mère rend compte de la cosmogonie de la socité
en Guadeloupe. La mère est un être divinisé. Prononcé, le mot de maman dans une chanson gwoka est
l’invocation d’une protection supérieure :
Aie Bondié ! / Aie Manman ! sont deux appels similaires.
Il n’en est pas de même pour la femme compagne. Pour ces femmes la composition répond à
une méthodologie singulière :
Leur personne est banalisée par le fait qu’elles sont nommées et désignées par leur prénom :
Polèt, Jozèt, Bébé, Alisya, Valéri, Wobèwtin, Jèrmani, Alfonsin, Florin… Parfois leur désignation
s’accompagne tantôt d’une marque de respect du créole guadeloupéen comme « Madame ». Tantôt
elles sont traitées avec irrespect par les expressions « Ti fiy » ou « fanm-la 971» :
Man Téoni (Napoléon Magloire)
Madanm si ou ka vwayajé972 (Robert Loyson)

963
Félicité, ne le dis pas à ma mère. Elle me frappera aie !
964
J’ai dit à ma mère que je vais me marier, qu’elle ne se mêle pas de mon mariage. Si elle se mêle de mon mariage, je serai mal
marié par le curé.
965
Nous allons à kutumba. Ma mère monte a kutumba.
966
J’a -i dit à ma Maman que je boirais (j’ai envie de boire) un coca-cola
967
Si ce n’était pour ma mère, il y a longtemps (belle lurette) que je t’écraserais la pédale
968
Chant bèlè inédit par Dunyèr Aglas. Ma mère m’a dit mon garçon mariez-vous !
969
Ta mère (reste ta mère) est ta mère.
970
Les gens de P-à-P disent que j’ai eu un enfant batard, que je l’ai jeté sous la voûte et dans le sous-bois
971
Petite fille (mauvaise fille, fille indigne), cette femme (cette mauvaise femme)
972
Madame si tu voyages

286
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ti-Fiy -la (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)


Sé fanm-la (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
Elles sont les personnages principaux des histoires racontées et les auteurs font revenir leur
prénom dans lé-répondè :
Alé kouté, Alé kouté, alé kouté Jozèt a-w la (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
Gaston ola-w kalé, mwen ka woulé mwen kité Bébé (Germain-Calixte Gaston dit Chaben
Jermani ka ou fè mwen la (Robert Loyson)
Alfonsin ola-w té yé lè zonbi-la disparèt Florin. (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
Elles sont victimes de violence conjugale. Mais elles ne l’acceptent pas et sont plus dans la
dénonciation que dans la résignation :
Pa ban moin coup : Séléra pa ban mwen kou, bouwo pa ban kou, bandi pa ban moin kou … Ou ké kasé
dé bra an-mwen973 (Cassius)

Cette violence est accentuée par des formes inédites ponctuelles introduites dans la composition
comme une entorse à la composition classique :
Chantè : Polèt, Polèt
Répondè : Pan lan pan lan panm
Chantè : An pijé-y, an pijé-y974 (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)

Et les femmes sont aussi des prédatrices des hommes. Elles ont l’appât du gain.
-Fanm-la ni nonm a lorisis, i ka di mwen i enmé-mwen … i di mwen i vlé on braslé an lò975 (Germain-
Calixte Gaston dit Chaben)
-An té konprann doudou té enmé mwen répondè). An ka di-w ka Wobèwtin fè-mwen. An té ni on
propriyété, an vann li mwen bay sou-la … Wòbèwtin mi sou a-w mi sou a-w an pòté ba-w976 (Germain-
Calixte Gaston dit Chaben)
- Ou pa kontanté-w. Tousa mwen ja ba-w la. Ay ou mal a kontanté-w. Ou ka fè mwen foukan a kaz a-
vou 977( Robert Loyson)
Elles sont alors démasquées comme libertines et allumeuses :
An tanmarin tini dé gad mobil, sété Alisya é Valéri. Olyé sé dé gad mobil, sé dé fanm a wonm ki baré-
mwen978 (Robert Loyson)
Alfonsin ola ou té yé lè zonbi-la disparèt Florin… An ka vwè fiy la ka fè lanmou èvè nonm a-
y979 (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
Kouzin-la ka di … sé on fanm ansent ou mandé mayé980 (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
An di sé fiy-la mété-yo an chòt981… (Germain-Calixte Gaston dit Chaben)
Fanm-la té ka basé-mwen, an té ka’y koupé men a li, an konprann dè di sété on nonm982 ( (Robert
Loyson)
Elles sont maléfiques :

973
Cassius, Pa ban moin coup, Album Vélo et son gros-ka, Emeraude, 33T, 1964. L’extrait est une phrase générique qui se retrouve
dans plusieurs chansons du gwoka.
974
Paulette, Paulette… J’ai pressé, j’ai pressé
975
Cette femme a son homme à Lauricisque, elle dit (déclare) qu’elle m’aime. Elle me dit qu’elle veut d’un bracelet en or.
976
Je pensais que doudou m’aimait. Je te dis ce que Robertine m’a fait. J’avais une propriété je l’ai vendu pour lui donner le sou.
Robertine voici le sou, voici le sou que je t’ai apporté.
977
Tu ne t’en es pas satisfaite. Tout ce que je t’ai donné. Tu es insatiable. Tu m’as chassée de chez toi.
978
A Tamarin, il y a deux gendarmes. Ce sont Alicia et Valérie. Au lieu de deux gendarmes, ce sont deux femmes du rhum (qui ont
une addiction au rhum) qui m’ont entravé la route.
979
Alphonsine où étais tu lorsque le zombi a fait disparaître Florine… Je vois que la fille faisant l’amour avec son homme.
980
Le cousin dit… que c’est à une femme enceinte qu’il a demandé en mariage.
981
J’ai dit aux filles de les mettre en short
982
Cette femme me faisait la cour. J’allais lui couper la main. Je croyais que c’était un homme.

287
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

An kriyé ti mamzèl-la i vin koté-mwen. Lè an touné gadé i ka sanm on pat a chyen … sé pa on men
983
réyèl (Robert Loyson)
Mais paradoxalement, elles sont capables de donner de l’amour :
Milo nonm dou an-mwen, Yo pren Milo sòlda984 (Sergius Geoffroy)
Madanm-la ka vwè mari a’y atè. Chofè, chofè, mari an mwen a tè985 ( Robert Loyson)
Le chant de véyé prisé par nos trois chantè est mis en oeuvre pour les femmes compagnes. Par
ailleurs, la voix utilisée pour les raconter est plus parlée que chantée parce que le texte l’emporte sur
la mélodie. L’introduction du chant de véyé se fait dans un tempo très lent, entre, le parlé et le
chanté comme un poème dont on annoncerait le titre.
Les femmes sont aussi chantées par le prisme de la sexualité. Parfois, ce sont elles-mêmes qui
interprètent les ardeurs d’une « chatte » et les piqûres d’un bourdon, ces métaphores du sexe ou de
l’acte sexuel dans le créole guadeloupéen. Hector Poullet, créoliste, a réalisé un dictionnaire des mots
du sexe en créole986. Il montre comment les allusions au sexe sont très fréquents dans créole
guadeloupéen. Chat en créole guadeloupéen est un des mots par lequel est désigné le vagin :

Répondè : An di Monik pa mannyé chat-la


Chantè : Chat la méchan, chat-la mové987 ( Athanaïse Bach dite Man Soso)

Dans cette chanson, le fait de placer la mise en garde sur le répondè le renforce. C’est une manière
d’insister sur le caractère dangereux de cette « chatte ». Cette chanson est l’une de celles qui
s’interprètent au travail. C’est un chant en relais qui s’adresse indirectement à un membre du groupe
ou qui relate une histoire connue de tous en empruntant la dérision.
De même, Vovon-la est une image de l’acte sexuel. Le bourdon pique le bananier mais au
niveau de la hanche. Les onomatopées utilisées sont celles du créole guadeloupéen et d’autres créoles
notamment celui de la Guyane avec quelques nuances sonores, pour rappeler les mouvements saccadés
de l’acte sexuel :
Gyoup, gyoup, gyoup à créole guadeloupéen
Djouk, djouk, djouk à créole guyanais

C’est l’organe sexuel masculin qui détermine le choix du mot « coca-cola » pour désigner l’acte sexuel
dans la chanson An té bouè on Coca-cola. Le chantè est inspirée par cette boisson nouvellement arrivée
en Guadeloupe988accompagnée d’une communication qui incite à la consommation 989. D’après la
thématique de la chanson, le terme « coca-cola » est aussi une métaphore à la fois de l’acte sexuel et
de l’orgasme. En effet cette chanson met en scène une jeune fille souffrante dont la visite médicale se

983
J’ai appelé la demoiselle. Elle s’est rapprochée de moi. Quand je me suis retournée. Elle ressemblait à une patte de chien. Ce n’était
pas une main réelle.
984
Milo, mon tendre homme. Ils l’ont enrôlé comme soldat
985
La dame voit que son mari est à terre (n’est pas à bord). Chauffeur, mon mari n’est pas à bord !
986
Hector Poullet, Kòkòlò, Les mots du sexe en créole de la Guadeloupe, Caraïbeditions, 2011.
987
J’ai dit à Monique de ne pas toucher la chatte. Elle est mauvaise. Elle est méchante.
988
France-Antilles, Toujours des heureux grâce… à Coca-Cola, 12 avril 1966, Archives Départementales de la Guadeloupe. La
boisson Coca-Cola est distribuée en Guadeloupe à partir du milieu des années 1960. Elle a une usine de mise en bouteille en
Guadeloupe. La marque s’impose grâce à des concours organisés à l’attention des consommateurs. Les prix sont alléchants : moto,
transistor, casier de boissons
989
France-Antilles, L’Etat-Major Coca-Cola en visite en Guadeloupe, 15 mars 1969, Archives Départementales de la Guadeloupe.
Des concours sont relayés par la presse de même les visites de la Direction Générale en Guadeloupe et dans les Caraïbes
.

288
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

déroule avec sensualité. Les parties du corps de Vyoléta « sensualisées » à souhait sont évoquées. Le
vagin est désigné par Ponponnèt. Le diagnostic révèle une grossesse présentée comme un « délit
populaire »
Pito sé koka kola
Sé kokekiko Violeta manjé990.
Et la métaphore de l’acte sexuel porté par le répondè s’impose dans le récit :
Manman an té bwè on coca-cola.
A chaque chanteur son image de prédilection. Sergius Geoffroy, emploie le terme Loli pour le
pénis. L’auteur de la chanson célèbre la noblesse de l’organe :
Pa mannyé Loli-la
Pa touché Loli-la
Pa mannyé Loli an-mwen
An kay fèw rantré an lopital -la991
Et lorsque la chanson n’évoque pas directement l’organe principal, elle rappelle dans Còclòtè d’autres
organes sexuels.
Ti fiy-la… Tété a-y pwenti, Laryèr a-y bonmbé992

En définitive, cette même thématique traduit la fusion de la Vie et des femmes. C’est une
célébration complexe car elle glorifie et stigmatise en fonction du rôle qu’occupe la femme. Par
ailleurs, elle montre la place qu’une valeur comme la Vie, occupe au sein des groupes sociaux pour
lesquels l’existence est difficile. Le chant aux femmes montre aussi à quel point la fabrication des
textes est marquée par les tensions du couple et par les considérations de genre. Pour la communauté,
le chant gwoka sert à endurer, à ne pas céder au découragement face aux vicissitudes de la Vie. Chanter
est un lieu de résilience.

990
Plutôt que le coca-cola, c’est l’acte sexuel que Violéta a mangé.
991
Ne touche pas au Loli… Je te fais admettre à l’hôpital.
992
Cette petite (mauvaise fille), les seins pointus, l’arrière bombé.

289
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Conclusion de la partie 2

Entre la naissance de Marcel Lollia dit Vélo en 1931 et la proposition musicale du musicien
Gérard Lockel en 1969, des hommes et des femmes pratiquent le gwoka au sein d’une communauté
singulière. Les hommes sont majoritairement tanbouyé ou chantè tandis que les femmes occupent
principalement le rôle de danseuse. Par ceux et celles qui sont les mieux renseignés, l’appartenance
ethnique des acteurs du gwoka est connue. Ce sont des Afro-Guadeloupéens. Ils sont largement
majoritaires. Quelques-uns, en l’occurrence deux Indo-Guadeloupéens et un Blanc créole, font aussi
vivre le gwoka durant cette période. Toutes ces personnes, quelque soient leurs origines se
différencient par leur adresse. Certains, nés dans une commune, se sont installés dans une autre qui est
devenue leur commune de référence pour le gwoka. Dans le cadre de notre étude, cette commune
d’adoption est plus pertinente que la commune natale. Car, par la commune de résidence, chaque
acteur du gwoka renvoie à un lieu précis, qui témoigne de l’exercice de la pratique sur l’ensemble du
territoire. Au sein de leur communauté, ces acteurs gagnent une image positive qui prend le contrepied
de la stigmatisation dont ils sont victimes, de la part d’une fraction de l’élite noire et de certaines
familles pauvres, même issues de la communauté. Cette confrontation d’images traduit les difficultés
d’intégration du praticien aux tambours.
Cette communauté au sein de laquelle évolue l’acteur du gwoka n’englobe, dans le cadre de
l’étude, que les îles proches d’un archipel dont le découpage s’effectue sur des critères multiples. Cette
communauté, que nous désignons par l’expression populaire, « zanfan-lanklo », est déterminée dans
ses discours, ses choix et ses pratiques, par une culture commune. Ses membres partagent cette culture
au sein d’un réseau de survie, indispensable à surmonter la précarité qui les caractérise. Ils ont
conscience de leur situation et créent, par le gwoka, des occasions de vivre ensemble.
Le partage est une valeur qui anime les relations au sein de cette communauté. Celle-ci nourrit
la vitalité des toutes les pratiques culturelles collectives. Celles qui sont admises de la société se font
ouvertement. Celles qui sont encore marginalisées s’exercent dans une logique de résistance. L’acteur
du gwoka est dans cette logique. Sa liberté en tant qu’être humain, libre de ses choix, passe par cette
logique de résistance. Nous avons montré comment il sacralise les choses en faisant passer le tanbou
d’un simple instrument de musique à un objet supérieur, par les matériaux qui le composent et le sens
qui l’habite. C’est aussi autour du tanbou que se déploient des mythes qui construisent son image aux
yeux des tanbouyé avec qui il constitue une autorité majeure dans l’exercice du gwoka. D’autres
hommes et objets sont aussi élévés à la fois au rang d’entités sacrées. Par ailleurs, la communauté met
en œuvre son propre rituel en s’appropriant le calendrier auquel elle applique l’organisation des
rencontres musicales aux tambours pour le travail et le repos, pour la célébration des défunts et pour

290
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

le carnaval. Le chant aussi participe de cette résistance. Il est pratiqué par les femmes ou par les
hommes, qui, en fonction des chanteurs ou chanteuses, célèbrent la Vie comme une valeur à protéger.
La sacralisation du gwoka toutefois, ne peut éviter le caractère profane d’une pratique reconnue
comme un art durant cette période indiquée. C’est par le disque, objet commercial que le tanbouyé
acquiert une visibilité médiatique. C’est par le spectacle que les chanteurs, danseurs, tanbouyé sont
présentés au grand public. Cette période de sacralisation des hommes et des choses du gwoka est celle
de la reconnaissance de l’artiste du gwoka. Le profane et le sacré s’exercent pour les mêmes rituels,
les mêmes hommes, les mêmes objets et les mêmes formes. Le gwoka sacré trouve là, ses limites. Les
acteurs de cette période pratiquent davantage un gwoka répondant du profano-sacré dont le schéma
qui suit présente les interactions entre les composantes.
Ainsi, entre 1931 et 1969, des acteurs, au sein de la communauté dite « zanfan lanklo »,
changent l’image négative du gwoka, en lui donnant un caractère profano- sacré. Mais, les femmes y
sont, à la fois, célébrées et stigmatisées. De plus, évitées par le disque, elles ne sont pas reconnues
comme artistes du gwoka. De ce fait les processus d’ostention, d’ostentation et de reconnaissance mis
en œuvre pour créer ce gwoka « profano-sacré », ne sont profitables qu’aux hommes. La correction
de l’image du gwoka, construite et véhiculée par la colonisation est de la sorte, limitée.
A partir de 1970, d’autres enjeux créent un autre acteur qui passe par d’autres voies pour
corriger l’image coloniale du gwoka. Ces voies conduiront-elles à une correction d’image plus
accomplie ?

291
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 35 : Schéma théorique du gwoka « profano-sacré »

I N S T R U M E N T M A J EU R

Tanbou → Ka
→ Chan
→ Bas
→ Kontrè-bas

ENV IRONN EM ENT A C T EU R S / A C T R I C ES V A LEU R S

Zanfan-Lanklo → Ruralité Individu Partage


→ Quartier Groupe Entraide
urbain populaire
Chantè, dansè, tanbouyé, Survie
Communauté chachayè
Vie

R EN C O N T R ES M U S I C A L ES

Léwòz, bamboula

Mas

Véyé, vénéré, Grap-a-Kongo


Bèlè
La-bòdé

SACRÉ PR O F A N E
Maître
Ostention Maître
Énergie Artiste
Symbole Ostentation
Mystère
Mort
B â to n
La-wonn
Masque
Musique
Danse
Chant

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

PARTIE 3 : POUR UN GWOKA CIVIQUE : LA NAISSANCE D’UN AUTRE TYPE


D’ACTEUR (1970-1994)

Introduction
Le civisme désigne le dévouement de l’individu ou du groupe pour la cité. L’individu
s’affranchit alors de ces préoccupations personnelles pour se mettre au service de la collectivité en
mobilisant ses atouts et compétences. Dans le cadre de cette étude, la notion nous rappelle, des actes
civiques en paroles, en manifestations de rue mais aussi en musique dans l’histoire des Noirs. Les plus
significatifs se déroulent aux Etats-Unis contre la ségrégation, de même en Afrique du Sud contre
l’apartheid. Il s’agit d’exiger le respect des droits fondamentaux pour la population noire. Les actes
musicaux civiques à ce propos, évoquent le nom de James Brown, Aretha Franklin, Myriam Makeba.
Ces auteurs-compositeurs créent des chansons politiques ou adaptent des chansons passant du ton
amoureux au ton politique993.
Nous désignons celui qui se dévoue pour le gwoka par « acteur civique ». La communauté à
laquelle il appartient est une communauté civique où un ensemble de personnes, unie par un lien défini,
se met au service de la cité. Dans le cadre de cette étude, la communauté civique est formée par
l’ensemble des acteurs du gwoka et la cité dont il est question est le territoire de la Guadeloupe. Il
s’agit de montrer ces acteurs non plus dans un acte profano-sacré, mais d’étudier leur transformation
pour l’exercice d’une autre fonction, construite au cours de ces vingt années de la fin du XXè. Ils
forment une communauté élargie qui accomplit un acte civique. L’étude de cette mutation mobilise de
nouvelles notions. Et d’abord, la notion de mouvement. Dans notre étude, le mouvement est à la fois
social, politique et culturel. Il peut impliquer un leader, une organisation, une cause à défendre, des
actions publiques qui rendent visibles cette cause. Mais parfois, il désigne juste un terme par lequel un
regroupement de personnes ou une association se désigne, même lorsque l’objet concerné ne répond
pas à un mouvement proprement dit.
La notion de « gwoka moderne » est tout aussi complexe. Elle décrit une nouvelle forme
musicale dans le domaine du gwoka. Mais la modernisation du gwoka ne peut se limiter à une forme.
Celle-ci comprend toutes les propositions qui modifient la pratique habituelle telle qu’elle se décrit au
sein du cercle familial ou amical, sans s’en affranchir réellement. Ces propositions relèvent, dans ce
cas, de traditions modernisées comme elles ont pu être explorées dans la deuxième partie de l’étude
pour la période des années 1930-69. Par conséquent, nous employons le terme de gwoka modèn ou
modên pour désigner la forme musicale créée par Gérard Lockel telle qu’il l’a nommée et, réservons
le terme de moderne pour tout ce qui concerne les autres actes de modernisation du gwoka.
La notion d’innovation couvre aussi cette partie. Elle montre, de nouvelles logiques d’acteurs,
de nouveaux enjeux qui démocratisent la pratique. Elle intervient dans cette étude pour exprimer
l’inattendu constructif, qu’il s’agisse de nouveaux espaces d’exercice, de nouveaux produits, de
nouveaux acteurs. Toutes les nouveautés ne relèvent pas forcément d’une innovation.
Par ailleurs, chaque fois que l’étude traite du « pays », c’est la dimension politique qui est
envisagée. Cette dimension étant une préconisation des mouvements nationalistes indépendantistes,

993
Valérie BONNET, « Revendication et politiques en paroles : chansons de la communauté noire américaine », Mots. Les langages
du politique [En ligne], 70 | 2002,

293
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pour évoquer la Guadeloupe dans son statut réel, c’est la notion de territoire qui est prioritairement
employée.
Enfin, la notion de patrimoine termine cette troisième partie. Elle s’appuie sur des logiques de
sauvegarde, de protection, de développement. Elle touche à la fois la pratique et les hommes en
particulier le tanbouyé, Marcel Lollia dit Vélo. Elle rencontre et se confond même avec une autre
notion, celle de la mémoire. Celle-ci désigne la réception du fait historique et sa restitution par les
groupes qui l’ont vécu. Mais si la mémoire ne répond pas à une construction rigoureuse initiée par un
individu ou par un groupe, si elle se limite juste à l’évocation des faits et des hommes, elle est
considérée dans l’étude comme un simple souvenir et désigné comme tel.
Ainsi, découpée en chapitres, cette troisième partie montre le processus par lequel le centre de
gravité de la communauté gwoka passe du profano-sacré au civique sans pour autant éliminer le sacré.
Pour cela, au chapitre 7, les acteurs de cette communauté désormais élargie à un groupe plus éclectique,
sont présentés. La différence avec les acteurs de la période précédente c’est que la majorité d’entre eux
est en vie et encore opérationnelle. A chaque groupe d’acteurs est attribué un statut. Il y les partants,
les arrivants et les anciens qui poursuivent. En dépit de ce statut, ils échangent et l’objet de l’échange
est le gwoka. Toutefois, comme précédemment, certains sont explicitement nommés dans l’étude.
L’intérêt qui leur est porté s’explique par l’intensité de leur apport. Mais ils ne sont pas cités pour eux-
mêmes. Ils sont les représentants du rôle qu’ils occupent. Parmi les arrivants, certains occupent un rôle
atypique dans le gwoka (théâtre, écriture, poésie, photo…) et les intellectuels changent la sociologie
de la communauté. Ces nouvelles donnes laissent à penser, d’un premier regard, que cette période est
en rupture avec la précédente.
Parmi les arrivants, une place particulière est faite à deux groupes, celui des femmes et celui
des rastas. Mais la Guadeloupe n’a pas inventé le rastafarisme, le mouvement s’est juste adapté au
terrain. C’est pourquoi, avant de montrer leur rapport au gwoka, le mouvement est décrit dans son
adaptation en Guadeloupe. De même, les femmes ne sont pas nouvelles dans le gwoka. Toutefois, c’est
par ce groupe que les notions de marginalisation, d’innovation et de genre se croisent sur la période.

Le contexte de mutation de cette communauté est décrit au chapitre 8. C’est là que la notion de
994
« péyi » prend son sens telle qu’elle est vécue en Guadeloupe. En effet, rêvé et revendiqué, le
« péyi » demeure fictif dans sa réalité politique. Le péyi est avant tout une notion sentimentale. Cette
complexité invite à manipuler la notion avec précaution. Par ailleurs, du point de vue des échelles
d’étude, le contexte de mutation de la communauté ne se limite pas au local. Ce qui se passe en France
et dans le monde participe aussi à la construction de l’acteur civique en Guadeloupe. Du point de vue
chronologique, en dehors des difficultés de l’économie sucrière en Guadeloupe à partir de 1966,
d’autres mutations interviennent au cours de la décennie 1970. Mais, les faits économiques, politiques
et culturels s’enchevêtrent d’une part et, d’autre part l’interprétation littéraire et artistique de ces faits
les prolonge sur deux voire trois décennies plus tard. La chronologie se trouve bousculée par ces
chevauchements.
Les acteurs et le contexte étant décrits, c’est le dernier chapitre qui dévoile le déclenchement
de la construction de l’acteur civique du gwoka par ses leaders et les réponses diversement apportées.
Celles-ci sont le fait d’individus, d’ensembles musicaux ou plus largement de troupes artistiques
(théâtre, danse, poésie…) que nous désignons aussi par « groupes « dans l’étude. Ces ensembles ou

994 Traduction française : pays

294
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

troupes explicitement nommés détiennent le même statut que les individus nommés c’est-à-dire qu’ils
sont des représentants de tous les « groupes » qui apportent des réponses à cet appel.
Ce dernier chapitre s’attarde sur la confrontation des deux leaders que tout oppose de prime
abord avant l’étude de leur appel respectif. C’est autour de la notion de sauvegarde que s’articule leur
appel. Elle s’applique aux pratiques. Elle s’applique aux hommes. C’est ainsi que Marcel Lollia, en
tant que figure à sauvegarder, termine notre étude.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

296
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE 7 : DES ACTRICES ET ACTEURS D’UN AUTRE PROFIL ?

A- Des anciens aux nouveaux : Etude comparative

1- Partir, demeurer, arriver

Notre échantillon montre que le nombre d’acteurs augmente considérablement de la première


période (1931-69) à la 2è période (1969-1994). Il passe de 244 soit 204 hommes et 40 femmes pour la
première période à un total de 345 pour la 2è période soit 287 hommes et 58 femmes. Sur les 90 acteurs
qui ont servi de base à l’étude de la première période, ceux qui poursuivent la pratique sont au nombre
de 71. Quelques-uns, en très faible nombre par rapport à l’ensemble ne sont plus opérationnels dès les
années 1970. Les circonstances connues du départ de chacun d’eux montrent que leur retrait est relatif
ou rarement volontaire.
La mort surprend le chanteur et probablement tanbouyé Solange Pé-en-Kin en 1940 ou 1944 lors de la
Bataille de Paris durant la 2è Guerre mondiale995. De même le tambouyé Roger Sienzonit décède d’un
malaise brutal en 1963996. La fin de la décennie 1970 est marquée par le décès de plusieurs de nos
acteurs. A l’occasion du décès de Marcel Lollia en 1984, des témoignages sont recueillis de la part de
ses compagnons de musique. A cette occasion, Magloire Louis-Victor dit Napoléon, chantè ayant
accompagné les tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo et Ernest Vilus Octavien évoquent ce dernier au
passé. La brochure Almanaka indique à son sujet, l’année 1976 comme date de décès. L’année suivante
décède le dansè du léwòz Canfrin Aloïs dit Lolo le 5 décembre 1977997.
Un an plus tard, le 19 septembre 1978, Francillette Antoine dit Bloncourt tanbouyé et chantè de la
troupe Emeraude décède. Mais l’évolution d’une troupe a des incidences sur ses membres. Celle de la
troupe La Brisquante est significative à cet effet. En effet, au cours des années 1970, la direction
artistique passe à Henri Luchel qui poursuit les activités de la troupe à Paris. La fondatrice et directrice
de la troupe initiale, Aimé Adeline décède en août 1977. Ses funérailles sont couvertes par la presse
qui montre la reconnaissance à son égard et rappelle la personnalité qu’elle était, à travers la présence
des personnalités politiques et de la haute administration. Le gwoka l’accompagne au cimetière de
Pointe-à-Pitre998. Avec son décès, des dansè disparaissent de cette deuxième période. Ils ont pu intégrer
d’autres troupes ou se consacrer à d’autres activités. C’est le cas de Charlie Chomereau-Lamotte. Il
poursuit, en professionnel de la percussion, par la batterie et les bongos. On le retrouve notamment
dans l’interprétation de titres gwoka sur des albums de type nouveau999.
De même, le musicien Hildevert Camille Soprann continue de s’intéresser au gwoka. De sa
collection de disques, il échange quelques-uns du registre gwoka avec le producteur Henri Debs. Il
enregistre la musique des mas-a-Sen- Jan à l’invitation d’un de ses leaders Turenne Ambrosio en
compagnie de membres de l’ensemble musical Vikings, Guy Jacquet et Pierre Edouard Décimus, dans

995
Voir chapitre 6. C2, un chanteur-éclair et quelques chansons.
996
Voir chapitre 6, A1, Marcel Lollia, maître-tanbouyé entre gloire et martyr.
997
Mention portée à l’acte de naissance n°17, 1899, le 7 octobre 1982, Capesterre Marie-Galante.
998
France -Antilles, Au son du gwoka, Madame Aimée Adeline était conduite à sa dernière demeure, 18 août 1977, Archives
Départementales de la Guadeloupe.
999
Il est joueur de bongos sur l’album Fabiano Orchestra enregistré en Guadeloupe, Butterfly Island, Label Franck. R Record West
Indies, 1978.

297
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

le but de créer des nouveaux styles musicaux. Il crée une musique le gazz jazz qui mélange les
musiques du léwòz et la biguine1000. Il devient musicien producteur et enregistre sur un 33tours, trois
musiciens du gwoka parmi lesquels Robert Loyson1001.
Des retraits semblent volontaires mais c’est avec regret que ces acteurs racontent les
circonstances dans lesquelles ils quittent le gwoka. Le témoignage des femmes montre à quel point les
normes sociales peuvent compromettre des passions. Micheline Hatchi1002 est danseuse de la troupe
Emeraude depuis l’âge de 10 ans. Elle est issue d’une famille où la musique est très présente. Ses
cousins maternels font de la musique au domicile de sa grand-mère avec des instruments rudimentaires
comme l’harmonica à partir du peigne ou la flûte artisanale réalisée à partir de la tige d’une feuille de
papayer. En classe de 6è, elle intègre par amour pour la danse, le ballet du lycée Gerville-Réache où
elle est scolarisée. Elle participe aux tournées en Guadeloupe. Elle voyage en Martinique à l’invitation
du ballet par Loulou Boislaville1003. Mais au moment où la troupe, devenue Emeraude, s’apprête à se
produire au Festival de Confolens, elle ne peut s’y rendre car elle se marie la même année et prépare
son concours d’infirmière.
De même, Jacqueline Thétis, danseuse de la troupe La Brisquante est favorite de la troupe au
temps de « Monsieur Lollia » comme se désigne Marcel Lollia par les membres de la troupe. Elle
danse en solo sur scène au son du tanbou de Marcel Lollia qui la suit, rythmant ses pas. La Brisquante
anime les arrivées et départs des bateaux de croisière. Mais, en 1969, elle quitte la Guadeloupe pour la
France pour des raisons économiques. Toutefois Solange Bach dite Man Soso, de la génération
précédente, qui pourraît être la mère de ces jeunes femmes, poursuit ses activités gwoka de danse et de
chant dans un espace qu’elle structure1004. An-ho, c’est le nom par lequel le local qu’elle fait construire
se distingue de la maison de Man Soso située un peu plus en contrebas de la structure à léwòz. Ce local
est une construction légère voire rudimentaire faite de tôles. L’an-ho comprend un espace de
restauration et un autre pour la musique. Les deux espaces sont séparés par une balustrade
rudimentaire, réalisée à partir d’une grande branche utilisée généralement en guise d’étaie. La
communication en est facilitée entre tous les participants du léwòz. La structuration de cet espace
confirme que Man Soso est un acteur-double où se confondent les rôles centraux de dansè, chantè et
le rôle périphérique d’organisatrice de léwòz. En dépit du caractère informel de la structure, ce local
contribue à l’évolution spatiale du paysage gwoka en pérennisant Jabrun, comme un lieu du léwòz. Le
besoin peut dépasser les normes sociales pour des actrices du Man Soso qui n’ont d’autres choix que
de saisir des opportunités de survie au sein même du gwoka. Pour ce qui est des retraits, Gérard Lockel,
lui, quitte la Guadeloupe en 1951 mais revient en 1969 avec un projet pour le gwoka. Nous y
reviendrons.
Parfois les départs s’expliquent par la concurrence entre les pratiques socio-culturelles de
même qu’entre les territoires. Pour la génération des années 1940, Guy Conquet, en choisissant de
quitter la Guadeloupe pour la ville de Paris, provoque l’arrêt des activités gwoka de l’accordéoniste
Casimir Reynoir. Celui-ci continue d’animer des quadrilles organisées par la mère de Guy Conquet.

1000
Témoignage de Camille Soprann Hildevert dans Camille Sopran’n autobiographie…, Editions La fontaine secrète, 2014, pages 66-
71.
1001
Album Robert Loyson présente Tagliamento. F, Sambin.R, La Guadeloupe trenglé, Label Disques Sopran’n, 1982 (information de
Camille Hildevert Sopran’n en 2011, collecte personnelle) ou 1978 (information de Harry Célini, fils du producteur Raymond Célini,
émission de Michel Marvel, 5 avril 2018)
1002
Témoignage Micheline Hatchi, juin 2017, Ste Rose, collecte personnelle.
1003
Troupe de danses de la Martinique. La troupe porte le nom de son directeur.
1004
Témoignages : Man Soso, décembre 2011-mars 2012 / Témoignage de Reynoir Casimir dit Négòs, février 2011, collecte
personnelle.

298
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais ce n’est qu’occasionnellement qu’il délaisse les quadrilles de la région du nord Grande Terre
pour les léwòz de Jabrun lors des rares passages de Guy Conquet. Et ce sont les quadrilles qui mettent
Marcel Cusset en retrait du gwoka. Il préfère être commandeur. C’est une fonction « noble » au sein
des quadrilles au commandement. Le commandeur en est le chef d’orchestre. Cette fonction est
interprétée par Dominique Cyrille comme une réinterprétation africaine de la parole. Le détenteur de
la parole et le maître tambour sont les principaux conducteurs de la danse et de la musique. Le
commandeur par la parole connaît la structure mélodique et rythmique de la musique de même que
tous les mouvements du corps produits lors de la danse. Le commandeur par le tambour détient aussi
cette performance. Chez des peuples comme les Akan au Bénin, les tambours sont appelés par les
chercheurs « tambours-parleurs » tant ils sont capables de conduire le danseur par le biais de
l’instrument.1005 Le tanbouyé peut passer aisément au commandeur et vice-versa. C’est donc la même
fonction qui s’exerce à travers des langages différents. Les quadrilles sont d’origine européenne mais
la fonction de commandeur participe à leur négrification. Marcel Cusset en passant volontairement de
l’un à l’autre, en réalité, garde inconsciemment la même fonction.
Au total, le nombre de départs est faible. Les acteurs du gwoka sont fidèles à leur pratique.
Nous proposons de dresser un tableau qui montre cette fidélité. Nous prenons en compte uniquement
ceux qui sont décédés avant 1994. Ces acteurs, doyens de notre échantillon, jusqu’à ce que la mort
vienne les soustraire du groupe des anciens, se joignent aux arrivants.

1005
Dominique Cyrille, A la rèpriz, Une étude des quadrilles de la Guadeloupe, Editions Nestor, Guadeloupe, 2009, page 132

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 36: Coupure de presse, Obsèques aux tanbou, Pointe-à-Pitre,1977

Aimé Adeline : un cortège au son du gwoka, 18-08-71977

300
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 37 : Tableau du temps de pratique des doyens du gwoka

Nom/ Prénom/ Surnom Durée de vie Age au décès Durée connue Nombre Rôle d’acteur central
ou sobriquet ou année de de la pratique d’années
naissance du gwoka consacrées au
gwoka1006
Bernis Antoinette dite 1890-1986 96 ans Années 1930- 40 Dansè, tanbouyé, chantè
Achoun années 1970
Canfrin Lois dit Lolo 1899-1977 78 ans 1946-471007 à 30 Dansè
1977
Francillette Bloncourt 1908-1978 70 ans Années 1950- 20 Chantè, tanbouyé
années 1970
Gêne Valcourt 1911-1983 72 ans Années 1940- 40 Chantè
(disparu) 1983
Germain-Calixte 1922-1987 65 ans Années 1940- 40 Chantè
Gaston dit Chaben 1987
Geoffroy Sergius 1944-1992 48 ans Années 1960- 30 ans Chantè
1992
Kacy Gabin dit Ravèsèl 1890-1989 99 ans Années 20 Tanbouyé
1950- 1970s
Lollia Marcel dit Vélo 1931-1984 53 ans Années 1940- 40 Tanbouyé-chantè-dansè
1984
Loyson Robert 1928-1989 61 ans Années 1950- 30 Chantè
milieu des
années 1980
Pé-en-Kin Solange dit 1902-1940 42 ans 1936-1939 3 ans Chantè, tanbouyé
Soso ou 1944
Ponture Laurenza 1900-1983 83 ans Années 1930 40 Dansè
aux années
1970
Sienzonit Roger 1926-1963 37 ans 1946-1963 10 Tanbouyé

Les arrivants ne sont pas toujours des fils et filles des anciens. Ils sont nés entre 1950 et 1980.
La tranche des 1950-60 est la plus âgée et la plus nombreuse. Progressivement, de la décennie de
naissance 1950-60 à celle de 1980, décennie à laquelle nous avons arrêté nos prélèvements, le nombre
d’acteurs diminue considérablement. Il passe de 50 personnes nées en 1950-60 à 15 personnes nées en
1970 et à 2 nées au cours de la décennie 1980. En 1994, en fin de période, les plus nombreux, c’est-
à-dire ceux qui sont nés entre 1950 et 1960 sont quarantenaires et trentenaires. Ils ont gagné 10 ans de
plus par rapport à la période précédente dont les plus nombreux étaient âgés de 40 à 20 ans. De même,
le nombre de praticiens les plus jeunes, enfants ou à peine sortis de l’adolescence, est nettement moins

1006
Lorsqu’elle n’a pu être vérifiée, l’année est remplacée par la décennie.
1007
Témoignage de Man Soso qui le connaît comme danseur des léwòz de Jabrun et des bamboulas de Baie-Mahault.

301
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

nombreux comparativement à la période précédente. Ces jeunes sont au nombre de 2 contre 6


auparavant : Magen Julie Sohad et Augusty Maddijah Maëva.
Toutefois, des gens plus âgés font leur entrée dans le gwoka. Ils sont nés en grande majorité au
cours de la décennie 1940. L’un d’eux est né en 1922. Deux d’entre eux sont nés au cours de la
décennie 1930. Ces acteurs sont représentés dans notre échantillon par 21 personnes soit 18 hommes
et 3 femmes. Les trois femmes sont nées en Guadeloupe. Ce sont Marie-Céline Lafontaine née en
1937, Jacqueline Cashemire née en 1942 et Dagonia Viviane née au cours de la décennie 1940. Parmi
les 14 hommes, trois n’y sont pas nés et deux n’y ont aucune d’attache familiale. En effet, Paco
Rabanne est un Italien, couturier et parfumeur de renom à Paris. Ce n’est pas un acteur central. Mais
il s’investit dans le gwoka en tant qu’artiste-mécène en financant la production de deux disques gwoka
de l’ensemble musical Tumblak à Paris en 1978 et en 1981 1008 . L’ensemble musical composé
d’instruments à vent, à cordes et de tanbou comprend des musiciens guadeloupéens en particulier des
tanbouyé, et des musiciens de pays de la Caraïbe et du monde1009 comme indiqué au recto de la
pochette de l’album. L’autre, Winston Berkeley ou Berkley est le guitariste de Guy Conquet pour le
concert enregistré à la salle Wagram à Paris en 19781010. Il est né à la Martinique.
Comme leurs prédécesseurs, les acteurs de cette période sont en très grande majorité des
Guadeloupéens. Toutefois, cette origine signifie soit une naissance en Guadeloupe soit des attaches en
Guadeloupe par au moins un des deux parents. Cette 2è catégorie correspond à des personnes qui ont
pris naissance accidentellement en dehors de la Guadeloupe, au cours du séjour de leurs parents dans
la France hexagonale pour des études ou une activité professionnelle temporaire. Quatre sont nées à
Paris, une à Aix-en-Provence, un autre à Bordeaux. Robert Dieupart est né au Tchad. C’est un acteur
du gwoka dans le domaine du théâtre et de l’animation radio.

Concernant le phénotype, l’échantillon des nouveaux reflète celui des anciens. En effet, pour
les Noirs, l’apparence physique est aussi variée et difficile à identifier entre la peau plus ou moins
claire voire blanche et les cheveux plus ou moins crêpus et plus ou moins lisses voire plats. Parfois la
peau est claire voire blanche alors que l’arrière grand-parent a la peau noire1011. Le nom Magen par
exemple a été attribué à deux affranchis de 1848, Alexis et Rosiette dans la commune de Petit-Canal
en Guadeloupe. Leur descendante Julie dit Sohad, actrice du gwoka a la peau blanche. De même
Jacqueline Etienne, Philippe Poulet et Françoise Lancréot sont des Guadeloupéens à la peau très claire
qui portent des patronymes de même origine historique que la famille Magen. Philippe Poulet, né à
Grand-Bourg Marie-Galante découvre le gwoka par son cousin originaire de Trois-Rivières occupant
une activité professionnelle à Marie-Galante. Celui qui l’a initié au gwoka a la peau claire comme la
sienne avec de cheveux moins lisses1012. Jacqueline Etienne témoigne aussi d’un Blan-péyi1013 du nom
de Marcel Wachter qui l’accompagne aux léwòz.
Parfois, ni le nom ni le phénotype ne correspondent au groupe des Noirs. Ce type de
Guadeloupéen trouve deux représentants parmi nos nouveaux acteurs. Ce sont Jean-Pierre Phipps et
Jocelyn Virapin. La réponse de ces deux acteurs sur la question du lien entre leur phénotype et la

1008
Témoignages de Jocelyn Virapin, de Daniel Losio, de Marcel Magnat, février 2018 et avril 2019.
1009
Albums Tumblak, Editions Paco Rabane, Paris, 1978 et 1981, Collection Daniel Losio.
1010
Album Guy Conquette et le groupe Ka, La Gwadloup an dérout, Uniteledis, 1978. Le nom de Winston Berkley figure parmi les
musiciens du concert.
1011 Le grand-père de Sohad Magen, Aristide Magen (1915-2001) est originaire de Petit-Canal. Sa peau est très foncée.
1012
Témoignage Philippe Poulet dit Pipo (né le 22-01-70), 3 juin 1970, Grand-Bourg Marie-Galante.
1013
Blanc aux origines guadeloupéennes sur plusieurs générations.

302
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pratique du gwoka rappelle celle d’acteurs plus anciens Max Rambhojan et Judes Janackdoulary dit
Ti-Jid qui poursuivent leur activité :
Jocelyn Virapin : « Moi je suis un Guadeloupéen, je ne regarde pas les histoires de nègre ou d’indien, je
fais tout ce qui est Guadeloupéen1014 »
Jean-Pierre Phipps : « Patronyme et parent attributaire du patronyme : Phipps (papa)
Origine géographique de l'attributaire du patronyme : Marygalant, Gwayav1015
Phénotype : nègre, indien de Guadeloupe, An pa nèg, an pa zendyen. An ni nèg an fanmi anmwen men
an pa ni zendyen an fanmi anmwen. Papan mwen sété on milat, manman mwen sété on kapwès1016 »

Pour la localisation des acteurs, à cause de ces naissances accidentelles, la prise en compte de
la commune de référence en Guadeloupe pour les acteurs de cette période nous semble plus judicieuse.
Le fait le plus marquant est la concentration des acteurs dans la ville de Pointe-à-Pitre. En effet,
nous avons recensé 37 hommes pour 11 femmes dont cette capitale économique est la ville de
référence. Pointe-à-Pitre dépasse de loin les autres communes. C’est une localisation qui se renforce
par rapport à la première période où les acteurs étaient représentés par 4 hommes pour une femme. La
ville de Pointe-à-Pitre avait déjà fait l’objet d’une étude particulière par le fait qu’elle se situait par ses
activités et son type d’aménagement entre l’urbanité et la ruralité. Pour la période en cours, c’est la
tertiarisation de l’économie qui crée l’attractivité de cette ville. Les mobilités internes de la
Guadeloupe profitent à la ville de Pointe-à-Pitre, capitale économique et lieu du tertiaire par
excellence.
Ainsi, l’attractivité de la ville de Pointe-à-Pitre n’est pas créée par le gwoka. C’est une
évolution générale qui résulte de plusieurs facteurs. Le gwoka ne fait qu’en profiter. En effet,
l’amélioration du réseau routier de Pointe-à-Pitre vers les communes de Morne- à- l’Eau, Sainte-Anne,
Ste Rose, Capesterre, Basse-Terre renforce la macrocéphalie pointoise. Le port de Pointe-à-Pitre
confirme la vocation commerciale de la ville même si progressivement les activités portuaires se
déploient sur la zone de Jarry au début des années 19701017. Et, pour faire face à l’exode rural, la
municipalité de Pointe-à-Pitre comme celle des autres villes insulaires de Fort-de-France et de St Denis
de la Réunion développe le logement collectif à caractère social. L’habitat insalubre s’en trouve réduit
et l’exiguïté spatiale du territoire de Pointe-à-Pitre favorise l’extension urbaine vers les quartiers du
Raizet et de Grand Camp. La concentration de la population dans la ville de Pointe-à-Pitre déborde sur
les villes avoisinantes et forme avec Les Abymes, le Gosier, Baie-Mahault et Ste Anne, une entité
urbaine composée de plusieurs communes d’au moins 2000 habitants en totalité et présentant une
continuité. Cette unité urbaine comprend les habitants de la ville intra-muros de Pointe-à-Pitre. Mais
entre 1982 et 1990, ceux des communes de l’unité urbaine qui s’installent dans la ville-centre ou encore
qui, tout en demeurant dans les communes précitées, entretiennent des relations avec cette ville-centre
grâce au développement du réseau routier1018.

1014
Communication de Jocelyn Virapin, janvier et avril 2019.
1015
Marie-Galante, Goyave.
1016
Phénotype : nègre, indien de Guadeloupe. Je ne suis pas nègre, je ne suis pas indien. J’ai des nègres dans ma famille mais je n’ai
pas d’indien (Indo-Guadeloupéen) dans ma famille. Mon père était mulâtre, ma mère était une câpresse (femme noire issue des parents
blanc et noir identifiable à la peau claire et aux cheveux crêpus)
1017
Jean-Pierre Chardon, Le port de Pointe-à-Pitre, Les cahiers d’outre-mer, année 1973, 26-101, pp 56-86.
1018 Michel Desse, Hiérarchies et polarisations urbaines récentes en Guadeloupe, Martinique et Réunion, Cahiers d’Outre-Mer, Année

1998, 51-201, pp 65-88.

303
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La pratique du gwoka dans les communes et villes principales se vérifie pour les petites îles.
En effet, Grand-Bourg et Terre-de-Haut concentrent les nouveaux arrivants pour Marie-Galante et les
Saintes.
Cette concentration crée une rupture nette avec la période précédente pour laquelle, la pratique se
dispersait dans des communes diverses. Voici venu le temps du développement du gwoka urbain
différent du « gwoka de lanklo ». Le milieu social marque la différence.

Figure 38 : Graphique des âges des nouveaux acteurs

Graphique des âges : Nouveaux acteurs arrivants au cours de la période 69-941019

60

50

40

30

20

10

0
1930 1940 1950 1960 1970 1980

Le graphique prend en compte tous les acteurs dont la décennie de naissance est attestée (témoignages, actes de naissance) soit
132 personnes

304
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 39 : Photographies pochettes albums gwoka, Paris, 1978 et 1981

Disques Tumblak : composition de l’ensemble musical (pochette recto)

Album Tumblak, Studio Barclay, Editions Album Tumblak, Studio Barclay, Editions
Paco Rabanne, Paris, 1978. Paco Rabanne, Paris, 1981.

305
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 40 : Carte des communes de référence des acteurs

COMMUNES DE REFERENCE DES ACTEURS DU GWOKA {1969-1994)

Ville de
POINTE A PITRE
37/U

MARIE- GALANTE

LÉGENDE

Communes de Référence.

5/2 Nombre d'hommes 1 Nombre de femmes .

La carte représente uniquement les acteurs arrivants quelque soit leur âge. Ne sont représentés que les acteurs pour
lesquels la commune de référence est connue soit 90 personnes.

306
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Un environnement social éclectique

La communauté circonscrite à environnement social pauvre, ne constitue plus l’environnement


exclusif du gwoka. Si elle s’est construite par le faible niveau de scolarité et la précarité sociale de ses
membres, une autre communauté lui fait place, elle ne s’identifie plus au niveau de vie. Au contraire,
elle réunit l’ensemble des acteurs, eu égard à leur statut social dans un lyannaj c’est-à-dire un ensemble
de personnes de tous horizons, qui nie le statut social pour se consacrer à une cause commune. Le
gwoka est désormais porté par une société civile. Les arrivants donnent à la communauté ce nouveau
profil. Leur occupation professionnelle reflète leur niveau d’études. L’ensemble de nos acteurs
arrivants, bénéficie d’une scolarité plus ou moins longue au cours de cette période de scolarité
généralisée. En dépit des problématiques éducatives posées par des spécialistes pour la période etudiée,
c’est l’offre scolaire qui nous intéresse afin de démontrer du profil social des nouveaux acteurs.
Antoine Abou, enseignant et chercheur dans l’histoire de l’éducation rappelle en 1984
l’évolution de la scolarité en Guadeloupe depuis l’esclavage :

A la Guadeloupe par exemple, on passe d’un taux de scolarisation négligeable dans la période
esclavagiste à un taux voisin de 50% dans les années 1920. Aujourd’hui, dans l’ensemble de la
population, plus d’un Guadeloupéen sur 4 est scolarisé et cette scolarisation dans l’enseignement
primaire est intégrale 1020.

En dehors des instances académiques, les chiffres de la scolarité sont connus des organisations
syndicales. En dépit de leur interprétation ciblée à des fins revendicatives, ces chiffres rendent compte
de l’offre de formation. Ce ne sont pas des chiffres officiels mais ils donnent une idée de la formation
en Guadeloupe.
Le Bulletin syndical Lékòl Bis devenu Lékòl crée par le Syndicat Général de l’Education en
Guadeloupe imprime son premier numéro en 1977. Dès ce premier numéro, le syndicat évalue
l’étendue de l’offre scolaire, du primaire au lycée polyvalent et au lycée professionnel. Il s’appuie sur
les chiffres de l’orientation scolaire pour l’année 1974-75 vers l’année 1975-76 :
Ceux qui se présentent au Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC) sont nombreux. Le
groupe atteint plus d’un millier de candidats. Des centaines d’élèves se présentent au Baccalauréat
général comme au Bac technique1021. Pour le secondaire, trois lycées assurent jusqu’aux années 1980
l’essentiel de la formation. Ce sont les deux plus vieux lycées de la Guadeloupe ; Carnot à Pointe-à-
Pitre, Gerville-Réache à Basse-Terre. En 1965, le lycée Baimbridge est crée et reçoit sa première
promotion en 1968. A partir des années 1980, dans le cadre du transfert de compétences de l’Etat aux
collectivités territoriales par la décentralisation, progressivement le paysage scolaire change. Il
s’enrichit de nouvelles structures. C’est ainsi que des lycées construit par la Région Guadeloupe,
s’implantent dans de nouvelles communes, élargissant ainsi l’offre scolaire. On peut citer le Lycée

1020
Antoine Abou, La scolarisation à la Guadeloupe, présentation d’une thèse, Histoire de l’Education, année 1985, N°26, page 73-
75. La thèse de doctorat s’intitule : Un siècle de scolarisation à la Guadeloupe, 1848-1948, soutenue le 25 janvier 1984 à Paris V sous
la direction de V. Isambert Jamati, 763 pages.
1021 Journal L’EkolBis, L’orientation scolaire en Guadeloupe article) Pour une école au service des Guadeloupéens, Bulletin du

SGEG (Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe), 1977, page 3 et 4.

307
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Agricole crée en 1982. Le lycée polyvalent Faustin Fleret à Morne à l’Eau ouvre la même année et est
inauguré en 1985. Le lycée général et technologique de Providence est construit comme une Unité
Pédagogique Provisoire en 1991 avant de devenir un lycée de plein exercice.
Pour ce qui est du post-Bac, l’offre s’élargit aussi progressivement. Les années 1970 sont celles
de l’ouverture de l’UER Sciences à la Pointe Fouillole de Pointe-à-Pitre. D’autres établissements
comme l’Ecole Normale dispensent aussi une formation supérieure en Guadeloupe. Cette offre de
formation secondaire et supérieure augmente le niveau d’études. C’est ainsi qu’en 1993, les 175
Guadeloupéens qui intègrent, pour la première promotion, la licence en Sciences de l’Education à
l’Institut de formation des Maîtres (IUFM) sont de niveau Bac +2 à Bac+61022. Les étudiants de la
Guadeloupe sont répartis entre les villes universitaires françaises, la Guadeloupe et la Martinique.
Du point de vue de notre échantillon, les étudiants post-bac des années 1960-1970 sont
représentés par les occupations professionnelles plus intellectuelles que manuelles comme les
employés, les artistes, les fonctionnaires de même que ceux qui exercent une profession libérale. Leur
période d’occupation professionnelle comme étudiant est sous-entendue par leur occupation
professionnelle définitive. Mais les scolaires ou étudiants au cours de la période étudiée sont regroupés
dans une même occupation professionnelle désignée par « scolaire ou étudiant ».
L’arrivée des intellectuels constitue la grande nouveauté au sein des acteurs du gwoka entre
1970 et 1994. Mais, par intellectuel, il faut entendre celui ou celle qui produit de la pensée dont il n’en
fait pas forcément sa profession. Les nouveaux acteurs de la période en question ne sont pas tous des
intellectuels. Mais les professions qu’ils exercent relèvent principalement d’une activité intellectuelle.
Nous avons préféré à l’intellectuel, l’activité intellectuelle, présentée sous des rubriques précisant
l’activité des acteurs, d’autant que l’identification de l’intellectuel est complexe et que la profession
ne l’induit pas forcément. Ainsi, l’activité intellectuelle est sous-entendue sous les professions de
musiciens, de chorégraphes, de créateurs de mode, d’employés de commerce, de juristes,
d’enseignants, de journalistes… Arrivent en tête les professionnels de l’Education pour les trois
cycles : primaire, secondaire et universitaire. De même l’activité intellectuelle est celle des employés
ou cadres d’entreprises, incluant les personnels des entreprises commerciales et d’autres types
d’entreprises comme les hôtels et les hôpitaux ou les aéroports. S’y ajoutent les professionnels de la
communication comme les animateurs radio et les journalistes professionnels. Les chercheurs et les
rédacteurs amateurs d’articles de presse exercent aussi une activité intellectuelle. Ainsi la communauté
gwoka est en mutation. Celle-ci ne peut-être sans effet sur les enjeux de la pratique.

1022
Université des Antilles et de la Guyane, Sciences de l’Education, n°4, 1er semestre 1993, page 4.

308
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 41 : Graphique des occupations professionnelles (1969-1994)

Le graphique prend en compte les acteurs dont la profession est connue soit 119 personnes.

Car, pour la période précédente le secteur primaire était fortement représenté avec les petits
métiers de la terre, de la mer, du bâtiment et de l’artisanat. Les difficultés sociales étaient favorables à
la construction d’une communauté circonscrite, qui servait de cadre au gwoka.
Mais cette fois, pour la période en cours, les nouveaux arrivants du secteur primaire ne
représentent que 9% des acteurs. Contrairement à leurs prédécesseurs, ce sont des personnes qui ont
choisi de vivre de l’agriculture, de la pêche, du bâtiment et de l’artisanat. Ce n’est plus une occupation
professionnelle par défaut car ces professionnels ont acquis une formation scolaire qui leur donne la
maîtrise de leur activité. Mais le secteur primaire est-il si éloigné de nos acteurs ? Nous étudions le cas

309
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

des femmes parce que, d’après l’INSEE, leur émancipation étant moins évidente, une étude à leur
égard permet d’évaluer les mutations sectorielles réelles 1023 :
Jacqueline Cachemire née en 1942 aime à dire qu’elle vient d’une famille modeste où la mère était une
machann-bonbon1024. Ce petit métier appartient aux passionnées de la patisserie qui décident de faire
de leur atout de pâtissière, un métier qui leur permet de subvenir aux besoins leur famille. En effet, les
« bonbon » dont il s’agit sont des gâteaux. Certains portent les noms basés sur les ingrédients qui les
composent ou sur leur mode de fabrication. On peut citer les « gâteaux fouettés » typiques pour les
grands évènements comme les sacrements catholiques et les mariages. D’autres sont des gâteaux
ordinaires, les doukoun faite de farine d’eau, de saindoux et de sucre. La marchande de gâteaux est
aussi marchande d’autres sucreries comme les sucres d’orge à partir du sucre fondu puis enroulé sur
une bûchette de coco, les pipilit, les douslèt et sik-a-koko…Toutes ces préparations relèvent de
l’artisanat et parfois même de l’artisanat d’art.
Mais des actrices, bien plus jeunes ont aussi des parents qui exerçent des petits métiers du
primaire. Le père de Raymonde et Nadya Pater habite avec son épouse leur mère au quartier du Bas
de la Source entre la commune du Gosier et de Pointe-à-Pitre. La femme tient une boutik c’est-à-dire
une petite épicerie. On y trouve surtout des produits alimentaires. Ce type de commerce vit d’une
clientèle de proximité. Parfois, c’est dans ce type de boutik que se trouve aussi la table du grenndé1025
où les joueurs viennent, les jours de paie, tenter de faire fructifier leurs maigres salaires. Le père est
vendeur de bar-glas1026. Il reçoit d’une usine de fabrication, des imposantes barres rectangulaires de
glaces, qu’achètent des clients qui ne possèdent pas de réfrigérateurs, appareil ménager de luxe pour
l’époque. Le petit commerce qui fait vivre la famille par l’activité des deux parents relève du tertiaire
marchand mais les opérations de calcul, de vente au détail …se rapprochent des opérations manuelles
du secteur primaire.
D’autres femmes de notre échantillon ont aussi un parent travaillant dans le secteur primaire.
La mère de Chantale Choucoutou née en 1968 est fille de salle. C’est la catégorie la moins rémunérée
des personnels de santé. Elle ne porte aucun soin aux malades mais est chargée de veiller à l’hygiène
des chambres. C’est elle qui assure le nettoyage au quotidien. C’est un métier de service qui entre dans
la catégorie du tertiaire non marchand. Mais le métier du père de Chantale, lui, relève du secteur
primaire. C’est un peintre en bâtiment. Appartiennent aussi au secteur primaire, dans le domaine de
l’artisanat la mère de Françoise Lancréot qui exerce la profession de coiffeuse. Le secteur primaire est
aussi celui du père de Jacqueline Etienne et de la mère de Josélita Jacques exerçant tous deux des
professions agricoles. Le père de Léna Blou est un artisan exerçant le métier de coiffeur1027. Il est aussi
musicien. Sa mère est d’abord femme au foyer puis cuisinière de cantine scolaire.
Ainsi, toutes ces actrices sont issues de milieu où le secteur primaire a laissé des traces
principalement dans le domaine de l’artisanat. Mais des femmes de la même tranche d’âge que ces
dernières ont des parents travaillant dans le tertiaire. C’est le cas de Dominique Fleury dont les deux
parents sont personnels hospitaliers ainsi que les sœurs Palatin Suzy et Nicole dont la mère est agent
administratif dans le domaine du social. Parfois, sur deux générations contigües, on retrouve les

1023
Pour l’INSEE, l’alphabétisation durant les années 1980 est satisfaisant. C’est à partir du niveau d’instruction des filles que
l’alphabétisation s’évalue. Elles passent de 14 ans à 17 ans entre 1920 et 1955 pour l’âge moyen de fin de scolarité
1024
Témoignage de Jacqueline Cashemire -Thôle par Internet du 7 décembre 2018.
1025 Jeu de hasard aux dés.
1026
Un bloc de glace.
1027
Témoignage complémentaire écrit du 14 mai 2019.

310
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

activités professionnelles du secteur primaire. Héléna Laumuno, née en 1967, est fille d’un ouvrier du
bâtiment lui-même fils d’un agriculteur.
Pour nos actrices nées dans la décennie 1980, l’écart se creuse entre leur occupation
professionnelle et les petits métiers du secteur primaire. Il faut remonter aux arrière-grands parents de
Magen Julie Sohad pour trouver le charpentier-charron et la couturière1028. De même l’écolière Maëva
Augusty est fille de Philippe Augusty enseignant, lui-même fils d’un géreur d’habitation1029 .
Le cas des femmes montre en effet, la complexité de l’environnement social des acteurs du
gwoka. Contrairement à la première période, il est difficile d’identifier le milieu social du gwoka durant
la période considérée. La communauté autrefois circonscrite aux « zanfan-lanklo » s’ouvre à d’autres
individus de toutes conditions sociales, créant ainsi un nouveau cadre environnemental pour le gwoka
marqué par l’hétérogénéité sociale.
Mais les petits métiers des parents, des grands-parents ou des arrière-grands-parents
imprègnent encore les discours des acteurs du gwoka. Tous, dans la présentation de leurs filiations font
état du dénuement social passé ou présent de leurs familles comme s’il fait partie du patrimoine
familial. Ce dénuement réel ou ce sentiment de dénuement est créee par le fait que la famille occupe
encore une certaine place dans la transmission.

3- Une transmission familiale variée

Cette transmission familiale particulière rappelle une autre notion qui ne relève pas du domaine
de la musique mais de l’éducation. Il s’agit de la transmission culturelle. Elle se traduit par la relation
entre l’enseignant et l’enseigné1030. Mais, mot à mot, la notion peut être comprise comme la relation
entre donataire et receveur pour des éléments culturels comme les pratiques, les savoirs -faire, les
comportements, les croyances, les choix…C’est aussi la transmission d’une manière de voir le monde,
une manière de se voir dans le monde. Par conséquent, la transmission culturelle concerne
l’immatériel.
Les acteurs pour lesquels nous étudions cette transmission sont nés au cours des décennies
1920 à 1940. Ils sont au nombre de 23. Ce sont les plus âgés de nos acteurs. Cette étude cherche à
mettre en évidence les logiques de la transmission pour l’émetteur comme pour le receveur.
Nous choisissons l’analyse des rôles non artistiques afin de comprendre la place de la famille
dans cette transmission. Les acteurs dont la transmission est connue sont au nombre de 17. Ce ne sont
pas des acteurs centraux. Ils ne sont ni chantè, ni répondè, ni tanbouyé, ni chantè, ni chachayè. Ils ne
jouent d’aucun instrument tout du moins dans le cadre du gwoka… Leur présence au sein de la
communauté du gwoka est révélatrice d’une attractivité de cette pratique pour la période et rend compte
de son appropriation par des acteurs, que nous disons « périphériques » par leur rôle. Ce type d’acteurs
est une particularité du gwoka des années 1969-1994. Nous évoquons quelques cas signifiants :

1028
Archives du comité national du PCF- Notes de Jean-Pierre Sainton-Renseignements fournis par Gabrielle Magen, fille des
intéressés.
1029
Témoignage de Maëva Augusty, novembre 2018.
1030
Abdeljalil Akkari, Magdalena Fuentes, Domination et apprentissage. Anthropologie des formes de la transmission culturelle,
Revue française de pédagogie, avril-mai-juin 1999, 2017, page 1-7.

311
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Alain Caprice est connu sous le sobriquet de Fly qui rappelle sa profession d’Inspecteur de
Police. Il accepte ce sobriquet et se présente comme tel. Il est photographe amateur de manifestations
gwoka et détenteur à cet effet d’archives visuelles. Son intérêt pour le gwoka semble marginal à
plusieurs titres : il n’est pas guadeloupéen, n’est pas issu des milieux populaires, représente par sa
profession d’Inspecteur de Police les forces de l’ordre français. Cet intérêt relève avant tout d’un choix
délibéré et de la volonté de combler un vide :
« An sé moun Karayib, an ka èstimé an pé chwazi péyi-la mwen vlé rété adan-la. An désidé sé
Gwadloup mwen kay viv1031. Je suis un bourgeois. Ma mère est employée de banque et mon père
fonctionnaire. Je n’ai eu aucun contact avec le tambour en Martinique »
Il est cousin de la chanteuse martiniquaise Lola Martin qu’il accompagne dans des cabarets à
Schoelcher (Martinique). Mais il n’entend pas de musiques au tanbou en ce lieu, vu qu’il habite Fort-
de France et que les manifestations ont lieu dans les communes de Sainte Marie, Basse Pointe et au
Carbet. Il s’installe en Guadeloupe pour des raisons professionnelles. Parallèlement, le parcours de
Michel Reinette rappelle celui de Alain Caprice où la famille prend part indirectement et
inconsciemment à la transmission musicale. Car, Michel Reinette séjourne pendant longtemps hors
de la Guadeloupe. Il ne connaît pas le gwoka. Lorsqu’il revient d’Algérie à l’âge de 18 ans environ, il
habite à Port-Louis avec ses parents et se « prend de dévotion » pour Germain-Calixte qu’il voit
s’exécuter en chansons sur la Place du bourg face à la mer, la dénommée « Antilles » par les Port-
Louisiens.
Alain Caprice Fly et Michel Reinette rencontrent le gwoka en un même lieu Jabrun autour de
Man Soso et Guy Conquet. Cette rencontre est vécue comme une découverte du « monde rural1032 »,
comme « un espace d’intronisation1033 ». Pour le premier, c’est le gwoka qui porte les grands moments
de la vie. C’est ainsi qu’à son mariage, le gwoka est joué. L’orchestre est constitué de deux tanbouyé :
Guy Conquet au tanbou- makè et Fred Gatibelza au tanbou-boula.
Le « retour aux racines » est l’expression qu’emploie Daniel Démocrite, avocat de profession,
pour parler de sa rencontre avec le gwoka alors qu’il est adulte. Il n’en a jamais entendu parler durant
son enfance. Il est scolarisé à Paris jusqu’à l’âge de 16 ans environ et revient en Guadeloupe dit-il pour
« retrouver son pays ». Il décide à cet effet de parcourir les véyé et c’est ainsi qu’il fait la connaissance
de Robert Loyson, de Germain-Calixte, de Turenne Laurent et de Anzala. Il organise sur les plages et
à son domicile des rencontres aux tanbou si bien que Robert Loyson et lui nouent une grande amitié1034.
Et, d’après Robert Dieupart, le gwoka qu’il rencontre à Paris, le « replonge dans l’Afrique de
sa naissance1035 ». Il est né au Fort Lamy devenu N’Djaména (Tchad) d’un père Guadeloupéen et d’une
mère originaire du Tchad1036.
En revanche, le monde rural n’est étranger ni à Gérard Lauriette, ni à Rosan Mounien, ni à Max
Rippon. Gérard Lauriette est né en 1922 dans la section de Schoelcher (Trois-Rivières) d’un père
pêcheur, chasseur et agriculteur et charpentier. Le monde rural n’a pas de secret pour lui. Le récit de
sa vie est celui d’un homme de la terre par le mode de vie de la famille, les jeux d’enfants, les
croyances... Mais le gwoka renforce son ancrage dans la ruralité. Plus tard, dans ses classes, il valorise
le gwoka en en faisant un support pédagogique. Rosan Mounien, à l’issue de son Bac fait des études

1031
Je suis un caribéen. J’estime que je peux choisir le pays où je veux vivre. J’ai décidé de vivre en Guadeloupe.
1032 Témoignage de Michel Reinette, 22 décembre 2017, Paris.
1033
Témoignage de Alain Caprice, 29 juin 2017, Sainte-Anne (Guadeloupe)
1034
Témoignage de Daniel Démocrite, novembre 2018, Le Gosier
1035
Témoignage de Robert Dieupart-Ruel, septembre 2016, St François (Guadeloupe)
1036
Témoignage complémentaire écrit de Gladys Michel pour Rober Dieupart-Ruel, mai 2019,

312
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

supérieures. De retour en Guadeloupe, c’est comme ouvrier agricole qu’il se fait embaucher et devient
délégué syndical, défenseur des travailleurs de la terre. Et plus tard, son rapport au gwoka est en
cohérence avec son activité. Dans le même ordre d’idée, Max Rippon est le fils d’une couturière et
d’un artisan du bois. En dépit de son enfance qui se déroule en ville, à Grand-Bourg puis à Pointe-à-
Pitre, c’est la vie rurale qui le marque par les pratiques quotidiennes de la famille pour les soins, pour
l’alimentation…C’est par la poésie qu’il s’investit dans le gwoka.
Mais la ruralité n’est pas la règle absolue pour pratiquer le gwoka en tant qu’acteur
périphérique. Félix Cotellon est lui aussi avocat. Elevé dans le bourg de la commune de Sainte-Anne,
il évoque ses contacts avec les gens de la terre et de la mer dans cette commune. C’est dans cette
commune de naissance qu’il entend le tanbou pour la première fois lors de la fête communale. Puis,
dans les quartiers rurbanisés de la ville de Pointe-à-Pitre comme la Cour Selbonne, le Faubourg
Alexandre Isaac et à l’Assainissement, il entend tous types de musique de bals. Il assiste aux rencontres
au tanbou, aux parades des Mas a Sen Jan. Il entend et voit des tanbouyé comme Marcel Lollia dit
Vélo et Yves Thôle. Plus tard, il intégre le gwoka dans ses activités culturelles1037 et fait partie des
créateurs du Festival gwoka de Sainte-Anne en Guadeloupe.
Ainsi, pour ces acteurs dont les parents ne sont pas praticiens, la transmission du gwoka obéit
à la logique immersion/appropriation. Les parents peuvent être défavorables ou favorables au gwoka.
Mais, c’est leur attitude face au gwoka qui détermine le choix de leus enfants. Ainsi, à l’immersion
parentale déficitaire répond l’appropriation de résistance. Cette logique concerne les acteurs qui ont
vécu dans un environnement familial peu récepteur au gwoka. Ces acteurs sont, comme Alain Caprice
et Daniel Démocrite, Marie-Céline Lafontaine et Jacqueline Cashemire… des « dissidents culturels »
au sein du gwoka. Nous les désignons comme tels pour dire que ce sont des personnes qui décident
leur plein gré de s’approprier le gwoka alors qu’il ne correspond pas aux repères culturels décidés par
la famille. Car, le rapport de la famille au gwoka peut être l’effet d’une d’hostilité volontaire ou d’un
évitement par ignorance. Dans les deux cas, cette hostilité est vécue par des enfants de la famille
comme une frustration et provoque donc une appropriation en réaction à celle-ci. Le mode de vie
qu’adoptent ces révoltés dissidents valorise le gwoka contrairement au projet d’éducation de la famille.
Sur les 23 acteurs non-artistes et les plus âgés de notre échantillon, les « dissidents culturels » sont au
nombre de neuf1038
Dans le cas de ces acteurs périphériques, qu’ils soient « dissidents culturels » ou non, le gwoka
n’est pas transmis dans ses langages artistiques. Cette transmission est celle d’une manière d’être, une
manière de se voir. C’est une autre forme de transmission indirecte dans le gwoka. Cette manière
d’être, cette manière de se voir est la première phase de ce qui peut relever d’une « démarche gwoka »
comprenant la réflexion puis le choix délibéré d’une forme à exercer en fonction de ses compétences.
La démarche se poursuit par la mise en œuvre et l’entretien de ce choix révendiqué. Cet acte se rend
visible par l’écriture, la photographie, la pédagogie, les projets culturels…Le gwoka est vécu par ces
acteurs bien au-delà de la musique, du chant et de la danse. C’est une ressource intérieure. La réponse
à la question de la découverte du gwoka donnée par Frantz Succab, né en 1947, est révélatrice de la
notion de transmission indirecte appliquée au gwoka. C’est un fonctionnaire de profession et rédacteur
d’articles sur le gwoka :

1037 Témoignage de Félix Cotellon, septembre 2017, Pointe-à-Pitre/ Conférence de Félix Cotellon au Festival gwoka, 15 juillet 2017.
1038
Ce sont Michel Reinette, Alain Caprice, Jacqueline Cashemire, Marie-Céline Lafontaine, Frantz Succab, Démocrite Daniel,
Dieupart-Ruel Robert, Magnat Marcel, Rupaire Sonny.

313
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« Mes parents sont enseignants, mais comme presque tous premiers Guadeloupéens à exercer ce métier,
ils sont directement issus de milieu populaire. Je n’ai pas connu mes grands-parents paternels.
Mon grand-père maternel est marin- pêcheur, ma grand-m è re est agricultrice. Mes oncles sont
pêcheurs, construisent nasses et canots, agriculteurs dans le melon, une tante tient lolo, les autres sont
sans autre profession que « gérantes » de leur foyer. Enfants, nous allons souvent passer les vacances,
juste à côté de l’usine de Courcelles, chez un oncle et une tante « casés » par l’usine. Mes cinq premières
années, sont exclusivement saint-franciscaines. Je ne connais pas Pointe-à-Pitre.
Ce n’est qu’après que mes parents s’installent à l’assainissement, puis en 1956 au Raizet.
Je raconte tout cela pour dire que le Gwoka (pas seulement le tambour) est toujours autour de moi, dans
la langue, l’accent, le « jèsdèkò1039 », les chants que fredonnent les gens du peuple sans
être forcément chanteurs … 1040»

Ces acteurs périphériques sont ceux par qui le sens du gwoka se révèle. Etre « gens du gwoka » dans
leur cas est un positionnement. Pour eux, la famille joue un rôle indirect.
Pour la transmission des rôles centraux, la transmission interne à la famille répond à des
logiques variées. Le tableau ci-après en confrontant le rôle des enfants, nouveaux acteurs de notre
période et celui de leur parent présente les logiques de cette transmission familiale.
Comme indiqué dans le tableau, les langages transmis sont tous présents. C’est celui des mains
battant le tanbou de même que ceux de la voix, chantant et du corps dansant. Les formes du gwoka
sont aussi variées. Il n’y a pas de forme ni de langage qui dépasse les autres. Seul la-bòdé n’est pas
représentée parce qu’elle ne fait pas l’objet d’une spécialité.
La transmission des parents aux enfants, s’effectue par reproduction, pour les formes du gwoka.
Parfois, à la polyvalence des parents répond un enfant à rôle unique. Parfois, la reproduction se fait
sans imitation. Elle obéit à une certaine autonomisation du receveur. Elle se vérifie pour la forme mas
particulièrement prisée à partir des années 1980. Car, à partir de cette décennie, la multiplication des
groupes, donne aux acteurs du gwoka, un lieu supplémentaire d’expression. L’attrait pour cette forme
du gwoka entraîne la croissance du nombre d’acteurs pour le gwoka toutes formes confondues. Par
ailleurs, la transmission se produit de manière verticale de père, mère ou oncle à un enfant ou à un
neveu. Mais la famille intervient aussi par des donataires de même génération comme les grands frères
démontrant ainsi par ces acteurs que la transmission horizontale est aussi une réalité pour la période.
En revanche, au niveau des rôles, c’est la transmission par imitation qui prévaut. Pour
l’ensemble des cas traités, l’imitation des parents est la règle même si celle-ci est masquée par le choix
de la forme et par les autres rôles qui confèrent la polyvalence à l’acteur concerné. L’autonomisation
est exceptionnelle. En effet, sur l’ensemble des cas traités seul un enfant issu de deux parents chanteurs
et danseurs devient tanbouyé. Ce rôle est d’ailleurs largement choisi par les enfants. Au père tanbouyé
suit au moins un enfant tanbouyé. Et, lorsque des grands frères sont tanbouyé, les filles aussi peuvent
le devenir. L’imitation se concrétise grâce à l’apprentissage informel, le plus souvent par l’observation.
Il traduit et complète les bonnes relations des parents aux enfants. C’est avec admiration que ces
enfants parlent de leur parent donataire qu’ils considèrent comme leur maître d’initiation même s’ils
n’en ont reçu aucun conseil ni formation technique.

1039
Traduction mot à mot : le geste du corps autrement dit la manière de bouger.
1040
Témoignage Frantz Succab, avril 2018.

314
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 42 : Graphique de la répartition des rôles par sexe (1970-94)

315
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 43 : Tableau de la transmission familiale

Père, rôle Mère, rôle Autre parent, rôle Enfant, rôle


Blancus Vincent, tanbouyé- Néant Tanbouyé-chantè Emmanuel dit Ti-Blankis, tanbouyé-
chantè chantè

Choucoutou Joël et Chantale, fanm-tanbouyé


Jocelyn, tanbouyé
Magloire Louis-Victor Napoléon, Sylviane fanm-chantè et Edith fanm-
chantè tanbouyé

Boisbant Parfait dit Artèm, Janita dite Bébé, fanm-tanbouyé


tanbouyé
Lollia Marcel dit Vélo, tanbouyé Patrick, tanbouyé

Conquet Guy, chantè-dansè- Pascal, dansè


tanbouyé

Rospart Guy dit Kaya, Jean-Pierre dit Bébé, tanbouyé-chantè-


tanbouyé-chantè- dansè

Jacques Simone, Josélita, fanm-chantè


fanm-chantè-dansè

Evariste Geoffroy, chantè Boisdur-Geoffroy Sergius, Francky dit Zagalo, Mathieu


Honorat, chantè-dansè dit René, Viviane, Hilaire, chantè…

Violette Donineaux dite Marie-France Massembo, fanm-


Massembo, fanm-chantè- chantè-dansè
dansè
Marie-Louise dite Rose- Vania, Jacqueline, Suliane et
Aimée, fanm-chantè- Franciane, fanm-chantè-dansè
dansè

Moco Désir, chantè Nadir Lucien, répondè- lasistans


Aigle Christen, tanbouyé-chantè- Christian et Christophe, tanbouyé
dansè

316
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais la transmission familiale des rôles n’est pas exclusivement réservée aux parents acteurs
du gwoka. Des parents qui n’ont aucun rôle dans le gwoka, éveillent leur enfant à cette pratique. Les
exemples qui suivent présentent ce type de transmission1041 :

Nicole Valton, née en 1956, fanm-chantè-répondè-dansè-chachayè :

« Je m’appelle Nicole Valton, je suis née à Pointe-à-Pitre, chez ma grand-mère au Morne Miquel. Je suis
arrivée au gwoka durant mon adolescence avec Mr Antoine Sopta. Il avait un groupe qui s’appelait «
Guana Antillais » et c’est l’activité que ma mère avait choisie pour ses enfants le mercredi après-midi.
Elle m’envoyait chez mon cousin feu Gilbert Seymour qui était le promoteur du groupe. J’aimerais ici
tous les remercier, car le gwoka a pris, depuis, une place prépondérante dans ma vie. On répétait chez les
Seymour à la Cour Charneau, je devais avoir 15 ou 16 ans. C’est avec Mr Sopta que j’ai appris à danser.
Ce n’était pas un cours de danse comme on l’entend aujourd’hui. Nous dansions 1 fois par semaine et
tout l’après midi. On se produisait dans les fêtes de communes. À l’époque, il avait beaucoup de groupes
on disait des ballets folkloriques tels Karukera, Accacia, Acajou… Je danse essentiellement aujourd’hui
le toumblak et le graj.

Jérôme Fléreau né en 1976 est dansè- tanbouyé -chantè :

« An sé Jéwòm Flero. An sé moun Mòwnalo présizéman Bosrédon. Sé la ou ka touvé bon dé ou twa


Fléro. An konnèt gwoka dépi piti, mé an pé pa di an lévé an gwoka. An ni plizyè tonton ki ka joué, chanté.
Té ni on krèy moun an té ka vwè ka joué, é yo té adan asosiyasyon kiltirel lendontab, sé on asosiyasyon
futbal ki ja ni on bèl laj. E adan sé moun lasa té ni moun ki té ni on bèl kout tanbou, yo té ka chanté byen.
Yo té ka òwganizé léwòz é lè yo té ka owganizé léwòz, yo té toujou ka kriyé moun ki té pé kenbé on léwòz
èvè yo ki sé swa Karno, Kristen é dot jouwa... yo té kay chèché sé moun lasa. A kaz sa té pé rivé si té ni
on batèm, on cominion, yo té ka fè on kout tanbou é sé a sé moman lasa gwoka plis maké mwen. Yo té
kay chèché Ti Sélés. I toujou maké mwen i ni bèl enprovizasyon é i ni on jan i ka chanté ki ta-y. Lé lanné
pasé. Mè ni on lè, lèvwè an té aka lé skout an té ja ni 17 a 18 tan é nou té ni on projè pou nou té pati
prézanté gwoka o Kanada Joslen Trace té chef skout an tan la sa é sé li, lè-i vwè mwen dansé i di mwen
« ou ka dansé mé ou pa ka fè rèpriz. I montré mwen ki jan pou mwen fè on rèpriz. Té ni Joslen Gabali é
frè a-y ki té ka vin poté grensèl a yo pou spèktak-lasa. An pran sa yo té ka ban mwen, an té ka kouté sa
yo té ka di mwen. Koté lanné 94 sé lè an vin konnèt bann dè Dèfen Henri Délos, Bébé Rospart, Jean
Marie Lurel… » 1042

1041
Les témoignages de Nicole Valton, Jérôme Fléreau, André Broussilon, Cathy Delor sont recueillis en 2012.

1042
Je suis Jérôme Flereau. Je suis originaire de Bosredon Morne-à-l’eau précisément Bosredon. C’est là que
l’on trouve pas mal de Flereau. Je connais le gwoka depuis l’enfance mais je ne peux pas dire que j’ai été
élevé dans le gwoka. Donc il y avait une bande de gens que je voyais jouer. Tous ils jouaient pour l’association
culturelle L’Indomptable. C’est une association de football qui a déjà un âge certain. Et parmi ces gens,
il y en avait qui avaient une bonne performance dans le tambour, ils chantaient bien. Ils organisaient des
léwòz et quand ils en organisaient, ils faisaient toujours appel à des gens qui pouvaient assurer le léwòz
tel que Carnot, Christen, Vélo... Ils allaient chercher ces gens-là. Parfois, à la maison, s’il arrivait
qu’il y ait un baptême, une « 1ère communion », on organisait un moment de tambour et c’est dans ces moments
que le gwoka m’a le plus marqué. Ils faisaient appel à Ti Céleste. Il m’a toujours interpellé. Il savait
improviser et il avait une manière de chanter bien à lui. Jocelyn Trace était le chef des scouts et c’est
lui qui, lorsqu’il m’a vu danser m’a dit que ma danse était satisfaisante mais que je ne faisais pas de
reprise. Il m’a appris comment faire la reprise. Jocelyn Gabali et son frère venaient donner quelques conseils

317
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Sohad Julie Magen né en 1981

« Je suis née à Aix-en-Provence. Papa était professeur- chercheur en mathématiques, ma mère sans profession. J’ai été
élevée à Brazzaville (Congo). On a fait un passage de deux ans en Camargue et je suis rentrée en Gpe à l’âge de 9 ans. A
Brazzaville, il y avait un groupe (musical) qui était en train de se constituer avec des danseuses, des tanbouyé qui venaient
répéter dans la cour de Papa. Car, un collègue de Papa de la Faculté, et Papa lui-même, avaient décidé de réunir les anciens
et les joueurs. Le chef de file de ce groupe était un griot qui jouait d’un instrument qui ressemble au Sanza. Papa nous
enmenait dans des fêtes aux tambours dans les villages. Mais je n’en ai pas trop de souvenirs. Je me rappelle avoir vu des
cérémonies avec des masques. Papa nous a enmené à Pointe-Noire à une cérémonie. Dans les villages c’étaient des
tambours traditionnels et dans Brazzaville c’étaient des individus épars et qui se réunissaient. A Brazzaville, Papa avait
des vinyles, de Vélo, de Anzala. Donc on a baigné dans cette musique là et mon premier léwoz c’était celui de l’Etincelle
en 1990. J’ai fait mon apprentissage de tanbouyé auprès de Daniel Verger et Luc Acheron au bord de mer de Sainte-Rose.
J’ai pris des cours de danse à l’Akadémiduka. Puis j’ai fait quelques mois d’apprentissage avec Armand Acheron à Baie-
Mahault puis, Henri Délos à Sainte Rose puis Armand Acheron là où répétait le groupe Poukoutann (aux Abymes). Le 1er
groupe dont j’ai fait partie en tant que tanbouyé est Sobo en 1996. »

L’intention de la famille n’est pas toujours explicite. C’est parfois, à travers les manifestations
qu’elle organise à domicile, que l’enfant découvre le gwoka et l’adopte antérieurement, encouragé par
des rencontres. Cette transmission familiale non affichée peut se dire transmission douce. Elle est
contraire à celle des parents qui délibérément cherchent à donner à l’enfant l’image du gwoka comme
un élément de son identité et par la même, forgent l’homme ou la femme qu’ils ont choisi de faire de
leur enfant. Parfois la famille est accompagnée par une association culturelle. Mais la place de la
famille peut être limitée par l’autonomisation complète de l’acteur qui entreprend, de lui-même de
construire sa propre transmission. Elle se produit par imitation du maître choisi :

André Broussillon, 48 ans, tanbouyé-dansè-chantè.

