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Ce document est la propriété exclusive de Benoit Dellerie (benoitdellerie@gmail.

com) - vendredi 10 avril 2020 à 14h50

N. Pinsault
R. Monvoisin

TOUT CE QUE VOUS N’AVEZ


JAMAIS VOULU SAVOIR
SUR LES THÉRAPIES MANUELLES
Préface de Normand Baillargeon
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T
rès peu de gens connaissent la différence entre kinésithérapeute,
ostéopathe, kinésiologue, chiropracteur et rebouteux. Et vous ?
À qui allez-vous confier votre corps ?
L’offre est immense : d’un côté, le monde du bien-être, où se mêlent
massages et coaching thérapeutique ; de l’autre, des techniques
manuelles douteuses, parfois dangereuses, toujours séduisantes.
Au milieu, si le patient est perplexe, le kinésithérapeute l’est aussi. Secoué
par les modes, submergé par le marketing et tiraillé par des enjeux
commerciaux, il assiste au boom des thérapies alternatives et subit le
refus croissant des parcours classiques de soin. Parviendra-t-il à faire
de son domaine une vraie discipline, aux outils fiables, à l’éthique solide ?
Ce livre posera des questions à tous les professionnels de santé, mais il
s’adresse d’abord aux patients confiant leurs ossements à des mains
pétrisseuses, et surtout aux étudiants kinésithérapeutes qui rêvent de
forger une réelle épistémologie de leur profession. Il fournit une panoplie
d’outils méthodologiques pour identifier les pièges rhétoriques, de raison-
nements et d’interprétation, afin de distinguer science et pseudoscience,
soin et pseudo-soin, loin du prêt-à-penser.

Nicolas Pinsault est kinésithérapeute et docteur


en ingénierie de la cognition, de l’interaction,
de l’apprentissage et de la création.
Il consacre l’essentiel de ses enseignements
à l’université Joseph-Fourier et à l’École de
kinésithérapie du CHU de Grenoble au développement
de l’esprit critique des étudiants.
Richard Monvoisin est spécialiste de l’étude
des théories controversées. Il enseigne la pensée
critique, la zététique (étude scientifique
des phénomènes étranges) et la lecture critique des
médias à l’université de Grenoble. Il est cofondateur
du CorteX (Collectif de recherche transdisciplinaire
Esprit critique & Sciences).

La collection Points de vue


et débats scientifiques, créée
et dirigée par Pascal Pansu
et Alain Somat, traite de thèmes qui,
au sein de la communauté scientifique,
font débat et sont sources de polémique. Presses universitaires
Sans recourir à des jugements de de Grenoble - BP 1549
valeur, les ouvrages de la collection 38025 Grenoble cedex 1
s’ancrent dans une position critique ISBN 978-2-7061-2111-1
et alimentent la controverse. Code Sofédis-Sodis S53 376 7
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sur les thérapies manuelles


Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir
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Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article


L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions stricte-
ment réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans
un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses
ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété
intellectuelle.

© Presses universitaires de Grenoble, février 2014


5, place Robert-Schuman
BP 1549 – 38025 Grenoble cedex 1
pug@pug.fr / www.pug.fr

ISBN 978-2-7061-2111-1
L’ouvrage papier est paru sous la référence ISBN 978-2-7061-1858-6
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Nicolas Pinsault & Richard Monvoisin

Tout ce que vous


n’avez jamais voulu savoir
sur les thérapies manuelles

Presses universitaires de Grenoble


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À Manon et sa maman. À Mimi, et à Guy Monvoisin, qui aurait


tant aimé être kiné. À cette vieille branche de Guillaume Després.
À Automne et Thomas, nés pendant l’écriture, qui parmi des
millions d’autres sont deux raisons en plus de contribuer à un
monde un peu plus juste.

La collection Points de vue et débats scientifiques, créée et dirigée


par Pascal Pansu et Alain Somat, traite de thèmes qui, au sein
de la communauté scientifique, font débat et sont sources de
polémique. Sans recourir à des jugements de valeur, les ouvrages
de la collection s’ancrent dans une position critique et alimen-
tent la controverse.

Déjà parus dans la collection

Guillaume F., Tiberghien G., Baudouin J.-Y., Le cerveau n’est


pas ce que vous pensez. Images et mirages du cerveau, 2013
Pansu P., Dubois N., Beauvois J.-L., Dis-moi qui te cite et je
saurai ce que tu vaux. Que mesure vraiment la bibliométrie ?, 2013
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Remerciements

L a confection de ce livre aurait pris un an de plus sans le soutien


de l’équipe du CORTECS, et sans la mise à disposition de temps
de travail par le directeur de l’IFMK de Grenoble, Jacques Vaillant.
Elle aurait assurément pris cinq ans de plus sans les accommodations
de nos compagnes de route, Anaïs Goffre et Émilie Barrucand.
Son contenu, quant à lui, aurait été atroce sans les relectures impi-
toyables de Denis Caroti, Nelly Darbois, Anaïs Goffre, Albin
Guillaud, Gaël et Patrice Piette, et sans celles des deux snipers,
Guillemette Reviron et Julien Peccoud. Sous l’enveloppe charnelle
de Stanislas Antczak se cache sans conteste le plus exigeant relecteur
biomécanique que la terre ait jamais porté.
Pascal Pansu et Alain Somat, directeurs de la collection, ont mené
d’homériques batailles pour nous convaincre de certaines retouches.
Un clin d’œil aussi à Ségolène Marbach, responsable éditoriale, dont
la pertinence des remarques n’a d’égale que son attachement aux
logiciels de traitement de texte payants.
Nous rendons gloire aux ressources iconographiques de John Christie,
Louis Dubé et Céline Delerce.
Impossible de passer sous silence les contributions des étudiants, en
particulier Nelly Darbois, Alexia Madelon, Julien Tournier, Philippe-
Antoine David, Vivian Poulin, Victor Cambon de Lavalette, Anaël
Wünsche, Killian Martineau, Hugo Gilardy, Amélie Mourier et
Alizée Pelloux.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Enfin, le fait d’écrire à deux a d’indéniables avantages. Le premier


d’entre eux est d’avoir un prétexte pour boire des gnôles à six heures
du matin. Le second, de pouvoir se gratifier soi-même si le livre est
bien reçu, et de pouvoir accuser l’autre en cas de réception maré-
cageuse. C’est pratique.

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Choix des auteurs


A ucune loi n’oblige les chercheurs à préciser leurs liens d’intérêts.


C’est à notre sens regrettable, aussi faisons-nous le choix d’indi-
quer les nôtres. Ni N. Pinsault, ni R. Monvoisin n’ont de lien avec
une quelconque industrie ou instance privée que ce soit.
Nous avons choisi de garder l’appellation kinésithérapie, bien qu’elle
soit en pleine contradiction avec l’appellation internationale de
physiothérapie. Nous invoquons plusieurs raisons à cela :
- le corps de l’ouvrage se réfère à l’exercice kinésithérapique français ;
or la France a choisi de maintenir son originalité (toute relative) en
gardant le premier terme, à la manière des États-Unis qui quant à
eux conservent physical therapy. C’est un argument somme toute
assez faible, car créant une tripartite France-États-Unis-reste du
monde ; mais il facilitera l’audience du public francophone, ce
qui est notre objectif central.
- l’étymologie parle en ce sens : la « thérapie par le mouvement » (de
kínêsis : mouvement) est plus proche de l’exercice du professionnel
que la physiothérapie (phusis : nature).

Nous avons opté pour l’orthographe microkinésithérapie, et non


micro-kinésithérapie, parce que la première appellation est issue des
fondateurs ainsi que du site officiel de la technique, tandis que la
seconde ne se retrouve que dans des articles de seconde main.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Nous avons décidé de parler de « thérapies dites alternatives ». Nous


avons renoncé à :
- « médecines », car toutes ne sont pas des médecines ;
- « parallèles », car n’est pas précisé à quel axe elles seraient parallèles ;
- « douces », toutes n’étant pas douces ;
- « complémentaires », car elles se substituent parfois à toute autre
forme de soin, et de ce fait, ne sont plus complémentaires.
- « de support », parce que les thérapies de support contribuent à la
tolérance d’un traitement lourd, mais n’ont pas de réelle prétention
thérapeutique.

En indiquant « thérapies dites alternatives », nous signifions trois


choses : d’une part que l’efficacité thérapeutique est seulement pré-
tendue, d’autre part que le moteur principal de la naissance de ces
thérapies est une recherche d’alternative à la médecine scientifique
et pharmaceutique, ou dit plus directement, une forme de contesta-
tion de type politique. Par contre, en choisissant « thérapie », nous
prenons le risque d’évincer ce qui fait la prévention, c’est-à-dire ce
qui n’est pas thérapeutique (en vue de guérir) mais qui prévient les
maladies. C’est un risque que nous assumons.

En lieu et place de masseur-kinésithérapeute, nous parlerons géné-


ralement de kinésithérapeute, premièrement parce que l’activité de
massage dit « de bien-être » n’a selon nous pas grand-chose à faire
dans l’arsenal thérapeutique, et deuxièmement parce que nous ne
voyons pas pourquoi, bien qu’utilisée comme technique théra-
peutique, elle aurait un statut particulier par rapport aux autres
techniques thérapeutiques efficaces.

Nous avons préféré le terme chiropraxie au terme chiropractique,


car il fallait bien choisir ; nous nous sommes conformés aux textes
réglementaires français sur la profession.

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Choix des auteurs
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Il n’y a, à notre connaissance, aucune raison objective de caution-


ner des règles normatives morales dans la grammaire, comme la
règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin », et qui
assimile le genre non marqué au masculin – un seul nom masculin
parmi plusieurs féminins emportant la conjugaison et les accords.
Ce sont des règles héritées des grammaires de Claude Favre, baron
de Pérouges, seigneur de Vaugelas (1647)1, et qui entre autres, font
disparaître les sujets féminins et posent le masculin comme norme
par défaut. Selon le même type de critique, Français métropolitain
a été précisé afin de ne pas inclure de force les Français d’outre-
mer, de même qu’Étasunien a été préféré à Américain puisque les
Mexicains, Canadiens, Antillais, Cubains, Guatémaltèques, sont
aussi des Américains.
Nous avons néanmoins choisi de ne pas féminiser notre texte, du
fait de la typologie un tantinet plus lourde2. Mais le masculiniser
sans plus de précision est une marque de sexisme ordinaire à laquelle
nous ne souscrivons pas. Partout où nous l’avons pu, nous avons
utilisé des épicènes, c’est-à-dire des noms bisexués pouvant être
employés indifféremment au masculin ou au féminin. Pour faciliter
la lecture, nous garderons « le » kiné, bien qu’une franche majorité
des étudiants actuels soient des femmes.

Nous avons opté pour une datation qui met en avant le caractère
relatif des calendriers. Dater en fonction de Jésus-Christ est un
parti pris assez répandu dans le monde, depuis qu’en 525 le moine
Dionysius Exiguus (Denys le petit) baptisa la naissance de Jésus
l’an 1 ou Anno Domini. Mais ce parti pris impose un centrage
judéo-chrétien très fort sur la manière dont la science historique
s’énonce. Qui plus est, l’existence physique de Jésus de Nazareth est
encore source de polémiques. Quand bien même serait-il né, il est

1 Claude Favre, dit Vaugelas, Remarques sur la langue française, utiles à ceux qui
veulent bien parler et bien écrire (1647) Paris, éditions Champ Libre (1981).
2 Pour en savoir plus sur la féminisation d’un texte : http://rebellyon.info/
RebellyonNE-et-la-feminisation-des.html

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probable qu’il soit né entre 7 et 5… avant Jésus Christ3. Pour ces


raisons, nous indiquons sciemment avant EC ou EC, c’est-à-dire
Ère Commune – proposition déjà faite en 1667 par Lemaistre de
Sacy4, et reprise par un certain nombre d’historiens laïcs actuels.
Cela ne résout pas le problème normatif (l’ère étant commune à
qui ?), mais permet au moins de soulever la question, a fortiori dans
un traité critique.
Ce livre a été réalisé avec LibreOffice, logiciel libre. Sur la nécessité
des logiciels libres, on lira les colonnes de l’association Framasoft
http://www.framasoft.net/.
Pour faciliter les recherches, nous placerons un maximum de docu-
ments cités à disposition sur www.cortecs.org.

Sigles
CORTECS : Collectif de recherche transdisciplinaire Esprit critique
& Sciences
FORMINDEP : Association pour une formation et une informa-
tion médicale indépendantes (de tout autre intérêt que celui de la
santé des personnes)
NdA : Note des auteurs
Ph.D. : Philosophiæ doctor, littéralement « docteur en philosophie »
(équivalent de la thèse supérieure de recherche dans le système
universitaire anglo-saxon)
TP : Travail pratique
UFC : Union française des consommateurs

3 On reprend ici Michel Quesnel, « Jésus et le témoignage des évangiles »,


in Aux origines du christianisme, éd. Gallimard/Le Monde de la Bible, 2000,
p. 201–202.
4 Dans la Chronologie des Épitres de Saint Paul du Nouveau Testament de
Mons, première édition de la traduction par Lemaistre de Sacy (1667).

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Choix des auteurs
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Abréviations
et al. : abréviation de et alii, « et les autres »
ouv. cit. : ouvrage cité
p. : pages

Anglicismes
Bachelor : licence
Cross-over : étude croisée
Double blind : double aveugle
Evidence Based Practice : médecine pratique basée sur les preuves
Flow chart : diagramme de flux
Flying Spaghetti Monster : Monstre en spaghetti volant
Gold standard : critère externe de référence ou étalon
Impact Factor : facteur d’impact
Intent to treat : en intention de traiter
P-value : p-valeur, appelée communément « petit p » (ou valeur du
risque de première espèce)
Peer-review : relecture par les pairs
Red herring : hareng rouge
Scope : champ éditorial
Simple Blind : simple aveugle
Standard deviation : écart-type
Standard error of mean : erreur moyenne standard
Strawman : épouvantail
Wash out : fenêtre thérapeutique

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Latinismes
Argumentum a silentio : argument du silence
Argumentum ad consequentiam : argument à « la conséquence », ou
sophisme du pragmatisme
Argumentum ad exoticum : argument de l’exotisme
Argumentum ad hominem : argument sur la personne
Argumentum ad populum : argument du nombre, ou raison de la majorité
Argumentum ad verecundiam : argument de respect (d’autorité)
Ibid. : abréviation d’ibidem qui signifie au même endroit – fait réfé-
rence à un ouvrage déjà cité dans une note précédente
Numerus clausus : quota autorisé
Pluralitas non est ponenda sine necessitate : les multiples ne doivent
pas être utilisés sans nécessité (Rasoir d’Occam)
Post hoc ergo propter hoc : juste après, donc conséquence de
Reductio ad hitlerum : réduction jusqu’à Hitler
Res mirabilis : réseau miraculeux
Sic : ainsi, signifie que les mots indiqués sont vraiment de l’auteur cité
Symposia : pluriel de symposium
Tu quoque : toi aussi

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Avertissement au lecteur

L es pages qui vont suivre n’ont pour but ni de revisiter des lieux
communs, ni de plaire. Revisiter des lieux communs pourrait
consister à dire que les professionnels de santé sont aimables, dévoués,
et prompts au serment d’Hippocrate et au sacrifice de soi pour sau-
ver leur prochain. C’est possible, probable, et souhaitable. Ce n’est
pourtant pas toujours le cas. Revisiter les lieux communs pourrait,
à l’inverse, consister à hurler avec les loups, et déclarer que les kinés,
médecins, hospitaliers, infirmiers et autres ne sont que des rouages
d’un système commercial qui n’a pour autre objectif que d’écou-
ler du médicament, du vaccin, et d’assoupir les masses à coup de
comprimés pour les rendre laborieuses. Plaire reviendrait à adapter
le discours pour qu’il soit apprécié, coûte que coûte, à la façon des
démagogues, des téléréalités ou des tabloïds.
Ce livre est rédigé dans l’objectif qu’un maximum de gens puisse faire
leur choix en matière de santé en pleine connaissance de cause : que
les options qui soient présentées au patient comme au thérapeute
soient débarrassées d’intérêts idéologiques, financiers, politiques ou
commerciaux et que les patients puissent s’approprier les décisions
qui les concernent. Pour les patients, commencent à être disponibles
un certain nombre de très bons documents à disposition des patients,
depuis les revues d’associations de consommateurs jusqu’au manuel
Les Droits du Patient, de Martin Winckler et Salomé Viviana5.

5 Martin Winckler et Salomé Viviana, Les Droits du Patient, Fleurus, 2007.

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Pour les thérapeutes, il y en a drastiquement moins. Alors que dire


d’ouvrages qui visent thérapeutes, patients, étudiants, sur une même
ligne, sur un même front, sans hiérarchie…

Si vous n’aimez pas lire, ou si vous n’avez ce livre en main que


quelques instants, voici synthétisé le propos central, celui que nous
pourrions venir clamer sur un marchepied au milieu d’une place de
marché si la timidité ne nous empêchait pas de le faire. Cette chose
vaut tant pour le patient que pour le thérapeute, et ça tombe bien,
nous sommes forcément l’un ou l’autre, maintenant ou plus tard.
Il se résume comme ceci :
Ce n’est pas parce que vous êtes content du soin donné (par
vous), ou reçu (par vous) que ce soin est efficace en soi. Et si
ce soin n’est pas efficace, alors la prochaine fois risque d’être
moins satisfaisante.
Cela est lourd d’implications. Cela signifie qu’un soin inefficace peut
plaire, qu’un soin efficace peut déplaire, qu’une visite médicale même
sans technique ou médicament peut être efficace, mais peut aussi
donner l’illusion de l’être. Cela indique surtout ceci : il est impos-
sible de savoir, de sa propre expérience, si ce qu’on a fait, ou reçu, est
efficace en soi, ou efficace pour d’autres raisons, comme le contexte,
le placebo, le doux sourire du thérapeute, le temps de discussion que
donne la visite ou le nom que l’on peut enfin poser sur son malaise.
Tout l’art du patient sera de ne pas être dupe : le prix d’un soin
n’est, par exemple, pas gage de son efficacité, le thérapeute peut
avoir des conflits d’intérêts avec des industries, conflits qui faussent
son jugement, etc.
Tout l’art du thérapeute consistera, lui, à offrir au patient un contexte
optimal, plaisant, servant de décor à sa panoplie de techniques
efficaces, dans lesquelles le patient choisira en tout état de cause.
Pour ça, il faut être en mesure d’évaluer une thérapie, en soi, en
ce qu’elle apporte réellement, afin de donner cette information au
patient avant son choix. Cette évaluation se fait avec méthode, et
ne peut pas être remplacée par une liste de témoignages de gens
satisfaits. Et cette méthode, cela tombe bien, elle s’apprend. Ce n’est

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d’ailleurs pas vraiment compliqué, si on se donne un peu de temps.


À ce prix, efficacité propre (réellement lié à l’acte réalisé) et efficacité
contextuelle (liée au cadre dans lequel se fait l’acte) mèneront à
l’émulsion souhaitée : le mieux-être maximisé du patient.

Vous aurez peut-être envie de nous dire que « certes, mais tout ne
se démontre pas », ou « la science ou la connaissance ne peuvent
pas tout appréhender ». C’est vrai. Certaines émotions, extases ou
inspirations échappent à notre entendement, jusqu’à demain ou
pour toujours. Mais ici, les choses sont beaucoup plus simples :
il y a une personne qui souffre d’un problème et qui souhaite le
résoudre, en surface ou en profondeur, en venant demander au
thérapeute : « Qu’as-tu pour moi ? ». Et le thérapeute d’ouvrir sa
besace et de lui dire : « Alors pour ce que tu as, j’ai ça, ça et ça. Ceci,
c’est très agréable, mais ça ne marche que dans la mesure de l’effet
placebo ; ça, c’est moins agréable, mais tu as 30 % de chances de
résoudre ce pour quoi tu es venu ; enfin, cela, très désagréable, tu
as une chance sur dix d’y laisser ta peau, mais neuf de la sauver.
Je n’ai aucun moyen de choisir pour toi parmi les trois, mais si tu
viens me voir pour résoudre ton problème, je te présente tout, sans
tromperie, et le choix t’appartient ».
L’art de trouver cette information à partager entre thérapeute et
patient s’appelle la médecine basée sur les preuves. Cette démarche
est résolument optimiste ! Pourquoi ? Parce que si tout le monde en
comprend les bases de fonctionnement, alors c’en est fini du pouvoir
des industriels sur les thérapeutes, du pouvoir des thérapeutes en
blouse blanche sur ceux en blouse bleue, du pouvoir des thérapeutes
sur les patients. Personne ne pourra plus kidnapper, privatiser
cette connaissance, car elle sera mise sur la place publique. Ainsi
l’information scientifique, commune, élaborative, et sans trancher
à sa place, éclairera la situation de chacun comme les Lumières du
xviiie siècle. Alors, chacun de nous pourra cultiver une démarche
de réflexion critique et en faire profiter ses amis, ses enfants, ses
collègues et ses patients, qui en retour exerceront un effet réflexif
sur nos opinions. Ce processus collaboratif élaguera progressivement
les théories frauduleuses et les influences marchandes.

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Mais gare ! Gardons à l’esprit ceci : lorsque l’on aborde le délicat


sujet de la santé des individus, quelques précautions sont à prendre
si l’on ne veut pas se « piquer » aux furieuses épines de la dissonance
cognitive et voir notre interlocuteur se fâcher.
La première précaution à prendre tient au fait que la majorité des
patients est généralement en quête de sens lorsqu’elle consulte un
professionnel de santé. Elle voudrait qu’on lui explique pourquoi
(au sens de pour quoi, en vertu de quelle cause) elle est malade,
pourquoi elle souffre, quelle en est la raison. Or la science en général
et la médecine en particulier sont incapables de lui répondre, et
pour une raison simple : elles ne peuvent traiter que des causalités
contingentes, et non de causes ultimes ou de questions de sens.
La science traite du comment, et apporte statistiques, mécanismes
d’action, biologie, biochimie et anatomie. Le pourquoi, lui est
métaphysique, donc étymologiquement en dehors de la physique :
pourquoi sommes-nous nés, pourquoi ce monde plutôt qu’un autre,
pourquoi vais-je mourir, et vers où ? Le thérapeute ne sait répondre à
cela. Il peut nous dire quand nous avons de fortes chances de mourir,
et par quels mécanismes nous y parviendrons, et non pourquoi nous,
pourquoi pas un autre, et pourquoi on meurt. C’est cette quête de
sens, légitime certes, mais hors de propos, que vient chercher le
patient. Il arrive, c’est vrai, que le thérapeute devienne lui-même
méta-thérapeute, et se prenant pour un prêtre ou un haruspice
lisant les entrailles d’animaux, prétende déchiffrer les arcanes du
destin. Mais n’ayons guère d’illusion à bon marché. Nous avons
certes un grand respect pour ces questions, mais nous nous méfions
des réponses, ancrées dans le sol mouvant de la foi. D’une part, les
vendeurs de sens privent l’individu de construire par lui-même le
sens existentiel qu’il préfère. Car, rappelons-le, sur un plan factuel,
la vie n’a que le but qu’on veut bien lui donner (et cela donne une
immense liberté, doublée d’une non moins grande responsabilité).
D’autre part lorsque des thérapeutes proposent leur sens, ils le
font du haut de leur statut de professionnel de santé, ce qui est un
argument d’autorité facilement contestable car ils n’ont aucune
autorité en matière de métaphysique – et pour cause : personne n’a

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autorité en matière de métaphysique. C’est un peu comme si, sous


prétexte qu’il est médecin, il fallait adhérer aux goûts musicaux de
notre toubib, ou aux goûts cinéphiles d’un physicien.
Ainsi, en s’adressant au thérapeute responsable, qui assume les limites
de son mandat, le patient risque-t-il de repartir avec des « comment »
et des « pourquoi » insatisfaits, et de se tourner alors vers quiconque
apportera une réponse (même partielle, sans fondements, et parfois
payante) à son angoisse légitime. Certaines thérapies, ornées de leur
métaphysique, deviennent alors des refuges, des bouées, auxquelles
s’arriment des patients apeurés. Ce n’est dès lors plus le moment
de crever la baudruche, laissant le patient encore plus désemparé.
Non, le travail se situe en amont, dans l’apprentissage du matériel
auquel s’agripper.
La seconde précaution tient à la forme et au ton de la discussion,
et se résume par une maxime fleurie que vous nous pardonnerez :
rappelons-nous que tout comme le chêne, nous avons tous com-
mencé par être des glands. N’oublions pas le chemin critique et
contre-intuitif que nous avons parcouru pour penser ce que nous
pensons. Pensons à ceux qui furent patients et pédagogues avec
nous. Usons d’un ton doux pour expliquer notre point de vue, ne
serait-ce que pour éviter les résolutions de dissonance cognitive à
notre encontre (cf. chapitre 6, Dissonance cognitive, engagement).
Ne tendons pas le si facile bâton du ton péremptoire pour se faire
battre. Soyons prêts à changer d’avis si les arguments opposés sont
valables et gardons-nous bien de commander sa conduite à notre
interlocuteur. Souvenons-nous que le choix appartient toujours au
patient et que si nous rêvons de connaissance de cause, nous avons
un devoir d’information claire et sans préjugés.

Cette appropriation de la démarche critique de co-élaboration


de l’information médicale et sanitaire est notre principal objectif.
C’est pratique car, comme le dit Normand Baillargeon6, c’est une
connaissance compossible : si l’un de nous possède un vélo, et qu’il
vous le donne, il ne le possède plus. On dira que ce bien n’est pas

6 Normand Baillargeon, « Justice et éducation », À Bâbord, n° 2, Novembre/


décembre 2003.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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compossible : on ne peut pas le posséder entièrement à plusieurs.


Mais la démarche critique et méthodologique est compossible : si
vous la transmettez à quelqu’un, vous l’avez encore ! On peut l’offrir
à autant de gens que l’on veut sans s’appauvrir soi-même.

Alors voici ci-dessous notre contribution, à distribuer sans modé-


ration. Et comme aiment à le dire les gens qui dépassent un certain
âge : Qu’importe, au fond ? Tant qu’on a la santé.

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PRÉFACE

Médecine, pensée critique


et conversation démocratique

A ccepter de préfacer un ouvrage, c’est bien entendu en cautionner


le contenu, sinon entièrement, du moins en grande partie, et donc
lui reconnaître diverses qualités qui en font le mérite. Le préfacier,
typiquement, déclinera ces qualités et donnera les raisons pour les-
quelles il pense que l’ouvrage présenté devrait intéresser les lecteurs.

Je ne dérogerai pas à cette tradition, même si les mérites de ce livre


sont si nombreux que je ne pourrai pas tous les énumérer. Je vou-
drais néanmoins en porter à votre attention quelques-uns, qui me
paraissent tout particulièrement dignes de mention.
Pour les apprécier pleinement, il sera utile de rappeler l’ampleur du
défi que se sont lancé Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin, défi
qu’ils relèvent avec brio.
Les auteurs abordent en effet, avec, c’est important de le rappeler,
l’ambition d’y faire jouer les précieuses ressources de la pensée critique,
un sujet particulièrement sensible, délicat, voire polémique : la place
et le statut que nous accordons, individuellement ou collectivement,
à la kinésithérapie et aux pratiques apparentées.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Or, aborder un tel sujet, s’aventurer sur ce terrain qui est celui de
la santé, c’est, comme on le soupçonne sans doute et comme on le
découvrira à la lecture de l’ouvrage, pénétrer sur un territoire où
de nombreux facteurs, souvent passionnels, entrent aussitôt en jeu
et se conjuguent à des intérêts de toutes sortes, notamment écono-
miques, qui, conjointement, ne facilitent pas l’expression sereine
d’une pensée critique.

Les auteurs y sont pourtant parvenus et atteignent parfaitement leur


objectif. Il me semble que cette réussite tient à certains facteurs que
je voudrais souligner.
Pour commencer, vous le vérifierez rapidement, Pinsault et Monvoisin
démontrent une grande maîtrise de ces nombreuses connaissances
– historiques, scientifiques, méthodologiques, épistémologiques,
psychologiques, notamment –, qui sont indispensables pour aborder
les questions traitées. Ils ont en outre de réels talents de pédagogues,
de sorte qu’en terminant la lecture de leur ouvrage, vous n’ignorerez
rien de la maxime de Hume, du rasoir d’Occam, des subtilités de
la définition du concept de science, du problème de la démarca-
tion entre science et pseudoscience, de l’art de repérer des sources
bibliographiques et de nombreux autres sujets. En somme, par ce
livre, par la mine d’informations qu’il expose de manière claire et
accessible, c’est, en sus de tout le reste, un véritable cours de pensée
critique qui vous est proposé.
Et pour ne rien gâcher, Pinsault et Monvoisin déploient tout cela
avec une grande finesse non dépourvue d’humour, à travers une
écriture qui engage les lecteurs et les incite à s’approprier ce qui leur
est proposé, à mettre la main à la pâte en quelque sorte (« dans le
cambouis », comme ils disent joliment) et, en bout de piste, à penser
par eux-mêmes. C’est là exactement ce qu’il fallait faire.
Il faut en effet savoir que ce qu’on appelle couramment du travail
de déboulonnage – le fameux debunking des sceptiques anglo-
saxons – est une tâche difficile, souvent ingrate et qui se heurte à des
résistances complexes et insoupçonnées. La manière de procéder de
Pinsault et Monvoisin me paraît sur ce plan être remarquablement
efficace et de nature à faire tomber nombre de ces résistances.

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Médecine, pensée critique et conversation démocratique
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En particulier, ils manifestent de manière exemplaire ce que les phi-


losophes appellent des vertus épistémiques – comme l’ouverture aux
autres points de vue, la prudence et la pondération des jugements,
l’écoute et l’effort sincère de compréhension des positions en présence.
Ces qualités s’acquièrent par la pratique ; la lecture de ce livre vous
permettra, justement, de les rencontrer et de les pratiquer. Les
patients et les soignants gagneront tous à le faire, à n’en pas douter.
Mais c’est nous tous, collectivement, en ces heures à bien des égards
sombres que nous traversons, en ces heures où, je le crains, elles
sont peut-être plus que jamais nécessaires, nous tous, donc, qui
gagnerons à ce que ces vertus se répandent et caractérisent ce que
le philosophe John Dewey appelait la conversation démocratique.

J’ai beaucoup appris de ce livre et je suis persuadé que vous en


apprendrez, vous aussi, énormément. Il constitue à mes yeux une
précieuse contribution à nos échanges collectifs et à des débats qui
doivent être tenus. Il est en effet un remarquable exemple de la
manière dont ceux-ci devraient être conduits : de manière respec-
tueuse, mais aussi informée, exigeante et rigoureuse.

Normand Baillargeon
Saint-Antoine-sur-Richelieu - 4 janvier 2014
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INTRODUCTION

Se retrousser les manches


« Masseur-kinésithérapeute est la profession préférée des Français ».

C ette petite phrase, simple, fait le bonheur des abords de la machine


à café des écoles de kinésithérapie françaises, et tout le monde se
tape dans le dos. Le masseur-kinésithérapeute, garçon ou fille, jeune,
sympathique, le teint hâlé, d’allure sportive et sexy dans sa blouse
blanche, mobilise nos membres avec bienveillance et un soupçon
d’érotisme, tout en absorbant nos petits tracas et en demandant des
nouvelles de notre chat. On lui donnerait le bon dieu et nos plus
intimes organes sans confession.

Au risque d’être taxé de scepticisme, il faut bien se rendre à l’évidence :


cette affirmation n’est pas référencée et le mode de sondage n’est pas
précisé, pas plus que la population interrogée. On pourra même être
qualifié d’esprit chagrin, ou de désenchanteur, si on montre que de
même « facteur est la profession préférée des Français » chez les facteurs,
idem pour les pompiers, les infirmiers, les sages-femmes, les poisson-
niers. Et pour cause : à notre connaissance, il n’y a pas de sondage à
l’appui de ces affirmations. Le seul disponible sur lequel nous ayons
mis la main, celui de l’Institut français de l’opinion publique en 2011,

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ne proposait même pas kiné dans les choix7. Certes, infirmier y était,
qui caracolait en tête. Et effectivement, longtemps l’art infirmier fut
confondu avec celui du masseur et exercé par des infirmiers masseurs.
Du milieu du xixe siècle jusqu’à la première décennie du deuxième
millénaire, cent cinquante ans d’existence ont vu l’exercice professionnel
des kinésithérapeutes se modifier et s’affermir, parfois au prix, nous
allons le voir, de luttes acharnées. Le nom lui-même, kiné, a changé
plusieurs fois dans cette période, et reste encore susceptible de changer.

Dans les Cahiers du Centre de recherches historiques, Rémi Remondière,


narrant la lente construction de la kinésithérapie en France de 1840
à 1946 (Remondière, 1994), explique que l’appellation « kinési-
thérapeute » a été suggérée pour regrouper le syndicat des masseurs
médicaux et celui des gymnastes médicaux8. Pourquoi avoir boudé
« physiothérapeute », terme utilisé pourtant partout ailleurs ? On
raconte que le terme donnait une part trop belle au corps médical,
la physiothérapie englobant électrothérapie et radiothérapie restant
l’apanage des médecins. En 1889 s’ouvre la première École française
d’orthopédie et de massage, à Paris, qui ne sera agréée que le 28 février
1924, soit trente-cinq ans plus tard. Au détour de 1900, la kinési-
thérapie est un assortiment hétéroclite de massages, mouvements de
gymnastique, mobilisations, procédés de mécanothérapie (utilisation
de poulies, filins et autres appareils grinçants), balnéothérapie, etc9.
Un syndicat des médecins masseurs est constitué en 1912 mais la
France ne crée pas de chaire de kinésithérapie. Or, la première guerre
mondiale fait exploser la demande en rééducation, et les médecins,
vite dépassés, doivent déléguer un certain nombre d’actes au per-
sonnel auxiliaire car, c’est bien connu, le front a besoin d’hommes
valides. Quant à la cohorte d’estropiés, d’invalides, de gueules cassées,
leurs soins sont confiés aux « paramédicaux », infirmiers en tête, qui

7 Le classement des métiers préférés des Français, IFOP 2011.


8 Loi n° 46-857 du 30 avril 1946, concernant la création du diplôme de
masseur-kinésithérapeute, Journal Officiel, 1er mai 1946, p. 3653-4.
9 T. Nogier, Électrothérapie, tome « Physiothérapie », préface de Carnot, Paris :
Baillière et fils (Bibliothèque de Thérapeutique), 1909, p. IX.

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Se retrousser les manches
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voient institué le 27 juin 1922 le Brevet de capacité professionnelle,


correspondant à l’actuel Diplôme d’État d’infirmier. Parmi les cinq
mentions y figurant, apparaît celle d’infirmier-masseur.
L’autre discipline intéressée directement par la réinsertion des blessés
est celle des professeurs d’éducation physique médicale, et par exten-
sion les professeurs de gymnastique des écoles qui vantent l’intérêt
sanitaire et préventif des activités physiques, dans la lignée du fameux
Hébert. C’est enfin le 30 avril 1946 que la kinésithérapie naît, de
la réunion des disciplines de masseurs médicaux et de gymnastes
médicaux. Nous exposerons davantage de détails sur la discipline
plus loin (cf. chapitre 2, Mains dans le cambouis : quiz de datation).

Débordée de tous les côtés


Ce bref historique permet déjà d’apprécier un point central : la
kinésithérapie est une discipline (re)constituée de compétences
diverses, en patchwork, initialement partagée par différentes pro-
fessions désormais partenaires ou concurrentes. Son histoire n’en
est pas finie pour autant. Les derniers changements, notamment via
des dispositions réglementaires de l’arrêté du 22 février 2000, ont
visé à « responsabiliser » les praticiens, les élevant d’un statut d’exé-
cutant de techniques à un statut de décideur/prescripteur, responsables
donc vis-à-vis non seulement du patient, mais aussi des médecins
prescripteurs et de la Caisse primaire d’assurance maladie. Cette
responsabilité accrue dans la planification thérapeutique va de pair
avec une nécessité pour le kinésithérapeute de faire des choix dans
la profusion de l’offre de techniques thérapeutiques disponibles.
Or, le développement des technologies de communication et l’aug-
mentation faramineuse de la diffusion d’informations de santé ont
rendu l’offre de techniques pléthorique et marécageuse, au point d’y
noyer le gentil kiné, certes toujours préféré des Français, mais qui
se trouve désormais bien en peine d’exercer une sélection critique
dans le flot de techniques nouvelles qui engloutissent, en plus de
sommes d’argent conséquentes, un temps de formation bien rare.
Notre bon et brave kiné se retrouve vite débordé dans sa spécificité,
d’un côté par les instituts de soin et de bien-être, de l’autre par les

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thérapeutes autoproclamés usant de techniques parfois dénuées de


fondement. Difficile, dès lors, dans ces conditions, de défendre une
spécificité, d’asseoir une quelconque légitimité.
Aussi avons-nous souhaité, au-delà des outils fournis dans ce manuel,
que celui-ci soit l’occasion de réflexions et de débats aussi animés que
possible. Les enjeux ? Ils sont de taille. Il s’agit de la délimitation des
frontières de l’art kinésithérapique, et des risques qu’il y a à ne pas
en avoir ou à les laisser se perforer de mille trous. Car si la kinési-
thérapie est aujourd’hui une profession reconnue en France tant sur
le plan juridique et réglementaire que social, la diversité des modes
d’exercices de la kinésithérapie par les kinésithérapeutes eux-mêmes
soulève cette question : quels sont les points communs entre tous
ces professionnels ? En d’autres termes, qu’est-ce qui constitue la
kinésithérapie, quelle est sa place, qu’est ce qui fait qu’elle perdure,
comment et à quel prix ? Comment les kinés se différencient-ils des
rebouteux, magnétiseurs, guérisseurs ? Comment se différencient-ils
des chiropracteurs, des ostéopathes ? Les microkinésithérapeutes, les
fasciathérapeutes, les étiopathes, les kinésiologues sont-ils toujours
des kinés ? Le kinésithérapeute et sociologue Jacques Monet explique
dans sa thèse Émergence de la kinésithérapie en France (Monet,
2003) que la kinésithérapie s’est construite par amoncellement de
procédés hérités des magnétiseurs, rebouteux, souffleurs d’entorses,
mais aussi de techniques et savoirs délégués par le corps médical
auxquels s’entremêlent désormais les secteurs du bien-être et des
thérapies dites alternatives, en pleine expansion, avec leur cortège
de techniques non éprouvées et revendiquant tous les oripeaux de la
rééducation. Effectivement, la kiné est à la confluence de méthodes
si disparates qu’il devient nécessaire, pour ne pas dire urgent, de faire
un tri objectif des éléments constitutifs de la profession.

Enseignements spécifiques
Depuis 2004, dans la mouvance de ce que les Anglo-Saxons appellent
le critical thinking, nous développons des enseignements spécifiques,
centrés sur l’apprentissage de la méthode scientifique et la trans-
mission de compétences d’analyse critique, particulièrement sur

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les problématiques sanitaires et sociales. Protocoles expérimentaux,


analyse des publications, critique des médias et bases d’épistémolo-
gie sont au cœur de nos cours. Richard Monvoisin, didacticien des
sciences, spécialiste de l’étude des théories controversées, enseignant
à l’université de Grenoble a créé en 2010 avec quelques collègues le
CORTECS (Collectif de recherche transdisciplinaire Esprit critique
& Sciences) et il n’a pas fallu beaucoup insister pour y débaucher
Nicolas Pinsault, docteur en ingénierie pour la santé et la cognition,
kinésithérapeute, enseignant à l’École de kinésithérapie du Centre
hospitalier universitaire de Grenoble et spécialisé dans le décorticage
d’articles scientifiques. Ensemble, nous avons bâti à l’université de
Grenoble des unités d’enseignement « Esprit critique et sciences »,
accessibles en formation initiale comme en formation continue, de
la licence au master. C’est lorsque les demandes d’interventions se
sont répétées dans d’autres instituts de formation en kinésithérapie
qu’a germé l’idée d’un manuel : autant former des enseignants à
s’approprier le matériel critique de base. L’effet démultiplicateur
auprès des nouvelles générations de thérapeutes n’en sera, nous
l’espérons, que plus grand.

Optimisme sans complaisance


Tout le travail qui va suivre prend pour base objective la pauvreté
de la formation critique de la profession de thérapeute en général,
et de kinésithérapeute en particulier. Il tente de montrer en quoi ce
manque de formation est délétère aussi bien pour le professionnel
lui-même que pour ses patients. C’est toutefois un ouvrage optimiste
car, assurément, cette faiblesse critique n’est pas une malédiction.
Elle a une origine et des causes contre lesquels il est, nous semble-t-
il, assez simple de lutter pour peu qu’on s’en donne les moyens. Ce
livre s’adresse donc d’abord aux actuels et futurs professionnels de
santé, ces étudiants qui sont l’avenir et probablement le salut d’une
discipline fébrile. L’objectif central de l’ouvrage consiste à aider les
professionnels de la rééducation en général et de la kinésithérapie
en particulier à distinguer au mieux information et fausse informa-
tion, science et pseudoscience, et à être en mesure de donner une

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information complète au patient. Pour cela, nous fournissons une


panoplie d’outils permettant d’identifier rapidement les embûches :
rhétoriques, statistiques, biais de raisonnements ou d’interprétation,
etc. Ces outils sont de type méthodologique (comment sait-on
qu’une pratique fonctionne) ou épistémologique (comment sait-on
qu’un savoir est valide ou non).

Ce livre s’adresse également à tout patient ayant envie de savoir sur


quoi se base son praticien lorsqu’il le manipule, le mobilise, tripote
son corps en le berçant de mots savants. Comme nous le verrons
dans la conclusion, la profession prendra ses lettres de noblesse
probablement par le biais de patients exigeants, ne voulant pas
prendre n’importe quelle vessie pour une lanterne, qui inviteront les
professionnels à chasser de leur cabinet l’ombre du docteur Knock10
et à exercer une profession dont ils peuvent être fiers.

Nous avons divisé cet ouvrage en six chapitres distincts, reprenant


les phases de l’analyse des thérapies que nous préconisons. Le pre-
mier chapitre présente d’abord la boîte, le contenant, le cadre de la
démarche, en rappelant ce qu’est la méthode scientifique critique dans
son fonctionnement ; puis est détaillé ce que contient cette boîte, en
l’occurrence les principaux outils méthodologiques nécessaires à une
analyse critique digne de ce nom. Le deuxième chapitre introduit
la trame méthodologique proprement dite, utile tant à l’étudiant
rédigeant un mémoire de recherche qu’au professionnel qui souhaite
produire une connaissance scientifique nouvelle et la publier. Comme
dans toute bonne recherche, retracer l’histoire du sujet étudié est
incontournable : fondation, datation, sources primaires, contexte,
font donc le corps de cette partie. La troisième, intitulée sociologie
de la pratique, enjoint à comprendre qui pratique, où, et comment
analyser les ramifications entre les thérapies, les institutions, les
enjeux économiques et le public. On trouvera ensuite l’art de la
recherche bibliographique en quatrième chapitre, avec toutes les
10 Knock ou le Triomphe de la médecine est une pièce de théâtre de Jules
Romains, jouée en 1923, mettant en scène un charlatan médical. Nous
recommandons l’une des versions cinématographiques de cette pièce,
Knock, de Guy Lefranc (1951) avec Louis Jouvet.

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Se retrousser les manches
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bonnes raisons de se méfier des études glanées et les dévoiements que


provoque le système de publication actuel. Le cinquième chapitre,
particulièrement important, décrit ce qu’on appelle les protocoles
expérimentaux, depuis l’échantillonnage au traitement des résultats,
en passant par la randomisation, le contrôle, le placebo, etc. Sont
proposés à la fin de cette partie trois sujets très différents de travaux
pratiques, avec des éléments de correction de notre cru présentés
en annexe. Enfin, le sixième chapitre, sorte de bonus pratique,
fournira des outils pour faire usage d’esprit critique en limitant les
pots cassés, et évitant les immanquables effets collatéraux. Il est un
tantinet autonome de l’enchaînement des chapitres, aussi avons-nous
hésité à le placer en début ou en fin de livre. Libre à vous donc de
le déguster quand bon vous semble. Il peut s’apprécier aussi bien
en apéritif qu’en digestif.
Des conseils d’ordre pédagogique y seront donnés, ainsi qu’un
éventail d’écueils rhétoriques, pratiquement impossibles à éviter
lorsqu’on débat de sujets chauds, mais aisément contournables
lorsqu’on garde la tête froide : les erreurs logiques, les attaques, les
travestissements, et enfin le collector des argumentaires douteux
typiquement centrés sur soin et kinésithérapie.

Afin de varier les plaisirs, nous avons également glissé ici et là des
encarts, de deux types différents : ceux intitulés « Remue-méninges »
invitent le lecteur à se creuser la cervelle un peu plus loin. Quant
aux encarts « Mains dans le cambouis », ils lui permettront d’appli-
quer les différents éléments présentés, voire de s’amuser : deux quiz
y sont cachés, dont un, sur les datations des thérapies, nous aura
finalement conduits à l’histoire des thérapies, représentant la partie
la plus ardue à composer de cet ouvrage, ce qui prouve que le jeu
est une chose sérieuse. En gageant que vous ferez comme nous le
vœu de savoir plutôt que de croire, puissiez-vous avoir autant de
plaisir en parcourant ces lignes, que nous en eûmes à les écrire ; et
puisse l’art humble et opiniâtre de passer derrière le paravent des
idées reçues compenser le désappointement qu’apporteront certaines
des découvertes que nous avons faites.
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CHAPITRE 1

Comprendre la science
et son fonctionnement

« Si tout ce que vous avez est un marteau, tout se met à ressembler
à un clou »

Abraham H. Maslow, The Psychology of Science (1966), p. 1511

Boîte à outils

Il y a science, science et science


Dans le monde de la connaissance objective, une stratégie théra-
peutique est considérée comme valide si elle est scientifiquement
fondée, c’est-à-dire justifiée sur la base de faits et de démonstrations.
Or il est courant d’entendre la légitimité de la science remise en
cause. De quel droit la science se pare-t-elle pour trancher, décider ?
Pourquoi faudrait-il démontrer, alors que ressentir suffit12 ?, etc.
Certaines critiques sont pertinentes, à condition d’être précises sur

11 Cette citation est parfois attribuée au philosophe Abraham Kaplan.


12 Nous pouvons prendre un exemple simple pour montrer que le ressenti
ne suffit pas : quels que soient nos efforts, nous ne ressentirons jamais ce
qu’une chauve-souris perçoit avec son écho-sonar. Est-ce une raison pour
nier l’existence de ce sens ? Pour aller plus loin, consulter T. Nagel (1974).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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la facette de la science que l’on dissèque. Derrière le mot science,


se cachent des choses très diverses, dont certaines entraînent une
méfiance justifiée. En voici les nuances fondamentales.
Le mot science peut avoir cinq sens différents. Le premier a trait
à la démarche, qui propose des outils pour dire des choses moins
fausses que d’autres sur la réalité. Autrement dit, une démarche
intellectuelle contraignante qui vise une compréhension rationnelle
de notre environnement physique et social. Dans le domaine du
soin, cette démarche consiste à se dire : quels sont les éléments qui
me permettent de penser que ma prise en charge est plus efficace
qu’une autre, éléments qui ne soient pas le fruit des mille illusions
possibles que mon cerveau interprète ?
Le deuxième sens du mot science renvoie aux connaissances, c’est-
à-dire tout ce qu’on sait sur un sujet donné, à un moment donné.
Ainsi dit plus techniquement, il s’agit là d’un corpus de savoirs subs-
tantiels communément acceptés et considérés à un moment donné. Bien
sûr, il y a tout ce que vérifient en permanence les thérapeutes, mais
aussi hélas les idées reçues, les dogmes, et comme nous le verrons,
certains concepts sans réalité.
Le troisième sens à considérer est celui de la technopolitique, com-
prenant les sciences appliquées et la technologie. On range dans cette
case la construction sociopolitique des axes de recherche, autrement
dit les processus obscurs qui font affluer de l’argent sur tel ou tel
programme de recherche au détriment d’autres (pour les plus cou-
ramment controversés : course à la Lune, technologies militaires,
cosmétiques, pharmacologiques, nanotechnologiques, etc.), ainsi
objets et techniques dans toutes leurs applications concrètes. Le
copinage, le conflit d’intérêts, le lobbying visant à faire reconnaître,
conventionner ou rembourser telle ou telle méthode ou produit
s’invitent dans un grand ballet. De notre expérience, c’est souvent
la technopolitique et ses affaires sordides (Vioxx, Mediator, amiante
par exemple) qui écœurent le public et le détournent d’un bloc de
la science.
Le quatrième sens décrit les scientifiques entre eux, la communauté
scientifique avec ses productions, ses mœurs, ses rites et ses luttes de
pouvoir. C’est le sens anthropologique du terme science qui renvoie à

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Comprendre la science et son fonctionnement
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la sociologie interne du champ scientifique : qu’est-ce qui fait qu’un


scientifique est plus célèbre qu’un autre, grimpe dans la hiérarchie,
s’expose dans les médias, devient consultant de la sphère politique
voire pénètre cette sphère. Dans l’histoire des techniques manuelles,
il y a de grands noms réputés par leur travail et leur production, et
d’autres célèbres uniquement par leurs passages télévisés, la vente
de leurs livres ou par un bon plan médiatique.
Enfin, le cinquième sens est celui des scientifiques vus par les
autres. Proche du sens 4, l’éclairage est porté cette fois de l’extérieur,
par le public dit « non scientifique » ou profane. Les scientifiques
tels qu’on se les représente, dans leur tour d’ivoire, vus comme des
docteurs Frankenstein, des savants fous, ou au contraire comme
des Pasteur13, bons comme du bon pain et toujours au chevet de
l’humanité. Un esprit sourcilleux remarquera que le mot profane,
en plus d’être détestable de condescendance, n’a de sens qu’opposé
au sacré. Or, s’il est un domaine où justement rien ni personne ne
devrait être sacré, c’est bien en science.

Sauf précision explicite, nous userons dans cet ouvrage du premier


sens du mot science, la science comme démarche, comme méthode.

Une démarche faite exprès


Prenons soin de nous mettre d’accord. Il existe effectivement d’autres
méthodes que la science pour regarder le monde : l’introspection,
la mystique, l’art et bien d’autres encore. La démarche scientifique
est l’une d’entre elles seulement. Sa seule spécificité, mais elle est de
taille, est qu’elle est la seule méthode qui se soit donné pour objet
de regarder les faits de la manière la plus objective possible. Elle est
élaborée, construite de toutes pièces, pour énoncer des choses sur
la réalité qui tendent à être plus vraies que fausses. Elle est la seule
démarche connue, auto-correctrice, qui permette de transmettre

13 Pasteur a ceci de commun avec Mère Teresa d’avoir fortement soigné


son plan médiatique pour construire son mythe. Au sujet de Pasteur, se
réferer à Raynaud (2003) et au sujet plus grave encore de Teresa, lire Hit-
chens (1996).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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des informations objectivables, indépendantes de tout point de


vue personnel. À ce titre, adossée à la philosophie morale et aux
questionnements éthiques, la méthode scientifique est centrale,
pour ne pas dire incontournable, dans l’évaluation des stratégies
thérapeutiques. Il a fallu que l’on découvre et dénonce chaque fois
les biais d’observation et de raisonnement, les corrélations illusoires,
les travers et erreurs statistiques pouvant tromper notre analyse,
pour affiner la démarche et tenter de regarder la réalité sinon dans
le blanc des yeux, du moins pas très loin.

Seulement, qu’est-ce que la réalité ? C’est une question très perti-


nente qui a donné une littérature philosophique imposante. Nous
ne savons pas s’il est possible de répondre. Nous pensons néanmoins
qu’il suffit de peu de chose pour qu’on s’entende, et disons pour faire
simple que nous appellerons réalité tout ce sur quoi nos observations
rebondissent, de la manière la plus commune possible (au sens de
partageable par tous). Prenons un exemple. Peu importe que le
mur soit réel ou le fruit du rêve de quelqu’un, tout être humain qui
essaiera de passer à travers arrivera à ce constat : tenter de traverser
un mur est douloureux.

Les postulats de base nécessaires à la science sont peu nombreux.


Pour dire quelque chose sur le monde qui nous entoure, il faut
qu’on admette que le monde existe (sinon on ne peut rien en dire)
en dehors de nous (donc quand nous fermons les yeux la Lune est
toujours là – ce qui n’est pas si simple à croire quand on est seul)
et que les observations qu’on en tire sont partageables avec tout le
monde. Ce sont en quelque sorte des conjectures qu’on ne peut
prouver, mais sans lesquelles on ne peut rien faire. Une fois ces bases
posées, la méthode est toujours la même et souscrit à un nom un
peu barbare : le monisme méthodologique.

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REMUE-MÉNINGES : LE MONISME MÉTHODOLOGIQUE

Terme compliqué pour une idée simple, le monisme méthodologique


pose que les choses de la matière sensible et celles de la « matière »
psychologique, sanitaire ou sociale ne nécessitent pas deux types de
méthodes différentes pour être appréhendées de manière scientifique.
Le monisme s’oppose aux diverses formes de dualisme. Grosso modo,
c’est signer la fin de la séparation stérile des sciences « exactes » et
des sciences « humaines », car si les objets d’étude sont différents,
la méthode est à peu près la même : décrire au mieux la réalité
à laquelle nous avons accès. Certains objets sont infiniment plus
complexes à appréhender, plus « mous » et d’autres plus simples,
mais la manière de dire des choses vérifiables dessus n’est qu’une et
une seule. En posant ce monisme (qui s’oppose donc à un dualisme
difficile à justifier), non seulement on flingue l’arrogance des sciences
« dures » (qui souvent ne sont pas « dures ») mais on permet en outre
de dégonfler un certain nombre d’écrits en sciences humaines qui,
refusant de se soumettre à un examen critique et à une confrontation
des faits à la réalité, entretiennent certaines formes d’impostures qui
nuisent à ces disciplines. Tout le monde a donc à y gagner, surtout
le grand public. Jean Bricmont, dans Qu’est-ce que le matérialisme
scientifique ? l’écrit ainsi :

« Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines


sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent
du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non
scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est
lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs
face à toute approche biologique de l’être humain, du moins
lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de
l’étude de l’Homme au-dessus du cou). » (Bricmont, 2001).

Il est prévisible qu’en posant un principe méthodologique pareil,


montent au créneau les représentants des milieux spiritualistes, c’est-
à-dire ceux qui défendent qu’il existe la matière d’un côté, et une
sorte d’« esprit » intangible de l’autre. On y retrouvera entre autres
les psychanalystes, les clercs, les réconciliateurs science-religion, qui

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ont en commun d’avoir tout à perdre à l’analyse rationnelle de l’âme,


de l’inconscient, de dieu, des anges, de l’esprit sain, et d’un destin
immanent. Ils ne se rendent probablement pas compte qu’en pos-
tulant l’existence de choses qui échapperaient à l’investigation, ils
créent un précédent, une brèche, ouvrent la boîte de Pandore de
l’arrêt de l’analyse, et empêchent toute réflexion rationnelle sur des
sujets pourtant aussi importants que la psychologie, l’évolution, et la
vie en collectivité. (Pour poursuivre un peu sur cette question, voir
chapitre 3, Mode New Age).

Le problème de la croyance
En langue française, le mot « croyance » est ambigu : il ne permet
pas de faire la distinction entre la croyance comme acte de foi (faith
en anglais) et la croyance de type adhésion (belief  ). Pour sortir de
cette confusion, nous avons proposé la notion de remport d’adhésion,
qui se rapproche de la définition anglo-saxonne de rational belief,
c’est-à-dire d’une croyance produite par une démarche d’énoncia-
tion d’hypothèses susceptible d’être infléchie par le raisonnement
ou l’expérience.
Comprenons bien la distinction que nous posons : la croyance est
un acte de foi. Elle relève du choix personnel, ne cherche pas les
caractéristiques d’une construction scientifique, et n’a pas vertu à
s’imposer factuellement. A contrario nous appelons remport d’adhé-
sion le mécanisme complexe et multifactoriel qui amène un individu
à penser que son adhésion à une thèse, une hypothèse ou à une
théorie est mue par une chaîne de raisonnements rationnels étayés
par des faits. Une adhésion peut toutefois être remportée à tort,
par exemple lorsqu’elle est de type simili-rationnelle (raisonnement
logique à partir d’une prémisse fausse), lorsqu’elle repose sur des
critères non suffisants ou non réfutables, lorsque le raisonnement
est entaché de biais, soutenu par des idées reçues ou lorsqu’elle est
motivée par des options idéologiques ou métaphysiques, etc. Lorsque
cette croyance persiste chez un individu, malgré la démonstration
des défauts théoriques de ladite croyance, alors a-t-on tendance à
parler de croyance pseudo-scientifique (du grec ancien pseudês qui
signifie erroné, mensonger). Ainsi, croire en une théorie fausse est

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une croyance non-scientifique. Persister à croire malgré une démons-


tration en règle peut donc être qualifié de pseudo-scientifique, et ce
même si la personne est sincère dans sa persistance.
Si ces deux types de croyance, adhésion et acte de foi, peuvent
potentiellement être objets d’analyse critique, la méthode scienti-
fique, redoutablement efficace pour les premières, ne l’est que dans
certaines conséquences ou interprétations corollaires des secondes.
En effet, l’acte de foi ne nécessitant ni raisonnement, ni preuve –
puisque basé sur des concepts transcendantaux – son objet sort du
matérialisme et la science prise au sens méthodologique n’a aucune
prise sur lui : un regard scientifique critique pourra éventuellement
s’exercer sur l’historicité et les fondements des dogmes forgeant l’acte
de foi (l’existence historique de Jésus, par exemple, ou le caractère
sacré des textes religieux), ou sur certaines prescriptions scientifiques
ou médicales effectuées au nom de cet acte de foi (la maladie comme
punition divine, par exemple, ou la négation de l’existence du virus
du Sida). Mais l’analyse de l’acte de foi en lui-même ne peut se faire
pratiquement qu’aux plans moral et politique. À l’opposé, étayer un
acte de foi sur des faits, stigmates, traces, signes, suaires, guérisons
miraculeuses, devient un non-sens.

Science collective
La construction de la connaissance scientifique a ceci de particulier
que son processus d’élaboration et de vérification est collectif et cumu-
latif. Certains ont même dit « communiste » au sens étymologique
du terme, puisqu’il met en commun le bien élaboré. Rappelons que
nous utilisons là le mot science au sens de la démarche (sens 1) et que
malheureusement, cet idéal est souvent écorné (résultats privatisés
par quelques-uns, fraudes, etc.). Voici néanmoins les traits généraux
de cet idéal : premièrement, un savoir élaboré par quelqu’un est
mis sur la place scientifique, un endroit où le contrat et les règles
de critiques sont clairs. Dire par exemple que « ce savoir est faux
parce qu’il ne me plaît pas », ou « parce que ce scientifique a une
vilaine bobine » ne souscrit pas aux standards de confrontation à
la réalité. Deuxièmement, la personne qui présente ce savoir doit

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donner ses sources, les siennes (données, expériences) mais aussi


celles qu’elle emprunte aux autres – car il est rare qu’on crée un
savoir à partir de rien. Deux raisons président à cette indication
des données brutes et des sources : primo, cela permet aux autres
de vérifier par eux-mêmes, nul n’étant à l’abri d’une erreur dans
l’analyse de ses propres données, d’autant que plusieurs cerveaux
cherchant une erreur ont plus de chance de la trouver. Secundo,
cela permet, face à une incohérence, de vérifier si c’est l’auteur qui
pose problème, ou bien les données sur lesquelles il s’est appuyé et
qu’il n’a pas pris soin de reproduire. S’il faut faire une métaphore,
imaginons un savoir comme un immeuble : un critique qui repère
une perte d’horizontalité au neuvième étage doit pouvoir vérifier
si ce défaut vient du huitième ou de la base des fondations. C’est
à cela que servent les sources. Enfin, toute personne le souhaitant
peut venir discuter et critiquer ce savoir sur la place scientifique, à la
simple condition de souscrire au contrat de base. Ce contrat métho-
dologique laïc du chercheur, pour reprendre le terme de Lecointre
(2012), ne permet pas par exemple de dire « cette technique marche,
mais on ne peut pas le montrer car il s’agit d’une énergie indécelable »
car l’énergie indécelable, comme le troll des cavernes ou le monstre
du Loch Ness, ne passe pas le rasoir d’Occam (cf. Rasoir d’Occam
et alternative féconde, dans ce chapitre).

Pile du chercheur, face du soignant


Le rôle des thérapeutes est double : d’un côté, ils sont en charge
de comprendre et produire de la connaissance scientifique ; d’un
autre ils se doivent d’assurer une pratique quotidienne du soin.
Pour beaucoup de praticiens ces rôles paraissent contradictoires,
mais il n’en est rien car ce sont des rôles complémentaires. Dans
son rôle de thérapeute-chercheur le professionnel doit répondre
aux canons de la démarche scientifique (sens 1) dans un objectif
de production de savoir (sens 2), ce qui implique qu’il soit intégré
au corps social des chercheurs par le biais d’un laboratoire (sens
4) dans un contexte sociopolitique favorisant le développement
de ses thématiques de recherche (sens 3), et ceci en jouant parfois

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sur les perceptions du public ou des décideurs (sens 5), ce qui crée
des phénomènes de modes, des stratégies marketing, des formes
propagandistes et parfois, de purs mensonges. Le thérapeute-soi-
gnant, lui, applique la démarche scientifique, grosso modo la science
du sens commun, celle commune aux enquêteurs, aux plombiers,
aux juges, aux cuisiniers et aux chimistes, celle qui vise à recouper
l’information, la tester, éventuellement la réfuter, pour proposer
au patient le soin le plus efficace possible. Cette démarche (sens
1) pour le thérapeute est en particulier nourrie par la somme des
connaissances disponibles (sens 2). Les deux problèmes majeurs
auxquels il va être confronté sont :

• La prise en compte de la péremption lente de certaines connais-


sances, difficile à vivre pour le thérapeute, mais qui est pourtant un
bon signe pour la communauté (cf. Vivacité de la théorie, dans ce
chapitre). C’est grâce au travail de milliers de petites mains testant
les connaissances en vogue que celles qui ne résistent pas à l’usage
se périment. Ainsi a-t-on cessé d’utiliser les ventouses médicales
en verre pour « attirer le mauvais sang », comme l’indiquait la
page 628 de la première édition du dictionnaire de l’Académie
française (1694). La conférence de consensus sur la kinésithérapie
respiratoire de Lyon en 1994 a quant à elle permis de remiser dans
la cave de la kinésithérapie la technique obsolète du clapping, ou
claquade, série de percussions du tronc avec la paume des mains
utilisée dans le but de désencombrer l’appareil respiratoire.
• La prospérité de certaines fausses connaissances. Certaines
notions fausses ont la peau dure, depuis le caillou dans la main
pour faire passer un point de côté jusqu’à l’idée que se raser fait
repousser le poil plus dru. Le lien causal entre prendre froid et
attraper un rhume n’est établi que proverbialement, tout comme
celui de la phase de la Lune et la qualité du sommeil, comme l’a
exposé récemment Jérôme Bellayer (Bellayer, 2011). Quant aux
effets bénéfiques des étirements de type stretching sur les courba-
tures par exemple, on les sait largement surévalués depuis Rob

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Herbert (Herbert, 2008). Cocasserie de l’Histoire, l’idée reçue


la plus connue est probablement celle du taux de fer dans les
épinards. Or cette idée reçue… est elle-même une idée reçue14 !

Une épistémologie chancelante


On appelle épistémologie l’ensemble des méthodes qu’utilisent les
acteurs d’une discipline pour en construire les savoirs et les connais-
sances. C’est l’étude de la constitution des connaissances et des critères
de recevabilité scientifique. Dans l’idéal, la connaissance factuelle,
c’est-à-dire basée sur des faits15, devrait être « pure » et décorrélée
de tout enjeu extérieur au savoir proprement dit. Or cet idéal n’a
probablement jamais existé et, nous le verrons, des contraintes
externes peuvent s’appliquer à cette production de connaissance :
enjeux commerciaux, modes, soif de pouvoir ou commandes poli-
tiques. Les sociologues critiques, dans la lignée de Pierre Bourdieu,
ont montré que plus un domaine est autonome, plus les critères
sont scientifiques et évitent les influences purement sociales comme
les arguments d’autorité, les sanctions de carrière, etc. (Bourdieu,
1999). En outre, plus l’édifice est ancien (dans les vieilles disciplines
comme la physique par exemple), plus les critères de validation
sont rigoureux. Par contre, il semble que plus les domaines sont
récents, et plus les critères sont malmenés et oscillent avec le vent.
La sociologie, discipline récente, en fait encore les frais. La kinési-
thérapie, domaine relativement nouveau et possédant un très large
marché, fait partie des édifices particulièrement vulnérables. Il n’est

14 Mike Sutton (2010) raconte qu’en 1930 des scientifiques auraient découvert
une erreur de facteur 10 dans le taux de fer des épinards, erreur due à la
secrétaire d’un certain Von Wolff dans les années 1890. Or cette histoire est
un mythe, une légende urbaine. Si le taux de fer dans les épinards n’est pas
aussi haut qu’on le croit, l’histoire de la virgule mal placée de la secrétaire
est inventée de toute pièce, vraisemblablement par le biochimiste Hamblin
(1981).
15 Il y a tout un débat nécessaire sur la question du fait : qu’est-ce qu’un fait
brut ? En science, peut-on dé-corréler un fait brut du cadre de pensée de
l’expérimentateur qui s’en saisit ? Idem pour un fait brut en journalisme.
Ce débat dépasse de loin le cadre cet ouvrage, et ne peut qu’encourager le
lecteur à lire de la sociologie des sciences et de l’épistémologie.

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pas rare, par exemple, de voir dans les meilleures écoles de santé des
enseignements portant sur des théories fausses. Voici dans les pages
qui suivent cinq outils majeurs qui donnent des critères d’évaluation
des théories ou des thérapies posant problème, et viennent du même
coup vertébrer un peu l’épistémologie naissante de la kinésithérapie.

Outils

Maxime de Hume et « preuve plus qu’ordinaire »


Les théories thérapeutiques à la mode, notamment en kinésithéra-
pie, ont ceci de particulier qu’elles sont spectaculaires, intuitives,
et possèdent un champ d’application immense. À lire leurs préten-
tions, on pourrait les croire sans limite, capables de pratiquement
tout guérir, qu’il s’agisse de techniques récentes comme le Kinesio
taping – dont la paternité, prêtée généralement au chiropracteur
japonais Kenzo Kase dans les années 1980, est plus vieille et revient
à Joseph C. Komp en 196516– ou encore des plus anciennes comme
les techniques réflexes neurolymphatiques, remontant à l’aurore
du xxe siècle.
Toutefois, pour qu’une affirmation nouvelle émanant d’une de ces
théories vienne remporter notre adhésion, il faut qu’elle ait un cer-
tain poids. Imaginons notre adhésion comme une sorte de balance
cérébrale. Votre meilleur ami vous raconte un truc surprenant,
mais il est ivre mort ? Il est peu probable que vous croyiez ce qu’il
vous dit. Vous aurez pesé d’un côté son affirmation, mettons « des
éléphants roses dansant au beau milieu de la ville », et de l’autre
l’altération de ses facultés de jugement due à l’alcool. S’il veut vous
convaincre, il va falloir qu’il produise une preuve de ces éléphants
roses qui contrebalance votre préjugé (rationnellement fondé) sur
son alcoolémie et sur la rareté du phénomène, car heureusement

16 Le dépôt du brevet étasunien N° 3523859 du 8 mars 1965 atteste de cette


paternité. Un autre brevet, déposé par Thomas King, Richard J. Mazza et Joy
Stone le 9 septembre 1992, modifie légèrement la conception du produit.
Aucune mention des inventeurs n’est faite sur le site officiel du produit.

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ou non les éléphants roses ne courent pas les rues. Nous faisons
ordinairement cette balance dans notre tête : d’un côté, notre expé-
rience du monde, mais aussi notre capacité à nous tromper, à mal
comprendre ou la tendance de notre entourage à nous rapporter
des informations fausses et, de l’autre, le poids de la preuve donnée
à l’affirmation qui tente de nous convaincre. Ainsi, plus une affir-
mation de départ est surprenante, stimulante, fracassante, plus elle
nécessite une preuve solide. Cette balance avait été très bien cernée
par le philosophe anglais David Hume dans son ouvrage Enquête
sur l’entendement humain (Hume, 1743). Ouvrant le chapitre X
de son livre, cette phrase « Un homme sage, donc, proportionne
sa croyance aux preuves », introduit ce qui restera dans les annales
comme la maxime de Hume sur les miracles, qui en substance dit ceci :
« Aucun témoignage n’est suffisant pour établir un miracle à
moins que le témoignage soit d’un genre tel que sa fausseté
serait plus miraculeuse que le fait qu’il veut établir [...] Quand
quelqu’un me dit qu’il a vu un mort revenu à la vie, je considère
immédiatement en moi-même s’il est plus probable que cette
personne me trompe ou soit trompée, ou que le fait qu’elle relate
ait réellement eu lieu. Je soupèse les deux miracles, et selon
la supériorité que je découvre, je rends ma décision et rejette
toujours le plus grand miracle. Si la fausseté de son témoignage
était plus miraculeuse que l’événement qu’elle relate, alors, et
alors seulement, cette personne pourrait prétendre commander
ma croyance et mon opinion. »

L’astronome Carl Sagan a popularisé cette balance sous cette forme


simplifiée : « des prétentions extraordinaires nécessitent une preuve
extraordinaire » (Sagan, 1979). Quel que soit notre statut, patient,
étudiant ou professionnel de santé, dès lors que notre interlocuteur
affirme quelque chose de vérifiable (cf. Réfutabilité de Popper, dans
ce chapitre), la question qui doit nous venir immédiatement à l’esprit
est invariablement la même : Quelles raisons me donnez-vous de croire
que la véracité de ce que vous avancez est plus probable que la possibilité
que vous vous trompiez ou que vous me trompiez ?

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REMUE-MÉNINGES : UN DIAGNOSTIC EN DEUX PHASES


Gare ! L’attitude de doute raisonnable ne peut s’appliquer froidement
sans prendre en compte le contexte dans lequel le témoignage est émis.
Dans une relation thérapeutique, le témoignage d’un patient sur les
symptômes qui l’affectent doit être écouté. Lui seul sait combien il
est gêné dans ses activités, comment sa vie est affectée par son état ou
quelles souffrances il endure. Il faut que le thérapeute considère ces
témoignages avec empathie car ils relèvent du ressenti. Ils appartiennent
au vécu subjectif, qui ne se passe pas à la même moulinette que les faits
objectifs. Qu’il n’y ait pas de preuve de l’hypersensibilité aux ondes
wi-fi par exemple n’empêche pas les « hypersensibles » de se sentir mal.
Un certain nombre de gens trouvent dans une intolérance présumée
au gluten une cause de tous leurs maux, et malheur au thérapeute qui
balaye du revers de la main le scénario interprétatif que les gens se sont
choisi (cf. chapitre 6, Dissonance cognitive, engagement). C’est normal,
au fond : eux seuls savent ce qu’ils endurent et tout vécu est subjectif.
Par contre, la phase d’analyse qui s’ensuit, elle, doit être critique pour
trouver la vraie cause. Tout l’art du thérapeute consistera à prendre le
ressenti, à le contextualiser, puis à essayer d’amener le patient vers la
cause probable en vue de la guérison, qui sera facilitée par la découverte
de ladite cause. Ce travail est délicat, car il se peut que le symptôme soit
signe d’une autre souffrance, généralement plus sociale que médicale.
Vue la part réservée à ce travail de décorticage entre ressenti et symptôme,
et à la prise en charge douce et bienveillante dans les études de santé, il
est aussi regrettable que banal de trouver une majorité de thérapeutes
désemparés, plus prompts à masser ou à octroyer des médicaments
qu’à développer un cadre propice à la recherche des vraies causes. Nous
pourrions, pour résumer, suggérer deux phases : une phase d’écoute non
jugeante, qui permet de faire une symptomatologie large, incluant la
souffrance physique, sociale, et même métaphysique le cas échéant ;
puis une phase élaborée avec l’accord du patient et avec le patient, de
recherche rationnelle de la cause probable, en préparant le patient à l’idée
que son scénario initial puisse se révéler inexact. Il s’agit finalement du
même enchaînement que lorsqu’un ami très malheureux vient nous
appeler à l’aide. L’usage recommande que la première phase soit une
phase non jugeante, de simple écoute, réconfortante, suivie ensuite
d’une phase d’analyse dès que l’ami s’en sent capable.

