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Wood
Alpha
Le soulèvement
des lycans
Tome 6
DU MÊME AUTEUR
Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 1, coll. FantasyLips, juillet 2018
Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 2, coll. FantasyLips, août 2018
Alpha – Le chant mortel – Tome 2, coll. FantasyLips, septembre 2018
Alpha – L’alliance funeste – Tome 3, coll. FantasyLips, octobre 2018
Alpha – Le sommeil des damnés – Tome 4, coll. FantasyLips, janvier 2019
Gwen Wood est originaire d’Occitanie où elle vit encore aujourd’hui dans un
petit village. C’est sa mère qui lui transmet le goût pour les livres dès son plus
jeune âge, développant au fil de ses lectures une préférence pour la fantasy,
mettant en scène vampires et loups-garous.
Durant sa scolarité au lycée, l’envie d’écrire la prend soudainement et devient
vite une véritable passion, si bien que deux mois plus tard, la jeune femme
achève l’écriture de son premier roman.
Suite à la publication de ce dernier sur une plateforme de lecture et d’écriture,
les commentaires des lecteurs nourrissent son envie de progresser et d’aller plus
loin. C’est ainsi qu’elle décide de retravailler son premier texte pour donner
naissance à Alpha : La guerre des loups, premier tome de la saga.
— Tu l’as invitée chez nous ? Dans notre maison ? fulminai-je, hors de moi.
— Elle n’avait nulle part où aller et elle avait peur de ce dont était capable son
oncle quand il apprendrait qu’elle l’avait trahi ! Elle m’a presque supplié de
l’accueillir chez nous.
Furieuse, je jetai les coussins fantaisie qui décoraient notre lit sur le sol et me
redressai pour faire face à mon compagnon, qui se défendait comme il le
pouvait.
— Le territoire est rempli de maisons inhabitées ! répliquai-je en croisant mes
bras contre ma poitrine. L’une d’elles aurait largement pu l’accueillir, tu ne crois
pas ?
Le roux soupira.
— Arizona ne voulait pas se retrouver toute seule au sein d’une meute qu’elle
ne connaissait que peu dans une maison isolée, c’est tout.
Je fronçai les sourcils.
— Alors, non content de me la coller sous le nez pendant plusieurs jours, tu
l’installes en plus dans la chambre d’à côté, dans notre propre maison ? Tu te
fiches de moi ?
L’homme fit le tour du lit en bois entièrement sculpté et tenta de venir me
rejoindre, mais je l’arrêtai d’un geste de la main. Il n’allait pas s’en sortir si
facilement cette fois.
— Je n’arrive pas à croire que tu aies osé me faire une chose pareille,
continuai-je en plantant mes yeux dans les siens. Tu n’as pas pensé une seule
seconde que prendre une décision comme celle-ci pourrait me faire du mal ? Que
ça me dérangerait ? Que ça mettrait à mal ma patience et mon savoir-vivre ?
Le loup-garou inspira profondément et se redressa lentement.
— Nous avons besoin des informations qu’elle détient, dit-il calmement, il est
primordial que nous arrêtions Marcel pour endiguer la guerre qui nous pend au
nez si nous ne faisons rien.
Je secouai la tête de gauche à droite, et haussai les épaules.
— Je sais tout ça Red, je ne suis pas stupide, répondis-je, mais est-ce que tu
étais obligé de la faire venir jusqu’ici pour obtenir ces fameuses informations ?
De me la mettre sous les yeux, à quelques mètres de notre chambre à coucher ?
D’autant qu’il est évident qu’elle en pince pour toi, et qu’elle se fiche bien de
savoir que tu es marié.
Nick pencha la tête sur le côté et esquissa un sourire.
— C’est ça le problème, tu es jalouse d’elle ? supputa-t-il.
Je me renfrognai et me détournai de lui pour tirer les couvertures du lit d’un
coup sec.
— Tu es à moi Nick, je n’aime pas savoir qu’une autre femelle te tourne
autour ou te regarde avec un peu trop d’insistance.
L’Alpha laissa échapper un petit rire rauque.
— Poppy, tu es ma femme, ma moitié, et personne ne pourra me détourner de
toi. De ce côté-là, tu peux être rassurée.
— Là n’est pas la question, rétorquai-je, la présence de cette fille réveille en
moi des instincts primitifs et territoriaux, et ça me fait peur.
— Tu n’es pas une louve.
Cette phrase m’atteignit en plein cœur comme une flèche aiguisée venant
faire ressurgir des insécurités et des peurs que je m’efforçais de garder enfouies
au fond de moi. Je serrai les lèvres, blessée, et lui adressai un regard assassin qui
lui fit comprendre qu’il avait dit une bêtise. Son sourire s’évanouit aussitôt.
— Tu as raison Nick, je ne suis pas une louve, reconnus-je. Mais l’absence
d’un esprit animal en moi ne veut pas dire que je ne ressens pas le besoin de
défendre mon territoire, de marquer ma présence.
— Bien sûr Poppy, ce n’est pas ce que je voulais dire, tenta-t-il pour se
rattraper. Je… je suis désolé, je m’exprime très mal en ce moment, et je n’arrive
pas à trouver les bons mots pour apaiser ta colère.
— Non, tu n’y arrives pas, en effet.
Attrapant mon pyjama sous mon oreiller, je contournai le lycan rageusement
et m’engageai dans la salle de bain. Nick s’y prenait comme un manche, et ça
n’allait pas en s’arrangeant. Chaque mot qu’il prononçait semblait être fait pour
me blesser, pour enfoncer le clou. Et le pire, c’était qu’il ne le faisait pas exprès.
Il était sincèrement désolé de se montrer si maladroit. Mais en même temps, il ne
pouvait rien faire pour arranger les choses, parce que s’il voulait agir en Alpha
du Nord et sauver sa communauté de la crise, il devait faire des choix et prendre
des décisions parfois difficiles. Accueillir Arizona White ici était l’une d’entre
elles. Il avait dû choisir entre respecter les vœux et les besoins de sa compagne et
obtenir des éléments capitaux pouvant l’aider à éradiquer le mal qui rongeait la
société lycane, au risque de me faire de la peine et de me mettre dans une
situation embarrassante. Le choix avait vite était fait. Et encore une fois, c’était
Poppy qui trinquait et payait l’addition. Vive le mariage !
* *
Les dieux étaient des êtres à part. Des entités non humaines, sans corps
physique. Ils vivaient dans une autre dimension, à l’abri des hommes et de leur
cruauté. Après être tombés dans l’oubli, à la suite de l’apparition d’une
puissance que les Hommes se sont mis à vénérer avec acharnement, abandonnant
toutes leurs anciennes croyances, ils se sont retirés de la partie et ont arrêté
d’œuvrer pour l’humanité. Depuis, il n’existait plus aucune interaction entre les
païens et les mortels. Mes semblables aimaient à se les rappeler autour des feux
de camp et des histoires racontées lors des soirées pyjama, mais on ne
construisait plus des temples à leur effigie et on ne faisait plus de sacrifice en
leur honneur.
Ces êtres avaient si bien disparu de la surface du globe, que j’avais douté de
leur existence. Pendant une grande partie de ma vie, j’avais cru qu’ils n’étaient
que des personnages de légende, car s’il existait bel et bien des divinités, alors
celles-ci n’accepteraient jamais de vivre dans l’ombre des Hommes. Mais ma
théorie était fumeuse, puisqu’ils étaient bien réels et qu’ils se fichaient
royalement de notre monde, sachant qu’ils vivaient dans le leur. Pour eux, nous
n’étions que des insectes sans importance, une espèce qui finirait par disparaître,
par se détruire seule. Et ça, si je le savais, c’était parce que Sombre me l’avait
appris. Et que Sombre était l’un de ces êtres que je pensais fictifs.
Phobétor était un dieu. Un dieu d’origine grecque, qui avait pour capacité de
créer des cauchemars dans lesquels enfermer les humains. Son nom signifiait
« l’effrayant » en grec ancien, et pour cause, ses dons le rendaient véritablement
inquiétant et redoutable. J’avais été personnellement le témoin de sa puissance
alors que nous étions tous les deux bloqués dans un monde irréel créé par un
autre divin : Morphée, alias le Dieu des rêves.
Les événements qui nous avaient amenés à nous rencontrer s’étaient produits
huit mois plus tôt, à Fergus Falls, dans le Minnesota. J’avais été branchée sur
une enquête concernant des enfants mystérieusement tombés dans le coma par
un chasseur de Rogers, et évidemment, je m’étais jetée dans la gueule du loup
sans réfléchir. Résultat, arrivée là-bas, j’avais été agressée par un individu
inconnu aux yeux dorés, qui m’avait moi aussi plongée dans un sommeil
profond, et qui avait enfermé mon âme dans un univers créé de toute pièce qui
mettait en scène les pires cauchemars de ses occupants. J’avais bien cru devenir
folle quand je m’étais aperçue que j’étais revenue dans le temps, et que dans
cette dimension parallèle, Nick ne se souvenait pas de moi. Mais grâce à
Phobétor, qui s’était choisi un nouveau nom entre temps, j’avais appris que je ne
délirais pas et que j’étais victime de son frère, devenu cinglé après avoir été
abandonné par ses adeptes humains.
Ensemble, Sombre et moi avions dû affronter des épreuves et faire face à des
cauchemars atroces, y compris le sien, pour sortir de ce monde ténébreux. Et
c’était finalement grâce à l’intervention de son père, Hypnos, averti par mon
compagnon, que nous avions pu retrouver les nôtres. J’avais pu retrouver mon
corps et de nouveau respirer à l’air libre. En ce qui concernait Sombre, qui
n’avait pas de corps humain, il avait rejoint les siens, dans son propre monde,
mais avait tout de même trouvé le moyen d’emprunter un « véhicule » de
passage pour venir me rendre visite, une dernière fois.
Les dieux avaient la capacité, au même titre que les démons et les entités
suffisamment puissantes, d’investir des corps humains pour s’en servir comme
passerelle. En possédant une enveloppe corporelle, ils pouvaient déambuler dans
notre monde sans souci et interagir avec nous comme s’il n’existait aucune
frontière. Ce fut grâce à un véhicule humain que Sombre avait investi que la
divinité était parvenue à venir me voir à mon départ de Fergus Falls. C’est là
qu’il avait pu me confier une petite partie de son essence divine. Un cadeau que
je ne maîtrisais toujours pas, mais qui m’avait déjà sauvé la vie plusieurs fois.
Dont ce soir.
Une chose était sûre, j’étais surprise de le voir réapparaître maintenant, alors
que je ne l’avais pas revu depuis qu’il avait pénétré mon esprit pour m’expliquer
comment me laisser envahir par l’énergie qu’il m’avait offerte et qui, à l’époque,
luttait pour fusionner avec ma propre essence. Que faisait-il ici ? Dans ce
supermarché désert, dans le corps d’un ado de 16 ans ?
— Tu t’en es bien sortie, répéta-t-il, toujours posté à quelques mètres de moi.
Je crois que tu as compris le mécanisme du pouvoir.
Fronçant les sourcils, je secouai la tête de gauche à droite, incrédule.
— C’est une blague ? J’ai la jambe en morceaux, et je n’ai pas la moindre
idée de comment j’ai fait pour vaincre ce loup !
Sombre arqua un sourcil et laissa retomber ses bras le long de son corps.
— Oh, je suppose que ce sont les rudiments de l’apprentissage, dit-il en
haussant les épaules.
— Les rudiments de l’apprentissage ? éructai-je, furieuse.
— Il faut que le métier rentre, sourit-il en se dirigeant vers moi. Ne bouge pas,
je vais t’enlever ce poids mort.
— C’est pas dans ce corps que tu vas réussir à faire bouger le loup, d’autant
qu’en dessous, j’ai la jambe en miettes…
— Ne t’inquiète pas Evans, je suis là, tout va bien se passer !
Pourquoi je n’en suis pas convaincue… ?
Sombre passa à côté de moi, marcha dans le whisky déversé au sol mélangé à
mon sang, et s’immobilisa à côté de la carcasse du lycan, à moitié couché sur
moi. Il se pencha, fléchit légèrement les jambes, et passa ses mains sous le
ventre de la bête.
— Tu es prête ? À trois, j’y vais. Pour le moment, le corps du lycan
compresse ta jambe abîmée, mais une fois qu’il sera enlevé, ça risque de piquer
un peu.
Serrant les dents, je me préparai mentalement à la douleur qui n’allait pas
tarder à s’amplifier. Je n’avais pas envie de crier plus que je ne l’avais déjà fait,
je ne voulais pas me laisser submerger par la souffrance. Si cela venait à arriver,
Nick allait le ressentir et il se lancerait à ma recherche, paniqué et furieux. Or,
j’allais avoir besoin de garder la tête froide dans les heures qui allaient suivre. Je
devais découvrir qui était le loup-garou mort affalé sur mes jambes et qui l’avait
envoyé me dézinguer.
— Je suis prête, répondis-je finalement.
Mon camarade hocha la tête, et compta jusqu’à trois avant de soulever sans
effort le cadavre au-dessus de moi. Sitôt que son poids libéra mes jambes, une
vive douleur, sourde et brute, m’arracha un grognement. Je me mordis l’intérieur
de la joue et fermai les yeux très fort pour éviter de hurler, et au passage, de
tourner de l’œil. Mon tibia trouait ma peau, pointant le bout de son nez à l’air
libre. Je saignais beaucoup, sans doute trop, la douleur était insupportable. À
chacun de mes mouvements, mon épiderme endommagé frottait contre mon os
cassé et s’étirait, accentuant davantage le trou béant au niveau de mon mollet.
— C’est moche, mais je peux arranger ça, m’assura le dieu en revenant vers
moi après avoir déposé le loup un peu plus loin.
— Vraiment ? le questionnai-je, les dents serrées.
Soulevant de nouveau les paupières, je croisai son regard et tentai de ravaler
les larmes de douleur qui menaçaient de m’emporter. Sombre plongea ses iris
dorés dans les miens, posa une main sur ma joue, et une autre au-dessus de mon
tibia apparent.
— Tu sais que t’es mignonne, ma douce ? lâcha-t-il brusquement, le sourire
aux lèvres.
Fronçant davantage les sourcils, j’inclinai la tête sur le côté et le dévisageai
avec attention.
— Ah oui ? Avec la jambe pétée et les vêtements trempés de sang et de gnôle,
t’en es sûr ?
— Tu pourrais avoir le nez de travers que tu serais quand même mignonne,
répliqua-t-il.
J’écarquillai les yeux, me rappelant soudain que le loup m’avait écrasé le
visage contre la porte transparente d’un congélateur avant de tenter de
m’étrangler. Je n’avais pas entendu de crac significatif, mais se pourrait-il que…
— Est-ce que c’est le cas ? m’écriai-je, horrifiée.
— Quoi donc ?
— Mon nez est-il de travers ?
Un éclat de rire traversa les lèvres du jeune garçon, il cessa de me tenir la joue
quand il arrêta de glousser.
— Non, ce n’est pas le cas, et maintenant, tu n’as plus de jambe cassée ni de
bosse sur le front, déclara-t-il en se relevant.
Surprise, je baissai les yeux sur mon mollet, et constatai avec effarement que
mon os ne sortait plus. Ma chair s’était ressoudée. Il n’y avait plus de trou, plus
de sang, plus de blessure.
— Comment est-ce que tu as fait ça ? lui demandai-je en remuant la jambe
précautionneusement pour m’assurer qu’elle bougeait encore.
Elle était engourdie, un peu molle, mais ma jambe fonctionnait encore.
Sombre m’aida à me relever en m’attrapant sous les aisselles, il me remit sur
pieds comme une petite fille qui venait seulement de tomber. Mes genoux
tremblèrent, me forçant à rester accrochée aux épaules minces de l’adolescent
que Phobétor avait choisi comme véhicule, mais finalement, je restai debout.
Miracle !
— C’est un de mes nombreux dons, Poppy, je t’apprendrai comment faire.
Tout comme je vais t’apprendre à maîtriser tes dons.
Étonnée, je plongeai mes yeux dans les siens.
— Tu es sérieux ?
— On ne peut plus sérieux ma chère, m’assura-t-il, j’aurais dû faire ça dès le
moment où tu as accepté mon énergie en toi, mais disons que j’ai toujours remis
ce moment à plus tard, pensant que tu t’en sortirais très bien sans moi.
En guise de réponse, je lui assénai un coup de poing dans l’épaule, ce qui eut
le chic de le surprendre.
— Aïe !
— Tu as remis ça à plus tard ? Tu te rends compte que ça aurait pu être
dangereux pour mes proches ? Cette espèce d’énergie étrange se manifeste
quand je suis en colère ou que je me sens en danger. Tu n’imagines pas le
nombre de fois où je suis en pétard contre mon mari ! Imagine si je l’avais blessé
par mégarde ! Si je lui avais envoyé une décharge sans le vouloir !
Sombre leva les yeux au ciel, comme ennuyé.
— Oui et bien tu te serais trouvé un autre mari, qu’est-ce que tu veux que je te
dise ?
— Que tu as merdé ! Que tu aurais dû revenir vers moi dès que mes dons sont
apparus. Ça aurait été nettement plus simple !
Un sourire en coin étira la bouche de mon acolyte, il croisa ses bras contre sa
poitrine et releva le menton.
— En fait, Evans, je te manquais c’est ça ?
Hébétée, je reculai d’un pas, la bouche grande ouverte.
— Je te manquais et tu es en colère parce que je t’ai délaissée, c’est ça ? C’est
adorable.
