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Gwen

Wood



Alpha
Le soulèvement
des lycans
Tome 6



DU MÊME AUTEUR

Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 1, coll. FantasyLips, juillet 2018
Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 2, coll. FantasyLips, août 2018
Alpha – Le chant mortel – Tome 2, coll. FantasyLips, septembre 2018
Alpha – L’alliance funeste – Tome 3, coll. FantasyLips, octobre 2018
Alpha – Le sommeil des damnés – Tome 4, coll. FantasyLips, janvier 2019

Alpha – Le pacte de sang – Tome 5, coll. FantasyLips, mars 2019


Alpha – Le soulèvement des lycans – Tome 6, coll. FantasyLips, avril 2019
Alpha – Le masque de la trahison – Tome 7, coll. FantasyLips, mai 2019

Ces livres sont également disponibles


au format papier.

Retrouvez notre catalogue sur notre site


www.lipsandcoboutique.com

Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des comportements de personnes ou
des lieux réels serait utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et événements sont issus
de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant existé serait
totalement fortuite.

© 2019, Lips & Co. Éditions


Collection Fantasylips
Première édition : mars 2019

ISBN : 978-2-37764-373-8

Sous la direction de Shirley Veret
Correction et mise en page : Sophie Druelle
Conception graphique de la couverture : Caroline Copy-Denhez
Illustration de couverture et intérieur : © Angela Harburn
© Smit © Stasia04 © Leonid Ikan


Gwen Wood est originaire d’Occitanie où elle vit encore aujourd’hui dans un
petit village. C’est sa mère qui lui transmet le goût pour les livres dès son plus
jeune âge, développant au fil de ses lectures une préférence pour la fantasy,
mettant en scène vampires et loups-garous.
Durant sa scolarité au lycée, l’envie d’écrire la prend soudainement et devient
vite une véritable passion, si bien que deux mois plus tard, la jeune femme
achève l’écriture de son premier roman.
Suite à la publication de ce dernier sur une plateforme de lecture et d’écriture,
les commentaires des lecteurs nourrissent son envie de progresser et d’aller plus
loin. C’est ainsi qu’elle décide de retravailler son premier texte pour donner
naissance à Alpha : La guerre des loups, premier tome de la saga.

@Gwen Wood - Auteur



Table des matières

1 8
2 19
3 35
4 47
5 62
6 75
7 88
8 98
9 110
10 125
11 138
12 150
13 161
14 182
15 198
16 207
17 228
18 241
19 257
20 279
21 297
22 315
23 328



À Manue,
Une bouffée d’air frais dans ce monde parfois surfait.
Merci pour ton enthousiasme et ton soutien sans faille.



1

— Elle est lourde, bon sang !


Je levai les yeux au ciel et soupirai un bon coup alors qu’Al, plus grognon que
d’habitude, assénait une tape sèche derrière la tête de Ryan, faisant glousser
Dovie Johns comme une enfant.
— Tu veux apprendre le métier, gamin ? éructa le vieux chasseur. Alors
soulève-moi cette arme et arrête de chouiner.
— J’ai bien fait de venir ! me glissa Dovie discrètement en m’adressant un
petit coup de coude. Ce spectacle vaut tous les films que j’aurais pu aller voir
avec Joe au cinéma !
Arquant un sourcil interrogatif, je délaissai la scène qui se jouait devant moi
pour me tourner vers elle. La métamorphe féline aux cheveux noir bleuté ne
manquait rien de ce qui se passait devant elle. Elle suivait l’entraînement de mon
meilleur ami avec attention, guettant impatiemment le moment où Al
s’énerverait encore.
— Tu sors toujours avec Joe ? lui demandai-je, curieuse. Je croyais que c’était
de l’histoire ancienne et qu’il ne faisait pas ce qu’il fallait au pieu.
La jeune femme, qui travaillait au Teddy’s depuis quelques mois, esquissa une
moue boudeuse en haussant une épaule désinvolte. Elle repoussa les longues
mèches sombres qui tombaient devant ses yeux et garda un instant le silence.
— On ne sort pas ensemble, dit-elle, mais disons qu’il dépanne quand j’ai
besoin qu’un homme s’occupe d’assouvir mes pulsions animales. Même si ce
n’est pas le top.
Je m’humectai les lèvres et tentai de masquer le petit sourire en coin que je
sentais naître aux coins de celles-ci.
— Je connais quelqu’un qui s’occuperait de tes pulsions animales avec plaisir,
répliquai-je en souriant malgré moi.
Évidemment, la féline comprit immédiatement de qui je voulais parler et où je
voulais en venir. Elle se mordilla la lèvre inférieure et détourna le regard, les
joues rougies.
Au sein de la Meute du Soleil, personne n’était sans savoir qu’Aiden
Anderson en pinçait pour Dovie Johns, la magnifique panthère noire. Le loup et
l’employée du Teddy’s avaient partagé une nuit après une soirée arrosée passée
au bar pour chasseurs dans lequel nous bossions. Depuis, le Gamma s’absentait
souvent pour lui rendre des petites visites. Dieu seul savait ce qui se passait
réellement entre eux, mais ils se tournaient autour, c’était certain. Seul problème,
d’après ce que je pouvais voir, Dovie n’avait pas l’air tout à fait prête pour une
relation sérieuse. Même s’il était on ne peut plus évident qu’elle était aussi
mordue d’Aiden qu’il l’était d’elle. Il suffisait de la voir le regarder pour le
comprendre. C’était trognon.
Si je pouvais aider mes deux amis à se trouver et à officialiser leur relation
naissante, alors c’était avec grand plaisir que je mettais en avant les qualités du
lycanthrope. Après tout, tout le monde méritait le bonheur !
— Aiden et moi, ça ne mènera à rien, se contenta-t-elle de répondre.
Alors que je m’apprêtais à répliquer, une détonation retentit et m’empêcha de
lui demander davantage d’explications. Nous nous détournâmes l’une de l’autre
et observâmes, quelques mètres plus loin, Ryan qui, tombé sur les fesses, avait
finalement trouvé le courage de presser la détente de son Winchester SX4. Le
recul l’avait propulsé en arrière, il allait lui falloir un peu de pratique pour
manier avec précision un fusil de chasse.
— Tu as manqué ta cible, espèce de crétin ! râla Al en montrant les cannettes
encore toutes alignées qu’il avait disposées un peu plus loin. T’es vraiment un
empoté de première !
— Eh ! J’ai fait de mon mieux, OK ? répliqua le blond en se relevant
difficilement et en rajustant son pantalon tombant. C’est pas de ma faute si cette
arme vise pas droit !
— Il n’y a pas de mauvaise arme, pauvre andouille ! éructa mon grand-père.
Juste des mauvais tireurs ! Et toi, en plus d’être bigleux, tu n’es pas fichu de
tenir un fusil plus de deux minutes sans faiblir, c’est grave quand même !
Secouant la tête de gauche à droite, j’observai un instant les deux hommes se
chamailler entre eux avant de lorgner les alentours. Il faisait chaud aujourd’hui,
et le soleil tapait très fort, haut dans le ciel. Ses rayons plongeaient le terrain
derrière la ferme de mon vieux grand-père dans une lumière vive et estivale.
Nous étions en plein mois d’août, et rien ne semblait pouvoir venir perturber
l’accalmie qui régnait ici. Si ce n’était bien sûr les grognements d’Al ainsi que
les plaintes de Ryan qui s’essayait pour la toute première fois de sa vie au
maniement du fusil. Il s’en était bien sorti avec les flingues, j’étais persuadée
que ça irait aussi avec les Winchester.
Ryan Wallace, après avoir découvert la vérité sur le monde surnaturel auquel
il avait été confronté lors de la disparition de sa sœur, Eryn, avait absolument
tenu à ne pas reprendre le cours de sa vie normale. Et je pouvais parfaitement le
comprendre, qui pouvait continuer à vivre comme si de rien n’était après avoir
été attaqué par un vampire ? Après avoir senti des crocs aiguisés se planter dans
la chair de son cou ? Après avoir frôlé la mort ? La réponse était simple :
personne. Ou alors, il fallait être sacrément doué pour occulter les mauvais
souvenirs, et posséder un putain de self-control ! Mais Ryan, lui, n’avait pas été
capable de passer au-dessus de tout ça pour reprendre ses études de droit. Il avait
préféré s’en éloigner au profit d’une nouvelle profession. Même si l’idée me
plaisait moyen…
J’avais failli m’étouffer avec mon chocolat chaud lorsque, quelques semaines
plus tôt, mon ami m’avait demandé de le former au métier de chasseur.
Évidemment, j’avais refusé. Souvent. Chaque fois qu’il avait relancé le sujet au
cours des soirées que nous avions passées ensemble sur le territoire de la meute,
sous le regard désapprobateur de mon compagnon irrité, j’avais envoyé balader
la possibilité de lui enseigner l’activité. J’avais imaginé un meilleur avenir pour
mon meilleur ami, un futur où il ne serait pas exposé au danger constant que
représentaient les créatures surnaturelles que les chasseurs traquaient. Mais à
force de me supplier et de me servir ses yeux de chat potté tout droit sorti de
Shrek, je n’avais pu refuser plus longtemps, et j’avais cédé. Tu es faible Poppy.
Eh oui, je l’étais.
Malgré mon incapacité à refuser quoi que ce soit à Ryan, j’étais parvenue à lui
soutirer un arrangement. J’étais d’accord pour lui apprendre les rudiments du
métier, mais en contrepartie, il ne devait pas complètement oublier son avenir
prometteur. Parce que, comme je le lui avais appris, la chasse ne rapportait pas
un centime. Et s’il voulait garder son superbe appartement et sa belle bagnole, il
devait penser à mener une activité supplémentaire. Il avait accepté le deal, et
continuait ses études sans pour autant respecter à la lettre son emploi du temps.
Il s’était éloigné de son université, mais continuait malgré tout à la fréquenter de
temps en temps, suffisamment en tout cas pour réussir ses examens. Ainsi, il
pourrait prétendre à un poste dans le cabinet d’avocat de son père et chasser
quand il aurait du temps libre, si l’envie lui disait.
Je n’avais jamais formé personne avant Ryan. Moi-même, j’avais appris le
métier au contact des chasseurs, de mon grand-père et de mon entourage. J’avais
grandi chez des traqueurs, au milieu de traqueurs, donc techniquement, c’était
l’expérience qui avait fait de moi la jeune femme que j’étais aujourd’hui. Mais le
blond, lui, avait évolué dans un environnement particulièrement privilégié, avec
des parents avocats et un grand-père sénateur. Il n’avait jamais connu le sang, la
tristesse et la douleur avant de me connaître, et je n’étais pas certaine qu’il soit
véritablement fait pour tout ça. Cependant, je devais avouer que pour le moment,
il se débrouillait plutôt bien. Bien sûr, il n’avait pas de vampire à tuer ou de
démon à bannir, mais chaque chose en son temps, le combat au corps à corps
était la prochaine étape de son instruction. Et lorsque le moment serait venu pour
lui de se battre, j’avais pas mal de loups ultra-entraînés à la maison pour l’aider à
se perfectionner. Tout comme pas mal de chasseurs volontaires d’ailleurs. On
allait s’éclater.
Pour le moment, Al avait accepté de nous filer un coup de main et c’était lui
qui, depuis plusieurs semaines, apprenait à notre nouvel apprenti à se servir des
armes à feu. Ce qui expliquait que nous soyons rassemblés sur son terrain
aujourd’hui même, et qu’il beuglait comme un forcené après l’étudiant qui
faisait pourtant de son mieux. Mais je devais le reconnaître, tout ça était très
divertissant et nous passions un excellent moment.
Oui, c’était une belle après-midi, que rien ne semblait pouvoir venir perturber.
Sautant sur mes pieds, je m’élançai vers les deux hommes en pleine dispute et
attrapai le fusil que Ryan tenait dans les mains.
— Quand tu manies un fusil, commençai-je en positionnant l’arme contre
mon épaule, il faut que tu essayes d’oublier son poids. Oui, ce n’est pas une
arme légère, mais elle est efficace contre les gros gibiers et les créatures
surnaturelles un peu plus résistantes que les autres. Pour correctement manipuler
ton fusil, il faut que ton épaule droite, là où la crosse sera appuyée, soit bien
creusée de manière à assurer une position stable à ton arme. Tes deux coudes
doivent être ouverts, et ta main gauche, qui soutient le fusil, doit le soulever par
le dessous, le poignet bien ouvert et l’index pointé vers l’avant. Cela te permettra
de diriger le canon dans la bonne trajectoire et de guider le fusil.
Je marquai une pause, pointai l’arme vers les cannettes de soda que mon
grand-père avait placées sur un petit échafaudage de fortune constitué d’une
planche de bois placée entre deux barriques en métal. Je rentrai ma poitrine,
fermai un œil et vins presque coller la crosse du fusil contre ma joue avant de
tirer. La détonation retentit, agressant mes tympans sensibles, le recul fut atténué
par l’os de mon épaule, et j’étais suffisamment habituée à tirer pour que ça ne
me fasse pas de mal. La cannette que j’avais visée explosa, atteinte par une balle
en plein dans sa carcasse métallique. Le soda gicla, arrosant les voisines de la
cannette avec une telle force que je vis l’une d’elles vaciller. J’avais atteint ma
cible, ce qui émerveilla Ryan, qui siffla avec admiration.
— Le tout est de garder une posture assurée, repris-je en me tournant vers lui,
et de faire en sorte de rester maître de tes mouvements. Vois ton arme comme
une extension de toi-même qu’il faut pouvoir diriger avec fluidité. Tu vas y
arriver.
Pressant son épaule pour le rassurer, je lui adressai un sourire encourageant et
lui remis son outil d’expérimentation avant de retourner sur mes pas pour
rejoindre Dovie. La féline était restée sagement assise sur le capot du vieux
tracteur rouge de mon grand-père, elle me tendit sa main pour m’aider à la
rejoindre.
— Eh ben ! Ton mari ne doit pas avoir envie de se retrouver entre toi et un
fusil lorsque tu es en rogne ! dit-elle une fois que je fus installée.
Je souris.
— Il évite de me mettre en rogne d’habitude, admis-je, même s’il le fait
parfois malgré lui. Tu sais, c’est un loup-garou…
La brune leva les yeux au ciel et balaya l’air devant elle avec sa main.
— Ne m’en parle pas, les mâles sont tous les mêmes, surtout ceux qui
possèdent des moitiés animales. Toujours à grogner et à se montrer possessifs et
protecteurs ! Ils n’arrivent pas à comprendre que, même si c’est parfois mignon,
ça peut aussi être casse-pieds !
Mon sourire s’accentua davantage, je me mordis la lèvre inférieure en pensant
à l’Écossais qui partageait ma vie. Il était effectivement un bon exemple du
genre mâle protecteur toujours sur la défensive. Mais c’était un aspect de sa
personnalité qui me plaisait. Il se montrait attentionné, et même s’il possédait
des instincts animaux envahissants, il faisait en sorte de prendre sur lui pour me
laisser plus de liberté et d’indépendance. Et puis, honnêtement, il avait de quoi
se faire du mouron ! J’avais le chic pour me mettre dans de beaux draps et pour
m’attirer des ennuis. Mais heureusement, grâce aux nouveaux dons qui
m’avaient été transmis, j’étais désormais en mesure de me défendre en cas de
problème. Enfin presque…
Effectivement, six mois et demi plus tôt, alors que j’enquêtais sur la
disparition de la sœur de Ryan, qui n’avait en fait pas vraiment disparu, je
m’étais vue confier par une divinité que j’avais aidée dans le passé, une partie de
son essence divine. Ce cadeau m’avait permis de foutre une raclée aux deux
vampires qui m’avaient enlevée, qui avaient bien l’intention de me faire la peau
pour se venger de les avoir démasqués, et pour avoir foutu leurs plans en l’air.
Sombre m’avait conféré une force nouvelle, pleine de surprises, mais depuis, je
n’avais senti qu’à de rares occasions cette puissance m’animer. J’avais parfois
senti une certaine électricité s’accumuler entre mes paumes, parcourir mon corps
tout entier, mais rien d’autre. En fait, je me sentais plutôt normale, pas bien
différente d’autrefois. Même si Nick affirmait que quelque chose chez moi avait
changé, et que mon aura était plus puissante qu’avant ainsi que plus lumineuse,
je me sentais moi-même.
J’étais encore Poppy, et pour le moment, ça me convenait parfaitement.
— Poppy, lança Dovie en me donnant un coup d’épaule pour me sortir de mes
pensées, ton portable vibre dans ta poche.
Fronçant les sourcils, je baissai les yeux sur mon jean et constatai avec
étonnement qu’elle avait raison. J’avais été si absorbée par mes pensées que je
n’y avais même pas fait attention.
Plongeant la main dans ma poche, je fis abstraction des cris qui sortaient de la
gorge de mon grand-père et décrochai sans regarder le nom inscrit sur l’écran.
— Poppy Teller à l’appareil, lâchai-je en me bouchant une oreille.
Un grognement retentit à l’autre bout du fil, son que je reconnus
immédiatement.
— J’adore t’entendre dire Poppy Teller, roucoula une voix grave et suave qui
fit naître de petits frissons le long de mon échine. J’aime l’idée que tout le
monde sache que tu es mienne et que tu portes mon nom.
La jeune femme à mes côtés, qui entendait tout grâce à son ouïe de
métamorphe super-développée, leva les yeux au ciel en souriant. Je souris à mon
tour.
— Ravie de le savoir, répliquai-je en essayant de ne pas penser à la sensation
de plénitude qui m’envahissait à chaque fois que j’entendais la voix rocailleuse
et l’accent torride de mon compagnon.
Cet homme a le chic pour te mettre dans tous tes états, même quand il n’est
pas là !
— Il y a une raison particulière à cet appel, ou tu voulais juste t’assurer que
Ryan gardait ses distances et qu’il avait les mains bien posées sur son fusil ?
Le lycan gronda. Je l’imaginais sans problème serrer les mâchoires et froncer
les sourcils. À ce moment-là, une nouvelle détonation retentit, nous faisant,
Dovie et moi, sursauter de surprise.
— Tu as encore manqué ta cible, bon sang ! s’époumona Al Evans en baissant
les yeux sur Ryan, qui était encore tombé au sol.
Le pauvre allait sans doute se retrouver avec l’épaule bleue d’hématomes. Al
n’allait pas le laisser rentrer chez lui tant qu’il n’aurait pas fait tomber l’une des
cannettes.
— J’en ai frôlé une cette fois ! plaida le cadet des Wallace en se relevant.
C’est encourageant, non ?
Plein d’espoir, mon ami d’enfance se tourna vers moi et haussa les sourcils
haut sur son front, cherchant visiblement mon approbation. Je levai un pouce
vers le haut, ce qui eut le chic de faire râler le chasseur.
— Comme tu l’as sans doute entendu, continuai-je, tu n’as pas de souci à te
faire, les mains de Ryan sont bien sur le fusil, et celles d’Al seront bientôt autour
de son cou s’il ne réussit pas à viser comme il faut alors…
— Il faut que je te parle de quelque chose, Poppy, me coupa le loup
soudainement. Ce serait bien que tu rentres à la maison, pour qu’on discute.
Je cessai immédiatement de sourire et fronçai les sourcils en glissant un
regard en coin à Dovie, qui me le rendit. Elle aussi avait cessé de sourire. Ça ne
sentait pas bon, et quelque chose me disait que l’accalmie était passée, je sentais
les emmerdes venir gros comme une maison !
— J’ai des raisons de m’en faire ? demandai-je calmement.
Le silence s’éternisa sur l’autre ligne pendant quelques secondes de trop, je
sentis mon estomac se nouer à cause de l’appréhension, j’en eus presque la
nausée.
— On en parlera quand tu seras rentrée. Je t’aime Poppy.
Oh oh… Généralement, Nick faisait toujours en sorte de garder ses sentiments
au fond de lui, bien cachés des autres, histoire que ceux-ci ne lui portent pas
préjudice et ne soient pas utilisés contre lui. De ce fait, il ne me faisait
ouvertement part de ce qu’il ressentait pour moi que lorsque nous étions en
privé. C’était donc toujours moi qui prononçais ces trois petits mots en premier,
même s’il y répondait toujours, bien sûr.
S’il se sentait obligé de me rassurer en me disant qu’il m’aimait, ça ne pouvait
rien signifier de bon.
— Je rentre tout de suite, répliquai-je avant de raccrocher.
Cette fois, j’avais la nausée.
— Ça va Poppy ? s’enquit ma voisine en pressant affectueusement mon
épaule.
Non, je n’en suis pas sûre…
— Oui, mais je crois que l’après-midi est finie.
2

J’arrivai sur le territoire de la meute vingt-cinq minutes après mon départ de


chez Al. J’avais roulé les mains crispées sur le volant, l’estomac au bord des
lèvres et le cœur serré dans ma poitrine. J’avais été persuadée que quelque chose
se tramait et que ça n’allait pas me plaire. Il ne s’était rien passé pendant plus de
six mois, les loups et moi avions eu droit à de longues semaines de calme, mais
ça ne durait jamais, et j’étais bien placée pour le savoir.
Au cours de mon existence, j’avais plusieurs fois été confrontée à des
situations de crise qui m’avaient non seulement mise en danger, mais qui avaient
également menacé ceux que j’aimais. J’avais été enlevée, quelques fois, on
m’avait torturée, tiré dessus, j’avais été retenue dans un abri au fond d’une forêt,
enfermée dans un monde fictif, et mordue par un vampire mégalo. À moi seule,
ça en faisait des choses, et s’il m’avait été permis de tirer une leçon de tous ces
événements, c’était que notre vie pouvait basculer en un instant. Ou plutôt, en un
coup de téléphone. Et là, je le sentais plutôt mal ce coup de fil !
Lorsque j’immobilisai ma voiture devant l’immense portail de fer qui
marquait l’entrée du terrain sur lequel avait été installée la Meute du Soleil, je fis
en sorte de masquer mon appréhension derrière un sourire. Je baissai la vitre de
ma portière lorsque Seth, le troisième Gamma, vint taper contre celle-ci. Il était
en faction à la clôture aujourd’hui.
— Salut Evans, lança-t-il, tu as passé une bonne journée ?
Je haussai les sourcils.
— Impec, et toi ?
La moue qu’il esquissa m’en dit long. Tout le monde savait que Seth Graham
détestait rester au portail, il ne supportait pas l’inactivité.
— J’aurais préféré participer au débat pour choisir le nouveau Lieutenant du
Sud, répondit-il, mais c’était mon tour de protéger la maison, alors bon…
Je hochai la tête.
— Je comprends, tu es tout seul ? Aiden n’est pas avec toi ?
Habituellement, les rondes des Gammas se faisaient à deux. Depuis que Nick
avait appris que des rebelles lycans avaient l’intention d’assiéger son territoire
pour tenter de le détrôner, il se montrait plus prudent et refusait que ses hommes
soient seuls au portail en cas d’attaque. Mais plusieurs semaines s’étaient
écoulées, et il ne s’était toujours rien passé. Peut-être avait-il choisi de relâcher
un peu la pression ?
— Nick a pensé qu’il n’était plus trop nécessaire que nous soyons plusieurs
autour du mur d’enceinte, m’apprit-il, confirmant ainsi mon hypothèse. Alors je
suis seul. Aiden n’avait pas envie de me tenir compagnie, il est grognon en ce
moment.
Je me demande bien pourquoi…
— Je vois. Nick m’a demandé de rentrer pour me parler d’un truc, je ferais
mieux d’y aller.
Le visage de l’homme se défit de tout sourire, il recula légèrement et serra les
lèvres. L’inquiétude remonta en flèche.
— Oui, je sais. Tu devrais effectivement y aller.
Je fronçai les sourcils, mais tentais de paraître plus détendue que je ne l’étais.
— Arrête de faire cette tête ou je vais finir par croire que je devrais me faire
du souci, lâchai-je en riant nerveusement.
Seth pencha la tête sur le côté.
— Finalement, je suis plutôt content d’être à la garde du portail aujourd’hui,
répliqua-t-il, je préfère être loin de toi quand ta colère explosera en plein visage
de Nikolas… quand il t’aura appris la nouvelle.
Sans me laisser le temps de le questionner davantage, le loup-garou s’écarta,
rejoignit la cabine attenante au mur de fer, et m’ouvrit le portail pour me laisser
passer. Je restai un instant plantée là, assise derrière le volant à me demander s’il
ne valait mieux pas que je fasse demi-tour. La journée avait si bien commencé !
Je m’étais réveillée aux côtés de mon compagnon, qui m’avait fait l’amour
sauvagement sitôt que nos regards s’étaient croisés, j’avais pris un bon bain, et
avait bien déjeuné avant de partir rejoindre Ryan, Dovie et Al pour son
entraînement. Je n’avais pas envie de me disputer avec Nick, et encore moins de
dire au revoir à ma bonne humeur. Mais la curiosité l’emportant sur le reste,
j’abaissai mon frein à main et m’engageai sur le sentier qui traversait la forêt.
En montant les marches de l’escalier qui menait à l’étage du bureau de mon
mari, je fis défiler dans mon esprit tous les scénarios possibles concernant
l’annonce qu’il voulait me faire. Chacun d’entre eux fit grimper le stress qui
s’accumulait en moi, au point que lorsque je m’arrêtai devant la double porte
blindée qui marquait l’entrée de l’antre de l’Alpha, je dus faire rouler mes
épaules et avaler ma salive avant de la pousser. Je ne toquai pas – je ne le faisais
plus depuis longtemps – et m’engouffrai à l’intérieur de la grande pièce
luxueusement décorée, dans laquelle étaient rassemblés les membres de la
meute.
— Poppy ! s’exclama immédiatement Aiden Anderson en se levant du
fauteuil sur lequel il était assis. Tu es encore plus belle que lorsque tu es partie ce
matin !
Le sixième Gamma me servit un sourire radieux qui aurait suffi à faire fondre
n’importe quelle nana vivant sur la planète Terre, mais malheureusement, celui-
ci ne suffit pas à me détendre. Mon cœur continuait de tambouriner contre ma
poitrine, et mes muscles étaient toujours aussi tendus. Aussi, malgré toute ma
bonne volonté, je ne parvins pas à lui rendre son sourire et esquissai à la place
une grimace tendue.
— Si tu le dis, répondis-je en me raclant la gorge et en jetant un coup d’œil à
Nick.
Nikolas Teller, installé derrière son bureau design en métal, me rendit mon
regard et plongea ses yeux d’un gris nuageux dans les miens. Mon homme était
calme, il le paraissait en tout cas. Ses cheveux cuivrés tombaient légèrement sur
son front, ses joues parfaitement lisses avaient été rasées, il portait un tee-shirt à
manches longues qui mettait parfaitement en valeur sa carrure musclée, taillée
dans la pierre. J’observai un instant ses larges épaules qui semblaient aussi
solides qu’un mur de béton, descendis le long de ses bras puissants et lorgnai
d’un œil attentif ses avant-bras aux veines saillantes. Il n’avait pas l’air en
colère, plutôt détendu même. Il était sexy, terriblement sexy, si bien d’ailleurs
que j’eus soudainement envie d’envoyer valdinguer les dossiers étalés devant lui
pour me jeter sur lui. Je ne l’avais pas vu de la journée et il m’avait manqué.
Il va vraiment falloir que tu penses à calmer ta libido ma vieille ! C’est pas le
moment de penser à lui arracher ses fringues pour le chevaucher comme s’il
s’agissait d’un étalon ! Cet idiot va sans doute te foutre en rogne dans une petite
seconde de toute façon…
— Evans, dit-il d’une voix rauque en me regardant intensément, toi aussi tu
m’as manqué.
Haussant les sourcils, surprise, il me fallut un instant pour me rappeler que
Nick était un loup, et qu’au même titre que ses congénères, aucun de mes
sentiments ne pouvait lui échapper à cause son extrasensibilité. D’autant que
nous étions âmes-sœurs, et qu’à ce titre, nous partagions un lien invisible et
indéfectible qui reliait chacune de nos sensations entre elles. Il n’avait pas
échappé à mon excitation grandissante. Chouette.
Voyant les autres lycans présents ébaucher des sourires en coin, je lissai mon
tee-shirt nerveusement, et relevai le menton pour feindre l’assurance.
— Pourquoi je suis ici, Red ? lançai-je, impatiente de connaître la raison de
son appel mystérieux.
Les sourires se défirent des visages aussitôt mes mots prononcés, Nick
grogna, et intima à ses camarades de sortir de la pièce d’un simple geste du
menton.
— Nous reprendrons cette conversation plus tard, affirma-t-il simplement à
l’attention de ses acolytes.
Loki James, le Bêta aux longs cheveux dorés qui était jusqu’à lors installé sur
le second fauteuil en face du bureau, se racla la gorge en se dressant sur ses
longues jambes musclées. Il se pencha vers son ami.
— Si tu es encore en vie, lui glissa-t-il discrètement, sans que ça ne
m’échappe pour autant.
Retroussant le nez, je fis la moue, et suivis du regard les Gammas s’en aller
les uns après les autres en me lançant des regards compatissants. Sam fut le
dernier à quitter la pièce, il pressa mon épaule en passant à mes côtés, et plongea
ses iris chocolat dans les miennes.
— Oublie pas de respirer Poppy, la respiration, c’est la clé pour parvenir à
garder son calme.
Éloignant une mèche qui me tombait sur le front pour la coincer derrière mon
oreille, le garou me fit un clin d’œil, et s’en alla plus vite que son ombre quand
son Alpha commença à gronder. Lorsqu’il referma la porte dans son dos, je me
tournai de nouveau vers l’Écossais qui n’avait pas bougé, et croisai mes bras
contre ma poitrine.
— Je suis tout ouïe.
Le chef de meute prit une profonde inspiration et se redressa quelque peu.
— Comment s’est passée ta journée ? me demanda-t-il alors.
Je fronçai les sourcils.
— Bien, jusqu’à ce que tu m’appelles, lui avouai-je. Et je ne suis pas plus
rassurée maintenant, tout le monde semble être au courant d’une chose que
j’ignore et qui risque fort de me foutre en pétard. Tu m’expliques ?
La mâchoire de mon interlocuteur se contracta, faisant rouler un muscle sous
la peau lisse. Il soupira, et se laissa couler dans son fauteuil.
— Tu ne veux pas t’asseoir ? me proposa-t-il.
J’étudiai les sièges en cuir qui lui faisaient face un moment et pesai le pour et
le contre un instant. M’asseoir pourrait être utile, pour éviter de tomber à la
renverse en cas d’annonce fracassante, mais rester debout me permettrait de
maintenir une certaine maîtrise de moi et de placer une barrière entre Nick et
moi en cas de choc brutal. Je fis mon choix.
— Non, je préfère rester debout.
L’homme grommela.
— Très bien. Te rappelles-tu de Marcel Jay White ? me questionna-t-il
soudain.
Je serrai les lèvres. Comment aurais-je pu oublier cet enfoiré ?
Marcel Jay White était un loup-garou, et l’ancien Lieutenant de l’Ouest. Il
était également un connard mégalomane anti-humain qui n’avait cessé
d’alimenter la colère des rebelles lycans durant son règne. C’était d’ailleurs ce
qui lui avait valu d’être renvoyé sitôt Nick élevé au rang d’Alpha du Nord ! Et
honnêtement, la société lycane s’en portait pour le mieux.
J’avais rencontré Marcel à Little Rock, en Arkansas, alors que j’enquêtais
avec plusieurs chasseurs sur le meurtre de Dane, mon oncle. White avait
demandé à mon compagnon de s’entretenir avec lui, et bien sûr, Nick n’avait pas
refusé. Nous nous étions donc rendus dans un hôtel où le Lieutenant s’était
arrêté, et c’était là-bas que j’avais eu le déplaisir de faire sa connaissance.
Très vite, Marcel Jay White n’avait pas résisté à me faire part de son dégoût
pour la race humaine, et il avait ouvertement tenté, en ma présence, de dissuader
mon compagnon de s’unir à moi. Pour lui, cette union était une sorte de traîtrise.
Nick tournait le dos à sa race en me revendiquant comme sienne, et surtout, en
refusant d’écouter les activistes garous qui prônait la suprématie lycane. Nick
l’avait mal pris, et il avait été à deux doigts de lui sauter à la gorge pour lui faire
payer ses propos injurieux à mon encontre. Il lui avait donc tourné le dos, lui
affirmant qu’une fois qu’il serait l’Alpha du Nord, il se chargerait
personnellement de lui foutre un coup de pied au cul et de le renvoyer de son
poste. Ce qu’il avait assurément fait.
Depuis, un nouveau Lieutenant était en faction dans la zone Ouest, et nous
n’avions pas eu de nouvelles de White. Mais nous n’étions pas sans savoir qu’il
était un des leaders principaux de la rébellion lycane, et que même si celle-ci
s’était légèrement calmée depuis que Nick était au pouvoir, certains cherchaient
encore à foutre en l’air le système et à révéler au grand jour l’existence des
loups-garous. Au fond de moi, j’avais toujours su que cet enfoiré finirait par
refaire surface pour nous pourrir la vie. Le moment était apparemment venu.
— Bien sûr que je me rappelle de lui, répondis-je finalement. Qu’est-ce qu’il
a fait ?
Nick inspira de nouveau et se leva de son fauteuil. Il se dressa de tout son
haut, fit rouler ses larges épaules et ferma les yeux en se massant la nuque. Je
profitai du fait qu’il ait les paupières closes pour me rincer l’œil, et regarder avec
attention ses muscles saillants onduler sous ses vêtements.
Son corps était puissant, fort, robuste. Il semblait taillé dans la roche même, si
bien qu’à le voir ainsi, rien ne paraissait pouvoir venir l’ébranler, le blesser, le
briser. C’était rassurant de savoir que son mari était aussi bien bâti, surtout qu’en
tant qu’Alpha, que guerrier, il était souvent amené à participer à des combats
pour la défense de ses alliés ou des siens. Je savais qu’il serait difficile à l’un de
ses ennemis de s’en prendre à lui, de le heurter, et ça, ça me donnait envie de
ronronner de satisfaction. Il était à moi et j’en étais fière.
— Il m’a été rapporté que Marcel serait apparemment en train de comploter
contre moi, reprit-il en me ramenant brusquement à la réalité, et qu’il œuvrerait
dans l’ombre avec les rebelles pour s’emparer du titre d’Alpha du Nord.
Le rouquin fit le tour de son bureau, et vint se poster entre les deux fauteuils
en cuir pour appuyer ses reins contre le métal de celui-ci. Il tendit une main dans
ma direction, m’invitant à la saisir. Méfiante, je l’examinai avec attention en me
mordant la lèvre inférieure. L’envie de sentir sa paume dans la mienne était si
forte que je ne résistai pas longtemps avant de glisser mes doigts sur sa peau
chaude, et de les entrelacer aux siens. Il m’attira à lui, et me cala entre ses
cuisses.
— D’après ce que j’ai cru comprendre, continua-t-il une fois que nous fûmes
proches l’un de l’autre, il est déterminé et ne renoncera devant rien pour mettre
fin à mon règne, et prendre le pouvoir de la société lycane. Il pourrait également
être responsable de pas mal des attaques que certaines meutes ont connues dans
la région.
À l’entente de cette déclaration, je fronçai les sourcils et serrai les lèvres de
colère.
J’avais effectivement entendu parler des assauts qu’avaient dû affronter
plusieurs meutes du coin. Pas mal d’Alphas avaient vu leurs territoires être
attaqués par des loups-garous inconnus venant revendiquer la suprématie garou,
et d’après ce qu’il en était ressorti, ces meutes victimes n’avaient pas été choisies
au hasard. Chacune d’entre elles avait ouvertement apporté son soutien à la
nouvelle politique menée par Nick, et chacun des Alphas visés était en fait de
proches alliés de celui-ci. Nous avions mis ces agressions sur le compte de la
colère sourde qui motivait les loups révoltés, et heureusement, les pertes des
meutes alentour avaient été minimes. Les attaquants s’étaient contentés de
mettre à sac les territoires ciblés, et de faire comprendre aux membres des
communautés qu’ils n’étaient pas à l’abri de se faire lyncher à cause de leur
dévotion pour leur haut dirigeant.
Après ça, certains Alphas avaient pris la décision de s’éloigner de la politique,
histoire de protéger les leurs. Mais d’autres au contraire, s’en étaient vus plus
motivés que jamais à prêter main-forte à Nick contre ses opposants.
— D’où tiens-tu ces informations ? lui demandai-je en levant les yeux pour le
regarder en face. Est-ce que ce sont les agents qui travaillent pour toi qui ont
découvert tout ça ?
En tant qu’Alpha du Nord, Nick disposait d’une équipe de loups-garous
formée au combat que l’on appelait des agents lycans. Ceux-ci ne faisaient pas
partie de la Meute du Soleil, et ne faisaient en fait partie d’aucune meute connue.
Ils étaient tous des solitaires, condition qu’ils avaient choisie pour pouvoir
effectuer leur travail en toute discrétion, sans craindre d’être reconnus. Car pour
un agent, il n’y avait rien de plus important que l’anonymat. Ils œuvraient pour
démasquer les complots, infiltraient des réseaux, et traquaient les lycans et autres
créatures qui menaient à mal leur communauté. C’était souvent grâce à leur
travail que des catastrophes pouvaient être évitées, notamment ces derniers mois
avec la rébellion.
Nick se raidit soudainement, il s’humecta les lèvres et posa une main sur ma
joue pour caresser ma peau du pouce.
— Non, ce ne sont pas mes agents qui m’ont appris la nouvelle, commença-t-
il calmement, c’est grâce à Arizona White.
Je fronçai les sourcils et soutins son regard. Pourquoi est-ce que je sentais que
la suite de cette conversation n’allait pas me plaire ?
— Arizona White ? répétai-je. White comme, Marcel Jay White ?
Le highlander hocha la tête.
— Arizona est la nièce de Marcel.
Cette fois, je compris immédiatement pourquoi tout le monde m’avait mise en
garde, et surtout, pourquoi on m’avait conseillé de bien respirer et de rester
calme. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Je sentis rapidement mon cœur
se mettre à battre plus vite, et la colère grimper en flèche.
Je n’avais jamais rencontré Arizona White, ni même entendu son nom. Mais
Nick avait déjà évoqué la nièce de Marcel, il l’avait fait quelques jours après le
rendez-vous que nous avions eu avec l’ancien Lieutenant de l’Ouest. Et cela
pour une raison simple : parce que je lui avais demandé des explications après
que Marcel eut affirmé que Nick avait failli s’unir à sa nièce.
Nick avait décidé de me Revendiquer quatre ans après notre première
rencontre. Il avait fallu que nous travaillions ensemble sur le meurtre d’un de ses
loups pour qu’il comprenne qu’il ne pouvait plus se passer de moi. Il avait tardé
à me faire sienne, et ça en raison des réticences que son grand-père, alors Alpha
du Nord, lui avait exposées concernant notre union. Il avait préféré me mettre à
l’abri, et évoluer dans sa carrière de Lieutenant avant de se lancer. Finalement,
tout était bien qui finissait bien puisque nous étions mariés, heureux, et prêts à
défoncer toutes les barrières qui pouvaient se dresser entre nous. Mais il avait
bien failli ne pas en être ainsi, puisque Nick m’avait avoué que sa vie aurait pu
prendre une tout autre tournure s’il ne m’avait pas Revendiquée comme sienne.
Il était très courant au sein de la communauté lycane d’organiser des unions
arrangées dans le but d’unir deux meutes, ou de s’assurer des alliances
puissantes. Par un exemple, un Alpha pouvait choisir de marier sa fille au fils
d’un autre Alpha et ainsi de suite pour que les deux meutes s’allient. Ainsi, en
cas de combat entre loups-garous, les deux meutes pourraient se prêter main-
forte.
Bien sûr, Nick était déjà à l’époque un loup convoité, un morceau de choix
pour les jeunes louves en quête de pouvoir et les pères à la recherche d’une
alliance puissante. Quoi de mieux pour l’un d’eux que d’unir sa gamine au futur
Alpha du Nord ? Les hommes de la famille Teller, et plus particulièrement mon
compagnon, étaient des spécimens hors normes. Fort, vigoureux, dominant à
souhait, Nick attirait les filles comme des mouches, et même encore aujourd’hui
alors que nous étions mariés. Évidemment, le fait qu’il soit célibataire à ce
moment-là avait grandement intéressé Marcel Jay White, qui avait vu en ce
célibat une occasion de se le mettre dans la poche et de s’assurer une vie
prospère. Il avait donc proposé la main de sa nièce à mon homme, qui, comme il
me l’avait admis, avait sérieusement réfléchi à la question.
Il avait failli accepter, mais il me connaissait déjà à ce moment-là, et il savait
que j’étais son âme-sœur même s’il ne me l’avait pas avoué. N’ayant pu aller
contre la nature elle-même, il avait fini par refuser la proposition de White, pour
à la place, faire appel à moi pour la mort de Steven aka Jake Scott.
Apprendre une telle chose m’avait rendue furieuse, et folle de jalousie.
Imaginer que Nick aurait pu me glisser entre les doigts à cause d’une alliance
entre meutes m’avait foutue dans une colère noire, et le fait qu’il avait envisagé
d’accepter un tel arrangement m’avait poussée à le priver de sexe pendant deux
jours. Mais à sa décharge, nous n’étions ni en couple, ni mariés lorsqu’il avait
considéré la question d’une union arrangée, alors ma colère était passée, et
j’avais avancé sans plus jamais me soucier de cette fichue nièce qui avait bien
failli se retrouver à ma place.
Mais alors que je croyais que mon compagnon n’avait, lui non plus, plus
jamais entendu parler de cette fille, voilà qu’il me reparlait d’elle aujourd’hui.
Avait-il gardé le contact pendant tout ce temps ?
— Arizona White hein, dis-je, tendue, celle avec qui tu étais presque prêt à
t’unir, c’est ça ?
Reculant d’un pas pour mettre de la distance entre nous, je lâchai la main du
mâle et croisai mes bras contre ma poitrine en affrontant son regard qui se fit
plus dur. Nick grogna quand je m’éloignai d’un nouveau pas.
— Je croyais que tu ne l’avais plus revu depuis longtemps, plaidai-je en
plissant les paupières, et que tu n’avais plus de nouvelles de cette fille.
Nick fronça les sourcils et serra les dents.
— Elle m’a contacté récemment pour me parler de son oncle et de la colère de
celui-ci à mon égard. Je l’ai souvent recroisée en me rendant à des réunions ou
en assistant à des unions.
Je pinçai les lèvres, mon irritation grimpa en flèche. Je sentis une nouvelle
énergie violente ramper sous ma peau, envahissant mon corps tendu, menaçant
de me faire exploser.
— Alors tu m’as menti, répliquai-je, tu la voyais encore.
Mon mari se décolla de son bureau et se redressa.
— Pas comme tu le crois Evans, m’assura-t-il, nos rapports n’étaient que
professionnels, rien de plus. Elle a sollicité mon aide il y a quelques jours parce
qu’elle avait quitté la meute de son oncle après s’être rendu compte qu’il était
cinglé, et qu’il prenait part à des magouilles plutôt louches. Elle n’avait nulle
part où aller, et elle avait peur des représailles après m’avoir parlé des combines
de Marcel.
Je relevai le menton.
— Alors quoi ? Tu lui as proposé ton aide ? En bon chevalier servant ?
Il grogna, un son grave et guttural qui fit vibrer sa poitrine aux pectoraux
imposants. Les traits de son visage masculin se crispèrent.
— Arizona possède des informations capitales sur Marcel, des éléments qui
pourraient nous aider à démanteler le réseau des rebelles lycans, se justifia-t-il.
Elle nous sera utile, et étant donné qu’elle n’avait nulle part où aller, sachant
qu’elle a toujours vécu au sein de la meute de White, je lui ai proposé de rester
ici quelque temps.
Cette fois, je perdis mon calme. Il se fichait de moi !
— Tu te fous de moi Nikolas ? éructai-je avec hargne. Tu l’as invitée à
rejoindre notre meute sans m’en avoir parlé ?
Nick releva le menton.
— C’est provisoire, ce n’est pas une invitation permanente, elle ne restera ici
que le temps que les choses se calment avec Marcel. Elle va nous aider à le
coincer, et ensuite, elle repartira.
— Ça pourrait nous prendre des mois ! Tu ne t’es pas dit que ça me
dérangerait d’avoir une femme inconnue dans les parages ? Une femme qui, un
jour, a cherché à s’unir à toi ? Tu aurais dû m’en parler !
L’Écossais pencha la tête sur le côté et fronça davantage les sourcils. Sa mine
se fit plus dure encore qu’elle ne l’était.
— Je ne savais pas que je devais te rendre des comptes sur la façon dont je
gère ma meute, rétorqua-t-il froidement.
Ces paroles, prononcées d’un ton glacial, me percutèrent de plein fouet et
m’atteignirent comme un coup de poing en plein ventre. Elles me coupèrent le
souffle, et me laissèrent sans voix. Je reculai, la bouche ouverte, et portai une
main à mon estomac, où j’avais eu l’impression de recevoir le choc. Nick
écarquilla les yeux, et se rendit compte de ce qu’il avait dit.
— Poppy… je suis désolé, je voulais dire, notre meu…
— Non, c’est bon, le coupai-je en dressant une main entre nous pour le
stopper dans son élan. Tu as tout dit. C’est ta meute, et je n’ai pas mon mot à
dire. C’est très clair désormais.
Alors que Nick fit un pas en avant, la main tendue vers moi, je tournai
brusquement les talons et rassemblai tout mon courage pour sortir de la pièce la
tête haute. Je regagnai la sortie à grandes enjambées, sans laisser le temps à mon
compagnon de me rattraper ou de me retenir, et claquai la porte derrière moi.
Finalement, j’aurais mieux fait de rester au soleil, à la ferme. Je regrettai
d’être rentrée, ma bonne humeur s’était envolée, remplacée par une colère si
noire que je sentis l’énergie divine que m’avait transmise Sombre refaire surface.
Mieux valait que je prenne mes distances, je ne savais jamais comment allait se
matérialiser ma rage et je n’avais pas envie de blesser quelqu’un par mégarde.
Oui, cette fois c’était clair, la journée était bel et bien finie.

3

Je n’arrivais pas à stopper mes larmes. Je pleurais, encore et encore, et cela


durait depuis que j’avais quitté la maison pour me réfugier chez Leah et Logan,
qui m’avaient accueillie à bras ouverts. Mon corps était secoué par de gros
sanglots qui parvenaient presque à m’étouffer. Je n’avais jamais pleuré autant de
toute ma vie, pas même lorsque mon oncle était mort. Et pourtant, Dieu seul
savait à quel point j’avais été abattue par ce décès !
— Nick est un abruti ! cracha Rebecca en caressant mes cheveux tendrement.
Je pourrais aller lui coller mon poing dans la figure si tu veux ? Ça ne me
dérangerait pas !
Pour toute réponse, je secouai la tête de gauche à droite, inondant la jupe de la
louve au passage. Heureusement que je ne portais pas de maquillage, sinon,
j’aurais ruiné le vêtement de la jeune femme !
En arrivant sur place, trente minutes plus tôt, je n’avais pas été surprise de
trouver Rebecca Wilkins, la seconde louve de la meute, chez les deux
tourtereaux. Depuis qu’ils avaient eu Hunter, la blonde aimait passer du temps
chez eux pour s’occuper du bambin, qui me regardait avec ses grands yeux
couleur jade en ce moment même, couché entre les bras de sa mère.
Si nous avions eu des débuts difficiles avec Rebecca, le temps avait fait de
nous des amies, et j’avais appris à la connaître sous un autre jour. Elle n’était pas
juste une belle fille, et ce n’était pas une pimbêche arrogante comme j’avais pu
le penser au départ. C’était une nana sensible qui, par la force des choses, avait
appris à masquer sa véritable personnalité et ses émotions derrière une apparence
superficielle pour plus de facilité. J’étais heureuse d’avoir su changer mon fusil
d’épaule la concernant, parce qu’elle comptait aujourd’hui parmi mes amies les
plus proches. Et son soutien me faisait chaud au cœur.
C’était donc contre ses genoux que j’avais posé ma tête afin d’extérioriser ma
tristesse, allongée sur le canapé du salon des Bell.
— Je pense qu’il s’est mal exprimé, tenta Sammy qui nous avait rejoints après
avoir été prévenu par Logan de ma présence chez lui, dans un état pitoyable qui
plus est. Nick peut parfois se montrer maladroit quand il est irrité.
Furieuse, je me redressai un instant pour le fusiller du regard.
— Irrité ? répétai-je, les dents serrées. C’est moi qui me retrouve obligée
d’accepter sur mon territoire une louve qui a bien failli se tenir à ma place ! Je
n’ai même pas été consultée ! Et quand je lui ai fait remarquer, il m’a balancé en
pleine tête que je n’avais pas mon mot à dire parce que ce n’était pas notre
meute, mais la sienne !
Un nouveau sanglot s’échappa de mes lèvres. Ma poitrine s’en vit
violemment secouée, au point de m’obliger à prendre une pause. Logan, assis sur
le tapis du salon en face de moi, sortit un mouchoir et me le tendit en esquissant
une moue désolée. Je l’acceptai avec plaisir et me mouchai bruyamment avant
de reprendre :
— C’était comme s’il m’avait reniée, qu’il avait envoyé valser notre union et
tout ce qu’elle représente pour cette Arizona White !
Le compagnon de Leah, qui s’était récemment teint les cheveux en rose fluo
pour remplacer la coloration verte précédente, se gratta le crâne là où il était
tondu, puis échangea un regard avec sa femme. Même à travers mes yeux
embués de larmes, je vis qu’il était embarrassé. L’informaticien était un homme
réservé. Malgré son corps musclé couvert de tatouages, ses piercings et ses
vêtements excentriques, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’il
ne savait pas trop comment réagir. Depuis tout à l’heure, il ne cessait de
m’observer derrière ses lunettes et de me tendre des mouchoirs d’un air triste.
Heureusement, Leah était plus habituée à ce genre de situation. Aussi, elle se
leva du fauteuil sur lequel elle était assise et plaça son bébé entre les biceps de
son père. Le loup-garou se détendit.
— Tu sais Poppy, commença la brune en s’accroupissant à mes côtés, les
mâles dominants peuvent parfois se confronter comme de vrais idiots quand ils
sont dépassés par les événements. J’en sais quelque chose, je suis mariée avec
l’un d’eux.
Pour appuyer son propos, la jeune femme jeta un coup d’œil par-dessus son
épaule. Logan grommela en câlinant son enfant. Le bébé esquissa un large
sourire et agita ses petites jambes potelées.
— Nick est le roi des maladroits, continua-t-elle, mais si je suis certaine d’une
chose, c’est qu’il t’aime plus que tout et que te blesser lui a sans doute fait
beaucoup de peine. Je suis persuadée qu’il doit se ronger les sangs en ce moment
même et qu’il regrette ses paroles.
— J’espère bien qu’il les regrette ! répondis-je en reniflant. Je me suis sentie
humiliée, et je veux lui faire comprendre que je suis en colère.
Parce que ça, je l’étais ! J’étais désabusée, peinée, et je n’avais qu’une envie :
me glisser sous une couette et pleurer toutes les larmes que mon corps pouvait
produire. C’était ridicule, j’en avais parfaitement conscience. Dans le fond, Nick
faisait venir Arizona ici pour une bonne raison : obtenir des informations sur
Marcel Jay White. Il n’y avait aucune ambiguïté, je savais qu’il m’aimait et je
n’avais aucun doute là-dessus. Cependant, je n’aimais pas l’idée qu’une autre
femme traîne dans les parages, encore moins si c’était une louve, et encore
moins si elle avait un jour failli se retrouver dans le lit de mon compagnon.
J’étais morte de jalousie, voilà le problème. Et au lieu de répondre à mes
inquiétudes, Nick avait préféré m’envoyer promener en affirmant que, de toute
façon, peu importait mes sentiments, puisqu’il faisait ce qu’il voulait au sein de
sa meute. Je pensais pourtant que nous étions une équipe et que nous prenions
les décisions ensemble. Mais je m’étais trompée, et ça aussi, ça me faisait mal.
Néanmoins, cela ne justifiait pas que je me mette à pleurer comme une
madeleine et à me plaindre comme une fillette. Pourtant, j’en avais vachement
envie. J’avais besoin d’être réconfortée et câlinée, d’être couvée par les gens que
j’aimais. Au chaud de préférence, et avec un bon chocolat chaud préparé avec
amour par une Leah attentionnée.
— Tu veux que j’aille lui parler ? me proposa Sam. Peut-être qu’il acceptera
de ne pas faire venir Arizona ici s’il sait tout le mal que ça te fait ?
Je m’essuyai les yeux du revers de la manche et me redressai difficilement en
m’appuyant sur mes coudes. Je m’installai en tailleur, les joues mouillées, et
acceptai le nouveau mouchoir que Logan s’efforçait de me tendre.
— Merci, soufflai-je.
Je marquai une pause, et me mouchai une nouvelle fois avant de lever les
yeux vers le quatrième Gamma de la meute.
— Non, lui parler ne servirait à rien. Il sait que sa décision me déplaît et que
ses paroles m’ont touchée. Notre lien lui a sans doute déjà appris que je ne me
sentais pas bien. Il sait où me trouver, mais malgré ça, il n’est pas venu. Et il
n’est pas revenu sur ses déclarations non plus. Il veut accueillir cette fille sur son
territoire, soit, il devra dormir tout seul dans ce cas, et soulager ses besoins lui-
même.
Les deux hommes présents dans la pièce haussèrent les sourcils en échangeant
un regard en coin. L’homme aux cheveux roses, habillé d’une salopette jaune,
siffla entre ses dents.
— Tu veux priver Nick Teller de sexe ? supputa-t-il. Tu sais que tu risques de
provoquer son courroux de cette façon ? Nick n’est jamais plus en colère que
lorsqu’il ne peut pas te toucher !
Je relevai le menton en serrant les lèvres.
— Eh bien il va falloir qu’il s’y fasse ! Il veut la jouer solitaire ? Parfait, il le
sera jusqu’au bout comme ça !
Sam soupira.
— Eh bien, on peut s’attendre à des jours mauvais, marmonna-t-il.
Ça, c’était peu de le dire ! Et pourtant, tout se passait si bien… Pourquoi
avait-il fallu que tout foire ? J’étais maudite, je ne voyais aucune autre
explication ! Et puis, vu le nombre de sorciers et nécromanciens à qui j’avais
botté le cul, ce n’était pas impossible que l’un d’eux ait utilisé une poupée
vaudoue pour me lancer un sort. Sinon, comment expliquer qu’à chaque fois que
ma vie se calme, un élément vienne tout perturber ?
— Quand cette fille doit arriver ? les questionnai-je finalement en me
remettant de mes émotions.
Mes amis parurent mal à l’aise, ils regardèrent tous leurs chaussures pour fuir
mon regard.
— Ce soir, me répondit Rebecca.
Ce soir ? Ce soir ! Génial !
— Super, grommelai-je, j’espère au moins qu’elle aura des trucs intéressants à
nous dire sur le taré qui lui sert d’oncle.
La grande blonde à mes côtés renifla avec dédain, et releva le col en envoyant
valser ses cheveux dorés par-dessus son épaule.
— Honnêtement Poppy, je doute qu’elle vienne ici pour parler de son oncle.
— Rebecca ! la réprimanda Leah en se relevant, les bras croisés contre sa
poitrine.
— Quoi ? C’est la vérité ! Tout le monde sait qu’Arizona a toujours eu envie
de s’élever au rang de femelle Alpha ! Et qu’elle a toujours rêvé de s’unir au
futur chef de notre société, à savoir Nick Teller.
Je fronçai les sourcils et me tournai vers la louve.
— Tu veux dire qu’elle a Nick dans sa ligne de mire ?
Elle acquiesça.
— Un peu mon neveu ! Elle n’a jamais cessé d’essayer d’entrer dans sa vie !
En le suivant à toutes les soirées professionnelles, en l’abordant lors des
réunions, des unions… Partout où il se déplaçait, tu pouvais être sûre de trouver
Arizona White ! Et crois-moi, c’est pas parce que vous êtes mariés qu’elle va
abandonner !
— Ne l’écoute pas Poppy, voulut me rassurer la brune en s’asseyant à ma
droite et en passant un bras autour de mes épaules. Je ne pense pas qu’Arizona
soit stupide au point de venir ici, sur notre territoire, pour tenter de mettre le
grappin sur Nick alors qu’il est complètement mordu de toi ! Ce serait du
suicide ! Tout le monde ici t’est dévoué, et Nick ne laisserait jamais une femme
s’immiscer entre vous et semer la zizanie dans votre couple.
— Ça ne veut pas dire qu’elle n’essayera pas, plaida Logan à mi-voix.
Leah faillit s’étrangler en entendant son époux affirmer une telle chose. Je
crus un instant qu’elle allait lui sauter dessus pour l’égorger sur place.
— Merci de m’aider !
Le loup-garou réajusta ses lunettes sur l’arête de son nez et la regarda dans les
yeux.
— Mon amour, mentir ne sert à rien, dit-il. Poppy va vite se rendre compte
qu’Arizona en pince pour Nick, donc plus vite elle sera au courant, et mieux elle
pourra contre-attaquer.
— Contre attaquer ? répéta Sam, intrigué.
— Oui, assura le génie informatique. Il va falloir qu’Evans montre les crocs,
et fasse comprendre à White que c’est chez elle, et qu’elle a pas intérêt à se
mettre entre elle et son mâle si elle veut pas se retrouver avec une balle en argent
coincée entre ses deux prothèses mammaires ! D’autant que je trouve cette
arrivée étrange…
Leah leva les yeux au ciel.
— Comment ça ? m’enquis-je.
Le lycan plongea son nez sur le petit ventre rond de son fils, qui se mit à
glousser en se couvrant le visage de ses petits poings. Je ne pus m’empêcher de
sourire à cette vision, et de me demander si Nick serait aussi attentionné avec
son enfant. L’Alpha était un homme fort, impassible la plupart du temps, qui
savait contrôler ses émotions mieux que personne. L’imaginer en papa poule
était compliqué. Cependant, je ne doutais pas un seul instant qu’il aimerait du
plus profond de son cœur notre enfant quand nous en aurions un. Si nous
parvenions à en avoir un, bien sûr…
— Ce que je veux dire, continua le père de famille en relevant la tête, c’est
que je trouve ça étrange qu’elle se rende compte seulement maintenant que son
oncle est un taré qui trempe dans de drôles d’affaires. La société entière est au
courant, et cela depuis bien longtemps. Il est donc impossible qu’elle soit passée
à côté du fait que son oncle était impliqué dans la rébellion des loups. C’est que
je pense en tout cas.
— Alors quoi ? répliqua la mère de Hunter. Pourquoi penses-tu qu’elle
viendrait ? Uniquement pour tenter de séduire Nick ? Ce serait peine perdue. Il
l’a fait venir uniquement pour qu’elle lui fournisse des infos sur Marcel, si elle
ne dit rien, alors il la renverra d’où elle vient sur-le-champ.
Logan haussa une épaule.
— Tout ce que je veux dire, c’est que nous ferions mieux de rester sur nos
gardes. Après tout, elle était dans le camp de Marcel il y a peu, et nous savons
que ce cinglé est prêt à tout pour s’en prendre à notre meute et renverser le
fonctionnement actuel de la société lycane. Imaginons que ce soit lui qui nous
envoie sa nièce pour tenter de grappiller des infos sur nous, dans ce cas-là, nous
ferions entrer le loup dans la bergerie.
— Ou plutôt, Marcel ferait entrer l’agneau dans la bergerie, rectifia Sammy
en faisant rouler ses épaules. Si cette fille n’est pas ici pour nous aider, et qu’elle
vient dans le seul but de faire du mal à Poppy, ou pour récolter des informations
nous concernant, je lui ferai la peau moi-même.
Cette fois, ce fut à mon tour de renifler. Je fronçai davantage les sourcils et
me redressai. La crise de larmes était passée.
— Non, répliquai-je. Si jamais les choses tournent mal avec Arizona White,
c’est moi qui me chargerai personnellement de son cas. Et je ne donne pas cher
de sa peau si elle s’approche de ce qui est à moi.

Je rejoignis la maison en fin d’après midi, alors que le soleil avait déjà entamé
sa chute dans le ciel. Je traversai la forêt à pied, les yeux rivés sur mes baskets,
l’esprit empli d’idées noires. Logan, Rebecca et Sam m’avaient mise en garde
contre Arizona, m’assurant que, la connaissant, elle ferait sans doute tout pour se
rapprocher de Nick. Je n’aimais pas ça, il était à moi et je n’avais aucune envie
de voir une nana lui tourner autour. Et encore moins une louve ! J’étais déjà
assez complexée par ma nature humaine dû au fait que je ne pouvais pas muter
et offrir une véritable compagne à Jack, la partie animale de mon compagnon, je
n’avais pas envie de voir le loup tourner autour d’une de ses semblables sous
mon nez. Ou l’inverse.
Quand je poussais la porte d’entrée, je ne fus pas surprise de trouver mon
mari dans l’entrée, les bras croisés contre sa poitrine. Je l’ignorai, encore vexée,
et lui passai devant pour rejoindre la cuisine sans lui accorder le moindre regard.
Ma réaction pouvait paraître disproportionnée ; dans le fond, il n’avait fait
qu’offrir son hospitalité à l’une de ses congénères, mais je ne pouvais pas m’en
empêcher, c’était plus fort que moi. Je voulais qu’il comprenne que ses paroles
m’avaient fait du mal, je voulais lui montrer, qu’il le sache. Ce n’était pas dans
mon tempérament de me comporter de façon si rancunière, d’agir avec si peu de
maturité, mais c’était comme si je ne maîtrisais plus mon corps ou mes actions.
Il devait payer.
— Tu comptes m’ignorer longtemps ? gronda mon compagnon alors que
j’attrapais dans le frigo une petite brique de lait chocolaté.
Je haussai les sourcils.
— Je ne t’ignore pas, mentis-je en plantant la paille en plastique dans la
brique cartonnée. Je te laisse faire ta vie, prendre des décisions, tout ça…
Glissant la paille entre mes lèvres, je contournai le loup-garou qui m’avait
suivie et tentai de rejoindre le salon. C’était sans compter sur l’Écossais qui
m’attrapa le bras au vol, et me tourna vers lui pour planter son regard dans le
mien. Impossible de me défiler, je dus y faire face sans broncher.
— Tu as pleuré ? me demanda l’homme en fronçant ses sourcils cuivrés.
Oui. Beaucoup.
— Non.
Évidemment, c’était un mensonge. Un mensonge flagrant. J’avais jeté un
coup d’œil à mon reflet avant de quitter la maison des Bell. J’avais les yeux
rouges et gonflés, et des traces de larmes évidentes sur mes joues. Je ne pouvais
cacher à personne que j’avais déversé sur les genoux de Rebecca la moitié de la
flotte dont mon corps disposait. Mais par souci de fierté, je préférais nier. Moi
pleurer ? Jamais voyons !
— Il y avait du vent dehors, et je l’avais en plein visage, prétextai-je en
relevant le menton dans un geste de défi.
Ose me contredire Teller et tu vas entendre parler du pays, moi je te le dis !
Au lieu d’ajouter quoi que ce soit, le lycanthrope grogna, et passa l’un de ses
pouces sur mon visage d’un air navré. Il était désolé, je le sentais à travers notre
lien, et je le voyais dans ses yeux gris. Il avait été maladroit, et il l’avait compris.
— Evans, souffla-t-il en s’approchant de moi, je ne voulais pas te faire de la
peine, et je me suis mal exprimé. Je ne voulais pas insinuer que tu n’avais pas
ton mot à dire sur les décisions qui concernent la meute, ni même que tu n’étais
pas chez toi ici. Tu es ma compagne, ma femelle, ma femme, et ce territoire est
le tien autant que le mien.
Tordant la bouche sur le côté, je fis de mon mieux pour ravaler la nouvelle
vague d’émotion qui arrivait au loin comme un ras de marée et menaçait de me
faire éclater en sanglots pour la seconde fois de la journée. Je devais sacrément
manquer de sommeil, parce que jamais au grand jamais je ne m’étais sentie aussi
émotive de toute ma vie !
— Ne pleure pas Poppy, me supplia-t-il en observant mes yeux embués de
grosses larmes que je refusais de laisser s’échapper.
— Je ne pleure pas, plaidai-je en éloignant sa main brusquement et en
reculant de quelques pas, je crois que le lait est mal passé. Concernant cette
Arizona White, repris-je en battant des cils pour chasser les gouttes d’eau salée
qui s’étaient accumulées sur mes globes oculaires, tu aurais dû m’en parler avant
de la faire venir, d’autant qu’il semblerait qu’elle ne soit pas insensible à tes
charmes.
Nick gronda de nouveau, son visage se fit plus sombre.
— Qui t’a dit ça ? Sam ?
Je fronçai les sourcils.
— Ça n’a aucune importance, je veux juste ne pas la voir traîner autour de toi.
Elle nous donne des informations sur Marcel pour nous aider à le coincer, mais
ça s’arrête là. Si je vois qu’elle tente quoi que ce soit avec toi, je te jure, Nick,
que personne ne pourra faire quoi que ce soit pour calmer ma colère.
Là-dessus, je tournai les talons et, armée de ma brique de lait au chocolat,
disparus dans le couloir pour rejoindre notre chambre.

4

Je ne savais pas trop comment avait commencé la rébellion des loups-garous.