« An sé André Broussillon, an ni 48 lanné. An a lorijin a kréasyon a group Indestwas ka. Nou monté
group-lasa apré nou té ja kouri léwoz pannan dé twa lanné an tan a Kristèn lè i té ka animé léwoz
toupatou an Gwadloup. Sé davwa nou swiv li pannann bon tibwen lanné, davwa nou aprann bon di bwen
biten èvèy, nou fè gwoup-lasa. Pa rapòt a sa, larèl an nou sé stil Indestwas. Davwa sé kon sa i té ka joué
sé pou sa nou ba group la, non lasa. O nivo a lé ritm, adan stil Indestwas, partikilarité -la sé pratik a lé
sèt ritm ki sé o nivo chanté, konnyé, dansé. »1043

pour ce spectacle. J’ai donc appris et j’enregistrais ce qu’ils m’apprenaient. Vers l’année 1994, j’ai
connu défunt Henri Délos (originaire de Ste Rose, tanbouyé, décès en 2005 à plus de 80 ans) Jean- Marie Lurel
(Originaire de la région de Basse-Terre, chanteur du gwoka, membre de groupe musical), Bébé Rospart
(originairedelacommune du Baillif, danseur, chanteur, tanbouyé). Témoignage, 14 mars 2012, Petit-Bourg.

1043
Je suis André Broussillon, j’ai 48 ans. Je suis à l’origine de la création du groupe Indestwas ka. Nous
avons monté ce groupe après avoir couru les léwòz (fréquenté régulièrement les léwòz) pendant quelques années
au temps où Christen animait des léwòz partout en Guadeloupe. C’est parce que nous l’avons suivi durant
plusieurs années, parce que nous avons bien appris de lui que nous avons monté ce groupe. A cause de cela,

318
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cathy Delor, fanm-dansè, 47 ans.

Je suis Cathy, j’ai presque 40 ans Je suis née à Pointe-à-Pitre. J’habite à Pointe-à- Pitre depuis un an dans
la maison où a vécu mon arrière-grand-mère, là où j’ai beaucoup de souvenirs de famille. Je fréquentais
un jeune homme qui faisait partie d’un groupe de gwoka. La première fois qu’il m’a invitée à une
répétition, ça m’est rentré dans la peau, ça a fait un seul et j’ai intégré l’association et en même temps je
prenais des cours avec Mario Coco (dansè-tanbouyé, directeur artistique) et quatre ans après je ne peux
plus me passer du léwòz, du tambour. Fatiguée, j’arrive dans un léwòz, je suis revigorée jusqu’au petit
matin1044.

Alors, de 1969 à 1994, de nouveaux acteurs intègrent le gwoka. Leur profil social et celui de la
période précédente se ressemblent en plusieurs points. Toutefois, ils introduisent de nouveaux rôles
dans le gwoka en fonction de leurs atouts et passions. Et si la famille de sang continue d’occuper une
place importante dans la transmission de ces nouveaux acteurs, elle est aussi concurrencée par des
mouvements internationaux comme le rastafarisme.

B- « Les « rastas », de nouveaux acteurs du gwoka

1- Le rastafarisme en Guadeloupe, une pratique de marronnage

Les « rastas » de la Guadeloupe sont plutôt regroupés en communautés. De même que les rastas
de la Jamaïque et de la Dominique vivent dans les montagnes, en Guadeloupe, les lieux boisés ou
enclavés sont leurs espaces de prédilection. Depuis les années 1960, les migrations des Dominicais
sont régulières en Guadeloupe. Les échanges économiques (produits agricoles et produits de la mer)
en sont les principaux facteurs. Mais le cyclone David frappe la Dominique le 29 août 1979. Ce cyclone
considéré comme le plus puissant de l’histoire des Antilles1045 ravage le pays et provoque des
migrations importantes des populations. D’après le rasta Harry Rémus qui crée une communauté rasta
en Guadeloupe, des rastas vivant dans les montagnes de la Dominique se sont massivement installés
en Guadeloupe1046. Pour lui, le mouvement prend de l’ampleur en Guadeloupe à partir de cette
circonstance.
La forêt de Boissec Goyave les attire particulièrement. C’est là que se trouve une communauté
rasta connue en Guadeloupe sous le nom de « La Famille Jah ». C’est une communauté que nous avons

notre univers c’est le style Indestwas dont la particularité est la pratique des 7 rythmes tant au niveau du
chant, du jeu des tambours, de la danse.

1044
Témoignage de mars 2012, Pointe-à-Pitre.
1045
Morrel M. et Randon. R, Cyclone David et Frédéric, 29 août et 3 septembre 1979, Notes d’hydrologie, Office de la Recherche
Scientifique Outre-Mer
1046
Témoignage de Harry Rémus, adepte du mouvement, février 1990, Bois sec Goyave.

319
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

visitée régulièrement au cours des années 1980-1990. Par ailleurs, un des anciens membres de cette
communauté, Widy Grego témoigne de son expérience personnelle au sein de cette communauté1047.
Il était chargé de l’intendance et de l’éducation des enfants en l’absence des parents. C’est à partir de
nos deux témoignages que nous dressons le portrait du rasta de Guadeloupe :
La famille de sang comprend l’homme, Harry Rémus dit Jah ElieJah Adamjah ou le Père Jah,
la mère Edimah Isis dite La Mère Jah pour la communauté, les quatre enfants du couple. Autour d’eux
de jeunes hommes adeptes du rastafarisme. Cette famille se retire dans les espaces boisés ou
symboliques pour préparer son retour en Afrique. Elle s’installe dans un premier temps à Capesterre
Guadeloupe dans la région de Sainte-Marie en 1981. C’est là, en dépit des controverses, que les
Guadeloupéens situent le débarquement de Christophe Colomb1048. Le choix du lieu est symbolique.
Pour Harry Rémus dit Jah ElieJah Adamjah, c’est là que commence la domination coloniale pour la
Guadeloupe. Il veut ainsi réclamer, depuis ce lieu, le retour en Afrique en guise de réparation de cette
domination.
La vie des rastas de la famille Jah se déroule sous des tentes de toile. A chaque tente sa fonction.
Il y a la tente des invités, celle du repas, le dortoir… L’alimentation en eau est assurée par la rivière à
proximité. Les jeunes sont nombreux, ce ne sont que des hommes âgés de 18 à 28 ans environ. Le plus
âgé de tous a environ la quarantaine. Widy Grego fait partie de cette communauté qu’il découvre par
un rasta de la commune de Sainte-Anne, Jacob Denis.
Les seules filles du groupe sont les deux filles du couple et leur mère. Les membres de la
communauté sont légèrement vêtus. Ils portent un pagne en forme de culotte. Le chef est le seul
homme à porter à l’occasion un boubou. Mais, au quotidien, le père Jah porte le même pagne que les
autres membres, ceint par une corde végétale. La sobriété s’illustre par le refus de toutes fioritures
comme les bijoux et par la couleur des vêtements : blanc, beige, ocre car ils sont teints d’argile. Tous
et toutes ont changé de nom. Il s’agit, par ce nouveau baptême, de retrouver une identité perdue à cause
des noms imposés par les Européens au détriment des noms africains. Celui est composé d’un terme
suivi de Jah.
C’est le nom par lequel les rastas désignent Hailé Sélassié. Il est Jah Rastafari. En
conséquence, la répétition récurrente du terme Jah au sein de la communauté à travers les noms, les
activités, les salutations, est porteuse d’énergie positive et traduit une marque de respect à l’égard de
l’Empereur. Les noms expriment aussi une des valeurs que défend la communauté : la nature. Elle
est considérée comme une valeur à honorer et préserver. Elle rapproche le monde animal, le monde
végétal et les hommes. Ainsi formés, les noms des membres de la communauté y compris les enfants
du couple s’appellent Rasin Jah, Jafajah…. Ils sont environ une vingtaine. Les animaux domestiques
de la communauté aussi changent de noms : les cabris sont les bè Jah, les ânes les hi-han Jah. La
position sociale au sein du groupe détermine aussi le nom. En conséquence, les enfants de la famille
sont appelés les Jahtijah. Parfois d’autres valeurs s’expriment à partir des noms choisis comme Love
Jah.
Au sein de la Famille Jah, le naturel qui prévaut prend corps par des dreadlocks et la barbe qui
se laissent pousser sans soins particuliers. De même, les activités quotidiennes sont concentrées sur le
jardinage et sur l’artisanat utilitaire. L’un des chantiers est celui de l’apprentissage du travail de la

1047
Témoignage de Rudy Grego, Ma vie en diagonale, 2014, pages 79-88 / Visites personnelles régulières et prestations musicales sur
le site de la communauté à Goyave de 1989 à 1997.
1048
Le lieu du débarquement peut être aussi Trois-Rivières.

320
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

calebasse et du bambou. Ces deux arbres entrent aussi dans la fabrication des instruments artisanaux à
percussion du gwoka à savoir le chacha d’un usage plus fréquent et le ti-bwa occasionnellement.
La communauté est autonome. Elle cultive et recherche dans l’environnement proche tous les
produits dont elle se nourrit : pain de bananes vertes, lait de coco,. Elle entretient aussi les calebassiers
qui lui fournissent les coui, récipient pour tous les usages y compris pour la nourriture exclusivement
ital. Pas de table pour le repas mais des plateaux en bois suspendus.
A chacun sa tâche ! La journée débute par la prière et se termine par la prière. L’enseignement spirituel
est celui de l’exercice du jeune, du vœu de chasteté et d’exemplarité.
Les seules personnes dispensées de tâches sont les femmes. A la question posée au « Père Jah » sur
l’inactivité des femmes, il répond :
« Le travail du foyer demande de gros efforts. Les femmes ne sont pas faites pour cela. C’est un travail
d’hommes. Les femmes sont là pour apporter des félicitations ou donner un avis ».

La ganja ne se fume pas au sein de cette communauté. Le chef répète incessamment qu’elle est
néfaste pour la santé. La tisane de ganja est consommée au petit déjeuner et servie aux invités.
Ce mode de vie éveille la curiosité et l’attrait des jeunes. Nombre d’entre eux tentent
l’expérience mais la radicalité du renoncement à la société de consommation décourage plus d’un.
Quelques jeunes n’y ont passé que peu de jours. Cette vision de soi et du monde semble être le début
d’un mouvement rastafari en Guadeloupe. Il a un chef, un pouvoir central qui diffuse et défend des
valeurs et la vie de la communauté. Il répond à une organisation mûrement pensée et planifiée. A partir
de cette expérience, d’autres communautés du même type prennent naissance dans cette même
commune et ailleurs, comme dans la commune de Sainte-Anne. Les membres de ces communautés
rastas se reconnaissent dans le gwoka mais leur participation varie en fonction de leurs compétences.
De notre échantillon, six acteurs représentent les rastas : Hugues Onestas, Harry Rémus dit Le
Père Jah, Joël Toussaint, François Ladrezeau, Patrick Cocq, Douglas Serge dit I Three. D’autres
acteurs sont représentatifs d’une sensibilité pour le mouvement sans y adhérer totalement. Ils sont plus
nombreux et sont reconnaissables à leurs dreadlocks. L’intérêt de ces deux types d’acteurs interroge
la perception du gwoka par les rastas et les « pseudo-rasta ».
Pour eux, la pratique du gwoka est une rencontre avec l’Afrique perdue1049. C’est la nostalgie
du passé africain avant la colonisation qui nourrit leur intérêt pour le gwoka. Cette pratique est un lieu
de la mémoire de l’Afrique. Les rastas se disent davantage Africains que descendants de travailleurs
esclaves. C’est à ce titre que Harry Rémus dit le Père Jah refuse de parler le créole guadeloupéen. Il
dit que c’est la langue des travailleurs esclavesimposée par les maîtres qui avaient besoin de
comprendre ce qui se disait dans les ateliers afin de dissiper tout complot. C’était, disait-il, une manière
d’asseoir leur domination en bannissant la langue du travailleur esclave. La langue créole, selon lui,
dans la société de plantation, est une stratégie de désafricanisation. Elle comprend la désafricanisation
physique par la déportation et la mise au travail forcé sur l’habitation et se complète par la
désafricanisation linguistique. Le travailleur déporté s’en trouve alors transformé. Le maître n’apprend
pas mieux sa langue au travailleur esclave et lui interdit la pratique des langues africaines. L’esclave
est donc obligé d’adopter la langue choisie et créée par le maître. Ainsi donc, dans la communauté du

1049
Témoignage de Patrick Cocq, Almanaka 2008/ de Joël Toussaint dit Tosh, communication téléphonique, octobre 2016.

321
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Père Jah, l’usage du français relève d’une contre-langue1050 c’est-à-dire d’une langue de résistance
par rapport à celle qui a été refusée et celle qui a été bannie1051.
La communauté de Jah ElieJah Adamjah est installée en 1981 à Sainte-Marie Capesterre Belle-
Eau puis, chassée par la municipalité, gagne un espace plus enclavé à Boissec Goyave jusqu’à son
départ pour l’Afrique prévu le 4 novembre 1993 et qui se réalise en 1997. La préparation au retour
physique à l’Afrique et celle du retour spirituel à travers cette communauté n’est pas la première
expérience du chef. Une première dite La Famille Dambala a été menée à Paris au cours des années
1970-801052.
Cette fois, à Boissec (Goyave), par des manifestations fréquentes le lien permanent se
concrétise avec l’Afrique par le tanbou. Régulièrement, le Père Jah invite des groupes de gwoka ou
encore des musiciens amis de la communauté à jouer le dimanche après-midi sur le site. Des
manifestations plus grandioses y sont aussi organisées. Du 21 au 24 juillet 1994, se rassemblent les
rastafariens à l’occasion du 102è anniversaire de la naissance de Haïlé Sélassié. A cette occasion, la
Famille Jah présente sa démarche aux invités et visiteurs à travers une exposition d’artisanat et la
dégustation de produits alimentaires préparés sur place. Ces circonstances les rapprochent des
ensembles musicaux gwoka. Les groupes Vwa Pou Loué ka et Akiyo des Abymes, le groupe Kilti de
Capesterre Guadeloupe participent gracieusement à la manifestation.
L’ensemble musical de la Famille Jah, aux instruments de bambou et de calebasse désigné par
« les Messagers de Dieu Vivant » se produit aussi. Mais c’est surtout à la tombée du jour que
l’orchestre s’exprime sur la « musique sainte » qui tient lieu de prière. Elle est jouée par des
instruments de tous types de fabrication artisanale interne. Cette musique rappelle le Nyabinghi,
musique aux tambours de la Jamaïque. C’est une musique lente, syncopée sur laquelle pourrait
s’infiltrer la ligne de basse du reggae. Mais il n’y a pas de guitare. Les textes sont ceux des louanges à
Haïlé Sélassié. Par les manifestations musicales, la communauté démontre qu’elle accorde le même
sens au gwoka et au Nyabinghi comme musiques de marronnage.
A la différence de la « La Famille Jah », qui pratique le rastafarisme élargi à d’autres membres
de la communauté, la famille de sang peut adopter à elle seule cette culture. Le cas de la famille
Douglas est significatif à ce propos. Elle est composée de Serge Douglas dit Widly ou I Three, de sa
femme et de ses enfants. Cette famille pratique le gwoka et en joue en plein air dans la ville de Pointe-
à-Pitre au cours de la fin des années 1970. C’est leur fils, très jeune, Steeve Douglas dit Makaly âgé
d’à peine huit ans qui tient le rôle de tanbouyé-makè au sein de l’ensemble musical familial auquel
s’ajoutent quelques amis. Le groupe porte un nom révélateur du rastafarisme éthiopaniste, LalouéJah.
Ses couleurs noir, vert, rouge et ses dreadlocks rappellent la signification politique de la branche
garveyiste du rastafarisme. Ce sont les couleurs du drapeau de l’UNIA1053. Leur tenue comprend aussi
du jaune associé aux premières couleurs citées. Le jaune est une transposition de la couleur or qui,
associée au vert et rouge, constitue les couleurs de l’Ethiopie impériale depuis le couronnement de
l’Empereur Hailé Sélassié le 2 novembre 1930. Les trois couleurs, rouge vert noir ou rouge vert jaune
sont adoptées intégralement par 22 pays africains et partiellement avec deux couleurs au moins par 18

1050 Le terme de contre-langue n’a pas été utilisée dans le témoignage de l’intéressé. Il s’appuie sur la notion de contre-école utilisée par
des auteurs pour désigner des apprentissages autonomes dans le cadre des décolonisations ou encore en Europe au sein des mouvements
ouvriers.
1051
Ce propos est celui de Harry Rémus dit Le Père Jah aux questions que lui posaient ses visiteurs entre 1981 et 1997.
1052
Plusieurs personnes qui ont fréquenté l’appartement dans lequel se déroulait les manifestations attenantes à cette expérience en
témoignent. C’était un lieu de rencontres pour les Guadeloupéens vivant à Paris.
1053
Universal Negro Improvement Association, l’une des organisations de masse créée au début du XXè siècle à la Jamaïque.

322
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pays africains au moment des indépendances africaines des années 1960-80. Bob Marley en fait
l’illustration de la pochette de son album Survival en 1979 de même que par le titre Africa Unite1054.
Dans les rues de Pointe-à-Pitre, le titre suivant, régulièrement interprété par le groupe LalouéJah et
interprété traduit leur rapport à la nature :

Répondè : Pyè fouyé zozyo


Zozyo-la ki dan bwa-la
Pyè fouyé
Chantè : Zozyo an-mwen
Di gran bon maten lévé
Répondè : Pyè fouyé zozyo
Zozyo-la ki dan bwa-la
Pyè fouyé1055

Parfois le rasta n’adopte pas le gwoka. Hugues Onestas affiche, en ce sens, sa marginalité. Il
est connu par ses albums et par les manifestations auxquelles il participe ou qu’il organise comme le
Mémorial Africa des 13 et 14 février 1982 à Boissec Goyave. La manifestation est couverte par la
presse nationaliste. En dehors du bilan mitigé de la manifestation qui constitue le centre d’intérêt de
l’article, le texte permet de comprendre le rapport de cet homme au gwoka. En effet, les groupes et les
artistes du gwoka invités sont bien connus de la place. Ce sont des groupes du gwoka spécialistes du
léwòz comme « Force 3 » de Goyave avec le leader Patrick Tulipe ou Gwo Siwo de Michel Halley.
Ceux du gwoka moderne comme Atika des frères Jean-Marie sont aussi présents. Les chantè du gwoka
Dolor Meliot, Eric Cosaque et Aurélien Céleste dit Ti-Sélès y participent.
Hugues Onestas en est l’animateur principal. C’est en adepte du mouvement rastafari
éthiopianiste qu’il se présente au public. C’est l’occasion d’exposer au public non-rasta la religion.
Elle scelle l’union du rastafarisme et du gwoka comme le conçoit l’animateur.
Toutefois, trois des albums de Hugues Onestas en vente entre les années 1970 et 1990
n’appartiennent pas au genre musical gwoka. Ils s’intitulent respectivement Jah Paradise, News
Reggae, Sings the Gospel reggae.1056 Et, la langue des albums n’est pas le créole guadeloupéen, langue
du gwoka mais l’anglais. La musique n’est pas du gwoka mais du reggae, du funk et du soul.
En définitive, à chaque rasta ses choix musicaux. Car la religion n’efface pas les émotions. Et,
chaque société accueille le rastafarisme en fonction de l’image qu’il attribue au mouvement. En
Guadeloupe l’accueil du rastafarisme est mitigé.

2- L’accueil du mouvement rasta en Guadeloupe : entre marronnage et artifices

A partir des années 1970, la présence massive des rastas marque la société. La presse nationaliste
indépendantiste emprunte un ton pédagogique pour décrire cette culture. La presse d’information

1054
Album Survival, Bob Marley and the Wailers, 1979.
1055
Pyè fouyé (nom donné en Guadeloupe à l’oiseau tapeur dans certaines régions de la Guadeloupe), oiseau, toi qui es dans les bois,
pyè fouyé. Dis au jour de se lever…, titre déclaré par Guy Conquet à la SACEM. La déclaration porte la date de 1977.
1056
Onestas, Jah Paradise, Label Chri’s Music, DMR 565001, 1983/ HO 19 223, année inconnue/1056Hugues Onestas, News reggae,
AM Production AM 004, 1990.

323
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

quotidienne se contente des annonces de manifestations ou de reportages1057. Mais la presse


nationaliste, par le prisme de la musique met en oeuvre la formation du lecteur pour faire connaître la
réalité du rastafarisme1058. Elle consacre des articles au reggae décrit comme une musique empreinte
de messages.
C’est à ce titre que cette presse cherche à forger l’opinion nationaliste en instrumentalisant le
mouvement rastafari. En effet, elle invite le public à réserver aux rastas une bonne réception. La
recommandation est habilement déclinée. Le journal rappelle la discrimination dont sont victimes les
rastas des Antilles francophones, tantôt moqués, tantôt haïs. Ces comportements sont dénoncés par
cette presse pour laquelle les rastas sont des messagers de la liberté. C’est une manière pour les
nationalistes de promouvoir l’émancipation politique à travers le portrait du rasta. Le discours de la
liberté s’appuie sur le mode de vie du rasta qui fait de la marijuana un produit consciemment
consommé par des personnes dont la maturité guide les choix. Le Dieu des rastas est présenté comme
symbole de l’amour. Le journal s’appuie sur des chansons reggae pour montrer l’intérêt du
rastafarisme pour les descendants des travailleurs esclaves. Sa dimension internationale est aussi mise
en lumière.
Les rastas sont aussi présentés comme des justiciers face aux représentants de la force publique.
Et, lorsque des rastas sont compromis dans des faits sanglants, ceux-ci sont replacés dans leur contexte.
Ainsi, en février 1982, un planteur de la Dominique est pris en otage par des rastas qui remettent à sa
famille une motion à l’attention de l’Etat1059. Ce fait, relaté par la presse nationaliste indépendantiste
en Guadeloupe, comme un acte de violence, est présenté comme le résultat des discriminations dont
sont victimes légalement les rastas de la Dominique. Les lois à leur encontre sont rappelées afin de
donner toute la mesure de la discrimination. La prise d’otage est scrupuleusement justifiée par le
contexte de la violence et les mesures de discrimination perpétrées par le gouvernement.
Les rastas deviennent alors des héros de la liberté. Le journal emprunte aussi la stratégie de la
description du reggae comme une musique engagée afin de susciter à leur égard un regard bienveillant.
Cette musique s’engage contre la misère, dénonce le système capitaliste. Les citations des artistes
jamaïcains les plus médiatisés, Bob Marley, Peter Tosh, Third World, Bunny Wailer… constituent les
meilleurs supports de l’appel à bienveillance à l’égard des rastas lancé par les nationalistes
indépendantistes guadeloupéens.
Mais entre les rastas, les pseudo-rastas et les non-rastas du gwoka, les relations ne sont pas
évidentes. Une chanson gwoka traduit même l’hostilité à leur encontre. En effet, d’après le texte, le
rastafarisme en Guadeloupe est présenté comme un mouvement superficiel :
C’est le message que délivre la chanson : Défo. Elle paraît sur un album 33 tours vinyle. Pour
l’auteur de cette chanson, le rasta s’identifie à la coiffure. Le port des cheveux longs inhabituel pour
un homme en fait un oisif et délinquant ; ce qui contribue à sa marginalité :
Chivé rasta rivé nonm rantré adan san konnèt poukwa.
Pèsé zòrey rivé nonm rantré adan san konnèt poukwa1060
Les mots sont forts pour traduire cette dérive morale. Le ton emprunté par cette chanson est
celui de la colère. L’auteur-compositeur la déclame seul. Il prend à son compte cette dérive sociale. Il

1057
France-Antilles, la Nation rastafari en assemblée générale…, 21 juillet 1994, page 6.
1058
Journal Guadeloupéen, Les messages du reggae, avril 1980, pages 26-27
1059 Journal Guadeloupéen, Dominique, Eugénia Charles contre les rastas, Les nouveaux nèg marron, 24 février 1981, pages 36-37.
1060 La coiffure rasta est arrivée, les hommes l’ont adoptée sans savoir pourquoi/ Le percing aux oreilles est arrivé, les hommes l’ont

adopté sans savoir pourquoi.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

veut la combattre. Cette responsabilité personnelle se lit dans la structure même du texte. Il n’y a pas
de répondè à qui confier le message. Il le diffuse seul conscient de la gravité des faits. Il choisit la
musique Kaladja que des artistes attribuent au sentiment de tristesse. Le chanteur est spécialiste de
trois formes musicales du gwoka à savoir le léwòz, la véyé, le bèlè. Il choisit la forme léwòz, la plus en
usage, pour faire passer ce message. Serait-ce pour qu’il soit mieux diffusé ? La stupeur et la colère
l’envahissent quand il décline leurs défauts :
Sé kouyon, volè, fennnyan ki rantré adan sa1061.
L’auteur compositeur fait du travail un lieu de dignité. Il s’indigne de ceux qui le refusent en
se cachant derrière ce qui serait une « pensée rasta » :
Pou yo pa travay, yo ka di : Jah di pa woulé1062.
La chanson est d’une grande monotonie par la répétition des mêmes segments mélodiques. Il
n’y a que le texte qui change. Cette monotonie privilégie davantage le texte que l’auditeur entend
mieux. C’est une monotonie positive choisie pour faciliter la diffusion du message. Une mélodie trop
riche masquerait le message. La mélodie devient prétexte. Il s’agit d’un « chant parlé » par lequel
l’auteur prend des tons différents : colère, plainte… De temps à autre, la tristesse l’envahit. Il ponctue
la chanson de cris de tristesse et d’impuissance en usage dans le créole guadeloupéen.
A pa jé,
A pa kouyonnad1063
Il en appelle tout de même à l’attention collective et rappelle la fraternité face à ce fait.
Kanmarad sé vré…1064
…cherchant de la sorte à convaincre ceux qui pourraient douter des sentiments qu’il éprouve.
Toutefois, en dépit de cette stigmatisation, les rastas donnent un autre visage à l’acteur du gwoka.

L’analyse que nous proposons ici a pour but d’expliquer pourquoi les rastas se reconnaissent
dans le gwoka Pour cela, nous pensons que de prime abord, les concordances entre le reggae et le
gwoka sont à rechercher car susceptibles de nous apporter des éléments de réponse.
Nous avons pour cela recours à des spécialistes. Un musicien professeur de musiques et chef
de chœur a été sollicité pour l’expression chantée et pour la structure musicale1065. Notre méthode est
la suivante : aux côtés du spécialiste, une écoute conjointe des deux chansons interprétées ou sorties
durant les années 1970-80, a donné lieu à des échanges et conclusions. Pour la danse, la spécialiste
sollicitée est chorégraphe et danseuse. Elle a travaillé seule à partir d’une question que nous lui avons
posée sur la posture du « danseur reggae »
Pour la musique, deux chansons sont étudiées de manière comparative. L’une appartient au
gwoka, Lamorisyè. Elle est chantée par Christen Aigle (1925-1986), chanteur-danseur -tanbouyé au
cours des léwòz des années 1970-80 en Guadeloupe. L’autre, Johnny was est une chanson reggae de
Bob Marley, sortie en 1976.
Du point de vue du texte, les thématiques sont communes mais le chant de Bob Marley est plus
1066
politisé .

1061
Ce sont les imbéciles, les voleurs et les paresseux qui adoptent cela.
1062
Pour ne pas travailler (justifier de leur oisiveté), ils disent (ils déclament) que Jah le recommande.
1063
Ce n’est pas du jeu, ce n’est pas de la couillonnade.
1064
Les camarades (croyez -moi), c’est vrai.
1065
Il s’agit de Gérard Gros, thèse doctorat en préparation sur la musique gwoka.
1066
Johnny was décrit la détresse d’une mère face à la mort violente de son fils tué par arme à feu dans la rue. Dans Lamorisya, le
parent s’en prend à un élément naturel, la rivière ou le ruisseau qui lui a pris son enfant mort par noyade.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Woman hold her head and cry


Caused her son had been shot down in the street and died
Just because of the system1067.( Johnny was)

Woy ou ké kriyé manman ban-mwen


Ké kriyé papa ban mwen
Wiso-la wiso-la
Ola ou mété zanfan an-mwen1068. (Lamorisya)
Pour notre musicien, professeur de musique, Johny was peut-être considéré comme une
chanson aux tambours au même titre que Lamorisya car la batterie joue le rôle du tambour dans le titre
Johnny was et dans le reggae en général. En effet, du point de vue de l’instrumentation, la batterie
produit un rythme d’une grande précision. C’est l’assise rythmique du morceau. On aurait pu même
limiter le morceau aux voix et à la batterie. Les autres instruments servent à renforcer la rythmique,
apportent les couleurs. La basse joue les éléments forts du phrasé rythmique mais ce n’est pas elle qui
assure la base rythmique. C’est la batterie. Les variations se produisent sur la grosse caisse. Comme le
tanbou, dans le gwoka, monopolise le jeu musical, la batterie joue le même rôle1069.
Pour la danse reggae comme pour les danses du léwòz, la partie solo de la guitare basse ou du
tanbou-makè crée l’interaction entre le danseur et l’instrumentiste. Le danseur de léwòz déploie son
jeu personnel tout en respectant les conventions de la danse et de l’interaction. Pour le « danseur de
reggae », écoutons notre spécialiste référent :
« Lorsque je me suis interrogée, on ne peut pas dire qu'il y a une danse reggae comme on pourrait
parler d'une danse gwoka ou bèlè1070. C'est une expression corporelle sociale profondément
Jamaïcaine. Né dans les années 1960, la signature de la musique reggae invite le corps même celui
qui est étranger à s'exprimer et à porter le corps à l'image de ces chanteurs de reggae. C'est peut -
être la raison pour laquelle je ne parle pas apriori de danseur de reggae.
C'est après avoir suivi un atelier avec la chorégraphe jamaïcaine Neila Ebanks formée à la technique
de Lantoinette Shines, que j'ai pris conscience que la posture du reggae est l'ADN de la Jamaïque
(un peu comme notre gwoka). Le reggae de ses origines puisées dans le ska et le rocksteady a évolué
au gré des générations qui a donné naissance au reggae et au dance-hall, là on peut admettre que la
danse a pris le pas sur la musique dans le sens quand on parle de reggae on pense musique, son,
pays, quand on parle de reggae, dance-hall on pense corps, danse, pays et musique; à la lecture
toutes les parties du corps sont très engagées, mais le bassin constitue le moteur de la danse, ensuite
les membres inférieurs. Les postures sont sensuelles, suggestives, particulièrement le corps féminin
qui dansé à deux peut simuler l'acte sexuel. Mais on peut s'interroger, doit-on penser que le corps
dansant Jamaïcain est un corps sexuel ? est-ce que les hommes et les femmes de ce pays ont un
rapport au corps plus libre ? Je sais par ailleurs qu'une lecture sexuelle peut-être fait en première lecture,
mais lorsque l'on est dans le pays et que l'on côtoie danseur ou non danseur je ne retiens que la notion de
fête, de corps jubilatoire, de plaisir, pas seulement c'est aussi un corps de resistance face a l'oppression
(sociale, economique), mais aucunement sexuel 1071.

1067
La femme se tient la tête et pleure parce que son fils a été descendu par une balle dans (en pleine rue) et est décédé juste à cause du
système.
1068
Woy tu appeleras ma maman, tu appelleras ton papa, le ruisseau oh le ruisseau, où as-tu mis mon enfant ?
1069
Travail d’audition avec Gérard Gros, Lamentin, mai 2019.
1070
Il s’agit de la danse aux tambours de la Martinique
1071
Léna Blou, chorégraphe internationale d’origine guadeloupéenne (thèse de doctorat en préparation sur l’art du danser gwoka), mai
2019.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

De même, le rapprochement des deux pratiques musicales se produit aussi par les transferts de
codes. En effet, à partir de la fin des années 1970, des nouveaux codes couleurs apparaissent dans
l’univers du gwoka. Ils s’observent dans la réalisation des pochettes des albums à l’exemple de :
Guy Conquette et le groupe Ka, La Gwadloup an dérout, 19781072
Gwo siwo & Gwo kato, Ka fraternité, 19831073
Katel avec Esnard Boisdur, La voix des Grands Fonds, années 1990, 19861074
Zagalo avec le groupe Kannida, vers 1992-931075
Akiyo Mémoires, 1992.

Figure 44 : Pochettes d’albums illustrées aux couleurs du rastafarisme, 1978-1992

L’esthétique du rastafarisme adapté au disque gwoka (1978-1992) : quelques exemples

1072
Guy Conquette et le groupe Ka, La Gwadloup an dérout, Label Uniteledis, 33 T, 30 juin 1978.
1073
Gwo siwo & Gwo kato, Ka fraternité, Label Disques Debs, 33T,1983
1074
Le CD est un remix des deux premiers albums vinyle 33T de Esnard Boisdur édités en 1986 pour le premier et 1989 probablement,
pour le 2è sous le label Théâtre du cyclone.
1075
Zagalo avec le groupe Kannida, 33T, début année 1990

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ces 5 albums viennent de groupes d’horizons différents tant du point de vue sociologique que de la
spécialité gwoka. Guy Conquet né en 1946, Esnard Boisdur né en 1952 et Francky Geoffroy dit Zagalo
né en 1956 sont des gens de la campagne. Les deux derniers vivent dans la campagne de Ste Anne,
précisément dans la région des Grands Fonds. Guy Conquet, homme de la campagne vit au moment
de l’enregistrement de l’album, à Paris. Le groupe Gwo Siwo est composé de jeunes vivant dans des
communes différentes : Enide Jasmin (boula, répondè, vokal), François Jasmin (boula, makè), Eric
Danquin (ti bwa, répondè), Philippe Makaia habitent à Morne-à-l’Eau, Michel Halley vit dans la zone
urbaine Pointe-à-Pitre/Abymes. Sabine Marceau est originaire de la commune de Pointe-Noire mais
son lieu de pratique du gwoka est Pointe-à-Pitre1076. Gérard Pomer, leader du groupe Gwo kato vit
dans la campagne du Lamentin1077.

1076
Témoignage de Sabine Marceau, Mawso toujou doubout o ka, Brochure Almanaka, 2008.
1077
Témoignage, Bulletin Léwòz, n°2, octobre 2006.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les albums correspondent à des spécialités différentes. Les groupes Ka de Guy Conquet de
même que Gwo kato et Gwo Siwo sont des spécialistes du léwòz, Kannida et Esnard Boisdur sont des
spécialistes de la véyé. Akiyo est un groupe du carnaval de type mas. Pourtant l’illustration de ces
albums est influencée par le même mouvement.
La composition esthétique des pochettes rend compte de la place accordée à l’association de
couleurs conforme à l’esthétique du rastafarisme. L’association la plus fréquente est le rouge, le jaune
et le vert. Elle se suffit à elle seule pour la face recto de la pochette de Conquet et de Kannida. Elle est
accompagnée de noir pour la face verso de Kannida et pour l’illustration recto, de Gwo siwo/Gwo kato,
de Boisdur, de Akiyo de même que pour la face verso de Kannida. Ces associations de couleur sont
utilisées par groupe de trois ou de deux comme le rouge et le jaune pour Gwo kato/Gwo siwo ou le
rouge et le vert pour Kannida. Elles colorient en mettant en évidence soient des inscriptions en gros
caractères comme les titres La Gwadloup an dérout, Ka fraternité ou Katel. Le même usage est fait
des couleurs citées, pour le nom des auteurs Boisdur et Kannida.
Concernant l’usage illustratif de ces couleurs, nos albums n’ont pas la primeur. En effet nous
ne saurions analyser le sens de ces couleurs sans effectuer un retour sur un album sorti en 1964 où le
rouge, le vert et le jaune sont les seules couleurs du fond et des écrits de la pochette. Les illustrateurs
semblent avoir été influencés par les couleurs choisies comme drapeau national lors de la vague
d’indépendances qui donne naissance à plus d’une vingtaine d’Etats africains. Mais cette influence
s’est limitée, à l’époque, à cet album.
Deux décennies plus tard de nouveaux acteurs du gwoka appartenant au mouvement rasta
comme plusieurs membres des groupes Gwo Siwo et Akiyo, adoptent cette esthétique. D’autres, acteurs
plus anciens comme Guy Conquet, sensibilisés par le rastafarisme s’inspire de l’esthétique du
mouvement. Le rastafarisme et le gwoka se nourrissent alors mutuellement durant cette période. Des
manifestations rasta auxquelles participent des acteurs du gwoka, sont annoncées par un drapeau
portant les couleurs de l’Ethiopie impériale, avec glissement de la couleur or vers la couleur jaune.
Cette signalétique, nouvelle sur le territoire de Guadeloupe favorise l’adoption de ces couleurs pour
les supports discographiques du gwoka.
Le fait de les accompagner d’autres images révèle le sens accordé à l’adoption de ces couleurs.
Elles sont accompagnées en effet de portrait d’un Afro-Guadeloupéen1078 en gros plan couvrant la
pochette à double volet (Conquet), de scènes rurales (Gwo kato/Gwo siwo), de paysage naturel (Esnard
Boisdur), de masques et de motifs africains (Gwo kato/Gwo siwo), d’objet comme le fouet rappelant
les violences à l’encontre du travailleur esclave (Akiyo).
Ce sont des couleurs qui renvoient à l’histoire et à l’espérance d’un avenir glorieux pour les
Afro-Guadeloupéens. Cet aller-retour entre le passé et le futur traduit une « pensée rasta » et se met en
œuvre par leur mode de vie (alimentation, musique, coiffure, famille…) qu’adopte des non-rastas ou
des pseudo-rasta du gwoka. Cette pensée est celle de la reconnaissance de l’Afrique, terre originelle
des nègres qui ont subi les souffrances de l’esclavage et qui trouvent dans la nature, la ruralité et les
pratiques musicales ancestrales aux tanbou, des espaces de ressourcement.
En revanche, l’illustration de l’album de « Zagalo avec Kannida » ne peut s’inscrire dans le
même registre. En effet, cet album est celui qui porte la réponse en chanson que l’auteur-compositeur
adresse à des mécontents du titre Défo. L’auteur prend un titre provocateur pour les désigner : Rasta-

1078
Le portrait représente Guy Conquet, l’auteur-compositeur de l’album.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la. Il accuse des rastas de s’être attaqués à son cheptel en guise de représailles contre la première
chanson. Il raconte les faits :

An palé dè rasta
An sèten an di la vérité…
Olè yo té pran konsyans
On pati monté konplosité
Yo désann jis a kavannyè
Pwazonné 14 kochon an-mwen1079 …

Il expose ouvertement son opinion et marque son mécontentement. Ses propos sont ascerbes. Il
emploie les mêmes mots et le même ton que pour la première chanson :
An di ésidan pa ni rasta
Sé kouyon, volè, fennyan
Kan ta rasta a Gpe la…
Yo ka vin mandé-w lajan pou manjé
Koman ou pé ni lajan pou-w manjé
Si yo paka travay, vòlè1080

Il use d’ironie pour fustiger leurs croyances et leurs pratiques. Et pour bien se faire entendre et que la
musique ne masque les mots, il passe du chant à la parole en guise de remontrance :
Yes I ! Jah rastafari !
Pawòl a gran-papa la ki an syèl -la !1081

Comme pour Défo, l’auteur-compositeur porte seul la responsabilité de l’attaque. Il n’y a pas
de répondè. Et pour bien montrer que cette chanson est une réponse à la première, il convoque le même
« phrasé rythmique », un kaladja. La réponse longue de 18 strophes inégales sans aucune répétition,
prend ainsi l’aspect d’une réelle adresse. L’auteur n’est plus dans le chant. Il y a peu de nuances. Là
encore, la parole l’emporte sur le chant.
Il confie à un spécialiste des Arts la réalisation de la pochette. Il semble associer le travail rural
aux couleurs exprimant ainsi les propos de l’auteur. D’autres couleurs s’infiltrent aussi dans l’œuvre.
Cette pochette doit être plutôt envisagée comme une parodie du rastafarisme.
Ainsi, les couleurs du rastafarisme adoptée par les acteurs du gwoka ne relèvent pas uniquement
de l’illustration. Elles semblent annoncer d’autres références identitaires pour l’acteur du gwoka et que
portent au niveau du disque, des auteurs-compositeurs et des plasticiens. Les rastas montrent leur
singularité au niveau du gwoka, les femmes aussi.

J’ai parlé de rasta. Je suis sûr d’avoir dit la vérité. Au lieu d eprendre conscience, certains ont fait un complot. Ils sont allés jusqu’à
1079

Cavanière (secteur rural domicile de l’auteur) afin d’empoisonner 14 de mes cochons.


1080
J’ai dit qu’ici, il n’y a pas de rasta ; ce sont des couillons, des voleurs et des fainéants. Quant aux rastas de Guadeloupe…Ils
viennent vous demander de l’argent pour manger. Comment peut-on avoir de l’argent pour manger sans travailler. (Espèce de) voleur !
1081
Yes I Jah rastafari ! La parole du grand maître (papa) du ciel.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C- Femmes, genre et gwoka : affirmer sa participation

1- « Choisir son moi »

C’est à Paris que Marie-Céline Lafontaine nous accorde un entretien dans l’appartement
familial qu’elle occupe en compagnie de sa sœur. Notre exposé suivant est davantage un commentaire
de cet entretien que la restitution de celui-ci. Il porte sur sa pratique du gwoka en tant que femme et
sur ses motivations de chercheure. A cette occasion, elle déroule son parcours et montre comment, au
sein d’une communauté dans laquelle elle vit durant trois ans, elle découvre des musiques et une vie
collective qu’elle ignore1082. Cette Guadeloupe là, elle ne la connaît pas auparavant.
Elle à la fois chercheure en ethnologie et compagne de Guy Conquet qu’elle rencontre au cours
de son séjour en Guadeloupe. Car, elle revient en Guadeloupe alors qu’elle a presque la quarantaine,
et un emploi, comme elle le dit, pour bien faire prendre la mesure du temps qui s’est écoulé loin de la
Guadeloupe. En effet, elle naît à Basse-Terre en 1937. Mais alors qu’elle a 18 ans, son père décide de
quitter la Guadeloupe pour Paris en y emmenant tous ses enfants. Elle décide de revenir en Guadeloupe
en octobre 1975. C’est le « retour aux racines » qui la guide après plus de 20 ans d’absence. Ses
motivations sont clairement exprimées :

« Je ne voulais pas tomber dans le schéma de la représentation de moi-même telle que l’envisageait ma
famille. Je suis devenue une fille révoltée. C’est pourquoi j’ai fait du théâtre avec Sarah Maldoror. Je
rencontrais certes dans le milieu antillais et africain des gens gagnés aux idées d’indépendance. Mais en
France, je n’étais pas bien. Je voulais revenir aux Antilles. J’avais une quête profonde d’identité
culturelle… Arrivée à Jabrun, je dansais le gwoka toute seule dans la chambre et je voulais apprendre à
danser les quadrilles »

Elle commence l’entretien par la description de son phénotype comme pour montrer
l’importance de cette question dans le gwoka. Entre elle et le parent d’origine africaine il y a son père
dont la famille et lui-même ont une haute idée de sa personne en tant que mulâtre. Le phénotype de
Marie-Céline comprend plus de composantes blanches que noires. Elle a la peau très claire et les
cheveux lisses légèrement bouclés. Elle a les lèvres fines et le nez relevé. Elle assume pleinement ses
origines. C’est la 3è enfant d’une fratrie de 10, et qui a conscience des discriminations racistes au sein
même de sa famille. Car son père Alexandre Jean Lafontaine né au Gosier au début du XXè siècle, est
le fils d’un béké et d’une femme noire. Dans la famille, il est perçu comme un paria. Par réaction à
cette discrimination, il écarte le gwoka de sa famille et s’éprend de la France métropolitaine. Par
ailleurs, il n’élève pas ses enfants dans la transmission des pratiques afro-guadeloupéennes.
En tant que femme, son travail sur la musique se mêle à sa vie intime. Cette position favorise
son intégration auprès d’un public qui au départ lui est étranger. Elle souligne bien que ce n’est pas
son compagnon qui l’introduit dans l’univers du gwoka et de la musique du secteur de Jabrun (Baie-
Mahault), mais une de ses cousines Colette Pentier. Toutefois, à la faveur de ses relations intimes, elle
vit avec son compagnon chez la mère de celui-ci, Solange Athanaïse Bach dite Man Soso. Elle
découvre la réalité de Jabrun. C’est d’abord une « communauté » liée par des musiques : quadrilles,

1082Témoignage de Marie-Céline Lafontaine, 27 décembre 2017, Paris. Les mots et expressions entre guillemets sont des citations de
l’auteure au cours de cet entretien.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

biguine, musiques du léwòz. Mais Jabrun c’est aussi des acteurs. Elle les côtoie tous, les observe, les
écoute.
L’émerveillement l’habite. Elle n’arrive même pas à prendre un micro pour les interroger. Elle
« boit leur parole ». Cette expression du créole guadeloupéen employée par Marie-Céline pour
exprimer l’extase que procure un propos à son auditoire, montre son appropriation du créole de la
campagne. En effet, son retour en Guadeloupe a pour but de reprendre tout ce qu’elle a perdu.
Mais, les gens de Jabrun qu’elle cite, donc qui l’ont marquée dans leur pratique musicale sont
des hommes et principalement ceux qui ont des performances particulières. C’est François Jernidier
dit Kawno, compagnon de Man Soso organisatrice de manifestations musicales, tanbouyé des
quadrilles et des léwòz et organisateur aussi. C’est Lolo alias Alois Canfrin (1899-1977) par sa danse
au chapeau et au bâton. C’est Hyzirin François dit Bagi1083 sur son boula avec la régularité du
métronome dans la tête mais aussi frottant tendrement son syak1084. C’est Guy Conquet son compagnon
avec sa manière de chanter en respectant les esthétiques conventionnelles de lokans et de rèpriz1085.
C’est par lui qu’elle comprend qu’étudier le chant gwoka c’est s’intéresser à ces questions de
conventions. Elle évoque ses souvenirs de Man Soso en tant que son hôtesse mais non en tant que
chanteuse-danseuse :
« J’ai vécu chez Man Soso. La cuisine était au fond. »
De même, la concernant, elle ne dit mot de sa participation au concert de Wagram en tant que
fanm-répondè aux côtés d’autres femmes jouant le même rôle ou encore chargées de petites
percussions. Les femmes ne sont donc pas reconnues par Marie-Céline comme actrices centrales au
sein des manifestations musicales gwoka dans l’espace circonscrit de Jabrun ou sur la scène urbaine.
En revanche, elle se présente pour ce concert comme la conseillère et l’organisatrice. Ce concert est
organisé avec le soutien financier de son entourage professionnel. Ce rôle nous est confirmé par un
des amis et presque frère de Guy Conquet qui regrette son départ pour la France :
« Sé avè dépar a Gi nou arété. Pas, sété chantè préféré an-nou. I pati an Frans. Yo konséyé-y pati, i ké
pé dévlopé artistik a-y1086 ».
C’est de Marie-Céline que parle cet ami sans la nommer. Guy lui-même l’a souvent dit :
« A pa Bimidom ki chayé mwen an Frans. Mari-Sélinn di mwen : An nou a-y an Frans, an ké pé touné
adan tout la Frans1087 »

Ainsi, elle découvre le gwoka comme le lieu des hommes et des femmes qui font ensemble.
Elle ne pose pas de problème de différenciation des rôles selon les sexes ni selon l’action et
l’encadrement. Car, à Jabrun ces rôles fusionnent pour l’acteur qu’elle interroge et pour son entourage.
Par ailleurs, le travail d’observation et de recherche de Marie-Céline Lafontaine s’appuie
d’abord sur ses souvenirs d’enfance à la rue Victor Hugo de Pointe-à-Pitre où la biguine est jouée dans

1083
Musicien tanbouyé et joueur de syak décédé en août 2019 à l’âge de 82 ans.
1084
Instrument de musique artisanal connu en France sous le nom de râcleur
1085
Pierre Sitchet, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le gwoka, genre musical guadeloupéen, 395 pages, Thèse de doctorat,
Musicologie, Université Paris- Sorbonne, 27 juin 2017 : « La lokans est la capacité à moduler la voix du point de vue de la hauteur, de
l’intensité, de moduler la vitesse du rythme, d’introduire de courts « break » dans l’interprétation… d’improviser à souhait… La lokans
est personnelle. C’est vraiment sur ce terrain que le chanteur est attendu. Nous sommes l’auteur de cette citation comme le signale
l’auteur, page 250.
1086
C’est avec le départ de Guy que nous avons arrêté (de jouer). Car, c’était notre chanteur préféré. Il est parti pour la France. On lui
a conseillé de partir afin de développer son art » Témoignage de Reynoir Casimir dit Négòs, 4 janvier 2013, Petit-Canal.
1087
Ce n’est pas le BUMIDOM qui m’a conduit en France. Marie-Céline m’a dit (conseillé) de venir en France (avec elle ; je pourrai
tourner dans toute la France.Témoignage de Guy Conquet, août 2011.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

les rues. Elle rédige plusieurs articles sur les musiques jouées en Guadeloupe1088. Mais, la volonté de
retour aux racines et sa démarche de rattrapage des pratiques ignorées voire perdues se heurte aux
pesanteurs du passé dans les discours et les comportements de son entourage : « Je n’aime pas les
mulâtres » lui répète sans cesse Guy Conquet. A ces propos, aux yeux de son compagnon, sa quête
serait marginale vu son phénotype. Elle poursuit tout de même.
L’interview qu’elle sollicite du musicien « Carnot 1089» qui pratique à la fois les quadrilles, la
biguine et le léwòz s’explique par la tendance à séparer les musiques, qu’elle observe au sein de l’élite
intellectuelle. En effet, celle-ci, animée par la logique de rupture avec la France, sépare les musiques
selon qu’elles soient de racine française ou africaine. Ce groupe ignore aussi les influences des
musiques européennes sur les musiques afro-guadeloupéennes. En dépit de ces difficultés, elle
s’éprend de passion pour les musiques qu’elle découvre ou retrouve en Guadeloupe. Elle considère le
tanbouyé « Carnot » comme le premier d’une liste d’acteurs qu’elle prévoit d’étudier. L’interview
aboutit à un ouvrage pour combler « l’arrachement » si mal vécu pendant 20 ans. Toutefois, en tant
que chercheuse, elle est consciente de la distance que l’éthique lui commande :
« Je ne voulais pas, sous prétexte de sympathie pour le marxisme, sombrer dans une description idyllique de
la paysannerie ».
En tant que chercheure du CNRS, Marie-Céline Lafontaine inaugure le travail de recherche sur
les gens des musiques rurales de la Guadeloupe. D’autres chantiers auraient pu encore s’ouvrir. Ainsi,
Jabrun en tant que communauté devait faire l’objet d’un film soutenu par le CNRS. Mais Gérard
Lockel disait qu’il était trop tôt pour le faire. Les circuits de la culture de la canne à sucre à Jabrun ont
juste été filmés. Malgré tout, l’ouvrage qu’elle publie sur « Carnot » en avril 1986 est suivi du Colloque
des 25 et 26 novembre 1988 à Pointe-à-Pitre. Elle dirige cette rencontre en tant qu’ethnologue chargée
de recherche au CNRS et dans lequel elle donne une communication1090.
Ainsi, Marie-Céline Lafontaine a retrouvé ses racines par le gwoka. C’est elle qui met fin à notre
entretien par les mots suivants :
« J’ai aimé ce pays et les gens de ce pays. Depuis que je suis repartie, c’est comme un cri qui a été étouffé.
Je suis très malheureuse d’être en France »
Jacqueline Cashemire, elle aussi a retrouvé son « moi » dans le gwoka mais par un autre
parcours. Cette femme, danseuse et directrice d’une école de danses se distingue par ses tenues de
scène qu’elle porte au quotidien. Contrairement à Marie-Céline Lafontaine, le témoignage de
Jacqueline Cachemire dont nous disposons est spontané. Elle l’offre à un public qui assiste à une
causerie autour de la transmission des femmes au sein du gwoka1091 . C’est pour expliquer son entrée
au lieu de la causerie, dans mouvement corporel particulier qu’elle raconte la conquête de son « moi »
par le gwoka. En effet, elle pénètre dans le lieu dédié à la causerie en dansant sur une ritournelle
scandant son nom et accompagnée des battements de mains du public. C’est un accueil que lui réserve
les participants de la causerie à l’initiative d’un auteur-compositeur présent et qui met sur le champ
son nom en mélodie et exécute le rythme du tanbou par des onomatopées.

1088
Marie-Céline Lafontaine, Balakadri ou le bal de quarille au commandement de la Guadeloupe : un sens, une esthétique, une
mémoire, Présence africaine, 1982/1, n°121-122/ “Le Carnaval de l’autre.” A propos d’authenticité” en matière de musique
guadeloupéenne : théories et réalités.” Les Temps Modernes 39, 1983 (441-442) : 2126–73.

1089
Cet interview fait l’objet de l’ouvrage Carnot par lui-même, Editions Caribéennes, 1986.
1090
Marie-Céline Lafontaine, Unité et diversité des musiques traditionnelles guadeloupéennes, Les musiques guadeloupéennes dans le
champ culturel afro-américain, au sein des musiques du monde, Editions Caribéennes, 1988, pages 71-92
1091 Festival Eritaj, Moun-a-gwoka : Places et rôles des femmes dans la transmission du gwoka, 25 mai 2019, Petit-Canal, Guadeloupe.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Notre exposé à son propos n’est pas non plus, comme pour Marie-Céline Lafontaine une
restitution du témoignage ni un récit biographique. Ce que nous montrons, en nous appuyant sur son
témoignage, c’est la capacité d’une femme à transcender voire transgresser le destin que sa famille lui
avait tracé.
Du point de vue professionnel, elle a respecté ce que lui dictait l’ascenseur social. En effet, de
sa mère marchande de gâteaux, elle devient professeure d’Education physique et sportive puis
conseillère pédagogique pour l’Education Nationale. Elle aurait pu embrasser très jeune le gwoka vu
le milieu modeste dans lequel elle a été élevé. Mais, sa mère, n’a pas choisi le gwoka. Jacqueline aime
à dire que son père et sa mère avaient pour loisir favori les bals de la Renaissance. Pour cela, leur tenue
répondait à la norme de l’époque : Les femmes en robe mi-longue ou longue et en chaussures à talons
hauts. Les hommes en costume tailleur. C’était la « tenue correcte ».
La norme vestimentaire dans le milieu de Jacqueline s’associe à la norme linguistique et
musicale. En effet, élevée à partir de l’âge de 12 ans chez son oncle et sa tante à Marie-Galante, tous
deux cadres de la fonction publique, le créole et le gwoka n’ont pas leur place dans cette maison. Bien
des réactions de la part de son oncle et de sa tante au détour d’un dérapage verbal et musical seraient
utiles à le montrer.
Du point de vue de la danse, elle passe de la norme à la frustration. Le récit anecdotique est
utile pour décliner ce parcours :
Tout commence par une affectation professionnelle au collège Dubouchage1092.Elle inclut la
danse dans son cours d’EPS en 1968. Les danses sont exécutées sur des musiques de variété françaises
comme le Mamy Blue de Nicoletta (1971) ou Belinda de Claude François (1972). La musique des
Western qu’elle entend au cinéma sert aussi de support aux ballets qu’elle fait exécuter à ses élèves.
L’attractivité du cours d’EPS le transforme en atelier. Celui-ci se déroule le samedi après-midi sous le
préau de la cantine du collège. Un spectacle auquel participent 167 élèves naît de cet atelier dans l’une
des grandes salles de Pointe-à-Pitre, le cinéma Rex.
Le spectacle qui donne satisfaction au public provoque la frustration du professeur :
« Il n’y a rien de Guadeloupe ».
La réponse lui est donnée par des ballets folkloriques de La Brisquante et d’Acacia1093 auxquels
elle décide d’assister dans un but pédagogique. L’idée d’un ballet gwoka prend corps. La réflexion
didactique s’appuie sur les enseignements d’ainés que lui conseille Toussine Papyé à Luil1094. C’est
une danseuse de graj, marchande d’accras d’où son surnom. Le premier ballet gwoka est exécutée sur
une chanson gwoka en vogue :
L’auto-la de Yvon Anzala.
Plus que l’adoption d’une pratique, l’histoire de la rencontre de Jacqueline et du gwoka
s’apparente à une « assignation » ordonnée par un « juge » qui dans ce cas est le gwoka. Car
l’intéressée ressent le besoin d’adopter le gwoka comme un acte auquel elle ne peut se soustraire en
dépit du découragement de ses propres conseillers :
« An ka di-w sa, an ka di-w ki jan gwoka ka dansé, men penga ou dansé-sa 1095»
Elle sait en revanche préserver l’identité de ses conseillers praticiens conscients de la
marginalisation de cette danse. L’ambiguïté de ces acteurs s’exprime par ces mots :

1092
Actuel collège Nestor De Kermadec, quartier de Dubouchage, Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
1093
Troupes de danses de Pointe-à-Pitre
1094
Cette danseuse est citée dans la présente étude (partie 2, chapitre : Mobiliser des forces supérieures)
1095
Je te le dis, je te montre comment se danse le gwoka, mais ne danse pas cela et ne nomme pas mon nom (ne dévoile mon nom).

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

« An ka di-w men penga ou nonmé non-an-mwen1096 ».


La vigueur de la réponse à « l’assignation » » est aussi intense que la frustration. Cette vigueur
se manifeste par le rayonnement de son cours de danses gwoka qui se déplace successivement en
plusieurs quartiers de la ville : le local de la Fédération des œuvres laïques à la rue Condé de Pointe-
à-Pitre, l’école de Dubouchage, la cantine scolaire de Marie-Galante…
Jacqueline est fortement encouragée et soutenue par des hommes. En effet, l’organisation de
plus en plus rigoureuse du cours de danses, donne naissance en 1986 à l’école de danses qui prend un
nom qui indique l’intention de la créatrice : apprendre de manière académique. L’école qui prend le
nom Akadémiduka avec la collaboration active de son époux, tanbouyé, Yves Thôle, est un espace de
modernisation du gwoka désormais enseigné et étudié d’après une technique réfléchie. Cette technique
d’apprentissage formel fait école.
Au sein de l’école, Jacqueline dispense les cours de danse tandis qu’elle poursuit sa quête de
performance auprès d’un jeune danseur réputé Jean-Pierre Rospart dit Bébé originaire de la région de
Basse-Terre-Baillif. Elle affirme et renforce son statut d’actrice centrale et forme des acteurs centraux
à son tour et particulièrement des femmes à qui sa structure inspire confiance. Son réseau de
transmission est principalement constitué de femmes. Cette histoire de transmission féminine en effet
est celle du passage du témoin de la danse gwoka sur 3 générations de Toussine (probablement née au
début du XXè siècle) à Jacqueline, de Jacqueline à Léna Blou, Raymonde et Nadia Pater.
Le discours qu’elle tient à propos du gwoka est révélateur de la place qu’occupe cette pratique
dans son évolution identitaire :

Sé gwoka ki pèrmet-mwen dékouvè an té ni on péyi non a-y sé Gwadloup.


Sé gwoka ki pèrmèt-mwen tini fièrté a Gwadloupéyéen.
Sé gwoka ki fè si an ka palé kréyòl ba zòt. Pas avan an pa té ka palé kréyòl.
Sé gwoka ki fè an vin mwen. Moun-la ki rantré-la é ki dansé-la sé mwen. Ki fè an vin on moun. Kèlkè
swa grandè a-moun, hotè a-moun ki ka vini koté-mwen. An sé on moun1097 !

En définitive, Marie-Céline et Jacqueline, ces deux femmes, ont toutes les deux choisi leur identité
culturelle en marge de celle que leur avait destiné leur famille respective. Elles rencontrent le gwoka,
l’adoptent, le développent. Jacqueline a changé l’idée de la direction artistique de l’école de danse.
Avec elle, la direction est assurée par une fanm-dansè même à la différence de la Brisquante. A ce
titre, son Akadémiduka se rapproche davantage de la troupe Caribana dirigée par Francisque Henri dit
Hilaire, un dansè. Mais les membres n’ont pas forcément comme dans le modèle de La Brisquante et
de Caribana, vocation à intégrer une troupe de danses. L’Akadémiduka est une école de type nouveau,
plus ouverte que les précédentes troupes de danses. Elle rencontre un fort succès grâce à ces deux
paramètres. La voie est ouverte. Sur la période, d’autres écoles de danses de même profil se créent.
Marie-Céline, elle a initié un nouveau rôle pour les femmes, une transmission du gwoka autre que par
la pratique de la danse, des musiques et du chant. Elle montre que les vieilles pratiques musicales
peuvent se transmettre par leur sociologie, leur sens et leur portée sociale. Et le nouveau langage de
cette transmission est la recherche scientifique.

1096
Je te montre comment faire mais ne dis pas que c’est moi (qui te l’ai appris)
1097
C’est le gwoka qui m’a fait découvrir que j’avais un pays dont le nom est la Guadeloupe. C’est le gwoka qui m’a permis d’avoir la
fierté d’être Guadeloupéen. C’est grâce au gwoka que je vous parle en créole. Parce qu’avant je ne parlais pas créole. C’est le gwoka qui
a crée mon « moi ». La personne qui est entrée en dansant c’est moi. Quelque soit la hauteur et la grandeur ( le statut) de celui qui
m’aborde, je suis un homme.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

En Guadeloupe, les femmes reconnues pour leur expertise dans un domaine précis sont hissées au
rang de Mèt-fédam1098. Marie-Céline et Jacqueline sont les deux premières des années 1970-80. Elle
se hissent au rang de hautes personnalités féminines du gwoka. Mais il convient de s’interroger sur les
rôles des femmes en général au sein des ensembles musicaux.

1098
Traduction possible : maîtresse-femme.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 45: Photographies de Marie-Céline Lafontaine et Jacqueline Cachemire

Marie-Céline Lafontaine (photo de groupe, concert de Jacqueline Cachemire, photo TV


Wagram, Paris, 30 jin 1978, collection Guy Conquet) magazine, 217 au 23 février 2007, page 35
Collection personnelle

De gauche à droite : Marie-Céline Lafontaine,


Marianne Mathéus, non identifié, Luc-Hubert Séjor,
Widly Douglas dit I Three.

2- Femmes, images, rôles dans le gwoka de scène

Pour étudier la représentation des femmes dans le gwoka, nous examinons les pochettes des
disques. Cet art iconographique, masqué par la fonction première du disque destiné initialement à
l’audition, a été étudiée dans la première partie de la présente thèse. Il s’agissait de montrer pour la
période de 1931 à 1969, la fabrication des mèt -tanbouyé par l’image. Les femmes y étaient exclues
par le fait même de n’avoir pas été sollicitées pour les enregistrements discographiques.
Cette deuxième période, riche de mutations devrait être favorable à une intégration générale
qui n’excluerait les femmes dans aucun domaine. Alors voyons ce que nous disent les pochettes du
disque de la perception des femmes dans le gwoka : A t’elle changé ? Les femmes sont-elles mieux
intégrées du point de vue de la pratique musicale du tanbou ?
Des pochettes d’albums vyniles comprenant des femmes nous interpellent :
- Kassav, 1979
- Tumblak, 1981

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

- Kimbòl, 1992

Figure 46 : Pochettes d’albums illustrant la fanm-tanbouyé

La représentation discographique des femmes-tanbouyé : 1979-1992


Album Tumblak, Paris, 1978, Album Kassav, Pointe-à-Pitre, 1979
Collection Daniel Losio Collection David Alex Angerville

Album Kimbòl, Pointe-à-Pitre, 1992


Collection personnelle

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Il nous semble important de faire un point sur la ligne musicale de l’ensemble Kassav. Pour
cela, nous nous appuyons sur le témoignage de son fondateur Pierre Edouard Décimus et sur les
expériences antérieures de la femme qui a rejoint le groupe comme choriste en 1980 puis chanteuse
lead en 1983, Jocelyne Beroard.
Cet ensemble est largement inspiré par le gwoka et en fait un usage conséquent pour le premier
enregistrement qui compose notre sélection. Les tanbou de type Mas-a Sen- Jan sont enregistrés en
live avec le groupe Atata Combo des Frères Cazako de Pointe-à-Pitre. Sur ce même album, une
chanson est dédicacée à Marcel Lollia dit Vélo. Cette chanson a été interprétée tout au long du cortège
qui a conduit Vélo au cimetière en 1984. Il est difficile de ne pas associer ce groupe au gwoka à ses
débuts. Pierre-Edouard Décimus a dit son intérêt pour les Mas-a-Sen-Jan qui ont bercé son enfance à
Pointe-à-Pitre1099. Avant Kassav, Jocelyne Beroard est la chanteuse soliste de l’ensemble musical
Tumblak. Elle se produit sous le pseudonyme de « Jendayce » aux côtés des tanbouyé Marcel Mania
ou Magnat, Daniel Losio, Guerin Epiphane, Jacky Serin. La pochette recto du disque la montre parmi
ces musiciens1100. Par ailleurs, lorsqu’on lui demande ce qui importe le plus dans Kassav entre ce que
racontent les chansons et les rythmes anciens, elle répond :
« Ce qui prime c’est le rythme qui est un héritage de l’Afrique. La base c’est
essentiellement percussion et batterie. A cela s’ajoutent des sonorités plus modernes…
On a gardé la base essentielle de notre musique…On retrouve dans le zouk les
musiques de percussion de chez nous.1101 »
C’est pourquoi nous avons retenu cet album d’autant que celui -ci propose une image de femme
assise sur un tambour.
Les trois pochettes se rejoignent quant à l’image de la fanm-tanbouyé. L’album de Kassav
montre la photographie d’une femme nue, pieds nus, les cheveux crêpus libres, au vent, le torse enlacé
de chaînes et assise sur un tanbou. En position de jeu, elle donne le dos au public. En revanche, pour
le groupe Tumblak, la femme est accroupie à côté d’un tanbouyé déployant énergiquement des sons
qu’il observe avec des yeux ébahis. La femme se vautre à ses côtés, les yeux fermés, vivant pleinement
la musique. Son corps nu, que recouvre juste un tissu plissé qui couvre sa nudité, contraste avec les
talons hauts qu’elle porte. Ils correspondent à la norme pour des chaussures de sortie contairement au
corps nu féminin exposé. La norme et l’anormalité se retrouvent en un même personnage. L’image
semble alors illustrer l’ambivalence de la femme. A la pose adoptée, la femme semble exécuter une
danse, les jambes ouvertes simulant un mouvement très sexuel.
Si l’image de Kassav est en noir et blanc, celle de Tumblak est très colorée, ce qui en rajoute à la
chaleur que dégagent tant le tanbouyé que la femme qui se tient à ses côtés.
L’image de Kimbòl diffère de celle de Tumblak parce que représente une situation réelle. En effet,
la jeune femme assise sur le tambour est prise en photo au sein d’un ensemble musical ; illustration
classique des albums de groupe. Sa pose est sobre. Elle laisse deviner une certaine tranquilité et le
tanbou lui sert de siège. Elle n’en joue pas et ce non-usage est de plus signifié par la flûte qu’elle tient
posée sur ses cuisses. En matière de tenue vestimentaire, elle s’affranchit des libertés des albums
précédemment décrits. En effet, elle porte l’uniforme du groupe, une tenue classique comprenant une

1099Témoignage accordé à Jacqueline Seytor-Birman pour son ouvrage « Mas a Sen Jan », Nestor, 2013, page 99
1100
Album Tumblak, Editions Paco Rabanne Designer (recto), Collection Daniel Losio
1101
Emission de Bernard Scheffer, Kassav, musique antillaise avec Jocelyne Beroard et Jacob Dévarieux, 2 août 1988, Bibliothèque
Nationale., Paris.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

jupe blanche et un tee-shirt vert. Sa coiffure est tirée en arrière. Elle ne ressemble en rien aux deux
autres images.
La photographie de Kassav représente une pose artistique et peu réaliste. C’est la plus osée des
trois. Car la femme est seule en scène et joue du tanbou. Point n’est besoin de rechercher sa place.
Elle est au centre de l’œuvre à tout point de vue tandis que pour les autres, la scène se partage entre la
femme et d’autres personnages. Par ailleurs, elle occupe une position excentrée.
Les diverses poses adoptées par les femmes dans chacune des oeuvres montrent que le rôle de
tanbouyé n’est pas admis pour les femmes. Aucune des images ne représente la fanm-tanbouyé en
situation réelle. La seule qui semble jouer vraiment, est la « fanm-tanbouyé » de Kassav mais elle
donne le dos au public. Cette pose prend tout son sens. Par cette position, elle est consciente du
caractère marginal de son acte. Pour cette période, dans notre sélection d’acteurs, le nombre de fanm-
tanbouyé demeure nettement inférieur par rapport à celui des hommes : 6 contre 90 même si celles qui
en jouent pour cette période sont mieux identifiées que pour la période précédente. La pose de cette
femme traduit et justifie cette inégalité ;
Ces images répondent aux commandes des auteurs. Sur la pochette de l’album il est indiqué que
Freddy Marshall est le concepteur de la couverture de Kassav et Ruddy Jabbour en est le photographe.
D’après Pierre-Edouard Décimus, fondateur de l’ensemble musical très impliqué dans la réalisation
des albums, il n’y a pa lieu d’indiquer de concepteur car en réalité il n’y a pas de conception. La
photographie existe auparavant, elle n’est pas réalisée pour l’album en question. Elle est choisie
comme illustration de l’album pour des questions financières. Faute de moyens, il convenait de
recourir à l’existant et dans sa collection de photographies, Ruddy Jabour propose celle-là que les
réalisateurs de l’album acceptent1102.
Cette représentation est un parti pris, un espace choisi pour dévoiler son opinion sur la fanm-
tanbouyé ; soit qu’elle est reconnue comme émancipée, libre de poser dans la tenue qui lui convient
ou alors qu’elle est considérée comme dévoyée. Libre ou dévoyée, c’est aussi le propos de la troupe
Tumblak. A la sortie de l’album, l’illustration a fait scandale au sein du monde du gwoka à Paris. Pour
ces deux albums, la fanm-tanbouyé est audacieuse tandis que pour Kimbòl, elle est pudique.
Toutefois, ces images peuvent aussi exprimer une certaine égalité entre homme et femme musicien
du tanbou. Pour Kassav, elle est seule en jeu comme les hommes le sont habituellement représentés.
Pour Tumblak, l’égalité se traduit par la présence des deux en scène, le corps nu. Pour Kimbòl, la jeune
femme assise sur le tanbou et un jeune homme lui aussi assis sur un tanbou quoique à califourchon
contrairement à la jeune femme, balisent la pancarte qui porte le logo du groupe. Ils sont à égale
distance l’un de l’autre même si la position de jeu masculine est plus nettement affichée.
En définitive, être fanm-tanbouyé entre 1970-90 est une exception dans l’univers du gwoka. Ce
rôle traduit l’image des femmes du gwoka aux yeux des hommes et un positionnement féminin tels
que les observateurs l’imaginent. Ce n’est pas du simple jeu musical.

1102
Témoignage de Pierre Edouard Décimus, Conférence chantée autour du zouk, Memorial Acte, Pointe-à-Pitre, 18 août 2019.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 47 : Tableau de répartition des rôles des femmes et des hommes au sein des orchestres
gwoka

Ensemble musical Forme du gwoka Chef de groupe Rôle et nombre de Rôle et nombre d’hommes
musical ou Album interprété ou directeur femmes
artistique
Ti Céleste1103 Léwòz Céleste Aurélien Pas de femmes Chantè, répondè, saxo alto,
dit Ti-Céleste calebasse, campana,
tanbouyé, auteur-
compositeur (9)
Gro Ka Modên Gwoka moderne Gérard Lockel Pas de femmes Guitare, flûte, trompette
(GKM)1104 bugle, batterie gwoka,
Gwadlouka, tanbouyé,
auteur-compositeur 1105 ( 7)
Groupe Ka1106 Léwòz Guy Conquette Répondè, flûte (3) Chantè, répondè, tanbouyé,
ti-bwa, triangle, kalbas,
auteur-compositeur 1107(10)
Téate Volkan1108 Léwòz Alex Nabis Chantè, répondè (3) Tanbouyé, chantè, répondè,
ti-bwa, chacha, kònn1109 (12)
Kannida1110 Léwòz Francky Geoffroy Kalbas, ti-bwa, Chantè, répondè, triangle,
répondè (2) kalbas, tanbouyé, auteur-
compositeur (8)
Robert Loyson 1111 Léwòz, véyé Robert Loyson Non indiqué 9 hommes (photo de groupe)
Luc-Hubert Séjor1112 Léwòz Luc-Hubert Séjor Piano, synthétiseur, Flûte, tanbouyé, ti-bwa,
flûte, répondè (3) calebasse, auteur-
compositeur (6)
Gwo siwo et Gwo Léwòz Michel Halley et Pas de femmes Tanbouyé, kalbas, ti-bwa,
Kato1113 Gérard Pomer chantè, répondè, flûte,
auteur-compositeur (15)
Ka Lévé1114 Gwoka moderne Edouard Ignol dit Pas de femmes Bugle, flûte, trombone,
Kafé guitare, percussion,
tanbouyé, auteur-
compositeur ( 9)

1103
Album, Ti Céleste, La beauté du folklore, label disques Debs, Pointe-à-Pitre, 1979
1104
Album Gérard Lockel ka présenté Gro Ka Modên, Guadeloupe, 1976.
1105
La batterie-ka et le gwadlouka sont des instruments à percussions crées par le chef d’orchestre
1106
Album Guy Conquette et le groupe Ka, La Gwadloup an dérout, Label Uniteledis, Paris, 1978.
1107
Kalbas s’écrit aussi selon les groupes calebasse : instrument à percussion réalisé à partir du fruit du calebassier que l’on rempli de
graines végétales/ Ti-bwa : instrument à percussion réalisée à partir de tiges de bambou que l’on frappe à l’aide de deux baguettes
1108
Téate Volkan ka chanté, Sové papiyion la, Basse-Terre, Label ILD, 1979
1109
Kònn : Conque de lambi
1110
Album S&F Geoffroy avec le groupe Kannida, Léwòz la ?,Label Liso Musique, Guadeloupe, années 1980
1111
Album Robert Loyson présente La Guadeloupe trenglé, Label Disco Franca, Guadeloupe, 1979 (information Harry Célini, 2018)
ou 1982 (Information Camille Sopran’n Hildevert, 2011).
1112
Album Luc-Hubert Séjor, Spiritual Sound, Label Music Control, Paris, 1980.
1113
Album Gwo siwo et Gwo kato, Ka fraternité, Label Disques Debs, Guadeloupe, 1983. Les deux ensembles musicaux se réunissent
sur un même album.
1114
Album Ka lévé, Label Debs, Pointe-à-Pitre, 1983.

341
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Gwakasonné1115 Gwoka moderne Robert Oumaou Chantè (1) Trompette, batterie,


tanbouyé, guitare, flûte,
balafon, clavier, percussion
(12)
Foubap1116 Léwòz Taffial dit Payam Répondè (1) Chantè, répondè, kalbas,
petites percussions,
tanbouyé, flûte, auteur-
compositeur (10)
Group’ Ka Léwòz Gui Konket Pas de femmes Chentè, répondè, guitare,
tanbouyé, percussions,
clavier, auteur-compositeur (
8)
Katel1117 Véyé, léwòz Esnard Boisdur Répondè (2) Chantè, répondè, tanbouyé,
percussion, auteur-
compositeur (11)
Gaoulé Mizik1118 Léwòz Tosh Montella Répondè, chantè Chantè, répondè, Kalbas,
(4) Boulagèl1119, guitare,
trompette, saxophone, flûte,
siyak1120, tanbouyé,
accordéon, auteur-
compositeur (17)
Akiyo1121 Mas Michel Halley Répondè (1) Synthétiseur, tanbouyé,
Kalbas, auteur-compositeur
(22)
Kimbòl1122 Gwoka moderne Georges Troupé Piano, synthétiseur, Vibraphone, batterie,
flûte, répondè, tanbouyé, saxo alto, bongo,
tanbouyé, chantè flûte, guitare basse, auteur-
(6) compositeur (11)

1115
Album Gwakasonné, 1984
1116
Album Foubap, Eve on Pwen, Label MJCA (Maison des jeunes et de la Culture des Abymes), Abymes, 1985.
1117 Album Katel, Esnard Boisdur la voix des Grands Fonds, Label Théâtre du Cyclone (TDC), Guadeloupe, 1986.
1118
Album Gaoulé mizik, label MJCA, Abymes, début années 1990.
1119
Onomatopées en voix de gorge grave excéutée par des hommes.
1120
Sorte de racleur
1121
Album Akiyo, Mémoires, Label Korosol Music, Guadeloupe, 1992.
1122
Album, Kimbòl, Live Centre des Arts, Pointe-à-Pitre, 1992.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais la période qui s’étend de 1970 à 1994 est celle de la naissance de nouveaux ensembles musicaux.
Par ailleurs, d’anciens acteurs en activité poursuivent leurs enregistrements discographiques. Les
albums des nouveaux et des anciens apportent des réponses quant à la diversité des rôles féminins :
Ainsi posée, la question renvoie aux rôles occupés par les femmes au sein des groupes au cours
de la période précédente. Nous rappelons que ces groupes étaient des troupes de danses dans lesquelles
les femmes occupaient un rôle unique, celui de danseuse. Et lors des spectacles et enregistrements
discographiques de leurs troupes, elles étaient des répondeuses de fait.
Notre tableau présente des ensembles musicaux. Soit que ces ensembles fonctionnent
régulièrement, donnant des spectacles ; soit qu’il s’agit de groupes constitués occasionnellement. Le
tableau est donc représentatf de la distribution des rôles dans les structures artistiques du gwoka en
Guadeloupe. Nous avons retenu 16 albums édités entre 1976 et 1992. Ces albums appartiennent à
quatre formes du gwoka. Ce sont, dans l’ordre, le léwòz, le gwoka modèn de Lockel et ses adaptations,
la véyé et le mas. Les femmes prennent place progressivement dans les ensembles musicaux.
Les premiers enregistrements de 1976 ne les sollicitent pas. En effet, Ti-Sélès enregistre avec
le chœur de l’orchestre de bal Les Aiglons de Basse-Terre1123. Ce chœur est exclusivement
masculin. Pourtant, parmi ses choristes figure Michel Nerplat, frère de Manes Nerplat,
chanteuse des orchestres de bal1124. Mais celle-ci n’est pas retenue. La même année, Gérard
Lockel enregistre son premier album de « gwoka modèn » avec des hommes. Pourtant, au sein
de l’orchestre un instrument nouveau apparaît : le guadlouka1125. Cet instrument à percussion
reproduit de manière sonore les pas de danse rythmés par le tambour. Il confie à un dansè,
Jérôme Gatibelza († 2020), le soin de jouer de cet instrument.
Une fanm-dansè pourrait aussi le faire. Il faut interpréter l’absence des femmes comme un
manque de reconnaissance de leurs compétences pour l’enregistrement discographique. Ce type
d’exercice répond à des exigences techniques pour lesquelles, d’après les auteurs de disques, les
femmes seraient incompétentes. Elles ne participent pas aux enregistrements et ne participent pas non
plus aux spectacles donnés par ces orchestres.
Il faut attendre l’année 1978 pour que les femmes soient sollicitées pour ce type de produit
commercial. Auparavant, pour le Festival Emile Laposte de Fort de France en 1975, Guy Conquet
invite sa mère Man Soso alias Athanaïse Bach et Suzy Palatin pour la danse et lé répondè. Guy
Conquet, pour le concert de la salle Wagram à Paris en 1978 enregistré pour la réalisation d’un album,
est le premier à engager des femmes pour leur performance vocale. Il choisit ses collaboratrices de
scène. Elles ont toutes une solide expérience du chant et de la scène. Marie-Céline Lafontaine a chanté
dans le cabaret parisien La Canne à sucre à la fin des années 1960 et le début des années 1970. Ayant
appris à jouer de la guitare avec Roland Balthazar, elle accompagne son chant d’une guitare au cabaret
cité, sans se considérer comme une guitariste pour autant. Elle est en revanche consciente d’avoir été
bien formée par ce musicien de renom1126. D’après des témoins son expertise le faisait appeler
« Tonton Roland » comme une marque de respect envers un grand talent1127. Marianne Mathéus est

1123
Commentaire de l’album de Ti-Sélès rédigé par la maison productrice.
1124
Interview de Gérard Nerplat dans Mémoires de Guadeloupe, Guadeloupe la 1ère TV, 10 avril 2018.
1125
Livret d’accompagnement du coffret d ’album, 4è de couverture, 1976.
1126
Témoignage de Marie-Céline Lafontaine, Paris, décembre 2017
1127
Les témoins sont : Eric Nabajoth, Alain Jean et Luc-Hubert Séjor.