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Charge de la preuve
Faisons un petit exercice : veuillez s’il vous plaît fermer les yeux
l’espace de deux secondes, là, maintenant. Puis rouvrez-les17. Nous
vous affirmons que le livre que vous tenez en main en a profité,
pendant que vos yeux étaient fermés, pour se transformer en petit
monstre verdâtre globuleux, silencieux, inodore et de même masse.
C’était tellement rapide que vous n’avez rien perçu… Comment ?
Vous ne nous croyez pas ? Prouvez-nous que ce n’est pas vrai. 
A-ah !
Vous ne pouvez pas montrer que c’est faux… ? Vous êtes donc obligé
de croire en notre monstre.

Vous l’avez compris : c’est à celui qui prétend quelque chose de le


prouver et non aux autres de prouver que ce qu’il prétend n’est pas
vrai. Ce n’est pas aux critiques de Claude Vorilhon, alias Raël de
prouver qu’il n’a pas pu être enlevé par des extraterrestres (ce que Raël
a déjà réellement demandé à ses détracteurs dans des conférences),
mais bien à lui de démontrer qu’il l’a été. De la même façon, ce
n’est pas aux critiques d’une technique manuelle de montrer qu’elle
est inefficace, mais bien aux prétendants de montrer qu’elle possède
l’efficacité que ceux-ci lui prêtent18. Imaginons le bazar s’il fallait
prendre pour vraie toute affirmation, par exemple sur un médica-
ment, et devoir attendre que quelqu’un montre qu’elle est fausse
pour y renoncer. Tout vendeur de potions pourrait rétorquer à vos
doutes : « prouvez donc que ma potion n’est pas miraculeuse ». Il est
de toute façon logiquement impossible de montrer que quelque chose
n’existe pas. Ce problème est appelé la charge, ou le fardeau de la
preuve (burden of proof, disent les Anglo-Saxons), et cela incombe
à celui qui prétend19. Ce renversement de charge de la preuve sert

17 Cette injonction n’a pas de sens, vous ne pouvez pas le lire puisque vous
avez les yeux fermés.
18 Nous distinguerons par la suite efficacité globale et efficacité propre (cf.
chapitre 5, L’art du contrôle ou pourquoi contrôler ?).
19 Sous réserve que la possibilité de développer des preuves expérimentales
soit accessible à tous. Ne nous leurrons pas, il existe des seuils financiers
et des contraintes réglementaires telles que l’individu lambda a bien peu
de chances d’y parvenir.

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d’appât pour des appels à l’ignorance, ou ad ignorantiam, formes


de démonstrations absurdes à l’image de notre livre-monstre globu-
leux, qui consiste à dire qu’une proposition est vraie parce qu’elle
n’a pas été démontrée fausse (cf. chapitre 6, Écueils rhétoriques).

Rasoir d’Occam et alternative féconde


Lorsqu’un thérapeute est confronté à un patient présentant trois
symptômes différents apparus en même temps, il a au moins deux
possibilités : penser que le patient souffre d’une pathologie respon-
sable des trois symptômes, ou au contraire penser qu’il s’agit de trois
pathologies différentes donnant, chacune, un symptôme. Certes,
l’une ou l’autre peut être vraie, mais la démarche scientifique nous
recommande de privilégier la « parcimonie » dans les hypothèses :
postuler trois pathologies différentes est plus « coûteux » que de n’en
postuler qu’une, aussi est-il logique de partir d’abord sur la piste de
la pathologie unique. Ce principe de parcimonie, ou d’économie,
est appelé également rasoir d’Occam en hommage au franciscain
du xive siècle Guillaume d’Occam (même si ce principe a déjà été
énoncé quinze siècles plus tôt par Aristote, l’empruntant lui-même
à Empédocle20). Frère Guillaume l’aurait formalisé ainsi : pluralitas
non est ponenda sine necessitate, ce qui signifie en langage moderne :
les entités ne doivent pas être multipliées sans nécessité. Entendons
ici par entité un « objet » conceptuel, comme une pathologie, un
méridien, ou un flux par exemple.
Rapprochons-nous de la kinésithérapie et analysons l’hypothèse
suivante, que nous appellerons hypothèse 1 : une prière à Dieu a fait
disparaître votre lombalgie commune aiguë. Il nous faudrait d’abord
chercher d’autres explications alternatives recouvrant le phénomène
– la disparition de la douleur – puis appliquer le rasoir d’Occam, à
savoir : quelle est la moins coûteuse en termes d’entités ?
Effectivement, les lombalgies communes aiguës guérissent en fai-
sant du shiatsu version Masunaga (hypothèse 2) et en ne faisant
20 « Il vaut mieux prendre des principes moins nombreux et de nombre limité,
comme fait Empédocle ». Aristote, Physique, Critique d’Anaxagore, I, 4,
188a17.

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rien d’autre que de continuer à vivre normalement (hypothèse 3).


Si l’hypothèse 1 met en jeu l’existence d’un dieu omnipotent ainsi
qu’une prière d’intercession efficace, soit deux entités coûteuses
postulées sans preuve, l’hypothèse 2 quant à elle met en jeu l’exis-
tence d’un réseau de méridiens énergétiques, entité certes moins
coûteuse qu’un dieu, car moins omnipotente, mais qui n’a pas non
plus de preuve formelle, comme l’expose entre autres Jean Brissonnet
(Brissonnet, 2003). Enfin l’hypothèse 3, le temps qui passe, recouvre
bien le phénomène allégué (la douleur a disparu) et ne met en jeu
aucune nouvelle entité inconnue. Il est donc logique de privilégier
d’abord celle-ci, tous effets égaux par ailleurs. Autrement dit, le
coût intellectuel d’une hypothèse tient à la fois compte du nombre
d’entités nécessaires pour expliquer le phénomène mais également
de l’adéquation des phénomènes avec les données scientifiques
existantes (cf. Commensurabilité des théories, dans ce chapitre).

Chercher l’alternative consiste, devant un phénomène surprenant,


à se poser la question : devant un tel phénomène pour lequel est
proposée une explication alambiquée et coûteuse, existe-t-il une
autre explication plausible, connue et reconnue qui rendrait compte
dudit phénomène dans les mêmes conditions ? Si oui, il faut alors
sans hésiter préférer cette dernière hypothèse, moins coûteuse, et
considérer la première comme superflue. Si non, alors effectivement,
il faudra apporter une pierre au nouvel édifice théorique découvert.
La démarche scientifique nous conseille donc de chercher des alter-
natives possibles à toute affirmation spectaculaire, et de garder en
premier lieu les hypothèses les moins coûteuses. C’est seulement
quand les hypothèses les moins coûteuses ne permettent plus d’expli-
quer l’intégralité du phénomène, ou s’il n’y a pas d’alternative moins
coûteuse, qu’il devient nécessaire de postuler une nouvelle entité.

REMUE-MÉNINGES : RASOIR D’OCCAM ET THÉRAPEUTIQUE

Lorsque nous devons choisir de mettre en œuvre l’une des techniques


de notre panoplie, le critère qui préside doit être l’efficacité propre
de ladite technique (cf. chapitre 5, L’art du contrôle, ou pourquoi

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contrôler). Or il faut se rendre à l’évidence : le champ thérapeutique,


particulièrement celui des kinésithérapeutes, est jeune et sa recherche
est quasi inexistante. Aussi nombre de techniques proposées n’ont
pas de base scientifique solide. C’est là que le rasoir d’Occam est
nécessaire. Parmi plusieurs techniques non validées, il est plus logique
(moins coûteux) de commencer par celle qui fera appel au moins
d’entités inconnues possible.
Ainsi, pour drainer un lymphœdème du membre inférieur, il faut
compte tenu des connaissances actuelles privilégier le drainage lym-
phatique du membre plutôt qu’une stimulation d’un point réflexe
neurolymphatique, ou qu’une combustion d’encens Nag Champa
Saï Baba21 visant à alerter un esprit intimant à notre corps de s’auto-
guérir. Pourquoi ? Parce que le drainage lymphatique est une action
mécanique, largement décrite, connue et corroborée. La stimulation
du point réflexe neurolymphatique, elle, est une action mécanique
sur un point hypothétique et controversé, en misant sur un transfert
d’information via une voie non identifiée vers la zone à traiter.
L’action de la combustion d’encens enfin nécessite un « esprit »,
intimant à notre corps de s’auto-guérir (ce qui sous-entend d’une,
que l’esprit peut intimer quelque chose à notre corps, de deux que
notre corps pourrait s’auto-guérir) par le biais de l’encens qui com-
muniquerait avec l’esprit.
Il faudrait, pour que la méthode par l’encens soit choisie, que le poids
des prérequis soit plus grand : notamment que l’auto-guérison soit
manifestement prouvée et qu’elle puisse être efficacement stimulée
par un esprit dont l’existence ne devrait laisser aucun doute (esprit
bien particulier puisque réactif à l’encens).
Entendons-nous bien. Cela ne signifie pas que la première méthode
sera efficace dans le cas de notre patient. Cela ne veut pas dire non
plus qu’il ne faut proposer que la première méthode. Mais au moins
avons-nous proposé un éventail éclairé, échelonné, au patient, qui
pourra faire son choix en connaissance de cause.

21 Un des encens Nag Champa est l’une des mannes du guru indien Sathya Saï
Baba (1926-2011), l’un des plus grands mystificateurs de foule du xxe siècle,
au moyen de mauvaise prestidigitation, et impliqué dans de nombreuses et
sordides affaires de mœurs. Il fut dénoncé par le sceptique Basava Perma-
nand (1984).
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Réfutabilité de Popper
Notre tête nous joue des tours. Primo, notre cerveau a tendance
à trier les faits selon son bon plaisir, ce qu’on appelle le biais de
validation subjective ; secundo, il tend à croire qu’accumuler les
faits allant dans le sens de la théorie que l’on défend la rend plus
robuste. Ces deux « bugs » de notre cerveau rendent nécessaire un
critère dit de réfutabilité, donné par l’épistémologue autrichien
Karl Popper, pour mettre à l’épreuve le caractère scientifique d’une
affirmation (Popper, 1934). Popper prend un exemple simple : si
je postule que tous les cygnes sont blancs, tous les cygnes blancs
que je rencontrerai me serviront d’argument, mais ne formeront
pas une preuve que ma théorie est juste ou fausse. La démarche
scientifique consiste à dire : si je veux affirmer que tous les cygnes
sont blancs, alors je prends pour vraie cette affirmation jusqu’à ce
que je rencontre un cygne noir. Je devrais donc dire : ma théorie est
vraie jusqu’au jour où je rencontrerai un cygne noir. Le cygne noir
est le critère de réfutation. Si mille cygnes blancs ne prouvent pas
ma théorie, un cygne noir la met au mieux à la réforme, au pire à
la poubelle. Idem pour la théorie de la gravitation, qui prévoit que
tout corps pesant lâché tombe. Nous considérons que la théorie est
vraie, mais il existe bel et bien une expérience qui, si elle advenait,
permettrait de la prendre en défaut : il suffirait qu’un corps pesant
lâché ne tombe pas.
Prendre la théorie en défaut ne veut pas dire pour autant qu’il faille
la mettre au rebut. Le critère de réfutation n’est pas suffisant pour
expédier la théorie au compost. Popper insiste toutefois sur ceci :
une théorie qui contient sa propre réfutation est très mal engagée,
car elle prend le risque de tourner en rond et, en quelque sorte, de
devenir close sur elle-même, irréfutable. Il avait pris parmi plusieurs
exemples celui de la théorie psychanalytique : le fait de ne pas adhérer
à la psychanalyse révélerait chez le contradicteur une névrose, un
refoulement, ce qui réincorpore en quelque sorte le récalcitrant dans
la théorie malgré lui – puisque refoulement et névroses n’ont de
définition qu’en psychanalyse. En gros, vous êtes d’accord, la théorie
est vraie. Si vous n’êtes pas d’accord… elle est vraie quand même.

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Quelqu’un qui affirmerait que « cette technique thérapeutique T est


vraie, et rien ne peut la prendre en défaut » susciterait la méfiance. Si
T contient déjà la justification de ses échecs potentiels, la trappe se
referme. Le meilleur exemple de ce type de piège se trouve dans les
dérives de type sectaire qui proposent des stages pour travailler des
méthodes d’élévation, ou de lévitation. Les adeptes de la secte japo-
naise Aum Vérité Suprême qui ne parvenaient pas à léviter se voyaient
répondre : « tu n’as pas assez travaillé », « tu ne t’es pas appliqué »,
« ton cœur n’est pas pur », ou « ton esprit est trop critique ». Quoi
qu’il arrive, le cas qui cloche, l’adepte qui échoue en l’occurrence,
est réincorporé dans la théorie, ce qui la rend irréfutable et donc
non scientifique. En clair, si nous devons souscrire à une technique
thérapeutique T, inquiétons-nous de ce point : existe-t-il un fait,
un élément qui, s’il survenait, mettrait en doute la théorie ? Si oui
(et c’est bon signe), lequel ? Si non, alors méfiance : nous sortons
de la science et entrons dans la foi.

REMUE-MÉNINGES : LE SAVON GLISSANT

Il arrive que l’irréfutabilité soit moins flagrante et que la théorie


prenne la forme d’un scénario impossible à contredire parce qu’insai-
sissable, tel un savon glissant. En voici un exemple illustratif très
récent. Dans le cadre de son mémoire de fin d’étude à l’école de kiné-
sithérapie de Grenoble, Nelly Darbois avait pour objectif d’étudier la
reproductibilité d’un examen courant en fasciathérapie, la pulsologie,
inspirée de la Méthode Danis Bois. Elle proposa en 2011 un protocole
visant à évaluer la capacité de deux fasciathérapeutes à identifier une
population d’adultes sains d’une population d’adultes hypertendus
– capacité largement affirmée par les tenants de la théorie. Elle fit le
plus agréablement du monde ses propositions du protocole à l’École
supérieure de fasciathérapie (ESF), et se heurta… au savon glissant.
La première objection fut que « la méthode n’a pas vocation à poser
des diagnostics ; la pulsologie permet d’apprécier un état fonctionnel »
[sic]. Qu’à cela ne tienne, Nelly Darbois suggéra alors un nouveau
protocole visant à évaluer la capacité des examinateurs à identifier
des sujets stressés parmi d’autres non stressés (ce qui est bien un état
fonctionnel). Tout aurait dû donc fonctionner quand un nouveau

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problème apparut : il n’était plus possible d’étudier spécifiquement


la pulsologie puisque l’ESF affirma que « le bilan de pulsologie est
indissociable du bilan des tissus conjonctifs, ce qui ne va pas c’est
que la fasciathérapie est vraiment une méthode globale, c’est une
philosophie du soin qui se concrétise jusque dans l’action manuelle »
[sic]. Soudain il ne devint plus possible d’étudier la reproductibilité
d’un examen puisque « le traitement est indissociable de l’examen ».
Voilà comment la théorie savonnée se soustrait à tout examen.

Commensurabilité des théories


Utilisons une métaphore, empruntée à l’épistémologue Susan Haack
(Haack, 1998 ; 2003) : la science fonctionne un peu à la manière
d’une grille de mots croisés, avec certaines entrées occupées par la
connaissance disponible et d’autres laissées libres et pour lesquelles
les observations expérimentales constituent des indices (comme pour
le Boson de Higgs en physique, ou certains fossiles en sciences de
l’évolution). Susan Haack nous explique que certaines entrées sont
inscrites au stylo, c’est-à-dire que les preuves apportées sont solides
alors que d’autres le sont au crayon à papier : les observations réali-
sées sont moins probantes, et susceptibles de changer. Haack précise
que « la validité d’une entrée dépend non seulement de la force des
indices, mais aussi de toutes les autres entrées déjà écrites qui font
intersection avec elle » (Haack, 1998, p. 95). De fait, comme nous
l’avons déjà vu, (cf. Maxime de Hume et preuve plus qu’ordinaire,
dans ce chapitre) on ne peut débarquer un matin avec une hypothèse
qui bouscule toute la grille de mots croisés que les chercheurs ont
remplie depuis des siècles, sauf à venir avec une preuve d’un poids
suffisant pour justifier la bousculade.
La remarque de Haack intime également qu’on a plus de chance
de faire une erreur dans une zone de la grille largement remplie au
crayon à papier, ce qui est généralement le cas des théories et des
sciences naissantes, comme la sociologie, l’anthropologie, la kiné-
sithérapie, ou la théorie des cordes en physique. Cette métaphore
illustre bien ce qu’on appelle la commensurabilité des théories : à
notre connaissance, il est très rare de trouver un domaine fructueux

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n’entretenant pas de liens avec les domaines connexes. Une grande


majorité des disciplines sont compatibles avec leurs voisines et se
recoupent, et lorsque ce n’est pas le cas, des efforts sont faits en ce
sens des deux côtés, pour amplifier la portée de la théorie. Il n’existe
pas vraiment d’îlots théoriques isolés, ou alors ils sont éphémères.
Les thérapies manuelles magnétiques, par exemple, n’ont plus rien
à voir avec le magnétisme ou l’électromagnétisme scientifiques
depuis pratiquement deux cents ans, malgré les tentatives diverses
de mesurer des champs nouveaux en géobiologie, des signaux, des
auras ou des « résonances »22. Elles n’ont aucun lien direct avec des
connaissances d’autres domaines scientifiques. Les techniques de
kinésiologie appliquée ne recoupent dans leurs fondements aucune
connaissance médicale connue, et font de cette discipline une île,
déconnectée du reste, qui publie dans son petit monde (cf. chapitre 4,
Des publications endogènes il citera). S’il y a des connaissances médi-
cales solides dans le domaine de la rééducation vestibulaire (organe
situé dans l’oreille interne et participant notamment à la gestion de
l’équilibre), ce n’est pas du tout le cas dans la microkinésithérapie ou
la naturopathie. Notre regretté collègue Barry Beyerstein écrivait :
« La kinésiologie appliquée, la radionique23, la manipulation
crânio-sacrée, l’homéopathie sont des exemples de pratiques
douteuses incompatibles avec la connaissance scientifique. De
la même façon, les naturopathes qui s’enorgueillissent d’être
des spécialistes de la nutrition, s’approprient habituellement
les déclarations infondées propagées par l’industrie du « manger
sain ». À ce sujet, des nutritionnistes scientifiquement formés
ont démontré l’isolement de la naturopathie par rapport au
consensus scientifique actuel » (Beyerstein, 1997).

22 Il y a de nombreux défenseurs de l’existence (toujours hypothétique) de


courants géobiologiques ou telluriques, réseaux Hartmann, Curry, unités
Bovis, etc. Idem pour des signaux de sourciers, par exemple ceux d’Yves
Rocard. Quant aux auras, leur plus célèbre représentation est probablement
la photo Kirlian – expliquée depuis plus d’un demi-siècle par un effet phy-
sique appelé effet corona.
23 La radionique est une forme de médecine énergétique créée par le Dr Albert
Abrams (1863-1924) ayant la prétention de déceler les énergies ou
vibrations caractéristiques (les radiations) émises par les tissus sains ou
malades de toute créature vivante.

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Vivacité de la théorie
Très instructive est l’analyse d’une théorie au cours du temps,
depuis son élaboration : si elle tend à évoluer, à voir l’un de ses
sous-domaines s’élargir, d’autres se clore, bref à foisonner comme
un buisson, alors c’est plutôt bon signe. Le processus scientifique
étant collectif et ancré sur une vérification permanente par les pairs
(les collègues les plus compétents24), il va de soi qu’une théorie peut
difficilement être exacte d’emblée dans tous ses aspects. En revanche,
si la théorie tend à stagner, à ne pas progresser d’une manière ou
d’une autre au moins par amélioration des prédictions ou par des
corrections internes, et si en outre elle reste farouchement fidèle
aux premiers textes fondateurs, alors cela indique qu’il n’y a pas de
recherche active cherchant la réfutation ; ou, si elle existe, qu’elle
n’influence pas le corpus de départ.
Ceux qui fréquentent le monde des thérapies manuelles25 ne pour-
ront que constater amèrement ceci : une portion importante de
la connaissance kinésithérapique est stagnante. On court vers les
nouveautés, sans questionner les fondements de la discipline. Un
exemple ? Il suffit d’observer la fougue avec laquelle certains kinési-
thérapeutes s’accrochent à l’appellation de masseurs malgré le manque
total de preuves reproductibles d’une efficacité des massage therapies
(terme anglais courant pour désigner les thérapies par le massage)
sur l’évolution des pathologies. Ce n’est pas un signe rassurant. Avec
un peu de recul, les causes de stagnation sont simples à comprendre
et appellent à la réflexion : d’une part, si le corps professionnel
paramédical dans son ensemble maîtrise de nombreuses notions, il
ne possède pas un bagage d’analyse scientifique très poussé, faute
d’enseignement spécifique, et ne fait d’autre part pas grand-chose

24 On peut cependant regretter que ce soient des pairs endogènes à la dis-


cipline. En effet, les pairs sont des collègues mais aussi des concurrents,
ce qui peut amener à des conflits d’intérêt ou des arrangements mettant
en péril le fonctionnement du système. Voir sur ce point le chapitre 4 (Les
rouages de la publication tu maîtriseras).
25 Nous utilisons ici l’expression thérapie manuelle pour ce qu’elle signifie :
« traiter une pathologie par l’intermédiaire des mains », sans référence à
une quelconque discipline, spécialité ou spécialisation, incluant de fait la
kinésithérapie.

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pour que les faiblesses méthodologiques s’amenuisent dans les années


à venir en proposant des programmes d’enseignements appropriés.
Il existe aussi d’autres raisons de cette stagnation, que nous verrons
plus loin (cf. chapitre 3, Modes, public et patientèle cible). Il faut
souligner que l’absence de recherche universitaire dans le domaine,
hormis au prix de contorsions administratives complexes, n’est pas
non plus un facteur favorisant26.
Alors, pour cacher la misère de la stagnation, il arrive que de
vieilles pseudosciences fassent peau neuve en changeant de nom
ou en se « métissant ». Le philosophe argentin Mario Bunge s’en
émeut lui aussi :
« les pseudosciences n’évoluent pas, ou, si elles le font, elles ne
changent pas comme suite à une recherche. Elles sont isolées
des autres disciplines, même si parfois elles se métissent avec
d’autres fausses sciences, comme le montre l’astrologie psycha-
nalytique. Et loin d’accepter la critique, elles tentent de geler
les croyances » (Bunge, 2006 ; 2007).

Kit de détection de pseudo-théorie


Voici un kit27 des neuf principales questions à adresser sans com-
plaisance à nos théories comme à celles des autres.

• Les faits précèdent-ils la théorie ?


Rappelons-nous cette règle critique : on ne fabrique pas des châteaux
dans les nuages. Avant d’entrer dans une théorie, vérifions que celle-
ci soit sous-tendue par des faits, ou au moins par des observations
recoupées. S’il y a de rares théories qui, dans l’Histoire, précédèrent
les faits, l’immense majorité des théories devançant les faits sont des
mirages. Nombre de « théoriciens » thérapeutiques invoquent des
théories, celle des points trigger, des méridiens d’acupuncture, du

26 En guise d’illustration, on nous rapporte l’expérience d’un de nos anciens


étudiants, qui s’est vu en novembre 2013 refuser son inscription en thèse
par sa hiérarchie hospitalière. Motif allégué : « ce n’est pas aux kinés de
faire de la recherche » (Communication personnelle).
27 C’est un hommage au Baloney detection kit (kit de détection de poutine) de
Carl Sagan (Sagan, 1997).

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système énergétique humain, du magnétisme animal… sans qu’une


base factuelle vienne la sous-tendre. Tel le saumon, remontons donc
à la source (cf. chapitre 4, Faits et ouvrages de départ).

• Y a-t-il des postulats de départ, et sont-ils coûteux ? Y a-t-il


des entités non décrites ou non connues incorporées dans
la description ?
Le rasoir d’Occam rase gratis. S’il n’y a pas d’intérêt d’invoquer Zeus
pour expliquer la météorologie ou Vulcain pour expliquer une érup-
tion, il n’y en a pas non plus à postuler des méridiens énergétiques
pour expliquer les bienfaits de l’acupuncture. Un nouveau concept
ad hoc ne doit être introduit que par nécessité théorique.

• Nous est-il proposé une efficacité « propre » ou une efficacité


« globale ? »
La technique marche-t-elle en soi, en s’extrayant des effets contextuels
connus, qui peuvent s’avérer puissants ? Il ne s’agit pas de balayer
tout l’intérêt que revêtent effets contextuels et placebo, mais il faut
bien les dissocier de l’action spécifique de la méthode. Tentons
une métaphore journalistique : l’efficacité propre serait la qualité
de l’information, et les effets contextuels seraient la pagination, le
style narratif, la couleur, l’image, etc. Tant mieux si le style et la
mise en forme sont beaux, mais ils perdent leur sens si l’information
sous-jacente est fausse.

• Quels sont les fondements théoriques ? Quel est le corpus


d’expériences de départ ?
Avons-nous affaire à des preuves reproduites par des chercheurs isolés,
ou à un amoncellement de témoignages ? Les expériences de départ
sont-elles bien construites ? L’inventeur de la théorie a-t-il fait des
hypothèses qu’il a testées, ou bien l’a-t-il « reçue », par illumina-
tion ? La question fondamentale est celle-ci : quelles sont les bonnes
raisons que me donne le fondateur pour me faire adhérer à sa théorie ?
Quelles sont les bonnes raisons de penser que la théorie proposée
(ostéopathique, énergétique, etc.) soit la plus explicative ? Y a-t-il

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d’autres alternatives théoriques ? En a-t-on cherché ? Si cette théorie-


ci évince les autres, est-ce par portée descriptive ou explicative, ou
parce que le fondateur (ou ses suivants) s’est offert un bon plan de
communication ? Et ne nous laissons pas piéger par l’inversion de la
charge de la preuve : c’est à qui prétend quelque chose de le prouver
et non aux autres de prouver que ce qu’il prétend n’est pas vrai.

• La théorie est-elle congruente avec les autres théories ?


Ou tremble-t-elle, isolée, telle une île flottante dans un océan de
crème ? Il n’existe pas vraiment d’îlots théoriques isolés. Si le fondateur
fait de la recherche, il connaît les autres théories, et les adosse à la
sienne, même si c’est pour les dépasser. C’est très mauvais signe si
le fondateur n’a pas les compétences pour analyser l’état de l’art,
et surtout s’il bâtit son édifice sans le situer dans le paysage de la
discipline. La nouvelle théorie se retrouve à trôner, telle une tour
isolée, ne cherchant pas à se soumettre à la critique des autres experts.
Il arrive même que des revues portant le nom de la théorie soient
créées, et n’aient pour seuls relecteurs que des promoteurs de ladite
théorie, ce qui l’amène, en plus d’être isolée, à stagner.

• Le vocabulaire et la terminologie sont-ils sans ambiguïté ?


Comment le fondateur justifie-t-il le lexique qu’il emploie ? Utilise-
t-il le mot « quantique », le mot « réflexe » pour l’image que ce mot
véhicule, ou pour son sens réel ? La terminologie qu’il utilise est-elle
scientifiquement claire, non ambiguë ? Nettoyer les « toxines »,
éliminer les « métaux lourds », drainer les « humeurs », « replacer »
une vertèbre : le populisme lexical confine le patient dans l’ignorance
tout en lui jetant de la poudre aux yeux.

• La théorie propose-t-elle une réfutabilité ?


Une théorie doit proposer une réfutation d’elle-même, sous la
forme : « s’il arrive ceci, ou cela, alors telle hypothèse sera fausse, et
ma théorie prise en défaut ». Cela est primordial, sous peine de se
retrouver avec une théorie qui a toujours raison, quoi qu’il advienne.

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Une théorie qui ne propose pas de réfutation possible est en tout


point un scénario, une histoire écrite à l’avance et qui, comme une
fable, n’évoluera jamais.

• A-t-on collecté scrupuleusement tant les éléments en faveur


de la théorie que ceux qui la mettent en défaut ?
Notre cerveau aime se complaire dans ses idées, soit en gardant les
événements qui valident ses préconceptions, soit en ne s’exposant
qu’aux médias qui portent la même opinion que lui. Tout comme
la justice, le travail scientifique doit être impartial et lucide. Si
les faits allant dans notre sens confortent notre opinion, c’est la
recherche des failles et des défauts qui est bouleversante sur le plan
intellectuel. En triant les faits qui valident nos attentes, on se crée
artificiellement une illusion, un avatar de la réalité ; on valide sur-
tout la possibilité pour quiconque de faire le tri qu’il souhaite, et
de forger une représentation de la réalité distordue selon son bon
vouloir. Et c’en est fini de l’investigation lucide du monde tel qu’il
est, et non tel que nous eussions aimé qu’il soit.

• Le fondateur s’est-il affranchi de tous les biais connus qui


pourraient le faire conclure à tort ? A-t-il cherché une alter-
native explicative ?
A-t-on épluché toutes les possibilités que nos sens, notre cerveau
nous trompent avant de conclure ? A-t-on patiemment envisagé
toutes les distorsions que notre subjectivité nous susurre à l’oreille ?
Il est extrêmement indiqué de chercher une alternative explicative à
sa propre hypothèse, de façon à mettre en perspective nos attentes.
Y a-t-il un moyen d’expliquer que ce que je vois soit différent de ce
que je prétends ? Se servir soi-même son plat de critiques permet du
même coup de renforcer sa théorie si elle résiste, et d’éviter qu’un
autre ne nous les serve (cf. chapitre 6, Cyrano de Bergerac).

Maxime de Hume, rasoir d’Occam, critère de réfutabilité de Popper,


qualité et charge de la preuve, dynamique et commensurabilité des
théories, voici les outils principaux du professionnel critique. Ils

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composent une sorte de sixième sens, le sens critique, qui s’affole


devant une affirmation étrange ou douteuse comme une boussole
devant un aimant28. Garder cet outillage toujours à l’esprit est une
sorte de garde-fou intellectuel autant pour le thérapeute fraîche-
ment émoulu de l’école que pour celui moulu par des décennies
de pratique. Reste maintenant à construire son travail scientifique.
Le chapitre suivant s’adresse au thérapeute qui souhaite, pour sa
recherche personnelle comme pour un travail universitaire, se pencher
scrupuleusement sur les fondements d’une thérapie qui l’interroge.

28 Aristote avait déjà parlé dans son ouvrage De l’âme, livre III, d’un sixième
sens : le sens commun. Mais avons-nous réellement cinq sens, ou est-ce
une partition arbitraire de nos sensations ? Voir D’où provient l’idée que
l’humain possède cinq sens ? TP du CORTECS 2011.
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CHAPITRE 2

L’histoire

« Le fait que l’on ait ri de génies n’implique pas que tous ceux dont on
rit sont des génies. Ils ont ri de Christophe Colomb, ils ont ri de Fulton,
ils ont ri des frères Wright. Mais ils ont aussi ri de Bozo le Clown ».

Carl Sagan, Broca’s Brain (1979), p. 64

Impossible de commencer un travail scientifique pertinent sans


faire un peu d’histoire. C’est exactement ce que l’on fait lorsqu’on
demande aux étudiants une bibliographie, qui consiste à aller regarder
sur quelles « épaules de géants » se sont juchés les personnages dont
on cite les travaux. Mais il faut aller un tantinet plus loin : pour bien
saisir la naissance d’une théorie, d’une notion, il est nécessaire de la
recontextualiser, la syncrétiser, la replacer dans la baignoire d’idées
de son temps et se rappeler l’état de l’art en vigueur à l’époque. La
principale erreur dans la science historique consiste à juger le passé
avec les yeux du présent. Voici quatre exemples parmi tant d’autres.

Mettons que nous souhaitions saisir l’état de la physiologie en 1300


en France : il sera nécessaire de contextualiser les faits, de savoir que
nous sommes 239 ans avant l’autorisation du juge Marcantonio

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Bobba obtenue par Andries Vesalius, alias Vésale29 afin d’ouvrir des
corps humains, en l’occurrence ceux des condamnés à mort une
fois exécutés. Il y a bien sûr ceux qui désobéissaient, en volant les
corps pendus à des gibets par exemple, mais il leur était difficile de
rendre publiques leurs découvertes sous peine d’ennuis judiciaires
sévères. En clair, la connaissance des organes internes était fort
limitée et moralement condamnée. Plus proche de notre discipline,
considérer la syphilis comme responsable de l’inflammation du nerf
sciatique paraissait logique au début du xxe siècle, compte tenu de
la morbidité de cette maladie à l’époque et des méningo-radiculites
qu’elle peut provoquer et qui ont la même gamme de symptômes
que les sciatiques. Mais les années 1930 ont permis à Théophile
Alajouanine et Daniel Petit-Dutaillis d’évoquer, pour expliquer la
« sciatique », la possibilité d’une hernie du disque intervertébral :
cela sera confirmé et diffusé par des neurochirurgiens étasuniens
comme William Mixter et Joseph Barr (Mixter & Barr, 1934).
Comme le narre Stanislas de Sèze, notre perception de la sciatique
a donc radicalement changé à l’issue de cette découverte (De Sèze,
1982). Encore plus récemment, considérer le stress responsable des
ulcères d’estomac ne semblait pas farfelu avant que l’on soit capable
d’isoler et de cultiver la bactérie Helicobacter pylori à partir d’estomac
humain. Ces travaux réalisés par Robin Warren et Barry Marshall
ont démontré que l’immense majorité des ulcères est en fait causée
par cette bactérie (Warren & Marshall, 1982), et qu’il est dès lors
possible de traiter ceux-ci par antibiothérapie.
Mais il n’y a pas que dans le champ thérapeutique que la re-contextua-
lisation éclaire. Voici un dernier exemple, provenant du domaine de
la nutrition, que nous devons à Madeleine Ferrières (Ferrières, 2002).
À l’orée du xvie siècle, lorsque l’espèce « pomme de terre » fut rap-
portée d’Amérique du Sud par les conquistadores, on vit naître des
peurs alimentaires vis-à-vis du tubercule dans certains pays, tubercule
que d’autres pays adoptèrent presque instantanément. Impossible
de comprendre cette différence sans remonter aux deux zones

29 Vesalius est son nom latinisé, et encore ! Il s’appelait en fait André Wytinck,
dit « de Wesel » parce que son grand-père venait de la ville éponyme, en
Rhénanie.

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L’histoire
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alimentaires, les pays de la bouillie (céréales secondaires bouillies


au lait ou à l’eau), et les pays du pain. Dans les pays à bouillie,
l’introduction de pommes de terre fut plus simple, car compétitive
avec la rustique bouillie, tandis que la pomme de terre importée à
l’époque, très amère, rivalisait mal avec le pain30.
Quel que soit le domaine étudié, nous constatons que l’étude histo-
rique d’une théorie suit peu ou prou toujours la même démarche.

Les étapes de la démarche


Dans cette première phase, il faut se mettre le pardessus beige du
détective, et se faire une idée correcte de la scène, ainsi qu’une repré-
sentation des mobiles et des alibis des différents acteurs : trouver le ou
les fondateurs, dater la technique, cerner l’événement déclencheur,
quelles sont les racines culturelles des fondateurs, connaître le lexique
et les controverses de l’époque, et enfin regarder si la technique a
connu des évolutions ou des subdivisions depuis son invention.

Fondateur(s)
Entre les procédés thérapeutiques émanant d’une tradition populaire
(essentiellement empiriques, c’est-à-dire reconnaissant l’expérience et
l’observation comme fondements de leur pratique) et les techniques
de soins issues des données actuelles de la science (qui placent les
preuves scientifiques au fondement de leur pratique) s’intercalent
des pratiques issues du cerveau fécond d’un ou de quelques individus
pionniers. Ces pères fondateurs sont souvent des hommes, et cela
s’explique non par ce que l’honnête homme du xixe siècle percevait
comme une supériorité intellectuelle du masculin sur le féminin,

30 S’ajoute à cela le fait que nous ignorons quel était le genre de patate en
question. Or la patate, de la famille des solanacées, est réputée compter
nombre d’espèces dangereuses pour l’humain. Aussi le refus de manger
des pommes de terre n’était-il peut-être pas dénué de sens à l’époque,
avant les croisements qui aboutirent à la pomme de terre douce que nous
connaissons.

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mais par un accaparement patriarcal des domaines du savoir (encore


visible d’ailleurs de nos jours31). Et ces pères jouissent d’une grande
autorité, d’autant plus lustrée qu’ils sont défunts.
Les hagiographies, c’est-à-dire la mise en scène de leur vie, contri-
buent également à donner un certain cachet à leur œuvre. Mais
lorsqu’on regarde attentivement toutes ces hagiographies, des points
sautent aux yeux. Nous avons remarqué par exemple que l’œuvre
de l’immense majorité des inventeurs de théorie/thérapie est sacri-
ficielle : elle met en scène un homme sacrifiant tout pour le bien
de l’humanité, ses biens, éventuellement sa famille, surtout sa santé
(ce qui permet d’expliquer pourquoi certains inventeurs de théra-
pies globales meurent jeunes : non que la théorie soit fausse, mais
bien plutôt que leur auteur se soit consumé dans son élaboration).
Pensons à Andrew Taylor Still, fondateur de l’ostéopathie, qui perdit
ses trois enfants et sa femme au cours d’une épidémie de méningite
que la « médecine orthodoxe » [sic] ne parvint pas à soigner, ce qui
le motivera à rompre avec cette médecine pour proposer une autre
voie. Mentionnons aussi Edward Bach, inventeur des fameux élixirs
floraux, qui manqua de mourir de maladie et, une fois remis sur
pieds, décida de se consacrer au bien des autres… Pour leur défense,
il est arrivé que la construction du mythe ne soit pas directement
le fait du fondateur, mais de ses continuateurs ou descendants, qui
alimentent le conte de fée afin bien souvent d’en tirer un bénéfice
symbolique ou lucratif. À réexaminer les histoires de près, on se
rend compte que l’écho des fondateurs qui nous parvient n’est
qu’une version déformée et enjolivée du bruit d’origine. La science
historique, tout comme la taxidermie, empaille et embaume les

31 Non que les hommes empêchent sciemment les femmes d’accéder aux
études, ce qui se fait encore dans certains pays : comme l’a montré l’école
bourdieusienne de sociologie ainsi que bon nombre d’études sur le genre,
c’est l’imaginaire de la petite fille, et a fortiori celui du petit garçon, qui sont
orientés. Les professions de santé considérées comme supérieures, méde-
cin, chirurgien, ont été jusqu’à ces dernières années l’apanage des hommes,
comme la politique et la mécanique. Les professions « subalternes », infir-
mières, aide-soignantes, sages-femmes, sont ultra-féminisées, tout comme
assistante sociale et ce qui tourne autour du care, le soin des personnes.

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L’histoire
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personnages ; comme les sculpteurs grecs, elle les fige dans des poses
avantageuses ; et comme les histoires de chasseur, elle ne donne pas
souvent le point de vue du perdant32.

Quel est l’intérêt de retrouver le fondateur, son histoire, et d’exhu-


mer sa contribution réelle ? Primo, on se rend vite compte que la
plupart des thérapies manuelles sont assez récentes, ce qui est un
indice pour réussir le quiz de datation situé plus bas. On comprend
les racines philosophiques, épistémologiques, politiques et culturelles
de la théorie, et on peut présumer des biais potentiels qu’on risque
d’y trouver. Secundo, on décrypte plus aisément le lexique et les
notions employées. Tertio, on vérifie les bases théoriques de départ,
ce qui est très rarement fait en kinésithérapie. C’est d’autant plus
important de vérifier l’histoire personnelle du fondateur que celui-
ci se prend lui-même comme cas illustratif – ce que l’on retrouve
chez Freud par exemple.
Un autre avantage que confère l’enquête historique est de permettre de
jauger si la théorie stagne ou non (cf. chapitre 1, Vivacité de la théorie).

Datation
On appelle argument d’historicité (argumentum ad antiquitatem)
cette méthode rhétorique consistant à dire que plus quelque chose
est vieux, ancré dans le passé ou utilisé par nos aïeux, meilleur c’est.
L’argument d’historicité peut prendre plusieurs formes.
• L’argument du vieux pot : on présumera plus volontiers de la qualité
d’un vin que la cave qui l’accueille est empoussiérée et que son
étiquette est effacée par le temps ; de la même manière que c’est
dans les vieux pots qu’on pense faire les meilleures soupes. Or,
c’est doublement faux : on peut faire d’excellentes soupes dans des
pots neufs, ainsi que d’immondes soupes dans des vieux (il suffit
de faire l’essai). L’âge d’une technique ou d’une thérapie est un
indicateur contextuel, mais certainement pas un critère de validité.
32 L’écrivain nigérian Chinua Achebe, décédé pendant la rédaction de cet
ouvrage, avait coutume d’user de ce proverbe : « Tant que les lions n’auront
pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ».

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• L’effet « vieux sage de l’Antiquité » : une croyance ancienne est


forcément vraie puisqu’il est (dit-on) notoire que les Anciens, avec
un A majuscule, ont souvent eu raison. C’est non seulement faire
fi de tous les Anciens qui ont proféré des bêtises, hélas bien plus
nombreux que les « sages », mais c’est encore oublier que les idées
ayant fait leur chemin jusqu’à aujourd’hui étaient parfois fortement
rejetées de leur temps, ce qui laisse penser que l’on choisit… le
vieux sage qui nous arrange en fonction de la thèse à défendre.
• L’argument de « la nuit des temps », ou sophisme traditionaliste :
il est très proche de l’argument du vieux pot, à ceci près que la
source est souvent imprécise, et qu’il n’y a pas de nom d’Ancien
à y associer pour en faire un effet « vieux sage de l’Antiquité ».
C’est la seule tradition qui importe, au nom de ce que le mot
« tradition » aurait quelque chose de consubstantiel avec une cer-
taine authenticité : par opposition aux choses nouvelles qui n’ont
pas la patine que donne le temps aux traditions, et ce d’autant
plus que l’origine de la tradition est généralement projetée hors
du temps. Ce sont généralement les Upanishad, les anciens textes
bouddhiques ou les papyrus hiéroglyphiques de la haute Égypte
qui en font les frais.

L’épreuve du temps n’est malheureusement pas suffisante pour étayer


une théorie. L’idée que si une théorie a perduré longtemps, c’est
qu’elle a forcément quelque chose de fondé, est dangereuse, car elle
ne permet pas de distinguer une pratique millénaire comme l’opé-
ration de la cataracte (efficace) et une pratique aussi millénaire que
les saignées purgatives d’Hippocrate (maintenues par l’autorité du
fondateur, mais non efficaces – sauf cas extrêmement spécifiques et
trouvés après coup, comme la porphyrie et certaines autres affections
du sang comme l’hémochromatose). L’histoire des sciences et des
idées regorge d’exemples plus ou moins dramatiques d’idées fausses
perdurant un sacré long moment. Quant à la connaissance kinési-
thérapique, elle souffre des mêmes travers : une bonne proportion
des techniques actuelles prétendent tenir leur source de l’Antiquité,
ce qui non seulement n’est pas un argument valable mais, en outre,
est souvent erroné.

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On y fait d’ailleurs feu de tout bois, et tout obscur parchemin peut


faire office de preuve. La réflexologie plantaire prend ainsi pour
paternité la Haute Égypte, notamment un soi-disant parchemin de
la tombe du vizir Ankhmahor à Saqqarah (cf. figure) « analysé par
Ed et Ellen Case en 1979 » (Kunz & Kunz, 2005). « En Égypte des
peintures découvertes à Saqqara datant de 2300 avant J.-C. montrent
une séance de réflexologie », enseigne-t-on aux étudiants de l’Ontario
College of Reflexology. On y vante assurément une technique postu-
lant un lien direct entre la voûte plantaire et les organes du corps
humain alors que rien n’indique qu’il s’agisse d’autre chose que d’un
simple massage de pieds et de mains. Et pour le coup, il ne s’agit
pas non plus d’un papyrus, ni de peintures, mais d’un bas-relief
sculpté dans la pierre des salles 1 à 6 côté est du mastaba du vizir.
Pourtant, faites l’exercice ; prenez la phrase :
« En Égypte des peintures découvertes à Saqqara datant de 2300
avant J.-C. montrent une séance de réflexologie »
Placez-la dans votre moteur de recherche préféré. Le nombre de sites
la reprenant telle quelle sans la référencer nous donne une idée du
manque drastique de vérification des informations (pourtant toutes
accessibles, le mastaba d’Ankhmahor ayant été découvert il y a plus
d’un siècle, en 1899, par Victor Loret33).

33 Une belle et récente analyse est produite par Alain Cabello ici : http://www.
cfdrm.fr/Cabello-Alain_L-intrigante-histoire-du-papyrus-du-web.htm

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MAINS DANS LE CAMBOUIS : QUIZ DE DATATION

Est-ce dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ? Classez
dans un ordre historique (des plus vieilles aux plus récentes) les
techniques thérapeutiques manuelles suivantes, en indiquant la
date de création/invention à dix ans près.

Biokinergie Méthode Feldenkrais


Chiropraxie Méthode Pilates
Drainage lymphatique
Méthode Mézières
manuel Méthode Vodder
Étiopathie Microkinésithérapie
Fasciathérapie Ostéopathie et ostéopathie
Méthode Danis Bois crânio-sacrée
Haptonomie Réflexologies
Hydrothérapie Reiki
Kinésiologie Appliquée Rolfing
Kinésithérapie Toucher thérapeutique

Réponses en annexe n°1

Événement de départ
On appellera « événement de départ » le fait à l’origine de la nais-
sance de la technique. Il peut être de plusieurs sortes.

• Une collection de faits, sans idée préalable


Le chercheur regarde quelques cas, tente de trouver le trait commun,
et formule ensuite une hypothèse. C’est une démarche inductive.
Prenons pour exemple la théorie de l’évolution de Charles Darwin34,
grandement issue de la collection de faits durant son périple sur le

34 Il faut bien sûr associer le nom de Alfred R. Wallace à celui de Darwin pour
des raisons historiques, mais c’est Darwin qui fit la collection de faits dont
nous parlons.

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L’histoire
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Beagle, ou encore le modèle géo-héliocentrique du système solaire,


de Tyge « Tycho » Brahe (alias l’homme au nez de fer, pour avoir
perdu son nez lors d’un duel avec son cousin en 1566), fruit de
milliers de mesures célestes. Bien sûr, ces personnages avaient bien
quelques idées préconçues, et vivaient imbibés du contexte cultu-
rel et scientifique de leur époque. Ils ont toutefois bien pris soin
de faire une collection de faits avant de formuler leur hypothèse,
ce qui est rare de nos jours : la recherche de financements impose
désormais de formuler à l’avance les hypothèses, quand ce n’est pas
les conclusions, avant même l’échantillonnage, multipliant les peaux
d’ours que l’adage préconise de ne pas vendre trop tôt (cf. chapitre 4,
Quitte à frauder il publiera). Il est entendu que plus le nombre de cas
est réduit, plus l’hypothèse a des chances d’être fausse ; et surtout,
rappelons-nous que l’histoire fait un tri et ne garde en registre que
les cas d’induction qui ont marché. Le cimetière de la science est
donc peuplé de fausses inductions.

• Une collection de faits, avec une idée préalable (ou une envie
folle d’avoir une idée préalable)
Avoir une idée préalable permet de cibler les paramètres paraissant
importants. Mais l’envers de la médaille est une tendance du cerveau
humain à voir ce qui n’existe pas vraiment. Là encore, le cimetière
de la science est rempli de théories basées sur des intuitions infon-
dées. Il suffit de penser aux études du médecin suisse Samuel Tissot
voulant montrer les dangers mortels qu’encourent les enfants qui se
masturbent (Tissot, 1764) ; à celles de Paul Broca, connu des pro-
fessionnels de santé pour avoir identifié une des aires cérébrales du
langage, dans la troisième circonvolution du lobe frontal, et moins
connu pour sa classification des races et les « preuves » d’infériorité
des peuples primitifs (Broca, 1861 ; 1873) ; l’eugénisme de Francis
Galton (Galton, 1869 ; 1883) ou encore le rôle rééducateur et
thérapeutique de l’excision du clitoris selon le docteur Isaac Baker
Brown (Baker Brown, 1866)35. Chose surprenante, il est arrivé que

35 I. Baker Brown, président de la Medical Society de Londres, recommanda


la clitoridectomie comme thérapie de l’épilepsie, de la catalepsie et des
manies, autant de pathologies qu’il attribuait à la masturbation. Dans son

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l’idée préalable soit juste mais que le chercheur s’illusionne lui-même


dans sa collection de faits. Le cas le plus connu est probablement
celui du moine morave Gregor Mendel et ses petits pois, qui savait
si bien ce qu’il cherchait (avec raison) qu’on l’accusa d’avoir rendu
des résultats trop beaux statistiquement parlant36 ! En physique,
Robert Millikan découvrit la charge de l’électron en 1913 et, bien
qu’ayant donné la bonne mesure, fut lui aussi soupçonné de tri
sélectif des données37.

Osons émettre la règle linéaire suivante : plus un chercheur souhaite


« révolutionner » à tout prix son domaine et/ou plus il est animé par
des moteurs non scientifiques (gloire, religion, politique, idéologie),
plus il tend à voir ce qu’il souhaite voir plus que ce qui est réellement
donné à voir (cf. chapitre 4, L’analyse globale il négligera), illustrant ce
constat du professeur Henri Broch, directeur du Laboratoire de zété-
tique : « les yeux du cœur ont mauvaise vue » (Broch, 1985). Examinons
par exemple le cas de l’haptonomie, qui fait partie des techniques
pratiquées tant par des kinésithérapeutes que par des sages-femmes.
Définie comme « science » du toucher affectif ou « science » du contact
psychotactile (Veldman, 2007), cette technique est répandue dans le
cadre périnatal mais trouve aussi des indications dans le cadre de trai-
tements. À l’origine de cette technique, Frans Veldman (1921-2010)
thérapeute néerlandais, avait posé sa « phénoménologie empirique de
contact psychotactile »… avant ses premières observations cliniques.
Il avait décidé en amont de sa théorie, et ne fit que chercher les cas
la corroborant (cf. Haptonomie, dans ce chapitre).

livre On the Curability of Certain Forms of Insanity, Epilepsy, Catalepsy, and


Hysteria in Females, il jaugea à 70 % l’efficacité de son traitement. En 1867,
il se fit expulser de la Société d’obstétrique de Londres pour avoir réalisé
ces actes sur des femmes non consentantes ou non averties. À ce sujet,
nous recommandons le livre de Phil Fennell (1999).
36 Attention, faites-vous votre propre idée : il semble que cette critique, faite
par Fisher (1936) ait été revue et modérée, d’abord par Charles E. Novitski
(2004), puis par Daniel L. Hartl et Daniel J. Fairbanks (2007).
37 Allan Franklin (1997) parle de véritable « chirurgie cosmétique » des
données. Ceci étant, la controverse n’est pas close, ré-ouverte par David
Goodstein (2000).

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L’histoire
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Comme le dit un proverbe, probablement très vieux et émanant


d’un sage de l’Antiquité, « Quand tu attends avec impatience la
venue d’un ami, ne prends pas les battements de ton cœur pour le
bruit des sabots de son cheval ».

REMUE-MÉNINGES : LE RAISONNEMENT PANGLOSSIEN

Imaginons que je sois Giambattista Della Porta ou Paracelsus. En plein


xvie siècle, je décide que, la Nature étant un don de Dieu, il est assuré
que je puisse, de la texture, odeur, couleur des plantes, présumer de
leurs propriétés pharmacologiques. Je pose ainsi une liste de plantes
et de propriétés afférentes, avec le raisonnement analogique qu’on
retrouvera quelques dizaines d’années plus tard, à propos du saule,
chez le pasteur Edward Stone sous ces mots :
« Il y a six ans environ, j’en goûtais par hasard, et fus surpris par son
extraordinaire amertume ; cela me donna immédiatement le sentiment
qu’elle avait les propriétés de l’écorce péruvienne [NdA, le quinquina].
De même que cet arbre se plaît dans une terre humide ou trempée,
où les fièvres abondent généralement, la maxime courante qui veut
que nombre de maladies naturelles portent en elles leur guérison,
ou que leurs remèdes ne se trouvent pas loin de leurs causes, était
tellement pertinente dans ce cas particulier que je ne pus m’empêcher
de l’appliquer ; et l’idée que ce put être le dessein de la Providence,
je dois admettre, eut quelque peu de poids sur moi. » (Stone, 1763).

Le saule, qui pousse le pied dans l’eau, soignerait donc les affections
« humides » (goutte, rhumatisme). Vérifions : c’est vrai, l’écorce de
saule contient des salicylates, cousins de l’aspirine. La reine-des-prés,
idem. La noix elle aussi soignerait le cerveau, puisqu’elle lui ressemble.
Et c’est encore vrai, dans une certaine mesure, car la noix contient des
vitamines B1, B2, B5, B6 et C, du phosphore, du magnésium, de
la sérotonine, etc. Cela permet au botaniste Jean-Marie Pelt, auteur
à succès de livres écolo-mystiques, de s’extasier sur le fait que « ces
analogies se soient trouvées ultérieurement confirmées et qu’elles aient
même été à l’origine de la découverte de médicaments modernes. On
a isolé récemment dans l’huile de noix des acides gras spécifiques, les

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acides linoléniques, nécessaires au fonctionnement du système nerveux


donc du cerveau »38 (Pelt, 2004). Et M. Pelt d’applaudir à la théorie
des signatures, en particulier sur les ondes de France Inter.
Or la théorie des signatures de Paracelsus est-elle juste ? Assurément
non. Voici deux arguments à soupeser. Tout d’abord est-il si surprenant
que sur plusieurs centaines de plantes, et un nombre limité de pro-
priétés pharmacologiques, on tombe juste (ou pas loin) sur trois cas ?
Il faudrait pour le dire se rapporter à toute la statistique, et regarder
combien d’associations plantes-propriétés se sont révélées fausses. Dès
lors, avoir trois bonnes associations sur quelques centaines est un score
que même quelqu’un jouant aux dés obtiendrait largement. Appelons
un chat un chat : ne garder que les éléments qui confirment la théorie
que l’on défend, en cachant sous le tapis ceux qui l’infirment est très
proche de la malhonnêteté scientifique.
Le raisonnement à l’œuvre, qui n’est pas toujours conscient, est un
raisonnement dit panglossien, du nom de l’étrange précepteur de
Candide, Pangloss, personnage de Voltaire qui enseignait la méta-
physico-théologo-cosmolonigologie (Voltaire, 1759). Il arguait admi-
rablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur
des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus
beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car,
tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin.
Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi
avons-nous des lunettes. »
C’est un raisonnement pernicieux, qui consiste à remonter à rebours
vers la cause que l’on souhaite prouver : on part de l’idée préconçue (la
théorie des signatures), puis on ne regarde que les plantes qui valident
ladite théorie. C’est une manière de faire dont les créationnistes, les
complotistes, les négationnistes sont friands. Raisonner à rebours sur
les plantes, sur Madame la baronne, sur le nez ou sur le melon qui selon
Bernardin de Saint-Pierre, est très pratique car prédécoupé par Dieu
(Bernardin de Saint-Pierre, 1784), garantit de donner une illusion de
démonstration (pour quelques développements, voir Monvoisin 2011).

38 On trouvera une critique du livre de Jean-Marie Pelt dans Brosseau & Baudoin
(2013).

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L’histoire
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• Une sérendipité
Terme créé par l’écrivain Horace Walpole en 1754 à partir d’un
conte célèbre de Tramezzino (Tramezzino, 1557), la sérendipité
désigne le fait de réaliser une découverte inattendue par hasard et
par intelligence, au cours d’une recherche dirigée initialement vers
un objet différent de cette découverte. Ambroise Paré, médecin de
guerre des troupes françaises, s’aperçoit durant le siège de Turin
que contrairement à la pratique préconisée jusqu’alors, les blessés
par coups de feu se rétablissent mieux lorsqu’on ne verse pas sur la
plaie de l’huile de sureau ébouillantée.
« Enfin mon huile me manqua et je fus contraint d’appli-
quer en son lieu un digestif fait de jaune d’œuf, d’huile de
rosat et de térébenthine. La nuict, ie ne peu bien dormir à
mon aise pendant que par faute d’avoir cautérisé, je trou-
vasse les blessés où j’avais failly à mettre ladite huille mort
empoisonnez qui me fit lever de bon matin pour les visites.
En outre mon espérance trouvay ceux auxquels j’avois mis
le médicament digestif sentirent peu de douleurs. Les autres
ou on avoit appliqué la dite huille, les trouvay fébricitants,
avec grande douleur et tumeur aux environ de leur playes : a
donc ie me délibéray de ne jamais brusler les pauvres blesséz
de harquebusades. » (Paré, 1537, in Barot 1998)

L’aspect fortuit de la découverte tient à ce qu’il était à court d’huile


de sureau, mais c’est sa capacité intellectuelle qui lui a permis de
faire le lien. Méfiance toutefois, car il ne faudrait pas confondre
avec une « pseudo-sérendipité » (Royston, 1989), qui donne un
résultat aléatoire certes, mais à partir d’une démarche de recherche
volontaire et organisée : Marie Curie et son mari Pierre en sont
les illustres exemples, en cassant des jours durant leurs cailloux de
minerai de pechblende ; Paul Ehrlich et ses collègues, le chimiste
Alfred Bertheim et le bactériologiste Sahachiro Hata, testèrent
systématiquement l’activité antisyphilitique de 900 composés orga-
noarséniés, et ne trouvèrent la solution qu’au bout du… 606e essai
(le Salvarsan, appelé aussi le 606, ou « balle magique » de Ehrlich,
immortalisée dans le film de William Dieterle de 1940).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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À notre avis, la sérendipité est un concept relativement discutable,


car il est difficile de doser ce qui relève de l’intuition, de l’oppor-
tunisme, de l’esprit « préparé » ou de la simple chance, couplée au
fait que l’Histoire ne garde que ces cas-là, et non tous les autres cas
de sérendipité qui se révèlent faux par la suite. Il y a néanmoins des
cas célèbres, comme celui, tragique, du chimiste Charles Goodyear
qui s’acharnait à chercher une utilité au caoutchouc, mais il ne savait
pas laquelle, jusqu’au jour de 1842 où il fit tomber par inadvertance
une pièce de caoutchouc soufré dans un poêle (Mitov, 2010)… la
vulcanisation était née. Histoire tragique, Goodyear ne bénéficia
nullement de cette découverte, le processus ayant été breveté en
cachette par Thomas Hancock en 1843, et mourut pauvre et endetté.
On prête à l’un des frères Kellogg la même aventure, plus joyeuse,
avec des flocons de maïs, nous les retrouverons plus loin (cf. Remue-
méninges : épiphanies, dans ce chapitre). Cependant, le cas le plus
fameux dans le domaine médical est probablement la découverte de la
cause principale de la fièvre puerpérale par Ignác Fülöp Semmelweis,
et il mérite qu’on s’y attarde : il avait constaté que dans l’hôpital
général de Vienne où il travaillait, un service voyait la prévalence39 de
fièvre puerpérale s’élever à 18 %, vouant les jeunes mères à une mort
rapide, tandis qu’un autre voyait son taux limité à 2 %. Semmelweis
émit alors un certain nombre d’hypothèses, qu’il réfuta patiemment
par l’expérience (épidémie, atmosphère putride, régime alimentaire
des patients, positions d’accouchement, médiocrité des étudiants du
premier groupe), et dut attendre la mort de son ami l’anatomiste
Jakob Kolletschka en 1847 pour comprendre. Kolletschka décéda
d’une infection après s’être blessé accidentellement au doigt avec
un bistouri au cours de la dissection d’un cadavre. Or son autopsie
révéla une pathologie similaire à celle des femmes mortes de la fièvre
puerpérale. Semmelweis comprit alors avec horreur que la différence
venait des souillures que les étudiants du premier groupe transpor-
taient depuis la salle d’autopsie dédiée à leurs exercices pratiques
jusqu’aux accouchements, tandis que l’autre service, lui, formait des

39 Pour mémoire la prévalence correspond au nombre de cas d’une pathologie


à un instant donné dans une population donnée. C’est un peu comme si l’on
photographiait la population étudiée pour ensuite y compter les malades.

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L’histoire
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sages-femmes, qui ne pratiquaient pas la dissection. Sérendipité ou


non, les médecins viennois virent sa thèse d’un très mauvais œil.
Pris dans le paradigme de l’époque, ils doutèrent fortement d’une
affirmation sans justification théorique (en l’occurrence la théorie
microbienne, portée par Pasteur, Lister et d’autres quelques décennies
plus tard), et firent l’erreur de la théorie sans faits déjà énoncée dans
le kit de détection de pseudo-théories (cf. chapitre 1, Kit de détection
de pseudo-théorie. Qui plus est, cela les rendaient responsables de
nombre de femmes défuntes. Aussi réservèrent-ils un accueil plus
que froid au simple conseil salutaire de Semmelweis, complètement
admis aujourd’hui : se désinfecter les mains en passant de la morgue
à la salle d’accouchement40.

• Un seul fait, un « miracle »


C’est le summum de l’opportunisme scientifique : le fondateur
tire à partir d’un seul cas, toujours spectaculaire et souvent mes-
sianique, une règle générale (cf. chapitre 6, Erreurs logiques, la
généralisation abusive). C’est par exemple le cas de l’Œdipe de
Freud. Son concept théorique, présenté comme une découverte
universelle freudienne majeure, repose sur son seul et unique cas :
il présuma que lors d’un voyage en train vers 1860, il n’eut pas pu
ne pas voir sa mère nue, et par conséquent n’a pu ne pas la désirer
sexuellement [sic]. De ce « cas », il extrapole, sans plus de preuves,
que son expérience est valide pour tous les enfants, de tout temps.
Il en tire sa théorie (irréfutable au sens de Popper) du complexe
d’Œdipe (Freud, 1897 ; Onfray, 2010). Un autre exemple nous
est fourni par la « loi d’airain du cancer » de Ryke Geerd Hamer,

40 La première diffusion fut le fait de son professeur Ferdinand von Hebra


(1847) car Semmelweis, rétif, ne publia lui-même sa découverte que qua-
torze ans plus tard, avant de connaître une fin tragique qui fit l’objet de
la thèse de médecine de Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline (1924,
retouchée en 1936). Il nous faut tout de même préciser que des précurseurs
de Semmelweis avaient professé dans le même sens, comme l’Anglais
Charles White (1773) ou l’Écossais Alexander Gordon (1795) et jusqu’à
l’Étasunien Oliver Wendel Holmes (1843). Cette contextualisation est le fait
de Milton Wainwright (2003).

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fondateur de la Médecine nouvelle germanique41, qui énonce que


« Tout cancer ou maladie équivalente du cancer est un programme
biologique spécial bien-fondé (SBS) et débute par un Dirk Hamer
Syndrom (DHS) ». Qu’est-ce qu’un Dirk Hamer Syndrom ? Il
s’agirait d’un « choc conflictuel biologique extrêmement brutal,
dramatique, vécu dans l’isolement ». Hamer prit pour base un seul
cas, le sien : peu après la mort brutale de son fils Dirk, en 1978, il
développa un cancer des testicules, qu’il perçut comme le corollaire
de ce deuil. Aucune étude ne vint compléter l’affirmation, ce qui
n’empêcha pas Hamer de prétendre guérir le cancer. Cela lui vaudra
deux ans d’emprisonnement en France en 2004.
Les thérapies manuelles ne sont pas épargnées non plus par l’oppor-
tunisme scientifique, si l’on en croit l’histoire de la chiropraxie, ou
celle de la méthode McKenzie.
Le 18 septembre 1895, Daniel David Palmer examina le concierge
de son immeuble, Harvey Lillard, qui lui avoua être devenu sourd
d’une oreille, dix-sept ans auparavant, à la suite d’une mauvaise posi-
tion prise dans un endroit exigu et qui lui avait provoqué « quelque
chose » dans le dos en même temps que sa surdité (Palmer, 1906,
p. 18). Palmer diagnostiqua un déplacement vertébral qu’il rectifia
par une manipulation, rendant du même coup… l’audition à son
patient (cf. Chiropraxie, dans ce chapitre).
Plus récemment, Robin McKenzie rapporta ceci : en 1956, Monsieur
Smith, un patient lombalgique de son cabinet resté le dos cambré sur
une table d’examen en attendant la venue du thérapeute s’en était
trouvé spontanément soulagé. Robin McKenzie conclut que, contrai-
rement à la théorie en vogue, cette position n’était pas délétère. Il en
déduisit les principes fondateurs de la méthode qui porte son nom.
Rendons-nous à l’évidence : bon nombre de thérapies dites alterna-
tives naissent d’une sorte d’épiphanie, d’illumination, ou d’extase

41 Hamer est également connu pour sa « théorie » prétendant que chimiothé-


rapie et morphine seraient utilisées par une conspiration juive dans l’objectif
d’un génocide de la population non juive. C’est cette « conspiration juive » qui
serait à l’origine de la critique de sa théorie et de la révocation de son auto-
risation à exercer la médecine. Une évolution de cette théorie, proposée par
Claude Sabbah, est connue sous le nom de Biologie totale, et décrite comme
sectaire. Pour une analyse plus approfondie, voir Alessandra Moonens (2007).

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L’histoire
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généralement mystique, à l’instar d’Edward Bach, qui eut l’illumi-


nation lors d’un repas, et inventa les élixirs floraux qui portent son
nom (Monvoisin, 2008).

REMUE-MÉNINGES : ÉPIPHANIES

Andrew Taylor Still, « médecin » autodidacte, magnétiseur, rebouteux


et membre du mouvement spiritualiste42, basa toute sa technique,
l’ostéopathie, sur une vision datée précisément du 22 juin 1874 :
« comme une explosion de soleil la vérité fit l’aurore sur mon
esprit […] Le 22 juin, à 10 heures, je vis une petite lumière sur l’hori-
zon de la vérité » (Still, 1897). L’humain aurait été selon lui créé avec
tous les fluides et tous les onguents lui permettant de s’auto-guérir :
« Le corps est la pharmacie de Dieu ». Selon les historiographes, un
fait antérieur aurait été révélateur pour l’élaboration d’un principe
fondateur de l’ostéopathie. Still, enfant, aurait régulièrement soulagé
ses maux de tête en posant la nuque sur un coussin placé sur une
corde tendue (ibid. p. 19). Ces simili-expériences auraient conduit
Still, encouragé par sa révélation de juin 1874, à énoncer le principe
selon lequel la contrainte mécanique appliquée à une articulation ou
un viscère est intimement liée à sa fonction. Ainsi naquit l’axiome
ostéopathique stipulant que la structure gouverne la fonction.

Ellen White, cofondatrice spirituelle de l’Église adventiste du sep-


tième jour, lança un mouvement de réforme sanitaire et hygiénique
après avoir été instruite, selon ses dires, dans une vision le 5 juin
1863, lui révélant les huit principes de la santé – l’air pur, la lumière
du soleil, la nutrition, l’exercice physique, le repos, l’eau, la tempé-
rance et la confiance en Dieu – mettant l’accent sur la prévention et
un mode de vie « holistique ». C’est dans ce contexte qu’un jeune
apprenti imprimeur adventiste, John H. Kellogg, devint médecin,
puis inventa le mode de « vie biologique », une sorte de démarche
nutritionniste et hygiéniste assez puritaine sur tous les plans, en
particulier sur le plan sexuel : accusant la masturbation de créer plus
de morts que la peste, il développa un tas de techniques violentes

42 Pour aller plus loin, voir la note concernant le spiritualisme dans le para-
graphe sur la chiropraxie (cf. Chiropraxie, dans ce chapitre).

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pour empêcher la masturbation dans le chapitre Treatment for self-


abuse and its effects de son livre Plain facts for old and young (1888),
et recommanda de ne pas dépasser un rapport sexuel par mois quoi
qu’il arrive. Rappelons-nous, nous avons déjà parlé de ce monsieur
à propos de la sérendipité : oui, il est le créateur avec son frère de ce
qui deviendra célèbre sur nos tables de petit-déjeuner sous le nom
de Kellogg’s corn-flakes.

Racines et contexte
Rechercher les racines politiques, philosophiques et culturelles des
fondateurs est un travail harassant, mais riche à plus d’un titre.
D’abord, cette recherche jette une lumière crue sur l’hypothèse
fondatrice. Est-elle guidée, comme cela est courant dans l’histoire des
sciences, par un présupposé religieux ? Y a-t-il un contexte politique,
nationaliste, impérialiste, raciste qui empêche de discuter certaines
prémisses ? Là où le regard contemporain est généralement cruel
après coup, les motivations des fondateurs peuvent être raisonnables
aux yeux de l’époque.

Pensons au racisme scientifique du xixe siècle, emmené par le médecin


français Paul P. Broca dont nous avons déjà parlé. Broca, cohérent, a
lui-même contribué à ce que l’on fasse un usage raciste et sexiste du
résultat de ses recherches, notamment dans son article Sur le volume
et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races. Il y
écrivit par exemple que « la petitesse relative du cerveau de la femme
[dépend] à la fois de son infériorité physique et de son infériorité
intellectuelle » (Broca, 1861).

Y a-t-il envie d’un fondateur national, d’une découverte nationale ?


C’est comme si c’était fait. En 1912, l’Angleterre victorienne rêvait
de posséder le plus vieil ancêtre, non seulement pour éviter que la
lignée humaine ne vienne d’Afrique, ce qui eut été insoutenable,
mais aussi qu’elle ait des représentants anciens venant d’Allemagne,
comme Neandertal, ou de France, comme Cro-Magnon. C’est ce
moteur patriotique qui a permis à une imposture, celle d’Eoanth-
ropus ou homme de Piltdown, d’être avalée toute crue pendant

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L’histoire
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pratiquement cinquante ans, avant que Kenneth Oakley, en 1949,


n’émette un doute que viendra confirmer la datation au carbone 14
en 1959 (Herbert, 2002).

On peut rire maintenant de la théorie de Paracelsus qui devinait les


propriétés des plantes à leur forme, texture, odeur. Mais replacée
dans un contexte créationniste, avec une lecture des textes sacrés
donnant une origine fixiste des espèces43, avec l’idée d’un dieu bon
ayant disposé dans la nature les essences nécessaires pour se soigner,
la théorie n’est plus si exotique (revoir éventuellement le Remue-
méninges : le raisonnement panglossien).

On peut moquer au xxie siècle la théorie de la pathogénésie homéo-


pathique de Hahnemann pour son caractère invraisemblable : avec
des poisons créant une pathologie X chez un sujet sain, on pourrait
(moyennant une haute dilution pour ne pas faire mourir le malade
avec le poison) soigner cette pathologie X chez des sujets malades. La
théorie de Hahnemann sur les poisons n’est pourtant pas aussi ridicule
lorsqu’on la replace en 1796, au moment même des balbutiements de
la vaccination. En effet, le 14 mai 1796, le médecin anglais Edward
Jenner réalisa la célèbre vaccination sur James Phipps, un enfant de huit
ans, avec du pus de variole tiré avec un bout de bois des vésicules de
vaccine de la main de Sarah Nelmes, une trayeuse qui avait contracté
la vaccine transmise par une vache (appelée Blossom)44. Il faudra
d’ailleurs attendre Robert Koch, puis Louis Pasteur45 et ses collègues
Émile Duclaux et Émile Roux cinquante ans plus tard pour saisir le
mécanisme de la vaccination – qui soit dit en passant n’a rien à voir
avec l’homéopathie… mais nous le savons maintenant ! Après coup.

43 Le fixisme est le scénario selon lequel les espèces ont été placées telles
quelles par le « créateur », et n’évoluent pas. Il existe encore des courants
créationnistes fixistes de nos jours.
44 L’histoire des sciences étant injuste, il est correct de rappeler que les pre-
mières immunités induites par vaccination sont pas dues à Jenner, mais à
l’apothicaire anglais John Fewster (1765), à l’allemand Jobst Bose (1769)
et à l’agriculteur Benjamin Jesty (1774). Voir à ce propos Hopkins (2002).
45 Selon Dominique Raynaud, Pasteur lui aussi a souscrit à des modes intellec-
tuelles, comme le vitalisme, qui ont eu un impact sur son travail (Raynaud,
2003).

