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Les Annales de la recherche

urbaine

La difficile définition de la justice spatiale à Johannesburg. Un


processus de démocratie participative
Claire Bénit

Abstract
Claire Bénit. Spatial justice in post-apartheid Johannesburg
Recent policies to reduce spatial segregation in the cities of South Africa are driven by two principles : equal access to municipal
public services, and the participation of residents in the future of their communities. The negotiated creation of new districts
between black townships and white residential areas in Johannesburg brings together these two principles in a practical
manner. Participatory democracy does not always follow these projects.

Résumé
Deux principes animent les politiques récentes de réduction de la ségrégation spatiale dans les villes d'Afrique du Sud : l'égal
accès aux services publics de l'agglomération, la participation des habitants au devenir de leur espace quotidien. La réalisation
négociée des quartiers nouveaux entre townships noirs et résidences blanches à Johannesburg combine pratiquement ces
deux principes. La démocratie participative ne suit pas toujours ces projets.

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Bénit Claire. La difficile définition de la justice spatiale à Johannesburg. Un processus de démocratie participative. In: Les
Annales de la recherche urbaine, N°99, 2005. Intercommunalité et intérêt général. pp. 48-59;

doi : 10.3406/aru.2005.2625

http://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_2005_num_99_1_2625

Document généré le 26/06/2017


Bénit
Claire
La difficile définition de la justice spatiale

à Johannesburg

Un processus de démocratie participative

Claire Bénit

Les villes d'Afrique du Sud sont emblématiques de l'in¬ d'une ville, mesurées en termes d'équipement, de déve¬
justice sociale, qui a été très fortement marquée dans leur loppement social, économique et urbain à l'échelle locale.
espace et imposée sous le régime ségrégationniste d'apar¬ L'idée est aussi que l'on peut définir des principes géné¬
theid. La chute de ce régime s'accompagne d'une réflexion raux d'aménagement urbain qui produisent de l'équité et
sur la justice spatiale dans la ville, afin de donner aux aména¬ corrigent urbains
collectifs les inégalités
à la fois« «objectives
les biens matériels
» d'accès etaux
les biens
geurs des lignes directrices dans leur difficile et passionnante
:
mission de « reconstruire » une ville que tous s'accordent à symboliques » (Grafmeyer Y., 1994), les services élémen¬
juger à la fois inégalitaire et inefificiente. Johannesburg, capi¬ taires et les bénéfices d'agglomération (équipements collec¬
tale économique et cœur du pouvoir politique de Y African tifs, services spécialisés, marchés de l'emploi diversifiés).
National Congress (ANC), en était sans doute un des champs La définition d'une « mission de service public » en
d'expérimentation les plus prometteurs, puisque le gouver¬ Afrique du Sud, où le droit au logement et le droit à l'eau,
nement urbain semble y disposer d'une importante marge de notamment, sont garantis par la Constitution, s'inscrit dans
manœuvre financière et politique. cette lignée structuraliste et objectivante de la justice spatiale :
Si l'analyse de la géographie d'apartheid , des instruments elle confère
chacun un accès
aux minimal
pouvoirs auxpublics
biensl'obligation
et aux services
d'assurer
urbainsà
politiques et techniques de la ségrégation raciale et de ses
effets inégalitaires dans la ville est relativement facile à mener élémentaires, accès considéré comme un droit. Cette mission
tant cette géographie paraît caricaturale, la construction des pouvoirs publics s'opère donc indépendamment de critè¬
d'une ville post -apartheid est plus délicate. Il ne s'agit pas res marchands, consistant justement à tempérer les effets
simplement, en effet, de supprimer les décrets et les outils inégalitaires produits par les dynamiques de marché, au nom
ségrégationnistes - puisqu'il faut aussi « réparer » les dégâts des droits élémentaires des citadins-citoyens. Elle vise à assu¬
causés par quatre décennies de ségrégation. En outre, les rer à tous les citadins, même et peut-être surtout les moins
inégalités sociales et spatiales sont inextricablement mêlées solvables
aux biens -urbains
souventélémentaires.
délaissés parToute
le secteur
actionprivé
allant—dans
l'accès
ce
- il s'agit de redonner l'accès à la ville à une majorité de la
population marquée par le chômage et la pauvreté. Enfin, sens relève alors de 1'«intérêt général », défini par les pouvoirs
la dynamique spontanée du marché vient bien plus souvent publics, seuls à détenir un recul spatial suffisant et à pouvoir
conforter la structure inégalitaire de la ville d'apartheid que garantir le droit égal de chaque citoyen.
la corriger (Bénit C., 2000) : faut-il s'attaquer à l'héritage
d'apartheid ou aux dynamiques ségrégatives contemporai¬
nes, en laissant de côté les spécificités des villes d'apartheid ?
Une justice spatiale post-structuraliste
définit la négociation entre les acteurs

Une justice spatiale structuraliste, A cette conception de la justice spatiale s'opposent des
définie par les pouvoirs publics définitions dites post-modernes ou post-structuralistes (Visser
G., 2001), qui soulignent l'abstraction de cet intérêt géné-
Une première tradition, dite moderniste ou structuraliste,
très développée en France, fonde la justice sociale sur la Les Annales de la recherche urbaine n° 99, 0 1 80-930-XII-05 pp. 48-59.
©MTETM-PUCA
correction des inégalités « objectives » entre les quartiers
50 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE n° 99 Intercommunalité et intérêt général

