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LES RÉFORMES DE LA FILIÈRE COTON AU MALI ET LES NÉGOCIATIONS

INTERNATIONALES

De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »

2005/4 n° 216 | pages 203 à 225


ISSN 0002-0478
ISBN 2804149307
DOI 10.3917/afco.216.0203
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine1-2005-4-page-203.htm
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Les réformes de la filière coton au Mali et


La filière coton au Mali
les négociations internationales 1

Philippe HUGON 2

Le coton malien a une importance stratégique. Destinée principalement


à l’exportation (90 % de la production est exportée), la culture de coton as-
sure des revenus monétaires réguliers à une fraction notable de la popula-
tion rurale ; elle représente environ 50 à 60 % de la valeur des exportations
du pays (elle était tombée à moins de 40 % en 2001). Les conditions agro-
nomiques font que la qualité du coton est bonne (98,8 % classés en
1re classe). Les facteurs déterminants ayant favorisé la hausse du rendement
à l’hectare, jusqu’au milieu des années 1980, dans la filière coton ont été
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l’augmentation de l’usage d’intrants et d’équipements, la vulgarisation, l’al-
phabétisation et la formation professionnelle ainsi que l’organisation en fi-
lière intégrée. La culture du coton, principale source de revenus des
paysans, est un outil de modernisation, de diversification, de financement
des activités sociales et de structuration du monde rural. Elle assure une sé-
curité alimentaire et permet de financer les dépenses sociales tout en jouant
un effet multiplicateur en milieu rural. La concurrence avec les cultures cé-
réalières, comme le sorgho, ne concerne que certains facteurs comme l’eau.
Au niveau macro-économique, le coton apporte à l’État plus de 10 % de ses
recettes budgétaires et est le principal pourvoyeur de devises du pays. On
peut parler de multifonctionnalité du coton. Celui-ci est un facteur premier
de développement en accroissant les revenus, en augmentant les capacités
des acteurs et en créant des interdépendances entre des activités économi-
ques et sociales.

1. Cet article a bénéficié du cadre de Regards croisés France/Mali entre le GEMDEV et l’Université de Bamako. Il re-
prend certains éléments d’une communication.
2. Professeur émérite, Paris X-Nanterre.

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■ Afrique contemporaine ■

Cette filière intégrée a conduit à des déséquilibres financiers et à une fai-


ble transparence dans le partage de la valeur ajoutée et dans ses liens avec
le politique. Depuis 15 ans, la croissance de la production résulte d’une ex-
tension des superficies et d’une pression foncière créatrice de risques envi-
ronnementaux. Dans un contexte de prix instables et déprimés, les
difficultés financières de la CMDT ont rétroagi sur la faiblesse structurelle
du système bancaire. Le Mali a ainsi enclenché, souvent avec réticence, des
réformes que l’on peut mettre au regard d’autres pays africains. Il est prévu
au Mali une privatisation de la CMDT (reportée en 2008) et un démantèle-
ment en plusieurs sociétés par grandes régions. Le Mali continue, à la dif-
férence du Burkina Faso, de s’opposer aux OGM avec une très forte
contestation des organisations paysannes. Le contexte actuel (2005) est tou-
tefois défavorable, malgré la hausse de la production et la bonne pluviomé-
trie, du fait de la chute des cours (56 cents la livre en décembre 2005) et du
fort déficit de la filière coton (plus de 65 milliards de FCFA). Le prix pro-
ducteur a été ramené de 200-210 FCFA le kg (2004-2005) à 160-175 FCFA
(2005-2006). Le Mali n’a pu ou su engranger des réserves en période de
haute conjoncture et les questions de gouvernance demeurent. À plus long
terme, même s’il y a un démantèlement des subventions des pays du Nord,
la concurrence de la Chine et du Brésil sera croissante et le coton malien
sera contraint à des progrès de productivité et de qualité.
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Cet article présente l’évolution de la filière cotonnière intégrée au Mali,
puis débat des arguments pour et contre la libéralisation et la privatisation,
avant de prendre en compte le contexte international de concurrence im-
parfaite.

L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DE LA FILIÈRE MALIENNE COTONNIÈRE


Un débat, parfois rude, a opposé, pendant une décennie, la Banque
mondiale, qui prônait la libéralisation ou la privatisation des filières coton,
à ceux qui voulaient maintenir une organisation en filières intégrées (Com-
pagnie Française du Textile ou CFDT et Sociétés cotonnières) et ceux qui
préconisaient des réformes tout en garantissant des mécanismes stabilisa-
teurs et des relations contractuelles (Agence Française de Développement et
Coopération française). La Banque mondiale a imposé dans de nombreux
pays des réformes dont les résultats sont toutefois très imparfaits (Goreux,
2003). Progressivement, son point de vue l’a toutefois globalement emporté

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

avec un relatif alignement de la coopération française et de l’Union euro-


péenne. Certains compromis, à la fois doctrinaux et pratiques, sont apparus
concernant la mise en œuvre d’une agriculture contractualisée.

L’organisation de la filière coton intégrée

Le Mali : d’une culture forcée coloniale à une filière choisie


Le coton, symbole de la culture coloniale des années 1920, a connu un
relatif échec dans le projet grandiose de l’Office du Niger (1932-1947). Il est
devenu après guerre, avec l’abolition du travail forcé en 1946, le FIDES géré
par la CCFOM (Caisse Centrale de la France d’Outre-mer, l’IRCT (Institut
de Recherche sur le Coton Tropical), la création de la CFDT (Compagnie
Française du Textile) en 1949, un des moteurs de développement du Mali.
Il n’a cessé de rencontrer depuis l’adhésion croissante des populations (Pe-
nent d’Izarn, 2002). La CFDT a été le principal outil de la coopération fran-
çaise quand les relations franco-maliennes se sont distendues au lendemain
des indépendances. Elle avait comme principes la garantie d’achat de la to-
talité de la récolte, un prix de campagne fixé à l’avance avec stabilisation des
transactions liées. Elle appliquait les innovations proposées par l’IRCT. La
production cotonnière du Mali, de 140 tonnes de coton-graine en 1952,
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était de 63 000 tonnes en 1960 et de 68 000 tonnes en 1971. De 169 kg par
hectare en 1960, les rendements étaient passés à 850 kg par hectare en
1973.
En 1974, la CMDT a été créée avec participation au capital de 40 % pour
la CFDT et de 60 % pour l’État malien. Le modèle de filière intégrée a été
maintenu. La CMDT a rempli d’importantes missions de service public :
crédit, vulgarisation, transport. La CFDT continue d’intervenir par l’inter-
médiaire de sa filiale COPACO. La Société malienne d’import-export (SO-
MIEX) a été chargée de l’exportation du coton fibre et l’Office de
stabilisation et de régulation des prix (OSRP) a eu pour mission de stabiliser
le prix payé aux producteurs fixés par l’État. Les associations villageoises se
sont développées. Le Mali, malgré son enclavement, avait alors, du fait du
plus faible prix d’achat au producteur, un coût de revenu inférieur à ceux
des autres pays d’Afrique de l’Ouest. Entre 1974 et 1986, la production est
passée de 60 000 tonnes à 170 000 tonnes. La BNDA s’est substituée pro-
gressivement à la CMDT pour le crédit. Le niveau de mécanisation s’est ac-
cru rapidement. Malgré ces progrès, les crises liées à la baisse des cours
mondiaux de 1986 puis de 1992 ont montré la vulnérabilité des filières. Les