343
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

une comédienne professionnelle pour qui l’interprétation du chant de scène est familier. Elle a fait ses
preuves auparavant avec des comédiens ou auteurs de pièces de théâtre caribéens comme Toto
Bissainthe (chanteuse et comédienne haïtienne) ou Ina Césaire (etnographe, artiste et auteure originaire
de la Martinique). Ces deux femmes occupent un rôle unique, celui de répondè. La dernière des trois
femmes est Françoise Lancréot, flûtiste qui étudie l’ethnomusicologie. Sur l’album, elle occupe deux
rôles. Elle assure lé-répondè comme tous les membres de l’orchestre, rappelant ainsi la structure de
l’orchestre au sein du léwòz. Mais elle participe aussi à l’orchestre comme flûtiste. En conséquence,
avec Guy Conquette, les femmes sont des répondè choisies pour leurs compétences mais aussi pour
leur expérience et renommée dans la musique. Les contraintes techniques de l’enregistrement et la
finalité commerciale du disque l’exigent.
L’exemple de Guy Conquet est suivi. Il devient un modèle. Cette place au sein du gwoka
s’explique par le fait que le public guadeloupéen a connaissance du succès du concert de Wagram
auprès des Antillais vivant à Paris à tel point que dans le contexte politique, il est surveillé par les
services de Police1128.
Mais la présence des femmes pour l’ensemble Kannida vient du fait que cet ensemble regroupe
toute une famille mêlant les hommes et les femmes1129. De même, le théâtre Volkan est une troupe de
théâtre où se mêlent hommes et femmes. Dans les deux cas, il est difficile d’éviter les femmes. Le
contexte les impose.
Luc-Hubert Séjor prend Guy Conquet pour modèle. Il fait partie des chœurs et joue du triangle
au concert de Wagram en 1978. Pour son album, deux ans plus tard, il sollicite deux des fanm-répondè
de Conquet : Marianne Mathéus et Françoise Lancréot pour les mêmes rôles. Il leur ajoute Annick
Noël au piano. Plus tard, jusqu’en 1992, d’autres ensembles musicaux engagent des femmes
exclusivement comme fanm-répondè.
En revanche, au sein des jeunes élèves de l’atelier de musique crée et animé par le trompettiste
Georges Troupé se trouvent de nombreuses jeunes femmes musiciennes polyvalentes. Pour le chant,
elles ne sont pas uniquement répondè. Elles sont aussi des fanm-chantè comme Susy Chalot, des fanm-
tanbouyé- répondè et instrumentistes comme Marylène Troupé et Fabienne Condo elles sont aussi des
chantè et instrumentistes comme Maria Bordelais, Sévelyne Didon ou Laurence Jules-Gaston. Avec
Kimbòl, l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes des ensembles musicaux se réduit
considérablement sans effacer pour autant l’inégalité du nombre entre les femmes et les hommes.
L’orchestre compte 6 femmes pour 10 hommes.
En conséquence, à partir de 1978, les femmes ne sont plus « des petites voix » disponibles pour
le chœur. Les exigences s’uniformisent. Les hommes comme les femmes doivent être performants.
Les exigences de la diffusion discographique et de la consommation culturelle sont profitables aux
femmes. Leur rôle se diversifie. Toutefois, elles répondent aux sollicitations des chefs de groupe,
exclusivement masculins. C’est pourquoi les initiatives féminines dans le gwoka en tant que chef de
projet doivent être soulignées.

1128 Témoignage de Catherine Humblot pour le film Extérieur jour sur Guy Conquet, La résonance d’un Maître-Ka, 2013.
1129
Témoignage de Francky Geoffroy dit Zagalo, septembre 2009.

344
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Des innovations féminines : littérature, arts plastiques, musique

A partir des années 1970, les femmes s’investissent dans de nouvelles formes de pratique du
gwoka. C’est ainsi qu’une jeune femme née en 1956, Suzy Palatin, à l’âge de 18 ans, monte avec
Robert Oumaou une pièce de théâtre1130. Vivant aujourd’hui à Paris, elle répond positivement à notre
demande d’entretien1131.
L’idée est de promouvoir, par le théâtre, la Guadeloupe. A leur côtés deux autres femmes,
Annick Colonneaux et Micheline Maximin participent au projet. Toutefois, c’est le musicien Robert
Oumaou qui écrit les pièces. Il a deux spécialités, la musique et le théâtre. Le nom, attribué à cette
troupe de théâtre traduit son orientation culturelle : Téat a Nèg Mawon1132. Il exprime la marginalité
et le sentiment de résistance. Ces pièces de théâtre sont animées par du chant et de la musique gwoka.
Suzy pratique les danses du léwòz et participe au léwòz de Jabrun chez Man Soso. Elle baigne
dans les manifestations aux tanbou notamment dans le quartier de Fonds Laugier à Pointe-à-Pitre où
habite sa grand-mère. Elle explique cet intérêt pour le gwoka par le fait qu’au sein de sa famille, le
tanbou n’est pas méprisé. Enfant, elle peut aisément apprécier les défilés des mas a Sen Jan de même
que les véyé dont elle retient le banjogita1133 . Cet intérêt se complète des auditions des musiques noires
américaines.
L’expérience du Téat Nèg Mawon nourrit son inspiration. Elle crée un théâtre pour enfants.
Son but est de faire connaître aux enfants les pratiques culturelles de la Guadeloupe qui ne sont pas
transmises par l’Education Nationale et qui, au sein des familles, sont faussement transmises. Le
théâtre se nomme Ti Sapoti du nom d’une légende en Guadeloupe. Les deux supports du théâtre sont
le gwoka et le créole guadeloupéen. A partir d’une pièce standard, les situations et la mise en scène
évoluent sur la base du vécu des enfants. Ce sont eux qui nourrissent la pièce en relatant des faits vécus
dans leurs familles respectives à partir d’une thématique. Les enfants âgés de 2 ans et demi à 14 ans
apprennent à danser et à chanter le gwoka. Les professeurs sont Robert Oumaou et Suzy Palatin.
L’innovation féminine est encore plus poussée dans le domaine des arts plastiques. En effet,
en juillet 1985, une jeune plasticienne Michelle Chomereau-Lamotte âgée d’une trentaine d’années est
interviewée par le journal Jakata1134 à propos de son parcours et de son style graphique. L’entretien est
rapporté fidèlement dans l’article qui lui est consacré. Il est illustré par trois toiles en noir et blanc dont
deux représentent un tanbouyé. L’article ne mentionne ni le titre, ni la date des toiles. Il nous semble
donc nécessaire de rencontrer la plasticienne pour de plus amples informations à propos de ces
créations. Elle accepte volontiers de nous en parler avec les souvenirs qu’elle en garde, 34 ans plus
tard1135.
L’entretien débute par le commentaire de la toile où ne figure pas de tanbouyé. Elle est réalisée
presqu’en noir et blanc et achetée par une collectivité de Guadeloupe, Conseil Régional ou Conseil
Général (elle ne se rappelle plus) pour un cadeau à un ministre. Cette information est importante car
renseigne sur la reconnaissance de Michelle Chomereau-Lamotte et sur l’importance du mécénat
public en faveur des artistes de la place. L’entretien se poursuit par le commentaire des deux toiles
qui nous intéressent, objet de notre visite. Elle en garde une, car l’autre a été achetée par un membre

1130
Journal Jougwa, Robert Oumaou : l’habitation de mon enfance, juin 1984, pages 37-41.
1131
Témoignage de Suzy Palatin-Peltriaux, Paris, décembre 2017.
1132
Traduction française : Théâtre du nègre marron
1133
Type de chant produit par des onomatopées en voix de gorge
1134
Journal Jakata, La peinture m’a choisie, janvier-février 1985, pages 34-35
1135
Témoignage Michelle Chomereau-Lamotte, août 2019.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

de sa famille. Il s’agit de deux œuvres unies par un même thème. Il est important d’en faire une
description pour comprendre le propos de l’auteure. Elle dit que ce n’est pas un tryptique. Toutefois,
il en a l’air. Le premier volet se nomme Siklònn1136. Il s’agit d’une peinture sur papier dans les tons
fauve. Le fond montre des objets perdus dans un amas de nuages. On les distingue à peine. Ils semblent
représenter les débris d’une construction endommagée (poutres, débris de façade…). Surplombant
cette scène, en haut, à droite, un tanbouyé en position de jeu, dont la caisse du tanbou semble aussi
endommagée. Les contours du dessin qui représentent l’homme et son tanbou sont flous. Le deuxième
volet, c’est Vélo. On le reconnaît car les contours du tanbouyé sont plus précis. Toujours en position
de jeu, le torse nu, il constitue le premier plan du tableau. Il est placé devant une peau animale, entre
un poteau cassé à droite et une porte arrachée à gauche. Ce volet est réalisé dans les tons jaune marron,
fauve.
L’œuvre, est réalisée en rapport avec la chanson Siklònn de Robert Oumaou, musicien multi-
instrumentiste du gwoka. Dans le premier volet, on voit le tanbou qui s’éclate sous l’effet du cyclone
mais il tient tête et joue encore. Le deuxième volet c’est Vélo parce que la chanson Siklònn le cite.
L’œuvre traite de l’endurance du tanbouyé face aux vicissitudes de la vie. En fait les toiles relatent une
scène vécue ou imaginée par Robert Oumaou : Il rencontre Vélo qui lui confie les dégâts qu’un
phénomène cyclonique a causé à sa passion. Il voudrait jouer mais il en est empêché.
Michelle Chomereau-Lamotte précise bien qu’il ne s’agit pas de ses premières toiles. Sa
première exposition date de 1977 alors qu’elle était âgée d’une vingtaine d’années. Pourtant, ce qu’elle
raconte montre que le tanbou est pour elle une source d’inspiration. Par ailleurs, au début des années
1980, à l’atelier du plasticien Michel Rovelas, elle le remplace parfois en tant qu’instructrice auprès
des élèves. Ayant reçu une commande pour une peinture murale sur un paté de maisons au Raizet, à
« Lari 3 Jaden »1137 elle invite quelques élèves de cet atelier à la joindre pour la réalisation de cette
œuvre. L’une de ces trois élèves propose la réalisation d’un portrait de Vélo et le fabrique à l’atelier.
Un plasticien de passage trouve inutile et dépourvu de sens une telle toile. En guise de réponse Michelle
décide d’inclure le portrait de Vélo dans la peinture murale qui lui avait été commandée. D’un côté on
trouvait Vélo et de l’autre des symboles représentant les musiques du léwòz (tambours, posture de
danseurs…).
Par conséquent, c’est par le tanbou qu’elle commence à réaliser des peintures murales en
Guadeloupe. Car, suite à cette réalisation au Raizet, des municipalités sont incitées par un passionné
de peinture1138, à embellir les murs de leurs communes par les œuvres de cette artiste et des élèves de
Rovelas. La municipalité de Pointe-à-Pitre y répond favorablement. Elle poursuit donc ses œuvres sur
papier.
Par ces innovations, les femmes trouvent dans le gwoka un lieu d’expression artistique. Cette
rupture n’élimine pas les héritages musicaux que des femmes renouvellent. A ce propos, d’autres
femmes s’investissent autrement dans les formes habituelles du gwoka cette fois. Mais, elles
s’affranchissent des rôles habituellement laissés aux femmes. En effet, au cours des années 1970-90,
des femmes choisissent leurs rôles pour le gwoka de scène. Certaines prennent la direction de groupes
musicaux tandis que d’autres décident d’être fanm-chantè ou fanm-tanbouyé dans le cadre du

1136
Cyclone
1137 La rue des 3 jardins, nom populaire donné au lieu. Michelle localise la rue comme suit : « une rue qui donne sur les Alizés
(immeuble) et qui aboutit dans la rue du Collège du Raizet)
1138
Ce passionné de peinture est Claude Nazaire.

346
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

spectacle. Leur formation est assurée par des hommes ou encore ils sont leurs collaborateurs. Ces
parcours singuliers et novateurs méritent d’être soulignés individuellement afin de prendre la mesure
et les limites du tournant opéré :
- Entre 1979 et 1986, la troupe Kassangwa (Ka ! san a Nèg Gwadloup1139) de Pointe-à-Pitre se
produit en boîtes de nuit, lors des fêtes communales et hors de la Guadeloupe notamment en
Martinique. Cette troupe est composée de jeunes des quartiers populaires de Pointe-à-Pitre tels
Bas de la Source, Carénage ou Louisy Matthieu. La troupe trouve son originalité dans le fait
que la musique est assurée prioritairement mais non exclusivement par des hommes. En effet,
un trio de filles joue du tanbou avec Patricia Pater au tanbou-makè, Raymonde Pater et
Isberthe Boudine au boula. C’est une troupe de scène où le rôle de dansè est partagé entre les
hommes et les femmes1140.
- Dominique Fleury est âgée de 51 ans en 2008 lorsque nous la rencontrons. Au sein de son
entreprise, elle fait de l’animation pédagogique autour du gwoka. Son fils et sa fille sont ses
principaux accompagnateurs au boula. Elle pratique le gwoka depuis l’enfance avec la troupe
folklorique Les Balisiers de Basse-Terre. Elle débute à l’âge de 9 ans par divers types de danses
mais elle aime particulièrement les danses traditionnelles. Rapidement, au sein de cette troupe,
elle monte des ballets. En tant que danseuse, elle réalise, avec cette troupe, des tournées
internationales : France, Colombie, Espagne. Le tanbouyé Joby Julienne est un pilier des
mouvements culturels de la Basse-Terre. Elle commence à ses côtés à évoluer au sein de
troupes de Carnaval. Progressivement elle adopte le tanbou gwoka. Joby Julienne monte un
groupe de fanm-tanbouyé qui prend le nom de Mayoumbé. Dominique s’intègre au groupe où
elle reçoit une formation par le créateur du groupe. Ce groupe devient Gwakibel autrement dit
Gwadloup ki bèl en référence aux femmes. Les instruments sont des tambours et des petites
percussions. Certains tanbou sont joués sur des supports verticaux. Les fanm-tanbouyé jouent
debout. Les femmes sont à la fois percussionniste et dansè. Dominique se produit plus tard
avec des groupes d’hommes. Mais, avec l’ensemble musical du trompettiste Eddy Pitard, elle
est tantôt, boula, tantôt, makè, et joue aussi des petites percussions. Elle monte aussi une école
pédagogique où elle enseigne le « solfège-ka » durant 8 à 10 ans dans les communes de Petit-
Bourg puis de Goyave. Elle souligne bien que l’essentiel de sa formation tanbou est assuré par
des hommes. Elle les nomme : Bebé Rospart, Pierrot Narouman, Fritz Naffer. Mais sa
formation vient aussi de « l’école de la rue ». En ce lieu, alors que des hommes sont
malveillants à l’encontre des fanm-tanbouyé, d’autres comme Joby Julienne ou Gérard Pomer
savent passer outre. Pour elle c’est une chance.
« Les gens m’ont formée indépendamment des idées reçues. Le tanbou c’est l’union, c’est la force de
tous »1141.
- Marie-Line Dahomay née en 1958 crée avec son frère aîné Christian un ensemble musical
gwoka nommé Katouré. L’orchestre comprend 7 hommes jouant respectivement de la guitare
basse, du clavier, de la flûte, de la percussion, du tanbou. Ils assurent aussi le chœur aux côtés
de cette unique femme du groupe. Au sein du groupe Marie-Line Dahomay est l’un des auteurs-

1139
Le ka est le sang des nègres de Guadeloupe
1140
Témoignage de Raymonde Pater-Torin, Morne-à-l’Eau, mai 2018. Le témoignage est complété par celui de Nadia Pater en avril
2019.
1141
Témoignage de Dominique Fleury, Goyave, septembre 2018.

347
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

compositeurs et c’est elle qui assure le chantè du groupe1142. C’est le premier ensemble musical
de ce type crée par une femme.
Issue d’une famille politiquement engagée, elle pense que ce contexte a nourri son engagement
qu’elle a déployé pour la musique. Elle se dit donc « musicalement engagée ». Cette troupe, composée
de musiciens acceptent de faire un travail de recherche à la fois personnel et collectif sur le gwoka.
Pour elle et son frère Christian, l’engagement des musiciens de cette troupe doit s’entendre comme la
volonté de vouloir faire « quelque chose » pour le gwoka. Le groupe se produit en Guadeloupe
notamment au cours d’un Festival initié par le Conseil Général, le Festag. Il se produit aussi en
Martinique, à Cuba. Il représente la Guadeloupe au Festival International de Musique de Louisiane les
15, 20 et 21 avril 1990. Le succès s’explique, d’après les créateurs du groupe, par la foi dans un projet
musical nouveau. L’expérience est inédite1143.
Ces innovations féminines trouvent leur apothéose dans le Léwòz Ka-Fanm à Jabrun Baie-
Mahault chez Man Soso. Ce léwòz atypique est organisé par l’association Arty-Fêtards résidant au
quartier du Raizet dans la commune des Abymes. Cet évènement, ouvert à tous exprime l’affirmation
de l’expression féminine dans le léwòz. En effet, les léwòz auxquels le public assiste habituellement
en ce lieu étaient principalement animés par des hommes pour la musique, la danse et le chant.
Cette année-là, de jeunes femmes entourées de quelques jeunes hommes de l’association
décident de s’approprier ce lieu pour un léwòz pas comme les autres. Celui-ci est réservé aux femmes.
La communication par la voix des médias locaux et par carte d’invitation à des fidèles du léwòz est
aussi inédite. Elle donne toute sa légitimité à l’évènement provoquant de la part des femmes une
réponse enthousiaste. Parées de leurs habits de léwòz : longues jupes et robes aux couleurs chaudes,
tèt maré, bijoux locaux, écharpes, foulards, sandales… ces artistes d’un soir jouent, chantent, dansent...
Tous les rôles leur sont réservés. Les organisateurs anticipent ce succès en installant l’espace
d’expression à l’extérieur du local à léwòz habituel de Man Soso. Les femmes sont à la fois maîtresses
d’oeuvre et maîtresses d’ouvrage.
Ce 16 avril 1993 est une première dans l’histoire contemporaine du gwoka. La carte d’invitation
le signifie :
« Des mains-femmes caressent la peau-ferme des cabrits
Des bouches-femmes boivent par bols l’envol des boulas
Des pieds-et-reins de pièces-femmes se pendent à la corde douce des marqueurs1144 »
Mais, le créole guadeloupéen nomme l’homme qui sait s’imposer en toute occasion, un Ti-mal.
Au cinéma, c’est l’acteur principal. Dans la réalité, il se fait justicier et ordonnateur au quotidien. C’est
lui qui rappelle les règles à ne pas transgresser. Le Léwòz-Ka Fanm est l’occasion de dresser son
portrait. C’est un homme âgé de 30 à 50 ans. Il est chantè et/ ou tanbouyé. Il est membre d’ensembles
musicaux de renom. Il participe régulièrement aux léwòz organisés dans toute la Guadeloupe.
Ainsi, parmi les hommes présents, certains apportent leur soutien et encouragements. D’autres
y sont en simples curieux. D’autres y sont en tant que Ti-mal. Ce sont tous ceux qui n’ont pu
s’empêcher de montrer que la manifestation n’avait pas droit de cité. C’est par des chansons,
battements de mains et banjogita entonnés en marge de la-wonn du léwòz des femmes qu’ils le
montrent. D’autres encore, plus habilement trangressent le but de la manifestation en « entrant dans
la-wonn » afin d’offrir aux femmes une démonstration de bon dansè. Cette tension sournoise fut l’effet

1142
D’après la fiche d’accompagnement de la cassette Marilin Dahomay et son groupe Katouré en Live, 1990.
1143
Entretien conjoint de Christian et Marie-Line Dahomay, Pointe-à-Pitre, mai 2016.
1144 Carte du Léwòz Ka-Fanm A Ka Man Soso, 16 avril 1993, Jabrun Baie-Mahault.

348
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

pervers de la volonté des femmes de faire seules. En dehors de l’indignation provoquée par les
dérapages précédemment cités, ce léwòz a le mérite de lancer un message. Il dit en effet qu’il est un
espace partagé et que toute transgression à ce propos se révèle dangereux pour la sérénité de la pratique
et l’union de la communauté.
En définitive, de 1970 à 1990, les femmes décident d’apporter autrement leur contribution au
gwoka. Elles occupent d’autres rôles, initient d’autres formes de participation. Elles collaborent avec
des hommes. C’est ainsi que les hommes et les femmes font ensemble avec tout de même quelques
réticences masculines. En dépit de tout, les nouveaux arrivants, femmes, hommes, enfants et ceux qui
sont restés s’investissent de mieux en mieux dans le gwoka. L’heure n’est plus à la pratique familiale
spontanée. Le temps de l’ouverture et du positionnement est venu, favorisé par un contexte
économique et politique susceptible de changer le rapport au gwoka et donner naissance à un autre
type d’acteur.

349
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 48 : Peintures sur papier d’un tanbouyé, Michelle Chomereau-Lamotte, 1985.

Peinture sur papier, Michelle Chomereau-Lamotte, Guadeloupe, 1985


Volet 1 : Siklònn, Jougwa, janvier-février 1985 Volet 2 : Vélo, Jougwa, janvier-février 1985

Figure 49 : Carte du léwòz ka Fanm, Jabrun Baie-Mahault, 1993

Carte du léwòz ka-fanm, 16 avril 1993

350
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE 8 : UN CONTEXTE DE CRISE FAVORABLE AU CIVISME

A- Le déclin d’une économie séculaire, 1960-1990

1- La « canne à la richesse » ou le tournant brutal de 1966

Ce nouveau mode de paiement des cannes à sucre livrées aux usines par les petits planteurs et
qui se désige au sein de ce milieu « canne à la richesse » répond à un processus.
Dès le début des années 1960, les revenus agricoles sont menacés par la surproduction. Les pays de la
Communauté Economique Européenne décident de garantir les revenus des agriculteurs par une
politique commune, la PAC (Politique Agricole Commune) mise en oeuvre en 19621145. Elle prend des
mesures à ce propos. Le principe est celui de l’équité. Le sucre est au cœur du dispositif. Ce principe
est garanti par le système de quotas et par le prix unique du produit agricole afin que chaque producteur
bénéficie d’une recette minimum. Les quotas s’étendent à des pays sous protection européenne par
convention dits Pays ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique) à partir de 1975 de même que les Pays les
Moins Avancés et l’Inde.
Toutefois, le marché organisé de l’Europe rencontre une double concurrence, celle du marché
organisé des Etats-Unis et celle du marché mondial. Par ailleurs, dans les pays européens, les produits
de substitution du sucre pour des raisons de diététique constituent un autre facteur de difficultés. Mais,
les îles ne peuvent atteindre les quotas fixés. De plus au cours des années 1980, dans le cadre de la
mondialisation des échanges, de grands pays continentaux se positionnent sur le marché mondial du
sucre. Ce sont l’Australie, le Brésil, l’Inde, les Philippines, la Thaïlande, les pays d’Amérique Latine,
l’Afrique du Sud. Leurs avantages comparatifs sont énormes : gigantisme et performance
technologique des usines nouvellement construites, méthodes innovantes de production, main
d’oeuvre salariée à faible couverture sociale et syndicale, faible rémunération, gouvernements
répressifs.
Parmi ces pays, certains comme le Brésil, mettent en place un marché organisé performant lui
permettant de modifier sa production en fonction des évolutions des prix. De même le Brésil diversifie
les produits industriels issus de la culture de la canne à sucre : sucre de canne, éthanol. Ces deux
produits commerciaux sont soutenus par l’Etat. Parallèlement, l’Union Européenne soutient mieux les
grands pays ACP et les pays tiers car ils lui offrent un plus vaste marché d’exportation et un poids
politique plus important dans le système mondial.
Les producteurs de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion bénéficient aussi de la
législation salariale et sociale fixée par l’Etat. En Martinique, face à l’augmentation du SMIC et la
baisse de rentabilité, les planteurs explorent de nouveaux produits agricoles comme l’ananas et la
banane. La production de banane bénéficie à partir de 1993 de l’Organisation Commune de Marché
d’où une augmentation de la production de 107000 tonnes de 1960 à 1990. En Guadeloupe, la
production est assurée par les grandes plantations de plus de 10000 ha.
Mais le recours aux petits planteurs de canne à sucre est plus important en Guadeloupe qu’à la
Martinique. A l’augmentation de la production en 1965 succède la stabilisation en 1970 et la hausse
des salaires entraîne l’augmentation du coût de la production. Il s’en suit un ajustement de la

1145 Jean Crusol, Les îles à sucre, De la colonisation à la mondialisation, Les Perséides, 2008

351
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

production qui entraîne une baisse régulière de celle-ci à tel point que l’activité ne se maintient que
par les subventions locales. Et même si la Réunion bénéficie du transfert des quotas non satisfaits, sa
production stagne aussi dès les années 1980 et diminue en 1990.
Concurrencée, inadaptée au marché organisée, la production sucrière des Antilles françaises
cherche des moyens de survie dont les petits planteurs feront les frais. Le cas de la Guadeloupe montre
l’inquiétude et l’indignation des petits planteurs face à des mesures qu’ils considèrent comme injustes.

Alors, le nouveau mode de paiement des cannes des petits planteurs se produit dans un contexte de
crise. Pour décrire celle-ci, nous nous appuyons essentiellement sur les travaux de Christian
Schnackenbourg, 1146 de Jean Crusol1147 et de Marie-Françoise Zébus1148.
Cette crise est causée par des facteurs qui s’enchaînent comme le ralentissement de la
production sucrière, la dégradation de la situation financière des usines, l’endettement. La catastrophe
naturelle du 26 septembre 1966 constitue un facteur aggravant pour l’économie sucrière, les
plantations et les usines les plus touchées sont celles de la région pointoise jusqu’à celle de Morne-à-
L’Eau de même que les infrastructures de la région Basse-Terre. C’est l’effondrement.
Aux difficultés des grands propriétaires canniers s’ajoutent celles de la petite propriété. Les
exploitations trop exigües grèvent les revenus des petits planteurs qui sont obligés de trouver d’autres
ressources dans le petit élevage et les cultures vivrières. Ou encore, ils se font embaucher dans les
usines, les distilleries ou dans les plantations. Par ailleurs le prix de la tonne de canne à sucre, ne leur
permet pas de vivre décemment. Cette difficulté vient-elle du non-respect des normes conventionnelles
par les petits planteurs ou alors du niveau insuffisamment rémunérateur du prix de la canne à sucre
trop faible par rapport aux coûts des travaux ? Marie-Françoise Zébus souligne la déconnexion du prix
du sucre par rapport aux conditions de la production, par l’intégration des produits agricoles antillais
dans l’économie sucrière métropolitaine.
Dans ce contexte de crise, la question du prix de la canne se pose. Elle est diversement
expliquée selon que l’on soit petit planteur ou rapporteur pour le ministère. La réalité pour les petits
planteurs demeure, quelque soit l’interprétation, le recours à la polyactivité afin de compléter des
revenus trop faibles. Par ailleurs la mécanisation n’est pas suffisamment rentable sur leurs parcelles
trop exigües.
L’encouragement à la création des coopératives d’utilisation des machines ne règle le problème
qu’en partie. Les très petites exploitations sont exclues et en définitive, l’aide à la création des
coopératives est surtout profitable aux usines qui prêtent leurs machines aux CUMA (Coopérative pour
l’Utilisation de Matériel Agricole) et empochent l’aide de 40% destinée aux coopérateurs.
Des facteurs externes alimentent aussi la crise. La compétition entre sucre de betterave et sucre
de canne est encore plus rude avec la demande mondiale de sucre. Par ailleurs, les marchés organisés
de l’Europe et des Etats-Unis entrent en concurrence avec des systèmes de quotas, de soutien à la
production, de prix garantis et de subventions. Le sucre des territoires insulaires, désormais intégré au
marché européen dans le cadre de la Politique agricole Commune est soumis à cette concurrence.

1146
Christian Schnakenbourg, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe aux XIXè et XX è siècles, Les « Vingt calamiteuses » et la
fin de l’économie de plantation (1966-2000), L’Harmattan, 2016, pages 11-113.
1147
Jean Crusol, Les îles à sucre, De la colonisation à la mondialisation, Les Perséides, 2008, pages 395-431.
1148
Marie-Françoise Zébus, La diversification agricole, un archipel dans « l’océan des cannes » ? Développement agricole et industrie
sucrière en Guadeloupe dans Le sucre de l’Antiquité à son destin antillais, Comité des Travaux historiques et scientifiques, 2000, pages
284-288.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les usiniers recherchent d’autres stratégies de gain de production. Leur choix, soutenu par
l’Etat se porte sur l’amélioration de la richesse saccharine. Celle-ci se met en œuvre par le paiement
de la canne en fonction de la teneur en sucre des cannes livrées à l’usine par les petits planteurs d’où
l’appellation « canne à la richesse »1149. En effet, le prix payé à la tonne c’est-à-dire au poids des cannes
à sucre livrées aux usines laissait aux petits planteurs une impression de transparence. Le mode de
fixation du prix par une instance autre que les usiniers en l’occurrence le préfet, rassurait. Son caractère
uniforme le rendait juste à leurs yeux.
L’annonce du nouveau mode de paiement est brutale pour les petits planteurs mais elle ne
surprend pas les usiniers qui réclamaient depuis les années 1950 des mesures pour améliorer la
productivité. Le Quatrième Plan de reconstruction économique de 1962 à 1965 leur donne une marge
de manœuvre importante dans cette recherche de productivité. Il s’appuie sur le département de la
Réunion où le paiement des cannes à sucre livrées aux usines par les petits planteurs donne satisfaction
aux usiniers. Ces derniers l’appliquent de leur propre gré avant même l’intervention de l’Etat. Le
Quatrième Plan n’impose pas le même mode de paiement mais le recommande dans un premier temps.
Puis, par décret, la décision est prise légalement pour la Guadeloupe et la Martinique. Un décret
entérine le mode de paiement déjà en application à la Réunion.
Pour la Guadeloupe, la décision gouvernementale date du 21 septembre 1962 et du 1er avril
1964. Désormais, les cannes livrées à l’usines sont payées en fonction de leur teneur en sucre et des
recettes procurées par les produits finis. Des nouvelles instances sont créées pour fixer les modalités
de prix et de paiement. C’est ainsi que les Centres techniques de la canne et du sucre de même que les
commissions mixtes d’usines font leur apparition dans l’organisation de la production sucrière. Le
temps du paiement basé sur la quantité est échu. Il fait place au paiement d’après la qualité de la canne
livrée c’est-à-dire en fonction des variétés de cannes plantées. Le prix estimé est payé à 80% aux petits
planteurs par quatorzaine et le solde réglé dans les 6 mois en fonction du marché du sucre et de la
recette effective de l’usine. Le préfet joue, en dépit des nouvelles commissions un rôle fondamental
dans les négociations. C’est l’arbitre de la décision finale.
Trois mois après le décret concernant ce nouveau mode de paiement, la voix politique se fait
entendre par Monsieur Fernand Balin, maire de la commune d’Anse-Bertrand de 1953 à 1965.
Lorsqu’il s’adresse aux petits planteurs de la Guadeloupe à propos du paiement de la canne à la richesse
par l’intermédiaire du journal Antilles Matin, il est aussi conseiller général et Président de
l’Association des Maires de la Guadeloupe. Son intervention évoque les débats que suscite la décision.
L’objectif du propos est pédagogique. Il s’agit de présenter aux planteurs le système de prélèvement
technologique du jus à analyser et ainsi de rassurer. Pour lui, chacun des acteurs joue pleinement son
rôle :
Le dispositif technologique est le fait du Directeur Général des Sucreries d’Outre-Mer qui
cherche à donner un maximum de garantie aux petits planteurs en ce qui concerne l’analyse et la pesée.
Les usines de Beauport les ont déjà adoptées et des balances automatiques s’installent dans la région
du nord Grande-Terre. Le Conseil Général doit décider prochainement de la généralisation du système
afin d’éviter toute erreur dans le prélèvement du jus et dans la pesée des cannes.

1149Les petits planteurs ne forment pas un groupe uniforme. Ce terme générique concerne tous ceux qui livrent leurs cannes à l’usine
quelque soit la taille de leur exploitation y compris les colons engagés par contrat avec les grands propriétaires fonciers.

353
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

En réalité, l’article vise à exposer avec stratégie le soutien de Fernand Balin au nouveau mode
de paiement. Il le montre explicitement par endroits en s’appuyant sur des cas concrets certes mais non
justifiés et manipulateurs :
« On serait surpris d’apprendre que les planteurs d’Anse-Bertrand, de Petit-Canal, de Moule, de St
François par exemple où les cannes sont réputées très sucrées c’est-à-dire très riches en saccharine
puissent être contre ce paiement, car ils traitent à l’encontre de leurs intérêts…Le problème de paiement
de la canne à la richesse ne doit pas être écarté à priori : car il est injuste que les planteurs qui fournissent
des cannes très riches soient frustrés de leur gain et payés dans les mêmes conditions que ceux qui
donnent des cannes en eau…1150 »
Le décret est appliqué de manière progressive d’abord pour expérimentation sur quelques
exploitations en 1965. Puis l’application est partielle avec moitié à la tonne moitié à la richesse
saccharine de 1966 à 1967. En 1968, le décret entre en vigueur comme décidé.

L’application progressive du dispositif s’explique par l’opposition des petits planteurs. Elle est
encouragée par le Parti Communiste de la Guadeloupe. Dès 1958, alors que le dispositif est en projet,
le parti se manifeste à ce propos. Il appelle à la mobilisation des planteurs pour empêcher que le Conseil
Général ne donne un avis très favorable au Projet d’ordonnance portant fixation du prix de la canne à
la richesse. Cet avis très favorable est une demande du Préfet.1151
Par ailleurs, la même année Rosan Girard, membre du Parti Communiste de la Guadeloupe,
s’adresse au Ministre de l’Agriculture pour lui signifier les difficultés du nouveau mode de paiement.
L’exposé de ces difficultés traduit les points susceptibles d’inquiéter. Ils sont d’abord d’ordre
technique car le prélèvement du jus par planteur obligera chacun d’eux à transporter en une fois un
tonnage de cannes à sucre pour permettre l’individualisation des apports. Le transport en une fois
engendrera des coûts supplémentaires. Il souligne aussi le caractère arbitraire du dispositif et les
risques d’injustice sociale qu’il pourrait engendrer. Pour Rosan Girard, porte-parole du PCG,
l’amélioration de la production doit se réaliser par la qualité et la quantité. Il convient d’encourager les
petits planteurs dans cette voie.
Les difficultés sont aussi d’ordre social. Le plaignant déclare sa crainte du complot des usiniers
contre les petits planteurs. Car, pour tirer profit du paiement à la richesse, ils sont susceptibles
d’imposer les livraisons à des périodes peu favorables à la richesse saccharine. La lettre de Rosan
Girard a pour but de signifier au Ministre de l’Agriculture l’opposition des petits planteurs au paiement
des cannes livrées à l’usine à la richesse et les risques encourus pour l’ordre social. C’est en leur nom
qu’il s’adresse à cette instance. Cette théorie du complot signifiée par le courrier annonce le climat
social qui règne déjà face au projet.
Lorsque le dispositif est partiellement appliqué en 1965, il fait l’effet d’une bombe au sein du
Parti Communiste déçu et mécontent que la requête de Rosan Girard soit restée vaine. Le PCG
recherche alors une solution politique. Il pense la trouver dans la candidature de François Mitterand
(1916-1996). Celui-ci est membre de la Convention des Institutions Républicaines (CIR), un parti
politique de gauche fondé par le candidat en 1964. Il annonce sa candidature en septembre 1965. En
première page de l’organe de presse communiste, le PCG appelle à soutenir massivement cette

1150
Journal Antilles- Matin, Paiement de la Canne à la Richesse par F. Balin, Rubrique Libres Opinions, 3 juillet 1964, Archives
Départementales de la Guadeloupe.
1151
Journal l’Etincelle, Contre le paiement à la richesse, 15-11-1958, ADG

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

candidature. Les motifs de ce soutien sont d’ordre politique, économique et social. La prise en compte
des préoccupations du PCG dans le programme annoncé par le plus jeune candidat à la présidence de
la République séduit le Parti : développement économique, progrès social, bas salaires, chômage,
fermeture des usines, paiement de la canne à la richesse.
Désormais, le Parti donne des nouvelles régulières de l’avancée du dispositif dans son organe
de presse. Le ton est au mécontentement et à la mise en garde contre l’exploitation à outrance. Il fustige
les usiniers :
« L’inquiétude demeure, quel sera le prix de la canne ? Les Usiniers offrent un prix inférieur à celui de
la campagne précédente. Les planteurs doivent être vigilants car la canne sera payée cette année pour un
tiers à la Richesse et deux tiers au poids. C’est la catastrophe ! La voie de la spoliation est ouverte1152.
Face à la question de la canne à la richesse, la presse, en fonction de son orientation politique
apaise ou agite les tensions. L’année 1966 est significative à ce propos. Le journal Antilles-Matin, en
19661153 rapporte toutes les mesures relatives à la mise en œuvre du nouveau mode de paiement. En
janvier 1966, des articles portent sur la nomination de contrôleur d’usines et de balances, sur les
mesures de contrôle puis sur l’atténuation des dispositions. Le quotidien est dans la banalisation du
dispositif. Il montre aussi que la prise en compte des inquiétudes des petits planteurs fait partie des
préoccupations du Conseil Général. Le France-Antilles qui remplace progressivement Antilles matin
n’évite pas la question. Il rapporte la réaction de ceux qui cherchent à améliorer plutôt qu’à refuser le
dispositif. Le journal montre comment la Fédération des Exploitants agricoles compose avec le
dispositif.
Alors que le PCG attise les inquiétudes, au sein des petits planteurs, la fédération cherche plutôt
à les apaiser. Elle réunit ses membres afin de débattre de quelques propositions visant à améliorer le
dispositif. En effet, dans la soirée du mercredi 30 mars et du samedi 11 avril 1966, à la Boucan Ste
Rose, elle réunit les petits planteurs de l’usine Bonne-Mère.
Le journal France -Antilles couvre cette réunion. La photographie qui accompagne l’article
montre une assistance nombreuse, essentiellement des hommes, l’attention soutenue, l’air grave. Leur
physionomie laisse deviner leur âge ; ce qui explique leur grande inquiétude. Car, depuis plusieurs
décennies, ils ont pris l’habitude d’être payés à la tonne pour les cannes qu’ils livrent aux usiniers. Le
changement est déstabilisant. Il laisse planer des doutes sur leurs revenus. Ce problème se rajoute à
celui de la baisse du rendement de cette année à cause des conditions climatiques.
Il s’agit d ’expliquer les modalités de calcul du paiement à la richesse. L’essentiel des débats
concerne cette question1154. L’assemblée comprend les petits planteurs du bassin, la Fédération
représentée par son secrétaire général, le conseiller technique des groupements d’exploitations de la
région. La municipalité de Ste Rose est représentée par le maire-adjoint. La Fédération conclut la
réunion sur une note d’espoir. Une motion propose aux autorités compétentes la baisse du rendement
moyen de la richesse afin de garantir le prix annoncé en début de campagne.
En face, le PCG ne lâche pas la pression. Il accorde tribune au syndicat des ouvriers agricoles
pour rappeler de manière catastrophique la condition ouvrière. Pour le parti politique, à l’heure du
bilan de la campagne sucrière de 1966, la mise en œuvre du mode de paiement, fût-elle partiellement
appliquée, démontre ses désagréments sociaux. La condition des ouvriers de la canne à sucre est

1152
Journal L’Etincelle, La campagne sucrière va bientôt s’ouvrir, 8-01-1966.
1153
Journal Antilles-Matin, Discours du Préfet Pierre Bolotte au Conseil Général, 14-01-66/ Nomination de contrôleurs d’usines et de
balances, 21-01-1966/ Mesure de contrôle des cannes, 22-01-1966.
1154
Journal France-Antilles, Importante réunion à Ste Rose sur le paiement de la canne, 12 -04-1966.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

largement exposée. Le nouveau mode de paiement est décrit comme une « escroquerie » engendrant
des frais de travaux et d’intrants de même que des incidents bancaires. Le syndicat en profite pour
dénoncer les méfaits sociaux et écologiques des produits phyto-sanitaires. C’est un appel à la confiance
syndicale que lance son secrétaire Hermann Songeons, membre de la Confédération Générale du
Travail de la Guadeloupe (CGTG), proche du PCG. Parti politique et syndicats se soulèvent contre le
paiement de la canne à la richesse. Mais la voix des petits planteurs s’entend sur la voie publique par
le chant gwoka.

2- Robert Loyson (1928-1989), la voix des petits planteurs

Robert Loyson décède le 29 août 1989 dans sa commune de naissance, Le Moule. Il est honoré
par des obsèques officielles avec exposition du corps à la mairie de la commune. La veille, au cours
de sa véyé, ce sont des milliers de Guadeloupéens qui lui rendent hommage dans sa demeure. Il n’a
pas eu le temps de laisser de témoignages. Mais sa vie peut être retracée par les témoignages de ses
proches et amis, par les disques qu’il a réalisés, par la popularité des titres qu’il a laissés, par les
photographies qui ont été prises de lui. C’est une grande figure du gwoka. Son nom à lui seul a une
grande résonnance.
Son acte de naissance dit qu’il est un enfant de la ruralité1155. En effet, c’est sur l’habitation Lafontaine
dans la section rurale de Ste Marguerite que Christian Robert Loyson prend naissance le 28 juillet
1928. Ses parents sont tous deux cultivateurs. Il est issu des descendants de travailleurs affranchis en
1848. Le nom Loison est attribué dans la commune de Morne-à-l’Eau à huit affranchis et à un affranchi
dans la commune du Carbet en Martinique. Pour le nom de sa mère née Vriens, un affranchi de 1848,
Vriens Filair, reçoit ce nom dans la commune du Moule mais il est né à Marie-Galante. En remontant
chacune des lignées, le métier de cultivateur se transmet depuis 1848. En effet, son grand-père
Marcelin est cultivateur et son père Corneille Marcellin aussi1156. Du côté de sa mère, la famille Vriens
exerce des petits métiers ruraux. En effet, la mère, Rose Nathalie est cultivatrice. Elle est fille d’une
couturière et d’un charpentier1157. Sa grand-mère Adeline est sans profession1158. Cette ruralité, Robert
Loyson la porte bien à travers les images qu’il emploie dans ses chansons. En effet, dans la chanson A
tanmaren tini dé gad mobil,1159 il raconte sa mésaventure où il confond deux femmes avec des forces
de l’ordre qui le poursuivent. Cherchant à les esquiver, il décrit les paysages qu’il rencontre
« Pasé anba kanpèch, pasé anba zakasya, pasé anba sirèt1160 »
Dans sa chanson, Manzè Bébé, les outils du jardin sont employés en guise de métaphore pour exprimer
un jeu amoureux :
« Wobè ban mwen palé-w ti-bwen, pou-w ban-mwen on ti-pal adan jaden an-mwen. An mandé Bébé « é
ki zouti pou mwen vin ? » I di mwen konsa « Wobè pa vini é hou, pa vini é pikwa, pa vini é hach, pa vini

1155
Acte de naissance n°000331, Le Moule, 1928.
1156
Acte de naissance, n°203, 23-10-1887, Le Moule, ANOM Etat-civil.
1157
Acte de naissance, n°198, 29 juillet 1895, Le Moule, ANOM Etat-civil
1158
Acte de naissance, n°98, 27 mars 1865, Le Moule, ANOM Etat-civil
1159
A Tamarin (secteur rural de la commune du Moule),
1160
Passer sous les kanpèch, passer sous les acacias, passer sous les suretiers.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

é sab, pa vini é fouchèt, èvè on sèl zouti pou’w vini, vini épi on pens, pou’w planté plan a jaden-an-
mwen1161 ».
Cette ruralité, il la porte aussi dans sa voix, une « voix de la terre » devenue sa voix naturelle. Cette
voix qu’il sollicite pour conduire ses animaux ou leur commander des services comme le font
généralement les éleveurs :
- Laaa !1162
- Tchoulééé !
- Chich !1163
- Wooyou !
- Wotyè !
- Dèyè !1164
- Wopa !1165
- Hann !1166
Cette voix de la terre est aussi celle par laquelle les gens de la terre se saluent :
- Héééé !
Ce spécialiste des véyé met à profit cette voix pour entonner ses chansons de véyé, là où la voix n’a
comme amplificateur que le souffle naturel. Point de micro ! point d’enceinte ! La « voix de la terre »
se met au service du chant. La rumeur dit que des chanteurs s’exercent à pousser leur voix dans les
mornes et les vallons avant de se rendre à la véyé. C’est l’un des exercices les plus efficaces pour
affronter la compétition musicale des véyé. Cet exercice est celle qui attribue la « belle voix » au
chanteur de véyé. Et quelque soit l’altération que pourrait subir la voix au cours de l’interprétation, elle
lui confère son originalité esthétique. Comme les voix cassées, voilées, disphoniques, rauque,
gutturale, sourde, bruitée1167 étudiées par des spécialistes, la voix de Robert Loyson participe de sa
performance.

Les métiers qu’il exerce rendent compte de son enracinement dans la ruralité. C’est un
travailleur polyvalent tantôt charron, tantôt boucher, tantôt planteur de cannes, tantôt planteur de
cultures vivrières, tantôt petit transporteur ou les exerçant tous à la fois selon les contextes. Il entre
donc dans la catégorie des travailleurs de la canne à sucre obligés de rechercher des compléments de
revenus dans la polyactivité.
Si son fils est sollicité pour des témoignages, c’est essentiellement son réseau musical qui
l’évoque en tant que chantè. Ce réseau est constitué des producteurs Marcel Mavounzy, de Raymond
Célini, de Henri Debs, de chanteurs plus jeunes comme Guy Conquet ou Luc-Hubert Séjor, de répondè
comme Judes Janackdoulary dit Ti-Jid, de chachayè comme Joël Nankin, d’amis passionnés de gwoka

1161
Robert, laisse-moi te parler un peu, que tu m’aides pour mon jardin. J’ai demandé à Bébé : Avec quel outil dois-je venir ? Elle m’a
dit « Robert ne viens ni avec une houe, ni avec une pique, ni avec une hache, ni avec un coutelas, ni avec une fourche. Viens avec un
unique outil. Viens avec une pince pour que tu plantes mon jardin » (chanson Manzè Bébé)
1162
Arrêtez ou ralentir
1163
Ces termes sont employés pour s’adresser à l’attelage de gauche ou à l’attelage de droite. Il en est de même pour Woyou ou
Wotyè, tout dépend de la région.
1164
Traduction : Arrière
1165
Traduction : Arrêt net
1166
Traduction : Démarrez
1167
Céline Chabot-Canet, La voix enregistrée dans la chanson française contemporaine : présence charnelle d’un corps virtuel dans
Chanson et performance, Mise en scène du corps dans la chanson française et francophone, L’Harmattan ( Logiques sociales), 2012.
Page 21.

357
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

comme l’avocat Daniel Démocrite. Ces témoignages enrichissent sa biographie. En effet d’après le
producteur Henri Debs, c’est un chantè à succès. Ses titres sont bien accueillis.
« Parmi tous les chanteurs du gwoka traditionnel, les meilleures ventes ont été dans l’ordre chronologique :
Germain » Chaben » Calixte, Robert Loyson… 1168».
C’est un chantè qui a le sens du travail en équipe. Lors du Mémorial Emile Laposte1169 qui se
déroule le 21 juin 1975 au Hall des Sports de Fort-de-France en Martinique 1170, il fait partie de la
délégation de la Guadeloupe. Chaque groupe est initialement prévu pour une prestation individuelle.
A l’initiative de Robert Loyson, lui, Guy Conquet et les musiciens de ce dernier se produisent ensemble
au son d’un titre improvisé sur le chant par Robert Loyson :

Chantè A ki yo ?
Répondè : Konquet et Wobè 1171

La photographie de groupe qui mémorise la participation de Guadeloupéens à ce Festival


témoigne de la place que révêt Robert Loyson au milieu des années 1975 dans le gwoka. Cette
photographie montre la rencontre de deux générations de pratiquants réputés du gwoka. Ce sont eux
que l’organisateur syndicaliste, nationaliste et enseignant Loulou Marc Pulvar (1936-2008), originaire
de la Martinique sollicite. Robert Loyson fait partie des plus anciens. Ils sont réunis pour un concert
en hommage au célèbre danseur du danmyé de la Martinique, Emile Laposte. Ce groupe constitue les
experts incontournables du moment et Robert Loyson en fait partie. C’est le premier festival du XXè
siècle qui réunit en un même plateau tant de figures du gwoka. Le moment est symbolique car il a pour
but d’honorer la mémoire du grand danseur spécialiste du calenda et du danmyé, Emile Laposte (1929-
1974).
Il est aussi présenté par les témoins comme celui qui a le sens de l’amitié. Les gens du gwoka
peuvent lui rendre visite de manière impromptu. Il les reçoit, chante et la musique prend corps. Judes
Janackdoulary dit Ti-Jid, un de ses répondè le connaît bien en tant que spécialiste du chant de véyé
mais aussi en tant que lutteur. Dans ce domaine, il est réputé dans la région. Judes raconte l’histoire
d’une de ses chansons, Docteu1172 qui témoigne de l’humour du personnage : Docteu est une chanson
qui met en garde un médecin contre un chien qui erre dans les locaux de la clinique dont il est le
propriétaire :
« Dòktè, baré Médò an leskalyé-la…i ké fouté pis an klinik a-w la1173.
En fait, la chanson raconte l’histoire d’une femme qui aurait accouché d’un chiot dans une clinique
réputée de la région pointoise.
Ces témoignages révèlent l’image que Robert Loyson renvoie à ses compagnons de musique.
Mais les photographies qu’il a laissées témoignent de l’image qu’il a de lui-même. Quatre illustrations
d’albums montrent que cette image évolue. En effet, pour ses premiers albums au cours des années
1966-70 il porte une tenue ordinaire à savoir la chemise et le pantalon. En 1982, sa tenue change. Un
boubou blanc lui donne l’allure d’un sage. Entre temps, un ami lui procure, à sa demande une robe

1168 Henri Debs, Mémoires et Vérités sur la Musique aux Antilles, Guadeloupe, Martinique, Haïti, Dominique, Histoires vécues, 2011,

page 255.
1169
Emile Laposte (1920-1974), tanbouyé et dansè du bèlè de la Martinique.
1170
Contrat d’engagement de Guy Konkèt et le groupe ka
1171 Témoignage de Joël Nanquin, Morne-à-l’Eau, 24 mars 2016/ Témoignage Fritz Naffer, juillet 2008, Gosier/ Témoignage de Guy

Conquet, 12-08-2008, Jabrun Baie-Mahault.


1172 Tradution française : Docteur
1173
Docteur arrête Médor, il te mettra des puces dans ta clinique, chanson Docteu, 1966.

358
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

d’avocat1174avec laquelle il se produit pour ses derniers concerts. Robert Loyson se veut défenseur des
causes de la Guadeloupe contemporaine. Evoquant ses tours de chants, il employait le lexique de la
justice :
« An bizwen on wòb pou mwen plédé on nafè-la !1175 »
« An ja préché si lé bawo 1176»

Lorsqu’il décède, l’hommage que lui rend Max Diakòk dansè spécialiste du léwòz dans le
journal Lendépendans est illustrée de sa photographie en homme de sagesse et le texte rappelle la
mission du justicier qu’il s’est donnée à travers ces chansons :
« C’est mardi que la nouvelle est tombée brutale comme un couperet : Robert Loyson est mort…Ne
l’avait-on pas vu au Centre des Arts et lors du mémorial portant son nom (au Moule) majestueux dans sa
toge d’avocat. Il était venu défendre… la vie.1177 »
Et c’est en justicier qu’il plaide, dès 1966 la cause des petits planteurs soumis au paiement de
la canne à la richesse.

1174
Témoignage de Daniel Démocrite, novembre 2018, Le Gosier.
1175
J’ai besoin d’une robe pour plaider une affaire là !
1176
J’ai déjà prêché au barreau
1177
Journal Lendépendans, Wowo Siso mò men siwo a-y ka koulé toujou, 2 septembre 1989, Collection Max Diakòk.

359
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 50 : Photographies des grandes figures du gwoka au Festival Emile Laposte, Martinique
,21juin 1975.

Robert Loyson et les grandes figures du gwoka, Festival Emile Laposte, 21 juin 1975

1er rang assis de gauche à droite : Guy Conquet, Robert Loyson, Loulou Pulvar (organisateur),
Fritz Naffer.
2è rang debout : probablement un artiste martiniquais, Vélo, non identifié, Carnot, Yves
Thôle, François Hyzirin dit Bagi.

360
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 51 : Photographie de Robert Loyson (1928-1989)

Robert Loyson le sage, Journal Lendépendans, 2 septembre 1989 (collection Max Diakòk)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les deux chansons qui le consacrent en chanteur animé d’un esprit civique portent le même
titre, Canne a la richesse. L’une est enregistrée en 19661178 et l’autre en 19681179. Cette dernière précise,
par son titre, qu’elle est le n°2 du même titre. Les conditions de l’enregistrement du premier titre ne
sont pas concordantes en fonction des témoins :
Robert Loyson aurait été présenté par son ami et compagnon de musique Gaston-Germain
Calixte à Marcel Mavounzy le producteur. Ou encore, Robert Loyson aurait adressé au producteur une
demande d’enregistrement après avoir entendu celui de Gaston-Germain Calixte. Pour le deuxième
titre, le producteur change. Raymond Célini aurait fait la démarche auprès de Robert Loyson vu le
succès du premier titre. Il lui aurait commandé une chanson qui traite du même sujet. L’auteur-
compositeur l’interprète sur le champ. Canne a la richesse n°2 prend naissance. Le sujet est le même
mais le récit est différent car les chansons correspondent à deux étapes de la mise en place du dispositif.
Canne a la richesse n°2 n’est pas une deuxième version de Canne à la richesse mais la suite de celle-
ci. Les deux titres obéissent à un ordre chronologique.
La première éditée en 1966 correspond à la date de l’annonce du nouveau mode de paiement
et à la préparation technique de sa mise en place. Robert Loyson appelle les Guadeloupéens à prêter
un grand intérêt à l’industrie sucrière en Guadeloupe qui donne des signes de crise. Cette crise risque
d’aggraver les conditions de vie des Guadeloupéens. La deuxième, éditée en 1968 correspond à la date
d’entrée en vigueur du dispositif, elle accuse ceux qui l’ont accepté eu égard aux conséquences
sociales.
Les chansons exposent les préoccupations du monde agricole. L’agriculture étant l’activité
majeure, ces préoccupations sont celles de l’ensemble de la société. Avec Robert Loyson, le gwoka
dépasse désormais le quotidien des « zanfan-lanklo ». Le chantè s’adresse à la société désignée par
« Gwadloupéen » dans son ensemble. Le marronnage spirituel des « zanfan-lanklo » semble déjà
concurrencé par l’émergence d’un autre mouvement revendicatif dont ces deux chansons constituent
les prémisses.
Par ces chansons en rapport avec l’inquiétude sociale créée par le nouveau mode de paiement,
Robert Loyson soulève tous les problèmes relatifs au dispositif :
La crise économique généralisée :
An ka mandé pòté on koudèy pou la Gwadloup pa an fayit1180
L’instabilité de la richesse saccharine pour un même planteur :
Mèwkrèdi apré midi, pòté kann-la a lizin, 10, dé virgil
Sanmdi apré midi ou ka chajé kann-la, è dé virgil1181
Le mépris pour la pénibilité du travail et les coûts de production
Bildozé an kay, kay-la sé menm pri
Bildozé an fon, fon-la sé menm pri
Bildozé an mòn, mònn-la sé menm pri1182
Angré pa ni richès…

1178
Album Robert Loyson et son groupe du Moule, Canne a la richesse, Label Emeraude, EM 026, 45T,10-05-1966. La date est
indiquée dans l’ouvrage du producteur Marcel Serge Mavounzy.
1179
Album Robert Loyson accompagné par le tandem Vélo Boisbant, Label Aux Ondes, Vol 6, 1968.
1180 Je demande de porter un coup d’œil pour que la Guadeloupe ne soit (tombe) en faillite
1181
Mercredi après midi, vous transportez la canne à l’usine/ Samedi après-midi, vous transportez la canne
1182
Buldozez dans les rocs, c’est le même prix/ Buldozzez dans les vallons, c’est le même prix/ Buldozzez dans les mornes, c’est le
même prix.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Bildozè pa ni richès
Labou pa ni richès
Sé ji kann a nou ki ni richès1183
La dénonciation des inégalités régionales et sociales
Kann Granntè tini on richès
Kann Gwadloup tini on richès…1184
On pati ka touché 5000F
Pou on tònn
Lòt pati 2500F 1185

C’est avec une grande aisance que « l’auteur-compositeur » compose ces chansons. En effet,
la structure qu’il choisit est adaptée à sa démarche. Les couplets longs décrivent quand les couplets
courts martèlent le message. Le répondè réitère celui-ci. Cette structure littéraire en déséquilibre est
celle du chant de véyé. Le premier titre est joué sans tanbou contrairement au deuxième mais les deux
chansons répondent à la structure de la chanson véyé.
Elles traitent d’un problème économique et social mais portent des valeurs citoyennes. En effet,
l’auteur en appelle à la responsabilité1186 des décideurs. Cette valeur qui nourrit son œuvre lui donne
une dimension politique :
« S’il fallait analyser cette rencontre (entre Robert Loyson et la politique), on peut dire que c’est la
politique qui vient à Robert Loyson et non le contraire. Il n’a jamais cherché à faire de la politique et n’a
jamais eu conscience d’en faire… Cette rencontre est fortuite car elle est provoquée par le contexte et
tout particulièrement la déresponsabilisation qui marque la période postérieure à la
départementalisation… »1187
Gwadloupéyen pòté on koudèy si la rékòt1188

Cette responsabilité s’appuie sur les compétences des plus éclairés :


Sa ki ka gadé pli lwen, sa ka vizé pli lwen, sa ka tiré pli lwen1189.
Elle s’appuie aussi sur la mise en œuvre d’une gouvernance en faveur des pauvres :
Zò ké mèt-zò dakò pou zò sové lé maléré1190.
Cette responsabilité syndicale et politique est défaillante :
Sendika…, konséyé…, dépité…, sénatè … ka di a pa-yo
Men yo pa kalkilé1191
Toutefois, il donne sa confiance aux représentants administratifs et politiques de l’Etat :
An sèten a pa soupréfè/ an sèten sé pa le mini/ sé gwadloupéyen ki sinyé1192.
Canne a la richesse, en prenant la défense des petits planteurs donne à Robert Loyson l’occasion
d’afficher clairement son opinion : plutôt le pouvoir métropolitain que le pouvoir local.

1183
L’engrais n’a pas de richesse, le bulldozer n’a pas de richesse, la boue n’a pas de richesse, c’est le jus de notre canne qui a de la
richesse.
1184
Les cannes de Grande-Terre ont une richesse, les cannes de Guadeloupe ont une richesse
1185
Les uns gagnent 5000F, les autres 2500.

1187 Julien Mérion, La dimension politique de l’œuvre de Robert Loyson, 9è Festival gwoka, Ste Anne, 1996
1188
Guadeloupéens, portez un coup d’œil sur la récolte (l’économie sucrière)
1189
Ceux qui voient plus loin, ceux qui visent plus loin, ceux qui tirent plus loin.
1190 Vous allez vous mettre ensemble pour sauver les pauvres
1191
Les syndicats, les conseillers, les sénateurs disent que ce n’est pas eux. Mais ils n’ont pas calculé (réfléchi)
1192
Assurer que ce n’est pas le sous-préfet/ Assurer que ce n’est pas le ministre/Ce sont les Guadeloupéens qui ont signé

363
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Et, fort de cette opinion, une autre chanson traduit le paroxysme de la crise économique. La
Guadeloupe trenglé. L’auteur rappelle qu’il n’a pas été entendu en 1966 avec Canne a la richesse et
cette nouvelle chanson exprime les conséquences du silence des décideurs. La situation est grave et
l’auteur puise dans le lexique du travail de la terre pour exprimer cette gravité :
Entòtyé, tranglé, koupé kòd-la a kou -a-li1193
L’auteur est très pessimiste. C’est une situation alarmiste qu’il décrit car tous les corps de métier sont
désormais touchés.
Propriyétè loto, transpò an komen1194.
La peur et la douleur ne se cachent plus. Il confie ce cri au répondè afin qu’il s’entende mieux et
s’imprègne bien par la répétition : Anmwé manman oh, la Gwadloup trenglé1195… Pour la responsabilité locale
l’appel de 1966 fait place à la désillusion.
Ainsi, la dénonciation du paiement à la richesse saccharine des cannes livrées aux usines par les
petits planteurs entraîne Robert Loyson dans une spirale de chansons d’un autre ton. Elles expriment
un positionnement offensif que le chanteur introduit dans le gwoka. Robert Loyson ne se satisfait pas
de l’observation et de l’indignation, il attaque par le chant. C’est un type de combat qui fera écho plus
tard. La chanson offensive se compose comme un tract. Robert Loyson est un avant gardiste du
chanteur civique qui s’épanouit plus tard avec la revendication de l’émancipation politique.

B- La revendication d’une émancipation politique

1- De l’autonomisme à l’indépendantisme : le cas de la Guadeloupe

Les années 1960 sont celles des particularismes régionauxqui se manifestent dans la France
hexagonale. Les régions particulièrement touchées sont la Bretagne, la Corse, l’Alsace, le Pays
Basque. Pour les départements d’Outre-Mer, ces particularismes trouvent un point d’appui dans la
guerre d’Algérie et dans les indépendances des anciennes colonies françaises.
Ces années constituent un tournant dans le rapport des outre-mers à la France. La
« conscientisation de la jeunesse » de la Guadeloupe, de la Martinique se fabrique pour l’avenir de leur
territoire respectif. Conscientisation c’est le terme qu’emploie Pierre Sainton (1924-2018) médecin et
militant politique guadeloupéen dans ses Mémoires. Ceux-ci constituent l’essentiel de la source
d’information à propos de la mise en œuvre de cette conscientisation par des organisations politiques.
Celle-ci se produit à Paris dans le monde étudiant et au sein des travailleurs. Elle réunit les
« conscientisés » des trois territoires dans des organisations politiques. Ils sont soutenus par des
personnalités politiques comme le député d’origine guadeloupéenne Albert Béville (1915-1962) ou
encore Justin Catayé (1916-1962), député guyanais. La 1ère organisation politique créée est le FAG
(Front Antillo-Guyanais) né les 22 et 23 avril 1961 à la suite de plusieurs réunions et conférences à
propos de la décolonisation de la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Le statut envisagé dans un
premier temps est l’autonomie fédérative.
Le gouvernement interdit cette organisation trois mois seulement après sa création. Le Front
qui poursuit ses activités de manière clandestine se fragilise par des dissensions au sein de

1193
Entortiller, étrangler, coupé la corde. Autour de son coup.
1194
Propriétaire de voitures, les transports collectifs
1195
Anmwé maman, la Guadeloupe s’est strangulée.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

l’organisation de même par les décès accidentels douteux de Catayé et Béville dans le crash aérien de
1962 en Guadeloupe1196.
Parallèlement naît une autre organisation de travailleurs cette fois l’AGTAG (Association
générale des Travailleurs Antillo-Guyanais) dont le nom rappelle la voie fédérative pour l’avenir des
trois départements d’outre-mer. Mais, dans le même temps, des organisations non fédératives se créent
dans la perspective de la lutte de libération armée à l’exemple de l’Algérie. C’est ainsi que l’OJAM
(Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) formée d’étudiants, de membres de la
FAG et de communistes est créée en 1962. Elle est rapidement démantelée par le procès de 1964 pour
atteinte à la sûreté de l’Etat. En dépit de son caractère éphémère, elle suscite chez de jeunes
Guadeloupéens principalement ceux de l’AGEG (Association Générale des Etudiants Guadeloupéens)
le besoin de créer une organisation similaire.
C’est ainsi que le GONG prend naissance en 1963. GONG comme l’anagramme révélateur de
la perspective d’émancipation politique : Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe et
comme le son du gong :
« Un coup de tonnerre dans l’esprit du peuple qu’il avait brutalement réveillé de sa torpeur, de son
apathie politique et de sa peur du pouvoir colonial français. Le GONG a sonné le glas de la peur…1197 »

L’organisation adopte un drapeau inspiré du drapeau de Cuba : des bandes vertes et blanches
marquées d’un triangle rouge et d’une étoile. D’après la Charte du GONG, le but est de réaliser la
révolution politique économique et sociale en Guadeloupe. Le GONG revendique pour la Guadeloupe,
le bonheur et la souveraineté. Cette transformation radicale relève d’une lutte révolutionnaire1198.
Né à Paris, le GONG s’implante en Guadeloupe en 1964 en dépit des hostilités de quelques
membres du Parti Communiste Guadeloupéen alors que le Parti lui a apporté son soutien au moment
de sa création à Paris. Mais parallèlement, des communistes et membres du GONG se retrouvent au
sein du Front pour l’Autonomie de la Guadeloupe crée en 1965. Des conférences sont organisées dans
plusieurs communes de la Guadeloupe avec signature de l’appel à l’autonomie par le public.
Le soutien du Parti Communiste Guadeloupéen à la candidature de François Mitterand en 1965
met un terme à la lutte pour l’autonomie au sein du parti. Mais plusieurs de ses membres choisissent,
en créant des organisations politiques comme la Vérité ou le CPNJG (Comité Populaire et National de
la Jeunesse Guadeloupéenne) des voies d’autodétermination proches des revendications du GONG.
Mais le procès de plusieurs des membres du GONG en 1968 pour atteinte à la sureté de l’Etat suite
aux évènements de Mai 1967 en Guadeloupe, y met un terme.
Les années 1970 en Guadeloupe sont celles de la continuité de la lutte révolutionnaire.
Le monde syndical ne reste pas en dehors de cette lutte. En effet la question du paiement de la canne
à la richesse crée la méfiance vis-à-vis des syndicats affiliés aux organisations syndicales françaises.
L’idée de syndicats de type nouveau naît de cette méfiance. L’UTA (Union des Travailleurs Agricoles)
et l’UPG (Union des Paysans de la Guadeloupe) sont créées en 1970 et 1971. L’UGTG (Union
Générale des Travailleurs de la Guadeloupe est créée en 1973 à partir de l’UTA et l’UPG. De grandes
grèves sucrières sont organisées pour défendre l’emploi sucrier et les revenus de la main d’œuvre. Dès
les premiers piquets de grève, le gwoka maintient le moral des grévistes. Guy Conquet, musicien du

1196
Ronald Selbonne, Albert Béville alias Paul Niger, Ibis Rouge Editions, pages 127-137.
1197
Pierre Sainton, Vie et survie d’un fils de la Guadeloupe, Editions Nestor, 2008, page 197.
1198
Le procès des Guadeloupéens, Dix-huit patriotes devant la Cour de Sureté de l’Etat, L’Harmattan, 2000, page 68. La charte est lue
au procès des Guadeloupéens accusés d’atteinte à la sureté de l’Etat le mercredi 21 février 1968 à la Cour de l’Etat à Paris

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

gwoka est ouvrier agricole et tient en musique ses piquets de grève1199. Ce qui lui vaut d’ailleurs un
procès pour lequel il compose la chanson inédite :
Sé pou tanbou-la
An ja monté si lè baro
Sé pou tanbou-la
Manman mwen ka hélé wayaye
Sé pou tanbou-la 1200
Les ouvriers en grève ont besoin de soutien de tout ordre ; moral, économique et financier. Des léwòz
sont organisés dans toute la Guadeloupe. Le tanbouyé-chantè-dansè Christen Aigle se met à
disposition pour ce « tour de la Guadeloupe » des léwòz. Les chansons qu’il y interprète entre le début
de ces manifestations jusqu’à son décès en 1985 marquent la mémoire de ceux qui y participent. Parmi
ces chansons, l’une est créée pour saluer le dévouement du nouveau syndicat proprement
Guadeloupéen UTA pour la cause des travaileurs du sucre :
Viv l’ITA ki on, parti gwadloupéyen
On, parti ki ka goumé pou yo pa fouté nou mè annaryèr
Sé gras a l’ITEA ki fè lizin ka fonksyonné
Sé gras a l’ITA ki fè maléré ka gannyé on jouné1201
Le gwoka trouve un nouvel espace d’expression en s’introduisant dans les mouvements
sociaux. Il touche un public très large de travailleurs mais aussi d’intellectuels nationalistes. Les
manifestations habituelles du gwoka se poursuivent. Le tanbou ne perd pas de sa sacralité. Au sein du
groupe Akiyo qui relance la forme mas du gwoka, cette sacralité se vit à chaque moment de tambour.
Le tanbou ne devait pas être enjambé tant par les femmes que par les hommes. L’encens était nécessaire
pour contenir l’esprit maléfique au cours de la parade :
I té pé chayé-w1202.
Mais des léwòz d’un autre enjeu que l’on pourrait dire de « léwòz de lutte » apparaissent.
Désormais, lors des mobilisations populaires à l’appel des nouveaux syndicats c’est par le chant gwoka
que s’expriment les doléances. Ces rencontres aux tanbou, supports des mobilisations, n’obéissent à
aucun calendrier prédéfini. Par ailleurs, à partir des années 1980, la fermeture des usines met fin aux
léwòz de quinzaine. Avec la mécanisation, le travail collectif recule et avec lui, le bèlè. Le Carnaval
demeure l’occasion de la sortie des Mas avec progressivement de plus en plus de groupes. Les fêtes
religieuses sont aussi une occasion de rencontres. Avec la montée du nationalisme, la fête Schoelcher
n’est plus célébrée au moyen de la musique gwoka. Un nouveau calendrier prend naissance. Il tient
beaucoup plus à distance le calendrier de la liturgie catholique. Il répond davantage aux nouvelles
rencontres du gwoka et aux besoins des revendications ouvrières. Le gwoka profano-sacré demeure
mais le gwoka civique lui fait de l’ombre. Car le nationalisme et le syndicalisme révolutionnaire
participent de son épanouissement.

1199 Album Léwòz Indestwas èvè Christen ka chanté, 4 CD inédits, 2010/ Festival gwoka 2018. Adrien rosan Mounien témoigne à ce

propos dans le livret d’accompagnment du CD et au Festival indiqué.


1200
C’est pour le tanbou. Je suis monté sur le barreau. C’est pour le tanbou. Ma maman elle pleure. C’est pour le tanbou. Les
circonstances de la création de cette chanson bien connue des léwòz en Guadeloupe est racontée par Guy Conquet, Témoignages de
février-mars 2011.
1201
Vive l’UTA qui est un parti (syndicat, mouvement) guadeloupéen. Un parti qui se bat pour que l’on ne nous mette pas les mains
en arrière (qui nous permet d’avancer). C’est grâce à l’UTA que l’usine à sucre fontionne. C’est grâce à l’UTA que les pauvres gagnent
une journée (travaillent)
1202
Témoignage de Jacques Marie Basses et Nicole Raboteur, membres pionniers du groupe Akiyo, 28 août 2018.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 52 : Calendrier renouvelé des rencontres festives aux tambours


Semaine
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, samedi : gwoka des piquets de grève probable
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, samedi et dimanche soir : véyé et mayolè probable
Samedi ordinaire : Bal a gwotanbou, léwòz o komandman
Vendredi ou Samedi : léwòz
Année :
Janvier à décembre : bamboula et léwòz des Fêtes patronales des bourgs et des sections rurales des
communes
Février : Parade des groupes de type mas
Mars-avril : Dimanche et lundi de pâques : la-bòdé à la plage ou à la rivière
Mai : bamboulas pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage
Mai ou juin : Dimanche et lundi de pentecôte : la-bòdé à la plage ou à la rivière
15 août : Fête de l’Assomption : la-bòdé à la plage ou à la rivière

En effet, en 1978, une organisation politique est créée à partir des nouvelles organisations
syndicales autonomes et d’anciens membres du GONG. C’est l’UPLG (Union Populaire pour la
Libération de la Guadeloupe) qui défend la Guadeloupe indépendante. Les idées nationalistes sont
diffusées par des graffiti incitant à l’abstention électorale.

A partir de 1980, la revendication indépendantiste se fait plus radicale. Le GLA (Groupe de


Libération Armée) prend naissance. Peu d’ouvrages traitent de cette phase de l’histoire politique de la
Guadeloupe. L’analyse du journaliste François-Xavier Guillerm qui a vécu les évènements des années
19801203 et le témoignage de Luc Reinette, leader indépendantiste constituent l’essentiel de nos
informations 1204. Ils sont complétés du récit de l’évasion de la prison de Basse-Terre par 4
« prisonniers politiques 1205». Les artistes du gwoka soutiennent les prisonniers politiques par des
concets à Paris. En Guadeloupe, les acteurs du gwoka participent aux koudmen, à des manifestations
syndicales et politiques comme la culture du riz ou l’occupation des terres1206
Le GLA est une organisation clandestine. Le programme de ses principales manifestations
montre que les attaques armées sont régulières. Elles se déroulent dans un intervalle de 1 à 3 mois. Des
attentats sont perpétrés contre les instances du pouvoir politique et économique depuis les studios de
la radio publique jusqu’aux biens privés des chefs des grandes entreprises. Ces attentats se produisent
simultanément en Guadeloupe par le GLA et en Martinique par le GLAM (Groupe de Libération

1203
François -Xavier Guillerm, (In) dépendance créole, Jasor, 2007.
1204
Luc Reinette, Le souKounyan de fer ou le périple sud-américain des patriotes guadeloupéens en 1987, Editions Nestor, 2018.
1205
Henri Amédien, Humbert Marboeuf, Henri Paratout, Luc Reinette, Quatre prisonniers politiques s’évadent des geôles coloniales
françaises, L’évasion du 16 juin 1985, Editions Nestor, 2014.
1206
Témoignage de Jacques-Marie Basses et Nicole Raboteur, Pointe-à-Pitre, 28 août 2019

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Armée de la Martinique). Des attentats revendiqués par une autre organisation, l’ARC (Alliance
Révolutionnaire Caraïbe) frappent aussi à Paris. Cette organisation affiche clairement son mode
opératoire :
« L’ARC frappera de nouveau et à d’autres niveaux si le colonialisme français et ses valets continuent
dans la voie répressive. Peuple français, c’est en ton nom qu’on occupe nos pays… Patriotes émigrés
Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais, la lutte continue plus que jamais, il faut s’organiser et s’unir
pour riposter et tenir le front de la lutte dans le ventre de la bête immonde… hier Giscard et aujourd’hui
Mitterand trompe le peuple français. L’indépendance ou la mort. A.R.C. (Alliance Révolutionnaire
Caraibe)1207

Ces attentats font des victimes au sein des forces armées et au sein de la population civile. Les
arrestations, procès, invasions et cavales d’indépendantistes marquent la vie judiciaire et politique en
Guadeloupe durant cette décennie. Ils sont autant de moyens de porter la voie des indépendantistes au
sein du grand public. Et, lorsque François Mitterand est élu en mai 1981, il libère les cinq inculpés du
GLA arrêtés en mars 1981.
Cette libération ne met pas fin à la lutte armée. Au contraire une nouvelle organisation
indépendantiste est créée en 1982, le MPGI (Mouvement pour une Guadeloupe Indépendante). Son
mot d’ordre traduit son radicalisme, son refus de compromission et la rupture avec l’Etat : Kaskod !1208
. Les deux organisations indépendantistes entrent en concurrence. Ils ont chacun leur organe de presse.
Le magazine Jakata est dirigé par Frantz Succab. C’est la voix de l’UPLG. Mais l’organe de presse
« officiel » de cette organisation politique est le journal hebdomadaire Lendépendans, à partir de juin
1984 dirigé par Claude Makouke1209. De même, le magazine Journal Guadeloupéen puis Jougwa dirigé
par Dannik Zandronis, se fait la voix du MPGI.
Profitant de la libéralisation des ondes par le gouvernement de gauche, ils se dotent chacun de
leur radio : Radio Unité pour le MPGI, Radyo Tanbou pour l’UPLG. A Paris, l’idéologie nationaliste
indépendantiste pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane est diffusée par Radio Voka.
Mais, à partir de la fin des années 1980, progressivement, les mouvements indépendantistes
sont en recul. Le politologue Fred Reno, dans son analyse sur les perspectives des nouveaux rapports
avec la France met en évidence les freins de l’accomplissement de cette révolution souhaitée. C’est
principalement l’acceptation de l’attachement à la France par les populations. Ce qui réduit encore,
d’après lui, la portée de la révolution voulue, c’est le fait que la revendication indépendantiste soit
portée par des fonctionnaires. De même les révolutionnaires se laissent séduire par l’attrait du pouvoir
local renforcé par la décentralisation des années 1980. En effet, une liste de candidats indépendantistes
est présente aux élections régionales de 1992.
En définitive, la montée du nationalisme rapproche les Guadeloupéens du gwoka. Ils en font le
support de la lutte politique et sociale, participant ainsi à l’ouverture du gwoka à d’autres acteurs. Des
indépendantistes et syndicalistes deviennent dès lors des acteurs du gwoka. Et la lutte politique
s’accompagne de la lutte pour la promotion du créole guadeloupéen.

1207
Communiqué de l’ARC du 11 mai 1984. Ce communiqué est retranscrit intégralement sur le blog linter (du journal
L’Internationale crée en 1983) où peut s’écouter l’intervention de Luc Reinette au Forum Autonomia de Bayonne le 27 octobre 2007.
A l’occasion de ce Forum, Luc Reinette intervient en tant que responsable de l’ARC, linter.over-blog.com.
1208
Casser la corde.
1209
Journal Lendépendans, n°1, 11-02-1984, Collection Radyo Tanbou

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- La question des langues régionales dans l’enseignement : le cas du créole guadeloupéen

Dans le cadre de la revendication des langues régionales dans la France hexagonale et dans les
Outre-Mers, la question de l’enseignement du créole se pose. Des expériences pionnières sont menées
en Guadeloupe.
En 1970, l’Inspecteur Vertalier mène une expérience de rénovation pédagogique en
Guadeloupe1210. Il est affecté dans la première circonscription de Pointe-à-Pitre. Celle-ci regroupe les
écoles de Lauricisque, Chemin des Petites Abymes, Mortenol. L’Inspecteur propose une autre méthode
pour faciliter l’apprentissage du français. Il suggère à ses enseignants la méthode d’apprentissage des
langues étrangères pour faciliter leur accès au français. En dépit du fait que la base de l’apprentissage
soit la langue parlée et le cadre familier de l’élève, le créole ne doit pas être utilisé. Le créole
n’intervient que dans les tables d’équivalence entre créolismes et structures françaises.
Dany Bebel Gisler analyse les limites de cette méthode qui utilise le créole sans reconnaître son statut
de langue. Pour la sociologue, cette méthode serait plus efficace si l’élève avait conscience que le
français est une langue étrangère. Il parlerait créole à l’école dans les cours de français. De même,
d’autres disciplines seraient enseignées en créole. Mais, en tant que représentant de l’institution
scolaire, l’inspecteur Vertalier ne pouvait prendre cette responsabilité.
L’expérience porte préjudice à cet inspecteur qui est rappelé dans l’hexagone. Toutefois,
d’après le courrier d’une enseignante adressée à Dany Bebel-Gisler à son propos, il a le mérite d’avoir
posé la question du facteur linguistique dans la réussite scolaire.
Quelques années plus tard, le créole rentre à l’école en Guadeloupe. Sylviane Telchid est
professeur de français et de créole au collège Germain St Ruf de Capesterre Belle-Eau. Dans le cadre
de la journée internationale du créole en 1990, elle revient sur la mise en place de cet enseignement au
sein de l’établissement pionnier1211. Cet enseignement date précisément de 1977. C’est d’abord une
activité péri-scolaire sous la forme d’ateliers ouverts aux élèves des quatre niveaux sur la base du
volontariat des familles. Quatre professeurs assurent les cours. Les élèves apprennent à lire et à écrire
le créole guadeloupéen. Ils étudient des textes de genre varié : contes, chants, presse, récits… Ils
étudient aussi les interférences entre le français et le créole.
En 1981, le cours de créole est introduit sur le temps scolaire soit en tant qu’heure soutien ou
encore heure ouverte à tout type d’activité. En 1983-84, le cours de créole devient officiel par la
circulaire ministérielle de juin 1982 qui entérine les contenus enseignés par la désignation du cours :
Langues et cultures régionales. D’une heure par semaine, il passe de 2 heures pour les classes de 4è
et de 3è en tant que matière à option. Le cours est attractif pour chaque année scolaire, le collège
compte deux classes de créole. Le cours s’enrichit de la diversité des supports pédagogiques proposés :
essais, livres, études, ateliers, théâtre, enquête, films, textes et exposés. Les élèves sont aussi
sensibilisés aux créoles d’autres régions de la Caraïbe française ou anglophone et des pays de l’Océan
Indien.
Cet enseignement nourrit la production de supports pédagogiques par les enseignants en charge
de la matière. L’établissement devient aux yeux des enseignants un collège-pilote. A ce titre, il reçoit

1210
Dany Bebel-Gisler, une expérience de rénovation pédagogique (Inspecteur Vertalier), La langue créole, force jugulée,
L’Harmattan, 1981, pages 162-178.
1211
Sylviane Telchid, Le créole à l’école : Pourquoi ? Journal Lékòl n°19, novembre-décembre 1990, pages 13-14.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

des étudiants de l’Ecole normale et des enseignants de départements voisins qui viennent s’enquérir
des pratiques pédagogiques.
Du point de vue socio-linguistique, Sylviane Telchid montre l’intérêt de cet enseignement. Il
atténue la honte du « koulwòch1212 » c’est-à-dire de l’erreur commise en parlant français et vécue
comme une faute. Car dans la langue créole, les élèves s’expriment et communiquent plus facilement.
La participation des élèves est plus régulière et plus aisée :
« Pour beaucoup, s’exprimer en français était et est encore une marque d’intelligence. Nos aînés avaient
bien compris qu’il n’en est rien, eux qui disaient « Palé fransé pa vé di lèspri1213 »
Le SGEG (Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe) soutient cette expérience. Des
fiches pédagogiques et des séquences réalisées sont diffusées de manière régulière dans le journal
Lékòl. Elles montrent que l’expérience menée au collège de Capesterre Belle-Eau a une résonance sur
le reste du territoire en dépit des réticences.
Du point de vue de la psychologie cognitive, Paulette Durizot Jno-Baptiste, institutrice à l’école
de Douville Ste Anne mène une étude à partir d’énoncés d’élèves sur « la représentation du concept
de langue à travers la langue créole »1214. Ces énoncés montrent la place des deux langues dans la
société en général et à l’école. Le français est la langue de la réussite sociale et scolaire alors que le
créole est la langue de l’affect. Du point de vue culturel et pédagogique, le créole et le français sont
tous deux la langue des Guadeloupéens mais le créole est plus facile à apprendre que le français et les
gens préfèrent le français.
La langue créole accompagne la lutte pour la souverainté de la Guadeloupe. Ceux qui la
défendent sont principalement les nationalistes ou encore les nationalistes soutiennent les enseignants,
personnels de l’Education Nationale ou du privé. L’introduction de la langue créole dans les contenus
enseignés de même que l’usage de la langue créole comme langue de l’enseignement relève
d’initiatives sensibles dans une société où elle fut longtemps marginalisée au niveau des familles
même. Les enseignants et les nationalistes, porteurs de cette innovation sont des marginaux pour
l’époque.
Cette revendication dans le domaine des langues rapproche les défenseurs de la langue créole
du gwoka. Dany-Bebel Gisler de même que le SGEG deviennent des défenseurs du créole enseigné et
du gwoka. Un autre combat sera profitable au gwoka, c’est celui de la relecture de la mémoire de
l’esclavage. Cette relecture est portée par une organisation syndicale autonome.