En fait, j’ignorais que la société lycane connaissait une telle crise avant que Nick
m’en parle, presque deux ans plus tôt. Il m’en avait fait part le soir de notre
première fois, alors que, couchés l’un contre l’autre, je lui avais demandé
pourquoi il était toujours si anxieux. Quand j’avais appris que les lycans se
retournaient contre l’autorité suprême qui était représentée par l’Alpha du Nord
de l’époque, j’avais été abasourdie. Je savais que les garous étaient des créatures
sauvages qui ne toléraient que légèrement d’être dirigés, soumis à des lois, mais
de là à se soulever contre leur chef, je ne l’aurais jamais cru !
Néanmoins, c’était ce qui s’était passé. Les loups-garous s’étaient retournés
contre leurs semblables et cela pour une raison simple : obtenir la reconnaissance
dont ils avaient tant besoin. Ben oui, les humains avaient le droit de vivre leur
vie au grand jour, eux. Les humains avaient des droits, ils n’étaient pas obligés
de se cacher, ils pouvaient être eux-mêmes sans craindre d’être pourchassés avec
des piques et des torches, ou plutôt, des flingues et des couteaux. Pas mal de
surnaturels voulaient ça. Une vie au grand jour. Exister tout simplement aux
yeux du monde et de la société.
Cette envie viscérale avait poussé des gens honnêtes à s’allier avec des
individus un peu moins respectables pour faire entendre leur voix, en vain.
Puisque malgré leurs actions musclées pour faire comprendre à leur
gouvernement que leur condition ne leur convenait plus, ils n’avaient pas obtenu
gain de cause. Le conseil et Vincent Teller, alors haut dirigeant de la société
lycane, avaient catégoriquement refusé de dévoiler au grand jour l’existence des
leurs. Ce qui avait provoqué la colère des loups-garous, qui s’étaient dès lors
montrés plus virulents dans leurs actions. C’était probablement ainsi que tout
avait débuté.
Les choses n’avaient fait qu’empirer au fil des mois, et à force d’être ignorés,
même les lycans aux intentions honorables avaient fini par passer du côté obscur
de la force. Et aujourd’hui, c’était à des groupes de rebelles entiers que Nick
devait faire face. Ceux-ci enchaînaient les méfaits et les exactions envers des
meutes officielles qui étaient associées au gouvernement lycan, envers des alliés
de mon compagnon, mais aussi à l’encontre des humains. Nombreux s’étaient
déjà fait agresser dans des ruelles par des loups, tuer même. Si des innocents
étaient visés, c’était parce que les contestataires avaient l’espoir que ces crimes
attireraient l’attention des Hommes et de leur ministère. Mais heureusement,
grâce à l’aide des agents surnaturels et des chasseurs, nous avions toujours réussi
à étouffer ces délits avant qu’ils ne posent un problème à la société lycane et aux
autres communautés qui pourraient se retrouver impliquées. Pour l’instant en
tout cas. Mais si ça ne se calmait pas, je craignais que la colère ne fasse que
grimper en flèche, et nous explose en plein visage.
Je savais que Nick se démenait pour les siens, qu’il mettait toute son énergie
dans son travail afin de maintenir la paix. Il avait d’ailleurs mis en place de
nombreuses réformes pour permettre à ses congénères d’avoir plus de libertés.
Désormais, les loups pouvaient s’unir à qui ils voulaient, sans craindre d’être
poursuivis par la justice lycane. Il cherchait à améliorer les conditions de vie des
solitaires, histoire qu’ils ne soient plus victimes des préjugés et des lynchages.
Mon mari était ferme dans ses décisions, mais il était juste. Et c’était en grande
partie grâce à cela que les tensions s’étaient légèrement apaisées depuis qu’il
était au pouvoir, même si nous savions pertinemment que la croisade des loups
n’était pas terminée pour autant.
Cela faisait des mois que nous œuvrions pour découvrir qui se trouvait au
sommet de la pyramide des rebelles, que nous nous battions pour découvrir qui
alimentait la haine et organisait les actions des insurgés. Nick dormait peu et
travaillait beaucoup. Trop à mon goût. Il était tenace, robuste, et c’était un grand
garçon qui savait ce qu’il avait à faire, mais je n’aimais pas le voir se démener
autant. Il était temps que cette rébellion cesse. Et si nous avions l’occasion de
mettre un terme à tout ça, alors il était de notre devoir de faire tout ce qui était en
notre pouvoir pour mettre un point final à cette affaire. Y compris accueillir sur
notre territoire une louve qui en pinçait pour Nick. Grrr…
Arizona White arriva à Springdale aux alentours de 19 h 30. Elle passa le
portail de la meute au volant d’une Maserati cabriolet rouge, et se gara devant
notre maison dans un grand vrombissement tonitruant qui me fit lever les yeux
au ciel. Nick me glissa un regard en coin et tenta d’attraper ma main dans la
sienne, mais je croisai mes bras contre ma poitrine pour l’en empêcher et fronçai
les sourcils en observant la ravissante créature qui s’extirpait de la voiture de
luxe.
La louve que mon compagnon avait gentiment proposé d’héberger était une
grande nana d’un bon mètre soixante-quinze, roulée comme un mannequin, et
affublée de jambes si longues qu’elles me semblèrent interminables. Elle était
brune, possédait une peau subtilement bronzée et des yeux d’un vert si éclatant
qu’il ne me fut pas difficile d’en distinguer la puissance quand elle tourna la tête
vers le perron où nous étions tous rassemblés.
La jeune femme s’immobilisa un instant, planta son regard sur Nick, et inspira
un grand coup avant de se diriger vers nous à grandes enjambées.
— Nikolas ! s’exclama-t-elle en montant les marches du perron quatre à
quatre et en se jetant au cou du highlander.
Je faillis m’étrangler. Ou alors lui sauter dessus pour l’étrangler. Une sorte de
vague de haine profonde m’envahit soudain, je sentis des picotements aux
extrémités de mes doigts ainsi qu’au bout de mes orteils. Mon cœur se mit à
battre plus vite, mauvais signe d’après moi. Je savais d’expérience que ça
finissait toujours mal quand je me mettais en colère désormais.
— Je te remercie de m’accueillir, continua la femme en serrant ses bras autour
du cou de mon homme, me donnant ainsi envie de montrer les dents.
Attends, quoi ? Tu veux montrer les dents ? Vivre avec des loups 24 heures
sur 24 finissait par altérer mon comportement, il allait falloir que je sorte
davantage de chez moi au risque de véritablement me transformer en ours !
Le chef de meute, qui avait probablement ressenti mon agacement, me jeta un
coup d’œil par-dessus l’épaule de son invitée, et lui tapota le dos avant de la
repousser doucement.
— C’était mon devoir, répondit-il en lui souriant, tu as fait bonne route ?
D’un même geste, les membres de la meute et moi-même nous tournâmes
vers la Maserati immobilisée devant la villa. J’arquai un sourcil. Là-dedans, elle
n’avait pu faire que bon voyage…
— Ça m’a paru très long et je suis exténuée, dit-elle en se massant la nuque
sans quitter mon mari des yeux.
Je compris à cet instant, en observant cette magnifique métamorphe se tripoter
les cheveux en regardant derrière ses longs cils mon compagnon d’un air
amoureux que Logan, Sam et Rebecca avaient raison. Cette fille était sous le
charme de mon Teller, et je sentais au fond de moi que son séjour ici n’allait pas
se passer comme prévu. Et si Al m’avait appris une chose, hormis me servir de
flingues et de donner des coups, c’était qu’il fallait toujours, quoi qu’il pût
advenir, écouter son instinct.
— Entre, lui proposa alors l’objet de ses désirs en s’écartant pour lui laisser
l’accès à la porte d’entrée. Leah t’a préparé des sandwichs.
Outrée, je jetai un regard courroucé à la louve aux cheveux bruns qui tenait
son bébé dans ses bras, et serrai les lèvres pour lui signifier mon
mécontentement. Comment avait-elle pu faire une chose pareille ? Préparer des
sandwichs, ses sandwichs pour une autre femme que moi ? Tu n’as pas le
monopole des sandwichs de Leah, Evans… Ouais bon, je ne l’avais peut-être pas
mais ça me mettait quand même en rogne !
— Nick me l’a demandé, articula la jeune femme silencieusement en haussant
les épaules.
— Oh, des sandwichs ? répéta Arizona en se tournant vers Leah d’un air
dédaigneux qui me fit froncer les sourcils. Désolée Leah, mais je fais très
attention à ma ligne, et je ne mange que des légumes. Tu pourrais me préparer
une salade à la place ?
Ouvrant la bouche, estomaquée, j’étais prête à répliquer lorsqu’une main se
posa sur mon épaule pour m’en empêcher. Sam avait visiblement remarqué que
j’étais effarée, et me signifiait par ce geste qu’il était inutile de m’énerver.
— La respiration Evans, murmura-t-il, c’est la clé.
Gardant le grognement qui me brûlait les lèvres pour moi, je fis de mon
mieux pour rester calme et affronter le regard que la nièce de Marcel posa sur
moi quand elle se tourna dans ma direction. Ses iris verts me détaillèrent des
pieds à la tête, avec attention.
— Je suppose que tu dois être Poppy Evans, dit-elle en serrant la mâchoire,
comme si prononcer mon nom lui faisait mal. L’humaine, ajouta-t-elle en
relevant le menton.
J’esquissai un sourire en coin.
— Poppy Teller, rectifiai-je sur le même ton sec.
— Ah oui, j’avais oublié ce détail, répondit-elle en secouant une main d’un
air las. Pouvons-nous rentrer Nick ? Je suis un peu fatiguée et j’aimerais
m’asseoir pour tout t’expliquer.
— Bien sûr, lui accorda-t-il en posant une main sur son épaule pour la diriger
vers la porte. Leah va te préparer une salade et tu pourras manger en nous
racontant ce que tu sais sur les actions de Marcel.
La louve lui adressa un sourire radieux et plein de gratitude, après quoi elle
passa devant lui et entra à l’intérieur de la maison sans accorder un regard aux
membres de la meute.
Serrant les poings pour essayer d’ignorer les picotements dans mes doigts, je
fis craquer les os de ma nuque, et inspirai profondément. Nick posa ses grandes
mains chaudes sur mes épaules, et se pencha sur moi. Je refusais
catégoriquement de le regarder en face. J’étais trop furieuse pour ça. Pourquoi
avait-il fallu qu’il fasse venir cette fille ici ? N’aurions-nous pas pu l’interroger
ailleurs ? Organiser un rendez-vous avec elle et lui soutirer ses maudites infos
loin de notre vie ? Les nanas sans cesse au régime me filaient des boutons, elles
avaient tendance à m’horripiler. Qui refusait des sandwichs, putain ?
— Ça ne va pas durer Poppy, me promit-il, ce n’est l’histoire que de quelques
jours. Tu me fais confiance, n’est-ce pas ?
Prenant mon courage à deux mains pour lui faire face, je plantai mes pupilles
dans les siennes et esquissai une grimace agacée.
— Je t’ai toujours fait confiance Red, marmonnai-je. Mais quelques jours
c’est déjà trop. Je ne veux pas la voir déambuler dans les parages…
Le loup proféra un grognement sourd mais sourit, il semblait satisfait, fier
comme un coq.
— Tu es une vraie dominante Evans, tu n’imagines pas à quel point ça me fait
bander.
Sentant le rouge me monter aux joues, je lui assénai un coup de poing sur
l’épaule et me sentis rassurée quand je vis que tout le monde était rentré à
l’intérieur sauf nous deux. Néanmoins, la porte d’entrée n’était pas fermée, et
avec leur ouïe très développée, je ne doutais pas un seul instant que les loups-
garous aient tout entendu. Mais en un sens, ce n’était pas plus mal qu’ils aient
écouté, ainsi, Arizona saurait à quoi s’en tenir.
L’Alpha grogna de nouveau en faisant un pas en avant. Il passa un bras autour
de ma taille pour attirer mon corps contre le sien, et se pencha pour que nos
visages ne soient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.
— Si tu veux me faire payer l’arriver de White, il va falloir que tu frappes
plus fort Poppy, susurra-t-il d’une voix rauque.
Le désir brûlant qui fit briller son regard nuageux me fit frissonner, je faillis
presque oublier que j’étais en colère contre lui.
— Fais gaffe Nick, je pourrais te prendre au mot, le prévins-je, et si jamais je
ne suis plus capable de contrôler ma rage, tu risques de te retrouver en dindon de
la farce. Je ne crois pas que tu aies envie de devenir mon punching-ball.
— Nikolas ! appela alors la voix sensuelle d’Arizona White depuis la maison.
Exaspérée, je serrai les dents au point de les entendre grincer, et relevai la tête
pour me confronter à mon compagnon, qui me serra plus fermement contre lui.
— Finalement, c’est peut-être elle qui va me servir de punching-ball,
grommelai-je.
Le lycan enserra ma gorge de sa main libre, geste purement possessif et
dominateur, et s’inclina en avant pour donner un coup de langue sur mes lèvres.
Je me hissai sur la pointe des pieds de manière mécanique et attrapai le col de
son tee-shirt entre mes doigts comme pour le forcer à recommencer.
— Vois le bon côté des choses Poppy, répliqua-t-il, tu pourras évacuer ta
colère et ta frustration quand nous serons au lit et que tu seras nue sous mon
corps.
Je souris.
— Ne compte pas trop là-dessus Teller, j’ai l’intention de te priver de sexe
pour te montrer à quel point je suis furieuse contre toi. Et ça pendant un long,
long moment.
Le loup gronda, visiblement contrarié par cette nouvelle, et se redressa
lentement, les muscles tendus.
— On reparlera de ça plus tard, déclara-t-il sur un ton trop calme.
Son affirmation sonnait comme une menace à peine voilée. Je me dégageai de
son étreinte et le contournai pour entrer à mon tour dans la maison, sans oublier
de profiter du fait qu’il était de dos pour lui adresser une claque sur ses fesses en
béton armé. Une satisfaction toute particulière me fit sourire jusqu’aux oreilles
lorsque je l’entendis gronder derrière moi. Je rejoignis le salon sans attendre, et
m’installai entre Sam et Bram Chester, qui souriaient eux aussi. Apparemment,
ils n’avaient rien manqué de notre petite discussion privée, et à en croire le
regard noir que m’envoya Arizona depuis le canapé en face du nôtre, elle non
plus, n’avait rien loupé. Yes !
— Bien, commença Nick en se plaçant devant l’assemblée que nous
formions, comme vous le savez tous désormais, Arizona va rester quelque temps
ici pour nous aider à mettre la main sur Marcel, qui d’après elle, serait impliqué
dans la rébellion des loups à laquelle nous faisons face depuis maintenant
plusieurs années. Il est temps que nous mettions un terme à cette histoire et que
nous calmions la colère des nôtres. Pour ce faire, nous n’avons d’autre choix que
de coincer les hommes qui se tiennent en tête de liste, et qui alimentent par leurs
actions et propos la colère de nos semblables.
— Où se cache-t-il ? demanda alors Loki à la nièce de White sans perdre de
temps.
Ce que j’aimais avec Loki, et avec les membres de la meute en général, c’était
qu’ils ne perdaient pas de temps quand il était question de faire leur boulot. Ils
agissaient avec précision et efficacité, et ne s’embarrassaient pas de futilités
inutiles.
Arizona s’installa plus confortablement et remua les épaules, comme mal à
l’aise.
— Je ne sais pas, avoua-t-elle, mon oncle possède de nombreux territoires, y
compris sur des terrains qu’il n’a pas déclarés au conseil lycan.
— Tu savais toutes ces choses, et tu n’en as jamais averti les autorités
lycanes ? répliqua Rebecca, sur la défensive.
Si j’avais appris une chose concernant Rebecca Wilkins au cours des mois, et
bientôt des deux années passées avec elle, c’était qu’elle détestait la
concurrence. La louve de la jeune femme était très possessive, que ce soit envers
ses amis, sa famille ou son territoire. Elle ne voulait pas que des inconnus
viennent empiéter sur ses plates-bandes, c’était d’ailleurs ce qui l’avait poussé à
me détester quand j’étais arrivée. De toute évidence, Arizona représentait une
sorte de rivale à ses yeux, une louve qu’elle n’avait aucune envie de voir traîner
autour des Gammas, autour de Nick, ni autour de moi. Peut-être avaient-elles
déjà eu des différends ? Après tout, c’était bien Rebecca qui m’avait mise en
garde la première contre celle qui me semblait être une harpie finie. Il n’était pas
impossible qu’elles aient eu un passé en commun, ce qui expliquerait l’animosité
palpable entre les deux métamorphes. Elles avaient l’air prêtes à se sauter à la
figure pour s’égorger.
Honnêtement, mon camp était tout choisi. S’il fallait en encourager une des
deux lorsqu’elles commenceraient à se crêper le chignon, j’étais prête à inventer
un slogan sur-le-champ et à sortir les pompons pour défendre ardemment
l’honneur de mon amie.
— Je n’ai appris que récemment que mon oncle cachait des choses, répondit
l’autre, qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être.
— Et on peut savoir comment, au juste ? répliqua la blonde en croisant ses
bras contre sa poitrine.
— C’est un interrogatoire ? Je suis ici pour me justifier auprès de la Meute du
Soleil ?
— Non, intervint Nick en jetant un regard sombre à Rebecca pour qu’elle se
taise. Nous cherchons simplement à obtenir des informations précises sur
Marcel. Il est important que nous en sachions le plus possible à son sujet pour
savoir où commencer les recherches et comprendre ses motivations.
— Ses motivations sont simples, continua la grande brune en se tournant vers
lui, il veut prendre ta place Nick, et il est en train de monter tous ses alliés contre
toi. Si vous voulez tout savoir, j’ai appris qu’il préparait quelque chose de mal en
ayant surpris une conversation téléphonique. C’était il y a quelques semaines.
— Avec qui parlait-il ? s’enquit Daryl Wells, le premier Gamma de la meute
en fronçant les sourcils, attentif.
— Je ne sais pas. Un homme, je pense. Il disait qu’il était temps que les
choses changent et que selon lui, Nikolas Teller n’avait pas la carrure ni les
épaules pour diriger comme il se devait la société lycane. Je n’ai pas tout
entendu, il était dans son bureau, et je n’ai pu écouter ce qu’il disait que parce
qu’il avait laissé la porte entrouverte.
— Que prévoyait-il ? lâchai-je alors en tendant les bras vers Leah quand elle
se leva pour aller préparer la fameuse salade de mademoiselle White.
La lycanthrope déposa entre mes bras le petit Hunter qui dormait à poings
fermés. Je me mordis la lèvre inférieure en observant avec amour le bambin aux
joues roses contre ma poitrine. Jamais je n’avais vu créature plus adorable. Il
était parfait. Ses cheveux sombres et fins recouvraient son crâne fragile. Le bébé
avait hérité des yeux jade de sa mère, et il était potelé. Son ventre rond me donna
envie de l’embrasser pour le faire glousser, mais il dormait. Aussi, je me
contentai de sourire en le regardant tendrement.
— Comment ça ? me questionna Arizona, me tirant de ma rêverie.
En relevant la tête, je croisai le regard argenté de mon mari qui m’étudiait en
silence. Il contempla le bébé dans mes bras, examina la manière dont je le tenais
entre les creux de mes coudes, et s’humecta les lèvres avant de plonger ses
prunelles dans les miennes. J’y décelai son envie, et perçus à travers notre lien
un sentiment de jalousie. Il voulait un enfant, il le désirait au plus profond de lui,
et malheureusement, pour le moment, j’avais été incapable de lui en offrir un.
Cela faisait des mois que Nick et moi essayions d’avoir un bébé. Il ne me
mettait pas la pression, ne répétait pas chaque jour qu’il voulait fonder une
famille, mais je ressentais son impatience, sentiment qui n’avait fait
qu’augmenter avec l’arrivée d’Hunter. Après l’affaire d’Eryn Wallace, nous
avions conclu qu’il était peut-être temps pour nous de franchir cette étape. De
fonder notre propre famille. Mais malgré nos tentatives, nombreuses tentatives,
je n’étais à ce jour, toujours pas enceinte. Et aussi frustrant que cela pût être, il y
avait une explication à cela, et elle était simple : j’étais humaine.
Il était très difficile pour les couples métamorphes-humains de se reproduire.
Le corps des humaines n’était pas fait pour accueillir en son sein un enfant
change-peau. Alors, soit les grossesses n’étaient pas menées à terme, soit la
fécondation n’avait pas lieu.
Je savais que je pouvais tomber enceinte, je l’avais été une fois, au tout début
de notre relation. Mais à cause d’un fâcheux accident, je n’avais pas eu la chance
de voir mon bébé grandir. Et je l’avais perdu avant même d’avoir le temps de
fêter la nouvelle. Mais depuis, rien. Je ne prenais plus de contraceptif, Nick
n’utilisait pas de préservatif, et malgré ça, je ne réussissais pas à offrir à mon
âme-sœur l’enfant qu’il désirait tant. Je m’en voulais terriblement pour ça. Et
j’avais peur qu’un jour, Nick finisse par m’en vouloir aussi.
C’était sans doute pour ça pour ça que j’avais autant de mal à voir des louves
tourner autour de mon homme. Parce que s’il avait été uni à l’une d’elles, il
n’aurait eu aucun problème à fonder une famille, et il serait comblé aujourd’hui.
— Poppy ?
Tirée de mes pensées par l’appel de Sammy qui secouait mon bras, je me
raclai la gorge et mis mes réflexions personnelles de côté pour me concentrer de
nouveau sur la situation.
— Oui, hum, je disais, que prévoyait Marcel ? Tu disais que tu avais surpris
une conversation téléphonique entre lui et un interlocuteur inconnu qui
discutaient visiblement de Nick et du fait qu’ils étaient sûrs qu’il n’était pas à la
hauteur de son rang. Marcel, que prévoyait-il au téléphone pour parer au
problème que leur posent Nick et sa politique ?
Arizona s’éclaircit la gorge à son tour.
— Eh bien, d’après ce que j’ai compris, ils avaient dans l’idée d’isoler Nick et
la Meute du Soleil pour pouvoir s’en prendre à vous, expliqua-t-elle.
— Tu veux dire qu’il a l’intention de nous attaquer ? supputa Alexeï, le
guérisseur attitré de la meute.
Arizona acquiesça.
— Je pense oui, mais d’abord, il a l’intention de dissuader vos alliés de vous
aider en cas d’attaque. Au téléphone, il prévoyait avec son associé de mettre à
sac plusieurs meutes associées à la Meute du Soleil, de leur faire peur pour les
obliger à rester en retrait si jamais Marcel et ses propres adhérents viendraient à
envahir votre territoire.
Nick gronda et laissa échapper des vibrations de domination qui agitèrent
chacun des loups réunis dans la pièce. Moi même je sentis les émanations de son
aura si puissante alors même que je n’étais pas aussi sensible aux énergies que
les loups-garous ou les créatures surnaturelles en général. Mon compagnon était
en pétard, et une chose était sûre, ça allait chier. C’était on ne peut plus évident.
— Je suis désolée Nikolas…
— Tu n’es pas responsable Arizona, la coupa l’Alpha en croisant ses bras
massifs contre sa poitrine. Le tout est de trouver une façon de contre-attaquer
maintenant. Il va falloir que nous contactions nos alliés et que nous les
informions que le danger rôde.
— Il va également falloir que nous trouvions Marcel, ajouta Bram en fronçant
les sourcils. Cet enfoiré ne s’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas mort.
Nick acquiesça. Le petit Hunter s’agita dans mes bras alors que sa mère
revenait vers le salon avec une assiette pleine de salade verte, de tomates et de
concombres. La louve posa le plat sur la table basse devant Arizona, qui ne la
remercia même pas et ne lui accorda un regard. L’envie de montrer les dents et
de lui grogner dessus revint à la charge ; je serrai la mâchoire pour me retenir et,
à la place, baissai les yeux sur le bambin qui babillait contre moi.
— Bien, reprit l’Alpha en soupirant, je vais dresser une liste de nos contacts et
les appeler dès demain pour les prévenir du danger. Nous allons faire appel à nos
agents ainsi qu’à nos alliés au sein des autres communautés pour tenter de
trouver la planque de Marcel. Il ne doit pas être bien loin, surtout s’il veut garder
un œil sur nous. Il faudra également que l’on passe rendre visite aux Alphas qui
ont été attaqués récemment, peut-être auront-ils reconnu des loups ou des odeurs
qui pourront nous mettre sur la piste d’un de ces fumiers.
Au moins, le plan avait le mérite d’être clair, net et précis.
— Parfait ! s’exclama alors la nièce de notre ennemi en se levant du canapé
sur lequel elle était assise. Je vais aller chercher mes valises et m’installer dans
la chambre d’amis. J’ai très envie de prendre un bain.
Je crus un instant que mon cœur allait cesser de battre. Avait-elle dit,
« chambre d’amis » ?
— Pardon ?

5

— Tu l’as invitée chez nous ? Dans notre maison ? fulminai-je, hors de moi.
— Elle n’avait nulle part où aller et elle avait peur de ce dont était capable son
oncle quand il apprendrait qu’elle l’avait trahi ! Elle m’a presque supplié de
l’accueillir chez nous.
Furieuse, je jetai les coussins fantaisie qui décoraient notre lit sur le sol et me
redressai pour faire face à mon compagnon, qui se défendait comme il le
pouvait.
— Le territoire est rempli de maisons inhabitées ! répliquai-je en croisant mes
bras contre ma poitrine. L’une d’elles aurait largement pu l’accueillir, tu ne crois
pas ?
Le roux soupira.
— Arizona ne voulait pas se retrouver toute seule au sein d’une meute qu’elle
ne connaissait que peu dans une maison isolée, c’est tout.
Je fronçai les sourcils.
— Alors, non content de me la coller sous le nez pendant plusieurs jours, tu
l’installes en plus dans la chambre d’à côté, dans notre propre maison ? Tu te
fiches de moi ?
L’homme fit le tour du lit en bois entièrement sculpté et tenta de venir me
rejoindre, mais je l’arrêtai d’un geste de la main. Il n’allait pas s’en sortir si
facilement cette fois.
— Je n’arrive pas à croire que tu aies osé me faire une chose pareille,
continuai-je en plantant mes yeux dans les siens. Tu n’as pas pensé une seule
seconde que prendre une décision comme celle-ci pourrait me faire du mal ? Que
ça me dérangerait ? Que ça mettrait à mal ma patience et mon savoir-vivre ?
Le loup-garou inspira profondément et se redressa lentement.
— Nous avons besoin des informations qu’elle détient, dit-il calmement, il est
primordial que nous arrêtions Marcel pour endiguer la guerre qui nous pend au
nez si nous ne faisons rien.
Je secouai la tête de gauche à droite, et haussai les épaules.
— Je sais tout ça Red, je ne suis pas stupide, répondis-je, mais est-ce que tu
étais obligé de la faire venir jusqu’ici pour obtenir ces fameuses informations ?
De me la mettre sous les yeux, à quelques mètres de notre chambre à coucher ?
D’autant qu’il est évident qu’elle en pince pour toi, et qu’elle se fiche bien de
savoir que tu es marié.
Nick pencha la tête sur le côté et esquissa un sourire.
— C’est ça le problème, tu es jalouse d’elle ? supputa-t-il.
Je me renfrognai et me détournai de lui pour tirer les couvertures du lit d’un
coup sec.
— Tu es à moi Nick, je n’aime pas savoir qu’une autre femelle te tourne
autour ou te regarde avec un peu trop d’insistance.
L’Alpha laissa échapper un petit rire rauque.
— Poppy, tu es ma femme, ma moitié, et personne ne pourra me détourner de
toi. De ce côté-là, tu peux être rassurée.
— Là n’est pas la question, rétorquai-je, la présence de cette fille réveille en
moi des instincts primitifs et territoriaux, et ça me fait peur.
— Tu n’es pas une louve.
Cette phrase m’atteignit en plein cœur comme une flèche aiguisée venant
faire ressurgir des insécurités et des peurs que je m’efforçais de garder enfouies
au fond de moi. Je serrai les lèvres, blessée, et lui adressai un regard assassin qui
lui fit comprendre qu’il avait dit une bêtise. Son sourire s’évanouit aussitôt.
— Tu as raison Nick, je ne suis pas une louve, reconnus-je. Mais l’absence
d’un esprit animal en moi ne veut pas dire que je ne ressens pas le besoin de
défendre mon territoire, de marquer ma présence.
— Bien sûr Poppy, ce n’est pas ce que je voulais dire, tenta-t-il pour se
rattraper. Je… je suis désolé, je m’exprime très mal en ce moment, et je n’arrive
pas à trouver les bons mots pour apaiser ta colère.
— Non, tu n’y arrives pas, en effet.
Attrapant mon pyjama sous mon oreiller, je contournai le lycan rageusement
et m’engageai dans la salle de bain. Nick s’y prenait comme un manche, et ça
n’allait pas en s’arrangeant. Chaque mot qu’il prononçait semblait être fait pour
me blesser, pour enfoncer le clou. Et le pire, c’était qu’il ne le faisait pas exprès.
Il était sincèrement désolé de se montrer si maladroit. Mais en même temps, il ne
pouvait rien faire pour arranger les choses, parce que s’il voulait agir en Alpha
du Nord et sauver sa communauté de la crise, il devait faire des choix et prendre
des décisions parfois difficiles. Accueillir Arizona White ici était l’une d’entre
elles. Il avait dû choisir entre respecter les vœux et les besoins de sa compagne et
obtenir des éléments capitaux pouvant l’aider à éradiquer le mal qui rongeait la
société lycane, au risque de me faire de la peine et de me mettre dans une
situation embarrassante. Le choix avait vite était fait. Et encore une fois, c’était
Poppy qui trinquait et payait l’addition. Vive le mariage !
* *

Le lendemain matin, je me réveillai plus énervée que la vieille. Le simple fait


de me lever en me disant que j’allais devoir supporter une journée en compagnie
d’Arizona White, l’intruse indésirée, suffit à me foutre en rogne dès le soleil
levé. J’avais passé une mauvaise nuit en plus, et je n’avais quasiment pas dormi,
surtout pour empêcher Nick de se coller à moi pour se faire pardonner. Résultat,
lui aussi était en pétard, et les premiers à en avoir fait les frais étaient les
Gammas. Les pauvres s’étaient fait aboyer des ordres à la figure dès le petit-
déjeuner, aucun n’avait osé lever les yeux de son assiette pour contester ou pour
demander des explications, tous avaient compris que ce n’était pas le jour pour
énerver leur chef.
Arizona White fut la dernière à prendre place autour de la table de la salle à
manger. Elle arriva en se déhanchant comme un serpent vicieux, vêtu seulement
d’un petit short ultra riquiqui et d’un débardeur moulant qui mettait en valeur sa
poitrine visiblement refaite à neuf ainsi que son ventre plat. Ça m’agaça
davantage, d’autant qu’en ce moment, pour une raison que j’ignorais, j’avais le
ventre légèrement gonflé, comme bombé. Peut-être était-ce annonciateur de
l’arrivée de mes règles, ou le résultat de mon état de stress ? Quoi qu’il en soit,
moi qui n’avais jamais été complexée, voilà que je commençais à envier les
longues jambes de cette harpie et ses abdominaux saillants. Pétasse.
— Bien dormi ? lui demanda Nick lorsqu’elle vint s’asseoir à sa gauche.
Mes doigts se crispèrent autour de mon mug de chocolat chaud quand elle
vint effleurer de la main l’avant-bras de mon mari.
— Comme un loir, je te remercie. J’ai passé une nuit très calme, sans aucun
bruit perturbateur, termina-t-elle en me lançant un regard narquois.
Eh oui, cette fois, Nick et moi n’avions pas joué les sauvages dans notre
plumard. La nuit avait été froide, glaciale même.
Nick, qui avait visiblement compris l’allusion, proféra un grondement grave
qui eut le chic de la faire reculer sur sa chaise. Elle lâcha son bras et laissa
échapper un rire nerveux avant de se tourner vers la table pleine de bonnes
choses que Leah avait préparées avec amour, comme chaque matin. Elle étudia
les œufs brouillés, l’assiette pleine de bacon, les différents paquets de céréales
qu’il y avait autour d’elle, mais jeta finalement son dévolu sur une orange. Ben
voyons.
— Tu ne devrais pas boire ce genre de chose, tu sais ? me dit-elle en lorgnant
ma tasse fumante.
J’arquai un sourcil.
— C’est du chocolat chaud, lui fis-je remarquer, il n’y a rien de meilleur pour
le moral.
L’Écossais me jeta un coup d’œil en coin, les mâchoires crispées, mais
n’ajouta rien. Arizona releva le menton.
— Mais rien de pire pour la ligne, assura-t-elle, tu devrais… faire plus
attention à toi.
Je grommelai, agacée, et me redressai sur ma chaise. Je mesurai 1 m 65 pour
59 kilos, je n’avais pas besoin de faire de régime, ni de faire attention à ma ligne,
j’étais très bien ainsi.
— Merci, mais je n’ai pas besoin d’une diététicienne, marmonnai-je, et je
n’abandonnerai le chocolat chaud pour rien au monde.
Alors occupe-toi de ton cul, rajoutai-je pour moi-même.
— Ce n’était qu’un conseil, répondit-elle en souriant de toutes ses dents.
— Oui, et je n’en ai pas besoin. Je suis assez grande pour savoir ce que je dois
faire ou non.
Posant une main sur mon bras, Aiden eut le courage de relever la tête de son
plat pour essayer de détendre l’atmosphère. Sa paume diffusa sur ma peau une
chaleur réconfortante qui m’apaisa légèrement. Les loups savaient y faire, ça,
c’était le moins que l’on puisse dire.
— Bon, alors qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? s’enquit-il pour changer de
sujet.
Nick inspira un grand coup et se pinça l’arête du nez un instant, les yeux
fermés. Il réfléchit un moment, puis se passa une main sur le visage avant
d’annoncer le programme.
— Nous allons rendre visite à Carlos Ramos, l’Alpha de la Meute de Los
Hermanos.
La Meute de Los Hermanos ?
— C’est le dernier à avoir vu son territoire mis à sac, nous expliqua-t-il, peut-
être aura-t-il reconnu l’odeur d’un loup, ou un élément pouvant nous mettre sur
la piste d’un des alliés de Marcel.
— Où vit-il ? le questionnai-je, lui adressant pour la première fois la parole
depuis notre dispute de la veille.
Le loup se tourna vers moi et baissa les yeux sur la main du Gamma toujours
posée sur mon bras. Il pinça les lèvres, mécontent, puis releva la tête pour me
regarder dans les yeux.
— Jonesboro, m’apprit-il, ça va nous faire une sacrée route, mais si ça peut
nous aider à coincer les rebelles, alors nous la ferons.
— J’ai longuement réfléchi cette nuit, lâcha soudain Arizona en se raclant la
gorge, je crois avoir déjà entendu mon oncle parler de quelques planques qu’il
gardait sous le bras en cas de problème, je pense pouvoir vous dresser une liste
de certaines d’entre elles.
Je plissai les yeux et penchai la tête sur le côté.
— Je croyais que tu n’avais aucune idée d’où Marcel pouvait se cacher, et que
tu n’avais que récemment appris qu’il dissimulait des choses, intervins-je,
méfiante.
Arizona se tut quelques secondes, le regard braqué sur moi, et adopta une
position défensive en croisant ses bras contre sa poitrine.
— Toutes les meutes possèdent des territoires secrets sur lesquels elles
peuvent se replier en cas d’attaque ou de problème, se défendit-elle. La Meute
Sanguinaire en possède également. Je ne dis pas que c’est là-bas qu’il se
planque, ça je n’en sais rien, mais on ne sait jamais. Les inspecter ne coûte rien.
Nick acquiesça, apparemment d’accord.
— C’est une bonne idée, convint-il. Penses-tu avoir rédigé la liste pour notre
retour ? lui demanda-t-il. Plus vite nous l’aurons en notre possession, et plus vite
nous pourrons les investir pour voir si lui ou un de ses alliés s’y cache.
La brune hocha la tête en souriant.
— Compte sur moi.
— Très bien, alors une fois le petit-déjeuner terminé, nous nous mettrons en
route pour Jonesboro. Le temps de la passivité est révolu, c’est désormais le
moment de contre-attaquer.

J’avais insisté pour accompagner Nick, Loki, Daryl et Bram à Jonesboro.
N’ayant aucune envie de passer la journée à la maison en compagnie de
Mademoiselle Parfaite ni de la voir se trémousser d’un bout à l’autre de la villa,
j’avais opté pour cinq heures de route dans un SUV rempli de loups-garous.
Choix nettement plus judicieux que ce soit pour mes nerfs ou ma santé mentale.
Au moins les lycans, trop occupés à parler stratégie en cas d’attaque, ne faisaient
que peu attention à moi et à ce qu’il y avait dans mon thermos. Dieu merci.
— Les sortilèges lancés par Kaja sont-ils toujours opérationnels ? déclara
Nick en se tournant vers son Bêta, assis à sa droite.
— Plus depuis un mois, les sorts ont une durée limitée, il va falloir que nous
la rappelions pour remédier à ce problème.
Nick poussa un juron. Une chose de plus à noter dans son emploi du temps
déjà surchargé. D’autant que ça n’allait pas être coton de faire venir la sorcière
jusqu’à nous, elle était presque aussi demandée que mon mari ! Mais bon, ce
n’était pas les sorciers qui manquaient dans la région, et j’en connaissais
certains, très efficaces, qui pourraient nous aider à fortifier nos terres sans
problème.
— Je vais lui envoyer un mail, conclut le roux en serrant ses mains contre le
volant en cuir.
Du coin de l’œil, je vis les veines de ses avant-bras découverts se gonfler
quand il contracta les muscles de son corps tendu. Toutes ces choses à faire
commençaient à lui taper sur le système.
— Les gardes des Gammas reprendront deux par deux à partir d’aujourd’hui,
rajouta-t-il. Ce sera plus sûr pour eux.
— J’ai prévenu Alex par message, il fait passer le mot, acquiesça Daryl en
rangeant son portable dans sa poche. Sam et Aiden sont tous les deux au portail,
et Walter fait des rondes autour de la clôture pour vérifier son état.
— Parfait. À partir de maintenant, nous allons devoir nous montrer plus
vigilants. Nous sommes forts, mais nous sommes peu nombreux, et si Marcel
décide d’attaquer par surprise avec toute une armée derrière lui, la situation
pourrait vite tourner au drame pour nous.
— Tes alliés ont-ils été prévenus de notre position ? demandai-je alors.
Nick me lança un regard dans le rétroviseur, il fit un geste positif du menton.
— Je n’ai pas eu à cœur de prévenir Vincent, mon grand-père a eu son lot de
batailles au cours de sa longue carrière, ma grand-mère désire maintenant
profiter de son mari sans être embêtée par les affaires lycanes. Cependant, j’ai
contacté la Meute du Sud, ainsi que les meutes alliées alentour pour les tenir
informés des projets de Marcel.
— La Meute du Sud ? répétai-je, la gorge subitement sèche.
— Oui, Benny devrait arriver en Arkansas d’ici quelques jours, histoire de
nous prêter main-forte en cas d’assaut.
Oh…
Mon histoire avec la Meute du Sud avait commencé presque au même
moment que celle avec Nick. J’avais rencontré Benny Teller, l’Alpha de celle-ci,
alors que nous enquêtions sur la disparition de Judy, sa fille. À cette occasion,
j’avais fait la connaissance de toute la famille Teller : Ella, la grand-mère, Trisha
la mère, et même Mark, le grand-frère de mon compagnon. Autant dire qu’en
tant qu’humaine et chasseuse de surcroît, je n’avais pas été accueillie à bras
ouverts. Je m’étais peut-être même fait deux ou trois ennemis au sein de cette
drôle de troupe. L’ambiance chez la belle famille avait été mouvementée, et Nick
avait bien failli étriper quelqu’un avant la fin de notre séjour. Mais ça aurait pu
être pire, bien pire…
J’avais caché un incident à mon mari. J’avais gardé un secret que je ne lui
avais jamais révélé, et dont seul Benny, son père, et moi connaissions
l’existence. Si jamais il venait à éclater au grand jour, nous savions tous les deux
que ça pourrait rendre complètement fous Nick et son loup, et que les
conséquences seraient irréversibles. C’était pour cette raison que nous avions
décidé, mon beau-père et moi, de rester aussi éloignés l’un de l’autre que
possible. Et pour être honnête, ça me convenait parfaitement ainsi. Parce que je
n’étais pas certaine de savoir cacher les ressentiments que j’éprouvais envers
Benny, et si Nick venait à s’apercevoir qu’un malaise existait entre nous, il
finirait par poser des questions auxquelles je n’avais aucune envie de répondre.
Déjà que la situation était assez difficile avec Arizona White dans les parages,
mais si je devais en plus faire face à Benny, et à mes secrets, alors je n’étais pas
certaine de m’en sortir indemne cette fois.
— Tout va bien Poppy ? s’inquiéta Bram en me donnant un coup d’épaule
discret.
Clignant plusieurs fois des paupières, je hochai la tête avant de me tourner
vers lui. Je lui souris.
— Oui, bien sûr, lui assurai-je. Oh ! Regardez, on est arrivés, je crois.
Jonesboro était une ville de l’Arkansas typiquement américaine. La ville était
le siège du comté de Craighead et comptait une population de plus de
75 000 habitants. Initialement, la région était habitée par les Amérindiens, et elle
avait ensuite accueilli des colons européens vers 1815. Pour moi et pour
beaucoup de natifs de l’Arkansas, Jonesboro était une ville mystérieuse, victime
de son histoire.
En effet, la métropole avait connu de nombreux accidents tragiques au cours
de ses années d’existence. Au XIXe siècle, la ville fut ravagée par un nombre
impressionnant d’incendies. Dans les années 1930, une guerre entre deux églises
força les autorités à intervenir pour calmer les jeux. Et pour finir, la ville avait vu
en 1998, deux adolescents tirer sur la population.
Pour les superstitieux, tout ceci était le résultat du massacre des Amérindiens,
et du vol de leurs terres. Selon eux, la ville avait été construite sur une terre
maudite, et c’était pour cette raison qu’il s’y passait toutes ces choses atroces.
Pour ma part, je préférais me tenir loin des endroits réputés maudits, alors je ne
mettais que rarement les pieds ici. D’autant qu’il régnait ici une chaleur à crever,
ce qui suffisait à me dissuader de venir m’y promener. Mais malheureusement
pour moi, aujourd’hui, je n’avais pas d’autre choix que d’affronter la
température, même si j’avais ces jours-ci tendance à me sentir étourdie lorsque
le soleil me tapait sur le front.
Carlos Ramos, l’Alpha de la Meute de Los Hermanos nous avait donné
rendez-vous au Sureño, le restaurant mexicain qu’il tenait avec sa femme et
quelques membres de sa meute. C’était un établissement qu’il avait monté lui-
même en arrivant ici, en Amérique, comme me l’avait appris Loki durant notre
trajet pour venir jusqu’ici. Le Bêta m’avait expliqué que Carlos venait du
Mexique, et qu’il était arrivé aux États-Unis il y a plusieurs années avec ses trois
frères. C’était ensemble qu’ils avaient créé la Meute de Los Hermanos, et même
si de nos jours, les trois frères ne vivaient plus sur le même territoire, Carlos
continuait de prendre soin des loups qui vivaient avec lui.
D’après ce que j’avais compris, c’était un homme bien, qui chérissait les siens
plus que tout et qui, malgré l’attaque qu’il avait récemment subie, n’avait pas
retiré son soutien à la Meute du Soleil. La loyauté faisait partie de ses valeurs, et
c’était tout à son honneur.
Nick gara son SUV après près de quatre heures et quarante-cinq minutes de
trajet. Daryl et Bram s’empressèrent de sortir de la voiture, tout comme Loki et
Nick qui, en bons loups-garous, supportaient très mal l’enfermement. Je les
imitai rapidement, et posai les pieds à terre avec plaisir avant de m’étirer
lourdement. J’avais des douleurs dans les jambes à force d’être restée assise, et
un léger mal de ventre. La route avait été longue, et j’avais plusieurs fois au
cours du chemin eu envie de vomir mon déjeuner. La fatigue probablement.
— Allons-y, nous enjoint le highlander après avoir pris une profonde
inspiration, Carlos nous attend.

6

Carlos Ramos était un grand gaillard mexicain bâti comme un rugbyman,


dont l’accent chantant remplissait d’une ambiance chaleureuse son restaurant
familial. L’homme aux cheveux noirs et au teint basané nous avait accueillis sur
son territoire à bras ouverts, serrant dans une étreinte solide les hommes que
j’accompagnais, et me saluant respectueusement en secouant ma main dans la
sienne avec énergie. Je crus perdre un bras, mais finalement, je me sortis de ces
salutations avec brio, et avec une simple luxation de l’épaule. Façon de parler.
Après m’avoir présenté sa femme, qui se chargeait de servir les clients
aujourd’hui, l’Alpha nous invita à nous asseoir dans un coin de la salle, autour
d’une table en bois à laquelle nous attendait un autre homme, son Bêta.
— Bonjour Arturo, le salua Nick en serrant sa paume dans la sienne
fermement.
— Nick, répondit l’autre en hochant la tête avant de répéter l’opération avec
Loki, Bram et Daryl.
Quand il en eut fini avec ses homologues, le dénommé Arturo se tourna vers
moi et plissa les paupières en m’observant des pieds à la tête.
— Tu dois être Poppy, dit-il, Poppy Evans, la chasseuse.
J’arquai un sourcil et soupirai alors que Nick retenait avec peine un
grognement de désapprobation. Le roux posa une main sur mes reins, ce qui eut
le chic de me raidir, et m’attira à lui pour aligner mes jambes aux siennes.
— Poppy Teller, rectifia-t-il, mon âme-sœur, et ma femme.
J’étais toujours impressionnée de voir que 80 % des gens que nous
rencontrions avec Nick ne me voyaient pas comme Poppy Teller, la femelle
Alpha de la Meute du Soleil et l’âme-sœur de l’Alpha du Nord, mais comme
Poppy Evans, l’humaine et chasseuse. C’était comme s’il n’y avait que cela qui
comptait : mon travail et ma nature. Je n’étais que ça, et je ne serai jamais plus
que ça quoi qu’il pût arriver. C’était sans doute pour cette raison que les louves
tournaient toujours autour de mon mari en société, parce qu’elles ne pigeaient
pas qu’il était pris. Ça faisait mal au début, mais avec le temps, je finissais par
m’y habituer.
— Oui bien sûr, pardonne-moi, s’excusa l’homme qui nous faisait face en
s’asseyant à côté de Carlos. Je suis Arturo Ortiz, se présenta-t-il alors en
plongeant ses iris sombres dans les miens, le Bêta de la Meute de Los Hermanos.
Installez-vous, je vous en prie.
Dégageant la paume de mon compagnon toujours dans mon dos, je tirai l’une
des chaises en bois autour de la table avant de m’y asseoir. Nick serra les lèvres
mais prit place à mes côtés sans broncher, tout comme les trois autres lycans
s’installèrent à leur tour. Carlos riva son regard sur moi, puis sur Nick, il étudia
la distance entre nos deux chaises, mais ne dit rien. Au lieu de ça, il se racla la
gorge, et se concentra sur la raison de notre venue.
— Alors comme ça, c’est cet enfoiré de Marcel Jay White qui aurait ruiné le
mariage de ma petite fille, c’est bien ça ? lança-t-il en gonflant ses muscles et en
relevant le menton.
Je fronçai les sourcils, curieuse.
— Le mariage de votre fille ?
Le restaurateur hocha la tête.
— Nous célébrions l’union de ma petite dernière lorsque notre territoire a été
attaqué, m’expliqua-t-il. La zone était moins protégée ce soir-là, justement parce
que nous faisions la fête, et que nous ne nous attendions pas à une menace venue
de l’extérieur. Depuis que nous avions ouvertement offert notre soutien à la
Meute du Soleil et à ta politique, Nick, plus aucune meute ne cherchait à s’en
prendre à nous.
— Alors vous avez baissé la garde, comprit Daryl, c’est compréhensible.
— Oui, sauf que l’ennemi a frappé quand on s’y attendait le moins, et nous
n’étions pas prêts à faire face à une telle attaque, répliqua Arturo en croisant ses
bras entièrement tatoués sur son torse.
Sa peau hâlée était décorée d’une encre noire qui semblait s’être estompée
avec les années. Ses tatouages devaient avoir une signification particulière, mais
celle-ci m’échappait, seule la larme tatouée sous son œil droit me paraissait
familière. Si je me souvenais bien, pas mal de membres de gangs arboraient ce
genre de symbole pour signifier qu’ils n’étaient pas étrangers à la mort. Arturo
Ortiz n’avait pas l’air d’un tendre, je me doutais bien qu’il avait dû faire des
choses au cours de sa vie pas très jolies jolies.
— Heureusement, reprit l’Alpha, à l’occasion du mariage de ma princesse,
pas mal de nos alliés et amis s’étaient déplacés, nous permettant ainsi de faire
face à nos assaillants. Nous avons eu des pertes à déplorer ce soir-là, et ma
femelle a bien failli y passer elle aussi, gronda-t-il en jetant un coup d’œil à sa
compagne, qui servait des clients.
— Toi ou l’un de tes loups avez-vous pu reconnaître l’odeur ou l’apparence
d’un de vos opposants ? demanda Loki.
Carlos secoua la tête.
— La bataille faisait rage, expliqua-t-il, identifier des personnes en plein
combat s’est révélé assez compliqué. Cependant, si nous avons eu à déplorer des
morts, leurs rangs aussi ont morflé, et nous avons pris certains des leurs avant
qu’ils ne s’enfuient.
— Certains avaient repris forme humaine avant de mourir, ajouta Ortiz en
hochant la tête.
Nick et moi échangeâmes un regard en coin.
— Donc, avez-vous pu en reconnaître certains ? les questionna-t-il.
Ma poitrine se gonfla d’espoir.
— Pour la plupart, non, déplora l’Hispanique, mais nous avons pu identifier
deux d’entre eux, termina-t-il avec un sourire plein de fierté.
— Qui étaient-ils ? grogna Bram, impatient.
— Des solitaires, tous deux vivaient dans le Maryland, à Rockville plus
précisément. Ils travaillaient au noir, pour des meutes illégales et non déclarées.
— Des tueurs à gages ? supputa le grand blond à la crinière de lion.
Nos deux interlocuteurs acquiescèrent.
— Exactement, ils n’étaient pas peu connus du Lieutenant du Nord, que nous
avons contacté pour tenter d’obtenir des informations à leur sujet. Dorofeï avait
un gros dossier les concernant, apparemment, ces deux-là avaient déjà travaillé
pour des meutes rivales à la sienne, et ils avaient été plusieurs fois engagés par
des Alphas voulant faire disparaître des rivaux. Ils travaillaient en équipe et se
connaissaient très bien puisque tous les deux étaient frères.
— Des frères ? répétai-je. Des loups-garous solitaires ?
— Non, déclara Carlos, pas des loups-garous, des jaguars, des frères jaguars.
Mes quatre acolytes poussèrent des grondements menaçants qui firent se
retourner certains des clients du restaurant mexicain. Nick passa une main sous
la table pour la poser sur ma cuisse, seul moyen pour lui de maintenir le peu de
calme qu’il possédait. Je ne le repoussai pas.
— Vous en êtes sûrs ? insista-t-il, les mâchoires serrées.
Mes sourcils se froncèrent davantage.
— Oui, j’en suis sûr, lui assura Carlos en lançant un regard à sa femme, suivi
d’un hochement de tête.
La grande brune au teint bronzé disparut derrière une porte battante. Je
secouai la tête un instant, pas certaine de tout comprendre.
— Je ne suis pas sûre de tout saisir, soufflai-je en attrapant les doigts de mon
compagnon pour attirer son attention, qu’est-ce que ça signifie ?
L’armoire à glace à ma gauche entrelaça ses doigts aux miens, mais ne se
tourna pas vers moi. Au lieu de ça, il fit rouler ses larges épaules massives et
inspira profondément.
— Ça signifie que l’ennemi, que ce soit Marcel Jay White ou un de ses alliés,
engage des solitaires de toutes races pour s’en prendre à nous. Donc qu’en plus
de nous méfier des rebelles lycans, nous devons maintenant surveiller les actions
des autres métamorphes et surtout des solitaires. Nos ennemis recrutent
désormais des adeptes au sein des autres communautés pour gonfler leur armée
de dégénérés.
À ce moment-là, l’épouse de notre hôte revint avec, entre ses mains, un petit
dossier. Elle le remit à son mari, et lui caressa les cheveux tendrement avant de
retourner à son travail. La façon dont ils se regardaient tous les deux me fit
sourire. Ils avaient l’air si amoureux l’un de l’autre que ça me donna
soudainement envie d’être proche de ma propre moitié. Enfin, avant que je me
rappelle que nous n’étions pas en bons termes, bien sûr… Je n’aimais pas les
disputes, pourquoi fallait-il toujours que Nick et moi nous crêpions le chignon ?
Parce que c’est un abruti qui trouve toujours le moyen de te foutre en pétard, et
aussi parce que tu es trop susceptible en ce moment… Vive l’arrivée des
symptômes prémenstruels, ouais !
— Tiens, reprit Carlos en tendant à Nick la pochette en carton que lui avait
remis sa femme. C’est tout ce que j’ai trouvé sur les deux jaguars, si ça peut
t’aider d’une quelconque façon, je préfère que ce soit toi qui aies ces
informations en ta possession.
L’Écossais le remercia d’un signe de tête puis, après un instant de silence qui
s’éternisa quelques secondes, décida de se lever pour prendre congé.
— Merci pour ton aide Carlos, je te revaudrai ça, dit-il en lui tendant la main.
L’autre la serra avec vigueur et acquiesça à son tour.
— Compte sur moi en cas de problème Nick, la Meute de Los Hermanos est
toujours prête à aider ses amis si besoin est.
Les deux hommes échangèrent des regards entendus. Nous dîmes au revoir à
tout le monde avant de sortir du restaurant et de rejoindre notre SUV.
— Bon, et que faisons-nous maintenant ? m’enquis-je en m’arrêtant à hauteur
de la portière arrière. Nous ne pouvons pas investir toutes les planques des
créatures solitaires, et les passer à tabac pour savoir s’ils bossent ou non avec
nos ennemis.
— Non, mais nous allons essayer de tirer le maximum de choses du dossier
que nous a remis Carlos, et tenter de trouver ceux qui ont recruté les jaguars pour
attaquer son territoire. À mon avis, ça ne m’étonnerait pas que plusieurs autres
des assaillants aient été des solitaires spécialement engagés pour mettre à sac les
terres de nos associés.
— Pourquoi ?
— Parce que les solitaires sont invisibles, m’expliqua Bram, qui connaissait
très bien son sujet. Il est très difficile de remonter jusqu’à eux puisqu’ils ne sont
rattachés à aucune meute, à aucun essaim, ou à aucune communauté. Les
commissions des solitaires sont payées en liquide, de ce fait, il est presque
impossible de remonter jusqu’à leurs employeurs. Ce qui garantit à nos ennemis
de rester tranquillement à l’abri pendant que leurs petites mains se chargent du
sale boulot.
— Ils peuvent comploter contre nous en toute tranquillité du coup, acheva
Daryl en pinçant les lèvres, et mieux fignoler leur plan d’attaque.
— Je vois, soupirai-je, donc on fait quoi ?
— On rentre à la maison, répondit Nick en ouvrant sa portière, Arizona nous
aura sans doute écrit sa liste. Il va falloir que nous nous rendions sur les
territoires qu’elle nous aura signifiés pour les fouiller.
En entendant le nom d’Arizona, je sentis la mauvaise humeur revenir en
flèche. J’esquissai une grimace et montai sur la banquette arrière pour aller me
coller contre une fenêtre. Le simple fait de savoir que j’allais devoir me la
coltiner chez moi à notre retour me donnait envie de déprimer, mais avec un peu
de chance, les quatre heures et quarante-cinq minutes de route qui nous
attendaient allaient sans douter m’aider à me faire à l’idée ?

J’avais tort. Même après plusieurs heures de route passées à ruminer et à
mettre toute ma bonne volonté en avant, je ne parvins pas à sourire à l’immense
louve brune lorsqu’elle se précipita hors de la maison alors que nous sortions du
4 x 4.
— Nikolas ! s’écria-t-elle quand celui-ci s’extirpa de son siège. Comment ça
s’est passé ? Tu as passé une bonne journée ?
Fronçant les sourcils, j’observai d’un œil mauvais la jeune femme qui s’arrêta
à quelques centimètres seulement de mon compagnon et commença à tripoter ses
cheveux la tête légèrement inclinée sur le côté. Elle le draguait ouvertement,
cette garce !
— Nous avons vu Carlos, lui apprit-il en inspirant un grand coup et en
enfonçant ses mains dans ses poches. Il a pu nous offrir des informations
intéressantes concernant l’attaque que lui et les membres de sa meute ont subie
récemment. Tu es parvenue à retrouver les adresses des territoires secondaires de
Marcel ?
Les quatre loups s’engagèrent d’un même pas vers la villa, la nièce de
l’ancien Lieutenant de l’Ouest leur emboîta le pas alors que je restais figée à côté
de la voiture, incapable de bouger. Je regardais la manière dont Nick et Arizona
étaient bien assortis, ils étaient beaux l’un à côté de l’autre, royaux presque. Elle
était ravissante, et lui était tout simplement chaud comme la braise. Ils étaient
parfaits, et c’était rageant.
Alors que je les fixais, le regard vide, une main se posa sur mon épaule, me
faisant sursauter. Quand je me retournai d’un bond, je m’aperçus qu’il ne
s’agissait que de Sam.
— Tu veux me faire faire une attaque ? éructai-je, les dents serrées.
Le loup leva ses paumes en l’air en signe d’apaisement, et se redressa ensuite
en jetant un coup d’œil aux cinq lycanthropes qui entraient dans la maison sans
jeter de regard en arrière pour s’assurer que je les suivais bien. Ce qui, soit dit en
passant, n’était pas le cas. Merci les gars, sympa.
— Qu’est-ce que tu fais dehors, Peters ? le questionnai-je. Tu étais censé
rester à l’intérieur pour surveiller
Miss Parfaite pendant notre absence !
Avant de partir pour Jonesboro, j’avais demandé à Sammy de garder un œil
sur Arizona White. Je ne lui faisais pas confiance, et mon instinct me poussait à
rester méfiante vis-à-vis d’elle. Dieu seul savait ce dont elle était capable, après
tout, elle était de la même famille que White ! Peut-être n’était-elle pas ici pour
nous aider, mais pour nous espionner ? Et si elle avait attendu notre départ pour
fouiller dans les papiers de Nick, et donner le nom de tous les alliés de celui-ci à
son oncle fou à lier ? Ce n’était pas impossible ! Et c’était d’ailleurs pour cela
que j’avais demandé à Sam de veiller à ce qu’elle reste bien sage en notre
absence. Alors pourquoi diable était-il ici ? Planqué dans les buissons ?
— Je l’ai surveillée ! plaida-t-il. Mais elle n’arrêtait pas de parler et de parler,
me vantant les mérites de Nick, sa beauté incroyable et sa force brute. Et puis
elle s’est mise à déblatérer un flot incroyable de conneries concernant les
fringues, le maquillage, et la cuisine sans matière grasse ! J’allais péter les
plombs si je restais là-bas !
— Alors tu l’as laissée seule chez nous ? m’égosillai-je, outrée.
— Non ! Leah est restée un peu, mais il fallait qu’elle rentre chez elle pour
nourrir Hunter, j’ai campé devant la maison en attendant votre retour. Et puis, le
bureau de Nick était fermé à clé, alors pas de risque qu’elle soit allée fouiller
dedans !
Levant les yeux au ciel, je secouai la tête de gauche à droite et me plaquai une
main sur le front où une douleur persistante semblait ne pas vouloir s’en aller. Il
allait falloir que je prenne une aspirine et que je mange un truc. Je mourrais de
faim !
— Bon très bien, rentrons, soupirai-je, mon ventre crie famine et il faut vite
que j’y fasse entrer un truc pour calmer son courroux.
Sam sembla tout à coup mal à l’aise.
— Hum, je suis pas sûr que tu puisses trouver grand-chose à te mettre sous la
dent en rentrant chez toi, marmonna-t-il.
Je fronçai les sourcils, et relevai la tête pour l’interroger du regard.
— Pourquoi ça ?
Je n’en revenais pas. Arizona White avait fait le grand ménage dans nos
placards et dans notre frigo, virant tous les produits jugés sucrés ou trop gras.
Résultat, je ne trouvais rien de satisfaisant pour calmer les grognements de mon
estomac affamé.
— C’est une putain de blague ? m’agaçai-je en me tournant vers le salon
depuis la cuisine. Tu as jeté les trois quarts de notre nourriture ?
L’objet de mes ressentiments les plus noirs, confortablement installé sur l’un
des trois gros canapés en cuir du salon, me jeta un regard désinvolte par-dessus
son épaule. Je fis le tour de l’îlot central et traversai la longue pièce ouverte qui
réunissait la cuisine, la salle à manger et le salon pour venir me poster devant
notre invitée.
— Je trouvais qu’il y avait trop de cochonneries ici, dit-elle, que des choses
mauvaises pour la ligne.
Pour appuyer son propos, la jeune femme baissa les yeux sur mon ventre
quelque peu gonflé. Je croisai mes bras contre ma poitrine.
— Tu n’avais pas le droit de faire ça.
— Poppy, ce n’est qu’un détail, souffla Nick en levant le menton pour me
regarder.
Je serrai les lèvres.
— Un détail ? Je suis affamée maintenant !
— Ça ne te ferait pas de mal d’essayer les légumes pour une fois, railla la
brune, je crois que ça ne déplairait pas à Nick d’avoir une compagne un peu
plus… en forme.
Cette fois-ci, mes nerfs lâchèrent. Une rage venue du plus profond de mon
être me submergea. Je retroussai ma lèvre supérieure pour découvrir mes dents
et, à mon plus grand étonnement, proférai un grognement animal tout droit sorti
de mes tripes. Ce son bestial, inhumain, eut le chic de surprendre tous les loups
réunis dans la pièce ainsi que mon adversaire, qui recula sur son canapé, les yeux
écarquillés.
— Toi, ce dont tu aurais besoin, c’est de la fermer, et de me laisser le soin de
décider ce qui est bon ou non pour mon mari, tu piges ? grondai-je de nouveau
en serrant les poings.
Prenant soudainement conscience de ce que je venais de faire, je reculai d’un
pas et me redressai lentement. Je portai une main à mes lèvres, surprise, et
fermai la bouche un long moment. Nick se leva du canapé, lui aussi, abasourdi,
et posa une main sur mon épaule. Un silence de mort s’était abattu sur le salon,
personne n’osait bouger, ni même respirer, apparemment.
— Poppy, tu es sûre que ça va ? me demanda-t-il prenant mon menton entre
deux doigts afin de m’obliger à lever la tête vers lui.
Sous le choc d’avoir pu faire preuve d’autant d’animosité, je repoussai sa
main et reculai de plusieurs pas. Il fallait que je m’éloigne de cette fille avant de
me transformer en bête sauvage, et de lui sauter dessus pour lui arracher les
lèvres qui lui servaient à sourire.
— Je vais aller faire des courses, lâchai-je alors, je reviens dans une heure.
— Poppy…
Avant de lui laisser le soin de me retenir, je tournai les talons et attrapai mon
sac à main devant la porte d’entrée avant de sortir en trombe de la maison. Je ne
savais pas ce qui était en train de m’arriver, mais la présence d’Arizona White
sous le même toit que moi faisait ressortir chez moi mes instincts les plus
sombres, les plus primitifs. Ma colère montait crescendo. Je craignais qu’elle
finisse par me dévorer toute entière, et qu’elle fasse exploser l’essence divine qui
sommeillait en moi. Et si jamais cela venait à arriver, je n’étais pas certaine de
l’issue de toute cette histoire.