Ville d'apartheid : analyse Ville compacte : préconîsations

Ségrégation raciale - Densifier la ville, notamment par l'urbanisation des


- Eloignement physique entre les groupes « raciaux », zones-tampons,
une mixité « raciale
ce qui
» résidentielle
permet à la fois
et dedefaire
développer
accéder
zones-tampons provoquant la discontinuité du tissu
urbain.
les Noirs aux services et aux équipements urbains.
- Confinement des groupes raciaux dans des espaces - Equiper les townships, mais limiter la croissance des
désignés, dans des logements publics.
- Rétablir
espaces les laplus
liberté
périphériques.
de mouvement et l'accès au marché
- Sous-équipement des townships.
privé du logement.
Éloignement habitat-emploi pour les Noirs - Construire des logements aidés près des zones d'em¬
- Confinement dans des zones résidentielles éloignées plois, limiter l'étalement urbain.
des pôles d'emplois et des zones de croissance. - Favoriser la mixité des usages des sols (prévoir des entre¬
- Zonage fonctionnel de la ville : interdiction aux prises dans les nouveaux quartiers d'habitation), et encou¬
entreprises de s'installer dans les townships, au rôle rager l'installation d'entreprises dans les townships.
purement résidentiel.

ral théorique et dé-spatialisé, défini par des pouvoirs publics Ces deux modèles théoriques de la justice spatiale
désincarnés alors qu'ils sont à l'évidence traversés eux aussi correspondent en réalité à deux exigences démocratiques
par des luttes d'intérêts et marqués par le poids des person¬ également nécessaires - les deux pôles irréductibles de
nalités qui occupent les postes de pouvoir1. Ces concep¬ toute réflexion politique, les principes d'égalité et de liberté
tions post-modernes s'opposent ainsi aux dérives totalitai¬ (Lévy J., 1994) -, exigences exacerbées dans l'Afrique du Sud
res du modernisme, où la certitude d'exprimer le bonheur post -apartheid. En effet, d'une part la redistribution des
de tous et le futur de l'humanité permettait à des pouvoirs ressources et des équipements dans l'espace métropolitain
centralisés et à des visionnaires exaltés d'imposer leur poli¬ paraît indispensable dans un Johannesburg systématique¬
tique, sans tenir compte des revendications et des résistan¬ ment divisé sous Y apartheid.
ces de la « société civile », et notamment, dans le cas précis D'autre part, la participation aux décisions politiques
d'une intervention urbaine, des groupes de résidants concer¬ urbaines est une exigence démocratique, après les décen¬
nés. La multiplication des « mouvements sociaux urbains » nies d'apartheid où des groupes entiers de population (les
dans les années 1970 (Lefebvre H., 1968 ; Castells M., non-Blancs, à différents degrés selon leur couleur de peau)
1983), s'opposant à la brutalité de l'intervention publique, étaient exclus des décisions politiques nationales et locales.
visait ainsi à affirmer l'importance d'une « qualité de vie » C'est d'autant plus une exigence que ce sont les mouve¬
définie par ses principaux intéressés, les résidants eux- mentslesociaux
titué fer de lance
urbains,
de animés
la résistance
par lesurbaine
civics 1 qui
auxont
munici¬
cons¬
mêmes (Donzelot J., 1999).
La justice sociale dans la ville est alors définie par un palités d'apartheid.
mode d'action plus que par un contenu, par un processus La mise en place d'institutions locales démocratiques
plus que par un principe, par une négociation plus que par pose à cet égard le problème du degré de participation des
une décision. Elle est conçue comme une construction civics, formes non élues de participation de la « société
collective et négociée entre les parties prenantes à l'échelle civile », mais à forte légitimité locale.
locale, (Harvey D., 1992). La confrontation des intérêts A priori d'ailleurs, ces deux modèles correspondent
divers est censée permettre l'émergence d'une vision
commune de l'intérêt général dans la ville, à travers la
conception et la mise en œuvre de projets urbains hiérar¬ tion
de
1 Lafonds
descritique
États
internationaux
portetradition
sans beaucoup
à tenter
démocratique
endeAfrique,
contourner

conduit
la cette
question
parfois
échelle
delesladebailleurs
corrup¬
pou¬
chisés et négociés par l'ensemble de ces groupes. Visser
.

(2001) souligne ainsi que les théories post-modernes de la voir, (Legros O., 2002). Mais la critique est plus générale, et s'appuie
justice sociale insistent surtout sur la nécessité de garantir sur des travaux de recherche qui s'attachent à décrire le fonctionne¬
l'intégration des groupes marginalisés dans les structures ment réel, et complexe, des appareils d'État (Poseí D., 1991).
de « gouvernance ». 2. Associations locales d'habitants dans les townships.
Claire Bénit La difficile définition de la just ce spat ¡ale à Johannesburg

i
Une courée à Alexandra en 1 997. Ces Backyard Shacks (cabanes de fond de cour) bénéficient de l'accès à l'électricité, et d'un robinet d'eau pour
l'ensemble des habitants de la courée.

également à deux formes - et à deux échelles - de gouver¬ de David Harvey (Chipkin I., 1996), la réflexion universi¬
taire et politique sur la ville évoque 1'«intégration » urbaine,
taine
nementsemble
urbainle mieux
un gouvernement
à même d'effectuer
d'échelle
des métropoli¬
redistribu¬
la « reconstruction » ou la « restructuration », plutôt que
:

tions fiscales, de réaliser un rééquilibrage des équipements


urbains à l'échelle métropolitaine ; tandis que des muni¬ 3. Pas moins de trois structures successives se sont succédées de 1994 à
cipalités à la juridiction plus circonscrite paraissent plus Z000 pour gouverner Johannesburg, non sans dommage d'ailleurs
aptes à répondre aux demandes les plus locales. La multi¬ pour sa gestion effective si les restructurations ont permis au person¬
nel politique d'assouvir certaines ambitions, elles ont laminé le person¬
:

plicité des réformes du gouvernement des villes sud-afri¬ nel administratif et technique, de surcroît confronté aux difficultés
caines3 est le signe de ce balancement, entre redistribution concrètes de la transition, coopération nécessaire et forcée entre un
et participation, entre conception structuraliste et post¬ personnel blanc, souvent afrikaner, hérité du régime d'apartheid et
structuraliste de la justice spatiale. parfois de mauvaise volonté dans la transmission du savoir, et un per¬
sonnel non-blanc, en plein essor mais souvent novice dans ces tâches
administratives et techniques. L'ensemble de ces difficultés a conduit à
une forte érosion du personnel le plus compétent, qui s'est souvent
tourné vers un secteur privé plus lucratif, finalement plus stable et
Quelle conception de la justice spatiale dans le moins tendu.
Johannesburg post-apartheid ? 4. En 1994, la politique du gouvernement ANC, allié au Parti
Communiste sud-africain et à la Fédération des Syndicats, est encore
En 1994, c'est d'abord la conception structuraliste qui largement inspirée par un socialisme réformateur. Cette inspiration est
prévaut4. La chute du régime d'apartheid s'accompagne de concrétisée dans le programme de 1994 intitulé Reconstruction and
la prolifération de projets pour « reconstruire » la ville - Development Programme (RDP). Toutefois, dès 1997, la tendance libé¬
rale l'emporte au sein de l'ANC, et le RDP est progressivement rem¬
l'avant-garde de ces projets se développant au Cap et à placé par le programme Growth, Employment And Redistribution
Johannesburg - sur des bases égalitaires. Bien que large¬ (GEAR), qui comme son nom l'indique est centré sur la croissance
ment inspirés des travaux américains de Manuel Castells et économique.
52 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE n° 99 Intercommunalité et intérêt général

la justice spatiale. Il s'agit d'affirmer l'opposition au modèle donc mis en place différents outils favorisant la participa¬
d'apartheid antérieur (d'où le préfixe re-), et de réconcilier tion des résidants au gouvernement de leur métropole.
(« intégrer ») une société divisée. C'est d'ailleurs cette vision Ainsi les réformateurs du gouvernement local maintien¬
d'une ville fonctionnant en système (où la richesse des nent-ils une structure duale du gouvernement des villes

:
Blancs repose largement sur le travail des Noirs) qui a aux côtés du gouvernement métropolitain centralisateur
conduit les civics (les associations locales d'habitants de sont instituées, en novembre 1995, quatre grandes muni¬
townships), et plus tard l'ANC à revendiquer explicitement cipalités jugées
décisionnels et fiscaux
plus accessibles
considérables.
aux résidants, aux pouvoirs
la création d'un pouvoir métropolitain5, seul à même de
rendre politique cette unité fonctionnelle, d'asseoir une Ces municipalités en venant à porter ombrage au
indispensable solidarité fiscale, et d'opérer les transforma¬ conseil métropolitain johannesbourgeois6, elles sont suppri¬
tions spatiales jugées nécessaires. mées en décembre 2000. La gestion de la proximité est
Les interventions publiques dans la ville doivent alors alors confiée à onze régions aux fonctions purement admi¬
prendre le contre-pied des principes spatiaux de l'aména¬ nistratives, et surtout à des « comités de circonscription »
gement urbainetd'apartheid.
universitaires activistes - construisent
Les réformateurs
doncdeunla contre-
ville - (ward committees ), chargés de faire le relais entre pouvoir
métropolitain et groupes de résidants. Ces ward commit¬
modèle à la ville d'apartheid, celui de la « ville compacte » tees, dirigés par l'élu local (ward councillor), doivent compor¬
qui s'y oppose terme à terme. L'étalement, la discontinuité ter des responsables pour chaque secteur de la vie publique
du tissu urbain, la ségrégation, la mono-fonctionnalité des locale : outre les fonctions classiques (le logement, le déve¬
quartiers, caractéristique de la ville d'apartheid, sont à loppement économique local, l'environnement, la jeunesse,
proscrire, au profit d'un modèle urbain favorisant la densité, les femmes, les églises...), un membre du comité est plus
le rapprochement entre habitat et emploi, la mixité des particulièrement
ciations locales de chargé
résidants.
du rapport avec les civics, asso¬
usages
des services
fonciers,
sociaux.
l'accessibilité
Ces éléments
poursont
tousaudesdébut
équipements
des annéeset
La participation des civics aux décisions locales est ainsi
1990 considérés comme les principes fondamentaux d'une médiatisée par une structure démocratiquement élue, ce
ville « intégrée ». qui constitue une forme d'institutionnalisation indirecte.
Le Schéma Directeur métropolitain, établi en 1997, En outre, il peut exister des formes plus directes d'institu¬
porte la marque de ces préconisations. Il trace une ligne tionnalisation des civics, lorsque leurs représentants sont
au-delà de laquelle les investissements publics doivent être inclus dans les listes électorales de circonscription ils acquiè¬
limités, afin de freiner l'étalement urbain ; il définit des

:
rent ainsi la légitimité de l'élection7.
programmes de lotissements publics au sein du tissu urbain A cette structure institutionnelle censée être garante de
existant ; il déclare zones de consolidation et d'équipement la participation des résidants s'ajoute la mise en place d'ou¬
urbain les townships et les bidonvilles les plus démunis, tils de planification urbaine propres à favoriser la partici¬
tout en limitant l'extension des plus périphériques. Ce pation. Ainsi, la « planification développementale inté¬
programmedede2000.
Directeur 1997 a été largement repris dans le Schéma grée » (Integrated Development Planning) organise la
construction négociée entre les parties des objectifs de la
Enfin, l'instrument de la mise en place de ce schéma planification urbaine, et doit permettre par son déroule¬
directeur ambitieux est un conseil métropolitain puissant, ment même la constitution d'un « espace public partagé ».
qui s'oppose explicitement aux municipalités séparées et La mise en place de forums locaux de développement,
« raciales » de la fin du régime d'apartheid. Ce conseil réunissant à intervalles réguliers les groupes de résidants, les
métropolitain a une fonction explicitement redistributrice élus locaux et les techniciens de l'aménagement autour
:

il dispose en effet d'importantes ressources fiscales, consti¬ d'une intervention urbaine, sont également censés favori¬
tuées notamment par une taxe professionnelle d'échelle ser une plus grande justice spatiale.
métropolitaine, une taxe foncière qui porte sur les proprié¬
tés lesissuplus
tant du riches
serviced'Afrique
de l'électricité.
du Sud, et un surplus impor¬ 5. Sous le slogan One city, one tax base, (Chipkin I., 1996).
6. La municipalité Est notamment, qui englobait Sandton, ancienne
Toutefois, la conception post-structuraliste de la justice banlieue blanche la plus riche et la plus dynamique de Johannesburg,
spatiale n'est pas totalement absente de cette première ébau¬ et où les partis d'opposition à l'African National Congress (ANC) jouis¬
che de politique de reconstruction urbaine. La notion saient d'une forte minorité au Conseil municipal, a plusieurs fois mis
d'«intégration urbaine » est d'ailleurs double, puisqu'elle en difficulté le fonctionnement métropolitain. Plus généralement, ces
municipalités arguaient de leur fonction redistributrice et de leur légi¬
comprend l'idée d'une intégration physique mais aussi et timité politique jugée supérieure pour refuser toute intervention
peut-être surtout politique et sociale les politiques urbai¬ métropolitaine dans la gestion de leur juridiction. De fait, les projets
:

nes post-apartheid passent nécessairement par l'instaura¬ métropolitains de restructuration urbaine ont souvent fait long feu,
tion de forums de discussion notamment inter-raciaux, à sauf lorsque les municipalités s'y sont associées.
différentes échelles et sous différentes formes (structures 7. Sur les relations parfois difficiles entre les élus locaux et les leaders
élues ou non élues). A la chute du régime d'apartheid sont de civic s, voir Bénit C., Gervais-Lambony P., 2004.
Claire Bénit La difficile définition de la justice spatiale à Johannesburg 53

Pourquoi Alexandra plus que Soweto, dont la renommée


internationale
commune mesureet avec
l'ampleur
celles d'Alexandra
démographique
? L'ancien
sonttowns¬
sans
hip d'Alexandra jouit d'une rente de localisation. Anomalie
dans la géographie de V apartheid, il se situe en effet aux portes
High technology du CBD de Sandton, centre financier de Johannesburg, le long
Sandten City de l'axe de croissance économique métropolitain — de
Johannesburg CBD à Pretoria CBD, en passant par Sandton
et Midrand - qui concentre la plupart des investissements
privés actuels. Alexandra est en outre entouré de nombreux
Cututaä
Preanct m.»
mm terrains vacants, qui faisaient office de zone-tampon entre le
township et les espaces autrefois classés « blancs » terrains

:
fortement convoités, notamment par les investisseurs privés,
mais aussi par les résidants d'Alexandra. Alexandra est en effet
un espace privilégié pour ses résidants à proximité des lieux

:
de richesse et d'emploi, très bien desservi par les transports
collectifs privés - du moins comparativement aux autres espa¬
ces défavorisés -, habiter Alexandra, même surpeuplé et
marqué par l'insécurité, est un avantage certain10.
La question de l'avenir des alentours d'Alexandra est donc
un enjeu multi-scalaire. Ces espaces doivent-ils être laissés
aux appétits privés, évolution libérale d'un espace économi¬
Les zones prioritaires quement valorisé et valorisable ? Doivent-ils être mis, au moins
1-Les pôles de développement économique en partie, à disposition des 350 000 résidants d'Alexandra dont
SI Centres tertiaires et technopoles la plupart souffrent de conditions de logement déplorables
Ceinture industrielle (zone d'entreprises) et réclament un relogement ? D'un point de vue stratégique
2-Les axes de transport prioritaires métropolitain, faut-il réserver cette espace unique dans la
_ Autoroutes urbaines existantes
Les projetS-Qjétropolitains Axes de transport public N-S à développer géographie johannesbourgeoise au rapprochement habitat-
® Pôle culturel ou touristique 3-■ Les espaces de consolidation emploi pour les résidants modestes ou favoriser le pôle de
Espaces résidentiels à intégrer, équiper,
o Logements publics consolider croissance économique moteur qu'est Sandton ?
infrastructures de 4-■ Le contrôle de l'étalement urbain
• transports Limite de la densification souhaitée.
Pas d'investissement au-delà
o entreprise
Avantagesfiscaux pour Préservation de àl'el'nvironnement
Encouragement agriculture périurbaine
*

Déségrégation volontariste, négociation locale et


Les zones d'intervention prioritaire dans le schéma directeur mét ropol constitution d'un espace public multiracial
tain de Johannesburg, 1997.
i

En 1995 prévaut encore une conception structuraliste


L'exemple du développement d'Alexandra de la justice spatiale. Cinq projets volontaristes de quar¬
tiers « intégrés », censés promouvoir une plus grande justice
La planification urbaine des alentours d'Alexandra, ancien spatiale au sein de la métropole, sont alors lancés par le
township au nord-est de l'agglomération de Johannesburg Conseil métropolitain. Autour d'Alexandra en particulier,
fournit un exemple éclairant de la difficile définition de la il s'agit ainsi de construire des logements aidés sur la zone-
justice spatiale dans la métropole johannesbourgeoise. Plus tampon qui sépare le township du quartier voisin (Lombardy
que Soweto, Alexandra et ses environs concentrent l'atten¬ East), pour reloger les populations alexandrites déplacées
tion de tous les niveaux de gouvernement, au sein d'un Projet par les violences ethniques des années 1990.
pour le Renouvellement d'Alexandra (Alexandra Renewal
Project ) l'État central, l'administration provinciale, le Conseil 8. En juillet 2002, un rand équivaut environ à 0,1 1 euro.
:

métropolitain y participent. Le développement d'Alexandra


n'a-t-il pas été déclaré « projet présidentiel », bénéficiant à 9. Avecsociaux.
ments notamment la mise en place de plusieurs Associations de loge¬
ce titre d'un programme d'investissement de plus d'1,3
milliard de rands8 sur sept ans ? 10. Cela n'empêche évidemment pas l'existence d'une très grande
C'est également là que le gouvernement métropolitain pauvreté à Alexandra. Toutefois, la proximité des opportunités d'em¬
ploi, des services de tous ordres et d'une clientèle solvable donne aux
investit le plus de moyens, humains et financiers, et que résidants d'Alexandra plus de chance qu'ailleurs d'accéder à l'emploi,
les innovants9.
et arrangements institutionnels se font les plus originaux d'avoir un revenu minimal, et d'entamer une ascension sociale (Bénit
C., Morange M., 2004).
LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE n° 99 Intercommunalité et intérêt général

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Riverpark, quartier « intégré » entre Alexandra et Lombardy East. Ce quartier est situé sur la zone tampon qui séparait le township du quartier blanc de
classe moyenne à faible densité au temps de Vapartheid...

Ce lotissement de près de 800 logements, nommé entre résidants noirs d'Alexandra et résidants blancs de
Riverpark, est le seul des cinq projets « intégrés » à être Lombardy East, leur proposant un forum de discussion qui
réalisé, sans doute en vertu du dynamisme municipal. La n'aurait certainement pas existé spontanément.
municipalité Est prit en effet le relais du Conseil métro¬ Ces réunions fréquentes ont véritablement permis
politain pour mener à bien le projet, par exemple en instau¬ l'émergence d'un espace public partagé, concrétisé notam¬
rant une Association municipale de logements, massive¬ ment par la proposition d'aménagement du nouveau lotis¬
ment subventionnée par les crédits municipaux. Surtout, elle sement construite par les deux comités, mécontents de la
instaura un comité participatif local, qui se réunissait chaque proposition municipale.
mois et rassemblait les édiles municipaux, les urbanistes Le plan du lotissement de Riverpark, conçu par la muni¬
chargés du projet, et les représentants des deux groupes en cipalité de manière à limiter le coût du développement,
présence - bénéficiaires noirs des logements aisés et résidants est en effet dénoncé par les résidants locaux comme « plan
blancs voisins de Lombardy East. d'apartheid », même après que le complément financier
Ces derniers, après s'être fortement opposés au projet de municipal a amélioré le niveau de construction et d'équi¬
construction de logements subventionnés, ont fini par l'ac¬ pement urbain. C'est ce que l'on peut lire dans cette lettre
cepter à la condition que les services et les logements cons¬ des résidants de Riverpark et de Lombardy East envoyée à
truits respecteraient certaines normes de qualité (au lieu la municipalité Est « Nous sommes convaincus de la
:

de se réduire, comme dans les lotissements publics clas¬ nécessité cruciale d'une révision de l'aménagement du
siques, à un embryon de maison à compléter progressive¬ lotissement (de Riverpark), afin de garantir son succès. Une
ment par le propriétaire et à des services au rabais). La analyse critique du plan existant a en effet montré de sérieu¬
participation locale au projet a donc permis de passer d'une ses insuffisances (...), notamment en matière d'espaces
opposition franche et massive des résidants blancs à une prévus pour les commerces, les équipements publics et de
négociation, moins d'ailleurs entre Noirs et Blancs qu'en¬ loisir, et les espaces publics.
tre ces deux groupes et la municipalité. La déségrégation Le plan original n'obéit pas, à cet égard, au Livre blanc
volontariste menée par la municipalité a donc été acceptée, - en cours de rédaction - sur les centres urbains, ni aux
et la dynamique du projet a permis d'initier le dialogue recommandations contemporaines en matière d'urbanisme.
Claire Bénit La difficile définition de la justice spatiale à Johannesburg 55

Plan original, 1996

Pian proposé par les résidants, 1 997

LOMBARDY EAST

Plan original et plan proposé par les résidants pour l'aménagement de Riverpark, 1997.

Le plan original présente un espace essentiellement résidentiel les parcelles, homogènes, sont disposées autour d'une rue principale de direction
est-ouest et des rues secondaires en boucle. Les quelques espaces réservés aux équipements ou aux espaces publics ne donnent pas directement sur la
:

rue principale.
Le plan alternatif de 1 997 (qui ne sera finalement pas retenu) tente au contraire de créer des rues centrales, plus structurantes, bordées de commer¬
ces, d'équipements (hachures horizontales) et d'arbres, débouchant sur une place centrale. Les rues secondaires en boucle sont devenues cul -de-sac,
plus privatives et plus distinctes de la grande rue. Enfin le plan prévoit des espaces verts collectifs (ronds hachurés) autour de la rivière, tournés vers le
quartier de Lombardy East au sud.
56 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE n°99 Intercommunalité et intérêt général

Comme il s'agit de l'unique initiative RLDP mise en œuvre « Dans les conditions actuelles du marché, les prix des
dans la province du Gauteng, il faut faire tout ce qui est en logements mis en vente dans cette zone dépasseront les
notre pouvoir pour que le projet soit une réussite, et pour R80 000 [...]. Si ces développements porteurs d'opportu¬
qu'il représente une vitrine de ce que peut donner une véri¬ nités pour les résidants d'Alexandra doivent être encoura¬
table participation locale. Et qu'il ne soit pas simplement gés, ils seront hors de portée d'une partie importante des
un township de plus ». (Lettre adressée au conseiller local ménages ». (Conseil métropolitain de Johannesburg, 2002,
Sisa Njikelana, par les associations des résidants bénéfi¬ Projet de Redéveloppement d'Alexandra Stratégie pour
ciaires et des résidants de Lombardy East, le 9 novembre