1212 Traduction française : coups de pierre


1213
Traduction française : parler français n’est pas signe d’esprit (d’intelligence).
1214
Cette étude est présentée dans le journal Lékòl n°19, novembre-décembre 1990, pages 16-20

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- La mémoire de l’esclavage : héros français ou héros guadeloupéen ?

En Guadeloupe, un énoncé : A pa Schoelcher ki libéré nèg1215 vient perturber une mémoire


séculaire, celle de Victor Schoelcher comme unique abolitionniste et le courant abolitionniste comme
seul facteur de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Le mythe et la mémoire sont
déstabilisés en même temps. L’historien intervient ainsi dans la relecture de la mémoire de l’esclavage
négrier. Cet énoncé prend le contrepied d’un précédent :
An sé nèg, nèg a Pè Schoelchè1216…
… qui reprend une affirmation construite même avant l’abolition de l’esclavage dans les colonies
françaises.
Au cours des années 1970, elle est reprise en Guadeloupe par des orchestres de bals et des troupes de
danses de scène avec un refrain en créole et en français à la fois :
Gras a, Gras a Schoèlchè
Ki fè nou konnèt labolisyon dè lèsklavaj
Gras a, Gras a Schoèlchè
Ki fè nou touvé la liberté qui si chère à tous1217

En 1979, l’ouvrage historique publié par le SGEG en 19791218 cherche à rétablir les faits qui
ont conduit l’Etat à décider de l’abolition ;
Le SGEG rétablit les faits. D’un mouvement humaniste sans revendication d’abolition de
l’esclavage, celle-ci devient une préoccupation centrale 10 ans environ seulement avant le décret du
27 avril 1848. Les raisons de cette abolition sont plus économiques et politiques qu’humanistes. En
ce qui concerne Schoelcher, après avoir retracé les facteurs de construction du mythe, l’organisation
syndicale montre qu’il se prononce clairement pour l’abolition de l’esclavage mais ses rapports avec
les nègres demeurent ambigus.
Le SGEG tranche par le refus du mythe d’une part et d’autre part le refus de l’exclusivité
mémorielle accordée à Victor Schoelcher. L’organisation syndicale cherche à mettre à disposition des
enseigants, une histoire plus conforme aux sources :
:
« Schoelcher a eu du monde esclave la vision d’un européen paternaliste convaincu de la supériorité de
sa culture. Nous ne pouvons nous réclamer de V. Schoelcher… Schoelcher ne nous appartient pas.
Laissons-le à l’histoire française !1219 »

Nous comprenons que cette nouvelle lecture de l’abolition de l’esclavage négrier est une
révolution mémorielle car, désormais, elle incite à rechercher d’autres figures héroïques. La mémoire
de ces héros jusque-là enfouie se réveille peu à peu tandis que celle de Schoelcher, héros français
s’éteint peu à peu. Les mémoires agissent en interaction rappelant le principe des vases communicants.

1215
SGEG (Syndicat Général des Enseignants de la Guadeloupe) , Ce n’est pas Schoelcher qui a libéré les nègres , 1981-1982 (
brochure historique). L’étude a été réalisée par l’historien Jean-Pierre Sainton au sein de la Commission Histoire du SGEG, après son
retour d’études en 1979.
1216
Je suis le nègre de Père (marque de respect aux aînés) Schoelcher, poème de Guy Cornély présenté dans la catégorie hors concours
des Jeux Floraux de la Guadeloupe en 1959. Le poème est retranscrit dans la Revue Guadeloupéenne, Janvier-Février 1959
1217
Version interprétée par l’orchestre Sympatica de Grand-Bourg Marie-Galante au cours des années 1960-70
1218
Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe (SGEG), A pa Schoelcher ki libéré nèg, 1976.
12191219 Syndicat Général de l’Education en Guadeloupe (SGEG), A pa Sch oelcher ki libéré nèg, 1976, page 46.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C’est d’abord la mémoire des combattants de la liberté que réveille le déclin de la mémoire
schoelchérienne.

De 1971 à 1990, la mémoire d’autres héros se construit. L’historien, par ses travaux participe
à cette construction même si ce n’est pas sa mission. Par ailleurs, les faits historiques sont source
d’inspiration. Alors le poète, l’auteur-compositeur et l’interprète interviennent aussi dans cette
construction. Il nous semble important de montrer d’abord les faits historiques tels qu’ils ont été
étudiés par l’historien Jacques Adélaïde -Merlande dans son ouvrage Delgrès en 19861220 . Puis, sont
décrits les personnages de la mémoire nouvelle de l’esclavage négrier mis en lumière dans les chansons
et poèmes.
En effet, en 1986, le nom de Delgrès est le titre de l’ouvrage de Jacques Adélaïde-Merlande. Il
s’agit pour l’auteur de montrer la marche à la bataille de 1802 qui s’est conclue par le suicide de Louis
Delgrès. Celui-ci représente le contre-pouvoir crée en 1801 par la création du Conseil Provisoire de
gouvernement à l’initiative des négociants de Pointe-à-Pitre. Ce Conseil est dirigé par Pélage. Ce
contre-pouvoir fait face au pouvoir légal du contre-amiral Lacrosse et du préfet colonial Lescallier,
responsables de la colonie de Guadeloupe. Delgrès est aussi celui qui est nommé colonel par ce Conseil
Provisoire puis commandant de l’arrondissement de la place de Basse-Terre. La bataille de 1802 va
opposer l’armée du Conseil Provisoire de gouvernement aux troupes napoléoniennes, dirigées par le
Général Richepance, Delgrès dirige la principale zone de combat, Basse-Terre. Et, du retranchement
des troupes locales au Fort St Charles, au quartier général établi sur l’habitation Danglemont, Delgrès
est celui qui, avec ses compagnons se défendent farouchement contre les troupes légales.
A travers cet ouvrage à propos de l’acte de Delgrès, l’historien fait connaître d’autres
combattants de cette bataille et leur détermination comme Joseph Ignace, Massoteau, Paleme… et les
citations de Delgrès, éclairent son acte :
« On en veut à notre liberté, mes amis ; sachons la défendre en gens de cœur et préférons la mort à
l’esclavage 1221».
Cette déclaration est faite au cours de la préparation de ses troupes le 9 mai 1802.
« Point d’esclavage, vive la mort 1222».
C’est le cri de tous les insurgés le 28 mai 1802 qui se donnent la main après avoir disposé les barils de
poudre alors que les troupes de Richepance attaquent.
Pour l’étude de la mémoire des héros guadeloupéens dans la chanson et la poésie, nos morceaux
choisis sont :
Matouba 1223
Nou travay pou ayen1224
Bravo Nèg marron1225
Hymne aux héros anti-esclavagistes1226

1220 Jacques Adélaïde-Merlande, Delgrès, Karthala, 1986.


1221 Jacques Adélaïde-Merlande…,1986, page 149.
1222
Jacques Adélaïde-Merlande…,1986, page 149.
1223
Sonny Rupaire, Cet igname brisée qu’est ma terre natale, Jasor, Editions 2011. (1ère édition 1971).
1224
Traduction : Nous avons travaillé gratuitement / Album Exile One, Fism, Label Barclay, 1976.
1225
Album Curtis Louisar, Label 3A Production, 1981
1226
Frantz Succab, Hymne aux héros anti-esclavagistes, 1990.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les auteurs des textes et auteurs-compositeurs des chansons ne sont pas tous originaires de la
Guadeloupe. Deux d’entre eux, Gordon Anderson et Curtis Louisar (1950-1981)1227 sont
respectivement originaires de la Dominique et de la Martinique. Ce sont des artistes. Sonny Rupaire
(1941-1991) est un enseignant et militant du SGEG et de l’UPLG. Frantz Succab est un cadre de la
fonction publique et rédacteur en chef dans la presse d’opinion. Les chansons de Gordon Henderson
et Curtis Louisar sont retenues bien que leurs auteurs-compositeurs ne soient pas originaires de la
Guadeloupe car elles sont largement diffusées sur le territoire.
Gordon Henderson est le leader et fondateur de l’orchestre Exile One. Durant les années 1980,
c’est un orchestre en vogue qui donne plusieurs concerts en Guadeloupe. Nou travay pou ayen est un
titre à succès en Guadeloupe. La chanson Bravo Nèg marron est diffusée continuellement par la radio
indépendantiste, Radyo Inité appelée aussi Radyo Nasyonal Gwadloup créée le 8 novembre 19811228,
l’année de la sortie du titre. C’est par ce canal qu’elle entre dans les foyers.
Les œuvres choisies évoquent à leur manière des personnages :
Nou travay pou ayen décrit la condition des travailleurs esclaves, au cours du voyage du
continent africain à la Guadeloupe et sur l’habitation. Parmi ces travailleurs esclaves, le nègre marron
est la figure que célèbre la chanson Bravo Nèg marron. Il est décrit comme un rebelle qui a préféré la
liberté à la sauvagerie dans laquelle l’esclavage négrier l’a plongé. Le poème Matouba et la chanson
Hymne aux héros anti-esclavagistes traitent des mêmes figures de l’histoire de la résistance à
l’esclavage.
Une figure est commune aux deux œuvres. Il s’agit de Delgrès nommément cité par l’Hymne
et suggéré par le poème. Les deux oeuvres évoquent aussi respectivement les compagnons de Delgrès.
L’un d’eux, Ignace, est nommé dans l’Hymne et des nègres esclaves y sont aussi évoqués.
Ces quatre morceaux rassemblent un corpus d’énoncés justifiant du choix de leur héros. Ils
sont en français pour Matouba et en créole pour les trois autres. Dans le cadre de l’étude, afin d’éviter
une succession de traductions, nous rapportons ces énoncés en français :
Pour Delgrès et ses compagnons :
Poitrine offerte Matouba…et ces corps nus mourant… et trois cents sangs giclés vers ton ciel Matouba…
tombe si verte Matouba… des voix faibles encore cherchent la force de crier… mais sur cet écueil mort
dans son cercueil de mer…l’étincelle de sang de ton volcan jaillit. (Matouba, Sonny Rupaire)
« Delgrès était un nègre. Il a poussé un gros cri aux oreilles des blancs. Il a crié la délivrance pour que
les nègres voient la lumière. Ignace a lévé la main comme tout vaillant, vaillant comme dans le temps au
temps des sové vayan1229… Matouba étincelle…Morne Baimbridge bain de sang … Là où est écrite
l’histoire avec l’encre de ton sang… (l’Hymne aux héros anti-esclavagistes, Frantz Succab)

Pour les nègres esclaves :


« Nègres de somme » (Matouba, Sonny Rupaire…
« Pour que les lucioles (lumières) des nègres éclaire l’âme des nègres … Qui baptise un mot semblable
à la délivrance jusqu’à ce que du temps qui sont nègres se changent en nation… C’est pour cela qu’ils se
sont battus pour que les nègres ne se soumettent jamais au joug de personne » (l’Hymne aux héros anti-
esclavagistes, Frantz Succab)
« Bien enchaînés dans un petit bateau… Jour et nuit nous sommes coincés… nous avons débarqué dans
un pays de soleil… On nous a graissés… on nous a exposés… et comme une marchandise on nous a
vendus. ; on m’a traité pire qu’un chien… on m’a déclaré libre mais je travaille pour le même maître…

1227
Information de Philippe Pilotin, collecteur et collectionneur de disques, janvier 2017.
1228
Luc Reinette, Le soukounyan de fer…, 2018, page 12.
1229
Lutte dansée entre des hommes robustes dans les véyé

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

j’ai perdu ma personnalité, j’ai adapté la leur … je suis fier de moi … J’ai travaillé pour rien
(gratuitement)… Je ne reconnais pas mon frère 400 ans plus tard… Je suis pris (tombé la-dedans) »
(Nou travay pou ayen, Gordon Henderson)
Pour le nègre marron
« La liberté m’a fait changer de couleur, j’étais fatigué de vivre dans la misère. Un jour j’ai couru pour
un coup de bâton (je me suis esquivé face à un coup de bâton), au lieu de bleu j’ai crié marron… La
conscience du nègre marron m’a sorti de la souffrance… Grace à eux nous avons trouvé la vie …Le
nègre marron t’a sauvé, ne laisse personne te traîner brise toutes les chaînes que tu rencontres… »
Ces énoncés révèlent l’image de chacune de ces figures. Leur mémoire est justifiée par les
valeurs qu’elles dégagent à travers leurs actes. Ces valeurs sont humaines. L’acte de Delgrès à Matouba
est présenté comme un sacrifice. C’est un acte de générosité envers la postérité. La poitrine ouverte,
deux fois répétée, renvoie à une expression de la langue créole…
An fenn lèstonmak an mwen (ou encore) an wouvè lèstonmak an-mwen1230
…utilisée pour exprimer l’effort accompli en faveur d’un tiers. C’est le style de Sonny Rupaire qui
illustre son message par des images du créole guadeloupéen dans ses poèmes. D’après Frantz Succab,
ce sacrifice constitue désormais une page de l’histoire de la Guadeloupe. La générosité de Delgrès n’a
pas de limite. Elle va jusqu’au don du sang. Aux côtés d’autres grands combattants, Delgrès est un
libérateur. Cette valeur idéologique de liberté est aussi attribuée aux nègres qui l’ont reçue du sacrifice
de Delgrès. A cette valeur idéologique, l’auteur-compositeur ajoute une valeur politique par la nation
que forment ces nègres devenus libres. Mais cette valeur de liberté est réservée au nègre marron. Il
devient repère et guide des nègres, pour la sauvegarde de leur liberté.
Par ailleurs l’analyse de la structure poétique et musicale des titres retenus montre les stratégies
de composition pour le réveil de cette nouvelle mémoire. Sonny Rupaire a construit son poème comme
une chanson d’après la structure AB, le B se limitant au message principal Matouba. Le mode de
construction est celui de la répétition pour imprégner ce lieu dans la mémoire des lecteurs. Ce lieu de
mémoire doit marquer les esprits. Pour cela, l’auteur utilise, des couplets aux refrains, la logique des
mesures opposées. A la phrase longue succède le mot court et unique Matouba sauf pour de rares
exceptions où la « phrase-couplet » se compose de deux mots d’ailleurs évocateurs du sacrifice :
« Gencive verte, gencive ouverte, poitrine verte, poitrine ouverte. »
La chanson de Frantz Succab au contraire est un poème. Il n’y a pas de retour sur aucune des
parties en guise de refrain. Il est vrai que l’auteur est d’abord un spécialiste de l’écriture. Il répond par
son oeuvre à un concours organisé par le conseil Général pour un hymne aux héros anti-esclavagistes.
Primé, le texte est ensuite mis en musique. La dissociation de la musique et du texte explique la
structure A, B, C, D, E, F du texte sans lé-répondè.
En revanche dans la chanson de Gordon Handerson, la structure est celle du chantè /répondè.
Si le chantè déclame l’histoire. C’est au répondè que la composition confie ce que doit retenir la
mémoire :
Nous avons travaillé gratuitement (Gordon Handerson)
Nèg mawon (Curtis Louisar)
Par ailleurs, les quatre auteurs s’impliquent dans l’histoire par l’emploi du « je » pluriel ou du « nous »
collectif :
La liberté m’a fait changer de couleur (Curtis Louisar)
J’ai travaillé pour rien (Gordon Henderson)
Nous avons débarqué dans un pays de soleil (Gordon Henderson)

1230 J’ai fendu mon estomac / J’ai ouvert mon estomac

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Nous, nos lucioles peignaient le ciel (Frantz Succab)


Crépuscule éternel serti de nos mémoires (Sonny Rupaire)
Du point de vue chronologique, le texte de Sony Rupaire est le premier de la sélection retenue pour
l’étude. Son discours est différent de celui de Gordon Handerson qui lui succède 5 ans plus tard car la
valeur humaine qui se dégage de la figure des nègres esclaves est celui des sacrifiés privés de liberté
tant durant l’esclavage que dans la post-abolition. Mais le texte de Frantz Succab montre qu’en 20 ans,
des années 1970 aux années 1990, la mémoire se transforme. Les victimes deviennent des héros. Mais
cette héroïsation est encore réservée aux grands combattants et principalement les identifiés. Toutefois,
cette mémoire de l’esclavage inscrit encore ses défenseurs parmi les acteurs du gwoka. Ils
l’enrichissent par des chansons et des poèmes. De même la commémoration de l’abolition de 1848
devient un jour d’expression pour le gwoka. Et le nègre marron, en réhabilitation devient, dans
l’imaginaire le protecteur du gwoka. Les temps changent. La Guadeloupe s’ouvre au monde, cette
ouverture sera-t-elle favorable au gwoka ?

C. La Guadeloupe ouverte au monde

1- Vivre la consommation en chansons : entre stupeur et émerveillement

A partir des années 1970, dans les Départements français d’Outre-Mer, les habitudes
commerciales changent du point de vue alimentaire. Les sociétés entrent dans la consommation de
masse. La grande distribution devient la nouvelle forme de commerce. Elle modifie le paysage urbain
et l’organisation de l’espace au point de susciter l’intérêt des spécialistes de la ville1231. Ainsi, en 1992,
on compte trois hypermarchés et 24 supermarchés
La consommation alimentaire de masse s’accompagne de la consommation culturelle. Celle-ci
s’organise. Jusqu’aux années 1970, dans les centres-villes, les salles de cinéma sont aussi salles de
spectacles. A Pointe-à-Pitre, la Renaissance, le Rex, le Plaza et à Basse-Terre le cinéma Darbaud sont
des espaces où les artistes se produisent.
A partir des années 1970, Pointe-à-Pitre se dote d’une grande salle de spectacle de près de 1500
places par la construction du Centre des Arts. Ce centre encourage la consommation culturelle. Bâtie
en 1976, le Centre reçoit sa première manifestation en 1977, c’est la plus importante structure culturelle
de la Guadeloupe. La municipalité de Pointe-à-Pitre y a consacré un budget de 48000F soit à l’époque
4,8 millions de francs1232. Cette structure participe au développement du patrimoine culturel de la
Guadeloupe. Il a pour but la promotion des activités artistiques musicales, théâtrales, plastiques et
d’expression corporelle. Il vise aussi à susciter auprès du public l’intérêt pour les activités culturelles.
Le centre prévoit aussi la réalisation locale et la diffusion externe des produits professionnels. Il est
inauguré en 1978.
Trois chansons rendent compte de la consommation de masse en Guadeloupe et des sentiments
qu’elle procure. Elles n’appartiennent pas toutes au genre musical gwoka. Leur but n’est pas de montrer
la réaction des gens du gwoka face aux changements qui interviennent en Guadeloupe à partir des

1231
Michel Desse, Les grandes surfaces et les zones d’activité commerciales : éléments structurants des nouvelles spatialités
guadeloupéennes, martiniquaises et guyanaises, Les Antilles et la Guyane françaises à l’aube du XXIè siècle, Terres d’Amérique, n°4,
Karthala, 2003, pages 189-201.
1232 Frédérick Divialle, Le marché de la musique en Guadeloupe, Quel poids dans l’économie et quelle place dans la politique

économique, Maitrise de sciences économiques, sous la direction de Monsieur Alain Maurin, Année universitaire 2000-2001, page 53.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

années 1970. Il s’agit de montrer la portée sociale de ces évènements. Et la chanson, quelque soit le
genre musical, auquel elle appartient, s’en fait le porte-parole.
Deux d’entre elles sont des musiques de variété à succès. Caton1233 de Daniel Forestal s’entend
sur les ondes de radio Guadeloupe. Car Daniel Forestal (1933-2016), professeur de musique, multi
instrumentiste et auteur-compositeur est une figure de la musique guadeloupéenne. La chanson Caton
traite de l’arrivée massive des emballages de carton en Guadeloupe. Le texte est structuré par la
répétition incessante du mot « katon » qui s’entend 42 fois pour une chanson qui dure 4 minutes. Cette
répétition exprime l’importance du produit dans le quotidien de la population. La chanson débute par
une phrase énoncée sur le fond musical :
« Yo di Gwadloup prop é bèl men a pa ti-bwen katon Ki ni… Fò chanjé sa ». C’est une manière pour
le chanteur de dénoncer la prolifération du produit. Aucun lieu n’est épargné :
Tou patou an Gwadloup … Asi plaj, an savann, adan bwa, adan zèb … sé katon
L’emballage jeté dans la nature prend tous les aspects et occasionne de la gêne.
Lèw pasé lèw gadé, Ka-w ka vwè an pyé a-w sé katon
Tini grand ni piti, ni chiré, ni mouyé, ni ki pòkò sèvi
C’est seulement après quelques phrases que l’auteur indique l’origine de l’emballage : la
consommation des produits importés :
Tin ta pos… jis ni ta frijidè
Katon-la ka rivé pa bato,
Une fois utilisé, il devient un déchet dont les consommateurs se débarrassent engendrant ainsi une
pollution visuelle :
Katon -la ka fini an bado
Et pour montrer son impact sur les rapports sociaux, l’auteur ajoute des anecdotes :
On vyé kò manké krazé
Pas i té kay ranmasé on bèl katon a télévizyon1234
Mais parfois les produits importés sont juste cités dans des récits. Guy Conquette adopte ce
style dans la chanson Baimbridge chaud1235. Cette chanson date du début des années 1970. Elle évoque
le Lycée de Baimbridge qui accueille ses premiers élèves en 1968. Mais la chanson traite des usages
détournés de ce nouvel établissement par des jeunes. La rumeur est vive à ce propos. Guy Conquet ne
fait que traduire une inquiétude générale. C’est une chanson à succès que Guy Conquet interprète en
spectacle. Les produits dont il s’agit cette fois sont des voitures de tourisme italiennes et françaises.
En effet, l’Alfa Roméo et la Lamborgini suscitent l’admiration des jeunes par le luxe qu’elles
dégagent :
Pannan sé ti-moun-la kay lékòl a Baimbridge cho
Baimbridge cho, Baimbridge cho
Yo ka di manman yo ka fè daktilo…
Baimbridge cho, Baimbridge cho
Lèw gadé yo ja rivé a Badfò…
Baimbridge cho, Baimbridge cho
Alfa Roméo et Gordini

1233
Album Daniel Forestal, Label Disque Debs, années 1970, Remix 2012.
1234
Traduction des extraits commentés : On dit que la Guadeloupe est propre et belle mais il y a beaucoup de carton, il faut changer
cela…Partout en Guadeloupe, sur les plages, dans les bois (buissons) dans les espaces verts, sur l’herbe (les pelouses) … c’est carton…
Quand vous regardez à vos pieds (sous vos pieds), que voyez-vous ? le carton… Il y a des grands, des petits, des déchirés, des mouillés,
ceux qui n’ont pas encore été utilisés, c’est carton… Il y a des emballages de poste, de refrigérateur… Le carton arrive par bateau… Il
finit en badaud… Un homme a failli se faire écraser en voulant ramasser un carton de télévision.
1235
Album Guy Conquette, Baimbridge Chaud, Label Aux Ondes, début années 1970.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Baimbridge cho, Baimbridge cho1236


Ces produits importés constituent pour d’autres ensembles musicaux la thématique de leur
chanson comme Ail Toyota la, texte de Roger Plonquitte1237. C’est un chanteur lead et chef d’orchestre
très connu dans la région de Basse-Terre. Il est accompagné de l’orchestre qu’il dirige, Galaxy,
orchestre de bals réputé en Guadeloupe. La chanson retenue est une de ses compositions. Elle
s’apparente à un spot publicitaire pour la marque Toyota. Car la chanson ne traite que de la diffusion
du produit dans le monde entier y compris en Guadeloupe. Elle souligne en passant qu’elle est très
recherchée notamment par les jeunes. Contrairement aux deux chansons précédentes, Ail Toyota la
traduit l’enthousiasme des consommateurs face à l’arrivée en Guadeloupe des nouveaux biens de
consommation comme les voitures japonaises :
Lanné tala sé Toyota tout-moun-la yo ka mandé
Tou patou ou pasé sé Corolla é Célica ou ka vwè
A la Gwadloup sé jenn jan la sé sa yo réklamé
La Gwadloup, la Dominik, la Martinik tout moun an Toyota mésyé zédam
La Guyane, la Martinik Paris
Tout moun la sé an Toyota yo ka woulé
A Londres, Jamaïque, à New-york
Tout moun yo an Toyota
A Pointe-à-Pitre, A Fort de France
Dahomay, Cote d’Ivoire, Sénégal 1238
L’attrait des produits importés renforcent les flux de marchandises. L’enthousiasme et
l’inquiétude accompagne cette ouverture. La thématique des flux migratoires inspire aussi les textes.

2- Partir en « métropole » ou s’ouvrir sur la Caraïbe ?

L’amélioration des infrastructures de transport accentuent les flux migratoires de la


Guadeloupe vers la France. Les migrations massives encouragées par le BUMIDOM depuis l’arrêté
ministériel du 26 avril 1963 se poursuivent. Le nombre d’installations en France par année pour
l’ensemble des DOM augmente. Ils passent de 8000 environ en 1975 à 10000 plus tard1239. Avec
l’arrivée de la gauche au pouvoir présidentiel suite à l’élection de François Mitterand le 10 mai 1981,
l’activité du BUMIDOM est réformée. L’ANT (Association Nationale pour l’insertion et la promotion
des travailleurs d’Outre-Mer gère les migrations des originaires des Outre-Mer vers la France. Durant
l’année de création de cet organisme en 1982 qui remplace le BUMIDOM 215000 migrants sont
recensés en dépit de l’accentuation des retours au nombre de 20000 au cours de la décennie 1980.
Toutefois, ces organismes sont évités par environ 40 à 50% des migrants. Car le mouvement migratoire
s’accompagne d’une politisation de la population dans les Outre-Mers comme en France, par les
organisations indépendantistes1240. Parmi les 18 opérations militaires revendiquées par l’ARC

1236
Pendant (alors) que les enfants vont à Baimbridge, Baimbridge chaud. Ils disent à leur mère qu’ils vont faire (apprendre) la
dactylographie. Quand vous regardez (vous constatez) ils sont déjà arrivés (partis) au Bas du Fort … (en) Alfa Roméo et Gordini.
1237
Album Galaxy, Toyota, Label disques Debs, HDD 611, Guadeloupe, 1977.
1238
Cette année, tout le monde demande (réclame) la Toyota. Partout on voit des Toyota et des Celica. A la Guadeloupe, c’est ce que
réclament les jeunes. La Guadeloupe, la Martinique, La Dominique, tous en Toyota… Ils roulent en Toyota… A Londres… Pointe-à-
Pitre… Sénégal
1239
Léon Danquin, 167, la fin d’une illusion et l’amorce d’un nouveau départ, Mai 67 au nom de la vérité et de la justice, Etudes
Guadeloupéennes, n°10, 2008, pages 129-131.
1240
Pascal Blanchard (dir), La France noire, Présences et migrations des Afriques, des Amériques et de l’Océan Indien en France, La
Découverte, 2012, pages 163-167.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

(Alliance Révolutionnaire Caraïbe) pour les Antilles et la Guyane, les locaux de l’ANT, rue Brissac à
Paris sont détruits par des attentats à l’explosif. Ce regard pessimiste sur les migrations cible la France
dans la chanson gwoka des années 1970-80.
Au milieu des années 1970, Guy Conquet chante Zèzèl o. Le personnage principal Zèzèl est un
migrant qui s’apprête à quitter la Guadeloupe. Il est interpellé par un tiers qui lui signifie de refuser le
départ. Plus tard, le même discours se retrouve dans la chanson de Fritz Naffer en 1985 puis dans celle
de Esnard Boisdur au cours des années 1990. Métropòl raconte l’histoire d’un jeune installé en France.
Et, Fò mwen routouné est celle de celui qui, installé en France se décide au retour.
Dans les trois chansons, le mouvement d’aller et retour exprime une réalité. Tandis que les flux
vers la France se poursuivent, les organisations politiques indépendantistes découragent les départs et
incitent aux retours.
Les trois auteurs se rapprochent par l’âge. Guy Conquet né en 1946 est le plus âgé, les deux
autres sont nés respectivement en 1954 et 1956. Agés de 20 à 40 ans, ils correspondent à l’âge du
migrant en quête d’emploi. Ce portrait est décrit dans Métropole :
Stiv alé pati an métropòl…
Nom-la ékri lè-y rivé dèyè dlo
Touvé travay sé on biten ki rèd
Interrogé sur le texte de la chanson, Fritz Naffer précise qu’elle s’inspire d’un départ réel.
Steeve est membre dune troupe de danses Karukéra et de football dont l’auteur-compositeur fait partie.
Il décide de partir à Paris au moment où la troupe et l’équipe de football entrent dans une phase
d’épanouissement. L’auteur-compositeur réalise que les migrations définitives vers la France privent
la Guadeloupe de ses forces vives. C’est ainsi que naît la chanson1241. Ce jeune c’est Steeve
Bregmestre. Raymond Gauthierot, l’un des membres fondateurs de la troupe familiale Karukéra
confirme que Fritz Naffer fait partie des tanbouyé de la troupe aux côtés de François et Yves Thôle et
que Steeve Bregmestre est un membre de la troupe Karukéra. Celui-ci décède à Paris au cours des
années 1980. Ses funérailles sont organisées en Guadeloupe par ses anciens compagnons de musique
parmi lesquels les membres de Karukéra1242.
La voie du BUMIDOM essuie aussi un refus catégorique de la part de Guy Conquet. Le départ
par cette voie provoque l’émoi :
Zèzèl o-w kalé
Zèzèl ka pati pa Bimidom.
En effet, la jeune sœur de Guy Conquet, Théodora dite Raphaëlla ou Fafa et lui sont ouvriers
agricoles dans les plantations de canne à sucre. Sa mère, Man Soso raconte qu’un jour, après le travail,
assis sous la véranda, sa sœur et lui se décident à prendre le départ pour la France. Elle met en œuvre
immédiatement les démarches administratives et quitte la Guadeloupe au début des années 1970. Lui,
Guy Conquet, demeure en Guadeloupe jusqu’à la fin des années 19701243. Car, dit-il, refuse de soutenir
cette politique d’encouragement aux migrations.
C’est un mouvement migratoire contraire, entre la Guadeloupe et la France, qui est préconisé
par les chansons :
Eviter le départ :
Manman Zèzèl di Zèzèl pa pati.

1241
Témoignage de Fritz Naffer, Le Gosier, juillet 2008.
1242
Témoignage de Raymond Gauthierot, Devarieux Petit-Canal, juin 2018.
1243
Témoignage de Athanaïse Bach dite Man Soso, Jabrun Baie-Mahault, mars à décembre 2011

378
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Manman an pakay an métropòl


Revenir :
Fò déviré péké rèsté plas pou-w o péyi
Mi sé pou sa an péké rèsté an ba-la
Fò mwen routouné

Les raisons de ce mouvement sont :


Familiales :
Stiv alé pati an métropòl
Fò vwè pléré fanmi-y a-y ja pléré dèpi sa
Culturelles :
Pa ni ziyanm planté
Ti jan pa vwazen-mwen
Politiques :
Péyi-la pa ta mwé
An vé pa mò a létranjé
Et, dans l’interprétation des titres, l’accent est mis sur les mots du refus ou sur la détermination :
Non manman an pa kay
An pé ké rété
Fò mwen routouné
Ces trois chansons expriment la misère économique. Car c’est la quête d’emploi qui motive les
départs. Ils expriment aussi la misère identitaire et politique de celui qui à la nationalité française et se
sent étranger en France. Cette misère se décrit dans l’interprétation de la chanson par des expressions
et onomatopées ou interjection de la douleur :
Mwé é é é Mwen mélé
Déviré, Zèzèl, déviré é é é
Pa ni travay pou nou ayayay
Elles expriment la mise à distance de la France et de la Guadeloupe par le discours nationaliste
indépendantiste qui trouve un écho dans le chant gwoka. Dans le même temps, la caribéanité est en
marche.

Des chansons gwoka rappellent aux Guadeloupéens leur position géographique et culturelle.
Celles que nous étudions revendiquent l’histoire des migrations communes à l’ensemble de la Caraïbe :
Nou rivé obò menm bato-la est un titre de Eric Cosaque édité vers 1981-82. L’auteur compositeur
interprète est né à Pointe-à-Pitre en 1952. Il travaille dans le secteur agricole avant de s’installer à Paris
où il devient fonctionnaire dans le domaine des Postes et Télécommunications. Parallèlement, il est
animateur radio. Il contribue à la diffusion du gwoka dans la capitale française en jouant dans les trous
de métro, sur les places publiques, sur scène

Le titre en question est interprété lors de ces diverses prestations. En 1983, il l’édite. La chanson
montre que les Caribéens afro-descendants, de quelque territoire dont ils sont originaires ne doivent
pas se diviser à l’exemple de la colonisation qui les « a déposés » chacun sur le territoire de son choix.
L’heure est à l’unité. Le texte est édité dans le contexte de l’accélération des migrations caribéennes
en Guadeloupe. Cette migration massive créée des crispations dans les sociétés réceptrices comme la
Guadeloupe. Les arguments de l’unité sont, par conséquent la fraternité et la solidarité :

379
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Wi, vyé frè, vyé sè, ka-y pli bèl


Ki linité …
Say rété-nou pou fè sé antann-nou
Konprann-nou é rédé-nou
Il convient de transcender les identités nationales ou territoriales :
Kan misyé-la rivé
Mété-nou ka divizé
I di-w sé Gwadloupéyen
Misyé sé Matiniken
Misyé sé Aityen…
Plus tard, en 1992, deux hommes âgés d’une trentaine d’années, Michel Halley animateur
culturel et Joël Nankin enseignant et plasticien1244 rappellent cette histoire dans la chanson « Si yo
mandé pou mwen ». Ils donnent la parole à un ressortissant de la Caraïbe. Ce dernier pourrait provenir
de n’importe quel territoire de la Caraïbe, son discours serait le même. Le sentiment est à la
dénonciation de la distribution arbitraire. Celle-ci est marquée par l’auteur dans la logique de
confrontation yo/mwen1245 :
Péyi Gwadloup yo menné-mwen
An Naïti yo lagé mwen
An Jamaik yo ekspozé mwen
C’est aussi celui de la nostalgie de l’Afrique perdue :
Pa mandé pou mwen an péyi Kongo…an péyi Daomé
An péké viré
Ay manman Lafrik
L’identité est perturbée par cette distribution arbitraire des hommes dans la Caraïbe
Pa mandé pou mwen, sé pa la mwen pa la !
Au sein du même ensemble musical, en 1993, un titre est chanté : Black Boat People. L’auteur,
Jean-Pierre Coquerel traite de la caribéanité par un autre fait, celui de l’arrivée de Christophe Colomb.
Des faits relatifs à cette arrivée sont communs à toute la Caraïbe :
L’extermination des peuples :
Yo exterminé tout on pèp, pran tou sa yo té ni
La conquête des territoires :
Yo té vlé Gwadloup yo pran la Gwadloup
Yo té vlé Matinik, Yo pran Matinik
Yo té vlé la Guyànn, yo pran la Guyànn
Yo té vlé Ayiti tonnè yo pran Ayiti
Anfen Karayib-la yo pran-y
Le métissage :
Métisé lé zendyen sékèl tousa lésé
Milatrès vé pa pennyé a très
Pour ces auteurs-compositeurs, il n’y a pas de doute, au plan géographique, historique et
culturel, la Guadeloupe est une composante de la Caraïbe. De ce fait, Eric Cosaque préconise pour
assumer la caribéanité, l’unité et la solidarité. Par la chanson Si yo mandé pou mwen, Michel Halley
préconise la reconnaissance de l’Afrique comme lieu de naissance commun à tous les Caribéens afro-
descendants. Et par la chanson Black Boat People, Jean-Pierre Coquerel propose pour tous les
Caribéens une autre lecture de l’histoire. Bannir l’idée de découverte et la remplacer par l’idée de

1244
Joël Nankin est l’auteur de la chanson et Michel Halley le compositeur
1245
Traduction : Eux/moi

380
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

baptême. Cette idée fait référence en effet au changement opéré par les Européens dans la toponymie
de la Caraïbe :
Di mwen yo batizé-y mé pa di mwen sé yo ki dékouvè-y.

La période de 1970 à 1990 est un temps de ruptures en Guadeloupe. La montée des


particularismes, le déclin de l’économie sucrière et l’ouverture au monde suscitent des interrogations
auprès des populations. Les nouvelles idéologies politiques, les syndicats de type nouveau accentuent
ces interrogations. Les auteurs-compositeurs et interprètes s’en font les relais. Et la chanson gwoka
s’en nourrit. Le profil de l’acteur du gwoka change.

381
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHAPITRE 9 : « L’ACTEUR CIVIQUE » A L’ŒUVRE

A- Une alerte et deux chefs de file : Casimir Létang et Gérard Lockel

1- Deux chefs que tout sépare

Par l’œuvre de ces deux acteurs qui impulsent une autre image du gwoka au sein de la
communauté des praticiens, les « acteurs civiques » deviennent de plus en plus nombreux à mesure
qu’ils répondent à l’appel de ces chefs de file.
Casimir Létang est un musicien et animateur radio. Il pratique la guitare et chante. Il laisse
comme témoins de sa vie des disques. Ce ne sont pas des disques gwoka. Lui, ce qu’il aime c’est la
variété. C’est dans ce registre-là que la Guadeloupe le connaît. C’est un auteur-compositeur qui crée
de nombreux titres. Ses émissions radio témoignent aussi de son regard sur la Guadeloupe. Les
photographies qui illustrent ses albums dévoilent son portrait musical et sa personnalité. C’est un
homme très ouvert et flexible portant tantôt des costumes tailleurs tantôt des tenues décontractées
comme les chemisettes à fleurs... Il peut être souriant ou encore il peut se donner un air grave. Il peut
prendre la pose du penseur, le doigt sur la joue cherchant, en fixant l’horizon, l’inspiration. Il peut
aussi se présenter en consommateur de boissons gazeuses, de musique, de belles femmes…. Nous
gardons de lui des souvenirs de sa véyé où nous avons découvert sa famille. Par ailleurs, cet homme
faisait régulièrement le voyage de Pointe-à-Pitre à Marie-Galante et s’était fait des amis à Grand-Bourg
à qui il ne manquait pas de rendre visite. C’était Déna la marchande de bébélé 1246de la rue de l’église.
C’était Raymond, patron d’un bar-hôtel-restaurant. C’était Pierre, le chef d’un orchestre de bals de
Grand-Bourg. Son producteur, Henri Debs, en sa mémoire, réalise une compilation de 20 de ses titres.
L’album est accompagné d’un livret dans lequel est repris une partie de son testament confié en 1988.
« Moi Casimir Létang, je déclare ne vouloir à ma mort : ni cérémonie religieuse, ni cortège, ni fleurs, ni
discours. Pas de veillée mortuaire, aucun genre de musique, ni folklorique, pas même mes chansons ».
A la fin de sa vie, replié sur lui, c’est principalement errant dans les rues de Pointe-à-Pitre qu’on le
rencontre. En sa mémoire, une résidence située à Pointe-à-Pitre porte son nom.
Contrairement à Casimir Létang, le parcours de musicien de Gérard Lockel peut-être aisément
étudié grâce à une source foisonnante. En dehors de ses disques, il produit des brochures techniques et
littéraires. Son œuvre musicale fait l’objet d’études de la part de musiciens et musicologues. La presse
lui fait honneur lors de ses concerts entre les années 1970 et 1990. Il est honoré de son vivant par un
foyer culturel qui porte son nom dans sa commune d’adoption, Baie-Mahault. Au cours de nos
enquêtes personnelles, nous le rencontrons sous deux aspects. D’abord, en 1996, comme un chercheur,
fier de son œuvre mais peu enclin à décrire ce qu’il a produit. Il accepte de nous recevoir. Mais lorsque
la conversation porte sur son œuvre, il se ferme et refuse de donner de plus amples explications. Il s’en
explique par la crainte que les pratiques culturelles de la Guadeloupe ne soient spoliées par des
recherches universitaires. Dix ans plus tard, en 2010, l’homme, par la sagesse de l’âge s’ouvre à ceux
qui le rencontrent. Il nous donne la copie manuscrite du chant Indépendance. Il nous confie ses
motivations pour la création du GKM. Ce qui est curieux c’est que dans l’autobiographie qui constitue

1246
Soupe de légumes et d’abats de boeuf, spécialité culinaire de Marie-Galante

382
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ses mémoires du GKM, il n’en dit mot. Les photographies par lesquelles il illustre ces mémoires sont
prises à Paris ou en Guadeloupe en tant que musicien ou encore en tant que fils d’une femme dont il
aime raconter la vie, sa mère, née Beauregard1247. C’est la profession de sa mère qui l’a conduit dans
le Nord Grande-Terre alors qu’il est né dans la région de Basse-Terre, dans la commune de Capesterre.
C’est un musicien capable de s’adapter au contexte. En effet, à Paris, il joue de la biguine et du Jazz.
Il enregistre un disque avec un orchestre de bal, l’Orchestre Del’s Jazz Biguine dirigé par le
clarinettiste martiniquais Eugène Delouche1248. Son instrument de prédilection est la guitare quelque
que soit le genre musical qu’il exerce. La passion pour cet instrument le conduit à fabriquer
personnellement sa première guitare, guidée par un artisan. Et, c’est en guitariste qu’il est photographié
pour l’illustration des affiches de concert1249 ou des articles de presse.
Pour Casimir Létang et Gérard Lockel, la source d’information est déséquilibrée et inégale et
rien ne semble rapprocher les deux hommes. Du point de vue de l’âge nos deux hommes appartiennent
à la même génération. Casimir Létang n’a que 6 ans de moins que Gérard Lockel né en 1928. Celui-ci
est originaire du secteur rural de Sainte-Marie dans la commune de Capesterre Guadeloupe tandis que
Casimir Létang est né à Pointe-à-Pitre. Son décès est intervenu à la cité Louisy Mathieu, un ensemble
d’immeubles situé dans un quartier populaire de Pointe-à-Pitre. Mais a t’il vécu dans ce quartier ?
L’acte de décès ne donne pas ces précisions. Nous nous appuyons donc des lieux de naissance pour
dire que Gérard Lockel et Casimir Létang se distinguent par leur environnement sociologique car l’un
est originaire d’un centre urbain et l’autre d’une commune rurale. Par ailleurs, Gérard Lockel est un
enfant des familles Beauregard et Lockel. Nous l’avons souligné, Lockel ne figure pas parmi les noms
attribués aux affranchis de 1848 en Guadeloupe. Mais, il est afro-descendant par sa mère issue de la
famille Beauregard, patronyme attribué à des affranchis dans la commune de Morne-à-l’Eau. Casimir
Létang porte un patronyme qui possède des similitudes phonémiques avec le nom Létan attribué à des
affranchis de 1848 dans la commune de Ste Rose. Le recours au phénotype pour connaître ses origines
nous éclaire quelque peu. Car ses photographies le décrivent comme un homme brun à cheveux crépus
et nez plat. Ce sont des caractéristiques du groupe des Noirs.

1247
Entretien de novembre 2017, Baie-Mahault.
1248
Véronique Ginouvès (dir.) La Musique antillaise en France, discographie, 1929-1959, AFAS, Conseil Génaral de la Guadeloupe,
Lameca, 2008, page 37.
1249
Affiche de 1969, France-Antilles/ Illustration de la brochure Almanaka 2006, GKM, Konsyans a gwoka, page 6.

383
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 53 : Photographie de Gérard Lockel et de Casimir Létang dit Kazo

Gérard Lockel né en 1928 Casimir Létang dit Kazo (1935-1996)

(Extrait ouvrage autobiographique, page (Extrait livret album réédition 1996, page 4)
51)

Au plan idéologique, des témoignages montrent qu’il est proche des familles de la bourgeoise
commerçante de Pointe-à-Pitre comme la famille Debs1250. Parallèlement, il s’oppose à Aimé Adeline
(1907-1977), directrice de la troupe de danses La Brisquante, proches des hauts fonctionnaires
représentants de l’Etat. Il lui reproche d’exploiter les tanbouyé. Mais, de quel camp politique est-il ?
Nous ne le savons point. Au regard de ces témoignages, il défendrait plutôt les pauvres. C’est ainsi
qu’il interpelle Aimé Adeline pour plus de considération pour le tanbouyé Marcel Lollia et présente
celui-ci à la maison de production Debs 1251. D’après la biographie qu’il publie en 2012, Gérard Lockel
est sensible au discours communiste au cours des années 1930 alors qu’il vit sur une habitation aux
Mangles Petit-Canal. Une sensibilité mesurée comme il le dit parce qu’il voudrait des réponses
proprement guadeloupéennes :

« Comment soulager la misère des travailleurs ?... Je fus conquis par le communisme mais avec des
restrictions car le discours était trop axé sur l’international et pas assez sur le national guadeloupéen…
Je me suis souvenu de cette première expérience à Petit-Canal. Et je peux dire que je suis resté proche
des idées communistes1252 »

1250
Témoignage de Philippe Debs novembre 2016.
1251
Témoignage de Charlie Chomereau-Lamotte Almanaka 2005.
1252
Gérard Lockel, Gwoka modèn, Production ADGKM, 2011, pages 46-49

384
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

A Paris, ce sont les idées du GONG (Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe) qui
le séduisent dans la recherche de solutions pour améliorer la condition des travailleurs. D’après Gérard
Lockel, l’organisation politique préconise la voie syndicale pour atteindre ce but1253. Aussi, dès lors
qu’il a connaissance du projet de création des syndicats autonomes c’est-à-dire proprement
guadeloupéens sans attache aux maison-mères françaises, il se rapproche des décideurs. La rupture
politique avec la France est dès lors consommée à son propos.
Au plan de la sensibilité musicale, ils sont tous deux musiciens mais Casimir Létang exerce en
Guadeloupe. Ses influences musicales viennent de toutes les musiques qui se jouent en Guadeloupe.
Ce sont les musiques de la Caraïbe jouées par les orchestres de bals mais ce sont aussi la variété
française et les musiques étrangères qui s’entendent à la radio. Gérard Lockel exerce la profession de
musicien à Paris pendant 10 ans, de 1959 à 1969. Il joue avec des originaires de la Caraïbe, de la
Guyane et avec des musiciens originaires des Etats-Unis. Ses influences sont plus étendues. Il joue les
musiques du bal Blomet à Paris mais aussi du jazz américain avec des musiciens américains. Ces
influences constituent la principale ligne de fracture entre Casimir Létang et Gérard Lockel.
Toutefois, dans leur rapport à la ville, ils se rapprochent quoique l’un soit né en ville et l’autre
à la campagne. Car, ils ont tous deux résidé en ville avant les années 1970. Casimir Létang est né et a
vécu dans la ville de Pointe-à-Pitre. Gérard Lockel vit de 1959 à 1969 à Paris. Lorsqu’il revient en
Guadeloupe, il s’installe dans le bourg de Baie-Mahault, la commune de son père. La petite commune
s’urbanise de manière accélérée. Les activités commerciales gagnent les zones rurales transformant la
commune de Baie-Mahault en un lieu de modernisation par excellence comme c’est déjà le cas pour
Pointe-à-Pitre. Peu de pratiques traditionnelles réussissent à échapper à cette modernisation. Nous
l’avions déjà signalé au cours des années 1960 avec l’arrivée du gwoka de scène. Mais cette
modernisation se renforce. Avec Gérard Lockel, elle marque la petite commune de Baie-Mahault. Elle
provoque le recul du gwoka pratiqué en cercle fermé au sein des familles et entre amis. Le gwoka de
scène et le gwoka du disque s’épanouissent. Et c’est par ces deux voies de modernisation que l’appel
au gwoka civique sera lancé. Leurs appels respectifs se croisent.

1253 Gérard Lockel, Gwoka modèn, Production ADGKM, 2011, page 70

385
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Des points de convergence favorables gwoka

Chacun de ces chefs de file possède son propre réseau. Mais, leur réseau respectif prend la
même configuration à cause de leurs activités de musicien. Celui-ci témoigne de leur popularité :
Casimir Létang est animateur radio des années 1950 aux années 1980 sur la chaîne Radio
Guadeloupe. Gérard Lockel trouve aussi un écho par Radyo tanbou, radio indépendantiste, à partir de
1982. Il regrette cependant de n’être pas davantage reconnu par la radio officielle, Radio Guadeloupe.
Les musiciens constituent le groupe le plus nombreux des deux réseaux : 38 pour Casimir-
Létang et 27 pour Gérard Lockel. Ce sont des instrumentistes de toutes sortes : trompettistes,
guitaristes, pianistes, batteurs ou tanbouyé se retrouvent chez les deux hommes. Ce qui est différent
c’est le tanbou plus régulier chez Lockel1254 et plutôt ponctuel chez Casimir Létang. Les deux hommes
disposent d’un environnement artistique commun. En effet, on retrouve chez eux des musiciens qui
ont une expérience des troupes de danses de scène. Parfois, ils les sollicitent dans leur formation
musicale ou pour leur enregistrement discographique. C’est le cas du batteur, Charlie Chomereau-
Lamotte. Celui-ci a été danseur au sein de la troupe La Brisquante. Il faut y voir aussi une sensibilité
musicale commune. Car, chez Casimir Létang, le tanbou et la batterie jouent ensemble, de même que
chez Lockel. Par ailleurs, des tanbouyé réputés de ces troupes de danse comme Christen Aigle ou
Delice Zenon sont sollicités par Gérard Lockel pour son GKM. Mais il arrive que ces musiciens
fréquentent la maison sans pour autant faire partie de l’orchestre. C’est le cas de Marcel Lollia dit Vélo
ainsi que Jernidier François dit Kawno. Par ailleurs, Casimir Létang et Guy Conquet ont un même
producteur, Henri Debs. Guy Conquet assiste aux concerts donnés par Gérard Lockel, dans la
commune où ils résident tous les deux, l’un au bourg et l’autre à Jabrun. Et, à l’issue des réunions et
concerts de Lockel, les participants viennent se restaurer chez Man Soso à Jabrun.1255 Une des
particularités du réseau de Gérard Lockel montre que celui-ci demeure attaché à la transmission
familiale du gwoka en dépit de sa démarche de modernisation. En effet, au sein du GKM se trouvent
ses trois fils Jean-Marie, Richard au tanbou et Franck au piano et sa fille Marie-Line y est
occasionnellement invitée.

Le réseau de Casimir Létang ne porte aucun trait de ce phénomène. Il convient de souligner à


son égard l’importance des chanteurs qui ont interprété ses titres. Car, l’auteur-compositeur aussi
chanteur, sollicite des collègues de la variété pour l’interprétation de quelques titres. Ce sont des noms
bien connus comme la chanteuse Manuel Pioche (1932-1970) ou le plasticien et chanteur Daniel
Gargar (1937-2011).
Ces réseaux montrent que la musique de Gérard Lockel s’appuie dans sa réflexion musicale
sur le gwoka, sur des manifestations dites traditionnelles comme le léwòz ou la véyé autant que Casimir
Létang enregistre le chant de type léwòz. Gérard Lockel fait honneur au chant de Maurice dit Lin
Canfrin, chanteur de véyé de Marie-Galante. Et ce dernier chante sur la musique du GKM au cours
d’un concert à Capesterre Marie-Galante en 1983 comme chanteur dit traditionnel.
Mais, de manière directe Casimir Létang n’a aucun contact avec Gérard Lockel. Ils n’auraient
pas pu se rencontrer car lorsque Casimir Létang compose des titres à succès, Lockel est encore à Paris.

1254
Aux deux premiers concerts enregistrés de Gérard Lockel en 1968 et le 11-12-1969, il n’y a pas de tambour.
1255
Témoignage de Rosan Mounien, novembre 2013, avril 2018, Baie-Mahault.

386
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Et, lorsqu’il revient en 1969, il se consacre essentiellement à la musique gwoka qui n’est pas le genre
musical majeur de Casimir Létang. Par ailleurs, lorsque Lockel revient en Guadeloupe en 1969, son
discours le fait connaître davantage des milieux intellectuels nationalistes, qu’ils appartiennent aux
organisations politiques ou aux organisations syndicales bien plus que des musiciens de variété.
Mais, sans jamais se rencontrer, les deux hommes se préparent à mobiliser des gens de tous
horizons, au gwoka civique par des voies différentes ; ce qui témoigne de leur engagement.

387
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 54 : Schéma des réseaux de Lockel et de Casimir Létang : Quelques croisements

2 - Réseau GÉRARD LOCKEL - D’après l’Autobiographie de G. LOCKEL.

UTA / UPG

CLAUDE MIRACULEUX
FRED GATIBELZA - LUCIEN MARTIAL
CHARLY CHOMEREAU-LAMOTTE
ALZA BORDIN - BERNIER LOCATIN
CLAUDY CANCELIER - CASIMIR BERTILLON

SIGFRIED KESSIER GÉRARD LOCKEL JÉROME GATIBELZA


BENOIT CHARVET Auteur - Compositeur DÉLICE ZÉNON
RADYO FRANCO MANZECCHI Music ien - Poèt e ARSÈNE CIMBAR
TANBOU

JEAN-MARIE LOCKEL
RICHARD LOCKEL
FRANCK LOCKEL – CHRISTÈN AIGLE
JEAN-RENÉ COMBES – ÉRIC BEAUJOUR
JEAN-PIERRE PHIPPS

MARCEL LOLLIA dit VÉLO


FRANCOIS JERNIDIER dit KAWNO
GUY KONKÈT

GONG / AGEG

LEGENDE :
Compagnons de musique
Autres musiciens
Autres relations
Environnement artistique commun

388
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1 - RÉSEAU CASIMIR LÉTANG (1960 à 1970) - D’après le témoignage d’Henry DEBS, compilation de
20 titres de CASIMIR LÉTANG (1996).

GUY CORNÉLY

EDOUARD BENOÎT - JUSTIN ANGÈLE


EMILIEN ANTILE - GUY ALCINDOR
ALLAN HOIST - FRITZ PIERRE
PHILIPPE SLOMINSKI

CLAUDE TRANCHOT
GEORGES TINÉDOR
GUY CONQUET
LUCE MORNAY

FRED FANFANT CASIM IR LÉTAN G


REVUE TILDY LUCE MORNAY
ROBERT SARKIS Au t eu r - Co mpo sit eu r ROBERT MAVOUNZY
GUADELOU- GILBERT ERDAN Mu sic ien - Po èt e Chanteur
FRED FANFANT
PÉENNE BRUN ESPIAN
CHARLY
(1944-1962) FRÉDÉRIC CARACAS
CHOMEREAU-LAMOTTE
CAMILLE HABRAHAM
DONADIEU MONPIERRE PIERRE MARBŒUF
MANUELLA PIOCHE
DANIEL GARGAR - PAUL BLAMARD
YVES MARSILE - GUY ALCINDOR
MARCEL LOLLIA dit VÉLO

THÉOMEL URSULLE - SERGE LANDRE


MIGUEL LARA - TONY LODIN
ALAIN GERVAIS - TONY FAISANS
FRANCOIS VÉNUTOLLO - ROBRT FICADIÈRE
EMMANUEL TOUSSAINT

RADIO GUADELOUPE
Années 1950 - 1980

LÉGENDE :
Compagnons de musique
Autres musiciens
Autres relations
Environnement artistique commun

389
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

L’engagement se définit comme le parti pris de l’individu ou du groupe à propos d’une cause.
Lorsque celui-ci est un artiste, l’engagement est double parce que l’artiste s’engage déjà pour faire
vivre l’art et, de plus prend à son compte une cause politique, sociale ou culturelle. L’engagement de
Gérard Lockel est politique et Casimir Létang choisit l’engagement musical.
Pour Lockel, le processus d’engagement débute en Guadeloupe par la réflexion à propos de la
condition ouvrière sur l’habitation sucrière où son père exerce la profession d’Inspecteur agricole. Les
travaux et les jours sont observés avec minutie : travaux d’entretien des sols, travaux pour faciliter la
croissance des plantes, travaux liés à la récolte. C’est à travers les yeux de l’enfant de condition aisée
qu’il comprend la misère des travailleurs. Cet enfant retient à la fois le caractère pittoresque de cette
condition et la fatalité des travailleurs qui s’accommodent de la misère1256 .
A chaque situation difficile à affronter, c’est le gwoka que les travailleurs convoquent ; qu’il
s’agisse de la pénibilité du travail, du mépris de l’Eglise pour leurs pratiques ou encore pour survivre
au moyen des faibles rémunérations de quinzaine. Mais cet engagement politique mûrit en France où
l’isolement et le racisme aiguisent la conscience d’une condition. L’engagement politique
s’accompagne d’un engagement musical à travers ses rencontres. Ce sont d’après son autobiographie,
celle de la place du toumblak dans la base rythmique de toutes les musiques de la Guadeloupe qu’il
s’agisse de biguines, de chants de noël, de chant de travail ou de musique du léwòz. Comme le gwoka
est le genre musical qui porte le toumblak, Gérard Lockel en conclut à la reconnaissance du gwoka
comme un élément de construction d’une nation, celle de la Guadeloupe. Cet élément détient un poids
équivalent à tous les autres éléments qui habituellement construisent une nation : Le peuple, le pays,
la langue, l’histoire. D’après Gérard Lockel, pour la Guadeloupe, il faut y ajouter le gwoka comme
une « arme » culturelle. C’est le sens du gwoka modèn :
« Mais qu’est-ce donc que ce gro ka modên que nous présentons à notre peuple comme sorti de son sein, et que
nous lui remettons entre ses mains comme une arme de combat, dans la grande lutte pour la réintégration de nos valeurs
culturelles ?1257 »
De même, avec Casimir Létang, le gwoka sort de l’acte spontané pour se pratiquer en
conscience. Il se transforme en une pratique réfléchie qui s’établit sur la base d’enjeux. Alors que pour
Lockel les enjeux sont idéologiques, pour Casimir Létang, les enjeux sont socio-culturels. Dès 1961,
son poème Congné tambou-la est présenté aux Jeux Floraux. Le poème confronte des individus
accablés par leur condition sociale et le tanbou. Il s’agit d’une femme Ernestine et d’un homme Paulo.
Ces individus mènent une existence difficile :
Ernestine, pa pléré ma fi
Hiè té maigue, cé té sirigien …
Paulo …la souffrance pa guè dou
Patience limbé-la ké fini…1258
Pour les soulager, Casimir Létang leur recommande de jouer du tanbou. La musique du tanbou se fait
exutoire.
Apiyé ! Congné tambou-la !
Vini, Dépéché zot zenfants

1256
Gérard Lockel, Gwoka modèn… 2011, page 29.
1257
Livret d’accompagnement du coffret d’albums de Gérard Lockel, page 2.
1258
Ernestine, ne pleure pas ma fi, hier était maigre, c’était sirigyen (poisson du pauvre). Paulo, la souffrance n’est pas douce. Patience
la déception amoureuse va se calmer.

390
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Vini…sauté…maté 1259
Le poème est bâti sur l’ambivalence des émotions : la joie et la douleur vont de pair. Le léwòz devient
remède de la douleur :
Pa chèché a comprende la vi
Kimbé rède pa moli
Vini… Dansé… Sauté… Maté…
Chanté lé rose… Frappé lé mains !1260
Cette ambivalence se retrouve des années plus tard dans la chanson Oh la l’agent passer1261 à
l’adresse d’un individu qui fait le douloureux constat de sa misère. La date de cette chanson peut se
situer probablement entre 1964 et 19671262. Cet album comprend 3 titres traitant des difficultés de
l’existence humaine :
Oyer mon dieu chanté par Paul Blamard, chanteur de bal traite de la condition noire dans le
monde entier. Adieu ti case en moin, chanté par l’auteur-compositeur pose le problème des problèmes
de logement des colons partiaires en Guadeloupe. Ce sont deux situations dramatiques. Mais la
difficulté majeure à savoir la misère financière est confiée au chanteur gwoka, Guy Conquet. Le ton
interrogatif ravive la difficulté :
An ka mandé la lajan pasé ?1263
Cette difficulté est si profonde qu’elle touche l’environnement du plaignant et se révèle
insoluble :
Menm ti-chyen-la hélé waw, waw …
An ja fè adisyon… fè soustraksyion, fè miltiplikasyon, an ja pozé divizyon...
An poko touvé solisyon…1264
Cette chanson, par son mode d’interprétation, par son accompagnement au tanbou, par son
interprète est une chanson gwoka. L’auteur-compositeur Casimir Létang dévoile par cette chanson
l’usage qu’il fait du gwoka. Comme Robert Loyson en 1966, Casimir Létang montre que la chanson
gwoka est un terrain de la revendication sociale.
Ainsi, avant 1970, deux musiciens, auteurs-compositeurs Casimir Létang et Gérard Lockel
s’engagent pour la diffusion d’une image positive du gwoka. A partir des années 1970, la recherche
technique, le chant et la poésie deviennent les supports d’un appel qui est bien reçu.

1259
Tenez bon (endurez). Frappez le tambour. Venez, dépêchez vous les enfants. Venez… sauter… bouger…
1260
Ne cherchez pas à comprendre. Tenez bon (Endurez) ne lachez rien ! Venez… dansez… sautez…bouger…Chantez le léwòz.
Battez des mains !
1261
Traduction : Où est passé l’argent ?
1262
La sortie du disque qui porte cette chanson est annoncée dans un article du journal Antilles Matin le 24 août 1965 mais la référence
de l’album (45DD 156) le situe au-delà du 1er album de l’interprète Guy Conquet en 1967 ou 1968 référencé 45DD 156. D’après, Philippe
Debs, responsable de la production Debs, il n’y eu qu’une seule édition du titre.
1263
Traduction : je me demane où est passé l’argent ?
1264
Même le petit chien (chiot) se plaint. J’ai déjà fait des additions… des soustractins…des multiplications…j’ai posé des divisions…
Je n’ai pas trouvé de solutions…

391
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Un appel commun aux Guadeloupéens : la sauvegarde du gwoka

L’album Vélo et Caso fait la transition entre les deux périodes de notre étude. Il date de 1969-
70. Pour la première période cet album est retenu aux côtés d’autres albums pour montrer comment la
pochette du disque valorise le tanbouyé. Cette fois, pour la deuxième période, ce ne sont ni les
photographies des principaux musiciens, ni la pochette de l’album qui retient notre attention.

C’est le titre Lovency. Il constitue le support de l’appel de Casimir Létang. Cette chanson se
rattache davantage au poème précité Congné tanbou qu’à l’autre titre de l’album, le boléro intitulé Le
marchand de bonheur. Lovency est une biguine jouée sur un tanbou. La composition du titre l’indique
et le chanteur le répète à deux reprises dans la chanson
Sé biguine mwen kay dansé1265
La composition de l’orchestre est indiquée sur la pochette. Les tanbouyé sont Marcel Lollia
dit Vélo et Odette Parfait Boisbant dit Artèm. Les répondè sont Claude Tranchot et Guy Alcindor, des
chanteurs de variété. L’orchestre comprend un saxophone joué par Emilien Antile, un piano par Robert
Sarkis et une guitare basse par Brun Espiand. Ce titre rappelle, par l’orchestre qui le joue, plusieurs
titres de Guy Conquet sous le label Disques Debs1266
L’auteur -compositeur a pu être inspiré par le poème de Guy Cornély accompagné par le
tandem Vélo-Boisbant : « Où sont donc les tam-tam ? »1267 Ce titre est joué au cours de l’émission la
Gazette créole de Casimir Létang que l’animateur désigne par « Kazo pou lé pèp é pou lé vyé
zanmi1268 », sur les antennes de Radio Guadeloupe. Le poème situe le tam-tam dans le paysage musical
de la Guadeloupe. Il évoque une des circonstances du tam-tam en l’occurrence le léwòz. Il rappelle les
différents auditeurs de la musique aux tanbou depuis les représentants de l’Etat jusqu’aux marginaux.
Sa question semble être une interrogation sur l’usage des tam-tams ou sur leur disparition. Mais le
discours est confus et noyé par l’esthétique littéraire. Ainsi, le message de Guy Cornély semble
davantage relever du pittoresque et de la folklorisation du tam-tam qu’à une alerte à la disparition de
cette musique. C’est pourquoi, en matière d’appel à la sauvegarde, nous retenons le discours, plus clair
de Casimir Létang par la chanson Lovency.

L’appel est lancé à travers le personnage de Lovency. D’entrée la chanson annonce que le
tanbou s’apprête à lancer un message qu’il invite à écouter. Empruntant au poème de Paul Niger1269,
il débute par un appel à la vigilance des auditeurs :
« Ecoute mon frère, écoute le tam-tam
Le vent chaud des savanes
Apporte son message
Lovency évoque le gwotanbou, terme ancien par lequel le gwoka est désigné, en guise de
réponse à une interpellation par son interlocuteur. Construit sur la structure AB, AB, le couplet est

1265
C’est la biguine que je vais danser
1266
Ces titres sont Ban Clé a Titine et Si cé kon sa ou pa ni rézon sur les albums Guy Conquet 45DD114 et Mr Sax Emilien Antile,
45DD103. Ces albums sont enregistrés vers 1968.
1267
Album Guy Cornély accompagné par le tandem du gros-ka Vélo / Boisbant, RC 62, Pointe-à-Pitre, 1969.
1268
Traduction : Kazo pour le peuple (pour tous) et pour les vieux amis.
1269
Les deux dernières lignes du poème sont extraites du poème « Je n’aime pas l’Afrique de Paul Niger »

392
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

aussi court que le refrain. La brièveté des propos donne au chant le ton de la réplique. L’auteur-
compositeur inscrit la chanson dans le style « créol’s spiritual ». L’audition du titre permet de
confirmer les instruments qui l’accompagnent : tanbou, saxophone, piano, basse. Le chœur est
composé de deux personnes. La mélodie chantée par le lead est reprise de manière irrégulière par le
saxophone. Le 2è titre de l’album qui l’accompagne étant un boléro, on peut déduire que celui-ci est
destiné aux amateurs de variété et de bals. Par conséquent, l’appel de Casimir Létang ne s’adresse pas
qu’aux auditeurs et acteurs du gwoka mais à tous les afro-guadeloupéens.
La chanson traduit la mise en œuvre de la sauvegarde vue l’importance du moment :
Lovency venez ici ? … Non ! sé jou an-mwen misyé
Gwotanbou-la ka sonné
Gwo tanbou-la ka kriyé-mwen1270
Ce moment est incontournable. Il ne peut être différé. L’interlocuteur s’exprime en français et
la réponse est en créole. Les deux protagonistes s’opposent du point de vue de la langue :
Comment comprendre cette confrontation linguistique ? La psychologie montre que le conflit socio-
culturel du passé est sans cesse revigoré :
« C’est ce processus de l’inconscient collectif qui consiste à faire revenir à la lumière, sur la
scène, les termes d’un conflit social culturel qui permet de la rendre lisible et, dans certains cas
de le dénoncer1271. »

Avec Lovency, c’est d’abord le tanbou qui est célébré. La question des origines du tanbou est
posée pour la premièr fois dans une chanson :
Sé mizik a nèg kon mwen.1272
Elle est le lieu de réappropriation d’un personnage, le nègre, longtemps décrié. Le nègre est
présenté dans le passé par ses capacités productrices. C’est une lecture valorisante du personnage.
Cette valorisation, d’après Frantz Fanon est le fait du mouvement littéraire de la négritude :
« C’est seulement avec l’apparition d’Aimé Césaire qu’on a pu voir naître une
revendication, une assomption de la négritude.1273 »
Mais, nous constatons que cette négritude littéraire s’est circonscrite à une élite. Et nous
pensons que cette nouvelle valorisation relève cette fois d’une « négritude populaire ». C’est la fierté
qui habite l’auteur dans la chanson. Il se pense nègre. Il se reconnaît comme nègre avec une image
positive.
C’est un hommage qu’il rend à ses aînés qui ont participé à la vitalité de la musique du tanbou.
Par ailleurs, la transmission familiale est aussi évoquée.
Sé mizik a manman-mwen
Sé mizik a papa-an-mwen1274
Cette transmission familiale fait du tanbou, pour chacun des afro-guadeloupéens, un patrimoine
personnel qui se transmet de génération en génération entre des gens d’un même groupe. Le caractère
traditionnel de la musique du tanbou est ainsi rappelé.
C’est donc sur des considérations historiques que s’appuie l’appel à la sauvegarde de Casimir
Létang. Grâce à lui, le gwoka est replacé dans l’histoire des familles noires et des Noirs en général.

1270
Non, c’est mon jour, monsieur, le gwotanbou m’appelle, le gwo tanbou va sonner (jouer)
1271 Aure Jeangoudoux, Français de souche, Jasor, 2004, page 115.
1272
C’est la musique des Nègres comme moi.
1273
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Essais, 2015, page 150 (1ère éditions, Seuil, 1952).
1274
C’est la musique de notre père. C’est la musique de notre mère.

393
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cette histoire des origines du gwoka synthétisée en une chanson fait de cette sauvegarde un devoir.
Ainsi peut être interprété le propos :
Gwotanbou-la ka kriyé-mwen !
L’esthétique du texte met en lumière l’importance du tanbou dans le gwoka. Sa sonorité est rendue par
l’alitération :
Mwen tandé on son sonné
De même, il insiste sur l’appropriation à la fois individuelle et collective du gwoka par tous les Afro-
Guadeloupéens. Cet ensemble est désigné par un « moi collectif » répété avec exagération :
Mwen tandé on son sonné
Gwo tanbou-la ka kriyé mwen
Sé mizik a manman-mwen
Sé mizik a papa-an-mwen

L’appel à la sauvegarde du gwoka pour tous les Afro-guadeloupéens fait de cette pratique un
patrimoine culturel au regard de Casimir Létang. Elle rappelle et réconcilie même les Afro-
guadeloupéens avec leur histoire. Elle change ainsi leur regard sur eux-mêmes. C’est en ce sens que
l’on peut dire que le gwoka est autrement perçu par cette chanson. L’auteur le présente comme un
patrimoine culturel. Il convient de le définir, au regard de la chanson comme un bien culturel qui
attribue à ceux à qui il est transmis, une manière de se voir, de penser, d’agir… La valorisation de ce
patrimoine culturel accorde aux héritiers, une place honorable dans la société. Les afro-guadeloupéens
constituant la majorité de la population, le gwoka devient un patrimoine majeur en Guadeloupe. Sa
valorisation s’étend à la valorisation du territoire et de la société guadeloupéenne tout entière. Le
gwoka comme acte civique en faveur du territoire et de la société qui le porte est acté.
Casimir Létang passe par une biguine pour lancer un appel à la sauvegarde du gwoka. L’appel
est si bien reçu que cette chanson, diffusée au cours de son émission radio du samedi après-midi, trouve
dans les léwòz qui s’épanouissent au cours des années 1980-1990, un nouvel espace d’expression.
Contrairement à Casimir Létang, Gérard Lockel propose une autre voie de sauvegarde.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

En 1969, de retour de France le musicien arrive en Guadeloupe avec l’outil sur lequel s’appuie
sa création, le manuscrit du « Traité de Groka Modèn ». Le 11 décembre 1969, Gérard Lockel crée le
GKM autrement dit comme l’appelle et le transcrit son créateur, le Gro Ka Modèn.

« Je considère que le jour du concert, le 11 décembre 1969, est l’acte de naissance en Guadeloupe du
gwo-ka modèn1275 »
D’emblée, par le nom « gwo-ka modèn », il montre la volonté de s’écarter de la langue française. Ce
choix traduit une intention affichée et assumée. Le nom de sa création est fabriqué par la rencontre
d’un mot propre au créole guadeloupéen, gwo-ka et un mot du lexique français traduit en créole
« modèn ». Ce dernier n’est pas employé dans le créole guadeloupéen courant et encore moins par les
créolophones exclusifs qui constituent les principaux acteurs du gwoka. Vue l’idéologie nationaliste
que défend Gérard Lockel, l’expression gro-ka modèn relève d’une créolisation linguistique qu’il
esquive. Par ailleurs la notion de moderne même renvoie à l’usage de techniques formalisées de
manière académique. Il en est conscient et à ce propos, sa création relève principalement d’une
technique musicale en cohérence avec son intention. Ainsi, le choix du nom et la démarche même de
l’auteur ne semble pas écarter la réflexion littéraire qui accompagne cette création. Le lexique est
soigneusement choisi. Toutefois, dès le premier concert, le concept musical de Lockel est traduit par
« Gros-ka moderne » par les promoteurs du projet comme le montre l’affiche du concert1276. Le public
le reçoit comme tel rendant caduque l’esquive linguistique.
La présentation de cette création dans notre étude est principalement littéraire et historique.
Pour la définir, l’identifier et la caractériser, nous nous appuyons principalement sur la création et les
propos de l’auteur produits et énoncés entre 1969 et 1990. Ce sont quelques enregistrements édités des
premiers concerts1277, le coffret de 3 albums accompagné du livret explicatif de sa création et édité en
1976, et le Traité de Gro Ka Modèn. Nos citations sont des extraits du livret. Ce n’est
qu’occasionnellement que nous aurons recours à son témoignage autobiographique. Ces productions
présentent le GKM comme suit :
Un concept musical en rupture avec tout précédent musical. Le musicien initie un nouveau type
de concert qu’il nomme « concert d’implantation ». Ce sont les « concerts-conférence ». Le concept
GKM est un inédit. En effet, le premier orchestre qui se produit au Plaza en date du 11 décembre 1969
ne comprend pas de tanbou. Les seuls instruments percussifs sont la batterie jouée par Fred Gatibelza
et les congas par Charlie-Chomereau-Lamotte. Il n’y a pas encore de piano. Les 4 titres sont longs.
Leur durée s’élève en moyenne à plus de 9 mn. Ce sont exclusivement, des instrumentaux à tempo
rapide. La mélodie est assurée par la guitare qui porte d’ailleurs toute « l’instrumentation1278 » du
morceau. Elle pourrait être aisément fredonnée par moments et en fonction des titres (titres 3 et 4).
La ritournelle et les « break » interviennent à des moments impromptus. Les titres dans leur intégralité
sont improvisés. Mais c’est la guitare qui fait la coda. Par conséquent, assurée par Gérard Lockel lui-
même, l’instrument joue le rôle du chanteur.

1275
Gérard Lockel, Gwo-ka modèn, ADGKM, 2011, page 76.
1276
Journal France-Antilles, 11 décembre 1969, ADG
1277
Ces premiers concerts sont édités par l’auteur dans un coffret de CD en 2012.
1278
Dans ce cas précis, l’expression qui habituellement désigne la distribution instrumentale de l’orchestre est employée pour montrer
que les éléments mélodiques et harmoniques de l’orchestre sont portés par le seule guitare. Seule, elle porte la musique de l’orchestre
dans son ensemble.

395
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Gérard Lockel présente le GKM comme une musique réparatrice de l’aliénation culturelle
causée par le colonialisme. Contrairement à Casimir Létang qui associe les deux genres musicaux,
biguine et gwoka, cette réparation, d’après Gérard Lockel doit se produire en opposition à la biguine
qu’il juge doudouiste. Il renvoie dos à dos la biguine et le gwoka dit traditionnel. La première, produit
du colonialisme et symptomatique du doudouisme, doit être définitivement écartée du paysage
musical. Le second est le produit du « peuple » et doit le servir :
« Renvoyer définitivement aux poubelles de l’histoire, ce véritable cancer culturel, qu’est le
doudouisme et dont la biguine est l’un des plus beaux fleurons, car il a déjà fait suffisamment
de mal à notre peuple »

C’est une musique de libération. Cette libération culturelle est associée à l’émancipation
politique :
« La lutte est désormais engagée, et elle va poursuivre (sic) par des concerts-débats dans les
communes et sections de la Guadeloupe… L’apparition du « Gro Ka Modèn » en 1969 a fait
trembler le colonialisme… »
C’est pourquoi les principaux soutiens du GKM viennent principalement des nouveaux
syndicats et organisations politiques nationalistes indépendantistes. Le domicile de Gérard Lockel
devient un lieu de rencontres et de discussions sur l’avenir politique de la Guadeloupe. S’y retrouvent
des membres de l’UTA, de l’UPG, de l’UPLG1279. En 1976, le coffret d’albums comprend des
instrumentaux mais aussi des chansons et poèmes appelant à l’émanicipation politique. Parmi ces
poèmes, l’un est directement dédié au gwoka. L’auteur personnifie cette pratique qui s’adresse aux
différents acteurs de grandes luttes passées et présentes. Durant l’esclavage, ce sont les travailleurs
esclaves et les esclaves marrons. Depuis la fin de l’esclavage, ce sont les paysans et travailleurs. Le
gwoka est alors présenté comme un encouragement à la lutte. Dans la composition même du poème,
cette caractéristique est répétée à la fin de chacune des 4 strophes du poème :
« Mwen gwoka an té ka ba zòt kouraj1280 »
Si les luttes paysannes organisées par l’UTA et l’UPG depuis leur création en 1970 et 1971
introduisent le gwoka dans les mouvements sociaux, l’éloge de Gérard Lockel au gwoka est un texte
fondateur de cette nouvelle orientation du gwoka à savoir le support de la lutte sociale.