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déficits cumulés des campagnes de 1985-1986 et 1987-1988 s’étaient élevés


à plus de 2 milliards FCFA. La couverture des déficits de la CMDT a été as-
surée grâce à l’aide extérieure. Ces financements et un ajustement à la bais-
se des prix d’achat du coton graine ont entraîné des mouvements de
protestation ainsi qu’une structuration du monde paysan.
En 1986, le monopole de la SOMIEX a été supprimé. Un premier con-
trat-plan entre l’État et la CMDT a été signé en 1989, suivi d’un deuxième
contrat-plan signé en 1994. La CMDT est devenue une société d’économie
mixte, la taxe à l’exportation a été éliminée et la CMDT a été soumise à l’im-
pôt sur le revenu. Les organisations paysannes ont joué un rôle croissant ;
en aval, les transports ont été assurés par la CMDT et des opérateurs privés.
Les contrats-plan prévoyaient que la CMDT devait devenir une entreprise
autonome responsable financièrement de ses activités industrielles et com-
merciales. Elle perçoit directement le produit des ventes de coton et n’est
plus soumise à des taxes à l’exportation. Les missions de service public ont
été financées par l’État. Le système de stabilisation des prix a différencié
alors un prix plancher d’achat au producteur et un système de ristourne im-
pliquant les producteurs, la CMDT et l’État si les prix d’exportation sont su-
périeurs aux prix d’équilibre. Le Fonds de stabilisation couvre les charges
minimales de la CMDT lorsque les cours mondiaux sont bas.
La situation financière de la filière a évolué en « dents de scie ». La déva-
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luation du FCFA de janvier 1994 dans un contexte de doublement des prix
mondiaux a permis à la filière de devenir bénéficiaire pendant quatre ans.
Le partage se faisait pour 35 % au profit des producteurs, 53 % pour l’État
et 12 % pour la CFDT. Les superficies ont augmenté fortement ; en revan-
che, les rendements de 1252 kg en 1993-1994 sont tombés à 1056 kg en
1996-1997. La mauvaise gestion de la CMDT en 1999 et les malversations
de l’an 2000 ont, dans un contexte de prix baissier (prix producteur de
170 FCFA) conduit à une grève des producteurs faisant chuter la production
à 250 000 tonnes (2000-2001). Après le très fort déficit de 2002
(26 milliards FCFA), la CMDT était redevenue bénéficiaire en 2003 alors
que les prix mondiaux étaient favorables. Elle est redevenue à nouveau en
2004-2005 et 2005-2006 fortement déficitaire. Les coûts de production sont
estimés à 750 FCFA alors que le prix de commercialisation CIF est de
560 FCFA. Le prix producteur de 165 FCFA le kg ne couvre pas les coûts de
production du producteur.
Ce bref rappel historique montre à la fois la permanence des réformes et
des crises cotonnières mais également un trend de forte croissance de la pro-
duction. L’appui des bailleurs de fonds a été très important dans le finance-

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ment des projets cotonniers et des déficits des filières pour passer les caps
difficiles.

Le boom cotonnier du Mali comparé aux pays africains de la zone franc


Entre 1989-1990 et 2003-2004, la production de coton-graine est passée
de 231 000 tonnes à 612 500 tonnes (soit 260 000 tonnes de coton-fibre). Le
Mali est devenu le premier producteur d’Afrique et le huitième exportateur
du monde. Le taux de croissance annuel de la production a été de 8,2 % et
celui des surfaces cultivées de 9,7 %. 2,3 millions de personnes vivent dans
les zones cotonnières (162 000 familles d’exploitants). Entre 1993 et 1996,
le revenu annuel des producteurs avec culture attelée est passé de 375 000
FCFA à 500 000 FCFA alors que celui d’un producteur non équipé passait
de 45 000 FCFA à 62 000 FCFA (prix constants 1993). L’accroissement de la
production et de la valeur ajoutée par exploitation a été quasiment linéaire ;
la baisse de la production en 1993-1994 a été due à la sécheresse et la con-
tre-performance de la campagne 2000-2001 était due au boycott de la culture
de coton par les producteurs suite à l’effondrement du prix d’achat du coton
graine.
Les comparaisons de la filière coton au Mali avec celles des autres pays de
la zone franc montre sur la période 1971-1997 une légère augmentation des
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prix réels producteurs (0,2 %) entre 1971 et 1997, une forte augmentation
de la production (7 %) mais en revanche de faibles progrès des rendements

Figure 1 – Évolution de la production de coton au Mali (en tonnes)

Sources : REPA (2004)VA (valeur ajoutée), EXPL exploitation.

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(1,5 %). La croissance résulte principalement d’une extension des surfaces.


L’instabilité des prix réels producteurs a été en revanche faible.

Tableau 1 – Taux de croissance annuel des variables des filières coton


en zone franc entre 1971 et 1997

Burkina Faso

Côte d’Ivoire

Cameroun
Tchad
Bénin

Togo

Mali
Variables
Prix réels du coton
-0,6 % 0,2 % -1,8 % 0,3 % –3,6 % -1,9 % 0,2 %
producteur
Production 12,1 % 14,2 % 1,2 % 7,0 % 6,5 % 6,5 % 7,0 %
Rendement 1,9 % 2,3 % 2,6 % 1,8 % 0,5 % 3,2 % 1,5 %

Sources : Hugon-Mayenyenda (2003) à partir des statistiques Banque mondiale, 1997.

