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CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE DE L'ÉVALUATION

Danilo Martuccelli

Presses Universitaires de France | « Cahiers internationaux de sociologie »

2010/1 n° 128-129 | pages 27 à 52


ISSN 0008-0276
ISBN 9782130578413
DOI 10.3917/cis.128.0027
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-
sociologie-2010-1-page-27.htm
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CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE
DE L’ÉVALUATION
par Danilo  MARTUCCELLI

RÉSUMÉ

L’article propose une lecture analytique globale de l’évaluation. D’une part, il iden‑
tifie les huit grands principes sur lesquels s’appuie la philosophie de l’évaluation, avant de
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les soumettre, dans une seconde partie, à un examen critique. Au travers de ce mouvement
d’analyse, l’article montre comment, en dépit de ses faiblesses et contradictions, l’évaluation
est l’objet d’une croyance collective qui est en train de devenir le cœur d’un nouveau mode
de gouvernement et de gestion.
Mots clés : Évaluation, Domination, Pouvoir, Organisations.

SUMMARY

The article sets out a general critical review of evaluation. We begin by providing an
outline of the eight major principles of the philosophy of evaluation before submitting them
to a critical examination.The article shows how, despite its weaknesses and contradictions,
evaluation is the object of a collective belief which is becoming the centre of the contempo‑
rary exercise of domination and a new form of government.
Keywords: Evaluation, Domination, Power, Organizations.

La philosophie de l’évaluation est en train de devenir un des


plus puissants mécanismes de gouvernement et de légitimation
des organisations dans le monde contemporain. Pourtant, elle n’est
pas exempte de faces sombres. C’est sur l’analyse de ces aspects
qu’est centré cet article. Nous développerons notre raisonnement
en deux étapes. Dans une première partie, nous dégagerons rapi‑
dement ce qui nous semble être les huit grands principes de cette
nouvelle philosophie de gouvernement. Dans une seconde partie,
qui constituera le cœur de cet article, nous soumettrons chacun
de ces principes à un double examen critique à la fois du point
de vue de leur logique et de leur fonctionnement concret dans
les organisations.
Cahiers internationaux de Sociologie,Vol. CXXVIII-CXXIX [27-52], 2010
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LES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE L’ÉVALUATION

Pour comprendre dans toute sa complexité le rôle de l’évaluation


dans le monde contemporain, il ne faut surtout pas se limiter à la
comprendre comme une simple technique de gestion (une techni‑
que corrective des actions au vu de leurs résultats) mais comme la
mise en place d’une véritable nouvelle philosophie de gouvernement.
S’appuyant sur des principes simples, parfois évidents, tant ils
s’inscrivent en apparence dans la continuité de la dimension réflexive
propre à toute action humaine, la philosophie de l’évaluation s’appuie
sur une série d’amalgames très discutables entre différentes réalités. Le
mot désigne à la fois l’expertise académique d’un article (comme
celui‑ci !) et un contrôle de normes de qualité dans un processus
productif ; une note globale sanctionnant l’implication et les résultats
annuels d’un salarié et le suivi hebdomadaire ou trimestriel du chif‑
fre d’affaire d’une organisation ; un indice de satisfaction des usagers
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d’un service social et une notation orientant l’investissement finan‑
cier ; une épreuve standardisée pour comparer les compétences sco‑
laires des élèves et un bilan d’étape provisoire des premiers résultats
d’une politique publique, etc. C’est la première des illusions de la
philosophie de l’évaluation que de laisser supposer une ressemblance
entre toutes ces activités. Et par conséquent, la première étape de toute
critique de l’évaluation consiste à défaire ces amalgames, afin de voir,
pour chacune de ses définitions, ses zones d’arbitraire ou ses aspects
nuisibles. Plus encore : il faut apprendre surtout à distinguer ce qui
relève du fonctionnement effectif de l’évaluation et ce qui revient en
propre à la formation d’une nouvelle imagerie de puissance.
En tout cas la philosophie de l’évaluation s’affirme comme un
étrange hybride historique entre deux modes de gouvernement
longtemps distincts. Il procède à la fois d’une conception du monde
ayant fait de la compétition marchande le principe central de la réa‑
lité sociale et d’une promotion sui generis de l’action étatique. Entre
l’une et l’autre, et à la place de cette ancienne opposition, se dessinent
toute une série de nouvelles figures possibles de ce que l’on pour‑
rait bien dénommer un darwinisme concurrentiel sous stimulation
ou surveillance étatique. S’est ainsi progressivement mis en place un
mode de gouvernement animé par un nouveau dispositif d’inter‑
vention, s’appuyant sur des instruments ou indicateurs (Lascoumes,
Le Galès, 2004), censés être applicables à n’importe quelle organi‑
sation sociale (entreprise, hôpital, école, tribunal, commissariat…),
ou dans n’importe quel contexte national rendant ainsi possible la
gouvernance de la mondialisation (Graz, 2008).
Dans son squelette minimal, il est possible de condenser cette
philosophie de l’évaluation autour de quelques grands principes.
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Ils convergent tous vers une affirmation commune : sans évaluation,