7

J’étais d’une humeur massacrante. Durant tout le trajet que j’effectuais


jusqu’au supermarché de Springdale, je ne pus m’empêcher de ruminer ma
colère et de penser à toutes les choses que j’aimerais faire à Arizona White pour
qu’elle arrête de parler et de me pourrir la vie. Comment avait-elle pu décider en
une après-midi de virer toute la bouffe qu’il y avait chez moi ? D’insinuer que
j’avais besoin d’un régime ? Que cela ferait plaisir à Nick si je perdais du poids ?
Jusqu’à preuve du contraire, mon mari aimait mon corps, et il ne s’en était
jamais plain, bien au contraire ! D’autant que je n’étais même pas en surpoids !
C’était quoi ces conneries encore ?
J’étais irritable en ce moment, et ce n’était pas la période pour me foutre en
rogne en me parlant de mon aspect physique. Qui me convenait parfaitement en
plus. J’étais légèrement ballonnée, oui, mais c’était parce que mes règles allaient
bientôt arriver pour me pourrir la vie pendant une semaine, pas parce que je
mangeais trop de fast-food !
Si personne ne l’avait déjà compris, je n’aimais pas Arizona. Quelque chose
chez elle, hormis ses remarques acerbes, ses manières de princesse et la façon
dont elle dévorait des yeux mon compagnon me déplaisait. Son histoire me
paraissait bancale. Comment avait-elle pu ignorer que son oncle et Alpha
trempait dans des affaires sordides alors que, un, toute la société surnaturelle
était au courant, et deux, qu’elle vivait en permanence avec lui. Toute la Meute
Sanguinaire était impliquée dans de drôles de trafics, personne n’était sans savoir
que Marcel détestait les humains, et qu’il était prêt à tout pour voir l’avènement
des loups-garous se produire. Il l’avait clairement dit lors de notre rencontre à
Little Rock.
Parfois, le meilleur moyen d’observer l’ennemi, était de se glisser dans ses
rangs. C’était ce qu’on nommait plus couramment une infiltration. Si Marcel
était aussi taré que je le croyais, il était tout à fait capable d’envoyer sa propre
nièce au casse-pipe sous la protection d’une couverture. D’une traître à sa meute
par exemple. Ainsi, en se faisant passer pour une pauvre fille innocente qui
venait de découvrir que son plus proche parent était un monstre, elle pouvait
essayer de grappiller des infos sur la Meute du Soleil et sur la structure de notre
territoire. Après tout, c’était elle qui avait apparemment insisté pour loger chez
nous, dans la maison principale, où se trouvait le bureau de Nick et tous ses
documents professionnels.
Une chose était sûre, si elle avait de mauvaises intentions à l’égard des miens,
de ma famille, elle le paierait cher, ça c’était une promesse !
J’avais choisi de me rendre au supermarché le plus éloigné possible de la
maison. Rouler à bord de ma Mustang me faisait du bien, ça m’aidait à me vider
l’esprit. Il était 21 h 30, la route était presque déserte et le soleil s’était couché
depuis une heure ou deux maintenant. Je fus la seule à me garer devant la
supérette isolée, il n’y avait aucune voiture sur le parking, ni aucun véhicule
immobilisé devant la pompe à essence installée juste devant l’établissement.
Je coupai le moteur, défis ma ceinture et m’extirpai de ma voiture en prenant
soin d’emporter avec moi mon sac à bandoulière. Je marchai d’un pas décidé
vers la porte en verre du magasin et la poussai de l’épaule pour m’y engouffrer.
À l’intérieur, la climatisation était en marche. Le choc de température entre
l’extérieur et l’intérieur m’agressa, trop brutale pour moi ; des petits frissons se
mirent à couvrir mes bras dénudés. Peut-être aurais-je bien fait d’emporter une
veste avec moi avant de quitter mon domicile en furie ?
— Bonsoir.
Tournant la tête sur le côté, je découvris un jeune homme partiellement
masqué par une porte, derrière la caisse. Il avait les cheveux en pétard et portait
un tee-shirt sur lequel se trouvait le logo de la boutique. Il n’avait pas l’air
d’avoir plus de 16 ans.
— Bonsoir, répondis-je en souriant, je viens faire des courses, expliquai-je en
attrapant un panier à l’entrée.
Il hocha la tête.
— D’accord, je serai dans la réserve si vous avez besoin de quoi que ce soit,
j’ai des cartons à déballer.
J’acquiesçai. Le garçon replaça ses casques sur ses oreilles et disparut derrière
la porte de service sur laquelle était accroché un écriteau : « réservé aux
employés ». Seule, j’attrapai mon propre téléphone dans mon sac et y accrochai
mes écouteurs avant de lancer la musique dans mes oreilles. Il n’y avait personne
pour me regarder, je pouvais danser entre les rayons pour me défouler sans
risque d’être épiée.
Me trémousser sur du Avicii entre les étagères d’un supermarché en pleine
nuit me fit un bien fou. J’empilai dans mon panier les trucs les plus gras et les
plus sucrés que je pouvais trouver tout en me déhanchant sur Addicted to You, et
cela en envoyant chier mentalement cette idiote d’Arizona White ainsi que cet
idiot de Nick Teller qui lui passait le moindre de ses caprices. Oui, un bien fou.
Soudain prise d’une folle envie de glace au caramel, je m’arrêtai devant le
rayon « surgelés », et me penchai au-dessus des congélateurs aux vitres
transparentes pour vérifier leur stock. Mais alors que j’étais particulièrement
concentrée sur mon choix, et sur la musique qui emplissait toujours mes oreilles,
une main se posa à l’arrière de ma tête et entraîna violemment mon visage contre
la surface dure des vitres.
Prise de court, je retins de justesse un cri de surprise, et à la place, fis de mon
mieux pour ignorer la douleur qui explosa dans mon front. Ce fut comme si mon
crâne se fendait en deux. L’euphorie retomba aussitôt, remplacée par un
sentiment de panique qui me plongea immédiatement en état d’alerte. Par
réflexe, je repliai mon coude et l’envoyai vers l’arrière pour frapper mon
adversaire, mais celui-ci fut plus rapide. Il tira sur mes cheveux et fit en sorte de
me retourner pour que je lui fasse face.
Je ne connaissais pas cet homme. Je ne l’avais jamais vu nulle part, je n’y
avais jamais été confrontée, et ça, j’en étais plus que certaine. Je n’oubliais
jamais un visage. Il n’était pas humain, ça aussi, j’en étais sûre. Il était bien trop
grand et massif pour être un homme lambda, et la lueur animale que je voyais
briller dans son regard furieux m’en disait long sur son origine surnaturelle. Il
était brun, ses traits étaient tirés par une expression cruelle et déterminée.
L’individu portait un tee-shirt noir moulant et était presque aussi baraqué que
mon mari. Me battre contre ce monstre allait sans doute s’avérer compliquer.
— Tu vas mourir ce soir, chasseuse, dit-il d’une voix grave en enserrant ma
gorge dans ses grandes paluches.
Complètement sous le choc, je ne parvins pas à réagir tout de suite.
Rapidement, l’oxygène me fit défaut, ma trachée se vit complètement broyée par
les paumes puissantes de mon assaillant, ce qui me poussa à sortir de mon
étourdissement pour contre-attaquer.
Profitant du fait que mon dos était appuyé contre les congélateurs, je poussai
vers l’arrière, et relevai mes deux jambes en même temps afin d’appuyer mes
pieds contre son abdomen suffisamment fort pour le repousser. L’homme recula
de plusieurs pas et lâcha mon cou, contraint et forcé, me permettant de respirer à
nouveau.
— Pas aujourd’hui, répliquai-je en me remettant sur pieds et en massant mon
cou endolori.
Observant les alentours furtivement, je vis que nous étions seuls. Le caissier
était encore dans la réserve, et avec les écouteurs sur les oreilles, il ne risquait
pas d’entendre grand-chose si nous faisions du grabuge. Ainsi, peut-être avait-il
une chance de ne pas être blessé.
Remise de mes émotions, je me redressai sur mes jambes, et fis rouler mes
épaules pour essayer de décrisper mes muscles raidis. J’avais mal au crâne, mais
ça, ça attendrait. Au lieu de me focaliser là-dessus, je relevai les poings, et me
mis en garde. Ça allait chier.
— Qui t’envoie ? lui demandai-je en plantant mon regard dans le sien. Marcel
Jay White ?
— Je n’ai pas à répondre à tes questions, femelle, éructa mon opposant en
s’élançant dans ma direction.
Projeté vers moi à une vitesse impressionnante, je sentis que la collision me
ferait mal. Aussi, je me jetai au sol pour éviter sa grande carcasse, fit un roulé-
boulé, et me relevai sur mes jambes sans trop de difficulté. J’attrapai une
bouteille de whisky sur l’une des étagères du rayon, et quand je me retournai,
frappai mon adversaire avec en plein sur la tête. La bouteille explosa en mille
morceaux, l’alcool se déversa sur son visage et sur le sol, éclaboussant mes
vêtements au passage. L’homme gronda, furieux, et vacilla sur ses jambes une
seconde avant de se tourner vers moi, une lueur menaçante dans les yeux.
— Je vais te crever salope.
À ce moment-là, les iris humains plongés dans les miens mutèrent pour être
remplacés par des iris de loup. Je compris quand il retroussa sa lèvre supérieure
et qu’il découvrit ses canines acérées en grognant qu’il allait se transformer. Oh
oh…
Alors que les os de mon assaillant commençaient à se briser les uns après les
autres, la panique refit surface et je décidai de fuir. Je tournai les talons et
m’élançai aussi vite que possible vers la sortie de la supérette. Ma voiture n’était
pas loin, à l’intérieur, sous la banquette arrière, j’avais un fusil rempli de balles
en argent qui pourrait me permettre de rivaliser avec un lycan sous sa forme
animale. C’était ma seule et unique chance.
Malheureusement pour moi, alors que j’atteignais la sortie du rayon, une
violente douleur éclata au niveau de mon mollet droit. Je poussai un hurlement
en m’effondrant au sol, à plat ventre. Le loup m’avait eue, je découvris avec
horreur en baissant les yeux que ses crocs étaient solidement plantés dans la
chair de ma jambe. Une immense bête enragée avait pris la place de mon
attaquant, et celle-ci, au vu de son regard furieux, semblait décidée à aller
jusqu’au bout et à me faire la peau.
L’animal gronda et resserra sa prise sur mon mollet. Un nouveau hurlement
s’échappa de mes lèvres lorsque je sentis mon os se casser. Le sang jaillit de la
blessure, ma chair déchirée laissa couler abondamment un liquide rougeâtre qui
se déversa sur le carrelage du magasin. Le loup-garou m’entraîna en arrière en
tirant sur ma jambe ; je criai à pleins poumons en essayant de trouver une prise à
laquelle m’accrocher, en vain. Il allait me tuer, j’allais crever ici, coincée entre le
rayon alcool et le rayon « surgelés » dans un supermarché miteux en bord de
route.
Non ! Pas question ! Je ne voulais pas mourir, je ne voulais pas laisser le
plaisir à cette pétasse d’Arizona White de consoler mon mari quand je serais
dans la tombe. Plutôt lécher le cul d’une vache que de laisser un truc pareil
arriver !
Sentant la rage monter en moi à mesure que le loup s’enfonçait dans le rayon
en m’attirant avec lui, je me concentrai sur cette colère noire qui faisait bouillir
mon sang, et tentai de la canaliser pour faire ressurgir cette énergie qui m’avait
permis d’achever un vampire quelques mois plus tôt, alors que celui-ci m’avait
enlevée. Je pensais à toutes les choses que j’allais louper si je mourais ce soir, à
la joie que ressentirait Arizona, à la tristesse dans laquelle se laisserait sombrer
Nick, aux projets que nous ne pourrions jamais réaliser. Je ne pouvais pas
mourir, je ne le pouvais tout simplement pas.
Alors que le lycan lâchait mon mollet abîmé pour gronder, j’inspirai un grand
coup et me laissai gagner par la puissance que m’avait transmise Sombre, le
Dieu des cauchemars. Je la sentis venir, embraser ma peau, faire crépiter mon
sang. Je fermai les yeux, ignorant la souffrance, le sang qui continuait de couler,
et fis le vide. Je ne compris pas vraiment comment je parvins à faire une chose
pareille, dans une situation comme celle-ci, avec un loup enragé perché au-
dessus de mon dos. Mais je réussis à oublier où je me trouvais, pour me focaliser
sur cette chaleur au creux de ma poitrine. Je ciblai mon attention sur cette force
ancienne, puissante et obscure qui sommeillait en moi, et m’y accrochai de
toutes mes forces. J’allais vivre.
Rouvrant les paupières soudainement, je me retournai sur le dos, et me
redressai pour planter mes yeux dans ceux de la bête qui me faisait face. Je
n’avais plus peur, je ne paniquais plus, et je me savais en pleine possession de
mes moyens. Je me sentais forte, pleine d’énergie, capable de soulever des
montagnes, et de vaincre un loup-garou.
— Je ne mourrai pas ce soir, affirmai-je en levant une paume devant la gueule
du loup, mais toi oui.
Sitôt ma phrase terminée, je posai mes doigts sur son front et, avant de lui
laisser le temps de réagir, lui envoyai une décharge électrique qui lui fit pousser
une sorte de hurlement bestial à faire froid dans le dos. L’animal fut pris de
convulsions, ses yeux se révulsèrent, de la bave mélangée à du sang coula de ses
babines pour venir s’étaler sur mon jean en lambeaux. Le lycan glapit, hoqueta,
puis s’effondra au sol, raide mort.
En tombant sur le flanc, le change-peau s’écrasa sur mon mollet en miettes. Je
hurlai, cri qui me ramena à la réalité et fit s’évaporer le voile de puissance qui
m’avait envahi. La douleur revint à la charge et me poussa à serrer les dents si
fort que je crus un instant que l’une d’elles allait se briser. Je me laissai retomber
au sol, sur le dos, la respiration saccadée, et tentai d’analyser ce qui venait de se
produire.
Un, j’avais été attaquée par un loup-garou, visiblement venu me faire la peau.
Deux, j’avais été capable de l’anéantir en faisant appel à ce mystérieux don que
m’avait transmis Sombre, alias Phobétor, quelques semaines plus tôt. Et trois,
j’avais la jambe brisée. Je pissais littéralement le sang, et j’étais bloquée par le
poids d’un monstre aussi lourd qu’un taureau.
Que faire ? Mon sac et mon panier étaient tous les deux étendus quelques
mètres plus loin, près des congélateurs, mais immobilisée comme je l’étais,
j’étais incapable de le rejoindre pour récupérer mon téléphone portable.
Impossible d’appeler Nick. D’autant que ce n’était peut-être pas une bonne idée
de lui parler de tout ça, il allait se faire beaucoup trop de souci et péterait
probablement les plombs en me sachant blessée. Néanmoins, je devais aller à
l’hôpital, ou j’allais me vider de mon sang et crever connement ici. Quelle soirée
de merde !
Essayant de remuer les jambes, je pris conscience à mes dépens que j’en étais
dans l’incapacité. J’avais mal et le poids du change-peau était trop considérable
pour que je puisse le bouger. D’autant qu’utiliser mes forces pour l’électrocuter
paraissait m’avoir coûté toute mon énergie. J’étais rincée, épuisée et j’avais
faim. Arizona White était vraiment une pauvre idiote.
— Wow, je n’aurais jamais cru que tu t’en sortirais aussi bien ! s’exclama une
voix dans mon dos. J’ai cru que j’allais devoir intervenir. Mais j’avais tort.
Me redressant difficilement sur mes coudes, je me contorsionnai pour
regarder derrière moi, et découvris le jeune caissier aux cheveux en pétard. Il se
tenait là, les mains dans les poches de son jean débraillé, un petit sourire en coin
sur le visage.
— Heuh, je peux tout expliquer…
— Inutile Evans, je crois que je sais ce qui s’est passé, me coupa-t-il.
Fronçant les sourcils, je plissais les yeux et observais l’adolescent plus
attentivement. Je ne le connaissais pas, je ne faisais jamais les courses ici. Il
avait l’air d’un jeune de 16 ans tout ce qu’il y avait de plus banal. Il était mignon
et devait sans doute faire chavirer le cœur de pas mal de jeunes filles avec ses
beaux yeux bleus et son air de rockeur, mais je ne l’avais jamais vu. Alors
comment pouvait-il me connaître ? Et surtout, pourquoi n’avait-il pas l’air
surpris de trouver le magasin en pagaille, du sang partout et un loup géant crevé
devant lui ?
— Comment est-ce que…
— C’est la deuxième fois que tu ne me reconnais pas, ma douce, à force, je
vais finir par me vexer.
À cet instant, les iris azur de mon interlocuteur prirent une teinte dorée. Il ne
m’en fallut pas plus pour comprendre à qui j’avais affaire. Et moi qui croyais
que la journée ne pouvait pas être plus étrange…
— Sombre.
Le sourire du jeune homme se fit plus large, il se mordit la lèvre inférieure.
— Salut Poppy, ça fait un bail.

8

Les dieux étaient des êtres à part. Des entités non humaines, sans corps
physique. Ils vivaient dans une autre dimension, à l’abri des hommes et de leur
cruauté. Après être tombés dans l’oubli, à la suite de l’apparition d’une
puissance que les Hommes se sont mis à vénérer avec acharnement, abandonnant
toutes leurs anciennes croyances, ils se sont retirés de la partie et ont arrêté
d’œuvrer pour l’humanité. Depuis, il n’existait plus aucune interaction entre les
païens et les mortels. Mes semblables aimaient à se les rappeler autour des feux
de camp et des histoires racontées lors des soirées pyjama, mais on ne
construisait plus des temples à leur effigie et on ne faisait plus de sacrifice en
leur honneur.
Ces êtres avaient si bien disparu de la surface du globe, que j’avais douté de
leur existence. Pendant une grande partie de ma vie, j’avais cru qu’ils n’étaient
que des personnages de légende, car s’il existait bel et bien des divinités, alors
celles-ci n’accepteraient jamais de vivre dans l’ombre des Hommes. Mais ma
théorie était fumeuse, puisqu’ils étaient bien réels et qu’ils se fichaient
royalement de notre monde, sachant qu’ils vivaient dans le leur. Pour eux, nous
n’étions que des insectes sans importance, une espèce qui finirait par disparaître,
par se détruire seule. Et ça, si je le savais, c’était parce que Sombre me l’avait
appris. Et que Sombre était l’un de ces êtres que je pensais fictifs.
Phobétor était un dieu. Un dieu d’origine grecque, qui avait pour capacité de
créer des cauchemars dans lesquels enfermer les humains. Son nom signifiait
« l’effrayant » en grec ancien, et pour cause, ses dons le rendaient véritablement
inquiétant et redoutable. J’avais été personnellement le témoin de sa puissance
alors que nous étions tous les deux bloqués dans un monde irréel créé par un
autre divin : Morphée, alias le Dieu des rêves.
Les événements qui nous avaient amenés à nous rencontrer s’étaient produits
huit mois plus tôt, à Fergus Falls, dans le Minnesota. J’avais été branchée sur
une enquête concernant des enfants mystérieusement tombés dans le coma par
un chasseur de Rogers, et évidemment, je m’étais jetée dans la gueule du loup
sans réfléchir. Résultat, arrivée là-bas, j’avais été agressée par un individu
inconnu aux yeux dorés, qui m’avait moi aussi plongée dans un sommeil
profond, et qui avait enfermé mon âme dans un univers créé de toute pièce qui
mettait en scène les pires cauchemars de ses occupants. J’avais bien cru devenir
folle quand je m’étais aperçue que j’étais revenue dans le temps, et que dans
cette dimension parallèle, Nick ne se souvenait pas de moi. Mais grâce à
Phobétor, qui s’était choisi un nouveau nom entre temps, j’avais appris que je ne
délirais pas et que j’étais victime de son frère, devenu cinglé après avoir été
abandonné par ses adeptes humains.
Ensemble, Sombre et moi avions dû affronter des épreuves et faire face à des
cauchemars atroces, y compris le sien, pour sortir de ce monde ténébreux. Et
c’était finalement grâce à l’intervention de son père, Hypnos, averti par mon
compagnon, que nous avions pu retrouver les nôtres. J’avais pu retrouver mon
corps et de nouveau respirer à l’air libre. En ce qui concernait Sombre, qui
n’avait pas de corps humain, il avait rejoint les siens, dans son propre monde,
mais avait tout de même trouvé le moyen d’emprunter un « véhicule » de
passage pour venir me rendre visite, une dernière fois.
Les dieux avaient la capacité, au même titre que les démons et les entités
suffisamment puissantes, d’investir des corps humains pour s’en servir comme
passerelle. En possédant une enveloppe corporelle, ils pouvaient déambuler dans
notre monde sans souci et interagir avec nous comme s’il n’existait aucune
frontière. Ce fut grâce à un véhicule humain que Sombre avait investi que la
divinité était parvenue à venir me voir à mon départ de Fergus Falls. C’est là
qu’il avait pu me confier une petite partie de son essence divine. Un cadeau que
je ne maîtrisais toujours pas, mais qui m’avait déjà sauvé la vie plusieurs fois.
Dont ce soir.
Une chose était sûre, j’étais surprise de le voir réapparaître maintenant, alors
que je ne l’avais pas revu depuis qu’il avait pénétré mon esprit pour m’expliquer
comment me laisser envahir par l’énergie qu’il m’avait offerte et qui, à l’époque,
luttait pour fusionner avec ma propre essence. Que faisait-il ici ? Dans ce
supermarché désert, dans le corps d’un ado de 16 ans ?
— Tu t’en es bien sortie, répéta-t-il, toujours posté à quelques mètres de moi.
Je crois que tu as compris le mécanisme du pouvoir.
Fronçant les sourcils, je secouai la tête de gauche à droite, incrédule.
— C’est une blague ? J’ai la jambe en morceaux, et je n’ai pas la moindre
idée de comment j’ai fait pour vaincre ce loup !
Sombre arqua un sourcil et laissa retomber ses bras le long de son corps.
— Oh, je suppose que ce sont les rudiments de l’apprentissage, dit-il en
haussant les épaules.
— Les rudiments de l’apprentissage ? éructai-je, furieuse.
— Il faut que le métier rentre, sourit-il en se dirigeant vers moi. Ne bouge pas,
je vais t’enlever ce poids mort.
— C’est pas dans ce corps que tu vas réussir à faire bouger le loup, d’autant
qu’en dessous, j’ai la jambe en miettes…
— Ne t’inquiète pas Evans, je suis là, tout va bien se passer !
Pourquoi je n’en suis pas convaincue… ?
Sombre passa à côté de moi, marcha dans le whisky déversé au sol mélangé à
mon sang, et s’immobilisa à côté de la carcasse du lycan, à moitié couché sur
moi. Il se pencha, fléchit légèrement les jambes, et passa ses mains sous le
ventre de la bête.
— Tu es prête ? À trois, j’y vais. Pour le moment, le corps du lycan
compresse ta jambe abîmée, mais une fois qu’il sera enlevé, ça risque de piquer
un peu.
Serrant les dents, je me préparai mentalement à la douleur qui n’allait pas
tarder à s’amplifier. Je n’avais pas envie de crier plus que je ne l’avais déjà fait,
je ne voulais pas me laisser submerger par la souffrance. Si cela venait à arriver,
Nick allait le ressentir et il se lancerait à ma recherche, paniqué et furieux. Or,
j’allais avoir besoin de garder la tête froide dans les heures qui allaient suivre. Je
devais découvrir qui était le loup-garou mort affalé sur mes jambes et qui l’avait
envoyé me dézinguer.
— Je suis prête, répondis-je finalement.
Mon camarade hocha la tête, et compta jusqu’à trois avant de soulever sans
effort le cadavre au-dessus de moi. Sitôt que son poids libéra mes jambes, une
vive douleur, sourde et brute, m’arracha un grognement. Je me mordis l’intérieur
de la joue et fermai les yeux très fort pour éviter de hurler, et au passage, de
tourner de l’œil. Mon tibia trouait ma peau, pointant le bout de son nez à l’air
libre. Je saignais beaucoup, sans doute trop, la douleur était insupportable. À
chacun de mes mouvements, mon épiderme endommagé frottait contre mon os
cassé et s’étirait, accentuant davantage le trou béant au niveau de mon mollet.
— C’est moche, mais je peux arranger ça, m’assura le dieu en revenant vers
moi après avoir déposé le loup un peu plus loin.
— Vraiment ? le questionnai-je, les dents serrées.
Soulevant de nouveau les paupières, je croisai son regard et tentai de ravaler
les larmes de douleur qui menaçaient de m’emporter. Sombre plongea ses iris
dorés dans les miens, posa une main sur ma joue, et une autre au-dessus de mon
tibia apparent.
— Tu sais que t’es mignonne, ma douce ? lâcha-t-il brusquement, le sourire
aux lèvres.
Fronçant davantage les sourcils, j’inclinai la tête sur le côté et le dévisageai
avec attention.
— Ah oui ? Avec la jambe pétée et les vêtements trempés de sang et de gnôle,
t’en es sûr ?
— Tu pourrais avoir le nez de travers que tu serais quand même mignonne,
répliqua-t-il.
J’écarquillai les yeux, me rappelant soudain que le loup m’avait écrasé le
visage contre la porte transparente d’un congélateur avant de tenter de
m’étrangler. Je n’avais pas entendu de crac significatif, mais se pourrait-il que…
— Est-ce que c’est le cas ? m’écriai-je, horrifiée.
— Quoi donc ?
— Mon nez est-il de travers ?
Un éclat de rire traversa les lèvres du jeune garçon, il cessa de me tenir la joue
quand il arrêta de glousser.
— Non, ce n’est pas le cas, et maintenant, tu n’as plus de jambe cassée ni de
bosse sur le front, déclara-t-il en se relevant.
Surprise, je baissai les yeux sur mon mollet, et constatai avec effarement que
mon os ne sortait plus. Ma chair s’était ressoudée. Il n’y avait plus de trou, plus
de sang, plus de blessure.
— Comment est-ce que tu as fait ça ? lui demandai-je en remuant la jambe
précautionneusement pour m’assurer qu’elle bougeait encore.
Elle était engourdie, un peu molle, mais ma jambe fonctionnait encore.
Sombre m’aida à me relever en m’attrapant sous les aisselles, il me remit sur
pieds comme une petite fille qui venait seulement de tomber. Mes genoux
tremblèrent, me forçant à rester accrochée aux épaules minces de l’adolescent
que Phobétor avait choisi comme véhicule, mais finalement, je restai debout.
Miracle !
— C’est un de mes nombreux dons, Poppy, je t’apprendrai comment faire.
Tout comme je vais t’apprendre à maîtriser tes dons.
Étonnée, je plongeai mes yeux dans les siens.
— Tu es sérieux ?
— On ne peut plus sérieux ma chère, m’assura-t-il, j’aurais dû faire ça dès le
moment où tu as accepté mon énergie en toi, mais disons que j’ai toujours remis
ce moment à plus tard, pensant que tu t’en sortirais très bien sans moi.
En guise de réponse, je lui assénai un coup de poing dans l’épaule, ce qui eut
le chic de le surprendre.
— Aïe !
— Tu as remis ça à plus tard ? Tu te rends compte que ça aurait pu être
dangereux pour mes proches ? Cette espèce d’énergie étrange se manifeste
quand je suis en colère ou que je me sens en danger. Tu n’imagines pas le
nombre de fois où je suis en pétard contre mon mari ! Imagine si je l’avais blessé
par mégarde ! Si je lui avais envoyé une décharge sans le vouloir !
Sombre leva les yeux au ciel, comme ennuyé.
— Oui et bien tu te serais trouvé un autre mari, qu’est-ce que tu veux que je te
dise ?
— Que tu as merdé ! Que tu aurais dû revenir vers moi dès que mes dons sont
apparus. Ça aurait été nettement plus simple !
Un sourire en coin étira la bouche de mon acolyte, il croisa ses bras contre sa
poitrine et releva le menton.
— En fait, Evans, je te manquais c’est ça ?
Hébétée, je reculai d’un pas, la bouche grande ouverte.
— Je te manquais et tu es en colère parce que je t’ai délaissée, c’est ça ? C’est
adorable.
— Non, espèce d’abruti ! rétorquai-je alors qu’il avançait dans ma direction,
les bras tendus comme pour m’enlacer. Je suis furieuse pour plusieurs raisons.
La première : tu m’as refilé un don que je ne maîtrise pas et qui aurait pu
s’avérer problématique. La seconde, tu ne sembles pas le moins du monde t’en
vouloir pour m’avoir laissée dans le flou total pendant des mois ! Et la troisième,
tu es resté planqué dans la réserve pendant qu’un loup m’attaquait par-derrière !
Pourquoi n’es-tu pas venu m’aider ? Et puis d’abord, qu’est-ce que tu fais là-
dedans ?
Sombre posa ses mains à plat sur sa poitrine et caressa le tee-shirt trop large
qu’il portait.
— Tu n’aimes pas ? s’enquit-il. J’ai pris au plus vite, ça fait un moment que je
t’observe, et quand j’ai vu qu’un homme t’avait suivie et qu’il voulait te faire du
mal, j’ai investi le premier véhicule que j’avais sous la main.
— Tu me suivais ?
— Sous ma forme non matérielle, oui, reconnut-il. Je voulais savoir comment
tu allais, et comme je n’ai pas de corps terrestre, je t’ai épiée depuis ma
dimension.
Je ne savais pas trop comment prendre ça, le fait de savoir qu’il avait été
possible à Sombre de m’observer à mon insu me mettait mal à l’aise. Qu’avait-il
donc surpris depuis le monde des dieux ?
— Ne t’inquiète pas, je suis un homme honnête ma jolie, dit-il comme s’il
avait perçu mes pensées, je n’ai pas regardé ta vie intime, et je détournai la tête
lorsque tu étais avec ton époux. Je n’étais là que lorsque tu étais seule, et nue !
Comprenant qu’il me faisait marcher, je ne pus m’empêcher de sourire et lui
adresser un autre coup de poing.
— Arrête, tu vas finir par abîmer mon enveloppe ! se plaignit-il en souriant.
— Alors arrête de dire des bêtises et viens ici ! dis-je en ouvrant à mon tour
les bras pour qu’il vienne s’y nicher.
Le brun ne se fit pas prier, il répondit à mon étreinte sans broncher et me serra
contre lui.
— Alors je t’ai manqué ? me questionna-t-il, la tête enfouie dans le creux de
mon épaule.
Je souris.
— Évidemment, idiot !
Sombre était devenu quelqu’un d’important pour moi. Les moments que nous
avions passés ensemble avaient été aussi courts que longs. Une amitié solide
était ressortie de notre entraide dans le Monde Noir, et une chose était sûre,
jamais je ne pourrai oublier Phobétor, alias Icélos, alias Sombre. Je le
considérais comme un ami, un homme de confiance, une personne que je
pouvais appeler en cas de problème. Et même si je savais qu’il ne possédait pas
d’enveloppe corporelle terrestre, je savais aussi qu’il ferait son possible pour
m’aider si j’étais en danger ou dans le besoin. Et ce soir en avait été la preuve. Il
était venu et il avait soigné mes blessures.
— Bon, repris-je en m’écartant de lui pour baisser les yeux sur le loup-garou
au sol, il va falloir qu’on l’amène chez mon grand-père.
Sombre fronça les sourcils.
— Pourquoi ne pas l’amener chez toi ?
— Parce que Nick serait furieux, et qu’il péterait sans doute les plombs en
sachant que j’ai été agressée par un de ses semblables. De plus, une femme vient
d’arriver chez nous, et je ne lui fais pas du tout confiance. Je n’ai pas envie
qu’elle sache que nous avons en notre possession un lycan qui, même mort,
pourrait nous en dire plus sur notre ennemi.
— J’ai cru comprendre ça, Arizona White, hein ?
Je hochai la tête.
— Ouais, celle-là même. Je crois qu’elle cache bien son jeu et qu’elle n’est
pas ici pour les bonnes raisons. Mieux vaut qu’elle ne sache pas pour lui,
expliquai-je en désignant la bête.
Sombre enfonça ses mains dans ses poches, et fit basculer son poids sur ses
talons pour s’incliner légèrement en arrière.
— Euh, je veux pas te faire de peine ma douce, mais ce type n’est pas prêt de
nous livrer ses secrets si tu veux mon avis.
Je souris.
— Lui non, mais son porte-feuille lui, nous en dira sans doute plus.
Avant de lui laisser le temps de me questionner davantage, je m’accroupis au
sol, pas loin de là où le change-peau avait muté, et attrapai ce qui restait de son
jean. Le tissu était déchiré, réduit en miettes. Je suivis les lambeaux du pantalon,
et m’accroupis au sol pour regarder sous l’étagère qui accueillait les bouteilles
d’alcool. Je tendis le bras, désormais couchée à plat ventre, et récupérai un petit
portefeuille en cuir pour le tendre ensuite vers mon nouvel associé.
— Les hommes gardent toujours leur porte-monnaie sur eux, affirmai-je en
me relevant, il l’avait dans sa poche quand il m’a attaquée, et il s’est retrouvé là-
dessous quand il s’est transformé.
— Bien vu Evans, lança-t-il, admiratif.
Me postant aux côtés de lui, j’ouvris le petit portefeuille et ne fus pas surprise
d’y trouver carte de crédit, liquide, permis de conduire et carte d’identité.
J’attrapai sans attendre la pièce qui m’intéressait et observai la photo de
l’homme qui m’avait agressée qui s’y trouvait.
— Glen Roberts, lut Sombre, c’est bizarre, je ne lui aurais pas choisi un
prénom pareil. « Grosse Brute Sans Manières » ça lui aurait mieux été…
Je souris, j’étais on ne peut plus d’accord avec lui.
— Oui, il avait 34 ans, et venait du Maryland…
Ce dernier élément capta mon attention. Je bloquai un instant sur le lieu de
naissance qui indiquait Baltimore, MA. Il venait de Baltimore, une ville où,
quelques mois plus tôt, je m’étais rendue pour une affaire concernant des
vampires. Là-bas, j’avais aussi été amenée à faire face à des loups rebelles qui
avaient été arrêtés par Dorofeï Nabatov, le Lieutenant du Nord. Ceux-ci venaient
d’une meute de contestataires qui avaient envoyé un humain sous emprise
mentale s’en prendre à Aiden et Seth, ici même, à Springdale. Leur chef, Henry
Johnson, était parvenu à s’enfuir avant de se faire lui aussi attraper par les
hommes de Nabatov, et d’après ce que Nick m’avait appris, quand cet homme
avait une idée derrière la tête, il ne l’avait pas ailleurs. S’il avait décidé de faire
tomber Nick de son trône, il ne lâcherait pas tant qu’il serait vivant.
Sur son territoire, les loups du Lieutenant du Nord avaient retrouvé des plans
de la meute, des photos des membres de la Meute du Soleil, leurs emplois du
temps ainsi que des informations sur leurs déplacements, y compris sur les miens
et ceux de Nick. Henry avait eu dans l’idée de nous attaquer, mais ça ne s’était
pas fait. L’arrivée de Dorofeï chez lui et l’arrestation de certains des siens
l’avaient sans doute stoppé dans sa course. Mais le fait qu’il soit resté discret
depuis ne voulait pas dire qu’il avait abandonné l’idée de s’en prendre à nous.
Bien au contraire.
— Je crois que ce type est un des hommes de la Meute Abyssale, soufflai-je
en replaçant la carte d’identité dans son étui.
— La Meute Abyssale ? répéta-t-il. Qui sont-ils ?
— Des adeptes de la rébellion. Ce sont des loups radicaux, qui œuvrent pour
renverser la société lycane telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ils ont pour chef
un homme du nom d’Henry Johnson.
— Tu penses que c’est ce Henry Johnson qui a envoyé ce type ?
Je haussai une épaule et allai récupérer mon sac tombé au sol. Mes affaires
avaient été éparpillées par terre, et étaient désormais recouvertes, pour la plupart,
de whisky bon marché. Je grognai, agacée, et les replaçai contrainte et forcée
dans mon sac à bandoulière.
— Je pense oui, mais ce que je crois surtout, c’est que j’ai trouvé l’un des
alliés de Marcel Jay White. Et avant de le dire à Nick, il faut que j’en aie le cœur
net.

9

Sombre et moi arrivâmes chez Al vers 22 h 15. Nous garâmes la voiture à


côté du pick-up de mon grand-père et de la belle BMW de Ryan, que je fus
surprise de trouver encore là. Je savais que le jeune homme avait eu un
entraînement à la ferme aujourd’hui, mais celui-ci aurait dû être fini depuis
longtemps ! Que faisait-il encore ici ?
— Tout va bien ? me demanda Sombre, qui mangeait une réglisse Twizzlers
sur le siège passager.
Je hochai la tête, et me tournai vers lui. Un hoquet de surprise m’échappa
lorsque je vis qu’il avait ramené ses jambes contre sa poitrine et qu’il appuyait
ses baskets crados contre le cuir de son fauteuil. Je lui donnai une tape sur les
genoux, le forçant à s’asseoir correctement.
— Si tu veux garder tes jambes, mieux vaut ne plus jamais poser tes pieds sur
mon siège, le prévins-je en défaisant ma ceinture de sécurité après avoir coupé le
moteur.
— C’est pas de ma faute ! plaida-t-il. Je suis dans le corps d’un ado je te
rappelle, ça me pousse à agir comme un gosse et à manger beaucoup. J’ai super
faim !
Eh moi donc ! Mon estomac hurlait littéralement pour me signifier que je ne
l’avais pas nourri correctement. Dans peu de temps, il allait finir par se dévorer
lui-même. Avec un peu de chance, Al avait des trucs sympas et non diététiques
dans son placard.
Le vieux chasseur écarquilla les yeux quand il me découvrit derrière sa porte
en venant m’ouvrir. Il me détailla des pieds à la tête, fronça les sourcils, et se
tourna ensuite vers Sombre.
— C’est quoi ce bordel ? gronda le vieil homme sans prendre la peine de nous
saluer.
Je soupirai.
— C’est une longue histoire. On pourrait en parler à l’intérieur ?
Al grommela, mais s’écarta pour nous laisser passer. Je jetai un coup d’œil à
mon acolyte, qui hocha la tête en signe d’assentiment. Nous nous engouffrâmes
dans la ferme ensemble.
Mon grand-père ne nous posa aucune question le temps de nous conduire au
salon, où Dovie et Ryan étaient affalés sur les gros canapés en suédine. Quand
les deux individus nous remarquèrent en compagnie du maître des lieux, ils se
redressèrent et m’étudièrent avec inquiétude en constatant que mes vêtements
étaient déchirés, trempés de whisky et tachés de sang. La féline renifla, retroussa
le nez d’un air dégoûté, et poussa un grognement animal avant de se lever.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? me demanda-t-elle.
La jeune femme observa plus attentivement mon camarade. Son air passa de
la colère à l’incompréhension.
— Marshall, qu’est-ce que tu fais ici ?
Sombre, qui avait compris qu’elle s’adressait à lui, se redressa et esquissa un
sourire.
— Désolé ma jolie, je ne suis pas Marshall.
Lui donnant un coup de coude, je fis glisser mon regard de haut en bas le long
de son corps mince pour lui rappeler qu’il n’avait pas son apparence habituelle.
Le dieu inspira un grand coup en inclinant sa tête vers l’arrière, comme s’il
semblait se rappeler qu’effectivement, il n’était plus un grand brun ténébreux à
la carrure massive.
— Tu le connais ? lançai-je en plongeant mon regard dans celui de Dovie.
— Bien sûr ! C’est Marshall, il travaille dans un supermarché à la sortie de
Springdale, je vais faire mes courses là-bas de temps en temps. Qu’est-ce que tu
fais avec lui, Poppy ? Et pourquoi tu as du sang sur tes vêtements ? Avec tout ce
whisky, je n’arrive pas à savoir si c’est le tien…
Je serrai les lèvres et croisai mes bras contre ma poitrine.
— C’est bien mon sang, lui assurai-je, j’ai été attaquée par un loup-garou
alors que je faisais des courses, après que cette pétasse d’Arizona White a vidé
mes placards ! Et, je suis désolée Dovie, mais il dit vrai, lui, déclarai-je en
désignant Sombre, ce n’est pas Marshall. Enfin, pas tout à fait. C’est…
— Phobétor, termina-t-il à ma place. Dieu des cauchemars, fils d’Hypnos et
de Nyx, frère de Morphée. J’ai investi ce véhicule dans le seul but d’aider ma
douce à faire face à un monstre informe, puant et enragé.
Un instant de flottement suivit les déclarations de mon associé, après quoi
Ryan et Dovie explosèrent de rire, alors qu’Al, qui savait que les dieux n’étaient
pas des chimères, écrasait sa main sur son visage en grondant.
— Putain de merde, marmonna-t-il, je vais me chercher un verre.
— Vous serez gentil si vous m’en rapportez un aussi, lança Sombre en
esquissant un large sourire.
Mon grand-père leva les yeux au ciel et s’extirpa de la pièce pour aller
chercher une bouteille. Dovie se tint le ventre en se redressant. Elle semblait
avoir du mal à retenir son fou rire.
— Un dieu, mais bien sûr ! rit-elle. Marshall, je crois que tu as un peu trop bu
ce soir !
Sans doute faisait-elle référence à l’odeur de whisky qui imprégnait mes
vêtements. Dix douches n’allaient pas suffire à me débarrasser de ce parfum
entêtant. Il allait falloir que je me lave avant de rentrer.
— Je ne suis pas Marshall, insista Sombre qui commençait à se sentir vexé.
Marshall se repose pour l’instant, et il n’est pas près de revenir tant que je serai
là.
Pour appuyer ses propos, la divinité se redressa et envoya vers eux des
vibrations étranges que je ressentis clairement. Son énergie chaude, puissante,
électrique, envahit l’air et nous entoura tous. Je vis des filets de poussière noire
glisser entre nous, avec autant de clarté que je voyais les sourires de mes amis
disparaître progressivement. Ryan ne pouvait sans doute pas les voir, lui, mais
Dovie, elle, les percevait aussi bien que moi. Elle était une métamorphe, et sa
sensibilité aux énergies était surdéveloppée. Tout comme la mienne désormais.
Les humains n’étaient pas capables, pour la plupart, de voir distinctement la
couleur des auras ou des énergies qui émanaient des corps de chacun de nous.
Nous pouvions parfois les sentir, faiblement, savoir qu’elles étaient là sans pour
autant pouvoir les voir. C’était ainsi que j’avais passé une grande partie de ma
vie, les ressentant discrètement sans pour autant pouvoir les observer de mes
yeux. Mais les choses avaient changé quand j’avais accepté de faire fusionner
mon énergie avec celle que m’avait transmise Sombre. À partir de là, le monde
était devenu comme plus clair.
Je pouvais aujourd’hui voir les différences entre les auras de chacun des
membres de la meute, des membres de mon entourage. J’avais la capacité
d’étudier leur changement de couleur quand ils étaient en colère, heureux ou
fatigués. C’était étrange et à la fois si surprenant ! Parfois, les couleurs étaient
plus vives, parfois plus soutenues. Cela dépendait de mon état. Quand je me
sentais forte, en pleine forme, je voyais tout plus distinctement, et au contraire,
quand j’étais fatiguée, il pouvait m’arriver de ne plus rien capter. Là encore, je
manquais sans doute d’entraînement. Avec un peu de chance, je parviendrai à
maîtriser cette capacité lorsque Sombre m’aura appris comment faire.
— Ton odeur, et… ton aura…, souffla la panthère en lorgnant l’adolescent à
mes côtés. Oh merde…
— Pourquoi je me sens bizarre tout à coup ? demanda Ryan en s’asseyant sur
le canapé, le regard dans le vide.
Je soupirai et posai une main sur le bras de Phobétor pour l’arrêter. Il cessa
immédiatement d’envoyer ses ondes dans la pièce et soupira pour se détendre.
— Parce que Sombre a balancé de l’énergie pour vous faire comprendre qui il
était vraiment, lui expliquai-je en soufflant et en prenant place en face d’eux, sur
le second canapé. Les humains réagissent mal aux vibrations trop puissantes,
elles attaquent leur énergie. Le corps et l’esprit sont alors obligés de contre-
attaquer en utilisant l’aura pour se protéger, ce qui puise dans nos réserves. Tu
vas te sentir étourdi un moment, mais ça va passer.
— Qu’est-ce qui est arrivé à tes yeux ? me questionna Dovie en se laissant
tomber sur le fauteuil, sonnée.
Je fronçai les sourcils, et plissai les paupières.
— Mes yeux ?
— Ils sont…, hésita Ryan.
— Dorés, acheva la métamorphe.
Sombre et moi échangeâmes un regard en coin. Je savais de quoi il voulait
parler. Mes iris changeaient de couleur à chaque fois que l’essence divine qui
sommeillait en moi s’éveillait, c’était déjà arrivé par le passé. Quand j’avais tué
ce vampire à Baltimore plusieurs mois plus tôt. Mes yeux avaient mis des jours à
redevenir marron, et il avait fallu expliquer aux loups de la meute et à mon
compagnon pourquoi ils étaient comme ça. C’était pour ça qu’aujourd’hui, ils
étaient tous au courant de ma condition, et du fait que je n’étais plus tout à fait la
même qu’avant.
— Ce n’est rien, ça aussi ça va passer dans quelques jours, leur assurai-je.
C’est une longue histoire.
— On a tout notre temps, rétorqua Al en revenant de la cuisine, des verres et
une bouteille de rhum à la main.
Pour expliquer ce que Sombre faisait avec moi et comment nous avions fait
pour en arriver là, j’avais dû remonter le temps jusqu’à Fergus Falls. J’avais
expliqué à Dovie et Ryan, qui ignoraient tout de cette période de ma vie, ce qui
s’était passé là-bas. Je leur avais parlé de Baltimore, de ce qui m’était arrivé
quand j’avais été enlevée par Fergus Ferguson, et ce qui s’était passé depuis.
Finalement, j’en arrivais à Arizona White, je leur parlais de nos problèmes avec
les rebelles, avec l’oncle de cette idiote, et du fait que l’un d’eux, a priori,
m’avait agressée alors que je tentais de faire des courses pour remplumer mes
placards vidés par celle-ci. Tout le monde m’écouta avec attention, jusqu’à ce
que j’en aie terminé. À la fin, Dovie se resservit un verre, et le but cul sec.
— Où est le loup maintenant, celui qui t’a attaqué ? s’enquit Ryan, curieux.
— Dans mon coffre, répondis-je.
Mon grand-père soupira d’un air las.
— Génial.
— Qu’est-ce que vous voulez faire de lui ? lança la brune. Pourquoi ne pas
l’avoir amené sur le territoire de la Meute du Soleil ?
Je me raclai la gorge et me laissai couler entre les coussins moelleux du
canapé.
— Il va falloir se débarrasser du cadavre, leur dis-je, nous n’en avons pas
besoin. Quant à savoir pourquoi je ne l’amène pas chez moi, la raison est simple
et elle se résume en un seul nom : Arizona White. Cette fille est la nièce de
Marcel Jay White, et si vous voulez tout savoir, je ne lui fais pas du tout
confiance. Je pense qu’il ne serait pas impossible qu’elle travaille pour son oncle
en tant qu’infiltrée. C’est une hypothèse pour l’instant, mais si elle s’avère
exacte, je ne veux pas qu’elle sache que nous avons découvert un allié potentiel
de Marcel. C’est une longueur d’avance que je veux garder pour nous.
— En quoi cela pourrait-il représenter une longueur d’avance ? s’interrogea la
change-peau.
— Marcel Jay White possède de nombreux alliés, expliquai-je, des alliés qu’il
tient absolument à garder secrets. Ce sont des cartes qu’il garde dans sa manche
pour nous prendre par surprise au moment de nous attaquer. Si nous parvenons à
trouver ses camarades et à les anéantir avant qu’ils puissent l’aider, ce sera
bénéfique pour nous. Or, si Arizona est bien une taupe, et qu’elle sait que nous
avons trouvé un de ces fameux alliés, à savoir Henry Johnson, elle préviendra
son oncle pour qu’il puisse lui-même avertir Henry. Ils changeront de territoire et
se déplaceront pour brouiller les pistes et nous empêcher de les trouver.
Je marquai une pause et secouai la tête de gauche à droite en attrapant un
verre rempli de rhum, que Sombre s’empressa de m’arracher des mains. Il
n’avait cessé de m’empêcher de boire, s’enfilant à ma place mes verres pourtant
bien mérités.
— Eh ! m’exclamai-je, agacée.
— Tu n’as pas le droit de toucher à ça dans ton état ! Ce n’est pas conseillé.
Je fronçai les sourcils.
— Je vais bien, plaidai-je, et puis j’ai bien mérité le droit de picoler moi
aussi ! C’est moi qui me suis fait agresser !
— Mieux vaut que tu gardes les idées claires, intervint Al en donnant raison
au dieu assis à ma droite. Si Arizona est bien ton ennemie et qu’elle cherche à
vous nuire, il va te falloir rester bien consciente de tes actes dans les prochains
jours.
— Je suis parfaitement consciente de ce que je fais, répliquai-je. D’ailleurs, je
sais déjà ce que je vais faire maintenant.
— Quoi ? lâcha Ryan, tout ouïe.
— Il faut que nous vérifiions que Glen travaillait pour Henry, et le seul moyen
de le faire c’est d’inspecter son passé et de fouiller dans ses antécédents.
— Nous ne pouvons quand même pas appeler les flics ! s’écria le blond,
presque horrifié à cette idée. Ils vont nous prendre pour des fous si on leur dit
qu’on cherche à fourrer notre nez dans le casier judiciaire d’un loup-garou !
Je souris alors que Al grondait, affligé par la naïveté de son apprenti chasseur.
— On va pas appeler les flics, espèce d’idiot. Si tu veux fouiller dans le casier
judiciaire des lycanthropes, il faut aller dans la base de données des chasseurs.
— La base de données des chasseurs ? répéta-t-il.
Je soupirai et attrapai l’ordinateur portable qui sommeillait sur la table basse.
Il appartenait à Ryan, je reconnaissais les stickers collés dessus.
— Un chasseur du nom de Rocky Garcia a créé il y a quelque temps une base
de données réservée aux traqueurs, lui appris-je. Il a répertorié à l’intérieur de
nombreuses informations sur nos ennemis, sur ceux que nous avons déjà traqués,
et ceux que nous devons traquer. Si Glen Roberts a déjà été confronté à l’un des
nôtres, ou qu’il fait bien partie d’une meute non officielle et recherchée par les
autorités surnaturelles, son nom apparaîtra dans la base de données.
Impressionné, Ryan pencha la tête en arrière avant d’acquiescer. Je tapai le
mot de passe de l’étudiant et lançai le moteur de recherche une fois entrée dans
l’ordinateur portable.
Le site internet créé par Rocky se trouvait caché derrière la couverture d’un
autre site internet, un blog réservé aux chats. Pour entrer dans la base de
données, il fallait entrer un mot de passe et un identifiant, mon ami d’enfance en
avait établi un pour chacun des chasseurs de Rogers et pour tous ceux qui lui en
demandaient un. Lorsque j’eus passé la sécurité et que j’eus entré mes
coordonnées dans les cases prévues à cet effet, j’arrivai sur la page d’accueil du
site. L’écran de l’ordinateur resta noir un long moment avant qu’une barre de
recherche apparaisse. Je souris et y entrai le nom de la meute de Johnson.
— La Meute Abyssale, lus-je à voix haute.
Je tapai sur « rechercher » et attendis les résultats.
— Wow, il y en a pas mal ! s’exclama Sombre en jetant un regard par-dessus
mon épaule pour lorgner l’écran. La Meute Abyssale n’est apparemment pas
inconnue des chasseurs…
— Non, en effet.
Henry Johnson était effectivement un habitué des délits. Il existait sur lui de
nombreux rapports rédigés par des traqueurs qui avaient été confrontés à lui ou à
un de ses loups. Et de toute évidence, il était un spécialiste des assassinats sur
commande.
— Qu’est-ce qu’on dit sur lui ? lâcha Dovie, impatiente.
Je haussai les sourcils et soupirai un grand coup.
— D’après les articles qu’ont laissés les traqueurs sur le site, lui et sa meute
sont des habitués des réseaux illégaux. Drogues, trafics d’argent, mais surtout, ils
offrent vraisemblablement très souvent leurs services pour des meurtres
planifiés. Ces loups sont des tueurs à gages que des créatures ont payés pour
faire la peau à des chasseurs qui les traquaient. C’est en grande partie pour ça
qu’ils sont connus.
— Il y a-t-il quelque chose sur Glen Roberts ?
Retournant à la barre de recherche, j’y tapai le nom de mon agresseur et
attendis les résultats.
— Oui, il y a quelque chose. Et j’avais raison, ce type fait bien partie de la
Meute Abyssale, et c’est bien l’un des hommes d’Henry Johnson. Il vit à
Baltimore, et selon les informations dont nous disposons, il serait l’un des
hommes de main préférés de Johnson. Il serait dangereux et aurait déjà été
envoyé pour faire la peau à Elias Brown il y a un an, alors qu’il enquêtait sur un
trafic d’êtres humains dans le Maryland.
— Elias a toujours eu le chic pour se foutre dans la merde, grommela Al.
Je haussai une épaule et lui lançai un coup d’œil en coin.
— Comme nous tous, les chasseurs attirent les emmerdes comme les
vaches…
— Attirent les mouches, termina-t-il à ma place, ouais, je sais.
— Heureusement, Elias a fini par le semer, repris-je, mais il a pris soin de
nous laisser un petit avertissement sur le site de Rocky, nous mettant en garde
contre la pugnacité et la détermination de ce loup-garou.
— Brown en est resté là ? s’étonna Al, qui connaissait bien le chasseur.
Elias Brown était un collègue de travail et un ami de longue date que je
connaissais bien. C’était un grand gaillard, solide et doué pour la chasse, un
professionnel qui ne laissait rien au hasard. Alors même s’il avait pris du recul à
la naissance de sa fille et à son mariage avec sa femme, nous le connaissions
suffisamment pour savoir qu’un chasseur comme lui ne se laisserait jamais
devenir la proie d’un tueur à gages lycan. Il avait sans doute dû enquêter sur
l’épée de Damoclès qu’il avait au-dessus de la tête à l’instant même où il avait
su l’identité de celle-ci. Et au vu des informations qu’il avait laissées dans la
base de données, ça avait bien été le cas. Elias avait fait son boulot et avait
traqué la bête qui s’était lancée à ses trousses. Les rôles avaient donc été
inversés, et c’était sans doute pour ça que Glen Roberts avait abandonné sa
mission, et qu’il n’avait pas cherché à venir le poursuivre jusqu’ici.
— Non, il n’en est pas resté là, affirmai-je en secouant la tête de gauche à
droite. Il a retourné la situation et est redevenu ce qu’il avait toujours été : le
chasseur de la partie. Il a traqué sa nouvelle cible, et a profité du fait qu’il lui
collait au train pour mieux suivre ses faits et gestes. Et visiblement, ses
investigations discrètes ont porté leurs fruits, puisqu’il donne une adresse.
— Une adresse ? s’écria Ryan en se levant pour venir s’asseoir à côté de moi.
Le blond, en prenant place à mes côtés, fronça le nez et plissa les paupières. Il
étudia mes vêtements collants et pleins de sang.
— Je sais, marmonnai-je en sentant son regard posé sur moi, je pue et j’ai
l’air pitoyable.
— Il va te falloir une bonne douche.
— Oui, reconnus-je, mais ça attendra. Tu as ton portable sur toi ? lui
demandai-je en me tournant vers lui.
Le jeune homme esquissa une moue intriguée et enfonça sa main dans la
poche de son jean, après quoi il me tendit son téléphone.
— Non, garde-le, lui dis-je en levant une main vers lui, et tape l’adresse que
je vais te donner dans Maps.
Ryan hocha la tête, lança l’application et attendit que je lui donne les
coordonnées en question.
— 601 S Haven St, Baltimore, MD 21224, États-Unis, lui lus-je.
Au bout de quelques instants, mon ami fronça les sourcils. Il me jeta un coup
d’œil en coin.
— Il s’agit d’une zone industrielle, expliqua-t-il, un endroit où l’on peut louer
des entrepôts vides.
— C’est une planque parfaite pour des loups renégats, observa Dovie.
Je hochai la tête.
— Elias ne donne pas plus d’informations ? me questionna mon grand-père.
— Non, il donne seulement cette adresse, avec cette légende : « si vous le
cherchez, c’est là-bas que vous le trouverez. Attention, chiens méchants ». Il a
mis chien méchant au pluriel, leur fis-je remarquer, ce qui pourrait laisser penser
qu’ils sont plusieurs à se planquer là-bas. Ça pourrait être un bon endroit pour
commencer les recherches sur les traces de Marcel.
— Il faudrait peut-être en parler à Nick ? proposa Ryan. Après tout, il est
l’Alpha du Nord et il dispose d’une armée de lycans volontaires. Ils pourront
sans doute fouiller le site sans qu’il n’y ait trop de casse ?
J’acquiesçai. Il fallait effectivement que j’en parle à mon mari. Le tout était
de le faire discrètement, sans qu’Arizona ne surprenne notre conversation.
— Je vais rentrer, soupirai-je finalement en reposant l’ordinateur portable sur
la table basse. Nick doit se faire un mouron pas possible en ne me voyant pas
rentrer, et il a sans aucun doute senti passer le choc à la tête et la fracture ouverte
à la jambe.
— Tu vas rentrer dans cet état ? s’enquit la brune.
Je me levai lentement et m’étirai lourdement.
— Je n’ai pas le choix. De toute façon, le lien d’âme-sœur m’empêche de
cacher des choses à ma moitié, alors je ne vais pas pouvoir échapper à la case
« explications » !
— Qu’est-ce que je fais, moi ? demanda Sombre, toujours installé sur le
canapé.
La divinité leva ses yeux dorés vers moi. Ses cheveux noirs en pagaille lui
tombaient sur le front.
— Toi, tu restes là. Je ne peux pas te ramener à la maison comme un chiot
perdu, laisse-moi préparer le terrain avec Nick. Il est encore furieux pour Fergus
Falls, et il n’a pas aimé me voir fébrile quand ton essence divine cherchait à
m’envahir.
— Génial, maugréa Al, ma maison va se transformer en camp de vacances si
ça continue !
Levant les yeux au ciel, je me tournai vers mon grand-père et croisai mes bras
contre ma poitrine.
— Dis-toi que ça te fera de la compagnie.
— Super ! Déjà que je devais héberger cette andouille, dit-il en montrant du
doigt Ryan, voir celle-là squatter chez moi, rajouta-t-il en montrant Dovie, et
maintenant je dois garder un Dieu dans le corps d’un ado qui n’arrête pas de
manger !
D’un même geste, Al et moi nous tournâmes vers Sombre qui, depuis qu’il
était arrivé, n’arrêtait pas de s’enfiler les paquets de chips qu’il avait subtilisés à
la supérette avant de partir. Le brun haussa les sourcils et esquissa un large
sourire. Il regarda tour à tour Dovie, Ryan et Al, comme amusé.
— C’est chouette, on va bien se marrer !

10

Je rentrai à la meute après qu’Al et Sombre m’aient aidé à retirer le corps du


lycan du coffre de ma Mustang, afin que mon grand-père l’enterre dans la forêt
qui s’étendait non loin de sa ferme. Il était tard, la nuit était tombée depuis
longtemps et je savais de source sûre que j’allais me faire engueuler en rentrant.
La soirée avait été longue, je n’avais aucune envie de me disputer avec Nick,
mais je savais que c’était inévitable. J’avais été dehors pendant presque trois
heures entières, je m’étais fait démolir la jambe, frapper au visage, et ça, mon
compagnon n’était sans doute pas passé à côté. À moins qu’il ne soit
complètement à l’ouest, bien sûr !
Quand j’immobilisai ma voiture devant le portail de fer, Aiden sortit
immédiatement de la cabine de surveillance pour venir à ma rencontre.
— Poppy on te cherche partout depuis des heures ! s’exclama-t-il en se
penchant en avant pour me regarder dans les yeux. Tu vas bien ?
Ah, donc ma disparition temporaire n’était effectivement pas passée à la
trappe. Oups…
— Oui, je vais bien, répondis-je après mettre raclé la gorge. Je suis sortie faire
des courses mais je suis tombée sur Dovie au supermarché. Elle et Ryan sortaient
d’un entraînement avec Al et ils avaient une petite faim. On a traîné un moment
ensemble, je n’ai pas vu l’heure passer.
Les narines d’Aiden se dilatèrent légèrement lorsqu’il inspira profondément
pour humer mon odeur. Il gronda en reconnaissant l’odeur de Dovie, un
grognement qui ressemblait presque à un ronron, mais quand il sentit le parfum
de Ryan, il montra les crocs.
— Pourquoi portes-tu les vêtements de Dovie ? me questionna-t-il alors en
lorgnant d’un œil méfiant les fringues que m’avait prêtées la métamorphe.
Je ne voulais pas qu’Arizona White sache ce qui m’était arrivé, parce que
sinon, j’allais devoir lui donner des explications. Or, je voulais expliquer tout ce
qui s’était passé ce soir en privé. Alors avant de partir, j’avais pris une douche
rapide chez mon grand-père, utilisant une bouteille entière de gel moussant pour
enlever l’odeur du whisky qui s’était accrochée sur ma peau. Dovie, qui dormait
parfois à la ferme quand l’entraînement de Ryan finissait tard, m’avait prêté des
affaires de rechange que j’avais pu enfiler. Dans la voiture, nous avions vaporisé
du parfum pour masquer l’odeur de Sombre, et son passage à l’intérieur. Et un
vieux bonnet de ski cachait mes cheveux mouillés. J’avais travaillé ma
couverture, et même si elle était bancale, ça pouvait tenir jusqu’à ce que Nick et
moi nous retrouvions seuls sous la douche, là où l’eau pourrait masquer nos voix
et mes déclarations.
— J’ai eu une crampe à la jambe, mentis-je, je suis tombée et j’ai cassé un pot
de sauce tomate que j’avais l’intention d’acheter. J’en avais partout, alors Dovie
m’a prêté des vêtements qu’elle gardait dans son coffre, au cas où…
— Au cas où une de ses amies exploserait un pot de sauce tomate au beau
milieu de la nuit, hein ? gronda le Gamma, les sourcils froncés.
Apparemment, le loup ne me croyait pas, mais ce n’était pas très grave, il n’y
avait aucune oreille indésirable dans le coin pour l’instant. À moins qu’Arizona
se cache dans les fougères, ce qui ne m’étonnerait pas vraiment la connaissant.
— Aiden, il faut que je rentre, d’accord ? Je t’expliquerai tout plus tard, lui
promis-je.
Le blond serra les lèvres, mécontent, et plongea ses yeux dans les miens.
— Tu es sûre que ça va ? Nick a senti…
— Une crampe, le coupai-je, j’ai eu une crampe.
Posant une main sur l’une de celles qu’il serrait contre le métal de mon
véhicule, je tentai d’esquisser le sourire le plus convaincant possible.
— Je vais bien, lui assurai-je, je te promets. Il faut juste que je rentre tout de
suite rassurer Nick. Tu le connais, il a tendance à toujours dramatiser.
L’homme affronta mon regard durant de longues secondes, la mâchoire si
contractée qu’elle devait être douloureuse. Il retira lentement ses mains de
l’encadrement de la vitre et se redressa. Il n’ajouta rien et alla se reposter dans la
cabine de surveillance pour déverrouiller le portail. Mon cœur battait la
chamade. Je soupirai et actionnai le frein à main pour relancer la voiture. Je
sentis le regard accusateur d’Aiden posé sur la Mustang quand je passai à côté de
lui, mais je fis de mon mieux pour l’ignorer. Toute mon énergie devait servir à
affronter la foudre qui allait me tomber sur la tête quand j’allais rentrer à la
maison.
Je coupai le moteur une fois arrivée devant la villa. Avant de sortir, je
récupérai mon sac sur le siège conducteur et inspirai un grand coup. Après ça, je
pris mon courage à deux mains et refermai silencieusement ma portière avant de
rejoindre à grandes enjambées la demeure principale du territoire.
À ma plus grande surprise, personne ne me tomba dessus lorsque je passai la
porte d’entrée. La grande pièce principale était vide, il n’y avait pas un chat dans
le salon, la salle à manger ou la cuisine. La maison était silencieuse, et elle
semblait vide.
Étonnée, je laissai tomber mon sac au sol, retirai mes chaussures et tournai la
tête sur ma gauche pour lorgner le couloir qui s’étendait quelques mètres plus
loin. Je ne réfléchis pas plus longtemps et m’y dirigeai sans attendre. Si Nick
devait se ronger les sangs quelque part, c’était dans son bureau, ça, c’était sûr.
Je montai les marches de l’escalier qui menait à l’étage du bureau quatre à
quatre. Mes pas étaient discrets, mes chaussettes ne faisant pas de bruit sur le
bois. Ce fut pour cela que je pus surprendre une conversation à laquelle j’aurais
aimé ne jamais assister…
Nick était bien dans son bureau. La porte de celui-ci était entrouverte,
suffisamment en tout cas pour que je puisse voir et entendre qu’il n’était pas
seul. Arizona était avec lui, tout proche de lui. Elle était debout, face à lui alors
qu’il était assis sur son fauteuil, l’une de ses mains était posée sur son épaule.
Cette vision me donna envie de grogner, mais pas plus que les mots qui sortirent
de sa bouche.
— Poppy Evans est une plaie Nikolas, lui dit-elle d’une voix suave. Elle n’est
pas faite pour se tenir à tes côtés. Elle est incapable d’obéir aux ordres ou de
répondre à son téléphone, et je ne te parle même pas de son incapacité à te
donner un héritier.
Ses paroles me firent l’effet d’un coup de poing en plein ventre. Elles me
retournèrent l’estomac, menaçant de me faire vomir sur le parquet. Je pinçai les
lèvres, blessée, et attendis en silence la réaction de mon mari, qui gronda
dangereusement à l’attention de la jeune femme.
— Poppy est mon âme-sœur, éructa-t-il dans un grognement si animal qu’il
venait sans doute plus de Jack que de lui. Elle est ma femme et je l’aime,
Arizona. Elle n’est pas une plaie, et elle me donnera un fils, le moment venu.
— Moi j’aurais pu t’en donner un, plaida la brune. Quand nous étions
ensemble, avant que tu décides de Revendiquer cette fille, j’aurais pu te faire un
fils. Nous avons passé assez de temps au lit pour que ça arrive…
Cette fois, un poignard parut s’enfoncer dans mon dos, cruel et fourbe,
attaquant mes poumons au point de m’empêcher de respirer. Je portai une main à
ma poitrine, elle était douloureuse. La souffrance était vive, acerbe et crue. Je me
sentais trahie, et ça par l’homme que j’aimais le plus au monde. Il m’avait caché
une vérité sombre, sale et mesquine. Arizona n’était pas juste une vieille amie
avec laquelle il avait failli s’unir, elle était aussi une ex. Une femme avec qui il
avait couché, avec qui il avait partagé son lit. Et cette femme, il l’avait accueillie
chez nous en toute connaissance de cause, il l’avait installée à quelques mètres
seulement de notre chambre. Nick avait choisi de la faire entrer dans notre vie,
sans se soucier du fait que j’aurais pu en souffrir. Ou alors peut-être qu’il le
savait, mais que ça lui était égal.
— Poppy ? C’est toi ? lança alors le lycan, qui avait senti ma peine à travers
notre lien.
La vivacité de la souffrance qu’il avait dû ressentir lui avait fait comprendre
que j’étais toute proche, ce qui l’avait forcé à relever la tête pour s’apercevoir
qu’effectivement, j’étais juste là et que j’avais tout entendu.
Le choc se vit sur son visage quand il comprit que j’avais assisté à toute cette
scène ridicule. Il repoussa Arizona et se leva de son siège au moment où je
tournais les talons et que je prenais la fuite. Je traversai le couloir presque en
courant, le cœur au bord des lèvres, prête à rendre le peu que j’avais mangé dans
la journée. La douleur, la peine et la tristesse me faisaient tourner la tête, au sens
propre. Je me sentais faible, comme au bord de l’évanouissement. Comment a-t-
il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me faire
ça ?
— Poppy, attends ! cria le loup en saisissant mon bras pour me tourner vers
lui alors que je m’apprêtais à descendre les escaliers.
Instinctivement, je lui décochai une gifle violente en plein sur la joue. La
surprise le fit reculer plus que la douleur, sa tête n’avait même pas bougé.
— Comment as-tu pu me faire ça ? lui hurlai-je. Me mentir, me cacher la
vérité en me disant qu’Arizona n’était qu’une femme que tu voyais à l’occasion,
pour le travail ? Alors qu’en fait tu couchais avec elle !
De grosses larmes salées embuèrent mes yeux et ne tardèrent pas à dégouliner
le long de mes joues. C’était comme un torrent que je parvenais ni à calmer ni à
contrôler. Ce fut plus fort que moi, j’explosai en sanglots et me débattis avec le
peu de force que j’avais pour me défaire de sa prise sur mon bras.
— Tu l’as fait venir ici, chez nous, en me disant que c’était pour le travail,
que tu voulais uniquement des informations sur Marcel, mais en fait, c’était pour
le plaisir d’avoir ton ex sous ton toit, au cas où je ne me montrais pas assez
obéissante, c’est ça !
— Arrête tu dis n’importe quoi Poppy, répliqua-t-il en m’attrapant par les
épaules pour m’empêcher de me débattre, Arizona ne m’intéresse pas, elle et
moi c’est… c’est de l’histoire ancienne !
— De l’histoire ancienne ! lui crachai-je au visage. Tu crois que ça suffit pour
calmer ma colère ? Pour apaiser ma tristesse et le sentiment de trahison qui me
submerge en ce moment même ! Tu as tort ! Tu as toujours tort !
— Je sais, je sais Poppy, je suis désolé, dit-il en plongeant ses yeux gris dans
les miens. Je voulais juste trouver Marcel, et faire cesser la rébellion…
— Au risque de me briser le cœur en faisant venir une tes ex-maîtresses ici ?
Au risque de m’humilier en faisant dormir sous notre toit une fille que tu avais
baisée !
À ce moment-là, je fus frappée de stupeur. Une vérité s’imposa à moi comme
un second coup de poignard. Cela ne fit qu’enfoncer le clou.
— Tout le monde savait, n’est-ce pas ? soufflai-je en secouant la tête de
gauche à droite. Tout le monde savait qui elle était pour toi…
— Elle n’est rien pour moi, Evans ! Rien du tout !
— Ce n’est pas ce qu’il prétendait quand il me prenait sauvagement,
commenta alors une voix derrière nous, quand il jouissait en moi en criant mon
nom.
— Arizona, la ferme ! gronda Nick en jetant un regard furtif par-dessus son
épaule.
— Pourquoi ? rétorqua la louve, partiellement masquée par la grande carcasse
de mon compagnon. Nikolas, tu as le droit d’avoir à tes côtés une femme à la
hauteur, une louve qui pourra s’accoupler avec ton loup, qui pourra te donner un
fils…
— J’ai dit, la ferme ! hurla-t-il en me lâchant pour se tourner vers elle, et lui
montrer les crocs.
La température ambiante augmenta brusquement. Les émanations de
domination que Nick envoya dans l’air firent trembler les genoux de la
métamorphe, et des miens au passage. Je me retins à la barre de l’escalier, à deux
doigts de tomber dans les vapes. L’Alpha était furieux, c’est ce qui alerta les
membres de sa meute, qui débarquèrent au rez-de-chaussée au pas de course.
Walter, Loki, Sam et Bram montèrent les escaliers quatre à quatre. Quand ils
me virent en larmes, les lycans m’entourèrent, comme pour me protéger.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? tonna Loki en jetant un coup d’œil à Nick, puis
à Arizona.
L’Écossais, furieux, inspirait et expirait très fort. Je sentais à travers notre lien
qu’il était à deux doigts de laisser son loup émerger. L’animal en lui allait
prendre le dessus d’un moment à l’autre, les paroles d’Arizona à mon égard
étaient en train de lui faire péter les plombs. Tout comme j’étais en train
d’étouffer. Je devais sortir d’ici, il fallait que je prenne l’air.
— Il faut que je m’en aille…
Entendant mes mots, Nick se retourna d’un bond et tendit le bras dans ma
direction.
— Poppy, je t’en supplie, ce qu’elle dit est faux. Arizona n’est rien pour moi,
je t’assure…
— Je… j’ai besoin d’un peu de temps, murmurai-je en fuyant son regard, il
faut que je réfléchisse.
Nick parut plus effrayé que jamais. Il laissa échapper un hoquet de surprise en
reculant d’un pas. Il mit quelques secondes à parvenir à prononcer sa phrase.
— Réfléchir à quoi, Poppy ?
Étant dans l’incapacité de croiser son regard, je gardai les yeux rivés sur ma
main gauche, ou plus précisément sur mon annulaire, là où se trouvaient ma
bague de fiançailles et mon anneau de mariage. Un silence de plomb s’abattit à
l’étage, seuls les bruits de nos respirations respectives venaient remplir le vide.
Personne n’osait bouger, j’étais incapable de réfléchir correctement. Tout ce que
je voulais, c’était sortir d’ici et partir loin, très loin de cette maison et de la
pomme pourrie que Nick avait laissé entrer en ces murs. J’avais mal et je
n’arrivais pas à arrêter de pleurer. Je n’avais jamais autant pleuré de toute ma vie
en si peu de temps. Moi qui me vantais pourtant d’être à l’épreuve des balles,
voilà qu’aujourd’hui j’avais été touchée par l’une d’elles. Une balle perdue que
mon propre compagnon avait lancée. Quelle trahison.
— Je vais partir quelque temps chez Al, finis-je par dire à mi-voix. Je ne veux
pas qu’on vienne me voir, ni qu’on essaye de me dissuader. J’ai besoin, d’un peu
de temps pour réfléchir à tout ça.
Là-dessus, je tournai les talons, me frayai un chemin entre Sam et Bram pour
dévaler les escaliers aussi vite que possible. Je n’avais plus d’air, je devais m’en
aller.
Personne n’essaya de me retenir, sans doute avaient-ils tous compris qu’il
était inutile de le faire. Au rez-de-chaussée, je trouvai tous les autres membres de
la meute réunis dans le salon. Leah pleurait, elle me regarda claquer la porte sans
dire un mot. Ce soir-là, je conduisis sans chaussures ni bagages jusqu’à la ferme
de mon grand-père, qui me vit débouler chez lui en larmes. Je me jetai dans ses
bras sitôt la portière de la Mustang refermée.
— Qu’est-ce qui se passe Dean ? me demanda-t-il en répondant à mon
étreinte.
— Nick est un idiot, lui répondis-je sans donner plus d’explications.
Je n’avais pas envie de m’étaler ce soir sur le fiasco qu’avait été mon retour à
la meute.
— Je l’ai toujours su, marmonna le vieux chasseur en caressant mes cheveux
doucement.
Nous restâmes ainsi de longues secondes, ce fut le plus long câlin que j’avais
reçu de mon grand-père de toute ma vie. Il m’étreignit sans me questionner,
après quoi il s’écarta, et m’invita à entrer. Sombre et Dovie étaient encore
éveillés, et se trouvaient toujours dans le salon, tout comme Ryan, sauf que lui
dormait à poings fermés. Quand les deux individus me virent, ils cessèrent de
parler immédiatement pour se tourner vers moi d’un air inquiet. Je baissai les
yeux, pensant qu’ainsi ils ne me verraient pas. Après tout, si je ne les regardais
pas, il y avait une chance pour qu’ils ne me regardent pas en retour, n’est-ce
pas ? Je ne voulais pas être vue dans cet état, tremblante, les joues trempées par
mes propres larmes. Ça ne me ressemblait pas.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Dovie en se levant d’un bond.
Je croisai mes bras contre ma poitrine, incapable de prononcer la moindre
parole. J’étais tétanisée par ma propre affliction, comme paralysée. Je voulais
dormir et oublier cette journée.
— On posera des questions demain, déclara Al d’un ton ferme en frottant une
main dans mon dos. Poppy va aller se coucher, et le reste, on verra plus tard.
Sombre fronça les sourcils, mais Al devança ses interrogations et m’entraîna
dans le couloir. Nous le traversâmes en silence, montâmes un escalier en bois et
rejoignîmes ensemble mon ancienne chambre d’adolescente.
La pièce n’avait pas changé d’un pouce. J’avais passé de nombreuses heures
ici, à écouter de la musique rock, ou à regarder des films avec Ryan, quand il
osait escalader le mur, bien sûr. Je reconnus mon lit en fer forgé, les petites
lampes de chevet à plumes roses qu’Arlene m’avait offertes quand j’étais plus
jeune et que je vivais ici. La chambre ne sentait pas la poussière, à mon plus
grand étonnement, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : Al faisait le ménage
dans cette pièce. Il s’occupait des affaires que j’avais laissées ici, comme si
j’étais encore là. Ce fut sans doute la chose la plus réconfortante que j’appris ce
soir.
— Tu as laissé quelques vieilles fringues ici, m’apprit le traqueur. Je passerai
te prendre des vêtements de rechange chez Teller demain.
Je secouai la tête dans un geste négatif, et retirai mes chaussettes avant d’aller
m’asseoir sur le lit.
— Non, je ne veux pas que tu y ailles, répondis-je, tu vas l’engueuler.
Al grommela, se passa une main dans ses cheveux poivre et sel, et vint
finalement prendre place à mes côtés. Il s’assit à ma droite, marmonna dans sa
barbe, et releva la tête pour planter ses yeux sombres dans les miens.
— Tu sais Poppy, commença-t-il de sa voix de fumeur, les hommes peuvent
parfois se montrer idiots, très souvent même. Il nous arrive d’être maladroits,
d’agir comme des rustres, de malmener les sentiments des femmes sans
forcément le vouloir. Crois-moi, je suis un expert en la matière, je ne saurais te
dire le nombre de fois que j’ai fait pleurer ta grand-mère sans le vouloir.
— C’est différent, plaidai-je, tu aimais grand-mère plus que tout, et elle
t’aimait plus que tout en retour. Elle savait qu’elle pouvait avoir confiance en toi,
et que même si tu étais peu habile avec les mots, tu n’aurais jamais rien fait pour
lui faire de la peine volontairement. Nick, lui, m’a fait du mal en toute
connaissance de cause.
Sentant la tristesse revenir à la charge, je baissai de nouveau le regard sur les
bagues à mon doigt, celles-là mêmes qui devaient être le symbole de notre
amour, de notre union. Nick voyait-il en son alliance les mêmes choses que
celles que je voyais dans la mienne ? Y attachait-il autant d’importance ? Ou
n’était-ce qu’un anneau quelconque, synonyme d’une cérémonie à laquelle il
n’avait eu aucune envie d’assister ?
— Evans, même si je ne suis pas le plus grand fan de Teller, je suis sûr d’une
chose à son sujet : il t’aime. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure !
Quand il te regarde, c’est comme si des étoiles lui sortaient des yeux.
L’amertume me fit serrer les lèvres.
— Je ne sais pas si je le rends heureux, Al.
Le vieil homme fronça les sourcils.
— Pourquoi ça ? Je ne connais pas un homme qui ne serait pas heureux à tes
côtés Dean, et au vu de la façon dont Nick agit quand il est avec toi, je dirais que
tu te trompes royalement. Un homme malheureux ne dévore pas sa femme du
regard comme il le fait, il ne l’embrasse pas comme Nick t’embrasse.
— Je crois qu’il serait plus heureux aux côtés d’une louve.
— Eh moi ce que je crois, c’est que tu parles sous le coup de l’émotion et que
tu as besoin de sommeil. Repose-toi ma grande, demain sera un autre jour.
Je soupirai.
— Sans doute, marmonnai-je.
Sans plus rien ajouter, Al se leva et quitta la pièce. Il me laissa seule dans un
silence de plomb. Je tirai les couvertures et me glissai sous elles en enfouissant
mon visage contre mon oreiller. J’inspirai profondément. Le parfum de la taie
n’était pas le même que celui de la maison. L’odeur de Nick n’y était pas, ce qui
me donna de nouveau envie de pleurer.
Ce fut ce que je fis. À l’abri des regards, couchée en position fœtale, je
pleurai, et cela pendant ce qui me sembla être une éternité. Puis, sans trop savoir
comment, je sombrai dans le sommeil. Pour la première fois depuis longtemps,
je fis des cauchemars. Des mauvais rêves dans lesquels je voyais toujours les
mêmes images : Nick et Arizona, couchés dans le même lit, nus et occupés. Et je
me voyais moi, assister à tout ça, sans pouvoir faire quoi que ce soit hormis
pleurer et hurler dans le vide sans que personne ne m’entende.