LES ARGUMENTAIRES POUR ET CONTRE LA LIBÉRALISATION ET LA


PRIVATISATION DES FILIÈRES
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Les avantages de la filière intégrée sous monopole public

Les partisans de l’intégration de la filière mettent en avant les normes


de qualité, la compétitivité et l’efficience du processus de production.
D’autres avantages résultent du monopole des sociétés cotonnières, tels
que le prix unique, la pan-territorialité qui joue un rôle d’aménagement du
territoire en évitant la marginalisation des zones les moins rentables, les
transactions liées entre l’accès aux intrants et aux pesticides et la vente ga-
rantie des produits à des prix déterminés ou l’encadrement technique et la
vulgarisation permettant des productions élevées. Le coton apparaît ainsi
comme une culture sûre dans un environnement incertain. L’intégration
industrielle des filières et la coordination ex ante assurent un horizon tem-
porel long pour que les agents puissent faire des anticipations raisonnables
et faire l’apprentissage de comportements productifs. L’intégration de la fi-
lière a permis de lier les fonctions technique, industrielle, commerciale et
financière.
La raison de l’intégration renvoie aux défaillances du marché justifiant
les politiques publiques (externalité...), mais également à son insuffisance

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pour réaliser une allocation adéquate des ressources et une innovation tech-
nologique. L’organisation de la filière a ainsi conduit à une internalisation
par rapport au marché. L’achat du coton-graine se fait à des prix garantis ;
la collecte, l’égrenage, la mise en balles sont assurés par des opérateurs. Les
mécanismes de stabilisation jouaient un rôle central pour la sécurisation des
producteurs au sein de la filière. Les écarts positifs entre les prix de revient
et le prix de cession (marges non-affectées des filières) sont versés à des
fonds de stabilisation publics. Ceux-ci doivent couvrir la totalité des déficits
en période baissière.
La chute et la volatilité des cours ainsi que les dysfonctionnements inter-
nes de la filière coton, liés notamment aux détournements des Fonds de sta-
bilisation, ont toutefois conduit à une crise financière obligeant à réformer
les filières en les libéralisant, en les privatisant et en autonomisant leurs dif-
férents segments.

Les argumentaires en faveur de la libéralisation

Dans un contexte macro-économique d’endettement et de faible transpa-


rence des filières, leur organisation intégrée est apparue en opposition avec
les principes économiques standard en termes de lois du marché et de bonne
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gouvernance et d’implication des différentes parties prenantes. Les filières
intégrées ont été assimilées à des monopoles publics sous contrôle de l’État
renvoyant à des intérêts politiques et faisant preuve de peu de transparence
tant au sein des sociétés cotonnières elles-mêmes que dans les relations fran-
co-africaines. L’argumentaire libéral a développé le fait que les paysans
étaient perdants au niveau de la fraction des prix mondiaux qui leur revenait
et que leurs représentants n’avaient pas voix au chapitre face à l’opacité du
fonctionnement des filières. Ainsi, au Mali, la structure du coût et la distribu-
tion de la rente sont apparus défavorables aux producteurs (cf. encadré 1).
Les filières intégrées ont présenté plusieurs inconvénients tels que la con-
fusion des fonctions de services publics, comme la vulgarisation et la forma-
tion, avec les fonctions économiques, la faible incitation à la diversification,
la rigidité liée à l’intervention de l’État. Les différents acteurs de la filière,
et notamment les organisations paysannes, ont peu de voix au chapitre et
l’organisation demeure très hiérarchique. L’intégration limite la flexibilité
rendue nécessaire par l’environnement international. Elle a conduit en pé-
riode de baisse des cours à de forts déficits largement renfloués par les
bailleurs de fonds et notamment l’Agence Française de Développement.
Dans la pratique, les fonds de stabilisation ont souvent servi à alimenter les

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recettes de l’État et ont épuisé leurs réserves constituées en périodes de


cours favorables. Les barèmes retenus ont été non représentatifs des coûts
alors que ceux-ci tendaient à croître. « L’or blanc » constitue largement une
caisse noire à la discrétion des autorités politiques. Derrière le démantèle-
ment des filières, les enjeux géopolitiques ont visé à casser les liens post-co-
loniaux entre les sociétés cotonnières nationales et la CFDT, société
publique française, et à davantage ouvrir le jeu cotonnier.
Dès lors, les réformes sont supposées permettre : (i) d’envoyer des si-
gnaux forts en provenance du marché, (ii) d’encourager l’entrée de nou-
veaux opérateurs nationaux et internationaux, ce qui serait profitable aux
producteurs, (iii) d’introduire ainsi de la concurrence, et (iv) de favoriser
une allocation optimale des ressources. Les études, qui préconisent le dé-
mantèlement des filières coton de la zone franc, se fondent notamment sur
les travaux de Pursell et Diop (1998), qui montrent que les prix libres sont
favorables aux producteurs en termes de revenu. Ils soulignent les effets li-
mités de la stabilisation sur l’offre agricole. Les argumentaires mobilisés par
la Banque mondiale sont issus de la théorie économique standard ou du
moins de certains principes isolés des conditions dont sont assortis les mo-
dèles cohérents. Ils reposent à la fois sur ces quelques principes très géné-
raux, des études de cas et des comparaisons internationales. L’action de
lobbies ne saurait être exclue quand on connaît le poids des producteurs de
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Encadré 1 – Des prix défavorables aux producteurs
Après avoir déduit les coûts de production du prix de vente de la fibre, la
CMDT retient une contribution au Fonds de stabilisation. La marge nette
partagée entre les trois partenaires est de 35 % pour les producteurs, de 35 %
pour le gouvernement et de 30 % pour la CMDT. En 1997-1998, le prix plan-
cher était de 140 FCFA. Le producteur recevait 45 % du prix mondial.
Plusieurs facteurs expliquent ainsi les bas prix reçus par les producteurs : la
combinaison de bas prix de base et d’une faible marge (38 %) ; la sous-évalua-
tion de la graine de coton, vendue 11 FCFA le kg à l’huilerie de la Huicoma
contre 65 FCFA au Zimbabwe ; la surestimation des coûts objectifs.
La stabilisation a un coût. Historiquement, dans un contexte de crise finan-
cière des filières entre 1985 et 1993, le déplacement de la charge de la stabi-
lisation s’est fait des Fonds de stabilisation vers l’État puis vers l’extérieur
(Agence Française de Développement, Union européenne). Les déficits cu-
mulés des filières ont été au Mali de 270 milliards de FCFA.
Les revenus des exploitations familiales demeurent faibles. La dévaluation de
1994 avait seulement profité aux exploitations pratiquant la culture attelée et
en 1995-1996, seules 20 % des exploitations dégageaient un revenu supérieur
au seuil de pauvreté, 100 000 FCFA.

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

coton du Sud des États-Unis ou les stratégies de certaines firmes multinatio-


nales pour rentrer sur un marché protégé.