— Non, espèce d’abruti ! rétorquai-je alors qu’il avançait dans ma direction,
les bras tendus comme pour m’enlacer. Je suis furieuse pour plusieurs raisons.
La première : tu m’as refilé un don que je ne maîtrise pas et qui aurait pu
s’avérer problématique. La seconde, tu ne sembles pas le moins du monde t’en
vouloir pour m’avoir laissée dans le flou total pendant des mois ! Et la troisième,
tu es resté planqué dans la réserve pendant qu’un loup m’attaquait par-derrière !
Pourquoi n’es-tu pas venu m’aider ? Et puis d’abord, qu’est-ce que tu fais là-
dedans ?
Sombre posa ses mains à plat sur sa poitrine et caressa le tee-shirt trop large
qu’il portait.
— Tu n’aimes pas ? s’enquit-il. J’ai pris au plus vite, ça fait un moment que je
t’observe, et quand j’ai vu qu’un homme t’avait suivie et qu’il voulait te faire du
mal, j’ai investi le premier véhicule que j’avais sous la main.
— Tu me suivais ?
— Sous ma forme non matérielle, oui, reconnut-il. Je voulais savoir comment
tu allais, et comme je n’ai pas de corps terrestre, je t’ai épiée depuis ma
dimension.
Je ne savais pas trop comment prendre ça, le fait de savoir qu’il avait été
possible à Sombre de m’observer à mon insu me mettait mal à l’aise. Qu’avait-il
donc surpris depuis le monde des dieux ?
— Ne t’inquiète pas, je suis un homme honnête ma jolie, dit-il comme s’il
avait perçu mes pensées, je n’ai pas regardé ta vie intime, et je détournai la tête
lorsque tu étais avec ton époux. Je n’étais là que lorsque tu étais seule, et nue !
Comprenant qu’il me faisait marcher, je ne pus m’empêcher de sourire et lui
adresser un autre coup de poing.
— Arrête, tu vas finir par abîmer mon enveloppe ! se plaignit-il en souriant.
— Alors arrête de dire des bêtises et viens ici ! dis-je en ouvrant à mon tour
les bras pour qu’il vienne s’y nicher.
Le brun ne se fit pas prier, il répondit à mon étreinte sans broncher et me serra
contre lui.
— Alors je t’ai manqué ? me questionna-t-il, la tête enfouie dans le creux de
mon épaule.
Je souris.
— Évidemment, idiot !
Sombre était devenu quelqu’un d’important pour moi. Les moments que nous
avions passés ensemble avaient été aussi courts que longs. Une amitié solide
était ressortie de notre entraide dans le Monde Noir, et une chose était sûre,
jamais je ne pourrai oublier Phobétor, alias Icélos, alias Sombre. Je le
considérais comme un ami, un homme de confiance, une personne que je
pouvais appeler en cas de problème. Et même si je savais qu’il ne possédait pas
d’enveloppe corporelle terrestre, je savais aussi qu’il ferait son possible pour
m’aider si j’étais en danger ou dans le besoin. Et ce soir en avait été la preuve. Il
était venu et il avait soigné mes blessures.
— Bon, repris-je en m’écartant de lui pour baisser les yeux sur le loup-garou
au sol, il va falloir qu’on l’amène chez mon grand-père.
Sombre fronça les sourcils.
— Pourquoi ne pas l’amener chez toi ?
— Parce que Nick serait furieux, et qu’il péterait sans doute les plombs en
sachant que j’ai été agressée par un de ses semblables. De plus, une femme vient
d’arriver chez nous, et je ne lui fais pas du tout confiance. Je n’ai pas envie
qu’elle sache que nous avons en notre possession un lycan qui, même mort,
pourrait nous en dire plus sur notre ennemi.
— J’ai cru comprendre ça, Arizona White, hein ?
Je hochai la tête.
— Ouais, celle-là même. Je crois qu’elle cache bien son jeu et qu’elle n’est
pas ici pour les bonnes raisons. Mieux vaut qu’elle ne sache pas pour lui,
expliquai-je en désignant la bête.
Sombre enfonça ses mains dans ses poches, et fit basculer son poids sur ses
talons pour s’incliner légèrement en arrière.
— Euh, je veux pas te faire de peine ma douce, mais ce type n’est pas prêt de
nous livrer ses secrets si tu veux mon avis.
Je souris.
— Lui non, mais son porte-feuille lui, nous en dira sans doute plus.
Avant de lui laisser le temps de me questionner davantage, je m’accroupis au
sol, pas loin de là où le change-peau avait muté, et attrapai ce qui restait de son
jean. Le tissu était déchiré, réduit en miettes. Je suivis les lambeaux du pantalon,
et m’accroupis au sol pour regarder sous l’étagère qui accueillait les bouteilles
d’alcool. Je tendis le bras, désormais couchée à plat ventre, et récupérai un petit
portefeuille en cuir pour le tendre ensuite vers mon nouvel associé.
— Les hommes gardent toujours leur porte-monnaie sur eux, affirmai-je en
me relevant, il l’avait dans sa poche quand il m’a attaquée, et il s’est retrouvé là-
dessous quand il s’est transformé.
— Bien vu Evans, lança-t-il, admiratif.
Me postant aux côtés de lui, j’ouvris le petit portefeuille et ne fus pas surprise
d’y trouver carte de crédit, liquide, permis de conduire et carte d’identité.
J’attrapai sans attendre la pièce qui m’intéressait et observai la photo de
l’homme qui m’avait agressée qui s’y trouvait.
— Glen Roberts, lut Sombre, c’est bizarre, je ne lui aurais pas choisi un
prénom pareil. « Grosse Brute Sans Manières » ça lui aurait mieux été…
Je souris, j’étais on ne peut plus d’accord avec lui.
— Oui, il avait 34 ans, et venait du Maryland…
Ce dernier élément capta mon attention. Je bloquai un instant sur le lieu de
naissance qui indiquait Baltimore, MA. Il venait de Baltimore, une ville où,
quelques mois plus tôt, je m’étais rendue pour une affaire concernant des
vampires. Là-bas, j’avais aussi été amenée à faire face à des loups rebelles qui
avaient été arrêtés par Dorofeï Nabatov, le Lieutenant du Nord. Ceux-ci venaient
d’une meute de contestataires qui avaient envoyé un humain sous emprise
mentale s’en prendre à Aiden et Seth, ici même, à Springdale. Leur chef, Henry
Johnson, était parvenu à s’enfuir avant de se faire lui aussi attraper par les
hommes de Nabatov, et d’après ce que Nick m’avait appris, quand cet homme
avait une idée derrière la tête, il ne l’avait pas ailleurs. S’il avait décidé de faire
tomber Nick de son trône, il ne lâcherait pas tant qu’il serait vivant.
Sur son territoire, les loups du Lieutenant du Nord avaient retrouvé des plans
de la meute, des photos des membres de la Meute du Soleil, leurs emplois du
temps ainsi que des informations sur leurs déplacements, y compris sur les miens
et ceux de Nick. Henry avait eu dans l’idée de nous attaquer, mais ça ne s’était
pas fait. L’arrivée de Dorofeï chez lui et l’arrestation de certains des siens
l’avaient sans doute stoppé dans sa course. Mais le fait qu’il soit resté discret
depuis ne voulait pas dire qu’il avait abandonné l’idée de s’en prendre à nous.
Bien au contraire.
— Je crois que ce type est un des hommes de la Meute Abyssale, soufflai-je
en replaçant la carte d’identité dans son étui.
— La Meute Abyssale ? répéta-t-il. Qui sont-ils ?
— Des adeptes de la rébellion. Ce sont des loups radicaux, qui œuvrent pour
renverser la société lycane telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ils ont pour chef
un homme du nom d’Henry Johnson.
— Tu penses que c’est ce Henry Johnson qui a envoyé ce type ?
Je haussai une épaule et allai récupérer mon sac tombé au sol. Mes affaires
avaient été éparpillées par terre, et étaient désormais recouvertes, pour la plupart,
de whisky bon marché. Je grognai, agacée, et les replaçai contrainte et forcée
dans mon sac à bandoulière.
— Je pense oui, mais ce que je crois surtout, c’est que j’ai trouvé l’un des
alliés de Marcel Jay White. Et avant de le dire à Nick, il faut que j’en aie le cœur
net.
9
Nora Jones était un agent lycan, et une jeune femme que j’avais rencontrée
pour la première fois à Fredericksburg, en Virginie. Lors de notre rencontre,
j’enquêtais sur des disparitions mystérieuses dans cette petite bourgade isolée.
Nora était en faction là-bas sous les ordres de Nick, alors Lieutenant du Sud.
Pour tout dire, notre collaboration n’avait pas été de tout repos. La louve s’était
montrée véhémente à mon attention, elle m’avait ouvertement manifesté un fort
mépris. D’autant qu’il m’avait paru certain à cette époque qu’elle ressentait une
certaine attirance pour mon compagnon, qu’elle avait vainement tenté de
masquer derrière la confiance aveugle qu’elle lui témoignait. Néanmoins, la
change-peau avait accepté de nous prêter main-forte lorsqu’il avait fallu investir
le territoire des sirènes qui avaient assiégé Fredericksburg. Et au fond, je ne
croyais pas que c’était une méchante fille. Il était difficile pour une femme de ne
pas se montrer réceptive face aux charmes dont disposait Nick, et j’étais la
première à pouvoir en témoigner.
Une chose était sûre, je ne m’attendais pas à la retrouver dans la cellule
humide d’un vieil entrepôt de Baltimore. Encore moins à la voir victime d’un
homme comme Henry Johnson. Nora semblait si forte ; la voir ainsi, les cheveux
sales, les vêtements déchirés et l’air fatigué me déplut fortement. Encore une
chose pour laquelle Johnson allait devoir payer.
— Qu’est-ce que vous faites là ? Avec ces vampires ? nous demanda la louve
en lorgnant du coin de l’œil les hommes d’Astor qui emportaient les corps
inertes des lycans transformés les uns après les autres.
Après avoir neutralisé les loups d’Henry, ainsi que Johnson lui-même, Ryan et
Dovie, qui avait repris sa place, étaient allés avertir les hommes d’Astor afin
qu’ils viennent débarrasser du bâtiment tous les adeptes de la rébellion qui s’y
trouvaient endormis. Le roi des vampires avait fait venir des camions pour
emporter nos rivaux loin d’ici. Lui et ses camarades s’occupaient de débarrasser
les lieux des corps que nous avions semés sur notre passage. Nos ennemis ne se
réveilleraient pas tant que nous ne l’autoriserions pas.
Henry avait enlevé cinq agents lycans en tout. Sombre et moi les avions
libérés de leurs chaînes, et les avions reconduits vers la surface. Les loups-
garous ne supportaient pas l’enfermement, et encore moins d’être retenus par des
liens. Les quatre hommes qui avaient été enlevés avaient ressenti le besoin de
muter pour calmer leurs bêtes assoiffées de vengeance. Seule Nora était restée
elle-même, avide de réponses. Ryan lui avait donné les barres de chocolat qu’il
avait emportées pour la route ; elle les dévorait les unes après les autres, sans
doute affamée. Elle n’avait effectivement pas l’air en forme, et semblait avoir
perdu du poids depuis la dernière fois que nous nous étions vues. Je n’osais pas
lui demander ce que lui avait fait subir Henry et les cinglés qui avaient adhéré à
ses idées.
— Nous enquêtions sur Henry, expliquai-je, car nous le soupçonnons d’être
un allié de Marcel Jay White, qui lui-même, semble être le chef des rebelles.
Nous avons trouvé cette planque, et nous avons demandé de l’aide à nos amis
vampiriques pour nous aider.
Nora fronça ses sourcils rouge écarlate et planta ses yeux verts dans les miens.
Son regard était méfiant, ses lèvres serrées en une ligne fine.
— Je t’ai vue neutraliser Johnson d’un simple claquement de doigts, dit-elle
en plissant les paupières, les humains ne savent pas faire ça. Ils ne sont pas
capables de ça.
Dovie, Ryan, Phobétor et moi échangeâmes des regards en coin. Je
m’humectai les lèvres et inspirai profondément avant de me tourner de nouveau
vers elle.
— C’est une longue histoire, affirmai-je en relevant la tête. Beaucoup de
choses ont changé depuis Fredericksburg.
Cette fois, une expression amère traversa furtivement le visage pâle de la
jeune louve, une émotion douloureuse fit briller ses iris couleur forêt. Elle se
reprit rapidement cependant, et redressa le menton fièrement.
— Oui, je suis d’accord. Les choses sont bien différentes de ce qu’elles
étaient à l’époque, reconnut-elle d’une voix qui transparaissait la nostalgie. Je ne
te questionnerai pas sur la manière dont tu es parvenue à stopper Henry, car
finalement cela m’importe peu. Je te remercie simplement de l’avoir fait.
L’agent était sincère, je le sentais, et je le voyais dans la façon dont elle me
fixait. Je compris en l’observant attentivement que quelque chose avait changé
chez elle. Les jours, et peut-être même les semaines qu’elle avait passées entre
les murs de sa cellule avaient modifié un élément dans sa personnalité. Elle allait
sans aucun doute garder des séquelles de son enfermement forcé, et j’en étais
véritablement désolée. Aussi importants qu’eussent pu être nos différends, je ne
lui aurais jamais souhaité de passer entre les mains d’un fou tel qu’Henry.
Personne ne méritait tel châtiment. Et c’était pour cette raison que j’allais
personnellement m’assurer que plus aucun être vivant ne se retrouverait en sa
compagnie.
— Je te serai redevable à vie désormais, ajouta-t-elle.
Je secouai la tête de gauche à droite, et posai une main sur son épaule. Elle ne
la repoussa pas.
— Tu ne me dois strictement rien, lui assurai-je. Le rôle d’une femelle Alpha
est d’assurer le bien-être et la sécurité des siens. Tu fais partie de la communauté
lycane, tu fais partie de la famille. Et on n’attaque pas les membres de ma
famille.
Mes paroles parurent toucher la rousse. Elle hocha la tête et se mordit la lèvre
inférieure, les yeux légèrement humides. Là encore, elle fit de son mieux pour
dissimuler ses sentiments derrière un voile d’assurance qu’elle plaqua sur son
visage. Elle chassa ses larmes d’un battement de cils. Les louves dominantes
étaient beaucoup trop fières pour se laisser envahir par leurs émotions, certaines
voyaient même cela comme un signe de faiblesse.
— Qu’allez-vous faire d’Henry maintenant ? s’enquit-elle. Il n’est pas mort,
je l’ai entendu respirer en bas.
À ce moment-là, Astor, le roi des vampires, arriva dans notre direction après
avoir échangé quelques mots avec l’un de ses hommes qui plaçait les derniers
corps de loups dans l’un des fourgons qu’il avait fait venir. Il s’immobilisa près
de nous et adressa un hochement de tête à Nora pour la saluer avant de se tourner
vers moi.
— Tous les loups du bâtiment ont été évacués, m’apprit-il, il ne reste que
Henry au sous-sol. Nous l’avons installé comme tu nous l’avais demandé.
Je souris.
— Merci pour ton aide, Astor.
Il secoua la tête dans un geste négatif.
— Ne me remercie pas. La rébellion des lycans menace la communauté
surnaturelle tout entière, si nous pouvons t’aider à l’endiguer, alors c’est notre
devoir. Les garous seront enfermés dans un endroit sûr. Personne ne saura rien
de ce qui s’est passé ici aujourd’hui jusqu’à ce que tu décides du contraire.
Ensuite, nous les confirons à ton époux.
J’acquiesçai.
— Très bien. Nous allons interroger Henry, et ensuite nous retournerons à
Springdale pour décider quoi faire. Ce fut un plaisir de vous revoir, toi et ta
famille.
Le vampire esquissa un sourire, il se pencha en avant, et me prit dans ses bras.
Il m’enlaça de longues secondes avant de me relâcher.
— Prends soin de toi Poppy, j’ai hâte que nous puissions rapidement célébrer
l’arrivée du bébé tous ensemble.
Hier soir, alors que nous étions seuls dans son bureau pendant que j’effectuais
mes recherches sur Johnson, j’avais révélé à Astor la vérité sur ma grossesse. Il
avait été étonné, surtout parce qu’il n’avait pas senti que mon odeur avait
changé. Il m’avait avoué, un peu honteux d’ailleurs, que celle de la féline, de
l’humain, et du dieu qui m’accompagnaient, ainsi que celle de l’homme qui
partageait ma vie recouvraient la mienne à la perfection. Il n’avait rien perçu, lui
non plus. Mais il avait posé la main sur mon ventre et fermé les yeux, et après
s’être concentré plusieurs secondes, il avait esquissé un large sourire. « Je sens la
vie », avait-il dit. Astor m’avait félicitée, heureux d’apprendre la nouvelle.
Cependant, je lui avais fait promettre de n’en parler à aucun membre de sa
communauté, car Nick n’était pas encore au courant, et je ne voulais pas qu’il
l’apprenne de la bouche d’un autre que moi. Il me l’avait promis.
— J’ai hâte moi aussi.
Là-dessus, le vampire s’inclina en avant pour saluer tout le monde, puis
tourna les talons, et s’en alla vers ses hommes qui commençaient à prendre la
route.
— Le bébé ? répéta Nora quand il fut parti. De quoi parle-t-il ?
Encore une qui n’a rien remarqué… Décidément.
— Il parle de mon bébé, celui qui grandit en ce moment même dans mon
ventre.
La louve m’étudia attentivement, comme si j’avais dit la pire des idioties. Elle
s’approcha de moi d’un pas et me renifla.
— Je ne sens rien de particulier, si ce n’est l’odeur de la panthère, du
blondinet et du type aux yeux dorés.