:
le logement, rapport final août, p. 47).
1997). Ceux-ci sont pourtant très nombreux. En août 2002, près
L'urbanisme participatif est une forme privilégiée de de 7000 familles résidant dans des bidonvilles le long de la
création de cette nouvelle collectivité de résidants, ici maté¬ rivière Jukskei ont été déplacées vers le bidonville de
rialisée par le souhait du partage des équipements et des Diepsloot, à la périphérie nord de la ville. Plus de 1000 autres
espaces, exprimé sur la scène politique locale. Cet espace se sont vues attribuer des logements RDP dans le lotissement
public d'échelle locale correspond à une demande des rési¬ de Bram Fischerville, à plus de 50 km à l'ouest d'Alexandra
dants qui parlent d'«espace ouvert » (open space ) tandis (Bénit C., 2002). Le Projet de Développement d'Alexandra
que les architectes ou les chercheurs, plus férus de culture prévoit de déplacer ainsi environ 20 000 autres familles,
urbaine européenne, utilisent le terme d'espace public. vivant dans des conditions « dangereuses ou indécentes ».
Ces résidants sont d'ailleurs conscients de la valeur symbo¬ Alexandra est un enjeu majeur pour Johannesburg

:
lique et exemplaire de la nouvelle collectivité qu'ils créent, aux portes de Sandton CBD, centre d'affaires internatio¬
et contribuent
société urbaineà réconciliée.
donner un peu de réalité à l'imagerie d'une nal, il constitue la vitrine de la politique urbaine post-apar¬
theid - au point qu'un « tour » d'Alexandra est souvent
C'est donc bien ici le processus de négociation, après prévu lors des visites de partenaires internationaux, publics
la confrontation entre les parties en présence, qui est porteur ou privés12. L'Etat central est ainsi très présent dans la desti¬
de dynamiques intégratrices allant dans le sens d'une plus née de l'ancien township, directement (à travers le statut
grande justice spatiale. Cependant, deux éléments sont à de projet présidentiel) ou indirectement (à travers l'inter¬
souligner vention de l'administration provinciale, qui attribue notam¬
:

- L'échelle très locale de la négociation et la simplicité ment les subventions au logement et décide des grands
relative de la structure du projet, mettant en scène deux projets d'équipement). Le Conseil métropolitain est lui
groupes de résidants au statut équivalent et de taille relati¬ aussi présent, mais son rôle semble se réduire à la gestion
vement réduite, ont favorisé le succès du projet. quotidienne des projets - et notamment des questions
- Cette négociation ne porte pas sur la nature du projet épineuses de l'attribution des logements publics et des
mais sur sa forme, et intervient après que la municipalité a déplacements de population, en négociation plus ou moins
décidé de construire le lotissement public sur l'espace- ouverte
ad hoc. avec les associations locales préexistantes ou créées
tampon séparant Alexandra de Lombardy East. La muni¬
cipalité, tout en restant ouverte aux négociations sur la Quelle est la place de la participation locale dans les
forme et la composition du projet, est restée extrêmement décisions qui orientent l'avenir d'Alexandra ? Force est de
ferme sur son objectif et présente, d'un point de vue poli¬ constater qu'elle semble instrumentalisée pour légitimer
tique et financier, tout au long du projet. une politique d'obédience libérale, qui va dans le sens de
la remise d'Alexandra au niveau du marché. Le déplacement
prévu vers la périphérie métropolitaine d'une grande partie
de la population alexandrite, l'utilisation des terrains publics
L'avenir technocratique d'Alexandra vacants à des fins spéculatives, sont en effet légitimés par le
recours à une participation qui semble se limiter au lobby
Parmi les 20 000 nouveaux logements aidés prévus par des propriétaires fonciers et immobiliers d'Alexandra et de
le Plan de Renouvellement d'Alexandra, bien peu seront son voisinage.
destinés aux résidants d'Alexandra. L'aménagement prévu
des espaces publics vacants entourant le township les écarte
nettement d'une vocation sociale il est prévu d'y cons¬ 1 1. La politique nationale du logement consistait jusqu'en 2001 à attri¬
buer à chaque ménage bénéficiaire un logement minimal (dit loge¬
:

truire des programmes de logements intermédiaires, en ment RDP, du nom du projet Reconstruction and Development
partie subventionnés par l'Etat mais nécessitant le recours Programme), de manière à éviter la nécessité du recours à l'emprunt.
:

à un emprunt, excluant donc la population sans emploi Des subventions plus réduites sont attribuées aux tranches de revenus
formel". Le Projet de Redéveloppement d'Alexandra prévoit plus élevés, le ménage devant compléter la subvention par un
emprunt, pour des logements en général de qualité supérieure.
Alexandrites
déjà de permettre
- tant ill'accès
sera difficile
à ces delogements
trouver laaux
« bonne
non-
1 2. Comme on put le voir lors du Sommet de la Terre d'août 2002 à
clientèle » parmi les candidats au relogement d'Alexandra. Johannesburg.
Claire Bénit La difficile définition de la just ¡ce spat ¡ale à Johannesburg 57

Ici l'institutionnalisation de la « société civile » a échoué,


sans doute pour le pire : les conflits entre civics reflètent
moins la diversité des groupes d'intérêt alexandrites que les
conflits de personnalités et les rivalités des leaders, chacun
tentant d'obtenir une place dans le projet de développement
considérable qui s'annonce autour d'Alexandra.
Une deuxième difficulté réside dans la question de
l'échelle de la participation, les enjeux de l'aménagement des
espaces entourant Alexandra dépassant largement l'échelle
du quartier.
La participation est souvent confinée à une échelle micro¬
locale ainsi, c'est seulement au sein d'un comité ad hoc
I Ér
PC*