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Un thérapeute s’apercevra vite que les racines philosophico-religieuses


d’un certain nombre de pratiques tiennent plus de la guérison des
écrouelles46 par Louis VI le Gros et les rois thaumaturges et de la
résurrection de Lazare que de l’anatomie de Vésale ou d’Ambroise
Paré. Nombre de fondateurs sont très croyants, quand ils ne sont
pas religieux eux-mêmes, d’où cette propension à avoir des visions
leur révélant leurs hypothèses de travail, et surtout, à faire une
confiance absolue dans la « Nature », créée par Dieu ou avatar divin
possédant sa force curative, la Vix medicatrix naturae. Comme le
décrit Bynum, c’est ce vitalisme naturel qui est le postulat de départ
de l’ostéopathie, de la chiropraxie, de la naturopathie, de l’hydro-
pathie, de l’homéopathie, et d’autres variantes plus récentes comme
l’apithérapie (Bynum, 2001).

Reprenons l’exemple d’Andrew T. Still, père de l’ostéopathie. C’est une


convergence d’influences idéologiques et religieuses qui ont présidé à
la création de sa méthode thérapeutique. Toutes les sources, dont les
siennes, indiquent une filiation fondamentale chrétienne méthodiste,
très marquée par le vitalisme dont l’idée centrale est que le vivant n’est
pas réductible aux lois-physico-chimiques mais nécessite un « élan vital »
(cf. chapitre 1, Rasoir d’Occam et alternative féconde). Empruntant à
la phrénologie raciale de Franz Joseph Gall, au mesmérisme mystique
de Franz Anton Mesmer et ses baquets magnétiques, et sur le plan
politique au spencérisme (longtemps appelé à tort darwinisme social47),
Still évolue dans un contexte social d’une médecine classique dont
l’impuissance lui fut cruelle pendant la guerre de sécession à laquelle
il participa (Tricot, 1998 ; Still, 1897). À l’époque, whisky et opium

46 Écrouelles, tout comme scrofules, sont les noms désuets de l’adénopathie


cervicale tuberculeuse chronique, caractérisée par des fistules purulentes
localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. Le premier témoignage
faisant mention de toucher d’écrouelles par un roi est celui de Guibert de
Nogent, autour de 1124, ayant vu personnellement Louis VI le Gros réaliser
ce soin régulièrement au moyen d’un signe de croix.
47 On comprend souvent à tort le darwinisme comme une lutte dont sort vic-
torieux le plus fort. Ce n’est pas du tout ce qu’a expliqué Darwin, décrivant
l’évolution comme privilégiant les individus les mieux adaptés au milieu.
Contrairement à Spencer, il ne légitime rien au travers de l’évolution, et cer-
tainement pas une quelconque supériorité des riches, puissants et patrons.

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L’histoire
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côtoient quinine, scalpel, et ceinture en cuir à mordre pendant les


opérations. Dans la même veine, Daniel Palmer et son fils amalga-
ment dès le début chiropraxie et religion, précisant notamment que
cette discipline fusionne les concepts vitalistes d’intelligence innée et
religieux d’intelligence universelle. Daniel Palmer affirme en outre avoir
découvert la réponse à la question « qu’est-ce que la vie ? » et précise
que la chiropraxie fait de la vie une étape plus efficiente pour préparer
celle de l’au-delà. On retrouve également des racines religieuses dans
la microkinésithérapie dont l’initiateur, diplômé de théologie, affirme
au sujet de la palpation des énergies :
« La première fois que j’en ai eu l’occasion, et je pense que c’est
la même chose pour tous, j’ai eu l’impression qu’entre mes
mains je sentais la vie, la véritable vie, la vitalité de la personne,
quelque chose qui fait accéder ou communiquer à quelque chose
de très profond, de très fondamental. On a l’impression d’être
en contact avec le mystère de la vie, de la Vie avec un grand V,
de la vie en train de se manifester, dans une matière, pour la
rendre vivante. » (Grosjean, 2000, p. 7)

Fort heureusement pour nous, chercheurs des années 2010, les


documents contemporains de la naissance des techniques manuelles
sont presque tous accessibles en particulier en ligne et ne demandent
qu’à être fouillés.

Lexique de l’époque
Chaque champ disciplinaire a un lexique, un jargon. Le vocabulaire
employé dans un domaine est un excellent indicateur des tendances,
des conceptions voire des controverses scientifiques d’une époque. Il
arrive même que certains termes actuels véhiculent et transportent
des conceptions que l’on sait fausses depuis longtemps. Les termes
employés sont rarement anodins et par « effet impact » jouent sur
notre perception du contenu (Broch, ibid.). Pour comprendre ce
qu’on entend par lexique et jargon, voici quelques exemples, tirés
de la chimie d’abord, de la parapharmacie ensuite, et enfin des
thérapies manuelles.

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Chimie organique
Dans son célèbre Cours de chymie de 1675, l’apothicaire Nicolas
Lémery classa les composés organiques comme les seuls entrant en
jeu dans les processus du vivant, par opposition à la chimie minérale.
Cette conception, que l’on sait fausse maintenant, est un héritage
du vitalisme que nous avons vu chez Andrew Still. Et cocasserie des
usages, l’Université française dispense encore des cours de « chimie
organique », là où elle enseigne réellement la chimie du carbone.

• Vitamine
On doit ce terme au biochimiste Kazimierz Funk (Funk, 1912), qui
le forma du latin vita « vie » et de amine (bien que toutes les vitamines
ne portent pas le groupement fonctionnel amine d’ailleurs). Il opta
d’abord pour vitalamine, et son ami Max Nierenstein proposa vita-
mine. L’emploi du terme vita est un héritage du courant vitaliste48.

• Les élixirs floraux de Bach, qui captent la quintessence des


plantes
Le terme élixir rappelle populairement la pratique alchimique : irré-
médiablement associé aux phénomènes magiques (élixirs de jouvence,
philtres d’amour, élixirs tempérants, envoûtement, sorcellerie) et à la
symbolique alchimique (le final de l’œuvre alchimique étant l’Elixir
Vitae, la Pierre Philosophale), il véhicule par son nom les fantasmes
de l’imagerie sociale. Le mot quintessence, la cinquième essence des
opérations alchimiques, renforce encore sa charge magique.

• La micropalpation des énergies en microkinésithérapie


Le terme micro utilisé ici induit à penser que le thérapeute possède
une capacité à détecter les mouvements que d’autres n’auraient pu
percevoir, ce qui lui donne une sorte de super-pouvoir, à l’instar
du microscope qui augmente les possibilités d’observation. Ce que
le thérapeute détecte, c’est « un rythme vital qui n’est rien d’autre

48 Précisons en passant que les vitamines ne sont pas des composés énergé-
tiques (même si nécessaires au métabolisme).

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L’histoire
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que la manifestation des énergies de la personne » (Grosjean, ouv.


cit., p. 6). Le terme énergie quant à lui est récurrent dans la micro-
kinésithérapie et de l’aveu même des fondateurs dans bon nombre
de thérapies dites alternatives :
« Il y a une chose qui semble être le trait dominant de toutes ces
médecines non officielles, c’est un mot un peu magique, qui est
l’énergie… un acupuncteur, à plus forte raison, travaille sur les
énergies ; quand vous parlez à un magnétiseur, il vous dira : je
recharge les énergies » (ibid. p. 4).
Ce terme d’énergie est très largement galvaudé depuis l’avènement
des théories New Age (cf. chapitre 3, Mode New Age) et n’a souvent
plus rien à voir avec les types d’énergie décrits et utilisés en science.

• Les points réflexes de Chapman


L’exemple des points réflexes neurolymphatiques de Chapman est
éclairant. Franck Chapman (voir l’historique dans l’annexe n°2) s’est
fait connaître dans les années 1930 en proposant une carte de points
à stimuler pour obtenir une action sur des organes à distance de ces
points. Considérant que le mécanisme en jeu dans sa thérapie est un
mécanisme réflexe, il propose de nommer les zones à stimuler « points
réflexes ». Ce n’est pas par hasard : son hypothèse est contemporaine
des découvertes substantielles de Charles Scott Sherrington dans
l’étude des réflexes et de l’intégration nerveuse. Bien que, comme
l’a montré Canguilhem (1955/1994), le concept de réflexe se soit
construit progressivement, sur plus de deux siècles, on parle parfois
de cette période comme de la révolution sherringtonnienne (Clarac &
Ternaux, 2008), et il n’y a rien d’étonnant que d’autres aient tenté
d’accommoder le réflexe à leurs intuitions. Cette période correspond
également, entre autres, à l’élaboration de la réflexologie plantaire par
Fitzgerald. Dans les deux cas cités ici (Chapman et Fitzgerald), si la
terminologie de Sherrington est reprise, sa rigueur méthodologique
est hélas oubliée au bord du chemin.

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REMUE-MÉNINGES : LA VERTÈBRE DÉPLACÉE ET L’HYPNOMASSAGE

S’il est un lexique que l’on associe volontiers à la kinésithérapie (mais


aussi à la chiropraxie et l’ostéopathie) c’est bien celui de la « méca-
nique du dos ». Le dos bloqué, le nerf pincé, le tour de reins, ou la
vertèbre déplacée laisse entrevoir trois origines à ce lexique, et une
solution toutes aussi intuitives que fausses :
- une lecture mécaniste : on pense au dos comme un réseau de rouages ;
- une cause unique : on pointe un problème, un organe précis, et une
cause unique (alors que le processus douloureux ou pathologique est
souvent multiparamétré) ;
- une cause simpl(ist)e : le symptôme viendrait d’un dérèglement
subit, d’un choc (alors que le mécanisme peut être lent) ;
- une solution simpl(ist)e : pour retourner à l’état antérieur, une action
mécanique simple, une remise en place, un ajustement, suffiraient
pour que les symptômes disparaissent.
La fortune des thérapeutes qui font « craquer » vient de cette imagerie
mécaniste. Le craquement, signe d’une manipulation, est l’un des plus
puissants et fallacieux arguments publicitaires : il ne sert à rien, mais
donne l’illusion de servir à quelque chose (en l’occurrence « remettre »
la vertèbre)49. Il est important d’éventer ces idées reçues et, en les
scrutant de près, d’abolir ces mythes. Ainsi, un nerf « pincé » existe
bel et bien (mais sous le nom de compression nerveuse), mais un tour
de rein vient de la même étagère des idées fausses que la crise de foie
par exemple (qui ne met pas en jeu le foie mais l’estomac). Quant
au déplacement de vertèbre justifiant un mal de dos soudain, il…
n’existe pas : si on se déplace réellement une vertèbre, c’est-à-dire s’il
y a luxation et donc perte de la continuité des surfaces articulaires, les
conséquences sont généralement très graves avec souvent des lésions
nerveuses associées. La plupart des gens qui ont mal au dos n’ont,

49 Voir notamment à ce sujet les articles de Sidney M. Rubinstein & al : Spinal


manipulative therapy for chronic low-back pain. (2011) Cochrane Database
Systematic Review. 16 (2) et Spinal manipulative therapy for chronic low-back
pain: an update of a Cochrane review. (2011) Spine. 36(13).

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L’histoire
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fort heureusement pour eux, pas de vertèbre déplacée50. L’origine


des douleurs est complexe à déterminer compte tenu de l’anatomie
nerveuse de la zone mais les articulations zygapophysaires, les muscles
paravertébraux, la dure-mère, les ligaments longitudinaux antérieur
et postérieur et le disque intervertébral sont généralement reconnus
comme localisations principales de la source douloureuse.

Il y aurait de quoi consacrer une thèse entière sur le lexique des thé-
rapeutes manuels. Le terme magnétisme, celui de programme (dans
programme génétique, mais extrapolable au programme moteur) ont
déjà reçu des débuts d’analyse ailleurs (Monvoisin, 2007 ; Abrougui &
Clément, 1997). Un avertissement pour finir : certains lexiques sont
d’autant plus difficiles à décrypter qu’ils empruntent à des champs
eux-mêmes discutables. Le dernier exemple qui nous échut de la sorte
est celui de l’hypnokinésithérapie ou hypnomassage. Que penser de
l’hypnomassage ? Pour répondre à cette question, suivons la méthodo-
logie de ce manuel. Dans la première phase, historique, nous trouvons
facilement que la fondatrice est la massothérapeute québécoise Sylvie
Provost ; que la datation est simple, par quelques clics sur le Web :
2008. L’événement fondateur ? Un déclic. « Le déclic s’est opéré à la
suite de sa rencontre avec Ginette Plante, formatrice en hypnothé-
rapie et fondatrice des éditions Psychoaide ». Huit clients sur dix à
qui on a fait de l’hypnomassage (donc une patientèle déjà conquise)
réclament cette pratique. Pour autant, savoir que la pratique plaît ne
signifie pas qu’elle soit efficace. Hélas, aucune source scientifique, pas
d’étude, aucune donnée n’ont été produites. La commensurabilité ?
À en lire les premières pages disponibles, « s’étant immergé durant
quatorze années consécutives dans ce domaine, le personnage maîtrise
divers types de massages de bien-être et de massages thérapeutiques,
entre autres le massage suédois, l’acupuncture et le shiatsu, le massage
Dorn, la relaxation coréenne, la réflexologie… » nous avons pour
socle du bien fondé de la technique tout un assemblage de pratiques
issues de disciplines peu documentées sur le plan scientifique.
Ici, toutefois, c’est le lexique utilisé qui nous intéresse, en particulier
le mot hypnose. À première vue, l’emprunt du mot hypnose n’est
pas anodin. Sans plus de précision, le mot possède une connotation

50 Nous faisons exception des douleurs consécutives aux fractures, spondy-


lolysthésis, ou traumas graves pour ne pas compliquer le propos.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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séculaire et mystérieuse et l’on entend généralement par-là un état


de conscience modifié permettant d’obtenir des comportements ou
des états mentaux que nous ne pourrions obtenir autrement, en clair,
une plus-value. Or, il faut distinguer l’hypnosédation (cf. chapitre 3,
Extension régionale), qui est une technique de détournement d’at-
tention intéressante mais qui n’a d’hypnose que le nom puisqu’il
n’y a pas d’état modifié de conscience, des états hypnopompique et
hypnagogique dans lesquels des phases intermédiaires entre éveil et
sommeil sont propices aux hallucinations, et de l’hypnose de spec-
tacle qui recouvre un ensemble de techniques de manipulation, de
suggestion et de soumission à l’autorité (où là non plus, aucun état
modifié de conscience n’a été mis en évidence). Alors, qu’en est-il
de l’hypnose dans l’hypnomassage ? L’étape suivante consistera à
vérifier que le préfixe hypno a réellement un intérêt thérapeutique
pour le client qui dépasse l’intérêt commercial des promoteurs. En
attendant que la démonstration en soit faite (cf. chapitre 1, Charge de
la preuve), nous pensons qu’il est préférable de s’abstenir de proposer
cette technique aux patients.

Évolution de la théorie
Radotons un brin : une théorie doit souscrire au critère de Popper,
au risque de se recroqueviller comme un arbre mort sur ses contra-
dictions. Lorsque ce n’est pas le cas, on parlera de scénario, de sto-
rytelling écrit et irréfutable. Il faut par ailleurs vérifier que le corpus
théorique est dynamique et non stagnant. Comme il est improbable
qu’une théorie puisse naître d’emblée aboutie, la méfiance est de
mise lorsque l’une d’entre elles reste figée depuis longtemps, comme
la radiesthésie par exemple. Une pseudoscience se distingue d’une
science par le fait qu’elle tend à rester immuable dans le temps,
ses défenseurs ne fournissant pas d’évolution et se drapant dans
un traditionalisme déférent vis-à-vis du ou des fondateurs. Il y a
de fortes chances que cela soit le signe d’une absence de recherche
scientifique sur le sujet. Aussi contre-intuitif que cela paraisse, une
théorie qui coupe certaines de ses branches et reconnaît des erreurs est
vraisemblablement plus solide qu’une théorie qui croupit, rabougrie
sur ses postulats de départ.

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L’histoire
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La théorie homéopathique de Samuel Hahnemann, celle des psores


d’Edward Bach, de la genèse maternelle de l’autisme de Bruno
Bettelheim, l’étiologie sexuelle des névroses de Sigmund Freud ou
encore le scénario créationniste Jeune Terre (une Terre âgée de 6 000
ans) sont quelques exemples de pseudo-théories/scénarios connus
pour leur marécageuse stagnation. Dans le monde des techniques
manuelles, la théorie du magnétisme animal de Franz Anton Mesmer,
celle de la réflexologie de William Fitzgerald puis Eunice Ingham,
l’auriculothérapie de Paul Nogier, le shiatsu Namikoshi (mélange
de shiatsu et de chiropraxie) sont des exemples, parmi de nombreux
autres, d’immobilisme. Un autre indice, complémentaire, qui doit
brosser nos neurones à rebrousse-poil est l’occultation par les défen-
seurs du scénario des contradictions ou des faits allant à l’encontre
de celui-ci, à l’image de la résistance psychologique opposée par
un individu confronté à des cognitions (valeurs, croyances, rai-
sonnement, etc.) non concordantes. Nous y reviendrons plus loin
(cf. chapitre 6, Dissonance cognitive, engagement).

Illustrations : étude de quelques théories


Grâce au quiz de datation proposé plus haut (cf. Datation, dans ce
chapitre) nous avons pu vérifier que bon nombre de thérapies qu’on
pourrait croire (ou qu’on voudrait nous faire croire) millénaires sont
récentes, voire, pour certaines, contemporaines. Amusons-nous à
pousser un peu plus loin l’enquête, et appliquons notre démarche
de recherche historique aux thérapies évoquées.

Hydrothérapie (1835)
Vincenz Prießnitz (1799-1851)
(Silésie autrichienne, actuelle République Tchèque)
Difficile de dire qui est le réel fondateur de l’hydrothérapie, tant
l’immersion thérapeutique du corps dans l’eau est ancienne. Peut-
être faudrait-il remonter à Sir John Floyer (1649-1734) qui avec le
docteur Edward Baynard (1641-1719) publia en 1697 An Enquiry

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into the Right Use and Abuses of the Hot, Cold and Temperate Baths
in England puis cinq ans plus tard The Ancient Psychrolusia Revived,
or, an Essay to Prove Cold Bathing Both Safe and Useful ; ou bien à la
branche allemande du docteur Johann Sigmund Hahn (1696-1773)
qui publia en 1745 Unterricht von Kraft und Wirkung des frischen
Wassers (Cours sur la force et l’efficacité de l’eau froide).
Il est néanmoins plus logique, et plus romantique, de prêter cette
invention au fils de fermier silésien51 Vincenz Prießnitz (1799-1851)
qui en fit profession. On dit qu’adolescent, vers quinze ans, regar-
dant un chevreuil ayant une patte cassée venir soigner sa blessure
dans un cours d’eau (ou un étang selon les sources), il eut l’idée de
plonger son doigt, blessé lors d’une coupe de bois, dans l’eau glaciale.
Peu après, suite à une chute de chariot et un coup de sabot qui lui
brisa deux côtes, il s’appliqua la même méthode, en appliquant des
chiffons d’eau glacée et au bout d’un an, parvint à guérir. Il devint
progressivement guérisseur de bêtes, puis d’humains, et en 1822 il
créa une sorte de sanatorium dans la maison familiale, à Gräfenberg
(Slinták, 2007). Certains auteurs disent qu’il a peut-être été influencé
par les travaux de Floyer et Baynard. Comme le narre Bauberot :
« Son système se fonde [...] sur la combinaison de quatre facteurs
– la transpiration forcée, l’application d’eau froide, l’exercice
physique et le régime alimentaire – censés seconder le travail
curateur de la nature en provoquant des crises, en fluidifiant les
humeurs et en favorisant l’évacuation des matières morbides.
Réveillé à quatre heures du matin, le curiste est d’abord enveloppé
dans une couverture épaisse. Après cinq ou six heures de transpi-
ration, il s’assied sur une chaise au milieu d’un baquet et reçoit
des applications d’eau froide (d’une température d’environ 30 °C
tout d’abord, puis décroissante jusqu’à 10 voire 5 °C) à l’aide
de compresses imbibées ou par aspersion » (Bauberot, 2004).

L’historien de la médecine Roy Porter raconte que dans la seule


année 1839, son sanatorium reçut un roi, un duc et une duchesse,
vingt-deux princes et cent quarante-neuf comtesses et comtes,
sans parler de milliers de citoyens (Porter, 1997). L’hydrothérapie
51 La Silésie autrichienne n’existe plus, et appartient depuis près d’un siècle
à la République Tchèque.

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L’histoire
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de Prießnitz52 est importée en 1842 en Angleterre dans la ville de


Malvern dans le Worcestershire par plusieurs médecins, dont James
Manbu Gully (1808-1883) qui produisit en 1848 un ouvrage titré
The Water Cure in Chronic Disease.

Le nom coutumièrement associé à l’hydrothérapie n’est pourtant pas


celui de Prießnitz, mais celui de l’abbé Kneipp. L’histoire raconte que
lycéen, Sebastian Kneipp contracta la tuberculose et fut condamné
par son médecin traitant. C’est le livre de Johann Sigmund Hahn
en pleine période de renouveau hygiéniste, qui lui redonna l’espoir
ainsi que la santé en prenant des bains de rivière en plein hiver.
Alors, devenu prêtre catholique, grand enthousiaste des méthodes
hydrothérapeutiques de Vincenz Prießnitz, il fut muté en Bavière,
et soigna un grand nombre de gens, construisant sa méthode dite
Kneipp qui repose sur cinq pratiques :
- l’hydrothérapie surtout par des jets d’eau froide, des bains de glace,
et la marche, à la façon de la cigogne, dans un bassin d’eau froide ;
- la phytothérapie, car les herbes, combinées à l’eau, reflètent « l’har-
monie universelle selon le dessein de Dieu dans la création »
(Kirchfeld & Boyle, 1994) ;
- l’activité physique en vêtements amples et si possible pieds nus ;
- la diététique (les habitués des voyages en Norvège connaissent
probablement le Kneippbrød, pain le plus consommé du pays,
dont la recette est due à l’abbé) ;
- et un style de vie « sain ».
Il publia en 1886 Meine Wasserkur (Ma Cure d’eau), puis en 1888
So sollt ihr leben (traduit en Comment il faut vivre). Sa renommée lui
permit de conseiller le pape Léon XIII lui-même. Le médecin Wilhelm
Winternitz (1835-1917), contemporain de Kneipp, publia, sur un
versant plus scientifique, Die Hydropathie auf Physiologischer und
Klinischer Grundlage (1877). D’autres prétendants au titre de fondateur
de l’hydrothérapie firent ensuite leur apparition, comme Hufeland,
Baldou et d’autres encore mentionnés dans le livre de Thomas Sandoz
intitulé Histoire parallèle de la médecine (Sandoz, 2005).

52 En polonais, douche se dit prysznic en hommage au nom polonisé de Prießnitz.

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Deux faits notables : Winternitz influença durablement J. H. Kellogg,


adventiste du septième jour et père des corn-flakes (cf. Remue-
méninges : épiphanies, dans ce chapitre). Ce dernier introduisit
l’hydrothérapie dans son Battle Creek Sanatorium, dans le Michigan.
Ensuite l’hydrothérapie muta rapidement en ce que le docteur John
Scheel de New York appellera plus tard « naturopathie », terme qui
sera breveté par Benedict Lust (1872-1945), diplômé en homéopa-
thie, puis en ostéopathie, et ancien élève de… Sebastian Kneipp.
Lust y greffa un discours radicalement anti-médicament et pro-
homéopathie, vantant les forces cosmiques qui traversent le corps,
autant de concepts qui remplissent la naturopathie d’aujourd’hui.

Mode de découverte : intuition par analogie avec un cas (le che-


vreuil, puis son propre doigt).
Scientificité de la découverte : inexistante chez Prießnitz.
Amoncellement de témoignages de guérison. Il faudra attendre
Winternitz pour des débuts d’études scientifiques.
Principe théorique non étayé : l’eau froide contiendrait les prin-
cipes curatifs divins qui pourraient tout guérir.

Kinésithérapie (1847)
Pas de réel fondateur, terme créé en 1847 par le gymnaste suédois Carl
Augustus Georgii.
À première vue, passer la kinésithérapie à la même moulinette que les
autres thérapies choisies pour ce livre paraissait indispensable. Cela
aurait permis à la fois de ne pas être taxé de partialité et, selon le résultat
de nos recherches, d’envisager pour tous les kinés une reconversion
professionnelle dans les plus brefs délais. Or, si cette démarche est
simple et souhaitable d’un point de vue théorique, elle se révèle plus
compliquée d’un point de vue pratique car contrairement aux autres,
la kinésithérapie ne repose pas (certains ironiseront « même pas ») sur
une théorie unifiée, sur un principe de base que l’on pourrait discuter.
Elle n’est pas un arbre touffu, enfonçant ses ramifications théoriques
dans le sol, mais un assemblage de petits arbustes hétéroclites, et à ce
titre, elle n’offre pas de prise à une critique systémique, comme les
autres précitées qui, elles, se fondent sur un principe central.

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L’histoire
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D’ailleurs, à bien regarder, cette haie, ce boisseau d’arbustes est


composé… d’invendus ! Nous avons commencé à le raconter au
premier chapitre : il s’agit de pratiques, dont le massage théra-
peutique et la gymnastique, que les autres disciplines reines, en
particulier médicales, ne voulaient plus (cf. Introduction). Selon
nos recherches, le terme kinésithérapie est apparu pour la première
fois sous la plume du suédois Carl Augustus Georgii, enseignant
d’escrime et élève du père fondateur de la gymnastique suédoise,
Pehr Henrik Ling (1776-1839).
Dans un livre intitulé Kinésithérapie, ou Traitement des maladies par
le mouvement selon la méthode de Ling (Georgii, 1847/1854), Georgii
raconte l’héritage de celui qui, le premier, a associé des exercices
physiques et des massages à des fins médicales. Une histoire raconte
que Ling, diplômé de théologie de l’Université d’Uppsala en 1797,
aurait formalisé les principes de sa méthode au retour d’un voyage
lors duquel il rencontra un chinois dénommé Ming, expert en arts
martiaux et en Tui na (un massage de la médecine traditionnelle
chinoise basé sur les méridiens d’acupuncture), qui l’aurait formé aux
techniques de massage. Nous épuisant en recherches sur le sujet, nous
n’avons pu étayer cette anecdote qui a l’air cousue de fil blanc. Nous
n’avons trouvé aucune trace d’une influence d’un Chinois quelconque
dans les travaux de Ling en langue originale (par contre, l’histoire
de Ming rencontrant Ling pullule sur Internet). Il semble bien plus
probable qu’il ait été influencé dans le tournant du xixe siècle par le
danois Franz Nachtegall, l’un des premiers théoriciens de l’éducation
physique, ainsi que par des velléités nationalistes mystiques (Ling
fit partie de la Götiska Förbundet, la confédération gothique, dont
les valeurs s’ancraient sur la mythologie nordique).

C’est à Georgii, donc, qu’échut la charge de publier une recension


de l’œuvre du fondateur de la gymnastique suédoise, popularisée
ensuite sous le nom de kinésipathie, puis kinésithérapie. À peine
plus tard, en France en 1853, paraissait Cinésiologie, ou Science du
mouvement dans ses rapports avec l’éducation, l’hygiène et la théra-
pie ; études historiques, théoriques et pratiques, de Nicolas Dally, qui
malgré sa qualité de grammairien, fut considéré longtemps comme
l’inventeur de la kiné.

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Coup de théâtre en 2003 : l’historien suédois Anders Ottoson


exhume une autobiographie inconnue de Lars Gabriel Branting
(1799-1862), probablement publiée en 1856, dans laquelle le terme
kinedynamic est utilisé une fois, et kinesilogi deux. Branting y affirme
avoir inventé ce terme en 1828 afin d’identifier la doctrine pour la
classification des exercices de la gymnastique. Lors de l’apparition
d’une version raccourcie de cette biographie dans le Swedish biogra-
phical lexicon de 1858-1859, le terme fut épelé comme kinesiology
(avec o). Chronologiquement, le kinesiology anglais avait déjà fait
son apparition en 1854 dans le Biographical sketch of the Swedish
poet and gymnasiarch Peter Henry Ling, publié par Georgii. Il semble
donc que Georgii a bien lancé le terme cinésiologie et qu’il a identifié
ce néologisme comme « un système de gymnastique rationnel qui
comprend la cinésiologie complète, ainsi que les principes d’un déve-
loppement minutieux et harmonique du corps humain ». Comme
le conclut Ronald Renson, de Louvain, il faut supposer sans autres
preuves à l’appui que Branting utilisait le terme suédois rörelselärä
(science du mouvement) depuis 1828, qu’il a remplacé plus tard
par le terme grec cinésiologie de Georgii. Tant mieux, au fond, car
comme le montre Ottoson (2008), il semble que Branting, qui sera
le père du Prix Nobel de la paix 1921 Hjalmar Branting, n’ait pas
été le plus charmant des personnages, souhaitant avoir la mainmise
sur toute la gymnastique suédoise de son temps, il écrasa les struc-
tures proches et torpilla le jeune et florissant institut orthopédique
gymnastique de Nils Åkermans.
Quoi qu’il en soit, les travaux de Ling servirent de base à de nom-
breuses techniques de massage et gymnastique thérapeutique,
comme le massage suédois de Johann Georg Mezger (1838-1909),
la mécanothérapie de Gustaf Jonas Wilhelm Zander (1835-1920),
qui remplaçait les aides par des appareillages, ou le surprenant mas-
sage de l’amygdale (Röderbehandlung, ou traitement Röder, appelé
parfois das Rödern) du neurologue Heinrich Röder (1866-1939),
qui consiste à détoxifier l’organisme et stimuler l’auto-guérison en
purgeant par massage et par crochetage les amygdales.

Il était donc prévisible que certaines des pratiques hétéroclites qui


composent l’art kinésithérapeutique fassent sourire, à la longue, ou

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L’histoire
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meurent de leur belle mort. Mais il était évident que subsisteraient


quelques trouvailles au milieu, comme les programmes de réadap-
tation des patients cardiaques ou de rééducation vestibulaire de
patients vestibulo-lésés. La kinésithérapie est une friche d’arbustes,
en grande partie morts ou rachitiques, mais qui hébergent quelques
belles pousses. Tout l’art consistera à ne pas perfuser des branches
mortes, accepter de tailler comme on taille un beau rosier, et soigner
les jeunes pousses.

Ostéopathie (1874)
Andrew Taylor Still (1828-1917) (États-Unis)
Andrew Taylor Still, magnétiseur, rebouteux, fut membre du mouve-
ment spiritualiste, doctrine très en vogue de 1840 à 1920, postulant
notamment l’existence d’une entité supérieure, un dieu personnel,
une capacité à guérir par la force de la prière. Le spiritualisme (ou
sa branche française, le mouvement spirite) affirme entre autres que
l’esprit des défunts reste présent après leur mort : en communiquant
avec eux, il serait possible de solutionner nos problèmes, au moyen
de médiums ou de personnes servant de canal (d’où le terme de
channelling)53.
Still basa toute sa technique, l’ostéopathie, sur une vision datée
précisément du 22 juin 1874 à 10 heures du matin, qui lui révéla
la « vérité » : l’humain aurait été selon lui créé avec tous les fluides
et tous les onguents lui permettant de s’auto-guérir : « Le corps est
la pharmacie de Dieu ». Il insista bien sur le fait qu’il n’est que le
découvreur de l’ostéopathie et que l’auteur n’est autre que dieu en
personne – les aspects religieux de la théorie ont quant à eux déjà
été abordés plus haut (cf. Racines et contexte, dans ce chapitre).
Still précisa dans son autobiographie avoir eu des « rencontres »
avec l’ostéopathie bien avant 1874, sans pour autant en avoir eu
conscience. A. T. Still décrivit par exemple qu’il souffrait, à l’âge de
dix ans, de maux de tête réguliers. Il eut alors l’idée de prendre les

53 Ce mouvement s’est subdivisé depuis, mais reste vivace (théosophie,


survivalisme, églises spiritualistes et syncrétistes New Age...). On pourra
feuilleter l’excellent livre de B. Marhic et E. Besnier, Le New Age, son histoire,
ses pratiques, ses arnaques (1999).

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rênes dont se servait son père pour labourer et d’en faire une balan-
çoire reposant à une vingtaine de centimètres du sol. S’allongeant
sur la corde, il soulagea sa douleur à un point tel qu’il parvint à
s’endormir. Mieux encore, l’effet se maintint après le réveil (Still,
1897, p. 32). Cette expérience, conclut-il des années plus tard, lui
indiqua que la contrainte mécanique appliquée à une articulation
ou un viscère est intimement liée à sa fonction. Ainsi est né le
célèbre axiome ostéopathique stipulant que « la structure gouverne
la fonction » (structure governs function). Ce sera aussi l’occasion
pour Still de confirmer un autre axiome de l’ostéopathie, connu
sous le nom de « la règle de l’artère », puisqu’il considéra que, par
sa position allongée sur la corde tendue, il avait inhibé l’action du
nerf grand occipital (aussi connu sous le nom de nerf d’Arnold) et
redonné l’harmonie au flux sanguin. Une autre rencontre du jeune
Still avec l’ostéopathie eut lieu, selon lui, à l’occasion d’un face-à-
face avec un serpent. Comme le serpent est l’emblème du poison,
et que les drogues (médicaments compris) sont du poison, Still vit
dans ce conflit la première opposition symbolique entre l’ostéopathie
et le poison. L’ostéopathie sortit victorieuse de ce combat, puisque
lui, Still, tua l’animal (ibid., p. 47). L’automne 1874 sera pour Still
l’occasion de mettre en application au cours d’une épidémie de
dysenterie la thérapie qui lui a été révélée. Affirmant avoir guéri
dix-sept cas de dysenterie, Still décida de s’installer à Kirksville pour
ouvrir un cabinet et pratiquer à plein-temps l’ostéopathie.

Mode de découverte : épiphanie associée à guérison personnelle


généralisée.
Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique
connue du fondateur.
Principe théorique non étayé : la régulation des flux sanguins
activerait les processus d’auto-guérison de pratiquement toutes les
pathologies.

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L’histoire
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Chiropraxie (1895)
Daniel David Palmer (1845-1913) (États-Unis)
Palmer était magnétiseur et, comme Still, appartint au spiritualisme
moderne anglo-saxon (cf. point précédent). Très influencé par le
mesmérisme54 et la mouvance Swedenborg55, il découvrit « par
intuition » sa méthode, en « rendant » l’ouïe à Harvey Lillard, le
concierge de l’immeuble dans lequel il avait son bureau. Cherchant
la cause de la surdité de Lillard, Palmer apprit que dix-sept ans
auparavant, affairé dans une mauvaise position dans un endroit
exigu, le concierge avait ressenti quelque chose dans son dos et était
immédiatement devenu sourd. Examinant plus en détail Lillard, il
s’aperçut qu’une de ses vertèbres était « déplacée » et entreprit de
la lui remettre en place, ce qui permit au concierge d’entendre à
nouveau. Fort de ce premier succès, il renouvela l’opération pour
un cas de patient atteint de troubles cardiaques, et le résultat fut
similaire. Palmer en conclut que ces deux pathologies, pourtant si
différentes, devaient avoir une cause commune à savoir une « modi-
fication de l’influx nerveux » ou de l’« intelligence innée » (innate
intelligence) liée à une « subluxation », généralement d’une vertèbre
ou du bassin, qu’il conviendra de « réajuster ». Dans son livre The
chiropractor, publié en 1914, Palmer présenta dans le premier chapitre
la portée religieuse de sa théorie (The moral and religious duty of a
54 Le mesmérisme, ou magnétisme animal, est un ensemble bringuebalant
de théories fluidiques développé par Franz Anton Mesmer à la fin du
xvii e siècle, notamment au moyen d’un baquet magnétique bien connu.
Le mesmérisme fut battu en brèche par le rapport Bailly de l’Académie
des sciences, emmené par Bailly, Lavoisier, Franklin, Guillotin et d’autres,
en 1784. Le rapport concluait :  « l’imagination sans magnétisme produit
des convulsions... le magnétisme sans imagination ne produit rien... Les
expériences sont uniformes et sont également décisives ; elles autorisent à
conclure que l’imagination est la véritable cause des effets attribués au magné-
tisme ». Jean-Sylvain Bailly, Rapport secret présenté au ministre et signé par
la commission précédente, Paris, 1784.
55 Emanuel Swedenborg (1688-1772), scientifique suédois devenu complète-
ment mystique et délirant à l’âge de cinquante-six ans, déclarant avoir des
rêves et des visions mystiques dans lesquels il discutait avec des anges et
des esprits, ainsi qu’avec Dieu et Jésus-Christ. Coutumier de prétendues
« visites » du Paradis et de l’Enfer, ses écrits servirent de socle à l’Église
de la Nouvelle Jérusalem, ou New church, encore active aux États-Unis sous
le nom de Swedenborgian church of North America.

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chiropractor). Bien qu’ayant présenté sa discipline sous un éclairage


religieux, – nous en avons parlé plus haut (cf. Racines et contexte,
dans ce chapitre) – Palmer fut brièvement emprisonné pour exercice
illégal de la médecine, et mourut brutalement en 1913. Nos collègues
Simon Singh et Edzard Ernst, dans leur ouvrage Trick or Treatment
relatent que Daniel Palmer serait mort des suites d’un accident de
voiture provoqué par son fils, vraisemblablement pour l’héritage de
la chiropraxie (Singh & Ernst, 2009). Après vérifications sur l’acte
de décès, la cause officielle fut moins rocambolesque : une typhoïde.
Nous n’avons pu en savoir plus sur les circonstances exactes du décès,
et Edzard Ernst lui-même n’a pu nous fournir la source.

Mode de découverte : guérison miraculeuse.


Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique publiée.
Principe théorique non étayé : l’activation d’un hypothétique fluide
vital d’énergie permettrait de résoudre les subluxations vertébrales,
causes de la plupart des maux.

Étiopathie (1899)
Georges Dutton (États-Unis) (1830-1900) auquel Christian Trédaniel (France)
(1934-2011) a largement emprunté.
Les sources présentées comme « officielles » de l’étiopathie racontent
que la discipline est née d’un accident. En 1952, Christian Trédaniel
est victime d’une chute lors d’un entraînement sportif qui déclenche
une forte sciatique, le laissant « pratiquement impotent pendant près
de deux ans ». Il s’adresse alors au docteur André de Sambucy, ré-
inventeur de l’élongation vertébrale « déjà pratiquée par Hippocrate »
[sic], qui lui propose un traitement par élongation douce, engen-
drant un soulagement de plus en plus probant. Sambucy initie alors
Trédaniel, qui devient son assistant.
Il est dit que c’est en 1963 que Christian Trédaniel forge le terme
d’étiopathie du grec aitia, cause, et pathos, souffrance, pour désigner
ce qu’il considère être de la « chirurgie non instrumentale », dans
la droite lignée des rebouteux.

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L’histoire
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Une étude approfondie de la question de l’origine de la thérapie


nous a pourtant conduits vers un ouvrage de 1899 rédigé par le
docteur Georges Dutton et intitulé Etiopathy, or, way of life : being
an exposition of ontology, physiology & therapeutics : a religious science
& scientific religion. Dans cet ouvrage, les principes posés par Dutton
ressemblent étrangement à ceux de Trédaniel. Pourtant, selon nos
recherches, il n’est jamais fait mention du bon docteur Dutton dans
la genèse de la discipline. Et puisqu’il faut rendre à Dutton ce qui
est à Dutton : « le dimanche 5 février 1899 à midi, au 52 Dearborn
Street à Chicago, les cieux étant clairs et le soleil brillant » [sic,
p. 30], Dutton « reçoit » l’étiopathie comme « science qui s’attache
à déterminer les causes des maladies pour les éliminer ». Cette
définition est tellement proche de celle de Trédaniel qu’à moins
d’un extraordinaire concours de circonstance, il est presque certain
que celui-ci a lu celle-là. Il nous paraît donc légitime d’attribuer la
paternité du terme étiopathie à Dutton.

En 1979 paraît la première édition des Principes fondamentaux pour


une médecine étiopathique de Christian Trédaniel, rééditée de nom-
breuses fois sans faire à notre connaissance l’objet de publication
scientifique. Une recherche fouillée sur cette première édition
tardive indique qu’elle s’est faite aux éditions de la Maisnie, société
immatriculée le 28 juin 1977 et appartenant au groupe d’édition
de Guy Trédaniel, frère cadet de Christian et éditeur indépendant
de nombreux ouvrages sur les médecines alternatives. La méthode,
semble-t-il connue uniquement dans le monde francophone, est
difficilement distinguable de l’ostéopathie tendance mécaniste. La
principale particularité des principes posés par Trédaniel par rapport
à ceux de Dutton est de faire reposer sa pratique sur la théorie géné-
rale des systèmes, théorie nébuleuse de cybernétique développée par
Ludwig von Bertalanffy (1968). Elle eut les honneurs de la presse
lorsqu’un journaliste de France 3, Pierre Machuret, révéla que le
Président de la République française Nicolas Sarkozy consultait
depuis quinze ans un étiopathe (Machuret, 2009). Certains étio-
pathes se disent « ostéopathes exclusifs ». Le titre d’étiopathe n’étant

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pas protégé, il fait l’objet de dérives présentées dans le rapport de la


Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires de 2010 (p. 165-182).

Mode de découverte : guérison personnelle.


Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique connue.
Principe théorique non étayé : l’identification intuitive de la cause
d’un symptôme permettrait le traitement ou l’auto-traitement.

Réflexologie plantaire ou Zone therapy (1913)


William Hope Fitzgerald (1872-1942) (États-Unis), oto-rhino-laryngologiste,
puis Edwin Bowers (1871- ?) (États-Unis)
Difficile de déterminer avec précision le premier ouvrage dédié à la
réflexologie. Si l’on en croit les ouvrages et sites Web consacrés à cette
discipline et se recopiant les uns les autres, le premier livre s’intéressant
spécifiquement à la réflexologie serait l’œuvre de médecins « italiens »,
les docteurs Adamus et A’tatis, en 1582. Une recherche minutieuse
de ce document nous a pourtant conduits dans une impasse : aucune
trace d’un quelconque A’tatis (ou Atatis) sur cette période. Le doc-
teur Adamus, quant à lui, pourrait être Adamus Lonicerus, alias
Adam Lonitzer (1528-1586), botaniste non italien mais allemand,
effectivement diplômé de médecine en 1554 et auteur d’ouvrages
de botanique. Plantes, ergot de seigle, procédés de distillation, mais
aucune trace cependant d’écrits traitant de Zone therapy. Le deuxième
ouvrage prétendument paru en 1583 sur la thérapie serait l’œuvre d’un
médecin de Leipzig, le docteur Ball (ou Bell, selon les sources), dont
nous ne pûmes non plus trouver trace. Le premier livre disponible
concernant des massages visant à traiter un organe à distance fut,
selon nos recherches, publié en 1902 sous le titre de Druckpunkte,
ihre Entstehung, Bedeutung bei Neuralgien, Nervosität, Neurasthenie,
Hysterie, Epilepsie und Geisteskrankheiten sowie ihre Behandlung durch
Nervenmassage (Points de pression, leur émergence, signification pour
les névralgies, la nervosité, la neurasthénie, l’hystérie, l’épilepsie et
la maladie mentale, ainsi que leur traitement par massage des nerfs)
par le Dr Alfons Cornelius (1902). Quelques années plus tard, en

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L’histoire
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1911, un de ses confrères allemands, Bernard Barczewski, rédigea


un livre intitulé Hand und Lehrbuch meiner Reflex massage für den
Arzt portant sur les thérapeutiques par massage réflexe. L’histoire,
pourtant, consacre le médecin spécialiste oto-rhino-laryngologiste
étasunien William Hope Fitzgerald comme fondateur de la théorie
de la Zone therapy.
Le premier article émanant de ses travaux fut l’œuvre d’Edwin F.
Bowers, médecin et journaliste, qui publia en 1915 un article dans un
magazine grand public intitulé To stop that toothache, squeeze your toe
(Pour arrêter cette rage de dents, pressez votre orteil) (Bowers, 1915).
C’est en 1917 que le livre considéré comme fondateur, Zone therapy, or
relieving pain at home vit le jour (Fitzgerald et al., 1917). Coécrit par
Fitzgerald, Bowers et George S. White, cet ouvrage évoque notamment
l’épisode de découverte de la thérapie par W. Fitzgerald qui en 1911
« découvri[t] accidentellement qu’une pression à l’aide d’une sonde
recouverte de coton sur une partie de la membrane muqueuse du
nez produisit un effet anesthésiant similaire à celui d’une injection
de cocaïne ». Cette découverte l’amena à établir une carte des régions
« reliées » du corps, le divisant en dix zones.
Mais si la théorie de Fitzgerald ne trouva guère d’écho chez ses confrères,
le couple de chiropracteurs Elizabeth Ann et Joe Shelby Riley entreprit
une simplification de la théorie tout en enrichissant les zones situées au
niveau des mains et des pieds. Ils publièrent leur travail dès 1918, dans
un livre intitulé Zone therapy simplified : all its applications made plain
and simple for use by any one reconnu comme étant le premier ouvrage
publiant une cartographie de réflexologie plantaire et palmaire (Riley,
1918). La « branche » plantaire des travaux de Riley sera remaniée
par Eunice D. Ingham Stopfel (1889-1974), une kinésithérapeute
qu’il engagea comme assistante dans son cabinet en 1926. Selon ses
propres travaux, Ingham constata une efficacité supérieure des séances
de réflexologie lors de la stimulation des zones du pied que celles du
reste du corps. Elle remarqua en outre que les stimulations manuelles
étaient plus efficaces que les stimulations à l’aide d’instruments et que
le type de stimulations, alternées ou constantes, avait également une
influence. Elle compila ses trouvailles dans plusieurs livres dont le
premier est Stories the feet can tell : ‘‘stepping to better health’’ (Ingham
Stopfel, 1938).

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Mode de découverte : peu clair, une expérience personnelle extra-


polée selon l’ouvrage de Fitzgerald.
Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique publiée.
Principe théorique non étayé : une action cutanée à distance de
la zone à traiter entraînerait la guérison.

Reiki (1922)
Mikao Usui (Japon) (1865-1926), moine bouddhiste.
L’histoire du fondateur est fortement controversée. Il est dit que,
fréquentant un temple bouddhiste Tendaï (tradition du Grand
Véhicule) au nord de Kyõto, Mikao Usui étudia d’abord le Kiko,
version japonaise du Qi Gong (« exercice de Qi », en mandarin),
gymnastique traditionnelle chinoise proposant une méthode de
respiration fondée sur la maîtrise du Qi, l’énergie vitale alléguée.
Sous l’influence d’un « maître », Watanabe Kioshi Itami, il aurait
changé d’école bouddhiste en 1894, passant de Tendaï à Shingon
(un des bouddhismes tantriques, la grande différence tenant dans
la possibilité d’atteindre l’état du bouddha dans cette vie-ci, et non
dans une autre).
On a prêté à Usui des études de psychologie (ce qui est peu probable
pour l’époque), de médecine (ce que nous n’avons pu vérifier) et
un doctorat en théologie de l’université de Chicago, mais l’unique
source, The Reiki handbook (Arnold & Nevius, 1992), est pour le
moins douteuse (son coauteur étant Larry E. Arnold, bien connu
entre autres pour avoir développé des thèses paranormales fantaisistes
sur les auto-combustions humaines « spontanées »).
Après vérification, comme l’indique le site ihReiki.com dans son
article Historical Reiki inconsistencies, personne de ce nom n’étudia
à ladite université dans cette période. Bref, Usui, en proie à des
difficultés financières, aurait décidé d’embrasser la carrière monas-
tique et c’est en 1922 qu’il fit une expérience de mort imminente
(« visions » ou « sensations » consécutives à une mort clinique ou à
un coma avancé), ainsi qu’un satori (une illumination) pendant une
retraite jeûnée sur le Mont Kuruma-yama. Il y « reçut » le Reiki. Il
ouvrit alors un, puis deux centres, et créa son enseignement.

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L’histoire
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Mais cette histoire est douteuse et remaniée plusieurs fois. Des


héritiers spirituels, en particulier la maître Reiki Hawayo Takata
(1900-1980), créèrent de toutes pièces des détails, comme une
prétendue inspiration de Usui par le personnage de Jésus, afin de
mieux exporter la méthode en « Occident ». Pire encore, des faux
documents prêtés à Usui lui-même étaient en fait l’œuvre d’un
faussaire, par ailleurs faux psychologue et faux enseignant de Reiki,
le Lama Yeshé, qui s’avéra être… un faux Lama, Richard Blackwell.
Les fraudes et inventions de Blackwell ont dupé et dupent encore
un certain nombre de praticiens Reiki, ce qui lui a valu les foudres
d’une grande part de la communauté. Blackwell rebondit et fit une
résolution de dissonance cognitive spectaculaire en se déclarant en
‘‘channeling’’ avec Usui lui-même. Puis il affirma être poursuivi par
la CIA, avant de disparaître vers la fin des années 2000.

Mode de découverte : une épiphanie.


Scientificité de la découverte : aucune publication scientifique
publiée du fondateur.
Principe théorique non étayé : l’imposition des mains apporterait
des soins dits « énergétiques ».

Ostéopathie crânio-sacrée (1929)


William Garner Sutherland (1873-1954) (États-Unis)
William G Sutherland, jeune journaliste au Austin Daily Herald,
était un élève de la première heure de Still. Au cours de ses études
qu’il effectua de 1898 à 1900, il tomba en arrêt devant un crâne
semi-désarticulé et eu l’intuition, « l’idée folle » comme il la qualifiera
plus tard (Sutherland, 1962), que les agencements anatomiques des
structures crâniennes indiquent l’existence de mouvements entre
elles. « L’idée folle » était notamment issue du fait qu’en observant
les surfaces articulaires de l’os sphénoïde il les trouvait « biseau-
tées, comme les ouïes de poisson, indiquant une mobilité pour un
mécanisme respiratoire ».
Il en extrapola le concept de Mouvement respiratoire primaire (MRP),
que l’on pourrait décrire comme un présumé mouvement rythmique

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involontaire d’expansion/rétraction du crâne induit par la fluctuation


du liquide céphalorachidien, l’action des membranes intracrâniennes
(comprenant la dure-mère, la tente du cervelet et la faux du cerveau) et
intraspinales et la mobilité des os du crâne. Ce prétendu mouvement
est dit primaire car il serait acquis avant la naissance et précéderait la
respiration pulmonaire, dite secondaire. L’histoire raconte qu’obsédé
par sa découverte, W. G. Sutherland garda pour lui pendant plusieurs
années le fruit de ses travaux de recherche initiés dans les années 1920,
avant d’en faire une monographie, intitulée The cranial bowl, en
1939, et récemment traduite et réunie en français sous le titre Textes
fondateurs de l’ostéopathie dans le champ crânien (Louwette, 2002).
W. G. Sutherland n’a pas écrit d’autobiographie mais sa femme
Adha Strand Sutherland se chargea de narrer la vie de son mari
après son décès dans With Thinking Fingers : The Story of William
Garner Sutherland (1962).

Mode de découverte : le MRP aurait été « découvert » par analogie


entre la forme de l’os sphénoïde et celle des ouïes de poissons.
Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique publiée.
Principe théorique non étayé : l’analyse du mouvement respiratoire
primaire indiquerait la source de nombreuses pathologies.

Méthode Pilates (1934)


Joseph Hubertus Pilates (1883-1967) (Pilates est d’origine allemande mais sa
méthode prend corps aux États-Unis).
Né d’un père gymnaste et d’une mère naturopathe, le jeune Joseph
était un enfant fragile et asthmatique. Il décida de développer sa
capacité physique en créant des exercices inspirés de l’anatomie et
de l’observation des animaux. Comme tout citoyen Allemand rési-
dant au Royaume-Uni, Pilates fut emprisonné sur l’île de Man, en
tant qu’« étranger ennemi ». Il en profita pour affiner sa méthode,
notamment en observant les animaux s’étirer. On raconte que, lors
de la grande épidémie de grippe de 1918, toutes les personnes du
camp ayant suivi sa méthode survécurent. En 1923, il immigra
vers les États-Unis pour y fonder un studio avec sa femme, afin

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L’histoire
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d’entraîner les danseurs des compagnies new-yorkaises à sa méthode


qu’il nomme la « contrôlogie », en référence au fait que sa technique
encourage l’utilisation de l’esprit pour contrôler les muscles. Pilates
publiera deux ouvrages fondateurs de sa méthode, Your Health : A
Corrective System of Exercising That Revolutionizes the Entire Field
of Physical Education (Votre santé : un système correctif d’exercices
qui révolutionne le monde de l’éducation physique) en 1934 et
Pilates’Return to Life Through Contrology (Le retour à la vie de Pilates
à travers la contrôlogie) en 1945.

Mode de découverte : guérison personnelle et analogie, en parti-


culier avec la gestuelle des animaux.
Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique connue.
Principe théorique non étayé : l’esprit pourrait modifier le tonus
musculaire simplement en le voulant.

Drainage lymphatique manuel méthode Vodder, ou Dr. Vodder


Method of Manual Lymph Drainage (MLD) (1936)
Estrid (1898-1996) et Emil Vodder (1896-1986)
(France, d’origine danoise)
L’histoire est assez nébuleuse. Docteur en philosophie, Emil Vodder
n’était pas thérapeute, mais aurait suivi huit semestres de médecine.
En 1932, avec sa femme Estrid (dont le rôle dans la thérapie est assez
flou), il travaillait comme masseur sur la Côte d’Azur et « décou-
vrit » la méthode du Drainage lymphatique manuel en traitant un
patient atteint de sinusite chronique et d’acné par de légers massages
circulaires. Dès lors, à ses yeux, le drainage permettait d’évacuer les
« toxines » du corps, responsables d’une large gamme de maux. Le
point de départ officiel n’est pas une publication scientifique, mais
un exposé lors d’un salon « Exposition de beauté », à Paris, suivi
d’un article dans le magazine danois Ny Tid og Vi et enfin un article,
« Le drainage lymphatique, une nouvelle méthode thérapeutique »,
dans la Revue d’hygiène individuelle en 193656.

56 Toutefois, le titre de la revue n’est pas exact. Il s’agit de Santé pour tous,
sous-titrée Revue d’hygiène individuelle et d’information familiale pour la

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La méthode eut un mal fou à être prise au sérieux, même si elle


profita des découvertes scientifiques quasi-contemporaines d’Henri
Rouvière qui publia en 1938 un ouvrage phare, Anatomie du sys-
tème lymphatique humain, étude exhaustive avec présentation et
classification des ganglions lymphatiques humains et des régions
de drainage qui leur sont associées. On dit que Vodder fit en sorte
de rencontrer Rouvière. L’inverse n’est semble-t-il pas vrai.

Mode de découverte : un cas de guérison, extrapolé par intuition.


Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique
connue à l’époque. Le drainage lymphatique manuel moderne fait,
lui, l’objet de publications bien faites.
Principe théorique non étayé : un massage circulaire induirait un
drainage des « toxines » de la zone massée.

Méthode Mézières (1947)


Françoise Mézières (1909-1991)
Masseur-kinésithérapeute diplômée puis enseignante de l’École fran-
çaise d’orthopédie et de massage (EFOM), Françoise Mézières publia
en 1947 un ouvrage classique intitulé La gymnastique statique. C’est
également à cette période que la thérapeute fit ce qu’elle nommera
par la suite son observation princeps, celle d’une patiente pour qui
la correction d’une courbure vertébrale entraînait systématiquement
une modification des deux autres. C’est l’observation de cette patiente
qui marque le début de son intérêt pour l’effet des postures sur les
réactions musculaires. À compter de cette date, Mézières élabora
une théorie reposant sur deux principes de base, à savoir que ce sont
les muscles qui caractérisent la forme du corps comme les ficelles
animent une marionnette et que certains muscles sont en lien au
sein de chaînes musculaires sur lesquelles il est possible d’agir dans
le but d’améliorer l’état de santé des patients. Contrairement à la
majorité des « découvreurs » de thérapie, Françoise Mézières n’a
pas développé de structure officielle de formation. Cela conduisit,

protection de l’enfance et la direction de la jeunesse. C’est un magazine géné-


raliste de santé, publié de 1919 à 1939.

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L’histoire
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après son décès en 1991, à l’émergence de techniques dérivées de


sa méthode, comme la Rééducation posturale globale (RPG) de
Philippe Emmanuel Souchard ou la Reconstruction posturale de
Michaël Nisand, tous deux anciens élèves de Mme Mézières. À l’heure
actuelle, la méthode RPG est enseignée dans une société anonyme
à conseil d’administration portant le nom ronflant d’Université
internationale permanente de thérapie manuelle de Saint-Mont,
dans le Gers. La Reconstruction posturale fait quant à elle l’objet
d’un (semble-t-il unique) diplôme universitaire à l’université Louis-
Pasteur de Strasbourg.

Mode de découverte : l’observation de ses patients.


Scientificité de la découverte : pas d’études scientifiques publiées.
Principe théorique non étayé : il y aurait un lien entre les symptômes
ressentis par le patient et sa tension musculaire, que des étirements
du muscle au moyen de postures pourraient résoudre.

Méthode Feldenkrais (1949)


Moshé Pinchas Feldenkrais (1904-1984) (Ukraine)
Fondée par Moshé Pinchas Feldenkrais dans les années 1950, la
méthode Feldenkrais se targue d’être une pédagogie améliorant
notre conscience des mouvements que l’on effectue pour enrichir
notre répertoire moteur. Feldenkrais était un physicien côtoyant les
grands noms de la physique (Joliot-Curie, Langevin, etc.), passionné
d’arts martiaux, il pratiquait le judo et le ju-jitsu. L’histoire veut qu’il
chutât sur le pont d’un sous-marin au cours de la seconde guerre
mondiale, ravivant une vieille blessure au genou datant d’un match
de football des années auparavant. Les médecins estimèrent alors
que, sans une opération, Feldenkrais ne marcherait plus. C’est à
ce moment qu’il décida de pourvoir lui-même à sa guérison et de
trouver des mouvements lui permettant de se déplacer sans douleur.
Il fut convaincu du rôle de la sensation dans le mouvement et dans
la mécanique du corps, jetant ainsi les principes d’une nouvelle
méthode qui portera son nom. Hormis ses ouvrages techniques
d’arts martiaux, son premier ouvrage date de 1949 et s’intitule
L’être et la maturité du comportement : une étude sur l’anxiété, le sexe,

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la gravitation et l’apprentissage. Ce titre est révélateur des centres


d’intérêt de Feldenkrais et pose les bases de la méthode, à savoir
un pot-pourri de psychothérapie, de psychanalyse (freudienne), de
physique et d’auto-éducation.

Mode de découverte : guérison personnelle.


Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique
connue du fondateur.
Principe théorique non étayé : l’amélioration du ressenti dans les
mouvements corporels entraînerait une diminution des troubles
musculaires.

Kinésiologie Appliquée (1964)


George J. Goodheart (1918-2008)
La Kinésiologie ou Kinésiologie Appliquée (Applied Kinesiology
ou AK) est une thérapie dite alternative créée par le chiropracteur
George J. Goodheart en 1964 et basée sur un mélange de principes
empruntés à la chiropraxie (manipulation manuelle le long du sys-
tème osseux) et de concepts énergétiques empruntés à la médecine
traditionnelle chinoise (particulièrement les méridiens et la notion
de Qi, ou Chi). Le postulat de départ est un des grands classiques
vitalistes : le corps est en permanence traversé d’un flux d’énergie
curative, et ce sont les blocages lors du passage de ce flux qui seraient
la cause des maladies. Ces blocages proviendraient essentiellement de
traumatismes physiques, « psychiques », ou les deux, traumatismes
s’« engrammant », c’est-à-dire s’incrustant dans toutes les cellules de
notre corps et créant en quelque sorte une mémoire. Une palpation
des diverses chaînes musculaires permettrait de non seulement mettre
en évidence ces blocages, mais également de les résoudre. Le test
principal, le fameux TM (Test Musculaire) consiste à questionner
un muscle, généralement le deltoïde, sur une question donnée, en
exerçant une force dessus. S’il s’agit de savoir si une substance est
allergène, nocive, ou une pensée néfaste, le bras s’abaisse, comme
pris de faiblesse.

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L’histoire
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La thérapie s’est ensuite divisée en de nombreuses branches, de l’élève


de Goodheart nommé John Thie (1933-2005), qui en fit une méthode
de bien-être, le Touch for health, au couple Dennison qui a construit
une méthode pédagogique appelée Brain Gym, en passant par David
Hawkins qui, ayant reçu son don en 1965 directement d’un archange,
s’est battu jusqu’à sa mort (2012) pour faire de la kinésiologie appliquée
une méthode de détection des mensonges. En France, les deux écoles
principales sont à Grenoble (l’Institut de formation de kinésiologie
appliquée de Freddy Potschka) et à Paris (l’École de kinésiologie et
méthodes associées de Jean-Claude Guyard).

Mode de découverte : ambigu.


Scientificité de la découverte : nous ne connaissons aucune étude
scientifique publiée par le fondateur.
Principe théorique non étayé : la méthode aurait la capacité de
détecter les traumatismes inconscients, les messages du corps et les
allergies, et de les résoudre au moyen d’un flux d’énergie curative
libérée et rééquilibrée.

Rolfing (1971)
Ida Pauline Rolf (1896-1979) (États-Unis)
Ida Rolf, une des premières femmes étasuniennes à obtenir un
doctorat de biochimie, entreprit une réflexion sur les médecines
non conventionnelles après avoir bénéficié du traitement d’un
ostéopathe suite à une chute de cheval. Empruntant à l’homéo-
pathie, l’ostéopathie et le yoga, elle fonda le principe d’intégration
structurale, qui prendra plus tard le nom de Rolfing, selon lequel
la posture et le mouvement seraient strictement soumis aux lois de la
gravité. Le Rolfing prit réellement forme lors de l’établissement
du Rolf Institute of Structural Integration, en 1971, où la technique
enseignée consiste à rétablir, notamment par des massages profonds
réalisés par le thérapeute, un espace suffisant entre les muscles et
leurs enveloppes de tissu conjonctif (les fascias) qui les enveloppent
pour permettre une fonction musculaire et posturale optimale.

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Mode de découverte : peu clair. Selon nos recherches, c’est un


mélange entre son histoire personnelle et la synthèse des hypothèses
développées par des thérapies qui l’attirèrent.
Scientificité de la découverte : pas d’étude scientifique publiée.
Principe théorique non étayé : l’action manuelle entraînerait une
modification de la configuration du muscle dans son enveloppe,
et par conséquent une amélioration de l’état de santé des patients.

Toucher thérapeutique (TT), parfois Non-Contact Therapeutic


Touch (NCTT) (1972)
Dolores Krieger (1921-) et Dora van Gelder Kunz (1904-1999)
Dora Kunz était occultiste et guérisseuse intuitive, présidente de la
société de théosophie57 des États-Unis de 1975 à 1987, et habituée
des communications avec les fées dans Central Park, dont elle fit
un livre, The Real World of Fairies (Le vrai monde des fées) (1977).
En ce début des années 1970, l’infirmière Dolorès Krieger avait
Dora Kunz pour guide spirituel. Important les « visions » de Dora
dans le milieu infirmier, vers 1972 Krieger reçut l’aide de la Société
étasunienne de théosophie pour développer sa pratique, en l’occur-
rence dans un petit centre de retraite de la Theosophical Society,
appelé Pumpkin Hollow ou PHRC pour Pumpkin Hollow Retreat
Center, dans les collines de Berkshires, état de New York. Pas de tests
scientifiques au départ, mais un florilège de témoignages validant
la méthode que Dora Kunz convoque d’un Orient très ancien :
la technique serait basée sur le principe pranique, le Prãna étant
présumé être un souffle vital respirant, principe vital vanté dans
certaines formes de mysticisme hindouiste, notamment dans les
fameuses Upanishad. Tout être vivant posséderait ainsi un « champ

57 La Société théosophique est une association d’inspiration néo-­spiritualiste,


créée en 1875 par Helena Blavatsky et le colonel Henry Olcott. Elle enseigne
un syncrétisme liant le bouddhisme, l’occultisme l’ésotérisme et des
éléments empruntés à divers autres traditions religieuses. Fortement
mystique, elle fut entre autres l’antichambre de l’anthroposophie de Rudolf
Steiner (cf. chapitre 4, « Comme le saumon, à la source tu remonteras »).
Pour en savoir plus, Mahric & Besnier, ouv.cit.

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L’histoire
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d’énergie »58, une aura, dans la lignée des textes yogi anciens, et que
la paume de la main serait un chakra, changeant de couleur selon
l’état de santé. Ainsi quelqu’un d’exercé pourrait réajuster le champ
d’énergie de la personne, et donc la guérir. En 1977, Mme Krieger
fonda la Nurse Healers-Professional Associates International (NH-PAI)
qui encadre la pratique. Un premier ouvrage voit le jour, intitulé
Therapeutic Touch : How to Use Your Hands to Help and to Heal (Le
toucher thérapeutique : comment utiliser vos mains pour aider et guérir)
(1979). Cette technique connaît, notamment outre-atlantique, un
succès formidable auprès des infirmiers et infirmières, probable-
ment dû à ses fortes prétentions, inversement corrélées à la durée
de formation (environ trois jours).

Mode de découverte : peu clair.


Scientificité de la découverte : pas d’étude scientifique produite
par les fondatrices. L’analyse globale des articles disponibles jusqu’en
1996 pour le National Council Against Health Fraud (NCAHF) par
l’infirmière Linda Rosa se conclut ainsi :
« Plus la structure de l’étude était rigoureuse, plus les analyses statis-
tiques étaient détaillées, et moins il y avait d’évidence d’observation
– ou observable – d’un phénomène quelconque. » (Rosa, 1996).

En 2006, Owen Hammer and James Underdown du Independent


Investigations Group se penchèrent sur les enseignements divers
délivrés aux infirmiers californiens, et présentèrent leur rapport au
California Board of Registered Nursing (CBRN) comprenant une
démonstration réfutant la validité du toucher thérapeutique. Le
CBRN ne changea absolument rien à ses directives et contenus.

Trois anecdotes :
- La JREF (James Randi Educational Foundation) propose depuis
plus de quinze ans une somme frôlant puis dépassant le million

58 Pour les puristes, parmi lesquels notre ami enseignant de sciences phy-
siques Stanislas Antczak, « champ d’énergie » est en soi un non-sens
physique (un champ étant intensif, une énergie extensive). Même si ça
laisse nombre d’entre nous perplexes, en toute rigueur devrait-on parler
de « champ de densité volumique d’énergie »..

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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de dollars à Dolorès Krieger pour montrer l’existence du fameux


champ énergétique. Elle n’a jamais répondu. Ces refus lui ont valu
de recevoir en 1998 le prix IgNobel (prix parodique décerné à des
personnes dont les découvertes peuvent apparaître bizarres, drôles
ou absurdes) en sciences de l’éducation.
- En 1999 la fille de Linda Rosa, Emily, devint la plus jeune publiante
du Journal of American Medical Association (JAMA), en réalisant
à l’âge de neuf ans un protocole expérimental en double aveugle
sur le toucher thérapeutique (Rosa et al., 1999)59.
- Les défenseurs du toucher thérapeutique affirment que si l’on ne
peut prouver que le champ d’énergie existe, c’est parce que nos
technologies ne sont pas adaptées pour le capter, et surtout, que
le phénomène relève de la physique quantique. Ainsi l’auteur
Rebecca Witmer explique que :
« les principes sous-jacents sur lesquels cette technique est basée
incluent l’acceptation du paradigme d’Einstein, celui d’univers
complexe fait d’un champ d’énergie (par exemple, l’existence
d’une énergie vitale qui circule à travers et autour de nous
tous). Par conséquent, si la vie est caractérisée par un échange
de différentes qualités d’énergie, on peut supposer que toute
forme d’obstruction – soit au sein de l’organisme, soit entre
l’organisme et l’environnement – est contraire aux tendances
de la nature et donc malsaine ». (Witmer, 1995).
Il s’agit bien sûr d’une libre adaptation très arrangée de la théorie
d’Einstein (cf. chapitre 6, Collector « Soin & kiné », à propos de
l’argument quantique ainsi que dans Monvoisin, 2013).

Principe théorique non étayé : la détection présumée, au moyen


des doigts et sans contact, d’une hypothétique aura, ou champ
magnétique entourant le corps, permettrait un rééquilibrage de
celle-ci, et donc une guérison.

59 Un beau résumé avec critiques est disponible sous la plume du mari de


Linda, et beau-père d’Emily, Larry Sarner, ‘‘The Emily Event, Emily Rosa and
the Therapeutic Touch Wars.’’ Skeptic magazine (1998).

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L’histoire
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Fasciathérapie MDB (1980)


Danis Bois (1949-) (France)
La thérapie par les fascias regroupe un certain nombre de techniques
centrées sur les fascias, ces membranes fibreuses qui recouvrent ou
enveloppent les structures anatomiques. La particularité de ces
méthodes est de situer dans les fascias des tensions, des déséquilibres
pouvant aussi bien être anatomiques que psychologiques, allant
fouiller les tréfonds de l’« inconscient ». Trois grandes branches se
disputent le terrain, dont la plus connue est la fasciathérapie Méthode
Danis Bois, brevetée et d’inspiration relativement mystique : dans
les années 1980, Danis Bois fut le disciple de Ram Chandra, à
l’origine du mouvement Shri Ram Chandra Mission, décrit comme
« mouvement sectaire orientaliste de plus de 2 000 adhérents » dans
le premier rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur
les sectes en 1995. Danis Bois indique dans l’un de ses ouvrages
que le premier à avoir parlé du « mouvement interne », base de la
fasciathérapie, est Ram Chandra. Ces éléments ont fait l’objet d’un
rapport au Sénat remis en mars 2013 (Mézard, 2013, audition
d’Olivier Hertel p. 234).
Citons également la fasciapulsologie du français Christian Carini
(Carini, 1995), ainsi que le Rolfing.

Nous avons encadré le mémoire de recherche d’une étudiante en


kinésithérapie sur la fasciathérapie MDB, en cherchant les preuves à
l’appui de la méthode (Darbois, 2012). Les rares essais cliniques, pour
ne pas dire le seul développé (Quéré et al., 2009) sont lourdement
biaisés. Le titre de fasciathérapeute n’est pas protégé et depuis 2012
le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes indique
dans son avis du 22 juin 2012 relatif à la fasciathérapie que l’usage
du titre de fasciathérapeute par un kinésithérapeute relève de la faute
professionnelle.

Mode de découverte : selon nos recherches, méthode découverte


« en soignant ses patients ».
Scientificité de la découverte : pas de publication scientifique du
fondateur. Plusieurs mémoires et thèses sont publiés par l’intercession

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de l’entreprise « Université privée Fernando-Pessoa ». Deux articles


sont indexés dans la base de données Pubmed : le premier, de qualité
médiocre, étudie l’effet de la technique sur des paramètres traduisant
la fonction vasculaire ; l’autre tente de préciser les mécanismes en
jeu dans le premier. À notre connaissance, aucun essai clinique de
grande envergure et dénué de biais méthodologiques n’a été publié.
Principe théorique non étayé : les tensions, anatomiques, psycholo-
giques ou « inconscientes », seraient situées dans les tissus conjonctifs
(fascias) qui garderaient une mémoire tissulaire des agressions. La
santé viendrait en rééquilibrant ces fascias.