11

Je me réveillai en sursaut au lever du soleil, en sueur et l’estomac retourné.


Désorientée, il me fallut un instant pour me rappeler les événements de la veille.
J’observai la chambre dans laquelle j’étais couchée, les meubles qui
m’entouraient, et sitôt que tous mes souvenirs furent revenus en place, je fus
prise d’une violente envie de vomir qui me força à repousser les couvertures au
plus vite et me jeter dans la salle de bain attenante.
Pressée, je poussai la porte en bois de la pièce, et m’écroulai au sol en face
des toilettes, juste à temps pour vomir tout ce que j’avais dans le ventre. Des
secousses brutales me firent régurgiter, encore et encore, ça me sembla durer des
heures. Comment pouvais-je vomir autant alors que je n’avais rien avalé la
veille ?
Finalement, il me fallut de longues minutes avant que les spasmes se calment.
Quand je sus que c’était terminé, je tirai la chasse et appuyai mon dos contre la
baignoire tout près des toilettes. Je restai quelques instants assise par terre, les
yeux fermés, pas tout à fait réveillée ni tout à fait endormie. J’avais mal au
ventre, ma gorge était désormais irritée et je me sentais aussi mal qu’après une
cuite. Ma tête était douloureuse. Je sentais que mes yeux étaient gonflés, à cause
du manque du sommeil ou des larmes, je me posai encore la question, mais une
chose était sûre : j’avais la tête dans le cul et la journée s’annonçait mauvaise.
Je n’avais pris aucune affaire en partant de chez moi. Je n’avais ni sous-
vêtements de rechange, ni tee-shirt, ni jean, pas même ma brosse à dents. Par
chance, il y en avait toujours des neuves de rechange dans les placards des salles
de bain de la ferme. Aussi, j’en dénichai dans le meuble sous l’évier et me lavai
la bouche plusieurs fois pour me débarrasser du goût âpre du vomi. Ce temps
passé pour avoir meilleure haleine me permit au moins d’observer attentivement
mon reflet dans le miroir. Et autant dire qu’il n’était pas beau à voir.
J’avais des cernes affreux. Ma peau était bien plus pâle qu’à l’accoutumée, ce
qui faisait ressortir mes yeux redevenus marron. Mes cheveux blonds étaient en
pagaille, mes traits étaient tirés par la fatigue. À me voir comme ça, on n’avait
pas de mal à croire qu’Arizona avait raison. Je n’avais rien de particulier, j’étais
fade, et bien moins jolie qu’elle, ou que les métamorphes en général. Si on
ajoutait à ça le fait qu’à l’approche de mes règles, je me transformais en folle
hystérique qui pleurait à tout bout de champ, ça dressait de moi un sacré mauvais
portrait.
Lassée de me morfondre, je retirai mes vêtements, ou plutôt ceux de Dovie, et
me glissai sous la douche. Un cri de surprise m’échappa lorsque de l’eau froide
coula du pommeau au-dessus de ma tête. J’avais oublié qu’ici, l’eau chaude
mettait un peu de temps à arriver. Au moins, ce détail eut le don de m’éveiller
pleinement, j’étais désormais en pleine possession de mes moyens.
Alors que je sortais de la salle de bain, quelqu’un toqua à la porte. Je fronçai
les sourcils, pensant qu’il s’agissait d’Al qui venait s’assurer de mon état, mais
je constatai rapidement que j’avais tort. Dovie passa la tête par l’encadrement de
la porte, et esquissa un sourire.
— Salut, je peux entrer ?
J’acquiesçai, elle entra.
— Comment tu te sens ce matin ? Tu avais mauvaise mine hier, dit-elle en
venant s’asseoir sur mon lit défait.
— Je crains d’avoir toujours une mauvaise mine, répondis-je d’une voix
rauque. Ça ira sans doute mieux quand je me plongerai dans le travail. Je dois
aller à Baltimore visiter les entrepôts que nous avons trouvés, histoire de vérifier
qu’Henry Johnson, ou peut-être même Marcel ne s’y cache pas.
— Tu ne vas quand même pas y aller toute seule ? s’écria la brune, horrifiée.
Ce serait du suicide !
— Hors de question que je retourne à la maison pour lui parler de tout ça,
répliquai-je en retirant la serviette de bain qui masquait mon corps nu, j’irai avec
Sombre. Une armée de loups ne fera pas le poids face à une divinité.
Dovie laissa échapper un hoquet en me découvrant nue devant elle. Les yeux
écarquillés, elle porta une main à sa bouche entrouverte. Je fronçai les sourcils.
— Quoi ? m’enquis-je. Ce n’est pas la première fois que tu me vois à poil
quand même !
Hier soir même, elle était restée assise sur le plateau des vasques de la salle de
bain au rez-de-chaussée alors que j’essayais désespérément de faire disparaître
l’odeur de whisky sur moi. Elle avait voulu tout savoir de mon aventure à Fergus
Falls et de ma rencontre avec Phobétor, le Dieu des cauchemars. N’étant pas
d’une nature excessivement pudique, je n’avais aucun mal à me changer ou à me
vêtir devant une autre femme. Nous étions toutes faites des mêmes attributs de
toute façon.
— Je… hier j’étais tellement sous le choc de ma rencontre avec un vrai dieu
que je n’avais pas fait attention à ça… Et tu portes des vêtements toujours si
amples que je ne l’avais jamais remarqué non plus…
— De quoi tu parles ? De la morsure de Nick ? supputai-je en tendant le cou
sur le côté pour lui laisser l’admirer plus attentivement. Ça fait peur à voir
comme ça, mais comme tu dois sans doute déjà le savoir, être mordue par son
compagnon est bien plus agréable qu’il n’y paraît…
— Non, me coupa-t-elle je ne te parlais pas de la morsure, je te parlais de ça !
ajouta-t-elle en tendant les bras vers mon ventre.
Baissant les yeux, je lorgnai d’un œil mauvais l’arrondi qu’il avait pris.
J’appuyai un doigt sur ma peau ferme en soupirant.
— Je sais, je suis ballonnée ces temps-ci. Je fais au mieux pour cacher ça sous
des tee-shirts trop grands. Je crains que ce soit annonciateur de la période rouge
du mois, encore, marmonnai-je, agacée.
Après l’affaire de la disparition d’Eryn, Nick et moi avions décidé de fonder
notre famille. Mais chaque mois, mes règles refaisaient surface, m’annonçant la
mauvaise nouvelle. Pas de bébé, juste du sang et une humeur massacrante. À
force de déception, je commençais à perdre espoir, et à me dire que mon tour ne
viendrait jamais. J’étais toujours rattrapée par les menstruations. À mon plus
grand désarroi. Ce ventre gonflé et arrondi au possible me faisait enrager. Je le
détestais.
Alors que je fouillais dans mes vieux placards à la recherche de mes sous-
vêtements d’adolescente, Dovie se leva d’un bond, et m’attrapa par le bras pour
me retourner. Étonnée par sa rapidité, je m’apprêtais à répliquer, mais elle se
baissa brusquement et plaqua son nez tout contre mon ventre. Elle appuya ses
narines contre ma peau et inspira un grand coup. L’air sur mon épiderme me fit
glousser sans que je puisse me retenir ; je posai une main sur sa tête
instinctivement pour la repousser.
— Qu’est-ce que tu fais ? pouffai-je.
La jeune femme ne recula pas, et continua d’inspirer et d’expirer
profondément. Au bout de quelques instants, elle cessa et se laissa retomber par
terre, sur les fesses.
— Comment est-ce que j’ai pu passer à côté de ça…, souffla-t-elle.
— À côté de quoi ? la questionnai-je, curieuse.
La change-peau se passa une main dans les cheveux, et releva la tête pour
plonger ses yeux d’un vert tirant vers le jaune dans les miens. Elle avait l’air
complètement abasourdie, si bien que cela me fit cesser de rire immédiatement.
— Quoi Dovie ? insistai-je.
— Elle parle du bébé que tu as dans ton ventre, lança soudainement une voix
masculine depuis le lit.
Instinctivement, Dovie et moi nous tournâmes vers le lit où était allongé
Sombre. Outrée, je me tournai pour cacher ma nudité.
— Sombre ! Tu n’as jamais appris à frapper, bon sang !
— Je ne suis pas rentré par la porte, se justifia-t-il, je me suis téléporté
jusqu’ici, c’est différent.
— Je suis à poil, merde ! lui criai-je.
Mon amie qui travaillait avec moi au Teddy’s me tendit la serviette de bain
que j’avais laissée tomber au sol. Je la remerciai et m’enveloppai dedans sans
attendre, puis je me tournai vers le dieu nonchalamment installé entre mes draps
défaits. Il esquissa un large sourire et haussa les sourcils.
— Tu sais, j’ai vu plus de femmes nues que la plupart des hommes n’en
verront dans toute leur vie. Privilège sans doute d’être immortel. Je ne
m’offusquerais pas si tu décidais de retirer ce bout de tissu.
— Tu m’en diras tant, grommelai-je en croisant mes bras contre ma poitrine,
qu’est-ce que tu fais là ?
— Moi ? dit-il en pointant son index sur son torse. Je suis venu parce que je
ne voulais vérifier que tu allais bien, et puis je me suis rendu compte que Dovie
allait t’annoncer quelque chose que tu semblais visiblement ignorer.
J’arquai un sourcil interrogatif en posant mes poings contre mes hanches. De
quoi parlaient-ils tous les deux ?
— Ta grossesse, voyons ! s’exclama-t-il.
Je crus pendant une seconde avoir mal entendu. La surprise me laissa
pantoise ; j’ouvris la bouche plusieurs fois et la refermai tout autant de fois, puis
j’explosai de rire. Un rire nerveux, dévastateur, qui dura beaucoup plus
longtemps que prévu. Je ris au point d’en avoir mal à la mâchoire et d’en avoir
des crampes au ventre. Je dus m’asseoir pour calmer tout ça.
— N’importe quoi ! lançai-je quand je fus capable de parler. Je ne suis pas
enceinte, je suis ballonnée !
Dovie se mordit la lèvre inférieure et détourna le regard, comme mal à l’aise.
— Ton odeur en dit long Poppy, dit-elle, tu es bel et bien enceinte.
Je secouai la tête de gauche à droite. C’était une mauvaise blague et je ne la
trouvais pas drôle. Elle me rendait même plutôt triste.
— Si j’avais été enceinte, Nick et les autres membres de la meute l’auraient
su ! plaidai-je. Les loups-garous et les créatures surnaturelles peuvent sentir ce
genre de changement chez les femelles à des kilomètres !
— Eh bien ils sont passés à côté ! rétorqua Sombre en souriant. Moi je l’ai
tout de suite su. Pourquoi crois-tu que je t’empêchais de boire hier soir ?
Je pinçai les lèvres.
— Je ne suis pas enceinte, répétai-je en serrant les dents.
— Si, insista Dovie, et je crois que c’est un peu de ma faute si les membres de
la meute n’ont pas compris que tu portais un enfant…
Intriguée, je me tournai vers elle, attendant des réponses. Je ne savais pas si je
devais rire ou pleurer, peut-être étais-je encore en train de rêver, et que je me
faisais un mauvais trip dans mon sommeil. Je n’étais pas enceinte, Nick l’aurait
su, il l’aurait senti.
— Tu passes toutes tes journées avec nous Poppy, expliqua Dovie. Les
métamorphes sont très sensibles aux odeurs, et les loups de ta meute ne sont sans
doute pas passé à côté de mon parfum sur toi. Ni de celui de Ryan, que tu
enlaces souvent, et avec qui tu es très proche puisque tu lui apprends le métier de
chasseur. Ni de celui d’Al, d’Arlene, et de tous les chasseurs avec qui tu passes
du temps au Teddy’s. Sans parler des émanations d’alcool qui imprègnent tes
vêtements quand tu sers les clients du bar. Toutes ces odeurs parasites ont fini
par détourner les loups de ton propre parfum, et du changement qui s’opère chez
toi depuis quelque temps maintenant.
La métamorphe marqua une pause et inspira profondément.
— Tu ne vas pas avoir tes règles, Evans, tu portes l’enfant d’un loup-garou
dans ton ventre.
Le choc fut si brutal, que je faillis tourner de l’œil pour la énième fois de la
semaine. J’avais cru pendant des mois que jamais je ne parviendrais à tomber
enceinte, que jamais je ne serais capable d’offrir ce cadeau à Nick, que jamais je
ne deviendrais mère. Ces pensées m’avaient plongée dans des états de tristesse
profonde que j’avais fait de mon mieux pour cacher à mon compagnon, j’avais
été obligée de subir les moqueries silencieuses que j’entendais parfois lors des
unions auxquelles Nick et moi devions assister, les railleries sur mon infertilité et
sur mon incapacité à être une vraie femelle Alpha. J’avais écouté Arizona White
plaider sa cause en mettant en avant le fait que je n’avais, à ce jour, pu donner un
héritier à ma moitié, alors qu’en fait, je le portais en moi depuis peut-être des
semaines. Tout ça était trop beau pour être vrai, ça devait être une farce, ce
n’était pas possible autrement.
Me levant d’un bond, j’allais ouvrir toutes les fenêtres de la chambre pour
essayer de calmer ma respiration trop rapide. J’avais du mal à remplir mes
poumons d’oxygène, je devais prendre l’air et apaiser les battements rapides de
mon cœur.
— Ce n’est pas possible, soufflai-je, j’arrive pas à y croire.
Et pourtant, quand je faisais le solde de tout ce qui m’était arrivé jusqu’à
présent, mes changements soudains d’humeur, mes crises de larmes à répétition,
mon ventre qui criait toujours famine et ma facilité à m’emporter plus que de
raison. Tout ceci, sans compter les vomissements matinaux que j’avais souvent
vécus au cours des dernières semaines, représentait des signes annonciateurs que
j’avais refusé d’interpréter correctement, pensant au plus profond de moi qu’il
m’était impossible de porter la vie. Quelle idiote je faisais !
— Il faut que je fasse un test de grossesse, déclarai-je alors en me tournant
vers mes deux acolytes.
— Et que tu ailles voir un médecin, renchérit Dovie. Les grossesses des
métamorphes sont bien différentes des gestations humaines.
Je hochai la tête, je savais tout ça.
— Mais je ne suis pas une louve.
— Non, mais ton enfant ne sera assurément pas humain, ton odeur le dit très
clairement. Quand j’ai plaqué mon nez sur ton ventre, j’ai senti le loup. Tu sens
le loup-garou et pas seulement parce que tu es unie à Nick et que vos parfums se
sont mélangés, c’est ton bébé qui provoque ça.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que je dois faire ? m’inquiétai-je,
nerveuse.
J’étais perdue. Sans ma moitié à mes côtés, sans les membres de la meute qui
représentaient une partie de ma famille, je ne savais pas quoi faire. Que faisait-
on lorsqu’on portait un lycanthrope ? Quand on était enceinte tout simplement ?!
Je n’avais pas la chance d’avoir une mère à mes côtés qui m’avait tout appris,
qui m’avait préparé le terrain pour le jour J. Je n’avais pas lu de livre et j’évitais
au maximum les films sur la grossesse. Il n’y avait rien de plus chiant à mon
sens.
— Du calme, me rassura la féline en posant ses mains sur mes épaules, on va
se charger de tout. D’abord, tu vas t’habiller, on va aller à la pharmacie te
chercher un test de grossesse pour que tu puisses l’agiter sous le nez de ton
compagnon au cas où cet idiot aurait du mal à y croire. Je vais demander à Ryan
de prendre rendez-vous en urgence à l’hôpital, il faut que nous puissions
déterminer de combien de semaines tu es enceinte. Ensuite, il faudra dire à Nick
de contacter une fée, les fées sont d’excellentes sages femmes !
— Je ne vais pas accoucher à l’hôpital, comme tout le monde ?
— Non, voyons ! Ce serait trop difficile à expliquer aux médecins que ton
bébé est à terme à cinq mois de grossesse. Ils lui feraient faire des tests, et je ne
crois pas que tu aies envie qu’il découvre que son ADN est différent de celui des
autres bébés. N’est-ce pas ?
Je secouai la tête de gauche à droite. Personne ne ferait des examens à mon
enfant comme s’il s’agissait d’une bête de laboratoire. Il faudrait me passer sur
le corps, et sur celui de Nick !
— Bien, ensuite, nous aviserons. Je vais aller prévenir Ryan, prépare-toi, une
longue journée nous attend !
J’acquiesçai. Dovie somma Sombre de la suivre pour me laisser seule, ce qu’il
fit après m’avoir adressé un clin d’œil.
— Félicitations ma douce, lâcha-t-il avant de refermer la porte de la chambre.
Je ne répondis rien. Au lieu de ça, je restai plantée là, complètement
abasourdie par la nouvelle. J’avais espéré ce moment pendant tellement de
temps, je pensais que ce serait un moment magique, que je pourrais partager
avec Nick. J’avais imaginé qu’il me prendrait dans ses bras, fier et heureux, et
qu’il m’embrasserait tendrement pour nous féliciter d’avoir réussi. Mais les
choses ne s’étaient pas passées comme prévu. Au lieu de ça, j’étais là, incapable
de bouger dans mon ancienne chambre d’adolescente. Je n’avais ni Nick, ni
baiser. Pas d’explosion de joie, de bonheur, juste un sentiment d’insécurité, des
incertitudes et une inquiétude palpable à l’idée de ne pas savoir m’y prendre
correctement.
Même si nous nous étions disputés, j’aurais aimé que l’Écossais soit à mes
côtés en ce moment même. Qu’il me serre la main pour me rassurer et qu’il me
murmure des paroles réconfortantes au creux de l’oreille. Mais il n’était pas là,
et cela pour une raison simple : il m’avait menti, et il avait accueilli chez nous
une femme qu’il avait mise dans son lit plus d’une fois. Le mari, la femme, et
l’ex-maîtresse sous le même toit, quelle mauvaise blague stupide. Le scénario
parfait pour un épisode d’Hercule Poirot{1}.
Ne voulant pas gâcher l’annonce de ma grossesse par des mauvaises pensées,
je laissai retomber ma serviette et allai me placer face au miroir sur pied qui se
trouvait dans un coin de la pièce. J’étudiai mon reflet nu dans la glace, et baissai
progressivement les yeux sur mon ventre légèrement arrondi. Comment avais-je
pu prendre ça pour un simple ballonnement ? La courbe de mon abdomen était
parfaitement régulière. Je me tournai sur le côté pour mieux l’observer. Mon
ventre n’était pas encore très développé, mais il l’était suffisamment pour ne
laisser aucun doute. J’avais fermé les yeux sur cet indice flagrant, j’avais nié
l’existence de ce qui se trouvait juste sous mon nez.
Pour la défense de Nick, qui ne s’était, lui non plus, aperçu de rien, j’avais
toujours fait en sorte de masquer le gonflement de mon ventre sous des
vêtements bien trop grands pour moi. Je n’avais pas voulu qu’il pense que je me
laissais aller ou qu’il comprenne que mes règles n’allaient pas tarder à arriver. Je
ne voulais pas le décevoir. Mais je me trompais, ça n’avait rien avoir, c’était
autre chose. Un bébé, voilà ce qui se cachait là-dedans. Et c’était également lui
qui me mettait dans tous mes états ces derniers temps. Maintenant je savais, je
savais que c’était lui qui m’avait fait pousser ce grognement à l’attention
d’Arizona White quand elle avait sous-entendu que je ne plaisais pas vraiment à
Nick, et que je ferais mieux de perdre quelques kilos. C’était sous son nez à elle
que j’allais agiter mon test de grossesse ! Regarde ça pétasse, et ose me dire que
le chocolat chaud n’est pas fait pour moi !
Un sourire se dessina alors sur mes lèvres. Je me passai une main sur l’arrondi
discret mais bien réel de mon ventre, et souris de toutes mes dents. J’avais
réussi, je n’étais pas infertile, et je portais la vie en moi. Ça c’était une bonne
nouvelle ! Même si cela signifiait que j’allais devoir retourner à la meute, pour
l’annoncer au père de mon bébé. Et qu’à cette occasion, j’allais devoir revoir le
visage de l’horrible femme qui vivait sous son toit.
Cette simple idée me fit retrousser la lèvre supérieure, et pousser un nouveau
grognement bestial qui ne me ressemblait pas. Je portai une main à mes lèvres
sitôt qu’il les eut franchies, et souris de nouveau. Ce bébé allait fort, je le sentais
bien.

12

Je tournai et retournai le test de grossesse positif entre mes doigts en attendant


le médecin. Couchée sur une table d’osculation, Al, Sombre, Ryan et Dovie à
mes côtés, je patientais depuis déjà plusieurs minutes pour effectuer une
échographie que nous avions programmée plus tôt dans la matinée. Un
spécialiste avait accepté de nous recevoir en début d’après-midi après que Ryan,
paniqué en apprenant ma grossesse, avait appelé tous les hôpitaux de la ville et
des villes alentour pour obtenir un rendez-vous. Il était de toute évidence, et sans
contestation, le plus anxieux de nous tous. Le pauvre s’était réveillé en sursaut
quand Dovie était allé lui apprendre la nouvelle, et lui aussi avait bien failli
tourner de l’œil. Al, lui, avait réagi comme toujours avec beaucoup de maîtrise et
n’avait fait que soupirer en affirmant que ce n’était pas trop tôt.
Pour le moment, seules les personnes réunies avec moi dans cette petite pièce
étaient au courant pour le bébé. Nick restait encore à prévenir. J’avais perdu mon
téléphone dans la bagarre du supermarché, et celui-ci devait encore se trouver
sous une des étagères de la supérette. Honnêtement, ça ne me dérangeait pas.
Ainsi, je n’avais pas été obligée de répondre aux appels et messages que Nick et
les autres membres de la meute avaient sans doute laissés sur mon répondeur, et
je pouvais me préparer tranquillement à l’annonce de la grossesse que j’allais
devoir faire.
Le docteur Olsen, avec qui nous avions pris rendez-vous, arriva finalement
dans la salle d’examen avec dix minutes de retard. C’était un homme grand,
d’une quarantaine d’années, qui portait des lunettes bas sur son nez et arborait
des cheveux déjà grisonnants. L’homme me tendit sa grande main lorsque je me
redressai, je serrai le test de grossesse dans une paume et lui tendis l’autre.
— Bonjour, vous êtes mademoiselle Evans, c’est bien ça ? me dit-il en
esquissant un sourire chaleureux.
— Bonjour, oui exact.
Notre entrevue avait été programmée sous mon nom de jeune fille, je ne
m’étais pas présentée sous mon nom d’épouse. Nick en aurait été horrifié.
— C’est votre première échographie ? me demanda-t-il après avoir salué mes
accompagnants tour à tour.
J’acquiesçai.
— Oui, ma toute première, je n’ai appris que très récemment que j’étais
enceinte, lui expliquai-je.
Le professionnel hocha la tête à son tour et m’invita à me coucher plus
confortablement sur la table en cuir. Je me positionnai comme il le souhaitait, et
relevai mon tee-shirt quand il me le demanda.
— Ne soyez pas nerveuse, dit-il en constatant que j’étais légèrement tendue,
les échographies ne sont pas douloureuses. Peut-être votre compagnon pourrait-il
vous tenir la main pour vous aider à vous détendre ? ajouta-t-il en se tournant
vers Ryan, qui était le plus en avant.
— Moi ? Oh non je ne suis pas le père du bébé ! s’exclama-t-il, presque en
sueur. Je suis un ami, mais je peux lui tenir la main si ça aide !
La nervosité dans la voix de mon ami me fit sourire, Ryan n’avait jamais été
du genre à vouloir des enfants. Comme moi, les gosses le mettaient mal à l’aise.
Il ne savait pas s’en occuper, et ne se sentait pas capable d’en garder un ne
serait-ce que deux minutes d’affilée. L’annonce de ce matin l’avait laissé dans
tous ses états, le pauvre étudiant semblait complètement sonné. « Je vais être
tonton ! » n’avait-il cessé de répéter en boucle pendant le petit-déjeuner. Il
n’avait rien pu avaler.
— Ça va aller Ryan, reste assis, lui assurai-je en souriant, tu vas finir par
tomber dans les vapes si ça continue. Mon compagnon n’a pas pu assister à cette
première échographie, annonçai-je, je la lui rapporterai.
Le docteur Olsen hocha la tête. Il enfila des gants, et attrapa une bouteille de
gel qu’il fit couler sur mon ventre. Il était froid, je sursautai légèrement.
— C’est un gel conducteur, dit-il en allumant la machine face à lui, il va me
permettre de faire passer les ultrasons à travers la peau pour étudier le bébé. Je
vais me munir d’une sonde, continua-t-il en attrapant l’objet en question, que je
vais déplacer sur la zone abdominale pour faire apparaître sur le moniteur votre
bébé. Vous êtes prête ?
Prenant une profonde inspiration, j’articulai un petit oui et sentis une main
rugueuse se glisser dans la mienne. Je tournai la tête alors que le médecin posait
la sonde sur mon ventre et qu’il étalait le gel avec sur toute sa surface. Al s’était
levé et tenait ma paume fermement serrée dans la sienne. Il me sourit, et je lui
souris en retour. Il ne m’abandonnerait pas, et il était là pour moi qu’il arriverait.
— Vous êtes sûre que vous n’avez appris votre grossesse que récemment ? me
questionna le docteur au bout de quelques minutes.
Lui redonnant mon attention, je vis qu’il fronçait les sourcils derrière les
montures épaisses de ses lunettes. L’inquiétude me gagna soudainement.
— Quelque chose ne va pas ? m’enquis-je d’une voix tremblante.
— Non, non rassurez vous votre bébé est en parfaite santé, regardez,
m’assura-t-il en me désignant le moniteur de contrôle d’un geste du doigt.
Pour me permettre de mieux le voir, il le décala légèrement dans ma direction.
Dovie laissa échapper un sanglot en voyant le bébé qui se dessinait clairement
sur l’écran. L’émotion me gagna à mon tour lorsque je vis le petit être bien
distinct qui semblait dormir de profil, ses minuscules bras ramenés vers son
visage. Le bébé était bien là, et il paraissait déjà bien formé. Je pouvais
distinguer sa tête, son petit nez, son ventre tout rond et ses jambes fléchies. Il
avait l’air de vouloir se faire tout petit ainsi recroquevillé sur lui-même, comme
s’il ne voulait pas se faire remarquer.
— Vu sa taille, je dirais que le bébé est au moins âgé de quinze semaines,
affirma le docteur. Sa cuisse masque son sexe, mais je suis sûr que nous
pourrons dès la prochaine échographie découvrir s’il s’agit d’une fille ou d’un
garçon.
Quinze semaines ? Cela faisait presque quatre mois ! Je n’étais pas enceinte
depuis tout ce temps, ce n’était pas possible.
Jetant un coup d’œil à Dovie, qui pleurait silencieusement, tout comme Ryan
d’ailleurs qui s’essuya les joues en reniflant, je l’interrogeai du regard pour
essayer de savoir ce qu’il en était vraiment. Elle secoua la tête de gauche à droite
pour me signifier que ça ne faisait pas autant de temps. Le bébé se développait
juste plus vite que les enfants humains. Mais alors, depuis quand était-il là ?
— Avez-vous fait des tests sanguins, m’interrogea Olsen en parcourant mon
ventre de la sonde, des examens médicaux réglementaires ?
Je secouai la tête pour lui signifier que non, et m’essuyai les joues de ma main
libre. Les larmes coulaient toutes seules sur mon visage. J’étais heureuse que le
bébé aille bien, contente de le voir aussi, mais je regrettais l’absence de Nick
auprès de moi. Même si j’étais toujours furieuse après lui, je voulais qu’il sache
pour l’enfant, qu’il assiste à tout ça. C’était un moment si important !
— Il va falloir que vous effectuiez une prise de sang. Le bébé semble en
parfaite santé, et il est très bien développé. Sa taille est parfaite et ses proportions
le sont tout autant. Félicitations.

Nous ressortîmes du Mercy Hospital Northwest Arkansas de Rogers aux
alentours de 16 heures. Ryan, Dovie, Sombre et moi contemplions sans vraiment
regarder ou nous marchions les échographies que nous avait remis le médecin,
pendant que Al ouvrait la marche devant nous. J’avais effectué une prise de sang
et plusieurs examens fatigants en urgence au vu de la taille du bébé. J’avais ma
dose de dépistages pour la journée. Mais au moins, mon enfant était en parfaite
santé, et il ne présentait aucun signe de malformation ou de maladie.
— Depuis combien de temps suis-je réellement enceinte ? demandai-je à
Dovie en rejoignant le pick-up de mon grand-père garé sur le parking.
La métamorphe devait sans doute s’y connaître mieux que moi sur le sujet.
— Je dirais un mois, environ, peut-être un mois et demi. Les bébés
métamorphes et lycans se développent excessivement vite. Ce qui m’inquiète,
c’est que ton corps le vit relativement bien pour l’instant, mais ton état risque de
ne pas rester ainsi.
Soucieuse, je détournai les yeux de mon bébé pour la regarder en face.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle se mordit la lèvre inférieure.
— Les grossesses sont extrêmement éprouvantes pour les femelles change-
peau, mais nos corps sont faits pour supporter les changements apportés par nos
enfants. Les humaines, elles, ne sont pas formées pour vivre une gestation
accélérée. Ton corps va se fatiguer très vite, tu risques d’avoir, des maux de
ventre et de te sentir étourdie très souvent. Mais surtout il va falloir veiller à voir
régulièrement la sage femme surnaturelle que tu auras choisie pour prendre soin
de toi. Les risques de fausses couches sont très élevés chez les humaines
enceintes de surnaturels.
Je me mordillai l’intérieur de la joue et baissai la tête sur la petite photo que je
tenais entre les mains. Ryan et Sombre étudiaient avec attention les plus grandes
qu’Owens avait mises à notre disposition. Ils faisaient des paris sur le sexe du
bébé. Ryan optait pour une fille, Phobétor pour un garçon.
— Je ne veux pas t’inquiéter Poppy, lança la jeune femme aux cheveux noir
bleuté. Si tu veilles à bien te reposer et à éviter le stress pendant les prochains
mois, tout se passera très bien tu verras !
Je soupirai.
— Éviter le stress, tu dis ? Un quart des lycans de la société lycane en a après
la vie de mon compagnon et des membres de ma famille. Une autre femme vit en
ce moment même chez moi, sous le même toit que mon mari, et elle a des vues
sur lui ! Je ne pourrais pas échapper au stress, et rester tranquille ne me
ressemble pas.
— Mais cette fois, il va falloir que tu penses au bébé, répliqua-t-elle
doucement, vous êtes deux maintenant.
— Eh ! Aboya Al depuis sa voiture. J’ai pas toute la journée !
Dovie et moi échangeâmes un regard amusé, nous nous remîmes en route
pour le rejoindre.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Al le chasseur une fois que
nous fûmes tous installés à bord. On rentre sur le territoire de la Meute du Soleil
et on annonce la bonne nouvelle ?
— J’ai hâte de voir la tête que fera Nick quand il apprendra pour le bébé,
gloussa la brune.
— J’espère qu’il ne sera pas aussi horrifié que Ryan, soupira Sombre.
— Je ne suis pas horrifié ! se défendit l’intéressé. Je suis juste surpris, c’est
pas tous les jours qu’on apprend qu’on va être tonton, je vous signale !
— Non, on ne rentre pas à la meute, les stoppai-je en bouclant ma ceinture et
en rangeant les documents dans mon sac à bandoulière. Si je dis à Nick que je
suis enceinte, il m’empêchera d’aller à Baltimore pour vérifier les entrepôts.
— Tu veux toujours y aller ? s’étonna le blond depuis la banquette arrière. Ça
risque d’être dangereux et tu es…
— Ouais je sais Ryan, le coupai-je, mais il faut bien que quelqu’un le fasse. Si
Nick envoie ses hommes là-bas, le territoire sera sans surveillance, et donc
vulnérable. De plus, si Arizona apprend que nous savons pour les entrepôts et
qu’elle est bien la complice de White, elle le préviendra, et lui, préviendra ses
alliés. Or, je veux pouvoir les chopper avant qu’ils se fassent la malle. Si nous
les arrêtons, et que nous les interrogeons, ils cracheront peut-être le morceau sur
la planque de Marcel. Je ne veux pas manquer cette occasion de le coincer.
— Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse à cinq, si on compte Al, face à un
groupe de lycanthropes en rogne ? s’écria Dovie. On va se faire massacrer.
Je reniflai et relevai le menton en jetant un coup d’œil dans le rétroviseur.
Mon regard croisa celui doré du dieu coincé entre une métamorphe panthère et
un apprenti chasseur, un sourire en coin illumina son visage.
— Un million de lycans ne serait pas suffisant pour m’arrêter moi, lança-t-il.
Si tu vas à Baltimore, ma douce, je t’y suivrai et je réduirai en miettes tes
ennemis si c’est ce que tu désires.
Je souris à mon tour.
— À la bonne heure.

Je récupérai mon téléphone portable après que Sombre était allé me le
chercher en se téléportant de la ferme jusqu’au supermarché dans lequel
travaillait son enveloppe corporelle. Bien sûr, je ne fus pas surprise de voir que
j’avais une tonne de SMS et de messages vocaux envoyés par les membres de la
meute et par mon compagnon. Je n’en écoutai aucun, de peur que cela me fasse
changer d’avis et rentrer sur-le-champ pour tous les rassurer. À la place, alors
que Ryan, Dovie, Sombre et moi attendions notre vol pour Baltimore à l’aéroport
de Rogers, je composai le numéro de Sammy, et m’éloignai pour lui passer un
coup de fil.
Il répondit immédiatement.
— Poppy ! Je t’ai laissé des tonnes de messages, où es-tu ? Tu vas bien ?
J’inspirai profondément avant de lui répondre.
— Je vais bien Sam, lui assurai-je, j’ai vu tes messages, mais je n’ai pas eu le
courage de les écouter.
— Qu’est-ce qui s’est passé hier soir ? Nick refuse d’en parler ! Il reste cloîtré
dans son bureau et ne veut parler à personne ! Il ne va pas bien du tout.
Je m’en étais douté, je ressentais sa peine et sa douleur à travers notre lien
d’âmes-sœur.
— Je serai bientôt rentrée, lui promis-je, j’ai juste besoin d’un peu de temps.
Je marquai une pause et laissai passer quelques secondes avant de reprendre.
— Je sais pour lui et Arizona, lui avouai-je alors, et je sais que vous étiez tous
au courant qu’ils avaient eu une relation par le passé.
Un silence s’abattit à l’autre bout du fil.
— Poppy, écoute je ne voulais pas te cacher cet élément, mais Nick ne voulait
pas t’en parler de peur que tu le prennes mal… C’était il y a longtemps tu sais,
vous n’étiez pas encore ensemble et…
— Je sais tout ça, affirmai-je, mais ça ne veut pas dire que c’est plus facile
pour autant. J’aurais bien aimé le voir lui, si j’avais invité Nash à dormir dans la
chambre d’amis !
Sentant que la colère revenait à la charge, je fermai les yeux et me pinçai
l’arête du nez entre mon pouce et mon index.
— Tu sais quoi, ce n’est pas grave, poursuivis-je, je sais pourquoi il l’a fait
venir et je comprends. Pour le moment, contentez-vous de la surveiller et de voir
si les informations qu’elle vous fournit sont exactes.
— Nick a fait envoyer des agents lycans vérifier les différents territoires
qu’elle nous a communiqués. Nous attendons des retours de leur part.
Je hochai la tête.
— D’accord.
Nouveau silence.
— Tu sais, Nick s’en veut vraiment beaucoup. Son loup est en colère après
lui, et il lui mène la vie dure depuis hier. Je sens son agitation à travers notre lien
de meute, il veut partir à ta recherche, mais Nick l’en empêche pour te laisser
respirer.
Et je lui en étais reconnaissante.
— Je comprends. Nous reparlerons de tout ça quand je serai rentrée.
À ce moment-là, une hôtesse annonça au haut-parleur l’embarquement pour le
vol de Baltimore. Du coin de l’œil, je vis mes acolytes se lever de leurs sièges, je
leur fis signe que j’en avais pour une seconde.
— Tu es à l’aéroport ? comprit Sam, qui avait entendu l’appel.
Je soufflai.
— C’est une longue histoire. Je reviens vite. En attendant, veille à ce que
Nick mange suffisamment, et à ce qu’il ne se morfonde pas trop. Je t’embrasse.
Avant de lui laisser le temps de répondre, je raccrochai et éteignis mon
portable. Je le fourrai dans la poche de mon jean et attrapai mon sac de voyage à
mes pieds. Il était rempli de vieilles affaires que j’avais trouvées dans mes
tiroirs, mais ça ferait l’affaire pour ce que j’avais à en faire. J’attrapai mon
passeport, passai la bandoulière du sac sur mon épaule, et m’engageai vers le
couloir d’embarcation, plus déterminée que jamais à mettre un visage sur la
rébellion des loups-garous.

13

En arrivant à Baltimore, nous eûmes la bonne surprise de découvrir Astor


Lowell, son époux Edward Hearst Lowell, ainsi que Zachary et Eryn, nous
attendant sur le parking de l’aéroport. Dovie écarquilla les yeux quand elle
reconnut le roi des vampires en personne. Sombre resta de marbre, il mangeait
sucette sur sucette depuis que nous avions décollé.
— Ryan ! s’enthousiasma Eryn en venant serrer son frère dans ses bras. Tu
m’as tellement manqué !
Eryn Wallace avait été enlevée par des vampires, séquestrée, malmenée, et
pourtant, elle n’avait pas hésité un seul instant au moment d’épouser son fiancé
Zachary, lui-même vampire. Elle n’avait pas non plus reculé quand il avait été
temps pour elle de devenir comme son mari, et de dire adieu à son humanité.
Eryn avait désiré devenir un vampire, son compagnon lui avait donc transmis le
virus vampirique, et elle avait survécu à la mutation.
Ryan avait eu beaucoup de mal avec l’idée qu’elle se transforme en suceuse
de sang. Il avait éprouvé des réticences vis-à-vis de ce changement, notamment
parce qu’il avait bien compris que peu d’humains survivaient à la transition.
Mais il avait accepté son choix et était resté avec elle le temps que le Venin V
infecte son sang. Mais tout est bien qui finit bien puisqu’aujourd’hui, les deux
amoureux aux yeux bleu électrique étaient pleinement comblés et prêts à
affronter le monde ensemble. L’amour n’avait aucune frontière, et ils en étaient
la preuve.
— Toi aussi tu m’as manqué, répondit-il en l’étreignant à son tour.
Astor et Edward se dirigèrent vers moi, tous deux me prirent dans leurs bras.
— Quel plaisir de te revoir ici Poppy, déclara le dirigeant vampirique en
plongeant ses yeux dans les miens, j’étais très heureux que tu m’appelles pour
me prévenir de ton arrivée.
Je souris et hochai la tête.
— Je ne compte pas énormément d’amis à Baltimore, mais j’ai la chance que
vous en fassiez partie. Et je vais avoir besoin d’amis demain.
J’avais appelé Astor avant que nous décollions pour le Maryland. Nous étions
restés en contact après la disparition de sa belle-fille, et nous pouvions même
dire que nous étions, au fil du temps, devenus amis. Je savais que je pouvais
l’appeler en cas de problème, qu’il répondrait toujours présent si j’avais besoin
de lui. Il me le prouva ce soir en venant à notre rencontre.
— C’est ce que j’ai cru comprendre au téléphone, assura-t-il, peu importe le
nombre d’hommes que je dois mettre à ta disposition Poppy, je le ferais pour
t’aider.
J’acquiesçai en signe de remerciement.
— Merci.
Alors qu’Eryn et Zachary venaient me saluer après avoir enlacé Ryan, Astor
fronça les sourcils et posa ses iris si particuliers sur Sombre qui se tenait derrière
moi. Les vampires l’observèrent avec attention, sentant qu’il était différent.
Expliquer la nature de notre acolyte n’allait pas être évident.
— Qui est-ce ? me questionna Edward en plissant les paupières.
— Je vous présente Sombre, leur dis-je en me tournant vers l’intéressé, et elle,
continuai-je en plaçant une main dans le dos de la métamorphe féline, c’est
Dovie.
— Toi, tu es une panthère noire, reconnut Zach en étudiant la brune, mais toi,
qu’est-ce que tu es ?
Sombre releva le menton, un petit sourire au coin des lèvres. Il retira sa
sucette à la cerise de sa bouche.
— Vous ne préférez pas qu’on soit assis pour que je vous le dise ? Vous
risqueriez de tomber à la renverse en apprenant qui je suis réellement.
Heureusement que les vampires étaient bien accrochés à leurs sièges quand je
leur révélai qui était Sombre, et dans quelles circonstances nous nous étions
rencontrés tous les deux. Parce que sinon, ils seraient bel et bien tombés à la
renverse. Grâce au Ciel, ils étaient tous confortablement installés dans des
fauteuils luxueux au cœur du manoir des Lowell.
J’avais préféré attendre que nous soyons arrivés chez le roi des vampires pour
tout leur raconter, et leur expliquer qui était vraiment l’adolescent à l’aura si
spéciale. Encore une fois, j’avais dû revenir sur l’épisode du Monde Noir et sur
Morphée. Raconter toute l’histoire en détail me prit au moins une bonne heure,
et quand j’en eus fini, je vis la stupéfaction dans le regard de nos hôtes. Sombre
n’eut cette fois pas besoin de faire appel à son énergie pour prouver son identité.
Les vampires comprirent d’eux même qu’il ne faisait partie d’aucune catégorie
de surnaturels et qu’il était encore moins humain.
— C’est un honneur de recevoir une divinité sous notre toit, lança Astor sur
un ton solennel, jamais je n’aurais cru que ça arriverait.
— C’est un plaisir partagé, lui assura le brun. Après tout, je n’ai pas non plus
l’occasion de fréquenter des vampires tous les jours.
— Pourquoi êtes-vous ici ? demanda alors Eryn. Non pas que je ne sois pas
heureuse de vous voir et de faire votre connaissance, mais, pourquoi venir à
Baltimore au beau milieu de la nuit ?
Ryan soupira.
— Poppy a insisté pour mettre à sac un entrepôt dans lequel se planquent
sûrement des ennemis de la société lycane, expliqua-t-il, on a pensé que vous
pourriez peut-être nous aider.
Astor fronça les sourcils.
— Nick sait-il que vous êtes ici ?
Je me mordis la lèvre inférieure et me laissai couler dans le canapé sur lequel
j’étais assise.
— Non, il ne l’est pas, admis-je, et je compte sur votre discrétion. Il ne doit
rien savoir.
— Pourquoi lui cacher votre présence ici ? s’interrogea Zachary. Il a des
contacts à Baltimore, je pense notamment au Lieutenant du Nord, qui aurait pu
vous prêter main-forte.
— Vous connaissez Marcel Jay White, n’est-ce pas ? lançai-je alors en
relevant la tête pour regarder les quatre vampires qui nous faisaient face.
L’ancien Lieutenant de l’Ouest.
Astor serra les lèvres et releva le menton. À son air, je compris non seulement
qu’il le connaissait effectivement, mais qu’il ne le portait pas dans son cœur.
— Oui.
— Il serait apparemment impliqué dans la rébellion des lycans, et œuvrerait
dans l’ombre pour voler le trône de Nick. C’est ce que prétend sa nièce en tout
cas, nièce qui s’est installée chez nous, dans notre meute, sur notre territoire.
Edward et Astor échangèrent un regard en coin.
— Nick a laissé venir une autre femelle sur votre territoire ?
La colère me donna envie de grogner d’exaspération, je fis de mon mieux
pour ravaler le grondement qui me brûlait les lèvres.
— C’est un manque de respect, s’offusqua Zachary en attrapant la main de sa
femme. Jamais je n’oserais accepter qu’une autre femelle s’installe chez moi
sous les yeux de ma compagne.
— Elle affirme savoir des choses compromettantes sur son oncle, repris-je en
ignorant la honte qui me faisait rougir, et Nick l’a fait venir dans le but d’obtenir
ces fameuses informations. Mais je la soupçonne d’être de mèche avec Marcel,
et d’être en fait venu jusqu’à Springdale pour nous espionner, et renseigner son
oncle sur notre territoire, nos habitudes et lui fournir des infos sur nos alliés.
Je marquai une pause et inspirai profondément.
— J’ai été attaquée par un tueur à gages lycan envoyé pour me faire la peau,
repris-je, Nick n’était pas présent, et c’est pour cette raison que j’ai pu dénicher
des informations concernant cet individu sans l’alerter, et sans que ça n’arrive
aux oreilles d’Arizona. Il venait de Baltimore, et d’après nos sources, il serait
issu de la meute d’Henry Johnson, auquel nous avons déjà eu plus ou moins
affaire par le passé. Nous avons des raisons de croire que son territoire se trouve
non loin d’ici, dans une zone industrielle remplie d’entrepôts à louer.
— Vous avez besoin de nous pour attaquer l’entrepôt, compris Astor, un air
sérieux sur le visage.
Je hochai la tête.
— C’est exact, et si je n’ai pas prévenu Nick, c’est parce que je voulais que
nous restions discrets. Si Arizona est bien une taupe, elle pourrait prévenir son
oncle que nous avons trouvé l’un de ses alliés, et lui les informerait pour qu’ils
puissent s’enfuir avant notre arrivée. Je ne voulais pas risquer que ça arrive,
parce qu’Henry Johnson est peut-être notre seule chance de parvenir jusqu’à
White. Vous comprenez ?
Tous opinèrent du chef, Astor plongea son regard électrique dans le mien.
— De quoi as-tu besoin ?
— De renforts. Si jamais les hommes de Johnson se cachent bien là-bas, dans
ces entrepôts, et que nous les attaquons, certains chercheront à prendre la fuite.
Or, ils iraient tout droit avertir Marcel de notre assaut. Je ne veux pas que ça
arrive. Si Nick a raison, alors c’est White qui contrôle tous les groupes de
rebelles, il est leur chef. Ce que je veux, c’est faire cracher à Henry la liste de
tous ses alliés, afin que je puisse les réduire en poussière moi-même. Ainsi, sans
armée, il nous sera plus facile de l’affronter quand il attaquera nos terres. Parce
qu’il le fera.
— Nos équipes devront donc s’assurer qu’aucun lycan ne se fait la malle,
c’est bien ça ? conclut Edward.
J’acquiesçai.
— C’est bien ça. Si Marcel apprend que nous attaquons les siens, il va se
montrer plus vigilant, et leur dira d’être prudents. Il nous sera alors plus difficile
de les traquer s’ils sont moins confiants. Je veux, au contraire, que White croie
qu’il a les pleins pouvoirs, qu’il dirige tout, alors qu’en fait, dans son dos, nous
réduisons en miettes son château de sable.
**

