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Auteur et traducteur

Il faut sinon autant de génie, du moins autant de goût pour bien traduire
que pour composer. Peut-être même en faut-il davantage. L’auteur qui
compose, conduit seulement par une sorte d’instinct toujours libre, et par
sa matière qui lui présente des idées qu’il peut accepter ou rejeter à son
gré, est maître absolu de ses pensées et de ses expressions : si la pensée ne
lui convient pas ou si l’expression ne convient pas à la pensée, il peut
rejeter l’une et l’autre (…). Le traducteur n’est maître de rien ; il est
obligé de suivre partout son auteur, et de se plier à toutes ses variations
avec une souplesse infinie. Qu’en en juge par la variété des tons qui se
trouvent nécessairement dans un même sujet, et à plus forte raison dans
un même genre.

(C. BATTEUX)

Lettre à Bertha
Mademoiselle,
Je devrais être le plus heureux des hommes, et cependant mon cœur
est brisé ! Et cependant je me demande s’il ne vaudrait pas mieux être
mort que de souffrir ce que je souffre !
Qu’allez-vous penser, qu’allez-vous dire lorsque cette lettre vous
apprendra ce que je ne puis vous cacher plus longtemps sans me montrer
tout à fait indigne de vos bontés pour moi ? Et pourtant, il me faut tout le
souvenir de votre bienveillance, il me faut toute la certitude de la
grandeur et de la générosité de notre âme, il me faut surtout la pensée que
c’est l’être que vous aimez le plus au monde qui nous sépare, pour que
j’ose me décider à cette démarche.
Oui, mademoiselle, j’aime votre sœur Mary, je l’aime de toute la
puissance de mon cœur ! Je l’aime à ne vouloir, à ne pouvoir vivre sans
elle ! Je l’aime tant, qu’au moment où je me rends coupable envers vous
de ce qu’un caractère moins élevé que le vôtre prendrait peut-être pour
une sanglante injure, j’étends vers vous des mains suppliantes et je vous
dis : « Laissez-moi espérer que je pourrai acquérir le droit de vous aimer
comme un frère aime sa sœur ! ».

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