Mais le GKM est aussi un héritage : Il s’appuie sur le « gwoka » des travailleurs esclaves et de
leur origine africaine. Conformément à cet héritage, Gérard Lockel crée un logo pour le GKM inspiré
de l’art africain. Lockel appelle à la réappropriation des racines du gwoka. En effet, le « Guakamo »
rappelle en certains points, la monture supérieure du masque Kanaga des peuples Dogons du Mali. Du
point de vue des caractéristiques musicales l’auteur rappelle l’héritage :

« Comme le gro ka traditionnel dont il est issu, le « Gro Ka Modên » est une musique atonale, modale...
qui se pratique dans une gamme « Gro Ka » … qui exprime le sentiment musical guadeloupéen. »
Mais l’héritage est aussi celui des bals qui se donnaient dans les fêtes de communes avec tanbou
et instruments universels au début du siècle en Guadeloupe, et que rapporte le Journal Le Colonial.
C’est aussi l’héritage des premières expériences d’association du tanbou et des instruments à vent

1279
Témoignage de Rosan Mounien, Wonche Baie-Mahault, décembre 2013.
1280
Moi gwoka, je vous donnais du courage

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

initiés, comme nous l’avons annoncé par Guy Conquet, Emilien Antile et Casimir Létang1281. Par
ailleurs, si le GKM est la création de Gérard Lockel, il n’a pas conçu la modernisation du gwoka. Celle-
ci le précède par le gwoka de scène des troupes de danses, des concours et des festivals depuis la fin
des années 1940. De plus, ses expériences personnelles hors de la Guadeloupe au sein des orchestres
de Jazz font aussi partie de ses influences extérieures. Elles expliquent « l’orchestre moderne » qu’il
propose. C’est pourquoi l’auteur du « gwo-ka modèn » est davantage un créateur qu’un inventeur.
Le GKM est une consécration pour son créateur. Dès le premier concert, le public est attentif.
Il traduit son bon accueil par des applaudissements de satisfaction en cours d’exécution des titres, aux
différentes interventions instrumentales et en fin de morceau1282. Gérard Lockel en est très satisfait. Il
souligne l’enthousiasme des spectateurs. Cette consécration s’explique par le contexte politique
favorable à Gérard Lockel car, il donne au mouvement indépendantiste un support musical et culturel
et un argument de rupture supplémentaire avec la France.
Le contexte culturel lui est aussi favorable. En effet, son séjour en France métropolitaine lui
donne de la crédibilité. Frantz Fanon décrit de la sorte le Noir qui revient après un séjour en
« métropole » et qu’il nomme « le débarqué » :
« Le Noir qui connaît la métropole est un demi-dieu… Le Noir qui pendant quelque temps a vécu en
France revient radicalement transformé…nous voulons dire par là que les Noirs qui reviennent près des
leurs, donnent l’impression d’avoir achevé un cycle, de s’être ajouté quelque chose qui leur manquait.
Ils reviennent littéralement pleins d’eux-mêmes… mais surtout (adoptent) une attitude critique…Et si le
débarqué obtient rapidement la parole, c’est qu’on l’attend… 1283»
Gérard Lockel fait dès lors autorité dans l’univers du gwoka et dans les milieux nationalistes
indépendantistes. Le contexte social, politique et culturel conforte son propos. Et, lorsqu’il renouvelle
son appel en 1990. Il fustige et ordonne dans un tract :
Je lance cet appel à tous les Guadeloupéens de bonne volonté, à ceux qui veulent travailler…
Sortir de la médiocrité musicale ridicule dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.
Défendre le gwoka contre les faux prophètes et les charlantans
Reprendre la place qui était la nôtre autrefois ; redevenir ce que nous avons toujours été, c’est-à-dire de
bons musiciens1284.
D’après Gérard Lockel, le gwoka est un nationalisme culturel. Aussi vieille que soit cette
idéologie, elle n’a jamais pu s’affranchir d’une dimension culturelle. Elle s’applique à tous types de
sociétés et change en fonction des contextes1285. Le gwoka, vu par Gérard lockel comme un
nationalisme culturel, est l’éloge de la « nation guadeloupéenne » basée sur cet élément culturel. Le
gwoka est capable d’impulser aux Guadeloupéens, descendants des esclaves, des ouvriers et des
paysans une manière d’être, en rupture avec l’homme tel qu’il a été façonné par la colonisation. Le
gwoka comme nationalisme culturel construit un homme nouveau, responsable de l’avenir de son
« pays ». Le groupe auquel il s’adresse est encore plus large que celui envisagé par Casimir Létang. Il
s’agit des classes populaires. Et, par la chanson Indépendance, son champ d’appel devient encore plus
large ; les nègres de Guadeloupe pour l’un, tous les Guadeloupéens et toutes les Guadeloupéennes pour
l’autre. Explicitement, il donne le terme du créole guadeloupéen propre à la sauvegarde, « sové ». Par

1281
Voir paragraphe : l’appel de Casimir Létang.
1282
Album de l’enregistrement du premier concert du 11 décembre 1969.
1283
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs…2015, pages 17-21.
1284
Tract du 13 janvier 1990, Collection Luc-Hubert Séjor.
1285 Daniel Sabbagh, Nationalisme et multiculturalisme, Critique internationale, n°23, 2004/2, pages 113-124.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

le gwoka, il faut « sauver le pays » de Guadeloupe, menacé. Le gwoka comme acte civique là aussi
est acté.

Ainsi, Casimir Létang et Gérard Lockel lancent un appel à la sauvegarde nourri par des enjeux
culturels et politiques. Cette sauvegarde emprunte deux voies possibles, celle du patrimoine culturel
et celle du nationalisme culturel. L’appel est entendu. Les initiatives de sauvegarde se manifestent
diversement par des Guadeloupéens qui se mettent au service du gwoka.

B- La réception de l’appel

1- De la musique à la « littérature gwoka »

Gérard Lockel devient ainsi une personnalité dans le monde du gwoka et, plus largement dans
la société. Il intervient même dans des domaines autres que la musique1286. Il est largement entendu
par des musiciens. Ces derniers se bousculent à son domicile afin d’en savoir davantage sur la gamme
nouvelle et la méthode d’écriture qu’il propose pour le gwoka. Ils le suivent dans ses conférences-
concerts.
Les orchestres de « type gwo-ka modèn » se multiplient à partir de l’ensemble musical qu’il a crée.
Chacun conçoit son orchestre à sa manière mais tous se rejoignent par la coexistence des instruments
universels et des tanbou de même qu’une large place accordée à la musique instrumentale. Le gwoka
devient une musique à écouter plus qu’à danser. Même la danse s’écoute plus par le Gwadlouka1287
qu’elle ne se danse. Son appel est entendu comme une modernisation du gwoka par la composition
même de l’orchestre. Celui-ci est désormais composé non plus des tanbouyé, chantè, dansè mais
d’autres instruments universels aux côtés du tanbou. Le tanbou devient un instrument comme un autre
et perd sa place centrale. Le caractère percussif de la musique peut être désormais rendu par n’importe
quel instrument entraînant ainsi le déclassement du tanbou. C’est une des limites du concept.
Toutefois, des orchestres de « gwoka moderne » comme Ka lévé de Edouard Ignol dit Kafé,
Gwakasonné de Robert Oumaou, Kimbòl de Georges Troupé, Horizon de Christian Laviso accordent
de l’intérêt au chant dans leurs compositions à la différence de Gérard Lockel pour qui l’instrumental
est majeur. Ces orchestres sont donc des adaptations du gwoka modèn. Le gwoka trouve en Gérard
Lockel, un nouveau maître de transmission. Par ailleurs, le texte qui accompagne son coffret d’album
montre que le gwoka désormais se joue, se chante, se danse mais s’écrit aussi. C’est un nouveau rôle
que l’auteur du gwoka modèn donne au gwoka ouvrant la voie à ce qui peut s’appeler une « littérature
gwoka »
En 1970, le nouveau rôle que Lockel donne au gwoka fait école. Dans un rapport, se rédige une
théorie du gwoka1288. Ce rapport est celui du 9è congrès de l’AGEG à Aix-en -Provence en mars
19701289. Les différentes sections de l’association se retrouvent dans cette ville pour débattre de
l’élaboration d’une « culture nouvelle » pour la Guadeloupe. Celle-ci est le résultat de l’orientation

1286
Témoignages : Félix Cotellon, Festival gwoka de Ste Anne, juillet 2017 / Maurice Arconte, admirateur de Lockel, 11 jullet 2019.
1287
Instrument métallique à percussion dont l’exécution par des baguettes simulent la danse gwoka.
1288
Association Générale des Etudiants Guadeloupéens, Rapport culturel, 9è Congrès, 1970 (Collection Félix Cotellon), pages 13-14.
1289
Témoignage de Eric Nabajoth, Pointe-à-Pitre, novembre 2017.

398
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

culturelle que se donne l’association depuis son Vè « congrès national » des 4, 5, 6 et 7 avril 1963 à
Paris1290. Le rapport fait état de la notion de « culture nouvelle1291 ». Dans ce rapport le gwoka occupe
une place importante comme le montre l’illustration de la 1ère de couverture de l’album : un tanbou
frappé par deux mains au premier plan du dessin. Derrière le tanbou s’exhibent des gens à la fois dansè
par leur tenue et posture, travailleurs de la terre par les outils qu’ils brandissent, révoltés par la foule
manifestant en arrière-plan, et révolutionnaires par le drapeau guadeloupéen initié par le GONG et qui
flotte au-dessus de l’assemblée. D’après ce rapport, écrire sur le gwoka c’est retracer son histoire
depuis l’esclavage. C’est le décrire comme une musique nouvelle, propre à la Guadeloupe en
opposition à la biguine. C’est dénoncer ses ennemis, en l’occurrence le « colonialisme français »
depuis le temps de l’esclavage jusqu’à nos jours. C’est établir le lien entre le gwoka traditionnel et le
gwoka moderne tel que le conçoit Gérard Lockel. C’est reconnaître l’œuvre de Gérard Lockel. Car,
c’est la vision de Gérard Lockel qui sert de fil conducteur à cette théorie. Le rapport en appelle à sa
reconnaissance.
Le créateur du gwoka moderne est aussi porté en triomphe par Sonny Rupaire, enseignant,
membre fondateur des nouveaux syndicats paysans et de l’UPLG. Il emprunte la voie de la poésie. Dès
1970, en plein lancement du GKM, il adresse le poème Tanbou à Gérard Lockel. Ce long poème de
112 lignes découpé en 6 strophes est publié en 1981 dans la 3è version de son recueil de poèmes1292.
Le nom du destinataire Gérard Lockel sert de sous-titre au poème, « Pou Jéra1293 ». Sonny Rupaire, à
travers ce texte donne sa vision du gwoka. C’est une pratique au tanbou dont les caractéristiques et le
rôle sont décrits et personnifiés :
Il est ancestral : Ou vwè-nou fèt é grandi.1294
Il est réconfort : Tèt-an-nou apiyé asi zépòl a’w
Il est robuste : Doubout dwèt kon bitasyon a-san bityé
Il est authentique : Ou sé on fanm bitasyon. Ou pa ni kolyé, ou pa ni zanno.
Il est le bien du pauvre : Tanbou a maléré
Il est protecteur : Ou té ka la… an kaz a mò-la pou yonn-di-nou té chapé mizè.
Il est résistant aux pratiques de détournement : Ou ka fèmé kè a’w davwa yo vlé fè-w fè makak ba
moun-dèwò…
Il est arme culturelle : Ou sav jou a’w pa lwen é désidé-nou a rantré o konba
Il est support de libération : Ou ka véyé lè a’w lè moun péyi an-nou ké wouparèt nèf, potré a ti-moun
ki sòti fèt.
La voie de la presse se fait entendre en faveur du gwoka à partir des années 1980 avec la
création des organisations syndicales qui se dotent de leur organe de presse. Le Journal Guadeloupeéen
puis Jougwa dirigé par Dannik Zandronis écrit le gwoka par la transcription des témoignages de

1290
Bilan de l’expérience de l’AGEG dans le Rapport culturel…, 1970, page 62.
1291
Le rapport définit la culture comme « un ensemble de valeurs, de façons de vivre et de penser, de croyances, de traditions, d’habitudes
résultant des conditions matérielles géographiques et historiques d’une société donnée ». La culture nouvelle préconisée est décrite à
travers la présentation des pratiques musicales, les traditions orales, la langue, les courants de résistance de la littérature. Elle est le point
d’appui de la lutte pour l’émancipation économique, politique, militaire et culturelle.
1292
Cette précision est donnée dans la préface du recueil, Dé mo, kat pawòl, 1981.
1293
Sonny Rupaire, Tanbou pou Jéra, Gran Parad Ti kou baton, Jasor, 2015, page 44
1294
Traduction de tous les extraits retenus : Tu nous as vu naître et grandir. Notre tête posée sur tes épaules. Debout droit comme une
habitation ? défrichée. Tu es une femme d’habitation. Tu n’as ni collier, ni boucles d’oreille. Tambour du pauvre. Tu étais là chez le
défunt pour que l’un d’entre nous échappe à la misère. Tu fermes ton cœur parce que l’on veut te faire jouer les macaques (au singe)
pour les gens du déhors (étrangers). Tu sais que ton jour n’est pas loin (approche) et décide-nous de rentrer au combat. Tu guettes le
moment où les gens de notre pays vont réapparaître neufs comme un enfant qui vient de nâitre

399
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

musiciens en mai-juin 19841295. Sont interrogés des figures du moment. C’est une première pour la
collecte de témoignages d’artistes. Pour le gwoka, Guy Conquet (1946-2012) est interrogé par Michel
Reinette journaliste. Robert Oumaou (1954-2018), multi instrumentiste et leader de l’ensemble
musical gwoka Gwakasonné, est interrogé par Jacky Dahomay. D’autres musiciens qui ne sont pas des
spécialistes du gwoka sont invités à travers leurs reportages à donner leur point de vue sur le gwoka.
C’est ainsi que lors de son entretien avec Marie-Céline Lafontaine, le pianiste Alain Jean-Marie cite
Marcel Lollia dit Vélo comme grande figure. Il souligne aussi comme André Condouant interrogé par
Dany Ducosson la marginalisation des acteurs du gwoka au cours de leur enfance.
Mais aux côtés des artistes reconnus, des artistes en herbe sont aussi interrogés parce que le
gwoka les inspire. Ainsi, le jeune élève-peintre Jules H1296 scolarisé en section Arts Plastiques au lycée
de Baimbridge est interrogé par le journal sur ses motivations dans la section et la place de l’art et de
l’artiste dans la société. Si le jeune peintre n’est pas interrogé sur le gwoka, la peinture qui illustre son
entretien, représente un personnage dont le souffle puissant, émet des objets parmi lesquels un tanbou.
La langue de ces transcriptions est le français.
Plus tard, en 1986, le témoignage de l’acteur du gwoka entre dans le livre par les deux
langues parlées en Guadeloupe ; le créole guadeloupéen et le français. Les artistes sont valorisés par
les illustrations des reportages. La presse d’opinion s’investit aussi dans l’écriture du gwoka par des
notes de réflexion personnelle. En effet, en 1980, le journal Guadeloupéen se prête à ce type d’exercice
à propos des conditions de vie de Marcel Lollia dit Vélo, en décalage avec son talent1297. De même, le
journal Jakata, sous la plume de son directeur de rédaction Frantz Succab, à l’occasion du décès d’une
figure de la danse gwoka, Aloïs Canfrin dit Lolo (1899-1977) rappelle le devoir de considération et de
reconnaissance voué aux figures du monde artistique en Guadeloupe :
« Ils étaient nos artistes : de grands artistes guadeloupéens mais pour la grande majorité des
Guadeloupéens, ils étaient des inconnus1298 ».
Cette réflexion personnelle emprunte des chansons gwoka de circonstances en guise de
citations de même que des illustrations significatives. C’est un exercice prisé par la presse
indépendantiste. Mais elle ouvre ainsi la voie à la médiatisation des évènements autour des acteurs du
gwoka. Elle est suivie par la presse d’information notamment à l’occasion du Festival de percussion
Batouka organisé en 1986 où l’artiste du gwoka Guy Conquet depuis Paris est invité pour une
prestation. Le spectacle se produit au Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre. La presse des
loisirs fait honneur à cette présence1299 .
Cette « littérature gwoka » qui se met en œuvre a pour supports le texte libre, le poème, l’article
de presse mais aussi le chant de type nouveau. Car les appels sont suffisamment médiatisés pour être
entendus par ceux qui prêtent l’oreille la plus attentive à la musique à savoir les musiciens. Des
chansons des années 1970-80 se donnent une mission, celle de la sauvegarde du gwoka. Le texte de
ces chansons montre que, la voie du gwoka comme nationalisme culturel et comme patrimoine culturel
obéit, en fonction des chanteurs, à plusieurs logiques :
Des chanteurs empruntent dans leur répertoire les deux voies à travers des chansons distinctes.
Citons Christen Aigle qui exprime un hymne au gwoka dans la chanson Adolé (sé son a tanbou-la ki

1295
Journal Jougwa, Parole et Musique, 10 juin 1984
1296
Journal Jougwa, Jules, Faire avancer l’art, la culture, Février -mars 1985, page 21. Il se présente de manière anonyme au cours
de l’entretien
1297
Journal Guadeloupéen, Un grand maître du gwoka traditionnel, janvier 1980, page 34.
1298
Journal Jakata, Lolo Camphrin, un des derniers grands danseurs de gro-ka, 1977, PG 1080, Archives Départementales.
1299
Journal Records, Konkèt retrouve son public, Grand Festival de percussion Batouka, 1986.

400
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

menné-mwen) ou encore dans « Léwòz o ». Cette dernière est antérieure aux années 1970 mais, dans
le contexte du nationalisme et du patriotisme, elle prend un autre ton, plus politique. Le cas de Yvon
Anzala est aussi significatif. Ce chanteur enregistre son premier album au début des années 1970. Ses
titres sont hilarants. Mais, dans le contexte des appels, il chante « Sauvez la Guadeloupe » de même
« An vé pa lésé gwoka ». Ces exemples montrent qu’il semble difficile, que l’on sot spécialite ou non
du gwoka, de ne pas se soumettre, lors de la composition ou de l’adoption d’un titre, à l’appel à la
sauvegarde du gwoka.
Parfois les deux voies se confondent dans une même chanson. Parfois, une seule voie s’y
exprime. Le tableau suivant donne des exemples de chansons répondant à ces logiques :

401
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 55 : Chansons de sauvegarde du gwoka

Quelques chansons de sauvegarde du gwoka : « créol’s spiritual », gwoka, zouk (1972-1992)


Titre/Date Propriété/ genre musical Nationalisme culturel Patrimoine culturel
Lyen étèwnèl/ George Troupé/ gwoka Mizik-lasa mésyé sé tan-nou
19721300 Pou nou sé gété tristès soutyen menm1301 I ja vwè otan mizè ki nou menm
Pa tini mwayen tiré-y an-nou

Kassav dedicated to Kassav/ zouk Pa oubliyé la Jénès fò nou sonjé Sen


Senjan /19771302 Jan
An tan mas-a-sen-jan, ti-moun gran-
moun vyé-moun, nou té dan lari dèyè
tanbou-la1303.
Grandié Vilo/1978 Guy Conquet/ gwoka Si Kòstim-la dorijin Nòwman
Gwoka-la gwadloupéyen1304 Gwoka-la gwadloupéyen
Sé mwen yo ka kriyé Alex Jernidier (AGEG), Sé mwen yo ka kriyé gwoka
gwoka/ 1979-80 gwoka An fèt an lèsklavaj, a pa ti konplo, mé
jòdi-jou sé mwen ki la. Yo té vlé kyouyé-
mwen. Yo té vlé asasiné-mwen. Jòdi-jou
sé mwen ki la1305
Prèmyé Luc-Hubert Séjor/ gwoka Anchénné an kal-abato-la
vouwayage1306/ Tanbouyé-la rivé pa bato-la 1307
1980
An péké lésé Anzala / gwoka An vé pa rètiré-mwen
gwoka1308 Rétiré-mwen adan gwoka-la
An tan lontan yo té ka di gwoka sété
biten a vyé nèg. Dèpi lè gwoka évoliyé
toupatou sé gwoka yo ka mandé. Vi
an-nou sé gwoka-la. Si zò lésé gwoka
tombé a pa étranjé ké ranmasé-y ban-
nou1309
An ké toujou joué Gwo Siwo/ gwoka An ké toujou rété maléré Me an ké toujou joué mizik an-mwen
tanbou1310, 1983 An ké toujou rété maléré An ké toujou joué tanbou an-mwen
Me an ké toujou joué mizik an-mwen
An ké toujou joué tanbou an-mwen

1300
Album Kimbol, Lyen étèwnèl, Live au Centre des Arts, 1992. La chanson est créée en 1972 et éditée en 1992.
1301
Pou nous, c’est gaîté, tristesse et soutien même.
1302
Album Kassav Love and Ka Dance, 1979. Le titre, composé en 1977 par Pierre-Edouard Décimus est accompagné des tambours
enregistrés du premier groupe de Carnaval Atata Combo qui a repris la musique des mas a Sen Jan (témoignage de Pierre-Edouard
Décimus dans l’ouvrage de Jacqueline Birman, Mas a Sen Jan, Nestor, 2013.
1303
N’oublions pas les Mas a Sen-jan. Au temps des mas a Sen Jan, enfants, adultes, vieux étions dans la mrue derrière le tambour.
1304
Si le costume est d’origine normande, le gwoka est Guadeloupéen.
1305
C’est moi que l’on appelle gwoka. Je suis né dans l’esclavage. Tant et tant de complots. Mais aujourd’hui je suis là ! Ils voulaient
me tromper, ils voulaient m’assassiner. Mais aujourd’hui, je suis là !
1306
Album Luc-Hubert Séjor, Spiritual Sound Mizik Filamonik, MC 202 TL, Paris, 1980
1307
Enchâiné dans les cales du bateau. Le tanbouyé est arrivé par les cales du bateau.
1308
Album Anzala, Label Debs, réédition (1996). Cette réédition indique les dates initiales d’enregistrement (20 juillet 1982), de
mixage (24 juillet 1982) et de commercialisation (novembre 1982)
1309
Je ne veux pas me retirer, me retirer du gwoka. Autrefois, on disait que le gwoka était une affaire de vieux nègre. Depuis que le
gwoka est en progrès (a évolué), il est partout demandé. Notre vie c’est le gwoka. Si vous le laissez tomber, ce ne sont pas les
étrangers qui ont le ramasser à notre place.
1310
Album Gwo Siwo Gwo Kato, Ka fraternité, Label Disque Debs, 1983.

402
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pou an é vwè jis la-an ké rivé1311


O gwoka o/ vers Francky Geoffroy O Gwo Ka o sé gro- tanbou-la tann Mwen gwoka an sé on tradisyon-a-
19861312 (Kan’nida)/ gwoka Gay jan ou bèl nèg. An vé pa ou makiyé -mwen. Lésé-
Vrèman ou sansasyonèl mwen natirèl. Sé pou piti a pitit a piti
Mwen gwoka an sé on tradisyon-a-nèg. an-mwen vwè mwen tèl ki la nésans
An vé pa ou makiyé -mwen. Lésé-mwen
natirèl. Sé pou piti a pitit a piti an-mwen
vwè mwen tèl ki la nésans1313
Pou son a tanbou-la/ Francky Geoffroy (Kan’ Ban son a tanbou-la
vers 19861314 nida)/ gwoka Yo di son a tanbou-la sé on mizik sovaj.
Menm si yo di tousa fò nou joué-y. Ayèl
an-mwen té ka dansé gwoka.1315
Tamboo1316/ 1986 Tanya St Val et Christian Manman Tambou-la
Joseph-Lockel/ zouk Men aprézan kè lavi-la vin évoliyé,
nou ni tandans a oubliyé ki sa ki
tanbou. Jòdi-jou ki mwen menm ka
dékouvè tanbou-la Ban mwen Kouté-
y, dansé-y é pi kriyé-y1317.
Ban-mwen tanbou/ « Ti Célès » / gwoka Ban mwen ti gwoka an-mwen
1989-90 Tradisyon lasa sé tan-mwen
Sé mizik -a- nèg kon
Mwen…1318
Testaman/ 1991- Ti Celeste/ gwoka An fèt an gwoka. An ké mò an gwoka
1992 Mwen enmé ritm-lasa, mwen enmé stil- An fèt an gwoka. An ké mò an gwoka
la
Tanbou-la sé on mésaj
Jou-la an ké mò la…
Joué gwoka-la é konnyé tanbou-la1319

1311
Je vais toujours retser pauvre mais je vais toujours jouer ma musique. Pour que je vois jusqu’où j’arrive (pour mon développement
personne)
1312
Album Kan’nida, Francky et Sergius Geoffroy, vers 1986.
1313
O gwoka, tu es le gwotanbou. Vraiment, tu es beau, tu es sensationnel. Moi gwoka, je suis la tradition des nègres. Je ne veux pas
que tu (vous) me maquille (maquilliez). Laissez-moi naturel. C’est pour que les enfants de mes enfants me voient (me retrouvent) tels
que je suis né.
1314
Album Kan’nida, Francky et Sergius Geoffroy, vers 1986.
1315
Donne-moi le son du tambour. On dit que le son du tambour est une musique sauvage. Même si on le dit, il nous faut le jouer. Mon
aieul jouait le gwoka.
1316
AlbumTanya st Val, Label Disques Debs, HDD 2436, Guadeloupe, 1986
1317
Maman, le tanbou. Mais maintenant que le tambour a évolué, nous avons tendance à oublier ce qu’est le tambour. Aujourd’hui que
je l’ai découvert, laissez-moi l’écouter, le danser et le crier.
1318
Donne-moi mon gwoka. Cette musique est la mienne. C’est la musique des nègres comme moi.
1319
Je suis né dans le gwoka, je mourrai dans le gwoka. J’aime ce rythme. J’aime ce style. Le tambour est un message. Le jour où je
mourrai, jouez le tambour et balancez le gwoka.

403
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La première chanson est une réponse à l’appel des deux chefs de file présentés précédemment.
De ce fait nous en proposons une analyse qui peut s’appliquer aux autres chansons, telle une étude de
cas :
En 1972-761320, à la suite d’un incident naît la chanson Lyen étèwnèl composée par Georges
Troupé (1946-2009). Il en fait le récit au cours de notre entretien1321 :
Alors que les tanbou d’un ensemble musical dirigé par le trompettiste Kafé dont il est membre sont
entreposés dans leur local de répétition à Pointe-à-Pitre, les musiciens sont surpris de les retrouver, la
peau enfoncée. Georges Troupé précise l’incident :
Po a sé tanbou-la krévé. A pa pété hon ! Krévé1322 !
Autrement dit les musiciens constatent que les tanbou sont hors d’usage non par accident mais par
agression volontaire. Une voisine est soupçonnée car elle s’était déjà plainte de la gêne que lui
occasionnait la musique. Georges Troupé dissuade les membres de l’orchestre du dépôt d’une plainte
qui, selon lui, a peu de chance d’aboutir. La chanson lui vient sur le champ. Elle traduit la conscience
patrimoniale de l’auteur-compositeur.
Par conscience patrimoniale nous entendons l’idée selon laquelle la sauvegarde du bien
transmis est envisagé comme une nécessité pour un groupe, une société ou un territoire donné. Sa
protection se fait urgente face aux menaces.
Cette conscience patrimoniale est une construction. Selon les individus, cette construction s’effectue
à des rythmes différents et obéit à plusieurs étapes :
- L’éveil à la conscience du territoire dans lequel on vit. Cet éveil se produit dans un
environnement favorable. Pour Georges Troupé, il s’est effectuée le temps de son enfance et
de son adolescence par le fait que son père était syndicaliste et communiste et que des réunions
de sections se tenaient chez ses parents. L’Eglise prononce l’excommunion de son père parce
qu’il bouscule les idées de l’époque. Dans cet environnement de « contestation » comme il le
disait, il a fait connaissance avec la lutte pour le peuple, par des gens du peuple. Et c’est ainsi
qu’il commence à s’intéresser aux pratiques culturelles populaires notamment à la musique.
- La maturité de la conscience patrimoniale dans un contexte de mobilisation pour une cause :
C’est le contexte de l’appel à la sauvegarde du gwoka en Guadeloupe qui provoque cette
maturité chez Georges Troupé. Il se rapproche de Gérard Lockel pour mieux comprendre la
méthode qu’il propose.
- La mise en œuvre de la conscience patrimoniale par un fait déclencheur, prend la forme qui
correspond aux compétences de l’intéressé. Pour lui, le fait déclencheur est cette agression
relatée précédemment. Ses compétences lui viennent de son environnement familial musical
puis il a suivi des cours de théorie musicale et de saxophone à l’école Paul Beusher à Paris.
Depuis son retour de Paris, il pratique la musique gwoka au sein de l’orchestre Kafé ka lévé qui
a subi l’incident. Conformément à ses compétences, la conscience patrimoniale se matérialise
par une chanson, Lyen étèwnel. Elle sera suivie d’autres actions de formation, de transmission
et de diffusion à l’attention d’un jeune public principalement familial et amical au travers de

1320
Cette période estimée est indiquée par le témoin. Sur l’album de l’ensemble musical Kimbòl en 1992, la date du titre en question
est 1976.
1321
Témoignage Georges Troupé, 18 janvier 2009, Valette, Sainte Anne. Le récit de l’incident est aussi raconté par Christian
Dahomay, membre de l’orchestre et Marylène Troupé le 11juillet 2019, Ste Anne (témoignages dans le cadre de l’hommage à Georges
Troupé, 32è Festival gwoka de Ste Anne, Guadeloupe).
1322
La peau des tambours est enfoncée. Ce n’est pas déchiré ! Enfoncée !

404
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

l’école de musique « Atelier Marcel Lollia ». Nous nous intéressons à cette chanson qui
comprend tous les éléments de la sauvegarde du gwoka :
- Elle nomme l’objet à sauvegarder : mizik-lasa, gwoka-la1323. Cet objet revient sans cesse dans
le répondè qui porte le message essentiel :

Mizik-lasa mésyé sé tan-nou


I ja vwè otan mizè ki nou menm
Pa tini mwayen tiré-y an-nou
Pou nou sé gété tristès soutyen menm1324.
- Elle nomme les détenteurs de l’objet : Nèg Gwadloup
- Elle indique que la sauvegarde s’inscrit dans un contexte de lutte sociale, politique, culturelle…
à travers le « schéma rythmique » léwòz choisi pour cette chanson. Ce schéma est attribué en
Guadeloupe au cours des années 1970-1980, à la lutte et au défi.
- Elle montre l’ancrage de l’objet dans la société : Pou nou i sé gété, tristès, soutyen menm ! Nous
l’entendons comme l’évocation des circonstances durant lesquelles le gwoka est joué par des
formes adaptées : la-bòdé pour les moments de joie, la véyé et le vénéré comme rites funéraires.
Il évoque les léwòz organisés par les syndicats durant cette période pour soutenir les diverses
revendications des travailleurs agricoles. L’idée du soutien s’appuie aussi sur le fait d’envisager
le gwoka comme une ressource identitaire et régénératrice.
- Elle suggère les potentialités qu’offre le gwoka aux musiciens de Guadeloupe et invite à
développer cette ressource. Cette suggestion est, une invitation à la pratique du « gwoka
moderne » crée par Gérard Lockel. Tous les instrumentistes, selon lui peuvent l’adopter et
l’adapter. L’orchestre dont Georges Troupé fait partie au moment de la création de la chanson
est une adaptation de la proposition de Gérard Lockel.
- Elle envisage la sauvegarde du gwoka comme une nécessité pour le territoire donné dont elle
participe l’émancipation : on jou soleil la ké lévé on dòt jan… dézyèm son séké son a la libèté 1325.
Le soleil est la métaphore du progrès, de l’émancipation politique dans les milieux nationalistes
en Guadeloupe.
- Elle justifie la sauvegarde par plusieurs arguments : le bien commun (sé tan-nou) auquel nous
sommes attachés (pa tini mwayen tiré-y an -nou), qui renvoie à une histoire douloureuse, celle
de la discrimination au cours de l’esclavage et au-delà (i ja vwè otan mizè ki nou-menm)1326.
- La sauvegarde du gwoka est présentée comme un devoir (zòt paka santi zò pa an plas a-zòt,
Pa tini on konsyans ki ka rèproché zòt1327)

Sans cette conscience patrimoniale, l’incident aurait donné lieu à une chanson qui exprimerait
simplement la colère directement contre l’agresseur. La chanson serait composée comme un fait divers
dans la forme du récit.

1323
Cette musique… le gwoka…
1324
Cette musique, messieurs (voyez-vous) est la nôtre. Elle a déjà souffert autant que nous-mêmes. Il n’y a pas moyen de la retirer en
nous. Pour nous elle est gaîté, tristesse et soutien même.
1325
Un jour le soleil se lèvera autrement… le deuxième son sera celui de la liberté.
1326
Voir la traduction du répondè
1327
Ne sentez-vous pas que vous n’êtes pas à votre place… N’y a-t-il pas une conscience qui vous reproche quelque chose ?

405
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Présentement, l’incident devient fait de société et affaire politique. Car, la chanson en appelle
à la responsabilité générale vis -à-vis de la protection du gwoka et par extension de la protection du
territoire. En réalité, ce n’est pas une simple chanson mais un appel à l’inscription du gwoka au
patrimoine culturel de la Guadeloupe. La chanson le présente en effet comme un élément par lequel
les afro-guadeloupéens doivent décliner leur identité. C’est aussi un élement par lequel ils se donnent
une image, une singularité dans le monde et par lequel ils expriment leur vision du monde.
Les destinataires de la chanson, les Nèg Gwadloup, peuvent être surpris parce qu’ils ne sont
pas les agresseurs du tanbou. Mais l’auteur leur incombe la responsabilité de l’agression dont sont
victimes les tanbou du gwoka. Autrement dit, si le gwoka avait obtenu un meilleur accueil de la part
de ses détenteurs, il aurait été protégé de cette agression. Donc il en appelle à leur vigilance.
L’appel de Georges Troupé est celui du devoir de protection du gwoka. Par le titre qu’il attribue
à la chanson, il déclare l’infaillibilité du lien entre le gwoka et les tous les nègres de Guadeloupe : Lyen
étèwnèl. C’est la première réponse en chanson aux appels à la sauvegarde.
La chanson Lyen étewnèl montre que le gwoka est une tribune où s’affrontent ouvertement
deux classes sociales. Mais la différence avec la période précédente est que la chanson se donne une
autre forme, celle de la déclaration publique sous des tons différents :
Le serment : Pa tini mwayen tiré-y an nou/ An pé ké lésé gwoka/ An ké toujou joué tanbou1328
La dédicace : O gwoka o/ Manman tanbou-la / Lévé yo lévé o ka1329
L’affirmation : Sé mwen yo ka kriyé gwoka/ Tradisyon-lasa sé tan-mwen1330
Ce nouveau type de chant émerge avec les deux chansons de Robert Loyson en 1966. Elle se
diffuse avec celle de Casimir Létang en 1969-70 et s’épanouit dès lors avec de nombreuses
compositions dont Lyen étewnèl. Ce type de chant rappelle dans la structure du texte, le tract. Il faut
entendre par là un support identifiable aux feuilles libres distribuées de main à main afin de faire passer
une opinion à un grand nombre de personnes. Le message du tract est direct., le message de Lyen
éternèl est à la fois culturel et politique par les notions d’identité et de responsabilité collective qu’elles
mobilisent :
Les auteurs-compositeurs du gwoka adoptent cette configuration pour leurs chansons à partir
des années 1970. Il convient de souligner l’adoption de ce type de chant par des auteurs-compositeurs
du zouk1331. La nouveauté ne touche pas de ce fait que le gwoka. D’emblée, eu égard au genre musical
concerné, le texte interpelle par le message central. Il devient le répondè. Car, le refrain1332 est sans
cesse rappelé. Certaines font exceptions à cette structure. Ainsi, dans le morceau « Grandié Vilo »
appelé aussi « Costume an-nou », Guy Conquet choisit des onomatopées pour le premier répondè. Le
deuxième répondè est une improvisation de scène qui n’en dit pas plus : « Joli Kongo » ou « Ko i
kongo ». Mais, la plus grande entorse à cette règle est la chanson Testaman de Aurélien Céleste dit Ti-
Sélès dans laquelle il n’y a pas de répondè. Tout au long du texte, il déploie en solo son testament.
Cette structure A, B, C, D… est très rare et quasiment inexistante dans le gwoka. Mais le message peut
paraître déjà dès le titre de la chanson comme le montrent ces exemples :
Sé mwen yo ka kriyé gwoka1333

1328
Il n’y a pas moyen de le retirer en nous/ Je ne laisserai pas (tomber le gwoka) / Je jouerai toujours du tambour.
1329
O gwoka o/Maman, le tambour/Qu’ils se lèvent, qu’ils se lèvent au Ka !
1330
C’est moi qu’on nomme gwoka/ Cette tradition est la mienne.
1331
Genre musical dansant populaire de Guadeloupe et de Martinique.
1332
Nous distinguons le refrain qui peut être interprété par une seule ou par un ensemble de personnes du répondè interprté par un
ensemble de personnes désignées exclusivement à cet effet.
1333
Album, Soleil Ka lévé sé ti-moun- la, an -nou alé, AGEG, 1979. Traduction : C’est moi qu’on appelle gwoka.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

An péké lésé gwoka1334


An ké toujou joué tanbou1335
Pou son a tanbou-la1336
Ban-mwen tanbou1337
Tamboo1338
Le titre fait l’objet d’un choix de l’auteur. Ce n’est plus le premier mot ou la première phrase
du répondè qui tient lieu de titre pour des chansons spontanément créées et qui n’avaient pas vocation
à être éditées. L’intention de l’auteur se traduit par le choix réfléchi du titre en réponse à l’appel à la
sauvegarde qui est mis en œuvre pour l’éducation.

2- Eduquer au gwoka

Le gwoka franchit les portes de l’Ecole par le biais d’enseignants qui s’affranchissent des
contenus enseignés établis. La première expérience vient de Gérard Lauriette. Il fait partie des 18
Guadeloupéens inculpés devant la Cour sureté de l’Etat pour avoir porté atteinte à l’intégrité du
territoire français. Il lui est reproché d’avoir fait l’apologie de la violence nationaliste et d’avoir rédigé
un tract subversif1339. A l’occasion du procès qui se déroule du 19 février au 1er mars à Paris, il se
présente comme un enseignant du secondaire qui, dès les premières années d’enseignement remet en
cause les contenus imposés par les programmes. Ils les jugent incohérents au regard de la réalité
géographique, sociologique et raciale du territoire et de la société en Guadeloupe. Aux enseignants du
journal Lékòl qui l’interrogent sur sa pédagogie en 1979, il précise sa fonction1340. En effet, « déclaré
fou » par le tribunal administratif de Basse-Terre, le Conseil de l’Enseignement lui accorde un double
statut : celui « d’instituteur fou » pour lequel il perçoit une pension et celui de Directeur d’école
reconnu dans cette fonction pour la création de sa structure dite Institution Lauriette, agréée par l’Etat.
Il reçoit un traitement pour cette fonction.
C’est donc un enseignant qui a un autre regard sur l’enseignement et la pédagogie de la réussite.
Enseignant dans la langue parlée des élèves de 15 à 17 ans qu’il reçoit, le créole guadeloupéen lui
ouvre la voie du gwoka qu’il fait entrer dans son institution. Cette expérience est rapportée dans
l’ouvrage qu’il publie en auto-édition en 19721341. Ainsi, le gwoka constitue la thématique du poème
en prose rédigé par une de ses élèves, Maryse. Elle rappelle les rencontres aux tanbou du samedi soir,
en plein air. C’est l’évocation des tanbou sous la désignation « tam-tam » ou « tambours » qui permet
d’identifier la scène qui se déroule en plein air, au cours de la nuit, afin d’oublier la fatigue du travail.
Une autre élève, Lydie propose, dans le cadre de la production de sujets libres, un récit traitant
des festivités de Noël dans lequel elle évoque le « tam-tam qui se joue dans les bistrots ».

1334
Album, Anzala, Label Disques Debs, 1982. Traduction : Je n’abandonnerai pas le gwoka
1335
Abum Gwo Siwo Gwokato, Ka fraternité, Label Disques Debs, 1983.
1336
Album Kannida, Francky et Sergius Geoffroy, vers 1986. Traduction : Pour le tambour.
1337
Album Ti-Célès, vers 1989-90. Traduction : Donnez-moi le tambour.
1338
Album Tania St Val, Label Disques Debs,1986.
1339
Le Procès des Guadeloupéens, dix-huit patriotes devant la Cour de Sûreté de l’Etat français, L’Harmattan, 2000, page 260.
1340
Journal lékòl, Gérard Lauriette, n°4, 3è trimestre 1979, pages 16-17.
1341
Gérard Lauriette, De la rédaction à la dissertation et du régionalisme à l’universalisme, Initiation à la vie intérieure, Basse-Terre,
1972.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les élèves rédigent aussi des textes dont le gwoka est le sujet, pour répondre à une consigne donnée.
On peut citer l’élève Kali.L qui décrit dans les moindres détails une prestation scènique par une troupe
folklorique. L’élève devant raconter un incident au cours d’une réjouissance, c’est la perte d’une jupe
par l’une des danseuses en pleine prestation qui l’inspire.
L’ouvrage que Gérard Lauriette publie pour faire connaître sa pédagogie et ses résultats, fait
aussi état d’exercices donnés aux élèves dans le cadre des psychotests1342. Là aussi le gwoka fait état
de support de réflexion :
Texte à rédiger « C’est le soir, la lune a remplacé le soleil ; quelques hommes battent le tam-tam. Un
rassemblement se forme autour d’eux. On oublie fatigues et discordes. 1343»
De même, les enseignants du journal Lékòl, organe de presse du SGEG, Syndicat Général de
l’Education en Guadeloupe font des propositions pédagogiques à partir du gwoka. Sonny Rupaire dont
la spécialité est la poésie écrit un poème intitulé « Lawonn 1344» à l’attention des élèves. Alors que le
contenu ne traite pas du gwoka, la forme est empruntée au schéma de l’alternance entre le chantè et lé-
répondè dans l’interprétation du chant gwoka. En effet, le long poème de 20 strophes répète 6 fois lé-
répondè suivant dans une structure de type AB avec quelques irrégularités :
« Bèkèkè ! /Ké kèlè /ka kayé/ kon bòl lèt /an chalè ».
Mais, pour rapprocher les hommes de la Caraïbe, le voyage culturel est un outil préconisé par
ces enseignants. Ils font part de leur échange avec Porto Rico1345 et y décrivent les musiques aux tanbou
et ses points de convergence avec le gwoka.
Progressivement, le gwoka est envisagé comme contenu enseigné. Une étude du léwòz est
proposée. S’appuyant sur des témoignages d’aînés, l’étude comprend une partie théorique et une partie
pratique, fait intervenir des spécialistes de la danse et prévoit, à l’issue des apprentissages, un spectacle
de restitution.
En définitive, les expériences et propositions informelles diffusent le gwoka auprès d’un public
ciblé, les élèves. D’autres formes d’éducation, plus informelles, au cours de manifestations innovantes,
visent le grand public comme à partir du mois de juillet 1988, un festival consacré au gwoka dans la
ville de Sainte-Anne. Ce « Festival gwoka de Sainte -Anne » comme il se nomme dans le langage
courant est créé dans un environnement inattendu. C’est la création d’une association culturelle et
sportive. Progressivement, le festival se structure, étend ses activités et propose des cercles de débat
autour du gwoka. Félix Cotellon que l’on peut dire notaire du festival, car détient ses archives, nous
en livrent quelques-unes : les affiches des premières éditions et quelques programmes. Ses différents
témoignages permettent aussi de mieux comprendre cette création et d’en mesurer la valeur
pédagogique.
Le Festival gwoka est né d’un tournoi de football organisé par le Comité d’Animation Sportive
et Culturelle de Sainte-Anne (CASC). Il débute sur la place du bourg et se poursuit sur la plage. Le
contexte favorable à la promotion du football et des idées révolutionnaires dans la commune sont
favorables à la promotion culturelle : dynamique sportive avec une équipe en vogue, le VCS (Vélo
Club de Sainte-Anne), révolution culturelle en Guadeloupe avec les léwòz organisés par l’UTA et
l’UPG1346, par Bijengwa et d’autres associations de jeunesse…

1342 Devoirs de français pour évaluer l’évolution des jugements des élèves.
1343
Gérard Lauriette
1344
Sonny Rupaire, Lawonn, Journal Lékòl n°9, février 1982, page 28.
1345
Journal Lékòl, SGEG-Calabo, La culture au service de l’amitié entre les peuples caribéens, n°13, décembre 1984-janvier 1985,
pages 29-30.
1346
Témoignage de Rosan Mounien, Livret Album Indestwas èvè Kristen Aigle Ka Chanté, 2010.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Cette révolution culturelle est aussi celle de la reconnaissance du créole guadeloupéen et du


gwoka comme des biens communs à préserver et à développer. Comme dans de nombreuses
communes, un Comité Populaire crée par des nationalistes à Sainte-Anne inscrit le gwoka dans ses
activités par l’organisation d’un léwòz en 1981 et un autre en 1983. Félix Cotellon, ancien étudiant de
l’AGEG et militant de l’UPLG fait partie de ce Comité. Ainsi, la rencontre de jeunes sportifs âgés
d’environ 15 à 17 ans et de jeunes militants de la cause nationale tracent les premiers sillons du
Festival. Il s’agit de développer le gwoka dans la commune pour mieux le faire connaître.
La première manifestation qui peut être considérée comme la marche vers le Festival est
organisée en 1988. Elle est soutenue par le mécénat privé et donne une visivilité médiatique à
l’association qui le porte, le CASC. Désormais, celle-ci a pour centre d’intérêt, l’environnement (action
de juillet 1985), le football et le gwoka associés dans un même logo. Cette première manifestation se
déroule sur 5 jours du 20 juillet au 10 août. L’unique rencontre aux tanbou est le léwòz du 22 juillet
sur la place du bourg de la commune.

Le temps du Festival est défini à l’issue d’une négociation avec la municipalité. Celui-ci est
alors inscrit dans une programmation qui comprend le Festival au cours de la première semaine du
mois de Juillet sur la plage du bourg, le Forum Artisanal International à la salle des Fêtes puis la Fête
patronale à la fin du même mois.
L’année suivante, en juillet 1989, un premier concert est donné sur la grande plage du bourg. Il s’agit
de faire connaître le « gwoka moderne ». Aussi les trois groupes qui participent à ce concert gratuit
sont nés du concept de Gérard Lockel : Kimbòl du saxophoniste Georges Troupé, Horizon du guitariste
Christian Laviso, Galta du pianiste Yvan Juraver.

L’idée d’éduquer au « gwoka moderne » par le concert est inspirée de Gérard Lockel à la différence
que cette fois, la prestation musicale n’est pas immédiatement suivie d’une conférence-débat. Celle-ci
se tient plutôt la veille du concert en guise d’ouverture du Festival qui ne porte pas encore son nom.
Les intervenants sont des musiciens parmi lesquels un auteur Joslen Gabali, professeur de Lettres, qui
a publié quelques années auparavant, un ouvrage qui propose une étude artistique et sociale du
gwoka1347. Cette manifestation est organisée par le CASC sous les conseils de Georges Troupé.
Pour Félix Cotellon, cette pédagogie du gwoka se révèle nécessaire à plusieurs titres :
- Vu le manque d’intérêt accordé à cette musique par le festival des Arts de la Guadeloupe
(Festag), un festival consacré exclusivement au gwoka et indépendant de toute subvention
publique se révèle nécessaire, afin de montrer que le gwoka est fédérateur et qu’il transcende
les idéologies. C’est l’occasion, pour les organisateurs, de faire preuve de responsabilité face
aux décideurs politiques et de démontrer qu’un festival gwoka est possible sans les pouvoirs
publics. Toutefois, en1993, en dépit des résolutions, il sollicite et obtient le soutien financier
des services culturels du Ministère de la Culture à l’exemple de la Direction régionale des
Affaires culturelles de la Guadeloupe (DRACG).
- Il est difficile de faire admettre aux tenants du léwòz et de la danse de scène que le « gwoka
moderne » est une forme du gwoka. Le propos de Antoine Sopta à Félix Cotellon est révélateur
à ce sujet :

1347 Joslen Gabali, Diadyéé, Editions Créapub, 1982.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Yo ka di yo kay joué gwoka ; an ka vwè yo ka pran gita ! batri ! tronpèt ! … !1348

- La valorisation du gwoka auprès des organisations nationalistes se limite depuis 1970 à la


théorie. Il faut passer à la pratique, concrétiser les propositions. Ainsi, le Festival reçoit un
accueil ambigu de la part des indépendantistes jugeant le concept dévalorisant car limitant le
gwoka à un concept musical à vocation de divertissement.
Cet argumentaire favorise l’ouverture du festival aux échanges autour des problèmes de société
comme le chômage des jeunes, l’abolition de l’esclavage1349 . A propos du gwoka, les échanges
ont lieu avec des musiciens. Le Festival qui porte désormais son nom invite les festivaliers à
échanger sur l’avenir du gwoka, sur le parcours des musiciens, et sur leurs oeuvres…
Cette manifestation est un lieu de formation informel et un espace de diffusion pérenne pour
les musiciens. Tout musicien peut espérer montrer par le festival, son travail de création au sein du
gwoka. Cette forme de diffusion est un moyen de sauvegarde. Et la diffusion du gwoka se renforce
à Paris et en Guadeloupe.

1348
Ils disent qu’ils jouet du gwoka ; je les vois prendre guitare, batterie, trompette…
1349
Programme 6è Festival gwoka, édition 1993.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Renforcer la diffusion proche et lointaine

Cette diffusion débute par le Festival Emile Laposte en Martinique en 1975. C’est dans un
contexte de revendication identitaire et nationaliste, dans les territoires de la France d’Outre-Mer, que
ce concert, prend naissance. Guy Conquet fait partie des invités de marque. Il s’entoure de ses aînés,
sa mère, son beau-père et François Hyzirin dit Bagi. Il entraîne avec lui des jeunes. Sa prestation
conjointe avec Robert Loyson est remarquable. Des photographies souvenirs de l’évènement traduit
l’ambiance et l’intérêt d’une telle rencontre1350. Mais, pour développer son art, Guy Conquet quitte la
Guadeloupe pour Paris. Soutenu par Marie-Céline Lafontaine, il organise un concert à la salle Wagram
le 30 juin 19781351. C’est le premier concert donné par l’artiste à Paris.
C’est le début des tournées en France et en Europe. Guy Conquet professionnalise son activité.
A ce titre, ses activités sont couvertes par des contrats, des affiches, des press book, des dépôts de
titres, des versements de droits1352, des demandes de participations aux festivals, des relevés de titres
radiodiffusés. C’est un artiste du gwoka au sens où l’entend le droit. Ses archives sont autant de
sources disponibles pour l’étude de sa carrière d’artiste hors de la Guadeloupe. Une lacune cependant
limite cette étude : des affiches indiquent les lieux des concerts, les jours et mois mais pas l’année. En
revanche les affiches et contrats permettent de connaître les musiciens avec qui il se produit.
Fort de ses expériences en Guadeloupe principalement son engagement dans les révoltes des ouvriers
agricoles dont il fait partie avant son départ pour Paris, il diffuse le gwoka comme il l’a vécu en
Guadeloupe. C’est « l’âme de la Guadeloupe 1353» qu’il véhicule. Par conséquent, même s’il sollicite
des musiciens de toute nationalité et de toutes origines, il s’entoure de musiciens Guadeloupéens qu’il
engage régulièrement. Ses contrats, affiches et plans de voyage en témoignent :
Armand Acheron, Philippe Makaïa, Patrick Nankin, René Dambury, Stéphane Duverseau, tanbouyé
Bernard Albis, dansè
Gilbert Coco, Guy Jean-Marie, Jocelyn Otto, guitaristes
Jean-Pierre Nanon dit Mawso, Patrick Pougeol, percussionnistes
Mariane Matheus, fanm-répondè
Hoël Gros, claviériste
Patrick Nuissier, pianiste
A travers la composition de son groupe Ka, il montre les 3 langages du gwoka réunis sur une même
scène. Le portrait de la Guadeloupe et du gwoka sont retracés par l’hommage à ses aînés :
« Honneur et respect à Sonor, Baghi et à tous les dépositaires de la tradition ka1354 ».

1350 Ces photographies figurent dans la présente étude en partie 3, chapitre 8 : Photographie des grandes figures du gwoka au

Festival Emile Laposte, Martinique, 21 juin 1975/ chapitre 9 : Guy Conquet au Festival Emile Laposte, Martinique, 1975
1351
Contrat d’engagement avec la société Uniteledis, Paris, 25 juin 1978, Archives privées de Guy Conquet.
1352
Bordereau versements droits au 6 janvier 1986, Archives Guy Conquet.
1353
Cette citation est énoncée par Guy Conquet en mai 1972 au procès pour lequel il est accusé d’entrave à la liberté du travail car
anime au tambour les piquets de grève des travailleurs agricoles dont il fait partie. Face au juge, il se défend de cette accusation par ses
origines sociales et son hértiage culturel : » En qualité de fils de coupeur de cannes et de batteur de « ka », je représente l’âme de la
Guadeloupe. On ne peut condamner l’âme d’un pays ». L’affaire est rapportée par l’un de ses avocats, Félix Rhodes dans le Progrès
social, PG 1070, Archives Départementales de la Guadeloupe.
1354
Concert à la salle des fêtes Gérard Philippe, 30 novembre 1985.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Il fait venir depuis la Guadeloupe des aînés qu’il considère comme ses maîtres1355 . Une des
fiches préparatoires à un concert cite Solange Bach, sa mère dite Man Soso au chant et à la danse,
Sonor Gabin, son beau-père au triangle, au chant et pour la lutte. Pour la lutte, Moléon dit « Carnot »
Jernidier, son ex-beau-père, effectue aussi le voyage1356. Il joue du tanbou et danse aussi.
Ses concerts et autres activités sont couverts par la presse et principalement à partir de 1980 lorsque
son domicile se situe à la rue Lemercier à Paris chez la journaliste, Catherine Humblot. Les citations
de son press book réalisé en 1983 montrent que Guy Conquet considère son arrivée dans le paysage
musical du gwoka comme un tournant rajeunissant pour cette pratique :
« C’est une musique rurale qui était jusqu’en 1967 un domaine de vieux1357 ».
Il montre aussi la réalité de la thématique du gwoka :
« Le gro’ka raconte la vie telle qu’elle est : la misère, le chômage, l’administration1358 »
Le pressbook localise le gwoka de Conquet non pas à Paris mais à Jabrun par des photographies
de la maison familiale de Jabrun. Par ailleurs les chansons qu’il interprète lors de ses prestations sont
celles qui évoquent la Guadeloupe à travers les hommes et les paysages. Il arrive qu’il distribue au
public un résumé des chansons sur des feuillets. Et, en 1978, pour son premier concert à Paris, les
paroles des titres interprétés figurent sur l’album. Le press book de 1993 donne le résumé des chansons
interprétées lors de ses concerts. Okabo, Lolo, La pli la, La tè touné et Charoyo ; La Gwadloup malad,
Kenbé rèd et La Gwadloup an dérout1359 Elles racontent la misère des couches populaires et invitent à
la construction du « péyi » Guadeloupe.
Cette diffusion du gwoka auprès d’un public étranger, remporte le succès qui enrichit encore
la diffusion. Une lettre en atteste. Elle est adressée à Guy Conquet par Bernard Koche, le coordinateur
de l’association Rond Point des Cultures. Ce courrier informe l’artiste des retombées du succès d’un
de ses concerts. Car, d’autres opérateurs culturels : centres ou associations souhaitent la participation
de l’artiste à leur saison de 1984-85.
Son succès se mesure aussi aux sollicitations pour les films documentaires comme le film Guy
Konket en 1983 auquel ses musiciens les plus fidèles ont participé. Cette reconnaissance se mesure
aussi par les honneurs de la presse : Le Monde, Télérama, Jougwa, Jeune Afrique Magazine,
Libération, Jazz Magazine, La Revue Noire. Libération, le Matin de Paris, France Antilles, DOM
Hebdo lui proposent des entretiens et lui consacrent des articles. De même, il reçoit des offres de
participation à des tournages de films comme Les fiancés du vent en juin 1984 de Jean Jacques Béryl
ou encore la Naissance d’un tambour du même réalisateur.
D’autres associations de Guadeloupéens vivant en France diffusent aussi le gwoka à travers
des spectacles. A ce propos, rappelons que l’association des étudiants guadeloupéens annonce sa
nouvelle orientation politique et culturelle aux congrès de Paris en 1968 et d’Aix-en-Provence en 1970.
Elle concrétise sa nouvelle orientation par le montage d’une pièce de théâtre retraçant les grands
tournants de l’histoire de la Guadeloupe. Des titres gwoka sont crées pour la circonstance : 7 chansons
et un conte1360. Ils traitent tous de la question du lien à la France. A l’issue du spectacle, l’album est

1355
Press book de 1983.
1356
Le nom de ces personnes figure dans cette fiche de préparation dont nous n’avons retrouvé qu’un extrait. Les personnes
concernées sont indiquées par leur désignation populaire : Sonore Gabin pour Dino Joseph dit Gabin et Moleon Jernidier pour François
Jernidier.
1357
Pressbook citant le journal Libération du 2 août 1979.
1358
Pressbook de 1983 citant le journal Le Monde.
1359
Okabo, Lolo, La pluie, la terre tourne, Charoyo, La Guadeloupe est malade, Sois tenace, La Guadeloupe en déroute.
1360
Témoignage de Jean-Pierre Sainton, ancien membre de l’AGEG et auteur-compositeur du titre Mé 67 (mai 1967) pour la
circonstance, septembre 2009, Pointe-à-Pitre.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

édité sous un titre révelateur de la perspective d’émancipation politique pour la Guadeloupe : Soley ka
lévé sé ti-moun-la, an-nou alé1361. Il s’agit d’une auto-production distribuée en Guadeloupe et en
France :
« Dis-la vann pito an Frans é lè nou té ka vinn an vakans, nou té ka vann-li ba fanmiy an-nou. Nou vann-li an
Frans dans le milieu des travailleurs émigrés, des zétidyan. Sé nou-menm ki té ka vann-li. Nou paté fè onlo, pétèt
500, pétèt 1000. An pa ka sonjé pas nou pa té fè-y pou nou té pé fè lajan. Nou té ka fè léwòz an Frans é dans sé
léwòz-la, nou té ka joué sé mòso-la. Sé konsa moun touvé-yo vinn konnèt-li1362 »

Figure 56 : Guy Conquet de la Martinique à l’Europe

Photo 1 : Guy Conquet au Festival Emile Laposte, Martinique, 1975, Extrait album
Conquet, Collection personnelle.
(Commentaire : Guy au Mémorial Emile Laposte, Martinique dont Joël Nanquin,
Robert Loyson, René- Corail, 1975/ Photo Pablo)

1361
Le soleil se lève ; les enfants allons-y !
1362
Le disque s’est vendu en France et lorsque nous venions en vacances, (en Guadeloupe), nous le vendions dans notre environnement
familial. Nous l’avons vendu en France dans le milieu des « travailleurs émigrés », des étudiants. Nous le vendions par nous-mêmes.
Nous n’en avons pas édité beaucoup, peut-être 500, peut-être 1000. Je ne me rappelle pas la quantité éditée parce que nous ne l’avions
pas fait pour gagner de l’argent (dans un but lucratif). Nous organisions de léwòz en France et à cette occasion, nous interprétions les
morceaux. C’est comme cela que les gesn ont eu connaissance du disque.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Photo 2 : Le gwoka de Guy Conquet en France et en Europe : nombre de concerts par ville :
1978- 19931363

LE GWOKA DE GUY CONQUET EN FRANCE ET EN EUROPE (1978-1993)

- Nombre de Concerts par ville

1363
D’après les contrats et affiches de 1978 à 1989 : 15 concerts dont 11 à Paris. D’après le pressbook de 1992 : 17 concerts dont 9 à

Paris

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Parallèlement, au début des années 1970, l’éveil à la conscience des jeunes à travers des
associations gagnent du terrain. Ainsi, les troupes dites folkloriques sont rappelées à l’ordre par les
organisations nationalistes indépendantistes pour un gwoka plus conscient. C’est le cas de la troupe
Karukera à qui elles reprochent de faire du gwoka doudouiste notamment a l’occasion du Festival
international Carifesta de Cuba en 1979. Mais cette troupe créée et dirigée par Raymond Gauthierot
montre l’influence du mouvement nationaliste sur la perception du gwoka par les jeunes. En effet, à
Cuba, Karukéra refuse de défiler derrière le drapeau français. Les membres fabriquent un drapeau aux
couleurs du rastafarisme rouge, jaune, vert. Ils sont suivis par d’autres groupes musicaux de la
Guadeloupe invités au Festival. Karukera se présente de la sorte dans « un grand stade »1364 devant le
Président Fidel Castro.1365
Les spectacles sont « engagés ». Ce que Raymond entend par là, c’est que le groupe évite les
spectacles de simple divertissement qu’il appelle « spèktak wélélé » et donne la primauté au spectacle
à thèmes politiques et sociaux : le chômage, les fermetures d’usines, l’économie sucriere, l’économie
bananiere, la pêche… les fermetures d’usine ont donné lieu à la préparation d’un spectacle intitulé
« Lizin fèmé1366 ».
Mais en dehors des troupes folkloriques au cours des années 1980, d’autres types d’association
prennent naissance en Guadeloupe. Elles participent à la diffusion du gwoka. En effet, elles font
découvrir le gwoka et suscite son attrait auprès des jeunes. Elles participent à la croissance du nombre
de tanbouyé nés entre les années 1950 et 1970. Ils sont au nombre de 59 contre 27 pour la période
précédente.
En septembre 1982, l’organe de presse Bik a la Jénnès Gwadloup présente l’association1367. Née
lors du Congrès constitutif des 9, 10 et 11 avril 1982 à Petit-Bourg, l’association Bijengwa se réclame
des nouveaux syndicats d’enseignants, de paysans et d’autres travailleurs récemment crées en
Guadeloupe. Plus qu’une association, Bijengwa est une organisation qui rassemble une jeunesse
engagée. Elle se définit comme une organisation de masse, une organisation qui a une idéologie : anti-
impérialiste, patriote et nationaliste. Elle affiche son idéologie et à ce propos nomme et explique son
point de vue à propos des pratiques culturelles :
« Les jeunes de Bijengwa se considèrent Guadeloupéens. Ils affirment que la Guadeloupe n’est pas la France…
Bijengwa lutte pour libérer la Guadeloupe…Bijengwa défend sa langue (kréyòl) sa musique (gwoka) et toutes les
traditions que le colonialisme a cherché à faire disparaître. »
Une des photographies qui accompagne l’article confirme le choix idéologique de l’association. Elle
montre l’assemblée de jeunes, attentifs aux propos des intervenants, derrière lesquels se hisse le
drapeau nationaliste.
La préparation de la réunion constitutive annonce un mouvement associatif par la mise en place de
plusieurs sections communales, de regroupements régionaux, des cadres… Cette réunion finalise la
création du mouvement par la présence d’une soixantaine de délégués de plusieurs associations. Leur
orientation politique est un indicateur pour connaître celle de Bijengwa. Il s’agit de l’AGEG, de
l’UNEEG (Union Nationale des Elèves et Etudiants guadeloupéens) proche de l’UPLG, et l’ALCPJ

1364 Il s’agit en réalité de la place du Champ de Mars autour du Palais présidentiel (vérifier Haïti ou Cuba)
1365
Témoignage de Raymond Gauthierot, juin 2018, Petit-Canal.
1366
Traduction : Usine fermée
1367
Journal Bijengwa, Bijengwa ka sa yé ? n°1, septembre 1982. Bijengwoa signifie Bik a Jènnès Gwadloup (traduction possible : Espace
de la jeunesse de Guadeloupe).

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

(An Lot Chimen Pou La Jénès1368). Cette dernière est une organisation de Jeunes Martiniquais. Enfin,
comme tout mouvement, Bijengwa se dote d’un Comité exécutif composé de 11 membres dont le
secrétaire général, Thierry Cesarus devient le représentant et leader du mouvement.
L’influence de l’AGEG et de l’UNEEG est favorable à la diffusion des pratiques culturelles portées
par les organisations proches des milieux indépendantistes. Il est inutile de rappeler les activités de
l’AGEG depuis 1970. En ce qui concerne l’UNEEG, cette organisation de jeunesse est en fait un
syndicat de jeunes née en 1979 et implanté dans plusieurs établissements du secondaire à l’université.
La défense, la valorisation et la diffusion des pratiques culturelles de la Guadeloupe font partie de ses
objectifs1369. Au plan culturel, les objectifs de Bijengwa sont annoncés : faire vivre les traditions
culturelles, soutenir les associations qui les font vivre, développer le patrimoine culturel. Le léwòz est
régulièrement pratiqué. Il figure dans le premier n° du journal par une photographie illustrative dont
le commentaire est le suivant :
Nou ka défann mizik an-nou1370
Au cours d’un léwòz organisé par la section Bijengwa de Ste Rose dans le bourg de la commune
le vendredi 23 août 1985, un des jeunes de la section décrit leurs activités1371. Celles-ci se déroulent
soit à l’initiative de la section soit en collaboration avec d’autres associations de la commune. Ce sont :
des travaux agricoles, des débats, l’organisation de léwòz… L’association cherche à intéresser un
maximum de jeunes au léwòz. Pour cela, un programme d’action nommé « On krèy gwoka » est prévu
pour la saison à venir. L’objectif est d’apprendre aux jeunes à jouer du tanbou, à danser en échangeant
leurs atouts respectifs encadrés par des spécialistes. Toutefois l’acquisition des tanbou est une vraie
question du point de vue financier. Cette question n’empêche pas, au mouvement Bijengwa,
d’organiser des léwòz dans toutes les communes de la Guadeloupe. Il suit ainsi le mot d’ordre de
Gérard Lockel : jouer du tambour dans toute la Guadeloupe1372.
Mais parallèlement à Bijengwa, la conscience nationaliste et identitaire des jeunes s’éveille soit
par des initiatives individuelles, soit par des regroupements de jeunesse qui se développent à l’inititiave
des organisations indépendantistes. Ces associations accordent une place considérable au gwoka dans
la formation des jeunes. L’expérience de Patrick Solvet, membre actif de deux de ces regroupements
est significative à ce propos1373 . Des professeurs avertis comme Marcel Tassius, Camille César, Arthur
Lérus éveillent la conscience des jeunes par leur cours en créole guadeloupéen. Marcel Tassius leur
fait écouter du gwoka. Les jeunes sont formés à l’artisanat, à la musique et aux rudiments de la vie.
Une première rencontre avec les artisans de la Caraïbe est organisée autour des maisons en gaulettes.
Cette rencontre est organisée par le « mouvement patriotique 1374» avec la MJC des Abymes sous
l’égide de Jacques Viator. Un mouvement théatral et artisanal est organisé à Sainte Anne sous l’égide
de Gaston Samut. Le projet est de s’emparer des Maisons des Jeunes et d’y développer le gwoka.

1368
Un autre chemin pour la Jeunesse.
1369 Journal Lendependans, Qu’est-ce que l’UNEEG ? n°4, 3 mars 1984.
1370
Traduction : Nous défendons notre musique, Journal Bijengwa, Résumé du programme d’actions de Bijengwa, n°1, septembre
1982, page 4.
1371 Journal Lendépendans, An rivé an léwòz a-yo-la, n°82, 31 août 1985.
1372
Témoignage de Jacky Jalème au Festival Eritaj, Petit-Canal, 26 mai 2019
1373
Témoignage de Patrick Solvet pour l’Association Contre le Silence et l’oubli, Anse-Bertrand, février 2016.
1374
Désignation des nationalistes de l’UPLG

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

L’oncle de Patrick Solvet est Claude Makouke mal vu dans la famille pour ses idées politiques.
Il refuse le service militaire, crée un mouvement appelé KONGWA (Konsey Nasyonal a Jènnès
Gwadloup1375). Il crée ce mouvement avec les camarades de l’association Chaltouné et d’autres
camarades du Lamentin sous la direction des gens du GONG. La voie radicale est privilégiée. Ce
mouvement apporte de la nourriture aux « nègres marrons » chez Robert Loyson1376. A la Conférence
de Bonneveine1377, ce mouvement est très actif. Il faut aussi souligner la clôture de cette conférence
par un concert sur le site, en plein air animée une formation musicale improvisée de type gwoka
moderne.

Dans le même temps, à Paris, une autre association intitulée Banza, joue dans plusieurs régions
de la France hexagonale. Elle est constituée d’étudiants et travailleurs guadeloupéens résidant en
France. C’est une association que nous avons découverte par le témoignage de l’un de ses anciens
membres, Mario Méri à l’invitation du Centre Rèpriz de la Guadeloupe en février 2014. Il s’agissait
de témoigner sur le gwoka à Paris durant les années 1980. Un film est projeté à cette occasion. Nous
obtenons ultérieurement du propriétaire du film, Alain Jean, une nouvelle projection, à son domicile,
commentée cette fois par lui en tant qu’ancien membre de l’association. Par ailleurs, nous obtenons
d’un autre membre, Mario Méri des documents administratifs et des programmes d’activités. Par ces
documents, nous étudions les moyens par lesquels la troupe Banza diffuse le gwoka.
Il est important de s’intéresser au portrait de l’association. Celle-ci est de nature à éclairer les
moyens et les formes de la diffusion. Les mots par lesquels elle se présente indiquent son orientation
politique. Elle est dite « troupe culturelle patriotique » ou encore « groupe culturel du camp patriotique
guadeloupéen ». Elle considère l’installation des Guadeloupéens en France européenne comme le
résultat d’une « émigration guadeloupéenne. » Pour elle, la Guadeloupe est un « péyi » sous
dépendance « coloniale »1378. Ces indications donnent le sens du nom par lequel elle est désignée. Le
« banza » est aussi appelé en Guadeloupe « jèspòm ». Il s’agit d’un lance-pierres. Il nécessite un
montage rigoureux pour assurer à la fois la sécurité de son utilisateur et son efficacité. La solidité doit
être aussi garantie parce que la fabrication est soumise à plusieurs opérations depuis la recherche et la
coupe des branches pour le socle en Y jusqu’à la taille et la pose des lanières de caoutchouc sans
compter les multiples essais nécessaires aux ajustements jusqu’à l’obtention d’une longue portée.
L’usage du banza se fait tout en douceur pour ne pas effrayer la cible, pour bien la viser et l’attraper
au bon endroit pour l’abattre. Le nom que porte l’association traduit son engagement politique. Cet
engagement est soumis à des valeurs imposées aux membres : travail, discipline, organisation,
responsabilité, assiduité, ponctualité.
La troupe musicale est créée au départ par davantage de travailleurs que d’étudiants. Alain
Jean la découvre à ce moment-là. Tous les corps de métiers s’y retrouvent : Inspecteur du travail,
moniteur d’auto-école, agent de l’education Nationale, ambulancier, agent des PTT, plombier… Ces

1375
Traduction : le Conseil National de la Jeunesse Guadeloupéenne.
1376
Sont désignés par nègres marrons les membres des organisations nationalistes en cavale pour esquiver l’incarcération. Le
témoignage est confirmé par Judes Janackdoulary dit Ti-Jid, compagnon de musique de Robert Loyson.
1377
Cette conférence se déroule au Moulin de Bonneveine. Elle réunit les indépendandistes de tous les territoires français. Elle est
aussi appelée conférence des dernières colonies, mars 1985 (d’après le journal Lendépandans, n° 6030 mars 1985

1378
Le règlement intérieur ne porte pas de date. Toutefois le programme d’activités de 1988-89 et la date d’arrêt des activités de la
troupe indiquée par Mario Méri permet de déterminer la durée de la troupe du 1er avril 1986 (indication gala 3è anniversaire le 1er avril
1989) au 23 septembre 1994.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

travailleurs sont des membres de l’UTEG, Union des travailleurs émigrés guadeloupéens. Il y a peu
d’étudiants. Jean-Pierre Phipps fait partie de ceux-là1379.
Elle poursuit dans la ligne culturelle initiale et se renforce avec l’arrivée de tanbouyé tout droit
sortis de Guadeloupe : Vincent Blancus dit Ti-Blankis, Jacky Jalème, Serge Romana…
Le gwoka occupe une place centrale dans les activités culturelles de l’association. Il s’exprime
à travers des prestations musicales, le théâtre et la chorégraphie.
Les manifestations par lesquelles le gwoka se diffuse auprès du public de la troupe sont de la
propre initiative de la troupe comme les galas culturels où d’autres troupes antillaises ou africaines
sont invitées. Elle commémore des faits historiques de la Guadeloupe comme les évènements de Mai
1967 à Pointe-à-Pitre1380. Mais la troupe culturelle Banza répond aussi aux invitations. Dans son
témoignage, Mario Méri rappelle les hôtes de la troupe : Les Sardes, les Catalans, les Bretons, les
Corses. Autrement dit ce sont les ressortissants des régions françaises et européennes dont le
particularisme régional est particulièrement marqué.
Elle participe aussi au Festival culturel des DOM-TOM de l’Océanie, de l’Amérique, de
l’Afrique et de l’Océan Indien. Il a lieu à Grenoble du 7 janvier au 5 février 1989. Ce type de festival
s’incrit dans la ligne culturelle de Banza. En effet, l’organisateur, le Centre d’Information interpeuples
localisé à Grenoble, dans l’argumentaire du Festival a pour objectif de défaire l’image exotique de ces
territoires pour la remplacer par la « reconnaissance des expressions culturelles de ces peuples1381 ». Il
propose sur un mois des expositions, des débats, du théâtre, du cinéma, de la musique, et des festivités.
La troupe Banza y propose un ballet théâtre où le gwoka est décrit par le programme comme la
mémoire d’un fait historique et une curiosité artistique :
« Banza », groupe guadeloupéen de Paris qui propose deux jours consécutifs, en soirée et en milieu
d’après-midi un spectacle composé de théâtre et de ballets, rythmés par le gwo-ka (musique traditionnelle
née lors des insurrections anti-esclavagistes). Un autre « coup de cœur du Festival : exceptionnel… »1382
La troupe prévoit l’enregistrement d’un disque gwoka. Celui-ci n’est pas finalisé à cause des
débats sur l’intérêt d’une troupe nationaliste de réaliser un disque gwoka en France hexagonale.
D’autres membres envisagent plutôt de créer un mouvement autour de la mémoire de l’esclavage.
Toutefois, au cours du témoignage de Mario Méri lors de la conférence du Centre Rèpriz, il fait part
d’un titre gwoka prévu sur l’album vain. Cette chanson est encore évocatrice de la perception du gwoka
par le groupe : un espace de revendication nationaliste et patrimoniale. Le disque n’a pas vu le jour
mais les spectacles que donne la troupe durant ces trois à six années d’existence sont de nature à
diffuser cette image du gwoka :

Ti-moun pa pléré
Nou tin’ desten-an-nou
Ti-moun pa jan obliyé nou tini istwa an-nou
Pa jan arèsté goumé pou dinyité an-nou
San-an-nou koulé an bitasyon
Pou tè-lasa sé tan-nou1383

1379
Témoignage de Alain Jean, membre de la troupe depuis 1983, juillet 2016.
1380
En l’état de la recherche, nous ne pouvons que citer quelques aspects de ces évènements : un mouvement social, une répression
policière, des victimes, un procès politique.
1381
Programme du Festival, introduction rédigée en janvier 1989, page 1.
1382
Programme du Festival, page 13.
1383
Traduction : Enfant, ne pleure pas, nous avons notre destin. Enfant, n’oublie pas que nous avons notre histoire. Ne cesse jamais de
te battre pour notre dignité. Notre sans a coulé sur l’habitation pour que cetteterre soit la nôtre.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La terre Guadeloupe dont traite la chanson a sa musique, sa langue, son histoire et son drapeau que la
troupe porte en guise de tenue de scène. Le « drapeau nationaliste » devient la référence esthétique de
la troupe 1384
Les réponses des appels à sauvegarde du gwoka viennent de gens de tout bord. Elles donnent
au gwoka deux nouveaux maîtres, Gérard Lockel et Casimir Létang dit Kazo. Celles -ci mobilisent des
gens de lettres, des musiciens, des associations, des militants politiques…Elle donnent naissance à
l’acteur civique du gwoka. A chaque individu et à chaque groupe sa contribution ! Et Marcel Lollia
dit Vélo est le grand bénéficiaire du contexte de sauvegarde du gwoka qui unit toutes les voies.

Figure 57 : Le gwoka moderne à la Conférence de Bonneveine, Anse-Bertrand, collection Gilles


Anduse.

1384
Film de Banza sur scène entre 1987 et 1989.

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Figure 58 : La troupe Banza en spectacle en France, 1987-881385

1385
La photographie de la troupe est capturée depuis le film du spectacle, collection Alain Jean. La date approximative du spectacle
est indiquée par Alain Jean.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C- Marcel Lollia dit Vélo, l’union guadeloupéenne autour d’un sacre

1- L’entourage d’une fin de vie, première marche vers la sacralisation

Le 6 juin 1984 Marcel Lollia dit Vélo disparaît à l’âge de 52 ans. Son décès pourrait être
considéré comme la fin du cycle de vie de n’importe quel homme ordinaire. Mais les derniers textes à
son sujet et ses dernières photos montrent les attentions dont il bénéficie au sein de la communauté du
gwoka et au-delà. Il faut considérer ces attentions dans le cas de Vélo dans leur dimension affective et
civique. A son égard, le civisme prend deux aspects, le dévouement pour l’individu nécessiteux d’une
part et d’autre part, la protection d’une figure majeure de la communauté. C’est ce qui explique le
nombre important de personnes qui l’entourent à la fin de sa vie, chacun à sa manière.
C’est ainsi que sa génération lui rend hommage à travers deux textes et une image. Ils lui
adressent respectivement un poème1386, une chanson1387, une peinture. Les textes sont du poète Guy
Cornély et du chantè-dansè-tanbouyé Guy Conquet. La peinture à son adresse illustre la pochette d’un
album1388. Elle est réalisée par une étudiante aux Beaux Arts de Paris d’origine martiniquaise, Jocelyne
Beroard, répondant à une commande du chantè Luc-Hubert Séjor. Ces trois auteurs de l’hommage à
Vélo sont nés entre les années 1920 et 1940. Le contenu de l’hommage rendu individuellement par
chacune de ces personnes, met en lumière la perception d’un homme, de son vivant, par trois
personnes, agissant chacun de leur côté mais ayant un objectif commun. Guy Cornély connaît Vélo.
Il le connaît depuis sa jeunesse dans les bas quartiers de Pointe-à-Pitre. Il l’a désigné en 1964 :
« Magicien Vélo, maître es-cogneur de Gros-kâ 1389».

Guy Conquet a joué avec Vélo lors des léwòz chez Man Soso à Jabrun en compagnie du
tanbouyé François Jernidier dit Kawno et l’accordéoniste Reynoir Casimir dit Négòs1390. Guy Conquet
a aussi joué avec Vélo pour la réalisation d’un album en 1968. Celui-ci a été édité ultérieurement. Luc-
Hubert, lui, connaît Vélo par les fêtes patronales de son secteur Douville. Par ailleurs, en compagnie
de Georges Troupé, il a l’occasion de participer à des rencontres musicales, tour à tour, en divers lieux
que les participants appellent des « pèlerinages »1391. Quand il rend hommage à Vélo, il vit à Paris
comme Conquet mais leur oeuvre respective en hommage du tanbouyé, produites à deux années
d’intervalle, ne s’est pas réalisé de concert. Les deux amis de Vélo n’ont pas plus rencontré Guy
Cornély. Leurs hommages respectifs entrent pourtant en cohérence en plusieurs points :
C’est d’abord en tant que tanbouyé qu’il est célébrée. Le jeu du tanbou de Vélo renvoie à la
condition du nègre esclave et l’en délivre par la dignité et la liberté :
« Congné Vélo…Douboutte nèg… lévé main… cassé chainn’1392 ». (Guy Cornély)
La musique au tanbou de Vélo est émancipatrice
« Vélo ka cassé quà. Soleil ka vini nèg… Lannuit fini ; a présent cé soleil1393 ». (Guy Cornély)

1386
Guy Cornély, A notre batteur de tam-tam « Vélo », Gwadloup tradisyon, Edition spéciale, 2004, page 7. Le poème a été écrit pour
la fête de Schoelcher en 1973.
1387
Guy Conquet, Vélo », Paris,1978. La partition a été déposée en 1978 mais la chanson est un inédit.
1388
Album Luc-Hubert Séjor, Mizik Filamonik Spiritual Sound, Label Music Control, Paris, 1980.
1389
Album Vélo et son gros-ka, Emeraude, GP 5 A, 25 septembre 1964 (commentaire verso pochette)
1390
Témoignage de Casimir Reynoir dit Négòs, 4 janvier 2013, Petit-Canal / Témoignage
1391
Témoignage du 19 janvier 2016, Boisvin Abymes.
1392
Frappe Vélo, Debout nègre, lève la main, casse la chaîne.
1393
Vélo casse le ka. Le solei devient nègre. La nuit se termine. A présent c’est le soleil.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le poème place cette musique parmi des liuex et des hommes qui ont marqué l’histoire de la
Guadeloupe :
« Mi quà là ka sonné, pou toutt nèg cassé chain. Assi gros morne Baimbridge cé limiè. Mon a Légitimus
cé limiè. An bod’lanmè Fouillole cé limiè1394. (Guy Cornély)
Et, la figure du tanbouyé Vélo renvoie à la noblesse et à la sagesse :
« Nou ka monté vwè vélo nèg a bèl dwèt…nèg mignon, mignon1395 » (Guy Conquet)
Sa protection répond à une préparation protocolaire :
« Sé a chouval nou ka monté vwè Vélo ... ranmasé Vélo1396. » (Guy Conquet)
L’homme ordinaire fait preuve de détermination pour accomplir cette visite :
« Kimbé, tiré douvan1397 ». (Guy Conquet)
Et sa condition d’homme errant n’enlève rien à sa noblesse. Au contraire son lieu de prédilection, la
Place de la Victoire de Pointe-à-Pitre, là où il joue régulièrement est reconnu comme une adresse
inédite :
« Vélo ka rété asi la plas la Viktwa1398. » (Guy Conquet)
Le caractère inédit de l’homme entre dans l’argumentaire de l’hommage. Son corps est représenté dans
une sorte de brouillard mais il transcende les hommes. Sa musique au tanbou rappelle aussi l’origine
des afro-guadeloupéens depuis le continent africain jusqu’ aux rencontres et échanges en Guadeloupe.
« Pititt a Oulof ! Bambara, Soninké, Congo… Pitite sang-mêlé, zenfants Karukéra Douboute au quà…
Mi limiè.1399 » (Guy Cornély)
Le seul lien qui unit ces personnes qui font honneur à Vélo est la reconnaissance du tanbouyé
pour son expertise. Par cet hommage, son statut de grande figure du gwoka se confirme. Par sa
fonction de tanbouyé, il détient l’élément symbolique du gwoka comme un objet -fétiche. Par son
expertise, il donne à voir la performance et la majesté de l’instrument et de son jeu. Mais, par sa
condition, il symbolise la misère. C’est l’homme qui combine le dénuement et l’expertise. C’est le
mystère d’une condition. En fin de vie, il gagne aussi la reconnaissance d’une jeune génération
d’acteurs.