La zone industrielle qui séjournait au 601 S Haven St de Baltimore était


déserte lorsque nous y arrivâmes vers 7 h 30. La rue était entourée de chaque
côté par des constructions en briques rouges, entrepôts pour des enseignes de
vêtements, pour des sociétés de cartons, ou alors, bâtiments vides et abandonnés.
La bâtisse que nous cherchions, elle, était la seule qui possédait une façade
différente des autres. Blanche et verte, elle s’étendait en longueur et s’élevait sur
deux étages. À l’intérieur se trouvait sans doute multiples garages à louer pour
particuliers, mais bizarrement, en faisant des recherches sur internet et en ayant
demandé à Rocky d’enquêter un peu sur l’entreprise, celle-ci ne louait le
bâtiment entier qu’à un seul et même homme : Jason Moore. Étrange en sachant
que cet homme était mort presque sept mois plus tôt après avoir avalé une
capsule de poison, juste après avoir tamponné deux Gammas de la Meute du
Soleil avec sa voiture.
Il était évident qu’Henry Johnson se cachait ici désormais. Certains de ses
hommes avaient été arrêtés par le Lieutenant du Nord, Dorofeï Nabatov, puis
avaient été interrogés par les soins de Loki, expert en interrogatoire, quelques
mois plus tôt. Ils avaient expliqué que leur Alpha avait kidnappé un homme du
nom de Jason Moore, alors professeur des écoles, qu’il avait imposé son emprise
sur son esprit pour le forcer à se rendre à Springdale, en Arkansas, et à s’en
prendre à deux des nôtres. Tout ça dans le but de retenir mon attention là-bas,
afin que je ne réponde pas à l’appel à l’aide d’Astor Lowell, inquiet à l’époque
pour la vie de son fils. Henry, à ce moment-là, faisait des magouilles avec Fergus
Ferguson, qui avait enlevé la compagne de Zachary, qui se laissait mourir.
Aujourd’hui, Henry Johnson se cachait sous l’identité de sa victime et louait ce
bâtiment en son nom. Quel abruti.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Dovie en lorgnant la planque
de Johnson depuis la voiture banalisée dans laquelle nous étions réunis.
Garés quelques mètres plus loin dans la rue pour ne pas être repérés, Sombre,
Ryan, Dovie et moi attendions le message d’Astor Lowell, qui devait nous
confirmer que ces hommes étaient tous bien en place autour du bâtiment et des
entrepôts alentour. Le roi des vampires avait mis à notre disposition une équipe
entière de vampires entraînés au combat. Avec eux dans nos rangs, aucun loup
n’allait pouvoir s’enfuir.
— On attend la confirmation d’Astor, lui répondis-je, et ensuite, on suit le
plan.
Celui-ci était simple. Avant d’agir, nous devions vérifier les risques qu’il y
avait à investir un tel lieu. Comme l’édifice n’avait pas de fenêtre, il nous était
impossible de voir ce qui se passait à l’intérieur, ni de savoir avec précision
combien il y avait de loups là-dedans. Mais ce n’était pas très grave, car nous
avions dans notre manche un dieu capable de quitter son enveloppe corporelle
pour se rendre sous sa forme immatérielle à l’intérieur de la planque des rebelles.
Personne ne pourrait le voir. Sans doute ressentirait-on sa présence, mais ce ne
serait qu’une étrange impression pour les rebelles. Sombre serait invisible, il
pourrait déterminer avec exactitude le nombre d’ennemis que nous allions devoir
mettre hors d’état de nuire. Quand il aurait pris connaissance des pièges
éventuels et de la disposition des hommes à abattre, il reviendrait dans son
véhicule de fortune, après quoi nous irions ensemble, seulement lui et moi,
affronter Henry. Sombre était le fils d’Hypnos et Nyx en personne, il ne craignait
personne, et encore moins une bande de loups-garous. Je lui faisais entièrement
confiance lorsqu’il affirmait qu’aucun ne ferait le poids contre lui, je ne risquais
strictement rien à ses côtés.
Soudain, alors que le silence régnait dans le véhicule, mon téléphone bipa.
— Tout le monde est en place. Sombre, c’est à toi de jouer.
La divinité dans le corps de l’adolescent assis sur le siège passager hocha la
tête, et inspira profondément avant de correctement s’installer sur son fauteuil. Il
ferma les yeux, prit plusieurs longues inspirations, son corps se détendant
progressivement, puis il cessa soudainement de respirer. Ses membres se
relâchèrent, sa tête glissa sur le côté et il s’affala légèrement à côté de moi. Ce
fut comme s’il venait de sombrer dans le sommeil ou de succomber à une crise
cardiaque silencieuse.
— Putain, on dirait qu’il est mort, souffla Ryan depuis la banquette arrière.
— Son esprit divin a quitté son enveloppe corporelle terrestre, il n’est pas
mort, il est juste parti en vadrouille, le corrigeai-je en observant la bâtisse qui
s’élevait à quelques mètres devant nous. Grâce à lui, nous allons pouvoir savoir
à combien de loups-garous nous allons devoir nous frotter.
— Tu es sûr de vouloir venir, Ryan ? lui demanda Dovie.
Je jetai un regard dans le rétroviseur intérieur et croisai celui du blond derrière
moi. Il fronça les sourcils.
— Bien sûr que je le veux, dit-il, catégorique. Pas question que Sombre,
Poppy et toi vous soyez les seuls à prendre des risques. Ça fait des semaines que
je m’entraîne à la ferme, et même si j’ai encore du mal avec les Winchester, je
peux sans difficulté manier un Glock. Il est grand temps que je découvre le
terrain.
Un petit sourire naquit au coin de mes lèvres lorsque je vis la détermination
dans son regard. Quand j’étais plus jeune et que je m’impatientais aussi d’aller
sur le terrain avec Al, je faisais preuve de la même envie viscérale d’entrer dans
le feu de l’action. Ryan ferait un bon chasseur, il avait cette flamme qui brillait
dans ses yeux bleus, la même que celle qui animait plusieurs des nôtres, et qui
faisait défaut à certains.
— Le tout est de ne pas prendre de risque inutile, déclarai-je, et de mettre en
pratique les connaissances que tu as apprises durant l’entraînement. Les loups-
garous sont puissants, rapides et entendront ta venue à des kilomètres. Il te
faudra rester sur tes gardes, à l’affût, et t’attendre au pire de leur part. C’est
clair ?
Ryan acquiesça.
— Compris.
Sombre revint à lui, ou plutôt, revint dans le corps de Marshall après une
bonne dizaine de minutes d’absence. Il s’éveilla en sursaut, ouvrant les paupières
si brusquement qu’il nous fit tous les trois bondir dans la voiture. Il se redressa
en appuyant ses mains contre le cuir de son siège.
— Trente-deux lycans, dit-il, c’est le nombre d’hommes dont dispose Henry
Johnson là-dedans.
— Henry est à l’intérieur ?
Je connaissais tous les codes d’accès à la base de données dont les membres
hauts placés de la société lycane disposaient. Privilège sans doute d’être la
femelle Alpha de la communauté garou. Ainsi, j’avais pu y entrer depuis
l’ordinateur du bureau d’Astor, et y rechercher des informations supplémentaires
sur Henry durant la nuit. Je n’avais pas réussi à fermer l’œil, alors j’avais mis
mon insomnie à profit. Tout ce que j’avais trouvé, je le savais déjà. Henry était
un sociopathe qui faisait pression sur nombre de ses adeptes pour les forcer à
adhérer à son mouvement, et il était impliqué dans plusieurs trafics
particulièrement louches. Cependant, j’étais tombée sur un élément que je
n’avais pas en ma possession jusque-là : une photo de ma cible. J’avais pu
découvrir son visage, et faire passer le cliché à mes camarades pour qu’ils
l’étudient à leur tour. Ainsi, Sombre, qui devait vérifier sa supposée planque
avant que nous nous y rendions, aurait tout le loisir de le reconnaître s’il tombait
sur lui.
— Oui, il est bien là. Et je crois qu’il a fait capturer des membres de la société
lycane.
Étonnée, je fronçai les sourcils et plantai mes pupilles dans les siennes. De
quoi parlait-il encore ?
— Comment ça ?
— Henry est au sous-sol du bâtiment, expliqua-t-il, il garde des gens
enchaînés dans des cellules. Leurs énergies indiquent que ce sont des loups-
garous. Quand je suis arrivé jusqu’à lui, j’ai vu qu’il était en pleine conversation
avec un des détenus, une femme. Elle disait qu’il ne pourrait pas les garder
longtemps ici, et que quelqu’un allait forcément s’apercevoir qu’elle et ses
acolytes avaient disparu. Sur quoi Johnson lui a répondu que personne ne se
souciait des agents lycans, et qu’il serait très difficile pour Nick Teller de
s’apercevoir de leur disparition.
Merde.
— Des agents lycans ? répéta Ryan, attentif.
— Ce sont des loups solitaires au service de la société lycane, répondis-je en
serrant les dents. Ils ont pour fonction d’enquêter sur les ennemis de la
communauté, ce sont eux qui infiltrent les réseaux, qui enquêtent dans l’ombre
pour aider les autorités lycanes à maintenir la paix dans leurs rangs.
— Pourquoi personne ne les chercherait ? répliqua-t-il, curieux.
— Parce que les agents sont des solitaires, lança Dovie à ma place, ils
n’appartiennent à aucune meute. De ce fait, sachant qu’ils sont toujours en
faction quelque part, et qu’ils sont habitués à disparaître pendant parfois
plusieurs mois d’affilée pour le bien de leurs missions, personne ne remarquerait
leur disparition. Personne ne serait alerté du fait de ne plus les voir pendant
quelque temps.
— Putain, ça craint, marmonna-t-il.
Je hochai la tête. Effectivement, ça craignait. Il fallait les sortir de là.
— Très bien, tu as pu étudier leur position ? m’enquis-je en me tournant vers
Sombre.
Il fit un geste positif du menton alors que je détachais ma ceinture.
— Dix hommes au premier étage, dix hommes au rez-de-chaussée, et douze
hommes au sous-sol en plus d’Henry, affirma-t-il.
Je soupirai. Le tout était de pouvoir entrer sans alerter Henry. Cet enfoiré ne
devait pas nous échapper.
— Tu penses pouvoir te téléporter à l’intérieur et neutraliser les loups-
garous ? le questionnai-je en me tournant vers lui. Notre seule chance d’atteindre
Henry est qu’il ne tente pas de se faire la malle en sachant son territoire attaqué.
Sombre releva le menton et arqua un sourcil dédaigneux.
— C’est un jeu d’enfant ma douce, et ce sera fait en un claquement de doigts.
Mais ils ont à l’étage un système de sécurité très pointu, ainsi que des caméras
dissimulées un peu partout à l’intérieur. Il faudrait peut-être penser à les brouiller
avant que nous entrions.
Je souris, j’avais effectivement pensé à ce détail. Les garous étaient très
prudents, ils ne laissaient rien au hasard en matière de sécurité, et c’était pour
cette raison que j’avais demandé à Astor de me fournir un brouilleur de caméras
avant de partir. Ses équipes spéciales en disposaient de plusieurs dont ils se
servaient lors des assauts contre leurs ennemis, il n’avait eu aucun mal à en
trouver un chez lui.
Tendant une main vers la banquette arrière, je demandai à Ryan de me passer
le sac qui se trouvait entre lui et la féline ; il s’exécuta sans faire d’histoire. Je
plongeai ma main dedans sitôt qu’il fut en ma possession. J’en sortis l’émetteur
en question.
— Avec ça, on ne devrait avoir aucun problème à brouiller les caméras de
surveillance.
Se téléporter était une expérience étrange. J’avais déjà expérimenté la chose
dans le Monde Noir, le soir de ma rencontre avec Sombre. Là-bas, dans cet
univers factice, je sortais du Vamp après avoir rendu visite au faux Akeem qui
s’y trouvait. Sombre avait, en un battement de cils, réussi à nous téléporter
jusqu’à l’hôtel où j’avais réservé une chambre. Tout s’était passé si vite que je
n’avais même pas eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit. À un
moment donné, j’étais quelque part, et l’instant suivant, j’étais ailleurs. Ce fut ce
qui se passa aujourd’hui encore.
Dans la voiture, Sombre nous demanda de joindre nos mains aux siennes.
Ryan, Dovie et moi posâmes nos paumes sur celles du dieu ainsi que sur ses
avant-bras. En une fraction de seconde, nous passâmes de l’intérieur du SUV à
celui d’un hall d’entrée froid et sans personnalité. Ryan en fut si surpris qu’il
vacilla un instant avant de se rendre compte que le hall d’entrée était occupé par
quatre gorilles. Il se redressa aussitôt, et attrapa son arme dans sa main droite.
Mais avant même qu’il ne puisse s’en servir, et que les loups qui gardaient
l’entrée ne se remettent de leur stupéfaction en nous trouvant là, Sombre claqua
des doigts. Les quatre hommes s’effondrèrent au sol, face contre terre. Je restai
hébétée.
— Qu’est-ce qui vient de se passer ? lâcha Dovie à mi-voix.
— Je les ai endormis, expliqua le brun en reniflant. N’oubliez pas que je suis
une divinité du sommeil, ma fonction principale est de plonger mes victimes
dans un sommeil profond pour les confronter à leurs plus grandes peurs. Ces
idiots vont passer un petit moment au pays du père Fouettard.
Sans nous laisser le temps de nous remettre de nos émotions, Sombre se
tourna sur sa gauche et se dirigea vers une double-porte coupe-feu. Il plaça ses
mains sur la longue poignée horizontale de l’une d’elles, et nous jeta un regard
par-dessus son épaule.
— Vous êtes prêts ? nous demanda-t-il.
N’ayant pas d’autre choix que de l’être, nous hochâmes tous la tête de concert
et lui emboîtâmes le pas quand il poussa la poignée et ouvrit la porte en grand.
Derrière elle se trouvait un long couloir qui s’étendait sur plusieurs mètres,
celui-ci était encadré des deux côtés par des portes de garage. À côté de
plusieurs de ces portes se trouvaient des hommes, tous habillés de vêtements
noirs, comme des soldats. Quand ils nous virent débarquer, les lycans se figèrent
et se tournèrent vers nous.
— Salut les pétasses ! s’exclama Sombre en tapant dans ses mains. Vous êtes
prêtes à faire un petit tour dans le monde des rêves, ou plutôt, dans celui des
cauchemars ? Parce que moi oui.
Les loups-garous se mirent à gronder et à retrousser leurs lèvres supérieures
pour montrer leurs crocs acérés. L’un d’eux commença même à muter. Ses os se
brisèrent ; le son qu’ils produisirent résonna dans le corridor, mais notre
camarade ne lui laissa pas le temps d’achever sa transformation. Cette fois, il
inspira un grand coup et écarta ses bras en grand. De la poussière noire parut
soudain suinter de ses pores, s’échapper de son corps. Elle alla entourer les
lycanthropes prêts au combat ; je sentis Dovie et Ryan reculer dans mon dos. Ils
n’avaient jamais assisté à un tel spectacle, mais ce n’était pas mon cas. Cette
poussière noire, je l’avais déjà vue au sein du Monde Noir, et je la portais en
moi. Tout mon corps sembla d’ailleurs réagir, et se mit à bouillir d’une chaleur
que je connaissais bien, celle qui se matérialisait à chaque fois que la puissance
divine refaisait surface.
Alors que la poussière enveloppa chacun des lycans présents dans le couloir,
Sombre rabattit brusquement ses bras et tapa dans ses mains. Tous les loups
furent propulsés contre les portes de garage par ce qui sembla être une onde de
choc brutale. Ils retombèrent au sol, immobiles et inconscients. La poussière
revint à son propriétaire qui, fier de lui, secoua les épaules en souriant.
— Je vous l’avais dit, un vrai jeu d’enfant.
— Il va falloir que tu m’apprennes à faire ça, lançai-je, estomaquée.
Abasourdie, j’observais le loup qui avait tenté de muter et qui se trouvait
désormais couché sur le béton. Il était tordu dans une drôle de position, les os
des bras et des jambes partiellement brisés. J’en connaissais un qui allait avoir
des courbatures en se réveillant.
— Tout est dans la tête ma belle, assura le dieu en se dirigeant vers
l’ascenseur au fond du couloir. Tes dons sont presque similaires aux miens, leur
portée est moins importante, mais tu es capable de faire de grandes choses
Poppy. Le tout est de canaliser ton énergie. Ça te sera plus facile après un peu
d’entraînement.
— Poppy sera capable de faire un truc pareil un jour ? s’étonna Ryan, qui
marchait en lorgnant les loups endormis du coin de l’œil.
— Et bien plus encore, affirma Sombre.
L’homme n’ajouta rien de plus, il appuya sur le bouton de l’ascenseur et
attendit que les portes s’ouvrent.
— Je vais me téléporter à l’étage et régler leur compte aux loups qui s’y
trouvent, dit-il quand les plaques d’acier s’ouvrir en deux. Vous pensez pouvoir
affronter les lycans du sous-sol le temps que j’arrive ?
Cette fois, ce fut à mon tour de relever le col.
— Un peu mon neveu ! Les loups-garous, j’en fais mon affaire. On se
retrouve en bas pour l’interrogatoire de Johnson.
Il hocha de nouveau la tête. Ryan, Dovie et moi entrâmes dans l’ascenseur
alors qu’il restait dans le couloir. Avant que les portes ne se referment, il plongea
ses yeux dorés dans les miens d’un air sérieux.
— Fais attention à toi Evans, et pense au bébé. Pas de risque inutile.
J’acquiesçai. Il était hors de question qu’il arrive quoi que ce soit à mon
enfant, je ne le permettrai pas. Jamais.
La descente de l’ascenseur dura moins d’une minute. La métamorphe en
profita pour retirer ses vêtements, et laisser émerger la panthère noire qui
sommeillait en elle. La beauté de l’animal gigantesque qui prit la place de Dovie
me laissa pantoise. Je comprenais mieux pourquoi Aiden en pinçait pour elle.
Dovie était déjà une fille magnifique, attachante et déjantée, mais la bête en elle
avait l’air féroce, dominante à souhait et dégageait une puissance telle qu’elle en
était presque palpable. Aiden et son loup avaient du souci à se faire pour
conquérir le cœur de la fille et de sa moitié bestiale.
Lorsque les portes s’écartèrent de nouveau, une fois que nous fûmes arrivés à
destination, nous découvrîmes un couloir presque semblable à celui du haut. Au
lieu des portes de garage se trouvaient des cages à barreaux. Des cellules pour
les prisonniers d’Henry Johnson. Celles-ci étaient gardées par des lycans, qui ne
manquèrent pas notre arrivée inattendue.
— Henry ! hurla soudainement l’un d’eux avant que les loups ne se mettent à
muter simultanément.
En quelques secondes à peine, une meute de garous enragés se précipita vers
nous. La panthère noire de Dovie se jeta alors à corps perdu dans la bataille, elle
fonça sur les loups et s’attaqua hargneusement à l’un d’eux. Les autres
l’attaquèrent immédiatement pour défendre leur camarade. Ryan poussa une
sorte de cri rauque en attrapant son arme, il défit la sécurité, et la braqua sur
l’une des créatures qui s’attaquait à Dovie.
— Pas touche, bande d’enfoirés ! hurla-t-il en pointant le canon de son Glock
sur sa cible.
Ryan était un bon tireur, en tout cas, il l’était devenu grâce à l’enseignement
de mon grand-père. Ce fut grâce à ça qu’il parvint à tirer une balle entre les deux
yeux du lycan qu’il avait visé. Le bruit de la détonation fit se stopper tous les
loups alors que celui qui avait été touché par la balle s’effondra à terre. Une voix
d’homme s’éleva au fond du couloir, me faisant instinctivement relever la tête.
— C’est quoi ce bordel ?
Sortant d’une des cellules au fond du corridor, Henry Johnson s’immobilisa à
la vue de ses hommes transformés. Je le reconnus instantanément, il était en tout
point semblable à la photographie que j’avais vue de lui. Il avait les mêmes yeux
marron, les mêmes cheveux châtains coiffés vers l’arrière avec du gel et surtout,
la même expression folle sur son visage aux traits rugueux. C’était lui, et
apparemment, je ne fus pas la seule à le reconnaître, puisqu’un rictus mauvais
étira ses lèvres quand il plongea son regard dans le mien.
— Tiens donc, mais qui voilà ! Si c’est pas Poppy Putain de Teller en
personne. Choppez-moi cette salope !
Les loups-garous délaissèrent la féline pour se tourner vers moi. Certains se
jetèrent dans ma direction. Ryan s’interposa. Mais ce n’était pas la peine, ce
n’était pas nécessaire parce que je ne laisserais jamais personne faire du mal à
ma famille, faire du mal à mes amis, à mon mari, ou à mon bébé. Henry Johnson
et sa bande de cinglés devaient être arrêtés, et c’était moi qui allais le faire.
Avant que les lycans ne puissent nous atteindre Ryan et moi, je fis le vide
dans mon esprit et fermai les yeux. Je fis abstraction de tout ce qui se passait
autour de moi, de l’odeur que dégageaient les garous, de la tension électrique qui
planait dans l’air, de la peur palpable que je sentais émaner de Ryan, et des
grognements de Dovie, qui se battait pour sa survie. Il n’existait plus que ma
volonté de sauver les miens, et la puissance qui sommeillait en moi. Je me
concentrai sur elle, me focalisai sur elle, et fis de mon mieux pour la faire
émerger, de la même façon que Nick faisait émerger son loup lorsqu’il était
enragé. Elle refit surface, je la sentis me submerger et offrir à mon être la force
nécessaire pour vaincre mes adversaires. Les picotements au bout de mes doigts
et de mes orteils se firent ressentir, je roulai des épaules pour me détendre, pour
me laisser envahir par cette énergie divine qui grandissait à l’intérieur de moi.
Elle devint plus importante, plus dévorante de seconde en seconde. Puis, lorsque
je sus qu’elle était en ma pleine possession, je rouvris les yeux et esquissai un
sourire.
— C’est terminé Johnson, tu ne feras plus jamais de mal à ma famille.
Levant une main devant moi, je fis appel à toute l’énergie que j’avais
accumulée, et envoyai dans la direction des lycans une onde de choc qui les
propulsa plusieurs mètres plus loin, presque aux pieds de leur maître. La
métamorphe avait été protégée par une poussière noire qui l’avait entourée, et
qui ne venait pas de moi. Je sentis la présence de Sombre dans mon dos sans
avoir besoin de me retourner. À la place, je me concentrai sur Johnson qui,
estomaqué, recula de plusieurs pas. Son sourire avait disparu de son visage.
— Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu leur as fait ?
Aucun des loups que j’avais envoyés valdinguer ne se releva. Ils étaient tous à
terre, inertes. Mais ils n’étaient pas morts, ça je le savais. Mon intention n’avait
pas été de leur donner la mort, mais de les neutraliser, de les endormir. Et j’avais
réussi.
— Je les ai envoyés loin d’ici, quelque part où ils ne pourront pas s’interposer
entre toi et moi, répondis-je. Il y a quelque temps, tu as osé envoyer un humain
hypnotisé s’en prendre à deux des miens, lançai-je en avançant lentement dans
sa direction. C’était une grave erreur, et tu vas payer pour ça.
Le lycan se redressa, réajusta ses vêtements nerveusement, et fit de son mieux
pour garder la tête haute. Une moue furieuse déforma sa bouche.
— Comment oses-tu me parler ainsi, sale humaine, cracha-t-il en retroussant
sa lèvre supérieure. Tu n’es qu’une misérable chienne et tu vas mourir comme
tous les loups de ta petite meute merdique. Tout comme ton âme-sœur crèvera
entre mes mains.
Un grondement bestial franchit alors mes lèvres, avertissement sourd qui lui
fit écarquiller les yeux, et qui le poussa à reculer une nouvelle fois alors que
j’arrivais à lui. Il gronda à son tour pour montrer qu’il ne se soumettrait pas à ma
force, même s’il était anxieux, et à la place carra les épaules avant de
commencer sa mutation. Il était hors de question qu’il se transforme, sinon
j’allais devoir endormir son loup. Or, c’était lui que je voulais. Aussi, avant de
lui laisser le soin de se métamorphoser, je m’arrêtai et levai une main avant de
claquer des doigts. Sa réaction fut immédiate, ses yeux se révulsèrent, devenant
complètement blancs, et il tomba comme une souche, face contre terre.
Sitôt que son visage toucha le sol, mes genoux flanchèrent, l’énergie qui
m’avait animée s’envola et me laissa vide. Complètement vide.
Abandonnée par mes forces, je manquais de m’effondrer au sol, mais deux
mains m’attrapèrent sous les aisselles et m’aidèrent à me maintenir debout. Je
savais que c’était Sombre, je sentais son énergie dans mon dos.
— Tu t’es bien battue ma douce, souffla-t-il contre mon oreille. T’apprendre à
contrôler tes dons sera un honneur.
— Vais-je me sentir si faible à chaque fois que la force s’en va ? murmurai-je
en portant une main protectrice à mon ventre.
— Non, m’assura-t-il. Pour le moment, ton corps n’est pas habitué à faire
appel à une telle force, c’est pour cela qu’il se vide de son énergie une fois que
tu t’es servie de tes dons. Mais ça aussi, je vais t’apprendre à y remédier. En
attendant, repose-toi, je vais voir s’il n’y a pas quelque chose à manger ic…
— Evans ? lâcha soudain une voix féminine.
Parvenant à rester debout, je tournai la tête sur la droite, d’où provenait la
voix. Elle venait d’une cellule, celle de laquelle Henry était sorti. Je fronçai les
sourcils et plissai les yeux lorsqu’une jeune femme enchaînée se releva pour
nous faire face. Je faillis tomber à la renverse en découvrant son identité. Ce fut
ses cheveux rouge écarlate que je reconnus en premier. Puis son air espiègle.
Bordel de merde… C’était donc elle l’agent lycan dont parlait Sombre, celle qu’il
avait vu parler avec Johnson. Si je m’étais attendue à ça !
— Eh ben putain, si je m’attendais à te retrouver là, dit-elle en arquant un
sourcil. Je n’aurais jamais cru que tu viendrais me sauver la mise un jour, pas
après Fredericksburg.
Je souris.
— Salut Nora. Moi non plus je ne m’attendais pas à te voir.

14

Nora Jones était un agent lycan, et une jeune femme que j’avais rencontrée
pour la première fois à Fredericksburg, en Virginie. Lors de notre rencontre,
j’enquêtais sur des disparitions mystérieuses dans cette petite bourgade isolée.
Nora était en faction là-bas sous les ordres de Nick, alors Lieutenant du Sud.
Pour tout dire, notre collaboration n’avait pas été de tout repos. La louve s’était
montrée véhémente à mon attention, elle m’avait ouvertement manifesté un fort
mépris. D’autant qu’il m’avait paru certain à cette époque qu’elle ressentait une
certaine attirance pour mon compagnon, qu’elle avait vainement tenté de
masquer derrière la confiance aveugle qu’elle lui témoignait. Néanmoins, la
change-peau avait accepté de nous prêter main-forte lorsqu’il avait fallu investir
le territoire des sirènes qui avaient assiégé Fredericksburg. Et au fond, je ne
croyais pas que c’était une méchante fille. Il était difficile pour une femme de ne
pas se montrer réceptive face aux charmes dont disposait Nick, et j’étais la
première à pouvoir en témoigner.
Une chose était sûre, je ne m’attendais pas à la retrouver dans la cellule
humide d’un vieil entrepôt de Baltimore. Encore moins à la voir victime d’un
homme comme Henry Johnson. Nora semblait si forte ; la voir ainsi, les cheveux
sales, les vêtements déchirés et l’air fatigué me déplut fortement. Encore une
chose pour laquelle Johnson allait devoir payer.
— Qu’est-ce que vous faites là ? Avec ces vampires ? nous demanda la louve
en lorgnant du coin de l’œil les hommes d’Astor qui emportaient les corps
inertes des lycans transformés les uns après les autres.
Après avoir neutralisé les loups d’Henry, ainsi que Johnson lui-même, Ryan et
Dovie, qui avait repris sa place, étaient allés avertir les hommes d’Astor afin
qu’ils viennent débarrasser du bâtiment tous les adeptes de la rébellion qui s’y
trouvaient endormis. Le roi des vampires avait fait venir des camions pour
emporter nos rivaux loin d’ici. Lui et ses camarades s’occupaient de débarrasser
les lieux des corps que nous avions semés sur notre passage. Nos ennemis ne se
réveilleraient pas tant que nous ne l’autoriserions pas.
Henry avait enlevé cinq agents lycans en tout. Sombre et moi les avions
libérés de leurs chaînes, et les avions reconduits vers la surface. Les loups-
garous ne supportaient pas l’enfermement, et encore moins d’être retenus par des
liens. Les quatre hommes qui avaient été enlevés avaient ressenti le besoin de
muter pour calmer leurs bêtes assoiffées de vengeance. Seule Nora était restée
elle-même, avide de réponses. Ryan lui avait donné les barres de chocolat qu’il
avait emportées pour la route ; elle les dévorait les unes après les autres, sans
doute affamée. Elle n’avait effectivement pas l’air en forme, et semblait avoir
perdu du poids depuis la dernière fois que nous nous étions vues. Je n’osais pas
lui demander ce que lui avait fait subir Henry et les cinglés qui avaient adhéré à
ses idées.
— Nous enquêtions sur Henry, expliquai-je, car nous le soupçonnons d’être
un allié de Marcel Jay White, qui lui-même, semble être le chef des rebelles.
Nous avons trouvé cette planque, et nous avons demandé de l’aide à nos amis
vampiriques pour nous aider.
Nora fronça ses sourcils rouge écarlate et planta ses yeux verts dans les miens.
Son regard était méfiant, ses lèvres serrées en une ligne fine.
— Je t’ai vue neutraliser Johnson d’un simple claquement de doigts, dit-elle
en plissant les paupières, les humains ne savent pas faire ça. Ils ne sont pas
capables de ça.
Dovie, Ryan, Phobétor et moi échangeâmes des regards en coin. Je
m’humectai les lèvres et inspirai profondément avant de me tourner de nouveau
vers elle.
— C’est une longue histoire, affirmai-je en relevant la tête. Beaucoup de
choses ont changé depuis Fredericksburg.
Cette fois, une expression amère traversa furtivement le visage pâle de la
jeune louve, une émotion douloureuse fit briller ses iris couleur forêt. Elle se
reprit rapidement cependant, et redressa le menton fièrement.
— Oui, je suis d’accord. Les choses sont bien différentes de ce qu’elles
étaient à l’époque, reconnut-elle d’une voix qui transparaissait la nostalgie. Je ne
te questionnerai pas sur la manière dont tu es parvenue à stopper Henry, car
finalement cela m’importe peu. Je te remercie simplement de l’avoir fait.
L’agent était sincère, je le sentais, et je le voyais dans la façon dont elle me
fixait. Je compris en l’observant attentivement que quelque chose avait changé
chez elle. Les jours, et peut-être même les semaines qu’elle avait passées entre
les murs de sa cellule avaient modifié un élément dans sa personnalité. Elle allait
sans aucun doute garder des séquelles de son enfermement forcé, et j’en étais
véritablement désolée. Aussi importants qu’eussent pu être nos différends, je ne
lui aurais jamais souhaité de passer entre les mains d’un fou tel qu’Henry.
Personne ne méritait tel châtiment. Et c’était pour cette raison que j’allais
personnellement m’assurer que plus aucun être vivant ne se retrouverait en sa
compagnie.
— Je te serai redevable à vie désormais, ajouta-t-elle.
Je secouai la tête de gauche à droite, et posai une main sur son épaule. Elle ne
la repoussa pas.
— Tu ne me dois strictement rien, lui assurai-je. Le rôle d’une femelle Alpha
est d’assurer le bien-être et la sécurité des siens. Tu fais partie de la communauté
lycane, tu fais partie de la famille. Et on n’attaque pas les membres de ma
famille.
Mes paroles parurent toucher la rousse. Elle hocha la tête et se mordit la lèvre
inférieure, les yeux légèrement humides. Là encore, elle fit de son mieux pour
dissimuler ses sentiments derrière un voile d’assurance qu’elle plaqua sur son
visage. Elle chassa ses larmes d’un battement de cils. Les louves dominantes
étaient beaucoup trop fières pour se laisser envahir par leurs émotions, certaines
voyaient même cela comme un signe de faiblesse.
— Qu’allez-vous faire d’Henry maintenant ? s’enquit-elle. Il n’est pas mort,
je l’ai entendu respirer en bas.
À ce moment-là, Astor, le roi des vampires, arriva dans notre direction après
avoir échangé quelques mots avec l’un de ses hommes qui plaçait les derniers
corps de loups dans l’un des fourgons qu’il avait fait venir. Il s’immobilisa près
de nous et adressa un hochement de tête à Nora pour la saluer avant de se tourner
vers moi.
— Tous les loups du bâtiment ont été évacués, m’apprit-il, il ne reste que
Henry au sous-sol. Nous l’avons installé comme tu nous l’avais demandé.
Je souris.
— Merci pour ton aide, Astor.
Il secoua la tête dans un geste négatif.
— Ne me remercie pas. La rébellion des lycans menace la communauté
surnaturelle tout entière, si nous pouvons t’aider à l’endiguer, alors c’est notre
devoir. Les garous seront enfermés dans un endroit sûr. Personne ne saura rien
de ce qui s’est passé ici aujourd’hui jusqu’à ce que tu décides du contraire.
Ensuite, nous les confirons à ton époux.
J’acquiesçai.
— Très bien. Nous allons interroger Henry, et ensuite nous retournerons à
Springdale pour décider quoi faire. Ce fut un plaisir de vous revoir, toi et ta
famille.
Le vampire esquissa un sourire, il se pencha en avant, et me prit dans ses bras.
Il m’enlaça de longues secondes avant de me relâcher.
— Prends soin de toi Poppy, j’ai hâte que nous puissions rapidement célébrer
l’arrivée du bébé tous ensemble.
Hier soir, alors que nous étions seuls dans son bureau pendant que j’effectuais
mes recherches sur Johnson, j’avais révélé à Astor la vérité sur ma grossesse. Il
avait été étonné, surtout parce qu’il n’avait pas senti que mon odeur avait
changé. Il m’avait avoué, un peu honteux d’ailleurs, que celle de la féline, de
l’humain, et du dieu qui m’accompagnaient, ainsi que celle de l’homme qui
partageait ma vie recouvraient la mienne à la perfection. Il n’avait rien perçu, lui
non plus. Mais il avait posé la main sur mon ventre et fermé les yeux, et après
s’être concentré plusieurs secondes, il avait esquissé un large sourire. « Je sens la
vie », avait-il dit. Astor m’avait félicitée, heureux d’apprendre la nouvelle.
Cependant, je lui avais fait promettre de n’en parler à aucun membre de sa
communauté, car Nick n’était pas encore au courant, et je ne voulais pas qu’il
l’apprenne de la bouche d’un autre que moi. Il me l’avait promis.
— J’ai hâte moi aussi.
Là-dessus, le vampire s’inclina en avant pour saluer tout le monde, puis
tourna les talons, et s’en alla vers ses hommes qui commençaient à prendre la
route.
— Le bébé ? répéta Nora quand il fut parti. De quoi parle-t-il ?
Encore une qui n’a rien remarqué… Décidément.
— Il parle de mon bébé, celui qui grandit en ce moment même dans mon
ventre.
La louve m’étudia attentivement, comme si j’avais dit la pire des idioties. Elle
s’approcha de moi d’un pas et me renifla.
— Je ne sens rien de particulier, si ce n’est l’odeur de la panthère, du
blondinet et du type aux yeux dorés.
— Sombre, s’offusqua l’intéressé, je m’appelle Sombre.
— Comme tu veux, répliqua Nora en balayant son air agacé d’un geste las de
la main. En attendant, je ne sens aucun bébé.
— Mais il est bien là, lui garantis-je, et pour le moment, son existence doit
rester secrète. Je n’ai pas envie que la nouvelle s’ébruite, ni qu’un de nos
ennemis puisse se servir de ma grossesse comme arme contre moi, ou contre
mon compagnon.
La rousse hocha la tête et croisa ses bras contre sa poitrine, ses camarades
lycans revinrent de leur course sous leur forme lupine. Ils se dirigèrent vers nous
et s’arrêtèrent à notre hauteur. Seul l’un d’eux se retransforma pour nous parler
de vive voix. En un concert de craquements d’os, l’immense loup au pelage brun
qui se trouvait en avant des autres devint un homme d’un bon mètre quatre-
vingt-cinq, aux cheveux châtains et aux yeux noirs. Il était entièrement nu, si
bien qu’il me fut impossible de manquer les marques rougeâtres qui striaient son
torse aux muscles saillants. Il avait été violenté, c’était certain, et l’idée me
révulsa.
— Nous allons devoir faire notre rapport à votre compagnon désormais,
énonça-t-il en plongeant ses pupilles froides dans les miennes. Il va falloir que
nous lui expliquions tout ce qui s’est passé depuis que nous avons été capturés.
Les loups-garous qui avaient été faits prisonniers nous avaient expliqué qu’ils
avaient été capturés alors qu’ils enquêtaient sur la rébellion lycane. Plusieurs
d’entre eux étaient parvenus à s’infiltrer dans des réseaux de contestataires aux
quatre coins des États-Unis, envoyés là-bas par les trois Lieutenants en activité.
Mais leurs couvertures avaient été démasquées lorsqu’Henry était parvenu à
pénétrer le système informatique de la Meute du Soleil. Il avait réussi à mettre la
main sur des dossiers confidentiels, fichiers qui contenaient notamment l’identité
de tous les agents lycans dont la société garou disposait. Johnson avait alors
envoyé les noms des agents à ses contacts pour qu’ils restent méfiants. Certains
avaient reconnu dans leurs rangs les agents qui nous faisaient aujourd’hui face.
Ils avaient été livrés manu militari à Henry, qui les avait séquestrés pour tenter
de leur soutirer des infos sur Nick et les actions qu’il comptait mener contre les
rebelles.
Évidement, tous les agents lycans obéissaient aux ordres de mon mari. C’était
à lui qu’ils avaient ordre de rendre des comptes, et c’était assurément ce qu’ils
devaient faire désormais qu’Henry était entre nos mains. Mais il me fallait plus
de temps. Je voulais moi-même prévenir Nick, lui dire comment j’en étais
arrivée à me retrouver ici. Ils ne devaient pas le prévenir tout de suite.
— Non, vous ne pouvez pas prévenir Nick maintenant, m’y opposai-je. La
Meute du Soleil compte peut-être en son sein un traître en ce moment même, ou
plutôt, une traîtresse. Arizona White se trouve sur notre territoire, et elle prétend
vouloir nous aider à capturer son oncle. Or, je n’y crois pas, et ma méfiance ne
m’a jamais fait défaut. Elle pourrait intercepter votre rapport, et Dieu seul sait ce
qu’elle en ferait.
— Elle préviendrait sans doute son oncle, affirma Dovie en montrant les
crocs, et cet enfoiré saurait que nous sommes à ses trousses.
— Ça ne doit surtout pas arriver, repris-je en relevant la tête pour fixer le
lycan fermement. Il est de la plus haute importance que l’opération qui vient de
se jouer ici reste confidentielle. Pour le moment en tout cas. Nick sera bel et bien
informé de ce qui s’est passé, mais uniquement par mes soins, lorsque je serai
sûre qu’aucune oreille mal-attentionnée ne puisse nous écouter.
Le loup-garou serra les mâchoires, un muscle y tressauta vivement. Il n’était
apparemment pas habitué à recevoir des ordres d’une femme, et je n’étais pas
sûre que cela lui plaise.
— Qu’attendez-vous de nous alors ? Vous voulez que nous manquions à nos
devoirs envers notre Alpha ?
Je ne me démontai pas, et inspirai profondément.
— Votre allégeance revient à la société lycane, et à ses représentants,
répondis-je. Nick est votre Alpha, au même titre que moi. Ce qui signifie que je
suis autant votre chef que lui. Aujourd’hui, vous êtes placés sous ma juridiction,
sous mes ordres, c’est donc à moi que vous allez rendre des comptes. Je vous
interdis de prévenir Nikolas sans mon consentement, je le ferai moi-même en
temps et en heure.
— Alors que faisons-nous ? me questionna Nora.
— Vous resterez à l’abri et vous ferez discrets le temps que je retourne à
Springdale pour faire part de nos avancées à mon compagnon. Personne ne doit
vous voir, les prévins-je, et nulle ne doit savoir que vous avez été libérés. Cela ne
ferait qu’alerter les alliés de Johnson, qui comprendront que quelque chose
cloche.
— Nous voulons nous battre, tonna le grand brun en nous laissant entrevoir
les yeux de son loup. Il n’est pas question que nous restions cachés alors que la
bataille finale approche.
— Ce n’est pas ce que je vous demande, rétorquai-je gravement. Vous
participerez à la guerre, c’est votre droit le plus élémentaire, et jamais je ne vous
en déposséderai. Si vous voulez nous rejoindre, alors libre à vous de le faire le
moment venu. Mais en attendant, faites ce que vous savez faire de mieux. Restez
discrets.
Le lycan soutint mon regard durant de longues secondes, les lèvres serrées,
puis opina du chef lentement en signe d’assentiment. Je le remerciai d’un
sourire, et me tournai ensuite vers Sombre.
— Il est temps maintenant que nous allions discuter avec Henry, histoire de
lui tirer les vers du nez, de gré ou de force.
Les iris dorés de la divinité se mirent à luire d’une excitation à peine
contenue. Il esquissa un rictus mauvais qui tordit ses lèvres cruellement. Il avait
aussi hâte que moi de rendre la monnaie de sa pièce à cet enfoiré de première.
— Comment allez-vous pouvoir lui tirer les vers du nez ? s’exclama Ryan,
qui était resté silencieux depuis que nous étions remontés du sous-sol du
bâtiment. Il est complètement H.S. !
Je lui adressai un coup d’œil en coin, et tendis le bras pour lui presser
affectueusement l’épaule. Le pauvre était pâle comme un cachet d’aspirine, il
semblait encore tout retourné de l’assaut que nous avions mené en bas près
d’une heure plus tôt. Il avait tué un loup, il avait pressé la détente de son Glock
et envoyé une balle en argent entre les deux yeux d’un lycanthrope. Ça l’avait
chamboulé, et il n’y avait rien de plus normal à ça. Il allait sans doute lui falloir
un ou deux jours avant de s’en remettre. Ou semaines.
— Oh Ryan, Henry n’est pas H.S., lui dis-je, il est prisonnier du cauchemar
dans lequel je l’ai enfermé. Et c’est là-bas que nous allons nous rendre pour
l’interroger.
Nous laissâmes Dovie, Ryan, Nora et les autres agents lycans patienter à
l’extérieur de la bâtisse pendant que Sombre et moi descendîmes au sous-sol où
nous avions laissé Johnson. Nous traversâmes le couloir au rez-de-chaussée en
silence, j’étudiai en passant les portes de garage qui avaient été ouvertes. À
l’intérieur de ceux-ci se trouvait tout un tas d’armes, mais aussi des vivres, et
certains d’entre eux avaient été aménagés comme des chambres de fortune, avec
des lits superposés. Les hommes d’Henry et lui-même avaient apparemment eu
l’intention de se cacher ici pendant plusieurs semaines, et y vivaient depuis un
moment déjà. Il était on ne peut plus évident que le confort de ses alliés n’était
pas la priorité du trou du cul enchaîné sous nos pieds.
Henry était là où nous l’avions laissé après avoir délivré les agents lycans de
leurs cachots, dans l’un d’eux justement, les deux poignets enchaînés à des
chaînes en argent qui lui brûlaient la peau. Il était inconscient, mais pas mort. Je
l’avais plongé dans un cauchemar tel qu’il allait nous supplier de l’achever une
fois que nous serions face à lui. Mais je n’étais pas d’humeur à me montrer
clémente, et je n’oubliais pas qu’en plus d’avoir fait souffrir un nombre
incalculable de ses semblables, il avait envoyé un humain attaquer Aiden et Seth,
tout cela pour empocher l’argent du fils du roi des vampires. Ça me foutait dans
une rogne telle que je la sentais bouillir en moi comme de la lave en fusion.
Toute cette force que m’offrait ma rage, j’allais m’en servir pour faire couler son
sang, et je me réjouirais devant le spectacle que m’offrirait la chute de ses
larmes.
— Sais-tu comment te rendre dans son esprit ? me demanda Sombre une fois
que nous fûmes dans la cellule de Johnson.
Euh…
Pour le coup, je me sentais particulièrement stupide. J’avais été capable de
faire appel à mes dons pour piéger mon ennemi dans une prison conçue par mes
soins, de repousser ses alliés à l’aide d’une onde de choc qui avait traversé ma
paume, et maintenant, je me retrouvais coincée puisque je n’avais aucune idée de
comment j’allais faire pour pénétrer dans la tête de Johnson. Malheureusement
pour moi, j’avais beau me creuser la tête, je n’avais aucun indice sur la manière
de m’y prendre. J’avais vraiment besoin d’un entraînement.
— Non, avouai-je, je n’en sais rien du tout.
— Une chance que moi, je sache comment faire, n’est-ce pas ? répliqua-t-il en
me donnant un petit coup d’épaule.
Nous échangeâmes un regard en coin, il me pinça la joue tendrement avant de
me prendre la main.
— Je vais t’expliquer comment faire.
— Pourquoi ne pas tout simplement nous y amener ?
Sombre pencha la tête sur le côté.
— Eh bien, c’est toi qui as piégé Henry, c’est donc ta victime, et pas la
mienne. Je ne peux pas violer ton territoire.
— Mon territoire ? répétai-je.
Il acquiesça.
— Eh oui, Henry est enfermé dans ton cauchemar, un cauchemar que tu as
toi-même imaginé. Ce mauvais rêve, c’est ton terrain de jeu, là où tu laisses libre
cours à ta fureur, à toute la noirceur dont tu peux faire preuve. Cet endroit
lointain et reculé, je ne peux pas y entrer sans y être invité par son propriétaire.
C’est toi qui vas devoir ouvrir le passage et me montrer le chemin.
— Comment je m’y prends ?
Sombre ferma les yeux et inspira profondément ; il m’intima de faire de
même. Je m’exécutai sans broncher, avide d’en savoir plus, d’en apprendre plus
sur mes nouveaux pouvoirs. Je voulais les maîtriser, en faire une arme pour
défendre les miens, mon âme-sœur et mon enfant à naître.
— Fais le vide dans ton esprit, Poppy. Tu es parvenue à le faire pour aider
Dovie et Ryan, tu as réussi à canaliser ton énergie pour la propulser hors de ton
corps afin de protéger tes amis. Ce que je veux maintenant, ce n’est pas que tu
projettes ta puissance, c’est que tu la gardes en toi, que tu la ressentes.
Suivant son conseil, je profitai du silence qui s’installa à la suite de sa
déclaration pour écarter de mon esprit tout élément pouvant venir me perturber
dans ma recherche de concentration absolue. Je fis le vide, et ne me concentrai
une nouvelle fois que sur la substance divine qui coulait dans mes veines. Je
pouvais presque la sentir parcourir mon sang, ramper sous ma peau. C’était une
sensation étrange, presque désagréable. Comme si des fourmis s’agitaient sous
mon épiderme pour le chatouiller à chaque fois que je cherchais à l’atteindre, à
la canaliser. Ma température corporelle augmentait dès lors que je me focalisais
sur ma puissance pour la saisir et m’en servir. J’avais l’impression de
m’embraser, de prendre littéralement feu.
Roulant des épaules pour me détendre, j’inspirais et expirais doucement par le
nez pour régulariser les battements rapides de mon cœur, et calmer ma
respiration. Je parvins en quelques minutes à peine à faire le vide complet dans
mon esprit, à rassembler mon énergie en moi sans pour autant la faire jaillir.
Cependant, je n’avais aucune idée de quoi faire avec. Heureusement pour moi,
ce fut à ce moment-là que Sombre reprit la parole, rompant le silence total dans
lequel nous étions plongés.
— Maintenant Poppy, tu vas visualiser dans ta tête le cauchemar où tu as
envoyé Henry, m’intima-t-il d’une voix douce. Tu vas imaginer une porte et tu
vas l’ouvrir pour nous faire entrer dans le rêve. Tu peux faire ça ?
Je ne répondis pas à sa question et à la place, fis apparaître dans mon esprit
une porte noire. Je la vis très clairement sans même avoir besoin d’ouvrir les
yeux. Je distinguai les symboles anciens qui étaient gravés sur sa surface en bois,
la poignée circulaire et surtout, la fine pellicule de poussière noire et dorée qui
l’entourait.
Impressionnée, je m’en approchai timidement et tendis le bras vers elle. Ma
main traversa la poussière et se posa sur la poignée, je l’enserrai entre mes doigts
et la tournai sur le côté pour déverrouiller la porte. Une vive lumière jaillit alors
de son entrebâillement. Elle m’aveugla, me faisant pousser un gémissement
plaintif tant elle était agressive. Je levai un bras devant mon visage pour m’en
protéger et fronçai les sourcils.
— Ouvre les yeux ma douce, m’enjoignit Sombre.
— Je ne peux pas ! plaidai-je. La lumière me brûle les yeux !
— Regarde ce que tu as créé, Evans, et constate la puissance de ton pouvoir.
Soulevant prudemment les cils, je m’attendais à voir ma vision attaquée par
l’éclatante lueur qui s’était échappée de la porte ténébreuse. Mais à mon plus
grand étonnement, il n’en fut rien. À la place, je fus accueillie par une obscurité
partielle. Je n’étais plus dans le cahot de l’entrepôt et, pour être tout à fait
honnête, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais.
Un immense terrain sombre s’étendait autour de nous. Il n’y avait ni ciel, ni
horizon, juste le noir complet à des kilomètres à la ronde. Il faisait froid, tant et
si bien d’ailleurs que ma peau se couvrit d’une multitude de frissons qui me
firent rabattre mes bras contre ma poitrine. La température de cet univers étrange
était si glaciale, que je sentis mes joues me brûler et commencer à rougir. Le sol
sous nos pieds était humide, comme recouvert d’une eau qui reflétait nos visages
et nos corps. J’avais l’impression de me retrouver dans un épisode de Stranger
Things, et j’étais presque prête à me retrouver nez à nez avec un Demogorgon{2}.
Si ce monde avait été créé par mes pensées, il avait sans aucun doute été inspiré
par un épisode de la série Netflix que je ne cessais de regarder avant d’aller me
coucher. Ce qui était sans doute une très mauvaise idée.
Soudain, un hurlement déchira l’air et me fit sursauter comme un chat pris en
flagrant délit de vol. Je me retournai d’un bond, et restai stupéfaite devant le
spectacle qui s’offrait à moi. Sombre se mit à rire en tournant les talons à son
tour. Il posa une main sur mon épaule et me tapota le bras en pouffant.
— Alors ça Poppy, c’est du beau travail ! s’exclama-t-il. Je n’ai jamais vu un
premier cauchemar aussi réussi ! C’est du génie !
Complètement abasourdie par la scène d’horreur qui se déroulait devant nous,
je fus incapable de répondre à son compliment. C’est moi qui ai fait ça ?
À quelques mètres de Sombre et moi se trouvait un homme. Un homme
attaché sur une chaise par des chaînes si solidement accrochées autour de ses
poignets et de ses chevilles qu’elles lui entaillaient la peau et déchiraient ses
vêtements pleins de sang. Il hurlait si fort que ses cris de douleur emplissaient
l’immensité du territoire sur lequel nous nous trouvions. Cet individu était sans
aucun doute Henry Johnson, même si au vu de son état il aurait pu être difficile
de le reconnaître.
Effectivement, alors qu’il était impuissant, réduit à l’immobilité par les
chaînes qui faisaient cuire sa chair, une horde de loups sauvages le dévoraient
vivant. Leurs crocs aiguisés se plantaient dans sa peau et se refermaient sur son
épiderme pour tirer dessus et en faire des lambeaux. Aucune partie de son corps
abîmé n’était épargnée. Jambes, bras, poitrine et visage étaient visés par les
assauts de ces bêtes enragées et assoiffées de sang. Sang qui coulait d’ailleurs à
flots, et qui colorait l’eau sous nos pieds d’une teinte rougeâtre.
Henry Johnson avait fait du mal à ses semblables, il les avait asservis, les
avaient forcés à obéir. Il avait tué, menti, humilié et agressé nombre d’innocents
qui n’avaient rien demandé. Aujourd’hui, la monnaie de sa pièce lui était rendue.
Et une chose était sûre, il n’était pas près d’oublier la leçon.

15

Lorsque j’avais endormi Henry, que j’avais dirigé ma colère et ma fureur


contre lui, j’avais imaginé l’envoyer dans un endroit sombre, froid et humide
dans lequel personne n’entendrait jamais ses cris de souffrance. J’avais voulu lui
faire ressentir la douleur d’être trahi par les siens, comme lui-même avait fait du
mal à ses homologues en les enfermant et en les traitants comme de vulgaires
animaux en cage. C’était là-dessus que je m’étais concentrée, sur la haine que je
lui portais, et sur le dégoût qu’il faisait naître en moi. De cette rage était ressorti
le cauchemar dans lequel Johnson se trouvait désormais prisonnier, dévoré par
des loups furieux.
Le voir payer pour ses crimes, aussi jouissif que cela pût être, me faisait
m’interroger sur ma nature profonde. Sombre avait affirmé que nos pouvoirs
communs étaient nourris par ce qu’il y avait de plus noir en nous. Que c’était la
noirceur qui faisait naître les terreurs que nous infligions aux autres, qui faisait
grandir notre force. C’était moi qui avais créé cet univers où des loups sauvages
se repaissaient des chairs de leur cible. J’avais été capable de haïr une personne
si fort que cela avait fait naître le sang. Ce qu’il y avait en moi était-il si
sombre ? Si dangereux ? Et si je ne maîtrisais pas ma colère, étais-je capable de
faire du mal à l’un des miens sans le vouloir ? À l’enfermer dans telle torpeur ?
Et si Nick apprenait ce dont j’étais capable, m’aimerait-il toujours autant ? Ne
me verrait-il pas comme une menace pour les siens ? Pour la meute ?
— Tu devrais arrêter de te ronger les sangs ma douce, nul besoin de t’en
vouloir pour cette réussite, affirma le dieu en se dirigeant d’un pas vers l’homme
qui ne cessait de hurler.
Je me mordis la lèvre inférieure, et expirai doucement l’air que je maintenais
bloqué dans mes poumons. Il faisait si froid que de la buée s’échappa de mes
lèvres entrouvertes.
— Je ne m’en veux pas, avouai-je légèrement honteuse. Et c’est ça le
problème.
Non, je ne ressentais aucune culpabilité vis-à-vis de ce que j’avais fait à
Henry. Et c’était bien là le souci. Si je ressentais de la culpabilité, c’était
uniquement parce que je n’en éprouvais pas pour Johnson, qui souffrait le
martyre entre les mains des lycans que j’avais imaginés pour lui faire payer sa
méchanceté. Cela faisait-il de moi une mauvaise personne ? Avais-je un mauvais
fond ?
— Il n’y a rien de mal à te sentir satisfaite à l’idée de voir l’un de tes ennemis
souffrir, répliqua-t-il. N’oublie pas que deux de tes amis auraient pu mourir par
sa faute, et qu’il a probablement envoyé ce loup te tuer au supermarché. Et s’il
était parvenu à ses fins, tu serais six pieds sous terre, enterrée avec ton bébé.
À cette simple idée, je laissai mes remords de côté pour serrer les poings et
gronder comme l’aurait fait un animal. Les muscles tendus, je levai une main et
fis disparaître les loups qui s’en prenaient à Henry. Ils disparurent simultanément
dans un nuage de poussière noire et dorée, me laissant une vue dégagée sur
l’amas de chair à vif qu’était devenu Johnson.
L’épiderme de mon ennemi avait été réduit en bouillie par les mâchoires
puissantes de ses assaillants. Les trous béants dans ses avant-bras, ses cuisses et
même son visage pissaient littéralement le sang, inondant le peu de tissu qui lui
restait sur le dos. Sa mâchoire était disloquée, une plaie béante lui ouvrait la joue
gauche, nous laissant entrevoir ce qu’il y avait dans sa bouche. De la bave
mélangée à du sang gluant coulait de ses lèvres sur son menton. Sa langue
pendait et l’un de ses yeux tombait quelque peu. Il geignait, gémissait et pleurait
comme un enfant apeuré et blessé. Cette vision pourtant d’horreur me fit sourire,
il avait enfin ce qu’il méritait, et ça faisait du bien à mes instincts primitifs qui
m’ordonnaient de l’achever pour apaiser mon courroux destructeur.
— Dans cet état, il ne pourra pas nous dire grand-chose, déplora Sombre d’un
air faussement désolé.
Je souris.
— Ce ne sera pas un problème, c’est mon monde, je peux y faire ce que je
veux. Y compris le soigner pour que les loups puissent de nouveau le dévorer.
Fermant les paupières un instant, j’inspirai un grand coup et imaginai dans
mon esprit un Henry Johnson en bonne santé, capable de répondre de ses actes.
Quand je rouvris les cils, toute blessure avait disparu de l’enveloppe de l’Alpha,
qui se mit à pleurer de plus belle en me remerciant.
— Ne me remercie pas, lui assénai-je alors, tes plaintes ne suffiront pas à
calmer la colère qui bouillonne en moi. Et sais-tu pourquoi je suis en colère ?
Le grand brun attaché à la chaise renifla et tourna la tête vers moi pour
plonger ses yeux humides dans les miens. De la morve s’échappait de ses
narines. À le voir ainsi, il avait l’air aussi inoffensif qu’une mouche sans ailes.
— Parce que j’ai enlevé des agents lycans, supputa-t-il en chouinant.
Je penchai la tête sur le côté.
— Oui ça c’est une des raisons, reconnus-je, mais la principale, c’est parce
que tu es un allié de Marcel Jay White, et que tu travailles avec lui pour réduire
en cendre ma meute et tous ceux que j’aime. Sache que c’est un crime pour
lequel j’ai bien l’intention de te faire payer pour le restant de tes jours. Si jamais
tu refuses de m’aider, ou que tu me mens, dis-je en m’approchant lentement de
lui sans le quitter des yeux, je ferai en sorte que les loups te dévorent pour
l’éternité. J’emprisonnerai ton esprit dans mon monde sans te laisser le soin de
pouvoir t’échapper, tu as compris ?
Henry n’eut d’autre choix que d’acquiescer. Sa bouche tremblait, tout comme
son menton sale. Je relevai le mien.
— Bien, je ne reverrai mon châtiment qu’en fonction des réponses que tu
m’offriras, c’est d’accord ?
— C’est d’accord, pleura-t-il, je vous en prie, ne me laissez pas ici, aidez-moi.
Que voulez-vous savoir ?
— Où se trouve Marcel Jay White ? le questionnai-je.
Henry ferma les yeux, des larmes coulèrent sur ses joues en abondance alors
qu’il secouait la tête de gauche à droite.
— Je ne sais pas, répondit-il. Marcel ne donne jamais aucune indication
concernant sa position réelle, il est prudent, et il ne veut pas être repéré. Il reste
caché et donne des ordres à ses subalternes.
— Ses subalternes ? répéta Sombre. Combien sont-ils, et qui sont-ils ?
— Nous sommes plusieurs meutes à avoir accepté de le suivre, admit-il. Il a
rassemblé des troupes alors qu’il était encore Lieutenant de l’Ouest.
— Dans le but de prendre la place de Nick, n’est-ce pas ? supputai-je. Que
vous a-t-il promis en échange de votre aide ?
— La liberté, souffla-t-il, la suprématie lycane et l’ascendant sur les humains.
Il pouvait nous porter jusqu’à la lumière et nous offrir un monde où nous ne
serions pas obligés de nous cacher. C’est ce qu’il nous a promis, et ce qu’il
comptait nous apporter une fois Nick Teller mis hors d’état de nuire.
Je grognai une nouvelle fois, et avançai encore d’un pas pour me retrouver à
quelques centimètres de lui seulement. Je m’accroupis au sol, les genoux dans
l’eau, et plongeai mes iris dans ceux du détenu.
— Qu’a prévu Marcel pour parvenir à ses fins ? l’interrogeai-je calmement,
sans hausser le ton.
Henry avala difficilement sa salive. Il tremblait de peur. Jamais je n’aurais cru
inspirer une telle crainte chez un loup-garou.
— Il compte attaquer le territoire de la Meute du Soleil avant la fin du mois,
dit-il, je ne sais pas exactement quand. Il devait nous faire signe deux jours avant
l’assaut. En attendant, nous devions nous tenir tranquilles et observer les
hommes de Teller.
— Comment avait-il l’intention de vous prévenir ? Tu as un numéro de
téléphone ? Vous étiez en contact par ce biais-là ?
— Non, un de ses Gammas nous rendait toujours visite pour nous demander
des comptes, et nous tenir au courant des avancées du mouvement.
— C’est toi qui as envoyé un homme me tuer ? rugis-je en serrant les dents.
— Oui, soupira-t-il en baissant la tête pour fuir mon regard.
— Pourquoi ? pestai-je en pensant à ce que j’aurais pu perdre ce soir-là si je
n’étais pas parvenue à neutraliser le lycanthrope qui s’était jeté sur moi.
— C’était une idée de Marcel, affirma-t-il. Il a chargé tous ses alliés de vous
récupérer, et de vous tuer si nécessaire. Nick est votre âme-sœur, il ne survivrait
pas à la rupture de votre lien. Sa mort affaiblirait à son tour la meute entière, et il
serait donc plus facile pour White de prendre le pouvoir. J’ai posté des hommes
aux alentours du territoire de la Meute du Soleil. L’un d’eux vous a suivis
lorsque vous êtes sortis. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui depuis, et si vous
êtes en vie, c’est sans doute parce que lui est mort.
Je souris de nouveau.
— Tu as vu juste. Ton chien de garde est mort, et c’est en grande partie grâce
à lui que j’ai pu remonter jusqu’à toi. C’était mal pensé de se cacher sous le nom
d’un homme mort, que tu avais en plus envoyé tuer mes Gammas et amis. Mais
ça encore, tu t’y es mal pris, et c’est sans doute grâce à cet échec que tu es
encore en vie.
Inspirant un grand coup, je me relevai lourdement et me passai une main sur
le visage. Je n’étais toujours pas plus avancée concernant Marcel, mais tout
n’était peut-être pas perdu.
— Tu connais le nom des alliés de cet enfoiré ? lançai-je.
Il hocha la tête. Bien.
— Alors tu vas me les donner, lui ordonnai-je, je veux le nom de chacun
Alphas qui ont accepté de plier le genou devant Marcel. Et seulement à ce
moment-là, je déciderai de ton sort.

Lorsque nous ressortîmes de l’entrepôt, nous découvrîmes que non seulement
Dovie et Ryan nous avaient sagement attendus à l’extérieur de celui-ci, mais
aussi que Nora était restée. Les autres lycans étaient partis, sans doute pour se
mettre en retrait pendant quelque temps, en attendant que la bataille éclate.
— Vous en avez mis du temps ! s’exclama Ryan en se décollant du capot de la
voiture contre lequel il était appuyé.
Sombre haussa une épaule désinvolte une fois que nous fûmes près d’eux.
— Disons qu’Henry avait des choses à nous dire, répondit-il simplement.
— Où est-il maintenant ? s’enquit Nora en se grattant le bras nerveusement.
— Sombre l’a téléporté dans un endroit sûr, afin que si l’un des sbires de
Marcel repasse ici il ne puisse pas le trouver enchaîné dans une cellule. Nous
avons cependant laissé un mot, au cas où il repasserait par là, un mot disant que
pour plus de sécurité, nous avons décidé de quitter ce bâtiment à la hâte.
— Et bien sûr, il était signé Johnson, ajouta Phobétor pour plus de précision.
— Que vous a-t-il dit ? demanda Dovie.
Je croisai mes bras contre ma poitrine et me mordillai l’intérieur de la joue.
— Eh bien, il a beaucoup pleuré, répliquai-je, mais il nous a aussi fourni les
noms de tous les Alphas et de toutes les meutes qui se sont ralliées à Marcel.
Pour appuyer mes propos, Sombre extirpa de la poche de son jean un morceau
de papier sur lequel nous avions rédigé les noms que nous avait donnés Johnson
dans son cauchemar.
C’était à l’étage du bâtiment que nous avions trouvé le bloc-notes sur lequel
marquer ces noms, et c’était aussi là-haut que nous étions parvenus à récupérer
tous les dossiers informatiques stockés dans les ordinateurs qui s’y trouvaient.
Nombre des garages à l’étage avaient été transformés en centre de contrôle, avec
des ordinateurs dernier cri et autres écrans pouvant permettre aux individus qui
devaient se trouver derrière de surveiller l’entièreté de la bâtisse. J’allais me faire
un plaisir de confier la clé USB, que nous avions gonflée à bloc, à Logan pour
qu’il puisse éplucher tout ce que nous avions récupéré.
— C’est génial ! s’extasia l’apprenti chasseur, qui avait repris des couleurs.
Mais, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
Inspirant un grand coup, je me massai la nuque d’une main et le ventre de
l’autre. J’avais utilisé énormément d’énergie aujourd’hui. J’allais devoir manger
un truc et dormir plus de deux heures d’affilée. Mais surtout, je devais rentrer
chez moi et prévenir Nick du danger imminent qui se profilait au loin. Et du
bébé tout aussi imminent qui arriverait dans quelques mois.
— On rentre à Springdale, leur dis-je, il va falloir que nous prévenions Nick
et que nous décidions quoi faire avec les rebelles.
— Eh puis il va falloir lui dire pour mini-lui dans ton ventre, ajouta Ryan en
haussant les sourcils.
Je fis la moue alors que le visage de Nora se fendait d’une expression
horrifiée.
— Il n’est pas au courant pour le bébé ? s’étonna-t-elle.
Je soupirai.
— Non, il ne l’est pas. Je passe toutes mes journées hors de chez moi, et
quand je rentre à la maison, je porte l’odeur de tous les clients qui ont passé leur
journée au bar, de ma collègue, qui est une féline, du whisky, de la bière, et j’en
passe ! Malheureusement, quand je vais me coucher après m’être douchée, Nick
met des heures à me rejoindre, et il est si fatigué qu’il s’endort presque aussitôt
qu’il m’enserre la taille. Il n’a pas fait attention au changement de mon odeur,
parce que son esprit est ailleurs. À la guerre des loups, plus précisément. Et c’est
pour ça qu’il faut qu’elle s’arrête désormais.
Je marquai une pause et attrapai le bout de papier entre les doigts de Sombre,
avant de poser une main sur la poignée du SUV. Puis je me tournai vers mes
amis.
— Fort heureusement pour nous, nous avons désormais une nouvelle arme
dans notre manche. Et j’ai bien l’intention de m’en servir.