— Sombre, s’offusqua l’intéressé, je m’appelle Sombre.
— Comme tu veux, répliqua Nora en balayant son air agacé d’un geste las de
la main. En attendant, je ne sens aucun bébé.
— Mais il est bien là, lui garantis-je, et pour le moment, son existence doit
rester secrète. Je n’ai pas envie que la nouvelle s’ébruite, ni qu’un de nos
ennemis puisse se servir de ma grossesse comme arme contre moi, ou contre
mon compagnon.
La rousse hocha la tête et croisa ses bras contre sa poitrine, ses camarades
lycans revinrent de leur course sous leur forme lupine. Ils se dirigèrent vers nous
et s’arrêtèrent à notre hauteur. Seul l’un d’eux se retransforma pour nous parler
de vive voix. En un concert de craquements d’os, l’immense loup au pelage brun
qui se trouvait en avant des autres devint un homme d’un bon mètre quatre-
vingt-cinq, aux cheveux châtains et aux yeux noirs. Il était entièrement nu, si
bien qu’il me fut impossible de manquer les marques rougeâtres qui striaient son
torse aux muscles saillants. Il avait été violenté, c’était certain, et l’idée me
révulsa.
— Nous allons devoir faire notre rapport à votre compagnon désormais,
énonça-t-il en plongeant ses pupilles froides dans les miennes. Il va falloir que
nous lui expliquions tout ce qui s’est passé depuis que nous avons été capturés.
Les loups-garous qui avaient été faits prisonniers nous avaient expliqué qu’ils
avaient été capturés alors qu’ils enquêtaient sur la rébellion lycane. Plusieurs
d’entre eux étaient parvenus à s’infiltrer dans des réseaux de contestataires aux
quatre coins des États-Unis, envoyés là-bas par les trois Lieutenants en activité.
Mais leurs couvertures avaient été démasquées lorsqu’Henry était parvenu à
pénétrer le système informatique de la Meute du Soleil. Il avait réussi à mettre la
main sur des dossiers confidentiels, fichiers qui contenaient notamment l’identité
de tous les agents lycans dont la société garou disposait. Johnson avait alors
envoyé les noms des agents à ses contacts pour qu’ils restent méfiants. Certains
avaient reconnu dans leurs rangs les agents qui nous faisaient aujourd’hui face.
Ils avaient été livrés manu militari à Henry, qui les avait séquestrés pour tenter
de leur soutirer des infos sur Nick et les actions qu’il comptait mener contre les
rebelles.
Évidement, tous les agents lycans obéissaient aux ordres de mon mari. C’était
à lui qu’ils avaient ordre de rendre des comptes, et c’était assurément ce qu’ils
devaient faire désormais qu’Henry était entre nos mains. Mais il me fallait plus
de temps. Je voulais moi-même prévenir Nick, lui dire comment j’en étais
arrivée à me retrouver ici. Ils ne devaient pas le prévenir tout de suite.
— Non, vous ne pouvez pas prévenir Nick maintenant, m’y opposai-je. La
Meute du Soleil compte peut-être en son sein un traître en ce moment même, ou
plutôt, une traîtresse. Arizona White se trouve sur notre territoire, et elle prétend
vouloir nous aider à capturer son oncle. Or, je n’y crois pas, et ma méfiance ne
m’a jamais fait défaut. Elle pourrait intercepter votre rapport, et Dieu seul sait ce
qu’elle en ferait.
— Elle préviendrait sans doute son oncle, affirma Dovie en montrant les
crocs, et cet enfoiré saurait que nous sommes à ses trousses.
— Ça ne doit surtout pas arriver, repris-je en relevant la tête pour fixer le
lycan fermement. Il est de la plus haute importance que l’opération qui vient de
se jouer ici reste confidentielle. Pour le moment en tout cas. Nick sera bel et bien
informé de ce qui s’est passé, mais uniquement par mes soins, lorsque je serai
sûre qu’aucune oreille mal-attentionnée ne puisse nous écouter.
Le loup-garou serra les mâchoires, un muscle y tressauta vivement. Il n’était
apparemment pas habitué à recevoir des ordres d’une femme, et je n’étais pas
sûre que cela lui plaise.
— Qu’attendez-vous de nous alors ? Vous voulez que nous manquions à nos
devoirs envers notre Alpha ?
Je ne me démontai pas, et inspirai profondément.
— Votre allégeance revient à la société lycane, et à ses représentants,
répondis-je. Nick est votre Alpha, au même titre que moi. Ce qui signifie que je
suis autant votre chef que lui. Aujourd’hui, vous êtes placés sous ma juridiction,
sous mes ordres, c’est donc à moi que vous allez rendre des comptes. Je vous
interdis de prévenir Nikolas sans mon consentement, je le ferai moi-même en
temps et en heure.
— Alors que faisons-nous ? me questionna Nora.
— Vous resterez à l’abri et vous ferez discrets le temps que je retourne à
Springdale pour faire part de nos avancées à mon compagnon. Personne ne doit
vous voir, les prévins-je, et nulle ne doit savoir que vous avez été libérés. Cela ne
ferait qu’alerter les alliés de Johnson, qui comprendront que quelque chose
cloche.
— Nous voulons nous battre, tonna le grand brun en nous laissant entrevoir
les yeux de son loup. Il n’est pas question que nous restions cachés alors que la
bataille finale approche.
— Ce n’est pas ce que je vous demande, rétorquai-je gravement. Vous
participerez à la guerre, c’est votre droit le plus élémentaire, et jamais je ne vous
en déposséderai. Si vous voulez nous rejoindre, alors libre à vous de le faire le
moment venu. Mais en attendant, faites ce que vous savez faire de mieux. Restez
discrets.
Le lycan soutint mon regard durant de longues secondes, les lèvres serrées,
puis opina du chef lentement en signe d’assentiment. Je le remerciai d’un
sourire, et me tournai ensuite vers Sombre.
— Il est temps maintenant que nous allions discuter avec Henry, histoire de
lui tirer les vers du nez, de gré ou de force.
Les iris dorés de la divinité se mirent à luire d’une excitation à peine
contenue. Il esquissa un rictus mauvais qui tordit ses lèvres cruellement. Il avait
aussi hâte que moi de rendre la monnaie de sa pièce à cet enfoiré de première.
— Comment allez-vous pouvoir lui tirer les vers du nez ? s’exclama Ryan,
qui était resté silencieux depuis que nous étions remontés du sous-sol du
bâtiment. Il est complètement H.S. !
Je lui adressai un coup d’œil en coin, et tendis le bras pour lui presser
affectueusement l’épaule. Le pauvre était pâle comme un cachet d’aspirine, il
semblait encore tout retourné de l’assaut que nous avions mené en bas près
d’une heure plus tôt. Il avait tué un loup, il avait pressé la détente de son Glock
et envoyé une balle en argent entre les deux yeux d’un lycanthrope. Ça l’avait
chamboulé, et il n’y avait rien de plus normal à ça. Il allait sans doute lui falloir
un ou deux jours avant de s’en remettre. Ou semaines.
— Oh Ryan, Henry n’est pas H.S., lui dis-je, il est prisonnier du cauchemar
dans lequel je l’ai enfermé. Et c’est là-bas que nous allons nous rendre pour
l’interroger.
Nous laissâmes Dovie, Ryan, Nora et les autres agents lycans patienter à
l’extérieur de la bâtisse pendant que Sombre et moi descendîmes au sous-sol où
nous avions laissé Johnson. Nous traversâmes le couloir au rez-de-chaussée en
silence, j’étudiai en passant les portes de garage qui avaient été ouvertes. À
l’intérieur de ceux-ci se trouvait tout un tas d’armes, mais aussi des vivres, et
certains d’entre eux avaient été aménagés comme des chambres de fortune, avec
des lits superposés. Les hommes d’Henry et lui-même avaient apparemment eu
l’intention de se cacher ici pendant plusieurs semaines, et y vivaient depuis un
moment déjà. Il était on ne peut plus évident que le confort de ses alliés n’était
pas la priorité du trou du cul enchaîné sous nos pieds.
Henry était là où nous l’avions laissé après avoir délivré les agents lycans de
leurs cachots, dans l’un d’eux justement, les deux poignets enchaînés à des
chaînes en argent qui lui brûlaient la peau. Il était inconscient, mais pas mort. Je
l’avais plongé dans un cauchemar tel qu’il allait nous supplier de l’achever une
fois que nous serions face à lui. Mais je n’étais pas d’humeur à me montrer
clémente, et je n’oubliais pas qu’en plus d’avoir fait souffrir un nombre
incalculable de ses semblables, il avait envoyé un humain attaquer Aiden et Seth,
tout cela pour empocher l’argent du fils du roi des vampires. Ça me foutait dans
une rogne telle que je la sentais bouillir en moi comme de la lave en fusion.
Toute cette force que m’offrait ma rage, j’allais m’en servir pour faire couler son
sang, et je me réjouirais devant le spectacle que m’offrirait la chute de ses
larmes.
— Sais-tu comment te rendre dans son esprit ? me demanda Sombre une fois
que nous fûmes dans la cellule de Johnson.
Euh…
Pour le coup, je me sentais particulièrement stupide. J’avais été capable de
faire appel à mes dons pour piéger mon ennemi dans une prison conçue par mes
soins, de repousser ses alliés à l’aide d’une onde de choc qui avait traversé ma
paume, et maintenant, je me retrouvais coincée puisque je n’avais aucune idée de
comment j’allais faire pour pénétrer dans la tête de Johnson. Malheureusement
pour moi, j’avais beau me creuser la tête, je n’avais aucun indice sur la manière
de m’y prendre. J’avais vraiment besoin d’un entraînement.
— Non, avouai-je, je n’en sais rien du tout.
— Une chance que moi, je sache comment faire, n’est-ce pas ? répliqua-t-il en
me donnant un petit coup d’épaule.
Nous échangeâmes un regard en coin, il me pinça la joue tendrement avant de
me prendre la main.
— Je vais t’expliquer comment faire.
— Pourquoi ne pas tout simplement nous y amener ?
Sombre pencha la tête sur le côté.
— Eh bien, c’est toi qui as piégé Henry, c’est donc ta victime, et pas la
mienne. Je ne peux pas violer ton territoire.
— Mon territoire ? répétai-je.
Il acquiesça.
— Eh oui, Henry est enfermé dans ton cauchemar, un cauchemar que tu as
toi-même imaginé. Ce mauvais rêve, c’est ton terrain de jeu, là où tu laisses libre
cours à ta fureur, à toute la noirceur dont tu peux faire preuve. Cet endroit
lointain et reculé, je ne peux pas y entrer sans y être invité par son propriétaire.
C’est toi qui vas devoir ouvrir le passage et me montrer le chemin.
— Comment je m’y prends ?
Sombre ferma les yeux et inspira profondément ; il m’intima de faire de
même. Je m’exécutai sans broncher, avide d’en savoir plus, d’en apprendre plus
sur mes nouveaux pouvoirs. Je voulais les maîtriser, en faire une arme pour
défendre les miens, mon âme-sœur et mon enfant à naître.
— Fais le vide dans ton esprit, Poppy. Tu es parvenue à le faire pour aider
Dovie et Ryan, tu as réussi à canaliser ton énergie pour la propulser hors de ton
corps afin de protéger tes amis. Ce que je veux maintenant, ce n’est pas que tu
projettes ta puissance, c’est que tu la gardes en toi, que tu la ressentes.
Suivant son conseil, je profitai du silence qui s’installa à la suite de sa
déclaration pour écarter de mon esprit tout élément pouvant venir me perturber
dans ma recherche de concentration absolue. Je fis le vide, et ne me concentrai
une nouvelle fois que sur la substance divine qui coulait dans mes veines. Je
pouvais presque la sentir parcourir mon sang, ramper sous ma peau. C’était une
sensation étrange, presque désagréable. Comme si des fourmis s’agitaient sous
mon épiderme pour le chatouiller à chaque fois que je cherchais à l’atteindre, à
la canaliser. Ma température corporelle augmentait dès lors que je me focalisais
sur ma puissance pour la saisir et m’en servir. J’avais l’impression de
m’embraser, de prendre littéralement feu.
Roulant des épaules pour me détendre, j’inspirais et expirais doucement par le
nez pour régulariser les battements rapides de mon cœur, et calmer ma
respiration. Je parvins en quelques minutes à peine à faire le vide complet dans
mon esprit, à rassembler mon énergie en moi sans pour autant la faire jaillir.
Cependant, je n’avais aucune idée de quoi faire avec. Heureusement pour moi,
ce fut à ce moment-là que Sombre reprit la parole, rompant le silence total dans
lequel nous étions plongés.
— Maintenant Poppy, tu vas visualiser dans ta tête le cauchemar où tu as
envoyé Henry, m’intima-t-il d’une voix douce. Tu vas imaginer une porte et tu
vas l’ouvrir pour nous faire entrer dans le rêve. Tu peux faire ça ?
Je ne répondis pas à sa question et à la place, fis apparaître dans mon esprit
une porte noire. Je la vis très clairement sans même avoir besoin d’ouvrir les
yeux. Je distinguai les symboles anciens qui étaient gravés sur sa surface en bois,
la poignée circulaire et surtout, la fine pellicule de poussière noire et dorée qui
l’entourait.
Impressionnée, je m’en approchai timidement et tendis le bras vers elle. Ma
main traversa la poussière et se posa sur la poignée, je l’enserrai entre mes doigts
et la tournai sur le côté pour déverrouiller la porte. Une vive lumière jaillit alors
de son entrebâillement. Elle m’aveugla, me faisant pousser un gémissement
plaintif tant elle était agressive. Je levai un bras devant mon visage pour m’en
protéger et fronçai les sourcils.
— Ouvre les yeux ma douce, m’enjoignit Sombre.
— Je ne peux pas ! plaidai-je. La lumière me brûle les yeux !
— Regarde ce que tu as créé, Evans, et constate la puissance de ton pouvoir.
Soulevant prudemment les cils, je m’attendais à voir ma vision attaquée par
l’éclatante lueur qui s’était échappée de la porte ténébreuse. Mais à mon plus
grand étonnement, il n’en fut rien. À la place, je fus accueillie par une obscurité
partielle. Je n’étais plus dans le cahot de l’entrepôt et, pour être tout à fait
honnête, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais.
Un immense terrain sombre s’étendait autour de nous. Il n’y avait ni ciel, ni
horizon, juste le noir complet à des kilomètres à la ronde. Il faisait froid, tant et
si bien d’ailleurs que ma peau se couvrit d’une multitude de frissons qui me
firent rabattre mes bras contre ma poitrine. La température de cet univers étrange
était si glaciale, que je sentis mes joues me brûler et commencer à rougir. Le sol
sous nos pieds était humide, comme recouvert d’une eau qui reflétait nos visages
et nos corps. J’avais l’impression de me retrouver dans un épisode de Stranger
Things, et j’étais presque prête à me retrouver nez à nez avec un Demogorgon{2}.
Si ce monde avait été créé par mes pensées, il avait sans aucun doute été inspiré
par un épisode de la série Netflix que je ne cessais de regarder avant d’aller me
coucher. Ce qui était sans doute une très mauvaise idée.
Soudain, un hurlement déchira l’air et me fit sursauter comme un chat pris en
flagrant délit de vol. Je me retournai d’un bond, et restai stupéfaite devant le
spectacle qui s’offrait à moi. Sombre se mit à rire en tournant les talons à son
tour. Il posa une main sur mon épaule et me tapota le bras en pouffant.
— Alors ça Poppy, c’est du beau travail ! s’exclama-t-il. Je n’ai jamais vu un
premier cauchemar aussi réussi ! C’est du génie !
Complètement abasourdie par la scène d’horreur qui se déroulait devant nous,
je fus incapable de répondre à son compliment. C’est moi qui ai fait ça ?
À quelques mètres de Sombre et moi se trouvait un homme. Un homme
attaché sur une chaise par des chaînes si solidement accrochées autour de ses
poignets et de ses chevilles qu’elles lui entaillaient la peau et déchiraient ses
vêtements pleins de sang. Il hurlait si fort que ses cris de douleur emplissaient
l’immensité du territoire sur lequel nous nous trouvions. Cet individu était sans
aucun doute Henry Johnson, même si au vu de son état il aurait pu être difficile
de le reconnaître.
Effectivement, alors qu’il était impuissant, réduit à l’immobilité par les
chaînes qui faisaient cuire sa chair, une horde de loups sauvages le dévoraient
vivant. Leurs crocs aiguisés se plantaient dans sa peau et se refermaient sur son
épiderme pour tirer dessus et en faire des lambeaux. Aucune partie de son corps
abîmé n’était épargnée. Jambes, bras, poitrine et visage étaient visés par les
assauts de ces bêtes enragées et assoiffées de sang. Sang qui coulait d’ailleurs à
flots, et qui colorait l’eau sous nos pieds d’une teinte rougeâtre.
Henry Johnson avait fait du mal à ses semblables, il les avait asservis, les
avaient forcés à obéir. Il avait tué, menti, humilié et agressé nombre d’innocents
qui n’avaient rien demandé. Aujourd’hui, la monnaie de sa pièce lui était rendue.
Et une chose était sûre, il n’était pas près d’oublier la leçon.
15
— C’est le bébé qui fait ressortir chez toi tes instincts bestiaux, affirma Nick,
admiratif, en caressant mon ventre tendrement.
— Je t’ai revendiqué Nick, soufflai-je, encore effarée par ce que j’avais été
capable de faire. Je ne savais pas que le bébé pourrait m’influencer à ce point.
J’ai l’impression qu’il est en train de me transformer en bête sauvage.