1394
Voilà que sonne le ka pour que tous les nègres cassent la chaîne. Ainsi, le gros morne de Baimbridge c’est la lumière. Le morne de
Légitimus c’est la lumière. Au bord de mer de Fouillole, c’est la lumière.
1395
Nous montons voir Vélo, le nègre aux beaux droits, le nègre mignon, mignon.
1396
C’est à cheval que nous allons voir Vélo… ramasser Vélo.
1397
Tiens bon, vas -y.
1398
Vélo habite sur la Place de la Victoire.
1399
Descendants de Wolof, Bambara, Soninké, Kongo. Enfants de sang-mélé. Enfant de Karukéra. Debout par le ka ( ou avec le ka) .
Voilà la lumière.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Ils sont nés entre 1950 et 1970. L’une des circonstances de leur rencontre avec le tanbouyé est la
volonté d’apprendre d’un expert. Cette volonté vient des familles. C’est ainsi que Didier et Olivier
Juste, très jeunes partagent avec lui des échanges aux tanbou1400. Ces jeunes seront, aux côtés de Yves
Thôle et Michel Halley, les tanbouyé de la cérémonie catholique lors des funérailles de Vélo. Par
ailleurs, au sein d’une école de musique créée par Edouard Ignol dit Kafé, Vélo est le moniteur1401.
Fort d’une expérience de professeur qu’il a mené auparavant au sein de la Brisquante, au profit de
Charlie Chomereau-Lamotte, c’est un monitorat par la pratique qu’il diffuse :

« Mété dwèt a-w konsa…Frapé konsa… A pa konsa, avansé men-a-w ti bwen…, Fè po, po, pan tang. Ès
ou santi-y ? » 1402

Ces jeunes qui entourent Vélo sont conscients de son talent mais aussi de sa capacité à leur
apporter une autre manière de se voir dans la Guadeloupe et dans le monde. Cette prise de conscience
explique leur attachement au personnage. Certains, nés au sein des classes aisées ou moyennes mais
résidant dans des bas quartiers ou à proximité choisissent de se démarquer, de prendre de la distance
par rapport aux repères culturels que leur inculque leur famille. D’autres issus de familles modestes se
prennent de passion pour le tanbou qui n’est pas plus considéré comme un instrument convenable dans
toutes les familles de la Guadeloupe. Quelque soit leur origine sociale, ces jeunes qui fréquentent Vélo
entreprennent une démarche inattendue aux yeux de leur famille. Cette démarche rappelle celle qui,
dans le domaine politique consiste à désobéir à l’autorité établie. L’autorité cette fois, c’est la famille
avec laquelle l’enfant est en conflit. Celle-ci s’accompagne de fracture ou non. Il s’agit de se voir
autrement que l’a prévu la famille. Cette dissidence culturelle, s’exprime dans les actes, les choix et
les mots. Ces jeunes sont animés de la fougue du changement. Ils se sentent prêts à bouleverser la
société dans laquelle ils vivent. En leur compagnie, des personnes plus âgées, sont dans la même
dynamique. Sous une apparence anecdotique, leurs témoignages montrent, en dépit de leur milieu
social, leur disposition à cette rencontre. Nous en rapportons deux, les plus signifiants à notre
appréciation :

- Viviane Dagonia dite Vivi1403 est née il y a 73 ans à l’Hôpital St Jules de Pointe-à-Pitre. Son
père devient médecin après avoir exercé d’autres emplois. Il est connu pour ses fonctions
politiques au sein de la commune du Lamentin en Guadeloupe. Viviane pense que ce sont les
gens qui la traitent de « bourgeois » mais que ses parents ne se sont jamais comportés comme
tels. Elle, non plus ne se sent pas « bourgeoise ». Enfant et adolescente, elle effectue les mêmes
tâches que tous les enfants du quartier à la rue dite Lari Ti-Kaka dans le quartier Dino de Pointe-
à-Pitre aux environs du cimetière. Dans le quartier, le tanbou est toujours en œuvre avec Vélo,
Boisbant autour des hommes transgenres comme Thole appelé Vòvònn ou encore des femmes
décriées parce qu’elles dansent au son des tanbouyé. On les appelle Kas an fè, Tèt a Kal1404.

1400
Didier Juste aujourd’hui percussioniste international le rappelle dans son blogg illustré de ses photos enfants avec Vélo.
1401
Témoignage de Edouard Ignol dit Kafé, avril 2016 et de Robert Oumaou qui participe aussi à l’encadrement des enfants dans les
differents ateliers date, mars 2017 (téléphone)
1402
Place tes doigts comme cela… Frappe comme cela… Non ! Ce n’est pas comme cela… Avance tes mains un peu… Fais po
pantang !
1403
Témoignage de février 2018, Les Abymes.
1404
Casque de fer, Tête de pénis

423
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Elle assiste à des léwòz qui se déroulent dans son quartier. Elle apprécie le passage des Mas-a-
Sen-Jan. Elle fait partie des 1ers adhérents au Carnaval de type mas au sein du groupe à pied
Akiyo de Pointe-à-Pitre.
- La grand-mère maternelle de Michel Halley l’élève alors que ses parents terminent leurs études
à Paris. Son père sera plus tard médecin et sa mère pharmacienne. Chez sa grand-mère les
seules musiques qui le bercent sont les chansons de la liturgie catholique. Elle habite Lari La
Rènn devenue angle des rues Alexandre Isaac et Dugommier. Mais lors de leurs sorties, les
Mas a Sen Jan s’arrêtent devant la maison de la grand-mère. Elle est femme d’église, le grand-
père est pharmacien. Ils ont tous les deux le sens du secours à l’autre. Les gens de Fonds
Laugier, de la rue Vatable, de l’ensemble du quartier les connaissent pour cette qualité. Michel
voit aussi vu des gens danser sur les échasses, les mokozombi comme on les appelle. Plus tard,
il est tanbouyé aux côtés de Guy Conquet et participe à la création des ensembles musicaux
comme Takouta et Akiyo.
Pour Michel Halley, la rencontre avec Vélo date de la période de Takouta1405. Des jeunes
conçoivent la préservation du tanbou par le développement de tous les sons possibles. Takouta et Akiyo
sont les deux expériences concluantes de cette quête. Michel Halley explique ce choix en marge de
l’éducation familiale comme une « recherche-action ». Ce sont, pour lui, « des choses qui sont au fond
de vous et qui se révèlent en vous ». Il mène une première expérience de ce type auprès de Guy Conquet
avec le « Nèg chapé 1406». Mais pour Takouta et Akiyo, l’expérience est de leur propre initiative dans
une période de revisitation sonore de la musique gwoka.

Takouta est une musique polyrythmique avec un tanbou bas, un tanbou makè, un tanbou solo,
la calebasse et le ti-bwa. De nombreux groupes comme Van Lévé de Basse-Terre ou Foubap cassent
aussi les codes d’après Michel Halley. Ces nombreuses expériences ont des influences sur la musique
du Carnaval. Après Takouta, le groupe d’amis s’inspire des mas a kongo1407 et un jour, probablement
un samedi de l’année 1978, en matinée, à l’occasion d’un kout tanbou1408 à Pointe-à-Pitre, le « tanbou
au dos1409 », ils descendent « défiler » dans les rues de la ville. Michel rappelle que l’orchestre du
Carnaval s’est enrichi d’un tanbou solo parce qu’il n’y avait pas de tanbou solo dans le Mas-a-Sen-
Jan de même d’une contrebasse. Akiyo prend ainsi naissance et crée une autre musique des « mas aux
tanbou ». Il se structure plus tard en association.

« Sé tanbouyé La Pwent ki fè si Akiyo ka egzisté et personne d’autre1410… sé moun a gwoka ki


fè sa ». Il rappelle le nom des pionniers : Yves Thole, Fritz Naffer, Patrick et Joël Nanquin, Fred
Julianus, Jacques Marie Basses, Dougi alias Douglas Widly, Ray H1411. Nous leur ajoutons des noms
de femmes : Nicole Raboteur, Marie-Laure Poitou, Viviane Dagonia, Les soeurs Palatin citées par
d’autres témoins parmi lesquels les pionniers1412. Entouré de ces jeunes au sein de ces deux groupes

1405
Nom donné à une expérience musicale autour du tambour et à l’ensemble musical qui en découle.
1406
Musique rythmique mise au point par Guy Conquet et régulièrement exécutée lors de ses concerts
1407
Masques très anciens réalisés en Guadeloupe pour représenter les populations Congos : peau très noire, bouche rouge, danse
délurée.
1408
Moment de tanbou mot à mot autrement dit une partie de tanbou souvent improvisée.
1409
Expression employée par le témoin pour désigner le tanbou en bandoulière ou entre les jambes
1410
Ce sont des tanbouyés de Pointe-à-Pitre qui ont crée Akiyo et personne d’autre… ce sont les gens du gwoka qui l’ont fait. »
1411
Maurice Desbranches dit Ray-H, février 2017, Abymes.
1412
Témoignages de Jacques Marie Basses, Goyave, février 2017/ Jacques Marie Basses et Nicole Raboteur, Pointe-à-Pitre, août 2018/
Suzy Palatin, Paris, décembre 2017/Jean-Louis Frécinat, Pointe-à-Pitre, février 2018.

424
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Vélo joue ses derniers sons et vit ses derniers jours. Les jeunes de Takouta jouent dans toute la ville de
Pointe-à-Pitre, dès que l’opportunité se présente. Il vient spontanément jouer avec le groupe. Il se
produit sur scène en leur compagnie dans plusieurs salles de Pointe-à-Pitre comme le Rex ou la salle
Rémi Nainsouta. La musique au tanbou séduit Vélo et il s’invite à toutes les rencontres. C’est un
passionné du tanbou et cette passion suscite l’admiration des jeunes et le besoin de le protéger. Vélo
s’invite au groupe Akiyo1413. C’est d’abord un percussionniste jouant de tous les tanbou : Ka, djenbè-
ka, congas, tanbou a mas1414…. Des gens racontent qu’il joue sur le rebord des meubles, sur des
faitouts… L’essentiel pour lui est de produire du son. Même lorsque ses doigts sont endoloris, il joue
avec des gants1415. Pour ces jeunes, Vélo est un modèle à suivre parce qu’il combine deux idéaux de
vie : son détachement du matériel et sa passion du tanbou. Il correspond à leur perception de la vie.

C’est ainsi que Vélo et ces jeunes forment une seule famille lorsqu’ils squattent un immeuble
désaffecté appartenant à la municipalité des Abymes et situé dans le quartier de Grand Camp.1416 Cette
cohabitation résulte de la période difficile que traverse le tanbouyé. Sans abri, il s’installe la nuit dans
une voiture abandonnée. Après avoir vécu au domicile d’un des jeunes, une chambre lui est attribuée
dans l’immeuble transformé en centre culturel où se développe l’artisanat local et la musique gwoka.

Plusieurs jeunes y vivent ou encore y passent la majeure partie de leur temps tels Annick
Colonneaux, José Manclière, Philippe Dambury… A Pointe-à-Pitre, les gens lui donnent quelques
pièces. Les jeunes essaient au mieux de le convaincre d’en faire bon usage. Ils lui procurent des
vêtements de sorte qu’il soit propre mais une fois passé une journée dans la ville, le vêtement devient
méconnaissable. Et, lorsqu’à la nuit tombée, énivré par l’alcool, le sommeil l’emporte et qu’il s’endort
dans les rues de Pointe-à-Pitre, les jeunes vont le récupérer pour lui assurer un sommeil décent. Vélo
et ces jeunes donnent des spectacles pour lesquels le centre culturel improvisé sert aussi de salle de
répétition. Sa chambre contient un aménagement très sobre comprenant quelques effets achetés ou
offerts par les amis : une mallette, une caisse, un réchaud, quelques assiettes et couverts et son tanbou.
Cette sobriété rappelle à ceux qui voient en lui l’expression d’un certain ascétisme, un « ashram »1417.
C’est un individu contrasté par la distance entre son art qui lui donne aux yeux de ses admirateurs le
statut du surhomme, et sa condition matérielle d’extrême pauvreté. Dans ce centre, la musique et les
effets personnels sont partagés. Ces amis le soutiennent et lui, leur offre ce qu’il reçoit à l’extérieur du
centre.

L’accompagnement de Vélo dans la maladie semble être traumatisant pour ces jeunes. C’est à
ce propos que les témoignages sont les plus discordants :

- Pour Viviane, Vélo tombe malade chez C.M. et son épouse M. qui le font hospitaliser. Les amis
lui achètent son trousseau (pyjamas, matériel de toilette…), et leurs visites sont régulières.
- Pour Djilys, Vélo tombe malade une 1ère fois, le médecin lui trouve une cirrhose. Les jeunes
comprennent dès lors qu’il est en danger de mort et s’efforcent alors de lui donner une hygiène
de vie l’obligeant à manger plus régulièrement. Mais il continue de rentrer très tard dans la

1413Joël Nankin confirme cette adhésion spontanée (Témoignage de mars 2016, Morne -à-l’Eau).
1414
Tambours joués dans la rue lors des déboulé (défilé rapide) par les mas (masque intégral)
1415
Cette passion pour le tambour est confirmée par Jean-Louis Frecinat dit Djilys, février 2018.
1416
Témoignage de Djilys alias Jean-Louis Frécinat, février 2018, Les Abymes
1417
Témoignage de Luc-Hubert Séjor (qui lui rendait visite en ce lieu), janvier 2016

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

nuit, vers 2 heures/ 3 heures du matin et se réveille seul. Un jour, il garde la chambre, ne répond
pas aux appels. Alerté Michel Halley arrive et défonce la porte et le fait admettre au Centre
Hospitalier.
- Pour Michel, Vélo est retrouvé malade dans sa chambre du centre culturel de Grand camp alors
qu’il veut le prévenir d’un projet musical. Il est très alité. Les odeurs et le gonflement de son
abdomen attestent de la gravité de son état. Il appelle un autre jeune, Harold Grandman. Ils le
nettoient, le changent et le conduisent à l’hôpital. Il y passe trois semaines environ et décède.

2- Des funérailles de type nouveau pour une personnalité


C’est par la couverture audio visuelle de l’évènement que nous pouvons mesurer la portée des
funérailles de Vélo. Elle est le fait des professionnels de la place et des amateurs qui ont anticipé sur
l’intérêt de l’évènement pour l’histoire contemporaine du gwoka. Ces sources audiovisuelles se
complètent de quelques témoignages. Philippe Augusty, musicologue, dans son mémoire, raconte
étape par étape la cérémonie des funérailles depuis le départ du lieu d’exposition du corps jusqu’au
cimetière en passant par la cérémonie religieuse catholique1418

Grâce à ces sources, nous pouvons suivre le programme des funérailles : exposition, véyé, cérémonie
catholique, enterrement. Il ne change guère des rites funéraires habituels. Mais certains prennent un
aspect inédit. L’exposition du corps au public est habituelle mais, sur une place publique, en plein air,
l’expérience est inédite dans l’histoire des rites funéraires en Guadeloupe. Notre témoin privilégié est
celui qui sort de l’anecdote pour privilégier le contexte de ces funérailles1419même si notre analyse
s’appuie aussi sur d’autres témoins.
Le corps de Vélo est exposé en plein air, dans la ville de Pointe-à-Pitre, centre économique de
la Guadeloupe. La personne de Vélo, à l’occasion de son décès, tire profit d’une double centralité :
celle de Pointe-à-Pitre et celle de la Place de la Victoire. C’est une place publique très fréquentée. Elle
est située au centre d’une grande zone d’activités : établissement scolaire, préfecture, marché aux
légumes, marché aux poissons, bistrots, banque, magasins, restaurants… D’après notre témoin, cette
exposition est possible parce que les auditeurs de Radio Guadeloupe, durant les trois semaines
d’hospitalisation de Vélo sont informés de sa maladie. Conformément aux recommandations de
l’équipe médicale, pour une guérison totale, il lui faut une vie plus saine. Un appel est lancé par ses
derniers jeunes amis pour des dons par la voie de l’ensemble des médias de la Guadeloupe. Le public
répond favorablement. Les promesses de dons sont intéressantes. Elles passent de la mise à disposition
d’une maison aménagée jusqu’àux dons alimentaires et vestimentaires.
L’appel présente Vélo comme le « chef du tanbou de la Guadeloupe » en danger de mort. Les
jeunes qui l’entourent profitent du soutien populaire. Car la population est sensibilisée par cet appel
aux besoins et à la qualité du personnage.
Lorsque sa mort intervient le mardi 5 juin 1984 à 15h 40 minutes au Centre Hospitalier de
Pointe-à-Pitre1420. La famille céde ses « droits d’organisation » à ses jeunes amis. C’est d’ailleurs l’un

1418
Philippe Augusty, Musiques en Guadeloupe et l’homme tambour « Ka », 110 pages, Mémoire de Maîtrise, Musicologie, Paris,
septembre 1988.
1419
Il s’agit de Michel Halley, le principal organisateur des funérailles, témoignage, mai 2018.
1420
Acte de décès n°310, Les Abymes

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d’eux, Michel Halley qui effectue les modalités de déclaration du décès à l’Etat-civil. Après
concertation des jeunes amis, la décision d’une exposition publique sur cette Place est prise. Car celle-
ci fut « la salle de spectacle » de Vélo. Leur détermination est concluante face à une proposition
municipale d’exposition au Hall du Bicentenaire de la ville de Pointe-à-Pitre. Cette décision est
soutenue par le public informé par la voix des ondes des difficultés à obtenir ce lieu symbolique pour
le tanbouyé. Cette exposition constitue une nouveauté mobilisatrice.
Le soutien le plus précieux est celui de l’entreprise de Pompes funèbres qui accepte de prendre
en charge la préparation d’un corps à exposer en plein air. Il apporte sa contribution par le modeste
coût de l’opération qui s’élève à environ à 3000 F soit 590,09 €. Et c’est dans la même logique que le
public apporte sa contribution en répondant généreusement à la quête pour la véyé. C’est lui qui fournit
à la générosité les vivres et les boissons. Celle-ci dure toute la nuit avec des gens connus du gwoka et
inédits.
En Guadeloupe, quelque soit la classe sociale d’un défunt, il doit recouver sa dignité par une
tenue vestimentaire correcte. Grâce à la générosité de son entourage, son dernier accoutrement prend
le contrepied de sa condition de pauvre : pantalon de couleur sombre, chemise blanche à manches
longues, cheveux tirés en arrière. Son décès l’embourgeoise. Cette exposition du corps du tanbouyé le
mercredi 6 juin 1984 sur la Place de la Victoire est donc un symbole et un coup de force soutenu par
le public. Les organisateurs le reconnaissent que le contexte y est favorable C’est le temps d’un
engouement général pour le tanbou. C’est ce que Michel Halley appelle un « mouvman tanbou » en
Guadeloupe. La mobilisation générale autour des funérailles de Vélo participe de ce mouvement. La
grandeur du tanbouyé participe à la réhabilitation de Vélo en tant qu’homme qui a connu la pauvreté
de son vivant. La foule qui l’entoure lui redonne sa dignité. Face à cette mort, l’unité se construit pour
un rattrapage collectif. Un tel expert n’a pu être abandonné.
Par ces funérailles, Vélo est porté en triomphe. Plusieurs formes du gwoka fusionnent en un même
évènement.
C’est d’abord la véyé composée de plusieurs espaces de musique de type léwòz et de type véyé. Vient
ensuite le cortège funèbre en musique. C’est une habitude en Guadeloupe mais avec les titres de la
musique philarmonique habituelle. Les titres sont étrangers. Cette fois, deux orchestres différents
forment le cortège des musiciens. L’un d’eux est constitué de soufflants jouant des titres gwoka. Le
fait est aussi inédit. Ces musiciens sont des adeptes du gwoka modèn1421. L’autre groupe est la musique
du déboulé par le groupe Akiyo, dernier ensemble musical de Vélo. Emporté par le son, la foule
chantant et dansant fait vivre à Vélo son dernier déboulé. Le reste du cortège comprend des gens bien
connus du gwoka et des inédits. S’y distinguent aussi des membres de troupes folkloriques en costume
créole. Ils forment la haie d’honneur à l’entrée du cortège dans l’enceinte de l’église. Par ailleurs, la
présence des nationalistes est remarquée. Radyo Tanbou met l’animateur Jean-Claude Malo dit Tino
Marik sur l’évènement retransmis en direct.
La cérémonie catholique a lieu le jeudi 7 juin 1984 dans l’après-midi. Elle rend compte de
l’embourgeoisement de Vélo à son décès. En Guadeloupe, ce sont les nantis qui déplacent plusieurs
curés pour leur cérémonie d’obsèques. Les organisateurs sollicitent délibérément Chérubin Céleste.
Ce curé se démarque. Au sein de la paroisse de Castel Lamentin, il traduit en créole guadeloupéen
certains textes de la liturgie et chante la gloire de Jésus-Christ avec des chansons créées à cet effet dans
le mode d’interpétation du gwoka. Mais en définitive, Vélo en a trois, Chérubin Céleste, Serge Plocoste

1421
Quelques soufflants des ensembles musicaux de type gwo-ka : Olivier Vamur, Alza Bordin, Georges Troupé,

427
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

et Albert Blanchard. Ce sont trois curés avant gardistes qui introduisent le créole guadeloupéen dans
la liturgie et qui participent à la réflexion sur l’avenir de la Guadeloupe en tant que DOM1422. Ils sont
proches des organisations nationalistes. En Guadeloupe, la dignité du défunt passe aussi par la
cérémonie catholique : Ne pas enterrer le défunt comme on enterre un chien signifie que la cérémonie
catholique est une phase obligée du rituel funéraire. La cérémonie des funérailles est l’occasion de
chanter des titres propres au gwoka. C’est à la tribune que se tient un des chantè présent, Eric Cosaque
pour interpréter un titre du Cercle Culturel Ansois interprété par Valcourt Gêne que Vélo a accompagné
au tanbou :
Répondè : Grajè grajé manniòk
Chantè : Grajè nouvo rivé
Répondè : Grajè grajé manniòk
La foule qui conduit Vélo à sa dernière demeure, entonne au cimétière de Pointe-à-Pitre des chansons
accompagnées de battements de mains comme pour offrir à Vélo son dernier kout-tanbou en guise de
dernière cérémonie. Les rites funéraires, s’enrichissent de cette nouvelle forme de manifestation. Ce
n’est pas la première fois que le tanbou accompagne un défunt à sa dernière demeure dans cette forme.
Mais, cette fois, c’est une foule immense qui en est imprégnée et qui adhère à ce sacre. De telles
funérailles ne peuvent que construire une mémoire qui installe le sacre du tanbouyé.

1422
Revue Eglise de Guadeloupe, Quel avenir pour les DOM ? Archives départementales, PG 84, 259-280, Année 1979.

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Figure 59: Les dernières photos de Marcel Lollia : concert, funérailles, 1979-1984

Marcel Lollia dit Vélo (1931-1994) : La reconnaissance populaire

Salut final, concert « Twa jou pou gwoka », 6 ,7 et 8 Vélo à la morgue, 5 juin 1984, collection Louis
septembre 1979, collection Christian Dahomay Colomb

Autour de Vélo exposé de tout son long sur la table


réfrigérante avant la mise en bière, son corps vêtu
d’une chemise blanche et d’un pantalon noir. Il est
entouré de ses derniers protecteurs. De droite à
gauche on distingue : un inconnu, Christian Mathurin,
Michel Halley, Monique Ronauld, Yves Thole,
Claude dit Pipo Sinaur, 2 femmes membres de la
famille de Vélo, l’infirmière de la morgue.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Exposition du défunt en plein air, Place de la A l’église, des soufflants dans l’assemblée, 7 juin 1984, collection Nouvier.
Victoire, Pointe-à-Pitre, 5 juin 1984, collection
Jack Cilirie.

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Entrée du cortège à l’église, 6 juin 1984, collection Jack Cérémonie catholique, 6 juin 1984, collection Jack Cilirie
Cilirie

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Figure 60 : Page du journal Guadeloupe 2000, Juin 1984.

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3- Une mémoire de portée sacralisante

Cette mémoire est d’abord le fait de la presse qui ne reste indifférente à la cérémonie des
funérailles de Vélo. Elle apprécie l’évènement à la faveur de sa ligne éditoriale. Mais tous les médias
se rejoignent dans l’intérêt qu’il porte au défunt davantage qu’aux rites qui l’accompagnent. La presse
des faits divers met en évidence le caractère ambivalent du personnage : un maître-musicien mort dans
la misère qui rejoint les musiciens de la Guadeloupe et du monde décédés dans l’addiction. Le journal
suscite la pitié du lecteur. Il rapproche Vélo de la chanteuse guadeloupéenne Manuela Pioche (1932-
1970) décédée dans l’addiction à l’alcool. Il le place au même rang que le saxophoniste américain
Charlie Parker (1920-1955) souffrant d’addiction à l’héroïne et à l’alcool. Dans le même temps, il est
hissé au rang de « roi », suscitant l’admiration du lecteur et rappelant implicitement son succès.
La presse nationaliste insiste sur la capacité mobilisatrice du personnage. Se rassembler autour
de Vélo c’est converger vers un repère collectif, hors du commun. La reconnaissance de ce repère
humain, proprement guadeloupéen est une condition de l’émancipation culturelle et politique. C’est à
ce titre que le journal Indépendans lui consacre des articles dans plusieurs numéros entre le décès en
juin 1984 et la commémoration de son 1er anniversaire en juin 1985. Le samedi suivant le décès, le
quotidien lui consacre sa page de couverture comme un repère commun :

« La mort de Vélo, Sa ki ta-w sé ta-w


Nou ka tiré ta yo, nou ka pran tan-nou, nou ka libéré-nou1423.

Cette dernière citation est en fait le slogan de la radio nationaliste, pendant radioffusé du
quotidien Radyo tanbou. Elle montre que la mort de Vélo est un support de la « nation
guadeloupéenne ». Vélo est l’homme du consensus, celui par lequel la prise de conscience de
l’appartenance à un peuple se construit :
« En rendant hommage unanime et grandiose à VÉLO, notre peuple a montré qu’il peut se retrouver et
qu’il sait reconnaître ce qui lui appartient !... Aujourd’hui, ce sont les masses populaires elles-mêmes qui
se sont exprimées : Vélo le « vyé nèg » symbole de notre art musical traditionnel, n’est à personne d’autre
qu’à nous. Vélo sé nou ! 1424»
Mais si la presse en général présente la mort de Vélo comme un moment de gloire pour le
personnage, un journal est en marge du propos. Il s’agit de Guadeloupe 2000. Ce journal est à l’opposé
de « Lendépendans » car défend le maintien de la Guadeloupe dans la France. Le journal revient plutôt
sur son passé de musicien. Pour l’article signé du directeur du journal Edouard Boulogne, Vélo fût un
musicien talentueux porté sur scène et soutenu par Aimé Adeline jusqu’à la mort de cette dernière.
C’est à l’issue de la disparition de celle-ci que l’homme, démuni et solitaire, sombre dans la déchéance.
Il va à l’encontre des autres journaux. Ceux-là font de la présence massive du public à la véyé et aux
obsèques l’expression de la popularité et de la grandeur du personnage. Lui, attribue cette forte
présence à la curiosité, à l’amour de la fête et de la consommation du rhum gratuitement offert pour
l’occasion. Il compare la cérémonie des funérailles à l’église St Pierre et Paul de Pointe-à-Pitre à un
« meeting politique indépendantiste » soutenu par un curé mettant en danger l’Eglise catholique.

1423
La mort de Vélo, Ce qui est à toi est à toi. Nous enlevons le leur, nous prenons le nôtre, nous nous libérons.
1424
Journal Lendépandans, 5 jen 85, Nou sonjé Vélo

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Et, pour être sûr d’interpeller les chrétiens à ce propos, il diffuse son point de vue au moyen
d’un tract distribué à la sortie de la messe1425. Entre les deux journaux rivaux Lendépendans et
Guadeloupe 2000 d’un point de vue idéologique, s’ouvre dès lors une guerre des mots et des idées1426.
Chacun d’eux prétend protéger Vélo, à sa manière comme figure majeure du gwoka. Les articles des
uns et des autres malgré eux construisent les premiers pas de Vélo vers une existence mémorielle.

Mais, ce sont les associations culturelles qui construisent sa mémoire en toute conscience. Le
8 juin 1985, un léwòz est organisé par l’association Mouvement Kiltirel Akiyo pour le 1èr anniversaire
de la mort de Vélo1427. Cette commémoration interfère avec la tension entre le préfet Philippe Hugodot
de la Guadeloupe et l’association à propos d’un costume de déboulé jugée subversif et provocateur par
le préfet1428. Car, le conseil d’administration porte l’affaire sur la voie publique par le biais des
médias1429. Le déboulé suivant l’incident, prend de l’ampleur, par le nombre de participants. De ce
fait, la commération de 1985, inaugure le premier acte mémoriel pour une figure du gwoka en
Guadeloupe. Les deux évènements renforcent la popularité de l’association, de Vélo et renforce
l’intégration sociale du gwoka.

En réalité la construction de la mémoire de Vélo par cette association débute par des actes
discrets. C’est d’abord l’entretien de sa tombe par les membres du groupe. Un rituel public est mis en
place pour la commémoration dès l’année suivant le décès. Elle comprend un léwòz mais aussi un autre
type de manifestation inédite. Nouveau par son contenu, elle constitue une nouvelle forme
d’expression pour le gwoka :
Le Mouvement Kiltirel Akiyo convie ses membres à la cérémonie de commémoration. Elle se déroule
le samedi ou le dimanche suivant la date anniversaire de Vélo. En fin d’après-midi, le cortège, ouvert
par une gerbe, se rend au cimetière de Pointe-à-Pitre accompagné de la musique et de la marche
rythmée du déboulé. Les chansons varient du local de l’association au cimetière. Toutefois, certains
titres reviennent. Elles ont marqué la vie artistique de Vélo soit parce qu’il en a été le tanbouyé pour la
réalisation de l’album qui portent les titres, soit parce qu’il manifestait une préférence pour ce titre.
Arrivé devant le cimetière, les tanbou sont mis en veille, remplacés par des battements de mains qui
accompagnent le chant interprété en ritournelle par le cortège lors des funérailles, comme pour dissiper
toute tentative d’oubli du personnage :
« Woy oti Vélo !»
La musique au tanbou reprend. Arrivé sur la tombe, la cérémonie comprend le dépôt de la
gerbe et des prises de paroles. Un titre est entonné devant la tombe et se poursuit en déboulé jusqu’au
retour au local de l’association. Progressivement, d’autres groupes du même type sont appelés à
rejoindre l’association organisatrice. Cette pratique, s’affranchit des croyances parce qu’en

1425
Cette distribution a été signalée par le directeur de Guadeloupe 2000 dans son article.
1426
Journal Lendépendans, Tanbou toujou opozé-yo dòmi, n°19, 16 juin 1984
1427
Journal Lendépendans n°70, 8 juin 1985.
1428
Il s’agit d’une tenue faite de short, chemise kaki et de casque blanc présentée comme suit au commissaire de Police de Pointe-à-
Pitre, chef du secteur des renseignements généraux par le préfet Hugodot : « au cours du défilé du carnaval, un groupe le Aki Yo s’est
permis de faire le tour de la ville déguisé en gendarmes avec des pancartes couvertes de sang ... un tel accoutrement qui insulte l’armée
est passible des tribunaux… » Lettre publiée dans le journal Lendépendans n°54, 16 février 1954.
1429
Le conseil d’administration signataire de la lettre au préfet est composé de Michel Halley, Président/ Fred Julianus, vice-président/
Fred Nadir, trésorier/ Claude Cinaur, trésorier-adjoint/ Eric Nabajoth, secrétaire/ Rudy Benjamin, secrétaire-adjoint / Les membres
Gaston Jean-François, Viviane Dagonia, Eddy Gracchus, Henry Angèle, Alain Bomba. La lettre est publiée dans le Journal
Lendépendans n° 54, 16 février 1985.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Guadeloupe, la visite des morts au cimetière est soumise à des circonstances précises. Et,
progressivement, d’une tombe placée à même le sol, la préparation du rituel annuel donne naissance à
une tombe rehaussée d’un cadre en parpaings embelli d’un carrelage.
Le sens de cette nouvelle cérémonie est expliqué par le président de l’association à la date de
la 1 commémoration1430. Il l’explique par le fait qu’il existe en Guadeloupe une recherche du
ère

mystique, de communion avec les esprits pour apaiser ces derniers qui ont été tourmentés par
l’esclavage et aider les descendants à construire leur paix intérieure. Mais s’il faut passer à la violence,
nul n’hésite à le faire. La matraque d’Akiyo sur la banderole du déboulé au cours du Carnaval et pour
la commémoration est le symbole de cette violence possible. C’est cela « Lèspri Akiyo ». C’est lui qui
guide la commémoration de la mort d’un homme démuni matériellement mais riche de talents. Le
Mouvement Kiltirel Akiyo signifie le détachement des choses matérielles pour l’action révolutionnaire
en faveur de son péyi ou pour un autre but. Détaché de la chose matérielle, on peut agir. Il n’y aucun
mouvement semblable au Mouvement Kiltirel Akiyo dans le monde. La Guadeloupe peut être un
exemple pour le monde. Car les Guadeloupéens ont au fond d’eux ce tambour africain qui resurgit en
lui, fils de médecin ; en l’alcoolique, en l’homosexuel. Il faut honorer ceux qui ont reçu cet « appel du
tanbou ».
La mort de Vélo est suivie de celles de plusieurs autres acteurs du gwoka : Christen Aigle en 1986,
Germain Calixte Gaston dit Chaben en 1987, Robert Loyson en 1989, Sergius Geoffroy en 1992. Mais,
en dépit de ces décès, la construction de la mémoire de Vélo se poursuit et les hommages qui lui sont
rendus l’élèvent au dessus des autres figures du gwoka. Les initiatives sont individuelles ou
collectives. Ainsi, deux ans après sa disparition, en 1986, un atelier porte son nom à Valette Ste Anne.
Il s’agit d’un atelier de musique crée par le trompettiste Georges Troupé, à son domicile, dans un
espace réservé à cet effet. Les enfants et adultes qui y prennent part apprennent les structures
rythmiques et l’écriture de la musique à partir du gwoka.

Et, progressivement, la commémoration par le Mouvement Kiltirel Akiyo s’enrichit de


nouvelles actions. En 1990, elle s’étend sur 3 jours les 5, 7 et 8 juin. La marche au tanbou vers le
cimetière est maintenu mais cette fois, il se produit à la date anniversaire du décès eu égard au jour.
Cette fois aussi, il a lieu en soirée, à 18 heures. Les manifestations nouvelles sont artistiques et
intellectuelles. En effet, parmi les attendus, on compte le « son populaire1431 » et des prestations
artistiques de différents groupes de gwoka aux formes variées. A ces festivités se joignent un débat
autour d’une thématique culturelle auxquels des représentants d’association, des services culturels des
collectivités, d’écrivains…prennent part. C’est la preuve que la mémoire de Vélo touche un large
public et mobilise d’autres acteurs.
Par ailleurs, avec une autre association, un autre projet murit. Il s’agit d’organiser « le mémorial
des maître-ka » au mois de juin 19911432. Vélo ne sera pas le seul honoré. Toutefois, l’œuvre qui doit
être exécutée par 50 acteurs pour clotûrer le programme de ce mémorial, s’adresse à lui en particulier
en référence au nombre de décennies de sa durée de vie1433.

1430
Témoignage Michel Halley, Les Abymes, mars 2018.
1431 Ce terme désigne dans le programme un moment de partage en musique aux tambours
1432
Magazine Ozone, Un oscar pour les maîtres-ka, n° 21, mai-juin 1991, page 2. Ce magazine est la publication de la mission des
Affaires culturelles sportives et du patrimoine du Conseil Général de la Guadeloupe. Le projet est porté par David Alex Angerville
avec le concours de l’association Vendredi Pichon.
1433
Le mémorial des maîtres-ka a eu lieu en 1992. Ceux qui ont été reconnus comme maître-ka en activité ont reçu leur oscar en 1992
à Basse-Terre. L’œuvre par 50 acteurs n’a pas été réalisée.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mais la mémoire de Vélo investit aussi un autre champ avec de jeunes élèves de l’atelier Marcel
Lollia, au sein de l’orchestre Kimbòl de type « gwoka moderne » par l’édition d’un titre à sa mémoire.
C’est la création de deux musiciens adolescents de l’orchestre Sonny Troupé, compositeur et Lucien
Troupé, auteur. Il est publiquement interprété lors du concert live de l’orchestre1434. La chanson est
une « prière 1435» adressée à Vélo. Ce champ religieux participe encore à la sacralisation du tanbouyé :
« Ola-y pasé
Pon moun pa savé
Nou ka chèché-y
Vélo té ka pòté mésaj
Pou moun ki té an léwòz-la1436 »

Le clergé ne reste pas en dehors de la construction de cette mémoire. En 1991, l’aumônier affecté au
lycée professionnel de Blanchet Gourbeyre communique les résultats de ses recherches sur la
philosophie et la spiritualité du « ka » autrement dit le tanbou du gwoka1437. Ces résultats sont
présentés sous la forme de tableaux réunis en ce qu’il appelle un mini-musée « Ka ». Il s’agit en réalité
d’un musée ambulant qui accompagne ses conférences d’aumônier. Parmi les tableaux, le portrait de
Vélo en position de jeu, est commenté de la mention : « Rèspé » suivie de la durée de vie du tanbouyé.
L’aumônier n’en dit pas plus.
Plus tard, un chantè du gwoka, Luc-Hubert Séjor adresse un album discographique de type
disque compact à la mémoire de Marcel Lollia1438. L’album comprend des titres de louanges :

« Vèlèkètè map rélé », Nèg ki na Giné, Titre 3


« Kiriyé, Kristé », Cri vers ciel, Titres 4 et 6
« Sanktifiyé son a non-a-w », Tou jan i sonné, Titre 9

Un des titres est une prière inventée par l’auteur. Elle s’intitule « La foule ». Composée du
nom des sept « schémas rythmiques » les plus connus du léwòz1439 auquel l’auteur a ajouté le préfixe
Ka, cette prière obéit au principe du mantra que l’auteur a pratiqué dans les temples hindous au cours
de son séjour à Paris entre 1968 et 1980. Ce titre, davantage récité que chanté est aussi désigné par
Litani -a-Ka. Cette prière est celle du nègre marron évoquant le nom des forces invisibles pour se
libérer des contraintes de l’esclavage.
Ka-toumblack, ka-léwòz, ka-menndé, Kaladja, Ka-graj, Ka-Gwadjanbèl, Ka-woulé.

Sans le nommer, l’album est en réalité une dédicace à Vélo parce que l’auteur-compositeur le
reconnaît comme son « maître spirituel ». De ce fait, il convient de s’attarder sur l’illustration de
l’album car, s’inscrit dans le prolongement du premier1440. Cette illustration figure à la première page
du livret qui accompagne le compact disque. Cette fois, la commande est passée auprès de la

1434
Album Kimbòl « Live » au Centre des Arts, 1992.
1435
C’est le terme employé dans le commentaire de l’album.
1436
Album Kimbòl, Live, 1992. Traduction Où est-il ? Personne ne le sait. Nous sommes à sa recherche. Vélo apportait le message
aux gens qui participaient au léwòz.
1437
Journal France-Antilles, Le mini-musée « Ka » du Père Colbac, 22 octobre 1991, page 3.
1438
Album Luc-Hubert Séjor, Du premier voyage au retour a Ka, Vendredi Pichon, 1993.
1439
Désigne l’assemblée nocturne en musiques, chansons et danses aux tanbou.
1440
Il s’agit de l’album Spiritual Sound Mizik Filamonik …, 1980

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

plasticienne d’origine guadeloupéenne, Michelle Chomereau-Lamotte. L’auteur de l’album montre la


continuité entre la représentation de Vélo sur son 1er album en 1980 et le présent album de 1993 :
« Au moment où j’ai fait le premier disque, j’étais dans une démarche. Je suis resté longtemps à chercher ce que
nous appelons un maître. J’ai rencontré un premier maître appelé Bhaktivedanta Swami Prabhupada.
Je suis rentrée dans sa philosophie. Cet homme-là est originaire de l’Inde. Et je me suis demandé si dans mon
pays même il n’y avait pas un maître… D’après ce que j’ai appris avec lui. C’était un avatar c’est-à-dire une
manifestation de Dieu à un moment donné sur terre. C’est quelqu’un qui enseigne par l’exemple et pratique le
non- attachement aux choses matérielles. Chaque pays a son avatar. Par rapport aux grands moments que j’ai
passés avec Vélo à partir de 1976 au cours de mes vacances en Guadeloupe, je me suis dit que si nous avons un
maître tanbouyé ici, c’est Vélo. Je possédais une de ses photos jouant sur le boulevard, j’ai décidé de faire de cet
homme l’illustration de mon album. J’ai demandé à Jocelyne Beroard de le représenter seul dans le magma. Il est
dans le brouillard et il reçoit le soleil que l’on voit (sur la peinture), dans son esprit. Le disque est sorti en 1979 et
je suis rentré en Guadeloupe en 1980 avec cet album à la main. J’ai appelé cet album Spiritual Sound Mizik
Filamonik parce que je pense que le gwoka est notre musique sacrée. Tout peuple possède sa musique sacrée.
C’est notre musique classique qui veut dire la base de notre musique. Vélo apparaît sur l’album comme la
manifestation rythmique du créateur. Il arrive à un moment où nous sommes dans l’égarement. Il nous montre le
chemin. Vélo nous répétait : » La seule chose que je peux vous dire, c’est de jouer votre tambour ». Là il est dans
un brouillard parce que nous sommes dans une barbe (un tourment), spirituellement, nous sommes dans
l’égarement. Le soleil représente la lumière qu’il reçoit pour éclairer notre chemin. Pour ce qui concerne des
couleurs, je ne peux pas me permettre de les interpréter. C’est le choix de la plasticienne.
La 2è illustration est la suite logique de la 1ère. Constatez bien que Vélo était seul dans le magma. Maintenant, il
est monté très haut. On voit le même rayon de soleil derrière lui et il est assis derrière le même tambour. On voit
qu’il y a une ligne de tanbouyé qui montent vers lui. Il n’y a pas de maître sans disciples. Cette fois, c’est Michelle
Chomereau-Lamotte la plasticienne. Ils montent tous leur tambour au dos, sur la tête etc… Ils suivent la trace du
maître. Ceux qui observent représentent « La Foule » s’interrogeant sur ce qu’il conviendrait de faire :
Ka nou ka fè1441 ?
« La Foule » désigne tous ceux qui savent qu’il leur manque quelque chose. Ils ont dans l’égarement. Ils prennent
une décision pour savoir s’ils restent attachés, la corde courte, là où ils sont ou alors s’ils prennent la décision de
se libérer l’esprit. Ceux que l’on voit monter se sont déjà décidés et la Foule est encore dans le questionnement.
Ils ont un regard interrogateur qui leur marque la face. Au sein de la Foule, la démarche de libération est inégale.
Un livret accompagne cet album. Il s’intitule Kakikatéchisaka ? Vélo est venu raviver la mémoire de son peuple
qui est démouné, dékadansé, dékatéchisé 1442»

Vélo inspire à Luc Hubert Séjor, la création d’un ensemble musical au nom révélateur, Vwa
Pou Loué Ka qui pourrait se traduire par « Des voix pour louer le Ka ». Ses spectacles consistent en
des prestations de type nouveau avec un répertoire comprenant en priorité des re-compositions du titre
principal, « La Foule ». L’ensemble musical présente aussi une prestation mobile désignée par
Chimenn-Ka1443. Il s’agit d’une procession aux tanbou inspirée du Chemin de croix, rite du
catholicisme et comprenant des chants, des arrêts et prises de paroles devant 7 stations définies en
référence aux principaux « schémas rythmiques » du léwòz.
Des associations qui oeuvrent à la mémoire des acteurs du gwoka disparus ou à celles de
l’esclavage accusent bonne réception de la ligne artistique choisie par le groupe Vwa Pou Loué Ka. Il
est sollicité notamment par le GRACAM (Groupe de Réflexon et d’Accompagnement du Centre
d’Animation Musicale Marcel Lollia) à l’initiative de l’association Vendredi Pichon. Le 21 août 1993,
le GRACAM et Vendredi Pichon passent commande de prestations au groupe Vwa Pou Loué Ka pour

1441
Tradution française : Que faisons-nous ?
1442
Interview du 21 janvier 2020, Douville Ste Anne. Interview en créole Guadeloupéen retranscrit en français.
1443
Traduction possible : Chemin de Ka

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

la présentation de deux sculptures grandeur nature de Vélo et de Robert Loyson, à la Mairie de Ste
Rose 1444.
Et, parfois la mémoire des acteurs du gwoka et celle des travailleurs esclaves fusionnent dans
une même manifestation. C’est ainsi qu’un Chimenn-ka organisé de concert avec le Comité 94 et le
groupe Voukoum1445 parcourt les rues de Basse-Terre, la nuit du 4 février 19941446. De même, le 28
mai 1994, à la demande du Comité 94, le groupe propose un Chimenn-ka pour l’inauguration du
« Monument de la Flamme éternelle à l’esclave inconnu » dans la commune de Petit-Canal. Ce
monument a pour but de raviver le souvenir de la première abolition de l’esclavage en Guadeloupe. Il
représente un tanbou en forme de djembé-ka pour à la fois rappeler les racines africaines du gwoka et
le dernier tanbou de Vélo. Pendant ce temps, la commémoration des 10 ans de la mort de Vélo se
prépare. Les festivités ont lieu quelques jours plus tard, le week-end des 11 et 12 juin 1994 sur la Place
de la Victoire, là où il a joué de son vivant et là où il fut exposé. L’idée d’une stèle en sa mémoire à
cet endroit commence à germer. Désormais, il est à la fois pour les acteurs du gwoka dans une position
d’élévation et d’intériorité. Les commémorations annuelles se poursuivent et, en 2004 une statue le
représentant en posion de jeu est érigé à Pointe-à-Pitre comme une nouvelle matérialisation encore
plus marquée de sa sacralité. Il demeure ainsi le défunt le plus vivant du gwoka et de la Guadeloupe.

1444
Magazine Ozone, Vélo, Loyson… et les autres, novembre-décembre 1993/ France-Antilles, Autour du Ka, 20 août 1993.
1445
Groupe mas de type déboulé
1446
Journal France-Antilles, Abolition de l’esclavage : Basse-Terre s’est souvenu, 8 février 1994, page 8

439
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 61 : Illustrations dédiées de Marcel Lollia dit Vélo, 1993 (pochettes albums)

Pochette 1 : Luc-Hubert Séjor, Spiritual Sound, 1er album, 1980

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pochette 2 : Illustration album Lukuber Séjor, Du premier voyage au retour à Ka, 1993. Peinture
Michelle Chomereau-Lamotte.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Conclusion de la partie 3

Sur une vingtaine d’années, de 1970 à 1994, de nouveaux acteurs s’introduisent au sein de la
communauté gwoka. Les « anciens » acteurs demeurent en activité en dehors de quelques départs et
retraits volontaires ou relatifs. Ces nouveaux arrivants appartiennent à deux groupes différents. Ceux
qui sont nés entre les années 1950 et 1980 et qui se sentent suffisamment prêts pour la pratique. L’autre
groupe est composé de ceux qui auraient pu faire partie des anciens. Mais, avant ces années ces derniers
n’avaient aucune raison de prendre part à cette pratique. En dépit de leur âge, les années 1970 sont
celles de leur entrée voire de leur découverte du gwoka.
Il a fallu en effet un contexte de crispation de relations avec la France, de mutations
économiques et culturelles déstabilisantes, d’interrogations sur les identités pour que se déclenche la
volonté affichée de sauvegarder le gwoka. Les femmes y prennent une part active. Toutefois, en dépit
de leur apport novateur, elles ne sont pas exemptes des discriminations. Celles-ci interrogent la
permanence des schémas coloniaux dans les relations qui animent cette communauté élargie.
Mais si cette volonté de sauvegarde profite du contexte, l’appel de deux musiciens en est
l’accélérateur. Cet appel prend la forme d’une chanson popularisée par la radiodiffusion et une
innovation théorisée, pratiquée et adaptée. Le ton pédagogique de cet appel assure sa bonne réception.
C’est ainsi qu’en Guadeloupe prend naissance, au sein de la communauté gwoka, l’acteur civique d’un
mouvement de sauvegarde du gwoka.
Cet acteur ou cette actrice civique a le choix entre deux axes du mouvement, celui du patrimoine
culturel et celui du nationalisme culturel. Ce mouvement porte son message de sauvegarde sur la voie
publique au moyen de textes rédigés, récités, lus, chantés, publiés d’une part et d’autre part par des
images et par du son. Ce mouvement est pressenti par Robert Loyson dès 1966, déclenché par Casimir
Létang en 1969-70 et Gérard Lockel en 1969. Des réponses diverses et multiples sont apportées sur
le territoire de la Guadeloupe, en France hexagonale et en Europe. Le civisme de cet acteur ne se limite
pas à la Guadeloupe intra-muros mais devient transterritoriale par les migrations préférentielles des
Guadeloupéens. Lui, acteur civique ou elle, actrice civique, pratique désormais le gwoka
principalement pour apporter sa propre contribution à cette sauvegarde qu’il considère comme un
devoir.
Mais cet acteur contrairement à la période précédente ne répond pas à un profil général déterminé par
une condition. Il agit en tant qu’individu ou au sein d’un groupe, association, ensemble musical, école
de danses ou de musique. Cet acteur civique est pluriel. Il renvoie à des personnes de tous âges, de
toute condition, de tout sexe. La communauté à laquelle il appartient n’est plus circonscrite à
« l’enclos ». Cette communauté répond davantage à un lyannaj. Le terme est employé dans le créole
guadeloupéen pour désigner un ensemble de personnes liés par une même cause à laquelle il apporte
ses compétences. Sur la période des années 1970, les acteurs qui s’impliquent dans le gwoka, par leurs
compétences élargissent les rôles au sein de cette pratique. Désormais il se joue, se danse, se chante,
se récite, se discute, se peint, se dessine… Le lyannaj qui prend en charge le gwoka se retrouve autour
du tanbouyé Vélo de ses funérailles en 1984. Au cours des 10 premières années de la construction de
sa mémoire, la sacralisation du tanbouyé s’installe.

442
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Figure 62 : Chronologie de l’action de décolonisation culturelle du gwoka

1931 1969 1994


Reconnaissance
Conscientisation
Réinvention
Patrimonialisation
Processus de Ritualisation
Formation / Éducation
décolonisation Sacralisation
Diffusion
Célébration
Sacralisation
Ostention/Ostentation

Pratique civique aux


Effet sur le Gwoka Pratique profano-sacrée
tambours

« Acteurs culturels de
Communauté des « Zanfan-
décolonisation » du Lyannaj
lanklo »
Gwoka

Limite de l’action
Discrimination de la femme
culturelle de Discrimination des femmes
tanbouyé
décolonisation

443
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Conclusion générale

Notre thèse relève de la recherche-action. En effet, c’est en tant que familière et praticienne du
gwoka que notre quête personnelle émerge puis, dans le cadre de la présente étude se transforme en
hypothèse :
Le gwoka n’est pas un amusement pour ses acteurs.
Il a fallu remonter au passé lointain des pratiques culturelles aux tambours pour montrer
l’évolution des enjeux et des positionnements des acteurs. Dans les villages de l’Afrique précoloniale,
elles sont ouvertes car en usage par le pouvoir et par la société. Une fois les captifs arrivés en terre de
Guadeloupe, ils découvrent l’anormalité de leurs pratiques désormais réglementées, parfois interdites
et noyées dans le système de la plantation qui n’est pas conçu pour elles. Transcendant les images de
légèreté, de sédition, de maléfice qui leur sont attribuées en particulier par les missionnaires
catholiques, les travailleurs esclaves poursuivent ces pratiques aux tambours en les intégrant au
calendrier chrétien reconsidéré pour cet usage. Le système esclavagiste fait ainsi des acteurs des
manifestations aux tambours, dans le système de la plantation, des résistants.

Inscrites dans un même genre musical tambouriné chanté et dansé, les formes du gwoka en usage sont
multiples. L’étude montre que celles-ci sont poreuses. Car les acteurs du gwoka passent d’une forme
à une autre ou encore créent des interférences musicales, littéraires ou sonores. Du point de vue des
rôles, des acteurs demeurent fidèles à un rôle contrairement à d’autres qui changent de rôle en fonction
des formes.

Nous rappelons que cette période correspond, au plan social et culturel, à la vie et à la construction de
la mémoire du tanbouyé le plus célèbre de la Guadeloupe. Au plan politique, elle est celle des
interrogations sur la sortie de la colonisation. Mais, progressivement, sur la durée de ces 60 années
retenues, certaines formes du gwoka comme le léwòz, la véyé et plus tard la forme mas du Carnaval,
gagnent de nouveaux espaces de restitution comme le disque ou le spectacle. Ils n’en éliminent pas
pour autant, les formes vivantes. Les acteurs du gwoka sont, de la sorte, nombreux, chacun trouvant
au sein de cette palette de formes, l’une ou plusieurs qui conviennent à leurs préférences. Ceux que
nous avons répertoriés sont les représentants de l’ensemble des pratiquants de la période,
contemporains du tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo (1931-1984). Ils se retrouvent dans une pratique
commune mais cette pratique ne leur dessine point un portrait uniforme pour autant. L’âge, le sexe, la
tranche d’âge, le ou les rôles principaux, la polyvalence créent cette diversité. Pour notre période, le
niveau de scolarité et la profession renforcent aussi cette diversité.

444
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

La question de la décolonisation culturelle constitue la charpente de notre étude, étayée par des
auteurs de la pensée décoloniale comme Dany-Bebel Gisler, Françoise Vergès ou Achille Mbembé…
Elle devient l’opérateur par lequel nous analysons l’œuvre des acteurs du gwoka en tant « qu’acteur
culturel de décolonisation ». Ces Afro-guadeloupéens procèdent à la correction d’images malveillantes
à l’encontre du gwoka et par extension à l’encontre de leur personne car ce sont eux qui la font vivre.
Leur œuvre de déconstruction se décline en deux temps forts de la durée observée :

La première, sur 3 décennies, de 1931 à 1969, montre des acteurs centraux, majoritaires, car
les acteurs périphériques se réduisent aux entrepreneurs culturels, à savoir les directeurs de maisons
de production et la quasi-totalité des directeurs de troupes de spectacles. Ces acteurs centraux
appartiennent à une communauté dont le nom même indique leur profil social et culturel. Ce sont des
« zanfan-lanklo », comme les nomme la lexie populaire, autrement dit les enfants d’un « enclos »,
espace circonscrit « traditionnel » de la misère, de l'entraide et des relations flexibles. Cette
communauté s’adonne à une pratique profano-sacrée. Ils perpétuent cette pratique héritée des
travailleurs esclaves mais encore décriée comme une passion de vyé-nèg c’est-à-dire d’associaux, en
en faisant une ressource pour la communauté. Cette ressource nourrit l’entraide et leur donne une forte
espérance dans la valeur majeure, celle de la Vie, à laquelle s’accrochent tous ceux que le sort
marginalise. C’est ainsi que ces hommes et ces femmes qui pratiquent le gwoka, dans un tel cadre, sont
davantage dans une démarche de résilience que de résistance.
Une 2è période est marquée par la création d’autres rôles avec de nouveaux acteurs
périphériques. Si ce type d’acteurs, pour la première période, se limite aux producteurs de disques et
directeurs artistiques de troupes de danse, sur cette 2è période qui s’étend sur deux décennies de 1970
à 1994, ils sont plus nombreux. La communauté du gwoka est plus éclectique. De ses frontières limitées
à des personnes de même condition sociale, elle s’ouvre et donne naissance à une autre communauté,
plus ouverte dans tous les sens du terme ; un lyannaj. D’une pratique exclusive aux afro-
guadeloupéens, le lyannaj ouvre le gwoka à des Guadeloupéens de toute origine même si les Noirs
dominent. Parmi eux, des personnes qui jusque-là ignoraient le gwoka. Mais l’appel à la sauvegarde
du gwoka est mobilisateur. Alors, des acteurs anciens et les nouveaux arrivants se rencontrent par la
pratique vivante ou restituée. Chacun apporte sa contribution personnelle à cette sauvegarde. Le
gwoka acquiert ainsi de nouveaux langages, celui de l’éducation, des arts plastiques, de l’écriture, du
théâtre, du débat, de la recherche….

Et, d’une période à l’autre, les processus de décolonisation sont à la fois en rupture et en continuité.
Le schéma qui suit montre cette complexité :

445
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

De 1931 à 1969, c’est par, l’appropriation du calendrier ré-inventé pour le gwoka, la


sacralisation d’objets et de formes de prime abord ordinaires pour en faire les symboles du gwoka, la
ritualisation des rencontres festives et la célébration de la Vie, précieuse pour la communauté, que se
produit la décolonisation du gwoka. Elle construit le gwoka dans une logique profano/sacrée par
laquelle se met en œuvre le compromis entre le tout-sacré africain et le profane des hommes, des objets
et des formes admis dans les sociétés créolisées comme celles de la Guadeloupe.
Mais, la pratique sacralisée du gwoka ne se fait pas dans la conscience d’une ressource
régénératrice. Car, la seule ressource intangible à laquelle ils croient, est celle du « Bon Dieu »
sacralisé en toute conscience. C’est une des limites de l’action culturelle de décolonisation pour cette
période. Par ailleurs, dans le gwoka, la répartition des rôles et les chansons évoquant les femmes
traduisent des considérations de genre qui marquent les relations entre acteurs et actrices. L’action
culturelle, corrigeant l’image du gwoka en le vivant autrement que pour s’amuser, se révèle limitée.
En revanche, la pratique du gwoka de 1970 à 1994 est consciente. De ce fait, l’action culturelle
devrait être plus accomplie. En effet, c’est par la conscientisation de l’intérêt du gwoka pour
l’affirmation identitaire et pour l’évolution politique de la Guadeloupe, que se lance un appel en faveur
du gwoka. Cette conscientisation crée la volonté de patrimonialiser le gwoka et de le « nationaliser ».
Le gwoka entre dans une ère de sauvegarde conscient et revendiquée. L’entrée dans l’éducation et la
formation de même que les mouvements sociaux nourrissent cette pratique du gwoka en conscience.
La diffusion du gwoka par les ensembles musicaux, les spectacles, les écoles de danse participent aussi
de cette montée en conscience. De même, la volonté, consciente cette fois, de sacraliser des éléments
du gwoka ne disparaît pas. Cette fois, elle profite à un être humain, Marcel Lollia dit Vélo des derniers
jours de sa vie et de ses funérailles inédites à la construction de sa mémoire. Toutefois, la sacralisation
du gwoka demeure encore modérée. Car, pour les funérailles de Vélo, la cérémonie catholique s’est
révélée nécessaire aux yeux de ses derniers compagnons de musique. Ce fut le premier stade de la
sacralisation de Marcel Lollia dit Vélo par la nouvelle communauté.
Un tel changement transforme le gwoka en « pratique civique aux tambours ». Les membres
de la communauté se diversifient. Certains poursuivent leur pratique comme à l’accoutumée dans le
profano-sacré comme par exemple Man Soso, Kawno, Len Canfrin ou encore Napoléon Magloire…
D’autres encore, principalement les nouveaux arrivants, se font des militants culturels du gwoka
(Gérard Lockel, Michelle Chomereau-Lamotte, Félix Cotellon, Rosan Mounien, Alex Jernidier,
Marie-Céline Lafontaine…) tandis que d’autres « anciens » de la première période, gagnés
antérieurement au profano-sacré, adhèrent à cette conscientisation et aux actions qui l’accompagnent.

446
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

C’est le cas de Christen Aigle, Guy Conquet, Bernier Locatin, Eric Cosaque… Ces derniers oscillent
entre la dimension militante et la dimension profano-sacrée du gwoka.
Ainsi, la pratique civique aux tambours n’a pas éliminé le gwoka des « zanfan-lanklo ». Et,
contrairement à la période précédente, cette période signe le retour d’une pratique de résistance,
révendiquée, face au sentiment de menace qui plane sur le gwoka dans une Guadeloupe confrontée
aux enjeux contemporains. Aucune expression n’échappe à la sauvegarde. Désormais, le gwoka se
joue en musique et en pièces théâtrales. Il se chante, se danse, s’écrit, se peint, se discute… Une image
plus positive du gwoka se construit ainsi progressivement sur toute notre période. Il reste tout de même,
à l’image du lyannaj, à construire, au sein du gwoka civique, l’intégration des femmes en tant que
tanbouyé.

En définitive, l’étude montre que les « gens du gwoka » ne sont pas que le cercle étroit des
tanbouyé, danseurs, chanteurs, chachayeurs… Ce sont aussi d’autres musiciens spécialistes
d’instruments universels, et encore tous ceux qui, contribuant à la vitalité du gwoka, mettent au service
de cette pratique culturelle, leurs compétences personnelles. Ce sont aussi des « gens » du gwoka .
C’est à ce titre que le terme de moun est réinvesti pour en faire la désignation « moun-a-
gwoka » qui réunit indifféremment les acteurs d'une communauté culturelle unie par le gwoka. Cette
terminologie sur laquelle débouche l’étude est une application de la notion de moun du créole
guadeloupéen à la communauté de pratique élargie. La thèse nous apprend, par le sens attribué à la
notion de moun dans le créole guadeloupéen, que le gwoka doit sa vitalité à l’ensemble de ces acteurs,
majoritairement Afro-Guadeloupéens, qui embrassent cette pratique culturelle pour retrouver
consciemment ou inconsciemment, une humanité malmenée par l’esclavage et la colonisation. C’est
le signe qu’une société comme celle de la Guadeloupe est encore marquée par ces faits historiques.
L’amusement par lequel le gwoka apparaît n’est que le masque festif d’une humanité retrouvée en tant
qu’hommes, gens, monde, humain. C’est cela que montre la transmutation de l’acteur du gwoka sur
les 60 années étudiées.
La thèse apporte ainsi une nouvelle perspective à la notion d’acteur culturel et des dynamiques
induites par son action. Elle propose, par le truchement de l'histoire culturelle, une mise en perspective
différente de la périodisation de la Guadeloupe contemporaine. De ce fait, 1931-1994, apparaît ainsi
comme le temps de la fabrication de cet acteur.
Ce dernier, est-il pour autant devenu un acteur politique, c’est-à-dire un agent capable de bâtir
au sein de sa communauté, un projet politique pour donner vie au « péyi Gwadloup » incessamment

447
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

chanté, parlé, écrit… ? C'est une autre interrogation suscitée dans le propos, à l'observation de la
période donnée.

DOCUMENTATION
I- SOURCES
I.1 – Sources orales

A- Sources constituées

a- LAMECA ( Médiathèque départementale, Basse-Terre)

-Fonds Palé Pou Sonjé (Fonds de collecte des traditions musicales et dansées de la Guadeloupe)

CONQUET Guy (†2012), 2008

DEBS Henri (†2013), 2007

FORESTAL Daniel († 2016)

HALLEY Michel, 2003

MATHURIN Christian, 2003

MOUSTACHE Gabriel « Gaby », 2017

OUMAOU Robert (†2018), 2008

ROSPART Pierre-Jean dit Bébé, 2003

-Fonds Alan Lomax de la Médiathèque Caraïbe

Alan Lomax et les Petites Antilles, http://research.culturalequity.org

-Autres

BAPTISTA Médélice, 2005

BOISBANT Odette Parfait dit Artèm († 2006), 2005

DOLOR Fortuné, 2005

MAGLOIRE Louis-Napoléon († 2013)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

MANCHIN Ophèltès Pierre dit Bèbèw Siko (†2019),2005

RAMBHOJAN Max Félix, 2005

ROSPART Guy († 2011), 2005

SOPTA Antoine (†2013), 2005

b- INA ( Institut National de l’audiovisuel, BNF,Paris)

60 millions de Français, L’île d’Emeraude : La Guadeloupe une émission conçue et présentée par
Philippe Lamour, 00 :28 :54, 17-04-1966.

Questions d’Afrique et de l’Océan Indien, Kassav, musique antillaise, Jocelyne Beroard et Jacob
Devarieux,1h 10mn, 2-08-1988.

c-AUTRES

Black Music présentée par Michel Reinette, Max Séverin, Dominique Dollin, José Cipolin, 7
décembre 1980 (entretiens de Marcel Lollia dit Vélo et de Michel Halley).

B-Sources collectées par nos soins

De 1970 à 2019, nous avons interrogé 101 témoins impliqués directement ou indirectement dans le
gwoka

ACHERON Armand, tanbouyé, janvier 2012 (entretien téléphonique).


AGLAS Dunière, chanteur, janvier 2015 (entretien téléphonique)
ANGERVILLE Alex David, tanbouyé, collecteur de disques gwoka, avril 2018
ANNE-ROSE Raphaël, membre troupe de théâtre, mai 2017 (entretien téléphonique)
ANZALA Yvon dit Obyèj, chanteur, août 2016
BACH Athanaïse dite Man Soso, chanteuse-danseuse et organisatrice de léwòz, Jabrun Baie-Mahault
(†2017), décembre 2012-mars 2013.
BARFLEUR Jean dit Baba, tanbouyé, avril 2009 (entretien téléphonique)
BASSES Jacques-Marie, pianiste, février 2017
BLANCUS Emmanuel, tanbouyé, chanteur, décembre 2018 (entretien téléphonique)
BOISDUR Esnard, chanteur, février 2018 (entretien téléphonique)
BROUSSILLON André, tanbouyé, chanteur, danseur, février 2012
BRUDEY Edouard, public des rencontres au tanbou, Terre-de-Haut, août 2016
CACHEMIRE Jacqueline, Petit-Canal, mai 2019
CAFOURNET Jean-Paul, répondeur, tanbouyé, Grand-Bourg Marie-Galante, juillet 2015
CAIRO Camille, danseuse, mars 2019 (entretien téléphonique)
CAPRICE Alain dit Fly (†2019), photographe, French Sainte-Anne, juin 2017
CASIMIR Reynoir († 2017), accordéoniste, Petit-Canal, janvier 2013/décembre 2013
CELESTE Aurélien dit Ti Sélès (†2014), chanteur, Gourbeyre, juin 2010
CELINI Raymond, producteur de disques, Raizet, Les Abymes, décembre 2015
CHABIN Olivier dite Dòdòz, danseuse août 2015, avril 2016.

449
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

CHASSELAS Jacques, tanbouyé, Buckingam Joubert Grand-Bourg, mai 2018


CHERUBIN Armand, Directeur artistique de troupe de danses, Anse-Bertrand, juillet 2016
CHOMEREAU-LAMOTTE Michelle, plasticienne, Le Gosier, juin 2019
COCO Nicolas dit Cholo († 2016), chanteur, Beaumanoir, Le Gosier, juin 2010
CONQUET Guy († 2012), chanteur, Jabrun Baie-Mahault et Pointe-à-Pitre, juillet -août 2008, février
2011.
CONTARÉ Tirolien, chanteur, lutteur de véyé, La Désirade, juin 2016 (entretien téléphonique).
COQUERELLE Jean-Pierre, chanteur, juillet 2009, Pointe-à-Pitre
COSAQUE Eric, chanteur, Pointe-à-Pitre, août 2009, mai 2010
COTELLON Félix, directeur de festival, Pointe-à-Pitre, juillet-septembre 2017
CUSSET Marcel dit Serge, tanbouyé, chanteur, St Louis Marie-Galante, Août 2015-avril 2016.
DAGONIA Viviane, membre troupe de danses, Les Abymes, février 2017
DAHOMAY Christian, musicien, Fouillole, Pointe-à-Pitre, mai 2016
DAHOMAY Marie-Line, chanteuse, Fouillole, Pointe-à-Pitre, mai 2016
DEBS Philippe, Pointe-à-Pitre, personnel maison de production, janvier 2017
DELOR Cathy, danseuse, mars 2012.
DEMOCRITE Daniel, Le Gosier, novembre 2018
DESBRANCHES Maurice dit Ray-H, musicien, Les Abymes, février 2017
DIEUPART-RUEL Robert, comédien, animateur-radioSt François, septembre 2016
DINO Gabin dit Sonor († 2010), petite percussion, répondeur, juin 2007
DURO Emmanuel, public des véyé, Cavanière Sainte-Anne, juillet 2016
EULALIE Edward, chanteur, lutteur de véyé, La Désirade, avril 2015 (entretien téléphonique), juillet
2018.
FARO Yvonne, public des léwòz, Pointe d’Or Les Abymes, juin 2017.
FLEREAU Jérôme, tanbouyé, chanteur, danseur, Petit-Bourg, mars 2012
FLEURY Dominique, fanm-tanbouyé, danseuse, Goyave, septembre 2017
FRECINAT Jean-Louis dit Djilys, tanbouyé, Pointe-à-Pitre, février 2018.
GARGAR Malouse, danseuse, Grand-Bourg, mai 2018.
GAUTHIEROT Raymond, chanteur, danseur, syndicaliste, Devarieux Petit-Canal, septembre 2018
GEOFFROY Francky dit Zagalo, chanteur, Cavanière Ste Anne, septembre 2009
HALLEY Michel, tanbouyé, chanteur, Pointe d’Or, Les Abymes, mai 2018
HATCHI Gina, danseuse, Ste Rose, juin 2017.
IGNOL Hélène Edouard dit Kafé († 2017), trompettiste, tanbouyé, Les Abymes, avril 2016
ISMAËL Gratien dit Marzans († 2016), danseur, Mare-Gaillard Le Gosier, mai 2010
JACKET-CRETIDE Lucie, chanteuse, fanm-tanbouyé, danseuse, novembre 2018 (entretien
téléphonique)
JALEME Jacky, danseur, Petit-Canal, mai 2019.
JANACKDOULARY Judes dit Ti-Jid, répondeur, Le Moule, juin 2016.
JEAN Alain, guitariste, petite percussion, Goyave, juillet 2016
JERNIDIER Alex, juillet 2010 (entretien téléphonique)
JUDOR Berton, tanbouyé, juillet 2015 (entretien téléphonique)
JUDOR Odilia, danseuse, juillet 2015 (entretien téléphonique)
LAFONTAINE Marie-Céline, auteure, ethnologue, Paris, décembre 2017

450
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LAUMUNO Eliane († 1995), public des véyé, Grand-Bourg Marie-Galante, septembre 1994
LOCKEL Gérard, guitariste, Baie-Mahault, octobre 2010, août 2009, octobre 2017-janvier 2018.
LOIAL Florelle, chanteuse, Sainte-Anne, mai 2017
LOLLIA Patrick, tanbouyé, Chartreux Lamentin, septembre 2018
MAGEN Julie dite Sohad, fanm-tanbouyé, Ste Rose, mai 2018
MAGNAT Marcel, tanbouyé, Les Abymes, mai 2018
MAKAÏA Philippe, tanbouyé, juin 2018 (entretien téléphonique)
MASSEMBO Jacqueline, Moravie Capesterre Belle-Eau, chanteuse, danseuse, novembre 2011, mai
2018, février 2019.
MASSEMBO Marie-Louise dite Rose-Aimée († 2014), Moravie Capesterre Belle-Eau, chanteuse,
danseuse, novembre 1995, novembre 2002.
MOCO Nadir Lucien, répondeur des véyé, personnel de troupe de danses Grand-Bourg Marie-
Galante, août 2015.
MORVAN Christian, tanbouyé, Pointe-à-Pitre, avril 2018
MOUNIEN Adrien dit Rosan, syndicaliste, organisateur de léwòz, Baie-Mahault, novembre 2013.
NABAJOTH Eric, tanbouyé, Pointe-à-Pitre, novembre 2017
NAFFER Fritz, tanbouyé, chanteur, Le Gosier, juillet 2008
NANKIN Jean-Pierre dit Venance Isaïné († 2019), tanbouyé, Grand-Bourg, juillet 2017, avril 2018
NANKIN Joël, tanbouyé, chanteur, Morne-à-l’Eau, mars 2016
OUMAOU Robert († 2018), mars 2017 (entretien téléphonique)
PALATIN Suzy, danseuse, chanteuse, Paris, décembre 2017
PATER Nadya, danseuse, Pointe-à-Pitre, février 2012
PATER-THORIN Raymonde, danseuse, chanteuse, Morne-à-l’Eau, mai 2018
PELISSIER Marc dit Teddy, chanteur, tanbouyé, novembre 2009 (entretien téléphonique)
PONTURE Omer Laurenza (†1983) (, danseuse, Pointe-à-Pitre, 1970.
POULET Philippe, tanbouyé, Grand-Bourg, août 2017
RABOTEUR Nicole, danseuse, août 2018
REINETTE Michel, journaliste, Paris, décembre 2017
REMUS Harry, chef de communauté rasta, 1990, Goyave.
REVEILLÉ Emmanuel, chanteur, Les Abymes, juillet 2016
RUGARD Georges-Michel dit Jomimi, chanteur, Morne-à-l’Eau, novembre 2010
SAINTON Jean-Pierre, chanteur, danseur, Pointe-à-Pitre, septembre 2009.
SAMSON Adélaïde dite Georgette, danseuse, directrice artistique de troupes de danse, Grand-Bourg,
décembre 2017
SEJOR Hubert-Luc, chanteur, tanbouyé, Les Abymes, janvier 2016, mars 2017
SOLVET Patrick, chanteur, tanbouyé, Anse-Bertrand, février 2016
TARER George, directrice de troupe de danses, Les Abymes, juillet 2016
THETIS Jacqueline, danseuse, Morne-à-l’Eau, mars 2018
TROUPÉ Georges (†2009), trompettiste, directeur d’école de musique, janvier 2009.
UBELE Jocelyn dit Linlin, tanbouyé, Pointe-à-Pitre, novembre 2018
URSULE François dit Téomèl, batteur, Pointe-à-Pitre, batteur, répondeur, juillet 2015
VALTON Nicole, danseuse, Les Abymes, janvier 2012
VIRAPIN Jocelyn, chanteur, auteur-compositeur, collecteur, mai 2018 (entretien téléphonique)

451
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

WILLIAM Flessel, chanteur, Le Gosier, juillet 2009


ZODROS Valentin, chanteur, petite percussion, mai 2016 (entretien téléphonique)

II-2 Sources audiovisuelles


A-Discographie

1-Albums édités à Paris : 1934-1959

ORCHESTRE CREOLE MATOU, Album vinyle, CPT 110-1, 04/1934.

ORCHESTRE TYPIQUE DU BAL BLOMET, Album vinyle, RCP 1699, 09/ 1935.

ORCHESTRE ANTILLAIS DU BAL BLOMET, Album vinyle, RCP 1941/ 1942, 05/ 1936
SOSSO-PE-EN-KIN ET SON ORCHESTRE, Album vinyle, Polydor 512.872/ 512.873/ 512.874,
11-06-1937.
SOSSO-PE-EN-KIN ET SON ORCHESTRE ANTILLAIS WITH BERTE ET GUICHARD, Album
vinyle, Pathé, PA 1711/1710, 8-01-1939
SOSSO-PE-EN-KIN AU BAL BILL AMOUR ET SON ORCHESTRE, Album vinyle, Polydor,
514.312/514.313/514.314/514.315, 24-02-1939.
SOSSO-PE-EN-KIN ET SON ORCHESTRE DE FOLKLORE ANTILLAIS, Album vinyle, Odéon,
279.624/279.625/ 279.626,23-06-39.
MOUNE DE RIVEL ACCOMPAGNEE DE L’ORCHESTRE DENIS, Album vinyle, Music Monde,
COS 1017, 7-12-1946/ 9-12-1946.

MOUNE DE RIVEL ET SON ORCHESTRE CREOLE, Album vinyle, Selmer SL 7010, 06-1950.

MOUNE DE RIVEL ET L’ORCHESTRE AL LIRVAT, Album vinyle, Pathé PA 3089, 16-04-1954.

MOUNE DE RIVEL ACCOMPAGNEE DU WEST INDIAN ENSEMBLE, Album Vinyle, French


Broast Casting System in North America GRC, 4884, 27-02-1958.

MOUNE DE RIVEL ACCOMPAGNEE DE L’ORCHESTRE DE PIERRE LOUIS, Album vinyle,


RCA 76.316, 1959.

AFDRES, Bamboulas de la Guadeloupe, Album vynile, BAM LD 399, 1963.

Tumblak, Paco Rabane Design, Album vynile, BA-242, 1978.

Tumblak, Le dendé, Paco Rabane Design, Album vynile, BA-108 100.111, 1981.

GUY CONQUET ET LE GROUPE KA, La Gwadloup an dérout, Album vynile, UNI 30678, 30
juin 1978.
GUY CONQUET, Group’Ka Son Mèyè Koupé, Album vynile, NUM 40078, 1985.

452
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

KASSAV, Love and Ka dance, Album vinyle, CRCLP 7987, 1979.

JOCELYNE BEROARD, Siwo, Album vinyle, GD Productions GD 36, 1986.

EDITH LEFEL, La Klé, Album vinyle, GD Productions GD 43, 1988.


AGEG, Soley ka lévé sé ti-moun-la, an-nou alé, Album vinyle, 1979-80.
LUC-HUBERT SEJOR, Spiritual Sound Mizik Filamonik, Album vinyle, MC 202 TL9012, 1980.

2-Albums édités en Guadeloupe : 1964-1993

a-Label Emeraude
MARCEL LOLLIA DIT VELO, Vélo et son gwoka, Album vinyle, 33T 25 cm, GP5A, 1964.
SERGIUS GEOFFROY ET SON GROUPE LE TERRIBLE, Album vinyle, GPE 6, 1965.
GERMAIN CALIXTE ET SON GROUPE, Album vinyle, 45T LP, EM-025, 1966.
ROBERT LOYSON : Robert Loyson et son groupe du Moule, Album vinyle, 45T LP, EM-026,
1966.
ANZALA ET VELO, Anzala joue manioc, Album vinyle, 33T de 25 cm, EM1.008/ Folklore avec
Anzala, EM 1.009, 13-04-1973.

b-Label Aux Ondes Disques Celini


LE CERCLE CULTUREL ANSOIS, Album vinyle, Vol 1, 1966.
LE CERCLE CULTUREL ANSOIS ROBERT LOYSON, Album vinyle, Vol 2, 1966.
LE CERCLE CULTUREL ANSOIS LOYSON ET CALIXTE, Album vinyle, Vol 3, 1966.
TURGOT TARET, Le roi du folklore guadeloupéen, Album vinyle, Vol 4, 1966.
GASTON GERMAIN CALIXTE, Moin cé la centrale, Du folklore à 100.000 Volts, Album vinyle,
Vol 5, 1967.
ROBERT LOYSON ACCOMPAGNE PAR LE TANDEM VELO BOISBANT, Album vinyle, Vol
6, 1967.
Rencontre Vélo et le Cercle Culturel Ansois, Album vinyle, Celini 100, 1967.
ROBERT LOYSON ACCOMPAGNE PAR LE TANDEM VELO BOISBANT, Album vinyle, Vol
7,1967-68/ Vol 8, 1967-68/ Vol 9, 1967-68.
GUY CONQUET, Spécial Folklore grô ka, Album vinyle, Vol 10, 1967-68.
ROBERT LOYSON, Folklore, Album vinyle, RC 52, 1969.
GUY CONQUET, Album vinyle, RC 56, 1969.
GUY CORNELY ACCOMPAGNE PAR LE TANDEM AU GROS-CA, Album vinyle RC 62, 1969.
ANZALA, Sauvez La Guadeloupe, Album vinyle RC 62, 1972-1980.

c-Label Kaloukéra
Congné go-ka èvè Gérard Pomer et Pierre Modalie (chant), Paul Marivat (boula), Album vinyle
14.134, 1962-64.
BLONCOURT FRANCILLETTE ET LE GROUPE EMERAUDE, Album vinyle, KF 01, 1964.
ETIENNE AIGLE ET GROUPE CARIBANA, Album vinyle, KF02, 1964.
LES ANGES NOIRS DU GO-KA DU GROUPE CARIBANA DE PIGEON, KF 04, 1966.
LES ANGES NOIRS DU GO-KA DU GROUPE CARIBANA DE PIGEON, KF 05, 1966.

d-Label Disques Debs International

453
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ALFRED LABASSE, Folklore, Album vinyle, DD52, 1965-66.


MELIOT DIT "DOLOR" ACCOMPAGNE PAR SERGE CHRISTOPHE ET SES "DIABLES DU
RYTHME", Album vinyle, DD 56, 1966.
GUY CONQUETTE, Jo mayé dé graine dé la, Album vinyle, DD102, 1967-68.
MR SAX EMILIEN ANTILE, Album vinyle, DD103, 1968.
GUY CONQUETTE, Album vinyle, DD114, 1968-69.
GUY CONQUETTE, Le roi du folklore, Album vinyle, DD137, 1969.
CASIMIR LETANG, Adieu ti case an moin, Album vinyle, DD156, 1965-70.
VELO /CASO/ PAUL BLAMARD CHANTE CASO, Album vinyle, DD169, 1969-70.
CAYA ET SON GROUPE, Album vinyle, DD181, 1969-70.
TI CELESTE, La beauté du Folklore, Album vinyle, HDD 595,1976.
GWO KATO GWO SIWO, Ka fraternité, Album vinyle, HDD 721, 1983
IGNOL HELENE EDOUARD DIT KAFE, Ka lévé, Album vinyle, HDD 726, 1983.
TANYA ST VAL, Album vinyle, HDD 2436.

e-Autres
LA « BRISQUANTE » GROUPE FOLKLORIQUE DE L’ENTRAIDE FEMININE
GUADELOUPEENNE, Album vinyle, Socipress, 1967.
GERARD LOCKEL KA PRESENTE GRO KA MODEN, Album vinyle (coffrets de 3), 1976.
FABIANO ORCHESTRA, Butterfly Island, Franck R. Records, Album vinyle, 8.800, 1978.
TEATE VOLKAN KA CHANTE, Sové papiyon la, Album vinyle, 1979.
ROBERT LOYSON PRESENTE JO TAGLIAMENTO ET R. SAMBIN, Album vinyle, Disco
Franca, SOP 17004, 1982.
KANNIDA, Album vinyle, LM 6026, 1981-82.
FOUBAP, Evè on pwen, Album vinyle, Foubap 1310, 1985
ESNARD BOISDUR, Katel La voix des Grands Fonds, Album CD, TDC 1407, années 1990 (titres
remasterisés).
KIMBOL, Live Centre des Arts, Album vinyle, KB 001, 1992
AKIYO, Mémoires, Album vinyle, Declic Communication, Album CD, 8454122, 1992.
KANNIDA, Mizik an nou, Album CD, Sonodisc, CDS 7272, 1993.
LUKUBER SEJOR, Du premier voyage au retour a Ka, Album CD, Production Vendredi Pichon,
1993.

f- Réédition, Label Nostalgie Caraïbes, années 2000.