Les argumentaires en faveur de relations contractuelles et


de modes pluriels de coordination

Ces argumentaires ont fait l’objet de débats théoriques et politiques par-


fois vifs et de contre-propositions de réformes de la part des pouvoirs pu-
blics africains et de la coopération française (ministère des Affaires
étrangères et Agence française de développement). Il y a également un dé-
bat interne à la Banque mondiale même si les travaux donnant des résultats
non conformes aux dogmes ont été occultés (cf. les études réalisées par
U. Lele, 1988, ou Goreux et Macgrae, 2003). Ces contre-propositions visent
à limiter la généralisation de ces mesures libérales sans se faire trop d’illu-
sion sur la possibilité de modifier la politique de la Banque mondiale et sa
ténacité pour in fine faire aboutir son projet. À l’encontre des argumentaires
standards, on peut mettre en avant la multifonctionnalité du coton et noter
que le système de filières coton intégrées est bénéfique pour les producteurs
si l’on prend en compte la structure des coûts, les modalités d’approvision-
nement en intrants et les techniques de production. Il garantit au produc-
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teur un revenu net moyen plus élevé pour les petits producteurs qu’au
Zimbabwe, présenté comme modèle.
Il importe de décomposer les divers arguments concernant la « filière »
et de raisonner au plus près des questions (Daviron, 1998) en différenciant
les questions d’asymétrie d’information, d’incomplétude des marchés, de
pluralité des modes de coordination, de concurrence imparfaite et de spé-
cificité des contextes sahéliens.

Les comportements micro-économiques en information imparfaite et


le rôle des prix stabilisés
Les marchés ne sont pas équilibrés du fait des coûts d’ajustement, des asy-
métries informationnelles, des imperfections de la concurrence, des exter-
nalités, des rigidités et viscosités. En asymétrie d’information, on observe
des processus d’anti-sélection et de hasard moral.
Il importe d’intégrer, au Mali, la complexité des droits de propriété et
d’usage non réductibles à de la propriété individuelle privée et le rôle de
l’agriculture familiale dans la division sexuée du travail, à des arbitrages en-
tre diverses cultures vivrières et de rentes (Keita, 2004). Les pratiques pay-

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sannes renvoient à des règles sociales prenant en compte les techniques et


la reconstitution des écosystèmes (cf. la jachère). Dans l’ensemble, malgré un
encadrement fort, les rendements sont faibles (1,3 tonne par hectare) et les
pratiques extensives conduisent à consommer de la terre davantage que du
capital d’intensification.
Les tests économétriques montrent que la plus grande stabilité des prix
producteurs en zone franc (1975-1990) a exercé des effets positifs sur la
croissance de l’offre de coton (Hugon, 1993 ; Araujo Bonjean et Brun 2001).
Les prix garantis favorisent une intensification, des comportements plus
long-termistes traduisant une baisse de la valeur d’option (valeur accordée
à la réversibilité de la décision). Les élasticités de l’offre /prix à court terme
diffèrent à la hausse (supérieure à 1 par « effet rente ») et à la baisse (infé-
rieure à 1 par « effet revenu » avec des possibilités de chute en deçà d’un
seuil, comme durant la période de grève lors de la campagne de 2000-2001.
Nous illustrons ces résultats par les coefficients de variations, rapport de
l’écart-type à la moyenne, qui sont de bons indices d’instabilité
(cf. tableau 2). Les variables des filières restent stables et les prix de produits
vivriers locaux sont plus volatiles que ceux du coton. Comme l’indique le ta-
bleau ci-dessous, la plus forte variabilité des prix de maïs est relevée au
Tchad et la plus faible au Mali.
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Tableau 2* – Instabilité des variables agricoles par pays en AZF entre 1971 et 1997
Cameroun

Variables en
Burkina

d’Ivoire
Tchad
Bénin

différence première
Togo

Côte

Mali
Faso

Surface coton -0,11 0,41 -0,18 0,07 0,002 0,37 -0,05


Prix réel coton -0,17 0,11 0,15 -0,04 -0,25 0,14 0,10
Rendement coton -0,07 -0,07 0,26 0,16 -0,13 0,32 -0,12
Production coton -0,08 0,33 -0,08 0,13 -0,05 0,28 -0,03
Prix au producteur coton -0,05 0,10 0,03 -0,02 0,02 -0,04 0,04
Prix de maïs 8,00 9,45 11,66 7,07 8,71 9,11 6,38
Population agricole - 0,10 0,60 0,17 0,004 0,09 2,09 0,02
Prix de produits vivriers
0,32 0,29 0,54 0,48 0,31 0,94 0,25
locaux

Sources : Hugon-Mayenyenda (2003), à partir des statistiques Banque mondiale, 1997.


* Le tableau se lit de la manière suivante : plus la valeur absolue du coefficient de variation est importante, plus le cours
du produit considéré est instable.

La stabilisation est réductrice du risque et de l’incertitude. Dans un uni-


vers risqué, les agents ayant une aversion au risque le minimisent ou l’exter-

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

nalisent (exemple de la poly-activité, de la diversification des spéculations


agricoles ou des parcelles). La flexibilité du travail, de sa rémunération ou
des surfaces est un mode d’ajustement à un environnement aléatoire. Dans
un univers incertain, il faut abandonner la théorie de la maximisation de l’es-
pérance mathématique de l’utilité et de l’hypothèse de linéarité et de conti-
nuité des préférences. Les agents choisissent le court terme leur permettant
le plus grand nombre d’options futures, par rapport à l’irréversibilité de la
décision de l’investissement physique. Ils mettent en place une pluralité de
conventions dont certaines privilégient les comportements routiniers aux dé-
pens de l’efficience et de l’innovation. Ils ont une forte préférence pour la li-
quidité ainsi que pour des actifs monétaires ou financiers par rapport aux
actifs physiques, ce qui leur donne un plus grand éventail de choix.

Les productions jointes et la sécurité alimentaire


Plusieurs tests évaluent les arbitrages des producteurs entre diverses acti-
vités et notamment entre le vivrier alimentaire et le coton. Selon la théorie
standard, les prix du marché devraient permettre une allocation optimale
des ressources et une spécialisation conforme aux préférences des agents.
En réalité, plusieurs facteurs contraires jouent. Il existe une division sexuée
du travail et une confusion entre les unités de production et de consomma-
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tion au sein des ménages. Le coton est un produit joint qui fonctionne en
culture associée et a des effets de complémentarité qui l’emportent sur les
effets de substitution. Compte tenu du pré-ordre entre la sécurité alimen-
taire et les cultures d’exportation, l’assurance de la disponibilité alimentaire
(du fait des revenus monétaires ou des effets de complémentarité du coton)
a des effets incitatifs vis-à-vis de la culture cotonnière d’exportation. Au Ma-
li, les régions cotonnières sont également celles où les productions vivrières
sont les plus dynamiques.
Les valeurs des élasticités croisées expriment les effets d’arbitrage effec-
tués par les paysans entre la production de culture coton et la production
des autres cultures (produits vivriers locaux) à la suite d’un changement de
prix relatifs (cf. tableau 3).