Haptonomie (1980)
Frans Veldman (1921-2010) (Pays-Bas puis France)
De haptein qui signifie le toucher, le contact, et de nomos, règle, loi,
norme, définie comme « science » du toucher affectif ou « science » du
contact psychotactile, cette technique est particulièrement répandue
dans le cadre périnatal français et hollandais, et largement présentée
dans les hôpitaux publics en préparation à l’accouchement. À l’origine
de cette technique, Frans Veldman, « thérapeute » néerlandais, posa
sa « théorie » de contact psychotactile par analogie avec les trains de
la mort. Selon beaucoup d’auteurs, dont la célèbre Catherine Dolto,
fille de la psychanalyste Françoise Dolto et du kinésithérapeute Boris
Dolto60, est la principale promotrice de la méthode :
« Frans Veldman a vécu dans un wagon où des humains étaient
entassés comme des animaux des échanges d’une telle profondeur
et intensité qu’après s’en être échappé il a décidé de consacrer sa
vie à développer et comprendre ce que les humains pouvaient
gagner à la compréhension de ces échanges non verbaux »
(Dolto, 2005).
L’analogie avec l’expérience des trains de la mort durant la seconde
guerre mondiale ayant été utilisée plusieurs fois comme expérience
décisive pour d’autres auteurs, parmi lesquels le suspecté plagiaire

60 Catherine est donc la sœur du chanteur populaire Carlos, Jean Chrysostome


Dolto de son vrai nom et kinésithérapeute de profession.

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L’histoire
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Bruno Bettelheim61, nous nous sommes méfiés d’une histoire tant


de blanc cousue. Beaucoup prêtent à Veldman une déportation
(ainsi qu’une évasion) : à la suite d’expériences vécues lors de sa
déportation (de Tychey, 2004, p. 37) ; exactement les mêmes mots
chez Caroline Eliacheff et Myriam Szejer (2003) ; on trouve chez
Dolto le récit suivant :
« Frans Veldman a eu l’intuition de ce que serait l’haptonomie
lors d’un moment tragique de sa vie. Il racontait comment il
avait pu s’évader d’un wagon de déportés grâce à un échange de
regards avec un soldat polonais, sans qu’un mot ne soit prononcé
entre eux. Dans ces wagons, il disait avoir vu des gens sortir
d’eux-mêmes la plus grande humanité et la plus grande beauté.
Une fois sauvé – il était jeune médecin –, il éprouva le besoin
d’étudier l’importance de l’affectif, de cette communication
qui est en deçà et au-delà de la parole, et surtout les moyens
d’éviter aux humains d’être acculés au tragique pour trouver en
eux cette fraternité. » (Dolto, 2003).
Enfin, selon Max Ploquin (médecin gynécologue de Châteauroux,
haptothérapeute et psychanalyste lacanien) :
« Frans Veldman est un médecin hollandais, qui, déporté en
1943, se trouvait dans un wagon plombé avec 86 personnes.
Beaucoup de promiscuité, impossible de s’étendre pour dormir,
un petit coin dans le wagon pour les besoins humains, deux
ou trois morts pendant le voyage. Frans Veldman a demandé
aux gens de s’accepter, d’accepter le corps de l’autre qui vous
touche de trop près, de comprendre comment on peut vivre
ensemble ». (Ploquin, 2010).

Nulle trace de cette histoire ailleurs que chez Catherine Dolto et


Max Ploquin (malheureusement décédé en 2012). Catherine Dolto
a été contactée, mais sans réponse.

61 Outre ses méthodes brutales, Bettelheim a plagié certains travaux. Ainsi,


Psychanalyse des contes de fées (1976) a été dénoncé par l’anthropologiste
Alan Dundes (1991) comme étant un plagiat de A Psychiatric Study of Myths
and Fairy Tales: their origin, meaning, and usefulness (1974) de Julius Heus-
cher. Pour en savoir plus, Pollak (2003).

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Aucun élément biographique ne nous a permis de vérifier s’il a été


médecin (il semble que non), ni s’il a été déporté (cela semble très
peu probable).

Le centre de formation CIDRH de Veldman, qui a déposé la marque


haptonomie authentique, est lui-même plus nuancé :
« Après avoir été confronté à des expériences déshumanisantes
en rapport avec la déportation »
« la réflexion de Frans Veldman face aux trains de la mort qui
emportaient les déportés pendant la guerre ».
À en suivre le centre de formation de Frans Veldman lui-même, c’est
probablement plus sur l’intuition qui lui vint en pensant aux déportés,
que sur une expérience de promiscuité qu’il n’a en tout état de cause
pas vécue, qu’est née la méthode. Que l’histoire soit fausse n’est pas
important, sauf lorsque toute la théorie repose sur l’analogie de départ.
L’absence d’autres faits empiriques étayant l’analogie nous laisse penser
qu’il avait décidé de sa théorie en amont, et ne fit que chercher les cas
la corroborant. Frans Veldman publia en 2004 Haptonomie. Amour
et raison, et haptonomie, Science de l’affectivité en 2007.

Mode de découverte : analogie avec l’isolement sensoriel des


déportés.
Scientificité de la découverte : il n’existe pas de publication scien-
tifique par Veldman sur le sujet.
Principe théorique non étayé : un contact dit « affectivo-psycho-
tactile » aurait des effets bénéfiques sur la santé

Microkinésithérapie (1980)
Daniel Grosjean (1938-) et Patrice Bénini (1948-)
La microkinésithérapie est une technique fondée par deux kinési-
thérapeutes français, Daniel Grosjean et Patrice Bénini. Grosjean
suit initialement un cursus de théologie en France et aux États-Unis,
avant d’obtenir en 1969 un diplôme en kinésithérapie puis, quelques
années plus tard, en ostéopathie. Il s’associe à Patrice Bénini, lui
aussi kinésithérapeute (diplômé en 1974) et ostéopathe, pour poser

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L’histoire
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les bases de la microkinésithérapie au début des années 1980 (les


premiers ouvrages publiés par le duo datent de 1984). Les postulats
et techniques thérapeutiques microkinésithérapiques émergent alors
que les fondateurs constatent une faible persistance des effets obtenus
par les techniques ostéo-kiné qu’ils pratiquent. Ils en concluent qu’il
faut remonter à « la source de l’événement fauteur de trouble, ce que
l’on nomme l’étiologie ». La consonance vitaliste de ladite théorie a
déjà été abordée (cf. Racines et contexte, dans ce chapitre).

Mode de découverte : selon nos recherches, méthode construite


« en soignant leurs patients ».
Scientificité de la découverte : pas d’étude scientifique publiée.
Principe théorique non étayé : un choc émotionnel ou physique
entraînerait une modification de prétendus rythmes tissulaires ; la
détection manuelle et le rééquilibrage de ceux-ci apporteraient une
amélioration de l’état de la personne.

Biokinergie (1983)
Michel Lidoreau (1956-) (France)
La biokinergie est un mélange de médecine traditionnelle chinoise,
d’ostéopathie dans son versant énergétiste et de massage, inventée
par le kinésithérapeute et ostéopathe Michel Lidoreau. Celui-ci
aurait découvert que des « enroulements tissulaires » se formeraient
en lien avec des perturbations d’ordre énergétique, laissant des
empreintes « conflictuelles imbriquées » qui seraient à l’origine de
blocages osseux. C’est une méthode très proche de la fasciathérapie.
À notre connaissance il n’existe pas d’étude montrant les fameux
« enroulements biokinergiques spiralés et perpendiculaires à l’axe
du corps ». Cependant les biokinergistes revendiquent la filiation de
deux travaux montpelliérains, celui du Dr Odile Auziech (Auziech
1984, 1985), en particulier sur l’auriculothérapie et les points d’acu-
puncture, et celui du Pr. René Sénelar (Sénelar & Auziech, 1989),
dont aucun ne fit l’objet d’un article scientifique. Le premier livre
citant explicitement la biokinergie est celui de Michel Lidoreau
(Lidoreau, 1989), mais le CERB, Centre de recherche et d’ensei-
gnement en biokinergie, fut fondé en 1983.

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Mode de découverte : obscur. Il aurait découvert sa théorie « en


soignant ses patients ».
Scientificité de la découverte : une seule publication scientifique
traite de l’efficacité scientifique d’une séance de biokinergie (Flore
et al., 1998). Cette étude est toutefois biaisée, surtout dans l’analyse
des données recueillies. Nous avons en vain cherché à obtenir ces
données auprès des auteurs (Michel Lidoreau et Patrice Flore) pour
reconduire une analyse.
Principe théorique non étayé : des « enroulements tissulaires » se
formeraient en lien avec des perturbations d’ordre « énergétique »,
imprimant des empreintes « conflictuelles imbriquées » qui seraient à
l’origine de blocages osseux. Des massages circulaires biokinergiques
permettraient de débloquer ces enroulements.

Conclusion
L’étude est claire : elle montre que la plupart des théories que l’on
présume anciennes sont au contraire de facture récente. Ont été
choisies à dessein des thérapies qui posent problème ou soulèvent
controverse. On notera que la prémisse de ces théories est souvent
mystique, ou théiste, et que le fondateur, souvent un homme,
suit des intuitions transcendantales, généralement sans prendre le
temps de donner des éléments de preuves. L’efficacité propre qui
pourrait expliquer l’enthousiasme de départ n’est pas montrée, ce
qui ramène la thérapie dans le marécage des thérapies basées sur les
effets contextuels tant que personne ne prendra soin de montrer des
éléments factuels. Quant à savoir pourquoi nous n’avons pas mis
de techniques efficaces, la réponse est aisée : la littérature sur ces
techniques est disponible dans les revues scientifiques.

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CHAPITRE 3

La « sociologie » de la pratique

« Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que
ça ne se vende pas… »

Coluche, Misère (1978)

F inie l’enquête archéologique des sources et des origines ! Nous voici


au temps présent. Cette partie de la recherche consiste à cerner la
présence et la distribution de la théorie, sous tous les aspects, qu’ils
soient institutionnels ou pratiques, et la proportion de professionnels
qui s’en réclament. Il ne faut néanmoins pas se tromper de travail.
Il ne s’agit pas de produire une réelle enquête sociologique, à moins
de travailler spécifiquement sur une problématique s’y référant62. Le
cas échéant, il faudra recourir aux techniques d’entretien qualitatives
ou quantitatives, et pour cela se tourner vers des sociologues. Notre
objectif est plus modeste, et vise à répondre à quatre questions. La
première d’entre elles peut se formuler ainsi : la théorie/technique/
méthode est-elle répandue dans notre pays et au-delà de nos fron-
tières, et si oui, quelle est son influence ? La deuxième question
cherche à déterminer quels sont sa reconnaissance mais aussi son
conventionnement dans les diverses institutions la promouvant. La
62 Ce fut le cas d’une recherche sur l’identification des critères récurrents à
l’adhésion des thérapeutes à des méthodes dites alternatives, par Philippe-
Antoine David (2013).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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troisième question s’intéresse à son enseignement. Est-il homogène,


universitaire ou seulement dispensé dans quelques sphères privées ?
Enfin il convient de se demander s’il existe un public professionnel
cible et une patientèle cible.

Distribution géographique et résonance

Répartition géographique
Enquêter sur la manière dont une technique se répand permet
de savoir si son succès est homogène, uniforme, ou hétérogène,
formant des îlots. Puisqu’en science, les résultats corroborés sont
amenés à faire consensus, une répartition hétérogène est un solide
indicateur de problèmes sous-jacents. Ces problèmes peuvent être
d’ordre administratif. Pensons par exemple à la réglementation
concernant l’ostéopathie, différente au Québec et dans les autres
provinces canadiennes, ou encore à la législation et au rembourse-
ment de l’homéopathie par le système de santé français. Ils peuvent
aussi être d’ordre scientifique, c’est-à-dire que la technique ne
fait probablement pas consensus, et ne séduit que dans les zones
d’influence du fondateur ou de ses élèves. C’est à notre avis le cas
de la microkinésithérapie, quasi exclusivement franco-française. Ces
contrastes de distribution invitent à se questionner : est-ce qu’il y a
eu stratégie, lobbying, opportunisme, utilisation politique (comme
dans le cas de l’acupuncture, voir plus bas), sociale ou humanitaire
(à l’instar de la dianétique63), etc. ? Est-ce parce que les critères de
reconnaissance institutionnelle sont plus ou moins poreux d’un
pays à l’autre ?

63 Méthode d’éveil spirituel développée par Lafayette Ronald Hubbard, fon-


dateur de l’église de Scientologie, visant à l’identification et à la réduction
systématique d’images mentales négatives inconscientes nommées
engrammes. Cette méthode, centrale en Scientologie, est classée comme
pseudoscience car elle n’est centrée sur aucun fondement connu. Pour en
savoir plus, on lira Gonnet (1998).

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La « sociologie » de la pratique
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Voici quelques exemples. Si l’on constate une forte représentation


d’une méthode essentiellement dans le monde anglo-saxon, cela
peut signifier que le livre fondateur n’a pas été traduit en une autre
langue que l’anglais. Cela peut être aussi un goût prononcé pour
les thérapies dites alternatives au sommet du pouvoir : le prince de
Galles Charles Windsor, par exemple, grand promoteur des CAM
(Complementary and alternative medicine), a été jusqu’à faire une
allocution pro-thérapies alternatives avec promotion de l’homéopathie
à l’Assemblée mondiale de la santé en 2006 (Weissmann, 2006) ;
chez Yahya Jammeh, le président de la Gambie prétendant guérir
aussi bien le SIDA que l’asthme (Vivant, 2007) ; chez Thabo Mbeki,
ancien président sud-africain, qui avec sa ministre de la santé Manto
Tshabalala-Msimang (surnommée Docteur Betterave en raison de ses
prises de position controversées au sujet du Sida, affirmant qu’une
alimentation saine à base de légumes, essentiellement de betterave,
permettait de combattre la maladie) présentait le Sida comme le
fruit d’un complot des pays « occidentaux » contre les pays pauvres,
mû par une volonté d’éradication lente d’une certaine population,
en l’occurrence la population noire.
Il peut s’agir de modes. On dit que la MTC, ou médecine tradi-
tionnelle chinoise, est semble-t-il proportionnellement plus goûtée
en Europe ou aux États-Unis qu’en Chine (An & Nanfang, 2005),
vraisemblablement à cause de la recherche d’exotisme chez un public
friand d’orientalisme (cf. Mode exotique, dans ce chapitre). Il arrive
même que certaines modes soient quasiment des produits politiques.
Ainsi le grand boum donné en 1971 dans les pays « occidentaux »64
à l’acupuncture doit beaucoup au contexte. James Reston, journa-
liste du New York Times, en visite en Chine avec sa femme, déclara
sur place une appendicite. Opéré à l’hôpital à Pékin, il reçut du
docteur Li Chang-yuan des soins antalgiques postopératoires par
injection et par acupuncture, et vanta les mérites présumés de cette
dernière dans un article célèbre. Comme le détaille Kimball Atwood

64 Occidental est une notion géographiquement inexacte et politiquement


imprécise. Généralement, ce mot recouvre les pays qui remplissent deux
critères : de tradition judéo-chrétienne et de modèle économique capitaliste.
Sur ce point, se référer à Argumentum ad exoticum (cf. chapitre 6, Collector
« soin et kiné »).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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(Atwood, 2009), nombre de journalistes reprirent à tort que c’est


l’anesthésie de l’opération qui avait été réalisée par acupuncture,
ce qui est bien sûr inexact – il suffit de lire l’article de Reston
(Reston, 1972) – mais merveilleusement propice au rapprochement
souhaité tant par Richard Nixon que par Mao Zedong entre la
Chine et les États-Unis.

Extension régionale
Il arrive que même dans le pays d’origine la répartition ne soit pas
homogène. En France métropolitaine, même s’il n’existe pas à notre
connaissance de données précises sur le plan régional, un certain
nombre de techniques thérapeutiques New Age ont une représenta-
tion particulièrement forte dans les pays de Savoie et autres régions
frontalières de la Suisse. Les barreurs, coupeurs de feu et tenants du
« secret », qui proposent de faire disparaître les brûlures d’un simple
coup de téléphone, semblent très présents en Suisse, en Rhône-Alpes, et
particulièrement en Haute-Savoie (Perret, 2009)65, alors qu’ils paraissent
moins connus dans le Sud-Ouest de la France par exemple. Reste à
savoir pourquoi : s’agit-il d’une influence locale des fondateurs ou des
continuateurs les plus actifs – Paris et Grenoble pour la kinésiologie
appliquée, l’Est de la France pour la microkinésithérapie ? Est-ce
une plus ou moins grande libéralité, sinon un relatif laxisme dans
les critères d’acceptation des méthodes dans les services hospitaliers
ou dans les écoles de kinésithérapie ? Si un centre hospitalier comme
celui de Thonon-les-Bains est plus permissif et fait une promotion des
barreurs de feu, il est compréhensible que ce soit plus volontiers les
Savoies que les Poitou-Charentes qui en entendent parler. Si l’hypnose
médicale (en toute rigueur il faudrait parler d’hypnosédation) est bien
connue en Belgique, cela est probablement dû à l’implantation de
Marie-Élisabeth Faymonville au service d’anesthésie de l’hôpital de
Liège. Gardons-nous toutefois du centrisme métropolitain : pensons
que la France politique dépasse largement les frontières européennes.

65 Par souci de rigueur, précisons que cette thèse de Nicolas Perret est très
complaisante avec son objet, et n’a pas cherché d’explication alternative
non surnaturelle, alors qu’il en existe.

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La « sociologie » de la pratique
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Ainsi la variété des départements-territoires-collectivités d’outre-mer


laisse présumer d’une hétéro-répartition des techniques manuelles, de
la Guyane à Mayotte, des Antilles à Wallis et Futuna, de Saint-Pierre
et Miquelon à la Nouvelle-Calédonie.

Reconnaissance et conventionnement par les


institutions
Le niveau de reconnaissance institutionnelle d’une thérapie dans
une société est un indicateur à plusieurs niveaux. Cela indique primo
qu’en passant une frontière le niveau de reconnaissance peut changer,
secundo qu’il y a parfois plusieurs institutions concurrentes, et tertio
qu’il peut y avoir des formes de lobbying envers ces institutions (cf.
Reconnaissance et conventionnement par les institutions, dans ce
chapitre). Lorsqu’il s’agit d’un médicament (non homéopathique66),
une procédure complexe de validation est prévue avant que le
fabricant obtienne une autorisation de mise sur le marché. Cette
autorisation est délivrée par des institutions publiques nationales,
comme la Food and Drug Administration aux États-Unis, l’Agence
fédérale des médicaments et des produits de santé en Belgique ou
Swissmedic en Suisse. En France, il s’agit de la toute fraîche Agence
nationale de sécurité du médicament et des produits de santé née
récemment sur les ruines de l’Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé créée en 1993. Le changement de nom,
en 2012, est censé marquer un changement de pratique, suite aux
graves mises en cause des conflits d’intérêts de certains membres de
l’agence dans l’affaire Mediator (Frachon, 2010).
Lorsqu’un fabricant souhaite commercialiser un médicament sur une
zone géographique regroupant plusieurs pays, des agences sont char-

66 En effet, exception notable du millier de médicaments homéopathiques qui


ont une Autorisation de mise sur le marché allégée et n’ont pas, aussi sur-
prenant que cela puisse paraître, à faire preuve de leur efficacité. Comme
l’indique le Community code relating to medicinal products for human use de
l’Union européenne, « le critère d’efficacité ne s’applique pas aux produits
homéopathiques ».

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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gées de délivrer ces autorisations en tenant compte de la législation


de chaque pays membre. Dans l’Union européenne, c’est l’Agence
européenne du médicament qui se charge de ce genre de procédure.
Lorsqu’il s’agit de thérapeutiques manuelles, ça se complique et les
choses deviennent plus floues. Prenons le cas de la France. L’État
joue le rôle principal dans l’administration du système de santé. Il
participe au financement et promulgue les lois, décrets et arrêtés
permettant de réglementer les pratiques. Pour cela, il peut s’appuyer
sur différentes structures :

• L’Académie nationale de médecine. Bref historique, l’Académie


(royale tout d’abord) de médecine a été créée par Louis XVIII
en 1820, à la force du poignet du baron Antoine Portal qui fédéra
trois sociétés savantes médicales : l’Académie royale de chirurgie,
créée en 1731 qui en inspirera les statuts, la Société royale de
médecine, fondée en 1776, et la Société de la faculté de méde-
cine fondée par Joseph Ignace Guillotin, le papa de la guillotine.
L’Académie fut donc royale, puis impériale de 1851 à 1870, puis
nationale à partir de 1947. Elle a désormais un rôle de conseiller
du gouvernement pour les questions de santé publique. Elle
peut également, sans sollicitation préalable, émettre des avis ou
communiqués sur des points touchant la santé publique. Cette
structure étant la moins intriquée dans un réseau d’influences
politiques, c’est celle envers laquelle notre confiance va le plus
volontiers. Nous regrettons qu’à l’heure actuelle aucune structure
similaire n’existe dans le champ spécifique de la kinésithérapie ce
qui explique sans doute la portion congrue laissée à cette profession
dans tout l’édifice de la santé publique.
• La Haute Autorité de santé, créée le 1er janvier 2005. Ses missions
sont entre autres « d’évaluer scientifiquement l’intérêt médical des
médicaments, des dispositifs médicaux et des actes professionnels et
de proposer ou non leur remboursement par l’Assurance Maladie »
et « d’informer les professionnels de santé et le grand public et
d’améliorer la qualité de l’information médicale ».
• Les conseils ordinaux, Conseil national de l’ordre des médecins
et Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Ils

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La « sociologie » de la pratique
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sont constitués de professionnels élus par leurs pairs. Ces orga-


nismes doivent notamment veiller au maintien des principes de
moralité, de probité et de compétence indispensables à l’exercice
professionnel, ainsi qu’au respect des devoirs et obligations qui
incombent aux professionnels. En cas de dysfonctionnement, ils
sont habilités à sanctionner les professionnels en cause.
Soyons vigilants sur le fait que tous les organismes précédemment
cités orientent, plus ou moins ouvertement, les pratiques de santé. Si
prendre un avis consiste à se tourner vers ces institutions, il est plus
fréquent encore d’avoir affaire à des professionnels de santé dont la
formation et l’exercice dépendent directement de ces institutions.
Aussi s’abreuver à leur source soulève-t-il un certain nombre de
problèmes. Voici les cinq plus importants à nos yeux, qui nous empê-
cheront d’avaler tout cru tout rond ce que ces institutions dictent.

Une occultation des résultats des essais


On évalue à 57 % la proportion des essais cliniques réalisés pour
obtenir une autorisation de mise sur le marché qui ne sont pas publiés,
même lorsque l’autorisation est accordée (Lee et al., 2008). Cette
publication restreinte n’est pas anodine, et indique une prévisible
piètre qualité des médicaments récents, puisque les firmes qui les
produisent craignent assurément que l’accès aux données ne permette
aux critiques de les démolir… Peut-on parler, comme Elena Pasca,
de censure de plus de la moitié des essais cliniques ? (Pasca, 2012).
Pour bien appréhender cette problématique liée à l’autorisation de
mise sur le marché d’un médicament, il faut rafraîchir quelques
éléments : les agences du médicament sont largement financées
(souvent plus de 50 %) par les redevances versées par les industries
pharmaceutiques lors des demandes d’autorisation. Les agences
ont donc intérêt à se voir confier un maximum de demandes et
sont concurrentes pour l’obtention de ces redevances, ce qui ne les
pousse probablement pas à élever leur niveau d’exigence envers les
industriels demandeurs/financeurs. Quand bien même ces agences
souhaiteraient remplir honnêtement leur mission, elles n’ont pas la
capacité d’imposer aux industriels la réalisation d’études complé-

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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mentaires concernant l’efficacité ou les effets indésirables, et doivent


souvent composer avec la non-publication des données pour le res-
pect du sacro-saint secret industriel des firmes. Les délibérations et
décisions des agences restent d’ailleurs bien souvent confidentielles.
Pour finir de nous achever, souvenons-nous qu’au cas où une firme
trouverait une agence un peu trop regardante, elle peut tout à fait
retirer sa demande d’autorisation pour solliciter une autre agence
de son choix moins regardante, mais dont l’avis sera bien valable
en vertu des accords de reconnaissance mutuelle entre agences de
sécurité sanitaire (International Society of Drug Bulletins, 2001).

Des incohérences inter-institutions


Attardons-nous sur deux exemples proches des kinésithérapeutes
français. Le premier a trait à l’ostéopathie. En 2006, l’Académie
nationale de médecine a rendu dans son bulletin un avis tranché
en défaveur de l’ostéopathie (Auquier et al., 2006) lorsqu’elle est
pratiquée en dehors du parcours de soins – pour rappel, les ostéo-
pathes ne sont pas des professionnels de santé au sens juridique du
terme. Cela n’a pas empêché le gouvernement français de publier
un an plus tard, le 25 mars 2007, un décret relatif aux actes et aux
conditions d’exercice de l’ostéopathie ne tenant nullement compte
de cet avis, puisqu’il officialise que les actes d’ostéopathie peuvent
être pratiqués par un professionnel justifiant du titre d’ostéopathe
sans qu’il soit nécessairement professionnel de santé.
Le second exemple est relatif à la microkinésithérapie. En
novembre 2010, le bulletin officiel n° 16 du Conseil national de
l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes indiquait dans sa rubrique
juridique de novembre 2010 que « jusqu’à preuve du contraire
[avec la microkinésithérapie] nous sommes dans le domaine de la
masso-kinésithérapie ». Cependant, le Journal Officiel du Sénat
du 30 octobre 2008 (page 2185) précise que cette thérapie se base
sur des techniques et hypothèses reconnues ni par la communauté
scientifique, ni par les institutions de santé. Le code de déontologie
du kinésithérapeute mentionne en outre dans son article R4321-87
que « Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au

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La « sociologie » de la pratique
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patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger,


un produit ou un procédé, illusoire ou insuffisamment éprouvé ».
On peut également s’étonner du guide du Conseil national de l’ordre
des masseurs-kinésithérapeutes faisant réclame plusieurs années
de suite, entre autres thérapies controversées, de formations à la
microkinésithérapie (ou la réflexothérapie, par exemple).
Il faut toutefois reconnaître que les choses évoluent puisque, durant
la rédaction de cet ouvrage, une commission de vigilance sur les
pratiques s’est constituée au sein de l’ordre, invitant à y siéger le
Collectif de recherche transdisciplinaire Esprit critique & Sciences,
collectif de recherche auquel nous appartenons. Deux communi-
qués récents, les avis du Conseil national de l’ordre des masseurs-
kinésithérapeutes (CNOMK) du 20 et 21 mars 2013 relatif à la
microkinésithérapie et du 22 juin 2012 relatif à la fasciathérapie
marquent en effet la distance récente prise par l’institution envers
ces thérapies. On peut tout de même rester perplexe parfois : dans
un cas, la fasciathérapie MDB (Méthode Danis Bois), le CNOMK
rappelle clairement que l’usage du titre de fasciathérapeute MDB
par un kinésithérapeute est une faute professionnelle ; dans l’autre,
la microkinésithérapie, il est plus « discret ». Dans ces deux cas, que
l’on soit patient ou professionnel de santé, on est perdu.

Une sensibilité à l’influence des corporations


Méfiance ! Il peut s’avérer sensible de toucher à certains groupes
professionnels de santé. Pour une institution, il est d’autant plus
difficile d’émettre un avis défavorable sur une thérapie que cette
thérapie est fortement représentée dans le corps professionnel – sans
compter les rhétoriques faciles ou complotistes que cela développera
chez les défenseurs de la méthode. On assiste à cela dans le champ
de la psychologie clinique, où il a fallu attendre de graves dérives
pour qu’en 2010 on légifère enfin sur le statut de psychothérapeute
(cf. Remue-méninges : le mot psy, dans ce chapitre). Le statut de
psychanalyste, quant à lui, n’est pas aussi clair qu’on pourrait le
penser. L’enseignement des aspects théorique et pratique du freu-
disme ou du lacanisme, considérés comme désuets presque partout

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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dans le monde, n’est garanti par aucun cursus universitaire. Dans


le monde des thérapies manuelles c’est à peu près pareil : c’est à la
pression des ostéopathes, et non à la scientificité de leur production
que l’on doit la législation de la reconnaissance par le gouvernement
de Dominique de Villepin (décret du 25 mars 2007) de l’exercice
de l’ostéopathie (et dans la foulée de la chiropraxie).

Une dépendance industrielle fortement marquée


Les professionnels de santé sont un public cible à séduire pour les
industries qui ont développé des activités de visite médicale et de
promotion. Les relations entre professionnels et industriels sont
complexes à analyser. Disons qu’elles s’échelonnent grossièrement
sur quatre niveaux.

• La visite médicale chez les professionnels de santé installés.


Les industriels dépêchent des délégués médicaux, plus connus
sous le nom de visiteurs médicaux ou représentants médicaux (au
Canada). Véritables VRP (voyageurs représentants placiers), ils
viennent sur le lieu d’activité du professionnel, cabinet, hôpital,
pharmacie, que ce soit une activité salariée ou libérale, proposer
un discours promotionnel extrêmement rôdé. Ces visites qui n’ont
d’autres objectifs que publicitaires, (le Code de la santé publique
considère la visite médicale comme relevant de la « publicité »)
sont d’autant plus agréables qu’elles peuvent s’assortir d’une plé-
thore de cadeaux, allant du bloc-notes estampillé67 par l’industrie
aux congrès dans des îles lointaines. En France, d’après le LEEM
(Les Entreprises du Médicament)68, on dénombre, à la fin de
l’année 2012, 16 043 visiteurs médicaux, dont 87 % de femmes

67 Les « mouches », ces petits objets promotionnels, n’ont l’air de rien, mais
leur efficacité est redoutable et largement démontrée en psychologie
sociale comme un très bon moyen de commencer une escalade d’engage-
ment. À ce propos, on lira Joule & Beauvois (1987) et Cialdini (2004).
68 LEEM est un sigle pour les entreprises du médicament, se substituant en
2002 au syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP), probable-
ment en raison de la connotation négative des termes syndicat et industrie.

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(LEEM, 2013). En échange, se monnaye une forme de fidélité,


amplement documentée. Il y a en outre un second effet pervers
à ces visites : elles sont si bien rodées qu’elles donnent l’illusion à
bien des professionnels de suivre une formation continue, là où ils
n’ingurgitent qu’une incitation à consommer en plus de quelques
viennoiseries généreusement offertes. Rares sont les médecins, et à
plus forte raison les paramédicaux, à refuser les visiteurs médicaux.
Ce système d’information sur le médicament et les dispositifs de
santé coûte de l’argent, et même beaucoup d’argent, aux industriels
mais permet d’influencer les stratégies de prescription. Et ça marche
bigrement bien (Bras et al., 2007 ; Froisset, 2012 ; Lehmann,
2003). Les kinésithérapeutes n’échappent pas à ces démarchages
commerciaux agressifs qui les conduisent bien souvent à faire de
nouvelles acquisitions comme des appareils d’électrostimulation,
d’ultrason, d’analyse de la marche, etc. Le 21 juin 2011, l’inspection
générale des affaires sociales (IGAS), dans son rapport pour « une
réforme d’envergure de la pharmacovigilance » a recommandé la
suppression des visiteurs médicaux (que les Uruguayens et Argentins
ont le bon ton d’appeler des agentes de propaganda médica – agents
de propagande médicale)69, en dénonçant leur « rôle pervers, à la
fois inflationniste et contraire à la santé publique ». Proposition
(n° 51) fut faite de créer environ 1 700 postes de visiteurs publics,
non inféodés aux industries mais à la Haute Autorité de santé. À
l’heure où nous écrivons ces pages, seule la Suède a sévèrement
encadré les visiteurs médicaux : en 2005 furent signés des agréments
portant sur la limitation drastique de la visite médicale chez les
professionnels de santé du service public. Ces agréments se firent
entre l’Association suédoise de l’industrie pharmaceutique et la
fédération suédoise des landstingsfullmäktigen, équivalents de nos
conseils généraux, puis l’Association médicale suédoise, qui tient
lieu d’ordre des médecins, et enfin l’appareil gouvernemental
Apoteket AB, équivalent de notre Agence nationale de sécurité

69 Un excellent dossier de la revue Prescrire (qui, à notre connaissance, est la


seule financée par les abonnés sans subvention, ni publicité, ni actionnaire,
ni sponsor), est disponible gratuitement : Très influente visite médicale. Voir
bibliographie en fin d’ouvrage.

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du médicament et des produits de santé, ex-Agence française de


sécurité sanitaire des produits de santé, elle-même ex-Agence du
médicament70.

• L’intervention des industriels dans la formation continue des


professionnels.
Au-delà des informations fournies individuellement aux profes-
sionnels, les groupes pharmaceutiques et les fabricants de matériel
ou de dispositifs médicaux organisent et financent régulièrement
des sessions de formation continue, sous forme de congrès, de
symposium ou de séminaire. L’influence a lieu non seulement sur
le fond, en particulier via une présentation d’essais aux résultats
spectaculaires soigneusement sélectionnés et préférés à d’autres plus
critiques, mais également sur la forme avec des largesses auxquelles
nous sommes tous peu ou prou sensibles. Un autre moyen de
formation continue des professionnels est la presse scientifique et
professionnelle. Ici encore, les industriels occupent le terrain par la
publication d’articles ou l’insertion d’annonces publicitaires dans
toutes les revues scientifiques et professionnelles, avec une exception
notable, la revue Prescrire. En corollaire, l’information indépendante
est plus chère. Un abonnement à Prescrire coûte 280 euros par an.

• L’intervention des industriels dans la formation initiale des


professionnels.
Ces visites se font également jusque dans les écoles et instituts de
formation où s’entremêlent alors informations de santé et publicité.
Un nombre conséquent de Bureaux des étudiants (les fameux BDE)
voient leurs soirées festives financées ou aidées par des industries.
Avoir déclaré publiquement le financement des soirées festives des
étudiants de pharmacie de Grenoble par les laboratoires Boiron
a valu à l’un d’entre nous de se faire remonter les bretelles par le
doyen de l’UFR de l’époque. Comment ne pas s’interroger sur le
traitement qui sera réservé à la pseudo-théorie homéopathique à

70 L’un des derniers agréments date du 12 novembre 2010. Voir Shorthose


(2011).

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l’UFR (Unité de formation et de recherche) de médecine Lyon


Sud-Charles-Mérieux, composante de l’université Claude-Bernard
Lyon 1, lorsque le président de cette université est heureux de
convier le beau linge à la signature d’une convention officialisant
le financement à 50 % par les laboratoires Boiron de la rénovation
d’un amphithéâtre de trois cents places sur le site de Lyon Sud71 ?
La présence de partenaires privés comme le groupe pharmaceutique
Boehringer Ingelheim dans l’organisation du Congrès international
francophone pour les étudiants en physiothérapie et kinésithérapie,
ne laissera pas d’intriguer. Bien que cela dépasse la portée de cet
ouvrage, il est impossible de passer sous silence que ce genre de
partenariats hybrides est la conséquence directe des politiques euro-
péennes libérales, notamment l’Accord général sur le commerce des
services de 1994, permettant sous couvert de libre concurrence une
privatisation lente de l’enseignement et de la recherche publique.

• L’influence sur les organismes en charge d’orienter les poli-


tiques de santé.
Last but not least, un exemple de cette influence a été récemment
dénoncé par trente-six scientifiques du secteur public (Myers
et al., 2009) qui rapportent que l’European Food Safety Authority
et son homologue étasunien la Food and Drug Administration ont
rejeté des centaines d’études indépendantes montrant des dommages
causés par de faibles doses de bisphénol A72 et avoir retenu unique-
ment deux études, concluant à sa sûreté, financées par des groupes
ayant des intérêts dans la production de bisphénol A, en particulier
le Conseil étasunien des plastiques et le groupe polycarbonate/BPA
du Conseil étasunien de la chimie.

71 Signature d’une convention de partenariat entre l’université Claude Bernard


Lyon 1 et les Laboratoires Boiron, 20 avril 2009.
72 Pour mémoire, le bisphénol A est une espèce chimique utilisée pour la
fabrication de plastiques rigides comme le polycarbonate et certains revê-
tements. Il se trouve à l’intérieur de beaucoup de produits de consommation
courante (boîtes de conserve, canettes de boissons...) et présente des
propriétés de perturbation du système endocrinien désormais bien docu-
mentées depuis 2005.

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Des problèmes similaires d’influence et de lobbying ont été démon-


trés ailleurs (industriels du tabac, promoteurs du diesel, etc.), ce
qui, par effet boomerang, nourrit d’ailleurs une grande défiance du
grand public, signée par de nombreuses paranoïas sur tous les sujets.

Des conflits d’intérêts


Depuis l’affaire Mediator (Frachon, ouv. cit.), la littérature sur le
sujet du conflit d’intérêts explose.
« Il y a conflit d’intérêts lorsque les choix opérés par le médecin,
le chercheur ou l’expert dans un domaine essentiel comme le
bien-être du patient, l’intégrité de la recherche ou le bien-fondé
d’une recommandation, risquent d’être compromis de manière
significative par un objectif concurrent tel le gain financier,
la notoriété ou la capacité à lever des fonds de recherche »
(Jeanrenaud, in Guillod, 2009)73.
Sont bien connus les gains financiers ou en nature, bien sûr, mais il y
a toute une panoplie d’intérêts dits secondaires qui peuvent infléchir
le jugement d’un professionnel, même à son insu : reconnaissance
professionnelle, carrière académique, fonds de recherche, notoriété et
capital symbolique (récompenses, prix). La France est l’un des pays
d’Europe les plus laxistes en la matière, comme le montre Hirsch
dans Pour en finir avec les conflits d’intérêts (Hirsch, 2011) et nous
voyons avec plaisir des réformes très récentes, obtenues hélas seule-
ment au prix des patients victimes des « affaires » (Vioxx, prothèses
PIP, Médiator…). Parmi ces réformes, le 27 avril 2011 le Conseil
d’État a contraint la Haute Autorité de santé à abroger une recom-
mandation thérapeutique sur la prise en charge du diabète parce que
celle-ci ne pouvait pas prouver que chacun des experts ayant siégé
au sein du groupe de travail responsable de sa rédaction n’avait pas
de lien avec des entreprises pharmaceutiques intervenant dans ce
domaine. La notion de conflit d’intérêts commence à être analysée
jusque dans les autres agences. Ainsi en est-il de l’Agence nationale
de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du

73 On trouvera également les définitions légales sur le site de Transparency


international.

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travail (ANSES), créée le 1er juillet 2010, par la fusion de l’Agence


française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l’Agence natio-
nale du médicament vétérinaire (ANMV) et de l’Agence française
de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET).
L’ANSES a mobilisé son comité de déontologie spécifiquement sur
le conflit d’intérêts le 29 avril 2011.
Différents garde-fous ont été récemment institués en France, c’est
le cas de l’article L 4113-13 du code de la santé publique sur la
transparence de l’information médicale. Malheureusement, de nom-
breuses incohérences dans les textes laissent perplexes sur l’efficacité
de leur mise en application. Les conseils ordinaux se mobilisent
aussi, poussivement : poussivement car le problème n’est pris à bras-
le-corps que maintenant, alors qu’il est dénoncé depuis de longues
années. Ainsi le Conseil national de l’ordre des médecins a-t-il fait
des déclarations en octobre 2011 dans la synthèse de Jean-François
Cerfon, Conflits d’intérêts : pour restaurer la confiance l’Ordre préconise
des mesures réglementaires et législatives.
Le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, lui,
a traîné un peu plus la patte, ce que ne manquèrent pas de remar-
quer les chroniqueurs d’Actukiné, comme dans le texte de Pierre
Trudelle Où sont les déclarations potentielles d’intérêts des membres de
la commission ostéopathie du Conseil national de l’ordre des masseurs-
kinésithérapeutes ? (Trudelle, 2012). Au début de la rédaction de ce
livre, un document interne « encourageait », mais n’obligeait pas,
les Conseils régionaux et départementaux de l’ordre des masseurs-
kinésithérapeutes à faire signer une déclaration d’intérêt à tous leurs
membres. Malgré nos demandes, le Conseil national de l’ordre
des masseurs-kinésithérapeutes avait refusé de communiquer ce
document, pourtant tout à leur honneur. Depuis, les choses ont
évolué puisque les conseillers nationaux ont rendu publics leurs
conflits d’intérêts potentiels. Saluons cette initiative, d’autant plus
encourageante que les textes imposant les déclarations d’intérêt ne
s’appliquent qu’aux médecins et non aux personnels paramédicaux
(ni, hélas, aux autres chercheurs et experts économistes, en particu-
lier). On notera à ce sujet le remarquable travail de la revue Prescrire,
déjà citée, unique revue indépendante des industries, et celui de

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l’association Formindep (association pour une formation indépendante


des professionnels de santé) qui se bat pour une formation et une
information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui
de la santé des personnes, entre autres en proposant la signature
d’une charte appelant à faire cesser les influences conflictuelles.
Nous avons bien sûr souscrit depuis plusieurs années à cette charte
(reproduite en annexe n° 7).

« Qui reconnaît quoi ? »

Ne pas confondre reconnaissance et taux de remboursement


Illusion assez répandue chez nombre de non-spécialistes, un fort
taux de remboursement semble conférer une forte légitimité insti-
tutionnelle de la thérapie ou du médicament. À y regarder de plus
près, on constate vite que le taux de remboursement ne dépend pas
de la validité d’une technique mais bien d’une convention signée
entre un praticien et l’Assurance maladie. Rappelons que l’Assu-
rance maladie est une des cinq branches de la Sécurité sociale, une
extraordinaire organisation de gestion étatique de protection des
personnes vulnérables obtenue à l’arraché il y a peu, en 1945, au
sortir de la guerre, par le Conseil national de la Résistance en général
et par le savoyard Ambroise Croizat en particulier (Étievent, 2005).
Un professionnel de santé peut ainsi se conventionner ou non avec
l’Assurance maladie. S’il le fait, il s’engage à en respecter les tarifs
et en échange, ses patients bénéficient d’un remboursement des
actes par la Sécu. D’autres font le choix d’une pratique déconven-
tionnée, c’est-à-dire qu’ils pratiquent des honoraires libres mais
qui restent à la charge du patient : les fonds (publics, tirés de nos
impôts) de l’Assurance maladie ne sont donc pas sollicités. En gros,
il s’agit de deux modèles politiques différents : l’Assurance maladie
horizontalise publiquement l’accès aux soins, en particulier pour
les plus précaires. Plus libéral mais bien moins progressiste, le non-
conventionnement permet un choix libéral mais à plusieurs vitesses
dans le soin, il crée des soins de riches pour riches, inaccessibles

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La « sociologie » de la pratique
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aux petites bourses. Certes, nous entendons déjà des voix s’élever
pour défendre la pratique déconventionnée : elle semble offrir une
solution à la dévaluation du travail des professionnels de santé en
augmentant leurs revenus et diminuant leurs tracasseries adminis-
tratives, au rétablissement des comptes publics grâce aux économies
réalisées par l’Assurance maladie et même à l’amélioration des soins
du patient en l’impliquant d’avantage dans son traitement par sa
contribution financière… Ces remarques pourraient être recevables
si était maintenue en permanence une offre publique garantissant
un accès inconditionnel aux soins. Or, le nombre de professionnels
de santé sur le territoire est limité, et l’accès aux études de santé se
fait sous contrôle d’un numerus clausus, c’est-à-dire que le nombre
d’étudiants admis chaque année pour intégrer un cursus est théori-
quement déterminé selon les prévisions des besoins de santé futurs
de la population. Chaque professionnel qui va renforcer le rang
des déconventionnés appauvrit d’autant celui des conventionnés,
réduisant ainsi pour le patient peu fortuné le choix de son prati-
cien, et compliquant un peu plus la tâche quotidienne du collègue
conventionné… ce qui justifiera, ironie de l’histoire, son déconven-
tionnement prochain. C’est la dénégation de la solidarité sociale
acquise difficilement au moyen de la Sécurité sociale, par le Conseil
national de la Résistance, après 1945. Il est évident que, pour ceux
qui jugent qu’un accès inconditionnel aux soins est la base d’une
société moderne, le premier modèle, solidaire, est à défendre.

Ne pas confondre reconnaissance et blouse blanche


Pour le non-spécialiste, il est logique (mais regrettable) qu’une
technique utilisée par une personne en blouse blanche, et a fortiori
dans une institution reconnue comme un hôpital, en soit légitimée.
Il est dit que la blouse blanche aurait été revêtue à cet effet par des
commerciales de chez Nestlé dans des pays pauvres dans les années
1970 pour encourager la consommation de lait en poudre auprès
des femmes qui, allaitant leurs bébés au sein, plombaient le chiffre
d’affaires du groupe laitier suisse. Les commerciales déguisées en
infirmières persuadaient ainsi les mères de substituer les produits

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Nestlé au lait maternel, malgré une étude menée par des chercheurs
britanniques montrant la supériorité pour la croissance des nouveau-
nés du lait maternel sur le lait en poudre (Brisset, 1997).
Cet effet autoritaire de la blouse blanche74 joue aussi sur les profession-
nels. Un patient réclamant une thérapie loufoque fera certainement
sourire le kinésithérapeute, jusqu’au moment où ce patient déclare
que c’est son médecin traitant lui-même qui la lui a conseillée.
Dès lors, comme par magie, la thérapie loufoque devient un peu
moins loufoque. Les officines de pharmacie étalent une panoplie
de techniques pseudomédicales sans efficacité propre avérée et
gagnant d’autant plus de crédit que les pharmacies les proposent,
ce qui crée une sorte de prophétie auto-réalisatrice : les produits
se vendent d’autant mieux qu’ils sont proposés en pharmacie, et
les pharmacies les proposent d’autant plus qu’ils se vendent. Cet
échange, à bien y réfléchir, confine à l’arnaque car si le pharmacien
s’en sort et encaisse le montant, le patient, lui, repart avec un soin
qui lui semblera efficace bien que le produit lui-même n’ait pas
d’efficacité propre.
Effectivement, expliquer les notions de placebo à son patient peut
en partie atténuer les effets contextuels et autoritaires, comme
celui de la blouse blanche. Il nous paraît toutefois légitime et sou-
haitable de le faire, cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord cela
devrait augmenter la sympathie et la confiance du patient envers
son thérapeute, ce qui représente d’autres effets contextuels que
blouse blanche et placebo et qui ne sont pas du tout négligeables.
Ensuite, d’un point de vue global, il n’est pas éthique d’aggraver en
vue d’en jouer l’asymétrie qui existe déjà dans la relation de soin,
et de l’ancrer définitivement sur un mensonge.
Le débat est à peu près le même de nos jours dans les écoles de kiné :
faut-il accepter les affichages sauvages de thérapies non prouvées

74 Attention, on entend ici par effet blouse blanche l’effet psychologique, au


sens de celui notamment décrit suite à la célèbre expérience de soumis-
sion à l’autorité de Stanley Milgram (Milgram, 1963). L’effet blouse blanche
désigne aussi dans le langage médical l’effet physiologique provoqué par un
examen médical stressant : c’est par exemple le cas pour les personnes qui
voient leur pression artérielle et leur pouls augmenter à la vue du médecin
(Lantelme & Milon, 2000).

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La « sociologie » de la pratique
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sur les tableaux d’une école médicale ou paramédicale ? Faut-il ou


non présenter aux étudiants des techniques très en vogue, réclamées
parfois à grand cri, au risque de les légitimer au sein de l’institut de
formation ? Nous avons débattu de cette question maintes fois avec
les étudiants à l’orée de leur diplôme professionnels dans plusieurs
écoles de France, sous la forme de débats mouvants notamment, et
les discussions sont aussi captivantes que les positions sont parta-
gées75. D’un côté, il paraît nécessaire qu’un kiné connaisse la base
des techniques exigées par les patients, quand bien même seraient-
elles douteuses. Mais dans ce cas, plus qu’un enseignement de ces
techniques, c’est un enseignement de la critique de ces techniques
qui s’impose – et le thérapeute a pour devoir, moralement parlant,
de transmettre cette critique à ses patients, comme l’y invite son
code de déontologie.
D’un autre côté, on peut argumenter du fait qu’enseigner les méthodes
que les étudiants demandent tend vers le populisme pédagogique,
et entraîne une indexation des contenus d’enseignement aux modes
et aux courants idéologiques (cf. Modes, public et patientèle cible,
dans ce chapitre). On imagine mal en France les dégâts que fit et
fait encore un tel libéralisme de l’offre d’enseignement dans des
domaines comme les sciences de l’évolution, aux États-Unis entre
autres, où une forte proportion de gens réclame l’enseignement de
la Création divine (Brosseau & Baudouin, ouv. cit.). En France, on
entrevoit un peu plus ces dégâts dans la formation des travailleurs
sociaux, ou dans celle des psychologues, où un freudisme périmé
est omniprésent.
Le seul consensus auquel nous arrivons est celui-ci : oui, il faut
présenter les techniques, même inefficaces, à l’école, afin de ne
pas être démuni ou ignare en immersion professionnelle. Mais la

75 Un débat mouvant est une technique empruntée aux amis de la société


coopérative ouvrière de production (SCOP) d’éducation populaire française
Le pavé, qui permet à tous les membres d’une assemblée de prendre la
parole. En divisant une assemblée en deux parties autour d’une affirmation
polémique les participants doivent choisir leur « camp », séparé spatiale-
ment. Chaque camp a pour tâche de construire collectivement en un temps
imparti des arguments à proposer au camp adverse pour faire changer
d’avis, et donc de camp, le maximum d’individus.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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présentation doit être assortie d’une analyse critique approfondie, ce


qui reviendrait dans les faits à dispenser des cours d’esprit critique
et de méthode systématisés. Pour l’instant, dans le petit monde des
kinés, hormis une tentative balbutiante à Rennes, et une tentative
bringuebalante à l’Institut de formation des masseurs-kinésithéra-
peutes de Grenoble, il n’en existe à notre connaissance pas d’autre.
Il en existait de 2005 à 2007 en pharmacie à Grenoble, évincés
pour restrictions budgétaires. Jusqu’à aujourd’hui (décembre
2013), nous ne sommes jamais parvenus à installer de tels cours
ni chez les étudiants de médecine, ni chez les élèves infirmiers ou
sages-femmes.

Modalités de formation
Pour se faire une opinion objective sur une pratique, un moyen
efficace est de chercher quels en sont les contenus de formation :
sont-ils solidement établis, homogènes ? Qui les délivre ? Sans être
exhaustifs, voyons ici les trois principaux modèles de formation
des thérapies manuelles proches de la rééducation.

Les Instituts de formation en masso-kinésithérapie (IFMK)


L’exercice de la kinésithérapie en France est réglementé par le
Code de la santé publique. La formation initiale conduisant au
Diplôme d’État de kinésithérapeute, indispensable à l’exercice
professionnel, dure trois ans et le contenu d’enseignement, avec
volume horaire minimum et intitulés des matières est réglementé
par arrêté (du 5 septembre 1989). Les trois années de formation
initiale s’effectuent au sein d’instituts de formation agréés par le
ministère chargé de la santé. À la rentrée 2012-2013 on dénombre
quarante et un instituts dont seize (soit 40 %) sont publics. Vingt
d’entre eux sont privés à but non lucratif, c’est-à-dire que le paie-
ment des frais de scolarité par les étudiants sert au fonctionnement
de la structure sans qu’un quelconque bénéfice ne soit réalisé.
Cinq instituts sont privés à but lucratif entrant dans une logique

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La « sociologie » de la pratique
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d’entreprise et dont l’objectif par conséquent est la rentabilité76.


Cette disparité de statut des instituts de formation engendre de
fortes inégalités de traitements entre les étudiants, surtout en ce
qui concerne le coût des études. Dans la crainte de voir tous les
instituts de formation pénétrer une logique d’entreprise de type
capitalistique, et donc faire primer des questions de rentabilité
financière, il n’y a guère d’autre solution que défendre le carac-
tère public de la mission de santé (publique !) de formation des
professionnels de santé… Pour intégrer ces instituts, les étudiants
doivent passer un concours nécessitant généralement au moins
une année de préparation, ou une année de sélection sur classe-
ment après, au choix, une première année commune d’étude de
santé (PACES), de sciences et techniques des activités physiques
et sportives (STAPS) ou de sciences de la vie et de la terre (SVT).
Dans les pays francophones voisins, le déroulement des études est
légèrement différent. En Belgique, l’admission se fait au niveau
baccalauréat et les études se déroulent sur quatre ans. La forma-
tion se fait au sein d’universités ou de hautes écoles et comprend
environ 800 heures de cours par année et plus de 1 200 heures
de stages pratiques. En Suisse la formation présente grosso modo
les mêmes contenus qu’en France, dure trois années, et s’effectue
au sein des hautes écoles Spécialisées. Quant au Canada, quatorze
universités préparent au diplôme professionnel de la maîtrise en
physiothérapie (quatre d’entre elles – Laval, McGill, Montréal et
Ottawa – délivrent les cours en français) dont le programme est
fixé par une organisation professionnelle nationale (le Conseil
canadien de programmes universitaires de physiothérapie). Ce
diplôme en poche, les étudiants doivent généralement valider un
examen de compétence afin d’avoir une autorisation d’exercice
dans leur province.

76 À titre d’exemple, la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie


rapporte que l’IFMK le plus cher de France pour la rentrée 2009-2010 est
propriété d’un fonds de placement, Hardencourt Holding, dont les résultats
nets ne laissent aucun doute sur son caractère lucratif. Voir l’article Le
coût de la rentrée : du côté des étudiants kinés, FNEK (2009) et la version
actualisée (2012-2013). Voir netographie.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Les établissements de formation en ostéopathie et


chiropraxie77
En parallèle de cette voie que l’on pourrait qualifier de classique,
fleurissent des établissements d’obédience ostéopathique ou chiro-
practique. Ce n’est que depuis les années 2000 que l’exercice de
l’ostéopathie s’est vu réglementé en France et jusque-là, la formation
et la pratique de l’ostéopathie souffraient d’un vide juridique.
Sur l’ostéopathie d’abord : actuellement, en ne considérant que les
écoles ayant un agrément – sachant que certaines fonctionnent sans
agrément – on compte 74 établissements en France (à titre de com-
paraison on en compte 22 aux États-Unis, 10 en Grande-Bretagne)
dont seulement une quinzaine forme des praticiens « sérieux », de
l’aveu même de Philippe Sterlingot, président du syndicat français
des ostéopathes. Cela amena Le Figaro, sous la plume de Christine
Lagoutte, à titrer : « Il y a trop d’écoles d’ostéopathie » (18 juin 2012).
Seulement dix établissements sur les soixante-quatorze ont été
enregistrés au Répertoire national des certifications professionnelles
(RNCP) selon l’arrêté du 25 janvier 2011. Remarquons que même
pour un professionnel aguerri, les critères distinguant un agrément
(délivré par le ministère en charge de la santé) et un enregistrement
au RNCP (organisme placé sous l’autorité du ministre en charge de
la formation professionnelle) apparaissent bien nébuleux. Un rapport
de l’Inspection générale des affaires sociales intitulé Le dispositif
de formation à l’ostéopathie et datant d’avril 2010 reconnaît que la
procédure d’agrément des écoles d’ostéopathie est « contestable et
décrédibilisée » (Duraffourg & Vernerey, 2010).
Parmi tous ces établissements le volume horaire des études est très
variable, allant d’environ 2 500 heures à 5 000 heures, soit du simple
au double. Mais plus que sur des aspects purement quantitatifs de la
formation, il conviendrait de s’attarder sur l’analyse, souvent longue
et fastidieuse, de la qualité des études. Le rapport de l’IGAS sur le

77 Nous limitons ici notre analyse au système de formation français, mais


un esprit curieux pourra approfondir le sujet en compulsant l’étude docu-
mentaire sur les professions d’ostéopathe et de chiropracteur en Europe :
Belgique, Royaume-Uni, Suède, Suisse, publié par la Haute Autorité de santé
en 2006.

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La « sociologie » de la pratique
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dispositif de formation en ostéopathie permet de faire un premier


bilan des formations proposées. Il souligne notamment la forte
disparité des effectifs au sein des écoles, une formation assurée le
plus souvent par d’anciens élèves sans que la recherche scientifique
ne serve de support aux contenus et des enseignements fondamen-
taux relativement cohérents mais non harmonisés. Le point noir
du rapport est l’enseignement « proprement ostéopathique » pour
lequel « la quantité ne saurait suppléer à la qualité ». Il est pris pour
exemple « l’abondance des enseignements consacrés à l’ostéopathie
crânio-sacrée qui représente 136 heures [...] comme les 52 heures
consacrées à ‘‘la femme et l’ostéopathie’’ à l’intitulé manifestement
peu explicite » (Duraffourg & Vernerey, 2010, p. 33). Pourtant
l’ostéopathie crânio-sacrée, branche initiée par William Garner
Sutherland, est scientifiquement sans aucun fondement (cf. chapitre 2,
Ostéopathie).
Dans le sillage de l’ostéopathie, la formation à la chiropraxie vient
d’être réglementée en France. L’Assemblée Nationale a légalisé
l’exercice de la chiropraxie pour la France le 4 octobre 2001.
Le 19 février 2002, le Sénat a voté en deuxième lecture le texte de
la loi sur les droits des malades comprenant l’article reconnaissant
le titre de chiropracteur. Le 9 janvier et le 21 septembre 2011, sont
respectivement parus les textes encadrant l’exercice de la chiropraxie
et son enseignement. La durée de la formation est de 3 520 heures
minimum, dont 1 400 heures de pratique, et doit se faire dans des
établissements agréés. En France, seul l’Institut franco-européen de
chiropratique (IFEC), établissement privé à but non lucratif, est
agréé pour offrir une formation de 5 500 heures réparties sur six
années académiques. À notre connaissance il n’y a pas d’école non
agréée dispensant cette formation.
Les exercices de l’ostéopathie et de la chiropraxie sont encadrés en
Belgique par la loi sur les pratiques médicales non conventionnelles
du 29 avril 1999, plus connue sous le nom de loi Colla. Un « état des
lieux de l’ostéopathie et de la chiropraxie en Belgique », produit en
2010 par le centre fédéral d’expertise des soins de santé belge, indique
que le recours à ces thérapies est en forte croissance en Belgique.
La grande majorité des ostéopathes sont des kinésithérapeutes

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qui ont suivi un cursus d’ostéopathie et soutenu un mémoire. Les


formations organisées en Belgique ne sont pas contrôlées par un
organisme officiel et durent de quatre à six ans. Quant à la chiro-
praxie, la Belgique ne dispose pas d’école de formation et les élèves
doivent se rendre en France, au Royaume-Uni, au Danemark ou
en Suisse pour se former.
La Confédération suisse reconnaît également l’ostéopathie et la chiro-
praxie mais la réglementation de l’exercice est du domaine des cantons,
il est donc difficile d’en faire une généralité. L’exercice de l’ostéopathie
était jusqu’à présent subordonné à l’accomplissement de cinq années
d’études (environ 5 500 heures) et d’un stage pratique clinique de deux
ans sous la surveillance d’ostéopathes diplômés. L’ostéopathie est en
Suisse une profession de premier recours (c’est-à-dire accessible sans
prescription médicale préalable). Selon nos recherches, la formation
en ostéopathie devrait en 2014 être assurée par la Haute École de
santé de Fribourg qui a dans ses projets l’ouverture d’un Master en
ostéopathie. Une formation à la chiropraxie est quant à elle possible
à la faculté de médecine de l’université de Zurich : d’une durée de
douze semestres, cette formation conduit à un « doctorat » [sic] en
chiropraxie, après un cursus de Bachelor (l’équivalent de la licence en
France) en médecine et un cursus master spécifique en chiropraxie.
Outre-atlantique, la réglementation concernant l’exercice de l’ostéopa-
thie et de la chiropraxie est, comme en Suisse, dépendante des provinces.
Ainsi, le titre d’ostéopathe n’est pas protégé au Québec et aucune loi
ne réglemente sa pratique, alors que les autres provinces protègent au
moins le titre. Douze écoles forment à l’ostéopathie au Canada mais
de nombreux professionnels sont formés à la médecine ostéopathique
dans les universités étasuniennes. Les programmes d’enseignement en
chiropraxie sont agréés par la fédération chiropratique canadienne des
organismes de réglementation professionnelle et d’agrément des programmes
d’enseignement et doivent comporter au moins quatre à cinq années de
scolarité à temps plein (au moins 4 200 heures). Deux établissements
sont agréés pour délivrer cette formation sanctionnée par un titre de
docteur en chiropratique : le Canadian Memorial Chiropractic College,
à Toronto et l’université du Québec à Trois-Rivières.

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La « sociologie » de la pratique
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Les « chapelles »
Au-delà des trois professions blockbusters précédentes, plus ou moins
reconnues et réglementées, de nombreuses formations pour des
méthodes manuelles prétendant avoir un effet thérapeutique ou
préventif sont proposées, non seulement dans les médias et les
magazines grand public mais jusque dans les structures de formation
en kinésithérapie. Les modalités de recrutement et de formation
sont alors très variables. Voici quelques exemples de formations
complémentaires proposées aux professionnels.

• Microkinésithérapie
La microkinésithérapie est une technique manuelle de bilan et de
soin, très à la mode en France métropolitaine, qui vise à trouver,
dans l’organisme du patient, les « traces » d’événements traumatiques
somatisés, et de stimuler les zones concernées pour déclencher d’éven-
tuels mécanismes naturels d’auto-correction aptes à les éliminer. Ces
stimulations sont souvent sans contact, le thérapeute faisant flotter
ses mains au-dessus des tissus (cf. chapitre 2, Microkinésithérapie).
Pour se former à la microkinésithérapie, technique de M. Bénini
et Grosjean dont nous avons déjà parlé et qui n’a jamais apporté
la preuve d’une efficacité propre78, il existe une règle interne que
les microkinésithérapeutes se sont fixée, consistant à être néces-
sairement kinésithérapeute diplômé comme condition préalable
à cette technique mais la loi, elle, n’impose rien. La formation est
organisée par le Centre de formation à la microkinésithérapie, une
société à responsabilité limitée qui organise des stages de formation.
Pour passer l’examen, les professionnels doivent passer six jours de
formation de base, six jours de perfectionnement et deux jours de
stage d’application pratique. Il est stupéfiant de constater l’ampleur
des prétentions thérapeutiques acquises en formation tant sa durée
parait micro [scopique]. D’autres stages de formation, dits d’« exten-
sion » ou d’« approfondissement » sont ensuite accessibles pour se

78 À ce sujet, Une méthodologie d’approche des pratiques non conventionnelles : ap-


plication par l’analyse critique de la microkinésithérapie, mémoire de fin d’études
de Thibaut Rival, IFMK Grenoble, sous la dir. N. Pinsault & R. Monvoisin.

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perfectionner. Accessoirement, on rapporte l’existence de quelques


microkinésithérapeutes en Belgique, en Suisse et au Brésil, mais
dans des proportions faibles. La technique n’a qu’une entrée (en
langue française) dans Wikipédia (au 23 juillet 2013), ce qui est un
indice sur le fait que la méthode ne s’est pas popularisée hors de
son terreau, la France.

• Fasciathérapie MDB
La fasciathérapie MDB est une méthode manuelle qui comporte
généralement deux phases. Premièrement la phase d’évaluation, dont
l’objectif est pour le thérapeute de percevoir les rythmes spontanés
qui se manifestent dans les tissus conjonctifs des patients : grâce
à celle-ci, le thérapeute perçoit des tensions, considérées comme
des « empreintes » de chocs physiques et psychiques. Ensuite, la
phase dite du « point d’appui », qui permet au corps du patient
guidé par les mains du thérapeute de s’autoréguler (cf. chapitre 2,
Fasciathérapie MDB ).
Lors de notre enquête menée en 2012, l’École supérieure de fascia-
thérapie était l’organisme en charge de la formation à la fasciathérapie
MDB en France. Depuis lors, une explosion des sites d’hébergement
complique la tâche de quiconque souhaite s’y retrouver. Voici les infor-
mations glanées à l’époque. La formation, de quatre cent cinquante
heures sur trois ans était accessible aux docteurs en médecine et aux
kinésithérapeutes diplômés. L’École supérieure de fasciathérapie était
un établissement d’enseignement supérieur privé affilié à l’université
Fernando-Pessoa, au Portugal. Cette université, établissement privé,
permettait alors à l’École supérieure de fasciathérapie de délivrer un
diplôme universitaire de fasciathérapie en plus du diplôme interne
délivré par l’École supérieure de fasciathérapie à l’issue de la forma-
tion. L’École supérieure de fasciathérapie, de son côté, habilitait des
établissements pour assurer la formation de fasciathérapie en France,
en Belgique, en Suisse, au Canada et au Brésil. Au 1er juillet 2013, un
Centre universitaire Fernando-Pessoa France a vu le jour à Béziers,
en plus de celui de Toulon. Notez bien qu’un « centre universitaire »
n’est pas une université, ce qui a amené la ministre de la Recherche
à déposer plainte contre l’université Fernando-Pessoa (Saisine du

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La « sociologie » de la pratique
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Procureur de la République, 13 décembre 2012). D’autres signes sont


assez significatifs : le recrutement non sur dossier mais sur l’aisance
financière (plus de 9 000 euros de frais d’inscription), le non-respect
du numerus clausus, les diplômes non homogènes, ont amené les
fédérations d’étudiants des professions concernées à manifester au prin-
temps 2013, ainsi qu’à lancer une pétition intitulée Fermons Pessoa79.

• Kinésiologie appliquée
La kinésiologie appliquée, mélange de chiropraxie, de méthodes
énergétiques et de médecine traditionnelle chinoise, propose de
retrouver les causes des maladies ou des mal-être, ainsi que de
diagnostiquer des intolérances ou allergies. La méthode utilise
notamment le Test Musculaire, consistant à comparer le tonus d’un
muscle avant et après avoir questionné l’organisme, pour obtenir des
réponses du corps, qui « connaît » toutes les réponses (cf. chapitre 2,
Kinésiologie appliquée).
Les formations en kinésiologie appliquée sont dispensées dans des
écoles ou instituts privés. Les contenus de formation sont opaques.
À titre indicatif, la Fédération française des kinésiologues spécialisés
décrit un cursus de cinq cents heures réparties sur deux ans quand
la Fédération belge de kinésiologie appliquée distingue six niveaux
différents en fonction du volume d’enseignement suivi, le dernier
étant obtenu lorsque le kinésiologue a réalisé plus de mille cinq
cents heures de cours reconnus – ce qui laisse entendre qu’il existe
d’autres heures qui ne sont pas reconnues. Les deux centres les
plus connus sont ceux de Paris (l’EKMA, École de kinésiologie et
méthodes associées de Jean-Claude Guyard) et de Grenoble (l’IFKA,
Institut de formation de kinésiologie appliquée de Freddy Potschka).
Si l’on comprend les informations en ligne, les deux cycles de la
formation de l’EKMA couvrent respectivement 30 et 28 jours (soit
environ 360 heures) et permettent d’être kinésiologue agréé par
l’ASCA International, association loi 1901 proposant d’estampiller
des thérapeutes complémentaires. Celle de l’IFKA exige un total

79 http://www.fermonspessoa.org/ La Fédération des étudiants kiné, la FNEK,


a elle aussi communiqué à ce sujet dans Le Centre Universitaire Fernando
Pessoa : Le piège à étudiants !

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de 500 heures de formation minimum sur une durée moyenne de


trois ans débouchant sur le « certificat de praticien professionnel en
kinésiologie ». Il n’y a aucun organisme officiel apte à délivrer des
diplômes de kinésiologue appliqué au plan international.

Nous n’aborderons pas ici la nébuleuse de chapelles qui, dans des


cadres très divers (Gers, Cantal, etc.) proposent des stages sur
lesquels nous avons peu de recul, comme la rééducation posturale
globale de Philippe Souchard, les innombrables stages de shiatsu,
Qi gong, ventouses, réflexologies, somato-émotionnel, méthodes
Pilates, naturopathie, haptonomie, magnétothérapie, gymnastique
holistique, autant de formations proposées par exemple sur le site
Web Kinaxis, dédié à la formation des kinés.

Pourquoi se méfier des titres80 (qu’on soit professionnel ou patient)


Que l’on soit professionnel, patient, ou les deux, analyser d’un coup
d’œil le contenu des formations proposées est irréalisable. Premier
problème : les propositions qui nous parviennent sont plus volon-
tiers des publicités que de l’information proprement dite. Ensuite,
l’information manquante est très peu accessible, difficilement com-
préhensible, et impose au sceptique curieux, même professionnel,
des heures d’investigations fastidieuses. Au mieux, la plupart d’entre
nous se contente de vérifier que le thérapeute est bien diplômé – ce
qui n’est pas toujours aisé, entre les DO, MD, PhD, DC, acronymes
professionnels comme autant de chausse-trappes (il existe des doctors
en chiropraxie qui ne sont pas docteurs en médecine ou en sciences).
Il faut alors se pencher sur le niveau de reconnaissance du diplôme sur
le plan national et international. Pour cela, le gouvernement français
a mis en place une plate-forme d’information relativement complète
et mise à jour régulièrement sur la reconnaissance académique et pro-
fessionnelle des diplômes appelée ENIC-NARIC France, émanation
de l’European Network of Information Centres – National Academic
Recognition Information Center.

80 Amusant de lire ça dans un titre, n’est-ce pas ?

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La « sociologie » de la pratique
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Mais pour qui veut être fixé, le débroussaillage n’est pas terminé.
Car s’il est des gens qui usurpent des titres, d’autres prétendent
encore à des titres qui leur ont été retirés. Selon Christian Cabus,
vice-président du Centre régional contre les manipulations men-
tales, Dominique Bourdin, fondateur du centre de bien-être et de
santé holistique La Chrysalide de Vers-sur-Selle, en Vendée, et grand
défenseur de l’irrigation colonique81, use de son titre de médecin
alors qu’il a été radié du Conseil national de l’ordre des médecins
en 1999 (Courrier Picard, 21 février 2011). La loi ne le lui interdit
d’ailleurs pas car un titre de médecin est un diplôme d’État, et se
garde à vie, aussi un médecin radié peut-il continuer à utiliser son
titre dans ses communications publiques. Il n’est d’ailleurs pas le
seul à jouer, ou à laisser jouer les médias sur cette ambiguïté : Pierre
Dukan, par exemple, radié le 19 avril 2012 de l’Ordre des médecins (à
sa demande, probablement pour éviter le traitement des deux plaintes
à son encontre) ; Salomon Sellam, médecin généraliste « retiré » de
l’Ordre, qui pratique et enseigne la « psychosomatique clinique »
dans l’Hérault ; Gérard Athias, ancien généraliste « retiré » de l’ordre,
spécialiste du décryptage des maladies « mal à dit » au « Collège
international Gérard-Athias » à Hyères ; Jean-Pierre Willem, médecin
radié de l’Ordre en 1987, forme quant à lui à l’ethnomédecine dans
sa « Faculté libre de médecine naturelle » à Paris.
Un point cependant : pour celui qui veut faire un tri des thérapeutes
sur la scientificité de leurs connaissances, la radiation d’un ordre n’a
de sens que si l’on prête une compétence autre que la réglementation
administrative au susdit ordre. Or un ordre ne semble se prononcer
que sur des points de règlement, essentiellement déontologiques, et
non sur la pseudo-scientificité desdites pratiques. Argument légaliste,
donc, bien plus faible que l’argument épistémologique. Il faut dire
qu’entre docteur ès sciences (ayant soutenu une thèse de doctorat
scientifique), médecin (ayant soutenu une thèse de doctorat d’exer-
cice), interne (médecin n’ayant pas soutenu sa thèse), une vache n’y
retrouverait pas ses veaux, d’autant qu’on appelle couramment son

81 Pour se rendre compte, on feuillettera Irrigation colonique & conscience, Éli-


miner les toxines et affiner notre acuité, par Dominique Bourdin, Génération
Tao N°64, avril 2012.

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médecin docteur, et parfois même son kinésithérapeute docteur ! Un


docteur dans le langage courant est celui qui soigne, même s’il est
docteur en lettres modernes.
Avec une racine étymologique commune, κινησις ou kinésis (« mou-
vement »), quel patient fait réellement la différence entre un kinési-
thérapeute, un microkiné et un kinésiologue ? Sommes-nous tous
informés que le sigle D. O. inscrit sur les plaques professionnelles
des ostéopathes signifie Diplômé en ostéopathie et non pas Docteur en
ostéopathie ? Enfin, un dernier point pour terminer de nous harasser :
parmi ceux qui ont le titre souhaité, le diplôme afférent, l’affiliation
à leur ordre et la soumission à une déontologie,
- encore faut-il que celui à qui l’on s’adresse soit compétent, puisque
la compétence ne s’évalue pas au titre, à la tunique ou, comme
disait le proverbe antique, à la longueur de la barbe (cf. chapitre 2,
Datation ; l’argument du vieux pot) ;
- en outre est-il souhaitable que le thérapeute pratique bien les actes
dévolus à la profession que le patient a choisi de consulter. Il n’est
pas rare de s’adresser à un kinésithérapeute qui nous proposera des
techniques ostéopathiques, étiopathiques et autres, brouillant un
peu plus les frontières professionnelles et floutant du même coup
l’image de la profession pour laquelle il est initialement consulté
(cf. Mode superkiné, dans ce chapitre).