Et ça me laissait dubitative.
— Il n’a pas le pouvoir de me transformer en louve n’est-ce pas ? ajoutai-je
en tournant la tête sur le côté pour croiser le regard nuageux de mon compagnon.
Allongée sur le dos, sur le canapé en cuir matelassé qui se trouvait dans la
partie « petit salon » du bureau, je ne cessais de m’interroger sur ce qui s’était
passé plus tôt dans la soirée. Nick et moi avions fait l’amour, c’était génial,
bestial, torride, et là, alors que tout était parfait, je m’étais jetée sur lui pour le
marquer de mes dents. Je l’avais mordu, sauvagement mordu, au point de lui
laisser une trace qu’il garderait pour le restant de ses jours. J’avais fait ce que
j’avais toujours cru impossible au vu de ma nature humaine. J’avais Revendiqué
mon âme-sœur, et au fond de moi, mon ego féminin s’en était vu ravi. J’avais
ressenti une satisfaction toute particulière à la vue de la marque qu’avaient
laissée mes dents dans le creux de son cou, et Nick aussi d’ailleurs. Il en était
fier comme un coq. Mais maintenant que l’euphorie était légèrement
redescendue, je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions.
À mon plus grand soulagement, le roux répondit à ma question en secouant la
tête de gauche à droite.
— Le bébé ne te transformera pas en louve, m’assura-t-il. Néanmoins, il
s’agit d’un lycanthrope, il fera donc ressortir chez toi tout ce qu’il y a de plus
animal, et ça ira crescendo jusqu’à ce que tu arrives à terme. Voilà donc d’où
venait le grognement que tu as jeté au visage d’Arizona avant de partir faire des
courses.
Couché contre moi, les bras autour de ma taille, Nick embrassa ma joue
doucement et frotta le bout de son nez contre ma mâchoire. Ses mèches ondulées
aux reflets flamboyants me chatouillèrent le visage. Je souris.
— Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux Poppy, nous allons avoir
un bébé, souffla-t-il, toi et moi.
J’acquiesçai et posai une main sur celle qu’il gardait pressée contre mon
abdomen bombé. Puis soudain, je me rappelai avoir gardé une miniature de
l’échographie que j’avais faite la veille. Je m’extirpai donc de son étreinte,
ignorant ses grognements de désapprobation pour me diriger vers mon sac à
bandoulière que j’avais laissé tomber à l’entrée du bureau. Nue comme un vers,
je m’accroupis au sol et fouillai à l’intérieur pour en sortir la photographie, après
quoi je retournai à ma place et tendis le bras pour allumer le lampadaire qui se
trouvait non loin.
— Tiens, regarde, lui dis-je en me calant confortablement contre son épaule et
en entrelaçant une jambe aux siennes. C’est notre bébé.
Nick s’empara délicatement de l’échographie et l’étudia attentivement, le
regard brillant. Il avait le sourire jusqu’aux oreilles.
— Il est parfait, murmura-t-il en passant son pouce sur la petite photo.
— Et il est en bonne santé, notre futur enfant se porte comme un charme.
À ce moment-là, une expression déçue traversa le visage du garou, qui serra
les mâchoires et fronça les sourcils. Inquiète, je me redressai et posai une main
sur sa joue.
— Quelque chose ne va pas ?
— J’ai loupé la première échographie de mon bébé, répondit-il, j’aurais voulu
être à tes côtés.
Comprenant sa déception, je pressai mes lèvres contre les siennes et frottai
mon nez contre le sien.
— Je suis désolée Nick, moi aussi j’aurais aimé que tu sois là. Mais quand j’ai
eu la confirmation de ma grossesse, j’ai tout de suite foncé à l’hôpital pour
effectuer les tests de base et pour m’assurer que le bébé allait bien. Nous nous
étions disputés, et…
— Ne t’excuse pas Poppy, m’interrompit-il, si je n’avais pas invité Arizona, si
je ne l’avais pas fait entrer dans notre vie, tu serais restée et nous aurions pu
partager ce moment ensemble. Je suis le seul responsable. À l’avenir, je veux
assister à tous les examens médicaux que tu devras faire.
Je fis la moue, et posai ma joue contre ses pectoraux. Son cœur battait
régulièrement dans sa poitrine.
— Ne te fais pas trop de reproches Red, tu es assez tourmenté en ce moment,
inutile d’en rajouter. D’autant que je crois avoir des nouvelles qui vont sans
doute te faire hurler de colère, mais qui arrangeront tes affaires.
Intéressé, Nick m’adressa un regard en coin plein d’interrogations.
— De quoi parles-tu ? me questionna-t-il d’un air suspicieux.
Je soupirai et me serrai une dernière fois contre le corps nu de mon mari. La
détente était finie, il était temps de passer aux choses sérieuses.
— Pas ici, déclarai-je en me relevant, la meute nous attend, et j’ai quelqu’un à
te présenter.
Se relevant sur des coudes, le roux m’observa attentivement lorsque j’allais
récupérer nos affaires éparpillées sur le sol du bureau. Le béton ciré sous mes
pieds était jonché de débris, de documents administratifs et de stylos. Nick n’y
était pas allé de main morte, il avait tout envoyé valser pour moi, pour me
prouver qu’il n’y avait rien de plus important à ses yeux que sa compagne. J’en
étais particulièrement contente.
— Pourquoi je sens que je ne vais pas apprécier ce quelqu’un ? marmonna-t-il
en s’asseyant sur le canapé et en se massant la nuque.
Je revins vers lui, vêtements en main, et lui tendit son pantalon.
— Ne quitte pas cette pièce avec l’optique de détester l’un de mes amis s’il te
plaît, l’implorai-je. Tu verras, tu pourrais même en arriver à le remercier pour les
épines qu’il va t’enlever du pied.
Alors que Nick se relevait pour boutonner son jean, sans avoir pris la peine de
remettre son boxer, il arqua un sourcil sceptique, mais n’ajouta rien qui aurait pu
me contrarier. À la place, il m’étudia de haut en bas lorsque j’enfilai son tee-
shirt.
— J’aime quand tu portes mes vêtements, gronda-t-il en souriant. Cela ne
laisse aucune place au doute concernant ce que nous avons fait pendant tout ce
temps.
Je haussai une épaule désinvolte, et remontai ma culotte le long de mes
jambes.
— De toute façon, nous vivons avec des loups à l’ouïe surdéveloppée, qui
auront probablement entendu chacun de mes cris. Leur odorat tout aussi pointu
ne manquera pas de capter l’odeur du sexe sur nous, et personne ne pourra
passer à côté de la morsure qui décore désormais ton cou. Alors bon, quitte à le
faire, autant le faire jusqu’au bout !
Il sourit, et s’approcha de moi pour encadrer mon visage de ses grandes
paumes.
— Je t’aime Poppy. N’en doute jamais.
Je lui rendis son sourire.
— Je n’en ai jamais douté.
— Bien, ça m’évitera de te donner la fessée pour te réprimander.
Je pouffai, et lui tapai le bras alors qu’il se penchait en avant pour
m’embrasser. Je me hissai sur la pointe des pieds et enserrai ses poignets entre
mes doigts pour caresser sa peau lisse et chaude de mes pouces. Ça faisait du
bien d’être à la maison.
— Allez, trancha-t-il en se séparant de moi, allons-y. J’ai hâte de savoir ce
que tu fais de si horrible pour prétendre me mettre prochainement en rogne.
Après m’avoir asséné une tape sur les fesses, le loup se mit en route et se
dirigea, pieds nus, vers la porte du bureau. Je le regardai s’éloigner en me
mordant la lèvre inférieure, sachant pertinemment que l’envie de sourire allait lui
passer quand il saurait que j’avais bravé le danger sans lui, qui plus est enceinte.
Il n’allait pas être déçu du voyage.
Lorsque nous ouvrîmes la porte d’entrée, Nick et moi eûmes la surprise de
trouver tous les membres de la meute rassemblés en cercle sur le perron. Ils
riaient et parlaient tous en même temps, concentrés sur une chose qu’ils
semblaient tous observer. Je me raclai la gorge pour attirer leur attention.
— Qu’est-ce qu’il y a de si intéressant ? m’enquis-je en faisant un pas à
l’extérieur pour les rejoindre.
Se retournant dans un même geste, les lycanthropes nous observâmes Nick et
moi de haut en bas, les rires cessèrent aussitôt qu’ils remarquèrent la morsure qui
décorait le cou de leur Alpha.
— Eh ben putain, si je m’attendais à ça ! s’exclama Sam haussant les sourcils.
— Je vous avais dit qu’une grossesse faisait ressortir les instincts les plus
primitifs chez une femme ! s’écria Leah en frappant si fermement l’épaule de
son compagnon qu’il en écarquilla les cils. On devient de vraies sauvages !
Fronçant les sourcils, je me tournai vers Ryan, Dovie et Nora rassemblés
derrière l’épaule de Daryl, et penchai la tête sur le côté.
— C’est vous qui les avez prévenus ? supputai-je en constatant que les lycans
étaient au courant pour le bébé, et que Daryl tenait entre ses mains l’une de mes
échographies.
— Tu penses qu’on avait besoin qu’on nous prévienne ? répliqua
immédiatement Loki en croisant ses bras massifs contre son large torse.
Nick se redressa.
— Comment ça ? le questionna-t-il, comme sur la défensive.
Un petit sourire en coin étira les lèvres du Bêta.
— Tu es peut-être dans la lune depuis quelque temps Teller, dit-il, mais ce
n’est pas le cas de tous les loups qui vivent ici. Comment pouvions-nous passer à
côté de l’odeur de Poppy le matin au réveil ? De son ventre qui s’arrondissait de
jour en jour ? De ses sautes d’humeur aussi, se risqua-t-il.
J’ouvris la bouche, et poussai une exclamation outrée.
— Eh ! Je n’ai pas de sautes d’humeur ! mentis-je en faisant la moue.
Je savais pertinemment que c’était faux. Depuis quelques semaines j’étais
capable de passer du rire aux larmes en un clin d’œil, de me montrer patiente
comme un moine ou de hurler à en perdre haleine pour trois fois rien. Une vraie
girouette ! Et évidemment, tous ces symptômes qui auraient dû suffire à me
mettre la puce à l’oreille n’avaient fait que m’orienter vers une fausse piste.
— Poppy, commença Aiden en haussant les sourcils, un matin tu m’as dit
détester les pizzas au chorizo, et le midi du même jour, tu m’as obligé à rouler
jusqu’à Rogers pour t’en acheter une !
— Vendredi dernier, tu as pleuré devant un documentaire sur le monde
aquatique, renchérit Seth, juste parce qu’une rascasse a mangé un crabe !
Nick me gratifia d’un regard moqueur, je lui donnai une tape sur le bras.
— Le crabe cherchait désespérément à se cacher ! Il voulait vivre et il s’est
fait dévorer ! plaidai-je en lui faisant les gros yeux. C’était super triste, OK ? Les
réalisateurs avaient en plus calé là-dessus une musique hyper dramatique !
Les lycans gloussèrent en détournant le regard, je soupirai.
— Pourquoi n’avez vous rien dit ? rétorquai-je alors pour changer de sujet. Si
vous saviez pour moi, pourquoi ne pas nous avoir prévenus ?
Bram sourit de toutes ses dents.
— Et nous priver du plaisir de voir la tête de Nick quand il aurait fini par le
comprendre ? Pas question !
— Tous les matins, nous attendions que tu tiltes, lança Daryl à l’attention de
son ami. Le soir, quand elle rentrait du travail et que son odeur était couverte par
celles des gens avec qui elle avait passé sa journée, nous comprenions que tu ne
fasses pas le rapprochement. Mais le matin ! L’odeur de Poppy était si
significative que nous n’attendions que ta réaction !
Nick gronda, mécontent, et caressa ma joue du revers de la main en plongeant
ses iris dans les miens.
— Je n’ai même pas su voir ce que j’avais juste sous le nez, déplora-t-il d’un
air coupable. Mes pensées étaient si focalisées sur les conflits de la société
lycane, que je n’avais même pas assimilé les modifications de ton parfum. Je
n’ai même pas su interpréter le comportement de mon loup, c’est pour dire !
Je fronçai les sourcils.
— Ton loup ? répétai-je.
Il hocha la tête.
— Cela faisait quelque temps qu’il se montrait plus possessif à ton égard,
expliqua-t-il, qu’il cherchait à te protéger davantage et qu’il me poussait à
combler chacun de tes désirs. Lorsque j’osais te dire non, ou te contrarier pour X
raisons, il montrait les dents et me donnait un bon coup de griffes pour me
réprimander. Je n’ai pas compris ce qui lui prenait, mais maintenant, je sais qu’il
avait compris avant que ce ne soit mon cas que sa femelle portait son petit.
Attendrie par ces révélations, je me rapprochai de mon homme et me lovai
contre lui. Il m’accueillit entre ses grands bras en grognant de contentement. Les
loups-garous étaient bels et bien constitués de deux entités différentes qui
devaient cohabiter ensemble, l’homme et la bête qui vivait en son sein
possédaient deux personnalités dissociables qui ne faisaient pas appel aux
mêmes sens et aux mêmes instincts pour appréhender le monde qui les
entouraient. Bien sûr que Jack avait compris avant sa moitié humaine que sa
compagne portait un bébé, mais cela n’avait pas suffi à Nick, occupé par ses
fonctions de dirigeant lycan, pour s’en apercevoir aussi. Mais comment pourrais-
je lui en vouloir ? Moi-même, j’avais fermé les yeux sur tous les signes que
j’avais eus devant moi, préférant croire à l’arrivée de mes règles plutôt qu’à la
présence d’un bébé dans mon ventre !
Nous faisions un bon couple d’autruches !
— Alors, reprit Walter en se tournant vers moi, quelle tête il a fait quand il a
su ?
Revoyant dans mon esprit le visage étonné de mon mari quand il avait
découvert le pot aux roses, je ne pus m’empêcher de rire. Nick marmonna dans
sa barbe.
— J’aurais aimé avoir un appareil photo pour immortaliser ses grands yeux
ronds et sa bouche grande ouverte ! pouffai-je. C’était à mourir de rire !
— Ouais ouais, grommela l’Alpha alors que ses amis s’esclaffaient. J’ai hâte
de vous y voir vous lorsque votre compagne vous annoncera qu’elle porte votre
chair et votre sang dans son ventre ! Je suis persuadé qu’au moins trois d’entre
vous tourneront de l’œil quand le moment sera venu.
Loki soupira et haussa une épaule.
— Heureusement pour moi, dit-il, je ne suis pas près de devenir père, alors à
la place, je bichonnerai votre petit comme si c’était le mien. Félicitations, bande
de chanceux, ajouta-t-il en tendant la main à son supérieur et ami.
L’Écossais saisit la paume du grand blond, qui l’attira à lui dans une accolade
chaleureuse. Rapidement, tous les membres de la meute vinrent nous prendre
dans leurs bras pour nous féliciter. Aiden s’attarda un peu trop contre moi au
goût de mon mari, qui lui asséna une tape à l’arrière de la tête pour le
réprimander et le forcer à lâcher prise. Le Gamma aimait bien titiller la patience
de mon compagnon, et s’amusait toujours de le voir réagir au quart de tour.
— C’est bon, lâcha-t-il en levant les mains en signe de paix, je te la rends. Je
suis sûr que d’autres bras seront ravis de m’accueillir ce soir de toute façon,
affirma-t-il en jetant un coup d’œil à Dovie.
Tournant la tête pour la première fois de la soirée vers mes amis, Nick fronça
les sourcils et poussa un grognement en découvrant Nora, debout aux côtés de
Dovie et Ryan. Il inspira profondément.
— J’avais bien reconnu ton odeur sur les vêtements de ma compagne,
annonça-t-il d’une voix grave. Que fais-tu ici Nora ? N’étais-tu donc pas
supposée enquêter sur Johnson et ses rebelles ?
La louve ne se démonta pas et hocha simplement la tête. Elle me coula un
regard par-dessus l’épaule du roux.
— Si, c’était d’ailleurs ce que je faisais avant d’être repérée par Henry et ses
hommes, et d’être capturée.
Les hommes réunis sur le perron poussèrent des grondements de
désapprobation. L’un d’entre eux se fit plus virulent. Bram n’était visiblement
pas content.
— Capturée ? répéta l’ancien premier Gamma en serrant les poings.
Elle acquiesça.
— C’est exact, et j’y serais encore si Poppy, Sombre, Dovie et Ryan ne
m’avaient pas sauvée.
À l’évocation du prénom du divin qui avait investi le corps d’un adolescent en
pleine croissance, je pris conscience que, contrairement à mes autres camarades,
je ne l’avais pas dans mon champ de vision. Je tournai sur moi-même et me
contorsionnai dans tous les sens pour essayer de le trouver. En vain.
— Evans, m’interpella Nick sur un ton dont transparaissait la tension qui
raidissait ses muscles, de quoi parle-t-elle ?
Je me tournai vers lui lorsqu’il me saisit le bras pour attirer mon attention. Les
traits masculins de son visage s’étaient durcis. En entendant les propos de Nora,
le mécanisme s’était enclenché dans son esprit, et il commençait à rassembler les
pièces du puzzle. Sans doute avait-il compris que je n’étais pas restée sage les
deux jours où nous avions été séparés et cela, comme j’avais été prête à le parier,
le contrariait fortement. Sa mâchoire contractée et l’éclat féroce qui brillait dans
ses yeux gris en disaient long sur la question. Ça n’allait certainement pas
s’arranger quand il apprendrait toute la vérité sur l’assaut que nous avions mené
chez Henry Johnson…
— Nous devrions sans doute rentrer, lui proposai-je.