il n’y a désormais ni efficience ni progrès. Huit grands principes
se dégagent :
[1.]  tout est susceptible d’être mesurable et à terme soumis à
évaluation – un exercice qui permet de transformer d’inépuisables
débats idéologiques en affaires techniques, grâce à la fabrication de
batteries d’indicateurs éventuellement concurrents ;
[2.] tout le monde se doit d’être évalué et mis en concurrence – ce
qui va dans le sens d’une plus grande démocratisation et d’une plus
grande objectivation de l’exercice du pouvoir dans nos sociétés ;
[3.] l’évaluation, dans la mesure où elle s’appuie sur des référen‑
tiels communs, une forte crédibilité et sur des critères techniques
irréprochables, assure une gestion plus transparente du pouvoir; 
[4.] l’évaluation en tant que mode de gestion assure la meilleure
utilisation possible des ressources économiques et humaines ;
[5.] l’évaluation augmente l’efficacité puisqu’elle permet de faire
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émerger, par comparaison, les bonnes pratiques, ce qui permet par
la suite de décliner des recommandations plus ou moins universelles
(grâce à la logique de Benchmarking) ;
[6.] l’évaluation motive et implique, sans relâche, autant les orga‑
nisations que les individus, puisqu’ils visent à s’améliorer de façon
constante au vu de la prochaine évaluation ;
[7.] l’évaluation, en rendant le pouvoir plus efficace et transpa‑
rent, est un puissant mécanisme de légitimation des organisations ;
[8.] l’évaluation, en tirant, grâce à la réactivité qu’elle assure, les
conséquences des limites des anciennes formes de rationalisation
organisationnelle, inaugure une nouvelle ère dans la rationalisation
de nos sociétés.
Mais qu’en est‑il vraiment ?

Analyses critiques

[1.] Première critique  : toutes les pratiques ne sont pas également


mesurables
Le premier principe repose sur un premier amalgame : l’idée que
l’évaluation est une technique susceptible de s’appliquer à n’importe
quel type d’activité, à condition de mettre sur pied les bons indica‑
teurs. Face à ce postulat, différentes prises de conscience critiques se
développent.
La question se pose en tout cas de savoir si, s’agissant de services
d’un type particulier (santé, éducation, mais aussi la sécurité ou la
justice…), l’évaluation par indicateurs est raisonnable politiquement
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et faisable socialement. Car de fait, on finit par mesurer ce qui est le