Les maîtres du gwoka, Volume 2, 2000. (13 titres remasterisés à partir de bandes originales, en son
digital).
ROBERT LOYSON, Gwo-ka Legend/ L’Intégrale, (1928-1989), Double CD, 2004 (20 titres
remasterisés à partir de bandes originales, en son digital).
Les maîtres du gwoka, 2CD, 2008.
ROBERT LOYSON, La Guadeloupe trenglé, 2018, (6 titres originaux remasterisés en digital)

B-Filmographie et documentaires

a-Films
SANDER Denis, Myers David, Soul to Soul Trailer, 1971
COTILLON Jean-Michel et Jacques Mathou, Les maîtres du tambour, 1998.

454
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

BOURGINE Caroline et LINCHEN Olivier, Gwoka, l’âme de la Guadeloupe ? 1995


b-Film documentaire
EXTERIEUR JOUR, La résonance d’un maître-ka, 2013.
RFO, Ka jòdi jou, film documentaire, 1994.
DESLAURIERS Guy, Clara et les majors, Documentaire écrit par Patrick Chamoiseau, 2014.
MATHOU Jacques, Retour au Congo, 0H 52, 2002.

c-Autres
RFO reportage journal télévisé (autour de Luc-Hubert Séjor), 28 mai 1994
James Thor, Sophie Richard, Musique Mémoires de la Guadeloupe Tradition du gros-ca, Production
A2 RFO, 1983.
RFO, Hommage à Vélo, juin 1984.
Droit libre.TV 100% droits humains, DOUMBY-FACOLY, Entre Dieu, les ancêtres et la religion »,
droitlibre.tv, 2014.

I-3 Sources écrites


A-Sources d’archives manuscrites : Etat-Civil
a-Actes de naissance

Capesterre Guadeloupe : n°110/ 1874, 1905/ n°75

Capesterre Marie-Galante : n°110 /1874, n°17/ 1899, n°89/1926

Grand-Bourg Marie-Galante : n°385/ 1849, n°7/ 1874, n°149/ 1876, n°183/1934

Le Gosier : n°59/ 1860, n° 115/1883, n°161/1890

Pointe-à-Pitre : n°146/1902, n°178/1903/, n°360/ 1906/, n°388/1907 n° 541 1931/

Le Moule : n°98/1865, n°257/1885, n°203/1887, n°198/1895, n°331/ 1928

Lamentin : n° 107, 1865

Petit-Bourg : n°110/1918
Port-Louis : n°8/1922
Ste Anne : n°44/1899, n°255/1918, n° 119/ 1948
b-Actes de décès
Les Abymes : n°253/2001, n°310/1984.
Basse-Terre : n°195/1972

455
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Pointe-à-Pitre : n°27/1996
Port-Louis : n°5/1987
c-Acte de mariage
n°97/1929

B-Sources d’archives imprimées


1-Presse

a-Archives départementales de la Guadeloupe

PG 1068 Etincelle : 19 -01- 1952, 22 -01- 1955, 13 -08-1955, 21 -04 1956, 13 -04 1957, 28 -12- 1957,
3 -05- 1958, 31-05-1958, 15 -11- 1958, 11- 04-1959,

PG3 La Revue Guadeloupéenne : 05/06 1946, 01/ 02 1947, 01/02 1949, 05/06 1949, 07/08 1959,
01/02 1959, 04/05/06 1959,

PG 1003 Clartés : 08-01- 1947, 2- 02-1950,15-01- 1955, 12 -02- 1955, 20 -10- 1956, 6 -04-1957, 19-
04-1958, 10 -05-1958, 7 -02- 1959, 21 -02- 1959, 18 -04- 1959, 27-06-1959, 11 -06-1960, 20-08-1960,
01-10- 1960,

PG 1002 Antilles Matin puis France-Antilles : 20 -05-1964, 4 -03- 1965, 8 -03- 1965, 27 -02- 1965,
3-06-1965, 17 -06- 1965, 24 -07- 1965, 21-08-1965, 4-01- 1966,14 -01- 1966, 29-01-1966, 15 -02-
1966, 16-02-1966, 25-02- 1966, 12-04- 1966, 23 -06 1966, 21-07- 1966, 24 -07- 1966, 3-01-1967, 5 -
01- 1967, 10-01-1967, 24 -01- 1967, 26-01-1967, 2 -02- 1967,29-02- 1967, 14 -08- 1967, 21-12- 1967,
14-01-1968, 22 -02- 1968, 7-03-1968,9 -05- 1968, 6 -07-1968,13-07-1968, 01-08-1968, 10-08-1968,
14 -08-1968,17 -08-1968,7-09- 1968, 26-09- 1968, 2 -11- 1968,11-11-1968,14 -11- 1968 , 28 -11-
1968, 07-12-1968, 12-12- 1968, 7 -01-1969, 9 -01 1969, 15-03- 1969, 3 -05-1969, 12 -06- 1969, 11-
10-1969, 11-12-1969.

PG 105 : Journal Guadeloupéen puis Jougwa : 7-11-1979, 21-11-1979, 5-12-1979, 29-03-1980, 05-
07-1980, 22-12-1980, 24-01-1981,14-03-1981, 19-03-1981,

b-Autres
Journal L’Ouest-Eclair 18 mai 1938, BNF Gallica.
Journal L’œuvre, Le Gala du Cameroun, 22 avril 1937, BNF Gallica.
L’illustration, Le Tricentenaire des Antilles françaises, n° 4838, 93 è année, 23-11-1935.

c-Collections privées

Lendépendans : 11-02-84, 18-02-1984, 25-02-1984, 03-03-1984, 24-03-1984,15-05-


1984, 09-06-1984, 16-06-1984, 1er-09-1984, 08-06-1984, 16-02-1985, 23-02-1985, 23-

456
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

03-1985, 30-03-1985, 29-07-1985, 13-07-1985, 03-08-1985, 31-08-1985, 12-04-1986,


14-06-1986, 16-08-1986, 07-03-1987, 16-05-1987, 06-06-1987, 30-07-1988, 26-11-
1988, 16-12-1989, 02-07-1990,

Jakata : 12/1985-01/1986, 06/1986, 09/1987

Bik a Jennès Gwadloup : 09/1982, 10/1982

Lékòl : 1977, 11-1978, 3T 1980, 06-07/1984, 05/1985, 01-1986, 02/1990, 06-07


1990, 11-12-1990, 05/1993,

Journal Guadeloupéen puis Jougwa : 11/1979, 7-11-1979, 21-11-1979,12/1979,


03/1980, 10/1980, 06/1984

Guadeloupe 2000 : 05-06/1984

2-Divers (collection personnelle)

Gwadloup tradisyon, Almanaka, Guadeloupe, Editions 2005-2009.

Léwòz, Bulletin d’information culturelle, n°2002-2006, n°004-2001, n°10-2010,

Jeunes acteurs de vie, Conseil Général de la Guadeloupe, 2011.

C-Sources imprimées ayant valeur d’archives

a-Sources antérieures ou datant des années 1930

BAZILE Corneille, Un pèlerinage aux Abymes, 1926.

BELENUS René (commentaires), Félix Eboué Les années guadeloupéennes, Discours de 1936 à
1938, Archives Départementales de la Guadeloupe.

BELMONT Léon, Mimi, mœurs guadeloupéennes, 1911, BU manioc (roman)

BERNARD Maurice, Description de la cérémonie dite du Möha, Côte française des Somalis, Journal
des Africanistes, Année 1934, 4-1.

CELARIÉ Henriette, Le Paradis sur Terre, 1930.


HUCHARD Robert, Des hommes et des choses, Editions Perrin, 1906, BU Manioc.

HUE Fernand, Nos grandes colonies, Amérique, Oudin Editeurs, 1886, page 95, BNF Gallica.

457
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LABAT Jean-Baptiste, Voyage aux Isles, Chronique aventureuse des Caraïbes (1693-1703), édition
de 1998.
LONGIN Félix, Voyage à la Guadeloupe, 1816-1822.

LERO Etienne Misère d’une poésie, Légitime Défense, 1932, BNF Gallica.

MOREAU DE ST MERY Mederic Louis Elie, De la danse, 1801, BNF Gallica.

b-Sources postérieures aux années 1930

ARMAND Paul dit Charlot, Nostalgie d’un monde perdu, Editions Nestor, mai 2011.
AUDE-ANDERSON Bagoué, Encyclopédie de la musique traditionnelle aux Antilles, Editions
Lafontaine, 2005.
BELMONT Jean, 1926-1946, Une jeunesse guadeloupéenne, 2010.
BIRMAN SEYTOR Jacqueline, Mas a Sen Jan, Editions Nestor, 2013.
BOURGINE Caroline, Les Guadeloupéens, HD Ateliers Henry Dougier, 2016.
CAMILLE SOPRAN’N, Autobiographie suivie la biguine selon Camille Soprann, Editions La
fontaine secrète, 2014.
CARNOT par lui-même, Propos d’un musicien recueilli par Marie-Céline Lafontaine, Editions
Caribéennes, 1985.
COCO Gilbert, Itinéraire d’un musicien guadeloupéen, Nestor, 2013.
DEBS Henri, Mémoires et Vérités sur la musique aux Antilles, Guadeloupe, Martinique, Haïti,
Dominique, 2011.
FESTIVAL GWOKA SAINTE-ANNE, CASC, 1993, 1994 (programmes)
GREGO Rudy, Ma vie en diagonale, 2011.
HILDEVERT Dotha Mémoires d’acacia, 2006.
INDESTWAS KA, Kristen Aigle, Swaré Léwòz, Editions Jasor 2016.
KAONA Winny, Eléments pour une anthologie de la biguine, (1929-59), Hommage à 13 étoiles,
Production Cré-art, 2007.
LOCKEL Gérard, Traité de Gro ka Modên, Initiation à la Musique Guadeloupéenne, 1981.
LOCKEL Gérard, Gwoka modèn, 2011.
LOCKEL Gérard, GKM Recueil, Production ADGKM, 2015
MAVOUNZY M.S., Cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe, 1928-1978, Présence
Africaine, Paris, 2002.
PAWÒL KA, Recueil de chants gwoka, 2013.
PHILOGENE, Claude Les songes créoles du Nô de Karukéra, Lettres adressées à Nineta Geneviève,
Institut Nôka, 2018.
SAINTON Pierre Vie et survie d’un fils de la Guadeloupe, Editions Nestor, 2008.
SPIELMANN Florabelle, Fred Edo Anasthase, Monographie d’un makè, Collection Rèpriz, Editions
Nestor, 2018.
ZOBEL Joseph, Rue Case-Nègres, Présence Africaine, 1983 (roman)
ZOBEL Joseph, Diab’-la, Nouvelles Editions Latines, 1942 (roman)

458
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

I-4- Iconographies
A-Tableaux

a-Source : www-histoire-image-org.

Brunias : Scènes de danse des Noirs, Joute ou jeux de combat aux bâtons, XVIIIè siècle

Mendez Belisario Isaac (1795-1849), French Set Girls, Kingston Jamaïque,

b-Autres
Gamain Louis-Honoré-Frédéric (1803-1871), La bamboula, 1836, Collection des musées,
aliénor.org.
Windsor Kemble Edward, The bamboula, 1885, Granger Collection.

B-Photographies

a-Collections privées

Bach Athanaïse dite Man Soso (1918-2017), collection Daniel Losio, début années 2000.

Casimir Létang (1935-1996), collection Disque Debs.


Festival Emile Laposte, 21 juin 1975, collection Alain Caprice.

Jernidier François dit Kawno (1919-1998), collection Colette Pentier, années 1980.

Labasse Alfred, chanteur des années 50-60, Pointe-à-Pitre, collection Disques Debs, années 1960.
Lefranc Marcel La Guadeloupe, La dépêche coloniale illustrée, 1903, 30 juin, numéro 12, p. 171
(Cliché PHOS), collection Christelle Lozère.

Lockel Gérard, collection Gérard Lockel, années 1950.

Mathurin Christian et le djembéka de Vélo, 2003, Collection Lameca.

Mathurin Christian et le djembéka de Vélo, 2003, Collection Lameca

459
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Modalire ou Modalie Pierre, tanbouyé des années 1960, région Basse-Terre, Collection Claude
Philogène.
Pé-en-Kin Solange (1902-1940 ou 1944) Paris, 1937, Collection Jean-Pierre Meunier

Robert Loyson (1928-1989), collection Max Diakòk

Siklònn, Peinture sur papier, Michelle Chomereau-Lamotte, Guadeloupe, 1985.


Troupe Banza, années 1980, Film documentaire, Collection Alain Jean.
Troupé Georges (1946-2009), collection Famille Troupé.
Vélo jouant de son djembéka avec le groupe Takouta, années 1980, Collection Lameca.

Vélo, Peinture sur papier, Michelle Chomereau-Lamotte, Guadeloupe, 1985.

c-Collection personnelle

Chabin Ferrié Olivier dite Dòdoz née en 1934, 2017.


Conquet Guy (1946-2012), années 1960, 1975.

Djembé-ka, 2012.

Ka et Djembé-ka, 2012.
Massembo Marie-Louise dite Rose Aimée (1925-2014), 1986.
Séjor Luc-Hubert dit Lukuber né en 1948, collection personnelle, 1997.
Tanbou-a-mas, 2012.

Un ka géant : Village International du ka et des tambours du Sud, Fondal-ka, Petit-Canal, 2015.

II-BIBLIOGRAPHIE

II-1-Instruments de travail :

A-Dictionnaires généraux

BERNINI-MONTBRAND, LUDWIG, POULLET, TELCHID, Dictionnaire créole-français, Orphie,


4è édition, 2012.

GAFFIOT, Dictionnaire latin-français, 1934, lexilogos.com.

460
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

MAZURE.A, Dictionnaire étymologique de la langue française usuelle et littéraire, Eugène Belin,


1863.

TOURNEUX ET BARBOTIN, Dictionnaire créole guadeloupéen-français, Karthala,1990.

PROPHETE Joseph, Dictionnaire haïtien-français/français-haïtien, Editions Konbit, 2008.

B-Autres

ARON Simha, ALVAREZ-PEREYRE Franck, Précis d’ethnomusicologie, CNRS Editions, 2013.


BENOIT Jean et DESROCHES Monique, Tambours de l'Inde à la Martinique.
Structure sonore d'un espace sacré”. Un article publié dans la revue Études créoles. Culture, langue,
société, vol. V, nos 1-2, 1982.
CASTRY Jean-Fred, Le gwoka, De l’éveil musical à l’improvisation, Collection éveil musical
CEFRIM, 1997.
DAHOMAY Christian, Métod-ka, 1997.
DANHAUSER Adolphe, Théorie de la musique, Editions Henry Lemoine, Paris, 1996.
PACE Enzo , « Susan Palmer, The Nuwaubian Nation. Black Spirituality and State
Control », Archives de sciences sociales des religions, octobre-décembre 2011.
FACTUM-SAINTON Juliette, Manuel de graphie du créole guadeloupéen, Conseil Général, 2è
édition revue et corrigée, 2009.
GELDHOFJoris Sacré, salut et liturgie. A la rencontre de la théologie et de
l’anthropologie, Transversalités 2009/4 (n°112).
LABECA Gustave, I ka i pa ka, Gwoka conventionel et Soupakongo, Kazarabika, 2008.
LOCKEL Gérard, Traité de Gro ka Modên, Initiation à la Musique Guadeloupéenne, 1981.
NICOLAS Franck, VERAS Nelson, TROUPE Sonny, Méthodes gammes Guadeloupéennes, 2014.
PATER-TORIN Raymonde, Aprann rantré an wond a Léwòz, Guide gwoka pour tous, Apprendre et
comprendre la ronde a léwòz, 2012.
PITARD Eddy, La musique gwoka, Eléments de maîtrise et de développement, Le tanbouka : Mieux
connaître l’instrument, Karibbean Music and Art, probablement après 1989 (date non indiquée).
SEJOR Luc-Hubert, De la diversité des formes… Kakikatéshisaka ? 1993.
SOLVET Jean-Pierre, Solfège du tambour Ka, Guadeloupe Méthode de lecture, d’écriture et de
frappe des rythmes du ka, Gwoka traditionnel, L’Harmattan.
TROUPÉ Georges, Méthode d’apprentissage des sept rythmes de gwoka, Graphie et Musique, ,1995
(2è édition).

II-2-Epistémologie, méthodologie des sciences humaines et sociales

A-Généralités

461
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

AKKARI Abdeljalil, FUENTES Magdalena, Domination et apprentissage. Anthropologie des formes


de la transmission culturelle, Revue française de pédagogie, avril-mai-juin 1999, 2017.

BERNAN Carmen, CAPONE Stéphania, LENOIR Frédéric, CHAMPION Françoise, Regards croisés
sur le bricolage et le syncrétisme, Archives des sciences sociales des religions, avril-juin 2001.

DIANTEILL Erwan, Anthropologie culturelle ou anthropologie sociale, une dispute transatlantique ?


L’Année sociologique, Convergences, croisements et dissonances, Vol 62, 2012/1.
JOLLY Eric, GRIAULE Marcel, la construction d’une discipline (1925-1956), Journal des
Africanistes, années 2001, 71-1.
PERRINEAU Pascal, Sur la notion de culture en anthropologie, Revue de Science Politique, Persée,
25-5, 1975.
RIOUX Jean-Pierre, SIRINELLI François, Pour une histoire culturelle, Seuil, Paris, 1997.
SINDZINGRE Nicole, L’Anthropologie : une structure segmentaire ? Homme, 1986.
SIRINELLI François, Désenclaver l’histoire, Nouveaux regards sur le XXè siècle français, CNRS
Editions, 2013 (réédition).

B-Culture et société

BEAUCHEZ Jérôme et COOPER Carolyn, Marronnages érotiques : le dancehall jamaïcain entre


culture et slackness, Cultures et conflits, n°103-104, 2016/3.
BENOIT Catherine, Corps, jardins, mémoires – Anthropologie du corps et de l’espace à la
Guadeloupe. Paris, CNRS Éditions – Éditions de la MSH, 2000.
BOURDIEU Pierre et CHARTIER Roger, Gens à histoire, gens sans histoire, Politix, n°6, 1989.
BUBENICEK Michelle, Histoire des femmes en Occident, an mil-15è siècle, Cours Université de
Besançon, Franche-Comté, 2010.
DELVIGNE Fredéric et DE RICKEL Cécile, La construction de l’identité par le récit,
Psychothérapies, 2010/4, (Vol 30).
DURKHEIM Emile, Les formes élémentaires de la religion, le système totémique en Australie,
Travaux de l’année sociologique, 1912
DENETEM TOUAM BONA, Ligne de fuite du marronnage, Multitudes, n°70, 2018/1.
GAUTHIER François, Le sacré hors religion, Revue du MAUSS permanente, 25 juin 2008.
GELDHOF Joris, Sacré, salut et liturgie, A la rencontre de la théologie et de l’anthropologie,
Transversalités, n°112, 2009/4.
HEINICH Nathalie, De la visibilité, Excellence et singularité en régime médiatique, Gallimard, 2012.
HERSKOVISTS Melville, La structure des religions africaines, Colloque sur les religions, Abidjan,
avril 1961, Présence africaine.
HURBON Laennec, Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe in Le phénomène religeux
dans la Caraïbe, Guadeloupe, Guyane, Haïti, Martinique, CIDIHCA, 1989.
LEPETI Bernard, L’histoire prend t-elle ses acteurs au sérieux ? Espace-Temps, année 1995.
LORTIE Pierre-Luc Les mutations du sacré et du symbolique dans les sociétés contemporaines :
regard sur les sociétés raves, Horizons philosophiques, 2004.

462
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LOUIS-VINCENT Thomas, Etat actuel et avenir de l’animisme, Colloque sur les religions, Abidjan,
avril 1961, Présence africaine.
MAUGLIN-DELCROIX Anne, L’art comme alternative à la philosophie, un défi d’artiste.
Observatoire n°41, 2012.
MOTTA, Robert Interpénétration des races, des religions et des idées, Presse Universitaire de
France, Ethnologie française, 2004/1, Vol 34.
PACE Enzo , « Susan Palmer, The Nuwaubian Nation, Black Spirituality and State
Control », Archives de sciences sociales des religions, octobre-décembre 2011.

PINNA Roberta, Présentation de l’ouvrage de Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux, Séminaire
d’anthropologie du fait religieux et des religions, Ecole des Hautes études en Sciences Sociales,
2015-2016.
PROST Antoine, Les acteurs dans l’histoire, L’histoire aujourd’hui, 1999.
TUDENT Nicolas, L’homme acteur de l’Histoire et inventeur de lui-même dans la pensée marxiste,
Médiapart, 2010.
PICOTTI Dina, La présence africaine en Argentine et l’identité latino-américaine, Editions Menaibuc,
2003.
PINN Anthony B., What is American African religion ? Fortress Press, Minneapolis, 2011.
PRADEL Lucie, Dons de mémoire de l’Afrique à la Caraïbe, L’Harmattan, 2000.

RAPONDA-WALKER André, SILLANS Roger, Rites et croyances des peuples du Gabon, 1983
(réédition).
WINZELER Robert, Anthropology and Religion, What we know, Think and question, Altamira
Press, 2008.

II-3-Guadeloupe, Antilles françaises et Caraïbes : Géographie, Histoire et société


A-Travaux universitaires
ANAKESA Apolinaire, Les voies du marronnage et la culture des libertés : itinéraire à travers la
culture musicale subsaharienne, dans Marronnage et diversité culturelle, Actes du colloque de la
Biennale du Marronnage 2010, Ibis Rouge, 2012.
ABOU Antoine La scolarisation à la Guadeloupe, présentation d’une thèse, Histoire de l’Education,
année 1985, N°26.
BARFLEUR-LANCREROT Lydia, La politique européenne de gestion des flux migratoires dans la
Caraïbe, L’espace caribéen : institutions depuis le XVIIè siècle, Hommes et migrations, année 2008,
n°1274.
BONNIOL Jean-Luc, Matériaux généalogiques pour l’histoire des populations, Autour de la ligne de
couleur en monde créole, Revue écologie, Vol 7, n°1, Laboratoire d’Ecologie Humaine et
d’Anthropologie, Aix-en-Provence, France, 1989.
BONNIOL Jean-Luc et DARLU Pierre, « L’ADN au service d’une nouvelle quête des
ancêtres ? », Civilisations 63, 2014.
CECILE Christian, Marronnage et carnaval : les groupes à peau guadeloupéens ou l’expression d’une
culture de résistance, dans Marronnage et diversité culturelle, Actes du colloque de la Biennale du
Marronnage 2010, Ibis Rouge, 2012.

463
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

DUMONT JACQUES, La quête de l’égalité aux Antilles : La départementalisation et les


manifestations des années 1950, Mouvement Social 2010/1.
KOLODZIEJ Elisabeth, La Guadeloupe, étude géographique, Vol 2, 1978, Université du Texas.
PY Fatima, Le surnaturel dans le roman féminin guadeloupéen, Thèse présentée pour le Doctorat en
langues et littératures françaises (littérature générale et comparée), Université des Antilles 2017, Roger
Toumson (dir).

B-Autres travaux
ADELAÏDE-MERLANDE Jacques, Delgrès, Karthala, 1986.
BANGOU Henri, Mémoires du Présent, Témoignages sur une société créole de l’après-guerre à nos
jours, Editions Jasor, 1992.
BARBOTIN Maurice, Marie-Galante en Guadeloupe, Sa vie créole son guide historique, l’Harmattan,
2001.
BERTHELOT Jack, Kaz antiyé jan moun ka rété, L’habitat populaire aux Antilles, Perspectives
créoles, 2002 (2è édition).
BOUTIN Raymond, La population de la Guadeloupe, De l’émancipation à l’assimilation, (1848-
1948), Ibis Rouge, 2006.
CEROL Marie-Josée, Une introduction au créole guadeloupéen, Editions Jasor, 1991.
CHIVALLON Christine, L’esclavage du souvenir à la mémoire, Contribution à une anthropologie de
la Caraïbe, Collections Esclavages, Karthala-CIRESC, 2012.
DELISLE Philippe, Histoire religieuse des Antilles et de la Guyane, Des chrétientés sous les
tropiques ? 1815-1911, Karthala, 2000.
DUMONT Jacques, Sport et assimilation à la Guadeloupe, L’Harmattan, 2002.
FANON Frantz, Peau noire, masques blancs, Essais, 2015, (réédition).
FLORY Céline, De l’esclavage à la liberté forcée, Histoire des travailleurs africains engagés dans la
Caraïbe française au XIXè, Karthala, 2015.
GANDOULOU Justin, Kongos de Guadeloupe, Karthala, 2011
GEORGEL Thérèse, Contes et légendes des Antilles, Nathan, 1994 (réédition)
GUILLERM François -Xavier (In) dépendance créole, Jasor, 2007.
HURBON Laennec Le phénomène religieux dans la Caraïbe…, Karthala,1989.
HUTTON Clinton, Esclavage et origines cosmologiques de l’art afro-caribéen in Art contemporain
de la Caraïbe, Mythes, croyances, religions et imaginaires, HC édition, Paris, 2012.
JEANGOUDOUX Aure, Français de souche, Jasor, 2004.
KESTELOOT Lilyan, Anthologie négro-africaine, La littérature de 1918 à 1981, Marabout, 1987.
LANOIR L’ETANG Luciani, Réseaux de Solidarité dans la Guadeloupe d’hier et d’aujourd’hui,
L’Harmattan, 2006.
LETI Geneviève L’Univers magico-religieux antillais…, L’Harmattan, 2000.
MOUNIEN Rosan Adrien, La problématique du colonat partiaire en Guadeloupe, Cahier des
Anneaux de la Mémoire, Guadeloupe, Nantes-Guadeloupe, n°18, 2018.

464
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

NONONE Josette, Paradoxe religieux dans un contexte esclavagiste, Analyse psychanalytique des
signifiants d’une conversion, L’Harmattan, 2018.
POULLET Hector, Kenbwa an Gwada… Caraïbéditions, 2013.

II-4- MUSIQUE ET SOCIETÉ


A-Généralités
ANAKESA Apollinaire, Florentz sur les marches du soleil, Millénaire, 1998.
BLACKING John, Le sens musical, Edition de minuit, 2011 (réédition).
LEFEVRE Sébastien, Peut-on parler de musique « noire « au Mexique, pays de l’indigénisme ?
Volume, 8 : 1 | 2011, 149-174
NAVARRO Cécile, Gratuité et entrepreneuriat Hip Hop : l’exemple du Festa 2H, Le prix de la
musique, Transposition Musique et Sciences sociales, juillet 2018
QUENIART Jean, La Chanson, actrice de l’Histoire, Université de Rennes, 1998.
TAGG Philippe, Lettres ouvertes sur les musiques « noires », « afro-américaines » et
« européennes » Volume, 6 : 1-2, 2008.

B-Musique en Guadeloupe et dans la Caraïbe


1-Etudes universitaires
ATERIANUS -OWANGA Alice et GUEDJ Pauline On the waves of the Ocean, Des musiques dans
l’Atlantique noir, Cahiers d’études africaines, EHESS, 216/2014.
AUGUSTY Maeva, Trois figures de l’affirmation culturelle en Guadeloupe, Mémoire de Master 2,
Université des Antilles, CRILLASH, 2016 (dir. Gerry L’Etang).
BEAUDRY Nicole, Le « dynamisme » d’une tradition : la danse à tambours chez les Dénès (Canada,
territoires du Nord-Ouest), Canadian University, Music review, Volume 19, n°2, 1999.
CAMAL Jérome, From gwoka modenn to Jazz Ka : Music, Nationalism and Creolization in
Guadeloupe, A dissertation presented to the Graduate School of Arts and Sciences of Washington
University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy,
University of St Louis in Missouri, mai 2011.
CAMAL Jérôme, Creolized Aurality, Guadeloupeans gwoka and post-colonial Politics, The
University of Chicago Press, USA, 2019.
CHOTARD Océane, Les sillons du gwoka, Master de Recherche en musicologie, Université François
Rabelais Tours, 2007-2008 (dir. M. Delannoy).
DIVIALLE Frédérick, Le marché de la musique en Guadeloupe, Quel poids dans l’économie et
quelle place dans la politique économique, Maitrise de sciences économiques, Université des
Antilles-Guyane, 2000-2001, (dir. Alain Maurin,).
LAFONTAINE Marie-Céline Bal à quadrille ou le bal de quadrille au commandement de la
Guadeloupe : un sens, une esthétique, une mémoire, Présence africaine, 1982, 1, n° 121-122.
LAFONTAINE Marie-Céline, Le Carnaval de l’autre, A propos d’authenticité en matière de
musique guadeloupéenne : théories et réalités.” Les Temps Modernes 39, 1983, 2126–73.
LAFONTAINE Marie-Céline, Le chant du peuple guadeloupéen ou plus c’est pareil, plus c’est
différent, Cahiers d’études africaines, 1997, 148.

465
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LAUMUNO Marie-Héléna, Histoire de la Guadeloupe de 1848 à 1945, Quelques acteurs de


l’histoire locale dans la mémoire populaire à travers des expressions parlées et chantées de la
tradition guadeloupéenne), Travaux d’étude et de recherche pour la maîtrise d’Histoire, Université
des Antilles et de la Guyane, 1996, (dir. Jacques Adélaïde-Merlande).
LAUMUNO Marie-Héléna, Chansons et politique en Guadeloupe (1960-2003), Master en Sciences
Humaines et sociales, mention histoire de l’art, spécialité constructions identitaires, Université de
France-Comté, Besançon, 2010 (dir. Catherine Vuillermot)
MARIE-MAGDELEINE Loïc, Entre violence, sexualité et luttes sociales : le destin paradoxal du
dancehall, Thèse de doctorat en Littérature et Civilisation du Monde Anglophone, Université des
Antilles-Guyane, 2013 (dir. Gilbert Ebraz).
MULOT Stéphanie., La trace des Masques. Identité guadeloupéenne entre pratiques et discours,
Ethnologie française 2003/2, Tome XXXVII, p. 111-122.
NIAGORAN BOUAH Georges, De l’importance des tambours dans les manifestations politiques et
religieuses, n° 3092, Africultures.
SITCHET Pierre, Transmission de deux valeurs esthétiques dans le Gwoka, genre musical
guadeloupéen le santiman et la lokans, Thèse de doctorat de musicologie, Université Paris-
Sorbonne, 2017 (dir. Jean-Marc Chouvel).

2-Autres travaux
AUDE-ANDERSON Bagoué, Encyclopédie de la musique traditionnelle aux Antilles, Editions
Lafontaine, 2005.
BALANDIER Georges, L’Afrique ambiguë, Plon, 1957.
BALANDIER Georges, La vie quotidienne au Royaume de Kongo du XVIè au XVIIIè siècle,
Hachette, Paris, 2013 (réédition).
BERRIAN Brenda, Jocelyne Beroard et Edith Lefel : Leur cris de l’intérieur in Chanson et
performance, Mise en scène du corps dans la chanson française et francophone, Collection Logiques
sociales, L’Harmattan, 2012.
BERTRAND Carmen, La chevauchée des Dieux, Le Vaudou haïtien, Clio Voyages culturels, 2006.
BIRMAN SEYTOR Jacqueline, Mas a Sen Jan, Editions Nestor, 2013.
BLERALD Monique, Musiques et danses créoles au tambour, Ibis Rouge Editions, 2011.
BLOU Léna, Technika, Recherches sur l’émergence d’une méthode d’enseignement à partir des
danses du gwoka, Jasor, 2005.
BRANDILLY Monique, Introduction aux musiques africaines, 1997.
CAMAL Jérôme, Le gwoka entre colonialisme et anticolonialisme, site Internet e-publications,
dossiers et articles, Lameca, 2018.
CYRILLE Dominique, Quadrilles, Gwoka Bèlè, Musique, danse et résistance en Guadeloupe et en
Martinique, Les armes miraculeuses, ouvrage collectif sous la direction de Françoise Vergès, 2014.
CYRILLE Dominique, A la repriz, Une étude des quadrilles de Guadeloupe, Nestor, 2009.
DAHOMAY Marie-Line, Chaben, Gaston German-Calixte, On chantè véyé, Editions Nèg Mawon,
2017.
DE COURTILLES Isabelle et PREVOST Liliane, Les racines des musiques noires, l’Harmattan,
2016.
ENTIOPE Gabriel, Nègres, danse et résistance, 1996.

466
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

FAURE Pierre, La musique, un lieu spirituel ? De l’accès au sacré, Revue Christus, n°223, juillet
2009
GABALI Joslen, Diadyée, Gwoka, 1982.
GADET Steeve, La fusion de la culture hip-hop et du mouvement rastafari, Collection Logiques
sociales, L’Harmattan, 2010.
GINOUVES Véronique (coordination), La Musique antillaise en France / Discographie 1929-1959,
AFAS, Conseil Général de la Guadeloupe, Lameca, août 2008.
INDESTWAS KA, Kristen Aigle, Swaré Léwòz, Editions Jasor 2016.
KADIMA-NZUDJI et MALONGA, Héritage de la musique africaine dans les Amériques et les
Caraïbes, Festival Panafricain de Dakar, L’ Harmattan, 2007.
LAUMUNO Marie-Héléna, Et le gwoka s’est enraciné en Guadeloupe, Chronologie d’un patrimoine
culturel immatériel sensible, Editions Nestor, 2012.
LAUMUNO Marie-Héléna, Man Soso, Une histoire du gwoka au XXè siècle, Editions Jasor, 2013.
MANCLIERE Daniel, Gwadloup Mas-Parades-déguisements, Itinéraire d’un Carnaval bien
singulier, Editions Nèg Mawon, 2016.
MANDA TCHEBWA Antoine, Les rencontres fondatrices à Cuba, L’Harmattan, 2012.
MARCIN Freddy, Le gwoka à l’heure de l’Unesco : entre reconnaissance et interpénétration
culturelle, Musiques noires, l’histoire d’une résistance sonore, 2016. (dir. Kroubo Dagnini Jérémie)
MAVOUNZY M.S., Cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe, 1928-1978, Présence
Africaine, Paris, 2002.
NEGRIT Frédéric, Musique et immigration dans la société antillaise, 2006.
PACERE TINGA Frédéric, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, l’Harmattan, 1991.
ROSEMAIN Jacqueline, La danse aux Antilles, des rythmes sacrés au zouk, L’Harmattan, 1990.
ROSEMAIN Jacqueline, La musique dans la société antillaise, 1635-1902, Guadeloupe-Martinique,
L’Harmattan, 1990.
URI Alex et Françoise, Musiques et musiciens de la Guadeloupe, Le chant de Karukéra, Conseil
Général de la Guadeloupe 1991, page 22-28.
VINCENT-LANCRIN Stéphan, Akiyo-la, la ou kalé konsa ? Vacarme 1997.

II-5-Colonisation, Décolonisation
A-Travaux universitaires
AVENEL-COHEN Pascale, L’autre beauté de Joséphine Baker, Beauté et laideur dans la littérature,
la philosophie et l’art allemand et autrichien au XXè siècle, Germanica, n°37, 2005.
BOULBINA Seloua Luste, SIMON Patrick, Une initiation décoloniale, Internationalisation des
débats et des luttes, Entretiens avec Vergès, Mouvements 2012/ 4, n°72.
BOULBINA Seloua Luste, La décolonisation des savoirs et ses théories voyageuses, Rue Descartes,
2013/2, n°78.
BOURDIE Annie, Corps noir, enjeux de la création chorégraphique contemporaine d’Afrique ? 19
juin 2016, blog.univ-tise2.fr.

467
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LAVENAIRE Maël, Décolonisation et changement social aux Antilles françaises, De l’assimilation à


la « Départementalisation » ; socio-histoire d’une construction paradoxale (1946-1961), Thèse de
doctorat en Histoire contemporaine, Université des Antilles, 2017. (dir Jean-Pierre SAINTON).
MARTIN Hélène, ROUX Patricia, Recherches féministes sur l’imbrication des rapports de pouvoir :
une contribution à la décolonisation des savoirs, Nouvelles questions féministes 2015/1 (Vol 34).
MARY Sylvain, Les Antilles de la colonie au département, Enjeux, stratégies et échelles de l’action
de l’Etat, 1944-début des années 1980), Thèse de doctorat en Histoire contemporaine, Sorbonne
Université, 2018 ( dir Olivier FORCADE).
MASSIAH Gustave, Le mouvement altermondialiste et le mouvement historique de la décolonisation,
Revue du Mauss 2006/2 n°28.
MBEMBE Achille, Qu’est-ce que la pensée postcoloniale ? (Entretien), Revue Esprit, Pour
comprendre la pensée post-coloniale, décembre 2006.
MENCÉ-CASTER Corinne, BERTIN-ELISABETH Cécile, Approches de la pensée décoloniale,
Archipélies, 5 | 2018.
SONNETTE Marie, La mise en scène des appartenances post-coloniales, Revue Nouveau cahier de
marge, Identité/ Identités, janvier 2018, revues. univ - lyon3.fr.
TERRAL Romain et SELISE Mario, Dynamiques urbaines communes et spécificités des villes des
Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique) des origines de la colonisation à nos jours, Etudes
caribéennes, La ville caribéenne, les villes dans la Caraïbe, 39-40, avril-août 2008.
ZEBUS Marie-Françoise La diversification agricole, un archipel dans « l’océan des cannes » ?
Développement agricole et industrie sucrière en Guadeloupe dans Le sucre de l’Antiquité à son destin
antillais, Comité des Travaux historiques et scientifiques, 2000.

B-Autres travaux
1-Sciences humaines
ADU BAOHEN Albert, Histoire générale de l’Afrique, L’Afrique sous domination coloniale, 1880-
1935, Editions Unesco, 1987.
APPADOURAI Arjun, Après le colonialisme, Les conséquences culturelles de la globalisation, Petite
Biblio Payot, 2015.
BEBEL- GISLER Dany, Devenir ce que nous sommes, éditions Caribéennes, 1989.
BLANCHARD Pascal (dir), La France noire, Présences et migrations des Afriques, des Amériques
et de l’Océan Indien en France, La Découverte, 2012.
KI-ZERBO Joseph, Histoire de l’Afrique noire, D’Hier à Demain, 1978.
LEROI Jones, Le peuple du blues, la Musique Noire dans l’Amérique blanche, Gallimard, 2013.
CAMPBELL Horace, Rasta et Résistance, Camion Blanc, 2014.
DAMBURY Gerty, CUKIERMAN Leïla, VERGES Françoise (dir.) Décolonisons les Arts, L’Arche,
2018.
GAY Amandine (dir) « L’intersectionnalité comme outils des droits humains », Festival du Film des
Droits de l’Homme 2017, 15 octobre 2017, Mémorial Acte de la Guadeloupe dans le (conférence)
JALABERT Laurent La colonisation sans nom, La Martinique de 1960 à nos jours, Rivages des
Xantons.

468
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

LEBRUN Barbara, Chanson et performance, Mise en scène du corps dans la chanson française et
francophone, Logiques sociales, L’Harmattan, 2002.
OBENGA Théophile, Afrique Centrale Précoloniale, documents d’histoire vivante, 1974.
REINETTE Luc, Le soukounyan de fer ou le périple sud-américain des patriotes guadeloupéens en
1987, Editions Nestor, 2018.
SAINTON Jean-Pierre La décolonisation improbable, Editions Jasor, 2012.
SAINTON Jean-Pierre, Couleur et société en contexte post-esclavagiste, La Guadeloupe à la fin du
XIXè siècle, Jasor, 2009.
SCHMIDT Nelly, La France a-t-elle aboli l’esclavage ? Guadeloupe-Martinique-Guyane,1830-
1935, Perrin, Paris, 2009.
VERDOL Philippe (dir.), LKP Ce que nous sommes, Démounaj et pwofitasyon dans la Guadeloupe
contemporaine, L’Harmattan, 2012.
VERGÈS Françoise, Le féminisme décolonial, Editions La fabrique, 2019.
WILLIAMS ERIC, The Negro in the Carribean, Eworld ENC, 1942.

2-Langue et Littérature
CESAIRE Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine,1971.
GIACOMO M., La politique à propos des langues régionales, cadre historique, Langue française,
n°25, 1975.
SELBONNE Ronald, Albert Béville alias Paul Niger, une négritude géométrique, Ibis Rouge, 2013.
SELBONNE Ronald, Sonny Rupaire, Fils inquiet d’une igname brisée, Jasor, 2013.

469
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ANNEXES :
A- Fiches d’entretien de deux acteurs
B- Albums discographiques : essai de datation (1936-1993

a-1934-1959 : ALBUMS DES MUSIQUES DE BALS DE PARIS COMPRENANT DES TITRES


DANS LE GENRE GWOKA OU EVOQUANT LE GWOKA

Identification (titre album, auteur- Répertoire, Auteur-compositeur Lieu et Date


compositeur, chanteur, éditeur) d’édition
Orchestre Créole Matou, Pathé Bamboula, Abel Beauregard (Gpe), Paul Faustin Paris, Avril 1934
Orphélien (Martinique), biguine
Orchestre typique du bal Blomet Dans trou crab’la, Louis Jean Alphonse et Paris, septembre
Inconnu au tanbou-ka, Cristal Maurice Noiran, Raymond Domiquin, biguine 1935
Orchestre antillais du Bal Blomet Zé a coq la, Louis Jean Alphonse et Maurice Paris, mai 1936
Inconnu au tanbou-ka, Cristal Noiran, Sosso Pé-En-kin, biguine
Tention cé sèpens, Louis Jean Alphonse et
Maurice Noiran, Sosso Pé-En-kin biguine
Nègues bon Défenseus, Louis Jean Alphonse et
Maurice Noiran, Sosso Pé-En-kin, biguine
Sosso Pé-En-Kin et son orchestre de Anou alé, Miss Darling, biguine Paris, 8 janvier
folklore antillais avec Berthé et 1939
Richard, Pathé
Sosso Pé-En-Kin probablement au
tanbou-ka
Sosso Pé-En-Kin et son orchestre du Aux Antilles à Paris, Miss Darling et Pé-en-Kin Paris, 24 février
bal Bill Amour, Polydor 1939
Sosso Pé-En-Kin probablement au
tanbou-ka

Moune de Rivel et l’orchestre Al Biguine Wabap-wabap, biguine Paris, 16 avril 1954


Lirvat, Pathé
Moune de Rivel et ses rythmes Wap di Wap, cha-cha Paris, 1956-57
antillais, pathé
Moune de Rivel et son orchestre Calypso d’été Paris, 27 février
antillais, 1958
Moune de Rivel accompagnée de Amédée Paris, 1959
l’orchestre de Pierre Louis, RCA

470
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

b- TABLEAU DES DISQUES GWOKA EDITÉS DE 1963 À 1989


Indicateurs de dates : C (catalogue), R (Référence de l’album), ID (presse, artiste, producteur)

Identification Titres Indicateurs de dates : Catalogues (C), Référence (


R), Informateurs divers (ID)
Désignation, formes, producteurs, Répertoire C R ID Date ou
label, photographe période
retenue
Bamboulas de la Guadeloupe Paris - -Roulez ! Roulez ! (folklore) 1963 : LD 399, 1963
45 T -A vélo (folklore) Index des disques
-Léwòz -Fernand (folklore) albums BAM
-AFDERS -Pa ka coutez moin Léopold publiés
-Label BAM (chauffez toumblack) en 1963
-photo Planet de LD
395 à LD
399
Folklore de la Guadeloupe Félicité (toumblack) GP5A -25-09-1964 1964
Vélo et son gros-ka Dis adié (Roulé) dans
- 33T Moin pas chanceux (Calenda) autobiographie
-Léwòz Coq la chanté (Toumblac) producteur
- Label disque Emeraude Missié Carré (Les Roses)
-Edition La Case à Musique et le En rivé (Les Roses) Spectacle de
concours de l’office départemental Pas ban moin coup (Roulé) variétés
du Tourisme Vivile oh (calenda) annoncé dans
- Photo : Poitou Missié Rous (Toumblak) Antilles Matin
le 4 juin 1965
Casimir Létang / Adieu ti case an Adieu ti case en moin (chant Casimir 45DD Annoncé dans 1965
moin Létang) 156 Antilles-Matin
Label Disques Debs Oh la l’agent passer (chant Guy du 21 août
Conquette) 1965
Oyer mon dieu chant Paul Blamar

-Sauvé Vaillant Délaïde Maoba GPE 6 7-11-1965 1965


Sergius Geoffroy et son groupe Le Coco la dans
Terrible Grand bond matin autobiographie
-45 T Sainval ô producteur
-Véyé Malaba là
-Label Emeraude A case an moin
Pa manié loli-là
Chien-là
Quatre temps
Port-Louis la nuit avec Zombi barrez moin EM-025 7-03-1966 dans 1966
Germain Calixte, Zombi baré An colonne par 2 autobiographie
moin Josette producteur
-45 T Bébé
-Véyé
-Label Emeraude
Robert Loyson et son groupe du Rollin EM-026 10-05-1966 1966
Moule (45 T) Canne a la Richesse dans
Véyé Docteu autobiographie
-Label Emeraude Ban matelas an moin producteur

Spécial Folklore avec le Cercle Dolores Vol 1 CCA fondé en 1966


Culturel Ansois On nhomme a case en moin 1965
45T Zombi baré moin
Léwòz Méssié mesdames bien bonsouè
Label Aux Ondes
Producteur : Ramond Célini

471
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Le Cercle Culturel Ansois Robert Ji canne a la richesse Vol 2 2è version de 1966


Loyson En di manman an kalé mayé Canne a la
45T Ban tan moins an dou richesse éditée
Forme léwòz An tanmarin tini dé gade mobil en 1966
Label Aux Ondes - Adoption du
Producteur : Raymond Célini nouveau
dispositif de
paiement à la
richesse
Spécial Folklore Vive la Sonora Vol 3 Reprise de 1966
Le Cercle Culturel Ansois Médo Docteu Label
présente Loyson et Calixte Dédé a ti lala Emeraude du
45T Elaïde Maoba 10-05-1966
Léwòz
Label Aux Ondes
Producteur : Raymond Celini
Disque Célini présentent Bourreau la vlé mangé moin Vol 4 Sélectionné au 1966
Turgot Taret, le roi du folklore Sinégalé méchan asi quai la concert des
guadeloupéen Bateau moin rivé auditeurs du
45T Do ré mi la si do dimanche 20
Véyé novembre
Label Aux ondes 1966
Maquette et illustration Léo
Bocage
Producteur : Raymond Célini
Moin cé la centrale/ Du folklore à Moin cé la centrale (folklore) Vol 5 Parution 1967
100.000 Volts Robertine (folklore) annoncée dans
45T Clocote (folklore) France
Véyé La jeunesse en alpha (folklore) Antilles du 24
Label : Aux Ondes janvier 1967
Producteur : Raymond Celini

Robert Loyson accompagné par le Canne à la richesse N° 2 Vol 6 Reprise de la 2è 1967


tandem Vélo Boisbant Si papa mò version de
45T Canne a la
Véyé richesse,
Maquette : Jean-Clande Toribio enregistrée en
Producteur Raymond Célini 1966
Folklore hors série, Le Cercle Face A Célini Annoncé dans 1967
Culturel Ansois et Vélo An di pè et di fils 100 la presse FA
(Une rencontre au sommet) Yaya Yoyo bail la vré du 24 janvier
Document folklorique des Ti Jean prend ga a to 1967
Disques Célini Grage nouveau rivé
33 T Magnoc an moin d’en bail
Bèlè Jennesse mentin
Face A : Forme léwòz Face B
Face B : quadrille Pantalon (1ère figure)
Label Aux Ondes L’été (2è figure)
Producteur : Raymond Célini Poule (3è figure)
Maquettiste : Léo Bocage Pastorelle (4è figure)
Photo : Jean Chomereau Lamotte Doudou Mi moin jo di ce Noel
Poème de Julius Antare (Final)
Genes Gacons

Robert Loyson accompagné par le Malheu rivé (foklore) Vol 7 1967-68


tandem Vélo Boisbant Garde à vous (folklore)
45T

472
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Véyé
Label Aux Ondes
Producteur : Raymond Celini
Robert Loyson accompagné par le Madame voyagé (folklore) Vol 8 1967-68
tandem Vélo Boisbant Chatte tété ratte (folklore)
45T
Véyé
Label Aux Ondes
Robert Loyson accompagné par le Germanie (folklore) Vol 9 1967 / 68
tandem Vélo Boisbant Léonne ma fi (folklore)
45T
Véyé
Label Aux Ondes
Producteur : Raymond Celini
Guy Conquet Spécial Folklore grô Zèzèle (folklore) Vol 10 -1er disque de 1967-68
ka Baimbridge chaud (folklore) Conquet
45T enregistré en
Léwòz 1967-68 par
Maquette : Jean-Clande Toribio Debs
Label Aux Ondes (information
Producteur : Raymond Celini Debs et
Conquet).
-Accueil 1ère
promotion
Lycéens
Baimbridge en
1968
Robert Loyson Folklore Nous kalé a Kutumba RC 52 Article du 12 1969
45T Jean fouillé, Piè fouillé juin 1969
Véyé consacré à la
Label Aux Ondes sortie du
Maquette et illustration : B. disque
Bocage
Producteur : Raymond Celini

Guy Conquete Ban moin clé a Titine RC 56 1969


45T Firmin au tribunal
Léwòz
Aux Ondes
Guy Cornély accompagné par le Guadeloupe (Guy Cornély) RC 62 Article du 12 1969
tandem au Gros- ca En cé nègue (Guy Cornély) juin 1969
45T Où sont donc les tam-tam, (Guy consacré à la
Poèsie accompagnée de tambours Cornély) sortie du
Label Aux Ondes disque
Producteur : Raymond Celini
Maquette et illustration : B.
Bocage

Congné go-ka èvè Gérard Pomer Léopold (folklore) 14.134 -Disque 1962-64
45T Rythme toumblac enregistré au
Léwòz studio de
Production Henri Béville Béville alors
Label : Kaloukera que Gérard
Pomer né en

473
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

1942 a la
vingtaine
-1ère série
avant la
nouvelle qui
débute en 1964
à l’occasion de
la participation
du groupe
Emeraude au
festival de
Confolens qui
a eu lieu du 13
au 16 août
1964
Bloncourt Francillette et le groupe Bôdé Apiyé (biguine) KF 01 1ère de la 1964
Emeraude Fanme tombé (roulé nouvelle série
VIè Festival International de danses L’Atilié Valo (Calenda) annoncée
Folkloriques de Confolens, L’Elmi bien bon (biguine)
Charente Dit : Voyé (lérose)
45T Di fé (toumeblac)
Léwòz
Label : Kaloukera
Photo : Hébé

Folklore guadeloupéen Dôdô ou kalé (lérose) KF02 2è de la 1964


Etienne Aigle et groupe Caribana Moin Fènan (roulé) nouvelle série
45T René ou mové (toumeblac)
Léwòz Mi co (grage)
Label : Kaloukera

Les Anges Noirs du go-ka du Volant (grage), F. Lanard et L. KF 04 Bernier Locatin 1966
groupe Caribana de Pigeaon Ebreuil (1952- 2008)
Bouillante avec Bernier Locatin et Nelson O (lérose), Ch Aigle est tanbouyé
Delice Zenon, 14 ans Pa nomé nom a Nana (toumblac), F.
45T Lanard et L. Ebreuil
Léwòz
Label : Kaloukera En ka rété san bouè san mangé, F.
Lanard et L. Ebreuil

Les Anges Noirs du go-ka du Cocot si di fé (toumbalc) KF 05 1966


groupe folklorique Caribana de Otto (G. Soumbo (rechercher le
Pigeon Bouillante prénom)
45T Eloi o (Christen Aigle
Léwòz
Label : Kaloukera

Alfred Labasse / Folklore -Man Thimothé DD52 enregistrement 1965-66


45T -An bas la source 1er prix
Léwòz -O la ou té yé biguine vidé
Label Disques Debs -Emmanuel piqué –Joséphine 1965 référencé
Photo : Henri Debs DD37
enregistrement
1er prix biguine
vidé 1966
référencé DD57

474
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

MELIOT (Dolor) dit "Dolor" Matelas mouillé DD56 1966


accp. par Serge CHRISTOPHE Ban moin mayé la
et ses "Diables du Rythme" Vini sauve moin
45T Yéyélo yéyélo
Léwòz
Edition, Enregistrement, Production
et Photo : Henri DEBS
Guy Conquette, Jo mayé dé graine O enemi la DD102 Enregistrement 1967-68
dé la A Balata édition en
45T Jo mayé dé graine dé la 1967 après le
Léwòz L’auto rouge la service
Label Disques Debs militaire de
Photo : Loulou Poitou Conquette de
Maquette : Daniel Gargar avril 1966 à
août 1968.
Antérieur à 45
DD 107 dont
la date de 1968
est indiquée
sur la pochette
de l’album.

Mr Sax Emilien Antile, Guy Ti marin pêcheur (folklore) DD103 1968


Conquette : chant Si cé kon sa ou pas ni raison (Guy
45T Conquette)
Léwòz Bateau la (folklore)
Label Debs Guadeloupe biguine (folklore)

Guy Conquette Ban clé a Titine DD114 Enregistrement 1968-69


45T Vim an la ri la du DD107 en
Léwòz Couloucoutchiou Man’ja 1968
Label Debs Ka ça yé les Allemands

Guy Conquette, Le roi du folklore Nathalie oh DD137 1969


45T Assez fait cancan
Léwòz Faya faya maman
Label Debs Congo Lio

Casimir Létang / Adieu ti case an Adieu ti case en moin (chant DD156 1969-70
moin Casimir Létang)
45T Oh la l’agent passer (chant Guy
Variétés Conquette)
Léwòz Oyer mon dieu chant Paul Blamar
Label Debs

Vélo /Caso/ Paul Blamard chante Lovency (creol’s spiritual) DD169 Enregistrement 1969-70
Caso Le marchand de bonheur (boléro) en 1969
45T (information du
Variété responsable de
Biguine la production
Léwòz Debs)
Label Debs

Caya et son groupe Moin aimer gros ca DD 181 1969-70


45T Maman yo ka plérer pou yo
Léwòz Ti adieu

475
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Label Debs

La « Brisquante » Groupe Tam-tam Inscription sur 1967


folklorique de l’Entraide Ma Guadeloupe le disque :
Féminine Guadeloupéenne Yoy biguiné piquante début et fin de
Production Socipress Yéyé-la-Yéyé-la La Brisquante
45 T Mi lézard la 1947-67
Gwoka de scène Tam-tam

Légende :

AFDERS (Association française pour le développement de l’enregistrement et de la reproduction sonore, 1963


Emeraude de 1964 à 1966
Kaloukera de 1964 à 1965-66
Aux Ondes de 1965-66 à 1969
Disques Debs de 1965 à 1969-70
SOCIPRESS, 1967

c-TABLEAU DES ALBUMS GWOKA, JAZZ, ZOUK OU ALBUM COMPORTANT TITRES


GWOKA , EVOQUANT LE GWOKA OU FAISANT USAGE DU TANBOU : 1970-94

Identification (Titre album, type, Répertoire Date retenue


label, référence)
Anzala, Sauvez La Guadeloupe, Aux Sauvez La Guadeloupe 1972-19801447
Ondes, vinyle 45 T Ma chè Nini ou déraillé
Vol 14
Ti Céleste, la beauté du Folklore, vinyle, Chien la japper 1976
33T. La Guadeloupe moin river mi moin
Disques Debs Messieu mesdames
HDD 595 Ti-Céleste arrive
Rimede la
Mi bel bitin a Paris
Popilation Basse terrienne au Abois
Moin envie danser on belle biguine

Album Gérard Lockel Ka présenté Gro Mode n°1 (toumblak) 1976


ka modên, vinyle, 33T Mode n°2 (Lérose)
Auto-production Sa ki tao usé taou (texte et musique)
Gwadloup kongné modên
Mode n° 3 (Lérose)
Indépendance (chant)
Kimbé (chant)
Mode n°4 (toumblak)
Moin gro ka (pou UTA et UPG), (poème)
Lévé (chant)

1447
Date retenue à partir de la date dela sortie du premier album Anzala en 1972 et la date (0-08-1980) d’une dédicace inscrite sur
l’un des exemplaires du l’album Sauvez la Guadeloupe.

476
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Mode n° 5
Fenm Guadloup (texte)

Fabiano Orchestra, Butterfly Island Créole1448 1978-1980


Franck R. Records, vinyle, 33T
8.8002
Guy Conquet et le groupe Ka, La La Gwadloup an dérout 30 juin 19781450
Gwadloup an dérout vinyle, 33T Lolo
Uniteledis Okabo
UNI30678 Klé a Titin
Instrumental 1449
AlbumTumblak, vinyle 33T, Fracas 1978
Paco Rabane Invocation
Jubilé
Vaudou
Parlement
Waka
Caraïba
Chunga Funk
Bato la pasé
Teate Volkan ka chanté Sové papiyon Sové papiyon la 1979
la, vinyle, 33T Honk kon Kochon
Teate Volkan Sèpan la
42001 An noua lé
Cloch la son’né
Édé man’no
Ki poblèm

Kassav, Love and Ka dance, vinyle 33T Africa (Kassav Vocal Version) 1979
Chancy Records & Tapes Don’t be a fool
CRCLP Attention
7987 Africa (Instrumental Version)
Fascination

Luc-Hubert Sejor, Spiritual Sound Eritag 1980


Mizik Filamonik, vinyle, 33T Pein’ e plezi
Auto-production Son
MC 202 TL9012 Premie vouwayage
Desyem’ vouwayage
Touwasyem’ vouwayage

1448
C’est le seul titre où interviennent des tanbouyé
1449
L’album comprend deux instrumentaux
1450
Date indiquée sur le contrat d’enregistrement avce la maison UNITELEDIS.

477
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

AlbumTumblak, vinyle 33T, Le dendé 1981


Paco Rabane Ka dance
BA 108
Robert Loyson présente Jo Tagliamento La Guadeloupe trenglé, Robert Loyson 19821451
et R. Sambin, La Guadeloupe trenglé, Fan’M ka min’ne la vi san position,
Disco Franca Tagliamento
SOP 17004 En ba la tè pa ni plézi, Robert Loyson
Console ou manman pa pléré, Robert Loyson
Robert Bois dèyè, Robert Loyson
Avion la taombé an chimin, Sambin
Album Ka lévé, vinyle, 33T Tou lé maten 1983
Disque Debs Tcho
HDD 726 Apré nou byen chèché
Di Adyé (Im Gwadloupéyen)
Album Ka fraternité Gwo Kato Gwo Gwo Siwo 1983
Siwo, vinyle, 33T Bèlè
Disque Debs Padjanbèl
HDD 721 Gwaboulatakout
Gwo kato
La Gwadloup ékléré
Antiyè
An ké toujou joué tanbou
La vi la
Album Sonmey Koupé, vynile, maxi 45 So’ mèye koupé (Guy konkèt) 1985
tours Yonndé (Guy konkèt)
NUM 48078 Kimbé rèd (Gilbè Koko)

Album Kannida, vinyle, 33T Robè 1981-821452


Production LM (Liso Music) Mérilo
LM 6026 Fonwen rivé
Léwòz-la
Chère maman
Fô solé
Lapli-la
Evè on pwen, Foubap, vinyle, 33T Minnan minnan 1985
Foubap Bannélo
1310 Métropòl
Jan
Èvè on pwen
La pli ka tombé
Album Siwo, Jocelyne Beroard, vinyle, Siwo 1986
33T1453 Sa ki tala

1451
Information du producteur Camille Hildevert dit Soprane (1982). D’après Harry Célini, l’enregistrement date de 1979 avant
pressage à la Barbade par le producteur Hildevert Camille, Emission de Michel Marvel, Radio Caraïbe International, 5 avril 2018.
L’émission a été réalisée à l’occasion de la réédition des titres.
1452
Indication de date par Francky Geoffroy dit Zagalo, membre de l’ensemble musical, entretien septembre 2009.
1453
Les tanbouyés de cet enregistrement discographique sont Armel Gammalame, Ismard Loche

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

GD Productions Kaye manman


GD 36 Kolé séré
Son la ri
Mi tchè mwen
Présé
Album Tanya St Val Tamboo1454 1986
Vinyle, 33T Méte’w cool
Production Henri Debs Mister Love
HDD 2436 Plus fort
Koupé sa
Stop
On ti pawòl

Album La Klé de Edith Lefel, vinyle, Pou an passion 1988


33T1455 Poutchi
GD Productions Etiw doudou
GD 43 SOS Mémé
La vie trop kout
La klé
Piti kouté gran
Album Gérard Lockel, Gwoka modèn, Chant Lendépendans Juin 1988
vinyle, 33T Toumblak n°3
ADGKM Kaladaja n°1
GKM2 Granjambèl n°1
Léroz n°3
Mendé n°1
Gwadloup kongné moden n°2
Graje n°1
Woulé n°1
Esnard Boisdur, Katel La voix des Moun ka ba moun kou (toumblak) Années 1990
Grands Fonds, vinyle, 33T Nini O !... Mwen anvi mayé (Menndé graj)
TDC (Théâtre du Cyclone)1456 Lakolé (léwòz)
1407 Pawòl an bouch pa chaj (toumblak)
Rasanbleman (kaladja)
Déven (Fon Feran) (Graj)
Wap sa bo (kaladja-graj)
Konsepsyon (kaladja)

Album Kimbòl » Live » Centre des Arts Vélo (graj) 1992


Vinyle, 33T Ka woulé (woulé)
Auto-production Ka sonné (toumblak)
KB 001 Gwakaladja (kaladja)
BSFM (graj)

1454
La percussion gwoka (phrasé rythmique menndé) est assuré par le percussionniste Daniel Kissoun.
1455
Pour cet enregistrement discographique, le tanbouyé est Roger Raspail.
1456
Cet album de type CD est un remix des titres à succès des deux premiers albums vyniles de l’auteur-compositeur- interprète sortis
à la fin des années 1980.

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Lyen étèwnèl (léwòz)


Zanfan (granjanbèl)
Album Akiyo Mémoires, vinyle 33T, Akiyo la oa’w kalé konsa 1992
Déclic Communication Nou rivé
84541221457 Mass Love (pot pourri)
Nèg Vani o
Dékolé né a’w
Le Koweit
Si yo mandé pou mwen
Rimpo
Sen Jan
Album Kannida, Mizik an nou Macocotte 1993
Sonodisc, Fanm salé nomm
Zirondell
Mizik en nou
Dé mo anglé
André
Mové critik
Gwag la
Lukuber Séjor Du premier voyage au Kamaloko 1993
retour a Ka, CD La foule
Production Vendredi Pichon Nèg ki na giné
Cri vers ciel 1
Banjogita japa
Cri vers ciel 2
Banjogita Kirtana
7 Mòdakamantra
Tu jan i sonné
1er choix
1er Vwayaj
Eritaj
Éème Vwayaj
Penn é plézi
3è Vwayaj
Son

1457
Le titre, la référence et la production sont celles de la réédition en 1997. Les titres sont inchangés pour les éditions de 1992 et
1997.

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C- Fiches entretien : deux exemples

a- Fiche Chabin Ferriée Olivier dite Dòdòz, danseuse/ bamboula, véyé.


14 avril 2017, St Louis Marie-Galante.

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b- Fiche Alain Caprice dit Fly (1944-2019), photographe de manifestations


gwoka, plasticien, 29 juin 2019, section French, Ste Anne.

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D- Témoignages à partir de prérequis


1- Raymond Gauthiérot/ danseur, chanteur, scénographie/ léwòz, mas,
gwoka de scène/ Dévarieux, Petit-Canal, 8 juin 2018

Extraits de la brochure Almanaka Jénérasyon 2008, page 54.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

PREREQUIS :
Nous avions connaissance de Karukéra, troupe de danses de Pointe-à-Pitre des années 1970-
80, par la voix de Fritz Naffer, un de ses membres qui l’évoque sans cesse dans ses témoignages.
Par ces témoignages nous avons appris que la troupe avait été créée par la famille Gauthiérot
résidant à Pointe-à-Pitre. Pour de plus amples informations, nous avons décidé de rencontrer
un des membres de la famille et connu pour son implication dans le milieu syndicaliste. Il s’agit
de Raymond Gauthiérot, 63 ans, retraité du service de comptabilité de la Sécurité Sociale et
membre de l’UGTG.
Notre entretien à son domicile de Dévarieux dans la commune de Petit-Canal s’est déroulé à
partir d’un article du Bulletin Almanaka 2008 et d’albums photos car la visite fut négociée entre
l’enquêteur et l’interviewé. L’entretien est en langue créole. Nous avons commencé par la
lecture de l’article pour approbation puis le texte fut complété par l’entretien qui dure 2 heures.
L’interviewé a prévu de commenter quelques photographies de la troupe. Le rapport qui suit
respecte la chronologie du témoignage tel qu’il s’est déroulé.
RAPPORT DE TEMOIGNAGE
Le groupe a peu d’archives. Le premier film a été réalisé par Georges Faisans. Max Séverin
pourrait aider à le retrouver car Faisans est son beau-frère. Des albums ont été remis à
quelqu’un en guise de press-book. Cette personne envisageait d’organiser des tournées du
groupe en France mais le projet n’a pas abouti et les albums ont disparu. Dans le répertoire de
la troupe Karukéra, des chansons comme La complainte noire de Guy Cordoval et Jean Flower
appartiennent à des musiciens guadeloupéens auteurs-compositeurs de chansons engagées au
cours des années en question. Les textes sont adaptés au thème des ballets. Ce sont plutôt des
pièces de théâtre en musique plus que de simples ballets. Les tenues aussi sont adaptées. Pour
la pièce animée par la chanson précédemment citée, la troupe l’ayant adaptée pour la question
du chômage, les tenues représentaient divers métiers populaires comme les pêcheurs, les
travailleurs de la banane, de la canne à sucre, les ouvriers du bâtiment… Les ballets étaient
joués pour les fêtes communales. La pièce en question est jouée pour la première fois pour la
fête de Pointe-à-Pitre à la rue Vatable. Raymond a entre 21 ans et 25 ans alors qu’il est né le 29
novembre 1955 à la rue Anatole Léger à Pointe-à-Pitre. Cette troupe de danse est constituée à
l’origine par la fratrie Gauthiérot : Raymond lui même, ses soeurs Kelly, la cadette de
Raymond et Astrid, Robert, Rudy, Yannick et Christian.

Ces enfants ont été initiés au monde du spectacle par leur père organisateur de spectacles dans
la ville de Pointe-à-Pitre. Toutefois, la création de la troupe est davantage issue d’un premier
spectacle des enfants Gauthierot à l’initiative de la mère Gauthierot. Employée de la
municipalité de Pointe-à-Pitre, elle était membre d’une section communiste. Pour la remise
annuelle des cartes, une fête était organisée. Leur mère, a eu l’idée de faire monter un spectacle
de danses par ses enfants. Ils étaient six parce que Yannick, le benjamin de la famille n’était
pas né. Généralement, c’était des ballets européens qu’il désigne par « balé a Blan ». Mais les
enfants refusent de présenter ce type de danse et décident de présenter un ballet
« guadeloupéen ». Selon Raymond, c’est juste par instinct que cette décision fut prise. La
troupe a été créée à partir de cette initiative. Raymond est âgé de 16 ans. La musique était celle
des disques et les costumes étaient réalisés par leur grand-mère maternelle, Vincent Bernadette
épouse Mormon1458 dite Doudou par les petits-enfants. Elle décède en 2015 à l’âge 103 ans.
L’initiative est encouragée par la commande d’autres sections du Parti Communiste
Guadeloupéen. La troupe commence donc ses tournées au sein de ce parti politique dans
diverses communes où étaient créées les sections. Mais ces tournées réservées à un parti

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

politique interpellent Raymond qui signifie à sa mère la fin des tournées. Il justifie sa décision
par un sentiment d’exploitation. La troupe aurait pu disparaître par cette décision parce que la
mère Gauthierot s’est désolidarisée de cette décision et a mis un terme à l’encadrement de la
troupe.
Celle-ci doit sa survie à l’apport d’autres enfants de la famille, les cousins et les
cousines. La troupe était désormais numériquement importante. En revanche, elle ne fait l’objet
d’aucune déclaration en préfecture. Elle rayonnait désormais sur la famille. La grand-mère
garde son rôle de couturière. En définitive, cette troupe est née du travail en amont du père. En
effet, après Aimé Adeline, le père Gauthierot organise le Carnaval de Pointe-à-Pitre. Raymond
prend la relève. Et, dans le cadre des festivités du Carnaval, Raymond demande la construction
d’un podium, pour la présentation d’un ballet le mardi gras, afin de créer une ambiance
Carnaval à Pointe-à-Pitre, détrônée par le Carnaval de Basse-Terre. Ce Carnaval était identique
à celui de Madame Adeline mais c’est le père Gauthiérot initie l’élection de Miss Carnaval au
Hall des Sports de Pointe-à-Pitre. La troupe Karukera présente, comme d’autres troupes, des
candidates à cette élection. A l’époque c’est plutôt le décor qui est primé. C’était le temps des
déguisements en fruits, fleurs, légumes…
La salle de répétition de la troupe se trouvait à Boissard, quartier populaire de Pointe-à-
Pitre, dans une salle jouxtant l’épicerie de la grand-mère Doudou, transformée en salle de
répétition ou encore la grand-mère leur mettait à disposition une de ses maisons qu’elle louait
habituellement à Boissard. Désormais, la troupe Karukéra « prenait le relais » du père
Gauthiérot. Son expérience guidait la troupe. Les amis de son ensemble musical Diapason
ouvraient la voie à Karukéra. Les chansons étaient souvent transmises par Doudou. Elle
chantait, la troupe adaptait. Doudou était la charpente de Karukéra, son « pyébwa » comme dit
son petit-fils Raymond.
Les répétitions participent à la popularité de la troupe. En effet, de 14 heures à 18 heures
le samedi, un public fidèle vient assister aux répétitions. Il est vrai que les répétitions musicales
constituaient un des loisirs de l’époque. Les salles de répétition devenaient des lieux de
divertissement et de rencontres pour la population. Les danses avaient été apprises sur le tas par
les membres de la troupe copiant des danseurs lors des manifestations gwoka dans la ville de
Pointe-à-Pitre et dans d’autres communes principalement pour les fêtes communales. A partir
des pas observés, la troupe initiait ses propres pas. Elle innovait. Par ailleurs, un des anciens
danseurs de la troupe de Madame Adeline, Hugues Vulgaire encadrait la danse. Ce que
Raymond considère comme une chance pour la troupe. Ce fut un « apport extraordinaire ».
Raymond créait des ballets. Il jouait le rôle de chorégraphe.
La troupe devient école. Les adhérents apprennent à danser le gwoka. Seule la danse
était enseignée. La musique à ce moment n’est déjà plus produite par les disques mais par des
tanbouyé comme Fritz Naffer, Yves et François Thôle. Aldo Middleton est d’abord danseur
avant d’être tanbouyé. La musique comme pour les autres troupes était produite par deux
tambours, l’un makè et l’autre boula. Mais à l’arrivée des tanbouyé, les uns étant aussi
performants que les autres, il a fallu profiter des performances de tous. La troupe désormais
était dotée d’un orchestre composé de trois tanbouyé soit deux boula et un makè. Les tambours
étaient fabriqués par Yves Thole. L’orchestre disposait aussi de conques à lambi apportées par
Fred Azède. La recherche de variations sonores avec les conques à lambi étaient devenus une
de caractéristiques sonores de la troupe. Raymond était aussi chantè et les autres membres de
la troupe étaient des répondè. Les costumes étaient traditionnels parce que Doudou l’exigeait.
Elle n’acceptait même pas de desserrer le cordon qui ceignait la taille des robes à corps. Elle
estimait que c’était sacrilège de ne pas respecter cette tenue. Nous étions fidèles à la
transmission de notre grand-mère à tel point que la notion de doudouisme nous était étrangère.
Nous ne faisions que respecter ses consignes. Nous étions sûrs d’être dans la tradition. Les filles

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

et garçons dansaient pieds nus et parmi les membres, les filles qui portaient des lunettes étaient
invités à les ôter pour la danse afin d’être plus naturelles.

Le mouvement indépendantiste a reproché à la troupe de faire du doudouisme. Mais Raymond


avoue qu’elle n’en avait aucune conscience vu la jeunesse des membres. Pour le mouvement,
le fait de créer des chorégraphies du gwoka de même que de se produire dans des hôtels
relevaient du doudouisme. Mais la troupe gagnait en visibilité. La constitution d’une association
se révèlait inévitable. Car il fallait un compte en banque. François Thôle fut le trésorier.
Karukéra était particulièrement sollicitée par les municipalités pour les fêtes patronales dans
toute la Guadeloupe. C’est ainsi que Michel Bangou, responsable de la culture à la municipalité
de Pointe-à-Pitre propose que la troupe représente la Guadeloupe à Cuba à Carifesta 1979 alors
qu’elle avait programmée un spectacle au centre des Arts. La municipalité de Pointe-À-Pitre a
endossé les frais de dédommagement de la troupe.
D’autres ensembles musicaux comme Foubap, l’orchestre Jeunesse, le groupe Steel
band de Port-Louis sont aussi du voyage. A Cuba, Karukéra refuse de défiler derrière le drapeau
français. Les membres fabriquent un drapeau aux couleurs rouge, jaune, vert. Ils sont suivis par
les ensembles Foubap et Steel Band de Port-Louis. Karukéra passe ainsi dans un grand stade
devant le Président Fidel Castro.
Les spectacles étaient « engagés ». Ce n’était pas des « spectacles wélélé ». La primauté était
donnée aux spectacles à thème politique et social : le chômage, les fermetures d’usines,
l’économie sucrière, l’économie bananière, la pêche… Les fermetures d’usine ont donné lieu à
la préparation d’un spectacle dénommé « Lizin fèmé ». Il était animé par une chanson « On dòt
lizin fèmé ». Des sons de conques à lambi retentissaient comme pour l’annonce d’un décès. Ils
étaient accompagnés d’un slogan « Kòn a lanbi sonné ». La troupe avait imaginé la fermeture
de l’usine de Beauport par des pleurs de chien, mauvais présage annonçant la mort dans les
croyances populaires en Guadeloupe.
Mais, ce spectacle ne s’est pas réalisé à cause du départ des membres vers une nouvelle troupe,
Foubap. Hubert Arénate a remplacé les tanbouyé défectueux de même que Aldo Middleton qui
est passé de danseur à tanbouyé. Puis d’autres défections sont remplacées par des tanbouyé
rémunérés. Ce fut une nouvelle donne parce que la troupe gardait habituellement ses cachets,
en dehors de la modique somme attribuée à la couturière, pour financer des voyages de
découverte de la Caraïbe où des spectacles étaient donnés dans de grandes salles de concerts ou
de cinéma. C’est ainsi que Karukéra voyage à la Barbade, Ste Lucie, Trinidad, Martinique,
Guyane…. Elle tente l’Europe mais les projets de voyage n’aboutissent pas. La Martinique est
la destination caribéenne majeure du groupe parce qu’elle était jumelée avec la troupe de Ti
Emile (Emmanuel Casérus, chanteur et danseuse de bèlè de la Martinique (1925-1992). Les
membres des deux troupes faisaient des échanges de parrainage et « marrainage » des enfants.
Ils formaient une même famille. Karukéra a connu cette troupe à l’occasion d’un spectacle
réunissant la Martinique et la Guadeloupe au Hall des Sports. Elle ne voulait pas de la troupe
de Loulou Boislaville, plus connue mais trop doudouiste. Le spectacle a eu lieu et la troupe de
Martinique était hébergée au Chemin des Petites Abymes.
Les voyages de la troupe de même que les spectacles étaient préparés en collaboration avec
un commerçant de Pointe-à-Pitre qui possédait des magasins en Guyane. La troupe payait
l’hôtel, la restauration que compensait en partie la recette du spectacle. Le commerçant
introduisait le groupe auprès de ses connaissances dans la Caraïbe. Mais la qualité des
prestations décline. La troupe met fin à ses activités d’autant que Raymond, après l’affaire
Faisans devient un fervent syndicaliste. La fin du groupe s’explique aussi par l’entrée dans la
vie active de plusieurs de ces membres. Les adolescents membres de la troupe Karukéra âgés
de moins de 18 ans, devenus adultes n’avaient plus la même disponibilité. Les études, les
départs pour la France, la vie active en général a eu aussi raison de la troupe Karukéra au milieu

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des années 1980. Mais les membres de la troupe ont gardé de très bonnes relations. Ainsi, la
mort de Steeve Bregmestre fut portée par les membres de la troupe.
La fin de l’entretien donne lieu à des commentaires de photographies. De nombreux membres
de la troupe figurent dans l’album :
Des photographies d’identité :
Patrick Nanquin, joueur de calebasse
Picolo aux maracas
José, membre probablement danseur
Binbilingue, membre probablement danseur
François probablement Thole, tanbouyé et trésorier
Line danseuse
Nicole danseuse
Gislaine danseuse
Christian Vincent, frère de Raymond, danseur
Des portraits :
Doudou la grand-mère
Hugues Vulgaire, ancien danseur de Madame Adeline qui a rejoint le groupe
Des photographies de la troupe en spectacle :
- Karukéra a Bazin Petit-Canal : de gauche à droite (photo en noir et blanc)
Mano danseur, Gislaine danseuse, Robert Gauthierot danseur, Line Birus danseuse, membre
non identifié, Astrid Gauthierot danseuse, Rudy Gauthierot danseuse, Chantale Permal cousine
des Gauthierot danseuse.
- Karukera à Miquel Pà P : de gauche à droite photo couleur :
Debout les danseurs dont Robert et Rudy Gauthierot
Accroupis les danseuses : Astrid, Kelly, danseuse dont une des sœurs de Joel Nanquin.
Au tanbou : Yves Thole à gauche, Jocelyn joueur de calebasse, Patrick Nanquin joueur de
calebasse, François Thole à droite, Raymond chanteur.
Karukéra avec ses 3 tanbouyé en Guyane
Au chant derrière le micro, Raymond / Répondè = un dénommé Conquet mais ce n’est pas Guy
Michel Marvel au boula, Hubert Arenate comme makè, l’autre boula n’est pas identifié
Des photographies du Carnaval entre 1977 et 1978 :
Karukéra présente un chou
Raymond déguisé en costume féminin du groupe (dans son milieu professionnel en 1978)
Raymond et le groupe Akiyo qu’il intègre en réaction à l’affaire Hugodot juste pour une saison.
Raymond présentant une parodie de St Michel Archange terrassant le démon qui est un
« Blanc » cette fois et Michel Archange qu’il représente est un « Noir ». C’est lui (vers 1982).

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Michel Halley, tanbouyé, chantè/ léwòz, mas / membre d’ensembles musicaux


divers/ organisateur d’évènements culturels autour du gwoka, 11 mai 2018,
Pointe d’Or, Les Abymes.
Correspondance entre le sous-préfet Philippe Hugodot et le Mouvman Kiltirel
Akiyo, février 1985 ( Autour du Carnaval, Journal Lendépendans, N°54, 16
février 1985, Collection Radyo Tanbou)

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

PREREQUIS

Michel Halley est très connu dans le milieu du gwoka principalement pour les formes mas et
léwòz. Il a participé à de grandes mobilisations pour défendre les pratiques culturelles aux
tambours de la Guadeloupe. Il a présidé plusieurs associations culturelles. Il est encore très actif
dans le gwoka et n’hésite pas à innover. Il est très sollicité par tous ceux qui font de la recherche
autour du gwoka en Guadeloupe. C’est un acteur incontournable. Nous avons tenu à
l’interroger. Il nous reçoit dans les locaux du Centre Hospitalier gérontologique où il exerce
son métier d’animateur culturel au profit des personnes âgées dépendantes. Ses outils de travail
sont : des tanbou, des jeux de société. Il nous précise que sa mission auprès de ces personnes
est très large. Il leur enseigne les techniques du tanbouyé, organise des parties de jeux de
société, les accompagne en sortie au restaurant, à la plage…
Notre entretien se déroule en créole. Nous posons des questions pour lesquelles les réponses
sont longues.
MHL : J’aimerais savoir de qui tu tiens le gwoka ? ».
Michel : La réponse le renvoie à sa plus tendre enfance. Sa grand-mère maternelle l’élève en
attendant que ses parents terminent leurs études. Son père sera plus tard médecin et sa mère
pharmacienne. Chez sa grand-mère les seules musiques qui le bercent sont les chansons de la
liturgie catholique. Elle habitait lari « La Rènn » devenue angle des rues Alexandre Isaac et
Dugommier. Mais lors de leurs sorties, les « Mas a Sen Jan » s’arrêtaient devant la maison de
la grand-mère. Elle était femme d’église et le grand-père était pharmacien. Ils avaient tous les
deux le sens du secours mutuel. Les gens de Fonds Laugier, la rue Vatable, de l’ensemble du
quartier la connaissaient pour cette qualité. Il a aussi vu des gens danser sur les échasses, les
mokozombi comme on les appelait.
De retour en Guadeloupe, le père Halley fait un peu de guitare à ses heures perdues. Il aime les
chanteurs français comme Brassens. En revanche son cousin Christian Hazaël-Massieux,
dentiste est amateur de biguine et en joue sur son piano. Michel l’écoute régulièrement lors des
réunions familiales notamment le dimanche.
Mais c’est au lycée de Baimbridge1459 qu’il côtoie le gwoka au foyer culturel. Il y a là des
tanbou. Parallèlement, il fait de la musique avec Patrick Alexis en guise de distraction sur un
clavier ou une guitare…. Il a 15 /16 ans quand il rencontre des gens de son âge avec qui il
partage la musique. Les rencontres musicales ne sont pas régulières mais elles le passionnent
d’autant qu’il prend de la distance avec l’Ecole.
MHL : Je te connais avec Conquet, avec Vélo. Je sais que tu as apporté des innovations dans
le gwoka avec Takouta1460 et Akiyo. Pourrais-tu me parler de ces expériences ?
Michel : Il met davantage en avant sa participation bien plus que la paternité de ces innovations.
Il parle de « mouvement d’innovation » auquel il a apporté sa pierre. Il parle aussi d’adaptation
auquel il s’est soumis autour de ses compagnons de musique comme les tanbouyé Ady Gatoux,
Jocelyn Ubelé dit Linlin. L’une des innovations auxquelles il a pris part avec Guy Conquet est
le « Nèg Chapé » qui selon lui diffère fortement du « gwoka traditionnel ». Cette rythmique
ressemble à celle de Takouta mais c’est encore différent. Il en profite pour souligner sa

1459
Lycée situé aux Abymes et en fonction depuis 1978
1460
Mouvement musical créée dans les années 1970 pour le développement libre de schémas rythmiques du
gwoka, transcendant les schémas conventionnels.