— Et nous asseoir, ajouta soudain la voix juvénile de Sombre dans mon dos,
parce que tu risques sans doute de faire un malaise quand tu apprendras ce qu’a
fait ta femme.
Faisant volte-face, je découvris l’intéressé appuyé contre une des baies vitrées
qui donnait sur l’intérieur de la maison. Il avait les bras croisés contre sa
poitrine, et mâchait avec désinvolture une réglisse rouge qu’il avait trouvée je ne
savais où ! Il venait de se téléporter jusqu’à nous, j’en aurais mis ma main à
couper. Mais où était-il allé ?
En guise de réponse, Nick plissa les yeux et gronda en montrant les crocs.
— Je reconnais ton odeur, cracha-t-il entre ses dents, je l’ai sentie à Fergus
Falls.
Un petit sourire fit son apparition sur le visage de Sombre.
— Et tu risques de la sentir encore longtemps, répondit le brun en se décollant
de la paroi transparente contre laquelle il était appuyé. J’ai pas l’intention de
m’en aller avant un moment. Pas tant que ma douce sera en danger en tout cas.
Passant un bras possessif autour de ma taille, Nick m’attira à lui et fusilla son
interlocuteur du regard. Il laissa échapper des vibrations de domination à son
attention. Cela échauffa son Bêta et ses Gammas, qui se mirent à grogner en
signe d’avertissement.
Agacée, je levai les yeux au ciel et soupirai longuement. Moi qui avais
pourtant demandé à mon compagnon de ne pas avoir d’a priori, voilà qu’il
cherchait à intimider un dieu ! On aura tout vu…
— Poppy est à moi, pesta-t-il sauvagement, et sa sécurité est ma priorité. Je
me charge de sa protection.
— Tout doux, Teller, railla Sombre en souriant, dans les prochains jours, tu
risques d’avoir du mal à protéger ta compagne, et à affronter les loups-garous
qui seront bientôt aux portes de ton territoire.
Le lycanthrope en colère se redressa et pencha la tête sur le côté, attentif.
— De quoi est-ce que tu parles ? Et qui es-tu réellement ?
Cette fois, ce fut à mon tour d’intervenir.
— Red, déclarai-je après m’être raclé la gorge, je te présente Phobétor, fils
d’Hypnos et de Nyx, frère de Morphée, et dieu des cauchemars. Et surtout, ami
fidèle et allié de taille.
Relevant la tête pour plonger mes iris dans ceux de ma moitié, je posai une
main sur sa poitrine pour l’apaiser et caressai sa peau, devenue brûlante, de mes
doigts.
— Sombre n’est pas notre ennemi, repris-je en hochant la tête. Alors garde ta
fureur pour Marcel Jay White, parce qu’il arrive à grands pas, et qu’il est prêt à
tout pour réduire notre meute en cendres.
18
Je n’aurais jamais cru que tout finirait ainsi. Que mon secret éclaterait de cette
manière, et qu’il emporterait dans un ras de marée les restes de la relation père-
fils de Nick et Benny. Bien sûr, je n’étais pas sans savoir que si mon compagnon
venait à découvrir la vérité un jour, il chercherait à me venger. Néanmoins,
j’étais persuadée de pouvoir le dissuader si cela venait à arriver. Après tout, je
n’avais cherché qu’à préserver Judy et à protéger la famille Teller d’un tel
scandale. Mais évidemment, les choses ne se passaient jamais comme je les
prévoyais, et ça finissait toujours par me retomber sur le nez. Ou en
l’occurrence, sur celui de Benny, en ce moment même.
Jamais je n’avais assisté à un combat aussi brutal. Les deux bêtes qui
s’affrontaient devant nous s’acharnaient l’une sur l’autre dans des claquements
de dents, des grognements et des jappements animaux terrifiants. L’immense
loup au pelage noir de jais, Jack, semblait cependant avoir l’avantage. Il était
plus vif, plus rapide, et nettement plus en rogne que son homologue au poil roux
et blanc. L’animal de Benny souffrait de plus de blessures que celui de mon
mari, mais restait tout de même debout pour affronter son adversaire jusqu’au
bout.
— Il faut les arrêter ! m’écriai-je, le corps tremblant. Ils vont s’entre-tuer !
Loki, qui me tenait toujours fermement le bras pour m’empêcher d’intervenir,
garda les yeux rivés sur la bataille qui se jouait devant lui. Il effectua un geste
négatif du menton.
— Nick est entré en frénésie totale, répondit-il gravement, il n’entendra pas
raison, quoi qu’il arrive.
Je sentais effectivement que quelque chose avait cédé chez ma moitié. La
barrière qu’il s’efforçait toujours de brandir entre lui et sa fureur bestiale s’était
écroulée, emportant avec elle les restes de sa lucidité. Nick voulait du sang, et
c’était celui de son père qu’il avait décidé de faire couler. D’ailleurs, ça, il le
faisait particulièrement bien !
Le loup noir faisait l’étalage d’une force si colossale qu’elle en était
intimidante. Il émanait de lui une aura dangereuse, inquiétante et sauvage qui
alourdissait l’air, et me faisait tourner la tête. Les vibrations de domination
qu’envoyaient valser dans l’air les deux opposants planaient autour de nous,
palpables. Tant et si bien que chercher à les parer me coûtait énormément
d’énergie. Mon aura cherchait à se protéger de ces assauts violents, et cela ne
faisait que me fatiguer davantage. Une migraine atroce était en train de
s’installer derrière mon front, mes genoux tremblaient, incertains, et le stress qui
envahissait mon corps était si élevé que je commençais à transpirer.
Je n’avais jamais voulu de tout ça. Je voulais que ça s’arrête.
— Faites quelque chose ! suppliai-je les hommes qui s’étaient rassemblés sur
le perron pour s’écarter du combat.
Malgré mon cri de désespoir, personne ne réagit. Je n’obtins qu’un silence
total en guise de réponse. Super les gars, merci !
Redonnant mon attention aux deux mastodontes qui s’affrontaient, je vis que
le loup de Benny était en très mauvaise posture. Nick avait attaqué ses pattes
arrière, avait déchiqueté sa peau de ses dents ; le loup peinait à tenir debout. De
la bave et du sang mélangés s’écoulaient de sa gueule ouverte, il respirait
presque aussi fort que moi !
Sachant son rival en difficulté, la bête noire lui fonça dessus et se rua sur lui à
une vitesse impressionnante. Il referma sa mâchoire sur le col du roux et le
projeta au sol si violemment que le choc me fit sursauter. Les deux animaux
roulèrent dans la poussière, tentant chacun d’avoir le dessus sur l’autre. Le bruit
que faisaient leurs dents qui claquaient m’agressait les tympans, ne faisant que
renforcer mon mal de tête. Je vacillai sur mes jambes, et dus me faire violence
pour ne pas m’effondrer.
Parvenant à clouer son ennemi au sol, Jack se dressa au-dessus de lui en se
servant de ses pattes avant pour le maintenir sur le dos. Il leva l’une d’entre elles
pour abattre ses griffes contre le visage de son père. Ses griffes acérées
déchirèrent la chair de l’autre Alpha, qui poussa un hurlement déchirant, serrant
mon cœur dans ma poitrine et me coupant le souffle. J’aurais voulu hurler avec
lui, obliger Nick à s’arrêter, mais aucun son ne semblait vouloir sortir de ma
gorge. J’étais tétanisée par la violence de ce à quoi j’assistais.
Le sang coula à flots. L’un des yeux du vieux loup avait été sévèrement
touché par les griffes de l’autre combattant, il couinait et jappait en essayant de
se défaire de la prise du loup noir. Sur le dos, Benny était vulnérable, soumis à la
volonté propre de Nick, qui n’entendait pas le laisser partir. Je voyais dans le
regard luisant de bestialité de mon compagnon qu’il voulait le tuer, en finir avec
lui une bonne fois pour toutes.
Ce fut au moment où Nick plongeait sa gueule grande ouverte sur la gorge de
Benny qu’une première secousse violente me plia en deux. Je criai, sans pouvoir
m’en empêcher, et me courbai en deux en me tenant le ventre. Une seconde
crampe suivit rapidement la première, me coupant de nouveau la respiration, me
faisant tomber à genoux. Je serrai mes avant-bras autour de mon abdomen
douloureux. Quelque chose n’allait pas, je ne me sentais pas bien.
Alors qu’une troisième douleur, plus virulente encore que les autres, me
faisait hurler à pleins poumons, je sentis un liquide chaud et visqueux couler
entre mes jambes. Roulée en boule sur le bois du perron, je dus faire de gros
efforts pour baisser le regard afin de constater que mon pantalon en coton était
taché de sang. Une bile remonta le long de ma gorge alors que de grosses larmes
se mettaient à emplir mes yeux. Non, non, non…
Mon ventre se contracta brusquement, me faisant crier et pleurer en même
temps. Loki s’accroupit à mes côtés et, paniqué, chercha quelque chose à faire.
— Poppy ! cria-t-il en posant une main sous ma tête et l’autre sur ma hanche.
Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je peux faire ?
Je n’en avais aucune idée. Et même si j’en avais eu une, je n’aurais en aucun
cas pu lui répondre. Je me tordais de douleur, le ventre si noué que je ne pouvais
m’empêcher de hurler. Le sang continuait de couler entre mes jambes, sans que
je puisse faire quoi que ce soit pour l’arrêter.
Les dents serrées, je fermai les yeux très fort et essayai d’oublier la douleur,
comme pour tenter de la chasser par ce biais. Une série de craquements d’os
retentit au loin et, rapidement, la voix de mon compagnon tonna fortement dans
mon dos.
— Ne remets plus jamais les pieds ici, Benny ! hurla-t-il. Je t’ai épargné cette
fois, mais ce sera la dernière ! Si ton chemin croise de nouveau le mien ou celui
de ma femme, je te tuerai, c’est clair ?
Après ça, des bruits de pas rapides se firent entendre. Je fus littéralement
arrachée du sol et plaquée contre un corps ferme et chaud. Je n’arrivais pas à
rouvrir les yeux, mes bras étaient crispés contre mon ventre, comme si cela allait
empêcher mon bébé de disparaître. Mais il y avait tout ce sang…
— Alexeï ! cria Nick en se mettant en marche.
J’entendis une porte s’ouvrir, puis le son des pas que faisaient ceux de Nick se
fit différent. Nous étions rentrés à l’intérieur de la maison. Je le compris plus
clairement lorsque le lycan me déposa sur une surface moelleuse.
— Qu’est-ce qui se passe ? gronda sauvagement mon homme alors que deux
mains chaudes relevaient mon tee-shirt et se posaient sur mon ventre.
— Vous avez diffusé beaucoup trop d’énergie, expliqua une voix que je
reconnus comme celle du guérisseur. Ses forces ont décliné rapidement, et avec
le stress, cela n’a pas arrangé les choses.
— Je ne veux pas perdre le bébé, haletai-je alors, les joues inondées de
larmes.
C’était inimaginable, pas une seconde fois, pas alors qu’il était si développé.
Il était en bonne santé et ne demandait qu’à vivre, à être aimé. Je l’aimais moi, et
je ne voulais pas qu’il parte.
Le grognement que proféra Nick aurait presque pu faire trembler les murs.
Ses paumes attrapèrent mes avant-bras pour les éloigner de mon abdomen. Je
luttai, mais sa prise fut plus forte que la mienne.
Soulevant de nouveau les cils, je rivai mon regard larmoyant au plafond et
laissai faire le guérisseur. Ses mains diffusaient une chaleur agréable sur mon
ventre et semblaient parvenir à apaiser les crampes. Rapidement, elles
disparurent complètement. J’étais épuisée, mais je refusais de laisser l’obscurité
qui me gagnait m’emporter tant que je ne savais pas mon enfant en vie.
— Alors ? s’impatienta l’Alpha qui serrait fermement ma main dans la sienne.
— Le bébé va bien, assura le Gamma en soupirant, il a puisé dans les réserves
d’énergie de Poppy pour s’accrocher. D’où l’écoulement abondant de sang. Il va
falloir qu’elle se repose pendant plusieurs jours pour récupérer, qu’elle évite tout
stress et tout effort, au risque de perdre l’enfant.
Une main caressa mon front trempé de sueur. Je tournai mollement la tête sur
le côté et croisai le regard de mon mari. Il était furieux, encore sous le coup de
l’adrénaline, et son visage était couvert de sang séché.
— Je suis désolée, m’excusai-je à mi-voix, j’aurais dû te dire toute la vérité
sur ce qu’avait fait Benny.
Les narines du garou se dilatèrent légèrement, ses lèvres se serrèrent un peu
plus alors qu’un éclair de furie traversait ses yeux argentés.
— Tu aurais dû tout me dire, en effet, articula-t-il d’une voix rauque. Ne pas
me mentir.
— Je voulais protéger Judy, m’expliquai-je en sentant ma respiration se faire
de moins en moins rapide. Elle était si triste après ce qui lui était arrivé avec
Hector, que je ne pouvais pas dénoncer Benny, au risque que tu la prives de son
père. Je voulais bien faire.
Nick caressa ma joue aussi tendrement que possible au vu de ses muscles
tendus. Puis il alla poser sa paume sur mon ventre dénudé.
— Je sais. Tu te sacrifies toujours pour les autres, sans jamais te soucier de ce
que tu ressens.
Des larmes glissèrent sur mes joues, mon menton se mit à trembler. Garder un
tel secret n’avait pas été facile et finalement, j’étais soulagée de ne plus l’avoir
sur les épaules.
— Je suis désolée.
— Chut, nous en reparlerons plus tard Evans, quand tu te sentiras mieux.
L’Écossais se releva, passa un bras sous mes genoux et l’autre dans mon dos
pour me soulever. Je ne résistai pas, épuisée, et collai ma joue contre ses
pectoraux pour écouter les battements trop rapides de son cœur. Je n’attendis pas
que nous soyons arrivés dans la chambre pour m’endormir, le sommeil remporta
la bataille bien avant ça.
Ce fut le bruit tonitruant d’une alarme qui me réveilla en sursaut. Le son,
horrible et retentissant, me fit froncer les sourcils et me plongea immédiatement
en état d’alerte. L’alarme ressemblait à celles qui tournaient en boucle dans les
films de zombies, ou en rapport avec l’apocalypse. Mais ici, ce n’était pas une
attaque de morts vivants qu’elle annonçait. C’était le signe que notre territoire
venait d’être violé de force, qu’un intrus, ou plusieurs, venait de s’y infiltrer.
Merde !
Couchée dans le lit, je me redressai avec peine sur mes coudes et allumai ma
lampe de chevet. J’avais les muscles en compote, et si peu d’énergie que les
couvertures me semblèrent peser des tonnes lorsque je les repoussai sur mes
jambes. J’avais été changée et nettoyée, sans doute par les soins de mon
compagnon, qui avait pris la peine de m’emmitoufler dans mon pyjama préféré.
Toute trace de sang avait disparu de mes jambes.
Alors que j’essayais de me lever, la porte de la chambre s’ouvrit à la volée. Je
jetai un regard par-dessus mon épaule pour voir mon compagnon arriver dans ma
direction à grandes enjambées. Lui aussi s’était changé et lavé depuis le combat
qui l’avait opposé à son père. Il portait un jean et un simple tee-shirt blanc.
— Qu’est-ce qui se passe ? lui demandai-je quand il vint me soulever entre
ses bras.
— Marcel attaque notre territoire, gronda-t-il en se dirigeant en courant vers
la sortie. Il a une cinquantaine de loups avec lui.
Inquiète, je gigotai entre ses bras pour qu’il me relâche.
— Comment est-il parvenu à entrer ?
— Une de nos meutes alliées nous a trahis, expliqua-t-il en descendant les
escaliers rapidement, ils sont arrivés avec des fourgons, et lorsque Aiden leur a
ouvert, c’était les hommes de Marcel qui en sont sortis.
— Aiden va bien ? m’enquis-je.
— Oui, je sens encore sa présence à travers le lien de meute, il a muté et
défend le territoire. Benny est parti avec ses hommes depuis plus de deux heures
maintenant, nous n’avons que la meute Sirius avec nous pour nous défendre et
nous sommes en sous-effectif. Logan a déjà envoyé un message à nos alliés pour
qu’ils rappliquent au plus vite. Je vais aller les rejoindre.
Les sourcils froncés, je vis Nick atteindre l’ascenseur qui se trouvait dans le
couloir du rez-de-chaussée, il appuya sur le bouton. Je résistai tant bien que mal
lorsque je compris où il voulait m’amener.
— Je veux venir avec toi ! m’exclamai-je en comprenant qu’il cherchait à me
mettre à l’abri au sous-sol de la maison.
— Pas question, trancha-t-il en entrant dans l’ascenseur quand les portes en
acier s’ouvrirent en deux. Tu n’es même pas en état de marcher par tes propres
moyens. Et tu as entendu Alex, si tu fais le moindre effort dans les jours à venir,
cela pourrait coûter la vie à notre enfant.
— Mais…
— Pas de « mais » Evans. Pour une fois, accepte de rester tranquille, bon
sang !
En quelques secondes, nous arrivâmes au sous-sol où se trouvait la piscine
souterraine. Nous passâmes devant, et nous arrêtâmes devant une double porte
blindée. Nick tapa un code sur le petit boîtier qui se trouvait non loin, et
déverrouilla l’accès au bunker. J’eus la surprise de découvrir que Leah et Hunter
s’y trouvaient, eux aussi. Il se dirigea vers l’un des lits de camp dans un coin de
la pièce et m’y déposa.