16

Nous déboulâmes sur le territoire de la Meute du Soleil aux alentours de


19 h 30. Ma Mustang, que j’avais récupérée sur le parking de l’aéroport,
s’immobilisa devant la grille en fer qui marquait l’entrée de nos terres. Je croisai
immédiatement le regard d’Alexeï, de garde au portail. Le Gamma, installé dans
la cabine de surveillance, m’adressa un sourire et un signe de tête accueillant. Il
ne vint pas me demander d’explication ni me faire de reproche ; à la place, il
déverrouilla simplement le passage pour me laisser entrer. Je l’en remerciai d’un
geste du menton. C’était ce qu’il y avait de bien avec Alex, excessivement
discret et solitaire, il ne parlait que peu et ne se mêlait jamais des histoires qu’il
jugeait ne pas le regarder. Il était spécial, et possédait cette petite lueur dans le
regard qui me laissait à croire qu’il savait toujours plus de choses qu’il n’en
disait. Il avait sans doute compris que je finirais par revenir à un moment donné,
et le simple fait de me voir rentrer lui suffisait. Néanmoins, cela ne l’empêcha
pas de lorgner d’un œil curieux mes accompagnants entassés dans ma voiture
lorsque je lui passais devant.
— Votre territoire est incroyable, s’émerveilla Nora, collée contre la fenêtre
de sa portière sur la banquette arrière. Il est boisé et suffisamment grand pour
que les maisons de ses habitants ne soient pas proches.
— Cela respecte l’intimité de nos loups, expliquai-je en lui jetant un coup
d’œil dans le rétroviseur. Les garçons, Rebecca et Leah aiment bien avoir leur
endroit à eux.
Nora hocha la tête, et ne cessa d’observer les alentours durant tout notre trajet
jusqu’à la maison principale ; la pointe de tristesse et l’envie que je décelais dans
son regard me fit de la peine. En tant qu’agent au service de la société lycane,
elle avait fait le choix de rester une solitaire, sans meute et sans attache pour lui
assurer un anonymat presque total. Elle était une louve dominante et devait
ressentir au fond d’elle le besoin de faire partie d’une communauté, d’une
famille.
Nick m’avait un jour expliqué, alors qu’il me parlait de la condition des loups
solitaires, que les lycans qui avaient fait ce choix ou qui y avaient été poussés se
sentaient toujours irrémédiablement vides. Comme s’il leur manquait quelque
chose. Bram me l’avait confirmé, et il parlait d’expérience. Sans sa meute, un
loup n’était rien. Voilà ce qu’il m’avait affirmé. Cela me brisait le cœur de savoir
que Nora et tous les autres agents lycans devaient faire le sacrifice de leur vie de
meute pour faire leur travail et protéger leur société. Mais peut-être qu’avec un
peu de travail, nous parviendrions, Nick et moi, à améliorer leur condition.
— Je crois qu’on a un comité d’accueil, marmonna Sombre en regardant droit
devant lui.
En effet, j’eus la surprise de découvrir que tous les membres de la meute,
hormis Alexeï et Nick, étaient rassemblés sur le perron de notre maison. Ils
avaient l’air concentrés, en pleine discussion, si bien qu’ils écarquillèrent les
yeux lorsqu’ils virent ma Mustang émerger depuis la forêt.
— Qu’est-ce qu’ils font tous là ? demanda Ryan en se redressant sur son siège
pour mieux voir.
Je soupirai et me garai devant l’assemblée avant de défaire ma ceinture.
— Je n’en ai aucune idée, soufflai-je en ouvrant ma portière pour m’extirper
du véhicule.
Mes camarades firent de même et sortirent les uns après les autres pour me
rejoindre.
— Poppy ! s’écria Leah en sautant par-dessus les marches en bois du perron
pour venir se jeter dans mes bras. Je suis tellement contente de te voir !
La louve me serra contre elle si fermement que j’en eus presque le souffle
coupé, je répondis cependant à son étreinte et lui caressai le dos pour calmer son
émotion. Leah était très émotive, et cela ne s’était pas arrangé avec l’arrivée de
Hunter. Je ne fus donc pas étonnée de l’entendre étouffer ses sanglots.
— Je suis vraiment désolée de ne rien t’avoir dit au sujet de l’aventure
qu’Arizona et Nick avaient eue, murmura-t-elle, je pensais que ça te ferait
souffrir de le savoir, je ne t’aurais jamais caché la vérité si j’avais…
— Ne t’en fais pas Leah, la coupai-je doucement, je ne t’en veux pas. Pas plus
qu’à quiconque d’entre vous, assurai-je en l’écartant pour regarder les loups-
garous qui gardaient la maison. Vos motivations n’étaient pas mauvaises et vous
n’avez pas eu l’intention de me blesser, je le sais. Ma dispute avec Nick n’était
en aucun cas votre faute, alors enlevez-moi ces airs maussades de vos minois, et
dites-moi plutôt où je peux trouver mon idiot de mari ?
Alors que Loki s’apprêtait à prendre la parole pour me répondre, Bram poussa
un grognement et jeta un regard par-dessus mon épaule.
— Nora ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
Les autres lycans reniflèrent la nouvelle venue et froncèrent les sourcils à leur
tour. Je me raclai la gorge et échangeai un coup d’œil avec Sombre. Expliquer
toute cette histoire allait me prendre du temps, mais je devais d’abord m’assurer
que mon compagnon allait bien. Le récit de notre voyage inattendu allait devoir
attendre, tout comme les explications concernant la présence de mes acolytes.
— Oui, hum, j’aurais beaucoup de choses à vous raconter une fois que
j’aurais vu Nick, dis-je, mais avant, j’aimerais le voir. Où est-il ? Dans son
bureau, pour changer ?
Les changes-peau se lancèrent soudainement des regards gênés, je fronçai les
sourcils devant leur air inquiet.
— Quoi ? m’impatientai-je, nerveuse.
— Nick, commença Daryl, n’a pas bien vécu ton départ. Il refuse de sortir de
son bureau depuis que tu es partie, et ne veut parler à aucun de nous. On s’est
réunis ce soir pour essayer d’aller lui parler, mais il a refusé de nous écouter et
nous a obligés à quitter la villa. Son loup part en vrille sans toi, et ça ne fait
qu’empirer.
Et pourtant, je n’étais pas partie depuis longtemps…
Serrant les lèvres, j’inspirai profondément et me tournai vers mes amis.
— Restez là, leur intimai-je, je vais aller parler à l’ours que j’ai épousé. En
attendant, ne dites rien qui pourrait être entendu par des oreilles indiscrètes, ça
roule ?
Tous hochèrent la tête alors que les loups fronçaient les sourcils. Je pressai
tendrement l’épaule de Leah avant de monter les marches du perron et de me
diriger vers la porte d’entrée.
La maison était silencieuse. Les lumières étaient éteintes, pas un bruit ne
venait perturber le calme qui régnait entre ces murs ; mon cœur se serra dans ma
poitrine à cette vision. La maison était toujours pleine de monde, de bruit, de
rires et de joie. Je n’aimais pas savoir que mon départ précipité avait chamboulé
le quotidien de la meute et de ses membres, allant même jusqu’à modifier
l’atmosphère de mon chez-moi. Il fallait que j’arrange ça et que je m’explique
une bonne fois pour toutes avec mon compagnon.
Je gravis les marches de l’escalier qui menaient à l’étage réservé au bureau
lentement, la main droite crispée sur la rampe de celui-ci. Je n’avais pas vu Nick
depuis presque deux jours, je n’avais pas répondu à ses appels et je savais autant
que je le sentais à travers notre lien que mon silence l’avait blessé. Lui tout
comme son loup d’ailleurs. Pas mal d’émotions traversaient la corde qui nous
reliait tous les deux. Il éprouvait des remords et se sentait véritablement
coupable de m’avoir caché la vérité concernant sa relation passée avec Arizona.
Au point de s’en rendre malade. Or, ce n’était pas le moment de flancher, nous
devions rester forts et unis.
Arrivée devant la double-porte blindée du bureau, je pris une profonde
inspiration, enserrai de mes doigts la longue poignée verticale en acier et tirai
d’un seul coup pour l’ouvrir. La voix de mon compagnon résonna, grave et
sourde, avant même que j’aie eu le temps de poser un pied dans la pièce.
— Foutez-moi la paix, bon sang !
Sans pouvoir m’en empêcher, j’esquissai un sourire. Son ton sauvage et
bourru était significatif de son agacement, il restait fort même dans ses pires
moments de faiblesse et j’en fus soulagée. S’il était encore capable de râler, il
allait s’en remettre, ça ne faisait aucun doute.
Refermant la porte derrière moi sans faire de bruit, j’observai le highlander
assis par terre devant les baies vitrées qui donnaient sur l’extérieur. Il était de dos
et fixait les arbres qui se balançaient au rythme de la petite brise qui soufflait
dehors. Ses larges épaules étaient légèrement voûtées, comme accablées par tous
les maux du monde. Ses longues jambes musclées étaient partiellement repliées
vers lui, et son menton était posé sur l’un de ses genoux. Nick avait l’air au fond
d’un seau, et cela me déchira le cœur. Mon estomac se tordit douloureusement.
— Dehors, gronda-t-il de nouveau sans se retourner.
L’Alpha était si abattu qu’il sentait la présence d’une personne dans son antre,
mais qu’il n’avait pas capté que c’était moi. Où alors, il l’avait compris, mais il
n’y croyait pas. Les hommes…
— C’est bien la première fois que tu me demandes de m’en aller, lançai-je,
d’habitude, tu fais tout pour me garder près de toi.
Relevant lentement la tête, Nick se raidit. Il inspira profondément pour humer
mon odeur, bien que ce ne fût pas gagné. Le voyage avait été long, et entre
Dovie, Ryan, Sombre et Nora, je doutais qu’il parvienne à me reconnaître à
l’aide de son odorat.
Ramenant ses jambes vers lui, le roux se redressa et se mit debout.
— J’ai bien cru que cette fois, tu ne reviendrais pas, murmura-t-il en se
retournant pour me faire face.
L’homme plongea ses yeux gris dans les miens. La lumière avait beau être
éteinte, je les vis tout de même briller d’une intensité qui serra davantage mes
entrailles. Il avait l’air à la fois soulagé et terriblement triste.
— Je finis toujours par rentrer à la maison, répliquai-je à mi-voix, tu devrais
pourtant le savoir.
L’Écossais hocha la tête, l’air penaud.
— Je suis désolé pour Arizona, s’excusa-t-il, sincère. J’aurais dû tout te dire
depuis le début. Je n’ai pensé qu’à la société lycane et à Marcel Jay White, sans
songer à la peine que la présence de cette fille dans notre vie allait te faire
ressentir. Je t’ai manqué de respect en offrant l’hospitalité à une de mes
anciennes conquêtes, et ça n’aurait pas dû arriver. Ça ne se reproduira jamais.
Je soupirai.
— J’ai compris tes motivations Red, répondis-je, tu ne m’as pas fait du mal
intentionnellement. Je sais que la rébellion des loups te cause énormément de
souci depuis plusieurs mois et années maintenant. Tu voulais simplement mettre
un terme à tout ça, et Arizona est apparue comme la solution à tes problèmes. Il
faut dire qu’elle a su se montrer convaincante en prétendant avoir des
informations sur Marcel.
— Cela ne justifie rien, plaida-t-il en faisant un pas en avant. Tes émotions ne
doivent pas passer après la société lycane. Tu es ce que j’ai de plus précieux et
j’ai juré de ne jamais rien faire pour te faire du mal volontairement. Sauf que
c’est de mon plein gré que je l’ai fait entrer chez nous, en sachant pertinemment
que même si tu n’es pas une louve, tu n’en restes pas moins une femme qui
protège son territoire avec la détermination d’une lionne.
Le chef de meute se ménagea d’une pause et se passa une main sur le visage.
Il avait les traits tirés, des cernes sous les yeux et les sourcils si froncés que ça
devait lui filer un mal de crâne carabiné. Je n’aimais pas le voir comme ça.
— Je fais tout de travers ces derniers temps, continua-t-il, et j’en suis si
désolé. Les dirigeants des autres sociétés me foutent la pression pour que j’arrive
à calmer la colère des lycans. Si les miens dévoilent notre existence, toutes les
communautés surnaturelles seront exposées et mises en danger. Les humains ne
nous accepteront jamais… Des hommes et des femmes qui se transforment en
bêtes, et puis quoi encore ? Ils feraient sans doute des expériences sur nous et
militeraient pour nous voir enfermés dans des zoos. Ce serait la guerre entre les
surnaturels et les humains, ça n’en finirait jamais. Et la responsabilité du
maintien de la paix repose sur mes épaules. Si j’échoue, ce sera le chaos
assuré…
— Nick, l’interrompis-je, arrête. Je n’aime pas te voir comme ça. Tu n’avais
jamais douté de tes capacités à diriger les tiens avant, et je n’ai pas envie que tu
commences à te remettre en question. Nous allons y arriver, je te le promets. Et
nous n’allons certainement pas avoir besoin d’Arizona pour ça.
Le lycan fronça les sourcils et pencha la tête sur le côté, attentif et curieux à la
fois.
— Comment ça ?
Je souris et envoyai balader sa question d’un geste de la main pour le
moment. Pour l’heure, il y avait plus important que le récit de nos aventures à
Baltimore.
— J’y reviendrai, mais d’abord, j’aimerais te dire quelque chose.
Inquiet, le lycanthrope gronda, ses narines se dilatèrent légèrement.
— Pas question que tu partes de nouveau, éructa-t-il, j’ai envoyé Seth faire les
courses, les placards sont de nouveau pleins.
Je pouffai, incapable de me retenir, et secouai la tête de gauche à droite devant
son air sérieux. J’avais oublié depuis longtemps cette histoire de courses.
— Je n’ai l’intention d’aller nulle part, le rassurai-je en souriant.
— Alors quoi ? se détendit-il. Je comprendrais si tu es toujours en colère
contre moi, mais…
— Je veux que tu te mettes à genoux, le coupai-je brusquement.
Surpris, Nick ouvrit la bouche et recula d’un pas en battant des cils.
Demander à un loup dominant, un Alpha de surcroît, de plier le genou, c’était
comme demander à une maman oiseau de bouffer son petit. Impossible. Ils
étaient bien trop fiers pour ça, et surtout, cela représentait un acte de soumission,
ce qu’un Alpha ne pouvait supporter. Mais nous étions entre nous, et il n’y avait
personne pour le juger ou le montrer du doigt. D’autant que je ne lui demandais
pas de se soumettre à moi. Si je voulais qu’il se mette à terre, c’était pour
l’aspect pratique. Mais allait-il le comprendre ?
Les traits de son visage devenant soudainement plus durs, Nick serra les
poings et la mâchoire. Les yeux de son loup remplacèrent l’espace d’un instant
les siens. Red n’était pas content.
— Je sais que je t’ai blessée Poppy, grogna-t-il fermement, mais je ne peux
pas te supplier à genoux de me pardonner.
J’arquai un sourcil et croisai mes bras contre ma poitrine en soutenant son
regard furibond.
— Même si l’envie de te voir me supplier à genoux me tente vachement,
raillai-je, ce n’est pas pour ça que je te demande de le faire, ni pour te dominer.
Je veux que tu te mettes à genoux, maintenant, tout de suite, juste parce que tu
m’aimes et parce que je te le demande. Tu peux faire ça sans réfléchir au fait que
tu es un Alpha, ou même un loup ?
Il releva le menton.
— Evans…
— Teller, répliquai-je sur le même ton. Arrête de trop réfléchir, nous sommes
seuls et le jeu en vaut la chandelle, je te l’assure.
Fermant les yeux une seconde, le grand roux sembla peser le pour et le contre.
Ses muscles se raidirent sous ses vêtements tant il était tendu. Puis il souleva les
cils et m’adressa un regard presque mauvais.
— Qu’est-ce que je ne ferais pas pour toi Evans, maugréa-t-il en posant
lentement un genou, un seul, à terre.
J’acquiesçai, satisfaite. Nous nous trouvions à plusieurs mètres l’un de l’autre,
il n’avait presque pas avancé des baies vitrées alors que je me trouvais appuyée
contre la porte. J’avançai donc lentement vers lui et, à mi-chemin, lui demandai
une nouvelle chose.
— Ferme les yeux.
Il gronda de nouveau.
— Pourquoi ?
— Tu le découvriras si tu obéis, Red. Et arrête de marmonner, on dirait Al.
Abaissant les paupières, le loup-garou pinça les lèvres et retint difficilement
un bruit sourd et animal tout droit venu de sa poitrine. Sachant qu’il ne regardait
plus, je laissai tomber la veste ample que j’avais sur les épaules, et retirai par la
suite le tee-shirt que m’avait prêté Ryan. La fraîcheur de la pièce caressa ma
peau dénudée, mon ventre arrondi se couvrit de frissons. Je me mordis la lèvre
inférieure pour m’empêcher de rire devant l’expression crispée du lycan à
genoux, et m’approchai de lui.
— Je peux ouvrir les yeux maintenant ? s’agaça-t-il quand il sentit que je fus
assez près de lui pour le toucher.
Je secouai la tête.
— Non, pas encore, à la place…
Posant une main sur sa joue, où une légère barbe de trois jours qui n’avait pas
été rasée commençait à apparaître, je guidai son visage vers mon ventre, et lui
collai le nez dessus doucement.
— Je veux que tu inspires profondément, repris-je, et que tu me dises ce que
tu sentes.
C’était ainsi que Dovie avait pu comprendre que j’étais enceinte, en posant
ses narines sur mon corps, et en inspirant un grand coup. Avec un peu de chance,
Nick sentirait les modifications de mon parfum en étant si proche de moi.
Entourant mes hanches de ses grands bras massifs, l’homme aux cheveux
cuivrés me rapprocha un peu plus de lui et huma l’odeur de ma peau. Il inspira et
expira plusieurs fois, grognant doucement.
— Tu portes plusieurs odeurs sur toi, dit-il, celle de la brune qui travaille avec
toi, la panthère. Celle du blondinet que je meurs d’envie d’assassiner.
Je gloussai.
— Une autre plus étrange, semblable à celle que j’avais sentie sur toi à Fergus
Falls, et enfin, ton parfum, ronronna-t-il en frottant son nez contre mon ventre.
Tu sens le miel. J’aime cette odeur, et…
Soudain, Nick releva la tête, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte.
J’explosai de rire en le voyant ainsi, c’était comme s’il venait d’être frappé par la
foudre. Il resta comme ça plusieurs secondes, l’air complètement sous le choc, si
bien que je dus arrêter de rire pour m’assurer qu’il allait bien.
— Qu’est-ce qu’il y a Teller ? pouffai-je en caressant sa joue. Tu as senti
quelque chose qui te déplaît ?
Il secoua la tête de gauche à droite, sans pour autant parvenir à prononcer le
moindre mot. Nick retourna alors à mon ventre, qu’il continua de sentir pour
s’assurer qu’il ne s’était pas trompé. Puis il remarqua son arrondi, et en fut si
abasourdi qu’il faillit en tomber à la renverse.
— Tu… tu… Poppy, tu…
— Je t’avais dit que le jeu en valait la chandelle, répliquai-je en caressant
doucement la courbe de mon abdomen. Surprise Nick, tu vas être papa.
L’intéressé, sous le choc, se laissa tomber sur les fesses sans me lâcher pour
autant. Il me serra au contraire plus fermement contre lui, et m’entraîna dans sa
chute, me réceptionnant sur ses cuisses. Je m’y installai à califourchon en
souriant, et posai mes mains sur ses épaules en plongeant mon regard dans le
sien. Nick avait la gorge serrée et le visage si raide que j’eus un instant peur que
la nouvelle ne lui fasse pas plaisir. Mais dès que je vis les larmes qu’il retenait
dans ses yeux brumeux, et que je sentis son bonheur immense à travers notre
lien, je sus que j’avais tort. Il était heureux, tant et si bien d’ailleurs qu’il ne
savait pas trop quoi faire ni quoi dire.
Je décidai de l’aider un peu.
— Je suis sûre que tu feras un père formidable pour ce bébé, lui soufflai-je, et
tu verras, tout va s’arranger, je te le promets.
— Depuis… depuis quand es-tu au courant ? me demanda-t-il d’une voix
étranglée par l’émotion. Tu savais quand tu as entendu Arizona dire toutes ces
horreurs sur toi ?
À cette simple pensée, les mains de mon mari se crispèrent dans mon dos ; il
me serra plus fort contre lui.
— Non, j’ai appris le lendemain, lui expliquai-je. C’est Dovie qui a compris
en voyant mon ventre. Je croyais que j’étais ballonnée, alors je faisais tout pour
le cacher. Je ne voulais pas que tu aies l’impression que je me laissais aller. Avec
de si belles filles comme Rebecca et Leah ici, et Dovie au Teddy’s, je n’avais pas
envie que tu perdes ton désir pour moi à cause de ça et que tu ne me trouves plus
aussi belle…
En m’entendant parler, je me trouvais si stupide que je détournai les yeux en
secouant la tête. Nick gronda et m’attrapa le menton pour me forcer à le regarder
dans les yeux.
— Tu es la plus belle créature que j’aie jamais vue, dit-il entre ses dents
serrées, et jamais, jamais, je ne perdrai le désir que j’éprouve pour toi à chaque
fois que tu es dans mon champ de vision. Comment peux-tu douter de ta propre
beauté et de l’effet que tu as sur moi ? Tu ne sens donc pas mon excitation à
travers notre lien à chaque fois que tu es à proximité ? Tu ne la vois pas poindre
sous mon jean ?
Pour en rajouter une couche, le loup releva les hanches et colla son
entrejambe contre mon intimité. Je ne pus effectivement pas louper l’érection
massive qui déformait la braguette de son pantalon. Les insécurités féminines
n’avaient parfois aucune explication logique, mais il pouvait être difficile de se
sentir à l’aise avec son corps quand une nana comme Arizona White se
trimballait en mini-short et en brassière de sport sous votre nez !
Déposant un baiser sur ma gorge, le loup attira de nouveau mon attention et
écarta les mèches de cheveux qui masquaient ma marque de Revendication. Il la
caressa du bout du doigt, ce qui eut pour effet de me faire frissonner. Puis il se
pencha en avant pour y déposer un nouveau baiser.
— J’ai parfois du mal à comprendre la façon donc fonctionne ton cerveau
Poppy, gronda-t-il en la léchant d’un coup de langue.
M’agrippant à ses épaules fermement, je me cambrai contre lui et collai ma
poitrine contre son torse musclé, véritable mur de béton armé.
— Rassure-toi, j’ai aussi beaucoup de mal à le comprendre, lui assurai-je en
croisant son regard.
Passant une main derrière ma nuque, Nick m’attira à lui et pressa ses lèvres
contre les miennes. J’avais désiré ce moment un bon nombre de fois au cours de
mon escapade hors de la meute. J’étais heureuse de pouvoir goûter à sa bouche
de nouveau, de pouvoir sentir ses mains baladeuses caresser ma peau.
— Tu m’as tellement manqué, souffla-t-il entre deux baisers fougueux. Je ne
veux plus que tu t’en ailles loin de moi. Jamais.
Emportée par la dextérité de ses caresses et les assauts passionnés de sa
bouche experte, je fus incapable de répondre et m’acharnai à la place contre son
tee-shirt. Je voulais sentir son épiderme contre le mien, sa chaleur m’envelopper
totalement. Je voulais imprégner son corps entier de mon odeur, afin que toutes
les femelles qui oseraient l’approcher sachent à qui il appartenait.
Parvenant à lui retirer son haut, j’envoyai balader le bout de tissu sur le sol et
retirai mon soutien-gorge hâtivement pour presser ma poitrine contre ses
pectoraux saillants. Nick grogna de satisfaction en sentant mes tétons durcis
contre sa peau. Il agrippa mes cheveux dans son poing et inclina ma tête vers
l’arrière pour approfondir notre baiser et en prendre le contrôle. Il fit glisser sa
langue dans ma bouche, la liant à la mienne sans ménagement. Il dévora mes
lèvres sauvagement, revendiquant ce qui lui appartenait à la manière d’un vrai
dominant. Puis il fit descendre l’une de ses mains pour attraper l’un de mes seins
entre ses doigts brûlants. Je gémis et me tortillai contre lui alors qu’il s’amusait à
me torturer.
Du pouce, Nick titillait mes sens en appuyant et en caressant mon téton tendu
à l’extrême. Ma poitrine était si gonflée et lourde qu’elle en était douloureuse. Je
voulais qu’il me touche, mais j’en voulais plus, et la frustration me poussait à en
demander davantage. Mes reins me démangeaient, et le bas de mon ventre était
si contracté que je dus me faire violence pour ne pas arracher moi-même le reste
des vêtements de mon compagnon pour le forcer à me donner plus.
— Nick, geignis-je quand il décolla sa bouche de la mienne pour se pencher
et la coller contre le sein laissé de côté.
Me faisant basculer en arrière, le lycan me coucha sur le sol, et se posta au-
dessus de moi en grondant, les yeux brillants d’une excitation telle qu’elle me fit
serrer les cuisses pour tenter de contenir mon désir.
— Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux Poppy, affirma-t-il d’une
voix rauque, et ce soir, j’ai envie de te remercier pour le cadeau que tu m’offres.
Déboutonnant lentement mon pantalon, Nick fit descendre ma braguette, et
agrippa mon jean pour le retirer. Il envoya valdinguer mes chaussures, et me
déposséda de tous mes vêtements pour me laisser complètement nue et à sa
merci. Il se redressa sur ses genoux, sans me lâcher des yeux, et fit à son tour
sauter le bouton de son jean. Il l’enleva, au même titre que son boxer, et dévoila
l’érection gonflée aux veines saillantes qui pointait fièrement vers le haut. Il était
excité, et c’était le moins que l’on pût dire.
— Écarte les jambes pour moi Poppy, m’ordonna-t-il en me regardant
intensément.
Incapable de désobéir, et n’en ayant aucune envie de surcroît, j’écartai les
genoux et le suivis des yeux lorsqu’il se pencha en avant et se positionna à sa
convenance, la tête entre mes jambes. Il se coucha sur le ventre, m’attrapa les
cuisses et s’intéressa plus attentivement à ce qui se trouvait entre elles. Il grogna.
— Tu sens si bon, annonça-t-il en déposant un baiser sur mon intimité rendue
humide par l’impatience.
Déterminé à me tourmenter ce soir, Nick fit glisser la langue le long des doux
replis de mon sexe. Il entreprit de me taquiner ainsi, de me faire languir de cette
façon durant de longues minutes. Il embrassa mon intimité, la lécha, la mordilla
même au point de me couper le souffle. Je me cambrai sous ses assauts, me
tortillai dans tous les sens alors qu’il faisait tourner sa langue autour de mon
clitoris avec vigueur. Brusquement, il insinua un doigt en moi sans cesser de me
torturer avec sa bouche. Il le bougea en effectuant des mouvements lascifs et le
recourba pile comme il le fallait, accentuant le rythme de ses va-et-vient en
fonction de mes gémissements. Plus j’en demandais, plus il ralentissait. Un vrai
professionnel des châtiments sexuels !
— Nick, me plaignis-je en passant une jambe par-dessus son épaule pour lui
donner un coup de talon impétueux dans le dos.
Il gronda en signe d’avertissement, et me réprimanda en plantant ses dents
dans la chair tendre de ma cuisse. Il me mordit fermement, pour me faire
comprendre que c’était lui qui menait la danse, et lécha ensuite le sang qu’il
avait fait couler pour soulager la douleur.
— C’est moi qui choisis quand tu pourras jouir, Poppy, tu m’entends ?
grommela-t-il.
Je fronçai les sourcils et redressai sur mes coudes pour affronter son regard.
— Je suis ta femme Nick, et si tu refuses de me donner ce dont j’ai besoin, je
vais devoir m’en occuper moi-même.
Glissant une main le long de mon corps, je l’approchai dangereusement de
l’intérieur de mes cuisses. Nick la saisit au vol.
— Ne te touche pas, m’ordonna-t-il. Ça…
Il plaqua une main sur mon vagin, et caressa mon clitoris gonflé de son
pouce. Je me mordis la lèvre inférieure en relevant le bassin de manière
incontrôlée.
— C’est à moi, termina-t-il, et j’ai envie de jouer avec. Histoire de te passer
l’envie de t’en aller.
— J’ai besoin de te sentir en moi Nick, plaidai-je en tendant une main pour lui
agripper sa masse de cheveux roux, typique de ses racines écossaises.
— Alors dis-le-moi, gronda-t-il gravement en remontant lentement vers moi.
Le loup-garou m’embrassa alors à pleine bouche, et me plaqua sous son corps
massif. Il m’allongea au sol, et se cala entre mes jambes. Sa queue tendue à
l’extrême frottait contre mon intimité moite, impatiente de s’y glisser.
Pressée, je remontai mes jambes contre ses flancs, et redressai les hanches en
guise d’invitation.
— Dis-moi ce que tu veux Evans, m’intima-t-il en m’embrassant
farouchement.
Les mains posées sur son torse, je griffai sa peau et caressai la courbe de ses
fesses musclées du bout du pied. L’attente était interminable, je voulais qu’il me
prenne, ici et maintenant.
— Je veux que tu me baises Nick, lui susurrai-je dans l’oreille alors qu’il
embrassait mon cou. Marque-moi, et prends possession de ce qui t’appartient, à
toi, et à toi seul.
Il n’en fallut pas plus à mon mari.
M’attrapant par la taille, l’homme se releva sans effort et se remit sur pieds.
Étonnée, j’enroulai mes bras autour de son cou et gloussai alors qu’il avançait
avec détermination vers son bureau en acier.
— Qu’est-ce que tu fais ? lui demandai-je en riant.
Ignorant ma question, le loup envoya valser d’un bras tout ce qui se trouvait
sur son bureau. Ordinateur, dossiers, téléphone, tout y passa et se retrouva par
terre dans un grand fracas. Je sursautai, surprise, et ouvris grand la bouche avant
de me tourner vers lui.
— Nick ! Tes papiers ! Tu as bousillé ton ordi !
Il posa mes fesses sur la surface froide du meuble qu’il avait dénudé, et posa
une main sur ma poitrine pour m’obliger à me coucher. Le métal sous mon corps
était glacial, je frissonnai, mais restai en place, admirant l’homme magnifique
qui me surplombait. Je tendis une main vers lui, et caressai du bout du doigt les
muscles bandés du torse du lycan. J’épousai tendrement chacun de ses
abdominaux blindés, chacune des nombreuses cicatrices qui zébraient sa chair
lisse, et descendis lentement vers sa verge au garde à vous.
— J’ai envie de toi, soufflai-je.
Mes yeux remontèrent pour se planter dans les siens. Nick inspira
profondément, et esquissa un sourire en coin en m’attrapant sous les genoux
pour me tirer dans sa direction. Il attrapa son membre dans une main pour le
placer à l’entrée de mon intimité et caressa ma poitrine de l’autre.
— Tu n’as pas idée à quel point moi, j’ai envie de toi Poppy.
Dans un geste du bassin, Nick s’enfonça profondément en moi. Je m’arc-
boutai et poussai un gémissement en inclinant la tête en arrière. C’était si bon,
putain ! Et ça le fut davantage encore quand il commença à bouger, à m’asséner
des coups de reins brutaux, bestiaux, profonds et intenses. Mon compagnon me
prit comme j’en avais besoin, comme je l’aimais : avec vigueur et détermination.
Il s’agrippa à mes hanches et guida mes mouvements pour les caler aux siens.
Son sexe épais étirait presque douloureusement les parois du mien, mais c’était
une douleur agréable. Nick semblait parvenir à atteindre tout un tas de
terminaisons nerveuses, ce qui me faisait crier de plaisir. Il accentua le rythme de
ses coups de boutoir et me pénétra plus fort encore.
— Oui ! criai-je en sentant l’orgasme arriver au galop.
Alors que je gémissais, criai et plantai mes ongles dans la chair des épaules de
mon compagnon, je sentis le plaisir monter en flèche. Nick était au bord de
l’extase également, je pouvais le voir à la manière dont ses muscles se crispaient
sous mes mains, dont ses va-et-vient devenaient plus vifs, poussés sans doute par
le besoin de jouir. Il grondait ; sa gorge ne cessait de produire des grondements
animaux alors qu’il me baisait comme je le lui avais demandé. Il se laissait aller,
et à ce jour, je ne connaissais pas meilleure sensation que celle-ci !
— Nick, je vais jouir ! le prévins-je alors qu’il enserrait ma gorge d’une main
possessive.
— Non, gronda-t-il, patiente.
Plus facile à dire qu’à faire, mon coco !
— Je…
Je fus interrompue par le baiser torride que le loup plaqua sur mes lèvres pour
me faire taire. Son corps se frotta au mien, sa peau glissait sur la mienne, nos
corps respectifs étaient chauds, brûlants même, et couverts de sueur. Il y allait si
fermement que le bureau, pourtant solide, commençait sérieusement à tanguer
sous mon dos. Les pieds de celui-ci se balançaient au rythme de nos ébats. C’en
était trop, il fallait que je touche à l’orgasme, que j’y goûte une bonne fois pour
toutes.
Le dos cambré, la poitrine collée contre les pectoraux de mon mari qui
s’acharnait à nous faire atteindre l’extase à force de coups de reins ardents, je
rompis notre baiser pour renverser la tête en arrière et me laissai gagner par le
plaisir. Mon ventre se contracta violemment, des frissons couvrirent ma peau, et
mes jambes croisées autour de la taille de mon âme-sœur se mirent à trembler.
Nick poussa un grognement guttural, et attrapa ma gorge dans sa paume pour me
forcer à le regarder dans les yeux. Les vibrations de domination qu’il dégageait
et son regard passionné m’emportèrent au bord du précipice. Je m’accrochai à
lui plus fermement alors qu’il m’ordonnait d’une voix autoritaire :
— Jouis maintenant Poppy !
S’enfonçant en moi une dernière fois en une poussée puissante, Nick me fit
atteindre la jouissance totale. Les muscles de mon intimité se refermèrent sur son
membre, une nuée de papillons s’envola dans mon bas ventre. Je poussai un cri,
emportée par un orgasme si violent qu’il me fit presque défaillir. Mon corps tout
entier fut pris de tremblements incontrôlables. Je m’arquai brutalement, et
soudain, alors que je me sentais comme en plein rêve, je fus prise d’une violente
envie de mordre mon mari. De le mordre sauvagement et de faire couler son
sang.
Alors que mon compagnon déversait en moi son sperme chaud en grondant,
les bras enroulés autour de ma taille pour me maintenir collée contre lui, je lui
agrippai les cheveux d’une main, le forçai à pencher la tête sur le côté, et me
redressai d’un seul coup pour planter mes dents dans la chair tendre de son cou.
Le lycan grogna, et me serra plus fort contre lui en se laissant submerger par un
second orgasme qui le fit trembler de la tête aux pieds, m’emportant dans son
sillage. L’envie de hurler mon plaisir me frappa une nouvelle fois, mais je ne
lâchai pas ma prise, et à la place mordis plus fort dans la chair de mon homme.
Son sang coula le long de son torse et du mien. Un grognement rauque et animal
remonta le long de ma gorge.
Fermement accrochée aux épaules et à la taille du highlander, je le relâchai
uniquement lorsqu’une petite voix en moi me dit que le travail avait été effectué.
Lorsque je reculai, la bouche pleine de sang, je croisai le regard étonné de mon
homme. Nous étions hors d’haleine, nos poitrines se soulevaient rapidement. Je
portai une main à mes lèvres. Je ne me rendis compte de ce que je venais de faire
que lorsque je vis le liquide écarlate couler entre mes doigts. Qu’est-ce qui m’a
pris ?
— Je… je suis désolée…
La grande main du loup se posa sur ma joue. Il inclina mon visage en arrière
pour planter ses pupilles dans les miennes. Il n’avait pas l’air en colère, au
contraire, il semblait particulièrement satisfait.
— Poppy, as-tu la moindre idée de ce que tu viens de faire ? me questionna-t-
il.
Je secouai la tête.
— Je t’ai mordu, je ne voulais pas mais… c’était plus fort que moi.
— Evans, souffla-t-il en passant son pouce sur ma lèvre inférieure, tu ne m’as
pas simplement mordu, tu viens de me Revendiquer.

17

— C’est le bébé qui fait ressortir chez toi tes instincts bestiaux, affirma Nick,
admiratif, en caressant mon ventre tendrement.
— Je t’ai revendiqué Nick, soufflai-je, encore effarée par ce que j’avais été
capable de faire. Je ne savais pas que le bébé pourrait m’influencer à ce point.
J’ai l’impression qu’il est en train de me transformer en bête sauvage.
Et ça me laissait dubitative.
— Il n’a pas le pouvoir de me transformer en louve n’est-ce pas ? ajoutai-je
en tournant la tête sur le côté pour croiser le regard nuageux de mon compagnon.
Allongée sur le dos, sur le canapé en cuir matelassé qui se trouvait dans la
partie « petit salon » du bureau, je ne cessais de m’interroger sur ce qui s’était
passé plus tôt dans la soirée. Nick et moi avions fait l’amour, c’était génial,
bestial, torride, et là, alors que tout était parfait, je m’étais jetée sur lui pour le
marquer de mes dents. Je l’avais mordu, sauvagement mordu, au point de lui
laisser une trace qu’il garderait pour le restant de ses jours. J’avais fait ce que
j’avais toujours cru impossible au vu de ma nature humaine. J’avais Revendiqué
mon âme-sœur, et au fond de moi, mon ego féminin s’en était vu ravi. J’avais
ressenti une satisfaction toute particulière à la vue de la marque qu’avaient
laissée mes dents dans le creux de son cou, et Nick aussi d’ailleurs. Il en était
fier comme un coq. Mais maintenant que l’euphorie était légèrement
redescendue, je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions.
À mon plus grand soulagement, le roux répondit à ma question en secouant la
tête de gauche à droite.
— Le bébé ne te transformera pas en louve, m’assura-t-il. Néanmoins, il
s’agit d’un lycanthrope, il fera donc ressortir chez toi tout ce qu’il y a de plus
animal, et ça ira crescendo jusqu’à ce que tu arrives à terme. Voilà donc d’où
venait le grognement que tu as jeté au visage d’Arizona avant de partir faire des
courses.
Couché contre moi, les bras autour de ma taille, Nick embrassa ma joue
doucement et frotta le bout de son nez contre ma mâchoire. Ses mèches ondulées
aux reflets flamboyants me chatouillèrent le visage. Je souris.
— Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux Poppy, nous allons avoir
un bébé, souffla-t-il, toi et moi.
J’acquiesçai et posai une main sur celle qu’il gardait pressée contre mon
abdomen bombé. Puis soudain, je me rappelai avoir gardé une miniature de
l’échographie que j’avais faite la veille. Je m’extirpai donc de son étreinte,
ignorant ses grognements de désapprobation pour me diriger vers mon sac à
bandoulière que j’avais laissé tomber à l’entrée du bureau. Nue comme un vers,
je m’accroupis au sol et fouillai à l’intérieur pour en sortir la photographie, après
quoi je retournai à ma place et tendis le bras pour allumer le lampadaire qui se
trouvait non loin.
— Tiens, regarde, lui dis-je en me calant confortablement contre son épaule et
en entrelaçant une jambe aux siennes. C’est notre bébé.
Nick s’empara délicatement de l’échographie et l’étudia attentivement, le
regard brillant. Il avait le sourire jusqu’aux oreilles.
— Il est parfait, murmura-t-il en passant son pouce sur la petite photo.
— Et il est en bonne santé, notre futur enfant se porte comme un charme.
À ce moment-là, une expression déçue traversa le visage du garou, qui serra
les mâchoires et fronça les sourcils. Inquiète, je me redressai et posai une main
sur sa joue.
— Quelque chose ne va pas ?
— J’ai loupé la première échographie de mon bébé, répondit-il, j’aurais voulu
être à tes côtés.
Comprenant sa déception, je pressai mes lèvres contre les siennes et frottai
mon nez contre le sien.
— Je suis désolée Nick, moi aussi j’aurais aimé que tu sois là. Mais quand j’ai
eu la confirmation de ma grossesse, j’ai tout de suite foncé à l’hôpital pour
effectuer les tests de base et pour m’assurer que le bébé allait bien. Nous nous
étions disputés, et…
— Ne t’excuse pas Poppy, m’interrompit-il, si je n’avais pas invité Arizona, si
je ne l’avais pas fait entrer dans notre vie, tu serais restée et nous aurions pu
partager ce moment ensemble. Je suis le seul responsable. À l’avenir, je veux
assister à tous les examens médicaux que tu devras faire.
Je fis la moue, et posai ma joue contre ses pectoraux. Son cœur battait
régulièrement dans sa poitrine.
— Ne te fais pas trop de reproches Red, tu es assez tourmenté en ce moment,
inutile d’en rajouter. D’autant que je crois avoir des nouvelles qui vont sans
doute te faire hurler de colère, mais qui arrangeront tes affaires.
Intéressé, Nick m’adressa un regard en coin plein d’interrogations.
— De quoi parles-tu ? me questionna-t-il d’un air suspicieux.
Je soupirai et me serrai une dernière fois contre le corps nu de mon mari. La
détente était finie, il était temps de passer aux choses sérieuses.
— Pas ici, déclarai-je en me relevant, la meute nous attend, et j’ai quelqu’un à
te présenter.
Se relevant sur des coudes, le roux m’observa attentivement lorsque j’allais
récupérer nos affaires éparpillées sur le sol du bureau. Le béton ciré sous mes
pieds était jonché de débris, de documents administratifs et de stylos. Nick n’y
était pas allé de main morte, il avait tout envoyé valser pour moi, pour me
prouver qu’il n’y avait rien de plus important à ses yeux que sa compagne. J’en
étais particulièrement contente.
— Pourquoi je sens que je ne vais pas apprécier ce quelqu’un ? marmonna-t-il
en s’asseyant sur le canapé et en se massant la nuque.
Je revins vers lui, vêtements en main, et lui tendit son pantalon.
— Ne quitte pas cette pièce avec l’optique de détester l’un de mes amis s’il te
plaît, l’implorai-je. Tu verras, tu pourrais même en arriver à le remercier pour les
épines qu’il va t’enlever du pied.
Alors que Nick se relevait pour boutonner son jean, sans avoir pris la peine de
remettre son boxer, il arqua un sourcil sceptique, mais n’ajouta rien qui aurait pu
me contrarier. À la place, il m’étudia de haut en bas lorsque j’enfilai son tee-
shirt.
— J’aime quand tu portes mes vêtements, gronda-t-il en souriant. Cela ne
laisse aucune place au doute concernant ce que nous avons fait pendant tout ce
temps.
Je haussai une épaule désinvolte, et remontai ma culotte le long de mes
jambes.
— De toute façon, nous vivons avec des loups à l’ouïe surdéveloppée, qui
auront probablement entendu chacun de mes cris. Leur odorat tout aussi pointu
ne manquera pas de capter l’odeur du sexe sur nous, et personne ne pourra
passer à côté de la morsure qui décore désormais ton cou. Alors bon, quitte à le
faire, autant le faire jusqu’au bout !
Il sourit, et s’approcha de moi pour encadrer mon visage de ses grandes
paumes.
— Je t’aime Poppy. N’en doute jamais.
Je lui rendis son sourire.
— Je n’en ai jamais douté.
— Bien, ça m’évitera de te donner la fessée pour te réprimander.
Je pouffai, et lui tapai le bras alors qu’il se penchait en avant pour
m’embrasser. Je me hissai sur la pointe des pieds et enserrai ses poignets entre
mes doigts pour caresser sa peau lisse et chaude de mes pouces. Ça faisait du
bien d’être à la maison.
— Allez, trancha-t-il en se séparant de moi, allons-y. J’ai hâte de savoir ce
que tu fais de si horrible pour prétendre me mettre prochainement en rogne.
Après m’avoir asséné une tape sur les fesses, le loup se mit en route et se
dirigea, pieds nus, vers la porte du bureau. Je le regardai s’éloigner en me
mordant la lèvre inférieure, sachant pertinemment que l’envie de sourire allait lui
passer quand il saurait que j’avais bravé le danger sans lui, qui plus est enceinte.
Il n’allait pas être déçu du voyage.
Lorsque nous ouvrîmes la porte d’entrée, Nick et moi eûmes la surprise de
trouver tous les membres de la meute rassemblés en cercle sur le perron. Ils
riaient et parlaient tous en même temps, concentrés sur une chose qu’ils
semblaient tous observer. Je me raclai la gorge pour attirer leur attention.
— Qu’est-ce qu’il y a de si intéressant ? m’enquis-je en faisant un pas à
l’extérieur pour les rejoindre.
Se retournant dans un même geste, les lycanthropes nous observâmes Nick et
moi de haut en bas, les rires cessèrent aussitôt qu’ils remarquèrent la morsure qui
décorait le cou de leur Alpha.
— Eh ben putain, si je m’attendais à ça ! s’exclama Sam haussant les sourcils.
— Je vous avais dit qu’une grossesse faisait ressortir les instincts les plus
primitifs chez une femme ! s’écria Leah en frappant si fermement l’épaule de
son compagnon qu’il en écarquilla les cils. On devient de vraies sauvages !
Fronçant les sourcils, je me tournai vers Ryan, Dovie et Nora rassemblés
derrière l’épaule de Daryl, et penchai la tête sur le côté.
— C’est vous qui les avez prévenus ? supputai-je en constatant que les lycans
étaient au courant pour le bébé, et que Daryl tenait entre ses mains l’une de mes
échographies.
— Tu penses qu’on avait besoin qu’on nous prévienne ? répliqua
immédiatement Loki en croisant ses bras massifs contre son large torse.
Nick se redressa.
— Comment ça ? le questionna-t-il, comme sur la défensive.
Un petit sourire en coin étira les lèvres du Bêta.
— Tu es peut-être dans la lune depuis quelque temps Teller, dit-il, mais ce
n’est pas le cas de tous les loups qui vivent ici. Comment pouvions-nous passer à
côté de l’odeur de Poppy le matin au réveil ? De son ventre qui s’arrondissait de
jour en jour ? De ses sautes d’humeur aussi, se risqua-t-il.
J’ouvris la bouche, et poussai une exclamation outrée.
— Eh ! Je n’ai pas de sautes d’humeur ! mentis-je en faisant la moue.
Je savais pertinemment que c’était faux. Depuis quelques semaines j’étais
capable de passer du rire aux larmes en un clin d’œil, de me montrer patiente
comme un moine ou de hurler à en perdre haleine pour trois fois rien. Une vraie
girouette ! Et évidemment, tous ces symptômes qui auraient dû suffire à me
mettre la puce à l’oreille n’avaient fait que m’orienter vers une fausse piste.
— Poppy, commença Aiden en haussant les sourcils, un matin tu m’as dit
détester les pizzas au chorizo, et le midi du même jour, tu m’as obligé à rouler
jusqu’à Rogers pour t’en acheter une !
— Vendredi dernier, tu as pleuré devant un documentaire sur le monde
aquatique, renchérit Seth, juste parce qu’une rascasse a mangé un crabe !
Nick me gratifia d’un regard moqueur, je lui donnai une tape sur le bras.
— Le crabe cherchait désespérément à se cacher ! Il voulait vivre et il s’est
fait dévorer ! plaidai-je en lui faisant les gros yeux. C’était super triste, OK ? Les
réalisateurs avaient en plus calé là-dessus une musique hyper dramatique !
Les lycans gloussèrent en détournant le regard, je soupirai.
— Pourquoi n’avez vous rien dit ? rétorquai-je alors pour changer de sujet. Si
vous saviez pour moi, pourquoi ne pas nous avoir prévenus ?
Bram sourit de toutes ses dents.
— Et nous priver du plaisir de voir la tête de Nick quand il aurait fini par le
comprendre ? Pas question !
— Tous les matins, nous attendions que tu tiltes, lança Daryl à l’attention de
son ami. Le soir, quand elle rentrait du travail et que son odeur était couverte par
celles des gens avec qui elle avait passé sa journée, nous comprenions que tu ne
fasses pas le rapprochement. Mais le matin ! L’odeur de Poppy était si
significative que nous n’attendions que ta réaction !
Nick gronda, mécontent, et caressa ma joue du revers de la main en plongeant
ses iris dans les miens.
— Je n’ai même pas su voir ce que j’avais juste sous le nez, déplora-t-il d’un
air coupable. Mes pensées étaient si focalisées sur les conflits de la société
lycane, que je n’avais même pas assimilé les modifications de ton parfum. Je
n’ai même pas su interpréter le comportement de mon loup, c’est pour dire !
Je fronçai les sourcils.
— Ton loup ? répétai-je.
Il hocha la tête.
— Cela faisait quelque temps qu’il se montrait plus possessif à ton égard,
expliqua-t-il, qu’il cherchait à te protéger davantage et qu’il me poussait à
combler chacun de tes désirs. Lorsque j’osais te dire non, ou te contrarier pour X
raisons, il montrait les dents et me donnait un bon coup de griffes pour me
réprimander. Je n’ai pas compris ce qui lui prenait, mais maintenant, je sais qu’il
avait compris avant que ce ne soit mon cas que sa femelle portait son petit.
Attendrie par ces révélations, je me rapprochai de mon homme et me lovai
contre lui. Il m’accueillit entre ses grands bras en grognant de contentement. Les
loups-garous étaient bels et bien constitués de deux entités différentes qui
devaient cohabiter ensemble, l’homme et la bête qui vivait en son sein
possédaient deux personnalités dissociables qui ne faisaient pas appel aux
mêmes sens et aux mêmes instincts pour appréhender le monde qui les
entouraient. Bien sûr que Jack avait compris avant sa moitié humaine que sa
compagne portait un bébé, mais cela n’avait pas suffi à Nick, occupé par ses
fonctions de dirigeant lycan, pour s’en apercevoir aussi. Mais comment pourrais-
je lui en vouloir ? Moi-même, j’avais fermé les yeux sur tous les signes que
j’avais eus devant moi, préférant croire à l’arrivée de mes règles plutôt qu’à la
présence d’un bébé dans mon ventre !
Nous faisions un bon couple d’autruches !
— Alors, reprit Walter en se tournant vers moi, quelle tête il a fait quand il a
su ?
Revoyant dans mon esprit le visage étonné de mon mari quand il avait
découvert le pot aux roses, je ne pus m’empêcher de rire. Nick marmonna dans
sa barbe.
— J’aurais aimé avoir un appareil photo pour immortaliser ses grands yeux
ronds et sa bouche grande ouverte ! pouffai-je. C’était à mourir de rire !
— Ouais ouais, grommela l’Alpha alors que ses amis s’esclaffaient. J’ai hâte
de vous y voir vous lorsque votre compagne vous annoncera qu’elle porte votre
chair et votre sang dans son ventre ! Je suis persuadé qu’au moins trois d’entre
vous tourneront de l’œil quand le moment sera venu.
Loki soupira et haussa une épaule.
— Heureusement pour moi, dit-il, je ne suis pas près de devenir père, alors à
la place, je bichonnerai votre petit comme si c’était le mien. Félicitations, bande
de chanceux, ajouta-t-il en tendant la main à son supérieur et ami.
L’Écossais saisit la paume du grand blond, qui l’attira à lui dans une accolade
chaleureuse. Rapidement, tous les membres de la meute vinrent nous prendre
dans leurs bras pour nous féliciter. Aiden s’attarda un peu trop contre moi au
goût de mon mari, qui lui asséna une tape à l’arrière de la tête pour le
réprimander et le forcer à lâcher prise. Le Gamma aimait bien titiller la patience
de mon compagnon, et s’amusait toujours de le voir réagir au quart de tour.
— C’est bon, lâcha-t-il en levant les mains en signe de paix, je te la rends. Je
suis sûr que d’autres bras seront ravis de m’accueillir ce soir de toute façon,
affirma-t-il en jetant un coup d’œil à Dovie.
Tournant la tête pour la première fois de la soirée vers mes amis, Nick fronça
les sourcils et poussa un grognement en découvrant Nora, debout aux côtés de
Dovie et Ryan. Il inspira profondément.
— J’avais bien reconnu ton odeur sur les vêtements de ma compagne,
annonça-t-il d’une voix grave. Que fais-tu ici Nora ? N’étais-tu donc pas
supposée enquêter sur Johnson et ses rebelles ?
La louve ne se démonta pas et hocha simplement la tête. Elle me coula un
regard par-dessus l’épaule du roux.
— Si, c’était d’ailleurs ce que je faisais avant d’être repérée par Henry et ses
hommes, et d’être capturée.
Les hommes réunis sur le perron poussèrent des grondements de
désapprobation. L’un d’entre eux se fit plus virulent. Bram n’était visiblement
pas content.
— Capturée ? répéta l’ancien premier Gamma en serrant les poings.
Elle acquiesça.
— C’est exact, et j’y serais encore si Poppy, Sombre, Dovie et Ryan ne
m’avaient pas sauvée.
À l’évocation du prénom du divin qui avait investi le corps d’un adolescent en
pleine croissance, je pris conscience que, contrairement à mes autres camarades,
je ne l’avais pas dans mon champ de vision. Je tournai sur moi-même et me
contorsionnai dans tous les sens pour essayer de le trouver. En vain.
— Evans, m’interpella Nick sur un ton dont transparaissait la tension qui
raidissait ses muscles, de quoi parle-t-elle ?
Je me tournai vers lui lorsqu’il me saisit le bras pour attirer mon attention. Les
traits masculins de son visage s’étaient durcis. En entendant les propos de Nora,
le mécanisme s’était enclenché dans son esprit, et il commençait à rassembler les
pièces du puzzle. Sans doute avait-il compris que je n’étais pas restée sage les
deux jours où nous avions été séparés et cela, comme j’avais été prête à le parier,
le contrariait fortement. Sa mâchoire contractée et l’éclat féroce qui brillait dans
ses yeux gris en disaient long sur la question. Ça n’allait certainement pas
s’arranger quand il apprendrait toute la vérité sur l’assaut que nous avions mené
chez Henry Johnson…
— Nous devrions sans doute rentrer, lui proposai-je.
— Et nous asseoir, ajouta soudain la voix juvénile de Sombre dans mon dos,
parce que tu risques sans doute de faire un malaise quand tu apprendras ce qu’a
fait ta femme.
Faisant volte-face, je découvris l’intéressé appuyé contre une des baies vitrées
qui donnait sur l’intérieur de la maison. Il avait les bras croisés contre sa
poitrine, et mâchait avec désinvolture une réglisse rouge qu’il avait trouvée je ne
savais où ! Il venait de se téléporter jusqu’à nous, j’en aurais mis ma main à
couper. Mais où était-il allé ?
En guise de réponse, Nick plissa les yeux et gronda en montrant les crocs.
— Je reconnais ton odeur, cracha-t-il entre ses dents, je l’ai sentie à Fergus
Falls.
Un petit sourire fit son apparition sur le visage de Sombre.
— Et tu risques de la sentir encore longtemps, répondit le brun en se décollant
de la paroi transparente contre laquelle il était appuyé. J’ai pas l’intention de
m’en aller avant un moment. Pas tant que ma douce sera en danger en tout cas.
Passant un bras possessif autour de ma taille, Nick m’attira à lui et fusilla son
interlocuteur du regard. Il laissa échapper des vibrations de domination à son
attention. Cela échauffa son Bêta et ses Gammas, qui se mirent à grogner en
signe d’avertissement.
Agacée, je levai les yeux au ciel et soupirai longuement. Moi qui avais
pourtant demandé à mon compagnon de ne pas avoir d’a priori, voilà qu’il
cherchait à intimider un dieu ! On aura tout vu…
— Poppy est à moi, pesta-t-il sauvagement, et sa sécurité est ma priorité. Je
me charge de sa protection.
— Tout doux, Teller, railla Sombre en souriant, dans les prochains jours, tu
risques d’avoir du mal à protéger ta compagne, et à affronter les loups-garous
qui seront bientôt aux portes de ton territoire.
Le lycanthrope en colère se redressa et pencha la tête sur le côté, attentif.
— De quoi est-ce que tu parles ? Et qui es-tu réellement ?
Cette fois, ce fut à mon tour d’intervenir.
— Red, déclarai-je après m’être raclé la gorge, je te présente Phobétor, fils
d’Hypnos et de Nyx, frère de Morphée, et dieu des cauchemars. Et surtout, ami
fidèle et allié de taille.
Relevant la tête pour plonger mes iris dans ceux de ma moitié, je posai une
main sur sa poitrine pour l’apaiser et caressai sa peau, devenue brûlante, de mes
doigts.
— Sombre n’est pas notre ennemi, repris-je en hochant la tête. Alors garde ta
fureur pour Marcel Jay White, parce qu’il arrive à grands pas, et qu’il est prêt à
tout pour réduire notre meute en cendres.

18

J’avais rarement été la témoin d’une atmosphère aussi tendue. Et pourtant, en


vivant avec des loups et en travaillant avec des chasseurs, j’en avais vu passer
des situations critiques ! Rares étaient les soirs où une bagarre n’éclatait pas au
Teddy’s. Les unions officielles de lycans auxquels nous assistions souvent avec
Nick en tant que couple d’Alphas étaient souvent animées par des querelles qui
finissaient par un crêpage de chignon, ou par des coups de griffes. Ici même, à la
meute, nous n’étions pas étrangers aux cris et aux échauffements. Alors autant
dire que lorsque deux dominants commençaient à monter en pression,
l’atmosphère finissait rapidement par se charger d’une électricité palpable qui
mettait tout le monde mal à l’aise.
En général, c’était Nick qui calmait le jeu. Il ordonnait à ses hommes de se
détendre quand ils étaient en colère, ou un peu trop excités, et le calme revenait
rapidement. Généralement. Mais quand c’était l’Alpha lui-même qui était en
rogne, dur dur de faire revenir le calme. D’autant que Nick n’était pas connu
pour sa passivité légendaire, malheureusement…
Afin d’expliquer tout ce qui s’était passé à mon mari et aux membres de notre
meute depuis mon départ, nous avions fait rassembler tout ce petit monde dans le
salon de la villa. Nick avait été particulièrement réticent à l’idée de s’asseoir
pour nous écouter, mais je l’y avais contraint, lui expliquant que cela valait
mieux pour lui. Il y avait consenti à regret, mais ce n’était pas pour autant qu’il
avait cessé de râler et de dévisager Sombre comme s’il s’agissait d’un tueur de
chatons cannibale. Bien au contraire ! Heureusement, la divinité était assez
détachée pour ne pas en tenir compte.
Une fois que tout le monde fut assis, nous commençâmes notre récit, en le
débutant par ma dispute avec Arizona au sujet du contenu de nos placards. Rien
que d’y penser, je resserrai les poings et fis de mon mieux pour garder mon
calme.
— C’est là que tout a commencé, leur expliquai-je, debout devant
l’assemblée. J’avais besoin de m’évader l’esprit, en plus de réapprovisionner
notre frigo, alors j’ai roulé jusqu’au supermarché le plus éloigné de Springdale.
Je m’y suis arrêtée, et alors que je faisais mon petit tour pour remplir mon
panier, j’ai été attaquée par un homme.
En entendant ça, Nick se redressa si brusquement qu’il fit sursauter Rebecca,
assise à ses côtés. Un grondement guttural, animal, vit vibrer sa poitrine
dénudée. Les yeux de son loup prirent un instant la place des siens, signe qu’il
n’était vraiment pas content du tout. Ni lui, ni sa bête d’ailleurs, qui s’agita à
l’intérieur de lui. Je pouvais ressentir sa colère à travers notre lien, Nick luttait
pour ne pas laisser son loup émerger.
— Je savais que quelque chose t’était arrivé, grogna-t-il, ses crocs ayant
soudainement poussé pour devenir plus acérés. J’ai ressenti une vive douleur à la
jambe ce soir-là, et au front. Que s’est-il passé ? Qui t’a attaquée ?
Je me raclai la gorge, gênée, sachant pertinemment qu’il n’allait pas apprécier
la suite, et qu’il serait d’autant plus difficile de calmer la fureur de sa moitié
bestiale.
— J’ai été surprise par un lycan, dis-je calmement, qui cherchait visiblement à
me tuer. Nous nous sommes battus, j’ai pris plusieurs coups, et lorsque j’ai
essayé de m’enfuir parce qu’il commençait à muter, il m’a mordu la jambe et me
l’a brisée. D’où la douleur à cet endroit.
La respiration de Nick se fit soudain plus rapide, ses pectoraux se soulevèrent
et s’affaissèrent à un rythme trop effréné pour que ce soit normal. Il se leva
lentement et commença à faire les cent pas dans le salon. La tension qui
alourdissait déjà l’air se fit plus pesante encore ; c’était comme si j’avais un
poids sur les épaules, lourd et étouffant, qui semblait vouloir me tirer vers le sol.
Ce poids, c’était la rage aveugle qui envahissait progressivement le corps
musculeux de mon homme et qui suintait par chacun de ses pores. Chercher à
l’apaiser ne servirait à rien dans l’état où il se trouvait, il était le seul à pouvoir
calmer son loup et à l’empêcher de prendre le contrôle.
— Où est cet enfoiré ? demanda-t-il d’une voix sourde, si grave et rauque
qu’elle paraissait inhumaine.
— Mort, répondit Sombre depuis le canapé où il était assis. Poppy l’a
dézingué !
Surpris, les loups-garous installés devant moi m’adressèrent des regards
curieux. Nick se tourna vers moi.
— Pardon ?
Je me mordis la lèvre inférieure, et croisai mes bras contre ma poitrine.
— Je vous ai tous expliqué que je n’étais plus vraiment la même depuis que
j’avais laissé la poussière noire qui rongeait mon aura fusionner avec elle,
annonçai-je. Sombre m’a confié des pouvoirs, pour me remercier du soutien que
je lui avais apporté dans le Monde Noir. C’est grâce à eux que j’ai pu tuer Fergus
Ferguson à Baltimore, et évidemment que j’ai pu faire de même avec le loup-
garou qui s’en est pris à moi au supermarché.
— Ta jambe ? éructa Nick en rivant ses yeux luisants de frénésie vers mes
guibolles nues.
Je me tournai vers lui, et levai ma jambe droite.
— Comme tu le vois, elle fonctionne à merveille, répliquai-je, grâce à
Sombre. Son être divin a investi le corps de Marshall pour me porter secours, et
c’est à travers lui qu’il a soigné mon mollet abîmé.
— Qu’avez-vous fait du corps ? me questionna Daryl, le premier Gamma de
la meute, en fronçant les sourcils.
— Nous l’avons amené chez Al. C’est là-bas que nous avons retrouvé Dovie
et Ryan, qui venaient tout juste de finir son entraînement avec le vioc.
— Pourquoi ne pas nous l’avoir apporté ? gronda l’Alpha. Pourquoi ne pas
être rentrée tout de suite chez toi ?
Je soupirai.
— Parce qu’Arizona White séjournait ici, soupirai-je, et que je ne lui faisais
pas confiance.
Et je ne lui fais toujours pas confiance d’ailleurs… Mais au moins, elle n’était
plus chez nous.
Comme me l’avait expliqué Nick plus tôt dans la soirée, alors que nous nous
remettions tranquillement de notre partie de jambes en l’air, il avait pris la
décision de virer Arizona de chez nous après mon départ. Il avait sommé Loki et
Bram de rassembler les affaires de la louve, et de la loger dans la maison la plus
reculée du territoire. Ce qu’ils avaient fait de bon cœur, comme il me l’avait
avoué. Elle était encore présente sur le territoire, mais au moins, j’en étais
débarrassée chez moi. Néanmoins, il n’allait pas falloir que nous la lâchions des
yeux durant son séjour, elle restait pour moi une suspecte et une traîtresse
potentielle.
— Arizona est la nièce de Marcel, continuai-je pour éclaircir mes propos, elle
débarque chez nous au moment où son oncle prépare activement son assaut
contre nous et prétend vouloir nous aider à le vaincre. Laissez-moi rire ! Tout le
monde sait que White déteste les humains, qu’il vous déteste vous, et plus
particulièrement toi, Red. Cela fait des années qu’il convoite le rôle d’Alpha du
Nord. Ça fait des années que la société lycane est au courant du soutien qu’il
apporte aux rebelles, et il nous a clairement exposé son point de vue à Little
Rock lorsque nous l’avons rencontré. Ne me dis pas que c’est seulement
maintenant que sa cruche de nièce se rend compte que c’est un connard et un
danger pour les siens ?
Je secouai la tête de gauche à droite.
— Ça ne tient pas debout.
Nick grommela.
— Elle nous a donné les adresses des différents territoires de son oncle,
rétorqua-t-il en croisant ses bras contre sa poitrine. Nous les avons fait fouiller à
l’aide des Lieutenants et de leurs hommes.
— Vous avez trouvé Marcel ? lui demandai-je en adoptant la même position
défensive.
Il plissa les paupières.
— Non, admit-il, mais certains d’entre eux avaient été occupés peu de temps
avant le passage des Lieutenants. Des odeurs étaient encore présentes dans
certains des bâtiments, et nous avons retrouvé des plans et autres documents
nous concernant. Des documents semblables à ceux que Dorofeï avait trouvés au
sein de la planque d’Henry à Baltimore.
Je ricanai. Tu m’étonnes !
— Il y en avait juste assez pour vous laisser penser qu’Arizona disait vrai,
lançai-je, mais pas suffisamment pour vous permettre de mettre la main sur
Marcel. Vous savez quoi ? Si j’étais Marcel Jay White et que je cherchais à me
cacher pour mieux pouvoir vous attaquer, je ferais en sorte de vous envoyer sur
de fausses pistes. Je vous donnerais des miettes, mais uniquement pour vous
orienter dans une direction opposée à la mienne. Ainsi, vous me chercheriez
partout sauf là où il faut. Vous comprenez ?
Loki et Nick échangèrent un regard lourd de sens, les deux hommes
soupirèrent.
— Tu crois que Marcel a envoyé Arizona ici pour qu’elle lui serve d’espion ?
supputa le grand blond en me redonnant toute son attention. Qu’elle serait ici
pour nous orienter sur de fausses pistes ?
Je haussai une épaule.
— Ce n’est pas impossible, avouez-le. D’autant qu’ici, elle aurait tout le loisir
de nous étudier de l’intérieur, et de reporter le moindre de nos faits et gestes à
son oncle. À ce sujet, lorsque nous sommes partis rendre visite à Carlos Ramos,
Arizona est restée ici, seule. Nous ne savons pas ce qu’elle a fait durant notre
absence, et si je me rappelle bien, c’est elle qui a insisté pour loger ici, dans la
maison principale où se trouve ton bureau et où ont lieu toutes les réunions. Qui
nous dit qu’elle n’a pas posé des micros ici ?
Les loups grognèrent. Daryl, en charge de la sécurité du territoire, se redressa
sur le champ, en état d’alerte.
— Du calme les gars, intervint Sombre. Ce soir, personne ne nous écoutera si
c’est le cas, j’ai ramené ça de notre petit voyage à Baltimore.
Plongeant une main dans la poche de son jean, le jeune homme exposa aux
yeux de tous le petit brouilleur que nous avions utilisé à l’entrepôt de White.
Astor nous en avait fait cadeau.
— Il va falloir que nous vérifiions les caméras de surveillance de la maison,
déclara Daryl en se tournant vers Nick.
L’Écossais acquiesça.
— Ce sera fait.
— Et Arizona devra rester sous surveillance en permanence, répliquai-je.
— Pourquoi es-tu allé à Baltimore ? tonna alors mon âme-sœur, qui ne perdait
pas le nord.
Je penchai la tête sur le côté et inspirai profondément.
— Nous avons trouvé l’identité de l’homme qui m’avait agressée au
supermarché. Nous avons appris qu’il travaillait pour Henry Johnson, qui n’était
pas un inconnu de notre meute ni de la société lycane. Je comptais te prévenir, et
tout te dire, mais quand je suis rentrée, j’ai eu la déplaisante surprise de trouver
Arizona dans ton bureau, en pleine tentative de séduction.
En se remémorant cet épisode fâcheux, Nick serra les poings et pinça les
lèvres. Je n’avais pas besoin de lui raconter ce qui s’était passé quand j’avais
surpris sa conversation avec cette vipère de White, il le savait pertinemment. Je
passai donc notre dispute pour en venir directement aux faits.
— Après avoir découvert que j’étais enceinte, continuai-je, et après une
journée entière passée à effectuer des examens à l’hôpital pour vérifier la santé
du bébé, Dovie, Sombre, Ryan et moi avons décollé pour Baltimore. Grâce à la
base de données des chasseurs et aux témoignages que nous avons pu trouver
dessus, nous avons pris connaissance d’une planque potentielle dans laquelle
Henry et ses hommes pouvaient se cacher.
Le chef de meute fit un pas dans ma direction, l’air plus furieux encore qu’il
ne l’était auparavant.
— Alors tu y es allée, en sachant pourtant que tu portais notre enfant !
explosa-t-il, hors de lui. Tu te rends compte des risques que cela aurait pu
représenter pour toi ?
J’affrontai son regard mauvais sans broncher, habituée à voir son inquiétude
constante prendre le dessus sur sa raison. Il avait tellement besoin de me
protéger, de me savoir en sécurité, que m’imaginer dans les griffes de l’ennemi
le rendait dingue. Je doutais sérieusement qu’il se fasse un jour à l’idée que
j’étais une femme indépendante qui n’était pas tout à fait sans défense. Argh…
— Je ne risquais strictement rien Red, pas avec un dieu, un apprenti chasseur,
et une panthère noire dans mes rangs, lui garantis-je. Je savais ce que je faisais
en y allant, et je n’aurais jamais laissé qui que ce soit s’en prendre à nous,
ajoutai-je en posant une main sur mon abdomen.
Nick inspira un grand coup pour tenter de se calmer, et s’approcha de moi
pour poser sa paume sur mon ventre. Ses sourcils cuivrés étaient sévèrement
froncés, sa mâchoire était si contractée qu’un muscle tressautait sous sa peau
lisse à intervalles irréguliers. Ses épaules étaient raides, si bien qu’elles devaient
sans doute être douloureuses. J’en connaissais un qui allait avoir besoin d’un bon
massage et d’une aspirine après cette conversation !
— Grâce à mes incroyables acolytes, poursuivis-je en caressant son bras, nous
avons pu investir l’entrepôt que nous soupçonnions être la planque d’Henry, et
nous avons neutralisé tous les lycans qui s’y trouvaient.
— Tous ? s’étonna Seth. Combien étaient-ils ?
— Trente-deux, répondit Dovie en soupirant.
— Tu t’es battue ? gronda Aiden à l’attention de la féline.
L’intéressée releva le menton et planta ses iris légèrement dorés dans celles du
Gamma qui la dévisageait intensément.
— Bien sûr ! Qu’est-ce que tu croyais ? Que j’allais laisser cet idiot et une
femme enceinte se dépatouiller tous seuls ? rétorqua-t-elle en donnant un coup
dans le bras de Ryan, qui grommela.
— Eh ! s’écria-t-il. Je te rappelle que j’ai aussi bazardé l’un d’eux !
Dovie s’esclaffa.
— Ouais, ma panthère n’oubliera jamais le cri de guerre que t’as poussé avant
de tirer !
Et moi non plus, me gardai-je d’ajouter en souriant.
Ryan, les joues rougies par la gêne, se renfrogna sur le canapé. La brune
entoura ses épaules d’un bras en rigolant.
— Ne t’en fais pas, pouffa-t-elle, tu t’en es super bien sorti ! Ce n’est pas tous
les jours qu’on tue son premier loup-garou !
— Tu as tué un loup-garou ? lança Bram, la mine sombre.
— Il s’attaquait à Dovie ! se défendit le blond. Et Henry avait ordonné à ses
hommes de tuer Poppy ! Comme Sombre s’était téléporté à l’étage pour
neutraliser les autres rebelles, il fallait bien que nous nous défendions.
— Il n’a fait que protéger ses amis, ajouta la métamorphe en plissant les
paupières.
Aiden, tendu comme un arc sur le canapé où il était assis, serra les poings
contre ses cuisses et observa d’un air désapprobateur la proximité de Dovie et
Ryan, collés l’un contre l’autre. J’avais l’impression qu’il allait d’un moment à
l’autre sauter sur le jeune homme pour l’égorger. Il était on ne peut plus évident
que la belle brune lui avait tapé dans l’œil, et qu’en bon loup dominant, il ne la
voulait que pour lui. Il voyait l’étudiant comme un rival, ce qui était on ne peut
plus préoccupant selon moi. Un lycan qui convoitait une femelle était prêt à tout
pour l’obtenir, y compris se débarrasser de ceux qu’il pouvait voir comme des
obstacles. Il allait falloir que je veille à ne pas laisser la situation dégénérer,
d’autant que Dovie n’éprouvait aucun sentiment amoureux pour Ryan, qu’elle
considérait uniquement comme un bon ami, voire même comme un frère.
— C’est Poppy qui a neutralisé les loups du sous-sol, intervint Sombre, en
une seule fois en plus !
— Comment as-tu fait ? me questionna Leah.
— Je les ai endormis, expliquai-je, c’est une des propriétés que m’a transmise
Sombre. Je peux plonger mes ennemis dans un sommeil profond et les
confronter à des cauchemars atroces. C’est ce que j’ai fait pour Johnson. Je l’ai
enfermé dans son propre esprit, prisonnier d’un cauchemar qui ne cessera que
lorsque je le déciderai. Nous avons ensuite délivré les agents lycans que Johnson
avait capturés, dont Nora.
— Vous étiez plusieurs ? tonna Nick en enroulant un bras autour de ma taille
avant de se tourner vers la rouquine installée à côté de Walter, qui lui, balançait
entre ses grands bras tatoués le petit Hunter dormant à poings fermés.
Walter Hylland était un homme à l’apparence brute, sauvage et asociale. Il ne
souriait que rarement en public, ne parlait que très peu, et affichait
continuellement la même mine taciturne qui l’accompagnait chaque jour. Avec
ses cheveux noirs, ses yeux de la même couleur et tous les tatouages qui
marquaient sa peau, il pouvait parfois donner l’impression d’un homme dur, sans
émotion ou presque. Le Gamma était mystérieux, mais contrairement aux idées
reçues, il était loin d’être insensible, même s’il savait mieux que personne
contrôler ses émotions de sorte à ne jamais rien laisser transparaître sur son
visage aux traits masculins, ou dans les mouvements de son corps. Quiconque
d’extérieur à la meute l’aurait vu avec le bébé de Logan et Leah dans les bras,
aurait donc pu être surpris par la tendresse dont il faisait preuve à l’égard de ce
petit être fragile. Pour ma part, moi qui le connaissais bien, je savais que derrière
sa carapace en titane, Walter avait un grand cœur qui n’attendait que d’être pris.
— Nous étions cinq en tout, répondit Nora en se redressant légèrement, mal à
l’aise sous le regard abrupt de mon mari.
La louve avait sans doute honte d’avoir été enlevée et retenue prisonnière par
un homme comme Henry. Les agents lycans avaient particulièrement à cœur de
réussir leurs tâches. Mais il n’y avait nulle honte à avoir, elle et ses camarades
avaient fait tout ce qu’il fallait et leur honneur n’avait en aucun cas été entaché.
Malheureusement, le sort avait joué contre eux, leurs compétences n’étaient pas
et ne seraient pas remises en question ce soir.
— Pourquoi n’ai-je pas été prévenu dès lors que vous avez été libérés ?
s’agaça le lycanthrope.
Je me raclai la gorge.
— C’est parce que je leur ai donné l’ordre de ne pas te prévenir, dis-je, au
risque qu’Arizona n’intercepte leur rapport et ne prévienne Marcel de
l’arrestation d’Henry.
Nick, surpris, baissa les yeux sur moi.
— Tu leur as donné l’ordre ? répéta-t-il.
Je souris.
— Il me semble que je suis la femelle Alpha de la société lycane, répliquai-je
en haussant une épaule, et que les agents qui travaillent sous tes ordres sont aussi
sous les miens. Je n’ai fait que m’investir dans le rôle qui est le mien.
Un nouveau grognement traversa les lèvres closes du roux, mais celui-ci était
différent des autres. Il n’était pas fait pour me réprimander ou pour témoigner de
sa colère, mais plus pour me signifier sa satisfaction profonde. Les loups-garous
dominants, ce qui était assez paradoxal, aimaient beaucoup voir leurs compagnes
s’affirmer et afficher leur assurance. C’était pour eux un signe de force, de
puissance. Nick n’était visiblement pas insensible à mon audace.
— J’hésite entre t’engueuler pour les risques que tu as pris, susurra-t-il, ou te
récompenser pour ton aplomb et ton courage.
J’arquai un sourcil et esquissai un sourire en coin.
— Tout dépend de la manière dont tu souhaites me récompenser, murmurai-je
sans le quitter des yeux.
Nick m’attira davantage à lui en m’adressant un regard lourd de sens. Puis il
glissa dans mon dos une main pour la diriger dangereusement sur mes fesses. Il
attrapa l’une d’elles dans sa paume, sans se soucier de l’assistance qui nous
faisait face. Un vrai sauvage.
— Que vous a dit Henry ? s’enquit alors Daryl, intéressé. Je suppose que vous
avez dû l’interroger. A-t-il parlé ?
Détournant les yeux de Nick pour me concentrer de nouveau sur les loups-
garous rassemblés devant nous, je hochai la tête et retrouvai mon sérieux.
— Il a parlé, leur affirmai-je, à regret, mais il l’a fait. Il n’avait aucune
information concernant la position de Marcel, mais il nous a tout de même appris
plusieurs choses intéressantes.
Sombre et moi racontâmes à nos amis tout ce que Johnson nous avait dit au
sujet des desseins de Marcel. Nous ne négligeâmes aucun détail, abordant aussi
bien son intention d’attaquer la meute prochainement, que son idée de me faire
assassiner pour affaiblir Nick et la meute entière. L’idée ne plut pas du tout à
l’Alpha, qui serra les dents si fort que je crus une nouvelle fois que plusieurs
d’entre elles allaient sauter sous la pression. Mais ce ne fut pas le cas, Nick
pouvait se vanter d’avoir des dents en acier.
— Henry nous a donné les noms de toutes les meutes alliées à celle de
Marcel, terminai-je. Il nous a également affirmé avoir envoyé ici, à Springdale,
plusieurs de ses hommes qu’il a mis en faction non loin du territoire pour
surveiller nos actions.
Loki gronda et se tourna vers les Gammas.
— Avez-vous détecté des odeurs étrangères aux alentours du territoire ? les
questionna-t-il gravement.
Tous effectuèrent des gestes négatifs du menton.
— Non, répondit Walter en relevant la tête, mon odorat n’a rien capté du tout.
Et mon loup non plus d’ailleurs. Pourtant il est toujours aux aguets.
— Ça ne m’étonne pas, lança Sombre.
Curieuse, je me tournai vers lui et étudiai le petit sourire en coin qu’il
affichait. Cet homme ne se débarrassait jamais de son sourire, comme si rien ne
pouvait venir ternir sa journée ou le toucher personnellement. Une véritable
énigme pour la nana nerveuse que j’étais.
— Pourquoi ? lui demandai-je.
— Tout à l’heure je me suis téléporté pour faire rapidement le tour de votre
territoire, annonça-t-il, et je n’ai perçu le parfum d’aucun intrus. Tout comme je
n’ai ressenti aucune présence. Je pense qu’Henry a dû demander à ses hommes
de rester éloignés d’ici au maximum pour ne pas se faire repérer par les vôtres.
Je soupirai. Ce n’était pas une bonne nouvelle. Cela signifiait que pour les
débusquer, nous allions devoir les traquer. Comme si nous n’avions pas déjà
suffisamment de choses à faire !
— Nous les trouverons, commenta, catégorique, le Bêta en acquiesçant.
— Que faisons-nous pour les meutes alliées à Marcel ? nous interrogea Sam,
les bras croisés contre sa poitrine.
Le Gamma assigné à ma protection affichait un air soucieux. Les cheveux
bouclés qui lui tombaient sur le front ne suffisaient pas à masquer la veine qui le
traversait. Il réfléchissait à la suite et se préparait sans doute déjà à la bataille qui
s’annonçait au loin.
— Nous allons organiser une réunion par téléconférence avec les trois
Lieutenants opérationnels dès demain matin, avança Nick en faisant un pas vers
ses hommes. Si Marcel veut nous attaquer, il faut que nous fassions diminuer les
soldats dont dispose son armée de rebelles, ce qui signifie que nous allons devoir
arrêter ses alliés avant qu’il ne décide d’attaquer. De notre côté, nous allons
rassembler les nôtres ici même, à Springdale. Dès lors que Marcel se sentira
visé, il cherchera à se défendre et à nous éliminer le plus rapidement possible. Je
veux que nous soyons prêts lorsqu’il viendra.
Un silence de plomb s’abattit par la suite dans le salon. Tout avait été dit, il ne
nous restait plus qu’à attendre demain pour nous entretenir avec les Lieutenants
et mettre en place un plan d’action. Rien que de penser au danger qu’allaient
courir mes amis, ceux que je considérais comme ma famille, mon ventre se noua
à m’en faire mal. Je plantai mon regard sur le dos de mon compagnon, debout
face à ses loups, et observai attentivement toutes les cicatrices qui marquaient sa
peau lisse. Nick avait connu plus de batailles que je n’avais de doigts pour les
compter, et il en était toujours sorti victorieux. Mais Marcel Jay White semblait
prêt à tout pour lui voler son trône et sa couronne, et il ne s’arrêterait pas tant
qu’il n’aurait pas obtenu gain de cause. Ou qu’il n’aurait pas la tête coupée.
Une chose était sûre, il était hors de question qu’il arrive quoi que ce soit à
l’un des miens, sous prétexte qu’un mégalomane avide de pouvoir désire un titre
qu’il ne méritait pas, et pour lequel il n’était pas fait. Alors avant que l’ouragan
ne nous frappe, j’allais faire en sorte de devenir plus forte et d’apprendre à
maîtriser mes dons. Ainsi, ma rage et ma détermination à protéger mes proches
deviendraient l’essence qui viendrait foutre le feu à cette rébellion et la réduire
en cendres pour de bon.