213

2 on
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■ Afrique contemporaine ■

Tableau 3 – Les élasticités des réponses de long terme des variables des filières coton
aux prix des produits vivriers locaux et de la population agricole entre 1971 et 1997

Cameroun
Burkina

d’Ivoire
Tchad
Bénin

Togo

Mali
Côte
Faso
Variables
Surface / Prix produits 0,1282 0,1591 0,0180 0,0637 0,2660 0,3762 0,1515
ns ns ns ns * ns
vivriers locaux
Production / Prix produits 0,3020 0,0178 0,0100 0,1577 0,2667 0,4221 0,0017
ns ns ns ns ***
vivriers locaux * *
Rendement / Prix produits 0,2038 0,0487 0,1263 0,1032 0,0206 -0,0268 0,1023
* * ns ns ns ns
vivriers locaux *
Surface / Population 0,8428 -3,0521 -0,5400 0,0252 -0,0160 -1,3989 -0,6105
* * * ns * ns
agricole
Production / Population 0,8869 -2,6852 -0,1425 -0,0860 -1,5472 -0,3707
* * 0,0900 ns * ns ns
agricole
Rendement / Population 0,0010 0,6418 -0,3328 -0,2918 -1,0610 -0,0925
ns -0,1952 * ns * ns ns
agricole

Source : Hugon et Mayenyenda (2003) à partir des Statistiques Banque mondiale, 1997.
Note : ns = variable non significative,
les valeurs avec *, ** et *** représentent la significativité au seuil de tolérance 1,5 et 10 %.

Les possibilités de production conjointe entre les cultures alimentaires


(mil/sorgho, manioc) et la culture de coton semblent être confirmées. La cul-
ture du coton a des effets incitatifs vis-à-vis des autres cultures (alimentaires
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ou non alimentaires). Le dispositif des filières coton, tel que l’acquisition des
engrais, des pesticides ou l’accès au crédit, bénéficie également aux autres
cultures.
Un autre effet bénéfique pour la sécurité alimentaire peut jouer. La sta-
bilité des prix réels du coton entraîne une stabilité de revenu (du fait des
élasticités constatées de la production par rapport aux prix). Ce revenu ga-
ranti favorise à son tour la sécurité alimentaire soit par de la production vi-
vrière soit par de l’achat d’aliments sur les marchés.

Les coûts de transactions et les modes de coordination


Les coordinations marchandes ou les monopoles publics sont des choix
organisationnels parmi d’autres. On peut repérer plusieurs dispositifs de
coordination inter-individuels qui permettent aux agents économiques de
régler leurs problèmes de coordination ex ante. En univers risqué, les con-
trats explicites ou implicites constituent des engagements mutuels sur des
comportements futurs (Laffont, 1985). La société cotonnière peut être assi-
milée à un principal qui délègue la production moyennant contrat. Il existe
des coûts de passation de contrats (ex ante ou ex post) ou coûts de transaction,

214

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

c’est-à-dire les coûts d’identification des partenaires, de négociation et de


contrôle. On reconnaît généralement que les relations d’internalisation au
sein des filières réduisent les coûts de transaction. L’organisation en filière
sous le contrôle des sociétés cotonnières se rapprochait du putting out system
et des contrats de sous-traitance avec transactions liées. La société cotonniè-
re lie le préfinancement, l’accès aux intrants, les débouchés assurés, l’infor-
mation et la création des savoirs. Le producteur à domicile reçoit les
intrants, a une vente assurée du produit. Le différentiel entre les prix du co-
ton graine et celui des intrants inclut le coût du crédit.
Des segments peuvent évidemment être privatisés sans porter atteinte à
la cohérence des filières (transports), encore faut-il être vigilant sur les con-
ditions de transparence de la privatisation et sur les risques de démantèle-
ment dans le cas de privatisation de segments stratégiques (fournitures
d’intrants, usine d’égrenage…). Les relations contractuelles entre pluralité
d’agents correspondant à divers modes de coordination sont généralement
réductrices de coûts de transaction. Elles supposent que les différentes fonc-
tions contribuant à la cohérence de la filière puissent être confiées à des opé-
rateurs efficients. Dans la mesure où la compétitivité du coton est
aujourd’hui en priorité liée à la qualité, les opérateurs, sous réserve d’un
contrôle par des agents indépendants, doivent respecter cette priorité. Des
sociétés d’économie mixte avec participation au capital de l’État, de capita-
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listes privés nationaux et multinationaux et d’autres acteurs (notamment or-
ganisations paysannes) sont généralement plus efficientes que les sociétés
d’État.

Les fonctions collectives des sociétés cotonnières


Les sociétés cotonnières répondent largement aux dysfonctionnements
d’États fragiles. Elles exercent de nombreuses missions de service public et
sont de véritables sociétés de développement régional. Elles créent des ex-
ternalités positives en termes d’effets d’agglomération, d’effets environne-
mentaux et d’aménagement du territoire. Les actions des sociétés ne
s’arrêtent pas seulement à l’achat, à la vente, à la livraison des intrants et
aux investissements. Elles touchent aux projets de développement comme
la construction des routes, des écoles et la fixation des paysans en milieu ru-
ral. Elles jouent un rôle essentiel en amont dans la sélection, la multiplica-
tion et la diffusion de semences améliorées et la distribution d’intrants
adaptés (engrais et produits phytosanitaires). Elles participent de la recher-
che agronomique. Les fonctions d’aménagement du territoire résultent du
prix unique, élément déterminant de fixation des populations et d’intégra-

215

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■ Afrique contemporaine ■

tion des régions marginales. La privatisation en concessions par grandes ré-


gions se fait souvent aux dépens de l’aménagement, voire de l’unité
territoriale (cf. Bénin ou Côte d’Ivoire). Bien entendu, les fonctions de ser-
vices publics, que des sociétés d’économie mixte peuvent assurer moyen-
nant cahier des charges, doivent être clairement différenciées des fonctions
économiques et donner lieu à une comptabilité spécifique. Enfin, le secteur
cotonnier affronte les difficultés liées aux conflits (cf. la fermeture sporadi-
que du corridor Abidjan/ Bamako), nécessitant un jumelage de l’achemine-
ment du coton et des retours d’intrants.