REMUE-MÉNINGES : LE MOT PSY

Le meilleur exemple de flou sur la terminologie dans le milieu théra-


peutique se trouve probablement dans l’utilisation du terme « psy » qui
recouvre des psychiatres, des psychothérapeutes, des psychologues et
des psychanalystes. Ces quatre notions n’ont pourtant rien de com-
mun en termes de reconnaissance de formation et de diplôme. En
effet, seuls psychiatre et psychologue sont des professions reconnues
attestant d’un niveau d’étude conséquent. Le psychiatre est en fait un
médecin spécialiste (au même titre qu’un chirurgien, un gériatre, un
ophtalmologiste ou un spécialiste de médecine générale). Le terme
psychiatre ne présume pas de la technique thérapeutique utilisée mais
du diplôme de docteur en médecine. Le psychologue quant à lui est,

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La « sociologie » de la pratique
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en France, titulaire d’un Master (Bac +5) en psychologie. Son titre est
protégé et reconnu par l’État depuis 1985. Au Canada le psychologue
est un professionnel de la santé titulaire d’un doctorat (D. Psy. ou
Ph.D. Clinique). Par contre, le terme psychothérapeute n’est pas un
titre universitaire, loin de là. Il indique simplement que nous avons
affaire à une personne proposant des accompagnements psycho-thé-
rapeutiques, dont il existe une multitude de formes, allant du plus
sérieux au plus mysticoïde. Puisqu’aucun texte de loi ne réglementait
cette pratique, le psychothérapeute pourrait donc être vous, nous,
un psychiatre comme un charcutier, un coiffeur ou un psychologue.
Tout un chacun pourrait s’en prévaloir sans formation ni contrôle
de l’activité. Pour remédier à cela un décret d’application inspiré de
l’amendement Accoyer de 2004 a vu le jour le 20 mai 2010 et tente
depuis d’encadrer des pratiques qui frôlent régulièrement le dérapage.
Le terme psychanalyste, enfin, fait référence à une personne qui utilise
les aspects théorique et pratique (considérés comme désuets presque
partout dans le monde) de la psycho-analyse, essentiellement orien-
tée par Sigmund Freud. La particularité de ce domaine est qu’une
condition nécessaire à la pratique psychanalytique est d’avoir été
soi-même en analyse dite didactique et de relever d’une école précise.
Mais la formation psychanalytique n’est garantie par aucun cursus
universitaire classique, et la scientificité de son corpus est en grandes
proportions caduque (Meyer, 2005 ; Onfray, ouv. cit.).

Modes, public et patientèle cible


Pour clore cette section, il nous faut aborder un problème propre
à tout marché : même dans le domaine de la santé il y a des modes
qui prévalent. Il y a ce qu’on pourrait appeler des « phénomènes de
mode » en kinésithérapie, des techniques fashion et des techniques
has been. Voici quatre moteurs de mode que nous trouvons récurrents
auprès des étudiants, confrères, patients, et que nous soumettons
à votre sagacité : la mode exotique, le style New Age, la recherche du
superkiné et la démarche contestataire.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Mode exotique ou argument « du moine tibétain aborigène du


Mexique »
Les revues grand public et les salons de bien-être en témoignent :
l’attrait pour des thèses sanitaires ou médicales est d’autant plus fort
qu’elles ont été ou sont défendues par un peuple ancien, lointain,
auquel l’imaginaire français confère des caractéristiques « primiti-
vistes » comme celle d’avoir une tradition chamanique ou d’être
proche de la Nature et de la forêt (Bonnardel, 2005 ; Reviron, 2011).
Leur ancienneté passe pour un gage d’authenticité et de connais-
sances importantes (argument classique : comment auraient-ils
survécu, sinon ?). Leur primitivité et leur proximité, « symbiose »,
lit-on parfois, avec Dame Nature les rend plus aptes à développer
des dons oubliés chez l’« Occidental » (catégorie floue82), Yang
antithèse d’un Yin oriental, qui n’a pas vraiment de sens non plus,
sauf en tombant dans les stéréotypes « oriental = bridé ». Cela crée
une bipolarité reposante sur le plan intellectuel mais illusoire. Ces
peuples « primitifs » auraient probablement des capacités intuitives
« animales », puisque leur proximité avec la Nature leur a laissé intacts
des sens que nous autres, pollués, avons perdus, un peu comme le
ciel des villes moins limpide qu’à la campagne la nuit. Ainsi, par
leur simplicité, leurs rapports avec les animaux ou les esprits s’en
trouvent facilités.
Il s’agit d’un naturalisme tendance New Age (cf. Mode New Age, dans
ce chapitre) qui n’a rien à envier à celui des plus grands anthropolo-
gues primitivistes du xixe siècle83… Le racisme ordinaire n’est pas loin.
Une abondante littérature est disponible en librairie, que les anthro-
pologues rangent pourtant dans le rayon des mascarades.
- Le troisième œil, de Lobsang Rampa.

82 Sur ce point, voir Argumentum ad exoticum (cf. chapitre 6, Collector « soin


et kiné »).
83 Hélas, un tel primitivisme n’a pas disparu, et a resurgi au moins deux fois
ces dernières années dans le paysage médiatique français : dans les argu-
mentaires tenus par Stephen Smith dans son livre Négrologie (2003), pour-
tant encensé par la critique, et dans ceux de certains opposants politiques
à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Pour une déconstruction
des premiers, voir Diop et al., 2005.

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La « sociologie » de la pratique
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- Le message des hommes vrais au monde mutant, de Marlo Morgan.


- La prophétie des Andes, de James Redfield.
- L’herbe du diable et la petite fumée, de Carlos Castaneda.
- Sans parler des émerveillements sur les Incas, les Égyptiens, les
Aztèques, dont se sont faits une spécialité Guy Tarade, Robert
Charroux, Erich Von Däniken ou très récemment Patrice Pooyard
et Jacques Grimault dans La révélation des pyramides.
L’anthropo-fiction, comme nous pourrions l’appeler, est un excellent
exutoire, pratique et pas cher : plutôt que de vivre dehors, d’éteindre
la télévision, on reste bien au chaud, bénéficiant du confort moderne
mais on fera pousser des plantes indiennes, on achètera un attrape-
rêves et des masques « africains »84 ou mieux, on fera un stage de danse
mystique et on s’initiera aux sagesses de Krishnamurti résumées par
les éditions Lagardère85 après une journée au labeur. On fera entrer un
peu d’Afrique, d’Amazonie ou d’Orient dans son salon, sous forme
d’objets ou d’ouvrages sans pour autant bien entendu trop renoncer
au confort, et généralement en s’extasiant d’une simplicité qui prend
sa source dans une inégalité flagrante de répartition des richesses. On
peut y lire une forme hybride du « sanglot de l’Homme blanc », sanglot
qui redonne un charme à des cultures qui, souvent peu scientifiques,
ont été broyées par le colonialisme et maintenant le tourisme. Mais
il s’agit d’un regard fantasmagorique. Les pharmacopées indigènes
sont souvent peu efficaces, la mortalité est galopante, mais en une
arrogance dominatrice, une bonne part des middle et upper class en
France va chercher sous les regards ébahis le masque ancien, la poudre
et le stage d’Ayahuasca, sans pour autant pousser pour un changement
des inégalités criantes qui font que si eux peuvent alterner soins réels
et poudre, l’autochtone, lui, n’a pas d’alternative.
Nous développerons un peu plus loin l’Argumentum ad exoticum, central
dans cette mode (cf. chapitre Collector « Soin & kiné » ; sophisme).

84 Il est rare d’entendre parler d’une région d’Afrique, d’un pays en particulier.
L’Afrique est souvent pensée comme un grand village, peuplés de carica-
turaux africains, noirs, vêtus de haillons, prompts à se battre et dansant
devant des cases de terre, avec tous les poncifs coloniaux classiques
85 Comme Krishnamurti, Se libérer du connu, éditions Stock (groupe Lagardère)
(2012).

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Mode New Age


Il est difficile de rentrer en quelques lignes dans la nébuleuse New
Age, courant spirituel européen des xxe et xxie siècles proposant une
spiritualité naturaliste mystique et empruntant à toutes les religions
pour annoncer ou anticiper un avènement d’une nouvelle ère et
d’un éveil spirituel des consciences. Ce bric-à-brac syncrétique a
pris naissance au gré de divers auteurs plus ou moins messianiques,
d’Helena Blavatsky la théosophe à Alice Bailey, des spirites anglais aux
anthroposophes autrichiens, en prônant une réconciliation avec un
Orient fantasmagorique duquel émergerait une sagesse perdue dans
nos contrées. Prétendant dépasser le christianisme, symbolisé par le
poisson, le mouvement annonce la nouvelle ère (d’où le nom, New
Age), celle du Verseau, spiritualiste. Empruntant à différents courants
allant de l’avant-garde catholique au mouvement hippie86, le New Age
fut théorisé si l’on peut dire par Marilyn Ferguson (Ferguson, 1981)
comme « l’émergence d’un nouveau paradigme culturel, annonciateur
d’une ère nouvelle dans laquelle l’humanité parviendra à réaliser une
part importante de son potentiel, psychique et spirituel ». Les traits com-
muns à ce mouvement hétéroclite (dont le point d’orgue fut la fin du
monde du 21 décembre 2012) sont de quatre types. Tout d’abord,
on constate une révérence aux Devas, ou aux esprits supérieurs tirés
de l’hindouisme (qui aident à la pousse des légumes dans la ferme de
Findhorn par exemple). Le deuxième trait caractéristique est la forte
compatibilité du mouvement avec une société de consommation, ainsi
qu’une recherche de la paix personnelle et intérieure (mais compatible
avec travail, famille) plutôt que politique et sociale, ce qui encourage
des quêtes fortement individualistes, et n’a aucune portée de tran-
formation sociale réelle. On observe ensuite un dualisme87 postulant

86 Parmi eux : les héritiers de Pierre Teilhard de Chardin, les défenseurs


de l’écologie profonde (deep ecology), certains courants paganistes, une
majorité de féministes mystiques, les mouvements de retour religieux à la
terre comme dans la ferme écossaise de Findhorn, les écoles de Palo Alto,
l’Institut Esalen, etc.
87 Le dualisme ontologique postule qu’il existe un monde matériel, mais aussi
un autre monde souvent non accessible et ne relevant pas de la matière.
Une grande partie de la philosophie, depuis les ombres sur la caverne de
Platon aux philosophies religieuses, est dualiste. L’âme, l’inconscient freu-
dien, les énergies, les karmas, les anges, les sorts, autant de substances

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La « sociologie » de la pratique
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des entités autres que matérielles – ce qui donne un cadre conceptuel


très complaisant pour les âmes, réincarnations, chakras, méridiens,
fluides vitaux, mémoire de l’eau, flux énergétiques et autres entités ad
hoc (cf. chapitre 1, Remue-méninges : le monisme méthodologique).
On retrouve enfin une récusation en bloc de la science au nom de
ses moteurs (technologiques, agronomiques, guerriers, etc.), ce qui
est assez facile à nuancer depuis le chapitre 1 de ce livre, mais qui
permet à toutes les techniques possibles et imaginables de pousser,
sans jamais avoir à produire la moindre trace de preuve.
De ce fait, le New Age donne crédit et regroupe un nombre incom-
mensurable de méthodes, allant de l’agriculture biodynamique de
Rudolf Steiner aux méthodes de channeling – prétendu procédé de
communication entre un être humain et une entité appartenant
à une autre dimension, à la kinésiologie appliquée recommandée
pour soigner les enfants Indigo de Kryeon88 en passant par le néo-
chamanisme, l’instinctothérapie, l’urinothérapie-amaroli, les jeûnes
curatifs, la médecine anthroposophique, le respirianisme, etc. Un
certain nombre de ces techniques font l’objet de mise en garde
dans les rapports de la Mission interministérielle de vigilance et de

non matérielles qui ont un avantage énorme : celui de ne pas pouvoir être
soumis à critique. Libre à quiconque de croire en ce dualisme, mais c’est
une croyance, car il n’y a aucun moyen de démontrer rationnellement à
quelqu’un que votre dualité est plus pertinente que la sienne – ni d’ailleurs
qu’il n’existe pas un troisième, quatrième, n-ième monde. Nous pensons
que sans plus d’information, il appartient au contrat laïc du chercheur et du
scientifique de postuler un monisme matérialiste. C’est donc le cas dans ce
livre. Et quand bien même tout ce que nous vivons et ressentons ne serait
qu’une émanation de la matière, cela n’enlève rien à l’enchantement et au
merveilleux que ça fait naître en nous. Sur ces questions, Lecointre (2012)
et Dubessy & Lecointre (2004).
88 Les enfants Indigo, nés dans la fin du xxe siècle, seraient des enfants annon-
ciateurs de la nouvelle ère. C’est du moins ce qui a été révélé à Lee Carroll,
« habité » par channeling (voir note précédente) par une entité appelée
Kryeon (Carroll & Tober, 1999). Nimbé d’une aura indigo, ils posséderaient
des capacités spirituelles particulières, frôlant les pouvoirs paranormaux.
La notion d’enfant Indigo a beaucoup séduit en France, par la largeur du
spectre de détection : ainsi selon Carroll, tout enfant dyslexique, dyscalcu-
lique, handicapé, souffrant d’un syndrome autistique, etc. est susceptible
d’être Indigo. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre
les dérives sectaires a alerté sur le caractère sectaire de ce mouvement
dès 2003 dans La déification des « enfants Indigos ».

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) pour leurs conno-


tations sectaires. Les rares contestations de cette religiosité fourre-
tout viennent, contre toute attente, des milieux thérapeutiques ou
martiaux chinois, mécontents d’être dilués dans ce brouet. Idem
pour quelques communautés « indiennes » ou « indigènes », qui
voient leur spiritualité bradée. La plus connue de ces contestations
est probablement la Déclaration de guerre contre les exploiteurs de la
spiritualité Lakota, émanant du sous-groupe Sioux du même nom
(Mesteth et al., 1993).

• Mode Superkiné (avec un bon plan marketing)


Une soif de changement et un goût pour la nouveauté savamment
entretenu permettent à de nouvelles théories ou thérapies de se
présenter comme de la kinésithérapie, mais avec un plus : une sorte
de super-kinésithérapie. La chiropraxie, et surtout l’ostéopathie,
ont joué cette carte de la superkiné. Une campagne radiophonique
du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes a
d’ailleurs été lancée à cette fin en 2011, prônant la spécificité du
« kiné-ostéo ».
Un bon jeu consisterait à essayer de deviner ce qui sera à la mode
dans dix ans. Nous (auteurs) misons sur l’étiopathie version Christian
Trédaniel, qui se forge un plan marketing sur mesure, et dont le
fondateur vient de décéder – ce qui augure d’une lutte d’héritiers
spirituels. Quel est le public, professionnel et patient, de ces modes ?
La réponse est à trouver dans la corporation des thérapeutes manuels,
mais aussi dans la manufacture du goût par les médias. Les profes-
sionnels ne lisent pas ou peu de littérature indépendante, et en outre
peuvent pressentir une manne financière dans une spécialisation à
ladite mode – ce qui crée un cercle vicieux. Les professionnels voient
aussi dans cette forme d’exercice un moyen de s’affranchir du joug de
la médecine, mais à quel prix ? Quant au grand public, la patientèle89,
les raisons d’adhérer à cette mode sont politiques (cf. Mode contesta-
taire, dans ce chapitre) mais aussi médiatiques. Héritière d’un clivage

89 Le terme patientèle est entré dans le langage commun depuis semble-t-il


2007, mais il nous interroge. Il ressemble à un euphémisme, remplaçant

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La « sociologie » de la pratique
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social des sexes encore marqué, la presse féminine, contrairement à


la presse masculine, fait la part belle aux thérapies dites alternatives
et aux méthodes de soin les plus diverses, créant parfois un étrange
mélange, comme dans la revue Psychologies ou la presse prénatale, qui
ne semblent avoir aucun critère de tri. Rien d’étonnant, donc, à voir
sur ces sujets un goût plus prononcé chez les femmes (voir à ce propos
le sondage de l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) – Les
Français et les médecines naturelles, 2007).

• Mode contestataire
Une autre caractéristique modale est la contestation politique. En
effet, beaucoup de gens se tournent vers les thérapies dites alter-
natives au nom d’une contestation politique parfois justifiée, mais
souvent simpliste et manichéenne, de la médecine scientifique :
autoritarisme médical, froideur des rapports humains dans les
hôpitaux, consultation médicale en coup de vent, interdépendance
des médecins avec des industries capitalistiques, scandales pharma-
ceutiques, etc. Pour éviter cela, beaucoup sont capables de fuir et
d’opter pour d’autres méthodes, quitte à ce qu’elles ne soient pas
efficaces. Il faut noter que la contestation politique est également
valable du côté des thérapeutes qui revendiquent de se tourner vers
des pratiques déconventionnées (cf. Qui reconnaît quoi ?, dans ce
chapitre) pour fuir les politiques de santé vécues comme aliénantes.
Hélas, les alternatives proposées en sont rarement : d’une part parce
qu’il manque souvent une efficacité propre de la nouvelle méthode,
mais surtout parce que les entreprises vendant des thérapies dites
alternatives ont des pratiques aussi sordides que les industries dénon-
cées : des entreprises comme Herbalife, comme Boiron, richissimes
et monopolistiques par exemple, ou des personnages très rentables
comme Deepak Chopra, sans parler de la profusion de salons divers
farcis de stands aux techniques les plus étranges (Monvoisin, 2012).

élégamment clientèle, mais gommant la partie économique de la tran-


saction, comme s’il fallait par pudeur refaire de l’exercice sanitaire une
mission sacrée plutôt qu’un vulgaire commerce. Si le fond est louable il
faut se méfier des vocables qui feraient passer le docteur Knock pour un
philanthrope désintéressé.
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CHAPITRE 4

La bibliographie

« Nous sommes des nains assis sur des épaules de géants.


Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à
cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce
que nous sommes élevés par eux. »

Bernard de Chartres, selon Jean de Salisbury, Metalogicon (1159) livre III

É tablir la bibliographie est l’une des tâches paradoxalement les


plus complexes et les plus stimulantes de la démarche scienti-
fique : complexe car il faut démêler l’écheveau, chercher l’aiguille
dans la botte de foin, bref, s’immerger dans un océan de données.
Stimulante car il s’agit d’un travail d’enquêteur, avec toutes les joies
associées. Dans ce chapitre, nous avons distingué trois parties. La
première, Faits et ouvrages de départ, permet de se dépatouiller dans
les références, les moteurs de recherche, les auteurs et articles clés.
La deuxième traite des pièges du système et permet de comprendre
les rouages de la grande machine de production du savoir, dans ses
aspects parfois les plus rebutants comme les indices bibliométriques,
la recherche du scoop et ses conséquences. La troisième partie est
un florilège de travers adoptés souvent de gré, parfois de force, par
les chercheurs pour contourner les problèmes liés au système de

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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publication. Entre les fraudes et les arrangements sur le fond et sur


la forme, cette partie devrait accroître notre vigilance non seulement
envers les auteurs d’articles, mais envers nous-mêmes.

Faits et ouvrages de départ

Comme le saumon, à la source tu remonteras


En tenant compte du lexique, du contexte politique et intellectuel
de l’époque, il est recommandé d’aller lorgner du côté de la source
originale. Étrangement, peu de scientifiques le font, et pourtant cette
démarche peut leur éviter de tomber dans le piège d’un raisonnement
correct basé sur une prémisse fausse. Donnons quelques illustrations :
on peut s’acharner, comme beaucoup le firent, à chercher du côté du
cou le fameux res mirabilis, réseau miraculeux de canaux permettant
d’irriguer l’humain en pneuma zootique, l’esprit animal. C’est seulement
en remontant à la source – Claude Galien (Claudius Galenus), en
l’espèce – qu’on se rend compte que le médecin de Pergame a posé sans
preuve l’existence de ce réseau. Quelqu’un pourra imaginer tous les
protocoles qu’il veut sur l’agriculture biodynamique, il n’aura guère le
choix que de remonter aux prémisses, très scabreuses en l’occurrence,
de la théorie de Rudolf Steiner et son Cours aux agriculteurs, qui a
instauré le courant biodynamique (Steiner, 1923).
Nous ne pouvons que louer la démarche de Mikkel Borch-Jakobsen
ou plus récemment de Michel Onfray qui, souhaitant se forger un avis
éclairé, ont plongé dans la production intégrale de Sigmund Freud.
Nous avons dû, pour certains des passages de cet ouvrage, passer
des nuits à compulser des œuvres originales, de Franck Chapman,
d’Edward Bach, de George Dutton, d’Andrew Still, etc. Ce travail
n’est pas toujours nécessaire mais il s’impose dans les cas où la thérapie
trouve pour origine un vécu intime du fondateur (déportation de
Bettelheim, de Veldman, événement érotique de Freud avec sa mère,
cf. chapitre 2, Remue-méninges : épiphanies). Quoi qu’il en soit, un
travail de recontextualisation est souhaitable, et nous encourageons les
étudiants à le faire lors de la rédaction de leurs mémoires de recherche.

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La bibliographie
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Disons qu’enquêter sur la source de l’information permet de vérifier,


avant de chercher pour rien, qu’il y a bien une aiguille dans la botte
de foin ; de s’assurer avant de souffler qu’il existe bien, tapie dans le
tas de cendres des hypothèses, une braise susceptible d’être ranimée.
Et connaître le b.a.-ba du domaine permet de discuter sur un pied
d’égalité avec les défenseurs de la théorie analysée, qui parfois n’ont
eux-mêmes pas lu leurs classiques.
Le chercheur, ou le patient qui souhaite savoir, doit se mettre dans
la peau d’un enquêteur, remonter le fil de l’histoire. Sa démarche se
résumera ainsi : qui a lancé quelle théorie, quand, et sur quelle base ?
On rejoint alors la quête de l’événement de départ qui occupe le début
du chapitre 2. Reste alors à se procurer cette source et à la lire. Si les
sources en science historique sont ingrates car anciennes, fragmentaires
et souvent en latin, les sources en médecine, et à plus forte raison en
kinésithérapie, sont récentes et presque toutes accessibles. Toutes ?
Non, il arrive que, comme un certain village gaulois, certaines sources
résistent. Il faut alors essayer de retrouver le fondateur, s’il est vivant,
ses héritiers ou ses archives s’il n’est plus. Et il arrive parfois une chose
stupéfiante, qui ne manque pas de laisser perplexes nos étudiants :
il advient que, bien que tout le monde en parle, la prétendue source
n’existe pas – ou même qu’elle n’ait jamais existé. Ainsi en fut-il,
cas prosaïques, de l’enquête sur la disparition d’un village entier,
Angikuni (Vivant, 2003) ou des fameux accidents du Triangle de la
Burle (Alberto et al., 2009)90. Plus grave, l’« expérience » de Willner
censée démontrer (faussement) que le Sida ne se transmet pas par
injection (Vivant, 2006). Le milieu de la kinésithérapie a lui aussi
ses monstres du Loch Ness : nous traiterons plus loin des fameux
points de Chapman qui, comme autant de licornes invisibles et roses,
s’évaporent dès qu’on les regarde91.
90 Un village de 1200 habitants tout bonnement enlevé par les extra-terrestres
au nord du Canada ? L’histoire, croustillante et racontée sur nombre de
forums, provient d’un auteur de science-fiction, Franck Edwards. Le triangle
de la Burle, appelé aussi Bermudes des Cévennes est également une inven-
tion littéraire, celle de Jean Peyrard (2007).
91 Le culte de la Licorne rose invisible a été fondé pour mettre en balance les
revendications religieuses dans les contenus d’enseignement : on nous dit
que la licorne est rose, mais il faut le croire sur parole car elle est égale-
ment invisible. Voir http://www.invisiblepinkunicorn.com.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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REMUE-MÉNINGES : KEN NOSAKA ET LE KINÉSIO TAPING

Dernier cas en date dans le domaine des thérapeutiques manuelles :


l’effet du Kinésio taping sur les microlésions musculaires provo-
quées par des exercices excentriques, (soi-disant) démontré et publié
(Nosaka, 1999). Ce résumé d’article, publié sur le site officiel de
la technique http://kinesiotaping.com, laisse entendre que l’appli-
cation de Kinesio Tape, une sorte de bandelette, est efficace pour
limiter la diminution de force maximale volontaire des fléchisseurs
du coude induite par exercice fatigant. Une tendance à l’efficacité
serait notée sur des paramètres comme la douleur, l’œdème ou le
taux sanguin de créatine kinase, une enzyme produite par les tissus
humains. Cet article étant régulièrement cité en référence d’autres
articles scientifiques, nous avons cherché à disposer de la version
intégrale, l’accès au résumé étant insuffisant pour juger de la qualité
d’une recherche. À notre stupéfaction, il aura suffi de contacter par
courriel Ken Nosaka, l’auteur du travail, en lui demandant de nous
fournir l’article correspondant au résumé disponible pour s’aperce-
voir que ce dernier… ne reflète pas le contenu de son étude ! Voici
sa réponse, que nous traduisons :

« Le problème est que je n’ai PAS écrit cet article en anglais. Je
suppose qu’un autre a écrit l’article que vous me transmettez.
Malheureusement, le document ne présente pas ce que j’ai soutenu
lors du congrès. Je n’ai trouvé aucune différence significative entre
les conditions avec et sans bandes pour aucune des variables étudiées.
Ma conclusion pour l’étude était donc que le Kinesio taping n’a pas
d’effet sur les lésions musculaires induites par un exercice excentrique
des fléchisseurs de coude. J’ai été très surpris de voir que le document
ne rapportait pas cela et qu’il sous-entend que le Kinesio taping est
efficace. Ce n’est certainement pas basé sur mon étude ! Je vous prie
de croire que je ne sais pas qui a écrit ce résumé. Pour conclure, la
conclusion de mon étude était que le Kinesio taping ne permet PAS
de réduire les lésions musculaires. » (Communication personnelle).

Comble de l’affaire : ni Nosaka, ni la société qui met en ligne le


document ne sont en mesure, comme on nous l’a dit, de nous infor-
mer de la personne qui a rédigé le document.

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La bibliographie
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« Publis » et niveau de preuve tu jaugeras


Une fois la source isolée, regardons la chaîne de nains juchés sur les
épaules de géants. Pour cela, il faut faire une bibliographie, c’est-à-
dire une liste des publications sur le sujet. Mais encore faut-il savoir
ce qu’est une publication. En science, nous l’avons dit, le processus
de vérification est collectif, et les jalons sont les publications. On
considère comme une publication, ou un « article » (ou un « papier »,
comme on dit dans le jargon) un travail qui, fournissant les données
nécessaires à sa compréhension, et en particulier les sources, permet
à qui le souhaite de reproduire ou de vérifier l’information donnée.
Ce terme est un faux ami car pour être une publication scientifique,
il ne suffit pas qu’un travail soit publié. Beaucoup d’étudiants
prennent une simple page Web ou un article paru dans Gala pour
une publication, et étymologiquement ils n’ont pas tort. Une publi,
pour être scientifique doit a minima paraître dans une revue spécia-
lisée, être relue avant publication par des spécialistes du domaine
(on appelle cela la relecture par les pairs, ou peer-review) et remplir
quelques standards (dans sa structure, la forme de présentation de
ses résultats et le recours aux références bibliographiques).

MAINS DANS LE CAMBOUIS – OÙ TROUVER LES PUBLICATIONS ?

Sans être exhaustive, voici une liste de quelques sites nous ayant servis
à débusquer les ouvrages et publications scientifiques utiles lors de
la réalisation de ce livre.
Livres en accès libre
http://gallica.bnf.fr : Gallica est la bibliothèque numérique de la
Bibliothèque nationale de France. Elle permet notamment un libre
accès à de nombreux livres numérisés.
www.archive.org : Internet Archive est un organisme à but non lucra-
tif dont l’objectif est la préservation de la connaissance et l’accessibi-
lité des collections à tous. Il stocke et met à disposition des livres, des
films, des logiciels, des archives internet et des enregistrements audio.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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www.oapen.org : OAPEN (de l’anglais Open Access Publishing in


European Network) est une fondation dont l’objectif est la promotion
de l’édition de livres en libre accès, en particulier dans le domaine
des sciences humaines et sociales.

Articles scientifiques
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed : MEDLINE (de l’anglais Medical
Literature Analysis and Retrieval System Online) est la principale base
de données bibliographiques relatives aux sciences biologiques et bio-
médicales. Elle est gérée et mise à jour par la bibliothèque nationale
de médecine des États-Unis.
http://www.worldcat.org : WorldCat est la base de données biblio-
graphiques en ligne de l’OCLC (Online Computer Library Center),
réputée être le plus grand catalogue d’accès documentaire en ligne
gratuit du monde.
www.thecochranelibrary.com : la bibliothèque Cochrane, nommée
ainsi en hommage à l’épidémiologiste Archibald L. Cochrane, com-
porte six bases de données recensant notamment des revues systé-
matiques de littérature, des références et résumés d’essais cliniques
publiés. Cette bibliothèque est le fruit de la collaboration Cochrane,
organisation internationale indépendante à but non lucratif, dont le
but est d’apporter des informations actualisées de haute qualité sur
l’efficacité des interventions en santé.
www.pedro.org.au : PEDro est la base de données de référence pour
la kinésithérapie. Elle est produite par l’institut australien George
Institute for Global Health et permet d’accéder gratuitement aux
résumés de plus de 25 000 références traitant spécifiquement de
kinésithérapie.

Les auteurs clés tu débusqueras


Une première stratégie à adopter consiste à identifier les auteurs
de référence dans le domaine. Pour ça, il faut identifier quels sont
les auteurs qui sont le plus cités par le reste de la communauté.
Une chose bien pratique dans le monde des thérapies manuelles :
la discipline est tellement récente que nous sommes sinon « pre-
mière génération », généralement « deuxième » : nous avons été

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La bibliographie
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contemporains des fondateurs, ou connu des gens ayant été leurs


contemporains. En 2010, Danis Bois, Pierre Souchard, Patrice
Bénini, Daniel Grosjean, et bien d’autres sont accessibles, même
si Frans Veldman vient quant à lui juste de décéder. Et comme
la majorité des grands auteurs est généralement du xxe siècle, la
majorité de leur littérature est accessible par le Net, et par les
bibliothèques universitaires. Un frein de taille existe pourtant,
celui de l’accès direct aux publications récentes car un certain
nombre de revues ne mettent que les résumés en libre accès, et
rendent payant le reste. L’accès devient réservé à une caste, celle des
universitaires dont les laboratoires ont payé les abonnements. Et
le lecteur lambda est arrêté net dans sa recherche (cf. Privatisation
et marchandisation de la connaissance, dans ce chapitre). Les
membres du Collectif de recherche transdisciplinaire Esprit cri-
tique & Sciences s’opposent à cette privatisation du savoir. En
attendant un monde où la production de connaissance serait
publique, et où le piratage et le partage se ressembleraient comme
deux gouttes d’eau, nous ne pouvons qu’encourager les auteurs
à publier en libre accès, comme cela se fait de plus en plus dans
certains champs comme les mathématiques, renouant ainsi avec le
mot science au sens 1, un sens éminemment politique de partage
commun du savoir.
Les auteurs clés pour une thérapie manuelle née à la fin du xixe
siècle sont généralement trois ou quatre. C’est un indicateur de
la vivacité de la théorie (cf. chapitre 1, Vivacité de la théorie) : si
tout ne prend source que dans le fondateur ou la fondatrice, et
ce depuis un siècle, c’est mauvais signe. S’il y a eu une dizaine
de scientifiques de renom, c’est plutôt engageant. Il arrive aussi
qu’on cite les plus importants fondateurs pour gonfler son propre
prestige, du genre : « Je suis certes un nain, mais voyez que je me
juche, même artificiellement, sur les épaules de Pasteur, Darwin,
Einstein ou Claude Bernard ». Se retrouvent ainsi cités préféren-
tiellement certains auteurs au détriment d’autres. Aussi peut-on
coupler cette recherche avec une seconde stratégie, identifier non
plus les auteurs mais les articles eux-mêmes.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Les articles de référence tu dévoreras


Un premier critère efficace de tri consiste à sélectionner les articles
en fonction des revues dans lesquelles ils sont publiés. La première
question que l’on doit se poser est de savoir si la revue en question
est une revue dite « à comité de lecture » (ou peer-review, voir plus
bas). Cette information est mentionnée soit à l’intérieur de la revue
soit sur leur site Web. Compte tenu de la plus-value considérable que
le peer-reviewing apporte à une revue, que ce ne soit pas mentionné
indique tout simplement qu’il n’y en a pas.
• Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’aucun critère scientifique
n’est entré en ligne de compte pour décider de la publication
de l’article. Nous sommes donc seuls juges de la qualité de
l’article proposé.
• Si c’est le cas, cela signifie que l’article est passé par le processus
de publication scientifique classique, c’est-à-dire que l’auteur a
envoyé son article à un éditeur, qui va nommer des experts du
domaine (les pairs) pour le relire et donner un avis avant qu’il
ne décide de l’accepter ou de le rejeter. C’est plutôt un gage de
sécurité même si le processus est imparfait et largement critiquable,
comme le souligne Laurent Ségalat dans son livre La science à bout
de souffle (Ségalat, 2009).
La statégie consistant à chercher les articles de référence des auteurs
clés est bien sûr idéale. Hélas, c’est rarement aussi simple.

Les pièges du système

Les rouages de la publication tu maîtriseras


Pour bien appréhender les problèmes liés à la publication scientifique
il est nécessaire d’avoir une idée générale du processus de publication
par peer-review, ou relecture par les pairs.
Dans un premier temps les auteurs d’un article envoient leur manuscrit
à un éditeur de la revue ciblée. Ce processus est parfois payant pour
les auteurs, qui doivent régler une certaine somme d’argent tout en

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La bibliographie
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« offrant » leur publication. Les éditeurs sont des personnalités recon-


nues dans un domaine scientifique en lien avec la ligne éditoriale, ou
le scope, dans le jargon scientifique, de la revue. Ils sont généralement
bénévoles et ont la charge à la fois de choisir les experts, les pairs qui
devront relire et commenter l’article ainsi qu’assurer une communi-
cation, anonyme, entre ces experts et les auteurs de l’article. Lorsqu’il
reçoit le manuscrit, l’éditeur en fait une lecture rapide et statue sur la
publiabilité de l’article dans la revue. Si l’article est rejeté par l’éditeur,
l’auteur en est informé immédiatement et le processus de soumission
(terme particulièrement adapté pour la circonstance) s’arrête. Sinon
il poursuit sa route dans les tuyaux sinueux du processus.
L’étape suivante est la relecture du manuscrit par les experts choisis
par l’éditeur. Les experts sont bénévoles et anonymes, théoriquement
reconnus comme spécialistes du domaine dans lequel les auteurs
publient, et bénéficient de quelques semaines à quelques mois pour
envoyer à l’éditeur un rapport contenant leur opinion sur l’article
ainsi que des commentaires. L’avis des experts sur l’article peut être
« accepté sans modification », « rejeté », « accepté sous réserve de
modifications ». Dans ce dernier cas, les modifications demandées
peuvent être mineures, comme reformuler certaines phrases, corriger
des fautes d’orthographe, ou majeures (parfois de nouvelles expé-
rimentations sont demandées) et sont consignées dans le rapport
envoyé à l’éditeur.
Dans l’étape suivante l’éditeur fait part aux auteurs de sa décision
concernant l’article selon les recommandations des experts (notons
au passage que plusieurs experts sont désignés et que leurs avis et
commentaires ne convergent pas forcément et sont même parfois
contradictoires). Dans le cas (très improbable selon notre expérience)
d’un article accepté sans modification le travail des auteurs est
terminé, et il n’y a plus qu’à attendre plusieurs mois au minimum
pour que l’ article paraisse dans la revue. Dans le cas d’un article
rejeté, la décision de l’éditeur est sans appel et les commentaires
des experts ne sont pas toujours transmis. Si l’article nécessite
des modifications, l’auteur a la charge de les réaliser ou non et de
renvoyer le cas échéant son article révisé à l’éditeur. La boucle se
répétera alors autant de fois que nécessaire.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Si ce processus donne l’impression de garantir la qualité du produit


final, il soulève également de nombreux problèmes.
Premièrement, compte tenu de l’hyperspécialisation des thématiques
de recherche, le nombre de personnes compétentes (les pairs) pour
évaluer le travail d’un scientifique est très réduit, bien souvent se
connaissent et sont directement en concurrence les unes avec les
autres. Cette problématique des peer restreints signifie que, dans un
monde de chercheurs hyperspécialisés, les meilleurs relecteurs choisis
sont immanquablement… ceux que le système désigne comme nos
ennemis jurés, du moins ceux qui sont en compétition directe avec
nous, et qui savent vraisemblablement qui nous sommes. Adieu
anonymat et objectivité ! Il va de soi que dans ce cas, faire traîner
un article, le démolir sur la syntaxe, critiquer le niveau de langue
devient une méthode d’influence, qui non seulement nuit à la
publication, mais nuit à tout le système en lui donnant une grosse
inertie. Rappelons que les experts sont bénévoles et peu nombreux –
on fera rapidement appel à des personnes moins expertes et souvent
moins regardantes pour faire face à l’indisponibilité des experts. On
raconte même dans les couloirs universitaires qu’il est plus facile
de faire accepter un article en période estivale, lors de laquelle les
experts sont en vacances, donc moins disponibles. Serait-ce vrai ?
Nous n’avons pas trouvé d’étude le démontrant.
Un autre problème réside dans le fait que des castes se créent,
l’émergence de nouvelles théories remettant en cause l’ordre établi
est alors ralentie. Cette émergence est d’autant plus difficile que le
système permet la publication d’un tout petit nombre d’articles alors
que la quantité soumise est colossale (favorisant l’effet Matthieu,
voir ci-dessous). Du reste, la taille des articles est limitée en nombre
de mots (cf. l’effet shrink, voir plus bas). À l’époque des revues en
format papier, il était légitime d’avoir une sélection drastique du
nombre d’articles acceptés, faute de place, pour éviter l’engorgement
du système. Quel sens cela a-t-il maintenant que l’immense majorité
des articles est disponible au format numérique ? On se retrouve à
empêcher la publication d’un travail déjà réalisé et pour lequel, bien
souvent, l’argent public a été utilisé. Cette publication « sélective »
répond bien sûr à des nécessités marchandes mais peut aussi être le

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La bibliographie
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reflet d’un positionnement théorique voire idéologique des comités


de lecture. On peut alors s’interroger sur la capacité du système à
permettre l’émergence de nouvelles idées.

• L’effet Matthieu tu comprendras


L’effet Matthieu doit son nom à la parabole des talents de l’évangile
selon l’apôtre Matthieu (entre 60 et 85 apr. E.C.) où il est écrit « on
donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui
n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ». Cette parabole est suffisamment
ambiguë pour permettre diverses interprétations, la plus commune
étant celle de faire fructifier les « talents », ne pas gâcher les dons
reçus de Dieu et s’engager à agrandir le royaume de Dieu. Le socio-
logue Robert K. Merton, rapporta cette maxime au monde de la
science en 1968, au cours d’un article publié dans la revue Science
dans lequel il décrit ce « phénomène complexe de détournement
de la paternité du travail scientifique » par lequel des scientifiques
déjà reconnus tendent à se voir attribuer la paternité d’une idée
aux dépens de scientifiques jeunes ou inconnus (Merton, 1968,
puis Cole & Cole, 1972). Certains défenseurs de thérapies tentent
d’accroître l’effet Matthieu à leur profit en donnant une caution à
leur théorie en citant comme auteurs de référence d’illustres savants
dont les propos sont pourtant souvent bien éloignés de la théorie
en question. Nous avons déjà évoqué cet aspect de légitimation des
théories par les divers arguments d’autorité dans le troisième chapitre.

• L’effet shrink tu connaîtras


L’effet shrink illustre le sacrifice de la précision méthodologique
sur l’autel des contraintes éditoriales. Nous avons déjà abordé
l’engorgement entretenu du système de publication malgré un
environnement largement numérisé. De la même manière, les scien-
tifiques sont contraints, lorsqu’ils publient un article, de respecter
des consignes de rédaction draconiennes imposant notamment
un nombre de mots à ne pas dépasser. Les articles originaux dans
le domaine médical ne doivent généralement pas dépasser trois
mille mots. Or il est parfois difficile de synthétiser des années

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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de travail, d’en formaliser le contexte (avec l’introduction), la


méthode, les résultats et d’élaborer une discussion constructive
en cinq pages. Comme l’introduction et la discussion sont les
parties d’un article contenant les citations, il est inenvisageable de
les raccourcir si l’on souhaite gonfler les indices bibliométriques.
Les résultats sont quant à eux intouchables puisqu’ils confèrent
à l’article sa légitimité, laquelle sera d’autant plus grande qu’ils
seront sensationnels (cf. L’effet tiroir n’est pas commode, dans ce
chapitre). Il ne reste que la méthodologie utilisée, pourtant socle
de l’expérience, à laquelle on pourra toucher et qui tend à être
tellement réduite, broyée dans un bruit de métal froissé (le mot
shrink, qui signifie « réduire », ressemble à un bruit métallique,
n’est-ce pas ?) qu’il devient pratiquement impossible de reproduire
l’expérience réalisée à l’identique – ce qui est pourtant le but pre-
mier d’une publication. Rappelons ici que le processus scientifique
est collectif et repose sur une vérification permanente des résultats
obtenus par les pairs. Sans ça, à quoi bon publier ?

Des indices bibliométriques et du scoop tu te méfieras


Parmi les revues à comité de lecture, le prestige de la revue est
l’élément principal qui déterminera le choix de la revue ciblée par
les auteurs. Le prestige d’une revue se mesure traditionnellement
à l’aide d’indicateurs de citation, dont le plus connu est le facteur
d’impact (Impact factor). Chose peu connue, ce facteur d’impact,
inventé en 1955 par Eugene Garfield, le fondateur de l’Institute
for Scientific Information (ISI), est désormais la propriété du plus
grand groupe multinational d’édition au monde, le canadien
Thomson Reuters, depuis son rachat de l’ISI (cf. Remue-méninges :
marchandisation, l’exemple de la maison Elsevier, dans ce cha-
pitre). Le facteur en question est un nombre traduisant le nombre
moyen de citations de chaque article publié d’une revue par les
autres durant la période des deux années précédentes. Plus une
revue a de lecteurs, et plus ses lecteurs citent des articles qui en
sont issus, plus son prestige grandit. Les maisons d’édition n’ont
donc d’autre objectif que de vendre un maximum d’exemplaires

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La bibliographie
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d’une revue contenant des articles « à sensation » pour qu’ils soient
cités. On gardera en tête deux affaires rocambolesques, l’affaire
de la « mémoire de l’eau » dans Nature en 1989, et celle dite « de
la fusion froide » de Martin Fleishmann et Stanley Pons en 1989
également, toutes deux défrayant la chronique et les médias d’une
manière explosive, sans pour autant fournir les preuves de leurs
prétentions92. La revue, elle, fait pression par le biais de ses éditeurs
sur les auteurs candidats à la publication pour que leurs articles
en citent d’autres de la revue, quitte à ce qu’ils n’aient que peu de
rapport avec le sujet, gonflant ainsi artificiellement leur facteur
d’impact.
En guise de protestation contre les dérives d’utilisation du facteur
d’impact, la revue Folia Phoniatrica et Logopaedica a publié en
2007 un éditorial citant tous les articles qu’elle a publiés en 2005
et 2006 (Schuttea & Švecb, 2007). Cette manipulation, avec un
seul article, a fait bondir son facteur d’impact de 0,66 en 2007 à
1,44 en 2008. Étrangement, cette revue n’était plus incluse dans
l’indexation des facteurs d’impact de la division scientifique de
Thomson Reuters l’année suivante.
Très récemment, à la fin de l’été 2013, Richard Van Noorden a
dénoncé dans la revue Nature un système d’entente entre scien-
tifiques pour citer des confrères, entre quatre revues brésiliennes,
faisant artificiellement monter leur facteur d’impact (Van Noorden,
2013).
Ces deux phénomènes, la recherche obstinée du scoop et la course
à l’indice auxquels se livrent les revues, soulèvent d’une part le
problème de la publication de résultats peu « vendeurs », ce qui
ancre l’écriture de la science dans un marché (cf. l’effet tiroir ci-
dessous) et pose plus largement la question de la privatisation et
de la marchandisation de la connaissance.

92 Sur l’affaire de la mémoire de l’eau, on lira Broch (Broch, 2002). L’affaire de


la fusion froide, est quant à elle résumée dans le documentaire de Quentin
Rameau Et pourtant ? Elle chauffe ! L’aventure de la fusion froide, Université
de Provence – UFR LACS (2010).

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• L’effet tiroir n’est pas commode


Même lorsqu’elle ne cherche pas à tout prix le scoop, une revue est
dans tous les cas peu encline à publier des résultats non significatifs
d’un point de vue statistique93. Que la revue, malgré une méthodolo-
gie irréprochable, ne publie pas les résultats contredisant l’hypothèse
initiale (hypothèse qui postule généralement que le traitement testé
a un effet) s’appelle le biais de publication (Chalmers et al., 1990).
Compte tenu des efforts et du temps nécessaire à la publication
d’un article par un scientifique, ce dernier peut, devant le biais
de publication, s’autocensurer, et préférer laisser ses recherches au
fond du tiroir, sans chercher à les publier. C’est ce biais de pré-
publication qu’on appelle l’effet tiroir, ou file drawer effect, nom
donné par le psychologue Robert Rosenthal en 1979. Cet effet, fort
peu documenté, tient sa première étude de Brian Martinson et ses
collègues, chercheur à la Health Partners Research Foundation, qui
mena en juin 2005 une étude pour le journal scientifique Nature.
L’équipe de Martinson envoya une enquête anonyme à des milliers
de scientifiques financés par les National Institutes of Health : six
pour cent des répondants reconnurent avoir « rejeté des données
parce qu’elles contredisaient leur recherche antérieure », et plus de
15 % ont reconnu avoir fait fi d’observations parce qu’ils avaient « la
conviction profonde » qu’elles étaient inexactes, ce qui fit conclure
aux auteurs :
« Notre approche permet certainement de songer à l’existence
d’un biais de non-réponse. Les scientifiques qui s’en sont mon-
trés coupables étaient peut-être susceptibles de répondre moins
souvent que les autres à notre enquête, sans doute parce qu’ils
craignaient d’être découverts et sanctionnés. Ce fait, combiné
avec celui qu’il y a probablement eu sous-déclaration des écarts
de conduite parmi les répondants, tend à montrer que nos esti-
mations des comportements délinquants demeurent prudentes ».
(Martinson et al., 2005).

L’effet tiroir est particulièrement sensible dans le cadre de la méde-


cine en général et de la rééducation en particulier puisque les

93 Pour s’en convaincre, on lira Hopewell et al. (2009).

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La bibliographie
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professionnels, n’ayant que peu de temps à consacrer à la consul-


tation des données scientifiques, concentrent généralement leurs
efforts sur la lecture des revues systématiques ou des méta-analyses
de la littérature (c’est-à-dire un article faisant la synthèse du sujet).
Le problème réside dans le fait que ces articles se basent sur les
données disponibles, donc publiées, donc plutôt orientées dans le
sens d’un effet significatif. Rappelons par acquit de conscience que
la significativité statistique ne dit absolument rien de la validité
méthodologique d’une étude.

• Privatisation et marchandisation de la connaissance


Les principaux médias de diffusion des connaissances scientifiques
sont les revues dont la majorité des titres sont détenus par quelques
grandes maisons d’édition privées. Nous avons donc affaire à une
question très politique : est-il normal qu’une personne produisant
un savoir avec de l’argent généralement public soit amenée à donner
le fruit de son travail (voire à payer pour qu’on le prenne), si elle
veut le diffuser et le faire reconnaître par ses pairs, à une entreprise
privée, qui exerce ensuite dessus une marge confortable, voire
démesurée pour certaines ? Cette marge est répercutée sur les frais
de fonctionnement de l’université, épongée par des frais de scola-
rité grandissants, et excluant de fait les structures non fortunées
de l’accès à ce savoir, comme les universités d’Afrique de l’Ouest
par exemple. Nous sommes en désaccord avec ce fonctionnement.
Entendons-nous bien. Nous sommes conscients que l’édition et la
publication ont un coût (fonctionnement des sites Web, éditions
des exemplaires papiers des revues, etc.) et qu’il est légitime de
rémunérer les différents acteurs de la chaîne de production du savoir.
Cependant, compte tenu du fait que presque tous les scientifiques
(auteurs, relecteurs et éditeurs) participent au processus de manière
bénévole (financièrement tout du moins, le capital symbolique de
ces activités n’étant bien sûr pas à négliger), le prix des abonnements
est démesuré et ne profite qu’à très peu.

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REMUE-MÉNINGES : PRIX ET TITRE DE CE LIVRE

Le monde de l’édition du livre est différent de celui des revues précé-


demment décrit. Un débat important lors de la confection de ce livre
était : quel livre, quel titre et à quel prix ? D’abord, nous souhaitons un
accès à la connaissance le moins discriminant possible, donc le moins
coûteux. Il faut donc demander à la maison d’édition de diminuer au
maximum ses marges. Or elle peut d’autant plus se le permettre que
ladite édition a les reins solides, d’où un premier dilemme : faut-il
passer par une petite maison, en soutien, quitte à ce que sa marge lui
soit sa survie, et donc que le livre soit cher ? Ou par une grande mai-
son, qui pourra faire un livre à bas prix, mais cela revient à cautionner
l’effet Matthieu : à ceux qui ont beaucoup, on donnera beaucoup
(cf. L’effet Matthieu, dans ce chapitre). Sans parler du fait que pour
qu’une petite collection d’un petit éditeur puisse être annoncée, il faut
que des distributeurs soient embauchés, ce qui a un coût. Il y a éga-
lement la possibilité de renoncer à nos droits d’auteur correspondant
dans notre cas à 6 % du prix hors taxe du livre – soit 3 % chacun.
Pour bien saisir les parts respectives, voici un diagramme récapitulant
ce qui revient à chaque acteur lors de la publication d’un livre (Arpel
Aquitaine, 2008). Il suffira de raisonner ensuite sur le prix de vente
de ce livre, vraisemblablement autour de 18 euros, et sur lequel nous
n’avons guère pu peser. Notons que contrairement à l’édition d’article,
ici tout le monde est payé.

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La bibliographie
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Pour notre part, nous avons décidé de verser nos droits d’auteur
dans la cagnotte du CORTECS, qui a pour objet l’achat d’ouvrages,
l’accueil de stagiaires, l’impression de documents et le remboursement
de déplacements. Restait le problème du titre, créant un dilemme
du même type : faut-il un titre clair, précis, et froid, ou un titre plus
clinquant, plus aguicheur, mais perdant de sa précision. Lorsque
vous lirez ces lignes, la joyeuse controverse entre nous aura pris fin.
Pour en percevoir la teneur, nous avons placé en annexe n°8 les titres
auxquels vous avez réchappé.
Cette question de la rentabilité du savoir n’est pas anodine et a des
conséquences sur la diversité des connaissances mises à la disposition
des étudiants et professionnels et cet ouvrage a bien failli en faire les
frais. En vue de la publication du livre que vous tenez entre les mains,
nous avions sollicité Sauramps, une importante maison d’édition
de livres médicaux et une des rares indépendantes ne relevant pas
d’Elsevier (que nous boycottons, voir encart suivant). Il nous a été
répondu très précisément que « les étudiants (et les professionnels
en général) ne s’intéressent qu’aux outils concrets de leur vie quo-
tidienne, prédigérés, avec le minimum de phrases et utiles au sens
pratique et rémunérateur ! ». Dont acte.

On peut sans doute étendre la question de la privatisation de la


connaissance aux problématiques de formation des professionnels
de santé. En optant pour la pratique fondée sur la preuve, les kiné-
sithérapeutes devraient choisir de ne proposer aux patients que des
techniques et procédés de rééducation ayant démontré leur efficacité
et ces techniques et procédés devraient être enseignés dans les Instituts
de formation. Force est de constater que les techniques qui y sont
enseignées n’ont que très peu évolué au cours des vingt-cinq dernières
années (l’arrêté relatif aux études préparatoires et au Diplôme d’État
de masseur-kinésithérapeute datant du 5 septembre 1989). La mode
est aux formations continues estampillées, valorisées comme des
marques. En Europe, il n’est pas possible de breveter les méthodes
de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain mais
cette limite est déjà franchie aux États-Unis. Dès lors, quelle attitude
adopter si une méthode démontre son efficacité mais reste protégée
par un brevet empêchant son enseignement en formation initiale ?

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REMUE-MÉNINGES : MARCHANDISATION, L’EXEMPLE DE LA MAISON D’ÉDITION ELSEVIER

Dans les années 1580, un certain Lodewijk Elzevir (1542-1617) de


Louvain, monta une entreprise d’imprimeur et libraire. Avant sa
fermeture en 1712, celle-ci eut le cran de publier des ouvrages sul-
fureux, comme l’œuvre d’Érasme, ou de Galilée. C’est en hommage
à cette vieille maison qu’en 1880, à Amsterdam, naquit Elsevier sous
sa forme moderne… et tentaculaire. L’entreprise a tellement grandi
en un siècle que la marque couvre désormais une importante part
de la publication scientifique dans le monde. Propriétaire de la revue
Cell, du Lancet, de collections de livres comme Gray’s anatomy, elle
publie 250 000 articles par an, dans 2 000 journaux. Les profits,
eux aussi, sont colossaux, (plus de 3 milliards de dollars par an),
avec une pratique de prix d’accès à leur catalogue très agressive et,
pour tout dire, assez choquante. Pour avoir un ordre d’idée, certains
abonnements aux revues coûtent près de 40 000 dollars.
Elsevier partage un marché d’environ 17,3 milliards d’euros, essen-
tiellement avec trois autres entreprises (Pearson Plc, Thomson Reuters
et Wolters Kluwer) qui sont toutes cotées en bourse.
Ce système est très coûteux pour la communauté scientifique :
le contribuable paye par ses impôts (bruit de machine à sous) une
recherche que le chercheur publiera parfois à ses frais (bruit de
machine à sous) que d’autres chercheurs devront relire gratuitement
(bruit de machine à sous, car ils sont payés par le contribuable pour ce
temps de travail), que les universités devront racheter à prix d’or, un
couteau sous la gorge (bruit de machine à sous).
La moitié du budget de fonctionnement des bibliothèques univer-
sitaires passe dans ces abonnements, ce qui exclut d’emblée les uni-
versités les moins riches, avec des répercussions entre autres sur les
frais de scolarité des étudiants. Tant que ces pratiques continuent,
le CORTECS a décidé de boycotter l’entreprise94.

94 On pourra lire, Le coût de la connaissance – Boycott d’Elsevier, ainsi que Main


basse sur la science publique : le « coût de génie » de l’édition scientifique
privée sur www.cortecs.org

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La bibliographie
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Les travers du chercheur


Nous voilà équipés sur le système et ses traquenards. S’il veut faire
carrière dans le tout petit monde de la recherche, un auteur devra
par ailleurs mettre en place des stratégies pour les contourner. Voici
quelques éléments d’analyse pour le lecteur qui cherche l’infor-
mation, et sur ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on est auteur, sous
peine d’alimenter l’immense roue de hamsters qu’est devenue la
recherche actuelle.

Quitte à frauder il publiera


À l’instar des revues, les chercheurs font eux aussi l’objet d’un clas-
sement selon des indices bibliométriques. Pour comprendre la mise
en place de ce classement, replaçons la science dans son contexte
sociopolitique. La science et l’enseignement supérieur, comme
d’autres parties de notre secteur public, ont connu des réformes néo-
libérales sur le plan économique impliquant une mise en concurrence
des instituts de recherche et des chercheurs eux-mêmes. L’actuelle
ministre de la recherche, Geneviève Fioraso, en est une fervente
artisane, enrubannée qu’elle est d’intérêts multiples (industriels et
politiques). Leur évaluation est gérée en France par l’Agence d’éva-
luation de la recherche et de l’enseignement supérieur qui, pour cela,
utilise des outils de quantification, d’évaluation et de contrôle des
institutions scientifiques ainsi que des enseignants-chercheurs et de
leurs activités. Ces outils de quantification sont également appelés
indices bibliométriques. On distingue les indices de productions,
résumant la quantité produite, et les indices d’impact, qui traduisent
les citations entre articles, donc leur visibilité (le facteur d’impact
entrant dans cette catégorie). D’autres indices, dits composites,
existent et font la synthèse des deux précédentes variables. C’est
le cas par exemple de l’indice H – la lettre étant l’initiale du nom
du physicien argentin naturalisé étasunien Jorge E. Hirsch, qui
proposa en 2005 cet indice (Hirsch, 2005) : un chercheur aura un
index H égal à N s’il a publié au moins N articles cités au moins N
fois chacun. Cet indice permet en un coup d’œil un classement des

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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chercheurs. Conséquence directe, ce système impose aux scientifiques


une course effrénée à la production d’articles puisque les crédits
qu’ils recevront pour poursuivre leur thématique de recherche ainsi
que leur carrière en dépendent directement. On comprend mieux
que bon nombre de résultats scientifiques soient « maquillés », si ce
n’est inventés de toutes pièces, pour produire plus et plus vite. Les
problématiques des peer restreints et de la recherche du scoop par les
revues que nous venons d’évoquer, expliquent en partie qu’ils puissent
malgré tout être publiés. On citera par exemple le cas du physicien
allemand Jan Hendrick Schön, pris la main dans le sac au début des
années 2000 pour le bidonnage de travaux pourtant publiés dans
de prestigieuses revues (Anonyme [Die Welle], 2002) ; idem pour
Hwang Wo-Suk (Nau, 2007), ou le psychologue Diederik Stapel
(Barthélémy, 2013) ; il en est bien d’autres notamment narrés dans
le livre La souris truquée de William Broad & Nicholas Wade (1987).
La course à l’indice bibliométrique95 conduit également les cher-
cheurs à l’auto-citation, exagérant largement l’importance qu’un
auteur peut prendre dans une discipline donnée et compliquant un
peu plus notre recherche des auteurs clés. Ironie de l’histoire, l’effet
Matthieu joue en sa faveur et plus il se cite, plus il est cité… donc
plus il devient vendeur et attractif pour une revue.

Des mots fouines il abusera


Peur de déplaire à un relecteur ? Il suffit de ramollir artificiellement
vos propos. Nombre d’articles, en particulier dans leurs conclusions,
recèlent de mots qui par leur seule présence, vident complètement
de sa substance la phrase qui les héberge. On les appelle des mots-
fouines (weasel words), car comme l’explique Normand Baillargeon,

95 Cette course à l’échalote fait l’objet du récent ouvrage de Pascal Pansu,


Nicole Dubois et Jean-Léon Beauvois, Dis-moi qui te cite, et je saurai ce que
tu vaux. Que mesure vraiment la bibliométrie ?, Grenoble, PUG, coll. « Points
de vue et débats scientifiques » (2013). Comme vous le voyez, nous avons
réussi à citer le directeur de la publication de la collection de notre livre,
Pascal Pansu. Cela pourrait passer pour un effet Matthieu, n’est-ce pas ?
Mais la citation se justifie par leur travail. Gageons tout de même qu’après
une telle promo, ils nous auront dans leurs petits papiers.

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La bibliographie
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« Ce charmant animal, la fouine, s’attaque aux œufs dans le


nid des oiseaux selon une méthode très particulière : elle les
perce et les gobe, avant de les laisser là. La maman oiseau croit
apercevoir son œuf : mais ce n’est plus qu’une coquille vidée de
son précieux contenu. Les mots-fouines font la même chose,
mais avec des propositions » (ouv. cité, p. 40-41).

Et Baillargeon de donner quelques exemples, qu’on retrouve aussi


bien dans la publicité que dans les publications scientifiques :
- Un produit peut produire tel ou tel effet.
- Un produit diminue ou augmente telle chose jusqu’à tel ou tel
niveau.
- Un produit aide à…
- Un produit contribue à…
- Un produit est une composante de…
- Un produit vous fait sentir comme…
- Un produit est comme…
- Un produit est en quelque sorte…
- Des chercheurs affirment que…
- Des recherches suggèrent que…
- Des recherches tendent à montrer…
- On prétend que…
- Un produit est presque…

Il semble, à en croire le New York Times, du 2 septembre 1916, que l’on


doive à Dave Sewall l’emploi de ce terme en 1879, mais sa première
publication date de 1900 et se fit sous la plume de Stewart Chaplin.
Quoi qu’il en soit, aucun d’entre eux ne devait connaître vraiment
les fouines : ces mustélidés ne percent et ne gobent pas les œufs (soit
ils les croquent s’ils sont petits, soit ils les emportent).
L’usage des mots fouines est un anesthésiant, qui affaiblit sévèrement le
discours. Mais il permet d’obtenir une sorte de consensus mou autour
des propos tenus, évitant les affirmations qui risquent de « saisir » un
relecteur qui pourrait alors tout bonnement refuser l’article.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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L’analyse globale il négligera


Le meilleur conseil que l’on puisse donner au lecteur d’une étude
est celui-ci : débuter par vérifier la reproductibilité des résultats
et la vérification des hypothèses avancées, en testant puis rejetant
tous les biais méthodologiques connus – dont le plus pernicieux
est probablement le tri sélectif des cas, des sujets, des informations
ou des situations, bref, le tri sélectif des données (cf. chapitre 5, Les
protocoles expérimentaux). Prévenir ce tri est une nécessité pour
établir une connaissance ayant une portée extra-subjective. C’est
néanmoins un exercice difficile car le tri peut être :

- Volontaire et conscient, comme le lissage « cosmétique » des don-


nées lors des tracés de courbe. Nous donnons en classe l’exemple
de la loi d’Ohm, du programme de quatrième : qui parmi nous
n’a pas, malgré des mesures au multimètre, légèrement joué de la
gomme sur ses données pour obtenir la droite que le professeur
attend sur papier millimétré ?96. Lorsque, pour être publié, il faut
obligatoirement fournir des résultats renversants, lisser les courbes
ou escamoter les cas rétifs devient alors presque forcé (cf. Quitte
à frauder, il publiera, dans ce chapitre).
- Volontaire et plus ou moins conscient, comme lorsqu’un chercheur
a une idée trop précise de ce qu’il va ou veut trouver. Pensons à
Gregor Mendel et ses pois (cf. chapitre 2, Évenement de départ).
- Ou involontaire : le biais de confirmation d’hypothèse est très
fréquent, dans la mesure où il est plus facile cognitivement d’aller
chercher des éléments confirmant nos hypothèses que de traquer
ceux qui pourraient l’infirmer (cf. point suivant). Certaines illu-
sions statistiques créent la même chose, lorsque les probabilités
sont conditionnelles ou bayésiennes (c’est-à-dire estimées à partir
de probabilités obtenues pour d’autres événements), ou contre-

96 C’est l’occasion de montrer la signature statistique d’une fraude naïve : les


écarts à la moyenne suivant une courbe de Gauss, un recentrage sur une
droite idéale laissera des marques (un resserrement) sur la gaussienne.
Pis, si les scrupules sont trop grands, la valeur moyenne sur la droite étant
évitée, on repère un « trou » dans cette gaussienne exactement sur la valeur

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La bibliographie
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intuitives. L’expérience originale réalisée par Peter Cathcart Wason


(Wason, 1968), inventeur de la notion de biais de confirmation,
est éclairante, comme nous allons le voir ci-dessous.

MAINS DANS LE CAMBOUIS : LES TÂCHES DE SÉLECTION DE WASON ET JOHNSON-LAIRD

Peter C. Wason (1924-2003) était un spécialiste de la psychologie


cognitive notamment connu pour avoir décrit par une expérience
simple le biais de confirmation d’hypothèse. Au cours de cette expé-
rience, quatre cartes sont présentées au sujet (prenons par exemple,
A ; D ; 4 et 7). Chacune a une lettre sur une face et un nombre sur
l’autre face. La consigne de Wason était celle-ci : « Quatre cartes
comportant un chiffre sur une face et une lettre sur l’autre, sont
disposées à plat sur une table. Une seule face de chaque carte est
visible. Les faces visibles sont les suivantes : A, D, 4, 7. Quelle(s)
carte(s) devez-vous retourner pour déterminer la ou les carte(s) qui
ne respecte(nt) pas la règle suivante : si une carte a un A sur une face,
alors elle porte un 4 sur l’autre face. Il ne faut pas retourner de carte
inutilement, ni oublier d’en retourner une. »
Que répondriez-vous ?
Quelques années plus tard, en 1972, Philip Johnson-Laird (1936-)
proposa le problème suivant :
« Quatre personnes sont en train de boire dans un bar et vous disposez
des informations suivantes : la première boit une boisson alcoolisée,
la seconde a moins de 18 ans, la troisième a plus de 18 ans et la
dernière boit une boisson sans alcool. Quelle(s) personne(s) devez-
vous interroger sur leur âge ou sur le contenu de leur verre pour vous
assurer que tous respectent bien la règle suivante : Si une personne
boit de l’alcool, elle doit avoir plus de 18 ans. »

centrale. L’illustrer sur la loi d’Ohm est très simple auprès des étudiants. Il
suffit de leur montrer ensuite que les expériences de J. Benvéniste sur la
fameuse « mémoire » de l’eau ont exactement ces mêmes stigmates, et la
conviction de fraude l’emporte. Voir à ce sujet Broch (2002).

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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À vous !

Voir les résultats en annexe n° 5

La validation subjective des cas et l’exposition sélective aux sources


d’information amènent aussi invariablement au tri sélectif des données,
de même que le recueil de témoignages qui voit une surreprésentation
des témoignages positifs, les mécontents étant généralement moins
bavards que les satisfaits. Le meilleur exemple que nous connaissons est
certainement le sophisme de l’enseignant, submergé par des étudiants
satisfaits à la fin de ses cours : il pourrait être tentant pour lui d’y
voir une preuve de la qualité de ses enseignements s’il oublie que les
mécontents et insatisfaits eux sont probablement partis promptement,
ou encore que les étudiants ont pu apprécier le cours, sa dynamique,
mais n’avoir rien appris. Selon les circonstances, la perception peut
être inversée : ainsi en est-il probablement des services après-vente,
ne recevant que des plaignants.

Comme nous le voyons, la frontière est ténue entre l’accommodation,


l’illusion et la fraude. Partant du principe qu’il vaut mieux prévenir
que guérir, il faut expliquer qu’une preuve ne se brade pas, et que
l’accumulation de preuves de qualité médiocre n’a jamais contribué
à la construction d’une connaissance scientifique sérieuse, que ce soit

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La bibliographie
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un amas de faits non homogènes, des observations hétéroclites ou des


méta-analyses statistiques d’études aux conditions non semblables.
Souvenons-nous que dans le domaine du soin, le tri sélectif des
données n’est pas réservé aux professionnels et s’applique également
aux patients. Il est par exemple tout à fait concevable que nous nous
adressions à un thérapeute sur les conseils d’amis satisfaits, négligeant
du même coup l’avis des insatisfaits, qui ne font généralement plus
jamais allusion à cet épisode pour lequel ils ont investi du temps,
de l’argent, de la confiance sans en avoir tiré un bénéfice suffisant.
La publicité pour la Française des jeux disait : « 100 % des gagnants
auront tenté leur chance », sans préciser que 100 % des perdants
aussi (et ils sont bien plus nombreux). De même 100 % de ceux
qui vantent leur thérapeute en sont satisfaits. En parallèle, peu des
mécontents s’exprimeront pour se plaindre.

Des publications endogènes il citera


Le processus de publication par relecture par les pairs, il faut bien
l’admettre, n’est pas parfait. Il a toutefois le mérite d’exister et
permet malgré tout de faire à moindre coût un tri des articles les
plus médiocres. Certains choisissent de le contourner pour ne pas
avoir à se plier aux règles méthodologiques en principe imposées
pour garantir la qualité des résultats publiés. C’est ainsi que bon
nombre des tenants de thérapies manuelles dites alternatives ont
fondé leur propre maison d’édition d’ouvrages ou de revues, enfer-
mées dehors, si l’on peut dire, car sur un îlot auto-justificateur où
la relecture critique n’a pas de présence. En abordant les détails de
fonctionnement du processus de publication scientifique, nous avons
mis en évidence son inefficacité en tant que filtre des informations
médicales et scientifiques. Il est donc in fine de première nécessité
de vérifier la teneur même de chaque article. Les bases méthodo-
logiques sont-elles bonnes ? Pour le savoir il faut évaluer sa qualité
intrinsèque, ce qu’on nomme la validité interne. Les éléments du
chapitre 5 vont nous permettre de nous forger une opinion étayée.
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CHAPITRE 5

Les protocoles expérimentaux


« Méthode : ne sert à rien. »

Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues

Les différents protocoles


Dans le domaine de la santé, les études scientifiques peuvent être
de plusieurs types, se distinguant à la fois par les objectifs pour-
suivis et par la méthodologie utilisée pour y répondre. De manière
schématique, on peut considérer quatre grandes familles distinctes :
- les études dites descriptives,
- celles dites analytiques observationnelles,
- celles dites analytiques expérimentales,
- et les études métrologiques des outils et tests d’évaluation.

Accrochons-nous !
Les études descriptives ont pour objectif de connaître la fréquence
et la répartition d’indicateurs de santé dans une population, dans
le temps et dans l’espace : le nombre de patientes souffrant d’un

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cancer du sein en France à un instant donné par exemple – qu’on


appelle la prévalence du cancer du sein – ou le nombre de nouveaux
cas déclarés au cours de l’année 2011 – qu’on appelle incidence.
Prévalence et incidence ont deux méthodologies associées différentes :
pour la prévalence, on pratique l’étude transversale, correspondant
à une photographie que l’on ferait de la population étudiée à un
moment donné pour y compter le nombre de malades. Pour l’inci-
dence, c’est l’étude longitudinale qui est à l’œuvre, consistant à filmer
cette population pendant une durée donnée pour voir comment
évolue le nombre de malades dans ce laps de temps.
Les études analytiques observationnelles ont quant à elles pour
objectif d’analyser le lien existant entre des déterminants (comme
un facteur de risque ou de protection par exemple) et un état de
santé, uniquement en observant des groupes qui ont ou n’ont pas
ce déterminant (par exemple un virus). L’investigateur n’intervient
pas. Les deux méthodologies utilisées sont les études dites « cas-
témoin » et les études dites « de cohorte ». Les études « cas-témoin »
consistent majoritairement à estimer dans un groupe de sujets malades
et dans un groupe de sujets sains la probabilité d’avoir été exposé
par le passé à un déterminant97. Dans les études « de cohorte », les
sujets sont recrutés sur la base de leur exposition au déterminant
étudié et l’analyse porte sur la survenue ou non de la maladie chez
ces sujets. On estime ainsi la probabilité de survenue de la maladie
chez les sujets exposés et non-exposés au cours du temps. L’étude
de cohorte peut être employée avant que l’événement de santé à
observer se manifeste (on l’appellera étude prospective) ou après
(cette fois, étude rétrospective).
Les études analytiques expérimentales ont elles aussi pour objectif
d’analyser le lien existant entre des déterminants et un état de santé,
mais cette fois-ci en manipulant le déterminant. Les études consti-
tuant ce groupe sont appelées des essais cliniques et consistent à suivre
l’état de santé d’au moins deux groupes pour lesquels le déterminant

97 Il y a quelques exceptions à la règle que nous ne détaillons pas ici, de peur


d’alourdir le propos. Pour en savoir plus, l’article de Knol et al. (2008) syn-
thétise assez bien les différentes formes d’études cas-témoin, en particulier
la figure 1.