19

Le lendemain matin, je me réveillai difficilement après avoir passé l’une des


pires nuits de mon existence. Je n’avais pas beaucoup dormi, puisque j’avais
passé de longues heures accroupie devant la cuvette des toilettes, à vomir mes
tripes. Jamais je n’avais autant vomi, ni passé autant de temps dans une salle de
bain. Les signes de la grossesse me frappaient en pleine tête maintenant que le
bébé se savait annoncé, et autant dire que je n’étais pas épargnée. Dès que
j’ouvris les yeux, mon corps fut assailli par de nombreuses douleurs qui se
manifestèrent simultanément, j’avais l’impression d’être passée dans un rouleau
compresseur.
Jetant un œil à mon téléphone posé sur ma table de chevet, je constatai qu’il
était seulement 6 heures, la vidéoconférence que nous avions organisée la veille
en envoyant des mails aux Lieutenants lycans devait avoir lieu dans environ trois
heures, nous avions encore largement le temps. Me redressant sur mes coudes, je
découvris mon compagnon couché sur le ventre à mes côtés, visiblement
endormi un bras enroulé autour de ma taille. Il dormait profondément, si bien
d’ailleurs que mes gesticulations dans le lit ne le réveillèrent pas le moins du
monde, et cela malgré ses sens aiguisés.
Nick avait également passé une nuit affreuse. Et j’en étais l’unique
responsable. Au lieu de se reposer comme il en aurait eu besoin, mon mari
m’avait tenu les cheveux toutes les fois où j’avais penché ma tête au-dessus de la
cuvette pour régurgiter mon repas du soir et même plus. Il m’avait massé le
ventre lorsque les crampes m’avaient fait gémir, et m’avait aidé à me relever
quand, fatiguée, mes jambes n’étaient plus parvenues à me soulever. Résultat, le
lycan n’avait pas beaucoup dormi non plus et il n’allait pas pouvoir rattraper le
sommeil que je lui avais volé, puisque son devoir allait bientôt l’appeler. Vive la
grossesse !
Il n’était pas nécessaire de le réveiller tout de suite, il avait encore besoin de
sommeil. D’autant que j’avais des projets, projets qui m’avaient trotté dans la
tête toute la nuit ou presque, et qui nécessitaient l’absence de mon mari. Il
chercherait à m’empêcher d’aller au bout s’il savait ce que j’avais à l’esprit.
Repoussant les couvertures avec mille et une précautions, j’attrapai le bras de
l’Alpha et le retirai lentement pour m’échapper de sa prise. Nick grogna, mais ne
se réveilla pas pour autant, roulant à la place sur le côté pour me tourner le dos
en marmonnant. Je souris et me mordis la lèvre pour retenir un éclat de rire. Il
grondait même en dormant, c’était maladif chez lui.
Posant les pieds au sol, je me déplaçai sur la pointe des pieds jusqu’à la salle
de bain, à la manière d’un ninja qui chercherait à tout prix à ne pas se faire
repérer par l’ennemi. Une fois arrivée à destination, je me glissai dans le
dressing, et m’habillai en quatrième vitesse avant d’attraper mes chaussures à la
main et de sortir de la chambre. Nick était si fatigué qu’il ne remarqua rien de
mes activités, je refermai la porte derrière moi sans entendre une seule fois le
son de sa voix.
Arizona White m’avait mise en colère. Et ça, c’était un euphémisme. J’étais
en pétard, furieuse, et je voulais qu’elle sache que son séjour ici allait être
écourté, qu’elle allait bientôt devoir se trouver une autre meute à intégrer et
déguerpir de chez moi vite fait bien fait. Cette garce avait cherché à semer la
zizanie dans mon couple et m’avait fait sortir de mes gonds à de plusieurs
reprises. Bon, les hormones dues à la grossesse avaient aidé, mais elle n’en
restait pas moins en grande partie responsable de la rage qui bouillonnait encore
à l’intérieur de moi. Et je ne pouvais pas laisser passer ça.
La nièce de Marcel Jay White avait été isolée à la maison d’invité la plus
éloignée du territoire. Je voyais très bien de laquelle il s’agissait, connaissant
avec exactitude toutes les baraques qui étaient disposées çà et là sur nos terres.
Aussi, j’arpentai la forêt en silence, en short et en sweat-shirt, les cheveux en
pétard, bien décidée à mettre en garde la femme qui me causait tous ces soucis.
Cependant, un craquement de branche me stoppa dans ma course et me força à
faire demi-tour. Sombre se tenait là, derrière moi, dans un pyjama trop large pour
son corps mince d’adolescent. Il avait le sourire aux lèvres et le regard pétillant.
Je plissai les paupières.
— Ça fait longtemps que tu me suis ? le questionnai-je.
— Sais-tu que je n’ai pas besoin de dormir pour recharger mes batteries ? Pas
dans ce monde-là en tout cas, j’en ai suffisamment pour tenir des mois, alors je
me suis dit qu’au lieu de rester dans la demeure que Nick et toi avez mise à notre
disposition, à Ryan, Dovie, Nora et moi, j’allais voir ce que tu faisais seule,
dehors, à cette heure. Tu es passée devant la maison sans même t’en apercevoir.
Oh.
— Alors, qu’est-ce que tu fabriques à moitié nue dans la forêt ? me demanda-
t-il en lorgnant mes jambes de haut en bas.
— Premièrement, je ne suis pas à moitié nue, répliquai-je en tournant les
talons pour me remettre en route, deuxièmement, je vais voir Arizona White. J’ai
deux mots à lui dire.
Sombre m’emboîta le pas en sautillant gaiment comme un enfant à qui on
venait d’annoncer qu’il allait à Walt Disney.
— Chouette ! Alors tu vas enfin te décider à lui casser la gueule ?
Je fronçai le nez et fis la grimace. Même si l’envie de lui bousiller toutes ses
jolies petites dents bien droites me démangeait comme une crise d’éruption
cutanée, je ne pouvais pas aller chez elle pour simplement lui mettre mon poing
dans la figure. Dans un monde civilisé, ces méthodes de barbare ne
fonctionnaient pas, à mon plus grand désarroi. Je voulais simplement lui parler,
pour l’instant, mais il ne fallait pas qu’elle me pousse trop à bout.
— C’est pas dans mes plans, répondis-je en soupirant. Elle doit simplement
savoir qu’il vaut mieux qu’elle se tienne loin de Nick et moi durant les quelques
jours qu’il lui reste à passer ici. Que cela vaudra beaucoup mieux pour elle.
— Sinon, tu lui péteras la gueule !
Visiblement, l’idée que je tabasse Arizona White ne m’emballait pas
seulement moi. Phobétor était tout aussi excité que je l’étais sur ce coup-là. Je
n’étais pas certaine que l’adolescence lui réussisse autant que ça.
— Ouais, exactement. En revanche, je te demanderai de rester dehors lorsque
j’irai lui parler. Cette conversation doit se faire entre femmes. Tu comprends ?
Sombre hocha tristement la tête.
— Je suppose que défendre ton bout de viande doit être quelque chose de
personnel pour toi, dit-il d’un air las. Moi qui me faisais pourtant une joie de
vous voir vous crêper le chignon, deux femmes en sueur qui se donnent
sauvagement des coups en glissant sur le sol me semblait être une perspective
tellement excitante…
Je levai les yeux au ciel et secouai la tête de gauche à droite.
— Tu regardes bien trop de pornos, lui glissai-je en m’immobilisant devant la
maison en bois qui se dressait devant nous. Bon, reste là, je n’en ai pas pour
longtemps.
— Si quelque chose ne va pas, tu n’auras qu’à hurler à l’aide, j’arriverai dans
la seconde !
Encore une fois, j’esquissai un sourire en coin. Les hommes qui composaient
mon entourage étaient définitivement tous les mêmes, ils pensaient que j’étais
incapable de me défendre seule et qu’en cas de problème, je me roulerais en
boule dans un coin pour appeler au secours. C’était si mal me connaître !
Arizona m’ouvrit la porte après que j’eus porté trois coups contre le bois clair
de celle-ci. Elle avait la mine renfrognée, le regard mauvais et ne portait que peu
de vêtements sur elle. Elle m’avait apparemment entendue venir, raison pour
laquelle elle n’arborait pas son masque quotidien de gentille fille sage et
innocente. Tant mieux, je n’avais pas envie que nous tournions autour du pot.
— Tiens donc, lança-t-elle d’une voix tranchante, je te savais pitoyable, mais
de là à revenir après avoir appris que ton mâle avait accepté de loger une femelle
avec laquelle il avait déjà eu une relation sous ton propre toit, je ne t’en croyais
pas capable. Il faut vraiment avoir peu d’amour propre pour revenir la queue
entre les jambes après une telle révélation.
Son ton mauvais passa sur ma peau comme la caresse d’une éponge à récurer.
Je restai immobile, bien droite, et fis de mon mieux pour ne pas serrer les poings
ni pincer les lèvres. L’ignorance était le meilleur des mépris, et je devais lui
montrer que ses paroles acerbes ne me touchaient pas. Même si ce n’était pas
tout à fait le cas.
— Il faut vraiment avoir peu d’amour propre pour venir ramper aux pieds
d’un homme marié qui n’en a plus rien à cirer de toi, rétorquai-je en arquant un
sourcil. Ça doit faire mal de le voir t’ignorer encore aujourd’hui, alors même que
tu déploies des efforts monumentaux pour attirer son attention.
Le visage de la louve se décomposa davantage, elle retroussa sa lèvre
supérieure et me montra les crocs en guise d’avertissement. Avertissement qui
me passa au-dessus de la tête. Elle avait beau être une louve, ses techniques
d’intimidation et ses regards foudroyants ne me faisaient pas frémir pour deux
sous. Il m’en fallait encore un peu plus.
— Nick finira par se rendre compte que tu n’es qu’une imbécile, une moins
que rien, cracha-t-elle avec véhémence. Les loups-garous se lassent très
rapidement des humaines, tu n’es même pas capable d’offrir une compagne à son
loup, et avec les années, la bête finira par en souffrir et ordonner à son humain
d’aller voir ailleurs.
Je souris.
— Tu ne dois pas avoir compris le principe d’âmes-sœurs, je crois. Nick ne se
lassera jamais de moi, et quand bien même ce serait un jour le cas, il ne
retournera pas vers toi pour autant. Il a quand même meilleur goût.
La femme repoussa sa porte rageusement et sortit de la maison pour venir se
poser à seulement quelques centimètres de moi, les traits déformés par la colère.
— Tu te penses peut-être surpuissante parce que ta petite meute est là pour te
protéger, gronda-t-elle dangereusement, mais ça ne durera pas éternellement. Ils
ne seront pas toujours derrière toi pour surveiller tes arrières.
Je relevai le menton. Elle me dépassait de quelques centimètres, son corps
était plus musculeux que le mien, comme celui de tous les métamorphes, mais en
combat à un contre un, j’avais toutes mes chances. Je n’étais donc pas inquiète,
et je ne tremblais pas de peur contrairement à ce qu’elle pouvait penser de moi.
— Garde tes menaces pour toi, White, lui assénai-je en me défaisant de mon
sourire pour plaquer sur mon visage une expression impitoyable. Ça ne fait que
te coûter de l’énergie, et tu vas en avoir besoin si tu comptes t’en prendre à moi.
Je vais être claire, je ne sais pas ce que tu es venue faire ici ni quels sont tes
véritables plans, mais il est certain que ceux-ci ne sont pas alimentés par ton
envie de nous aider à faire face aux rebelles. Quelles que soient tes mauvaises
intentions, si jamais tu oses faire quoi que ce soit contre les miens, je te jure sur
l’enfant que je porte dans mon ventre que j’ouvrirai le tien pour te pendre avec
tes propres boyaux. Est-ce que c’est clair ?
Un éclair de défi traversa le regard de la louve. Elle baissa les yeux sur mon
ventre couvert par l’épais tissu du sweat que j’avais emprunté à Nick, elle étira
ses lèvres en un sourire sauvage.
— C’est ce qu’on verra, dit-elle simplement.
Cette réponse sonnait comme une menace à peine voilée, une mise en garde.
Je lui rendis son sourire, la guerre venait d’être déclarée.
Lorsque je rentrai à la maison, après avoir ramené Sombre jusqu’à celle que
nous avions mise à sa disposition, je retirai tous mes vêtements et me glissai
entre les draps pour rejoindre mon mari, qui ne s’était toujours pas réveillé.

Quand je soulevai les cils de nouveau, les rayons du soleil filtraient entre les
arbres qui faisaient le tour de la chambre et illuminaient la pièce d’une lumière
vive. Je fronçai les sourcils, et me passai une main dans les cheveux avant de
vérifier l’heure qu’il était. Mon portable m’indiqua 9 heures, la vidéoconférence
devait avoir lieu dans trente minutes, le réveil n’avait pas sonné. Eh merde !
Décidant de réveiller moi-même mon âme-sœur avant que Loki ne vienne
taper à la porte de notre chambre pour s’en charger – sachant à quel point il était
de mauvaise humeur lorsque c’était son Bêta qui venait le tirer du lit –, je baissai
les yeux sur le guerrier écossais couché sur le ventre, et lui secouai légèrement
l’épaule. Je ne me sentais jamais plus en sécurité que lorsque je me trouvais dans
notre lit, couchée contre ma moitié. Pas étonnant que je ne voulais jamais quitter
ce plumard !
— Red, l’appelai-je, je suis désolée mais il est temps de se réveiller.
L’homme marmonna, mais n’ouvrit pas les yeux pour autant. À la place, il se
colla davantage contre moi, me serrant un peu plus contre lui.
— La téléconférence est dans moins de vingt-cinq minutes Teller, insistai-je
avant de bâiller.
Ma gorge était irritée à force d’avoir passé une partie de la soirée à vomir.
J’avais la voix rauque et parler n’était pas particulièrement agréable.
— Non, gronda le loup en m’enlaçant fermement.
Je ne pus m’empêcher de sourire. Nick était un lève-tôt, généralement, mais
lorsqu’il décidait de rester au lit, ce qui arrivait rarement, bonne chance pour lui
faire entendre raison ! Le tirer des draps n’allait pas être une mince affaire.
— Les Lieutenants t’attendent dans quelques minutes sur l’écran de ton
ordinateur, murmurai-je en entrelaçant mes doigts à ses mèches cuivrées.
Ses cheveux étaient doux, agréables au toucher. J’avais envie de me pencher
pour y enfouir mon nez et humer le parfum de ses mèches emmêlées. Mais
sachant que cela ne l’aiderait pas, je m’en abstins. Les câlins matinaux seraient
pour plus tard.
— Je m’en fiche, grommela-t-il.
Bien.
— Si tu veux rester au lit, je peux tout aussi bien me présenter à ta place, et
demander à Loki de m’assister, lui proposai-je. Il saura sans aucun doute m’aider
à gérer cette réunion.
Un grognement s’éleva sous les couvertures. Nick souleva enfin les cils et
braqua ses iris argentés sur moi. Son regard était vif, bien loin de celui que
j’arborais quand je me réveillais. Il semblait déjà sur ses gardes, à l’affût, alors
même qu’il venait seulement de s’éveiller.
— Pas question, répondit-il en se redressant, je ne vais pas laisser ma femelle
enceinte endosser mes responsabilités. Quel genre de compagnon je serais,
franchement ?
— Un compagnon qui a aidé sa femelle enceinte à surmonter ses
vomissements toute la nuit durant, répliquai-je en souriant.
Il secoua la tête de gauche à droite, et ébouriffa ses cheveux en se retournant
pour s’asseoir et appuyer son dos contre la tête de lit en bois sculpté. Il se passa
une main sur le visage, et garda quelques instants le silence avant de m’attirer à
lui.
— Prendre soin de toi, c’est mon devoir, dit-il en embrassant, comme chaque
matin, la marque de Revendication dans le creux de mon cou. T’aider à traverser
les aléas de la grossesse fait partie de mon rôle de mari et d’âme-sœur. D’autant
que je le fais avec plaisir. Je suis si heureux de savoir la vie grandir en toi, que
cela vaut toutes les nuits blanches qui m’attendent.
Je souris et répondis au baiser qu’il déposa sur mes lèvres.
— Prendre soin de toi, c’est également mon devoir, affirmai-je quand il me
relâcha, et je sais à quel point tu es de mauvais poil quand tu n’as pas tes cinq
heures de sommeil réglementaires.
Il haussa une épaule, et repoussa les couvertures pour se lever.
— Affronter cette journée en sachant que tu la passeras à mes côtés saura
apaiser mon irritation si elle se manifeste, dit-il en dressant sur ses jambes.
Nu comme un vers, Nick me laissa admirer son large dos aux muscles
puissants ainsi que son fessier d’acier. Une violente envie de lui mordre le
derrière me fit presque sauter du lit, je dus me retenir pour ne pas le faire et
m’accrocher sévèrement aux draps. J’étais étonnée par mes propres désirs
bestiaux. Si cela continuait, avant d’arriver à terme, je serais devenue une bête
sauvage et mon compagnon serait couvert de morsures ! Même si quelque chose
me disait que cela ne déplairait pas à Nick d’être griffé et mordu. Les loups-
garous étaient des êtres étranges.
— Nous allons devoir préparer la riposte avec les Lieutenants aujourd’hui,
continua-t-il après s’être étiré comme un chat. Nous allons sans doute envoyer
des hommes investir les territoires des Alphas qui ont accordé leur allégeance à
Marcel.
— Quand arrivent nos alliés ? lui demandai-je en me levant à mon tour pour
le rejoindre dans la salle de bain.
La veille, Nick, Loki et Daryl avaient envoyé des mails et avaient passé des
coups de fil à tout nos alliés pour les prévenir de l’attaque imminente de White.
Chacun avait répondu présent pour nous apporter son soutien. Il avait donc été
décidé que plusieurs de nos associés nous rejoindraient ici, à Springdale, afin
d’être sur place lorsque Marcel déciderait d’attaquer. Je savais que certains
membres de la Meute du Sud, ainsi que de la Meute Sirius devaient débarquer en
fin de journée. J’étais heureuse de revoir Mark, Benny, un peu moins.
— Plusieurs arrivent ce soir même, d’autres ne seront là que demain matin,
m’apprit-il en faisant couler l’eau de la douche. Ainsi, nous serons prêts pour
l’arrivée de Marcel et des loups seront assez fous pour le suivre.
J’appuyai mon épaule contre l’alcôve qui séparait la chambre de la salle de
bain et me mordis la lèvre inférieure, pensive. Je ne devais pas me laisser gagner
par l’inquiétude ni par le stress, Dovie avait dit que c’était mauvais pour le bébé.
Très mauvais. D’autant que je n’avais pas à m’en faire, on disait de Nick qu’il
était le loup le plus impitoyable et le plus puissant d’Amérique. Je l’avais déjà
vu se battre pendant les entraînements et il ne faisait jamais de cadeau, pas
même à ses lycans. Quant aux membres de la meute, ils étaient tout aussi forts,
implacables et compétents. Ce ne serait pas la première bataille à laquelle ils
participeraient, et je n’avais pas à m’en faire pour eux. De plus, je serais là pour
les aider à affronter nos ennemis, il n’y avait pas de souci à se faire.
Déboulant dans ma direction en deux enjambées seulement, Nick posa ses
grandes paumes sur mes épaules et m’aida à me calmer en diffusant une chaleur
agréable sur ma peau. Il caressa mes bras tendrement jusqu’à ce que ses mains
rencontrent les miennes.
— Tu rumines trop Evans. Tout va bien se passer, et Marcel va regretter le
jour où il est venu au monde dès lors qu’il mettra un pied ici. Il ne te fera pas de
mal à toi ni au bébé.
Je secouai la tête de gauche à droite.
— Je ne me fais pas de souci pour nous Nick, mais pour vous tous, pour toi,
pour nos amis. Je n’ai pas envie qu’il vous arrive du mal. Et je vais tout faire
pour m’assurer que ce ne soit pas le cas.
Un éclair de désapprobation traversa le regard brumeux de mon mari, qui
fronça les sourcils.
— Il n’est pas question que tu prennes part à la bataille Poppy. trancha-t-il,
catégorique.
Sur la défensive, je croisai mes bras contre ma poitrine, et affrontai son regard
décidé. L’eau de la douche coulait dans le vide en arrière-plan.
— Je m’attendais à ce que tu me sortes un truc comme ça, lâchai-je, mais
contrairement à ce que tu penses, je n’ai pas l’intention de rester cachée pendant
que vous défendez notre territoire. Je suis humaine, pas en sucre.
— Et tu es aussi enceinte.
— Porter un enfant ne doit pas faire de moi une assistée, d’accord ? m’agaçai-
je. J’ai bien l’intention de continuer à faire tout ce que je faisais jusqu’à
maintenant, à savoir chasser, modérément mais chasser tout de même, travailler
au Teddy’s, et défendre les miens si nécessaire. Pigé ?
La mâchoire contractée, Nick inspira profondément, les narines légèrement
dilatées, et releva le menton. Il avait les poings serrés et les muscles tendus.
Cependant, alors que je pensais qu’il allait se mettre à grogner et à me crier
dessus pour plaider sa cause, le roux recula d’un pas et pencha la tête sur le côté.
— Bien, répondit-il les dents serrées, nous en reparlerons plus tard.
Je souris, sachant pertinemment qu’il n’avait pas l’intention d’en rester là, et
lui tapotai les pectoraux d’une main avant de le contourner pour rejoindre la
douche.
— Inutile d’en reparler plus tard, c’est tout décidé, pouffai-je en me glissant
sous le jet d’eau chaude. Je vais apprendre à contrôler mes dons, botter le cul de
Marcel et de sa nièce si nécessaire, et manger un bon petit-déjeuner. Mais peut-
être pas dans cet ordre.

Lorsque nous descendîmes après nous être douchés, habillés, et avoir fait
notre lit, nous découvrîmes Dovie, Sombre, qui avait troqué son pyjama pour des
vêtements qui n’étaient visiblement pas à lui, Ryan et Nora en pleine discussion
avec les Gammas qui n’avaient pas quitté la table du petit-déjeuner. Alexeï, Seth
et Sam bavassaient avec nos invités qui avaient dormi sur notre territoire la
veille au soir, dans une maison vide que nous avions mise à leur disposition pour
l’occasion. Nick n’avait pas eu à cœur d’accueillir Ryan et Sombre chez lui, et je
n’avais pas voulu le forcer à accepter mes amis pour me venger de lui après
l’hospitalité qu’il avait offerte à Arizona. De ce fait, nous avions installé nos
hôtes dans une les villas les plus proches de la nôtre afin qu’ils y passent la nuit.
— J’arrive toujours pas à croire que les dieux existent vraiment ! s’exclama
Seth, admiratif alors que nous arrivions dans leur direction. C’est fou !
— Mes frères ont à cœur de ne pas se mélanger aux humains, expliqua
Phobétor en engloutissant une assiette d’œufs brouillés et de bacon. Nous avons
notre monde et les mortels ont le leur. Mais je trouve l’Olympe particulièrement
ennuyeux si vous voulez mon avis ! La Terre est un endroit plein de mystères, je
trouve.
— Moi, j’aimerais bien connaître l’Olympe ! répliqua Dovie dont les cheveux
noir bleuté étaient en pétard.
— Ce n’est pas si amusant qu’on pourrait le croire, sembla déplorer Sombre
en braquant ses iris dorés sur Nick, qui se raidit à mes côtés sitôt qu’il le vit.
J’entrelaçai mes doigts aux siens pour l’aider à se détendre et souris lorsque la
petite assemblée nous accorda toute son attention.
— Salut vous deux ! nous salua Sammy en passant son bras par-dessus le
dossier de sa chaise. Vous avez passé une bonne nuit ?
Je grommelai en guise de réponse. Nous nous immobilisâmes devant la table
de la salle en manger, sans nous y asseoir. La réunion devait avoir lieu dans
moins d’une minute.
— Le bébé semble particulièrement content de se savoir annoncé, répondit
Nick en serrant ma main dans la sienne, et désormais, il ne cherche plus à cacher
sa présence.
— J’ai vomi toute la nuit, traduis-je en soupirant, impossible de dormir.
Alexeï fronça les sourcils.
— Je ne peux rien faire pour calmer les vomissements dus à une grossesse, je
suis désolé.
Je lui pressai affectueusement l’épaule.
— Ne t’excuse pas, voyons. J’ai voulu ce bébé, du plus profond de mon cœur,
alors si avoir mal aux seins, aux reins, faire pipi toutes les deux minutes et vomir
mes tripes sont le prix à payer pour l’avoir, je veux bien en passer par là.
J’étais prête à tout pour avoir cet enfant. Je l’aimais déjà tellement ! Et
l’amour que je lui portais valait tous les maux de ventre, et toutes les douleurs
que je pouvais ressentir.
— Où sont tous les autres ? demandai-je finalement en constatant que les
assiettes étaient encore sur la table pour la plupart, mais que seuls Seth, Alex et
Sam tenaient compagnie à nos invités.
— Nous avons déjeuné tous ensemble, commença Sam, Leah nous a interdit
de venir vous réveiller, alors on vous a laissé dormir. Aiden s’est mis à son poste
au portail, Bram et Daryl font des rondes sur tout le territoire pour s’assurer que
le grillage n’est pas troué et qu’ils ne détectent pas d’odeur étrange ou inconnue.
Logan se passe toutes les bandes des caméras de surveillance en revue, y
compris celles de la maison quand vous étiez absents et qu’Arizona s’y trouvait
seule. D’ailleurs, elle n’est pas venue au petit-déjeuner.
Bien. Visiblement, ma mise en garde avait porté ses fruits. Elle avait compris
qu’elle n’était plus la bienvenue et que de ce fait je n’avais pas envie de la voir
mettre un pied chez moi. D’ailleurs, nous allions bientôt devoir discuter de son
départ prochain. Plus vite elle serait partie, et mieux je me sentirais.
— Il ne faut pas la laisser se promener sur le territoire tant que nous ne
connaissons pas ses réelles motivations, dis-je gravement.
— Walter est en faction devant sa maison, répliqua Alexeï, lui et Sam se
relayeront jusqu’à ce qu’elle quitte les lieux. Et les lignes téléphoniques de la
maison où elle est installée ont été mises sur écoute par Logan. Loki est en haut,
dans ton bureau, il t’attend pour la réunion.
Nick hocha la tête, satisfait de l’efficacité de ses hommes.
— Parfait, Poppy et moi allons monter pour y assister.
— Ryan et moi nous rendons chez Al ce matin, lança Dovie. Je le dépose et
ensuite je file au Teddy’s. Arlene va me faire la peau si je loupe un jour de
boulot supplémentaire.
J’acquiesçai. S’il y avait bien quelqu’un qui connaissait le mauvais caractère
de notre patronne, c’était bien moi ! Je les avais toujours aimés, elle et son
caractère de cochon !
— Tu as raison, mieux vaut ne pas la foutre en pétard, elle débarquerait chez
Al avec un fusil pour nous forcer à tenir le bar !
La métamorphe gloussa ; elle savait pertinemment que je disais vrai.
— J’aimerais assister à la réunion avec les Lieutenants lycans, demanda
soudain Sombre, qui portait des fringues appartenant à Ryan.
Nick gronda, visiblement irrité par cette intervention.
— Ça ne te regarde pas, maugréa-t-il sèchement. Tu n’es ni ma femme ni mon
Bêta, alors tu n’as rien à faire dans une réunion entre lycanthropes.
Sombre accusa le coup sans se défaire de son sourire. Il arqua un sourcil.
— Je pense, au contraire, que je pourrais t’être utile, répliqua le brun, et que
ma présence pourrait t’être bénéfique.
— Et en quoi pourrait-elle m’être bénéfique ? rétorqua le lycan, sceptique.
— Oh, eh bien je pensais que grâce à ma capacité à me téléporter, je pourrais
plus facilement que les loups des Lieutenants me rendre sur les territoires des
Alphas ayant prêté allégeance à Marcel Jay White. Mes dons de divin pourront
sans doute servir ta société, et mis à profit, ils me permettront de neutraliser
rapidement et efficacement les ennemis de ma douce.
L’Alpha poussa un grognement menaçant et montra les dents rageusement.
— Ce n’est pas ta douce, pesta-t-il, c’est la mienne. Et si tu veux continuer à
aider Poppy, mieux vaut ne plus l’appeler ainsi à l’avenir.
Je levai les yeux au ciel alors que Sombre se mettait à glousser. Il trouvait
apparemment la possessivité du lycan particulièrement cocasse.
— Je continuerai à appeler Poppy comme il me plaît, rit-il en se levant de sa
chaise, tout comme j’ai bien l’intention de l’aider à régler ses affaires. Et comme
les siennes sont aussi les tiennes, ça fait d’une pierre deux coups.
Nick serra ma main dans la sienne si fort qu’il me fit grincer des dents. Je
baissai les yeux sur nos doigts entrelacés et étudiai ses phalanges blanchies.
Sombre lui tapait sur le système, à lui comme à son loup et au vu de sa mine
crispée et des éclairs qui fusaient de ses yeux pour se diriger vers mon ami, je
compris que ces deux-là n’allaient sans doute pas devenir de grands amis. Nick
le voyait comme une sorte de rival, un adversaire, et nous savions tous que les
lycanthropes réagissaient mal à la présence d’un autre mâle dans leur terrier.
J’aurais tellement aimé qu’ils s’entendent bien…
— Bon alors, lança Sombre en réajustant le jean qui lui tombait sur les
hanches, on y va à cette vidéoconférence ?
Nous fûmes en ligne avec les trois Lieutenants en activité dans les alentours
de 9 h 40. Nous avions dix minutes de retard, mais cela ne sembla pas déranger
Dorofeï Nabatov, Einar Nielsen et Wayde Sharp qui, derrière leurs écrans, nous
saluèrent d’un hochement de tête. Nick et Loki, qui se trouvait debout derrière
lui, y répondirent. Je les imitai en souriant.
— Vous avez une petite mine les enfants ! s’exclama Dorofeï, le Lieutenant
du Nord, de sa grosse voix à l’accent russe particulièrement prononcé.
L’Écossais sourit de toutes ses dents et posa une main sur ma cuisse. Loki
avait installé l’un des fauteuils qui trônaient en face du bureau à côté du siège de
son Alpha pour que je m’y asseye. La proximité de nos deux corps apaisait Nick
et lui faisait oublier la présence de Sombre, affalé sur le canapé en cuir un peu
plus loin.
— Nous n’avons pas beaucoup dormi, expliqua le rouquin.
Dorofeï se mit à rire.
— Je te savais fougueux Nikolas, mais il va falloir que tu laisses ta compagne
se reposer un peu ! Une petite chose aussi fragile a besoin de sommeil.
Je haussai les sourcils alors que le Bêta esquissait un sourire en coin. Le
Lieutenant pensait visiblement que Nick et moi avions batifolé sous les draps et
que c’était pour cette raison que nous avions des tronches de déterrés. Ça aurait
pu, mais pour une fois, ce n’était pas le sexe qui nous avait maintenus éveillés.
Mais nous nous gardâmes de démentir ses propos, nous avions décidé de ne pas
ébruiter l’arrivée du bébé tant que l’affaire avec Marcel ne serait pas réglée.
— Je ne suis pas fragile Dorofeï, je t’assure, répondis-je en souriant.
D’ailleurs, je compte bien vous le prouver en vous aidant à affronter White et ses
alliés quand ils se pointeront ici.
Teller grommela en me jetant un coup d’œil en coin. Wayde, le nouveau
Lieutenant de l’Ouest, fit de même.
— Vous avez de nouvelles infos sur Marcel ? nous questionna-t-il. Vous savez
quand il compte attaquer ?
— C’est imminent, affirma Nick, mais nous serons prêts le moment venu. Le
plus important maintenant est de neutraliser ses alliés pour tenter d’apaiser la
colère qu’ils diffusent auprès de nos congénères. Les autres communautés
s’impatientent et craignent pour l’anonymat de leurs sociétés.
— Assurer le calme est plus facile à dire qu’à faire, soupira Einar, le
Lieutenant de l’Est. Nous n’avons pas pu trouver les grosses têtes de la rébellion,
et dès que nous nous en approchons de trop près, ils fuient pour trouver de
nouveaux refuges où nous ne les débusquerons pas.
— Il se pourrait que j’aie de quoi remédier à ce problème, répliqua mon
compagnon. Grâce à l’aide d’un nouvel allié de la communauté, et de ma
compagne, il nous a été possible de mettre la main sur une liste de noms et
d’adresses. Sur cette liste figurent les noms de toutes les meutes s’étant ralliées à
la cause de White, ainsi que les planques où nous pouvons les trouver. En tout et
pour tout, six meutes ont prêté allégeance à Marcel, ça nous fait cent cinquante
loups à arrêter.
Les Lieutenants froncèrent les sourcils, et se tournèrent vers moi derrière leurs
caméras. Je me redressai et affrontai leurs regards perplexes sans me détourner.
— Comment as-tu pu obtenir cette liste ? m’interrogea Wayde Sharp, le
visage fermé.
Je m’humectai les lèvres et jetai un coup d’œil à Sombre qui écoutait tout ce
qui se disait à l’abri des caméras. Je ne pouvais pas expliquer aux Lieutenants
qu’un dieu m’avait filé un coup de main, ni que j’avais désormais des dons qui
se rapprochaient des siens. Ni que nous avions endormi des loups-garous et que
nous avions demandé au roi des vampires de les planquer le temps que nous
réglions le compte de Marcel. Ça, c’était exclu. Alors comment expliquer la
liste ?
Réfléchis Poppy, réfléchis…
— Ne jamais sous-estimer une chasseuse qui cherche à protéger les siens,
déclara soudain mon âme-sœur, venant à ma rescousse. Croyez-moi, il n’a pas
meilleure investigatrice que ma femelle, et j’en suis très fier.
Je soupirai discrètement, soulagée.
— Oui, Poppy est tenace quand elle mène une enquête, renchérit Loki. Une
vraie tigresse.
Nos interlocuteurs se redressèrent sur leurs sièges, mais n’insistèrent pas
davantage. Dans le fond, savoir comment j’avais obtenu ces noms n’était pas très
important. Seul ce que nous allions en faire comptait désormais.
— Qu’attends-tu de nous ? s’enquit Dorofeï, attentif.
Nick inspira profondément.
— Nous allons devoir investir les territoires de ses Alphas, annonça-t-il, et
arrêter les rebelles. Nous ne pouvons plus tolérer la haine qu’ils propagent au
cœur de notre société. Le but de ces hommes n’est pas plus l’égalité avec les
humains que la liberté de notre race. Ce qu’ils veulent, c’est dominer, détruire, et
asseoir leur suprématie en installant Marcel sur le trône lycan. Il n’est pas
question que cela arrive.
— Nous allons vous envoyer par mail les noms des rebelles qui se trouvent
dans vos zones respectives, reprit Loki. Il va falloir envoyer tous les agents
garous dont vous disposez pour les attaquer. Nous allons mettre des hommes à
votre disposition afin d’aider vos loups à les neutraliser.
Wayde renifla.
— Je n’ai pas besoin qu’on m’envoie des agents lycans, trancha-t-il. Ma
meute comporte trente-sept loups, et chacun de mes Gammas est une bête de
combat. Nous n’aurons pas de mal à affronter nos ennemis.
— De notre côté, continuai-je, nous allons également nous charger des
rebelles installés dans le Sud. Cette zone est pour le moment sous le contrôle de
la Meute du Soleil, sachant qu’aucun Lieutenant du Sud n’a encore été choisi.
Trois meutes en tout se trouvent dans les environs, nous nous chargerons d’eux.
Ou plutôt, Sombre va s’en charger…
Effectivement, le dieu des cauchemars avait proposé de mettre à notre
disposition ses pouvoirs divins. Il nous avait dit pouvoir se téléporter et se
charger seul des loups qui s’opposaient à nous. Mais s’il devait se charger seul
des six meutes, cela lui prendrait au moins trois jours, et ça lui coûterait sans
doute plus d’énergie qu’il ne pouvait en dépenser. Le corps de l’adolescent qu’il
avait choisi n’était pas fait pour accueillir si longtemps une essence divine en
son sein. Le véhicule allait bientôt se détériorer et s’éteindre si Sombre ne
trouvait pas une autre enveloppe corporelle, ou s’il dépensait trop d’énergie.
Étant donné qu’il était inacceptable que Marshall, pour le moment profondément
endormi alors que Sombre contrôlait son corps, meure, Phobétor devait faire
attention à ses actions. De ce fait, les Lieutenants allaient devoir nous aider un
peu et se relever les manches.
Heureusement, les loups-garous ne refusaient jamais un combat, et les Alphas
qui nous faisaient face avaient l’air emballés à l’idée de se faire les griffes sur les
contestataires qui pourrissaient la tranquillité de leur communauté.
— Compte sur nous Nick, acquiesça Einar. L’Est se chargera des ennemis de
sa patrie.
Dorofeï hocha également la tête. Les trois Lieutenants nous offrirent leur
soutien sans faille avec conviction et dévotion.
— Nous allons vous envoyer les…
À ce moment-là, la porte du bureau s’ouvrit dans un grand fracas. Nous
relevâmes brusquement la tête, et regardâmes, effarés, l’irruption de Logan, qui
avait l’air paniqué. Personne n’osait jamais entrer ici sans frapper et sans avoir
l’accord de Nick pour franchir le seuil de la porte. Il n’était pas dans les
habitudes des lycans de la Meute du Soleil de se montrer si brusques.
— Logan, qu’est-ce qui te prend ? lança Nick en fronçant les sourcils.
L’Alpha observa son ami avec inquiétude. L’informaticien avait l’air
complètement affolé, ses lunettes étaient de travers et ses cheveux roses étaient
en pétard. Il avait couru, sa poitrine se soulevait rapidement alors que ses yeux
écarquillés se posaient sur Nick, Loki et moi tour à tour.
— Est-ce que tout va bien ? lui demandai-je en me levant de mon fauteuil,
soucieuse. Il est arrivé quelque chose à Leah ou a Hunter ?
Le tatoué secoua la tête de gauche à droite. Je posai une main sur ma poitrine,
rassurée.
— Non, mais on a problème, dit-il gravement. Un très gros problème.

20

La vidéo mettait en scène un jeune homme entouré par une dizaine de


personnes. Il était cerné de toute part, assailli par des hommes masqués, bien
plus grands et massifs que lui. Il tremblait, signe qu’il avait peur et cherchait à
échapper à ses bourreaux, ceux-là mêmes qui l’aspergeaient d’eau et le piquaient
avec un aiguillon électrique. L’adolescent, car il était on ne peut plus évident au
vu de son corps mince et de ses traits juvéniles qu’il en était un, criait en
recevant des décharges électriques habituellement réservées au bétail. Il suppliait
qu’on le laisse s’en aller, mais personne ne semblait vouloir l’écouter.
Cette scène de lynchage, de torture barbare dura pendant deux ou trois
minutes interminables. Le jeune homme était bousculé, malmené. Des larmes de
douleur et de rage coulaient sur ses joues, et la caméra tournait autour de lui sans
rien louper de son expression d’horreur. Puis, alors qu’on lui jetait dessus un
nouveau verre d’eau dans le but de l’électrocuter, ses iris changèrent pour
devenir ceux d’un loup. Le garçon gronda, sa cage thoracique se mit à se
soulever avec acharnement au rythme de sa respiration rapide. Les hommes qui
l’encerclaient reculèrent légèrement pour laisser le soin à celui qui filmait de ne
rien manquer de ce qui allait se passer. Puis, épuisée par la lutte, la victime laissa
sa place à l’animal qui sommeillait en lui en un concert de craquements d’os. Un
immense loup brun prit la place de l’ado, et sauta sur ses assaillants. La vidéo se
coupa à ce moment-là.
Je n’avais pas tout à fait compris pourquoi Logan s’était montré si paniqué
lorsqu’il nous avait fait sortir du bureau pour nous prévenir qu’une vidéo avait
été tournée, où un loup-garou se transformait après avoir été titillé. Mais je
comprenais mieux maintenant, parce que le problème n’était pas que cette vidéo
existait. Le truc, c’était qu’elle passait en boucle sur toutes les chaînes de télé.
Bordel de merde.
— Comment est-ce que cette vidéo a pu se retrouver dans les médias
télévisés ? gronda Daryl, les yeux rivés sur l’écran plat du salon.
Inquiète, je me tournai vers Nick qui restait immobile, les bras croisés contre
son torse, le regard braqué sur la vidéo qui défilait en boucle aux informations. Il
avait l’air soucieux, animé par maintes réflexions profondes qui paraissaient le
déchirer intérieurement. Je ne savais pas quoi dire ni quoi faire pour le rassurer.
Ça ne devait pas être si grave, si ? Les gens n’allaient pas forcément prendre au
sérieux cette vidéo, même si elle était vraie. Après tout, les gros titres
scandaient : « Canular ou révélation du siècle ? »
— Ils vont faire expertiser la vidéo, lança Logan, une main posée sur la cuisse
de sa compagne tendue. Ils vont savoir qu’elle est vraie et que les loups-garous
existent.
— Ce sont probablement des hommes de Marcel, supputa Walter en écoutant
d’une oreille la présentatrice télé.
Apparemment, la vidéo avait été envoyée aux médias ce matin même, à la
première heure. Rapidement, elle avait fait le buzz. Twitter, Facebook, tous les
réseaux sociaux ne parlaient que de ça. La vidéo tournait sans discontinuer sur
internet, partagée par tous.
— Ce que veut Marcel, déclara Alex, c’est que la vérité sur les loups et les
métamorphes éclate au grand jour. Il veut que les créatures asseyent leur pouvoir
sur les humains, il a dû trouver le moyen d’ouvrir la brèche.
— En poussant à bout l’un des vôtres ? répliquai-je.
Bram se tourna vers moi.
— Tu sais, White est prêt à tout pour arriver à ses fins. Et regarde les hommes
qui entourent le gamin : tous des armoires à glace, masqués, anonymes. Les
humains ne sont pas aussi grands ni aussi bien bâtis.
Je me mordis l’intérieur de la joue et sursautai quand le téléphone de Nick
sonna une énième fois dans la poche de son jean. L’apparition de cette vidéo
allait provoquer un ras de marée. Plusieurs de ses alliés et de ses collaborateurs
cherchaient déjà à le joindre.
— Mon téléphone n’arrête pas de vibrer, grogna Loki, tout le monde s’attend
à une déclaration de ta part, Nick.
Le roux ne répondit pas. Je posai ma main sur son biceps et tentai d’attirer
son attention.
— Red, est-ce que ça va ? m’enquis-je, préoccupée par son mutisme.
Les muscles sous mes doigts étaient aussi durs que du béton armé. Tout son
corps était crispé, raide comme un arc.
— Il faut que je trouve le moyen d’arranger ça, répondit-il, sinon nous devons
nous attendre à une guerre de la part des autres créatures primaires qui
chercheront à supprimer les lycans qui menacent leur existence.
Je fronçai les sourcils et regardai une dernière fois la télévision. Puis je me
penchai en avant pour saisir la télécommande sur la table basse et éteindre
l’écran plat. Un silence de plomb s’abattit sur le salon où nous étions tous réunis
sans exception. Cette fois, même le portail fut laissé sans surveillance pour nous
permettre de traverser cette crise majeure ensemble.
— Si l’existence des loups venait à éclater au grand jour, ce serait la guerre
civile, continua Nick d’un ton grave.
Je m’installai en tailleur sur le canapé, et triturai nerveusement mon tee-shirt.
— Est-ce que ce serait si grave si les gens venaient à apprendre l’existence
des loups ? me risquai-je. Je veux dire, je sais que les créatures sont très
attachées à leur anonymat, mais… il est peut-être temps que les choses
changent ?
Nick se tourna vers moi et fronça les sourcils.
— Que les choses changent ? Tu sais ce que ça voudrait dire, Poppy, pour
notre espèce ? Les humains nous mépriseraient et nous verraient comme des
monstres ! Ils chercheront à comprendre ce qui cloche chez nous selon eux, et
feront probablement des expériences sur les nôtres !
— Pas si tu veilles à ce que ça n’arrive pas ! plaidai-je en plongeant mes yeux
dans les siens. Les loups-garous, les métamorphes, les sorcières, les fées et
toutes les autres créatures surnaturelles n’ont pas à se cacher de peur d’être
traitées différemment des autres êtres vivants. Ce sera sans doute difficile au
début, mais les humains finiront par se faire à l’idée qu’ils ne sont pas la race la
plus évoluée qui vit sur la Terre.
— Ce serait de la folie, soupira Nick en se levant pour se mettre à faire les
cent pas dans le salon. Les humains ne sont pas prêts.
— Alors peut-être qu’ils ont besoin d’être bousculés, répliquai-je en le suivant
des yeux. Ce qui est différent effraie toujours les Hommes, mais je crois que la
bataille en vaut la peine. Tu imagines un monde où les loups ne seraient pas
obligés de se cacher pour courir sous leur forme lupine ? Où vous ne seriez pas
obligés de faire appel à des sorcières ou des fées pour vous soigner quand vous
vous sentez mal ? Où vous auriez des droits, où vous seriez reconnus ?
— Les loups-garous ne veulent pas ça, ni les créatures surnaturelles d’ailleurs,
affirma l’Alpha.
J’arquai un sourcil et échangeai un coup d’œil avec Loki. Le Bêta soutint mon
regard quelques instants, et soupira longuement avant de se détourner pour offrir
toute son attention à Nick.
— Je n’en suis pas si sûr, Nick, intervint-il. Cela fait plusieurs années
maintenant que les loups expriment leur désir d’être reconnus par la société,
d’avoir un statut, une légitimité. Dick Larson lui-même t’a dit, lors d’une des
nombreuses réunions organisées pour débattre du sujet, que les métamorphes
aussi souhaitaient en finir avec l’anonymat.
Étonnée d’apprendre que le dirigeant de la communauté métamorphe n’était
pas contre la sortie de l’obscurité des membres de sa société, je haussai les
sourcils et cherchai le regard de mon compagnon. Quand il se tourna vers moi, je
vis à travers ses yeux gris le combat intérieur auquel il était confronté.
Prendre une décision pareille, choisir de rester dans l’ombre ou de sortir au
grand jour n’était pas une mince affaire ; c’était l’avenir de sa race qui était en
jeu. S’il choisissait de révéler la vérité aux humains, il allait devoir s’entretenir
au préalable avec les dirigeants lycans de tous les pays du monde qui
accueillaient des loups-garous, ainsi qu’avec les dirigeants des créatures
primaires avec qui il partageait le pouvoir de la société surnaturelle d’Amérique.
— Je ne sais pas quoi vous dire, souffla le highlander, visiblement perdu.
Cette vidéo risque de foutre en l’air tout ce que nos ancêtres se sont efforcés de
protéger. Marcel, s’il s’agit bien de lui, menace l’équilibre de notre monde tout
entier. Et je vais maintenant devoir aller m’entretenir avec les dirigeants des
autres sociétés, ils doivent sans doute être complètement paniqués.
Avant de le laisser s’en aller, je sautai hors du canapé et me dirigeai vers lui. Il
tendit ses grands bras vers moi, je me hissai sur la pointe des pieds et me lovai
contre lui sans attendre. Je sentais à travers notre lien son besoin de soutien, et
évidemment, je lui offrais le mien les yeux fermés. Quoi que dût affronter la
société lycane, et le monde surnaturel, j’aiderais Nick à se sortir de cette
situation difficile. Nous étions un couple, et ensemble nous étions plus forts.
Nous étions invincibles.
— Je t’aime Red, murmurai-je en collant mon front contre le sien.
— Je t’aime Poppy, répondit-il en caressant ma joue tendrement.
— On va s’en sortir, tu verras, lui promis-je. Et finalement, peut-être que
quelque chose de beau résultera de tout ça.
Nick pressa ses lèvres contre les miennes tendrement avant de se détacher de
moi, il inspira un grand coup et se redressa.
— Je l’espère.
Là-dessus, le chef de meute échangea un regard avec son Bêta, qui se leva
immédiatement. Les deux hommes rejoignirent le bureau d’un pas décidé. Les
autres membres de la meute restèrent plusieurs secondes immobiles, sans parler,
puis Daryl se leva et soupira.
— Allez les gars, on a du boulot. Nos alliés débarquent ce soir et il faut
encore que nous terminions la vérification du territoire.
— Je vais essayer d’en apprendre plus sur la vidéo qui a été envoyée aux
médias, déclara Logan. Je vais passer un coup de téléphone à Rocky pour qu’il
me file un coup de main. Ensemble, nous réussirons peut-être à remonter jusqu’à
la source.
Je hochai la tête. C’était une bonne idée. Deux génies informatiques comme
Rocky et Logan ne pouvaient faire qu’une équipe incroyablement efficace.
— Je vais vous aider à vérifier votre territoire, lança Nora en se levant d’un
bond. Je ne peux pas rester ici, inactive, après avoir vu la vidéo.
Bram l’étudia attentivement des pieds à la tête ; la rouquine paraissait
l’intriguer.
— Tu n’as qu’à me suivre, lui proposa-t-il, nous avons encore une partie du
terrain à vérifier.
L’agent lycan acquiesça. Rapidement, le salon se vida. Quand la porte se
referma sur Sam, le dernier à être resté avec moi, je soupirai et me tournai vers
Sombre. Le dieu allait bientôt prendre le large pour se rendre sur les territoires
de nos ennemis installés dans le sud des États-Unis.
— Le stress, c’est très mauvais pour le bébé, dit-il en se dressant sur ses
jambes fines.
Je fronçai les sourcils et me passai une main sur le visage. Difficile de rester
calme quand une chose pareille nous tombait sur la tête. Le stress était
inévitable.
— Je sais, mais je ne peux pas m’en empêcher.
— Tu transpires la fatigue, ma douce. Tu devrais te reposer un peu. Si j’ai
bien compris, la soirée s’annonce mouvementée avec l’arrivée des meutes
alliées.
— Je suis exténuée, reconnus-je, mais je n’arriverai pas à me reposer tant que
Nick ne sera pas redescendu.
— Essaye tout de même, me demanda-t-il en posant ses mains sur mes
épaules. Tes ennemis sont entre mes mains.
Je souris, du moins, je tentai de le faire.
— Je vais devoir y aller maintenant, dit-il. Ne te fais pas trop de souci.
Comme tu l’as dit toi-même, tout va finir par s’arranger. Je vais y veiller.

Je ne savais pas trop comment j’étais parvenue à m’endormir, mais après
avoir passé plusieurs heures à attendre Nick sur le canapé du salon, j’avais fini
par m’assoupir. Je me réveillai bien plus tard pour me rendre compte que la nuit
était tombée, et que mon compagnon était sorti de son antre. Je le découvris en
relevant la tête, il me caressait les cheveux doucement et m’avait positionnée de
manière à ce que ses cuisses me servent d’oreiller. Je me redressai aussitôt.
— Comment ça s’est passé ? m’enquis-je immédiatement en plongeant mes
pupilles dans les siennes.
Ma vision était trouble, la faute au sommeil duquel je venais de m’arracher,
mais je n’eus néanmoins aucun mal à percevoir la fatigue sur le visage de mon
mari. Il avait des cernes sous les yeux, une ligne soucieuse barrait son front et
ses traits étaient tirés. Je ne pus m’empêcher de lever une main pour lui caresser
la mâchoire.
— Pas aussi mal que je l’aurais cru, me rassura-t-il en m’aidant à m’installer
plus confortablement. Les dirigeants étaient tous plus ou moins inquiets que la
vidéo soit prise au sérieux et que cela marque la fin d’une époque. Mais
bizarrement, j’ai senti chez eux une forme de soulagement. Je pense que quelque
part, tu avais raison, l’anonymat pèse sur les communautés surnaturelles et la
nouvelle génération que nous représentons a sans doute besoin de changement.
Nick passa un bras autour de mes épaules et glissa son autre main sous mon
tee-shirt pour caresser mon ventre. Nous restâmes ainsi quelques instants, en
silence, dans les bras l’un de l’autre. Le salon était silencieux, et seule la lumière
douce du lampadaire près de la télévision éclairait la pièce. J’aimais ces
moments intimes que nous étions les seuls à partager. Il n’y avait que nous et les
caresses que nous pouvions nous offrir. C’était agréable.
— Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ? lui demandai-je finalement.
Il soupira.
— Nous allons attendre de voir les réactions de la population concernant la
vidéo, voir si elle est prise au sérieux et si oui, ce qu’il en résulte. J’ai une
réunion prévue dans quelques jours avec les membres du conseil, et il va falloir
que je m’entretienne avec tous les dirigeants lycans à travers le monde. Ensuite,
nous aviserons. Mais plus j’y réfléchis, et plus je me dis que le désir des rebelles
d’être libres est légitime. Je ne veux pas que mon enfant naisse dans un monde
où il sera obligé de cacher sa véritable nature. Je veux qu’il soit fier de qui il est
et de ce qu’il est.
Je souris.
— C’est une excellente motivation.
— La meilleure qui soit, m’accorda-t-il. Toi et ce bébé êtes ce que j’ai de plus
précieux, et je veux à tout prix vous assurer un avenir radieux. Si cela doit passer
par des réformes au niveau de la société surnaturelle, alors soit.
— Et je serai avec toi du début à la fin, lui assurai-je en relevant le visage
pour le regarder en face. On forme une équipe, les obstacles que nous allons
devoir surmonter, nous les surmonterons ensemble.
Il acquiesça, mais serra les lèvres avant d’écarter une mèche de cheveux
blonds qui me tombait devant les yeux.
— Je veux surtout que tu te reposes, Poppy. Porter un enfant humain est une
chose, porter un lycan en est une autre. Le bébé va te prendre énormément
d’énergie et va se développer très vite. Ton corps n’est pas fait pour une
gestation de cinq mois, ça va t’épuiser et te coûter beaucoup de forces. Je ne
supporterais pas qu’il t’arrive quoi que ce soit, tu comprends ?
L’inquiétude qu’il se mit à ressentir traversa notre lien pour venir me frapper
de plein fouet. Je savais parfaitement à quoi il faisait allusion et cela me fit
froncer les sourcils.
Il n’était pas rare que les grossesses de femmes humaines portant des lycans
se terminent mal lorsqu’elles venaient à être portées à terme. Les fausses
couches étaient fréquentes, tout comme les morts en couche. Certaines n’avaient
pas la chance de survivre à l’accouchement, la faiblesse de leur corps ne leur
permettant pas de mettre au monde leur bébé correctement. Mais ça ne
m’arriverait pas. J’allais être correctement encadrée par des professionnels, et
Alexeï veillerait à ce que ma grossesse se déroule correctement. Tout comme
j’avais l’intention de me tenir plus ou moins tranquille durant les quatre
prochains mois.
— Tout va bien se passer Nick, soufflai-je en passant ma main dans ses
cheveux aux reflets flamboyants. Je ne vais pas… ma grossesse sera parfaite.
Nous allons vivre de bons moments, partager de bonnes expériences, et lorsqu’il
sera temps de mettre au monde cet enfant, tout se passera bien.
Nick ne répondit rien, et à la place, m’attira à lui pour me serrer dans ses bras.
Il se faisait énormément de souci, et quelque chose me disait que ça n’allait pas
s’arranger au fil des semaines qui allaient arriver. Mais ça aussi, nous le vivrions
ensemble, et je savais que tant qu’il serait à mes côtés, tout irait pour le mieux.
Soudain, la porte d’entrée s’ouvrit. Nick et moi nous détachâmes l’un de
l’autre pour découvrir qui venait rompre notre moment d’intimité.
— Les membres de la Meute Sirius et ceux de la Meute du Sud sont arrivés,
déclara Seth en se dirigeant vers nous d’un pas joyeux. Ils seront devant votre
porte dans moins d’une minute.
Mon compagnon grommela, visiblement peu emballé à l’idée de revoir son
frère et son père, mais se leva tout de même. Il me tendit sa paume pour m’aider
à me lever.
— Super, marmonna-t-il, la mine renfrognée.
Ouais, la soirée s’annonçait super.
Mark Teller fut le premier à descendre de son SUV aux vitres teintées pour
venir nous saluer. Le grand brun aux yeux gris sourit en se dirigeant vers nous.
La cicatrice qui marquait sa joue droite se creusa davantage.
— Nicky, tu n’as pas l’air en grande forme, lança-t-il à l’attention de son petit
frère. Les fonctions d’Alpha du Nord seraient-elles trop difficiles à endosser ?
Le roux gronda.
— Pas le moins du monde, maugréa-t-il.
Son aîné explosa de rire, et monta les marches du perron où nous nous
trouvions pour prendre mon mari dans ses bras. Les deux hommes échangèrent
une accolade rapide. Nick, n’étant pas très à l’aise avec les contacts physiques en
général, s’écarta dès que son frère le relâcha. Mark ne s’en offusqua pas.
— Poppy, tu es toujours aussi…
Le nouvel Alpha de la Meute Sirius s’arrêta net devant moi, les narines
dilatées. Il inspira profondément et huma mon odeur.
— Petite ? supputai-je, sachant qu’il me faisait la remarque à chaque fois qu’il
me voyait.
— Enceinte, termina-t-il, les cils écarquillés. Si je m’attendais à ça ! Tu
m’étonnes que tu aies une si mauvaise tête Nick, moi non plus je ne trouverais
plus le sommeil si ma compagne portait mon enfant ! Félicitations !
Le brun se baissa et m’enlaça rapidement pour me féliciter, il tapota mon dos
avant de reculer de deux pas. Il avait l’air aussi sonné que lorsque j’avais
annoncé la nouvelle à Nick, et la ressemblance entre les deux frères me fit
revivre ce moment mémorable.
— Je vais être tonton, quelle nouvelle !
— Tonton ? répéta alors une voix grave plus loin.
Jetant un regard par-dessus l’épaule de Mark, je découvris Benny Teller, mon
beau-père, sortant de son véhicule en compagnie de ses hommes. Mon corps se
raidit instinctivement, ma gorge se fit sèche et les battements de mon cœur
s’accélérèrent. Un instinct de protection primitif me donna soudain envie de
prendre mes jambes à mon cou et de fuir le plus loin possible de Benny. Mon
cerveau n’avait pas oublié la fois où il m’avait trahie et vendue à Hector Miller.
Cela remontait à presque deux ans maintenant. Judy, la petite sœur de Nick et
Mark avait été enlevée par leur frère adoptif qui cherchait à se venger de mon
âme-sœur, et pour tenter de récupérer sa fille, Benny avait tout tenté. Y compris
me livrer aux hommes de main de Miller. À cause de ce geste, de cette trahison,
j’avais été torturée mentalement et physiquement, et on m’avait même tiré
dessus. J’aurais pu mourir, mais je m’en étais sortie, laissant malgré tout dans la
bataille l’enfant que je portais à ce moment-là, et dont j’avais appris l’existence
quelques heures avant qu’Hector ne tire sa fichue balle.
Je n’avais jamais digéré le geste de Benny, mais malgré tout, je n’avais pas eu
à cœur de révéler ce qu’il avait fait à qui que ce soit. Judy, après ce qu’elle avait
vécu, avait eu besoin de son père, et Nick l’aurait tué s’il avait su qu’il était
impliqué dans mon enlèvement. Alors j’avais menti à mon propre compagnon, et
j’avais fait jurer à son père de ne jamais rien dire à personne. Sachant qu’il avait
une dette envers moi, il me l’avait promis. Depuis, nous gardions ce secret
commun, bien loin l’un de l’autre. Le revoir ce soir ne me faisait pas plaisir, et
surtout pas alors qu’un nouvel enfant se trouvait dans mon ventre. Quelque part,
je voyais toujours Benny comme une sorte de menace, un homme à qui nous ne
pouvions pas entièrement faire confiance.
— Approche, père, et tu sentiras l’odeur de Poppy, lâcha Mark en se
redressant fièrement. Elle porte un héritier.
Mark et son père échangèrent des regards mauvais. Leur entente n’était plus
tout à fait cordiale depuis que mon beau-frère avait décidé de quitter la Meute du
Sud pour fonder sa propre meute, abandonnant l’idée de la diriger plus tard
lorsque Benny passerait l’arme à gauche. Ça, le père de famille l’avait mal vécu
et l’avait ressenti comme une trahison de la part de son fils, un abandon
impardonnable.
Loki, Daryl, Bram, Sam et Nora émergèrent d’entre les arbres pour venir à la
rencontre de nos invités. Nick me prit par la main et m’invita à descendre les
marches du perron pour qu’à notre tour, nous puissions les accueillir. Nous
dîmes donc bonjour à chacun des membres de la Meute Sirius et du Sud, et
terminâmes par Benny, que nous gratifiâmes d’un simple hochement de tête.
Nick non plus ne s’entendait pas très bien avec son paternel, et cela faisait des
années qu’il ne partageaient plus rien si ce n’était un coup de téléphone de temps
en temps.
— Alors c’est vrai, dit le Texan en sentant mon parfum, tu es enceinte.
J’acquiesçai sans parvenir à sourire.
— Oui, je le suis.
Benny plissa les paupières et tendit sa paume à son fils cadet, qui la saisit
fermement.
— Félicitations, fils.
Nick effectua un geste du menton, et relâcha la main de son père pour la poser
dans mon dos.
— Ta mère va être contente.
Ça, j’en doute… Trisha Teller me détestait, et avait décrété que je n’étais
qu’une raclure de la société, à peine plus importante qu’un cloporte. Elle
tournerait sans doute de l’œil si elle savait que son fils chéri m’avait mise en
cloque. Sans doute considérerait-elle que mon enfant n’était qu’un bâtard
indigne. Qui sait ? De toute façon, son avis sur la question me faisait une belle
jambe, alors !
— Nous devrions rentrer, proposai-je pour changer de sujet, une longue nuit
de préparatifs nous attend, et vous avez sans doute fait une longue route. Vous
devez avoir faim.
Nick grogna en signe d’assentiment.
— Poppy a raison, allons-y.
Tournant les talons, nous nous dirigeâmes tous ensemble vers la villa, mais
nous fûmes stoppés dans notre progression par la voix nasillarde d’une femme
que je connaissais bien et que je n’étais pas pressée de revoir.
— Bonsoir tout le monde.
Serrant les dents pour éviter de grogner, je me retournai lentement pour faire
face à Arizona White, debout dans l’allée entre deux 4 x 4. La louve arborait un
rictus mauvais au coin des lèvres, et portait des vêtements sombres et moulants
qui mettaient en valeur sa silhouette fine et musclée. Cette punaise ne m’avait
pas manqué, ah ça non !
— Arizona, lança Benny, qui la connaissait visiblement. Que fais-tu ici ?
La jeune femme arqua un sourcil.
— Je me posais justement la même question à votre sujet monsieur Teller,
répliqua-t-elle. Après ce que vous avez fait, je ne pensais pas que vous auriez le
culot de vous présenter chez votre fils.
Nick fronça les sourcils alors que tous mes sens se mettaient en état d’alerte.
— De quoi parles-tu ? grogna l’Écossais.
Arizona feignit la surprise.
— Quoi ? Tu n’es donc pas au courant ? Ta femelle ne t’a pas dit ce qu’il lui
avait fait à la Nouvelle-Orléans ?
Oh oh…
Sentant la panique monter en moi comme une fusée lancée à pleins gaz vers le
ciel, je me tournai vers Benny et l’interrogeai du regard. Avait-il raconté quoi
que ce soit à cette fille ? Ou à son oncle ? Il n’avait pas été assez idiot pour faire
une connerie du genre, si ?
— Poppy, m’interpella mon mari en se tournant vers moi, la mâchoire serrée,
de quoi parle-t-elle ?
J’avalai difficilement ma salive. Que faire ?
— Nick, murmurai-je à mi-voix, incapable de parler plus fort tant ma gorge
était sèche, pouvons-nous rentrer ? Il faut que je te parle de quelque chose en
privé.
Quitte à ce que la vérité éclate ce soir, mieux valait que ce soit moi qui
arrache le pansement. Je refusais que mon secret soit exposé au grand jour par
cette salope d’Arizona White.
— Non, je ne veux pas rentrer Poppy, gronda l’Alpha, qui commençait à
perdre patience, je veux savoir de quoi elle parle.
— Oui Evans, renchérit la nièce de Marcel, dis-lui donc ce que Benny Teller
t’a fait. Raconte-lui comment il t’a vendue aux hommes d’Hector Miller, et dont
toi, et Vincent Teller, vous avez caché la vérité.
À l’entente de ces mots, Nick se redressa lentement, les muscles bandés sous
ses vêtements. Il recula d’un pas, puis de deux, et se tourna vers son père, le
regard fou. Son regard se mit à luire d’une colère sourde, noire et sauvage. L’air
se chargea d’une électricité telle que je sentis les petits poils sur ma nuque se
dresser au garde-à-vous. Tous les loups réunis autour de nous reculèrent d’un pas
devant la colère et les émanations de fureur qui se dégageaient du maître des
lieux.
— Benny ? l’interrogea-t-il d’une voix grave, animale. De quoi parle-t-elle au
juste ?
L’Alpha de la Meute du Sud fit de son mieux pour ne pas reculer ou ne pas
baisser les yeux. Il resta planté là, digne, le menton bien haut, et affronta le
regard de son fils. La situation allait dégénérer, je le savais, je le sentais.
— Nick, s’il te plaît, le suppliai-je en faisant un pas vers lui.
Le chef de meute me menaça d’un coup d’œil qui me fit m’arrêter net. Il me
mit en garde de ne pas avancer davantage. Loki vint alors à ma rencontre et
m’attrapa par le bras pour me forcer à rejoindre le perron.
— Benny, le somma une nouvelle fois le roux, les poings serrés.
L’intéressé soupira.
— Arizona dit la vérité, avoua-t-il. Poppy n’a pas été enlevée par les hommes
d’Hector, c’est moi qui l’ai livrée, et pour que tu ne découvres pas la vérité,
Vincent a fait effacer les enregistrements des caméras de surveillance qui
m’accusaient.
Ça, c’était un détail que j’ignorais. Je n’avais jamais su que Vincent avait
protégé son fils de cette façon. L’ancien Alpha du Nord ne m’avait jamais rien
dit.
— Si Poppy a été torturée et qu’elle a perdu l’enfant qu’elle portait à
l’époque, c’est uniquement de ma faute, continua le père de famille. J’en
assumerai les conséquences.
À ce moment-là, quelque chose sembla vriller dans l’esprit de mon
compagnon, qui perdit le contrôle de son loup. La bête émergea en quelques
secondes à peine dans une symphonie de craquements si rapides que j’eus
l’impression que la mutation se déroula en un battement de cils. Puis la situation
dégénéra. Benny se transforma à son tour, et une bataille sanglante éclata devant
la maison. Ce fut comme si mon cœur rata un battement.
Je savais ce qu’était un affrontement entre deux lycans. Nick m’en avait déjà
suffisamment parlé pour que je sois consciente de ce qu’un combat entre deux
loups-garous impliquait. Mon mari et son père allaient se battre, et cela jusqu’à
ce que l’un d’eux meure. Ce ne serait que lorsque l’un des loups serait à terre,
sans vie, que le combat prendrait fin.
Qu’est-ce qu’Arizona avait fait ? Qu’est-ce que j’avais fait ?