Le contexte d’incomplétude des marchés


Le contexte du Mali ou des pays sahéliens est éloigné de ce que supposent
les modèles de référence enseignés en sciences économiques. Il y a manque
d’infrastructures de base, absence de concurrence entre les commerçants,
faiblesse des systèmes de crédit ou de commercialisation, impossibilité de
fournir des intrants de qualité. À titre d’exemple, la distance que doit par-
courir un paysan malien jusqu’au centre de distribution d’engrais est de
25 kilomètres en moyenne, alors qu’au Bangladesh un paysan peut choisir
au sein de chaque village neuf fournisseurs. Les systèmes de micro-crédit ou
de micro-finance sont évidemment souhaitables, mais ne sont pas à la hau-
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teur des sommes requises par les activités agricoles. Le coût d’accès au mi-
cro-crédit, quand il existe, est très élevé. Les petits producteurs maliens
n’ont pas de garantie, même regroupés en associations villageoises, à offrir
aux établissements financiers. D’autres débats concernent l’existence de
monopole naturel des sociétés et des usines d’égrenage liées aux économies
d’échelle, ou encore la garantie de qualité du coton fibre et des intrants qui
ne peut être assurée par des opérateurs privés dans un contexte déficient.

UN CONTEXTE INTERNATIONAL DE CONCURRENCE IMPARFAITE


Les réformes doivent également prendre en compte le contexte de con-
currence imparfaite et de libéralisme asymétrique sur le plan international.
La question est évidemment de savoir si ce contexte est un préalable à des
réformes structurelles (position du Mali) ou doit être modifié de manière
parallèle à celles-ci (position de la France).

216

2 on
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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

La baisse et l’instabilité des prix liées aux subventions des


pays industriels

L’univers international du coton est celui de la concurrence imparfaite.


Les échanges mondiaux sont contrôlés à près de 90 % par des sociétés de
négoce (seize groupes multinationaux) en situation d’information asymétri-
que par rapport aux pays producteurs. La vente du coton est régulée par des
accords internationaux. Les accords multi-fibres encadraient, jusqu’en jan-
vier 2005, les produits textiles et les articles de confection à l’aide de quotas
par pays et par produits. L’univers cotonnier révèle les asymétries interna-
tionales. Le million de producteurs de coton sahéliens cultivant chacun en-
tre 2 à 3 hectares et payés moins de 1 dollar par jour affrontent la
concurrence des 25 000 cotonculteurs américains disposant de 1000 hecta-
res en moyenne mais produisant à des coûts supérieurs de 50 %. Le coton
américain représente moins de 0,1 % du PIB américain alors qu’il se situe
entre 5 et 10 % du PIB pour les pays sahéliens. Il faut au Mali de 80 à
100 jours de travail par 1 hectare de coton contre 12 heures aux États-Unis
(Fok, 1993).
Dans ce contexte de concurrence imparfaite, il y a contrainte de compé-
titivité pour les filières zone franc. La compétitivité renvoie prioritairement
aux normes de qualité à la fois en amont (qualité des semences, des pestici-
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des et des engrais) et en aval (qualification, réputation et respect des délais
contractuels). Elle suppose une organisation de la filière et une logistique
commerciale et de transport. Les acheteurs internationaux sont notamment
sensibles au respect des délais en quantité et en qualité (homogénéité des
lots), à la régularité interannuelle des qualités, à la réputation des structures
de commercialisation et aux relations de confiance.
L’univers du coton est également caractérisé par une très forte instabilité
des cours mondiaux du fait des variations des prix en dollars, des stockages,
des fluctuations du change et des effets des subventions des pays industriels.
La volatilité des cours est liée à l’instabilité de l’offre (facteurs climatiques,
politique agricole des pays exportateurs) et de la demande (fluctuation des
industries textiles) et également aux jeux spéculatifs des opérateurs. On
constate sur le long terme une tendance baissière des cours liés aux progrès
de productivité à l’échelle mondiale et, en partie, aux subventions des pays
industriels 3.
Les prix mondiaux ne peuvent être considérés comme des prix équili-
brant à long terme l’offre et la demande et donnant ainsi aux producteurs
des signaux d’une bonne spécialisation. Les offres sur le marché mondial ré-

217

2 on
afco-216-12.fm Page 218 Mardi, 7. mars 2006 3:44 15

■ Afrique contemporaine ■

Graphique 2 – Cours du coton en cents de dollar par livre de 1995 à 2004

Source : P¨hilippe Hugon.

sultent des prix administrés par les États. Le contexte international coton-
nier est ainsi très éloigné du libre-échange auquel se réfèrent les partisans
de la libéralisation interne et de l’acceptation des signaux du marché. Celui-
ci est largement influencé par les décisions de politique agricole notamment
de la Chine, des États-Unis et de certains pays européens tels la Grèce, le
Portugal ou l’Espagne qui subventionnent leur agriculture 4. Quatre pays
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d’Afrique zone franc, dont le Mali, ont porté la question à l’OMC, avec le
soutien d’ONG. La 5e Conférence ministérielle de l’OMC à Cancun, en sep-
tembre 2003, a en partie échoué sur cette question.
Les positions sur les subventions sont opposées. Les quatre pays africains
de l’initiative coton veulent à la fois une suppression des subventions et une

3. Entre 1997 et 2002, le prix du coton a baissé de 50 % pour atteindre 0,35 cents la livre. Cet effondrement résulte
en partie des 5,5 milliards de dollar de subventions reçus par les 25 000 producteurs américains (3,3 milliards de
dollars), chinois (1,2 milliard dollars) avec des subventions à l’exportation mais également européens (avec un dé-
couplage entre soutien et production). Certains travaux estiment que, sans soutien, le prix à l’exportation aurait été
de 70 % supérieur en 2001-2002 et de 15 % en 2002-2003 (Modèle Fafri). Le modèle macro-économétrique ICAC
(2003) donne une hausse de prix de 30 % en 2000-2001 et Goreux, en équilibre partiel, obtient pour la période 1998-
2002 une hausse des prix entre 3 et 13 %. D’autres études en équilibre partiel considèrent que sans subventions
américaines les prix mondiaux seraient supérieurs de 10 % ; la suppression des subventions européennes ne ferait
croître les prix que de 1 %. Selon Reeves et al. (2001) utilisant un MEG la suppression des subventions américaines
ferait chuter la production de coton américaine de 20 % et leurs exportations de 50 % avec un effet de hausse des
prix de 10 %. Un modèle VAR « vecteur autorégressif » montre, en revanche, des effets très limités mais avec une
méthodologie très discutable utilisant un modèle de court terme comme modèle de prévision (Sheperd GME, IEP
2004). Les enjeux sont importants puisqu’ils peuvent définir les niveaux de compensation auxquels peuvent avoir
droit les pays africains.
4. La subvention reçue par agriculteur du Nord est supérieure au prix mondial. Un producteur américain a, en 2002,
un prix garanti de 1,5 dollar par kilo alors que le prix mondial était de 88 cents de dollar. Ces subventions sont justi-
fiées par le soutien du revenu des 25 000 producteurs et elles résultent du lobby des cotonniers auprès des respon-
sables américains. L’Union européenne répond également aux lobbies des producteurs espagnols ou grecs comme
elle le fait aux lobbies des céréaliers français.