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marginalité dans le gwoka vue le rang social de ses parents. Mais il reconnaît que le gwoka est
un cadeau que la vie lui a offert vu les problèmes de santé qu’il a rencontrés autour de ses 13 /
14 ans et qui ont « gâché » sa scolarité. En 1972, il se rend à la Désirade dans le cadre du
mouvement Takouta avec Linlin alias Jocelyn Ubele, Ady alias Ady Gatoux, Mawso alias Jean-
Pierre Sabine Nanon. Cette aventure musicale a pu être possible grâce à une maison dont il
disposait et qui appartenait à la mère de Linlin.
MHL- Ce n’est pas tant le résultat qui intéresse, c’est plutôt le projet en lui-même qui mérite
d’être décrit. Comment la décision de Takouta a t’elle été prise ? Y avait-il un projet autour
d’une nouvelle expérience rythmique ?
Michel : Il s’agit de la « recherche-action » c’est-à-dire « des choses qui se révèlent en vous ».
Ils étaient plusieurs à jouer du tanbou sous l’égide de Guy Conquet. Ils ont pratiqué le « Nèg
chapé ». Ils sont allés à Marie-Galante. Ils y ont vécu un incident où Linlin a été blessé par la
personne qui les avait invités. Ils durent revenir sur Pointe-à-Pitre pour le faire soigner par le
stomatologue Félix Proto. Linlin conduisant le mouvement Takouta et les autres membres étant
disponibles, la mise en oeuvre fut possible. Cette époque correspond à une vague de recherche
sonore autour du tanbou. Il faut rappeler l’expérience de l’ensemble musical Atika avec Patrick
et Rony Jean-Marie.
L’expérience Takouta était une vraie excursion caribéenne vers La Désirade avec la présence
d’étudiants martiniquais. Ces derniers ayant abandonné, les quatre guadeloupéens ont mené à
bien le projet. De nombreux jeunes s’essayaient à toutes les innovations musicales possibles.
Les influences sont nombreuses comme Jimmy Cliff ou Bob Marley, l’Afrique, la dimension
mystique du tambour, ses pouvoirs de guérison magique. Le film Soul to Soul de Denis Sanders
avait inspiré des percussionnistes comme Marso ou comme Jacques Marie-Basses pour
l’introduction de la grosse calebasse dans l’orchestre gwoka. L’aventure de la Désirade n’était
pas un moyen de s’isoler dans le but de produire mais plutôt juste pour jouer ensemble. Cette
communion a favorisé la parution de sons nouveaux, la création d’une musique qui rassemblait
des amis. La musique les transcendait. Des anecdotes confortent cette transcendance : la
mobilité retrouvée d’une personne souffrant de handicap moteur, l’incapacité pour l’étranger à
la troupe de pénétrer dans la maison où se déroulaient les rencontres musicales…
Le son ne relevait d’aucune pratique maléfique. C’était un son libre et les musiciens ne se
donnaient aucune limite. La troupe a duré trois années. Des photographies de la troupe en scène
expriment l’émancipation musicale du groupe. Coiffés de chapeaux saintois, le salako le torse
nu pour plusieurs d’entre eux. Le pantalon arrivant au ¾ de la jambe était aussi adopté. A chaque
musicien sa couleur de pantalon soit le rouge, soit le vert. Chaque musicien représentait un pays
d’Afrique. La troupe était dans une démarche très symbolique. La fonction des tanbou était
libérée des conventions. La troupe a rencontré des artistes originaires de la Martinique comme
Dédé St Prix ou Kali.
MHL : Quand as-tu rencontré Guy Conquet ?
Michel : C’est Jocelyn Ubele dit Linlin qui l’a conduit à Jabrun au domicile de Guy Conquet.
Il a d’abord rencontré des musiciens plus âgés que lui comme Ady Gatoux, Miguel Lara ... Ils
se réunissaient dans le bar de Madame Adeline situé sur la place de la Victoire. C’est là qu’il
a rencontré Linlin. La rencontre avec Joël Nankin s’est produite dans un kout tanbou (un
moment de musique aux tanbou). C’est ainsi qu’il découvre Jabrun. Ce jour là, il se retrouve
tanbouyé boula aux côtés de François Hyzirin dit Bagi. Il y apprend l’endurance dans le jeu du

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

tanbou. La partie a duré de 21 heures à 1 heure du matin. Il en ressort le corps endolori. Autour
de Bagi, d’autres tanbouyé jouent comme Guy Conquet et Carnot. Ce fut sa première initiation
au tanbou avec des experts. Il intègre désormais ce groupe d’experts.
La rencontre avec Vélo date de la période de Takouta. Ce tanbouyé a joué avec le groupe. Les
amis de Michel et lui-même jouaient un peu partout. Vélo se joignait à eux. Ils le rencontraient
dans la rue plus précisément sur le boulevard Hanne. Avec Takouta, les relations se sont
renforcées car il venait jouer avec le groupe. Il a joué sur scène avec eux dans plusieurs salles
de Pointe-à-Pitre comme le Rex ou la salle Rémi Nainsouta. La musique aux tanbou séduisait
Vélo et dès que le tanbou se jouait quelque part, Vélo s’y invitait. C’est ainsi qu’il s’est invité
au sein du groupe Akiyo. Il jouait de tous les tanbou : Ka, congas, tanbou a mas…
C’était d’abord un percussionniste. Des gens racontent qu’il jouait sur le rebord des meubles,
sur des faitouts… L’essentiel était pour lui de produire du son. Même à l’issue de son séjour en
psychiatrie, il portait des gants parce que ses doigts étaient endoloris. Mais il jouait.

MHL : Ton innovation la plus osée est le fait d’avoir exposé Vélo sur la Place de la Victoire.
Ce fait est sans précédent dans l’histoire des rites funéraires en Guadeloupe.
Michel : Il travaillait au Centre d’action Culturelle situé à Basse-Terre. Il y allait soit en voiture
familiale, soit par autobus. La présidente du Centre, Michelle Montantin, lui demande de
présenter un projet de manifestation musicale. Michel lui propose une action intitulée « Dé jou
pou mizik Gwadloup » dont une soirée pour la musique traditionnelle et une autre pour la
musique en général. Pour le gwoka, il décide de représenter trois « sources » : Ste Rose, Pointe-
à-Pitre, Baie-Mahault. Donc les musiciens à envisager étaient Délos, Carnot, les musiciens de
Jabrun et Vélo. Voulant prévenir Vélo, il le découvre malade dans sa chambre de Grand Camp.
Il était très alité. Les odeurs et le gonflement de son abdomen attestaient de la gravité de son
état. Il appelle Harold Grandman. Ils le nettoient, le changent et Michel le conduit à l’hôpital.
Il y passe trois semaines environ et décède.
Durant ces trois semaines, conformément aux recommandations de l’équipe médicale
pour une meilleure hygiène de vie pour Vélo, Michel lance un appel à don pour Vélo par un
tour de l’ensemble des médias de la Guadeloupe. Le public répond favorablement. Il fait des
promesses de don intéressantes. Par les médias, il présente Vélo comme le « chef des tanbou
de la Guadeloupe ». Donc le public était informé de la gravité de la maladie de Vélo. Mais, un
mardi, en sortant du travail la mère de Michel lui annonce que l’hôpital a appelé. Il comprend
qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle à propos de Vélo. Christian Mathurin, Yves Thôle, Claude
Sinaur dit Pipo et Michel vont trouver la mère de Vélo qui leur donne feu vert pour les obsèques
vu sa popularité. Ils vont trouver Michel Bangou au Centre José Marti qui leur propose le Hall
du Bicentenaire pour l’exposition du corps ; ce que le groupe refuse, réclamant par là même la
Place de la Victoire. L’affaire est médiatisée par le groupe qui expose son projet sur les ondes
de Radio Guadeloupe.
L’entrepreneur de Pompes funèbres Dorocant propose de les aider. Une quête est
ouverte lors de la véyé. La facture du service funéraire est très modeste. Elle s’élève à environ
3000F ( environ 457 euros) . C’est le public qui a fourni à la générosité les vivres lors de la
véyé. Cette exposition du corps du tanbouyé sur la Place de la Victoire est un coup de force.
C’était du temps où il y avait un « mouvement tanbou » en Guadeloupe. La mobilisation autour
de ce type d’événement était presqu’évidente. Akiyo était présent et commençait à s’épanouir.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Les organisateurs des obsèques choisissent de solliciter un prêtre qui fait la liturgie en créole,
le Père Céleste. Les gens du tanbou vivaient une de réconciliation avec le passé.
C’était une période de revisitation de la musique par exemple par Takouta. Elle se décrit
comme une musique polyrythmique avec un tanbou basse avec Michel, un tanbou makè, un
tanbou solo avec Linlin, Mawso jouait la calebasse et un dénommé Brin ding était au ti-bwa.
De nombreux groupes comme Van Lévé, Foubap ont cassé les codes. Ils jouaient des
rythmiques africains sur les tanbou. Ces nombreuses expériences ont eu des influences sur la
musique du Carnaval. Les innovateurs en parlent. Après Takouta, le groupe d’amis s’inspire
quelque peu des mas a kongo un jour, probablement un samedi de l’année 1978, en matinée
pour un kout tanbou à Pointe-à-Pitre, défilant le « tanbou au dos ». Parmi cette bande d’amis,
il y en avait qui avait déjà défilé avec les Mas a Sen Jan comme Rudy Benjamin, Joël Nankin
et Michel lui-même.
Les membres de Mas a Sen Jan étant quelque peu en baisse d’activité tant du point de
vue physique que sonore, la décision de prendre le relais mûrit. Ainsi, Michel insiste. Il dit qu’il
tient à le rappeler :
« Sé tanbouyé La Pwent ki fè si Akiyo ka egzisté et personne d’autre1461… sé moun a gwoka
ki fè sa ». Il rappelle le nom des pionniers : Yves Thole, Fritz Naffer, Joel et Patrick Nanquin,
Fred Julianus, Jacques Marie Basses, Dougi alias Douglas Widly, Maurice Desbranches dit Ray
H. Du point de vue musical, ils décident d’inclure l’orchestre d’un tanbou solo proposé par Fred
Julinaus dit Ti Fred parce qu’il n’y avait pas de tambour solo dans le mas a Sen jan. La
contrebasse est décidée par l’un d’entre eux dont Michel se souvient peu. C’est peut-être Rudy,
c’est peut-être quelqu’un d’autre. Pour lui, la paternité n’est pas l’essentiel car elle se perd dans
toute création collective.
« Sé tan-nou pwen 1462»
La première grosse sortie d’Akiyo ne date pas de 40 ans. C’est bien moins. Cette sortie s’est
effectuée en 1981. Avant, cette date, c’était juste quelques personnes qui se rassemblaient
autour d’un défilé inédit.
MHL : Je me souviens avoir vu autour des années 1978 un défilé où les gens portaient leur
tambour entre les jambes. J’ai reconnu Djilys parce que c’était mon voisin, Nicole Raboteur
que je la connaissais à Marie-Galante, Monique Ronauld, ta femme originaire de Marie-
Galante. Les tambours du léwòz étaient portés entre les jambes. Est-ce que je me trompe ?
Michel : Quand sa femme l’a rencontrée vers 1978, Akiyo n’existait pas encore. C’était des
gens du gwoka qui étaient dans un mouvement sonore puissant visant à casser les codes. Il
pense que les sept rythmes du gwoka sont contrits, ils ne sont pas libres. Historiquement, ces
musiques ont une genèse bien plus libre. Les codes privent le praticien de liberté : ne pas lever
trop haut la jambe, ne pas « rimer ». Pour lui, la danse de Carnot était trop figée. Les sauts
périlleux, les gestes expressifs et libres ne sont arrivés qu’avec la génération des acteurs du
gwoka des années 1950, la sienne en sorte. La dynamique du jeu de Takouta peut s’appliquer à
toutes les musiques du léwòz, les « 7 rythmes » comme ils sont désignés.

1461
Ce sont des tanbouyés de Pointe-à-Pitre qui ont crée Akiyo et personne d’autre… ce sont les gens du gwoka
qui l’ont fait. »
1462
« C’est le nôtre et on en parle plus »

496
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

MHL : Ton propos me conforte parce que je suis remontée jusqu’à l’Afrique pour retrouver les
sources du gwoka.
Michel : Les Guadeloupéens ne sont pas des Africains. Il se réfère au professeur Gerbo1463 lors
d’un Colloque qui s’est déroulé au Raizet dans la salle de la Région. Sa théorie est la suivante :
les peuples colonisés viennent d’ethnies différentes. Les rencontres progressives leur
permettent dans l’ère post coloniale d’affermir leur culture ancestrale propre à leur ethnie ou
encore, des syncrétismes se produisent entre des gens de régions différentes pour aboutir à un
résultat original. C’est la théorie de « l’inconscient acquis ». Ce sont des choses enfouies et qui
resurgissent inconsciemment au gré des opportunités. Mais les Africains eux-mêmes ne jouent
de cette musique qui est ainsi créée chez ces peuples de souche africaine. Car les Guadeloupéens
ne jouent pas sur des tanbou africains mais sur leurs propres tanbou. Ce qui se fait aujourd’hui
du point de vue tambourinaire en Guadeloupe, c’est ce qui se faisait auparavant en Afrique et
qui s’est perdu dans ce territoire d’origine. Les Guadeloupéens sont donc dépositaires de plus
de connaissances africaines qu’ils ne le pensent. Et les Guadeloupéens n’ont rien à envier à
quiconque.
MHL : Comment est arrivé l’idée de se rendre en déboulé sur la tombe de vélo chaque année ?
Michel : Le mouvement Akiyo est né du tambour donc Vélo est le chef, le représentant, le
spirituel du mouvement. Vélo est décédé et ses funérailles furent organisées par le Mouvement.
Il fut célébré. Nous l’avons suivi de son vivant. La décision de l’honorer chaque année était
donc évidente. Ce fut le premier mémorial de la Guadeloupe. D’autres ont suivi. Mais cette
fièvre commémorative ne peut être viable. Il vaut mieux se contenter d’une commémoration
qui dure.
MHL : Je trouve que cette action transcende les croyances parce qu’en Guadeloupe, la visite
des morts au cimetière est régulée par des conventions. C’est donc bien un mouvement
« Kaskòd1464 » ?
Michel : Les gens se rendent au cimetière de manière informelle pour des pratiques de
sorcellerie comme l’invocation des défunts. Mais depuis 1967, il existe en Guadeloupe une
recherche du mystique, de communion avec les esprits pour apaiser ces derniers qui ont été
tourmentés par l’esclavage et aider les descendants à construire leur paix intérieure. Mais s’il
faut passer à la violence, on n’hésite pas à le faire. La matraque d’Akiyo sur la banderole est le
symbole de cette violence possible de même, à travers ses toiles et dans l’action, Joël Nanquin
en est le parfait exemple. C’est cela l’esprit Akiyo. Il se dit faire partie des Guadeloupéens sans
attache matérielle. Cela signifie le détachement des choses matérielles pour l’action
révolutionnaire en faveur de son pays ou pour un autre but. Dépourvu de la chose matérielle,
on peut agir. Il n’y aucun mouvement semblable au Mouvement Akiyo dans le monde. La
Guadeloupe peut être un exemple pour le monde. Car nous avons au fond de nous ce tanbou
africain et il resurgit en moi, fils de médecin ; en l’alcoolique, en l’homosexuel. Les gens du
gwoka appartiennent à plusieurs catégories.

1463
Il s’agit probablement de l’historien Burkinabais Joseph Ki Zerbo (1922-2006)
1464
Un terme désignant rupture et adoptée par les nationalistes indépendantistes des années
1970-80

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- Nicole Raboteur, danseuse de groupes de mas de type déboulé/ mas,


léwòz/, 24 août 2018, Bergevin, Pointe-à-Pitre.

L’une des 1ères sorties costumées de Akiyo, vers 1979-1981, collection Jacqueline Birman-
Seytor1465

Au premier plan, Nicole Raboteur


En 1ère ligne, de gauche à droite : Fred Julianus dit ti-Fred, Jean-Pierre Nanon dit Mawso, Jean-Louis
Frécinat dit Djilys
Derrière Djilys, Patrick Hajjar
A l’extrême droite, Gaston Jean-François.
Identification des participants : Jean-Louis Frécinat, Jacques Marie Basses, Nicole Raboteur)

PREREQUIS
Nous savons que Nicole Raboteur fait partie des premiers membres du groupe Akiyo, groupe à
pied de la forme mas du gwoka. Durant les années 1970-80, c’est elle qui porte en compagnie
d’une autre femme la banderole qui ouvre la parade du groupe. Nous l’interrogeons pour
connaître l’implication des femmes dans ces groupes qui développent de nouvelles sonorités
pour le tanbou. L’interview se déroule à son domicile en compagnie de son époux Jacques-
Marie Basses, lui aussi pionnier du groupe. L’entretien prend le ton d’une conversation bilingue
empreinte d’émotions qui mélange les deux langues.

1465
Birman -Seytor, Mas a Sen Jan, Editions Nestor, 2013, page 30. La photographie nous est commentée par Jean-Louis
Frécinat dit Djilys (au premier plan, Nicole Raboteur sifflet à la bouche et visage peint, de gauche à droite Fred Julianus,
Marceau, Djilys, Patrick Hajjar…

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

RAPPORT DE TEMOIGNAGE
MHL : Donne-moi ton nom, ton âge, ton lieu de naissance. Nous allons parler de toi et des
femmes en général au sein d’Akiyo.
Nicole : Je m’appelle Nicole Raboteur épouse Basses de mon deuxième mariage. J’ai 3 enfants.
Je suis née en 1950. J’ai 68 ans. Je suis née et vis à Pointe-à-Pitre mais je suis de Marie-Galante.
Car j’y passais toutes mes vacances (Noël, pâques, toussaint…). Nous venions chez mon grand-
père Mr Gatibelza à la rue de la Marine. On partait à Marie-Galante le lendemain des vacances
et on revenait en Guadeloupe la veille de la rentrée. Donc nous étions scolarisés en Guadeloupe
et nous vivions à Marie-Galante. J’ai connu (les bateaux) l’Ile d’Emeraude, Delgrès, Capella,
Margie, Marianne, Antarès. Jacques-Marie ajoute qu’il y a eu Oiseau des Isles, Marie-Galante.
Tous les garçons de Marie-Galante accompagnaient les vacanciers
MHL : Il y avait des fidèles vacanciers, comme chez Monsieur « Divirel », les Félicité, les
Latour, les Eluther. Il y avait un groupe de vacanciers qui venait chez les Romains, chez les
Davigny, chez les Samson.
Nicole : Madame Lima est la sœur de ma mère, Madame Laporal aussi, Madame Basile,
Madame Plumain, Madame Lubino. Mon oncle était Félix Gatibelza, il a été élu maire et est
décédé le jour de son élection, empoisonné.
MHL : Alors parle-moi des femmes dans Akiyo, comment avez-tu adhéré au mouvement ?
Jacques-Marie : La musique était déjà prête, lè nou di nou kay sòti, ka nou ka joué1466 ? C’était
chez Mathurin Baltus en face du cimetière. Sinon entre temps, on commençait à fabriquer les
tambours avec Ray (Maurice Desbranches dit Ray-H). C’était la veille de la première sortie. Il
n’y avait pas suffisamment de tambours parce que l’on faisait les tambours avec les planches
de récupération. Ça a commencé chez le père de Réache et ça s’est poursuivi chez Ti-Fred
Julianus en face et après on est monté sur le morne. Et c’est sur le morne qu’on allait chercher
toutes sortes de feuilles. On a décidé ça entre nous. Ils ont dit « Bon ! on défile comment ? ».
On a dit « E si nou té ka mété fèy a-bwa. Nou ka fè on zayann1467 ! » On est allé chercher
effectivement des feuilles de canne, on a mis du Fly Tox (insecticide). Les filles faisaient les
jupes. On n’était pas nombreux. On est sorti comme ça.
MHL : J’ai une photo de vous an fèy a bannann1468. On dit que devant c’est toi et derrière toi
c’est Gaston Jean-François.
Nicole : Je me mettais toujours devant. En blanc aussi avec Rolande …
MHL : Ah c’est toi qui étais devant avec la pancarte « 300 zan ni asé1469 ».
Nicole : Oui c’est maman qui avait dit, pourquoi zò pa ka mèt on wòb Gòl piskè gòl-la sé-nou,
mété on jipon an ba-y é maré tèt1470. Maman faisait ces robes-là d’ailleurs.
MHL : Mais ce ne sont pas les années 1980.
Nicole : C’est plûtot… je vais te dire Paola (sa fille) est née en 1976. Livio a défilé à 3 ans. Il
est né en 1971 et Livio a toujours défilé. Peggy n’aimait défiler pas i pa té enmé maché. I té

1466
Quand on s’est dit qu’on allait jouer mais quoi ?
1467
Et si on se mettait des feuilles ? Allons faire un zayann (buisson)
1468
Feuilles de bananiers séchées
1469
300 ans, c’en est assez !
1470
Pourquoi ne mettez-vous pas la robe « Gaule » puisque c’est de nous, mettez un jupon au bas et mettez-vous une coiffe.

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LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

fennyan. 1471Mais Paola a défilé. Son premier défilé… elle avait 3 ans. Donc c’était en 1979
puisque Manman me disait : es i ké pé kenbé vitès zò ka maché, piskè pakèt ti chimen lakou-la
zò ka fè-la. Nou té mété-y an roukou é an jip. An di manman lè-y ké las, an ké pòté-y si do an-
mwen. 1472
MHL : Est-ce que tu peux dire le rôle des femmes dans Akiyo et me nommer quelques femmes
qui étaient là au début.
Nicole : Il y avait Marie-Laure Poitou. Je l’ai toujours vu là en train de travailler, bosser avec
nous, Viviane (Dagonia) était toujours là, Gina était toujours là au début. Il y avait la femme de
Michel Halley aussi, Monique Ronaul. Il y avait aussi les filles qui habitaient Faubourg
Alexandre Isaac…
Mhl : Les filles Palatin, Nicole et Suzy
Nicole : Voilà
Jacques Marie : Il y avait aussi les sœurs de José Gustarimac. C’était des chanteuses pas
forcément dans Akiyo. Mais c’étaient des chanteuses.
Nicole : Oui, elles chantaient
MHL : Elles vous entraînaient au chant
Nicole : Voilà. On faisait les costumes, on faisait à manger. Les hommes faisaient les tambours.
On s’occupait aussi des peaux qu’on allait mettre à tremper et à sécher.
MHL : Donc vous touchiez aux peaux.
Nicole : Nou té ka graté osi. Nou té ka chèché fisèl osi. Nou té ka pann kòd1473…
MHL : Donc vous participiez à la fabrication des tambours ?
Nicole : Bien sûr, des tambours, du costume, du repas…
MHL : Vous n’aviez pas de local mais les différents lieux c’était où ?
Nicole et Jacques-Marie : C’était dans la scierie du Papa de Ray-H, on a déménagé et on est
allé dans la scierie du papa de Fred. E sé lè dé gran nonm-lasa touvé -yo vini plen avè sa, la,
nou monté anlè mòn-la aka gran-mèr1474 a Ray-H, à la tête du morne.
MHL : Djilys m’a dit que vous avez fait les premiers tambours avec de vieux jeans parce que
vous n’aviez pas de cordes.
Nicole : ça aussi oui, on en fait comme ça aussi. C’est ce que je te disais quand on coupait des
tissus pour faire la corde. On les mettait à tremper dans de l’alun puisque j’étais à la pharmacie.
L’alun est comme une gomme arabique. On y mettait le tissu à tremper comme ça il raidissait
et quand on le tirait il pouvait faire une corde.
MHL : Vous faisiez le rebord des tambours.
Nicole : E nou té ka roulé sa alantou a on moso bwa1475
Jacques Marie : Il faut essentiellement se rappeler que Akiyo à ce moment-là c’était
essentiellement du matériel de récupération.
MHL : Pour tout, même pour les tambours ?

1471
Elle n’aimait pas marcher par fainéantise
1472
Est-ce qu’elle pourra tenir à la vitesse que vous avancez puisque vous passe par tant de petits chemins de cours. On
l’avait déguisée en roucou et jupe. J’ai dit à maman que je la porterai quand elle sera fatiguée.
1473
On grattait aussi les peaux). On allait chercher de la ficelle aussi. On tendait les cordes.
1474
Et quand ces deux hommes d’un certain âge en ont eu assez que nous sommes allées sur le morne chez la grand-mère de
Ray-H, au sommet du morne.
1475
Et on enroulait ceci autour d’une branche

500
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Nicole : Pour tout … quand on avait faim et soif. Je me rappelle à la 2è sortie sé Viviane
Dagonia ka di : Atann gay sa ! gay moun kay suiv Akiyo-la. Ça avait commencé à prendre,
moun té ka rantré adan, yo té ka raché biten é abiyé nenpòt ki jan. E lè nou sòti an zayann,
Akiyo pran tout ampleur. Lè nou désann nou konstaté pyé-bwa La-Pwent komansé déplimé.
MHL : Ah, je me souviens de ça. Moun té ka fouré fèy a bwa toupatou1476
Nicole : La rue Frébault yenki vinn on biten1477… Jacques avait fait une espèce de grosse caisse
et on s’arrêtait au milieu de la rue Frébault pour avoir une caisse de résonance. Pour remettre
les tambours en place et recommencer. On s’arrêtait dans un couloir ; on passait voir les vieilles
personnes. On mettait la musique en place de manière à repartir. Et on a mis l’encens quand on
est passé dans les trous derrière la Cour Selbonne, Cour Zamia, sé ti lakou-lasa1478, la vieille
dame qui était assise sur son fauteuil et qui disait :
« Lontan an ka atann zòt, men zòt sav, fò pa zò mété mas-la an figi a-zòt a 6 zè. Fò zò woté
mas-la a 6 zè. Men fò zò komansé mèt lansan hen. Paskè tanbou-la ka chayé-moun hen1479 .
Une vielle dame qui nous a dit ça ! Et depuis on allait à la Soufrière, on allait aux Mamelles
récupérer de l’encens sur les arbres, graté sa mèt-sa séché1480 . C’est nous qui préparions
l’encens.
MHL : Donc les femmes préparaient l’encens ?
Nicole : Voila. Les femmes qui avaient leur voiture aussi allaient chercher tout ce qu’il fallait
pour mettre tout ça bien et faire l’encens, les costumes etc…
MHL : Vous vous réunissiez certaines fois ou souvent ?
Nicole : Souvent, souvent
Jacques Marie : Chez l’un chez l’autre
Nicole : On n’avait pas de local
MHL : Tout ce la (se fait) avant la mise en place (organisation) du Mouvman avec association
etc… C’est la partie (la phase) informelle ;
Nicole : Voilà
Jacques-Marie : Tou sa sé on bann-zanmi 1481
Nicole : parce que tout était déjà clair et net dans notre tête parce qu’avant cette période-là, on
allait déjà dans les léwòz partout. On allait dans les koudmen couper la canne dans les
campagnes, planter du riz. On était assez nombreux et dès qu’il y avait un koudmen, un truc
comme cela qui défendait la Guadeloupe, on était présent quitte à ne pas aller travailler. On
allait prendre place, prendre position.
Et les femmes jouaient déjà au tambour à cette époque là.

1476
Voyez cela, voyez le monde qui va suivre Akiyo. Ça avait commencé à prendre. Les gens rentraient là-dedans,
arrachaient les choses et s’habillaient n’importe comment. Et quand on est sorti an « Zayann », Akiyo a pris de l’ampleur.
Quand on est sorti, on a constaté que les arbres de Pointe-à-Pitre étaient effeuillés. Je m’en souviens. Les gens se mettaient
des feuilles partout.
1477
La rue Frébault est devenue quelque chose (s’est transformée).
1478
Ces petites cours
1479
Cela fait si longtemps que je vous attends. Il ne faut pas garder le masque sur le visage à 18 h. Mais il faut commencer à
mettre de l’encens parce que le tambour vous transporte.
1480
Grattez cela et le mettre à sécher
1481
Tout cela c’est une bande d’amis

501
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Nicole : An di-w nou té kay an koudmen planté kann ba moun, nou ay planté diri Lamentin,
Ste Rose, nou té kay baré tè, fè dé biten kon sa1482 avec le Mouman nationaliste à l’époque. On
était tout le temps avec les Lockel, Lucien Martial…
MHL : Et quand tu disais les femmes jouaient ?
Nicole : Quand je te dis cela, mwen menm an sizé si plen tanbou, yo pa janmen fè-mwen lévé
asi pon tanbou. O kontrè yo té ka aprann-nou 1483
Jacques Marie : Ni on biten yo ka di, ou paka janbé tanbou. Menm nonm1484
MHL : Tu rentres (en écartant les jambes) mais tu ne l’enjambes pas.
Jacques marie et Nicole : Si ou janbé-y yo ka fè-w déjanbé-y 1485
Nicole : Et les enfants aussi jouaient. Nos enfants s’y asseyaient. Ils savaient comment faire.
MHL : Parmi les aînés (qui vous guidaient), vous vous souvenez de quelques noms ?
Nicole : Il y avait Man Soso, Kawno, Bagi. Chez Man Soso, on est allé très jeune puisque le
frère de Jacques est le parrain de la fille de Guy Conquet, Daniel c’est le parrain de Lovely. On
était toujours là.
Jacques Marie : Guy est venu jouer à Marie Galante. C’est à ce moment-là qu’on est devenu
ami parce que j’étais le petit frère de Daniel ;
Nicole : C’était de la terre partout, c’était de la terre battue. On passait des moments agréables.
Quand on sortait de là c’était comme si tu étais dans un truc de louanges / Il y avait une balance
à côté. Les femmes chez man Soso épluchaient le fruit à pain, sizé a tè-la ka kayé pwason1486
et le tanbour y allait à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Dans la voiture de
Jack, il y avait des matelas pour les enfants. Et pour que les parents ne soient pas trop au courant
de nos heures d’entrées et de sorties, on ne déposait pas les enfants chez maman. Et quand on
dit que les femmes ne jouaient pas au tambour, à l’époque de Matou et Leborgne, on allait
souvent jouer chez les indépendantistes dans leurs villas et les femmes jouaient. Elles ne
jouaient pas toute la nuit mais quand les hommes mangeaient, allaient boire un truc. Les femmes
étaient sur les tambours et jouaient. Les hommes écoutaient é yo té ka di-w : Non ! rèfè-y, fèy
pi ba etc1487…
MHL : Et parmi ces hommes, vous vous souvenez de quelques noms ?
Jacques-Marie et Nicole : Il y avait des gens comme Guy Lurel, Bagi. Il n’était pas encore
malade. La bande a Sègo (danseur du secteur de Jabrun)
Nicole : Bagi n’habitait pas trop loin de Guy (Conquet). On traversait le champ de cannes et on
tombait directement à Jarry. Il était à Houelbourg. C’était les bois à cette époque là.
MHL : Est-ce qu’il vous arrivait dans Akiyo de jouer aux tambours (du léwòz) ou alors est ce
que vous étiez uniquement dans les petits tambours ?
Nicole : Il y avait des soirées gwoka (en fait lewòz) sur le morne (chez Ray H) où tout le monde
venait, beaucoup d’intellectuels à ce moment -là.

1482
Je t’ai dit que nous allions au coup de main planter la canne pour les gens, nous sommes allés planter du riz, nous
allions occuper des terres, faire des choses comme cela.
1483
Moi-même je me suis assise sur le tambour, on ne m’a jamais fait lever du tambour. Au contraire, on (les hommes) nous
apprenaient (à jouer)
1484
Il y a une chose qui se dit, c’est que l’on ne doit pas enjamber le tambour. Même les hommes (ne doivent pas le faire).
1485
Si tu l’enjambes, on te demande de faire le mouvement contraire
1486
Assis par terre à écailler du poisson
1487
Et ils nous disaient : Non, pas comme cela, refaites, faites plus bas !

502
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Jacques-Marie : Beaucoup chez les Angèle… Philippe, Henri, Gaston qui est son neveu.
Justement il y avait tout un mouvement de tambours et c’est ainsi que sont nés les groupes
comme Akiyo…, Takouta qui a démaré chez Jacques (Jacques Marie) à Marie-Galante. Sé on
bann zanmi ki désidé menné tanbou-la pli lwen ki la i té yé la1488. Ça a commencé avec Guy
(Conquet) … On allait au Morne Udol en face des Rinaldo. Il n’y avait aucun problème pour
jouer le tambour.
MHL : Parle-moi de cette pancarte que je t’ai vue porter, comment ça a été décidé ? Tu la
portais régulièrement ?
Nicole : Comme on était les premières filles, il n’y avait pas grand monde pour la porter. Alors
c’était souvent Monique et moi ou Viviane mais cette dernière préférait monter, descendre,
(bouger) c’était toujours moi qui portais avec Marie-Laure aussi. On gérait les enfants aussi. Il
ne fallait pas qu’ils nous dépassent (qu’ils dépassent la rangée de devant) et il fallait que la
pancarte soit bien tendue. Et d’ailleurs on avait mis sur la pancarte : Akiyo Mi yo1489 ! Parce que
chaque fois que l’on passait les gens disaient A ki yo ? Quand Akiyo a été créé ce n’était pas
pour devenir une association. On n’était pas basé (parti) pour cela. On était des rebelles. On
voulait vraiment sortir de … Je crois qu’on est encore rebelle, à notre manière, chez nous.
Jacques-Marie : On prenait le défile du GDCF à l’envers. On n’a jamais participé à aucun
concours.
Nicole : On n’a jamais accepté l’argent de personne. Parce que des gens sont venus proposer…
des libanais… cela ne nous intéressait pas… On ne voulait pas que ce soit un truc d’argent, que
tout le monde vienne. Qu’on puisse avoir des peintres, des artistes, des écrivains… ; qu’on fasse
des trucs entre nous avec le son du tambour. Que tous nos jeunes Guadeloupéens qui ont
quelque chose à dire, à faire, viennent nous rejoindre à la période du Carnaval. On est dans la
rue. On dit ce qui ne va (n’a pas été) pas durant toute l’année.
MHL : Est-ce que tu peux me parler de quelques costumes
Nicole : On avait les feuilles de bananes, le zayann, les branches de coco. On avait pris le jute
mais comme il fallait l’acheter alors on l’a laissé tomber et on a fait hannyon (haillons), papyé
jounal, capsules, po a koka (des cannette coupées en 2 et cousus sur un vêtement), couvercles
de cannette. Ce sont les filles qui les récoltaient. On faisait les poubelles pour ramasser cela.
On a fait aussi feuilles de raisin bord de mer. Le roucou et le kongo, on l’a toujours fait. On
faisait le roucou avec la corde et les calebasses sur les seins. On a fait des miroirs on a laissé
tomber parce que c’était trop dangereux. Il y avait aussi mas a koulè. On n’était pas forcément
sur le rouge -jaune-vert. C’était des couleurs.
Quand Joël a été emprisonné, à ce moment-là, on a commencé à sortir en kaki casque (colonial).
On s’arrêtait devant la prison durant 30 minutes à chaque sortie. Ce mas s’appelait manblo
(gendarmes). Et on faisait nos casques nous-mêmes. Maman avait même fait commander des
casques en plastique pour Akiyo.
Jacques Marie : L’affaire Hugodot a donné du poids à ce costume.
MHL : Quelle fut ta contribution et celle des femmes durant les derniers jours de Vélo ?
Nicole : J’étais là, mais je suis toujours en retrait, j’étais à la veillée et à l’enterrement
(cérémonie des funérailles)

1488
C’est une bande d’amis qui a décidé de développer le tambour.
1489
Qui sont-ils ? les voilà !

503
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

MHL : Et tu as toujours enmmené tes enfants avec toi ?


Nicole : Mon fils a commencé à jouer au tambour alors qu’il avait 3 ans. Il a commencé avec
Ogoli (Joël) au Centre des Arts. Il jouait déjà en écoutant les autres. Il jouait avec Jacques
(Jacques-Marie). On lui a acheté son tambour, son ka et il allait prendre des cours.
Nicole : Les hommes autour de nous n’ont jamais rien fait sans nous demander notre avis : Ki
jan zò ka vwè ? ki sé pou manjé, ki sé pou mizik la menm1490. Tout le monde devait être en
répétition. Il fallait plusieurs oreilles.
MHL : Et les femmes donnaient leur avis sur la musique ?
Nicole et Jacques-Marie : C’était collégial. On avait un système : dè kè sé madanm-la poko
ka frisonné sékè i po o bon. Paskè lè mizik-la té ka désann, nou té ka yenki vin an « chair de
poule » san ni bwè, ni pon konéraj moun té ka rakonté. Tout-moun té nikèl é nèt1491.
Les femmes répondaient aussi. Elles mettaient des mots sur une chanson. Tant que la musique
n’était pas en place, on ne descendait pas (dans les rues). On était là depuis le matin a 5 heures
du matin et yo ka joué mizik, manjé ka kwit pa si récho, si bwa. Tout moun ka manjé. Sé abiyé,
sé makiyé avè gran pòt roukou, gran pòt penti1492 . Pendant que tu t’habilles, tu te maquilles,
tu danses. Tu es déjà en transe. Le premier arrêt c’était au pied du morne pour bien mettre la
basse bien au point. Les tanbouyé étaient à peu près une douzaine même pas. On disait les « 12
apôtres ». C’étaient Réache qui guidait le mas avec son sifflet. C’étaient Fred Julianus, Gaston
Jean-François, Djilys, Marceau est arrivé après, Joël Nanquin aussi. C’est Patrick son frère qui
était là au début. Michel Halley est arrivé après. Il y avait Steeve Middleton (Bregmestre),
C’est avec eux que Vélo venait. Steeve et Gaston sété moun a-y1493. Il y avait Jean-Marie qu’on
appelait Gro Jan Mari. Il y avait Ti Krisyan.
Jacques-Marie : Mas a Sen Jan té ja ka pasé on mové ¼ d’heure1494. C’est à ce moment-là que
l’énergie Akiyo s’est développée. Rudy Benjamin n’était pas encore là non plus. Akiyo démaré
avè lanmou a zanmi a tanbou1495. Il y avait Ti-jan Nancy qui aidait beaucoup pour ramener des
choses. Dans les magasins de matériaux, on a rencontré Patrick Nankin et Eric Danquin qui
nous conseillaient. C’est là que nous avons rencontré Patrick Nanquin.

Nicole : Au début, on marchait avec les tambours entre les jambes et on jouait en même temps.
MHL : C’est après que vous avez utilisé les petits tambours
Jacques Marie : Comme les tambours étaient lourds à transporter, on a accéléré sur la
fabrication des tanbours d’aisselle. On les faisait aussi avec les tuyaux en plastique.
Nicole : Pour les achats, on faisait la quête entre nous et auprès de nos connaissances.

1490
Comment voyez-vous cela, pour la musique, pour le repas…
1491
Dès que les femmes n’ont pas encore commencé à frissonner, la musique n’est pas encore bonne. Lorsque la musique
nous pénétrait, on avait « la chair de poule » sans rien boire, sans rien prendre.
1492
Ils jouent. Le repas se prépare sur un réchaud de fortune. On mange, on s’habille, on se maquille en utilisant beaucoup
de roucou, beaucoup de peinture.
1493
C’étaient ses amis.
1494
Las Mas a Sen jan étaient déjà en déclin.
1495
Akiyo a démaré avec l’amour des amis du tambour

504
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

E- Notre échantillon d’acteurs

1- ACTEURS DU GWOKA ÉTUDIÉS PRINCIPALEMENT POUR LA 1ère PÉRIODE (1931-1969)

a- ACTEURS DU GWOKA IDENTIFIÉS : Les femmes sont indiquées en rouge

Nés entre la fin du XIXè et 1919 Nés entre 1920 et 1939 Nés entre 1940 et milieu années 1950
Béville Henri, producteur/ disque/ 1931-
2001
Chomereau-Lamotte Jean, presse/disque/
scène, décédé en 2010 à 74 ans.
Jean-Louis Cécile dite Moune de Rivel, Cornély Guy, poésie/ disque/ 1921-2005
chant, scène/ 1918-2014
Loïal Florelle, chant / léwòz/ bèlè/ née en
1928
Francillette Bloncourt, chant, tambour/ Duro Emmanuel, lasistans / véyé/ léwòz/ Anzala Yvon Obyèrj/ chant/ véyé/ léwòz/ mayolè/
léwòz/ disque /scène/ 1908-1978 né en 1920. né en 1948.

Bernis Antoinette dite Achoun, tambour, Canfrin Maurice Lin, danse, chant / véyé/ Badof Jacqueline, danse/ scène née en 1945.
chant, danse / léwòz/1890-1986. 1926- 2005.
Kancel Tertulien Blanchino, tambour, Boisdur Esnard, chant/ véyé/léwòz/ scène/disque/
chant, danse/ léwòz/ véyé/1925-1997. né en 1952.
Dino Gabin dit Sonor, répondè, syak/ Forestal Daniel, producteur/1933-2016. Casimir Reynoir, accordéon/ léwòz/1949- 2017.
léwòz/scène/ 1919-2010
Boulbou Alexina, tambour, danse / bèlè/ Célini Raymond, producteur/ disque/ né Céleste Aurélien Ti Sélès, chant, danse/
léwòz née en 1904/ décédée. en 1936. véyé/léwòz/ 1945-2013.
Ismaël Gratien dit Marzans, danse, Fortuné Dolor, tambour/ léwòz, scène/ né Chomereau-Lamotte Charlie, danse, percussions/
responsable de troupe de danses/ scène/ en 1935. scène, disque/ décédé en 2017 à 72 ans.
1916-2016
Jernidier François dit Kawno, chant, Contaret Tirolien, chant, danse/ véyé/ né Conquet Guy, chant, danse, tambour, / véyé/
tambour/ bèlè/ léwòz/ scène/disque/ 1919- en 1938. léwòz/ scène/disque/ 1946-2012.
1998
Jacques Simone, chant, danse / véyé/ Cosaque Eric, tambour, chant, danse/léwòz/ chef
léwòz/ née en 1933. d’orchestre/ léwòz/ scène/disque/ né en 1952.
Laurent Turenne, chant/ véyé/ Aigle Christen, chant, tambour/ léwòz/ Cusset Marcel Serge, tambour, chant/ véyé /
disque/1913- décédé. scène/disque/ 1925-1986. scène / né en 1940.

Laumuno Eliane, lasistans / véyé /1907-1995 Eulalie Edward, danse, chant/ véyé/ né en Dunière Aglas/ chant, lasistans/ bèlè/ scène/, 66
1934. ans en décembre 2015.
Antile Emilien, saxophone/ disque/ 1925- Gargar dite Malouse, danse, scène, née années
1980 1950

505
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Rébus Aimée épouse Adeline, directrice Boisdur Honorat épouse Geoffroy, chant, Geoffroy Sergius, chant/ véyé/ léwòz/ disque/
artistique/ scène/ disque, 1907-1977. danse/ léwòz/ véyé/ 1921-2008. 1944-1992
Ponture Laurenza, danse / léwòz, mas / 1900- Blancus Vincent, chant, tambour/ léwòz/ Hatchi Micheline, danse/ scène / née en 1944.
1983. 1921-1996.
Coco Nicolas dit Cholo, chant/ véyé/1918- Boisbant Odette Parfait Artèm, chant, Judor St Eloi, tambour/ léwòz/ 72 ans environ en
2016. tambour/ léwòz, mas/ disque/ 1930-2006. 2016.
Bach Athanaïse dite Solange et Man Soso, Francisque Henri dit Hilaire, danse, Locatin Bernier, tambour, chant/ léwòz, scène/
chant, danse/ bèlè/ léwòz/ scène/1918-2017 responsable de troupe de danses/ scène, disque/ 1952-2008.
disque/ 1936- 1995.

Kacy Gabin dit Ravèsèl, tambour/ léwòz/ Brudey Edouard, lasistans/léwòz/ né en Marivat Joseph Ismani, chant/ bèlè/ né en 1945.
1899 – 1989. 1931.
Lockel Gérard, répondè, lasistans /bèlè/ Massembo Jacqueline, chant/ Grap-a-Kongo/
léwòz/véyé né en 1928. léwòz/ né en 1953
Magloire Louis Victor dit Napoléon, chant/ Chérubin Armand, responsable de troupes Nankin Vernan Isaïné, chant, tambour/ léwòz/
véyé/léwòz/1919- 2013. de danses/ léwòz/véyé/mayolè/ né en scène /1946-2019.
1931.
Canfrin Aloïs dit Lolo, danse / léwòz/1899- Aimé Clémil, lasistans/ véyé/ né en 1932. Pomer Gérard, tambour/bamboula/ léwòz/ né en
1977. 1942.
Tarer George, responsable de troupes de Janackdoulary Judes Ti Jid, répondè/ Rambhojan Max, tambour, chant/ léwòz/ disque/
danses, scène/ née en 1921. véyé/ léwòz/ né en 1939. né en 1954.

Taret François dit Turgo, chant/ véyé/1915- Chabin Férriée dite Dòdòz, répondè, Samson Adélaïde dite Jorjèt, danse, responsable
2001. danse/ véyé/bamboula/ née en 1934. de troupe de danses/ née en 1946.

Vilus Octavien, tambour / léwòz/1902- Délos Henri, tambour / léwòz/ Séjor Hubert Luc-Hubert, chant, tambour,
1496
décédé avant 1984 probablement en 1976 scène/1920-2003. lasistans, /véyé /léwòz/ disque/scène né en 1948.
Gêne Valcourt, chant/ véyé/ bèlè/disque/ Debs Henri, producteur/disque/ 1932- Troupé Georges, lasistans, trompette, directeur
scène/ 1911- disparu en 1983 2013. école de musique, chef
d’orchestre/bèlè/léwòz /disque/scène/1946-2009.
Pé-en-Kin Solange, chant/ scène/ disque/ Baptista Médélice, chant/ bèlè/ née en Zami Bertin, chant/ léwòz /disque/ 1943-1996.
1902-années 1940. 1921.
Mavounzy Marcel/ producteur, disque/ Germain Calixte Gaston dit Chaben, Zenon Delice, tambour/ léwòz /scène/disque/ né
1919-2005 chant/ véyé/ scène/ disque/ 1922-1987. au cours des années 1950s.
Lollia Marcel, tambour, chant/ léwòz,
mas/1931-1984
Loyson Robert, chant/ véyé/léwòz/
scène/disque/ 1928-1989
Massembo Marie-Louise dite Rose-aimée,
chant, danse/ Grap-a-Kongo/léwòz/ 1925-
2014

1496
A la mort de Vélo en 1984, Magloire Louis Napoléon parle de Octavien Vilus au passé et la brochure Almanaka de
2007 indique 1976 comme date de décès

506
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Donineaux dite Massembo Violette,


chant, danse/ Grap-a-Kongo/léwòz/ 1929-
2002

Moco Désir, chant/ véyé/ 1934-2019/


Mola Sylviane dit Aksidan, chant/ bèlè/
1923-2007
Nagot ou Nagau Lorraine, chant/ bèlè/ née
en 1925
Nègre Léon Audibert Serge, tambour/
léwòz/ scène/ né en 1928
Perrin René, chant/ léwòz/ 1935-2007
Rospart Guy dit Kaya, tambour, chant,
percussion/ léwòz/ 1936-2010

Sienzonit Roger, tambour,1926-


vers1963/ tambour/ léwòz / scène.
Sopta Antoine chant, danse, tambour/
léwòz/ scène/disque/ 1933- 2013
Ursule Téomèl, répondè, disque/né en
1932
Zodros Valentin, chant, syak/ bèlè/véyé/
scène/ né en 1927

b- ACTEURS DU GWOKA NON IDENTIFIÉS (repérés pour la 1ère période (1931-1969) / Les nombres
indiquent les dates de repérage/ Les femmes sont indiquées en rouge.
Abancourt Réjane, danse, scène, Baillif, 1947.
Adeline Louis, danse, scène, Pà-P, 1952
Anca Bertrand, presse, scène, 1966
Alcindor Laure, danse, scène, PàP, 1952
Alcindor Renée, danse, scène, PàP, 1952
Alexis Marlène, danse, scène, P-à-P,1952
Alphonse Marc, chant, Morne-à-l’Eau,1962
Alphonse Robert, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Ambrosio Turenne, tambour, mas, P-à-P, 1960s
Amèl dite Madame Amèl, responsable de troupes de danses, Ste Anne, avant 1968.
Anbin Eugène, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1964.
Angèle Marius, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1964.
Baena Roger, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1964.
Baena Simone, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1964.
Bénin Omer, véyé, Le Moule, années 1960
Bévis Denis, répondè, scène, P-à-P, 1967
Blamard Paul, chant, disque, P-à-P, 1969
Bocage Léo, plasticien, disque, P-à-P, années 1960s
Bonalair Stanislas, tambour, scène, Basse-Terre, 1947
Bonbon Kléber, répondè, disque, Port-Louis, 1960s
Borilla Arsono, répondè, véyé, Le Moule, 1950s-1960s

507
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Bourgarel Léon, tambour, mas P-à-P, 1960s


Bourseau Albertine, chant, léwòz, bèlè, Baillif, 1960s
Byram Tiburce, danse, scène, Anse-Bertrand, 1960s
Cairo Camille, danse, scène, Bouillante, années 1960s
Chal-bòno, chant, véyé, Grand-Bourg, années 1950-60s
Caravelle Colbert, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Carbonel Danielo, danse, scène P-à-P, 1952
Cassius, chant, disque P-à-P, 1964
Casier Elin, tambour, scène Basse-Terre, 1947
Cho Beausivoir tanbour, léwòz, Le Gosier, 1960s
Christophe Serge, tambour, disque, P-à-P, 1967
Coudair Fleurette, danse, scène, P-à-P, 1952
Délos Mira, tambour, léwòz, scène, PàP, Ste Rose, années 1960
Dermel, répondè, véyé, Marie-Galante, 1960s
Damator Julien dit Konpè Jilyen, chant, véyé, avant 1968
Danaus Fernand, disque, répondè, P-à-P, 1967
Danaus Maro ou Roger, tambour, scène, P-à-P, 1952, 1960s
Dardey Joël, danse, scène, P-à-P, 1960s
Délos Mira, tanbouyé, léwòz, scène, Ste Rose/PàP, 1960s
Dendelé Joby, tanbouyé, disque, P-à-P, 1960s
(Dit François), répondè, véyé, léwòz, Le Moule, années 1960
Dit Ti-Coq, tambour, scène, léwòz, Basse-Terre, 1947
Dit Ti-Tavie, danse, léwòz, P-à-P, 1960s
Dit Ti-Papa, tambour, léwòz, carnaval, années 1940-60s
Dolorès dite Dodo, danse, P-à-P, 1960s
Dorvan Klébert, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Dorvan Guy, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Duloup, tambour, scène, Basse-Terre, 1947
Dumoulin Georges, danse, scène, Basse-Terre, 1962
Edwige Robert, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Erblan Sylvert, répondè, disque, Port-Louis, 1960s
Erosie Sosthène, danse, mayolè, scène, Anse-Bertrand, 1960s
Eugénie Mickaella, chant, léwòz, Ste Anne, Port-Louis, 1960s
Ferrand Flavien, responsable de troupe de danses, Anse-Bertrand, années 1960
Flabernot Télémaque, plasticien, Basse-Terre, 1947
Flaubert Ramon, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Flauzin Abel, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Fronton Eugénie, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1963.
Fronton Victorin, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1963.
Fulcon Camélien, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-1960s
Gabriel Abel, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-1960s
Gassion Surbin, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-1960s
Goma Maximilien, danse, scène, Basse-Terre, 1947
Guillod Josèphe, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, années 1960.
Guimba Isidore, chant, véyé, scène, Anse-Bertrand, 1960s
Hatchi Hubert, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, années 1960
Hyzirin Bagy, chant et petite percussion, léwòz, années 40-60
Irep Aurélien, danse, scène, Anse-Bertrand, 1960s
Jean Michel, danse, scène, PàP ,1952
Judor Raphaël, tambour, léwòz, les Abymes, 1930s

508
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Judor Bertin, tambour, léwòz, les Abymes, 1960s


Judor Robert, tambour, léwòz, disque, Les Abymes, 1967
Judor Odilia, danse, léwòz, années 1960
Justinie tambour, disque, P-à-P, 1960s
Kelly, danse, scène, Capesterre Gpe, 1959
Labasse Alfred, chant, léwòz, mas, disque, P-à-P, années 1960
Lama Gabriel, personnel encadrement troupe de danses, Bouillante, 1963.
Laupen Alex, tambour, scène, P-à-P, 1968
Lautric Gilda, danse, scène, Capesterre Gpe, 1959
Lauzanne Bertile, tambour probablement, Morne-à-l’Eau, 1962
Lennox Serge, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-1960s
Léogane Mirette, danse, scène, P-à-P, 1952
Leremon Sidney, chant, disque, PàP, 1960s
Louis Jocelyne, danse, scène, P-à-P, 1952
Macal Louise, danse, scène, P-à-P, 1952
Malherby Evariste, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-1960s
Manlius Eloi dit Duberno, chant, léwòz, Nord Basse-Terre, 1950-60s
Marester Firmin, chant, disque, Paris, 1960s
Marivat Arisilya dite Atouris, danse, bamboula, Grand-Bourg, 1960s
Marivat Paul, tambour, disque, Basse-Terre, années 1960
Meri Médart, tambour, léwòz, Le Gosier, 1960s
Michaud-Vigne, danse, scène, Basse-Terre, 1961
Minervin Simone, chant, tambour, léwòz, Baie-Mahault, 1940-50s
Modalie Pierre, tambour, scène, disque, Basse-Terre, 1960s
Monza Durville, chant, Baillif, 1940-50s
Nart Gilbert, tambour, Morne-à-l’Eau, 1962
Nart Richard, tambour, Morne-à-l’Eau, 1962
Neblai Marie-Josée, personnel d’encadrement de troupe de danses, Bouillante, 1964
Nembrot Arsonneau, répondè, véyé, disque, Port-Louis, 1960s
Othély Gérard, chant, disque, P-à-P, 1960s
Pactole Etienna, tambour, scène, années 1960s
Palin Serge, tanbouyé, scène, Anse-Bertrand, années 1960.
Pierroche Eugène, répondè, véyé, Port-louis, 1960s
Pinston Aurel, répondè, véyé, Le Moule, 1950s-1960s
Piréa Analouse, chant, léwòz, Ste Anne, 1960s
Pauloby, tambour, léwòz, 1930s-40s
Plocoste Stéphanie, chant, danse, mas, P-à-P, 1960s
Prian Elisabeth, danse, scène, Basse-Terre, 1947
Prillon Daniel, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Rameau René, répondè, véyé, léwòz, Le Moule, 1950s-60s
Ramier Pierre, chantè, Morne-à-l’Eau, 1962
Rous Hélène, directrice de troupes de danse, scène, Basse-Terre, années 1960s
Souriant Marguerite, danse, scène, Basse-Terre, 1961
Tètèch Mirka, tambour, léwòz, Petit-Canal, années 1930-60s
Valcy Toussine dite papyé-à-luil, danse, léwòz, scène, P-à-P, 1952, 1965
Valcy Turenne, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Wayer Michel, chant, Morne-à-l’Eau, 1962
Zami, tambour, disque, P-àP, 1960s

509
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ACTEURS ÉTUDIÉS PRINCIPALEMENT POUR LA 2ère PÉRIODE (1970-1994)

Les rôles sont en abrégé : T pour tanbouyé/ A pour autre instrument/ C pour chanteur / R pour répondè / D pour
danseur/ LAS pour lasistans/ Les femmes sont indiquées en rouge
Le tableau ne présente que l’essentiel des caractéristiques des acteurs étudiés. Ces données sont le sincontournables
de l’étude.

décennie
Désignation de SEXE T A C R D LAS. Autre rôle
naissance

Abraham Harold M Clavier X

Achéron Armand 1950 M X X X

Albice Bernard M Batterie X X

Angèle Henri M X

Alphonse Henri M Calebasse X

Angèle Marius M X

Angèle Philippe M X

Organisation de
Amour Christian 1950 M Piano X concert/ Direction
artistique

Anasthase Fred dit


1960 M X X X
Edo

Angerville David, Collection de


1960 M X X
Alex disques gwoka

Anne-Rose Raphaël 1960 M X

510
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Antoinette Jean-
1950 M X X
Claude

Anzala Yvon dit


1940 M X X
Obyèj

Arenate Hubert M X X

Arson dit Ti-Jan M X X

Augusty Philippe 1950 M Saxophone X

Augusty Maeva 1980 F Petites calebasses X

Azède Fred M X X

Badof-Thétis
1940 F X X
Jacqueline

Barfleur Jean 1950 M X X

Barul Harry dit


M Percussions X
Touco

Synthétiseur

Basses Jacques-
1950 M X X
Marie

Calebasse

Beaujour Eric dit


1950 M X X
Bodjo

Bénéba Raymond M X X

511
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Bellerose José M X X

Bénito Jean dit Ti-


M X X
Jan

Benjamin Rudy 1950 M X X

Berkeley Winston 1940 M Guitare basse X

Berald David 1970 M Saxophone X

Beroard Jocelyne 1950 F X X Arts plastiques

Bigord Joseph M Flûte X Photographie

Bordin Alza 1940 M Trompette X

Blancus Emmanuel 1960 M X X X

Blaze Huguette F X X

Blou Allan M X X

Danse
Blou Léna 1960 F X X X
Chorégraphie

Bordelais Eric M X X

512
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Bordelais Manuel 1970 M X Piano X

Bordelais Maria 1970 F Flûte X X

Bordin Benny 1970 M X X

Bourgarel Christian M X X

Broussillon André 1960 M X X X X

Broussillon Frantz M X X X X

Cafournet Jean-Paul 1960 M X X X

Calodat Philippe 1950 M X X

Cancelier Claude M X X

Canonge Mario 1960 M piano X

Caprice Alain 1940 M X X Photographie

Cartin Alain M Percussion X X

Casimir Bertillon M X

Cachemire-Thôle Directrice artistique


1940 F X X
Jacqueline (Ecole de danses)

513
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Multi-
Castry Jean-Fred M
Instrumentiste

Césaire-Gédéon
M X X
José

Cesarus Thierry M X X

Chalot Suzy F X X

Chapin Constance Danse


F X
dite Mapasa Chorégraphie

Chasselas Jacques 1960 M X X

Chibon Christian M X X X

Chomereau-
F Arts plastiques
Lamotte Michelle

Cimbar Arsène M X

Charvet Benoît M Guitare basse

Adaptation chant
Celeste Cherubin 1920 M X X gwoka pour liturgie
catholique

Choucoutou
1960 F X X X
Chantale

Coco Mario 1960 M X Kalbas X X X

Combes Jean-René M X X

514
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Condo Fabienne 1970 F X Flûte X

Cotellon Bruno 1970 M X Percussion X

Création Festival
Cotellon Félix 1940 M X X
gwoka

Coqk Eric M X X X

Coquerelle Jean-
1960 M X X X
Pierre

Coquerelle Patrick M X X

Cosaque Eric 1950 M X X X

Cornély Guy 1920 M X Poésie

Cratère Edmond dit


1950 M Trompette X
Edmony

Currier José M guitare basse X

515
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Dagonia Viviane 1940 F X X

D’Alexis Alain dit


M X
Bobo La fleur

D’Alexis Pierre dit


M X
Tonton Bartisol

Dahomay Christian 1940 M X Flûte X Photographie

Directrice
Dahomay Marie-
1950 F X X artistique
Line
(Ensemble musical)

Dambury René M X X

Danquin Eric M X X X

Delos Titi M X X

Soutien et
organisation de
Democrite Daniel 1940 M
manifestations
gwoka

Desbranches
1950 M X X
Maurice dit Ray-H

Decade Gennault M X X

Décimus Pierre- Directeur artistique


1940 M X
Edouard ( ensemble musical)

Dendélé Joby M X X

516
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Destin Chantale F X X

De Vipart Serge 1930 M Poésie

Diakok Max 1950 M X X Poésie

Didon Sevelyne 1970 F Flûte X

Théâtre, animation
radio
Dieupart Ruel
1940 M X X
Robert

Dino Gilles M X

Douglas Widly dit I


M X X
Three

Duflo Rolanette F X X

Duverseau Stéphane
M X X X
dit Fano

Edwige Robert M X X

Organisation de
Elatre Ferna F X
léwòz

Erambert Patricia F X

Etienne Jacqueline 1950 F X X X

Fabiano Jean-
M Guitare X Chef d’orchestre
François

517
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Falla Marcel M Guitare basse X

Fabrication de
Flauzin Félix M X X
tanbou

Fléreau Jérôme 1970 M X X X X

Directrice
Fleury Dominique 1960 F X X X X artistique
( ensemble musical)

Frécinat Jean Louis


M X X X
dit Djilys

Gabali Joslen 1950 M X X X

Gammalame Armel M X Flûte X

Gatibelza Fred M Batterie

Gatibelza Jérôme M Gwadlouka

Garraway Ketty F X X

Gargar dite Malouse 1950 F X X X

Gatoux Ady 1950 M X X

Gauthierot
1950 M X X X
Raymond

Gaza Pierre M Calebasse X

518
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Gélas Pierrot M Calebasse X

Geoffroy Christiane
F Calebasse X X
dite Malou

Geoffroy Francky 1950 M X X X

Geoffroy Hilaire 1950 M X Percussion X X

Geoffroy Matthieu Triangle,


1950 M X X
dit René saxophone

Geoffroy Sergius 1940 M X X

Geoffroy Viviane F Calebasse X

Glandor Charles-
M X X
Henri

Gonfier Adélaïde M Calebasse X

Godard Eric M X X X X

Gros Hoël 1950 M Flûte X

Hajjar Patrick 1950 M X X

519
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Halley Michel 1950 M X X X

Hammadjian
M X X
Vincent

Hatchi Augustine F X

Producteur
Hildevert Camille 1940 M Batterie/ trompette X
discographique

Hildevert née Directrice artistique


1920 F X
Reinette Dotha (Troupe de danses)

Presse,
Humblot Catherine F encadrement
ensemble musical

Instrument à
(Dit ) Hibè-poul M percussion de X
fortune

Hypollite Jean M X Danse, théâtre

Hyzirin François dit


1930 M X Percussion X X
Bagi ou Tannis

Ignol Hélène
1940 M X Trompette X
Edouard

Iscaye Marcel 1960 M X X X

Igabille Frédéric 1950 M X X

520
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Inamo Léger M X X X

Jacket-Crétide Lucie 1970 F X X X

Jacques Josélita 1960 F X X

Jalème Jacky 1960 M X X X

Jasmin Enide 1950 M X X

Jean- François
M X
Gaston

Jean Alain 1940 M Guitare X X

Jean Michel M X X

Jean-Marie Alain 1940 M Piano X

Jean-Marie Daniel
M Flûte, percussion X
dit Danichou

Jernidier Alex 1950 M X X X

521
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Jochel Philippe M X X

Jovial Jean-Claude M X X

Jules-Gaston
1970 F X Piano X
Laurence

Julianus Fred M X X

Julienne Joby M X X

Jupiter Dominique M flûte X

Juste Didier 1970 M X percussion X

Juste Olivier M X X

Kancel Claude M X X

Kancel Guisbert M X

Kessier Siegfried M Piano

Kancel Guisbert M X

Kancel Nesty M X

Kiavué Claude M X X

522
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Kiavué Max M X X

Kissoun Daniel M X X

Guitare

Labéca Gustave M X

Percussion

Ladrezeau François
dit Kifkataké
1960 M X X X X
Bolofkifkos
Bablafaya

Lafontaine Marie- Ethnomusicologie,


1930 F X X
Céline Organisation de
concerts

Lembert Robert dit Collection de


1960 M X X X
Kesito ou Krédito disques

Lancréot Françoise 1950 F Flûte X Musicologie

Laumuno-Ousselin
1960 F X
Héléna

Laumuno Marie-
1950 F X X X
Héléna

Laurent Charles M Guitare X

Laurent Michel 1950 M X X

523
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Laviso Christian 1960 M Guitare X

Lebeau Dupléna M X

Leborgne Léon 1960 M X X

Lebouin Eddy M X Guitare X

Lérus Ginette F X

Létang Casimir 1930 M Guitare X Emission radio

Soutien et
Lisette Gabriel 1910 M X organisation
manifestations

Liseron Emmanuel M X X

Production
Liso Servais M X
discographique

Loche Ismard M X X

Lockel Gérard 1920 M Guitare X X

Lockel Franck M Piano X

Lockel Jean-Marie M Batterie gwoka X

524
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Lollia Patrick 1960 M X X

Losio Daniel M X X X X

Louiset Colette F X X

Lubin Joannes M X

Lurel Jean-Marie M Percussion X X

Lurel Roger M Guitare X Musicologie

Martial Lucien M Trompette X

Macal Louise F X X

Macheclerc Charly 1970 M X X

Manchin-Ophèltès
Pierre dit Bèbèw 1950 M X X X
Siko

Magen Julie Sohade 1980 F X X X

Magen Nathanaëlle 1970 M X X X

Magné Eugénio M X

525
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Magnat Marcel 1940 M X X X

Makaïa Philippe 1960 M X X

Malo Jean-Claude M X animation radio

Manzecchi Franco M Batterie

Mannetier Frantz M Guitare basse X

Marne Serge M Batterie X

Martial Lucien M Trompette X

Massembo Marie-
1960 F X X X
France

Massembo Germain
M X X
Paul dit Paul-Hélène

Mathéus Marianne F X X

Mathurin Christian M X Percussion X

Mathurin Olivier 1970 M X Guitare basse X

Mavounzy Serge, Production


1910 M X
Marcel discographique

Méliot Ignace,
M X X
Lamar dit Dolor

Méri Mario M X

526
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Middleton Aldo M X X X X

Miraculeux Claude M Flûte X

Accompagnateur
Moco Nadir M X
ensemble musical

Montella Victor dit


M X X X
Toch

Monpierre Rudy M X X

Organisation de
Mounien Adrien 1940 M X
manifestations

Moustache Gaby M Percussion X X

Morvan Christian 1960 M X X

Nabajoth Eric 1940 M X Guitare X

Encadrement
Nabis Alex 1940 M X X
ensemble musical

Nadire Fred M X

Naffer Fritz 1950 M X X X

527
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Nankin Joël 1950 M X X X

Nankin Patrick 1950 M X X

Narouman Pierre 1950 M X X X

Negussi Gilles M Clavier X

Nerplat Gérard 1950 M X X

Nerplat Manès F X X

Niçoise Orel dit


1960 M X X X
Orèz

Noël Annick F Piano X

Nuissier Patrick M Piano X

Ogoli Joël M Batterie-ka X

Oumaou Robert 1950 M X Multiinstrumentiste Théâtre

Otto Jocelyn M Guitare basse X

Palatin Pascal F X X

Palatin Suzy M X X X Théâtre

528
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Palin Serge M X X X

Pater Nadia 1950 F X X X

Pater Raymonde 1960 F X X X X

Pèdre Jean-Michel M X X

Pédurand Olivier M X X

Perran Esména M X X

Philomène M X X

Phipps Jean-Pierre 1960 M X X

Pelissier Marc dit


1960 M X X X
Teddy

Poujeol Patrick 1950 M X Calebasse X

Poujeol Roselyne F Calebasse X

Poulet Philippe dit


1970 M X X
Pipo

Mécénat
(production albums
gwoka)
Rabaneda y cuervo
1930 M
dit Paco Rabanne

529
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Radjouki Maryse F X X

Raspail Roger 1940 M X X

Régent José M X X

presse

Reinette Michel 1940 M

Manager

Rémus Harry dit le Organisation de


1940 M
Père Jah manifestations

Réveillé Emmanuel
1970 M X X X
dit Biloute

Rized Charles M X X X

Rodier Alex M Kalbas X

Romanos Maurice 1950 M X X

Rospart Jean-Pierre
1960 M X X X
dit Bébé

Rubens Ivèwna M X X

Rupaire Sonny 1940 M X Poèsie

Sabine Nanon Jean- Calebasse


M X X
Pierre dit Marso Percussion

Sambin M X X

530
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Samson Stéphane 1950 M X X

Sainsily Richard-
1950 M arts plastiques
Victor

Saint-Val Tania 1960 F X

Sainton Jean-Pierre 1950 M X X X

Swarz-Bart Simone
1930 F X Littérature
née Brumant

Selbonne-Davigny
M X X
Rudy

Selbonne Lucien M X X

Serin Colin M X X

Solvar José M Calebasse X

Solvet Patrick 1960 M X X X

Succab Frantz 1940 M X Presse

Sylvestre Christine F X

Sylvestre Martine F X X

531
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Taffial dit Payam M X X

Tagliamento M X X

Tarène Brigitte F X X X

Tauliaut Dominique 1960 M X X

Dit Tètèch Mirka M X X

Theillout Isabelle F Saxophone

Soutien et
encadrement
Théodore Louis M X
manifestations
gwoka

Thôle François M X X

fabrication de
Thôle Yves 1950 M X X
tambours

Tocny Yves M X X

Toribio Jean-Claude M Maquette disque

Troupé Fabrice 1970 M X Saxophone X

Troupé Georges 1940 M Saxophone X X

Troupé Lucien M X Flûte X X

532
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

Troupé Marylène 1960 F X Piano X Théâtre

Vibraphone

Troupé Sonny 1970 M X Batterie X

Piano

Ubèle Jocelyn dit


M X X
Linlin

Vainqueur Pascal M Clavier

Volsidor ou Formation aux


Probablement
Valcidor Toussine F X danses
vers 1900
dite Papyé a luil de scène

Valton Nicole 1950 F X X X

Vamur Olivier M Flûte X

Vaurin Jean-Claude M Kalbas X

Vespuce Daniel M Ti-bwa X

Collection de
Virapin Jocelyn M Calebasse X
disques

William Flessel 1950 M X X

William Michel M X X

Zandronis Dannik 1950 M Presse

Ziouka Clotaire M X

533
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

TABLE DES MATIERES


Sommaire ................................................................................................................................... 5
Sigles de l’étude ......................................................................................................................... 7
Table des figures ……………………………………………………………………………... 9
Guide de lecture du créole guadeloupéen…………………………………………………… 11
Introduction générale…………………………………………………………………………13

PARTIE 1 - APPROCHES CONCEPTUELLES, THEORIQUES ET


METHODOLOGIQUES D’UNE ETUDE PIONNIERE
Introduction .............................................................................................................................. 25
Chapitre 1 - Les pratiques culturelles négro-africaines aux tambours
depuis la colonisation esclavagiste
A- L’Afrique noire précoloniale, terre de conception d’une pratique libre
1- Les pratiques musicales aux tambours : des formes et du sens …………………29
2- Des manifestations aux tambours dans l’Afrique noire depuis le VIIè siècle : des
pratiques de culte…………………………………………………………………33
B- Dans la Caraïbe et en Guadeloupe : Des amusements aux yeux des étrangers
1- Une chaîne de bamboulas caribéens………………………………………………… 37
2- En Guadeloupe, la fête aux tambours de la sanction à la résistance…………………. 47

C- Les Guadeloupéens et le gwoka : Un objet diversement identifié


1- Les données du consensus : une désignation, un instrument……………………… 51
2- Des décalages et divergences d’identification à une nouvelle approche…………. 60

Chapitre 2 - Notre étude : dans le champ de la culture

A- Une représentation controversée de la culture :


1- Essai de définition……………………………………………………………………73
2- Culture et identité dans l’univers musical : exemples du jazz et du gwoka…………. 76

B- Une étude inscrite dans une autre décolonisation


1- Bref rappel historique de la décolonisation des vieilles colonies de la France ............ 85
2- Le post-colonialisme à l’origine des Cultural studies……………………………………87
3- « Décoloniser le gwoka : une autre manière de pratiquer……………………………91

C- L’acteur culturel : un rôle autrement envisagé


1- L’histoire et ses acteurs………………………………………………………………97
2- L’acteur culturel, une notion empruntée……………………………………………. 99
3- Des acteurs culturels à l’œuvre : corriger les images coloniales ? …………………102

Chapitre 3 - A la recherche des gens du gwoka :


matériaux et méthodes

A- Définir les gens


1- Dans les relations sociales et politiques…………………………………………… 109
2- Les gens comme communauté : intégration, marginalisation

534
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

ou ressource ? …........................................................................................................111
3- Les gens du gwoka : objet de Recherche……………………………………………115

B- De la collecte des acteurs à la base de données


1- La collecte autour de Vélo, point de départ de la recherche…………………………117
2- L’enquête orale……………………………………………………………………. 120
3- Autres sources………………………………………………………………………123

C- Les gens du gwoka : limites, chiffres, outils


1- Ti-Papa peut-il être retenu comme acteur ?................................................................ 127
2- Bilan global de la collecte : le portrait des acteurs…………………………………131

Conclusion de la partie 1 ........................................................................................................ 145

DEUXIEME PARTIE : LES ACTEURS DU GWOKA DANS UNE PRATIQUE SACRÉE


(1931-1969)

Introduction ............................................................................................................................ 147

Chapitre 4 : Des femmes et des hommes : profil, rôle, image


A- Des gens du gwoka opérationnels mais à peine identifiés
1- Des hommes majoritairement tanbouyé et chantè .................................................... 149
2- Une participation féminine plutôt dansée ................................................................... 155

B- Des gens du gwoka opérationnels et très connus


1- Un patronyme marqueur d’une identité commune…………………………………. 157
2- Une adresse : De la commune natale à la commune de référence ………………… 167

C- Entre marginalisation et reconnaissance


1- Une bande de vyé-nèg : désocialisation ou identité nègre ?........................................ 172
2- Des vayan ou majò : entre compétition et émulation ................................................. 182

Chapitre 5 : Une communauté de partage : les « zanfan-lanklo »


A- Un cadre géographique et humain
1- La Guadeloupe des couleurs : des paysages et des hommes ...................................... 183
2- Des « zanfan-lanklo » : un portrait général et des singularités du gwoka ................. 207

B- D’une culture à une conscience communautaire


1- La précarité, une condition générale……………………………………………… 198
2- Un réseau de survie………………………………………………………………... 207

Chapitre 6 - Le gwoka des « zanfan-lanklo » : une pratique musicale plutôt entre profane
et sacrée
A- Sacraliser les choses et les hommes :
1- Le tanbou et le tanbouyé : une même autorité majeure………………………………219

535
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

2- Devenir maître par la transmission et l’expertise……………………………………231


3- Le bâton et le cercle, de l’ordinaire au mystère……………………………………. 240

B- Réinventer le calendrier du travail et des fêtes


1- Pour le travail de la semaine…………………………………………………………248
2- Autour de la mort……………………………………………………………………255
3- Pour le Carnaval……………………………………………………………………. 262
C- Célébrer la Vie ou célébrer les femmes : l’exemple du chant
1- Femmes et chansons gwoka : des lumières dans l’ombre……………………………267
2- Solange-Pé-en-Kin : un triste clin d’œil aux femmes……………………………… 276
3- Corps et vie de femmes, une spécialité du chant des hommes……………………. 285

Conclusion de la partie 2 …………………………………………………………………. 297

PARTIE 3 : POUR UN GWOKA CIVIQUE, LA NAISSANCE D’UN AUTRE TYPE


D’ACTEUR (1970-1994)

Introduction……………………………………………………………………………… 300
Chapitre 7 : Des acteurs d’un autre profil ?
A- Des anciens aux nouveaux : Etude comparative
1- Partir, demeurer, arriver…………………………………………………………… 304
2- Un environnement social éclectique………………………………………………. 314
3- Une transmission familiale variée………………………………………………….. 318

B- Les « rastas », de nouveaux acteurs du gwoka


1- Le rastafarisme en Guadeloupe, une pratique de marronnage …………………… 326
2- L’accueil du mouvement rasta en Guadeloupe : entre marronnage et artifices…… 330

C- Femmes, genre et gwoka : affirmer sa participation


1- « Choisir son moi » ………………………………………………………………. 338
2- Femmes, images, rôles dans le gwoka de scène…………………………………. 344
3- Des innovations féminines………………………………………………………. 353

Chapitre 8 : Un contexte de crise favorable au civisme


A- Le déclin d’une économie séculaire, 1960-1990
1- La « canne à la richesse » ou le tournant brutal de 1966………………………… 358
2- Robert Loyson (1928-1989), la voix des petits planteurs ………………………. 363

B- La revendication d’une émancipation politique


1- De l’autonomisme à l’indépendantisme : le cas de la Guadeloupe ............................ 370
2- La question des langues régionales dans l’enseignement : le cas du créole
guadeloupéen .............................................................................................................. 375

536
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

3- La mémoire de l’esclavage : héros français ou héros guadeloupéen ? ....................... 377


C- La Guadeloupe ouverte au monde
1- Vivre la consommation en chansons : entre stupeur et émerveillement ................... 381
2- Partir en métropole ou s’ouvrir sur la Caraïbe ? ……………………………………. 383

Chapitre 9 : « L’acteur civique » à l’oeuvre


A- Une alerte et deux chefs de file : Casimir Létang et Gérard Lockel
1- Deux chefs que tout sépare………………………………………………………… 388
2- Des points de convergence favorables au gwoka………………………………………. 392
3- Un appel commun aux Guadeloupéens : la sauvegarde du gwoka ………………… 398

B- La réception de l’appel
1- De la musique à la « littérature gwoka » …………………………………………… 404
2- Éduquer au gwoka…………………………………………………………………. 413
3- Renforcer la diffusion proche et lointaine…………………………………………. 417

C- Marcel Lollia dit Vélo, l’union guadeloupéenne autour d’un sacre


1- L’entourage d’une fin de vie, première marche vers la sacralisation ……………. 427
2- Des funérailles de type nouveau pour une personnalité …………………………. 432
3- Une mémoire de portée sacralisante ……………………………………………. 440
Conclusion de la partie 3…………………………………………………………………. 448

Conclusion générale .............................................................................................................. 450


Documentation ....................................................................................................................... 453
Annexes .................................................................................................................................. 475
Résumé de la thèse ................................................................................................................. 543

537
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

RESUMÉ DE LA THÈSE

Les gens du gwoka en Guadeloupe : Devenir acteur de décolonisation (1931-1994)

Cette thèse examine le processus par lequel les gens du gwoka, pratique musicale chantée et dansée aux
tambours, se font inconsciemment puis consciemment acteurs de la décolonisation dans sa dimension culturelle.
La thèse s’inscrit dans l’histoire culturelle de la Guadeloupe à travers celle d’un champ d’étude plus réduit qui
est celui du gwoka. Elle apporte une dimension nouvelle à la notion d’acteur culturel de l’histoire. En effet,
empruntée à la politique culturelle publique, dans le cadre de cette thèse, la notion s’applique à la correction
d’images véhiculée depuis le système esclavagiste. Cette correction se produit sur une période de six décennies
de 1931 à 1994, entre la naissance du tanbouyé Marcel Lollia dit Vélo, et la célébration de sa mémoire. Cette
période où les contemporains du tanbouyé réussissent à donner une autre image au gwoka, en dépit des limites,
est aussi celle où la question de la décolonisation se pose. Durant cette période, l’épanouissement des acteurs
du gwoka se confond avec la diffusion d’une autre image de la pratique d’abord profano-sacrée puis civique.
La thèse a donc pour objectif d’appréhender l’évolution des enjeux qui ont contribué, sur ces 60 années, à des
changements susceptibles d’établir une nouvelle périodisation dans l’histoire culturelle de la Guadeloupe. Ces
enjeux, mis en œuvre par des gens de toute condition, font éclater les barrières sociales pour réunir ces acteurs
sous un même titre, celui de « moun-a-gwoka » qui exprime par cette pratique une humanité retrouvée. La
thèse inscrit de la sorte une étude à l’échelle locale dans une échelle plus large.

Mots-clé : acteur culturel ; décolonisation culturelle ; Guadeloupe ; gwoka ; moun-a-gwoka

Gwoka people in Guadeloupe : Become a key agent in decolonization (1931-1994)



This thesis studies how people who practice “Gwoka, », a style of song, dance and music played on drums,
participated unconsciously and then consciously in cultural decolonization. This thesis is a part of the cultural
history of Guadeloupe through the study of the more specific field of Gwoka. It brings a new dimension to the
notion of history cultural agent. Indeed, this notion, which originates from public cultural policy, refers in this
thesis to the change in representation conveyed since the slavery system. This change took place over six
decades (1931-1994) : from the birth of the “tanbouyé” Marcel Lollia, known as Vélo, to the celebration of his
memory. This period, when contemporaries of the “tanbouyé” succeeded in overcoming limitations in order to
change the image of Gwoka, is also the period when questions about decolonization became more prevalent.
During this period, the blossoming of gwoka people blended with another image of the practice which is at
once, secular and sacred then, civic. This thesis aims at understanding the evolution of the issues which
contributed during these sixty years to changes that would establish a new period in the cultural history of
Guadeloupe. In addition, these challenges, taken on by people from all social classes, broke social barriers and
united all cultural agents under the unique title of « moun-a-gwoka » which find again humanity, by this style.
As such, this thesis involves a local study on a larger scale.
Key words : cultural agent ; cultural decolonisation ; music ; Guadeloupe ; gwoka ; moun-a-gwoka

538
LES GENS DU GWOKA EN GUADELOUPE, 1931-1994.

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