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Les protocoles expérimentaux
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étudié diffère. La forme la plus achevée d’étude expérimentale est


l’essai clinique randomisé (cf. La randomisation), contrôlé (cf. L’art
du contrôle, ou pourquoi contrôler ?), en double aveugle (cf. Au
pays des borgnes, ou comment contrôler ?) et analysé en intention
de traiter (cf. Recueil et traitement des résultats). Malheureusement,
pour des raisons éthiques, économiques ou de simple faisabilité il
est parfois impossible d’obtenir cette rigueur scientifique. Il est par
exemple impensable de faire l’évaluation d’une thérapie contre le
cancer versus rien, c’est-à-dire condamner la moitié des patients à
ne rien recevoir, les privant ainsi du meilleur choix thérapeutique.
Il est également infaisable d’évaluer contre placebo, en double
aveugle, l’efficacité propre de soins dont on ne peut faire un placebo,
comme les cures thermales (encore qu’on pourrait faire au moins
un placebo des caractéristiques physico-chimiques de l’eau utilisée).
Des protocoles quasi expérimentaux sont alors mis en place. C’est
par exemple le cas des études dites « Ici/Ailleurs », où l’on compare
une pratique thérapeutique d’un hôpital à une autre dans un autre
hôpital, ou « Avant/Après », où l’on compare l’état de santé des
patients d’un service avant et après l’introduction d’une méthode
thérapeutique. Ces méthodologies sont hélas moins rigoureuses
que l’essai clinique randomisé contrôlé et la portée des résultats
s’en trouve affaiblie.
Les études métrologiques des outils et tests d’évaluation, enfin,
ont pour objectif principal de déterminer la fiabilité et la validité
d’outils de mesure (nous empruntons ici la définition de ces notions
à Fortin et al., 1996 et Fermanian, 2005) : la fiabilité correspond
en particulier à la capacité d’un test ou d’un outil à fournir une
mesure reproductible dans le temps. La validité, elle, représente
le degré de confiance que l’on peut placer dans le test ou l’outil
que nous étudions pour traduire le phénomène que l’on souhaite
observer. Différentes méthodes sont utilisées pour appréhender
ces deux propriétés métrologiques. En ce qui concerne la fiabilité,
d’une part, l’intervention ou non de(s) l’expérimentateur(s) dans
la réalisation du test conduit à des notions différentes de la fiabi-
lité (inter-examinateurs, intra-examinateurs, test-retest). En ce qui
concerne la validité, d’autre part, le test doit à la fois rendre compte

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de la réalité sous-jacente et fournir de l’information sur le niveau


de performance des sujets. Cette validité s’exprime sous différentes
formes, évaluées selon une méthodologie spécifique. La validité
d’apparence, premièrement, est soumise au seul jugement logique
des sujets pour appréhender si le test évalue bien l’entité à évaluer.
La validité de critère, deuxièmement, nécessite la comparaison à un
critère externe de référence (gold standard en anglais). La validité de
construit, enfin, implique un processus au cours duquel l’évidence
s’accumule au fur et à mesure des expériences. De la qualité métro-
logique des outils utilisés dépendra la qualité des mesures recueillies.

Soyons bien conscients que si tous les protocoles évoqués existent


bel et bien, tous ne se valent pas. Voyons maintenant quelques
éléments permettant de comprendre pourquoi. Nous aborderons
l’échantillonnage, la randomisation, le contrôle et enfin l’art de
l’aveugle, qui est roi même au royaume des borgnes.

L’échantillonnage
Faire un protocole expérimental nécessite de faire un échantillonnage
de la population, pour une raison simple : il est impossible de tester
une technique sur l’ensemble de la population. Ce n’est pas faisable,
car non seulement il faudrait des moyens colossaux, mais qui plus
est obtenir l’accord de toute la population. Il nous faut donc nous
contenter de recruter une portion de cette population, et c’est cette
portion que l’on nomme l’échantillon. Il faut être bien conscient
que dès cette étape, l’échantillonnage entraîne systématiquement et
irrémédiablement des biais : à titre d’exemple, si l’expérimentateur
fait son recrutement par voie d’affichage il exclut les personnes qui ne
savent pas lire ou ne lisent pas cette langue, sans parler de ceux qui ne
passent pas devant les affiches ou, le faisant, ne les lisent pas ; s’il le
fait par courriel, il limite l’accès de son étude aux personnes ayant les
moyens d’avoir des outils informatiques, s’il le fait l’après-midi, il se
prive des travailleurs en journée, etc. Nombreux sont les thérapeutes
qui recrutent leur échantillon au sein de leur patientèle, méthode

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Les protocoles expérimentaux
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courante pour les études réalisées par des kinésithérapeutes. Si ce


recrutement est extrêmement confortable, il engendre néanmoins
un biais de sélection de la patientèle, car le profil des patients peut
être très variable d’un cabinet à l’autre.
Autre biais potentiel, l’effet de migration des stades (stage migra-
tion en anglais), ou effet Will Rogers, en hommage à l’acteur du
même nom98. En déplaçant un élément d’un groupe à l’autre,
on peut paradoxalement faire monter la variable dans… les deux
groupes ! Représentons-nous par exemple un ensemble de patients
qui indiquent sur une échelle de 1 à 10 la douleur moyenne qu’ils
ressentent. On crée un groupe A à douleur faible, A = {1, 2, 3, 4} et
un groupe B de douleur forte, à partir de 5, soit B = {5, 6, 7, 8, 9}
Si l’on fait la moyenne de chaque groupe, on obtiendra 2,5 pour A,
et 7 pour B. Mais imaginons que les normes d’inclusion changent,
et que par exemple, après une recommandation de l’Organisation
mondiale de la santé, 5 est finalement considéré comme faible. Les
groupes deviennent alors A = {1, 2, 3, 4, 5} et B = {6, 7, 8, 9}. Or
de ce fait, la moyenne (notée ci-dessous µ) de A est montée à 3, et
celle de B, à 7,5. Les deux groupes ont vu leur moyenne augmenter.

Situation 1 Situation 2
A = {1, 2, 3, 4}  µ = 2,5 A = {1, 2, 3, 4, 5}  µ = 3
B = {5, 6, 7, 8, 9}  µ = 7 B = {6, 7, 8, 9}  µ = 7,5

Quelles en sont les conséquences ? Si le système de détection d’une


maladie par exemple s’améliore et permet du dépistage précoce,
certains individus passeront du groupe des sujets en bonne santé
vers le groupe des sujets malades. À travers ce changement, la
moyenne de la durée de vie augmentera paradoxalement dans
les deux groupes, et cela quel que soit le traitement que l’on fera.

98 Cet acteur aurait déclaré : « quand les Okies (NdA : terme péjoratif désignant
les ouvriers pauvres de l’Oklahoma poussés par la misère de la grande
dépression de 1929 à émigrer vers la côte sud-est) quittèrent l’Oklahoma et
vinrent en Californie, ils élevèrent l’intelligence moyenne des deux côtés ».

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On aura ainsi tendance à conclure à l’efficacité du traitement, alors


que c’est un problème d’un critère d’inclusion dans les groupes qui
a changé (Feinstein et al., 1985).

MAINS DANS LE CAMBOUIS : QUIZ DE MONTY HALL

Monty Hall est le nom d’un animateur télé étasunien qui a présenté


pendant près de treize ans le redoutable jeu Let’s make a deal mettant
en scène un casse-tête probabiliste tout à fait contre-intuitif, et par
là même, stimulant la pensée critique. Ce « faux paradoxe », dont
la première forme connue a plus d’un siècle, est également connu
sous le nom du « jeu des deux chèvres et de la voiture ». En voici
le principe.

100 $ sont cachés sous l’une de trois boîtes, identifiées : A, B, et C.


On vous demande de choisir sous laquelle des trois boîtes se trouve
l’argent.
Ignorant sous laquelle des boîtes se trouve l’argent, vous choisissez
au hasard la boîte A.
Pour vous aider, on dévoile qu’il n’y a pas d’argent sous la boîte B.

Question :
Conservez-vous votre choix : A ?
1. Oui, je garde mon premier choix
2. Non, je change mon premier choix
3. Aucune importance (soit toujours garder, soit toujours changer)
4. Au hasard (l’un ou l’autre à « pile ou face » à chaque coup)

Réponse en annexe n° 6

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Les protocoles expérimentaux
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La randomisation (ou casualisation, ou répartition au hasard)


Pour tester l’efficacité d’une technique, il faut prendre soin de
séparer les individus de l’échantillon de population recruté en deux
groupes (parfois plus) équivalents, l’un d’eux recevant le traitement
et l’autre non (cf. L’art du contrôle, ou pourquoi contrôler ?, dans
ce chapitre). Il est nécessaire que l’affectation des individus dans
les groupes se fasse au hasard – ce qu’on appelle la randomisation,
de random, aléatoire en anglais. La randomisation est le moyen le
plus sûr d’obtenir des groupes comparables au début de l’étude et
d’éviter deux erreurs majeures :
- les biais de sélection, c’est-à-dire la gamme des erreurs de sélection
des sujets à étudier, qui rendent l’échantillon non représentatif des
populations censées être étudiées. Une source de biais majeure
est le recrutement des sujets : questionner des étudiants kinés par
exemple, ne permet pas de créer un échantillon représentatif de la
population générale, car ils sont principalement issus de la classe
moyenne, blancs, relativement sportifs, non complexés par leur
corps et disposent de bonnes connaissances en santé ; interroger des
gens au hasard n’est pas anodin non plus selon l’heure du recueil
d’informations (très tôt, surreprésentation des travailleurs ; samedi
après-midi, surreprésentation des jeunes et des oisifs, 4 heures
du matin surreprésentation d’étudiants fêtards, de boulangers,
d’éboueurs, etc.). Le risque de biais de sélection est faible dans les
études expérimentales et longitudinales, plus important dans les
études transversales, et maximal dans les études dites cas-témoins
(cf. Les différents protocoles, dans ce chapitre). Évoquons au
passage un problème appelé problème d’attrition, qui est un type
de biais de sélection. Ce problème se présente lorsque des sujets
sont « perdus de vue » c’est-à-dire quittent un groupe d’étude,
que ce soit par abandon ou par décès. Le terme d’attrition étant
compliqué, nous préférons l’appeler effet Jacques Pradel99.
- les biais liés à notre perception du hasard. Deux biais bien connus
viennent se greffer à la randomisation : le biais d’alternance et le

99 Pour les plus anciens lecteurs, il n’y a pas à chercher d’autre référence que
le reality-show des années 1990, Perdu de vue. Pour les plus jeunes, Jacques
Pradel était l’animateur de cette émission très populaire.

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biais de positivité. Le biais d’alternance advient lorsqu’on tente


soi-même de générer du hasard. Nous sommes de très mauvais
générateurs aléatoires car nous avons tendance à créer une alternance
trop forte : si par exemple nous devions générer des piles et des faces,
il y aurait de fortes chances qu’on crée beaucoup trop d’alternances
du type PFPFPF, alors que le hasard, lui, présenterait des phases
d’enchaînement de piles et de faces qui nous paraîtraient trop
régulières. C’est ainsi. Nous concevons un hasard trop alterné. De
ce fait, il faut éviter que la répartition dans les groupes se fasse par
un humain. Une pièce lancée, un dé ou un générateur informatique
produit un meilleur hasard. Le biais de positivité est à prendre en
compte lorsque, au lieu de piles et de faces, on propose le choix
entre OUI et NON par exemple. Environ 60 % des gens tendent
à choisir OUI (Gauvrit, 2009). Cela peut avoir un effet dans les
répartitions statistiques où une thérapie jouit d’une connotation
plus positive qu’une autre.

Randomiser les échantillons de population permet ainsi de maximiser


les chances pour que, dans le cas où une différence apparaîtrait au cours
de l’étude entre les groupes, elle soit bien liée au traitement délivré.

REMUE-MÉNINGES : LES POINTS D’ATTRACTION DE CHRISTIE

Une bonne manière de rendre compte de notre hasard biaisé est de


regarder les études de John Christie, du département de psychologie
de l’université de Dalhousie, au Canada, sur 602 étudiants qui avaient
pour consigne de placer trois points au hasard dans un carré (Christie,
2001). Les résultats sont stupéfiants : de manière significative, les
points choisis se concentrent dans certaines zones et en délaissent
d’autres. De même, lorsqu’on demande à des participants de choisir
un chiffre entre 1 et 9, 30 % choisissent 7.

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Les protocoles expérimentaux
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Représentation graphique des points d’attraction dans un carré, de John Christie

La solution de l’étude croisée


Une autre manière de s’extraire du biais de sélection est la réalisation
d’une étude croisée (cross-over en anglais). Dans ce type d’étude,
on administre successivement à un même groupe de patients les
traitements dont on souhaite comparer les effets (par exemple un
placebo, un traitement de référence et une nouvelle technique). Le
patient étant son propre témoin dans les différentes étapes de l’étude
(une étape représentant une période pour un traitement donné), la
comparabilité est excellente et seules les variations propres au sujet
interfèrent avec les résultats (c’est ce qu’on appelle la variabilité
intra-individuelle). L’ordre dans lequel chaque patient reçoit les
traitements est aléatoire, limitant ainsi les biais liés par exemple à
l’évolution spontanément résolutive des pathologies et la régres-
sion à la moyenne (cf. L’art du contrôle, ou pourquoi contrôler ?,
dans ce chapitre). Pour qu’une étude croisée soit valable, certaines
conditions doivent être remplies – en particulier que le traitement
administré n’ait pas des effets irréversibles, sans quoi le résultat
serait faussé. Aussi étonnant que cela paraisse, on ne peut donc pas
tester ainsi un traitement qui guérit définitivement les patients. Et
même lorsque les effets d’un traitement ne sont pas irréversibles,
il arrive qu’ils ne cessent pas immédiatement après son arrêt. Pour
tenir compte de ce phénomène, une période de lavage ou fenêtre

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thérapeutique (wash out en anglais) peut être aménagée entre les


périodes pour permettre aux effets du traitement administré en
premier de disparaître.

L’art du contrôle, ou pourquoi contrôler ?


Lorsqu’il s’agit de déterminer si une thérapie est efficace ou non,
c’est un véritable marécage bordé de sables mouvants et de chausse-
trappes qu’il faut traverser.

Évolution spontanément résolutive et régression à la moyenne


Première gamme de pièges, et non des moindres : ne faire qu’un
groupe de patients auquel on applique un traitement et se contenter
d’en suivre l’évolution. Cette manière de faire est très courante dans
le monde des thérapies manuelles et elle conduit trop souvent les
auteurs comme les patients à conclure que le traitement est efficace
puisque les patients vont mieux après qu’avant. En l’absence de
groupe contrôle, l’étude est cuite, puisqu’on ne saura jamais quel est
le paramètre qui a joué. Toutefois, même avec un groupe contrôle,
nous ne nous abstrayons pas du paramètre temps. Or, si l’enfer est
dans les détails, le problème ici est dans le fait qu’une grande majorité
des pathologies, en particulier celles ciblées par les thérapeutiques
manuelles, sont d’évolution spontanément résolutive, c’est-à-dire qu’elles
guérissent toutes seules, spontanément, quel que soit le traitement
donné. Cet aspect est à prendre en considération mais ne doit pas
laisser penser que le rééducateur n’a aucun rôle à jouer. Au contraire,
il se mue alors en éducateur de santé, recherchant un entretien des
capacités restantes du patient, une prévention des aggravations et une
compensation des capacités temporairement perdues en attendant
que la pathologie évolue favorablement.
Or l’effet présumé du traitement est d’autant plus spectaculaire et faus-
sement convaincant que le recrutement du (seul) groupe de patients n’a
pas été aléatoire (cf. La randomisation, dans ce chapitre). Ce problème

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Les protocoles expérimentaux
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pourrait s’appeler l’exacerbation artificielle des symptômes, car les


patients inclus dans ce type d’étude sont généralement… ceux qui
consultent ! Or, tous autant que nous sommes, avons tendance à
consulter lorsque nous sommes à l’apogée, en plein « pic » de notre
symptôme. Prenons comme exemple notre ami Toto, et un épisode
de douleur lombaire qui a duré dix jours. Toto peut exprimer sa
douleur sur ces dix jours en moyenne à cinq sur dix sur une échelle
visuelle analogique (échelle d’autoévaluation de la douleur). Il est
très probable que Toto prenne rendez-vous avec son thérapeute au
moment où il est en pic de douleur, à sept sur dix. Par conséquent la
probabilité que sa douleur diminue après le traitement est élevée mais,
hélas, indépendante de son efficacité. Ce phénomène est connu sous
le nom de biais de régression à la moyenne100. Pour l’illustrer, on peut
s’imaginer un cycliste qui boit un verre en haut d’un col. Penser que
la diminution de l’effort nécessaire au cycliste après le col est un effet
du verre d’eau serait commettre une erreur de régression à la moyenne.

Efficacité propre, effets placebo et contextuels


Pour empêcher ces deux biais d’entacher les résultats d’une étude
portant sur l’efficacité d’une prise en charge, une solution pourrait être
de comparer l’évolution du groupe de patients recevant le traitement à
celle d’un groupe ne le recevant pas. C’est à ce moment que se referme
le second piège méthodologique puisqu’un phénomène, connu sous
le nom d’effet placebo, se met inévitablement en place lors d’une prise
en charge thérapeutique. Cet effet placebo, du latin je plairai – qui
vient de placebo domino, « je plairai au Seigneur »101 – est l’écart positif,
entre le résultat thérapeutique d’un soin et l’efficacité réelle spécifique
de l’acte thérapeutique réalisé (nommée efficacité propre) ; autrement
dit « un bonus » ou la cerise sur le gâteau de l’efficacité propre. Ce
bonus, dont le mécanisme d’action est purement symbolique, entraîne

100 On doit l’identification de ce biais, ‘‘regression to the mean’’, à Francis Galton,


grand savant mais également tragique fondateur du courant eugéniste
raciste, et inventeur de la systématique des empreintes digitales.
101 C’est le premier verset de la Vulgate, la Bible version latine, utilisé au ve siècle
dans la liturgie lors de l’Office des morts.

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chez le patient des réponses physiologiques réelles, en particulier une


modification de la transmission endorphinique et dopaminergique
en jeu dans le mécanisme neurobiologique de la douleur (voir par
exemple Lemoine, 2011, pour une synthèse). Ce qui est saisissant,
c’est que tout acte thérapeutique, efficace ou non, entraîne un effet
placebo. On peut donc avoir la cerise sans le gâteau !
Il faut toutefois nuancer ce propos : la taille de l’effet placebo est très
souvent surestimée (voir ci-dessous). En outre, il faut se souvenir que
tous les placebos ne se valent pas (cf. L’art du contrôle, ou pourquoi
contrôler ?, dans ce chapitre). Ainsi, nous sommes particulièrement
attentifs à la description du placebo proposé dans les études et
notamment au fait que le traitement placebo proposé ressemble en
tout point (ou presque) au traitement évalué. Si, dans une étude
évaluant l’effet de mobilisations du genou sur la récupération des
amplitudes articulaires, le traitement placebo proposé est une danse
d’indien Cheyenne autour d’un feu pendant huit séances, il y a fort
à parier que le nombre d’abandons (effet Jacques Pradel ou biais
d’attrition, expliqué plus haut) sera bien supérieur dans le groupe
placebo que dans le groupe mobilisation.

REMUE-MÉNINGES : LA DÉMESURE DU PLACEBO

On entend couramment que l’effet placebo est immense et on entend


parfois que les cancers, la sclérose en plaque et autres pathologies
graves peuvent guérir par la simple volonté du malade. Ce n’est
malheureusement pas le cas et c’est tragiquement culpabilisant pour
celui qui y croit et ne guérit pas. L’effet placebo est surestimé pour
de nombreuses raisons parmi lesquelles l’évolution spontanément
résolutive de nombreuses pathologies et la régression à la moyenne
qui ont déjà été abordées. Une troisième raison tient au fait que
l’estimation de l’effet placebo se fait par la réalisation de protocoles
expérimentaux. Or le fait même d’être inclus dans un protocole de
recherche induit un mécanisme psychologique connu sous le nom
d’effet Hawthorne. Cet effet mérite un détour historique.
Entre 1927 et 1932, le psychologue Elton Mayo, bien connu pour
être à l’origine des méthodes d’évaluations quantitatives de l’activité

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de l’humain au travail, conduisit une série d’essais dans les usines de


la Western Electric Company de Cicero (banlieue ouest de Chicago),
usines connues sous le nom de Hawthorne Works. Ces essais devaient
montrer si des modifications simples des conditions de travail comme
l’éclairage pouvaient avoir des effets sur la productivité des ouvriers. À
sa grande surprise, la productivité a grimpé, qu’on augmente ou qu’on
diminue la lumière, et même lorsque les ampoules étaient remplacées
par de nouvelles de même puissance. Ce n’étaient cependant pas les
conditions extérieures qui étaient décisives pour les résultats, mais
la participation à l’étude en soi, et l’attention accrue des sujets sur
l’impression que quelque chose s’était passé (Mayo, 1949). L’effet
Hawthorne prévoit donc que des sujets qui se savent inclus dans une
étude ont tendance à être plus motivés et répondre un peu ce qu’ils
présument qu’on attend d’eux.

On dit que c’est dans son Dictionnaire Médical de 1811 que le


médecin Robert Hooper nomma pour la première fois placebo la
« médication destinée plus à plaire au patient qu’à être efficace ». À
la même époque, le médecin Jean-Nicolas Corvisart utilisait avec
succès des boules de mie de pain pour traiter l’entourage de Napoléon
Bonaparte. Ainsi a-t-on cerné progressivement les diverses facettes
du placebo, que la psychologie appelle les effets contextuels dont
les principaux sont :
- Le thérapeute qui administre le soin
En effet, un thérapeute à la mode, qui nous apparaît sympathique,
affiche des titres ronflants et semble sûr de lui a toutes les chances
de potentialiser les effets du traitement qu’il nous administre. Le
médecin Richard Asher pointa aussi ce paradoxe qui a gardé son
nom : plus un thérapeute est autoritaire et persuadé d’avoir raison,
plus le patient évalue comme efficace le soin reçu102.

102 Dans son recueil d’articles (non traduit) Talking Sense (Asher, 1972), il
conspuait également la littérature scientifique incrustée de « foul-2-mots-
6-byl-1,1-compréhensibles-2-tout-1-chakin » (allotov-words-2-obscure-
4-any-1,2-succidin-understanding-them) et dans The Lancet énonçait les
sept péchés capitaux en médecine : l’obscurité, la cruauté, les mauvaises
manières, la sur-spécialisation, l’amour du rare, la stupidité commune et la
paresse (Asher, 1949).

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Au contraire, un thérapeute qui doute, ou une thérapie détestée


par le patient entraînera un effet placebo négatif qu’on appelle alors
nocebo (je nuirai). Nous-mêmes, en tant que patients, serions plus
ou moins placebo-sensibles, sans pour autant qu’un profil-type de
patients répondant au placebo ne se soit caractérisé : il s’agit plus
vraisemblablement d’une sensibilité à l’autorité qu’une véritable
placebo-sensibilité – dont la théorie est encore controversée103.
- Le type de pathologie
Il est déterminant dans la taille de l’effet placebo puisque les patients
souffrant de pathologies dites fonctionnelles, dont la part psy-
chosomatique est importante et qui sont l’essentiel de l’activité
kinésithérapique, répondent mieux au traitement placebo que lors
de pathologies organiques plus lourdes comme les cancers ou la
démence (Benedetti, 2008). Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit
généralement pas de meilleures « guérisons » : on ne guérit hélas
pas davantage grâce au placebo mais on vit mieux les symptômes,
souvent subjectifs, de la maladie.
- Le traitement administré (la technique utilisée dans le cas des thérapies
manuelles)
Facteur prépondérant dans la taille de l’effet placebo, il incorpore
tous les éléments d’un marketing bien ficelé. L’aspect théâtral ou
« craquant » (cf. chapitre 2, Remue-méninges : la vertèbre déplacée
et l’hypnomassage) d’une technique manuelle, la forme et la couleur
d’un comprimé ont un impact sur la taille de l’effet placebo. Deux
comprimés placebo valent mieux qu’un seul et les gros comprimés
font plus de bien que les petits. Même le nom « scientifique » agit :
la mie de pain de Corvisart séduisit seulement sous le nom de Mica
panis et ce sont maintenant Viagra (que les publicitaires tirèrent de
« viril » et « Niagara ») ou Seresta (sérénité et stabilité) qui en jouent
pour amplifier leurs effets. Le prix et la durée du traitement sont
aussi à prendre en compte puisqu’un traitement plus coûteux induit
un effet placebo plus grand (Waber et al., 2008) (cf. chapitre 6,
Dissonance cognitive, engagement).

103 On pourra lire de Craen et al., 1999 et Kaptchuk et al., 2008 pour se forger
une opinion.

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Hélas, il n’est pas toujours loisible de réaliser un placebo, pour


des raisons éthiques ou matérielles. Une stratégie consiste alors à
comparer les effets du traitement étudié à ceux d’un traitement déjà
pratiqué. À l’inverse, nous ne sommes pas toujours en mesure de
proposer aux patients des traitements ayant fait la preuve de leur
efficacité : se pose alors l’épineuse question de la place du placebo
dans notre stratégie thérapeutique.

REMUE-MÉNINGES : PEUT-IL ÊTRE JUSTIFIÉ DE PROPOSER UN PLACEBO À SON PATIENT ?

La question probablement la plus fréquente lorsque nous abordons la


notion de placebo dans nos cours ou conférences concerne la moralité
de réaliser des actes placebo lors d’une prise en charge thérapeutique.
La réponse commune, apportée immanquablement par les théra-
peutes présents dans la salle consiste à dire que « du moment que le
patient va mieux, c’est bien là l’essentiel ! ». Pragmatisme qui confine
à un sophisme du même nom, le sophisme du pragmatisme, ou ad
consequentiam (cf. chapitre 6, Collector « Soin & kiné »).
Nous pensons qu’il n’est pas possible de répondre d’un bloc à cette
épineuse question. Elle impose un petit développement et la distinc-
tion de plusieurs cas de figure.
Il faut tout d’abord dissocier différents types de situations.
- Situation 1 : on dispose de techniques ayant démontré une effi-
cacité propre.
- Situation 2 : on ne dispose que de techniques qui n’ont pas fait la
preuve de leur efficacité propre.

S’offrent ensuite deux options :


- Option A : le recours à l’acte placebo répond à la demande du
patient (conscient ou non du caractère purement placebo de l’acte).
- Option B : le recours à l’acte placebo est un choix du thérapeute (il
est entendu qu’il est de la responsabilité du thérapeute de connaître
le degré d’efficacité propre des techniques qu’il propose).

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Lorsque nous sommes dans une situation de soin où nous disposons


de méthodes de traitements ayant fait la preuve de leur efficacité
(1), il n’est selon nous moralement pas justifiable qu’un thérapeute
propose d’emblée une solution placebo (1B).
Dans le cas où le recours au placebo répond à une demande du patient
(1A), il est du devoir du thérapeute de l’informer des autres options
possibles ayant démontré leur efficacité. Le choix final, quel qu’il soit,
appartient bien entendu au patient mais il est probable qu’il choisisse
l’option qui lui offre les meilleures chances de guérison.
S’il choisit l’option du placebo (1A), ou si nous sommes dans une
situation de soin pour laquelle aucun traitement efficace n’est dis-
ponible (2), les choses se compliquent. Ces situations pourraient en
effet légitimer un recours au placebo, mais comment s’assurer que le
recours au placebo ne crée pas une relation injustifiée de dépendance
du patient envers son thérapeute ?
En tout état de cause, le thérapeute devrait expliquer au patient qu’il
donne un placebo – et lui en expliquer les mécanismes, mais il y a
des chances que le patient ne puisse entendre cela, ce qui pourrait
entraîner une perte de clientèle. Sans compter que le placebo est
généralement acheté à une grande industrie. Nous serions d’accord
pour rembourser les placebos (avec explication) si lesdits placebos
étaient dans le domaine public. Voir leur remboursement à taux
élevé par l’Assurance Maladie, donc par les impôts de la société tout
entière, engraisser des intérêts privés autant que mensongers nous
pose un vrai cas de conscience politique.

Au pays des borgnes, ou comment contrôler ?

Simple, double et triple aveugle


Pour s’extraire des pièges que nous venons d’évoquer, il est néces-
saire de réaliser des tests en aveugle. Plusieurs niveaux de contrôle
par l’aveugle sont possibles, on parle de simple, double et même
triple aveugle.
Le terme simple aveugle désigne une étude dans laquelle le sujet
testé ignore le groupe auquel il est assigné et donc ignore s’il reçoit

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Les protocoles expérimentaux
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le traitement dont on évalue l’efficacité propre ou le placebo, par


exemple. Pour être valable et conserver l’aveugle, il est impératif
que le sujet ne puisse à aucun moment deviner son groupe d’appar-
tenance, il faut donc que le placebo soit identique au traitement
en tout point en dehors de ce qui lui confère son efficacité. Il
faut en particulier que le temps de traitement et le suivi qui est
fait des deux groupes soient similaires. Malheureusement il n’est
pas toujours possible de faire un test en simple aveugle puisque la
réalisation d’un placebo se révèle parfois impossible, en particulier
dans le domaine des thérapeutiques manuelles et la rééducation.
Il est par exemple très difficile d’évaluer l’intérêt spécifique d’une
mobilisation passive de genou. Comment faire un placebo de
mobilisation et comment faire, si l’on y parvient, pour que le
patient ne s’en aperçoive pas ?
Si le simple aveugle est nécessaire, il n’est pas suffisant. Pour s’en
convaincre, il faut se souvenir de la mésaventure que Stewart
Wolf rapporte en guise d’anecdote, qui fit avancer encore d’un
cran la compréhension des mécanismes psychologiques mis en
jeu dans les effets contextuels. Wolf raconte avoir reçu, dans les
années 1940, un médicament nouveau qu’il testa sur ses patients,
lesquels lui en dirent immédiatement le plus grand bien. Conscient
de la possibilité d’un effet placebo, il demanda au laboratoire un
placebo de ce médicament, et le donna en cachette à ses patients
qui illico remarquèrent la perte d’efficacité. Wolf s’apprêtait à
conclure que le produit était excellent, avec une efficacité spécifique
énorme… lorsque le laboratoire l’informa que les médicaments
envoyés étaient tous des placebos depuis le début. Des indices non
verbaux, des mimiques, des comportements à peine perceptibles
avaient probablement renseigné les malades sur l’efficacité que
Wolf attendait (Wolf, 1950). Wolf créait ainsi sans le vouloir une
sorte de prédiction auto-réalisatrice. On comprit donc qu’évaluer
un produit nécessitait que le patient ne sache pas ce qu’il reçoit, et
que de plus, le thérapeute ne sache pas ce qu’il administre. Dans
ce cas l’étude réalisée est dite en double aveugle.
Au-delà du traitement administré, l’erreur peut survenir lors du
recueil ou de l’analyse de ses effets. Pour éviter cela, il est possible

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de réaliser une étude dite en « triple aveugle » : ce terme désigne


un essai dans lequel même la personne qui dépouille la statistique
des résultats ne connaît pas la nature du traitement administré.

Le recueil des résultats et leur traitement


Si le triple aveugle permet d’éviter certains écueils liés au recueil et
au traitement des données de l’étude, notamment la manipulation
volontaire des résultats, d’autres pièges subsistent lors de la collecte
et de l’analyse des résultats.
Le premier d’entre eux est relatif au critère de jugement de l’efficacité
de la thérapie étudiée. Les critères de jugement choisis peuvent
être par exemple la régression des symptômes d’une pathologie, la
valeur d’une constante biologique ou encore un score fonctionnel
ou de qualité de vie. Certains sont dits objectifs lorsqu’ils sont
traduits par une mesure physique objective comme la glycémie,
et d’autres sont dits subjectifs, lorsqu’ils peuvent être influencés
par le contexte de mesure, la psychologie et les interprétations du
patient ou du thérapeute : par exemple l’évaluation de la douleur,
de l’anxiété ou la mesure d’une incapacité fonctionnelle. Deux
remarques s’imposent. Premièrement, même si la mesure choisie
est une valeur objective, les choix de conclusion resteront souvent
subjectifs puisqu’ils imposent que l’on ait défini, subjectivement,
des seuils de valeur pour décréter ou non l’amélioration. Il convient
d’ajouter ensuite que la précaution du triple aveugle mentionnée
précédemment est d’autant plus importante que les données
recueillies nécessitent une interprétation, comme c’est le cas par
exemple dans l’analyse d’imageries médicales.
Tous les critères de jugement ne se valent pas et certains prérequis
sont indispensables à leur utilisation. Nous pensons notamment
aux propriétés métrologiques de fiabilité et de validité que doivent
remplir les tests permettant d’obtenir les critères de jugement
(cf. Les différents protocoles, dans ce chapitre). Une fois les données
fiables et valides recueillies, nous ne sommes pas sortis d’affaire
pour autant. Si l’on veut trancher sur l’efficacité ou la supériorité
d’une technique, il est impératif de pouvoir généraliser les résultats

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Les protocoles expérimentaux
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obtenus sur nos échantillons de sujets à une population plus large.


Pour cela, des analyses statistiques sont réalisées afin de savoir par
exemple si les résultats observés sont liés au traitement mis en place
ou simplement le fait du hasard. Il serait trop long de détailler
ici les plans statistiques possibles en fonction des méthodologies
mises en place. Toutefois, certains biais sont récurrents et peuvent
être évités avec quelques précautions parmi lesquelles :
- la nécessité de réaliser l’analyse statistique en intention de traiter
(Intent to treat en anglais). Ce principe consiste à considérer le
patient dans l’essai littéralement « tel qu’on avait l’intention de le
traiter », c’est-à-dire, dans le groupe dans lequel il avait été affecté
aléatoirement lors de la phase d’échantillonnage, peu importe si
le traitement a finalement été suivi ou non. Cette forme d’analyse
permet l’estimation de l’effet du traitement dans les conditions
proches de celles de la vie réelle, autrement dit, on prend un
groupe de sujets et on les considère tels qu’ils sont, avec ceux
qui se dégradent, ceux qui n’observent pas la prescription ou ne
suivent pas les procédures ;
- le fait d’analyser l’ensemble des données recueillies, sans chercher
à faire des sous-groupes ou à exclure des valeurs a posteriori.
Les patients perdus de vue ou exclus doivent être clairement
mentionnés. La présence d’un diagramme de flux (flow chart)
présentant sous forme graphique les effectifs de patients entre
la randomisation et l’analyse est généralement bon signe. Le
nombre de perdus de vue est une donnée particulièrement infor-
mative puisque s’il est particulièrement élevé dans le groupe de
patients prenant le traitement, cela peut indiquer que les patients
ont quitté l’étude en raison des effets secondaires par exemple.
Lorsque ce nombre est élevé dans le groupe recevant le placebo
cela doit nous interroger sur la qualité du placebo proposé et
notamment sur le fait que les patients aient clairement identifié
qu’il ne s’agissait pas du traitement ;
- l’analyse statistique doit être réalisée en une seule fois, lorsque
l’effectif de patients à inclure (calculé avant le début de l’étude)

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est atteint, et sur le critère de jugement principal. Cela évite les


inclusions de patients un à un jusqu’à ce que la magie statistique
opère et fournisse un résultat significatif.

La qualité de l’interprétation
Une fois recueillis avec un minimum de biais méthodologiques et
analysés dans les règles de l’art, les résultats d’une étude doivent
ensuite être interprétés. Cette étape est indispensable mais indis-
sociable d’une certaine subjectivité, impliquant qu’un soin tout
particulier soit porté à l’élaboration a priori de critères d’évalua-
tions objectifs. Au cours de cette étape, il s’agit de faire parler les
résultats, de leur donner un sens. Le plus grand danger est alors
de leur prêter, consciemment ou non, le sens qu’on voudrait qu’ils
prennent et non celui qu’ils ont. Plusieurs mécanismes sont res-
ponsables de ce phénomène. En voici quelques exemples.

Usage et mésusage des statistiques


L’inférence statistique peut être considérée comme une procé-
dure qui permet de généraliser à une population les propriétés et
conclusions observées à partir d’un échantillon représentatif de
cette population. En d’autres termes, une fois l’échantillonnage
réalisé (cf. L’échantillonnage, dans ce chapitre) l’inférence statis-
tique permet de savoir à quel point les paramètres recueillis sur
l’échantillon sont représentatifs de ceux de la population. C’est
donc un moyen d’extrapoler les valeurs obtenues pour les échan-
tillons (les données) aux populations (la « réalité »).
Prenons l’exemple de deux échantillons de patients répartis aléatoi-
rement en deux groupes, un bénéficiant d’un traitement antalgique
(groupe T) et l’autre d’un placebo du traitement (groupe P). Si, à la
fin de l’étude, le groupe T présente une douleur moyenne évaluée
par une échelle visuelle analogique moins élevée que le groupe P,
nous aurions tendance à extrapoler que le traitement antalgique

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Les protocoles expérimentaux
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utilisé est efficace pour ce type de patient. Cette extrapolation


est risquée puisqu’il est possible que la différence observée entre
les groupes T et P soit le fruit du hasard. Ce risque s’évalue par
l’intermédiaire de tests statistiques qui calculent la probabilité que
la différence observée entre les groupes soit liée au hasard. Cette
probabilité porte le nom de p-value et le sobriquet de « petit p ».
Se pose alors la question du seuil de risque que l’on considère
comme acceptable pour conclure que la différence observée est
réelle. Soulignons que le seuil n’est qu’un outil d’aide à la décision
pour formuler des conclusions facilement compréhensibles par les
non-spécialistes mais n’a pas de valeur en soi. Ce seuil de risque,
nommé α ou risque de première espèce, dépend du domaine de
recherche considéré. En kinésithérapie, le seuil de 5 % est géné-
ralement considéré comme acceptable c’est-à-dire que l’on consi-
dère que la différence observée entre les groupes est « réelle » si la
p-value est inférieure à 5 %. Autrement dit, il y a moins de 5 %
de chances de se tromper en affirmant que la différence observée
n’est pas le fruit du hasard. Les résultats sont alors estampillés du
fameux statistiquement significatifs.
Le risque de première espèce focalise généralement toute l’attention
des chercheurs (cf. chapitre 4, L’effet tiroir n’est pas commode).
Pourtant, s’il y a un risque d’affirmer une différence en réalité
inexistante, il y a également un risque de ne pas mettre en évidence
de différence, le test révélant une p-value > 5 % alors que cette
différence existe. Ce risque est appelé β ou risque de deuxième
espèce. Il est fixé par convention à 20 % dans le domaine de la
kinésithérapie.
Il est intéressant de mentionner une autre variable statistique, direc-
tement dérivée du risque de deuxième espèce, nommée la puissance
du test. Ainsi, la puissance d’un test exprime en pourcentage sa
capacité à mettre en évidence statistiquement une différence entre
les groupes. Une puissance est généralement considérée comme
acceptable si elle dépasse les 80 %.

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REMUE-MÉNINGES : PUISSANCE STATISTIQUE OU COMMENT MENTIR PAR OMISSION

Illustrons la problématique liée à la puissance statistique avec des infor-


mations médicales disponibles.
En 2010 est publié un article s’intitulant ‘‘Does physiotherapy reduce
the incidence of postoperative pulmonary complications following pul-
monary resection via open thoracotomy ?’’104. Cet article est relayé
dans la presse médicale, en particulier dans la revue électronique
Journal International de Médecine le 9 septembre 2010, par le Dr
Roland Charpentier et intitulé « Chirurgie thoracique : moins de
complications avec la kiné ? ».
Dans cette étude, les patients étaient randomisés et répartis le lende-
main d’une chirurgie thoracique entre ceux qui recevaient quotidien-
nement de la kinésithérapie respiratoire (noté groupe KR+) jusqu’à
leur départ et ceux qui n’en recevaient pas (noté groupe KR-). Si l’on
passe sur les aspects méthodologiques (largement discutables) pour se
concentrer simplement sur les résultats, les auteurs ont indiqué que
76 patients ont été étudiés (42 KR+, 34 KR-). Le critère de jugement
principal choisi est le nombre de complications pulmonaires décla-
rées dans chacun des deux groupes, en l’occurrence, deux sujets du
groupe KR+ (soit 4,8 %) et un sujet du groupe KR- (soit 2,9 %). La
différence ne se révélant pas significative, les auteurs ont conclu que
l’hypothèse de départ « la kinésithérapie respiratoire diminue les réci-
dives » ne s’est donc pas vérifiée et par conséquent que cette pratique
n’est pas nécessaire en plus d’une prise en charge infirmière classique.
C’est à cet instant que le piège se referme ! En fait il n’est absolu-
ment pas possible de conclure cela puisqu’un calcul nous montre
que la puissance du test est de 6 %. Autrement dit, vu la taille de
l’échantillon recueilli, il n’y avait presque aucune chance (6 %, quand
80 % minimum est préconisé) de mettre en évidence une différence
même si elle avait existé, dans un sens ou un autre d’ailleurs. On ne
peut donc rien dire des résultats. Un peu comme si l’on avait voulu
observer le mouvement des planètes avec une loupe.

104 L’article est disponible ici: http://ejcts.oxfordjournals.org/content/37/5/1158.


full.pdf+html

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Avec un critère comme petit p supérieur ou inférieur à 0,05, nous


pensions être sortis d’affaire pour trier les papiers bien faits des
papiers truffés de biais. Que nenni ! Un p < 0,05 ne prouve jamais
que les résultats sont vrais, juste qu’il est improbable qu’ils ne le
soient pas. Il ne prouve pas non plus que l’effet est grand. Il signifie
seulement qu’il est statistiquement significatif par rapport à la barre
d’erreur. Or contrairement au langage courant, significatif ne veut
pas dire grand en statistiques. C’est un écueil pourtant fréquemment
rencontré dans les trop rares publications scientifiques kinésithéra-
piques disponibles et qui nous conduit à confondre la significativité
statistique et la pertinence clinique. Combien d’études clament
haut et fort avoir trouvé une méthode améliorant statistiquement
l’amplitude de flexion de genou de 2 degrés, la douleur d’un dixième
de point à l’échelle visuelle analogique (EVA, une échelle subjective
d’évaluation de la douleur) et une distance de marche en 6 minutes
de 62 centimètres ? L’effet peut être bien réel, mais sans réel intérêt
thérapeutique. On dira alors qu’il est statistiquement significatif,
mais cliniquement non pertinent. La variable statistique permettant
de s’en préserver est l’évaluation de la taille de l’effet. Il est égale-
ment possible de déterminer une différence minimale cliniquement
intéressante (DMCI) qui, si elle n’est pas atteinte, permet de faire
l’économie d’une analyse statistique longue et fastidieuse.
Autre critère essentiel au bon usage des statistiques : ne pas multiplier
les critères de jugement sur lesquels on applique l’analyse statistique
en vue de conclure à l’efficacité d’une technique. En effet, s’il est
possible de conclure à l’efficacité du traitement à l’issue d’un premier
test portant sur un premier critère de jugement mais aussi lors d’un
deuxième sur un autre critère de jugement ou bien lors d’un troi-
sième (etc.), le risque de conclure à tort à l’efficacité du traitement
à l’issue du dernier essai n’est plus de 5 %, il est bien supérieur. Ce
phénomène est connu sous le nom d’inflation du risque α.

Pour corser un peu l’affaire, des coups de boutoir sont donnés


contre cette analyse dite classique. Alors que les scientifiques
avaient coutume d’étudier les données recueillies pour en faire
surgir un effet significatif ne pouvant s’expliquer autrement que

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par l’hypothèse de travail, commencent à émerger des analyses dites


d’inférence bayesienne, mettant deux hypothèses en concurrence
et évaluant les chances que l’une soit vraie par rapport à l’autre,
à la lueur des données mais aussi des informations connues au
préalable sur le sujet. À lire la très récente étude du statisticien
états-unien Valen Johnson, de l’Université du Texas, la recherche
du seuil p < 5 % n’est pas suffisant : il semble qu’une hypothèse
qui passe de justesse sous le seuil n’a en réalité que de 3 à 5 chances
contre 1 d’être vraie. Ainsi, explique Johnson (2013), est-il possible
qu’une grosse proportion d’études se satisfaisant de ce seuil soient
tout bonnement fausses, ne soient que des faux positifs – ce qui
expliquerait pourquoi il est impossible d’en reproduire certaines.
Johnson affirme qu’on pourrait compter jusqu’à 25 % de résul-
tats faussement positifs. Un beau coup de grisou dans le monde
scientifique (pour entrapercevoir les probabilités bayesiennes, cf.
annexe n° 6, Réponse au jeu de Monty Hall).

Effets cigognes, ou correlation does not imply causation


Sortons maintenant du champ des statistiques pour aborder l’inter-
prétation à proprement parler des résultats, c’est-à-dire le sens qu’on
leur attribue. Une des principales causes d’interprétation erronée
des résultats d’une étude réside dans le fait que le cerveau humain
a beaucoup de mal à cerner les causalités, et tend à confondre
celles-ci avec de simples corrélations. Autrement dit, il a tendance
à considérer que lorsque deux faits sont corrélés (c’est-à-dire que
leurs évolutions sont liées), l’un est la cause de l’autre. C’est ce que,
dans notre jargon pédagogique, nous appelons les effets cigognes :
dans les communes qui abritent des cigognes, le taux de natalité est
plus élevé que dans l’ensemble du pays. Conclure que les cigognes
apportent les bébés serait plaisant, mais illusoire. Une explication
plus probable est que les cigognes nichent de préférence dans les
villages plutôt que dans les grandes agglomérations, et il se trouve
que la natalité est plus forte en milieu rural que dans les villes
(Broch, 1989 ; www.cortecs.org, onglet Effets cigogne).

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On distinguera :
- Le cum hoc ergo propter hoc (en latin avec, donc conséquence de) : ce
sophisme consiste à penser que si deux événements sont corrélés,
ou coïncident dans le temps, alors il y a un lien de cause à effet
entre les deux.
- Le post hoc ergo propter hoc (en latin juste après, donc conséquence
de) parfois appelé effet Atchoum, car nous avions coutume de le
décrire ainsi :
« Imaginons la tête de l’individu qui habitant Toulouse le 21 sep-
tembre 2001, éternue à 10 h 17, relève son nez humide et voit
l’usine AZF et ses alentours soufflés par l’explosion. Conclure
à un lien de cause à effet entre l’éternuement et l’explosion est
un post hoc ergo propter hoc. Si ridicule que cela paraisse, nous
faisons un certain nombre d’effets Atchoum dans nos actes
thérapeutiques. Le leurre consiste en ce que huit à neuf patho-
logies sur dix affectant l’humain disparaissent spontanément,
quoi que nous fassions, au bout d’un certain temps. Faire une
danse de la pluie, recevoir des passes magnétiques ou se faire
faire un lavement, et guérir tout de suite après est extrêmement
convaincant à première vue. Comprenons ainsi qu’un rhume,
par exemple, non traité dure sept jours, et qu’un rhume traité
par les élixirs de Bach dure… une semaine. Dans le premier cas,
on attribuera la guérison à sa propre capacité curative. Dans le
second, à Edward Bach. À tort. » (Monvoisin, 2006)
- L’effet lotus, quant à lui, consiste à se méprendre sur le sens de
la causalité (B causant A, et non l’inverse présumé). Son nom
rend hommage à la fleur de lotus, que l’on croit impeccable car
extrêmement lisse, alors qu’elle est justement impeccable car très
rugueuse – et les forces électrostatiques développées repoussent
les impuretés : la fleur est en quelque sorte autonettoyante. Ce
phénomène de super-hydrophobie causé par une rugosité nano-
métrique a été décrit pour la première fois par Wilhelm Bartlott et
ses collègues (1977), mais il n’est pas l’apanage du lotus : le chou,
entre autres, fait ça aussi très bien – mais effet chou est moins
sympathique à l’oreille.
Un cas classique dans le domaine de la rééducation est de considérer
que l’entraînement intensif améliore les capacités proprioceptives

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puisqu’on constate que les sportifs de haut niveau ont des per-
formances proprioceptives supérieures aux autres. Mais peut-être
l’excellente proprioception était-elle un prérequis pour accéder au
haut niveau…

L’art (graphique) de faire passer des vessies pour des lanternes


Nous avons vu ci-dessus que le meilleur moyen d’interpréter cor-
rectement un résultat est d’user de tests statistiques. Il est toutefois
d’usage dans le monde de la science de présenter les résultats obtenus
lors d’une étude par un diagramme, une courbe ou des nuages de
points par exemple. Cette représentation graphique permet effec-
tivement au lecteur, professionnel de santé ou non, de se forger en
peu de temps une opinion des résultats obtenus et de les garder en
mémoire puisque, dit-on, une image vaut mille mots. Mais il faut
alors conserver la même méfiance devant une belle image que celle
qu’on aurait face à un beau discours.
Le recours aux graphiques ou formules mathématiques diverses
confère aux résultats et à l’interprétation qui en est faite un caractère
scientifique indéniable. Pour peu que l’auteur ajoute avec condes-
cendance qu’« on voit bien que c’est différent sur le dessin » et nous
n’aurons d’autre choix que d’admettre l’évidence. Pourtant l’histoire
est parfois bien différente de celle qu’on veut nous faire croire. Voici
deux exemples, parmi d’autres, d’artifices dont certains chercheurs
savent user pour faire passer des vessies pour des lanternes et des
pseudo-graphiques pour des faits.
L’idée de la représentation graphique est de conserver un message
simple et clair des résultats obtenus. La comparaison des résultats
obtenus pour deux types de traitement ou deux groupes de sujets,
par exemple, se fait généralement en moyennant les résultats obte-
nus pour chacun des sujets dans chacun des groupes. On obtient
donc une valeur moyenne pour un groupe et une autre pour l’autre
groupe. La comparaison de deux valeurs est à la portée de presque
tout le monde, et un graphique avec ces données serait idéal.

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- Artifice n° 1 : le jeu des échelles. Ce jeu, très simple et très répandu,
consiste à faire varier l’échelle des graphiques proposés. Prenons un
exemple simple et simulons les notes obtenues aux examens dans une
classe de soixante étudiants kinés dont un sur deux (quand même !)
s’est rendu au cours. Nous obtenons une note moyenne de 8,3 pour
le groupe des absents et 10,7 pour le groupe des présents. Les trois
représentations graphiques suivantes sont toutes issues des mêmes
données, seule l’échelle change.

Ce jeu des échelles est facile, et redoutable. Certains hommes poli-


tiques ne s’y sont pas trompés, comme l’ancien ministre Brice
Hortefeux, pris sur le fait lors d’un journal télévisé105.
- Artifice n° 2 : faire fondre la variabilité. Une personne avertie pro-
testera que l’on ne peut rien dire des graphiques précédents puisque
les moyennes sont très sensibles aux étudiants ayant des résultats
extrêmes. Il faut donc compléter l’information des moyennes par
une information sur la variabilité des étudiants du groupe autour
de cette moyenne. Un paramètre couramment utilisé pour expri-
mer graphiquement la variabilité est nommé l’écart-type (standard
deviation en anglais). L’ajout de ce paramètre conduit à un graphique
complet mais souvent assez peu « sexy » puisque les réponses à un
traitement ou l’évolution d’une pathologie sont généralement assez
hétérogènes. C’est là qu’entre en scène un nouveau paramètre de
variabilité, nommé l’erreur moyenne standard (standard error of
mean, abrégée SEM), qui consiste à diviser l’écart-type obtenu par
la racine carrée de l’effectif du groupe. Soulignons pour être précis
que ces deux paramètres ne renseignent pas sur la même chose.

105 Voir le TP Mathématiques – Comment tromper avec des graphiques, CORTECS


http://cortecs.org/exercices/635-mathematiques-comment-tromper-avec-
des-graphiques/

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Il ne s’agit pas d’une triche, puisque le paramètre est clairement


mentionné dans le texte et n’a d’autre effet que cosmétique sur le
graphique, mais la tentative d’influence n’est pas loin puisque l’on
retiendra plus facilement que la présence au cours est essentielle
pour avoir une bonne note avec le graphique contenant la SEM
(ce qui dans notre cas est erroné, l’analyse ne révélant pas de dif-
férence statistiquement significative sur la simulation réalisée)106.

Miracle des mésusages, ces artifices peuvent se cumuler comme dans


l’illustration suivante, encore une fois issue des mêmes données.

Un autre exemple de représentation ratée conduisant à une mauvaise


interprétation des résultats nous est fourni par ce qui est connu sous
le nom de paradoxe de Simpson, ou effet Yule-Simpson.
Imaginons que l’on compare l’efficacité de deux prises en charge (A
et B) de lombalgie. On évalue pendant deux semaines si les patients
sont améliorés. Les résultats sont les suivants :
- la première semaine, 100 patients reçoivent la technique A dont 60
qui s’améliorent et 10 patients reçoivent la technique B dont 9
s’améliorent.

106 D’autres exemples de pièges graphiques sont donnés par Nicolas Gauvrit
sur le site www.cortecs.org dans la rubrique thématique dédiée aux mathé-
matiques.

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- la deuxième semaine, pour compenser le recrutement de la pre-


mière semaine 10 patients bénéficient de la technique A dont 1 qui
s’améliore et 100 patients bénéficient de la technique B dont 30
qui s’améliorent.
Selon que l’on représente les résultats sur une semaine ou deux
semaines l’interprétation des résultats changera. Si on analyse les
résultats de la première semaine, la technique B semble meilleure
puisqu’elle améliore 90 % des patients contre 60 % pour la tech-
nique A. La deuxième semaine, c’est encore la technique B qui est
la meilleure puisqu’elle permet l’amélioration de 30 % des patients
contre 10 % seulement pour la technique A. On aurait vite fait de
conclure à l’indiscutable supériorité de la technique B, pourtant,
pris dans leur ensemble, les résultats montrent que la technique A
améliore environ 55 % des patients contre seulement 35 % pour
la technique B, d’où le paradoxe.

La rigueur scientifique nous contraint à être précis : cet effet sta-


tistique est attribué au statisticien Edward Hugh Simpson qui
l’exposa en 1951 dans son article The Interpretation of Interaction
in Contingency Tables. Pourtant, près de cinquante ans plus tôt,

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George Udny Yule en fit part (Yule, 1903) d’où le nom occasionnel
d’effet Yule-Simpson. Las ! Quatre ans plus tôt, le paradoxe était
déjà découvert par Karl Pearson et son équipe (Pearson et al., 1899).
C’est la confirmation d’une autre loi, plus cocasse, dite loi de Stigler :
« Une découverte scientifique ne porte jamais le nom de son auteur »,
ce qui est d’ailleurs le cas de cette loi, que Stephen Stigler lui-même
attribue à Robert K. Merton (Stigler, 1999). Comme l’aurait dit le
mathématicien Alfred North Whitehead, « tout ce qui compte a déjà
été dit par quelqu’un qui ne l’a d’ailleurs pas découvert lui-même ».

S’il n’en restait qu’un


Appuyons sur le champignon : le type de protocole le plus approprié
pour étudier l’efficacité d’une technique ou d’un traitement est l’essai
randomisé, contrôlé, en double aveugle. L’idéal serait bien entendu qu’il
y ait plusieurs protocoles de ce type disponibles dans la littérature. Si
la méthodologie est correcte et l’effectif recruté suffisant, les résultats
devraient aller dans le même sens. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y
a une faille dans la méthode, et qu’un autre paramètre entre en jeu.
Pour se faire une opinion sur l’existence ou non d’une efficacité propre
d’une technique, les professionnels font souvent appel, à juste titre, aux
méta-analyses de la littérature. Sans entrer dans le détail des différentes
formes d’études qu’une méta-analyse peut prendre, nous pouvons
retenir qu’il s’agit d’une méthode permettant d’obtenir une synthèse
quantitative des résultats d’essais cliniques réalisés sur un sujet donné.
Mais faute de combattants… La kinésithérapie souffre d’un manque
drastique d’essais cliniques de bonne qualité en dehors peut-être de
ceux documentant les effets de l’activité physique. Or s’il est possible
de faire une mauvaise méta-analyse à partir de bons essais cliniques,
l’inverse est rigoureusement impossible. Le nombre d’essais cliniques
en kinésithérapie est tellement restreint qu’il n’existe pratiquement
aucune méta-analyse étayant notre pratique. Le thérapeute se reporte
alors souvent sur les revues de littérature existantes, c’est-à-dire des
articles qui font le point sur les publications d’un domaine à un instant

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Les protocoles expérimentaux
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donné. La faiblesse méthodologique des études disponibles, couplée


à l’effet tiroir (cf. chapitre 4, L’effet tiroir n’est pas commode), peut
conduire à des stratégies thérapeutiques inadaptées.

MAINS DANS LE CAMBOUIS : QUELQUES TP

Nous avons placé à disposition trois travaux pratiques (TP), de formes


très différentes, déjà déroulés avec des étudiants, pour donner des
idées. Nous vous proposons de réfléchir d’abord à la manière dont
vous vous y prendriez pour tester les allégations, puis d’essayer de bâtir
vous-même le protocole, pour ne regarder les éléments de correction
proposés qu’ensuite.

TP N° 1

Analyse critique de la littérature - Les points réflexes neurolym-


phatiques de Franck Chapman.
Afin d’illustrer le maniement des outils vus jusqu’ici, nous vous pro-
posons de réfléchir au sujet suivant. Dans la gamme des points réflexes
que les kinésithérapeutes utilisent, il en est de bien connus appelés
« points de Chapman ». Qu’en est-il de l’efficacité thérapeutique et
diagnostique des points réflexes neurolymphatiques de Chapman ?
Il s’agit typiquement d’un sujet potentiel de recherche pour étudiant.
Des chercheurs habitués à la recherche bibliographique n’auront objec-
tivement besoin que de quelques heures, moyennant une connexion
Internet, pour le traiter. C’est toutefois un sujet relativement tech-
nique, pris à dessein comme tel, mais compréhensible sans prérequis.
Aussi s’agit-il de bien poser la question que nous allons traiter, en
l’occurrence : les prétentions diagnostiques et thérapeutiques des
techniques reposant sur les points réflexes neurolymphatiques de
Franck Chapman sont-elles scientifiquement fondées ?

Comment vous y prendriez-vous pour répondre à cette question ?

Éléments de réponse en annexe n° 2.

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TP N° 2

Évaluation de la capacité diagnostique d’un thérapeute –


Kinésiologie et Test Musculaire
Quelle est la capacité d’un thérapeute ou d’un test à diagnostiquer une
situation ? Cette question est cruciale dans le domaine de la santé. Sans
cela, aucune étude expérimentale évaluant l’efficacité d’un traitement
n’est possible car nous serions bien en peine de savoir ce qui a changé
entre avant et après le traitement. Prenons le cas de la kinésiologie
appliquée et tout particulièrement du fameux Test Musculaire, clé de
voûte de la méthode, considéré comme un outil d’investigation parmi
les plus fiables et les plus sûrs pour communiquer avec le corps. Selon
la théorie, ce test permettrait au kinésiologue d’identifier de manière
fiable le caractère allergène de certaines substances. Le TP pose la
question suivante : comment élaborer un protocole expérimental
permettant d’évaluer la capacité d’un kinésiologue (réputé et sûr de
ses capacités) à détecter au moyen du Test Musculaire le caractère
allergène d’une substance sur une personne reconnue médicalement
allergique à ladite substance ?
À vous !

Éléments de réponse en annexe n° 3.

TP N° 3

Évaluation de l’efficacité d’une technique – évaluation des pré-


tentions du Power Balance
Ces dernières années, les bracelets dits « énergétiques » ont envahi
tout autant les poignets des sportifs que ceux des patients. Prenons le
plus connu, de la marque californienne Power Balance, et penchons-
nous sur les effets revendiqués. Il est indiqué que dès le port du
bracelet, on ressent une amélioration de l’équilibre, de la puissance
et de la souplesse.

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1. Le test d’équilibre : il consiste à se tenir debout, pieds joints, bras


écartés et tendus, tout en levant une jambe (voir schéma). Le testeur
appuie ensuite sur l’avant-bras de la personne testée situé du même
côté que la jambe relevée : elle ne doit pas perdre l’équilibre si elle
porte un bracelet Power Balance.

2. Le test de force : l’individu testé doit aussi être debout et les pieds
joints, mais cette fois, il doit avoir les bras le long du corps et les
mains placés comme s’il portait des valises. Le testeur doit exercer
une force sur le bras de l’autre individu, en appuyant sur sa main
avec son poing. Quelqu’un qui porte un bracelet Power Balance doit
résister davantage.
3. Le test de souplesse : il faut être debout avec les pieds joints, et
un bras tendu vers l’avant (en tant que point de repère). Il suffit
de tourner le buste au maximum, et de répéter l’expérience avec le
bracelet : la rotation est plus ample avec le bracelet.
Bien sûr, la charge de la preuve incombant à celui qui prétend, c’eût
été au fabricant lui-même de mettre en place les essais cliniques vali-
dant ces allégations mais, pour l’exercice, quels protocoles propo-
seriez-vous afin d’évaluer définitivement ces prétendus effets ?107

Éléments de réponse en annexe n° 4.

107 Pour la petite histoire, le 22 novembre 2010 le service de la concurrence


et de la répression des fraudes en Australie a considéré que l’entreprise
commercialisant les bracelets faisait de la publicité mensongère, ce qui
entraîna sa condamnation puis sa faillite. Le communiqué initial est dispo-
nible à l’adresse dans la netographie à la fin de l’ouvrage.
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CHAPITRE 6

Du bon usage de l’esprit critique


« L’esprit critique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. »

Nicochard Ponvoisault (2013)

L orsque nous entreprîmes cet ouvrage, à l’été 2012, nous le sou-


haitions léger dans son format et modique dans son prix, afin que
tout étudiant puisse l’avoir dans sa poche. Nous avions donc élagué
au mieux notre plan, et cette sixième partie n’était pas prévue. Nous
avons changé d’avis car, comme vous le constaterez assez vite, exercer
son esprit critique peut facilement vous exposer aux remarques de
vos proches, de vos collègues et parfois même de vos patients. Le
fait de remettre en cause, ou de simplement questionner un lieu
commun risque de faire naître un florilège de processus de défense
chez nos interlocuteurs, processus qui se traduisent souvent dans les
faits par l’utilisation d’arguments rhétoriques fallacieux « classiques »
lors des discussions. Voici donc quelques outils pour s’extraire des
épines sans trop de plaies.

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Les conseils d’usages

Corde d’escalade
Une corde d’escalade doit, avant d’être mise dans le commerce,
essuyer une batterie d’essais la soumettant à des tractions ou des
chocs supérieurs à ce que pourrait subir ladite corde dans des condi-
tions sportives. La raison est facile à comprendre : on présume que
si les tests qui lui sont infligés sont plus rudes et exigeants que ce
qu’elle vivra dans sa vie de corde d’escalade, il y a de fortes chances
qu’elle résiste à l’usage. Si une corde ne supporte pas les chocs, elle
est éliminée avant la mise sur les étals des magasins. Comme pour
chaque corde, l’arsenal thérapeutique doit être éprouvé, secoué,
critiqué, par ses usagers eux-mêmes. Cette analogie de la corde
d’escalade permet d’expliquer assez simplement à votre interlocuteur
ce qui vous pousse à prendre le risque de remettre en cause votre
propre pratique.

Cyrano de Bergerac
Si nous défendons une théorie ou une opinion, il est probable, et
souhaitable, que des contradicteurs se dressent sur notre route et
argumentent, discutent, cherchent le défaut, l’erreur. Lorsqu’on a
bien saisi ce qu’était le biais de confirmation d’hypothèse (cf. cha-
pitre 4, L’analyse globale il négligera), on comprend que ce ne sont
pas les cas qui vont dans le sens de notre théorie que nous devons
collecter, mais justement les cas qui pourraient la contredire. Alors,
cherchant nous-mêmes tous les moyens de dézinguer notre opinion,
il reste deux issues. Soit, en nous appliquant les pires critiques, nous
ne parvenons pas à prendre notre théorie en défaut : auquel cas, il
nous est loisible de présenter notre théorie sans crainte à n’importe
quel opposant. Soit nous trouvons un défaut majeur, qui risque de
nous désappointer, mais au moins cela nous évitera-t-il de nous faire
brandir sous le nez le défaut par quelqu’un d’autre. Paraphrasant
Cyrano de Bergerac dans le fameux acte I, scène IV, pourrions-nous
dire à nos contradicteurs :

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« Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut


Pour pouvoir là, devant ces sévères sceptiques,
Me servir toutes ces pernicieuses critiques,
Que vous n’en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d’une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. »

Même en science, tout finit par de la poésie.

Dissonance cognitive, engagement


« Les yeux du cœur ont mauvaise vue », dit le proverbe. Un scien-
tifique, à plus forte raison un thérapeute confronté à la souffrance,
l’une des parties les plus sensibles de la psychologie humaine, est
un humain avant tout. Il y a de la chair et de la psychologie sociale
sous la blouse blanche. Lorsqu’il cherche à confirmer ou infirmer
une théorie, à plus forte raison lorsque ladite théorie est sienne
et qu’elle construit son personnage et sa respectabilité, il lui faut
connaître les bribes de ces deux théories phares que sont la théorie de
la dissonance cognitive et la théorie de l’engagement. Nous n’avons
pas pour prérogative de faire un laïus exhaustif du sujet, mais nous
souhaitons sensibiliser le lecteur à ce propos.

Festinger et les raisins trop verts


En travaillant sur une dérive sectaire millénariste (c’est-à-dire qui
prévoit entre autres une fin du monde) confrontée à un échec patent
de ses prophéties, le psychologue Leon Festinger (1919-1989) et
ses collègues Henry W. Riecken (1917-2013) et Stanley Schachter
(1922-1997) posèrent en 1956 le concept de dissonance cognitive
qui nous dit en substance ceci : un individu, quel qu’il soit, mis en
présence de faits incompatibles avec ses propres cognitions (c’est-à-dire
ses connaissances, ses avis, ses opinions, ses croyances) éprouve une
tension, une dissonance (Festinger et al., 1956). Dès lors, cet individu,

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vous, nous, risque de mettre en œuvre des stratégies plus ou moins


conscientes visant à restaurer un équilibre cognitif. La plus élégante
est le processus de rationalisation, qui consiste tout simplement à
changer d’opinion. Mais elle est coûteuse, et la majorité d’entre nous
passe plutôt par des réductions de la dissonance proche du bricolage,
de l’arrangement, voire de la mauvaise foi. Ce mécanisme décrit très
bien pourquoi une personne engagée dans une thérapie aura un mal
fou à accepter l’idée que celle-ci ne fonctionne pas, et ce d’autant plus
que cette thérapie fut longue et onéreuse – car durée et prix sont deux
facteurs de renforcement de l’engagement. Festinger choisit à dessein
la fable d’Ésope (viie-vie siècles av. E.C.), reprise bien plus tard par
Jean de La Fontaine dans la plus courte de ses fables.
Un renard ayant aperçu au haut d’un arbre quelques grappes de
raisins qui commençaient à mûrir, eut envie d’en manger, et fit
tous ses efforts pour y atteindre ; mais voyant que sa peine était
inutile, il dissimula son chagrin, et dit en se retirant qu’il ne
voulait point manger de ces raisins, parce qu’ils étaient encore
trop verts et trop aigres108.

C’est ainsi que lorsqu’une idée nouvelle ou une théorie novatrice


est présentée, elle risque fort de déclencher une sorte de réflexe de
défense, d’homéostasie intellectuelle, allant du simple rejet de principe
à l’incrimination des volontés cachées, parfois comploteuses, de son
auteur. Et attention au chercheur critique qui assène son décorticage
d’une pseudo-théorie en vogue : il y a de fortes chances que son
public, souvent peu au fait du b.a.-ba de la démarche scientifique,
résolve la dissonance contre lui. Il est arrivé à certains de nos collè-
gues de se faire ainsi généreusement conspuer, voire sortir de la salle.

L’escalade d’engagement
On doit la notion d’engagement à Charles Adolphus Kiesler (1934-
2002) dans les années 1960. Popularisée par Robert-Vincent Joule et

108 « Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats » chez La Fontaine. Chez
Phèdre, la fable est précédée par la maxime « Le glorieux méprise ce qu’il
ne peut avoir ».

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Jean-Léon Beauvois en France dans les années 1990, elle permet de


comprendre pourquoi certains individus persistent dans des décisions
ou des comportements absurdes, des projets mortifères ou dispen-
dieux, tombent dans des pièges abscons ou dans des dérives sectaires
les menant vers des délits ou des crimes qu’ils n’auraient pas commis
de prime abord. Entrer dans une escalade d’engagement signifie que
l’investissement de l’individu, en temps, en argent, en affect, est devenu
tellement lourd qu’il serait plus coûteux pour lui de s’arrêter que de
continuer. Ce serait reconnaître, en quelque sorte, d’avoir eu tort d’aller
jusque-là. Certains processus d’addiction au jeu par exemple, entrent
dans cette description, de même que certaines escalades mutuelles
entre deux puissances nucléaires durant la guerre froide. Un tel méca-
nisme d’engagement a été appelé par Joule et Beauvois soumission
librement consentie pour pointer le fait qu’il « nous condui[t] à agir à
l’encontre de nos attitudes, de nos goûts, ou à réaliser des actes d’un
coût tel que nous ne les aurions pas réalisés spontanément. Tout se
passe dans cette situation comme si l’individu faisait librement ce
qu’il n’aurait jamais fait sans qu’on l’y ait habilement conduit et qu’il
n’aurait d’ailleurs peut-être pas fait sous une contrainte manifeste »
(Joule & Beauvois, 2002). L’engagement peut être considéré comme
une forme radicale de dissonance cognitive, qui s’engrène et devient
cumulatif. Que peut faire un thérapeute vis-à-vis de cette question ?
Il doit bien comprendre que son patient tient plus ou moins à sa
thérapie, et d’autant plus qu’il est engagé dedans. L’engagement est
renforcé par l’autorité du thérapeute. On ne peut donc qu’encourager
les luttes contre toutes formes d’autoritarisme non négocié, ne serait-
ce que pour ménager aux patients une possibilité accrue de discuter,
de contester, ou tout simplement changer d’axe thérapeutique ou…
de thérapeute. C’est entre autres pour cette raison qu’il n’est pas très
sain d’encourager la prise de placebo sans en expliquer les dessous :
par engagement, le patient se retrouvera dépendant de ses granules,
de ses élixirs floraux, de son cracking, et le thérapeute sera complice
de cette aliénation, mineure dans certains cas, majeure lorsque le
pronostic vital est engagé. Une histoire des plus sordides illustre ce
mécanisme dans le livre de Nathalie de Reuck et Philippe Dutilleul,
On a tué ma mère (2010).

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L’insubmersible canard de bain


En toute vraisemblance, cette image provient du cerveau fécond du
magicien étasunien James Randi. The unsinkable rubber duck, ou
insubmersible canard de bain en plastique désigne la tendance qu’ont
certaines assertions, hypothèses ou théories, à persister à réappa-
raître à la surface (des médias, des esprits, des discussions) malgré
une ou plusieurs déconstructions en règle, à l’image d’un canard
de bain sournois qui, quoi que l’on fasse, persiste à remonter à la
surface quels que soient les coups qu’on lui porte. Notre collègue le
philosophe Paul Kurtz, décédé pendant la rédaction de cet ouvrage,
le donnait sous cette forme :
« quand bien même les chercheurs sceptiques d’une génération
réfuteraient complètement une prétention, celle-ci reviendrait
dans la génération suivante nous hanter tel un monstre à tête
d’hydre – avec une intensité et une stimulation nouvelle »
(Kurtz, 2001).

Décrit comme un quasi-syndrome affectant les défenseurs de théo-


ries fausses, l’insubmersible canard est une bonne métaphore des
réductions ad hoc de dissonances cognitives. Il décrit tout aussi bien
la résistance intellectuelle de l’individu en butte à des faits contre-
disant à son adhésion, sa méconnaissance des recherches menées
sur le sujet, que l’appétence des médias à faire du réchauffé sur des
sujets enterrés depuis longtemps. Il suffit de regarder les émissions
consacrées au paranormal, qui ressortent les mêmes rengaines, main-
tenant artificiellement un mystère pourtant levé depuis longtemps.
Un journaliste TV requérant notre avis sur un cas d’envoûtement
présumé refusa de diffuser notre explication scientifique sous pré-
texte qu’avec une explication comme ça, « on tue la poule aux œufs
d’or » (Monvoisin, 2006).