21

Je n’aurais jamais cru que tout finirait ainsi. Que mon secret éclaterait de cette
manière, et qu’il emporterait dans un ras de marée les restes de la relation père-
fils de Nick et Benny. Bien sûr, je n’étais pas sans savoir que si mon compagnon
venait à découvrir la vérité un jour, il chercherait à me venger. Néanmoins,
j’étais persuadée de pouvoir le dissuader si cela venait à arriver. Après tout, je
n’avais cherché qu’à préserver Judy et à protéger la famille Teller d’un tel
scandale. Mais évidemment, les choses ne se passaient jamais comme je les
prévoyais, et ça finissait toujours par me retomber sur le nez. Ou en
l’occurrence, sur celui de Benny, en ce moment même.
Jamais je n’avais assisté à un combat aussi brutal. Les deux bêtes qui
s’affrontaient devant nous s’acharnaient l’une sur l’autre dans des claquements
de dents, des grognements et des jappements animaux terrifiants. L’immense
loup au pelage noir de jais, Jack, semblait cependant avoir l’avantage. Il était
plus vif, plus rapide, et nettement plus en rogne que son homologue au poil roux
et blanc. L’animal de Benny souffrait de plus de blessures que celui de mon
mari, mais restait tout de même debout pour affronter son adversaire jusqu’au
bout.
— Il faut les arrêter ! m’écriai-je, le corps tremblant. Ils vont s’entre-tuer !
Loki, qui me tenait toujours fermement le bras pour m’empêcher d’intervenir,
garda les yeux rivés sur la bataille qui se jouait devant lui. Il effectua un geste
négatif du menton.
— Nick est entré en frénésie totale, répondit-il gravement, il n’entendra pas
raison, quoi qu’il arrive.
Je sentais effectivement que quelque chose avait cédé chez ma moitié. La
barrière qu’il s’efforçait toujours de brandir entre lui et sa fureur bestiale s’était
écroulée, emportant avec elle les restes de sa lucidité. Nick voulait du sang, et
c’était celui de son père qu’il avait décidé de faire couler. D’ailleurs, ça, il le
faisait particulièrement bien !
Le loup noir faisait l’étalage d’une force si colossale qu’elle en était
intimidante. Il émanait de lui une aura dangereuse, inquiétante et sauvage qui
alourdissait l’air, et me faisait tourner la tête. Les vibrations de domination
qu’envoyaient valser dans l’air les deux opposants planaient autour de nous,
palpables. Tant et si bien que chercher à les parer me coûtait énormément
d’énergie. Mon aura cherchait à se protéger de ces assauts violents, et cela ne
faisait que me fatiguer davantage. Une migraine atroce était en train de
s’installer derrière mon front, mes genoux tremblaient, incertains, et le stress qui
envahissait mon corps était si élevé que je commençais à transpirer.
Je n’avais jamais voulu de tout ça. Je voulais que ça s’arrête.
— Faites quelque chose ! suppliai-je les hommes qui s’étaient rassemblés sur
le perron pour s’écarter du combat.
Malgré mon cri de désespoir, personne ne réagit. Je n’obtins qu’un silence
total en guise de réponse. Super les gars, merci !
Redonnant mon attention aux deux mastodontes qui s’affrontaient, je vis que
le loup de Benny était en très mauvaise posture. Nick avait attaqué ses pattes
arrière, avait déchiqueté sa peau de ses dents ; le loup peinait à tenir debout. De
la bave et du sang mélangés s’écoulaient de sa gueule ouverte, il respirait
presque aussi fort que moi !
Sachant son rival en difficulté, la bête noire lui fonça dessus et se rua sur lui à
une vitesse impressionnante. Il referma sa mâchoire sur le col du roux et le
projeta au sol si violemment que le choc me fit sursauter. Les deux animaux
roulèrent dans la poussière, tentant chacun d’avoir le dessus sur l’autre. Le bruit
que faisaient leurs dents qui claquaient m’agressait les tympans, ne faisant que
renforcer mon mal de tête. Je vacillai sur mes jambes, et dus me faire violence
pour ne pas m’effondrer.
Parvenant à clouer son ennemi au sol, Jack se dressa au-dessus de lui en se
servant de ses pattes avant pour le maintenir sur le dos. Il leva l’une d’entre elles
pour abattre ses griffes contre le visage de son père. Ses griffes acérées
déchirèrent la chair de l’autre Alpha, qui poussa un hurlement déchirant, serrant
mon cœur dans ma poitrine et me coupant le souffle. J’aurais voulu hurler avec
lui, obliger Nick à s’arrêter, mais aucun son ne semblait vouloir sortir de ma
gorge. J’étais tétanisée par la violence de ce à quoi j’assistais.
Le sang coula à flots. L’un des yeux du vieux loup avait été sévèrement
touché par les griffes de l’autre combattant, il couinait et jappait en essayant de
se défaire de la prise du loup noir. Sur le dos, Benny était vulnérable, soumis à la
volonté propre de Nick, qui n’entendait pas le laisser partir. Je voyais dans le
regard luisant de bestialité de mon compagnon qu’il voulait le tuer, en finir avec
lui une bonne fois pour toutes.
Ce fut au moment où Nick plongeait sa gueule grande ouverte sur la gorge de
Benny qu’une première secousse violente me plia en deux. Je criai, sans pouvoir
m’en empêcher, et me courbai en deux en me tenant le ventre. Une seconde
crampe suivit rapidement la première, me coupant de nouveau la respiration, me
faisant tomber à genoux. Je serrai mes avant-bras autour de mon abdomen
douloureux. Quelque chose n’allait pas, je ne me sentais pas bien.
Alors qu’une troisième douleur, plus virulente encore que les autres, me
faisait hurler à pleins poumons, je sentis un liquide chaud et visqueux couler
entre mes jambes. Roulée en boule sur le bois du perron, je dus faire de gros
efforts pour baisser le regard afin de constater que mon pantalon en coton était
taché de sang. Une bile remonta le long de ma gorge alors que de grosses larmes
se mettaient à emplir mes yeux. Non, non, non…
Mon ventre se contracta brusquement, me faisant crier et pleurer en même
temps. Loki s’accroupit à mes côtés et, paniqué, chercha quelque chose à faire.
— Poppy ! cria-t-il en posant une main sous ma tête et l’autre sur ma hanche.
Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je peux faire ?
Je n’en avais aucune idée. Et même si j’en avais eu une, je n’aurais en aucun
cas pu lui répondre. Je me tordais de douleur, le ventre si noué que je ne pouvais
m’empêcher de hurler. Le sang continuait de couler entre mes jambes, sans que
je puisse faire quoi que ce soit pour l’arrêter.
Les dents serrées, je fermai les yeux très fort et essayai d’oublier la douleur,
comme pour tenter de la chasser par ce biais. Une série de craquements d’os
retentit au loin et, rapidement, la voix de mon compagnon tonna fortement dans
mon dos.
— Ne remets plus jamais les pieds ici, Benny ! hurla-t-il. Je t’ai épargné cette
fois, mais ce sera la dernière ! Si ton chemin croise de nouveau le mien ou celui
de ma femme, je te tuerai, c’est clair ?
Après ça, des bruits de pas rapides se firent entendre. Je fus littéralement
arrachée du sol et plaquée contre un corps ferme et chaud. Je n’arrivais pas à
rouvrir les yeux, mes bras étaient crispés contre mon ventre, comme si cela allait
empêcher mon bébé de disparaître. Mais il y avait tout ce sang…
— Alexeï ! cria Nick en se mettant en marche.
J’entendis une porte s’ouvrir, puis le son des pas que faisaient ceux de Nick se
fit différent. Nous étions rentrés à l’intérieur de la maison. Je le compris plus
clairement lorsque le lycan me déposa sur une surface moelleuse.
— Qu’est-ce qui se passe ? gronda sauvagement mon homme alors que deux
mains chaudes relevaient mon tee-shirt et se posaient sur mon ventre.
— Vous avez diffusé beaucoup trop d’énergie, expliqua une voix que je
reconnus comme celle du guérisseur. Ses forces ont décliné rapidement, et avec
le stress, cela n’a pas arrangé les choses.
— Je ne veux pas perdre le bébé, haletai-je alors, les joues inondées de
larmes.
C’était inimaginable, pas une seconde fois, pas alors qu’il était si développé.
Il était en bonne santé et ne demandait qu’à vivre, à être aimé. Je l’aimais moi, et
je ne voulais pas qu’il parte.
Le grognement que proféra Nick aurait presque pu faire trembler les murs.
Ses paumes attrapèrent mes avant-bras pour les éloigner de mon abdomen. Je
luttai, mais sa prise fut plus forte que la mienne.
Soulevant de nouveau les cils, je rivai mon regard larmoyant au plafond et
laissai faire le guérisseur. Ses mains diffusaient une chaleur agréable sur mon
ventre et semblaient parvenir à apaiser les crampes. Rapidement, elles
disparurent complètement. J’étais épuisée, mais je refusais de laisser l’obscurité
qui me gagnait m’emporter tant que je ne savais pas mon enfant en vie.
— Alors ? s’impatienta l’Alpha qui serrait fermement ma main dans la sienne.
— Le bébé va bien, assura le Gamma en soupirant, il a puisé dans les réserves
d’énergie de Poppy pour s’accrocher. D’où l’écoulement abondant de sang. Il va
falloir qu’elle se repose pendant plusieurs jours pour récupérer, qu’elle évite tout
stress et tout effort, au risque de perdre l’enfant.
Une main caressa mon front trempé de sueur. Je tournai mollement la tête sur
le côté et croisai le regard de mon mari. Il était furieux, encore sous le coup de
l’adrénaline, et son visage était couvert de sang séché.
— Je suis désolée, m’excusai-je à mi-voix, j’aurais dû te dire toute la vérité
sur ce qu’avait fait Benny.
Les narines du garou se dilatèrent légèrement, ses lèvres se serrèrent un peu
plus alors qu’un éclair de furie traversait ses yeux argentés.
— Tu aurais dû tout me dire, en effet, articula-t-il d’une voix rauque. Ne pas
me mentir.
— Je voulais protéger Judy, m’expliquai-je en sentant ma respiration se faire
de moins en moins rapide. Elle était si triste après ce qui lui était arrivé avec
Hector, que je ne pouvais pas dénoncer Benny, au risque que tu la prives de son
père. Je voulais bien faire.
Nick caressa ma joue aussi tendrement que possible au vu de ses muscles
tendus. Puis il alla poser sa paume sur mon ventre dénudé.
— Je sais. Tu te sacrifies toujours pour les autres, sans jamais te soucier de ce
que tu ressens.
Des larmes glissèrent sur mes joues, mon menton se mit à trembler. Garder un
tel secret n’avait pas été facile et finalement, j’étais soulagée de ne plus l’avoir
sur les épaules.
— Je suis désolée.
— Chut, nous en reparlerons plus tard Evans, quand tu te sentiras mieux.
L’Écossais se releva, passa un bras sous mes genoux et l’autre dans mon dos
pour me soulever. Je ne résistai pas, épuisée, et collai ma joue contre ses
pectoraux pour écouter les battements trop rapides de son cœur. Je n’attendis pas
que nous soyons arrivés dans la chambre pour m’endormir, le sommeil remporta
la bataille bien avant ça.

Ce fut le bruit tonitruant d’une alarme qui me réveilla en sursaut. Le son,
horrible et retentissant, me fit froncer les sourcils et me plongea immédiatement
en état d’alerte. L’alarme ressemblait à celles qui tournaient en boucle dans les
films de zombies, ou en rapport avec l’apocalypse. Mais ici, ce n’était pas une
attaque de morts vivants qu’elle annonçait. C’était le signe que notre territoire
venait d’être violé de force, qu’un intrus, ou plusieurs, venait de s’y infiltrer.
Merde !
Couchée dans le lit, je me redressai avec peine sur mes coudes et allumai ma
lampe de chevet. J’avais les muscles en compote, et si peu d’énergie que les
couvertures me semblèrent peser des tonnes lorsque je les repoussai sur mes
jambes. J’avais été changée et nettoyée, sans doute par les soins de mon
compagnon, qui avait pris la peine de m’emmitoufler dans mon pyjama préféré.
Toute trace de sang avait disparu de mes jambes.
Alors que j’essayais de me lever, la porte de la chambre s’ouvrit à la volée. Je
jetai un regard par-dessus mon épaule pour voir mon compagnon arriver dans ma
direction à grandes enjambées. Lui aussi s’était changé et lavé depuis le combat
qui l’avait opposé à son père. Il portait un jean et un simple tee-shirt blanc.
— Qu’est-ce qui se passe ? lui demandai-je quand il vint me soulever entre
ses bras.
— Marcel attaque notre territoire, gronda-t-il en se dirigeant en courant vers
la sortie. Il a une cinquantaine de loups avec lui.
Inquiète, je gigotai entre ses bras pour qu’il me relâche.
— Comment est-il parvenu à entrer ?
— Une de nos meutes alliées nous a trahis, expliqua-t-il en descendant les
escaliers rapidement, ils sont arrivés avec des fourgons, et lorsque Aiden leur a
ouvert, c’était les hommes de Marcel qui en sont sortis.
— Aiden va bien ? m’enquis-je.
— Oui, je sens encore sa présence à travers le lien de meute, il a muté et
défend le territoire. Benny est parti avec ses hommes depuis plus de deux heures
maintenant, nous n’avons que la meute Sirius avec nous pour nous défendre et
nous sommes en sous-effectif. Logan a déjà envoyé un message à nos alliés pour
qu’ils rappliquent au plus vite. Je vais aller les rejoindre.
Les sourcils froncés, je vis Nick atteindre l’ascenseur qui se trouvait dans le
couloir du rez-de-chaussée, il appuya sur le bouton. Je résistai tant bien que mal
lorsque je compris où il voulait m’amener.
— Je veux venir avec toi ! m’exclamai-je en comprenant qu’il cherchait à me
mettre à l’abri au sous-sol de la maison.
— Pas question, trancha-t-il en entrant dans l’ascenseur quand les portes en
acier s’ouvrirent en deux. Tu n’es même pas en état de marcher par tes propres
moyens. Et tu as entendu Alex, si tu fais le moindre effort dans les jours à venir,
cela pourrait coûter la vie à notre enfant.
— Mais…
— Pas de « mais » Evans. Pour une fois, accepte de rester tranquille, bon
sang !
En quelques secondes, nous arrivâmes au sous-sol où se trouvait la piscine
souterraine. Nous passâmes devant, et nous arrêtâmes devant une double porte
blindée. Nick tapa un code sur le petit boîtier qui se trouvait non loin, et
déverrouilla l’accès au bunker. J’eus la surprise de découvrir que Leah et Hunter
s’y trouvaient, eux aussi. Il se dirigea vers l’un des lits de camp dans un coin de
la pièce et m’y déposa.
— Tu vas rester là avec Leah et le petit Hunter, m’ordonna mon mari en
encadrant mon visage de ses paumes une fois qu’il m’eut installée. Il en va de la
sécurité de notre bébé.
Je secouai la tête de gauche à droite, et m’accrochai à son tee-shirt pour
l’empêcher de partir. Des larmes de rage s’accumulèrent dans mes yeux.
— Tu n’as pas le droit de te servir de la grossesse pour me forcer à rester là,
l’accusai-je, les dents serrées. Je ne veux pas te laisser y aller seul, nous devons
faire ça ensemble.
— Tout va bien se passer Poppy, me promit-il en me regardant en face. Je
serai plus à même de me battre correctement si je vous sais à l’abri, toi et notre
enfant. De plus, tu ne peux rien faire dans ton état, il faut savoir admettre
lorsqu’on est dans l’incapacité de faire quelque chose. Aujourd’hui, tu ne peux
pas te battre. Ça ne fait pas de toi une peureuse ou une lâche, ajouta-t-il en
comprenant que rester cachée pendant que les miens affrontaient le danger me
dérangeait. Ça fait de toi une femme responsable.
Marquant une pause, l’Alpha caressa mes joues de ses pouces et se pencha en
avant pour m’embrasser. J’aurais voulu le retenir, l’empêcher de partir, et cela
par pur égoïsme. Je ne pouvais pas supporter de savoir l’homme que j’aimais en
danger. C’était au-dessus de mes forces.
— Je reviens vite, m’assura-t-il en se détachant. Je t’aime, Poppy.
— Je t’aime aussi, Red. Tu n’as pas intérêt à m’abandonner.
Il colla son front contre le mien et enserra ma gorge d’une main avant de
déposer un autre baiser sur mes lèvres.
— Jamais.
Là-dessus, le lycan se releva et ordonna à Leah de s’assurer que je restais bien
sage. Puis il déverrouilla de nouveau la porte du bunker, et sortit affronter le
danger sans un regard en arrière.
J’aurais voulu crier, hurler à m’en déchirer les tympans, à m’en exploser les
poumons. Mais ça aurait été inutile. J’étais vulnérable, vidée de toute mon
énergie, et il n’y avait rien que je pouvais faire pour changer ça. Bordel de putain
de merde !
— Ne t’inquiète pas Poppy, voulut me rassurer Leah en berçant son enfant
dans ses bras, debout dans un coin de la pièce. Ce n’est pas la première bataille
que la Meute du Soleil affronte. Nous nous en sommes toujours sortis.
Me relevant difficilement, je m’assis sur le lit de camp et posai mes pieds au
sol. Ma vision était légèrement trouble et j’avais beaucoup trop chaud. Je me
passai une main sur le visage et tentai de rassembler mes idées. Que faire ?
— Il faut que je passe un coup de fil à Al, lançai-je alors en me dressant
difficilement sur mes jambes. Nous sommes en sous-effectif, les chasseurs
représenteront une aide supplémentaire en attendant l’arrivée de nos alliés.
Me dirigeant d’un pas lent vers le bureau en métal qui longeait un mur entier
de l’abri, je m’emparai du téléphone satellitaire qui s’y trouvait et composai le
numéro de mon grand-père. Il répondit à la deuxième sonnerie.
— Evans à l’appareil, déclara-t-il rageusement, j’espère que c’est important
parce que j’étais sur le point de mater un match de base-ball.
— Al ! C’est Poppy, on a problème. La meute est attaquée par Marcel Jay
White et ses alliés, nous sommes en nombre limité, et ils sont plus nombreux.
On va avoir besoin de renfort !
Le chasseur poussa un juron. Il allait devoir remettre son match de base-ball à
plus tard. Dommage.
— Bordel de merde, cracha-t-il, tu vas bien au moins ? Le bébé ?
Je soupirai. Dire que j’allais bien aurait été un mensonge, aussi me contentais-
je de dire la vérité.
— Bien, c’est relatif, marmonnai-je, mais je suis en sécurité. Le bébé va bien.
— Parfait, je rameute toute la clique et on se ramène illico. On va utiliser des
amulettes pour distinguer les loups qui ont de mauvaises intentions de ceux qui
nous aident.
Je hochai la tête. Les amulettes magiques réalisées par des sorciers, des
sorcières et des fées étaient toujours d’excellents alliés en temps de crise.
— Bonne idée.
— On arrive Casper, tiens bon.
Al raccrocha. Soulagée, je reposai le téléphone et soupirai un bon coup. Ce fut
à ce moment-là que nous entendîmes des bruits de pas derrière les portes du
bunker, puis le bruit des touches électroniques du digicode. Quelqu’un cherchait
à entrer.
— On vient sans doute nous donner des nouvelles, supputai-je.
Leah, les sourcils froncés, secoua la tête de gauche à droite en serrant son fils
plus fermement contre elle.
— Non, ce n’est pas l’un des nôtres, c’est…
Les portes de la pièce sécurisée s’ouvrirent, déverrouillées par le code. Un
grognement remonta le long de ma gorge lorsque je découvris Arizona White,
accompagnée de deux grands balèzes que je ne connaissais pas, sur le seuil du
bunker.
— Salut Evans, je t’ai manqué ?
Non, je ne dirai pas ça.
— Finalement, j’avais raison, marmonnai-je, tu es bien une putain de
traîtresse.
— Une traîtresse ? fit-elle, faussement offusquée en portant une main à sa
poitrine refaite. Mais pas du tout, j’ai toujours respecté mon allégeance envers
Marcel, le seul qui m’ait jamais vraiment aimée.
Je plissai les paupières.
— Aimée ? répétai-je, perplexe.
Comment pouvait-elle considérer un homme qui l’avait envoyée au casse-
pipe comme la seule et unique personne qui l’avait vraiment aimée ? Ça me
dépassait.
— Il a toujours pris soin de moi. Quand mes parents sont morts dans une
guerre entre deux meutes, c’est lui qui m’a recueillie et qui m’a tout appris.
— Sauf le sens de l’honneur visiblement, crachai-je. Tu arrives encore à te
regarder dans un miroir après avoir trahi ta patrie ? Tes camarades ? Ton Alpha
du Nord ?
— Nick est canon, mais c’est un idiot. Il est comme son grand-père, les Teller
sont tous les mêmes : ils ne veulent le pouvoir que pour eux et refusent de faire
avancer la société lycane.
— Faire avancer la société lycane ? Tu penses que c’est ce que veut ton oncle,
sincèrement ? Marcel Jay White ne veut que le pouvoir, rien de plus. Il œuvre
dans l’ombre, et complote contre sa communauté à l’écart des combats.
La louve montra les crocs et gronda.
— Marcel n’est pas un lâche, pesta-t-elle, les poings serrés. Il est d’ailleurs
présent ce soir, et il compte bien montrer à ton compagnon ce qu’est un vrai
mâle Alpha.
Je penchai la tête sur le côté, je voyais trouble et ma tête tournait un peu. Mais
il était hors de question de lui montrer le moindre signe de faiblesse. Cette
salope n’allait pas s’en tirer comme ça.
— Tu étais là pour semer la zizanie, n’est-ce pas ? compris-je alors. Pour
mettre nos loups à cran, pour récolter des informations sur nous et les filer à
l’enfoiré qui te sert d’oncle, c’est ça ?
Elle sourit. Un sourire amer et mauvais qui ne fit que me donner la nausée.
— Récolter des infos tu dis ? Pour quoi faire ? Nous avions déjà tout ce qu’il
nous fallait grâce à Henry Johnson. Il avait piraté votre base informatique soi-
disant imprenable et avait récupéré tout ce qu’il lui fallait. Les plans de votre
territoire, les codes d’accès du portail, du bunker, de vos coffres forts, les
emplois du temps de vos Gammas et même celui de Nick ! Tout ce que j’avais à
faire, c’était venir ici et brouiller un peu les pistes. Sans oublier de foutre un peu
la pagaille dans ton histoire d’amour avec Nick. Après tout, un loup à cran prend
de très mauvaises décisions, et sa fatigue jouerait contre vous.
Sale pute.
— Comment pouvais-tu savoir pour Benny ? la questionnai-je.
— Vincent Teller en a parlé à un membre du conseil, dit-elle. Il lui a confié ce
que son fils avait fait pendant votre conflit avec Hector, et il s’avère que cet
individu haut placé est un très bon ami de Marcel. Il a pensé que lancer la bombe
au bon moment pourrait nous permettre d’enfoncer le clou. Et ça n’a pas loupé !
Benny et ses troupes en moins, vous étiez vulnérables. C’était le moment parfait
pour attaquer. Profiter de votre confusion à la suite de cette révélation était un
bon moyen pour nous de vous prendre par surprise.
La louve glissa un regard vers Leah, qui tentait de se faire toute petite dans un
coin reculé de la pièce. Le petit Hunter pleurait entre ses bras.
— Et ce soir, vous allez mourir, ajouta-t-elle en se tournant de nouveau vers
moi. Vous allez tous mourir.
La femme leva alors une main, intimant par ce simple geste à ses hommes
d’attaquer. Les deux gorilles se dirigèrent vers nous, l’un vers moi, l’autre vers
Leah.
— N’approchez pas ! hurla la mère de famille, paniquée.
Je levai un bras vers elle et allai me placer entre elle et les deux loups-garous.
S’ils voulaient lui faire du mal, ils allaient devoir me passer dessus avant.
— Je vous conseille de rester où vous êtes, les prévins-je, le cœur battant.
Ils s’immobilisèrent un instant et échangèrent un regard avant de sourire de
toutes leurs dents.
— Et sinon quoi ? lâcha l’un d’eux. Qu’est-ce qu’une humaine comme toi
pourrait nous faire ?
Les poings serrés par la rage, je relevai le menton et fronçai les sourcils. Je
sentis une énergie nouvelle se manifester au creux de ma poitrine. Lointaine,
certes, mais bien présente. Ma vue devint brusquement meilleure.
— Sinon je vous ferai la peau, bande d’enfoirés, répliquai-je en me
redressant.
Ce soir, ni Leah, ni Hunter, ni moi, ni personne d’autre ne mourrait, si ce
n’était bien sûr tous les enfoirés qui accompagnaient White. À commencer par
ces deux cons.
Les loups se mirent à rire grassement. Je me mordis l’intérieur de la joue et
me concentrai sur la chaleur qui réchauffait ma poitrine. La puissance était là,
juste au bout de mes doigts, il suffisait que je la saisisse pour pouvoir les vaincre.
— J’aimerais bien voir ça, ricana l’un d’eux en faisant un pas en avant.
Dans mon dos, j’entendis Leah hoqueter. Elle pleurait silencieusement en
serrant son petit bout de chou dans les bras. Leurs pleurs me donnèrent la force
nécessaire pour rassembler mon énergie. Ainsi, lorsque les deux hommes furent
à ma portée, je levai les deux mains et les braquai juste sous leurs nez.
— Prenez ça les pétasses !
Avant qu’ils n’aient le temps de dire « ouf », une vague invisible mais bien
réelle traversa mes paumes et les envoya valser dans les airs comme des poupées
de chiffon. Ils traversèrent le bunker et s’écrasèrent au sol après avoir
brutalement percuté le mur du fond. L’onde de choc les avait assommés.
— Salope ! hurla soudain Arizona en se jetant sur moi.
Folle furieuse, la grande brune me sauta littéralement dessus et m’attrapa par
les cheveux pour me projeter au sol. Je tombai sur l’épaule, et eus tout juste le
temps de rouler sur le côté pour éviter le poing qu’elle lançait dans ma direction.
Elle disposait d’une telle force qu’elle en abîma le béton, à quelques centimètres
seulement de mon visage. Leah poussa un cri et se laissa glisser le long du mur.
Je ressentais à travers notre lien de meute tout son désespoir. Elle ne pouvait pas
muter pour combattre, pas avec son enfant dans les bras.
— Tu ne vaux rien ! s’époumona la nièce de Marcel en m’attrapant par le col
de mon tee-shirt pour me relever sans effort.
La louve me souleva au-dessus du sol, et me plaqua contre un mur. Elle
entoura ma gorge de ses mains, et serra ses paumes autour de mon cou.
— Les chasseurs sont tous les mêmes ! Des raclures qui méritent de crever
comme des chiens ! Pourquoi ne veux-tu donc pas rester à ta place ?
Tout en vociférant, la jeune femme obstruait de plus en plus ma respiration,
visiblement décidée à me tuer ce soir. Malheureusement pour moi, envoyer
balader les deux idiots m’avait demandé beaucoup d’efforts, rassembler ce qui
me restait de forces n’était pas évident.
— Je vais te crever ! continua-t-elle, les yeux exorbités par la colère.
Levant un bras devant moi, je tentai de la repousser en appuyant sur sa
mâchoire, mais elle campa sur ses positions et continua à serrer. Je n’arrivais
plus à respirer, je sentais le sang affluer vers mon visage et mes poumons se
vider entièrement de leur air. La bouche ouverte, je tentais d’avaler de l’oxygène
sans y parvenir. Mes yeux se remplirent de larmes, non pas de tristesse, mais
uniquement à cause du manque d’air. J’essayais de lui donner des coups de
pieds, en vain.
Alors que je croyais mon destin scellé et que je commençais à voir des étoiles,
j’entendis des mouvements sur ma droite. Hunter pleurait, mais je n’entendais
plus Leah. Puis soudain, un coup de feu retentit, sourd et explosif. La prise sur
ma gorge se défit immédiatement. Je tombai à genoux alors qu’Arizona, elle,
s’étalait de tout son long sur le sol du bunker, un trou sur la tempe.
Libre, j’inspirai profondément, essayant par tous les moyens d’approvisionner
mes poumons d’oxygène. Je relevai la tête en toussant et vis Leah, debout une
arme entre les mains. Elle l’avait récupérée dans une des armoires du bunker et
avait posé son bébé sur un lit de camp pour pouvoir s’en servir. La louve aux
cheveux bruns et aux yeux jade m’avait sauvé la vie et avait pris celle d’Arizona
au passage.
— Bien joué, toussai-je une fois que je fus capable de parler.
— Logan m’a appris à tirer, expliqua-t-elle en venant m’aider à me relever.
Tu vas bien Poppy ? Pitié, dis-moi que ça va !
Remise sur pieds, je me massai la gorge et posai ma main libre sur mon ventre
bombé. Je n’avais pas de crampe, et aucun sang ne s’écoulait entre mes jambes.
Le bébé devait aller bien.
— J’ai connu des jours meilleurs, avouai-je en soupirant. Mais je survivrai. Il
faut que je remonte, Leah, lui dis-je alors, il faut que je m’assure que Nick va
bien.
— Poppy, tu ne peux pas faire ça, répliqua-t-elle en allant récupérer son
enfant pour tenter de calmer ses pleurs. C’est du suicide !
— Je ne peux pas rester ici, insistai-je en me dirigeant vers l’armoire remplie
d’armes. Mon rôle de femelle Alpha est de défendre mon territoire, affirmai-je
en me munissant d’un fusil à pompe. Et c’est bien ce que je compte faire.

22

Pieds nus, en pyjama tartan, les cheveux en pétard et le pas vacillant, je sortis
de la maison après avoir remonté l’ascenseur munie de mon fusil à pompe
chargé à bloc. La porte d’entrée avait été défoncée, sans doute par les gorilles
qui avaient accompagné Arizona. Geste inutile sachant qu’elle n’était pas
verrouillée. Quelle bande d’abrutis !
À l’extérieur de la maison, j’entendis les bruits d’une bagarre lointaine et
violente. Des jappements, des hurlements et des grognements se profilaient au
loin, portés par le vent frais qui soufflait dehors et qui caressait mon visage,
signe que la bataille faisait rage. Je ne perdis pas de temps et descendis les
marches du perron pour m’élancer sur le sentier qui menait au portail. La guerre
devait avoir lieu là-bas.
La terre sous mes pieds était sèche, les cailloux m’écorchaient la peau et je
manquai plusieurs fois de tomber. Mais le désir de porter secours à mes amis, à
ma famille, était plus fort que tout et me poussa à continuer d’avancer. À mi-
chemin, un loup immense sortit des arbres pour se poster devant moi et me
barrer la route. Je m’immobilisai, tentant de savoir s’il s’agissait d’un allié ou
d’un ennemi. Ce n’était pas l’un des membres de la meute, ça c’était certain.
Mais appartenait-il à celle de Mark ? À l’une de nos camarades ?
Avant de pouvoir me poser davantage de questions, l’animal retroussa
dangereusement ses babines et poussa un grondement sourd en courbant ses
épaules musculeuses. La fureur qui transparaissait dans son regard luisant était
sans appel. Celui-là n’était pas l’un des nôtres et il voulait visiblement me
manger toute crue. Oh.
Prenant appui sur mes jambes, j’encrai mes talons dans le sol et détendis mes
épaules pour correctement positionner mon fusil dans sa direction. En voyant le
canon braqué droit devant elle, la bête grogna de nouveau, plus dangereusement
cette fois. J’avalai ma salive et inspirai un grand coup pour faire le vide et me
concentrer sur ma cible. Je détestais tuer, mais si je n’avais pas le choix, alors je
le ferais sans hésiter.
Sans crier gare, le loup se jeta dans ma direction à la vitesse d’un boulet de
canon. Je n’attendis pas plus, et tirai une première fois. Il dévia sur le côté
rapidement, me faisant louper ma cible. J’attrapai le bas de mon fusil et le tirai
en arrière pour recharger énergiquement avant de tirer de nouveau. Les
lampadaires solaires qui statuaient le long du chemin qui menait au portail me
permettaient de percevoir mon ennemi avec clarté. Aussi, quand je compris qu’il
se tortillait de gauche à droite pour esquiver mes balles, je roulai sur le côté
lorsqu’il fut à ma hauteur pour éviter la collision. Les réflexes que j’avais
emmagasinés au cours de ma carrière de chasseuse et des entraînements que je
pouvais avoir à la meute me permirent de me relever rapidement. Je chargeai
d’un coup sec sitôt relevée et cette fois, tirai dans le mile en profitant de
l’égarement de la bête. La balle l’atteignit au niveau de l’épaule, le faisant se
stopper en poussant un hurlement de douleur. L’argent qui s’était logé dans son
muscle le fit tomber au sol, la douleur devait être insupportable.
L’argent était le point faible des lycans. Ce métal brûlait leur chair, faisant
dissoudre leur peau. La mort par l’argent était synonyme de souffrance atroce
pour les loups-garous. Aussi, je chargeai une dernière fois mon fusil à pompe et
visai la tête de l’animal qui se tordait au sol en couinant. La balle, toujours logée
dans son épaule, faisait fondre son muscle, rognait sa chair à vif. Je me mordis la
lèvre inférieure, réticente, mais fis ce que j’avais à faire pour défendre mon
territoire. J’abattis l’ennemi sans sommation, mettant un terme à sa douleur. Je
n’aimais vraiment pas ça, mais en temps de guerre, il était parfois nécessaire de
faire des choses qui nous déplaisaient, nous révulsaient même.
Préférant ne pas me tirailler l’esprit pour l’instant, je me tournai vers le
chemin caillouteux qui s’étendait devant moi. Je pris une profonde inspiration
avant de continuer ma course, bien décidée à aller jusqu’au bout.
La bataille avait effectivement lieu devant le portail, à l’entrée du territoire de
la Meute du Soleil. J’arrivai en son cœur en courant, prête à défoncer le premier
que je voyais s’en prendre aux miens ! Là-bas, des loups s’affrontaient sous leur
forme animale, des cadavres de lycans jonchaient le sol çà et là. J’eus le
soulagement de constater qu’aucun ne m’était familier. Les animaux étaient en
tout et pour tout une bonne soixantaine, si ce n’était plus. Tous se sautaient
dessus et tentaient de s’égorger à coup de griffes ou de dents. Il y avait du sang
par terre, beaucoup de sang. Plusieurs combattants étaient blessés. Parmi eux, je
reconnus le loup blanc de Walter, dont l’une des pattes arrière était sévèrement
abîmée. La bête tenait tête à un autre animal au pelage sombre, qui savait
visiblement où appuyer pour faire mal, un autre vint s’attaquer à lui par-derrière.
— Oh, sûrement pas ! m’écriai-je en le voyant brandir sa patte aux griffes
d’acier pour l’abattre sur l’arrière-train de mon ami.
Braquant le canon de mon fusil droit sur lui, je visai et tirai pour le mettre KO
d’une balle dans la tête. Surpris, plusieurs loups se tournèrent dans ma direction.
Je reconnus le loup rouquin d’Aiden, qui planta ses yeux noisette dans les miens.
Dans un rugissement presque félin, un immense loup gris et blanc se mit à
courir vers moi, sitôt percuté par un autre au poil chocolat. Sam planta ses crocs
dans la gorge de mon assaillant, et l’acheva en lui brisant la nuque d’un coup
sec. Après quoi il se secoua le poil dans tous les sens, et menaça d’un
grognement tous ceux qui oseraient s’approcher. Mon fidèle ami et garde du
corps n’était pas prêt à en laisser un venir par ici. Aussi, je levai mon arme et
profitai de la protection que m’offrait Sammy pour viser un autre mâle qui
mordait le dos crème de la louve de Rebecca. Je pressai la détente et l’atteignis
dans l’épaule. Ça ne le tua pas, mais cela le mit dans une colère noire qui le fit
gronder. Il fondit sur moi.
Malheureusement pour moi, à ce moment-là, un autre loup se jeta sur Sam,
qui riposta sévèrement. Je m’apprêtais à tirer pour abattre l’attaquant de Rebecca
lorsqu’un autre coup de feu explosa dans l’air. La créature tomba sur le flanc,
raide mort. Je me tournai vers le portail pour découvrir Ryan, un fusil de chasse
à la main, suivi de près par une trentaine de chasseurs armés jusqu’aux dents.
— Allez les gars ! Explosez-moi ces petites fiottes ! s’exclama Al en
chargeant son propre fusil à pompe, rempli sans doute de munitions en argent.
Personne ne s’en prend à ma petite fille !
Là-dessus, les traqueurs poussèrent un cri de guerre qui résonna dans la nuit
et se jetèrent avec courage dans la bataille qui faisait rage. Ryan se précipita vers
moi. Nous nous prîmes dans les bras.
— J’arrive pas à croire que tu aies réussi à abattre un loup-garou avec ce fichu
fusil ! m’exclamai-je en le serrant contre moi.
— Ne jamais sous-estimer un meilleur ami en pétard ! J’ai eu peur qu’il te
soit arrivé quelque chose !
Je souris et me détachai de lui.
— Je n’ai pas l’intention de clamser ce soir, ni aucun autre soir ! lui assurai-je
en hochant la tête.
Un rugissement bestial s’éleva alors au-dessus des grognements canins. Une
immense panthère noire au pelage brillant sauta au-dessus de la foule pour
fondre sur un garou qui s’attaquait à Aiden. Elle l’attrapa par la peau du cou et
l’envoya valser contre un arbre rageusement, avant de se jeter de nouveau sur
lui. Ryan et moi restâmes pantois devant la scène qui se déroulait devant nous.
— Dovie me fait flipper, souffla le blond, admiratif.
Je gloussai et relevai mon arme.
— On n’attaque pas le bout de viande préféré d’une métamorphe, lançai-je
avant de prendre une profonde inspiration et d’aller rejoindre mes camarades
chasseurs. Allez viens Ryan ! On a un territoire à défendre !
L’atmosphère était irrespirable. L’odeur du sang, de la bave, les effluves de
domination, de peur, ainsi que les émanations de colère et de rage qui planaient
dans les airs étaient insupportables. Le bruit était assourdissant, si bien d’ailleurs
que réfléchir correctement s’avéra très compliqué. L’adrénaline nous mettait tous
sur les nerfs et faisait des chasseurs comme des loups de véritables machines de
guerre. Entre les coups de feu, les cris, les grondements sourds et les
couinements, je ne savais plus où donner de la tête. Plusieurs loups parvinrent à
me mordre les mollets, jusqu’au sang parfois. Mais je les neutralisai rapidement
avant de leur permettre de faire plus, ou alors, l’un des membres de la meute
venait s’en charger pour moi. Ryan sauva la vie de Seth, attaqué par trois loups-
garous en même temps. Al défendit Daryl quand il se fit assaillir par plusieurs
ennemis en même temps, et Dovie et Aiden ne cessèrent de se sauver
mutuellement la mise, se récompensant de câlins affectifs à chaque fois.
Cependant, malgré l’effusion de sauvagerie auquel nous devions faire face, je
tins bon et ne tremblai à aucun moment devant une cible. Sauver les miens était,
ce soir, une priorité absolue.
Néanmoins, le seul et unique loup que je cherchais, je ne le trouvais nulle
part. Impossible de mettre la main sur un animal au pelage noir. Il n’était pas
mort, je le savais. Je sentais sa fureur à travers notre lien, brutalité sourde qui me
donnait de la force et me permettait de rester sur pieds, mais je ne l’avais pas
dans mon champ de vision. Ce qui m’inquiétait plus que je ne voulais l’admettre.
Je poussai un cri de surprise lorsqu’une mâchoire puissante se referma sur
mon avant-bras, me faisant lâcher mon fusil au sol. Mon os se brisa à la seconde
même ou le loup qui m’avait prise pour cible serra les dents. Je hurlai et me
retrouvai propulsée au sol lorsqu’il abattit ses lourdes pattes sur ma poitrine
douloureuse. Couchée sur le dos, je cherchai à me débattre malgré la douleur qui
me transperçait le bras droit, et bougeai les jambes dans tous les sens pour
chercher à me défaire de la présence du lycan au-dessus de moi. Il était lourd,
trop pour moi. Il lâcha mon avant-bras cassé pour pencher sa gueule béante
dégoulinante de sang et de bave au-dessus de mon visage. Un liquide visqueux
coula sur ma joue ; sa bave était chaude, presque brûlante. J’en eus la nausée.
Alors que l’animal ouvrait grand les mâchoires pour me mordre, une
puissante onde de choc balaya les trois quarts des loups qui se trouvaient devant
l’entrée du territoire. Mon opposant se retrouva arraché de mon corps et fut
envoyé plusieurs mètres plus loin. Je tournai la tête sur le côté, et vis Sombre
faire son entrée, seul, droit et digne. Il marchait calmement, une sucette dans la
bouche, et même dans ce corps d’adolescent, il avait l’air féroce. Ses iris dorés
brillaient dans le noir.
— Personne ne touche à ma douce, éructa-t-il en retirant sa sucrerie d’entre
ses lèvres pour la jeter au sol.
Me redressant difficilement, je constatai qu’aucun des loups de la Meute du
Soleil et qu’aucun chasseur n’avait été touché par l’onde de choc. Pas plus que
certains autres lycanthropes d’ailleurs, qui devaient appartenir à la Meute Sirius.
Tous étaient encore debout, alors que les autres gisaient désormais au sol,
inertes.
— Poppy ! s’écria Ryan en lâchant son arme pour se précipiter vers moi. Ton
bras, putain !
Je n’osais jeter un coup d’œil pour vérifier les dégâts moi-même. Je savais
simplement que cela faisait mal, et que ça pissait le sang. Si bien d’ailleurs que
ça m’en fit presque défaillir.
— Il faut faire un garrot ! cria Dave, un ami chasseur, en retirant la ceinture
de son pantalon.
— Nul besoin de faire une chose pareille, affirma le dieu en venant
s’agenouiller à mes côtés. Je vais me charger de ça. Poppy, laisse-moi te dire que
tu as la fâcheuse manie de te faire briser les os plus souvent que je ne change de
chaussettes.
— Tu ne dois pas changer de chaussettes très souvent alors, plaidai-je en
serrant les dents quand il posa une paume sur mon avant-bras.
— Tu dois avoir les os fragiles, dit-il en ignorant ma remarque.
En moins d’une seconde, plus aucun os ne pointait le bout de son nez à
travers ma chair, et plus aucun sang ne coulait de la blessure. La plaie avait
entièrement disparu.
— Voilà, un bras tout neuf ! railla le frère de Morphée en se relevant.
Le jeune homme m’attrapa sous les aisselles et m’aida à me dresser sur mes
jambes. Je le remerciai d’un sourire.
— Merci.
— Ne me remercie pas, j’ai promis que je veillerais sur toi et je le ferai. Je me
suis rendu sur les trois territoires que je devais investir, déclara-t-il alors, mais
deux d’entre eux étaient vides.
J’acquiesçai.
— Ça ne m’étonne pas, Marcel devait avoir préparé son assaut et demandé à
ses troupes de le rejoindre ici. Quelqu’un aurait vu Nick ? m’enquis-je alors que
plusieurs loups reprenaient forme humaine.
Seth muta. Il était essoufflé et une large plaie striait sa poitrine. Alexeï, qui
avait également repris sa place, marcha jusqu’à lui pour le guérir.
— Il a poursuivi Marcel dans les bois, m’apprit-il. Il ne devrait pas être…
À ce moment précis un gigantesque loup au pelage tricolore franchit la cime
des arbres, suivi de très près par un loup noir massif. Sombre me poussa en
arrière alors que tous les autres loups et chasseurs reculaient pour laisser plus de
place aux deux adversaires. Je compris rapidement qu’il s’agissait de mon mari
et de Marcel Jay White.
— Nick ! criai-je en faisant un pas en avant.
Le loup noir me gratifia d’un coup d’œil furtif, mais ne se laissa pas distraire
de sa cible initiale. Je vis plusieurs entailles sur son poitrail et dans son dos. Une
plaie en particulier attira mon attention et réveilla mon inquiétude. Jack avait un
trou au niveau de l’épaule gauche, un trou de plusieurs centimètres de diamètre
qui pissait le sang par jet. Mon cœur se serra dans ma poitrine.
Nick était fatigué, je le sentais à travers notre lien, il n’en pouvait plus et
commençait à manquer de force. Mais en bon Alpha, il refusait catégoriquement
d’abandonner la partie et avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout de son
combat cette fois. Une vraie tête de mule ! Heureusement, le loup de Marcel
n’était pas en grande forme non plus. Une profonde déchirure faisait pendre sa
babine inférieure, il lui manquait des touffes de poils et son pelage était par
endroit taché de sang frais. Bien fait pour ta gueule, Marcel !
Rattrapant son rival, Nick se jeta sur lui et le cloua au sol. White se débattit,
les deux combattants roulèrent dans la terre pendant plusieurs secondes. Mais
Marcel parvint à se relever plus rapidement que Nick et lui asséna un coup de
patte en plein sur le museau. Je criai le nom de mon compagnon, folle
d’inquiétude, et le vis secouer la tête sous le coup de l’étourdissement. Il gronda,
furieux, et se redressa vivement sur ses quatre pattes pour tenir tête à son vieil
ennemi. Nick, à mon plus grand étonnement, semblait souffrir d’une drôle de
pathologie qui consistait à le rendre plus fort à chaque coup qu’il se prenait !
Habituellement, plus nous prenions de coups et moins nous étions performants.
Avec Nick, c’était tout l’inverse. Plus on le frappait, et plus solide il était sur ses
jambes, ou ses pattes. Un vrai guerrier fait d’acier. Ou alors un fou furieux. À
voir.
Hors de lui d’avoir été atteint par un coup de son adversaire, Nick montra les
crocs et banda ses muscles pourtant déjà bien contractés. Puis il bondit sur ses
pattes puissantes et attaqua son opposant à la gorge. Il le mordit juste sous le
museau et s’amusa à le secouer comme une poupée de chiffon avant de
l’envoyer paître contre un arbre, celui-là même où Dovie avait écrasé l’individu
qui s’en était pris à Aiden. Je compris à ce moment-là, en voyant mon mari
attendre que l’autre se relève, qu’il jouait avec lui, qu’il prenait un malin plaisir à
lui faire savoir que malgré ses tentatives, il ne parviendrait pas à l’abattre. Et que
c’était lui qui sortirait victorieux de son combat. J’en fus si rassurée que je me
laissai tomber au sol, sur les fesses.
— Nick aime bien asticoter ses proies on dirait, railla mon grand-père en
croisant ses bras contre sa poitrine. Vous n’êtes pas âmes-sœurs pour rien, on
dirait !
Non, ça c’est clair…
Jack asticota Marcel pendant encore de longues minutes. Il le mordit, le
griffa, le jeta dans tous les sens et lui lacéra la peau à de nombreuses reprises
avant de véritablement décider de l’achever. Il n’attaqua pour tuer que lorsqu’il
sentit que son ennemi était au plus mal, couvert de sang et soufflant comme un
bœuf. Là alors, le loup noir avança lentement, à la manière d’un prédateur, vers
sa cible immobile. Marcel était à bout de souffle, épuisé, il avait à peine la force
de tenir sur ses pattes. Il était couvert de blessures suintantes et un de ses yeux
était en train de s’affaisser. Il était évident que la partie était finie et qu’il ne
l’avait pas remportée.
Se dressant de toute sa hauteur devant le loup qui avait osé investir son
territoire et trahir les siens, Nick grogna. Il envoya vers son ennemi des
vibrations de domination telles qu’il fut contraint de se soumettre. L’Écossais
faisait payer à Marcel toutes les horreurs qu’il avait pu commettre, et il lui
retirait la dernière chose qu’il pouvait prétendre posséder : sa dignité.
Quand Marcel se soumit à ses pieds, Nick posa une de ses grosses pattes sur
sa tête, se pencha en avant et referma sa mâchoire sur la gorge de l’ancien
Lieutenant de l’Ouest. Je ne détournai pas les yeux lorsqu’il arracha sa jugulaire
dans une explosion de sang. Le combat était fini, et c’était Nick qui l’avait
remporté.
Le loup noir, une fois son ennemi abattu, se tourna vers ses camarades et
renversa la tête en arrière pour hurler à la lune. Une série de hurlements, en
réponse au sien, s’éleva dans le ciel. Même les membres de la meute qui
s’étaient retransformés laissèrent leurs loups parler à travers leurs voix. Je me
relevai avec l’aide de Sombre, et attendis patiemment que la symphonie cesse.
Mon compagnon muta alors, avant de se relever sur ses jambes humaines. Il était
couvert de sang et d’égratignures, mais ça ne m’empêcha pas de courir jusqu’à
lui et de me jeter dans ses bras.
— Je t’avais dit de rester en bas, gronda-t-il en me serrant contre lui, le nez
enfoui dans le creux de mon cou.
Je souris, et retins de justesse les sanglots qui menaçaient de me faire
exploser. La grossesse avait vraiment de drôles d’effets sur moi !
— Depuis quand est-ce que j’écoute ce que tu me dis, murmurai-je en serrant
mes cuisses autour de sa taille nue.
— Je te dis pas la fessée que tu vas prendre, susurra-t-il en mordillant ma
mâchoire.
Je souris.
— Quand tu veux, Red.
Il gronda de satisfaction, et s’écarta légèrement pour plonger son regard dans
le mien. Je passai mon pouce sur ses lèvres pour chasser le sang qui maculait sa
bouche, et me penchai en avant pour l’embrasser. Il m’étreignit plus fermement
afin de répondre à mon baiser, les mains solidement pressées contre mes fesses.
Jamais je n’avais connu de satisfaction plus grande que de le tenir là, contre moi,
après une bataille pareille. Nous étions en vie, tout le monde allait bien.
Alors que Nick faisait glisser sa langue dans ma bouche pour approfondir
notre baiser, un cri retentit au loin. Nous nous séparèrent immédiatement pour
voir Leah courir à toutes jambesvers son compagnon, son bébé dans les bras.
Elle pleurait à chaudes larmes, et avait l’air au bord de la crise de nerfs.
— Logan ! l’appela-t-elle d’une voix d’où transparaissait le désespoir.
— Leah ! répondit-il en s’élançant vers elle à grandes enjambées.
Tous deux se prirent immédiatement dans les bras, leur fils entre eux, et
s’embrassèrent à pleine bouche sans sommation. Je haussai les sourcils, amusée,
et caressai la joue de mon compagnon en souriant.
— Tu as réussi.
— On a réussi, rectifia-t-il. Et désormais, plus personne ne viendra jamais
troubler notre repos, je te le promets.
J’arquai un sourcil, ce soir, j’avais été témoin de la puissance de la Meute du
Soleil et de la détermination dont ses membres faisaient preuve. Jamais je
n’avais vu de telle cohésion entre les membres d’une meute auparavant, et j’en
étais très fière. Je savais qu’à l’avenir, si jamais nous venions à être attaqués,
nous ferions face tous ensemble, soudés comme la famille que nous formions
tous.
— Je n’en doute pas un seul instant.

23

Deux semaines plus tard…

— Tu veux que je t’apprenne à faire cuire des steaks, Al ? gronda Arlene, une
spatule à la main, sous le regard amusé de Daryl et Loki.
— J’ai l’air de pas savoir faire cuire des steaks ? répliqua mon grand-père sur
le même ton. Ce n’est pas de ma faute si le feu ne veut pas prendre !
— Tu t’y prends comme un manche ! Ça fait une demi-heure que tu essayes
de faire fonctionner ce fichu barbecue, et si ça continue, on va tous mourir de
faim ici ! Pousse-toi, et laisse-moi faire !
Ma patronne, une rouquine aux courbes généreuses et aux vêtements
excentriques, bouscula le traqueur pour se charger de l’allumage du barbecue.
Elle le frappa sur l’épaule à l’aide de sa spatule en fer pour le réprimander quand
il grogna, agacé.
— Arlene et Al ne sont pas en couple ? me questionna Sam au creux de
l’oreille en observant les deux chasseurs.
Je me mordis la lèvre inférieure et me tournai vers lui. Expliquer la relation
qu’entretenaient Al et Arlene serait pire que de se risquer à une épreuve de
philosophie. Ils étaient bien ensemble, mais refusaient catégoriquement de se
considérer comme un couple. Pourtant, il était on ne peut plus évident qu’Al
était complètement mordu d’Arlene, et vice versa. Mieux valait ne pas leur poser
de question sur leurs rapports si on ne voulait pas se retrouver avec les deux
vioques sur le dos. Aussi, je ne m’y risquais jamais. De plus, Al était encore
profondément amoureux de ma grand-mère qui, même si elle était décédée
depuis plusieurs années, continuait de vivre dans son cœur. Mettre un mot tel
que celui de « couple » sur la relation qu’il vivait avec la propriétaire du Teddy’s
lui donnait l’impression de tromper sa bienaimée disparue, et ça lui déplaisait
fortement.
— Oui, on peut dire ça, répondis-je en haussant une épaule.
— Tu as devant les yeux le reflet de ce que tu seras avec Nick dans quelques
années, gloussa Ryan, une bière à la main.
Je fronçai les sourcils et lui assénai une tape sur l’épaule. Il se marra de plus
belle.
— Aïe !
— Nick et moi ne nous disputerons jamais pour un barbecue, plaidai-je en
croisant mes bras contre ma poitrine.
— Non, vous serez plus du style à vous battre pour savoir qui se mettra au-
dessus pendant l’accouplement, répliqua le Gamma en ricanant.
Lui et Ryan pouffèrent pendant plusieurs secondes jusqu’à ce qu’un
grognement les arrête net. Nick vint à ma rescousse, fusillant les deux amis du
regard.
— C’est moi au-dessus, intervint-il en passant un bras autour de mes épaules.
Je fronçai les sourcils et levai les yeux vers lui.
— Eh !
— C’est parce que j’aime te regarder quand tu es nue, à ma merci, expliqua-t-
il en se penchant en avant pour m’embrasser.
Notre baiser s’éternisa un peu trop au goût des deux garçons qui
m’accompagnaient, qui décidèrent de s’éclipser pour rejoindre les autres
membres de la meute et les chasseurs rassemblés dans le jardin à l’arrière de la
maison.
— Trouvez-vous une chambre bande de cochons ! s’exclama Sam en
s’éloignant, le sourire aux lèvres.
— C’est aujourd’hui que tu joues les prudes, Peters ? marmonna Nick, les
sourcils froncés.
Je secouai la tête de gauche à droite, amusée, et écoutai les deux amis lycans
se chamailler, pendant qu’Arlene donnait une leçon à Daryl, Loki et Al sur la
manière d’allumer un barbecue.
Finalement, la bataille contre les rebelles s’était soldée par une victoire
écrasante. Grace à la Meute Sirius, aux loups qui nous avaient rejoints ensuite,
avertis par Logan, grâce aux chasseurs, à Dovie et à Sombre nous étions
parvenus à neutraliser tous nos ennemis et à sortir victorieux de ce combat
acharné. Marcel nous avait attaqués avec, dans ses rangs, deux meutes, dont
l’une d’elles était supposée faire partie de nos alliés, ainsi que des métamorphes
solitaires, appâtés par l’argent. Nous les avions tous vaincus, et ceux qui avaient
survécu avaient été arrêtés par les autorités lycanes et attendaient désormais
d’être jugés. Il avait ensuite fallu réveiller tous les lycanthropes que Sombre et
moi avions endormis, afin qu’ils soient remis aux autorités compétentes et
soumis à la loi. En attendant leur procès, les rebelles étaient détenus dans une
prison pour métamorphes sous haute surveillance. J’avais demandé à Nick, qui
présidait le conseil lycan, de ne pas se montrer trop sévère envers les alliés de
Marcel.
Beaucoup avaient suivi le mouvement dans l’espoir de voir leur condition
évoluer. Appâtés par les promesses de White, ils avaient apporté leur allégeance
à un homme qu’ils pensaient tous capable de les aider à s’affranchir de
l’anonymat forcé dans lequel ils étaient plongés. Et au fond, je ne leur en voulais
pas vraiment. Après tout, qui ne désirerait pas être reconnu ? Être considéré
comme un véritable être vivant au lieu d’être perçu par les humains comme une
légende ? Nick avait accepté d’y réfléchir.
Grâce aux loups de la meute de White que nous avions interrogés, nous
avions appris que la vidéo qui avait été confiée aux médias avait bel et bien était
tournée par leurs soins. Marcel avait cherché à semer la zizanie au cœur de la
Meute du Soleil, et à détourner l’Alpha du Nord de la rébellion, pour lui
permettre de prendre par surprise le grand roux. Il nous avait été assuré que le
jeune homme qui se faisait pousser à bout sur la vidéo était encore en vie et qu’il
était parvenu à s’échapper après s’être transformé. Nous étions à sa recherche.
La vidéo avait fait un véritable buzz sur les réseaux sociaux et dans les
médias. Elle avait été expertisée, comme Logan l’avait prévu, et plusieurs
experts en la matière s’étaient rendus sur des plateaux télé pour affirmer qu’elle
était vraie et qu’aucun effet spécial n’avait été utilisé pour la réaliser. Certains
affirmaient que c’était des conneries et que les loups-garous n’existaient pas,
mais une majorité était prête à croire qu’une nouvelle évolution de l’espèce
humaine venait d’apparaître et d’être révélée au grand jour. Bien sûr, les théories
les plus folles circulaient sur le net, et nous nous amusions toujours de les lire.
Mais nous savions que prendre une décision allait être nécessaire. Au vu de ce
qu’il était ressorti des nombreuses réunions auxquelles Nick et moi avions
assisté avec les dirigeants des différentes sociétés surnaturelles, faire éclater la
vérité au grand jour s’avérait être une option grandement envisagée par un plus
grand nombre. Les sorcières et les fées s’étaient même mises d’accord, pour une
fois, pour dire que si cela venait à arriver, les deux espèces seraient là pour
utiliser leur magie et faire passer la pilule plus facilement auprès de la
population. Je trouvais que c’était une très bonne idée et pour la première fois
depuis des centaines d’années, des milliers d’années, nous sentions que le
changement était à notre portée. Et qu’il n’appartenait qu’à nous de faire évoluer
les choses.
Quoi que l’avenir nous réservât, j’étais sereine. Marcel n’était qu’un lointain
souvenir, Arizona aussi, et notre bébé se portait comme un charme. En tout cas,
c’était ce que nous avait affirmé Kaja, qui était venue chez nous une semaine
plus tôt après que nous ayons annoncé la nouvelle de l’arrivée d’un héritier, ou
d’une héritière, à la société surnaturelle tout entière. La sorcière s’était portée
volontaire pour m’accompagner dans ma grossesse et veiller à ma santé. J’avais
évidemment accepté.
Pour fêter la fin de la rébellion et l’arrivée de notre bébé, nous avions
organisé un barbecue sur le territoire de la meute. Tous ceux qui nous avaient
aidés lors de la bataille, y compris les chasseurs, avaient été invités à manger des
steaks et à profiter d’un bon moment en notre compagnie autour d’une table. Le
jardin était bondé, et l’assemblée s’amusait sous un soleil éclatant. À voir tous
les gens que j’aimais réunis au même endroit, je me sentais particulièrement
heureuse. Pleinement comblée.
— Je crois qu’Aiden n’aime pas beaucoup Ryan, constata mon mari en
entourant ma taille de ses bras et en observant son Gamma au loin.
Le blond aux yeux azur dévisageait méchamment l’apprenti chasseur, en
pleine discussion avec la féline. Il serrait sa bouteille de bière si fermement dans
sa main que Seth et Alex préféraient se tenir à distance de peur qu’elle n’éclate.
Je soupirai en appuyant mon dos contre le torse de mon époux.
— Il est jaloux, soupirai-je. Et je sais d’expérience qu’un loup jaloux peut se
montrer particulièrement irritable quand la femelle qu’il convoite se trouve trop
proche d’un adversaire potentiel.
Nick grommela, il se sentait visé.
— Il ne devrait pas être jaloux, il est évident que la panthère en pince pour lui.
Je souris.
— Oui, mais savoir que j’en pinçais pour toi déjà à l’époque t’empêchait-il
d’être jaloux des hommes avec qui je pouvais discuter au Teddy’s ou même à
l’extérieur ? Est-ce que ça t’empêche d’être jaloux maintenant, alors que je suis
ta femme et que je porte ton enfant ?
Comme je m’y attendais, le highlander gronda en me serrant davantage contre
lui. La réponse était non.
— Tu marques un point, m’accorda-t-il.
Je pouffai et me tournai vers Sombre, en pleine discussion avec Dave et Don,
deux amis chasseurs. Le dieu des cauchemars montrait déjà depuis plusieurs
jours des signes de fatigue extrême. Il allait bientôt devoir libérer Marshall de
son emprise pour se trouver un autre véhicule plus à même de l’accueillir, ce qui
signifiait que son temps parmi nous était compté. Je n’avais pas envie de lui dire
au revoir.
— Kaja l’a mis en relation avec un nécromancien, grommela Nick en suivant
mon regard. Ils vont lui concevoir une enveloppe corporelle sur mesure rien que
pour lui, grâce à la magie noire. Cet enfoiré n’est pas prêt de me lâcher les
baskets.
Effectivement, en venant nous rendre visite, Kaja, qui était particulièrement
clairvoyante, avait tout de suite deviné que Sombre n’était pas de notre monde.
Voyant qu’il n’était pas dans un corps adapté à son essence divine, elle avait
proposé de lui faire rencontrer un ami qui pourrait résoudre son problème de
corps. Je ne savais pas trop ce qu’elle comptait faire pour aider Phobétor à rester
un peu plus longtemps parmi nous, et au fond, je n’étais pas certaine de vouloir
le savoir. Tout ce qui touchait à la magie noire me filait les jetons, et pourtant,
j’étais une habituée du métier. Dans le fond, tant que Sombre ne repartait pas
tout de suite pour l’Olympe, moi ça m’allait parfaitement. Je m’étais attachée à
lui et avec le temps, il était devenu un véritable ami qu’il me plaisait de côtoyer
régulièrement.
— Tu ne l’aimes vraiment pas, hein ? supputai-je en me retournant pour faire
face à ma moitié.
Le loup soupira, et planta son regard dans le mien.
— Il est trop familier avec toi, et il semble oublier que tu es ma femme, pas la
sienne, marmonna-t-il d’un ton bougon.
J’arquai un sourcil.
— Je doute qu’il soit passé à côté, répliquai-je, au vu du nombre de fois où tu
lui grognes dessus en affirmant que je suis tienne !
Il fit la moue et me souleva de terre pour me prendre dans ses bras. Je
m’enroulai autour de lui et croisai mes chevilles contre ses reins.
— Je ne peux pas m’en empêcher, dit-il, tu es à moi, et j’aime le faire savoir à
tous.
Je gloussai et me penchai en avant pour l’embrasser. Ses lèvres sensuelles
caressèrent les miennes tendrement. Je souris de contentement.
— Je dois avouer que je suis également on ne peut plus satisfaite de voir la
manière dont les gens dévisagent la belle marque de Revendication que j’ai
laissée dans le creux de ton cou, avouai-je en souriant. Ainsi, plus personne ne
pourra douter de notre union.
Il gronda en fronçant les sourcils.
— Si quelqu’un ose faire une chose pareille, je me chargerai personnellement
de l’égorger.
Il disait vrai. Sa mine sévère en disait long sur la question.
— Alors les garçons ! s’exclama soudainement la voix d’Arlene dans mon
dos. C’est qui la reine du barbecue ?
Jetant un regard par-dessus mon épaule, je constatai qu’Arlene était parvenue
à ses fins et qu’elle avait fini par vaincre le barbecue récalcitrant.
— Nous ne pouvons que nous incliner devant ton savoir-faire Arly, reconnut
Loki en lui adressant un clin d’œil charmeur.
Al leva les yeux au ciel et s’éloigna pour aller se chercher une nouvelle bière.
C’était une belle journée.
— J’ai hâte de connaître le sexe de notre bébé, lança alors mon compagnon en
me reposant à terre.
— Tu serais déçu s’il s’agissait d’une fille ? lui demandai-je en caressant mon
ventre qui s’était arrondi ces derniers jours.
L’évolution du bébé était impressionnante, et mon abdomen en était la preuve
formelle. J’étais désormais affublée d’un ventre rond bien visible sous mes tee-
shirts, et Nick était fier comme un coq de le faire remarquer à tous ceux qui
voulaient bien regarder.
L’homme serra les lèvres et me fusilla presque du regard en posant une main
sur le tissu tendu de la robe rouge à pois blancs que je portais.
— Ne dis pas de bêtises, pesta-t-il. Le plus important pour moi est que cet
enfant soit en bonne santé. Fille ou garçon, ça m’est égal. C’est ma chair et mon
sang, le fruit de notre amour, rien d’autre ne compte.
Satisfaite, je caressai son bras tendrement et me lovai contre lui.
— J’ai hâte de voir à quoi il ou elle ressemblera, soufflai-je. Si le bébé aura
tes yeux ou les miens, s’il sera blond comme moi ou roux comme toi.
— Peut-être un mélange des deux, proposa-t-il.
J’acquiesçai.
— Quoi qu’il en soit, ce sera le plus beau des bébés, j’en suis sûr, déclara-t-il
fièrement. Tu es si belle qu’il ne peut en être autrement.
— Bon les amoureux, vous venez nous aider ! s’écria Daryl en agitant la
spatule en fer que lui avait remis Arlene. Je ne compte pas faire cuire une
quarantaine de steaks tout seul !
Je soupirai et échangeai un regard avec Nick.
— Tu vois Teller, au moins l’avantage de vivre avec des loups, ce sera de
nous exercer au métier de parents. Regarde Daryl, il râle tout le temps, ça nous
fera un bon entraînement pour supporter la future crise d’ado de notre gamin.
— Eh ! s’exclama le premier Gamma, outré. Je vous entends je vous signale,
et je ne suis pas un ado en colère !
Un grand sourire étira mes lèvres. Je descendis les marches de la terrasse et
entraînai mon mari avec moi. Il tirait une tête de six pieds de long, ce qui me fit
exploser de rire.
— Si notre gosse se comporte comme Daryl à l’adolescence, tue-moi, Poppy.
L’assemblée de chasseurs et de loups-garous qui avait suivi la conversation
explosa de rire. Cela ne fit que renforcer la mine grognonne de Daryl, qui gronda
en faisant la moue. Je secouai la tête dans un geste négatif et entrelaçai mes
doigts à ceux de mon âme-sœur.
— N’y pense même pas !

À suivre…
{1}
Hercule Poirot est un personnage de fiction mis en scène par la romancière Agatha Christie dans
plusieurs de ses romans. Une série télévisée du même nom à ensuite été créée, dans laquelle le
détective résout des enquêtes criminelles.
{2}
Le Demogorgon est une créature imaginaire issue de l’univers de la série Stranger Things créée par
Ross Duffer et Matt Duffer.

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