— Tu vas rester là avec Leah et le petit Hunter, m’ordonna mon mari en
encadrant mon visage de ses paumes une fois qu’il m’eut installée. Il en va de la
sécurité de notre bébé.
Je secouai la tête de gauche à droite, et m’accrochai à son tee-shirt pour
l’empêcher de partir. Des larmes de rage s’accumulèrent dans mes yeux.
— Tu n’as pas le droit de te servir de la grossesse pour me forcer à rester là,
l’accusai-je, les dents serrées. Je ne veux pas te laisser y aller seul, nous devons
faire ça ensemble.
— Tout va bien se passer Poppy, me promit-il en me regardant en face. Je
serai plus à même de me battre correctement si je vous sais à l’abri, toi et notre
enfant. De plus, tu ne peux rien faire dans ton état, il faut savoir admettre
lorsqu’on est dans l’incapacité de faire quelque chose. Aujourd’hui, tu ne peux
pas te battre. Ça ne fait pas de toi une peureuse ou une lâche, ajouta-t-il en
comprenant que rester cachée pendant que les miens affrontaient le danger me
dérangeait. Ça fait de toi une femme responsable.
Marquant une pause, l’Alpha caressa mes joues de ses pouces et se pencha en
avant pour m’embrasser. J’aurais voulu le retenir, l’empêcher de partir, et cela
par pur égoïsme. Je ne pouvais pas supporter de savoir l’homme que j’aimais en
danger. C’était au-dessus de mes forces.
— Je reviens vite, m’assura-t-il en se détachant. Je t’aime, Poppy.
— Je t’aime aussi, Red. Tu n’as pas intérêt à m’abandonner.
Il colla son front contre le mien et enserra ma gorge d’une main avant de
déposer un autre baiser sur mes lèvres.
— Jamais.
Là-dessus, le lycan se releva et ordonna à Leah de s’assurer que je restais bien
sage. Puis il déverrouilla de nouveau la porte du bunker, et sortit affronter le
danger sans un regard en arrière.
J’aurais voulu crier, hurler à m’en déchirer les tympans, à m’en exploser les
poumons. Mais ça aurait été inutile. J’étais vulnérable, vidée de toute mon
énergie, et il n’y avait rien que je pouvais faire pour changer ça. Bordel de putain
de merde !
— Ne t’inquiète pas Poppy, voulut me rassurer Leah en berçant son enfant
dans ses bras, debout dans un coin de la pièce. Ce n’est pas la première bataille
que la Meute du Soleil affronte. Nous nous en sommes toujours sortis.
Me relevant difficilement, je m’assis sur le lit de camp et posai mes pieds au
sol. Ma vision était légèrement trouble et j’avais beaucoup trop chaud. Je me
passai une main sur le visage et tentai de rassembler mes idées. Que faire ?
— Il faut que je passe un coup de fil à Al, lançai-je alors en me dressant
difficilement sur mes jambes. Nous sommes en sous-effectif, les chasseurs
représenteront une aide supplémentaire en attendant l’arrivée de nos alliés.
Me dirigeant d’un pas lent vers le bureau en métal qui longeait un mur entier
de l’abri, je m’emparai du téléphone satellitaire qui s’y trouvait et composai le
numéro de mon grand-père. Il répondit à la deuxième sonnerie.
— Evans à l’appareil, déclara-t-il rageusement, j’espère que c’est important
parce que j’étais sur le point de mater un match de base-ball.
— Al ! C’est Poppy, on a problème. La meute est attaquée par Marcel Jay
White et ses alliés, nous sommes en nombre limité, et ils sont plus nombreux.
On va avoir besoin de renfort !
Le chasseur poussa un juron. Il allait devoir remettre son match de base-ball à
plus tard. Dommage.
— Bordel de merde, cracha-t-il, tu vas bien au moins ? Le bébé ?
Je soupirai. Dire que j’allais bien aurait été un mensonge, aussi me contentais-
je de dire la vérité.
— Bien, c’est relatif, marmonnai-je, mais je suis en sécurité. Le bébé va bien.
— Parfait, je rameute toute la clique et on se ramène illico. On va utiliser des
amulettes pour distinguer les loups qui ont de mauvaises intentions de ceux qui
nous aident.
Je hochai la tête. Les amulettes magiques réalisées par des sorciers, des
sorcières et des fées étaient toujours d’excellents alliés en temps de crise.
— Bonne idée.
— On arrive Casper, tiens bon.
Al raccrocha. Soulagée, je reposai le téléphone et soupirai un bon coup. Ce fut
à ce moment-là que nous entendîmes des bruits de pas derrière les portes du
bunker, puis le bruit des touches électroniques du digicode. Quelqu’un cherchait
à entrer.
— On vient sans doute nous donner des nouvelles, supputai-je.
Leah, les sourcils froncés, secoua la tête de gauche à droite en serrant son fils
plus fermement contre elle.
— Non, ce n’est pas l’un des nôtres, c’est…
Les portes de la pièce sécurisée s’ouvrirent, déverrouillées par le code. Un
grognement remonta le long de ma gorge lorsque je découvris Arizona White,
accompagnée de deux grands balèzes que je ne connaissais pas, sur le seuil du
bunker.
— Salut Evans, je t’ai manqué ?
Non, je ne dirai pas ça.
— Finalement, j’avais raison, marmonnai-je, tu es bien une putain de
traîtresse.
— Une traîtresse ? fit-elle, faussement offusquée en portant une main à sa
poitrine refaite. Mais pas du tout, j’ai toujours respecté mon allégeance envers
Marcel, le seul qui m’ait jamais vraiment aimée.
Je plissai les paupières.
— Aimée ? répétai-je, perplexe.
Comment pouvait-elle considérer un homme qui l’avait envoyée au casse-
pipe comme la seule et unique personne qui l’avait vraiment aimée ? Ça me
dépassait.
— Il a toujours pris soin de moi. Quand mes parents sont morts dans une
guerre entre deux meutes, c’est lui qui m’a recueillie et qui m’a tout appris.
— Sauf le sens de l’honneur visiblement, crachai-je. Tu arrives encore à te
regarder dans un miroir après avoir trahi ta patrie ? Tes camarades ? Ton Alpha
du Nord ?
— Nick est canon, mais c’est un idiot. Il est comme son grand-père, les Teller
sont tous les mêmes : ils ne veulent le pouvoir que pour eux et refusent de faire
avancer la société lycane.
— Faire avancer la société lycane ? Tu penses que c’est ce que veut ton oncle,
sincèrement ? Marcel Jay White ne veut que le pouvoir, rien de plus. Il œuvre
dans l’ombre, et complote contre sa communauté à l’écart des combats.
La louve montra les crocs et gronda.
— Marcel n’est pas un lâche, pesta-t-elle, les poings serrés. Il est d’ailleurs
présent ce soir, et il compte bien montrer à ton compagnon ce qu’est un vrai
mâle Alpha.
Je penchai la tête sur le côté, je voyais trouble et ma tête tournait un peu. Mais
il était hors de question de lui montrer le moindre signe de faiblesse. Cette
salope n’allait pas s’en tirer comme ça.
— Tu étais là pour semer la zizanie, n’est-ce pas ? compris-je alors. Pour
mettre nos loups à cran, pour récolter des informations sur nous et les filer à
l’enfoiré qui te sert d’oncle, c’est ça ?
Elle sourit. Un sourire amer et mauvais qui ne fit que me donner la nausée.
— Récolter des infos tu dis ? Pour quoi faire ? Nous avions déjà tout ce qu’il
nous fallait grâce à Henry Johnson. Il avait piraté votre base informatique soi-
disant imprenable et avait récupéré tout ce qu’il lui fallait. Les plans de votre
territoire, les codes d’accès du portail, du bunker, de vos coffres forts, les
emplois du temps de vos Gammas et même celui de Nick ! Tout ce que j’avais à
faire, c’était venir ici et brouiller un peu les pistes. Sans oublier de foutre un peu
la pagaille dans ton histoire d’amour avec Nick. Après tout, un loup à cran prend
de très mauvaises décisions, et sa fatigue jouerait contre vous.
Sale pute.
— Comment pouvais-tu savoir pour Benny ? la questionnai-je.
— Vincent Teller en a parlé à un membre du conseil, dit-elle. Il lui a confié ce
que son fils avait fait pendant votre conflit avec Hector, et il s’avère que cet
individu haut placé est un très bon ami de Marcel. Il a pensé que lancer la bombe
au bon moment pourrait nous permettre d’enfoncer le clou. Et ça n’a pas loupé !
Benny et ses troupes en moins, vous étiez vulnérables. C’était le moment parfait
pour attaquer. Profiter de votre confusion à la suite de cette révélation était un
bon moyen pour nous de vous prendre par surprise.
La louve glissa un regard vers Leah, qui tentait de se faire toute petite dans un
coin reculé de la pièce. Le petit Hunter pleurait entre ses bras.
— Et ce soir, vous allez mourir, ajouta-t-elle en se tournant de nouveau vers
moi. Vous allez tous mourir.
La femme leva alors une main, intimant par ce simple geste à ses hommes
d’attaquer. Les deux gorilles se dirigèrent vers nous, l’un vers moi, l’autre vers
Leah.
— N’approchez pas ! hurla la mère de famille, paniquée.
Je levai un bras vers elle et allai me placer entre elle et les deux loups-garous.
S’ils voulaient lui faire du mal, ils allaient devoir me passer dessus avant.
— Je vous conseille de rester où vous êtes, les prévins-je, le cœur battant.
Ils s’immobilisèrent un instant et échangèrent un regard avant de sourire de
toutes leurs dents.
— Et sinon quoi ? lâcha l’un d’eux. Qu’est-ce qu’une humaine comme toi
pourrait nous faire ?
Les poings serrés par la rage, je relevai le menton et fronçai les sourcils. Je
sentis une énergie nouvelle se manifester au creux de ma poitrine. Lointaine,
certes, mais bien présente. Ma vue devint brusquement meilleure.
— Sinon je vous ferai la peau, bande d’enfoirés, répliquai-je en me
redressant.
Ce soir, ni Leah, ni Hunter, ni moi, ni personne d’autre ne mourrait, si ce
n’était bien sûr tous les enfoirés qui accompagnaient White. À commencer par
ces deux cons.
Les loups se mirent à rire grassement. Je me mordis l’intérieur de la joue et
me concentrai sur la chaleur qui réchauffait ma poitrine. La puissance était là,
juste au bout de mes doigts, il suffisait que je la saisisse pour pouvoir les vaincre.
— J’aimerais bien voir ça, ricana l’un d’eux en faisant un pas en avant.
Dans mon dos, j’entendis Leah hoqueter. Elle pleurait silencieusement en
serrant son petit bout de chou dans les bras. Leurs pleurs me donnèrent la force
nécessaire pour rassembler mon énergie. Ainsi, lorsque les deux hommes furent
à ma portée, je levai les deux mains et les braquai juste sous leurs nez.
— Prenez ça les pétasses !
Avant qu’ils n’aient le temps de dire « ouf », une vague invisible mais bien
réelle traversa mes paumes et les envoya valser dans les airs comme des poupées
de chiffon. Ils traversèrent le bunker et s’écrasèrent au sol après avoir
brutalement percuté le mur du fond. L’onde de choc les avait assommés.
— Salope ! hurla soudain Arizona en se jetant sur moi.
Folle furieuse, la grande brune me sauta littéralement dessus et m’attrapa par
les cheveux pour me projeter au sol. Je tombai sur l’épaule, et eus tout juste le
temps de rouler sur le côté pour éviter le poing qu’elle lançait dans ma direction.
Elle disposait d’une telle force qu’elle en abîma le béton, à quelques centimètres
seulement de mon visage. Leah poussa un cri et se laissa glisser le long du mur.
Je ressentais à travers notre lien de meute tout son désespoir. Elle ne pouvait pas
muter pour combattre, pas avec son enfant dans les bras.
— Tu ne vaux rien ! s’époumona la nièce de Marcel en m’attrapant par le col
de mon tee-shirt pour me relever sans effort.
La louve me souleva au-dessus du sol, et me plaqua contre un mur. Elle
entoura ma gorge de ses mains, et serra ses paumes autour de mon cou.
— Les chasseurs sont tous les mêmes ! Des raclures qui méritent de crever
comme des chiens ! Pourquoi ne veux-tu donc pas rester à ta place ?
Tout en vociférant, la jeune femme obstruait de plus en plus ma respiration,
visiblement décidée à me tuer ce soir. Malheureusement pour moi, envoyer
balader les deux idiots m’avait demandé beaucoup d’efforts, rassembler ce qui
me restait de forces n’était pas évident.
— Je vais te crever ! continua-t-elle, les yeux exorbités par la colère.
Levant un bras devant moi, je tentai de la repousser en appuyant sur sa
mâchoire, mais elle campa sur ses positions et continua à serrer. Je n’arrivais
plus à respirer, je sentais le sang affluer vers mon visage et mes poumons se
vider entièrement de leur air. La bouche ouverte, je tentais d’avaler de l’oxygène
sans y parvenir. Mes yeux se remplirent de larmes, non pas de tristesse, mais
uniquement à cause du manque d’air. J’essayais de lui donner des coups de
pieds, en vain.
Alors que je croyais mon destin scellé et que je commençais à voir des étoiles,
j’entendis des mouvements sur ma droite. Hunter pleurait, mais je n’entendais
plus Leah. Puis soudain, un coup de feu retentit, sourd et explosif. La prise sur
ma gorge se défit immédiatement. Je tombai à genoux alors qu’Arizona, elle,
s’étalait de tout son long sur le sol du bunker, un trou sur la tempe.
Libre, j’inspirai profondément, essayant par tous les moyens d’approvisionner
mes poumons d’oxygène. Je relevai la tête en toussant et vis Leah, debout une
arme entre les mains. Elle l’avait récupérée dans une des armoires du bunker et
avait posé son bébé sur un lit de camp pour pouvoir s’en servir. La louve aux
cheveux bruns et aux yeux jade m’avait sauvé la vie et avait pris celle d’Arizona
au passage.
— Bien joué, toussai-je une fois que je fus capable de parler.
— Logan m’a appris à tirer, expliqua-t-elle en venant m’aider à me relever.
Tu vas bien Poppy ? Pitié, dis-moi que ça va !
Remise sur pieds, je me massai la gorge et posai ma main libre sur mon ventre
bombé. Je n’avais pas de crampe, et aucun sang ne s’écoulait entre mes jambes.
Le bébé devait aller bien.
— J’ai connu des jours meilleurs, avouai-je en soupirant. Mais je survivrai. Il
faut que je remonte, Leah, lui dis-je alors, il faut que je m’assure que Nick va
bien.
— Poppy, tu ne peux pas faire ça, répliqua-t-elle en allant récupérer son
enfant pour tenter de calmer ses pleurs. C’est du suicide !
— Je ne peux pas rester ici, insistai-je en me dirigeant vers l’armoire remplie
d’armes. Mon rôle de femelle Alpha est de défendre mon territoire, affirmai-je
en me munissant d’un fusil à pompe. Et c’est bien ce que je compte faire.
22
Pieds nus, en pyjama tartan, les cheveux en pétard et le pas vacillant, je sortis
de la maison après avoir remonté l’ascenseur munie de mon fusil à pompe
chargé à bloc. La porte d’entrée avait été défoncée, sans doute par les gorilles
qui avaient accompagné Arizona. Geste inutile sachant qu’elle n’était pas
verrouillée. Quelle bande d’abrutis !
À l’extérieur de la maison, j’entendis les bruits d’une bagarre lointaine et
violente. Des jappements, des hurlements et des grognements se profilaient au
loin, portés par le vent frais qui soufflait dehors et qui caressait mon visage,
signe que la bataille faisait rage. Je ne perdis pas de temps et descendis les
marches du perron pour m’élancer sur le sentier qui menait au portail. La guerre
devait avoir lieu là-bas.
La terre sous mes pieds était sèche, les cailloux m’écorchaient la peau et je
manquai plusieurs fois de tomber. Mais le désir de porter secours à mes amis, à
ma famille, était plus fort que tout et me poussa à continuer d’avancer. À mi-
chemin, un loup immense sortit des arbres pour se poster devant moi et me
barrer la route. Je m’immobilisai, tentant de savoir s’il s’agissait d’un allié ou
d’un ennemi. Ce n’était pas l’un des membres de la meute, ça c’était certain.
Mais appartenait-il à celle de Mark ? À l’une de nos camarades ?
Avant de pouvoir me poser davantage de questions, l’animal retroussa
dangereusement ses babines et poussa un grondement sourd en courbant ses
épaules musculeuses. La fureur qui transparaissait dans son regard luisant était
sans appel. Celui-là n’était pas l’un des nôtres et il voulait visiblement me
manger toute crue. Oh.
Prenant appui sur mes jambes, j’encrai mes talons dans le sol et détendis mes
épaules pour correctement positionner mon fusil dans sa direction. En voyant le
canon braqué droit devant elle, la bête grogna de nouveau, plus dangereusement
cette fois. J’avalai ma salive et inspirai un grand coup pour faire le vide et me
concentrer sur ma cible. Je détestais tuer, mais si je n’avais pas le choix, alors je
le ferais sans hésiter.