La spatule huilée
Le canard de bain est un peu décourageant, il faut bien le dire. Que
le mystère du triangle des Bermudes, résolu, ou celui du monstre du

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Loch Ness, évaporé, crèvent la sphère médiatique tels des miasmes


putrides remontant à la surface du marais, voilà qui est relative-
ment éreintant sur de longues années. Certes, que le chercheur soit
lassé de répéter les mêmes antiennes est une chose. Le pédagogue,
l’enseignant, lui, est comme Sisyphe et son rocher et n’a pas le
droit de se lasser : il faut simplement se mettre dans la tête que si
la croyance est toujours la même et revient, obsédante, la personne
qui la porte est chaque fois un peu différente. C’est donc chaque
fois une nouvelle histoire.

Lors des enseignements du CORTECS, nous avons vite saisi ce


que tout sceptique, tout rationaliste a expérimenté : si nous nous
aventurons à décortiquer sans précaution une pseudo-théorie à
un public ou un interlocuteur acquis à celle-ci, il y a de fortes
chances… de se faire conspuer. Nous prenons alors des gants : sans
jamais atténuer le propos (ce qui serait une forme de populisme),
nous tournons l’exposé de manière douce et non jugeante (dans
un premier temps tout du moins, car si la pratique est vraiment
réprouvable moralement, il ne faut bien sûr pas le taire). Ainsi, nous
limons au mieux toutes les barbules sur lesquelles les peaux sensibles
pourraient s’irriter. Pour cela, nous avons un principe pédagogique
que nous vous recommandons chaudement.

Il consiste à faire le tour des outils critiques nécessaires pour la


déconstruction que nous nous apprêtons à faire, et à les illustrer
d’abord sur des sujets moins coûteux que celui que nous allons
traiter. Imaginons par exemple que la théorie analysée, repose sur
un problème d’effet cigogne, c’est-à-dire la confusion entre une cor-
rélation et une causalité (cf. chapitre 5, Qualité de l’interprétation).
C’est le cas entre autres de la prétention des barreurs de feu, qu’on
peut assurément expliquer par deux erreurs de causalités (l’une sur
la corrélation douleur/gravité, l’autre sur la corrélation disparition
de la douleur/temps). Aborder de plein fouet, sans précaution,
l’explication non paranormale des « dons » des barreurs nous vau-
drait probablement de suite une volée de bois vert. Si cependant
nous précédons cette analyse par l’introduction de l’effet cigogne

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sur des sujets beaucoup moins affectivement marqués (pensons


à l’effet cigogne canular réchauffement climatique /disparition des
pirates du culte du Flying Spaghetti Monster 109), alors non seulement
notre cours devient plaisant sur un sujet grave, mais surtout, nous
misons sur la consistance intellectuelle du public : difficile, lorsqu’on
a perçu la pertinence d’un outil critique dans un cas, de le refuser
dans l’autre, sous peine de faire un effet bi-standard un peu trop
grossier. Si le public est très « croyant », alors nous ne nous privons
pas d’utiliser deux exemples pour bien renforcer la consistance :
le Flying spaghetti monster d’abord, puis un exemple un brin plus
coûteux – par exemple le lien entre les phases de la Lune et la pousse
des plantes, et enfin, le « don » de barreur de feu. L’un d’entre nous
appelle cette méthode la « méthode de la spatule huilée » : qui veut
retourner une crêpe qui a déjà commencé à attacher à la poêle,
a toutes les bonnes raisons d’utiliser gentiment une spatule bien
huilée avant, pour décoller les parties de pâte collées. C’est bien
entendu une métaphore limitée, car l’interlocuteur n’est pas une
crêpe, le cours d’esprit critique n’est pas la fête de la Chandeleur,
mais l’image de l’adhérence est parlante. Il s’agit en quelque sorte
d’un encouragement à une douceur pédagogique qu’un certain
nombre de nos collègues oublient en route.
Dernière mise en garde : connaissez bien votre public, que ce soit
votre amphithéâtre, votre classe, votre public de conférence, vos
collègues ou vos patients : l’erreur banale est de prendre comme
exemple introductif un sujet aussi coûteux que l’objectif visé. Si
vous choisissez la Lune et les plantes pour une conférence auprès
de jardiniers amateurs, ce sujet est plus « chaud » que le don de
barreur de feu. Là, la salle entière peut se refermer sur vous et vous
manger tout cru comme la mâchoire géante du Moby Dick de
Herman Melville. L’esprit critique est un art martial qui comporte
une part de danger.

109 Le culte du Monstre en spaghetti volant (ou FSM, pour The Flying Spaghetti
Monster), appelé aussi pastafarisme, est un mouvement religieux parodique
dont l’évangile a été écrit par Bobby Henderson (2005), qui conteste par
l’absurde l’enseignement de l’Intelligent Design et du créationnisme dans
les écoles publiques.

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Écueils rhétoriques
La personne qui s’oppose à vos arguments dans une discussion peut
être amenée à utiliser des arguments rhétoriques « classiques ». Elle
peut le faire en toute bonne foi, ou s’en servir à dessein, dans la plus
pure mauvaise foi, peu importe : il s’agit de sophismes, des trom-
peries argumentatives. Nous les appelons parfois les argumentocs.
Nous ne connaissons pas de méthode plus souple pour fendiller
ces argumentocs chez un contradicteur que celle de nommer ces
argumentocs et de les décortiquer avec lui.
Voici les principaux sophismes, regroupés en trois parties distinctes110,
suivies d’une « spéciale » kiné, puis d’un encart sur une théorie de
psychologie sociale éclairante sur ce sujet.

ERREURS LOGIQUES
Sophisme : Généralisation abusive
Méthode Exemples
Votre contradicteur prend un « Guérir une tendinopathie par la
échantillon trop petit et en tire une kinésithérapie ne peut pas marcher, je
conclusion générale, sans faire une connais une personne à qui ça n’a rien
méta-analyse de son propos. fait du tout. »
« Ma mère a guéri sa verrue en allant
voir le rebouteux. Ils sont forts, ces
gens-là. »
Sophisme : Raisonnement panglossien
Méthode Exemples
Votre contradicteur raisonne à « Tu vois que j’ai bien fait d’aller
rebours, vers une cause possible parmi voir ce magnétiseur. » (occultant du
d’autres, vers un scénario préconçu même coup la résolution spontanée,
ou vers la position qu’il souhaite le placebo, la régression à la moyenne,
prouver. En gros, il pose comme vrai les soins médicaux, etc.).
son scénario, et ne va chercher que les « J’ai fait la cure Breuss111 et je n’ai pas
éléments qui vont conforter son point eu le cancer, cela prouve bien que ça
de vue. marche. »
111

110 N. Vivant, puis S. Antczak, de l’Observatoire zététique contribuèrent à l’éla-


boration des premières moutures de cette liste.
111 Rudolf Breuß, ou Breuss, naturopathe autrichien décédé en 1991, postula
que le cancer ne s’alimenterait que d’aliments solides, et inventa une cure de

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Sophisme : Non sequitur (« qui ne suit pas les prémisses »)


Méthode Exemples
La personne avec qui vous débattez « Tous ceux qui sont morts de
tire une conclusion qui ne suit pas cholestérol ont commencé par manger
logiquement les prémisses. Alors un peu gras. Donc ne mange pas
surveillez bien, il peut y avoir deux gras. »
types de non sequitur : « Française des Jeux : 100 % des
Si A est vraie, alors B est vraie. Or B est gagnants auront tenté leur chance. »
vraie, donc votre interlocuteur dit que (décomposé, cela donne : « tous ceux
A est vraie. qui ont gagné ont joué. Donc si tu
joues, tu gagnes »).
Si A est vraie, alors B est vraie. Or, A « Toutes les personnes ayant guéri d’un
est fausse, donc votre interlocuteur dit cancer y ont cru. » (décomposé, cela
que B est fausse. donne : ceux qui ne s’en sont pas sortis
Attention : la conclusion peut ne se sont pas assez battus – ce qu’ils ne
être finalement juste ! C’est le pourront pas démontrer).
raisonnement qui est faux.
Sophisme : Post hoc ergo propter hoc (ou effet atchoum) en latin, « après
cela, donc à cause de cela »
Méthode Exemples
Votre interlocuteur confond « J’ai bu une tisane, puis mon rhume
conséquence et postériorité, et prend est parti ; donc c’est grâce à la tisane. »
pour une causalité une corrélation « Il m’a fait craquer le dos, et tout
temporelle de suite après, ma lombalgie avait
B est arrivé après A, donc B a été disparu. »
causé par A.
Sophisme : Analogie douteuse
Méthode Exemples
Votre interlocuteur discrédite une « Bien sûr, Monsieur X est un escroc.
situation en utilisant une analogie Mais si Monsieur X dit que le ciel est
avec une situation de référence qui lui bleu, je ne vais quand même pas dire
ressemble de manière lointaine. qu’il est vert. »

jus de légumes qui porte son nom, avec des dosages aussi précis que sans
fondements expérimentaux. La marque suisse Biotta commercialise encore
des mélanges Breuss, bien non seulement que cette cure n’ait pas de bénéfice
direct dans le traitement du cancer, mais qu’elle mette également en situation
de sous-nutrition des malades déjà fatigués

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« Vous mettez la science et les preuves


dans du ‘‘sensible’’, de ‘‘l’humain’’.
On sait où ça mène, Mussolini et
Hitler ont fait la même chose… »
(Cette variante se rapproche du
déshonneur par association – voir plus
loin). 
Sophisme : Syndrome Galilée
Méthode Exemples
Votre meilleur ennemi est la cible de « Ma ‘‘science’’ est victime de critiques
vos critiques sur sa théorie nouvelle, et comme l’a été celle de Galilée, qui
sous-entend que comme lui, Galilée lui avait raison avant tout le monde… »
aussi fut persécuté et incompris112. (On peut remplacer Galilée par Ohm,
En se posant en tant que victime, une Boltzmann, Wegener, etc.)
théorie s’attire de la sympathie, et son
auteur un certain respect factice.
Sophisme : Appel à l’ignorance (ou argumentum ad ignorantiam)
Méthode Exemples
Votre compagnon de discussion « Il n’est pas démontré que la
prétend que quelque chose est vrai fasciathérapie ne marche pas. Donc
seulement parce qu’il n’a pas été elle marche. »
démontré que c’était faux, ou que « Pouvez-vous me prouver que je n’ai
c’est faux parce qu’il n’a pas été pas guéri une sclérose en plaque par
démontré que c’était vrai. imposition des mains ? Non ? Donc
je l’ai fait, vous ne pouvez rien dire
là-dessus » (cf. Le renversement de la
charge de la preuve).

112

112 C’est vrai que dans l’histoire des sciences, certaines découvertes ont été
accueillies avec scepticisme, et que le temps leur donna raison. Mais il est plus
vrai encore que dans leur immense majorité, les hypothèses accueillies avec
scepticisme se sont révélées fausses. En outre, Galilée n’a pas été persécuté,
seulement mis en résidence surveillée, et non par les scientifiques, mais par
le clergé ! L’accueil négatif d’une idée nouvelle ne lui confère aucune valeur
particulière, et comme l’écrit le sceptique étasunien Michael Shermer : « L’his-
toire est remplie d’anecdotes de scientifiques solitaires travaillant à contre-
courant de leurs collègues, et faisant un pied-de-nez aux doctrines de son
champ d’étude. La plupart de ces scientifiques se trompèrent, hélas, et nous
ne nous souvenons même plus de leur nom » (Shermer, 1997, p. 50).

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ATTAQUES
Les attaques, comme leur nom l’indique, sont offensives, et parfois tournent à l’agression
caractérisée. Le meilleur conseil que nous puissions donner est de bien connaître ces
méthodes de manière à les voir venir sereinement, sans prendre la mouche. Car s’énerver
ne peut que desservir. Les nommer suffit souvent à les désactiver.
Sophisme : L’attaque personnelle (ou argumentum ad hominem)
Méthode Exemples
Votre opposant vous attaque sur votre « Impossible de donner du crédit au
personne (sur votre moralité, votre journaliste Patrice Gélinet, vu son
caractère, votre nationalité, votre adhésion de jeunesse au groupuscule
religion…) et non vos arguments. d’extrême droite Occident. »
« Comment peut-on adhérer aux
positions de Rousseau sur l’éducation,
alors qu’il a abandonné ses propres
enfants ? »
« Comment Nicolas Pinsault
pourrait-il dire quelque chose de sensé
sur la kinésithérapie alors qu’il ne
pratique pas beaucoup ? »
Variante 1 : l’empoisonnement du puits
Méthode Exemples
Votre contradicteur laisse sous- « Critiquer les positions mystiques, ça
entendre qu’il y a un lien entre vos ne m’étonne pas de vous, vous avez
traits de caractère et les idées ou les toujours été sans cœur, Monsieur
arguments que vous avancez. Monvoisin. »
Variante 2 : le Tu quoque (ou toi aussi113)
Méthode Exemples
Cette fois, il jette l’opprobre sur « Vous mettez en doute l’efficacité des
vous en raison de choses que vous ultrasons, mais n’en avez-vous pas déjà
avez faites ou dites par le passé, en proposé à vos patients ? »
révélant une incohérence de vos actes « Vous critiquez l’intrusion religieuse
ou propositions antérieures avec les en science, Monsieur Monvoisin, mais
arguments que vous défendez. n’avez-vous pas suivi vous-même le
catéchisme ? »
« Comment Voltaire peut-il prétendre
parler de l’égalité des Hommes alors
qu’il avait investi dans le commerce des
esclaves ? »

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Sophisme : Le déshonneur par association (et son cas particulier, le


reductio ad hitlerum)
Méthode Exemples
Votre larron vous compare, vous ou « Voyons, si tu adhères à la théorie
vos positions à une situation ou à un de Darwin, alors tu cautionnes
personnage servant de repoussoir. la ‘‘sélection’’ des espèces, donc
le darwinisme social et l’eugénisme,
ce qui mène droit aux nazis. »
« Tu critiques la psychanalyse ?
Comme Jean-Marie Le Pen ! »
Sophisme : La pente savonneuse
Méthode Exemples
Votre compère tente de faire croire « Si l’humain descend du singe où
à l’assistance (ou à vous-même) va-t-on ? C’en est fini de la morale ! »
que si on adopte la position de « Si on autorise les préservatifs à l’école,
l’interlocuteur, les pires conséquences, ce sera quoi la prochaine fois ? Des
les pires menaces sont à craindre. flingues ? De la drogue ? »
« Les thérapies cognitives, c’est la porte
ouverte au Prozac et à la Ritaline pour
les enfants. »
« Si on commence à faire le tri dans
ce qui est efficace en kinésithérapie,
autant mettre tout de suite la clé sous
la porte, élever des chèvres et planter
des légumes ! »

113 Clin d’œil à César, poignardé par son fils Brutus. Il aurait alors déclaré
« tu quoque, mi fili » (toi aussi, mon fils), ce qui est probablement légendaire
car la première mention est rapportée par Suétone, né 113 ans après la
mort de César. Il est plus probable qu’il ait dit plutôt quelque chose comme
« aaaarrggghh ».

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Sophisme : L’homme de paille (dite technique de l’épouvantail, ou


strawman)
Méthode Exemples
Votre contradicteur travestit votre « Les théoriciens de l’évolution disent
position en une autre, grossière et plus que la vie sur Terre est apparue par
facile à réfuter ou à ridiculiser. hasard. N’importe quoi ! »
« Comment un être humain ou un
éléphant pourraient apparaître de rien,
comme ça ?114 »
« Vous prétendez que les astres n’ont
pas d’influence sur nous ? Allez donc
demander aux marins si la Lune n’a pas
d’influence sur les marées ! »
« Vous critiquez l’acupuncture ? En
gros, vous dites que tous les Chinois
sont des imbéciles. »
« Vous mettez en doute l’efficacité du
massage ? Donc vous affirmez que tous
les patients que cela soulage sont des
menteurs. »
Sophisme : L’argument du silence (ou argumentum a silentio)
Méthode Exemples
Accuser l’interlocuteur d’ignorance « Je vois que vous ne connaissez pas
d’un sujet parce qu’il n’en parle pas, bien les postures puisque vous passez
ou ne dit rien dessus. sous silence les travaux de Souchard en
RPG, c’est inadmissible ! »
« Avez-vous lu l’œuvre complète de
Lindt et Sprüngli ? Non ? Comment
peut-on alors donner du crédit à ce
que vous dites ? »
Sophisme : Le renversement de la charge de la preuve
Méthode Exemples
Demander à l’interlocuteur de « Tiens donc ! Démontrez-moi que les
prouver que ce qu’on avance est faux. points Trigger n’existent pas. »
« Pouvez-vous prouver qu’il est
impossible que les méridiens
d’acupuncture existent ? Non ? Donc
vous me donnez raison » (cette variante
s’appelle « prendre la non-impossibilité
comme argument d’existence »).

114 Pour répondre à cela, rien de tel que l’ouvrage Guide critique de l’évolution,
dirigé par Lecointre (2009).

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TRAVESTISSEMENTS
Cette fois, c’est un bricolage de l’argument central qui sert à fabriquer le sophisme.
Sophisme : Le faux dilemme
Méthode Exemples
Votre partenaire réduit abusivement le « Ceux qui ne sont pas avec nous sont
problème à deux choix pour conduire contre nous (argument dit de George
à une conclusion forcée. W. Bush). »
« Soit le massage réflexe marche, soit
je suis fou. »
« Soit nous poursuivons la thérapie
engagée, soit ce que nous avons fait
jusqu’à présent ne sert à rien. »
« L’ostéopathie : médecine ou
arnaque ? » (couverture médiatique
classique).
Sophisme : La pétition de principe
Méthode Exemples
Votre opposant fait une démonstration « Les recherches bactériologiques
contenant déjà l’acceptation de sa de l’Armée sont nécessaires, sinon
conclusion. comment pourrait-elle nous
soigner en cas d’attaque militaire
bactériologique ? »
« Jésus est né d’une vierge.
Comment cela serait-il possible sans
l’intervention divine ? »
Sophisme : L’argument d’autorité (ou argumentum ad verecundiam)
Méthode Exemples
L’expert invoque une personnalité « Isaac Newton était un génie, et il
faisant ou semblant faire autorité dans croyait en Dieu, et vous, vous êtes
le domaine concerné. moins bon que Newton donc Dieu
existe. »
« Si même les centres hospitaliers
universitaires proposent des barreurs
de feu à leurs patients, c’est que ça
doit être valable. »
« Des oncologues proposent à leurs
patients de la fasciathérapie. Vous
mettez en doute cette pratique mais
vous n’êtes même pas médecin. »

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Variante : la technique de la photo de famille


Méthode Exemples
Cette technique consiste pour certains
thérapeutes discutables d’inviter dans
leur colloque un grand nom. Celui-ci,
peu regardant et profitant parfois
d’avantages conséquents, vient
volontiers, et sert ensuite d’exemple
ronflant pour inviter d’autres
personnes, etc.
Sophisme : L’appel à la popularité (ou argumentum ad populum)
Méthode Exemples
Invoquer le grand nombre de « Des millions de personnes regardent
personnes qui adhèrent à une idée TF1, ça ne peut donc pas être si nul. »
pour lui donner du poids « Des milliers de gens se servent de
l’homéopathie, ça prouve bien que ça
marche. »
« De toute façon tous les kinés
massent leurs patients et ils
reviennent, c’est la preuve que c’est
efficace. »
Sophisme : La technique du chiffon rouge (ou red herring, ou hareng fumé)
Méthode Exemples
L’interlocuteur déplace ou extrapole le « Remettre en cause le lobbying
débat vers une position qui vous est industriel sur les nanotechnologies ?
intenable. Autant revenir à la lampe à huile et à
la marine à voile. »
« Et tous ces gens qui font de la
réflexologie, ce sont des imbéciles,
peut-être ? »
« Dire qu’il n’y a pas d’efficacité
réelle à l’acupuncture, c’est prendre
des millions de Chinois pour des
nouilles. » (vous aurez remarqué que
se greffe à l’argument un ad populum)
Sophisme : L’argument du vieux pot
Méthode Exemples
Nous l’avons vu au chapitre 2, paragraphe Datation.

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Sophisme : L’appel à la pitié (ou argumentum ad misericordiam)


Méthode Exemples
Plaider des circonstances atténuantes « Roman Polanski, il faut le défendre,
ou particulières qui suscitent de il a beaucoup souffert. On ne peut
la sympathie et donc cherchent à pas accuser aussi gravement quelqu’un
endormir les critères d’évaluation de qui a autant de talent. » (suite au
l’interlocuteur. procès pour présomption de viol sur
mineure)
« Bien sûr, Samuel Hahnemann n’a
pas prouvé l’efficacité de sa technique,
mais sous la pression que lui mettaient
les scientifiques, c’est normal, il faut le
comprendre. »
« C’est vrai que les kinés ne prouvent
pas leurs pratiques, mais on leur
demande de soigner des gens et ils
travaillent déjà comme des bêtes. Ils
ne peuvent pas tout faire ! »

Collector « Soin & kiné »


Enfin, le collector. Voici le top 6 des arguments fallacieux les plus
couramment entendus. Quitte à nous répéter, ces arguments peuvent
être objectés aussi bien de bonne que de mauvaise foi. Et que ceux
qui ne les ont jamais employés jettent la première pierre.

• Argumentum ad exoticum, ou argument du moine tibétain


aborigène du Mexique
Nous l’avons entraperçu plus haut (cf. chapitre 3, Mode, public
et patientèle), l’argument exotique consiste à penser une théorie
ou une thérapie valable dans la mesure où elle est défendue par
un représentant d’un peuple ancien auquel l’imaginaire français
confère des caractéristiques, généralement celle d’être proche de la
nature et de la forêt ou d’avoir une tradition chamanique. Il s’agit
d’une combinaison de l’effet vieux pot et d’une sorte de primitivisme
anthropologique latent dans les quatre derniers siècles, prêtant aux

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peuples lointains d’une part une infériorité intellectuelle115, d’autre


part une proximité avec la nature devenue gage, depuis au moins
Rousseau, d’une forme de sagesse nostalgique, l’état « naturel »
venu de l’Éden que ce soit celui de peuples nus ou celui d’enfants
sauvages116. À cette « pureté » est parfois associée une proximité avec
les animaux, les esprits, les puissances tutélaires, et tout comme aux
simples, on leur prête parfois des dons ou capacités oubliées chez
nous autres, sociétés technologiques.
Leur ancienneté passe d’ailleurs pour un gage de connaissances
importantes, « sinon ils n’auraient pu survivre » (voir ci-dessous :
sophisme du pragmatisme).
L’ad exoticum est multiforme. Voici quelques-uns de ses avatars.
- On voit bien que dans ces sociétés-là, ils ont des connaissances que
nous n’avons pas.
- Ils sont plus proches de la nature que vous, donc vous ne pouvez pas
leur contester une supériorité dans la connaissance de leur flore.
- Nous autres Occidentaux avons perdu nos capacités intuitives (sous-
entendu, les Orientaux, eux, les auraient gardées).
Vous noterez que personne ne précise ce que l’on entend par Oriental/
Occidental. Nous ne pouvons pourtant que constater que le mot
occidental ne sert que de repoussoir : soit pour désigner le bloc
anticommuniste au xxe siècle, soit pour désigner ce qui n’est pas
oriental, soit pour désigner le monde développé opposé à un monde
archaïque, sous-développé, voire terroriste. Si nous devions trouver
une homogénéité dans la notion d’occidental, force est de constater
qu’il s’agit des pays capitalisto-judéo-chrétiens. C’est une nuance
importante, qu’on retrouve chez Jean Bricmont (Bricmont, 2009).

115 Pratiquement toute la littérature scientifique du xixe siècle et du début du xxe


porte ce préjugé. On trouvera une belle description de cette pensée fausse
dans le livre de Stephen Jay Gould, La malmesure de l’homme : l’intelligence
sous la toise des savants, Ldp, biblio essais, 1983.
116 Sur ce sujet, on lira Lucien Malson, les enfants sauvages, mythe et réalité,
suivi de Jean Itard, Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron, 10/18, (2003)
ainsi que la récente thèse de Florent Pouvreau, Du poil et de la bête : ico-
nographie du corps sauvage à la fin du Moyen Âge (xiiie- xvie siècle), thèse
de doctorat (2011).

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- Il ne faut pas souscrire seulement au cadre de rationalité cartésien.


Arrêtons-nous pour l’exercice sur cette dernière phrase. Sont sous-
entendues ici plusieurs affirmations :
a) notre cadre de rationalité serait cartésien. Rappelons tout de même
que dans le discours de la méthode, Descartes pense « démontrer »
l’existence de Dieu, ce qui n’est pas un exemple de « cartésianisme ».
b) il y aurait d’autres cadres de rationalité. C’est le moment de
demander à votre interlocuteur lesquels, et quelle est leur capacité
à donner des savoirs tangibles. Il risque d’être bien en peine d’en
donner car quel que soit l’endroit du monde, pour faire cuire une
galette, compter des fruits ou faire rouler un tracteur, la rationalité
est la même.
- Vous demandez des preuves, c’est le lot de la pensée capitaliste/coloniale/
patriarcale.
- Les Orientaux sont moins tournés vers le symptôme, prennent l’indi-
vidu dans son ensemble.
Souvenons-nous qu’à la base de la médecine grecque, Hippocrate,
dont on prête encore le serment, disait déjà exactement la même chose
de la prise en charge globale de l’individu ; si notre rapport au soin
dépersonnalise le patient, il s’agit d’un problème économique mâtiné
de gestion des ressources humaines, en clair un problème politique,
non un problème épistémologique (cf. Conclusions et perspectives).

• Argumentum ad consequentiam, ou sophisme du pragmatisme


Ce sophisme consiste à subordonner la question de la vérité d’une
thèse à celle de ses conséquences pratiques. Cette erreur vient du
fait que l’on refuse d’admettre les conséquences désagréables d’une
proposition, même si elle est vraie. Ou à l’inverse qu’on est tenté
d’accepter les conséquences agréables d’une proposition fausse. Mais les
conséquences agréables ou désagréables ne constituent pas une preuve.
On tombe dans le sophisme du pragmatisme lorsqu’on prétend
que quelque chose est vrai ou est efficace parce que ça marche. Par
exemple, l’astrologie marche, la kinésiologie marche.

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Le Dictionnaire sceptique nous explique que :


« Ce que ‘‘marcher’’ signifie ici n’est pas clair. Au minimum, cela
signifie qu’on perçoit un bénéfice concret à croire que cela est
vrai, malgré le fait que l’utilité d’une croyance soit indépendante
de sa véracité. À ce niveau, ‘‘marcher’’ paraît signifier ‘‘J’en suis
satisfait’’ ce qui veut peut-être dire ‘‘Je me sens mieux’’ ou ‘‘Ça
m’explique des choses.’’ Au mieux, ’’marcher’’ signifie ’’a des
effets bénéfiques’’ même si les preuves sont très minces pour
établir la causalité. » (www.sceptiques.qc.ca).

• Argument relativiste
À l’instar de Sokal & Bricmont (1997, p. 53), nous désignons par
relativisme cognitif 117 l’idée que la validité d’une affirmation ou
d’une théorie est relative à un individu ou à un groupe social. Les
deux formes courantes de cet argument sont :
a) la science est une religion comme une autre.
b) pourquoi une théorie scientifique aurait-elle plus de validité qu’une
théorie d’un peuple primitif ?
Décortiquons-les.
Pour (a) la critique peut effectivement porter sur un « clergé », c’est-
à-dire des savants garants de l’institution, rigides et peu ouverts à
la nouveauté. Dont acte. Mais l’immense différence, nous l’avons
déjà vu au premier chapitre, entre une religion et une science est
que la religion choisit un scénario immuable, tandis que la science
se soumet à un processus de vérification permanent, en tentant
d’infirmer ses affirmations, en les faisant rebondir sur la réalité.
Comme le physicien Jean Bricmont l’écrivit dans le Monde :
« l’immense univers dans lequel nous nous trouvons n’existe
ni pour nous, ni à cause de nous. Évidemment, nos théories
scientifiques sont, dans un sens, des constructions sociales. Mais
elles sont basées sur des arguments empiriques, ce qu’on oublie
trop souvent. Comment peut-on soutenir sérieusement qu’il n’y
a aucune raison empirique de croire que le sang circule, que la

117 La question du relativisme cognitif a été traitée largement mieux que


nous ne pourrons jamais le faire chez Sokal & Bricmont  (1997), Bricmont
(2001ab), Bouveresse (1999) et Sokal (2005).

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Du bon usage de l’esprit critique
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Terre tourne ou que les espèces ont évolué et que les controverses
à ce sujet ont été closes, au moins en partie, parce que c’est ainsi
que le monde est ? » (Bricmont, 1997, p. 15).

Quant à (b) il est plus long d’y répondre. Il faudrait déjà discuter de
ce qu’on entend par peuple primitif – et vous remarquerez rapide-
ment les restes d’une représentation coloniale de ces peuples, perçus
comme plus proches de la nature (cf. Argumentum ad exoticum dans
ce chapitre).
Cet argument est une manière d’accuser l’interlocuteur d’être fermé
sur son monde et non ouvert à l’extérieur (voir ci-dessous, argument
pseudo-démocratique). Or, et c’est l’argument qui torpille le relativisme,
peu importe qu’une théorie soit le fait d’une obscure tribu ou d’une
société technologique : elle ne se jauge qu’à l’aune de la réponse du
réel à ses hypothèses. Il est d’ailleurs courant que certaines théories
anciennes aient une certaine validité, non parce qu’elles sont vieilles, ou
élaborées par des gens habillés en pagne, mais parce qu’un empirisme
pragmatique a prévalu à leur élaboration. C’est pourquoi il arrive que,
même si la théorie qui les sous-tend est bancale, certaines pratiques
herboristes africaines aient une certaine portée.

Vous entendrez parfois l’argument qui consiste à douter de la raison :


la raison serait-elle un outil universel, ou bien un phénomène culturel
« occidental » ? Il est probable que la personne qui dise cela soit
relativiste. Vous pouvez alors plaisanter avec elle en lui demandant :
comment peut-elle être sûre que le relativisme est la bonne posture,
sans usage de la raison ? Éclats de rire garantis.

• Argument pseudo-démocratique
Cet argument se comprend mieux après l’argument relativiste. Il advient
généralement lorsqu’il faut construire un débat. Les médias, ou les
organisateurs proposent de débattre sur un sujet, par exemple pour
ou contre telle thérapie, ce qui est déjà, vous l’aurez reconnu, un faux
dilemme. Il est coutumier que les organisateurs ne soient pas très
regardants sur le plan épistémologique, et invitent un scientifique et

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un voyant, un psychiatre et un psychanalyste, un biologiste et un créa-


tionniste, un kinésithérapeute et un rebouteux. Or accepter lorsqu’on
est scientifique, donc dépositaire de la somme des connaissances d’un
sujet, de débattre avec quelqu’un qui va exposer ses « vues », ou une
théorie pseudo-scientifique, va légitimer le discours non-scientifique en
le plaçant sur le même plan que le discours scientifique. Il y a plusieurs
avis divergents sur la conduite à tenir. Il est des scientifiques qui disent
qu’il faut aller partout, quitte à brouiller les cartes épistémologiques,
plutôt que de laisser des discours sans contradictions. D’autres disent
qu’il faut non pas un, mais cent voyants en face d’eux, pour montrer
la non-équivalence de point de vue. Enfin, certains déclinent l’invita-
tion… et c’est là qu’est brandi l’argument pseudo-démocratique : on
risque de vous dire qu’il n’est pas démocratique de refuser le débat.
Il y a plusieurs choses à dire sur cet argument.
D’abord, on sous-entend que ce qui est démocratique, c’est bien –
remplacez démocratique par bien, ça marche toujours. Primo, cela
ne va pas de soi pour tout le monde, secundo il y a bien des critiques
à faire à la démocratie, et tertio il y a une très grande variété de défi-
nition de démocratie (participative, participaliste118, représentative,
populaire, etc.).
La deuxième critique à faire est technique : quand bien même nous
acceptions le terme démocratie, dans quelle mesure peut-on être sûr
que le fait d’accorder des temps de parole équivalents à deux thèses
garantisse un débat démocratique ? Il faudrait que ces thèses soient,
sinon contradictoires, au moins équivalentes d’une manière ou d’une
autre. Imaginerions-nous un débat entre un défenseur de la Terre
sphérique et un promoteur de la Terre plate ?
Cela soulève le point crucial suivant : la science est un processus com-
mun partageable par tous, mais il n’est pas démocratique car même les
meilleures thèses ne convainquent pas toujours, tout de suite. On ne
peut pas jauger une thèse sur sa notoriété. D’un côté, cela vouerait aux
gémonies les Wegener, Galilée, Kepler, Boltzmann, qui furent pour

118 Sur ce type de fonctionnement participaliste, on trouvera une bonne intro-


duction chez Albert (2003).

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le moins minoritaires en leur temps. D’un autre, cela donnerait un


crédit usurpé aux « théories » populaires (psychanalyse, ostéopathie
crânio-sacrée, microkinésithérapie, prière d’intercession…).

• Argument holiste
Exemple :
- Vous ne pouvez pas scientificiser tout, car l’humain n’est pas
réductible à la somme de ses parties.
Pour contrer cet argument, nous conseillons les réponses suivantes,
classées de la manière la plus verte à la manière la plus fleurie :
1. Qu’en savez-vous ? Car effectivement, rien ne nous permet de
penser que l’humain n’est pas réductible à la somme de ses parties.
Sera alors invoquée probablement la psyché humaine, l’âme, ou la
production par Wolfgang A. Mozart du Requiem. L’âme humaine
n’étant pas un concept réel, nous le laissons. Mais pour ce qui est
du Requiem, nous ne voyons pas en quoi cette œuvre perdrait
son intérêt si l’on montrait un jour comment l’assemblage des
atomes composant le cerveau de Mozart a pu la créer.
2. Certes, pourquoi pas. Mais pour ce qui relève des pathologies
classiques, difficile de penser que l’humain qui a mal au genou
ne trouve son problème dans la structure de son genou ou de
son système nerveux central en charge de réguler l’information
douloureuse. Vous créez ainsi un terrain d’entente.
3. (version élégante) Que pensez-vous que nous perdrions en
réduisant l’humain à la somme de ses parties ?

• Argument quantique
Exemple :
- Tout n’est pas démontrable, car la physique quantique l’a montré
C’est un argument de plus en plus fréquent, depuis les ouvrages
blockbusters de Deepak Choprah à la « reconnexion » du chiropracteur
Eric Pearl, en passant par un certain attirail de soins relevant de la
quantum therapy et qui fleurissent dans les salons.

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Là encore, existent plusieurs degrés possibles de discussion :


1. La physique quantique s’applique à des objets microscopiques,
pas la thérapie manuelle (mais on pourra vous rétorquer que
les atomes d’un genou sont faits eux aussi de quarks, leptons
et fermions, ce qui ne fait que repousser le problème)
2. Prendre un exemple prosaïque : quand bien même tout ne
serait pas démontrable, comment distinguer ce qui l’est de ce
qui ne l’est pas ? Par exemple, malgré la mécanique quantique,
on peut prouver qu’exercer un coup de masse de 600 Newton
sur un crâne humain a de très fortes chances de l’ouvrir.
3. Ah bon ? Pouvez-vous m’expliquer ? Mais vous vous retrouverez
également ferré, car soit, ce qui est probable, votre interlocuteur
ne connaît rien de la physique quantique, et donc ne saura pas
reconnaître son absence de compétence sauf si vous montrez la
vôtre – ce qui n’est pas très élégant. Soit il est compétent – mais
c’est peu probable, car aucun spécialiste de physique quantique
ne dirait une chose pareille119.

119 Pour aller plus loin sur les argumentocs classiques sur ce sujet, on pourra
lire Quantox (Monvoisin, 2013).

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Conclusion et perspectives

N ous avons rédigé cet ouvrage dans le double objectif d’alimen-


ter les réflexions des professionnels de santé et des patients sur
les thérapeutiques manuelles et de contribuer à ce que les choix
thérapeutiques de chacun se fassent avec un degré maximum de
connaissance de cause. Nous nous sommes rendu compte que ces
deux objectifs, qui devraient aller « de soi », sont bien plus subver-
sifs qu’il n’y paraît dans un milieu où majoritairement, et comme
probablement dans tous les milieux, on préfère croire que savoir.
Nous préparant à recevoir une volée de retours de manivelle verte,
nous avons référencé au plus précis, justifié au mieux nos constats,
et argumenté nos points de vue. Comme nous projetons des idéaux
pour l’avenir, permettez-nous d’être un peu lyrique dans les lignes
qui suivent. De même que l’horloger face à une montre, nous
regardons sans fard, telle qu’elle est, la chose que nous souhaitons
comprendre et éventuellement transformer.

Or, sur le terrain médical justement, le constat est on ne peut plus


préoccupant. Au centre de l’arène, un art thérapeutique bifide et
claudiquant, comme un grand compas qui ne sait pas sur quel pied
danser. On le voit osciller du pied droit de l’art, ars au sens médiéval,
ensemble de techniques qui s’évaluent et composent la médecine basée
sur les preuves, au pied gauche de l’art au sens artistique et créatif,
savoir être, care, prise en charge, amabilité, douceur et éthique. Le
premier art, fait d’un bois sculpté par les décennies de recherche, a

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pour lui d’être solide, de fournir des preuves d’efficacité, de permettre


des protocoles de traitement plus sûrs et des thérapeutiques de plus
en plus efficientes. Mais l’aubier de ce bois est parasité, rongé par
les intrications avec les milieux industriels, les conflits d’intérêts,
la privatisation des brevets, voire par la fabrication délibérée de
fausses pathologies artificiellement médicamentées, à l’image du
syndrome dit « métabolique », ou syndrome de la bedaine, servant
à vendre l’Accomplia – voir à ce sujet l’enquête de Laurent Richard
et Wandrille Lanos, diffusée dans Cash investigation (Richard &
Lanos, 2012) et lire le communiqué de presse de Prescrire (2006).
Les affaires Vioxx, Mediator, PIP et autres, rongent à tel point l’art
médical scientifique qu’une grande proportion de patients ne le
perçoit plus que comme un art totalement inféodé, science officielle
d’une technocratie capitaliste.

Le second art, lui, ne fait que très rarement l’objet de recherches. Il est
le parent pauvre de l’enseignement. Comment dire à une personne
qu’elle se meurt, comment donner du choix au patient, comment
donner à celui-ci une part dans le processus de guérison, généralement
confisqué par une blouse, souvent blanche, tant de questions trop
absentes de la formation des médecins, pharmaciens, sages-femmes,
kinésithérapeutes, aides-soignants ou auxiliaires de vie. Pour combler
cette absence, les établissements de formation reconnus et officiels
proposent des contenus douteux, sans réels critères de sélection. D’où
vient cette absence de critère ? Elle nous paraît autant le produit
d’une faiblesse épistémologique des responsables de formation que
d’une volonté de répondre à une demande croissante des étudiants
devant se positionner sur un marché en expansion. Alors cet art se
fait submerger par le lierre des techniques de bien-être, thérapies dites
alternatives, soins complémentaires ou de support, coupeurs de feu,
groupes de prière ou de sorcellerie, immense marché en explosion
d’autant plus séduisant qu’il est exotique et se vend comme substitut
contestataire de la médecine scientifique.

Et lorsque ce compas de guingois, un pied rongé par les termites, l’autre


enseveli dans des lichens et des mousses toutes plus phosphorescentes

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Conclusion et perspectives
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les unes que les autres se trouve placé dans un modèle marchand de
libre concurrence capitalistique offrant une médecine hospitalière
empressée, compressée, pressurée, rentabilisée par des directeurs
énarques, bordée aux alentours par des praticiens libéraux plus souvent
au fait des lois fiscales que des méta-analyses de la littérature, par des
officines de pharmacie dont les étals se rapprochent dangereusement
de l’épicerie parapharmaceutique, alors il n’y a plus rien d’étonnant
à ce que le réflexe du malade soit de fuir le monde médical à toutes
jambes, à toutes roues, toutes moelles dehors.

Un état des lieux aussi grinçant nous vaudra probablement d’être


diagnostiqués pessimistes. Il s’agit d’une erreur d’interprétation, car
le pessimiste sera justement celui qui clôt les yeux sur cette réalité. Il
n’y a pas meilleure manière de cultiver l’optimisme que regarder les
choses telles qu’elles sont. Serions-nous alors des désenchanteurs, qui
assombrissent le ciel bleu des pseudo-alternatives de santé ? Encore
moins, pour deux raisons : le ciel bleu en question est un ciel de
décor en carton-pâte et nous ne percevons pas la part d’espoir qu’il
y aurait à entretenir des pratiques thérapeutiques inefficaces ni en
quoi taire les conflits d’intérêts en médecine enchanterait le monde.

De l’impatience, sans blouse, dans un jardin public


Quant aux solutions, elles restent à inventer. Le lecteur fera bien ce
qu’il voudra, la lectrice fera bien ce qu’elle entend. Voici ce à quoi
nous avons pensé.

Sans patient, point de salut ! C’est l’arme fatale, le patient. D’abord


parce que sans lui, tout l’édifice s’écroule. Ensuite parce que tous
autant que nous sommes, puissants ou faibles, grands ou petits,
sommes des patients en puissance. Même le plus imposant méde-
cin, la plus influente politicienne, est aussi un patient en sursis, aux
entrailles basses, au ventre mou. Enfin, parce que s’il faut attendre
que les professionnels de santé se lèvent, on n’est pas couché. Que
peut faire le patient ? Il peut, et c’est un comble, perdre sa patience.

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L’(im)patient peut, comme nous, décider de quitter les thérapeutes qui


consultent cinq minutes entre deux portes. Elle peut, l’(im)patiente,
ne plus jamais retourner chez un thérapeute qui la prend trois quarts
d’heure en retard et qui ne s’excuse pas. Avoir trois quarts d’heure de
retard arrive à tout le monde, mais il n’y a pratiquement qu’une seule
catégorie d’individus au monde qui flotte au-dessus des conventions
élémentaires et se permet souvent de ne pas s’excuser : le médecin.
Il peut envoyer paître le professionnel de santé qui lui fait la morale
sur une interruption volontaire de grossesse. Il peut refuser l’entrée
de sa chambre d’hôpital à la nuée d’étudiants suivant le mandarin
comme les mouettes le chalutier, d’autant plus que cette visite lui
est imposée. Il et elle peuvent regarder s’il y a conventionnement,
couverture maladie universelle, dépassement d’honoraire, et vérifier
que les autres patients qui attendent ne sont pas de discrets visiteurs
médicaux, venant placer leurs produits pharmaceutiques en faisant
passer la plaquette pour de l’information scientifique. Même l’enfant
patient peut contribuer à sa façon, en faisant des cocottes en papier
avec la sempiternelle presse féminine sexiste qui orne les salles d’attente.
Ses parents pourront alors, (im)patients qu’ils sont, cacher le dégât en
y substituant les rares presses médicales indépendantes, ou quelques
fascicules du Formindep.

Devant la fronde des impatients le thérapeute, dans son inertie replète,


devra changer. Il devra opérer au moins trois virages essentiels pour
accepter de détricoter sa blouse et, à la même table que patients
et paramédicaux, inventer ensemble l’art thérapeutique du futur.

Sur la forme tout d’abord. Les arrogances et les morgues interpro-


fessionnelles s’évaporeront d’autant plus vite que les patients et les
professionnels se plaindront, comme autant de grains de sable dans
les rouages, de petites Rosa Parks refusant de céder sa place dans
les bus de Montgomery. Encourageons les infirmiers à connaître
les bases de la psychologie de la soumission et ne pas se soumettre
aveuglément à l’autorité du médecin coutumier d’un système man-
darinal, puisque c’est le seul qu’il ait jamais fréquenté, brisons les
plafonds de verre qui empêchent les kinésithérapeutes de croire

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Conclusion et perspectives
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qu’ils peuvent faire des recherches scientifiques de qualité. Branlons


le piédestal des pompeux, et les pompeux redescendront sur terre,
les yeux dans les nôtres, pour un projet collectif.

Sur une connaissance accrue des informations scientifiquement vali-


dées, ensuite. Car le patient serait bigrement surpris de constater le
peu de formation réellement scientifique, véritablement critique,
des professionnels de santé. À leur décharge, rien n’est fait pour
encourager les initiatives de formation à la pensée critique. Alors
qu’une formation « par » et « à » la recherche scientifique prend
du temps, les politiques d’enseignement supérieur focalisées sur
l’employabilité à court terme, la flexibilité et la compétitivité des
entreprises tendent à réduire les durées d’études. Tel est le constat
auquel arrivent des analystes comme Nico Hirtt120 (2000).
La formation par la recherche est pourtant l’école de l’acuité et de
la rigueur intellectuelles exigeant de dépasser les efforts de ses pairs
et permettant d’acquérir les qualités indispensables aux professions
de santé. Une fois acquise, la méthodologie scientifique devra être
employée par les professionnels pour trier les informations publiées
et n’en garder que le meilleur. On dissertera longtemps de l’absence
de critique d’un système de publication des données en grande partie
privatisé par des revues internationales qui, comme le soulignait
Laurent Ségalat, valident les carrières en comptabilisant citations
et facteurs d’impact comme les agences de mannequins compilent
les press books (Ségalat, ouv. cit.).
Cela ne peut se faire que par une exigence accrue des patients, qui
obligera les professionnels à se plonger dans les études disponibles,
et non plus se contenter des plaquettes publicitaires d’entreprise. Ici
encore, il faut du temps et la question du mode de rémunération
des professionnels de santé devra être posée. Le paiement à l’acte,
prévalant depuis longtemps en médecine libérale et récemment
réintroduit dans le secteur public, n’est-il pas un encouragement
aux prises en charge bâclées et déshumanisées ? Pour répondre à

120 On peut l’écouter posément ici : « Pédagogie, didactique – Critique des


politiques d’enseignement du secondaire », Entretien avec Nico Hirtt, sur
www.cortecs.org.

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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cette faillite du care, il faudra recentrer la pratique sur une éthique


de l’empathie, de la justification morale du respect des droits fonda-
mentaux du libre choix du patient ; sur l’impérieuse nécessité pour le
patient de reprendre sa place dans le processus de soin et d’exiger du
professionnel qu’il l’y accompagne, en toute conscience. Le soignant
sera alors un des remparts de protection pour le patient contre une
société socio-économiquement maltraitante. Le rôle des thérapeutes
ne pourra alors plus être de rafistoler l’individu pour qu’il réintègre le
champ de bataille ou l’unité de production au plus vite, car comme
écrivait l’historien Howard Zinn, « on ne peut pas se permettre d’être
neutre dans un train en marche » (Zinn, 1994).

Et lorsque viendra ce temps où les patients, insoumis et exigeants,


et les professionnels, formés, empathiques, et critiques envers leur
savoir, marcheront ensemble toutes professions confondues et
buvant au caducée d’une recherche débarrassée d’intérêts privés,
restera alors la lourde tâche de construire collectivement une gestion
de santé publique. C’est un sujet encore plus facile d’accès dans la
mesure où il ne nécessite ni d’être patient, ni d’être professionnel. Il
est possible de militer pour réclamer aux institutions de réels biens
publics de santé, avec accès inconditionnel, personnel suffisant,
gratuité des soins pour le maximum de gens, et indépendance de
l’information médicale face aux lobbyings industriels. Il s’agit d’un
combat important car ces biens publics sont disloqués, morcelés
par le gouvernement et les directives européennes basées sur un
libéralisme économique de concurrence.

En imposant notre constat noir et lucide, les instances politiques


devront regarder l’état des lieux tel qu’il est, et comprendre que la
libre concurrence qui vise à faire baisser les coûts sous prétexte du
bénéfice des malades a des effets contraires à ceux recherchés. D’abord,
parce que pour baisser ces coûts, il faut bien économiser sur quelque
chose, et ce quelque chose est généralement la condition de travail
des petites mains. D’une pierre deux coups, les petites mains usées,
les dos ruinés, les harcèlements et l’aliénation au travail se soignent
et créent un flot permanent de patients que le thérapeute a pour

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Conclusion et perspectives
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tâche de réparer pour retourner besogner. L’oxymore du médecin


de guerre soignant les blessés pour les rendre aptes à retourner au
feu n’est pas loin. Et en attendant, malades mal pris en charge et
« petit » personnel surstressé au bord de l’arrêt maladie se croisent
aux services des urgences en un sordide ballet.
Mais le point central qui signe l’échec d’une politique de concurrence
est une différence qualitative majeure : ce que le patient vient ache-
ter n’est pas qu’une denrée, le soin, mais une confiance. La relation
patient-professionnel est une relation qui ne pourrait être purement
commerciale que dans la mesure où le patient en saurait autant que
le thérapeute. Or le malade est inquiet, les proches aussi, et l’espoir
peut se monnayer cher. Il n’est pas moralement justifiable de propo-
ser une libre concurrence dans un marché de la confiance, à moins
de voir le médecin de clinique privé, le kinésithérapeute libéral, le
rebouteux, l’assureur et le pasteur évangélique charismatique faisant
des miracles mis sur un même pied. L’exemple du système de santé
étasunien est l’archétype de l’échec de ce modèle. Les profession-
nels doivent raconter, avec lucidité, ce qu’ils vivent : la violence des
urgences, le calvaire des soins sans moyens, les urgences surpeuplées121,
la fermeture des lits d’hôpitaux faute de personnels suffisants partis
vers une pratique de ville dont les conditions d’exercice mériteraient
une critique tout aussi acerbe. Tout ceci n’est pas le fruit du hasard,
mais d’une marchandisation du soin contre laquelle il faut se battre et
dont les premières victimes sont les plus pauvres et les plus isolés, sans
accès aux soins privés, ou contraints d’errer dans les fameux déserts
médicaux (UFC Que choisir, 2012). En attendant, même l’âme la
plus libertaire pourra se convaincre que maintenir des garde-fous
étatiques est une première étape nécessaire, survivaliste, car, comme le
dit Noam Chomsky, mieux vaut pour l’instant les grilles de l’État que
les prédateurs aux crocs acérés qui tournent autour (Chomsky, 1999).

121 Au moment où nous écrivions l’ébauche de ces lignes (15 février 2013), les
urgentistes du Centre hospitalier universitaire de Grenoble menaçaient de
démissionner en bloc si les conditions d’accueil des patients ne s’amélio-
raient pas.
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Annexes

Annexe n° 1 – Réponse au quiz de datation


Voici l’ordre historique (des plus vieilles aux plus récentes) de nais-
sance ou de revendication des techniques manuelles, accompagnées
de leur fondateur présumé. Nous avons gardé pour date celle de la
première publication ayant la thérapie pour objet central, à moins
que l’auteur n’indique lui-même une date précise antérieure.

1835 Hydrothérapie 1947 Méthode Mézières


1847 Kinésithérapie 1949 Méthode Feldenkrais
1874 Ostéopathie 1964 Kinésiologie Appliquée
1895 Chiropraxie 1971 Rolfing
1899 Étiopathie 1972 Toucher thérapeutique
1913 Réflexologies 1980 Fasciathérapie MDB
1922 Reiki 1980 Haptonomie
1929 Ostéopathie 1980 Microkinésithérapie
crânio-sacrée 1983 Biokinergie
1934 Méthode Pilates
1936 Drainage lymphatique
manuel Méthode Vodder

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Annexe n° 2 – Éléments de réponse du TP :


analyse critique de la littérature, les points réflexes
neurolymphatiques de Franck Chapman
Pour répondre à la question « les prétentions diagnostiques et
thérapeutiques des techniques reposant sur les points réflexes
neurolymphatiques de Franck Chapman sont-elles scientifique-
ment fondées ? », nous avons appliqué méthodiquement le plan
proposé par l’ouvrage et présentons donc l’histoire et la sociologie
de la pratique avant de faire une analyse de la littérature disponible.

Histoire
Franck Chapman est un ostéopathe diplômé en 1897 de l’Ame-
rican School of Osteopathy. Élève du célèbre Andrew Taylor Still,
considéré comme le fondateur de l’ostéopathie, Chapman se fait
connaître dans les années 1930 en proposant une carte de points
réflexes viscéro-somatiques, c’est-à-dire une carte de points sur le
corps qui, une fois stimulé, entraîne des modifications à distance
sur des organes plus profonds comme les viscères ou le cœur, par
exemple. Il constate en effet que certaines zones du corps présentent
une modification de leur texture, décrite comme de « petits grains
de tapioca » sous la peau. On raconte que des effets bénéfiques sur
les organes adviennent lors de la stimulation de ces zones.
À force d’observations des effets de la stimulation des zones sur ses
patients, Chapman établit progressivement une carte répertoriant
plus de deux cents points stimulables différents et leurs organes affé-
rents122. L’hypothèse est que la stimulation manuelle qu’il applique
augmente l’activité du système nerveux sympathique qui va à son
tour moduler le flux lymphatique au niveau de l’organe associé au
point stimulé. Pour faire simple, en touchant certains points, la
lymphe affluerait plus volontiers dans certains organes.

122 On pourra, pour approfondir la partie historique « officielle », consulter


le blog du thérapeute alternatif healingbodytherapeutics.com à la page
Chapman’s Unique Reflex Techniques, 10 avril 2011.

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Annexes
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Par la suite Charles Owens, le beau-frère de Chapman complétera


la théorie en attribuant une partie des effets de la stimulation des
points répertoriés au système endocrinien. Vous trouvez cette histoire
un peu trop belle ? Nous aussi, mais nous ne pûmes aller plus loin
dans nos recherches.

Sociologie
Considérés comme « d’excellents outils diagnostique et thérapeu-
tique » (Capobianco, 2005), les points réflexes neurolymphatiques
de Chapman ont inspiré et influencent encore de nombreuses
disciplines parmi lesquelles l’ortho-bionomy123, la réflexologie,
la kinésiologie appliquée, ou encore l’ostéopathie124. L’étude des
points réflexes de Chapman fait notamment partie des programmes
de formation des instituts français de ces différentes disciplines125.
L’Organisation mondiale de la santé considère en outre que l’étude
des points réflexes de Chapman doit faire partie des programmes
de formation puisqu’elle les mentionne dans un document visant à
définir les « principes directeurs pour la formation en ostéopathie »126.

123 Selon le site de l’AFOB, L’Association Française d’Ortho-Bionomy, le fonda-


teur, « Arthur Lincoln Pauls (1929-1997) est né au Canada. Dans les années
60, installé à Londres, il enseigne le judo. Quelques années plus tard, décou-
vrant l’ostéopathie, il décide de se former à cette discipline. Il découvre par la
suite les travaux de Lawrence Jones, ostéopathe, créateur d’une méthode de
relâchement réflexe des tensions musculaires, utilisant des positions sponta-
nées prises par le corps pour éviter la douleur. Cette approche séduit Arthur
L. Pauls, dans la mesure où elle exclut toute manipulation articulaire forcée.
Son expérience l’amène à approfondir ces principes et à développer sa propre
méthode qu’il appellera d’abord ‘‘Phased Reflex Techniques’’, qui deviendra par
la suite l’Ortho-Bionomy ». www.ortho-bionomy.fr/fr/qu-est-ce-que-l-ortho-
bionomy.html
124 On pourra consulter les sites et articles suivants pour s’en convaincre :
www.ortho-bionomy.fr, www.reflexology-usa.org/articles/root_of_reflexo-
logy.html ainsi que Frost (2002) et Chila & Fitzgerald (2010).
125 Les programmes sont disponibles (consultés le 12 avril 2013) sur http://
www.ortho-bionomy.fr/UserFiles/File/ob-formations-chapman-100215.
pdf et http://www.osteo.fr/programmes-evaluations-initiale
126 Le document en question est accessible ici: http://www.who.int/medicines/
areas/traditional/BenchmarksforTraininginOsteopathy.pdf

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La théorie développée par Chapman, en donnant naissance à une


technique à la fois diagnostique et thérapeutique, entre dans le
cadre des prétentions scientifiques. Elle est donc analysable scien-
tifiquement, avec le leitmotiv suivant : quels sont les éléments à
notre disposition permettant de penser qu’il y a de bonnes raisons
d’adhérer à cette théorie ?
Nous allons donc d’abord chercher si cette technique permet réel-
lement de diagnostiquer des malades, puis vérifier si elle présente
effectivement une efficacité propre.

Analyse de la littérature
L’analyse de la littérature eut lieu en octobre 2012, et fut réalisée
sur la base de données Pubmed et sur le moteur de recherche Google
Scholar en croisant les mots-clés ‘‘Chapman/Chapman’s ; Reflex/
Reflexes’’ mentionnés dans le titre des articles. Cette recherche nous
a permis d’identifier trois documents – Caso (2004), Washington
& al. (2003) et Lines et al. (1990) –, dont l’objet est justement la
mise en évidence de l’efficacité diagnostique ou thérapeutique des
réflexes neurolymphatiques de Chapman. Les autres documents
sont des chapitres d’ouvrage ou articles décrivant simplement la
mise en œuvre de la technique.

L’article de Marcello Caso (Caso, 2004)

L’article, qui est le plus récent, est une étude de cas d’un patient
lombalgique chronique de vingt-neuf ans. Ce patient ne présentait
pas de signes de souffrance radiculaire, c’est-à-dire que les nerfs
provenant de sa colonne vertébrale lombaire n’étaient pas irrités ni
comprimés comme cela peut être le cas dans le cadre par exemple
de la sciatique. Les examens radiologiques se révélèrent normaux
mais une imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRMn) a
mis en évidence une protrusion discale postérolatérale gauche. Les
traitements entrepris (anti-inflammatoires, corticoïdes et manipu-
lation vertébrale par un chiropracteur pendant douze semaines) se
sont avérés inefficaces et le patient fut orienté pour une évaluation
en kinésiologie appliquée.
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Annexes
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À l’examen clinique initial, le kinésiologue fit état d’une crête


iliaque gauche surélevée par rapport à la droite, d’une tension
musculaire des muscles paravertébraux lombaires et d’un test de
Kemp positif bilatéral et prédominant à gauche127. Un examen
kinésiologique appuyé « révéla » une faiblesse du muscle tenseur
du fascia lata, identifié notamment par Goodheart (fondateur de
la kinésiologie appliquée) comme étant associé au point réflexe
neurolymphatique de Chapman en lien avec le gros intestin.
L’examinateur questionna alors le sujet sur des problèmes gastro-
intestinaux éventuels. Cet interrogatoire dévoila des épisodes
de constipation modérés à sévères dans l’enfance, attribués à
une dysfonction congénitale de l’intestin mise en évidence par
un lavement baryté, c’est-à-dire un examen radiologique réalisé
après injection d’un produit de contraste opaque aux rayons X,
la baryte, dans le rectum et le côlon du patient, permettant ainsi
d’étudier ces derniers.
La première séance a consisté en un traitement par accupression
(30 à 60 secondes) du méridien gauche du gros intestin ainsi
qu’une manipulation vertébrale.
Les symptômes ne changèrent pas lorsque le patient se présenta à
la deuxième séance plusieurs jours après. Au cours de celle-ci, le
kinésiologue testa la « sensibilité alimentaire » du sujet, qui répon-
dit positivement aux produits laitiers (en particulier de vache).
Il fut alors demandé au sujet de ne plus consommer de produits
laitiers, de boire au moins deux litres d’eau par jour, d’éviter les
diurétiques (alcool et café) et d’augmenter l’apport en fibres. Une
manipulation vertébrale fut alors de nouveau réalisée.
Lors de la troisième séance une semaine plus tard, la santé du patient
s’améliora notablement puisqu’il estima ses douleurs divisées par
deux et qu’il avait pu faire deux belles selles volumineuses en une
semaine. Il avait également perdu plus de 4 livres (environ 2 kg).

127 Le test de Kemp est un test de provocation des articulations inter-facetaires


lombaires obtenu en demandant une extension, rotation et inclinaison du
coté testé. En cas de douleur, le test est déclaré positif. Grand jeu concours :
nous n’avons pas été en mesure de retrouver l’origine du personnage qui a
donné son nom au test. Trouvez, écrivez-nous, et gagnez un massage par
l’un de nous, au choix.

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Il est alors décidé de poursuivre le régime prescrit et de revoir le


patient deux semaines plus tard pour la quatrième visite. Au cours
de cette dernière, aucune évolution des symptômes douloureux
ou du nombre de selles par semaine ne fut notée par rapport à la
séance précédente. Le patient a de nouveau perdu quatre livres.
Le Test Musculaire (cf. annexe n° 2) relève de nouveau une fai-
blesse des tenseurs du fascia lata. La présence de signes positifs
aux points réflexes de Chapman correspondant au gros intestin
fut alors recherchée et confirmée. Lorsqu’ils sont stimulés par un
massage circulaire appuyé de 30 à 60 secondes, on observe un effet
positif sur le fascia lata. Il est alors demandé au sujet de réaliser
lui-même la stimulation des points réflexes de Chapman pour le
gros intestin et l’intestin grêle, deux minutes chacun, deux fois
par jour, pendant deux semaines.
À l’issue des deux semaines, le patient fut revu. Il décrivit qu’après
quelques jours de son auto-traitement il allait à la selle tous les
jours et que ses douleurs et raideurs lombaires avaient disparu.
Le kinésiologue confirma que les points réflexes de Chapman du
gros intestin et de l’intestin grêle ne présentaient plus de signes
positifs, que les para-vertébraux étaient plus souples et que le test
de Kemp se révèle négatif des deux côtés.
L’auteur de l’article conclut donc ainsi : il y a trois explications
possibles à l’amélioration de l’état de santé de l’individu.
- La manipulation vertébrale,
- le régime (en particulier l’abandon des produits laitiers)
- et la stimulation des points réflexes de Chapman.
Il exclut cependant la manipulation vertébrale compte tenu des
effets limités observés avec les séances précédant son intervention et
reconnut un effet certain mais limité du régime proposé. Il conclut
que son étude pourrait permettre de soutenir une des théories
viscérosomatiques décrite par Goodman reliant le tenseur du fascia
lata, le point réflexe neurolymphatique de Chapman lié au gros
intestin et peut-être le méridien d’acupuncture du gros intestin.

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Annexes
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Critique

L’analyse de cette publication nous conduit à faire plusieurs remarques.


Certes, l’origine de l’information est clairement établie puisqu’il
s’agit d’un article publié dans une revue internationale indexée dans
la principale base de données bibliographique du domaine médical.
Cependant, l’auteur de l’article se trouve être à la fois le thérapeute
qui met en œuvre les techniques dont on évalue l’efficacité et l’exa-
minateur qui recueille les données relatives aux critères d’efficacité.
Il n’y a donc plus de situation en simple aveugle, encore moins en
double aveugle.

Sur le plan de la méthodologie, l’article est une étude de cas. Si ces


case studies peuvent présenter un intérêt pédagogique pour aborder
les notions de raisonnement clinique, elles ne permettent en aucun
cas d’évaluer l’efficacité d’une thérapeutique. En effet, de nombreux
éléments viennent se confondre aux potentiels effets propres de la
thérapie comme l’évolution spontanément résolutive d’une majorité
de pathologies ou les effets placebo et contextuels.
Par conséquent, compte tenu de la subjectivité d’évaluation des
critères d’efficacité, de l’absence de condition contrôle, de groupe
contrôle et de randomisation lors de l’échantillonnage, il est manifeste
que cet article ne présente pas les prérequis indispensables à toute
recherche scientifique de l’efficacité thérapeutique (Organisation
mondiale de la santé, 2010).

L’article de Kevin Washington et ses collègues (Washington et al., 2003)

Le deuxième article identifié dans la littérature scientifique tentait


de mettre en évidence la capacité de thérapeutes à diagnostiquer
par l’intermédiaire des points de Chapman des patients souffrant
de pneumonie. Les auteurs recrutèrent donc des patients dans un
service de médecine interne sur une période d’un an. Un recruteur
eut pour mission d’identifier les patients correspondant aux critères
d’inclusion dans l’étude, c’est-à-dire être âgés de 18 à 85 ans, ne pas
présenter d’antécédent de pathologie bronchopulmonaire, de trauma
ou de chirurgie thoracique, ne pas porter de voie veineuse centrale ni

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de drain thoracique et ne pas souffrir de sclérose en plaque, tous ces


paramètres pouvant potentiellement influencer les critères de juge-
ment choisis. Deux groupes distincts furent ensuite constitués avec
les patients inclus dans l’étude : un groupe dit « expérimental », dont
les sujets étaient diagnostiqués comme souffrant de pneumonie, et
un groupe dit « contrôle », regroupant les patients dont le diagnostic
n’était pas une pneumonie. Les critères diagnostiques retenus pour
classer les patients dans le groupe expérimental furent : une radio-
graphie thoracique montrant les signes typiques de la pneumonie,
une température centrale supérieure à 38 °C et des globules blancs
supérieurs à 12 000 mg/dl ou un taux de blastes sanguin supérieur
à 10 %. Dans les 72 heures suivant l’admission ou le diagnostic, un
investigateur (toujours le même) ne connaissant pas le diagnostic
initial du patient procédait à l’examen du point réflexe antérieur
de Chapman spécifique du poumon. L’examen était noté positif si
l’investigateur identifiait une masse localisée au point théorique décrit
par Chapman. L’étude fait état de 69 patients inclus. Le corps médical
diagnostiqua 16 des 69 patients comme souffrant d’une pneumonie
et 53 comme n’en souffrant pas. L’investigateur identifia un point
réflexe antérieur de Chapman spécifique du poumon chez 11 des
16 patients souffrant de pneumonie et chez 19 des 53 patients n’en
souffrant pas. Les auteurs réalisèrent un test exact de Fisher128 qui se
révéla significatif, mettant en évidence une relation statistiquement
significative entre le diagnostic de pneumonie et la présence du point
réflexe de Chapman spécifique du poumon. Ils indiquèrent que le test
identifiant le point de Chapman présente une sensibilité de 69 % et
une spécificité de 64 %129. Ils réalisèrent ensuite une seconde analyse
statistique pour laquelle ils exclurent du groupe contrôle 18 patients
souffrants de pathologie cardiaque sur les 53 patients que le groupe

128 Un « test exact de Fisher » est un test statistique utilisé pour l’analyse
des tables de contingence, en général avec des faibles effectifs. Il porte le
nom de Ronald Aylmer Fisher (1890-1962), l’un des statisticiens majeurs
du xxe siècle.
129 Pour mémoire, la sensibilité d’un test traduit sa capacité à donner un résultat
positif lorsqu’une hypothèse est vérifiée, en d’autres termes à se révéler posi-
tifs lorsque les sujets sont bien malades. La spécificité, quant à elle, traduit
la capacité d’un test à donner un résultat négatif lorsque l’hypothèse n’est
pas vérifiée, c’est-à-dire que le test sera bien négatif pour un sujet sain.

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Annexes
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comportait. Les auteurs suggérèrent que l’interrelation existant entre


le système cardiaque et le système respiratoire pouvait influencer les
résultats. L’analyse statistique fut donc reconduite et les résultats s’en
trouvèrent améliorés. Après avoir discuté des résultats, les auteurs
conclurent que leur étude prouve que l’examen des points réflexes de
Chapman peut être utile pour un diagnostic potentiel de pneumonie.

Critique

Bon début, cette publication est elle aussi tirée d’une revue scienti-
fique indexée au système international et bénéficiant du processus
d’expertise par les pairs (peer-review process). Hélas, il y a des biais
majeurs dans sa réalisation.

La première critique à formuler concerne l’hétérogénéité du groupe


contrôle. On retrouve dans ce groupe des pathologies variées affec-
tant l’organisme à des zones très diverses. Il y a par exemple dans
ce groupe des patients souffrant de blessure à la cheville ou d’ulcère
de jambe, de talon ou des orteils. Bien que l’investigateur ne soit
pas au courant du diagnostic posé, il est difficile d’imaginer qu’il
n’ait pas observé le patient lors de son examen et cela a pu orienter
le résultat de son test.

La deuxième remarque méthodologique est relative aux critères


d’inclusion dans les deux groupes : les patients inclus dans le groupe
expérimental présentent tous une température centrale supérieure
à 38 °C, ce qui n’est pas le cas des patients du groupe contrôle. Le
test des points réflexes de Chapman étant manuel, et compte tenu
de la formidable discrimination thermique dont est capable la main
humaine (Jones, 2009), il aurait fallu exclure le paramètre de tem-
pérature corporelle pour ne suspecter aucun facteur de confusion
dans les résultats observés.

Autre critique et non des moindres : l’analyse statistique réalisée est


douteuse. En effet si, comme le suggèrent les auteurs, les résultats
peuvent être synthétisés dans un tableau de contingence avec deux
lignes (test de Chapman positif ou négatif) et deux colonnes (test

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diagnostic de pneumonie positif ou négatif), ce design d’étude est


propice à mesurer l’accord entre ces deux méthodes de classification des
patients, autrement dit à réaliser un accord inter-juges. Cette classifi-
cation se fera, au moins partiellement, sur la base de critères subjectifs
et l’analyse statistique appropriée à ce type de protocole est l’étude
du coefficient kappa de Cohen130. En effet, ce test non paramétrique
permet de chiffrer l’accord entre deux ou plusieurs observateurs ou
techniques lorsque les jugements sont qualitatifs (voir Bergeri et al.,
2002 pour une synthèse), ce qui est le cas ici. Nous avons donc réalisé
par nos propres moyens cette analyse avec les données fournies par
les auteurs dans leur article et si les résultats indiquent un coefficient
de Kappa significatif (c’est-à-dire non lié au hasard), il n’est que de
0,25, ce qui est considéré comme un accord médiocre131.
Au final, bien que présentant des critères méthodologiques meil-
leurs que le précédent article, les biais relevés ci-dessus invalident
sévèrement les résultats et les conclusions évoquées. Au demeurant,
il ne serait pas compliqué de refaire ces études sans ces biais et il est
surprenant que cela n’ait pas été encore fait.

L’article de Dean Lines et ses collègues (Lines et al., 1990)

Le troisième article (Lines et al., 1990), plus ancien, avait pour objectif
de déterminer si une stimulation des points réflexes neurolympha-
tiques de Chapman associés au diaphragme pouvait modifier les
capacités pulmonaires évaluées par spirométrie – la capacité vitale
forcée (CVF) et le volume expiratoire maximal seconde (VEMS)
étaient retenus comme indicateur. Trente sujets furent recrutés pour
participer à l’étude. Les auteurs indiquent que 28 d’entre eux étaient
des étudiants en fin de cycle de chiropraxie. Les sujets durent réaliser
une spirométrie puis reçurent un traitement chiropraxique consistant
en la réalisation de techniques myo-fasciales (soft tissue technic) des-

130 On doit ce coefficient k ou kappa de Cohen à Jacob Cohen (1923-1998),


psychologue et statisticien étasunien, dans son article ‘‘A coefficient of
agreement for nominal scales’’ (Cohen, 1960).
131 Plusieurs classifications des coefficients existent. Nous retiendrons ici la
première à notre connaissance décrite dans ‘‘The measurement of observer
agreement for categorical data’’ (Landis & Koch, 1977).

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Annexes
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tinées au diaphragme, suivies d’une stimulation des points réflexes


neurolymphatiques de Chapman antérieure puis postérieure associés
au diaphragme. Ils réalisaient enfin une nouvelle épreuve de spiromé-
trie et les valeurs obtenues après le traitement chiropraxique étaient
statistiquement comparées à celles obtenues initialement. Les résultats
ne montrèrent aucune différence statistiquement significative entre
les capacités pulmonaires des sujets avant et après le traitement. Les
auteurs ne s’arrêtèrent cependant pas à cette analyse et indiquèrent
que huit des sujets présentaient des valeurs initiales de capacité vitale
forcée et volume expiratoire maximal seconde inférieures à celles que
l’on aurait pu attendre compte tenu de l’âge, de la taille et du genre
des sujets. L’analyse statistique132 fut reconduite sur ce groupe de huit
sujets et cette fois une augmentation statistiquement significative de
la capacité vitale forcée et du volume expiratoire maximal seconde
est observée. Les auteurs précisèrent que sur les trente sujets inclus,
cinq avaient déclaré de l’asthme ou de la bronchite et tous avaient
démontré des performances initiales inférieures à celles attendues.
Finalement, les auteurs « conclurent que leurs résultats suggèrent
que le traitement traditionnel chiropraxique et les techniques réflexes
pourraient présenter un intérêt dans le traitement des patients pré-
sentant des fonctions respiratoires inférieures à la moyenne » [sic].
Accessoirement, comptons le nombre de mots fouines dans cette
phrase (voir chapitre 4, Les mots fouines tu repéreras).