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

compensation financière. La France est divisée entre les intérêts de ses pro-
pres agriculteurs favorables en principe aux subventions, les acteurs de la
coopération plutôt enclins à endosser les initiatives du Mali. Elle soutient
une initiative européenne « Proposition de partenariat avec l’Union euro-
péenne et l’Afrique à l’appui du développement du secteur du coton » allant
dans le sens de à la réduction des subventions, de l’atténuation des effets de
la volatilité des cours et d’une aide à la production mais non pas de la com-
pensation financière. Un débat important est apparu entre libéralisation et
traitement différencié pour les pays en développement ainsi que séparation
ou non du volet commercial et du volet développement.

Les effets des subventions sur la filière cotonnière


malienne

Les simulations posent de très nombreux problèmes méthodologiques et


donnent des résultats controversés. Les estimations se heurtent aux difficul-
tés classiques des tests : limites du raisonnement en équilibre partiel, non
prise en compte des effets des stocks, calculs des élasticités, impact de l’uni-
vers de concurrence imparfaite alors que les distorsions s’évaluent par réfé-
rence à un univers concurrentiel, oubli des distorsions de change.
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Selon l’étude du REPA (2004), on note un effet significatif et négatif des
subventions internationales sur la filière cotonnière du Mali. Au regard des
tests, le cours mondial de coton est corrélé avec la production de coton du
Mali, le prix au producteur, le revenu agricole, mais peu avec la valeur ajou-
tée par exploitation du fait de l’extensivité de la production. Une baisse du
cours du coton de 1 % sur le marché international entraîne une diminution
de 0,16 % des recettes publiques soit une perte de près de 26,1 milliards de
FCFA en 2001 à la suite de la baisse du cours mondial de coton. L’élasticité
revenu des producteurs est estimée à 0,09, soit une perte du revenu des pro-
ducteurs de coton de 57,3 milliards de FCFA. Les plus pauvres subissent plus
fortement les variations du prix mondial de coton que les moins pauvres.

219

2 on
afco-216.book Page 220 Tuesday, March 7, 2006 2:05 PM

■ Afrique contemporaine ■

Tableau 4 – Corrélation entre le cours mondial, les subventions, les prix aux
producteurs, la production et la Valeur ajoutée et les recettes d’exportation du Mali
Recette
Subventions Production Prix aux Valeur
d’exporta-
totales Mali producteurs ajoutée
tion
Cours mondial -0.891 -0.280 -0.442 -0.403 -0.459
Subventions totales - -0.524 -0.517 -0.502 -0.502
Union européenne - - 0.276 -0.375 -0.271 -0.386
États-Unis d’Amérique - -0.357 0.318 -0.214 -0.333
Chine - -0.198 -0.342 -0.217 -0.293

Sources : G.S. Adjovi, E. Wetta Cl., Sanogo O. (2004), REPA.

Il existe une corrélation négative entre le cours mondial du coton et le


prix aux producteurs de coton maliens, la valeur ajoutée et le revenu agri-
cole.

Tableau 5 – Corrélations entre le cours mondial et les indicateurs maliens


Cours
Prod. Mali Prix Mali V.A/EXP Revenu
mondial
Cours mondial 0.642 0.770 0.25 0.554 -
Subvention 0.56 0.32 0.28 0.29 0.87
Union européenne 0.23 0.14 0.13 0.21 0.94
États-Unis 0.26 0.18 0.12 0.24 0.75
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Chine 0.21 0.09 0.15 0.22 0.65

Sources : G.S. Adjovi, E. Wetta Cl., Sanogo O. (2004),REPA.

Ces calculs peuvent être évidemment critiqués et nous paraissent suresti-


més. Si l’on suppose que la suppression des subventions ferait croître de
10 % les prix mondiaux, toutes choses égales par ailleurs, le Mali engrange-
rait environ 10 milliards FCFA de gain. De plus, la suppression des subven-
tions aurait, du moins à court terme, pour effet d’accroître les parts de
marché des pays africains. En réalité, tout laisse penser que des pays tels le
Brésil seraient à terme gagnants et que les risques de hausse de la produc-
tion, sans amélioration des rendements, se ferait aux dépens des écosystè-
mes maliens.

220

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■ Les réformes de la filière coton au Mali ■

CONCLUSION
Le cas du coton malien est illustratif de l’évolution des enjeux qui se
jouent dans la libéralisation et dans les négociations internationales. Ces en-
jeux sont à la fois théoriques et doctrinaux en termes de fondements des
modalités de gestion de cette économie, mais également géopolitiques en
modifiant les rapports de force entre acteurs. Le coton est devenu un enjeu
d’alliances et d’oppositions à géométrie variable au sein des États (par
exemple en France entre le ministère des Affaires étrangères, le ministère
du Commerce extérieur et celui de l’Agriculture), entre ONG (qui se battent
contre les subventions ou pour des politiques publiques de soutien face à la
multi-fonctionnalité du coton), entre pays africains et pays émergents 5, et
entre les États-Unis et l’Union européenne. À l’encontre du « prêt à
penser », la privatisation et la libéralisation de ces filières doivent se faire au
cas par cas et de manière limitée et contrôlée. Il faut intégrer le contexte de
fortes défaillances des marchés (financiers, d’intrants, de débouchés) et des
réseaux d’infrastructures dans lesquels se trouvent les pays africains et qui
conduisent souvent dans des situations de privatisation à des monopoles de
fait. Il y a pluralité de modes d’organisation possibles, intermédiaires entre
l’intégration sous monopole public, la coordination marchande et un systè-
me de relations contractuelles correspondant à une quasi-intégration. Une
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des solutions qui semble la meilleure est la constitution de société d’écono-
mie mixte avec participation au capital d’organisations paysannes (Burkina
Faso ou Cameroun). Il importe également de gérer le trade off entre le prix
producteur et l’équilibre financier des filières. Selon les simulations du mo-
dèle de projection de l’Agence Française de Développement (Rapport thé-
matique Jumbo, avril 2005), des prix producteurs de, respectivement,
130 FCFA et 200 FCFA (comparé à un prix effectif de 165 FCFA) aurait les
effets macro-économiques suivants : – 4,7 % ou de + 2 % pour l’évolution
du PIB, – 18,1 ou de + 11,7 milliards FCFA pour les recettes budgétaires et
– 36 ou de + 27,3 milliards FCFA pour les exportations.