:
regroupant les propriétaires voisins (noirs et blancs, d'ailleurs)
qu'a été discuté l'avenir de Westlake, un des espaces vacants
qui borde le township. Ce comité s'est évidemment opposé
à la construction d'un lotissement public, arguant qu'un
quartier de classes moyennes, ou un pôle de haute techno¬
logie, s'accorderait davantage aux valeurs immobilières avoi-
sinantes. L'échelle locale de la participation favorise ici l'ex¬
pression immédiate d'un NIMBYsme14 classique.
Quant à la participation à l'échelle alexandrite, elle a été
progressivement réduite, comme en témoigne d'ailleurs le
changement de nom du forum participatif, de Greater
Alexandra Development Forum à Alexandra Development
Forum. Les frontières du Grand Alexandra sont pour le moins
floues, et les plans
d'Alexandra excluent
présentant
désormais
le Projet
les terrains
de Renouvellement
vacants alen¬
tours... on ne saurait mieux dire qu'ils ne font pas vérita¬
:

blement partie des négociations locales.


En allant vers Sandton En outre, au sein de ces forums, la discussion ne s'est
jamais orientée sur les enjeux régionaux de l'aménagement
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir organisé des forums d'Alexandra. Les interventions restent très fragmentées (sur
consultatifs, comme au sein du Greater Alexandra les projets, entre les civics, sur un nom de rue ou une loca¬
Development Forum (CADF), créé en 1998, où les projets lisation de zone commerciale), sans que le débat sur
municipaux pour Alexandra et ses environs étaient présen¬ « Alexandra pour les Alexandrites » versus « Alexandra pour
tés dans des réunions ouvertes au public, organisées par les la croissance économique » n'ait été lancé. Les déclarations
leaders de chaque civic, et présidées de manière assez dyna¬ d'intentions de l'ADF sont en décalage flagrant avec les
mique par un élu local qui en était issu, Sisa Njikellane. Le évolutions réellement programmées « Le profil d'Alexandra
:

forum qui lui a succédé en 2001 , Alexandra Development présente les caractères suivants chômage élevé, criminalité
:

Forum (ADP), est déjà moins ouvert. Il fonctionne davan¬ élevée, pénurie de logements, problèmes de viols et manque
tage comme un comité consultatif, composé de fonction¬ d'équipements sociaux. [...] Ce qu'il nous faut, dans ce
naires municipaux et des leaders de chaque civic, ainsi que programme, c'est de faire en sorte qu'il réponde aux problè¬
des présidents des branches locales des deux partis poli¬ mes du township. Il ne doit pas se contenter de fournir un
tiques principaux à Alexandra (ANC et IFPB). équipement matériel, mais doit faire naître des opportunités
La plus grande confusion règne quant à la représentati¬ et transformer la communauté. [...] Nous devons compter
vité de chacune de ces associations locales, aux intérêts et à sur nous mêmes et encourager l'auto-suffisance au sein de la
la « base » locale on ne peut plus variés. Parallèlement, les communauté. Nous devrions utiliser ce programme pour
élus locaux sont largement exclus du processus de consul¬
tation la structure mise en place par la réforme de 2000 13. African National Congress, le parti au pouvoir, et Inkhata Freedom
:

(les ward committees ), qui visait à organiser la consultation Party, parti d'opposition à la base principalement zouloue.
de la société civile par le truchement de ses élus locaux, est
14. NIMBY, acronyme pour Not In My Backyard, « pas de ça chez
étonnamment
tions locales vident
absente
de leur
du contenu
processus.lesLes
structures
puissantes
de laassocia¬
démo¬ moi », qui désigne le refus de voir s'implanter dans son voisinage des
équipements jugés indésirables ou facteurs de nuisances locales,
cratie représentative locale, notamment en captant les person¬ même si l'utilité de cet équipement est reconnue de manière générale
nalités politiques majeures du quartier. (notamment à l'échelle métropolitaine).
58 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE ri" 99 Intercommunalité et intérêt général

lancer de petites entreprises. [...] Le Projet de développement urbain. Est-ce seulement un biais dû à une
Renouvellement fournit l'occasion de mettre en place des organisation imparfaite de la participation, ou est-ce plutôt
partenariats entre les résidants locaux et les industries une difficulté intrinsèque à la participation ?
établies », (discours de lancement d'Alexandra Development L'exemple du lotissement multiracial de Riverpark a
Forum, été 2001). montré que le processus de négociation était essentiel à l'ob¬
Le discours sur le « processus » (de construction, de mise jectif même du projet : créer un quartier intégré à partir de
en oeuvre du projet) a remplacé tout discours sur le populations
ment et « racialement
se considérant
». comme dissemblables, sociale¬
« contenu ». Si le Forum fait bien le diagnostic de la misère
sociale et urbaine à Alexandra, c'est surtout pour souligner La participation fonctionne bien comme moteur de la
le désir
besoindes- résidants
indéniabled'être
- deassociés
développement
notamment
économique,
aux chantierset justice spatiale à l'échelle du quartier, celle des espaces de
vie, de la quotidienneté, la plus à même de mobiliser une
de construction. Ce souci légitime semble toutefois écarter grande partie des résidants. Encore faut-il qu'elle soit accom¬
la réflexion sur le « produit ». pagnée d'une présence très forte - et relativement dirigiste -
Que devient la participation au chantier des Alexandrites des pouvoirs publics, décidés à braver les conservatismes
si une grande partie d'entre eux doivent être relogés à locaux pour construire un lotissement public18.
plusieurs dizaines de kilomètres d'Alexandra ? La « justice A contrario, l'urbanisation des alentours d'Alexandra
post-structuraliste
turelle » élémentaire
» aurait-elle
? fait oublier la « justice struc¬ montre à quel point la participation peut être un outil poli¬
tique de dilution des responsabilités publiques la décision de