Sans crier gare, le loup se jeta dans ma direction à la vitesse d’un boulet de
canon. Je n’attendis pas plus, et tirai une première fois. Il dévia sur le côté
rapidement, me faisant louper ma cible. J’attrapai le bas de mon fusil et le tirai
en arrière pour recharger énergiquement avant de tirer de nouveau. Les
lampadaires solaires qui statuaient le long du chemin qui menait au portail me
permettaient de percevoir mon ennemi avec clarté. Aussi, quand je compris qu’il
se tortillait de gauche à droite pour esquiver mes balles, je roulai sur le côté
lorsqu’il fut à ma hauteur pour éviter la collision. Les réflexes que j’avais
emmagasinés au cours de ma carrière de chasseuse et des entraînements que je
pouvais avoir à la meute me permirent de me relever rapidement. Je chargeai
d’un coup sec sitôt relevée et cette fois, tirai dans le mile en profitant de
l’égarement de la bête. La balle l’atteignit au niveau de l’épaule, le faisant se
stopper en poussant un hurlement de douleur. L’argent qui s’était logé dans son
muscle le fit tomber au sol, la douleur devait être insupportable.
L’argent était le point faible des lycans. Ce métal brûlait leur chair, faisant
dissoudre leur peau. La mort par l’argent était synonyme de souffrance atroce
pour les loups-garous. Aussi, je chargeai une dernière fois mon fusil à pompe et
visai la tête de l’animal qui se tordait au sol en couinant. La balle, toujours logée
dans son épaule, faisait fondre son muscle, rognait sa chair à vif. Je me mordis la
lèvre inférieure, réticente, mais fis ce que j’avais à faire pour défendre mon
territoire. J’abattis l’ennemi sans sommation, mettant un terme à sa douleur. Je
n’aimais vraiment pas ça, mais en temps de guerre, il était parfois nécessaire de
faire des choses qui nous déplaisaient, nous révulsaient même.
Préférant ne pas me tirailler l’esprit pour l’instant, je me tournai vers le
chemin caillouteux qui s’étendait devant moi. Je pris une profonde inspiration
avant de continuer ma course, bien décidée à aller jusqu’au bout.
La bataille avait effectivement lieu devant le portail, à l’entrée du territoire de
la Meute du Soleil. J’arrivai en son cœur en courant, prête à défoncer le premier
que je voyais s’en prendre aux miens ! Là-bas, des loups s’affrontaient sous leur
forme animale, des cadavres de lycans jonchaient le sol çà et là. J’eus le
soulagement de constater qu’aucun ne m’était familier. Les animaux étaient en
tout et pour tout une bonne soixantaine, si ce n’était plus. Tous se sautaient
dessus et tentaient de s’égorger à coup de griffes ou de dents. Il y avait du sang
par terre, beaucoup de sang. Plusieurs combattants étaient blessés. Parmi eux, je
reconnus le loup blanc de Walter, dont l’une des pattes arrière était sévèrement
abîmée. La bête tenait tête à un autre animal au pelage sombre, qui savait
visiblement où appuyer pour faire mal, un autre vint s’attaquer à lui par-derrière.
— Oh, sûrement pas ! m’écriai-je en le voyant brandir sa patte aux griffes
d’acier pour l’abattre sur l’arrière-train de mon ami.
Braquant le canon de mon fusil droit sur lui, je visai et tirai pour le mettre KO
d’une balle dans la tête. Surpris, plusieurs loups se tournèrent dans ma direction.
Je reconnus le loup rouquin d’Aiden, qui planta ses yeux noisette dans les miens.
Dans un rugissement presque félin, un immense loup gris et blanc se mit à
courir vers moi, sitôt percuté par un autre au poil chocolat. Sam planta ses crocs
dans la gorge de mon assaillant, et l’acheva en lui brisant la nuque d’un coup
sec. Après quoi il se secoua le poil dans tous les sens, et menaça d’un
grognement tous ceux qui oseraient s’approcher. Mon fidèle ami et garde du
corps n’était pas prêt à en laisser un venir par ici. Aussi, je levai mon arme et
profitai de la protection que m’offrait Sammy pour viser un autre mâle qui
mordait le dos crème de la louve de Rebecca. Je pressai la détente et l’atteignis
dans l’épaule. Ça ne le tua pas, mais cela le mit dans une colère noire qui le fit
gronder. Il fondit sur moi.
Malheureusement pour moi, à ce moment-là, un autre loup se jeta sur Sam,
qui riposta sévèrement. Je m’apprêtais à tirer pour abattre l’attaquant de Rebecca
lorsqu’un autre coup de feu explosa dans l’air. La créature tomba sur le flanc,
raide mort. Je me tournai vers le portail pour découvrir Ryan, un fusil de chasse
à la main, suivi de près par une trentaine de chasseurs armés jusqu’aux dents.
— Allez les gars ! Explosez-moi ces petites fiottes ! s’exclama Al en
chargeant son propre fusil à pompe, rempli sans doute de munitions en argent.
Personne ne s’en prend à ma petite fille !
Là-dessus, les traqueurs poussèrent un cri de guerre qui résonna dans la nuit
et se jetèrent avec courage dans la bataille qui faisait rage. Ryan se précipita vers
moi. Nous nous prîmes dans les bras.
— J’arrive pas à croire que tu aies réussi à abattre un loup-garou avec ce fichu
fusil ! m’exclamai-je en le serrant contre moi.
— Ne jamais sous-estimer un meilleur ami en pétard ! J’ai eu peur qu’il te
soit arrivé quelque chose !
Je souris et me détachai de lui.
— Je n’ai pas l’intention de clamser ce soir, ni aucun autre soir ! lui assurai-je
en hochant la tête.
Un rugissement bestial s’éleva alors au-dessus des grognements canins. Une
immense panthère noire au pelage brillant sauta au-dessus de la foule pour
fondre sur un garou qui s’attaquait à Aiden. Elle l’attrapa par la peau du cou et
l’envoya valser contre un arbre rageusement, avant de se jeter de nouveau sur
lui. Ryan et moi restâmes pantois devant la scène qui se déroulait devant nous.
— Dovie me fait flipper, souffla le blond, admiratif.
Je gloussai et relevai mon arme.
— On n’attaque pas le bout de viande préféré d’une métamorphe, lançai-je
avant de prendre une profonde inspiration et d’aller rejoindre mes camarades
chasseurs. Allez viens Ryan ! On a un territoire à défendre !
L’atmosphère était irrespirable. L’odeur du sang, de la bave, les effluves de
domination, de peur, ainsi que les émanations de colère et de rage qui planaient
dans les airs étaient insupportables. Le bruit était assourdissant, si bien d’ailleurs
que réfléchir correctement s’avéra très compliqué. L’adrénaline nous mettait tous
sur les nerfs et faisait des chasseurs comme des loups de véritables machines de
guerre. Entre les coups de feu, les cris, les grondements sourds et les
couinements, je ne savais plus où donner de la tête. Plusieurs loups parvinrent à
me mordre les mollets, jusqu’au sang parfois. Mais je les neutralisai rapidement
avant de leur permettre de faire plus, ou alors, l’un des membres de la meute
venait s’en charger pour moi. Ryan sauva la vie de Seth, attaqué par trois loups-
garous en même temps. Al défendit Daryl quand il se fit assaillir par plusieurs
ennemis en même temps, et Dovie et Aiden ne cessèrent de se sauver
mutuellement la mise, se récompensant de câlins affectifs à chaque fois.
Cependant, malgré l’effusion de sauvagerie auquel nous devions faire face, je
tins bon et ne tremblai à aucun moment devant une cible. Sauver les miens était,
ce soir, une priorité absolue.
Néanmoins, le seul et unique loup que je cherchais, je ne le trouvais nulle
part. Impossible de mettre la main sur un animal au pelage noir. Il n’était pas
mort, je le savais. Je sentais sa fureur à travers notre lien, brutalité sourde qui me
donnait de la force et me permettait de rester sur pieds, mais je ne l’avais pas
dans mon champ de vision. Ce qui m’inquiétait plus que je ne voulais l’admettre.
Je poussai un cri de surprise lorsqu’une mâchoire puissante se referma sur
mon avant-bras, me faisant lâcher mon fusil au sol. Mon os se brisa à la seconde
même ou le loup qui m’avait prise pour cible serra les dents. Je hurlai et me
retrouvai propulsée au sol lorsqu’il abattit ses lourdes pattes sur ma poitrine
douloureuse. Couchée sur le dos, je cherchai à me débattre malgré la douleur qui
me transperçait le bras droit, et bougeai les jambes dans tous les sens pour
chercher à me défaire de la présence du lycan au-dessus de moi. Il était lourd,
trop pour moi. Il lâcha mon avant-bras cassé pour pencher sa gueule béante
dégoulinante de sang et de bave au-dessus de mon visage. Un liquide visqueux
coula sur ma joue ; sa bave était chaude, presque brûlante. J’en eus la nausée.
Alors que l’animal ouvrait grand les mâchoires pour me mordre, une
puissante onde de choc balaya les trois quarts des loups qui se trouvaient devant
l’entrée du territoire. Mon opposant se retrouva arraché de mon corps et fut
envoyé plusieurs mètres plus loin. Je tournai la tête sur le côté, et vis Sombre
faire son entrée, seul, droit et digne. Il marchait calmement, une sucette dans la
bouche, et même dans ce corps d’adolescent, il avait l’air féroce. Ses iris dorés
brillaient dans le noir.
— Personne ne touche à ma douce, éructa-t-il en retirant sa sucrerie d’entre
ses lèvres pour la jeter au sol.
Me redressant difficilement, je constatai qu’aucun des loups de la Meute du
Soleil et qu’aucun chasseur n’avait été touché par l’onde de choc. Pas plus que
certains autres lycanthropes d’ailleurs, qui devaient appartenir à la Meute Sirius.
Tous étaient encore debout, alors que les autres gisaient désormais au sol,
inertes.
— Poppy ! s’écria Ryan en lâchant son arme pour se précipiter vers moi. Ton
bras, putain !
Je n’osais jeter un coup d’œil pour vérifier les dégâts moi-même. Je savais
simplement que cela faisait mal, et que ça pissait le sang. Si bien d’ailleurs que
ça m’en fit presque défaillir.
— Il faut faire un garrot ! cria Dave, un ami chasseur, en retirant la ceinture
de son pantalon.
— Nul besoin de faire une chose pareille, affirma le dieu en venant
s’agenouiller à mes côtés. Je vais me charger de ça. Poppy, laisse-moi te dire que
tu as la fâcheuse manie de te faire briser les os plus souvent que je ne change de
chaussettes.
— Tu ne dois pas changer de chaussettes très souvent alors, plaidai-je en
serrant les dents quand il posa une paume sur mon avant-bras.
— Tu dois avoir les os fragiles, dit-il en ignorant ma remarque.
En moins d’une seconde, plus aucun os ne pointait le bout de son nez à
travers ma chair, et plus aucun sang ne coulait de la blessure. La plaie avait
entièrement disparu.
— Voilà, un bras tout neuf ! railla le frère de Morphée en se relevant.
Le jeune homme m’attrapa sous les aisselles et m’aida à me dresser sur mes
jambes. Je le remerciai d’un sourire.
— Merci.
— Ne me remercie pas, j’ai promis que je veillerais sur toi et je le ferai. Je me
suis rendu sur les trois territoires que je devais investir, déclara-t-il alors, mais
deux d’entre eux étaient vides.
J’acquiesçai.
— Ça ne m’étonne pas, Marcel devait avoir préparé son assaut et demandé à
ses troupes de le rejoindre ici. Quelqu’un aurait vu Nick ? m’enquis-je alors que
plusieurs loups reprenaient forme humaine.
Seth muta. Il était essoufflé et une large plaie striait sa poitrine. Alexeï, qui
avait également repris sa place, marcha jusqu’à lui pour le guérir.
— Il a poursuivi Marcel dans les bois, m’apprit-il. Il ne devrait pas être…
À ce moment précis un gigantesque loup au pelage tricolore franchit la cime
des arbres, suivi de très près par un loup noir massif. Sombre me poussa en
arrière alors que tous les autres loups et chasseurs reculaient pour laisser plus de
place aux deux adversaires. Je compris rapidement qu’il s’agissait de mon mari
et de Marcel Jay White.
— Nick ! criai-je en faisant un pas en avant.
Le loup noir me gratifia d’un coup d’œil furtif, mais ne se laissa pas distraire
de sa cible initiale. Je vis plusieurs entailles sur son poitrail et dans son dos. Une
plaie en particulier attira mon attention et réveilla mon inquiétude. Jack avait un
trou au niveau de l’épaule gauche, un trou de plusieurs centimètres de diamètre
qui pissait le sang par jet. Mon cœur se serra dans ma poitrine.
Nick était fatigué, je le sentais à travers notre lien, il n’en pouvait plus et
commençait à manquer de force. Mais en bon Alpha, il refusait catégoriquement
d’abandonner la partie et avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout de son
combat cette fois. Une vraie tête de mule ! Heureusement, le loup de Marcel
n’était pas en grande forme non plus. Une profonde déchirure faisait pendre sa
babine inférieure, il lui manquait des touffes de poils et son pelage était par
endroit taché de sang frais. Bien fait pour ta gueule, Marcel !
Rattrapant son rival, Nick se jeta sur lui et le cloua au sol. White se débattit,
les deux combattants roulèrent dans la terre pendant plusieurs secondes. Mais
Marcel parvint à se relever plus rapidement que Nick et lui asséna un coup de
patte en plein sur le museau. Je criai le nom de mon compagnon, folle
d’inquiétude, et le vis secouer la tête sous le coup de l’étourdissement. Il gronda,
furieux, et se redressa vivement sur ses quatre pattes pour tenir tête à son vieil
ennemi. Nick, à mon plus grand étonnement, semblait souffrir d’une drôle de
pathologie qui consistait à le rendre plus fort à chaque coup qu’il se prenait !
Habituellement, plus nous prenions de coups et moins nous étions performants.
Avec Nick, c’était tout l’inverse. Plus on le frappait, et plus solide il était sur ses
jambes, ou ses pattes. Un vrai guerrier fait d’acier. Ou alors un fou furieux. À
voir.
Hors de lui d’avoir été atteint par un coup de son adversaire, Nick montra les
crocs et banda ses muscles pourtant déjà bien contractés. Puis il bondit sur ses
pattes puissantes et attaqua son opposant à la gorge. Il le mordit juste sous le
museau et s’amusa à le secouer comme une poupée de chiffon avant de
l’envoyer paître contre un arbre, celui-là même où Dovie avait écrasé l’individu
qui s’en était pris à Aiden. Je compris à ce moment-là, en voyant mon mari
attendre que l’autre se relève, qu’il jouait avec lui, qu’il prenait un malin plaisir à
lui faire savoir que malgré ses tentatives, il ne parviendrait pas à l’abattre. Et que
c’était lui qui sortirait victorieux de son combat. J’en fus si rassurée que je me
laissai tomber au sol, sur les fesses.
— Nick aime bien asticoter ses proies on dirait, railla mon grand-père en
croisant ses bras contre sa poitrine. Vous n’êtes pas âmes-sœurs pour rien, on
dirait !
Non, ça c’est clair…
Jack asticota Marcel pendant encore de longues minutes. Il le mordit, le
griffa, le jeta dans tous les sens et lui lacéra la peau à de nombreuses reprises
avant de véritablement décider de l’achever. Il n’attaqua pour tuer que lorsqu’il
sentit que son ennemi était au plus mal, couvert de sang et soufflant comme un
bœuf. Là alors, le loup noir avança lentement, à la manière d’un prédateur, vers
sa cible immobile. Marcel était à bout de souffle, épuisé, il avait à peine la force
de tenir sur ses pattes. Il était couvert de blessures suintantes et un de ses yeux
était en train de s’affaisser. Il était évident que la partie était finie et qu’il ne
l’avait pas remportée.
Se dressant de toute sa hauteur devant le loup qui avait osé investir son
territoire et trahir les siens, Nick grogna. Il envoya vers son ennemi des
vibrations de domination telles qu’il fut contraint de se soumettre. L’Écossais
faisait payer à Marcel toutes les horreurs qu’il avait pu commettre, et il lui
retirait la dernière chose qu’il pouvait prétendre posséder : sa dignité.
Quand Marcel se soumit à ses pieds, Nick posa une de ses grosses pattes sur
sa tête, se pencha en avant et referma sa mâchoire sur la gorge de l’ancien
Lieutenant de l’Ouest. Je ne détournai pas les yeux lorsqu’il arracha sa jugulaire
dans une explosion de sang. Le combat était fini, et c’était Nick qui l’avait
remporté.
Le loup noir, une fois son ennemi abattu, se tourna vers ses camarades et
renversa la tête en arrière pour hurler à la lune. Une série de hurlements, en
réponse au sien, s’éleva dans le ciel. Même les membres de la meute qui
s’étaient retransformés laissèrent leurs loups parler à travers leurs voix. Je me
relevai avec l’aide de Sombre, et attendis patiemment que la symphonie cesse.
Mon compagnon muta alors, avant de se relever sur ses jambes humaines. Il était
couvert de sang et d’égratignures, mais ça ne m’empêcha pas de courir jusqu’à
lui et de me jeter dans ses bras.
— Je t’avais dit de rester en bas, gronda-t-il en me serrant contre lui, le nez
enfoui dans le creux de mon cou.
Je souris, et retins de justesse les sanglots qui menaçaient de me faire
exploser. La grossesse avait vraiment de drôles d’effets sur moi !
— Depuis quand est-ce que j’écoute ce que tu me dis, murmurai-je en serrant
mes cuisses autour de sa taille nue.
— Je te dis pas la fessée que tu vas prendre, susurra-t-il en mordillant ma
mâchoire.
Je souris.
— Quand tu veux, Red.
Il gronda de satisfaction, et s’écarta légèrement pour plonger son regard dans
le mien. Je passai mon pouce sur ses lèvres pour chasser le sang qui maculait sa
bouche, et me penchai en avant pour l’embrasser. Il m’étreignit plus fermement
afin de répondre à mon baiser, les mains solidement pressées contre mes fesses.