Les réformes concernent trois échelles territoriales…


Les réformes nationales sont nécessaires pour éviter certains dysfonction-
nements de la filière coton. Dans ces conditions, la recapitalisation des so-
ciétés cotonnières est souhaitable pour les dynamiser. Le développement de

5. Comme le Brésil avec les pays sahéliens pour le coton mais en conflits d’intérêts pour les autres produits.

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nouvelles structures de production, dans lesquelles les organisations des


producteurs ont un rôle important à jouer (par le biais de contrats plurian-
nuels), semble indispensable. Des organes de contrôle et de coordination
doivent être créés pour favoriser les négociations et la régulation et assurer
la liaison entre tous les organismes (recherche, structure de conseil aux pays,
sociétés de vente, etc.). Il paraît essentiel de favoriser la durabilité des filiè-
res en évitant le « braconnage », d’éviter une guerre des prix nuisant à la
qualité, de maintenir des prix plancher (éventuellement avec paiement en
deux temps), d’accroître le pouvoir des producteurs et de maintenir les tran-
sactions liées par le crédit. Un cadre réglementaire interprofessionnel est
nécessaire. Il est prioritaire de réduire l’extensification par des progrès de
la recherche agronomique et des améliorations techniques (culture attelée
voire motorisation, nouvelles variétés semencières correspondant au patri-
moine génétique des pays sahéliens, voire coton génétiquement modifié).
La durabilité de la filière coton du Mali suppose une double révolution verte
concernant à la fois l’amélioration des rendements et la sauvegarde des éco-
systèmes.
Des réformes sont nécessaires au niveau régional. À défaut de constitu-
tion de sociétés cotonnières régionales qui auraient pu être envisagées dans
le cadre des processus de privatisation, des actions régionales concertées au
sein de l’OMC ou d’association des producteurs (cas de l’APROCA regrou-
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pant 6 pays africains) sont nécessaires. Des activités industrielles complé-
mentaires à l’aval des filières et permettant une montée en gamme des
produits (fils et écrus) est évidemment stratégique. Les avantages compara-
tifs dans le domaine du textile sont toutefois limités du fait de la forte inten-
sité capitalistique et technologique, de la concurrence des vêtements
d’occasion, et de la suppression des Accords multifibres. La transformation
locale du coton doit prendre en compte les coûts énergétiques, ceux liés à
l’enclavement et les risques de libre échange de fait tenant à la porosité des
frontières et à la contrebande. L’UEMOA ou la CEDEAO peuvent néan-
moins négocier au titre des Accords de partenariat économique (APE) avec
l’Union européenne et surtout avec les États-Unis dans le cadre de l’African
Growth and opportunity Act (AGOA). Le design africain peut se combiner avec
des améliorations techniques et être compétitif. Après avoir observé la dis-
parition des industries textiles au sein de l’UEMOA (dont Itema au Mali),
on note le soutien de Fitima par l’État malien pour une production de
15 000 tonnes de filés (coton vendu avec décote, électricité fournie à prix
négocié). Créer 50 000 emplois d’ici 2015 au sein de l’UEMOA supposerait
une forte protection, des prix de vente préférentiels du coton et une sup-

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pression de la TVA pour la production écoulée sur le marché local. Ces me-
sures seraient certes en contradiction avec les règles commerciales en cours
(accords de libre échange, disparition des quotas textiles/vêtements de
2005), mais également les bases économiques du pouvoir politique. Elles
impliqueraient de convertir le capital marchand (lié à l’import-export) en
capital productif.
Enfin, les réformes concernent les pays industriels et émergents et les
liens entre commerce et développement au niveau international. Le mini-
mum est de réduire la concurrence déloyale actuelle. Suite à la requête des
4 pays africains à l’OMC et au soutien de la requête brésilienne contre les
États-Unis, l’Union européenne a pris des initiatives et une baisse des sub-
ventions à l’exportation a été adoptée en décembre 2005 à Hong-Kong.
Mais les perspectives paraissent limitées et les évolutions seront lentes. Il
faut, dans une vision prospective, prendre en compte les effets des réformes
des règles du commerce international (OMC, suppression des ATV, accords
commerciaux régionaux comme les APE ou l’AGOA), la montée en puissan-
ce des nouveaux concurrents, notamment les pays émergents tels la Chine
(premier producteur, consommateur et importateur de coton) et du Brésil
(dont les rendements à l’hectare sont 3 fois supérieurs à ceux du Mali), les
effets des évolutions technologiques, notamment des OGM que certains
pays voisins du Mali tels le Burkina Faso ont introduit sous la pression de
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l’USAID. Les pays sahéliens comme le Mali doivent évidemment améliorer
leur productivité et avoir une stratégie de la qualité, y compris par le biais
de la délivrance d’écolabels. Dans la mesure où le coton est un facteur stra-
tégique du développement, un appui financier international, notamment
européen, est la meilleure forme d’aide au développement.
L’Union européenne pourrait soutenir des mécanismes de stabilisation
compensant les instabilités de cours et de changes et prenant comme prix
de référence les prix d’équilibre sans subventions. Si les caisses de stabilisa-
tion d’une part et les systèmes d’assurance privés de l’autre sont inadaptés,
on peut envisager une réforme régionale à trois niveaux qui pourrait trou-
ver place dans les APE. Un mécanisme interne limitant l’amplitude des va-
riations de revenu avec marges négociées entre acteurs (sur le modèle du
Burkina Faso ou du Cameroun). Un système d’assurance pour les opéra-
teurs industriels et les exportateurs. Le mécanisme interne s’appuierait sur
un dispositif d’assurance mutualisée mobilisé en cas de crise grave et financé
sur dotation de l’Union européenne.
Demander aux pays en développement de s’ajuster aux prix mondiaux
et leur refuser la possibilité de mener des politiques publiques dans le do-

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maine agricole ne peut être crédible lorsque les pays dominants pratiquent
des mesures inverses. Une vision réaliste suppose de reconnaître, sur le plan
national, la nécessité de politiques publiques et de modes de coordination
mixtes dans le domaine agricole et, sur le plan international, des liens entre
les négociations commerciales et l’appui au développement en réduisant les
asymétries internationales.

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