Critique

L’étude est ici clairement expérimentale et l’idée de départ est plu-


tôt bonne, bien que l’idéal eût été d’avoir un groupe contrôle. On

132 Remarquons ici, pour les amateurs de statistiques, que le test utilisé est un
test « t de Student » dont les conditions d’utilisation sont loin d’être rem-
plies compte tenu de l’effectif et de la loi statistique suivie par les données.
Rendons hommage en passant à Student, qui... n’existe pas ! L’inventeur du
test est un certain William Sealy Gosset (1876-1837), statisticien employé
par la brasserie Guiness pour mettre en évidence d’éventuelles différences
entre deux échantillons de stout, cette bière brune typique de la marque.
Il publia ses travaux en 1908, sous le pseudonyme de Student, Guiness ne
souhaitant pas que ses concurrents sachent que la marque employait des
méthodes statistiques.

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regrettera toutefois que les sujets de l’étude soient des étudiants en


chiropraxie pouvant vraisemblablement avoir connaissance de la
technique utilisée et les effets recherchés : il n’y a donc pas situation
en aveugle, ce qui est rédhibitoire. Les indicateurs choisis sont bons
et les résultats sans appel : il n’y a pas de différence significative dans
la capacité vitale forcée et le volume expiratoire maximal seconde
avant et après la technique. Les auteurs auraient dû s’arrêter là. Ce
qu’ils firent par la suite est typiquement un tri sélectif des données.
Une fois les résultats obtenus, ils choisirent un critère a posteriori
leur permettant de faire des sous-groupes qui, n’étant pas aléatoires,
s’exposent au bruit de la régression à la moyenne.
Illustrons ce processus : imaginons une classe d’élèves chronométrée
sur une épreuve de 200 mètres de course à pied. On leur applique
un traitement quelconque (un massage, une baffe, ou rien du tout,
d’ailleurs) et on les fait recourir l’épreuve. Il y a de fortes chances
qu’il n’y ait pas de différence significative dans le temps moyen mis
par le groupe pour parcourir la distance entre les deux courses. Par
contre, si on choisit ceux qui ont mis le plus de temps à parcourir
leur premier 200 mètres il y a toutes les chances que leur second
soit meilleur, non point du fait du traitement, mais du fait qu’ils
avaient en quelque sorte raté leur premier essai.

Les plus vigilants remarqueront qu’à l’issue du tri sélectif de données


déjà initialement très réduites, le test statistique utilisé n’est désormais
plus du tout adapté. Exit, donc, cette publication.

Conclusion

Contre toute attente, une analyse précise de la littérature n’a pas


permis d’identifier de document faisant la preuve des prétentions
diagnostiques et thérapeutiques de la méthode étudiée. Les articles
scientifiques retrouvés sont entachés de biais méthodologiques
majeurs et ne permettent pas d’accorder du crédit aux conclusions
formulées par les auteurs. Rappelons ici que deux demi-preuves ne
font jamais une preuve. Or, bon nombre d’articles scientifiques trai-
tant de thérapeutiques manuelles sont publiés bien que lourdement

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empesés de biais, tandis que des articles méthodologiquement très


bons concluant à la non-efficacité de la technique tomberont aux
oubliettes (cf. 4. Les problèmes du système tu surmonteras). En
attendant que la démonstration soit faite de l’efficacité diagnostique
et/ou thérapeutique de la méthode, et attendu que c’est à celui qui
affirme de faire la preuve de ce qu’il avance (cf. 1.2. Charge de la
preuve), nous ne pouvons que conclure à l’absence de capacités
diagnostiques et thérapeutiques des techniques basées sur les points
réflexes neurolymphatiques de Franck Chapman. Jusqu’à plus ample
informé, nous n’avons aucune raison rationnelle ni de proposer
cette technique au patient, ni de postuler l’existence des points de
Chapman (cf. 1.2. Rasoir d’Occam et alternative féconde).

Annexe n° 3 – Éléments de réponse du TP :


protocole testant la capacité d’un kinésiologue à
détecter par l’intermédiaire du Test Musculaire la
réaction d’un patient allergique à une substance
allergène
Voici un des TP les plus spectaculaires dirigé par nos soins et mené
en 2011 par Alexia Madelon, Amélie Mourier, Alizée Pelloux, et
Julien Tournier, alors étudiants en Licence de sciences à l’université
Joseph Fourier (Grenoble), assistés des membres du CORTECS.
Il consistait à construire un protocole expérimental permettant
d’évaluer la capacité d’un kinésiologue réputé à détecter le stress
provoqué par une substance allergène (de la poudre de noisette) sur
une personne reconnue médicalement allergique à cette substance.
Pour ce faire, le kinésiologue usait du Test Musculaire, vanté par
la théorie comme un outil d’investigation parmi les plus fiables et
les plus sûrs pour communiquer avec le corps133. Voilà le protocole
qu’ils ont proposé et les résultats obtenus.

133 Voir à propos du Test Musculaire chapitre 2, Illustrations : étude de quelques


théories, onglet Kinésiologie appliquée.

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Hypothèse testée
Un kinésiologue confirmé peut-il retrouver une substance certifiée
comme délétère pour le patient (ici de la poudre de noisette, à
laquelle le sujet était allergique) au milieu de 9 fioles au contenu
explicitement neutre pour l’organisme (ici du sucre, de masse volu-
mique sensiblement égale) lors d’un protocole avec test en blanc,
randomisation et en double aveugle grâce au Test Musculaire ?

Principe d’un « essai »


Un support portant 10 tubes à essai opaques, parmi lesquels un seul
contient l’allergène, est présenté au kinésiologue. Le kinésiologue
procède ensuite aux Tests Musculaires sur le patient pour chacun
des tubes.

Réalisation d’un test


Pour chaque test, le kinésiologue place un tube à essai dans la main
du patient dont l’autre bras est positionné fléchi en avant pour
former un angle de 30° avec son tronc. Les coudes sont tendus et
les paumes tournées vers le sol. Le kinésiologue applique alors une
pression sur le dos du poignet du patient pour ramener le bras le
long du corps. Si le tube présenté contient du sucre, le muscle testé
devrait, en accord avec la théorie, être bien connecté au « système
énergétique » et le bras garder sa position sans effort. S’il cède à
la pression, il manifeste l’existence d’un stress qui affecte ledit sys-
tème énergétique, matérialisant ici la faiblesse due à la présence de
l’allergène. Le kinésiologue teste les 10 tubes puis rend son verdict
en désignant celui qu’il estime contenir l’allergène. Les assesseurs
notent le résultat prononcé par le kinésiologue et l’essai est terminé.

Enchaînement des essais – Maintien de l’aveugle et randomisation


Afin de s’assurer de conditions méthodologiques optimales trois
salles indépendantes et isolées acoustiquement les unes des autres :

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• Salle R : salle de randomisation dans laquelle deux personnes


(groupe R) s’occupent de tirer au hasard par l’intermédiaire d’un
dé à dix faces le numéro du tube contenant l’allergène, et le
conservent dans une enveloppe scellée.
• Salle T : salle de test. Là sera placée la caméra, en mode enregis-
trement et ne sortant sur aucun moniteur. C’est dans cette salle
que se feront les essais.
• Salle K : salle kinésiologie où le groupe K, c’est-à-dire le kinésio-
logue, son « patient » et deux assesseurs patientent pendant les
phases de randomisation (voir figure).

Étapes d’un essai


Le groupe R lance le dé et organise le support des tubes à essais en
fonction du résultat. Ils apportent ensuite le support dans la salle T
puis repartent en salle R pour envoyer un signal sonore standardisé
indiquant au groupe K qu’ils peuvent se rendre dans la salle T et
débuter le test. Le test se déroule alors selon les consignes précisées
ci-dessus.
À la fin du test le groupe K retourne en salle K et envoie à leur tour
un signal sonore pour que l’opération soit répétée. Voir le schéma
ci-dessous.

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Lorsque tous les essais nécessaires ont été réalisés, les résultats
notés par les assesseurs sont comparés à ceux consignés dans
l’enveloppe scellée.

Préalables à l’expérience
Pour éviter tout effet bi-standard (changement des règles d’analyse
des résultats en cours ou après le dépouillement) ou toute invocation
a posteriori de paramètre exogène pouvant gêner la pratique, l’accord
sur les paramètres de l’expérience doit être fait entre l’équipe au
complet et le kinésiologue.
Test blanc : on dispose un tube contenant l’allergène et un tube
contenant une substance neutre sur le même support. Le kinésiologue
sait quel tube contient quelle substance et vérifie que les conditions
de réalisation de l’expérience n’influent pas sur la qualité de sa per-
formance, en d’autres termes que les « forces » ou « faiblesses » qu’il
enregistre correspondent bien à chacune des substances utilisées.
Étalonnage et réétalonnage : le kinésiologue teste en début d’ex-
périence l’ensemble des tubes qui seront utilisés dans le cadre du
protocole. À tout moment, pendant l’expérience, il est convenu qu’il
puisse demander un réétalonnage du Test Musculaire : auquel cas
il suffira au groupe K de dévisser le bouchon et de constater dans
l’intérieur du bouchon les lettres N (pour noisette) ou S (pour sucre).
Un test blanc (sans aveugle, voir ci-dessus) est alors réalisé et l’essai
n’est pas pris en compte dans le calcul des résultats.

Résultats et conclusion
Sur quinze essais consistant à trouver une substance allergène (noi-
sette) parmi neuf blancs (sucre), le kinésiologue n’a eu que des échecs,
quand cinq succès eurent été nécessaires pour valider l’hypothèse.
Le kinésiologue K n’ayant pas réussi à différencier les blancs de la substance
allergène dans le cadre d’une expérience rigoureuse, en double aveugle,
le Test Musculaire utilisé ici pour trouver une substance allergène avérée
n’est pas plus efficace que le hasard.

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Annexe n° 4 – Éléments de réponse du TP : protocole


testant l’efficacité du Bracelet Power Balance
Ce TP dirigé par nos soins fut mené par MM. Victor Cambon de
Lavalette, Anaël Wünsche, Killian Martineau, Hugo Gilardy et
Vivian Poulin, à l’Université de Grenoble au début de l’année 2011.

L’essentiel du TP consiste, en partant des arguments publicitaires


d’amélioration de la force, l’équilibre et la souplesse par le port des
bracelets, d’amener les étudiants à construire par eux-mêmes un
protocole évaluant l’efficacité des bracelets sur ces performances. Seuls
l’équilibre et la souplesse ont pu être traités mais la structure du
protocole n’aurait pas été profondément modifiée par l’évaluation
supplémentaire de la force.
Voici en substance ce qu’ils ont proposé.

Critères clairs et non ambigus


Pour construire des tests acceptables, il faut remplir les conditions
suivantes.
- Un critère de jugement objectif, fiable et pertinent. Power Balance
ne « quantifie » ni n’isole de critère objectif d’équilibre, de force
ou de souplesse. La « standardisation » de la mesure (position du
sujet, consigne, environnement, etc.) s’impose.

À ce stade, les étudiants constatent que les tests proposés par Power
Balance présente des biais parmi lesquels le plus important est l’inter-
vention d’un expérimentateur, qui plus est non naïf de l’expérience
en cours. Ils proposent donc de ne pas reprendre strictement les
tests proposés par Power Balance mais de les améliorer pour gagner
en pertinence et fiabilité.

La méthode de mesure utilisée et l’enchaînement des phases du pro-


tocole doivent être expliqués aux sujets volontaires de manière claire,

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précise, et concise par l’expérimentateur. Cela peut impliquer des


démonstrations et des essais à « blanc », c’est-à-dire des essais réalisés
par le sujet dans les conditions du test sans que les résultats ne soient
recueillis. Cette phase permet également de diminuer les effets de
surprise, d’apprentissage (les performances s’améliorent généralement
au cours des essais indépendamment de la tâche réalisée, sauf si le
phénomène de fatigue intervient) ou encore les effets liés au caractère
répétitif de la tâche (comme l’échauffement musculaire).

La nécessité du contrôle
Deux tests sont retenus, l’un sur la souplesse, l’autre sur l’équilibre,
avec trois conditions : avec vrai bracelet (V), avec faux bracelet (F)
c’est-à-dire un bracelet dont on a retiré la « pastille » contenant
l’« hologramme » (qui agirait selon la marque sur le « champ éner-
gétique corporel »), et sans bracelet (Ø).

Statistique puissante et justifiée


Bien que les statistiques permettent de calculer le nombre de sujets
à inclure dans une étude, cette étape n’est pas attendue pour des
étudiants de niveau Licence. Le nombre minimum de sujets à inté-
grer était fixé arbitrairement aux alentours de trente personnes. Les
sujets réalisant chacune des conditions du test (V, F et Ø), ils étaient
leurs propres témoins c’est-à-dire que les données obtenues dans
une condition pour un sujet sont comparées à celles qu’il obtient
dans les autres conditions, limitant ainsi l’influence de leur capacité
physique, tenue vestimentaire, chaussage, etc.

Double voire triple aveugle


Ni l’expérimentateur ni le sujet, ni le statisticien ne doivent savoir
si le sujet porte V, F ou Ø. Il suffit pour cela d’anonymiser : V et F

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sont rendus indiscernables par de l’adhésif noir opaque par une tierce
personne avec qui il n’y a aucune possibilité de communication et
les sujets portent en outre un gant.

Randomisation
Elle permet de rendre aléatoire l’ordre d’utilisation des V, F ou Ø,
et ainsi de contourner les effets liés à l’ordre de présentation des
conditions. Ainsi, chaque type de bracelet est utilisé le même nombre
de fois en position 1, 2 ou 3.

La randomisation peut être réalisée de plusieurs façons. Voici celle


retenue par les étudiants : le codeur s’est isolé dans une pièce pour
écrire le code (C = V, A = F et B = Ø par exemple) et la liste de
passage, donc les 6 combinaisons possibles, avec les lettres A, B et
C sur 6 papiers, chacun correspondant à une combinaison, et tous
placés dans un chapeau. Le codeur a ensuite tiré, sans remise, les
papiers. Le premier papier tiré correspond au 1er sujet, le 2e au 2e
et ainsi de suite, avec cet ordre inscrit sur deux feuilles, dont l’une
est conservée par le codeur. Il a été choisi, pour simplifier la tâche,
de reporter les six premiers tirages autant de fois que nécessaire en
vue du nombre de sujets.

Test 1 : la souplesse


Ce test s’inspire largement de celui préconisé par Power Balance.
Le sujet testé se place debout les pieds joints et garde le buste bien
droit. Afin de faire une mesure précise des angles de rotation du
tronc, il est nécessaire de positionner les sujets avec les bras croisés
sur les épaules, la tête qui suit la rotation du tronc, et les pieds bien
posés au sol.
Les sujets sont équipés de deux brassards portant des points noirs
bien visibles : un au niveau de l’épaule, l’autre au niveau du coude du
même bras. Une caméra filme du dessus le mouvement de rotation.

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Ce test mesure l’angle entre la droite de départ et la droite de fin


de mouvement entre les deux points de repère matérialisés par les
points noirs. Cet angle traduit la souplesse du sujet.
Le sujet fait deux essais préalables. Puis, à chaque sujet sont assignés une
combinaison, ainsi qu’un gant pour rendre indiscernable à la caméra
les situations V/F et Ø, pour les trois essais de souplesse consécutifs.

Test 2 : l’équilibre


C’est un test au chronomètre, similaire au test ‘‘One leg balance’’
ou test chronométré de l’appui monopodal. Il n’est pas nécessaire
de réaliser d’essai préalable à la mesure, car le sujet dispose de trois
essais pour chaque type de bracelets.
La position standard du sujet est : tête bien droite, les bras le long
du corps, les yeux fermés. Puis il a pour consigne de tenir en équi-
libre, sa jambe levée à hauteur du mi-mollet sans le toucher. Le
chronomètre se déclenche au moment où le pied quitte le sol, et
s’arrêtait soit en cas de chute, de contact avec le mollet, ou de perte
de la position standard (pied d’appui au sol, bras écartés, jambes
écartées, yeux ouverts etc.). Il n’est pas fixé de temps limite. Notons
que comparant des performances intra-individuelles, une standar-
disation « extrême » n’est pas forcément nécessaire. Le choix des
yeux fermés, par exemple, permet de diminuer le temps d’équilibre
(car statistiquement plus de personnes s’appuient sur le sens de la
vue pour leur équilibre, ce qui diminue considérablement leurs
performances, mais ce n’est pas le cas de tous).

Résultats
Cette expérience eut lieu au département des licences Sciences
& Techniques, université de Grenoble, les jeudi 14 et vendredi
15 avril 2011 et vit défiler 43 sujets.

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Interprétation statistique
Le test choisi fut le « test T de Student pour échantillons appariés »,
qui fournit une p-value indiquant la probabilité de conclure à tort
à une différence notable entre les moyennes.

Il permit de comparer les essais avec bracelet, sans bracelet, et avec


faux bracelet deux à deux. Les étudiants purent également comparer
tous les premiers essais avec tous les seconds (quel que soit le type
de bracelet), puis tous les premiers avec tous les troisièmes pour
étudier la reproductibilité du test. Les tableaux de valeurs sont
disponibles, tous comme les résultats des différents tests sur le site
www.cortecs.org.

La conclusion est sans appel : pour le test de souplesse, il n’existe aucune


différence statistique entre les différentes conditions aux incertitudes
de mesure d’angle près (2°). Une différence nette et significative entre
le premier essai et les suivants est constatée, indiquant un effet lié à la
répétition du mouvement (ce qui évente l’illusion de l’amélioration du
deuxième essai dans les pubs Power Balance). Pour le test d’équilibre,
l’analyse statistique ne révèle aucune différence significative entre les
différentes conditions ni entre les essais.
La puissance statistique n’a pas été calculée.

Annexe n° 5 – Réponse au quiz : les tâches de sélection


de Wason et Johnson-Laird
La bonne réponse à la tâche de Wason consiste à retourner A, et 7,
cela suffit. Cependant les résultats rapportés par Wason (Wason et
Shapiro, 1971) montrent que
• 45 % des sujets retournent les cartes A et 4.
• 35 % des sujets retournent la carte A seulement.
• 7 % retournent les cartes A, 4 et 7.

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• 4 % (seulement) retournent les cartes A et 7, bien que ce soit la


réponse attendue.
• 9 % font d’autres combinaisons.

Quant à la tâche de P. Johnson-Laird, c’est le même problème, en
version plus « concrète ». Et paradoxalement, les sujets se trompent
beaucoup moins (environ 50 %) et choisissent facilement d’interroger
la première personne sur son âge (car elle boit de l’alcool, équivalent
de la carte A) et la seconde sur le contenu de son verre (car elle a
moins de 18 ans, équivalent de la carte 7). Ces choix correspondent
aux réponses logiquement justes. Rares sont ceux qui interrogent
le troisième personnage sur le contenu de son verre (il a plus de 18
ans de toute façon, carte D) ou le dernier qui ne boit pas d’alcool
(carte 7). Cela montre que nos capacités de raisonnement dépendent
du contexte (Cosmides et Today, 1992).

Précisons que ces tâches ne sont plus vraiment utilisées, car trop
dépendantes de la compréhension linguistique des énoncés.
On trouvera tous les résultats de Wason dans P. C. Wason, Reasoning,
In Foss, B. M. New horizons in psychology. Harmondsworth :
Penguin (1966).
L’expérience de Johnson-Laird fut publiée ici : Johnson-Laird P. N.,
Legrenzi P., Legrenzi M. S., ‘‘Reasoning and a sense of reality’’,
British Journal of Psychology, 63, 395-400 (1972).

Annexe n° 6 – Réponse au jeu de Monty Hall


Pour la petite histoire, il semble que la paternité de ce dilemme
revienne à Joseph Bertrand en 1888, sous le nom de « paradoxe
des boîtes de Bertrand » (Bertrand, 1888). C’est le regretté Martin
Gardner, incontournable pionnier de la pensée critique décédé
en 2010, qui l’exhuma en 1959 dans sa rubrique Mathematical
Games du Scientific American sous le nom de « problème des trois
prisonniers » (Gardner, 1959). Enfin, c’est Steve Selvin qui rouvrit
la question dans la revue American Statistician. (Selvin, 1975 a, b).

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La bonne réponse est la 2 : je change mon premier choix

La meilleure stratégie est de toujours changer son premier choix. En


conservant votre premier choix, vous ne changez pas de probabilité
de succès, qui demeure un tiers. En changeant toujours de choix,
vos chances de succès sont deux fois plus grandes. Car, en dévoilant
l’une des boîtes qui n’a pas d’argent sous elle, le maître de cérémonie
vous offre effectivement l’ensemble des deux choix qui restent, dont
la probabilité égale deux tiers. La figure ci-contre illustre ce concept.
L’illusion est de penser que s’il reste deux choix et qu’on ignore lequel,
notre premier choix est aussi bon que le deuxième offert (soit 50 %).

Louis Dubé, des Sceptiques du Québec, nous encourage à nous-mêmes


tenter l’expérience :

« un joueur cache l’argent sous l’une des trois boîtes à l’insu d’un
deuxième joueur ; le deuxième joueur tente de deviner où le premier
joueur a caché l’argent en utilisant systématiquement – pendant
disons 30 coups – l’une ou l’autre des stratégies proposées. Vous
obtiendrez environ 20 succès sur 30, en suivant la stratégie de
toujours changer de choix ; deux fois mieux que si vous gardiez
toujours votre premier choix.
Une autre façon de saisir l’importance de changer son premier
choix est de considérer un problème similaire : au lieu de trois
boîtes, supposons que le choix original vous propose un millier de
boîtes, dont une seule contient l’argent convoité. Vous choisissez
au hasard la boîte n° 527. Pour vous aider, le maître de cérémonie
dévoile 998 boîtes qui ne contiennent pas d’argent, seule la boîte
n° 721 demeure, ainsi que votre choix original : la boîte n° 527.
Garderiez-vous votre choix original qui n’avait qu’une chance sur

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mille de contenir l’argent ? Croyez-vous vraiment que votre premier


choix aurait maintenant une probabilité de 50 % ? Il apparaît
évident que vous changeriez de choix en croyant (justement) qu’il
y a beaucoup plus de chances (999 chances sur 1 000) que l’argent
se trouve sous la seule boîte (autre que votre choix original) qui
n’a pas été dévoilée ». (www.cortecs.org)

Si vous préférez utiliser les mathématiques, il faut appeler les pro-


babilités du Révérend Bayes à la rescousse.
Supposons que je choisisse la boîte n° 3 – le raisonnement serait
identique dans les deux autres cas – et notons :
- F1 (respectivement F2 et F3) : la voiture se trouve dans la boîte
n° 1 (respectivement 2 et 3)
- O1 (resp. O2 et O3) : l’animateur ouvre la boîte vide n° 1 (resp.
2 et 3)
Supposons alors que l’animateur ouvre la boîte 1 – le raisonnement
est le même s’il ouvre la boîte 2.
La probabilité de gagner en changeant mon choix est alors la probabilité
que la voiture soit dans la boîte 2 sachant que l’animateur a ouvert
la boîte n° 1, c’est-à-dire P(F2/01). Or, d’après la formule de Bayes.

En effet, si la voiture est dans la boîte 2 et que j’ai choisi la boîte 3


au premier tirage, la seule boîte que peut ouvrir l’animateur est la
boîte n° 1 donc P(01/F2) = 1.
De la même manière, si la voiture est dans la boîte 1, l’animateur
ne peut pas l’ouvrir donc P(O1/F1)=0 et si la voiture est dans la
boîte 3, l’animateur a deux choix équiprobables (la boîte 1 ou la
boîte 2) donc P(O1/F3) = 1/2.
Pour les fans de l’utilisation des sciences dans les fictions, un extrait
du film Las Vegas 21, de Robert Luketic (2008) met en scène un
enseignant (Kevin Spacey) posant la question à ses étudiants.
D’autres représentations de la solution sont disponibles sur www.
cortecs.org.

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Annexes
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Annexe n° 7 – Charte du Formindep

Les signataires de la Charte du Formindep considèrent que les


professionnels de santé reçoivent de la société la mission d’exercer
leur activité dans l’unique intérêt de la santé des personnes, com-
prises dans leurs dimensions individuelle et collective. Pour cela,
ils doivent viser à travailler en toute indépendance en se préservant
des influences susceptibles de nuire à cette mission, en particulier
venant d’intérêts industriels, financiers ou commerciaux.

Sous le contrôle de la société et avec l’aide des autorités concernées,


les professionnels de santé ont donc la responsabilité d’agir pour
reconnaître et dévoiler la présence de ces intérêts, et refuser leurs
influences dans tous les secteurs de leur activité : recherche, forma-
tion, soins, prévention et information.

En tant que signataire de la présente Charte, j’appelle à faire cesser


ces influences dans le domaine de la santé. Je soutiens les citoyens
poursuivant cet objectif, tels ceux rassemblés au sein du Formindep
pour agir dans les secteurs de la formation et de l’information en
matière de santé.

……………………………………………
est signataire de la Charte du Formindep
le ……………………

http://www.formindep.org

– 269 –
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Annexe n° 8 – Florilèges des titres auxquels


vous avez échappé
500 gr d’esprit critique
De l’esprit critique sur la table de massage
En mettre sa main au feu
Kit scientifique pour théories rapiécées
Le CORTECS au bout de la colonne
Le K – Traité critique pour thérapeute manuel
Le K – manuel d’autodéfense intellectuel pour thérapeute
Le manuel du manuel
Le revers de la main
Le ver dans la paume
Les thérapies manuelles : raison et sentiment
Manuel pour thérapeute manuel
Onction d’esprit critique - Traité subversif pour thérapeute
Précis de premiers secours intellectuels à l’usage du professionnel
de santé
Quand la raison guide la main
Que la raison guide la main – Traité subversif pour thérapeute
Quelle main vous tripote ?
Raisons, ventouses, papouilles
Répandre l’esprit critique sur la table de massage
Thérapies, vessies, lanternes
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les médecines
parallèles
Traité de (dé)formation critique pour professionnels de santé
Traité de manipulation à l’usage des mauvaises jambes
Traité de premiers secours intellectuels à l’usage du professionnel
de santé
Un cataplasme d’esprit critique – Traité subversif pour thérapeute
Une application d’esprit critique entre deux massages
Une application d’esprit critique entre deux soins
Une dose d’esprit critique entre deux soins
Une pause d’esprit critique entre deux massages

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Bibliographie

N ous indiquons les liens vers les articles en ligne, de préférence


hébergés par leurs auteurs ou par des diffuseurs publics. Il
s’agit parfois, lorsque nous n’avons pas trouvé d’autre source,
de liens vers des entreprises privées (comme Google). Nous
tenons simplement à rappeler que lorsqu’un service commercial
est gratuit, c’est que le produit vendu n’est pas autre chose
que… nous-mêmes (nos goûts, nos préférences de clic, notre
adresse, etc.).

Livres
Académie française (1694). Dictionnaire de l’Académie Française, dédié au
roy. Jean Baptiste Coignard imprimeur. Lien : Computing in the Humanities
and Social Sciences (CHASS, université de Toronto), http://homes.chass.
utoronto.ca/~wulfric/dico_tactweb/acad.htm
Albert, M. (2003). Après le capitalisme, Éléments d’économie participaliste.
Agone, coll. « Contre-feux ».
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bloodwolf/philosophes/Aristote/ame.htm.
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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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du-web.htm : L’intrigante histoire du papyrus du Web, ou Sur la trace des
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Index

Thérapies ou concepts thérapeutiques


Acupuncture 53, 54, 83, Enfants Indigo de Kryeon 88-89, 91, 109, 112,
89, 113, 116-118, 226, 149 118, 120, 127, 134-
228, 250, 271, 279, Étiopathie 66, 94-95, 150, 135, 139, 145, 150,
288, 289 245 155, 158, 199-200,
Anthroposophie 106 Fasciathérapie MdB 109, 208, 221, 224-225,
Apithérapie 78 123, 140, 245 245, 274, 280, 286,
Auriculothérapie 85, 113, Feldenkrais (Méthode) 66, 290
271 103, 104, 245, 273 Magnétisme animal ou
Balnéothérapie 24 Géobiologie (réseaux mesmérisme 54, 78,
Barrage de feu 118 Cuny, Hartmann) 51 85, 93
Biokinergie 66, 113-114, Gymnastique holistique Magnétothérapie 142
245, 275 142 Massage 8, 24, 52, 65, 83,
Chakra 107 Haptonomie 66, 68, 89, 90, 96, 97, 101,
Chiropraxie 8, 66, 74-75, 110-112, 142, 245, 102, 105, 113, 114,
278, 290 226-227, 249-250,
78-79, 82, 85, 93, 94,
Homéopathie 51, 77-78,
104, 124, 136-138, 256, 270, 272, 279,
88, 105, 116-117, 228
141, 142, 150, 245, 291
Hydropathie 78, 87
254, 256, 281, 282 Massage de l’amygdale,
Hypnomassage 82-84, 192
Cinésiologie 90 cf. Roedern 90
Hypnose 83-84, 118
Clapping 39 Hypnosédation 84, 118 Massage Dorn 83
Contact psychotactile Imagerie Kirlian 51 Massage suédois 83, 90
68, 110 Instinctothérapie 149 McKenzie (Méthode) 74
Contrôlogie 101 Jeûnes curatifs 149 Mécanothérapie 24, 90
Cri Primal 275 Kinésiologie 51, 66, 104- Médecine anthroposo-
Cure Breuss 221, 272 105, 118, 141-142, phique 149
Dianétique 116 149, 210, 231, 245, Médecine Traditionnelle
Drainage lymphatique 247-249, 257, 259, 286 Chinoise (MTC) 89,
manuel méthode Vod- Kinesio Taping 41, 156, 104, 113, 117, 141,
der 66, 101, 245 289 279
Électrothérapie 24, 276 Kinésipathie 89 Méridiens 46, 53-54, 89,
Élixirs floraux, ou fleurs de Kinésithérapie 7, 19, 104, 149, 226
Bach 62, 75, 80, 217, 23-27, 29, 39-41, 45, Mézières (Méthode) 66,
276, 277, 288 49-50, 52, 63, 66, 82, 102, 245

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Microkinésithérapie 7, Pilates (Méthode) 66, Relaxation coréenne 83


51, 66, 79-81, 112, 100, 245 Respirianisme 149
113, 116, 118, 122, Power Balance 210-211, Roedern, ou Rödern,ou
123, 139, 235, 245, 261, 263, 265, 281
274, 280 Psychanalyse 48, 104, Röderbehandlung ou
Mouvement Respiratoire 111, 225, 235, 272, massage de l’amygdale
Primaire (MRP) 99-100 273, 279 90
Naturopathie 51, 78, 88, Psychosomatique Clinique Rolf 105
142 143 Shiatsu Masunaga 45
Néo-chamanisme 149 Pulsologie 49-50, 272
Nerven Massage 96, 273 QI ou ki ou chi 98, 104, Shiatsu Namikoshi 85
Ortho-bionomy 247, 289 142 Somato-émotionnel 142
Ostéopathie 62, 66, 75, Qi gong 98, 142 Thérapies énergétiques
78, 82, 88, 91, 92, 94, Radionique 51 Thérapies New Age
95, 99, 100, 105, 112, Radiothérapie 24 Toucher Thérapeutique/
113, 116, 122, 124, Reconstruction posturale
129, 136-138, 144, 103 therapeutic Touch 66,
150, 227, 235, 245- Rééducation posturale 106-108, 245, 277-
247, 275, 277, 281, globale Souchard 103, 278, 286, 289
282, 287, 288, 290 142, 226 Tui na 89
Phased Reflex Techniques Réflexologies plantaire, Urinothérapie-amaroli 149
247 palmaire 65, 66, 81, 83,
Phrénologie raciale 78 85, 96, 97, 142, 245, Ventouses 39, 142, 270
Physiothérapie 7, 24, 127, 228, 247 Zone therapy 96-97, 274,
135, 276 Reiki 66, 98, 99, 245, 271 277
Notions
Acte de foi 36-37 Argument de la nuit des Aveugle (simple, double,
Affaire de la fusion froide temps 64 triple) 11, 108, 181,
165 Argument du moine 194,195, 196, 208,
Affaire de la mémoire de tibétain aborigène du 251, 258, 260, 262
l’eau 165 Mexique, cf. Appel à Biais d’alternance 185-186
Analogie douteuse 222 l’exotisme 146, 229 Biais de confirmation
Angikuni 155, 290 Argument du silence d’hypothèse 174-175,
Appel à l’exotisme (argu- (argumentum a silentio) 214
mentum ad exoticum) 12, 226 Biais de non-réponse 166
12, 117, 146, 147, Argument du vieux pot Biais de positivité 186,
229, 233 63-64, 144, 228 284
Appel à l’ignorance (argu- Argument holiste 235 Biais de régression à la
mentum ad ignoran- Argument pseudo-démo- moyenne 189
tiam) 223 cratique 233-234 Biais de sélection 183,
Appel à la pitié (argumen- Argument quantique 108, 185, 187
tum ad misericordiam) 235 Boiron 126-127, 151
229 Argument relativiste Care 62, 237, 241
Appel à la popularité 232-233 Case studie 65
(argumentum ad popu- Argumentoc 221, 236 Champ éditorial (Scope)
lum) 12, 228 Assurance maladie 25, 11, 161
Appel au peuple (argu- 120, 130-131, 194 Channeling 99, 149
mentum ad populum) Attaque personnelle (argu- Charge de la preuve 44,
12, 228 mentum ad hominem) 55-56, 84, 211, 223,
Argument d’autorité 12, 224 226, 257
(argumentum ad vere- Auto-guérison 47, 90, 92 CNOMK 123
cundiam) 12, 16, 40, Autorisation de mise sur le Cochrane Library 82, 158,
163, 227 marché 119, 121 284, 286

– 294 –
Index
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Coefficient kappa Effet « vieux sage de l’anti- Étude dite « avant/après »


de Cohen 254 quité » 64 181
Commensurabilité 46, 50, Effet blouse blanche 132, Étude dite « ici/ailleurs »
56, 83 285 181
Conflit d’intérêt 14, 32, Effet de migration des Étude longitudinale 180
52, 119, 128, 129, 238- stades, Étude métrologique 179,
239, 275, 279, 283 cf. Effet Will Rogers 181
Contrôle29, 44, 46, 131, 183 Étude transversale 180,
145, 171, 181-182, Effet Hawthorne 190, 185
185, 187, 188, 190, 191, 276 Evidence Based Practice
194, 251-253, 255, Effet impact 79 (médecine pratique
262, 269 Effet Jacques Pradel, ou basée sur les preuves) 11
Créationnisme 220 « perdus de vus » 185, Évolution spontanément
Critère de jugement 196, 190 résolutive 187, 188,
198, 200, 201, 252, Effet Lotus 203 190, 251
261 Effet Matthieu 162, 163, Exposition sélective 176
Critères d’inclusion 184, 168, 172 Extraordinarité de la
251, 253 Effet placebo 15, 189, preuve
Cross over cf. Étude croisée 190, 192, 195 Facteur d’impact 11, 164-
11, 187 Effet Shrink 162,163 165, 171
Croyance 36, 37, 42, 53, Effet Simpson 206, 207, Faux dilemme 227, 233
64, 85, 149, 215, 219, 208 Fenêtre thérapeutique, ou
232 Effet tiroir 164-166, 199, période de lavage (ou
wash out)11, 187, 188
Culte du Flying Spaghetti 209
Fiabilité 181, 196, 261,
Monster 220 Effet vieux pot 229
284
Cum hoc ergo propter hoc Effet Will Rogers 183
Fixisme 77
203 Effets cigognes 202
Flow chart, ou diagramme
Cure 87, 221-222, 272, Effets contextuels 54, 114,
de flux
275, 287 132, 191, 195
FORMINDEP 10, 130,
Darwinisme 78, 225 Efficacité globale 44 240, 269, 281
Débat mouvant 133 Efficacité propre 15, 44, Fraude 174-176
Déontologie 122, 129, 46, 54, 114, 132, 139, Gallica 157, 276
133, 144 151, 181, 189, 193, Généralisation abusive
Dérives sectaires 96, 195, 208, 248 73, 221
149-150, 215, 217, Elsevier 164, 169-170, Gold standard (étalon)
282, 288 290 Groupe contrôle 188,
Déshonneur par associa- Empoisonnement du puits 251-253, 255
tion 223, 22 224 Herbalife 151
Dessein intelligent 220 Entité ad hoc Homme de paille (ou
Dieu 23, 36, 45, 46, 69, Épiphanie 74, 92, 99 strawman) 11, 226
70, 75, 77, 78, 87, 91, Épistémologie 26, 40, 41 Homme de Piltdown
93, 163, 227, 231 Erreur moyenne standard (Eoanthropus) 76, 278
Différence minimale cli- (standard error of mean) Hypersensibilité aux
niquement intéressante 11, 205 ondes 43
(DMCI) 201 Essai clinique 110, 181 Hypnopompique, hypna-
Dissonance cognitive Étiologie sexuelle des gogique
16-17, 43, 85, 99, 192, névroses 85 Idéologie 68
215, 217 Étude analytique expéri- Incidence 180, 200
Dualisme 35, 148,149 mentale 180 Indice bibliométrique 153,
Écart-type (Standard Étude analytique observa- 164, 171, 172
deviation) 11, 205 tionnelle 180 Indice H 171
Échantillonnage 29, 67, Étude croisée 11, 187 Inférence bayésienne,
182, 197-198, 251 Étude descriptive 179 formule de Bayes 268

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Inflation du risque α 201 Patientèle 53, 83, 116, 133, Réalité 32-35, 37, 56,
Institution 28, 115, 119, 145, 150, 182, 183, 229 182, 198-199, 202,
121-123, 131, 232, PEDro 158 230, 232, 239, 276,
171, 242, 286 Peer restreint 162, 172 288
Insubmersible canard Peer-review (relecture par Red Herring, cf. hareng
de bain 218 les pairs) 11, 157, 160, rouge 11, 228
Intelligent design, 177, 253 Reductio ad hitlerum 12,
cf. Dessein intelligent Pente savonneuse 225 225
220 Pétition de principe 227 Réfutabilité de Popper 42,
Intention de traiter (Intent Placebo 14, 15, 29, 54, 48, 56
to treat) 11, 181, 197 132, 181, 187, 189-195, Régression à la moyenne
Inter-examinateurs 181 197, 198, 217, 221, 187-190, 221, 256
Internet Archive 157 251, 282, 283, 285, 287
Relativisme cognitif 232
Intra-examinateurs 181 Plagiat 111
Remport d’adhésion 36
Jeu de Monty Hall 202, Point réflexe neurolym-
266 phatique de Chapman Renversement de la charge
Jeu des échelles 205 249, 250 de
Kinésiotaping 156, 289 Points d’attraction de la preuve 223, 226
Kit de détection de pseu- Christie 186 Revue Prescrire 125, 126,
do-théorie 53, 73 Post hoc ergo propter hoc 129
Licorne invisible et rose 12, 203, 222 Risque α ou risque de
289 Preuve 11, 15, 37, 41-44, première espèce 11,
Lobbying 32, 116, 119, 46, 48, 50, 52, 54-56, 199, 201
128, 228 61, 65, 61, 67, 73, 84, Risque β ou risque de
Matérialisme méthodolo- 90, 109, 114, 119, 122, deuxième espèce 199
gique 37 139, 149, 154, 157, Savon glissant 49
Maxime de Hume 20, 41- 165, 169, 176, 193- Scénario, storytelling 43,
42, 50, 56 194, 211, 223, 226, 49, 56, 77, 84, 85,
MEDLINE 158 228, 231, 232, 237, 221, 232
Méridien d’acupuncture 238 256, 257, 280 Scoop (recherche du) 153,
53, 89, 226, 250 Prévalence 72, 180 154, 165, 166, 172
Métaphysique 16, 17, Pseudo-science 286, 289 Sécurité sociale 130, 131
36, 43 Psore Sensibilité d’un test 252
MIVILUDES 150, 282 Publication 26, 28, 51, Sérendipité 71-73, 76
Mode contestataire 52, 92, 94-96, 98-102, SIDA 37, 117, 155, 290
150,151 104, 109, 112, 114, Significativité statistique
Mode exotique 117, 121, 126, 154, 157, 167, 201
145,146 159-170, 172-173, Simple aveugle 11, 194-
Mode superkiné 144, 145, 177, 201, 208, 241,
195, 251
150 245, 251, 253, 256,
Sophisme 12, 64, 147,
Monisme méthodologique 283, 285, 289-290
34, 35, 149 176, 193, 203, 221-231
Puissance statistique 200,
Mot fouine 172, 255 265 Sophisme du pragmatisme
New Age 36, 81, 91, 118, Raisonnement panglossien (argumentum ad
145, 146, 148, 149, 276 69, 77, 221 consequentiam) 12, 193,
Non sequitur 222 Randomisation (casuali- 230-231
OAPEN 158 sation, répartition au Sophisme traditionaliste,
P-value (petit p) 11, 201, hasard) 29, 181-182, cf. Argument de la nuit
264 185, 188, 197, 251, des temps 64
Paradigme 73, 108, 148, 258-259, 263 Soumission à l’autorité
273 Rasoir d’Occam, ou par- 84, 132
Paradoxe d’Asher 191 cimonie des hypothèses Spatule huilée 218, 220
Pathogénésie homéopa- 12, 20, 38, 45-47, 54, Spécificité d’un test 252
thique 77 56, 78, 257 Spencérisme 78

– 296 –
Index
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Standard error of mean, Technique du chiffon Tu quoque 12, 224, 225


cf. Erreur moyenne rouge (red herring) Validation subjective 48,
standard 11, 205 11, 228 176
Standardisation 261, 264 Technopolitique 32
Validité 50, 63, 107, 130,
Strawman, cf. Technique Test de Kemp 249-250
de l’homme de paille Test en blanc, essai en 167, 177, 181, 182,
11, 226 blanc 258 196, 232, 233, 284
Super-hydrophobie 203 Test exact de Fisher 252 Validité d’apparence 182
Syndrome Galilée 223 Test Musculaire 104, 141, Validité de construit 182
Syndrome métabolique, 210, 250, 257-258, 260 Variabilité intra-indivi-
ou de la bedaine 238, Test one leg balance,
289 ou test chronométré de duelle 187
Tâche de sélection de l’appui monopodal 264 Vertèbre déplacée 82, 83,
Wason et Johnson-Laird Test t de Student 255, 265 192
Taille de l’effet 190, 192, Test-retest 181 Visiteurs médicaux 124,
201 Théorie de l’engagement 125, 240
Technique de l’homme 215
Vivacité de la théorie 39,
de paille (strawman) Tri sélectif des données 68,
11, 226 174, 176-177, 256 52, 63, 159
Technique de la photo de Triangle de la Burle 155, Vix medicatrix naturae 78
famille 228 276, 290 Worldcat 158

Index des Personnes


A’tatis, docteur 96 Baillargeon, N. 17, 21, Beyerstein, B. L. 51, 282
Abrougui, M. 83, 278 172-173, 282 Blackwell, R. 99
Accoyer, B. 145 Bailly, J.-S. 93, 281 Blavatsky, H. 106, 148
Adamus, cf. Lonicerus 96 Baker Brown, I. 67, 272 Bobba, M. 60
Akingbemi, B. T. 286 Baldou, E. 87 Boiron 126-127, 151, 294
Alajouanine, T. 60 Ball (ou Bell), docteur 96 Bois, D. 49, 109, 123,
Albert, M. 234, 271 Barczewski, B. 97, 272 159, 272, 280
Alberto, M. 155, 290 Barot, F. 71, 279 Bojaxhiu A. G., alias Mère
Alessio, P. d’ 286 Barr, J. S. 60, 286 Teresa 33
An, R. 117, 288 Barrett, S. 286 Boltzmann, L. E. 223, 234
Anderson, M. S. 285 Barthélémy, P. 172, 288 Bonnardel, Y. 146, 288
Ankhmahor 65, 291 Bartlott, W. 203 Borch-Jakobsen, M. 154
Antczak, S. 5, 107, 221 Bauberot, A. 86, 272 Bose, J. 77
Baudoin, C. 70, 272 Boulant, F. 290
Ariely, D. 287
Baynard, E. 85, 86, 274 Bourdieu, P. 40, 272
Aristote 45, 57, 271
Beauvois, J.-L. 4, 124, Bourdin, D. 143, 288
Arnold, L. E. 92, 98, 271
172, 217, 275, 276 Boutin, J.-P. 282
Arouet, F.-M., cf. Voltaire
Bellayer, J. 39, 272 Bouvarel, C. 290
70, 224, 278 Benedetti, F. 192, 282 Bouveresse, J. 232, 272
Asher, R. 191, 271, 282 Bénini, P. 112, 139, 159 Bowers, E. F. 96, 97, 274,
Assendelft, W. J. J. 286 Bergeri, I. 254, 282 288
Athias, G. 143 Bernard de Chartres 153 Brahe, T. 67
Atwood, K. C. 117, 118, Bernard, C. 159 Bramley-Moore, L. 286
289 Bernardin de saint-Pierre, Branting, L. G. 90, 286
Auquier, L. 122, 282 J.-H. 70, 272 Bras, P. L. 125, 281, 282
Auziech, O. 113, 271, 279 Bernelle, S.280 Brauchle, A. 279
Baba, S. S. 47 Bertheim, A. 71 Breuss, R. 221-222, 272,
Bacchetti, P. 285 Bertrand, J. 266, 272 293
Bach, E. 62, 75, 80, 85, Besnier, E. 91, 106, 276 Bricmont, J. 35, 230,
154, 203, 276-277, 288 Bettelheim, B. 85, 111, 232-233, 272, 277,
Bailey, A. 148 154, 272, 277, 283 279, 288

– 297 –
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Brisset, C. 132, 282 Cochrane, A. L. 82, 158, Dowling, D. J. 279
Brissonnet, J. 46, 272 285-286, 294 Dubé, L. 5, 267
Broad, W. 172, 272 Cohen, J. 254, 283, 294 Dubessy, J. 149, 273, 279
Broca, P. P. 59, 67, 76, Cole, J. R. 163, 283 Dubois, N. 4, 172, 276
277, 283 Cole, S. 163, 283 Duclaux, É. 77
Broch, H. 68, 79, 165, Coluche alias Michel Dukan, P. 143
175, 202, 272 Colucci 115 Dundes, A. 111, 283
Brosseau, O. 70, 133, 272 Cornelius, A. 96, 273 Duraffourg, M. 136-137,
Brown, I. B. 67, 272 Corvisart, J.-N. 191, 192 281
Brown, R. I. 283 Cosmides, L. 266, 279 Dutilleul, P. 217, 273
Brutus 225 Coughlin, P. 287 Dutton, G. 94-95, 154, 273
Bunge, M. 53, 283 Courteix, D. 284 Egger, M. 285
Bush, G. W. 227 Crémer, G. 282 Ehler, N. 282
Bynum, W. F. 78, 283 Croizat, A. 130, 273 Ehrlich, P. 71, 291
Cabello-Mosnier, A. 291 Crow, W. T. 287 Einstein, A. 108, 159
Cabillic, M. 281 Curie, M. 71 Eliacheff, C. 111, 273
Cabus, C. 143 Curie, P. 71 Elk, D.S. 290
Cambon de Lavalette, V. Darbois, N. 5, 49, 109, 280 Elzevir, L. 170
5, 261 Darwin, C. 66, 78, 159, 225 Epstein, I. O. 285
Cameron, L. 283 David, P.-A. 5, 115, 280 Ernst, E. 94, 277
Canguilhem, G. 81, 272 De Bergerac, C. 56, 214 Ésope 216
Capobianco, J. D. 247, De Boer, M. R. 286 Étievent, M. 130, 273
279 De Chardin, P. T. 148 Fairbanks, D. J. 68, 284
Carini, C. 109, 272 De Chartres, B., cf. Favre, C., baron de
Carlos, cf. Dolto B. 110 Bernard Pérouges, cf. Vaugelas
Carmon, Z. 287 de Chartres 153, 297 9, 278
Caroti, D. 5 De Craen, A. J. 192, 283 Faymonville, M.-É. 118
Carroll, L. 149, 272 De Nogent, G. 78, 273 Fazilleau, J.F. 281
Case, E. 65 De Reuck, N. 217, 273 Feinstein, A.R. 184, 284
Caso, M. 248, 283 De Sacy, L. 10, 277 Feldenkrais, M. P. 66,
Castaneda, C. 147, 273 De Salisbury, J. 153, 273 103-104, 245, 273
Céline, cf. Destouches, De Sambucy, A. 94 Fennell, P. 68, 273
L. F. 73, 273, 279 De Sèze, S. 60, 283 Ferguson, M. 148, 273
Cerfon, J.-F. 129, 283 De Tichey, C. 273 Fermanian, J. 181, 284
César, J. 225 De Villepin, D. 124 Ferrières, M. 60, 274
Chalmers, T. C. 166, 283 De Vries, R. 285 Festinger, L. 215-216, 274
Chandra, S. R. 109 Delahaye, J. P. 288 Fewster, J. 77
Chang-yuan, L. 117 Della Porta, G. 69 Fisher, R. A. 68, 252, 284,
Chapman, F. 81, 154-155, Denys le petit, alias 286
209, 246-255, 257, Dionysius Exiguus 9 Fitzgerald, W. H. 81, 85,
279, 283, 285, 287, Destouches, L. F. 73, 273, 96-98, 247, 273-274
289, 295 279 Flaubert, G. 179, 274
Charlon, L. 290 Deykin, A. 285 Flore, P. 114, 284
Charroux, R. 147 Dickersin, K. 285 Floyer, J. 85-86, 274
Chila, A. 247, 273 Dieterle, W. 71, 291 Fortecoef, E. 290
Chomsky, N. 243, 288 Di Giovanna, E. L. 279 Fortin, L. 181, 284
Chopra, D. 151 Dionysius Exiguus, Frachon, I. 119, 128, 274
Christie, J. 5, 186-187, cf. Denys le petit 9 Frank, C.S., 283
283, 295 Diop, B. 146, 273 Frankenstein 33
Cialdini, R. 124, 273 Dolto, B. alias Carlos 110 Franklin, A. 68, 93, 284
Clarac, F., 81, 273 Dolto, C. 110, 111, 288, Freud, S. 63, 73, 85, 145,
Clarke, M. J. 285 290 154, 279
Clément, C. 273 Dolto, F. 110, 111 Froisset, É. 125, 280
Clément, P. 83, 278 Douch, R. 283 Frost, R. 247, 274

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Index
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Funk, K. 80, 284 Hertel, O. 109 Koch, G. G. 254, 285


Galien, C. alias Galenus Heuscher, J. E. 111, 274 Koch, R. 77
C. 154 Higgs, P. 50 Kolletschka, J. 72
Galilée, alias Galilei G. Hippocrate 13, 64, 94, Komp, J. C. 41
170, 223, 234 231 Krieger, D. 106-108
Galton, F. 67, 189, 274 Hirsch, J. E. 128, 171, Krishnamurti, J. 147, 275
Gardner, M. 266, 284 284 Krost, B. 289
Garrione, M. 290 Hirsch, M. 128, 275 Kunz, B. & K. 65, 106,
Gauch, H.G. 274 Hirtt, N. 241, 275, 290 275, 285
Gauss, J. C. F. 174 Hitchens, C. 33, 275 Kurtz, P.218, 285
Gauvrit, N. 186, 206, Hitler, A. 12, 223 La Fontaine, J. de 216
284, 288, 290 Holmes, O. W. 73, 285, Lagoutte, C. 136, 288
Gélinet, P. 224 287 Landis, J. R. 254, 285
Georgii, K. A. 88-90, 274, Hooper, R. 191, 275 Lanos, W. 238, 291
286 Hopewell, S. 166, 285 Lantelme, P. 132, 285
Gieryn, T. F. 279 Hopkins, D. R. 77, 275 Lasagna, L.C. 285
Gilardy, H. 5, 261 Hortefeux, B. 205 Lazare 78
Giordan, A. 278 Hoskins C. H. , cf. Rampa Leclaire, R. 284
Girodon, J 284 L. 146, 277 Lecointre, G. 38, 149,
Goffre, A. 5 Hufeland, C. W. 87 226, 273, 275, 279
Gonnet, R. 116, 274 Hume, D. 20, 41, 42, 50, Lecoq, A. M. 284
Goodheart, G. J. 104-105, 56, 275, 295 Lee, A. 121, 149, 286
249 Hwang, W.-S. 172, 289 Lee, K. 121, 149, 285
Goodstein, D. 68, 284 Ingham Stopfel, E. D. Lefranc, G. 28, 291
Goodyear, C. 72 97, 275 Lehmann, C. 125, 275
Gordon, A. 73, 274 Itard, J. 230, 276 Lémery, N. 80, 275
Gosset, W. S. alias Student Jammeh, Y. 117 Lemoine, P. 190, 285
255, 264 Janov, A. 275 Léon XIII 87
Gould, S. J. 230, 274 Jeanrenaud, C. 128, 279 Lidoreau, M. 113-114,
Grimault, J. 147 Jesty, B. 77 275, 284
Grosjean, D. 79, 81, 112, Johnson, V. E. 202, 285 Lieutaud, A. 286
139, 159, 274 Johnson-Laird, P. 175, Lillard, H. 74, 93
Guéret, R. 290 265-266 Lindt, R. 226
Guillaud, A. 5 Jones, L. 247, 253, 291 Lines, D. 248, 254, 285
Guillod, O. 128, 279 Joule, R.-V.124, 216-217, Lonicerus, alias Lonitzer,
Guillotin, J. I. 93, 120 275 alias Adamus 96
Gully, J. M. 87 Kaptchuk, T.J. 192, 283, Loret V. 65
Guyard, J.-C. 105, 141 285 Loudon, K. 285
Haack, S. 50, 274, 284 Kase, K. 41 Louis VI le Gros 78
Hacking, I. 290 Kelley, J.M. 285 Louwette, H.O. 100, 275
Hahn, J. S. 86-87, 274 Kellogg, J. H.72, 75-76, Luketic, R. 268, 291
Hahnemann, S. 77, 85, 229 88, 279 Lust, B. 88
Hall, M. 184, 202, 266, Kiesler, C. A. 216 Machuret, P. 95, 276
287, 295 King, T. 41 Madelon, A. 5, 257
Hamblin, T.J. 40, 284 Kirchfeld, F. & Boyle, W. Malson, L. 230, 276
Hammer, O. 107 87, 279 Malvy, P. 282
Hancock, T. 72 Kirsch, I. 285 Mann, H. 287
Hartl, D. L. 68, 284 Kleijnen, J. 283 Mao Zedong 118
Hata, S. 71 Klein, P. P. 284 Marbach, S. 5
Hawk, P.S. 290 Kneipp S., Abbé 87-88, Marhic, R. 91, 276
Hawkins, D. 105 275, 279 Marshall, B. 60
Hébert, G. 25 Knock, Docteur 28, 151, Martinand, J.-L. 278
Henderson, B. 220, 274 277, 291 Martineau, K. 5, 261
Herbert, R. 40, 77, 284 Knol, M.J. 180, 285 Martinson, B. C. 166, 285

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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Maslow, A. H. 31, 276 Nogier, P. 85 Popper, K. 42, 48, 56, 73,
Masunaga, S. 45, 294 Nogier, T. 24, 276 84, 277, 295
Matthieu, apôtre 162-163, Nosaka, K. 156, 289 Porter, R. 19, 70, 86, 232,
168, 172, 276, 294 Novitski, C. E. 68, 286 251, 277
Mayo, E. 190-191, 276 Oakley, K. P. 77 Potschka, F. 105, 141
Mazza, R. J. 41 Obert, P. 284 Poulin, V. 5, 261
Mbeki, T. 117 Occam, G. d’ 12, 20, 38, Pouvreau, F. 230, 280
McKenzie, R. 74, 293 45-47, 54, 56, 78, 257, Pradel, J. 185, 190, 294
McMillan, A. 285 295 Premanand, B. 277
Melville, H. 220, 276 Ohm, G. S. 174-175, 223 Prießnitz, V. 85-88, 289
Mendel, G. 68, 174, 284, Olcott, H. S. alias Colonel Provost, S. 83
286 106 Queré, N. 286
Menkès, C. J. 282 Onfray, M. 73, 145, 154, Quesnel, M. 10, 277
Merton, R. K. 163, 208, 276 Raël, 44
279, 285 Ottoson, A. 90, 286 Raichvarg, D. 278
Mesmer, F. A. 78, 85, 93 Owen, H. 107, 286 Rameau, Q. 165, 291
Mesteth, W. S. 150, 290 Owens, C. 247 Rampa L, alias Hoskins C.
Mézard, J. 109, 282 Oxman, A. D. 285 H. 146, 277
Mezger, J. G. 90 Palmer B. J. 276 Randi, J. 107, 218
Mézières, F. 66, 102-103, Palmer D. D. 74, 79, 93- Raymond, D. 284
245, 276, 293 94, 276 Raynaud, D. 33, 77, 277
Michel, R. 282 Pangloss 70, 289 Raynauld, J.P. 284
Milgram, S. 132, 285 Redfield, J. 147, 277
Pansu, P. 4-5, 172, 276
Miller, W. 276 Reitman, D. 283
Paracelsus, alias P. T.
Millikan, R. 68, 284 Remondière, R. 24, 286
von Hohenheim 69,
Milon, H. 132, 285 Renson, R. 90, 286
70, 77
Mitov, M. 72, 276 Reston, J. 117, 118, 289
Paré, A. 71, 78, 276
Mixter, W. J. 60, 286 Reviron, G 5, 146, 290
Parks, R. 240
Monet, J. 26, 280 Richard, L. 238, 291
Monvoisin, R. 3, 4, 7, 19, Pasca, E. 121, 289
Ricordeau, P. 281, 282
20, 26, 70, 75, 83, 108, Pasteur, L. 33, 69, 73, 77, Riecken, H. W. 215, 274
139, 151, 203, 218, 159, 243 Riley, E. A. 97
224, 236, 276, 280, Paul, apôtre 10, 277 Riley, J. S. 97, 277
288, 289 Pauls, A. L. 247 Rival, T. 139, 280
Moonens, A. 74, 286 Pearl, E. 235 Roberts, R. M. 277
Morgan, M. 147, 276 Pearson, K. 170, 208, 286 Rocard, Y. 51
Mosiello, R. 287 Peccoud, J. 5 Roeder, ou Röder, H. 90,
Mourier, A. 5, 257 Pelloux, A. 5, 257 279
Mozart, W. A. 235 Pelt, J.-M. 69, 70, 276 Rogers, W. 183, 284, 294
Mussolini, B. 223 Perret, N. 118, 280 Rolf, I. P. 105, 294
Myers, J.P. 127, 286 Petit-Dutaillis, D. 60 Romains, J. 28, 277
Nachtegall, F. 89 Peyrard, J. 155, 276 Rosa, E. & L. 107, 108,
Nagel, T. 31, 286 Phèdre, ou Phaidros 216 277, 286
Nanfang, Z. 117, 288 Piette, P. 5 Rosenthal, R. 166, 286
Bonaparte, N. Pilates, J. H.66, 100-101, Roussille, B. 281-282
Nau, J.Y. 172, 289 142, 245, 276, 293 Rouvière, H. 102
Nazareth, J. de 9 Pinsault, N. 3, 7, 19-20, Roux, É. 77, 275
Nevius, S. 98, 271 27, 139, 224, 280 Royston, M. R. 71
Nicholas, A. 172, 287 Plante, G. 83 Rubinstein, S. M. 82, 286
Nicolas, G. 206, 282 Ploquin, M. 111, 290 Rutland, L. 283
Nierenstein, M. 80 Polanski, R. 229 Sabbah, C. 74
Nisand, M. 103 Pollack, R. 277 Sagan, C. 42, 53, 59, 277
Nixon, R. 118 Ponvoisault, N. 213 Saintoyant, V. 281, 282
Noël, E. 286 Pooyard, P. 147, 291 Sandoz, T. 87, 277

– 300 –
Index
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Sarkozy, N. 95, 276 Student, cf. Gosset W. S. Vivant, N. 117, 155, 221,
Sarner, L. 108, 286, 289 255, 264 290
Schachter, S. 215, 274 Suétone 225, 278 Viviana, S. 13, 278
Scheel, J. 88 Sutherland W. G. 99, 100, Vodder, E. 66, 101-102,
Schiowitz, S. 279 137, 278 245, 293
Schön, J. H. 172 Sutton, M. 40, 287 Voltaire, alias F.-M. Arouet
Schuttea, H. 165, 287 Švecb, J. 165, 287 dit de 70, 224, 278
Scott, P. 81, 285 Swedenborg, E. 93 Vom Saal, F.S. 286
Ségalat, L. 160, 241, 277 Szejer, M. 111, 273 Von Bertalanffy, L. 95
Sellam, S. 143 Takata, H. 99 Von Däniken, E. 147
Selvin, S. 266, 287 Tarade, G. 147 Von Hebra, F. 73
Semmelweis, I. F. 72-73, Teilhard, P., cf. de Chardin Von Wolff, E. T. 40
273, 280, 287 148 Vorilhon C. cf. Raël 44
Sénelar, R. 113, 279 Ternaux, J. P. 81, 273 Waber, R.L. 192, 287
Shapiro, D. 265, 287 Thie, J. 105 Wade, N. 172, 272
Shermer, M. 223, 277 Thomas, H. 4, 41, 72, 87, Wainwright, M. 73, 287
Sherrington, C. S. 81 274, 278 Wallace, A. R. 66
Shiv, B. 287 Tijssen, J. G. 283 Walpole, H. 71, 287
Shorthose, S. 126, 277 Tissot, S. A. 67, 278 Warren, R. 60
Silberstein, M. 273 Tober, J. 149, 272 Washington, K. 248, 251,
Sim, I. 285 Tobner, O. 273 287
Simelaro, J. 287 Tooby, J. 279 Wason, P. C. 175, 265,
Simpson, E. H. 206, 207, Tournier, J. 5, 257 266, 287
287, 294 Tramezzino, M. 71, 278 Watanabe, K. I. 98
Singh, S. 94, 277 Trédaniel, C. 94-95, 150, Wayne, P.M. 285
Slinták, P. 86, 289 278 Wechsler, M.E. 285
Smith, S. 74, 146, 274, Tricot, P. 78, 287 Wegener, A. L. 223, 234
277 Trudelle, P. 129, 290 Weissmann, G. 117, 287
Sokal, A. 232, 277, 288 Tshabalala-Msimang, M. Wells, C. K. 284
Somat, A 4, 5 117 White, C. 73, 278
Sosin, D. M. 284 Underdown, J. 107, 286 White, E. 75
Souchard, P. E. 103, 142, Usui, M. 98-99, 271 White, G. S. 97, 274
159, 226, 294 Van Gelder Kunz, D. 106 Whitehead A. N. 208
Spacey, K. 268 Van Middelkoop, M. 286 Willem, J.-P. 143
Spehr, G. 285 Van Noorden, R. 165, 287 Willner, R. 155, 290
Spencer, H. 78 Van Tulder, M. W. 286 Winckler, M., cf. Zaffran
Sprüngli-Schwarz, D. Vandenbroucke, J.P. 285 M. 13, 278
Stapel, D. 172, 288 Vaugelas, alias Favre C. Windsor, C. 117
Steiner, R. 106, 149, 154, 9, 278 Winternitz, W. 87-88
278 Veldman, F. 68, 110-112, Witmer, R 108, 278
Sterlingot, P. 136 154, 159, 278, 290 Wolf, S. 195, 288
Stigler, S. M. 208, 279 Venditto, M. 287 Wünsche, A. 5, 261
Still, A. T. 62, 75, 78, 80, Vernerey, M. 136-137, Wytinck A., cf. Vésale
91-93, 99, 154, 246, 281 60, 78
278 Verschave, F.-X. 273 Yule, G. U. 208, 288
Stone, E. 69, 287 Vésale, alias Vesalius Zaffran, M. alias
Stone, J. 41 Andries, alias André Winckler, M. 13, 278
Strand Sutherland, A. Wytinck 60, 78 Zander, J. G. W. 90
100, 278 Zinn, H. 242, 278
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Table des matières


Remerciements.............................................................................. 5
Choix des auteurs........................................................................... 7
Sigles............................................................................................. 10
Anglicismes.................................................................................... 11
Avertissement au lecteur............................................................... 13
PRÉFACE
Médecine, pensée critique et conversation démocratique.......... 19
INTRODUCTION
Se retrousser les manches............................................................ 23
Débordée de tous les côtés............................................................. 25
Enseignements spécifiques............................................................. 26
Optimisme sans complaisance........................................................ 27
CHAPITRE 1
Comprendre la science et son fonctionnement........................... 31

– 303 –
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Boîte à outils.................................................................................. 31
Il y a science, science et science........................................................ 31
Une démarche faite exprès................................................................ 33
Le problème de la croyance............................................................... 36
Science collective............................................................................ 37
Pile du chercheur, face du soignant..................................................... 38
Une épistémologie chancelante.......................................................... 40
Outils.............................................................................................. 41
Maxime de Hume et « preuve plus qu’ordinaire »................................... 41
Charge de la preuve......................................................................... 44
Rasoir d’Occam et alternative féconde................................................. 45
Réfutabilité de Popper...................................................................... 48
Commensurabilité des théories........................................................... 50
Vivacité de la théorie........................................................................ 52
Kit de détection de pseudo-théorie...................................................... 53
CHAPITRE 2
L’histoire.......................................................................................... 59
Les étapes de la démarche............................................................. 61
Fondateur(s)................................................................................... 61
Datation......................................................................................... 63
Événement de départ........................................................................ 66
Racines et contexte.......................................................................... 76
Lexique de l’époque.......................................................................... 79
Évolution de la théorie...................................................................... 84
Illustrations : étude de quelques théories........................................ 85
Hydrothérapie (1835)........................................................................ 85
Kinésithérapie (1847)....................................................................... 88
Ostéopathie (1874)........................................................................... 91
Chiropraxie (1895)............................................................................ 93
Étiopathie (1899)............................................................................. 94
Réflexologie plantaire ou Zone therapy (1913)....................................... 96
Reiki (1922).................................................................................... 98
Ostéopathie crânio-sacrée (1929)........................................................ 99

– 304 –
Table des matières
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Méthode Pilates (1934)..................................................................... 100


Drainage lymphatique manuel méthode Vodder, ou Dr. Vodder Method
of Manual Lymph Drainage (MLD) (1936).............................................. 101
Méthode Mézières (1947).................................................................. 102
Méthode Feldenkrais (1949)............................................................... 103
Kinésiologie Appliquée (1964)............................................................ 104
Rolfing (1971)................................................................................. 105
Toucher thérapeutique (TT), parfois Non-Contact
Therapeutic Touch (NCTT) (1972)........................................................ 106
Fasciathérapie MDB (1980)................................................................ 109
Haptonomie (1980).......................................................................... 110
Microkinésithérapie (1980)................................................................. 112
Biokinergie (1983)............................................................................ 113
Conclusion..................................................................................... 114
CHAPITRE 3
La « sociologie » de la pratique.................................................... 115
Distribution géographique et résonance........................................... 116
Répartition géographique.................................................................. 116
Extension régionale.......................................................................... 118
Reconnaissance et conventionnement par les institutions................ 119
Une occultation des résultats des essais.............................................. 121
Des incohérences inter-institutions..................................................... 122
Une sensibilité à l’influence des corporations........................................ 123
Une dépendance industrielle fortement marquée................................... 124
Des conflits d’intérêts....................................................................... 128
« Qui reconnaît quoi ? »................................................................. 130
Ne pas confondre reconnaissance et taux de remboursement................... 130
Modalités de formation................................................................... 134
Les Instituts de formation en masso-kinésithérapie (IFMK)...................... 134
Les établissements de formation en ostéopathie et chiropraxie................ 136
Les « chapelles »............................................................................ 139
Pourquoi se méfier des titres (qu’on soit professionnel ou patient)............ 142
Modes, public et patientèle cible........................................................ 145

– 305 –
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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CHAPITRE 4
La bibliographie............................................................................. 153
Faits et ouvrages de départ............................................................. 154
Comme le saumon, à la source tu remonteras....................................... 154
« Publis » et niveau de preuve tu jaugeras........................................... 157
Les auteurs clés tu débusqueras......................................................... 158
Les articles de référence tu dévoreras................................................. 160
Les pièges du système.................................................................... 160
Les rouages de la publication tu maîtriseras......................................... 160
Des indices bibliométriques et du scoop tu te méfieras........................... 164
Les travers du chercheur................................................................. 171
Quitte à frauder il publiera................................................................. 171
L’analyse globale il négligera............................................................. 174
Des publications endogènes il citera................................................... 177
CHAPITRE 5
Les protocoles expérimentaux...................................................... 179
Les différents protocoles................................................................. 179
L’échantillonnage............................................................................ 182
La randomisation (ou casualisation, ou répartition au hasard).................. 185
La solution de l’étude croisée............................................................. 187
L’art du contrôle, ou pourquoi contrôler ?........................................ 188
Évolution spontanément résolutive et régression à la moyenne................ 188
Efficacité propre, effets placebo et contextuels...................................... 189
Au pays des borgnes, ou comment contrôler ?................................. 194
Simple, double et triple aveugle......................................................... 194
La qualité de l’interprétation........................................................... 198
Usage et mésusage des statistiques ................................................... 198
Effets cigognes, ou correlation does not imply causation......................... 202
L’art (graphique) de faire passer des vessies pour des lanternes............... 204
S’il n’en restait qu’un...................................................................... 208

– 306 –
Table des matières
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CHAPITRE 6
Du bon usage de l’esprit critique.................................................. 213
Les conseils d’usages..................................................................... 214
Corde d’escalade............................................................................. 214
Cyrano de Bergerac.......................................................................... 214
Dissonance cognitive, engagement.................................................. 215
Festinger et les raisins trop verts........................................................ 215
L’escalade d’engagement................................................................... 216
La spatule huilée............................................................................. 218
Écueils rhétoriques......................................................................... 221
Collector « Soin & kiné ».................................................................. 229
CONCLUSION
Conclusion et perspectives........................................................... 237
De l’impatience, sans blouse, dans un jardin public................................ 239
ANNEXES
Annexe n° 1 – Réponse au quiz de datation..................................... 245
Annexe n° 2 – Éléments de réponse du TP :
analyse critique de la littérature, les points réflexes
neurolymphatiques de Franck Chapman........................................... 246
Histoire.......................................................................................... 246
Sociologie...................................................................................... 247
Analyse de la littérature.................................................................... 248
Annexe n° 3 – Éléments de réponse du TP :
protocole testant la capacité d’un kinésiologue à détecter par
l’intermédiaire du Test Musculaire la réaction d’un patient
allergique à une substance allergène.............................................. 257
Hypothèse testée............................................................................. 258
Principe d’un « essai »..................................................................... 258
Réalisation d’un test......................................................................... 258
Enchaînement des essais – Maintien de l’aveugle et randomisation........... 258
Étapes d’un essai............................................................................. 259

– 307 –
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles
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Préalables à l’expérience................................................................... 260


Résultats et conclusion..................................................................... 260
Annexe n° 4 – éléments de réponse du TP :
protocole testant l’efficacité du Bracelet Power Balance................ 261
Critères clairs et non ambigus............................................................ 261
La nécessité du contrôle................................................................... 262
Statistique puissante et justifiée......................................................... 262
Double voire triple aveugle................................................................ 262
Randomisation................................................................................ 263
Test 1 : la souplesse........................................................................ 263
Test 2 : l’équilibre............................................................................ 264
Résultats........................................................................................ 264
Interprétation statistique................................................................... 265
Annexe n° 5 – Réponse au quiz :
les tâches de sélection de Wason et Johnson-Laird......................... 265
Annexe n° 6 – Réponse au jeu de Monty Hall................................... 266
Annexe n° 7 – Charte du Formindep................................................ 269
Annexe n° 8 – Florilèges des titres auxquels vous avez échappé..... 270
BIBLIOGRAPHIE
Livres............................................................................................. 271
Chapitres de livre............................................................................ 278
Thèses............................................................................................ 279
Mémoires........................................................................................ 280
Textes juridiques et rapports........................................................... 280
Articles, revues............................................................................... 282
Articles de presse........................................................................... 287
Netographie.................................................................................... 289
Filmographie................................................................................... 291
Table des matières
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INDEX
Thérapies ou concepts thérapeutiques............................................. 293
Notions........................................................................................... 294
Index des Personnes....................................................................... 297
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