:
« la communauté » divisée en sous-groupes d'intérêt est avan¬
cée comme justification des décisions publiques allant dans
le sens du marché. L'accord de la classe moyenne noire et blan¬
Quel porte-parole pour les plus pauvres ? che pour expulser les plus pauvres d'Alexandra, joint à l'ab¬
sence d'une représentation structurée des populations les plus
L'expulsion d'Alexandra des populations insolvables - qui démunies, et à leur grande difficulté d'exprimer spontané¬
revient à organiser une ségrégation sociale, forme d'«injus¬ ment leur point de vue et leurs intérêts, conduisent à une
tice spatiale » -, est-elle seulement le résultat d'une partici¬ politique de ségrégation sociale orchestrée par la collectivité.
pation locale biaisée par l'échelle de la consultation, et
brouillée par la multiplicité des enjeux, des projets, des acteurs ?
Une véritable consultation eut-elle eu lieu que le résul¬
tat n'eût pas nécessairement été différent. L'ensemble des À l'échelle métropolitaine la décision publique, à
civics et les partis politiques se prononcent en faveur de l'éra- l'échelle locale la participation et le marché
dication des bidonvilles de la Jukskei et du déplacement de
leurs populations, toujours considérées comme des « squat¬ Les questions et les légitimités ne sont pas les mêmes à
ters » étrangers à Alexandra, bien que la plupart y réside depuis l'échelle micro-locale (les quartiers voisins des parcelles
une vingtaine d'années15. Pourtant, nombre des Alexandrites vacantes), à l'échelle alexandrite (une grande partie des rési¬
se considérant comme résidants légitimes16 risquent de connaî¬ dants d'Alexandra doit être relogée, ici ou ailleurs), à l'échelle
tre un sort similaire à celui des « squatters » des bidonvilles...
SANCO seul17 commence à prendre la défense de ces
« squatters », sous une forme juridique non dénuée d'effi¬ par
1 5. Laun venue
des civics
de ces
locaux,
« squatters
SANCO » fut(South
encouragée
Africandans
National
les années
Civic 1980
cacité (Huchzermeyer M., 2003) mais qui semble dérisoire Organisation), afin de créer une agitation sociale et politique dans le
à l'aune des amples mouvements urbains sociaux des années township.
1980. Le civic a lancé en juin 2002 un recours en justice
16. Notamment les habitants des logements locatifs en fond de par¬
contre la municipalité, bloquant l'avis d'expulsion des celleRenouvellement
de (backyard shaks),Urbain
également
d'Alexandra.
destinés à disparaître dans le Projet
quelque 900 familles installées sur un terrain public destiné
à l'extension d'une école, en plein cœur d'Alexandra. Le 17. On pourrait y ajouter Alexandra Civic Organisation, autre associa¬
leader de la branche alexandrite de SANCO, Goodwill tion locale, dont le président et seul membre actuel connu a organisé -
Qushwana, explique : « Nous sommes favorables au déve¬ moyennant finance - l'invasion des logements neufs demeurés vacants
loppement d'Alexandra, mais nous ne voulons pas que ces dans un des lotissements publics bordant le township, par une cinquan¬
gens soient déplacés vers Bram Fischerville. On a des terrains taine de familles issues des rives de la Jukskei. Toutefois, les squatters,
disponibles autour d'Alex' [...] Le développement intégré, conscients d'être instrumentalisés par cette association, ont vite cessé
d'en suivre le leader.
!

ça veut dire quoi pour nous ? Tout ce qu'on fait, c'est sépa¬
rer les pauvres du reste ». 1 8. La négociation ici ne portait pas véritablement sur le projet lui-
même et son bien-fondé mais avait pour but de faire accepter cette
La participation des habitants à la construction de la justice décision présentée comme d'intérêt général, et de mener à des aména¬
spatiale dans leur ville est essentielle, mais elle est difficile et gements ou des compensations. Sur la notion de compensation, voir
souvent instrumentalisée afin de masquer les enjeux réels du JobertA., 1998.
Claire Bénit La dif f eile défi nit ion de laju st ce spat ¡ale à Johannesburg 59

i
de l'agglomération. Là, le débat se pose en ces termes vaut- contraire du ressort des politiques de définir, de présenter et

:
de soumettre au débat la vision d'un ou de plusieurs avenirs
il mieux
en atténuant
pour les
la métropole
contrastes consolider
sociaux autour
son cœur
de Sandton
économique
et en
métropolitains possibles.
embourgeoisant Alexandra, ou faut-il préserver du marché une Attendre du concert des négociations locales et localis-
enclave qui fournirait une opportunité unique pour des loge¬ tes l'émergence d'une vision d'échelle métropolitaine
ments bon marché à proximité des pôles d'emplois ? Ou, en (comme le préconisent la plupart des théories de la partici¬
d'autres termes : est-il « juste » de concentrer ainsi les fonds pation) conduit bien souvent à réduire le politique - par
publics métropolitains, provinciaux et nationaux pour un défaut, conviction ou cynisme - à un simple accompagne¬
développement
au niveau du marché
qui peu ? ou prou vise à remettre un espace ment des dynamiques de marché. Pas d'urbanisme partici¬
patif sans urbanisme la conception post-structuraliste de la

:
La démocratie participative apparaît inapte à soulever justice spatiale ne doit pas évacuer le politique - qui ne
de tels débats, dont le lieu privilégié reste la scène d'échelle saurait
des affaires
se construire
de la ville.
à la seule échelle locale - de la gestion
plus vaste de la démocratie représentative. La participation
est par essence d'échelle locale et quotidienne ; il est au Claire Bénit

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