Jamais je n’avais connu de satisfaction plus grande que de le tenir là, contre moi,
après une bataille pareille. Nous étions en vie, tout le monde allait bien.
Alors que Nick faisait glisser sa langue dans ma bouche pour approfondir
notre baiser, un cri retentit au loin. Nous nous séparèrent immédiatement pour
voir Leah courir à toutes jambesvers son compagnon, son bébé dans les bras.
Elle pleurait à chaudes larmes, et avait l’air au bord de la crise de nerfs.
— Logan ! l’appela-t-elle d’une voix d’où transparaissait le désespoir.
— Leah ! répondit-il en s’élançant vers elle à grandes enjambées.
Tous deux se prirent immédiatement dans les bras, leur fils entre eux, et
s’embrassèrent à pleine bouche sans sommation. Je haussai les sourcils, amusée,
et caressai la joue de mon compagnon en souriant.
— Tu as réussi.
— On a réussi, rectifia-t-il. Et désormais, plus personne ne viendra jamais
troubler notre repos, je te le promets.
J’arquai un sourcil, ce soir, j’avais été témoin de la puissance de la Meute du
Soleil et de la détermination dont ses membres faisaient preuve. Jamais je
n’avais vu de telle cohésion entre les membres d’une meute auparavant, et j’en
étais très fière. Je savais qu’à l’avenir, si jamais nous venions à être attaqués,
nous ferions face tous ensemble, soudés comme la famille que nous formions
tous.
— Je n’en doute pas un seul instant.
23
— Tu veux que je t’apprenne à faire cuire des steaks, Al ? gronda Arlene, une
spatule à la main, sous le regard amusé de Daryl et Loki.
— J’ai l’air de pas savoir faire cuire des steaks ? répliqua mon grand-père sur
le même ton. Ce n’est pas de ma faute si le feu ne veut pas prendre !
— Tu t’y prends comme un manche ! Ça fait une demi-heure que tu essayes
de faire fonctionner ce fichu barbecue, et si ça continue, on va tous mourir de
faim ici ! Pousse-toi, et laisse-moi faire !
Ma patronne, une rouquine aux courbes généreuses et aux vêtements
excentriques, bouscula le traqueur pour se charger de l’allumage du barbecue.
Elle le frappa sur l’épaule à l’aide de sa spatule en fer pour le réprimander quand
il grogna, agacé.
— Arlene et Al ne sont pas en couple ? me questionna Sam au creux de
l’oreille en observant les deux chasseurs.
Je me mordis la lèvre inférieure et me tournai vers lui. Expliquer la relation
qu’entretenaient Al et Arlene serait pire que de se risquer à une épreuve de
philosophie. Ils étaient bien ensemble, mais refusaient catégoriquement de se
considérer comme un couple. Pourtant, il était on ne peut plus évident qu’Al
était complètement mordu d’Arlene, et vice versa. Mieux valait ne pas leur poser
de question sur leurs rapports si on ne voulait pas se retrouver avec les deux
vioques sur le dos. Aussi, je ne m’y risquais jamais. De plus, Al était encore
profondément amoureux de ma grand-mère qui, même si elle était décédée
depuis plusieurs années, continuait de vivre dans son cœur. Mettre un mot tel
que celui de « couple » sur la relation qu’il vivait avec la propriétaire du Teddy’s
lui donnait l’impression de tromper sa bienaimée disparue, et ça lui déplaisait
fortement.
— Oui, on peut dire ça, répondis-je en haussant une épaule.
— Tu as devant les yeux le reflet de ce que tu seras avec Nick dans quelques
années, gloussa Ryan, une bière à la main.
Je fronçai les sourcils et lui assénai une tape sur l’épaule. Il se marra de plus
belle.
— Aïe !
— Nick et moi ne nous disputerons jamais pour un barbecue, plaidai-je en
croisant mes bras contre ma poitrine.
— Non, vous serez plus du style à vous battre pour savoir qui se mettra au-
dessus pendant l’accouplement, répliqua le Gamma en ricanant.
Lui et Ryan pouffèrent pendant plusieurs secondes jusqu’à ce qu’un
grognement les arrête net. Nick vint à ma rescousse, fusillant les deux amis du
regard.
— C’est moi au-dessus, intervint-il en passant un bras autour de mes épaules.
Je fronçai les sourcils et levai les yeux vers lui.
— Eh !
— C’est parce que j’aime te regarder quand tu es nue, à ma merci, expliqua-t-
il en se penchant en avant pour m’embrasser.
Notre baiser s’éternisa un peu trop au goût des deux garçons qui
m’accompagnaient, qui décidèrent de s’éclipser pour rejoindre les autres
membres de la meute et les chasseurs rassemblés dans le jardin à l’arrière de la
maison.
— Trouvez-vous une chambre bande de cochons ! s’exclama Sam en
s’éloignant, le sourire aux lèvres.
— C’est aujourd’hui que tu joues les prudes, Peters ? marmonna Nick, les
sourcils froncés.
Je secouai la tête de gauche à droite, amusée, et écoutai les deux amis lycans
se chamailler, pendant qu’Arlene donnait une leçon à Daryl, Loki et Al sur la
manière d’allumer un barbecue.
Finalement, la bataille contre les rebelles s’était soldée par une victoire
écrasante. Grace à la Meute Sirius, aux loups qui nous avaient rejoints ensuite,
avertis par Logan, grâce aux chasseurs, à Dovie et à Sombre nous étions
parvenus à neutraliser tous nos ennemis et à sortir victorieux de ce combat
acharné. Marcel nous avait attaqués avec, dans ses rangs, deux meutes, dont
l’une d’elles était supposée faire partie de nos alliés, ainsi que des métamorphes
solitaires, appâtés par l’argent. Nous les avions tous vaincus, et ceux qui avaient
survécu avaient été arrêtés par les autorités lycanes et attendaient désormais
d’être jugés. Il avait ensuite fallu réveiller tous les lycanthropes que Sombre et
moi avions endormis, afin qu’ils soient remis aux autorités compétentes et
soumis à la loi. En attendant leur procès, les rebelles étaient détenus dans une
prison pour métamorphes sous haute surveillance. J’avais demandé à Nick, qui
présidait le conseil lycan, de ne pas se montrer trop sévère envers les alliés de
Marcel.
Beaucoup avaient suivi le mouvement dans l’espoir de voir leur condition
évoluer. Appâtés par les promesses de White, ils avaient apporté leur allégeance
à un homme qu’ils pensaient tous capable de les aider à s’affranchir de
l’anonymat forcé dans lequel ils étaient plongés. Et au fond, je ne leur en voulais
pas vraiment. Après tout, qui ne désirerait pas être reconnu ? Être considéré
comme un véritable être vivant au lieu d’être perçu par les humains comme une
légende ? Nick avait accepté d’y réfléchir.
Grâce aux loups de la meute de White que nous avions interrogés, nous
avions appris que la vidéo qui avait été confiée aux médias avait bel et bien était
tournée par leurs soins. Marcel avait cherché à semer la zizanie au cœur de la
Meute du Soleil, et à détourner l’Alpha du Nord de la rébellion, pour lui
permettre de prendre par surprise le grand roux. Il nous avait été assuré que le
jeune homme qui se faisait pousser à bout sur la vidéo était encore en vie et qu’il
était parvenu à s’échapper après s’être transformé. Nous étions à sa recherche.
La vidéo avait fait un véritable buzz sur les réseaux sociaux et dans les
médias. Elle avait été expertisée, comme Logan l’avait prévu, et plusieurs
experts en la matière s’étaient rendus sur des plateaux télé pour affirmer qu’elle
était vraie et qu’aucun effet spécial n’avait été utilisé pour la réaliser. Certains
affirmaient que c’était des conneries et que les loups-garous n’existaient pas,
mais une majorité était prête à croire qu’une nouvelle évolution de l’espèce
humaine venait d’apparaître et d’être révélée au grand jour. Bien sûr, les théories
les plus folles circulaient sur le net, et nous nous amusions toujours de les lire.
Mais nous savions que prendre une décision allait être nécessaire. Au vu de ce
qu’il était ressorti des nombreuses réunions auxquelles Nick et moi avions
assisté avec les dirigeants des différentes sociétés surnaturelles, faire éclater la
vérité au grand jour s’avérait être une option grandement envisagée par un plus
grand nombre. Les sorcières et les fées s’étaient même mises d’accord, pour une
fois, pour dire que si cela venait à arriver, les deux espèces seraient là pour
utiliser leur magie et faire passer la pilule plus facilement auprès de la
population. Je trouvais que c’était une très bonne idée et pour la première fois
depuis des centaines d’années, des milliers d’années, nous sentions que le
changement était à notre portée. Et qu’il n’appartenait qu’à nous de faire évoluer
les choses.
Quoi que l’avenir nous réservât, j’étais sereine. Marcel n’était qu’un lointain
souvenir, Arizona aussi, et notre bébé se portait comme un charme. En tout cas,
c’était ce que nous avait affirmé Kaja, qui était venue chez nous une semaine
plus tôt après que nous ayons annoncé la nouvelle de l’arrivée d’un héritier, ou
d’une héritière, à la société surnaturelle tout entière. La sorcière s’était portée
volontaire pour m’accompagner dans ma grossesse et veiller à ma santé. J’avais
évidemment accepté.
Pour fêter la fin de la rébellion et l’arrivée de notre bébé, nous avions
organisé un barbecue sur le territoire de la meute. Tous ceux qui nous avaient
aidés lors de la bataille, y compris les chasseurs, avaient été invités à manger des
steaks et à profiter d’un bon moment en notre compagnie autour d’une table. Le
jardin était bondé, et l’assemblée s’amusait sous un soleil éclatant. À voir tous
les gens que j’aimais réunis au même endroit, je me sentais particulièrement
heureuse. Pleinement comblée.
— Je crois qu’Aiden n’aime pas beaucoup Ryan, constata mon mari en
entourant ma taille de ses bras et en observant son Gamma au loin.
Le blond aux yeux azur dévisageait méchamment l’apprenti chasseur, en
pleine discussion avec la féline. Il serrait sa bouteille de bière si fermement dans
sa main que Seth et Alex préféraient se tenir à distance de peur qu’elle n’éclate.
Je soupirai en appuyant mon dos contre le torse de mon époux.
— Il est jaloux, soupirai-je. Et je sais d’expérience qu’un loup jaloux peut se
montrer particulièrement irritable quand la femelle qu’il convoite se trouve trop
proche d’un adversaire potentiel.
Nick grommela, il se sentait visé.
— Il ne devrait pas être jaloux, il est évident que la panthère en pince pour lui.
Je souris.
— Oui, mais savoir que j’en pinçais pour toi déjà à l’époque t’empêchait-il
d’être jaloux des hommes avec qui je pouvais discuter au Teddy’s ou même à
l’extérieur ? Est-ce que ça t’empêche d’être jaloux maintenant, alors que je suis
ta femme et que je porte ton enfant ?
Comme je m’y attendais, le highlander gronda en me serrant davantage contre
lui. La réponse était non.
— Tu marques un point, m’accorda-t-il.
Je pouffai et me tournai vers Sombre, en pleine discussion avec Dave et Don,
deux amis chasseurs. Le dieu des cauchemars montrait déjà depuis plusieurs
jours des signes de fatigue extrême. Il allait bientôt devoir libérer Marshall de
son emprise pour se trouver un autre véhicule plus à même de l’accueillir, ce qui
signifiait que son temps parmi nous était compté. Je n’avais pas envie de lui dire
au revoir.
— Kaja l’a mis en relation avec un nécromancien, grommela Nick en suivant
mon regard. Ils vont lui concevoir une enveloppe corporelle sur mesure rien que
pour lui, grâce à la magie noire. Cet enfoiré n’est pas prêt de me lâcher les
baskets.
Effectivement, en venant nous rendre visite, Kaja, qui était particulièrement
clairvoyante, avait tout de suite deviné que Sombre n’était pas de notre monde.
Voyant qu’il n’était pas dans un corps adapté à son essence divine, elle avait
proposé de lui faire rencontrer un ami qui pourrait résoudre son problème de
corps. Je ne savais pas trop ce qu’elle comptait faire pour aider Phobétor à rester
un peu plus longtemps parmi nous, et au fond, je n’étais pas certaine de vouloir
le savoir. Tout ce qui touchait à la magie noire me filait les jetons, et pourtant,
j’étais une habituée du métier. Dans le fond, tant que Sombre ne repartait pas
tout de suite pour l’Olympe, moi ça m’allait parfaitement. Je m’étais attachée à
lui et avec le temps, il était devenu un véritable ami qu’il me plaisait de côtoyer
régulièrement.
— Tu ne l’aimes vraiment pas, hein ? supputai-je en me retournant pour faire
face à ma moitié.
Le loup soupira, et planta son regard dans le mien.
— Il est trop familier avec toi, et il semble oublier que tu es ma femme, pas la
sienne, marmonna-t-il d’un ton bougon.
J’arquai un sourcil.
— Je doute qu’il soit passé à côté, répliquai-je, au vu du nombre de fois où tu
lui grognes dessus en affirmant que je suis tienne !
Il fit la moue et me souleva de terre pour me prendre dans ses bras. Je
m’enroulai autour de lui et croisai mes chevilles contre ses reins.
— Je ne peux pas m’en empêcher, dit-il, tu es à moi, et j’aime le faire savoir à
tous.
Je gloussai et me penchai en avant pour l’embrasser. Ses lèvres sensuelles
caressèrent les miennes tendrement. Je souris de contentement.
— Je dois avouer que je suis également on ne peut plus satisfaite de voir la
manière dont les gens dévisagent la belle marque de Revendication que j’ai
laissée dans le creux de ton cou, avouai-je en souriant. Ainsi, plus personne ne
pourra douter de notre union.
Il gronda en fronçant les sourcils.
— Si quelqu’un ose faire une chose pareille, je me chargerai personnellement
de l’égorger.
Il disait vrai. Sa mine sévère en disait long sur la question.
— Alors les garçons ! s’exclama soudainement la voix d’Arlene dans mon
dos. C’est qui la reine du barbecue ?
Jetant un regard par-dessus mon épaule, je constatai qu’Arlene était parvenue
à ses fins et qu’elle avait fini par vaincre le barbecue récalcitrant.
— Nous ne pouvons que nous incliner devant ton savoir-faire Arly, reconnut
Loki en lui adressant un clin d’œil charmeur.
Al leva les yeux au ciel et s’éloigna pour aller se chercher une nouvelle bière.
C’était une belle journée.
— J’ai hâte de connaître le sexe de notre bébé, lança alors mon compagnon en
me reposant à terre.
— Tu serais déçu s’il s’agissait d’une fille ? lui demandai-je en caressant mon
ventre qui s’était arrondi ces derniers jours.
L’évolution du bébé était impressionnante, et mon abdomen en était la preuve
formelle. J’étais désormais affublée d’un ventre rond bien visible sous mes tee-
shirts, et Nick était fier comme un coq de le faire remarquer à tous ceux qui
voulaient bien regarder.
L’homme serra les lèvres et me fusilla presque du regard en posant une main
sur le tissu tendu de la robe rouge à pois blancs que je portais.
— Ne dis pas de bêtises, pesta-t-il. Le plus important pour moi est que cet
enfant soit en bonne santé. Fille ou garçon, ça m’est égal. C’est ma chair et mon
sang, le fruit de notre amour, rien d’autre ne compte.
Satisfaite, je caressai son bras tendrement et me lovai contre lui.
— J’ai hâte de voir à quoi il ou elle ressemblera, soufflai-je. Si le bébé aura
tes yeux ou les miens, s’il sera blond comme moi ou roux comme toi.
— Peut-être un mélange des deux, proposa-t-il.
J’acquiesçai.
— Quoi qu’il en soit, ce sera le plus beau des bébés, j’en suis sûr, déclara-t-il
fièrement. Tu es si belle qu’il ne peut en être autrement.
— Bon les amoureux, vous venez nous aider ! s’écria Daryl en agitant la
spatule en fer que lui avait remis Arlene. Je ne compte pas faire cuire une
quarantaine de steaks tout seul !
Je soupirai et échangeai un regard avec Nick.
— Tu vois Teller, au moins l’avantage de vivre avec des loups, ce sera de
nous exercer au métier de parents. Regarde Daryl, il râle tout le temps, ça nous
fera un bon entraînement pour supporter la future crise d’ado de notre gamin.
— Eh ! s’exclama le premier Gamma, outré. Je vous entends je vous signale,
et je ne suis pas un ado en colère !
Un grand sourire étira mes lèvres. Je descendis les marches de la terrasse et
entraînai mon mari avec moi. Il tirait une tête de six pieds de long, ce qui me fit
exploser de rire.
— Si notre gosse se comporte comme Daryl à l’adolescence, tue-moi, Poppy.
L’assemblée de chasseurs et de loups-garous qui avait suivi la conversation
explosa de rire. Cela ne fit que renforcer la mine grognonne de Daryl, qui gronda
en faisant la moue. Je secouai la tête dans un geste négatif et entrelaçai mes
doigts à ceux de mon âme-sœur.
— N’y pense même pas !
À suivre…
{1}
Hercule Poirot est un personnage de fiction mis en scène par la romancière Agatha Christie dans
plusieurs de ses romans. Une série télévisée du même nom à ensuite été créée, dans laquelle le
détective résout des enquêtes criminelles.
{2}
Le Demogorgon est une créature imaginaire issue de l’univers de la série Stranger Things créée par
Ross Duffer et Matt Duffer.