plus facile à mesurer (le temps d’attente dans les services, les notes
aux examens, l’activité annuelle, les résultats bruts d’exploitation…).
En réalité, contrairement à ce qu’affirme le premier principe, tout
n’est pas susceptible d’être mesuré avec la même fiabilité. Non seule‑
ment pour des raisons techniques, mais aussi pour des raisons tenant
à la nature même des activités.
Prenons l’exemple du travail et soulignons d’abord que contrai‑
rement à ce que laisse entendre la philosophie de l’évaluation, il
a toujours été sous surveillance et donc en quelque sorte évalué.
Remarquons également que l’évaluation est de plus en plus utilisée
de manière transversale aux activités régulées par le marché, par la
bureaucratie ou par un corps professionnel (Freidson, 2001), ce qui
montre à quel point nous sommes bien dans une logique majeure
de gestion de la main‑d’œuvre. Pourtant, l’évaluation du travail est
aujourd’hui plus que jamais épineuse.
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Il est souvent difficile d’évaluer le travail parce qu’il se dif‑
fracte (pensons entre autres au travail des cadres) dans une lita‑
nie de réunions, de coups de téléphone, de rencontres… sous la
rapide succession d’objectifs, atteints ou non, mais qui ne cessent
de se modifier, ce qui, à terme, ne peut que forcer à reconnaître
l’inanité des précédents… et déteindre sur ceux qui sont en cours.
Chez les fonctionnaires, ce sentiment est d’autant plus fort qu’un
objectif, à peine atteint (ou non d’ailleurs…), risque d’être rapi‑
dement remplacé –  ou abandonné  – en cours de route à cause
de l’alternance des équipes de direction. L’évaluation se durcit au
moment où, dans bien des secteurs, l’activité devient plus imma‑
térielle et opaque.
En fait, plus l’activité de travail devient difficile à mesurer, plus
on assiste à une déferlante de critères entraînant une gangrène de la
mesure. Vincent de Gaulejac (2005, p. 70‑72) parle avec justesse et
humour de la quantophrénie, de cette maladie managériale voulant
partout et toujours traduire toute la vie sociale en signes mathéma‑
tiques. De plus, en ce qui concerne par exemple les promotions ou
le travail d’un salarié, les critères de jugement sont loin d’avoir une
absolue clarté, sont souvent fortement subjectifs, comme lorsque le
« potentiel » ou la « disponibilité » deviennent, par exemple, lors des
promotions, des justifications importantes du différentiel de carrière
entre cadres (Laufer, 2001).
L’idée que tout est évaluable est en fait une illusion de la ratio‑
nalisation, sous‑entendant de manière abusive que l’évaluation des
activités et de surcroît des personnes peut être une pure affaire tech‑
nique. Or, trop d’éléments entrent en ligne de compte. Le gouverne‑
ment des hommes ne sera jamais un gouvernement des choses.
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[2.] Deuxième critique  : l’évaluation n’est pas homologue


selon les acteurs
Le deuxième principe de la philosophie de l’évaluation apparaît
comme une conséquence presque immédiate du point précédent. Si
tout est évaluable, il est indispensable que tout le monde soit évalué.
En apparence, la procédure s’inscrit dans une perspective démocra‑
tique : à savoir l’idée que les institutions et les gouvernants ont des
comptes à rendre aux citoyens, selon le principe de l’accountability
(O’Donnell, 2007). Reconnaissons pourtant que l’« évaluation »
politique est d’un type bien particulier. Les élections, de par leur
nature proprement conflictuelle, rappellent aux citoyens le carac‑
tère éminemment politique de l’opération d’« évaluation » en cours.
Mais surtout, et cela fait toute la différence, dans le jeu politique, les
gouvernants sont en situation d’aller solliciter le suffrage du peuple,
dépositaire de la souveraineté. Et donc de devoir accepter, dans un
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renversement temporaire de l’asymétrie habituelle du pouvoir, leur
évaluation sous forme de sanction électorale. La situation est bien
évidemment tout autre dans la pratique ordinaire de l’évaluation
dans les organisations.
En tout premier lieu, dans bien des domaines, les subordonnés
n’ont aucune capacité d’évaluation de leurs supérieurs. Certes, cer‑
taines procédures, par exemple l’évaluation à 360°, visent à rendre le
processus multidirectionnel, mais le plus souvent, c’est dans un res‑
pect scrupuleux de la hiérarchie qu’opère l’évaluation – chacun étant
évalué par son supérieur immédiat. Faut‑il signaler que le processus
est parfaitement inverse à celui que propose la démocratie ? Certes,
à terme, et en tant que principe, presque tout le monde finit par
rendre des comptes à quelqu’un, mais cela se fait à l’intérieur d’un
positionnement hiérarchique explicite : ce sont les subalternes qui
rendent des comptes. Rien ne l’indique mieux que l’instrumentali‑
sation dont l’évaluation est systématiquement l’objet : ce sont seule‑
ment certains résultats d’une évaluation qui déclenchent des sanctions
ou des réformes, c’est dire à quel point c’est le fait de pouvoir tirer
ou non des conséquences pratiques d’une évaluation qui manifeste,
presque intacte, l’asymétrie entre acteurs.
En deuxième lieu, et lorsque dans certains domaines (droit des
consommateurs, institutions de santé ou scolaires) les usagers ont la
faculté d’évaluer leurs prestataires de service, l’asymétrie de pou‑
voir reste le plus souvent trop grande pour alimenter une véritable
démocratisation. Peut‑on comparer, par exemple, l’évaluation –  et
ses conséquences  – que fait un enseignant d’un étudiant, et celle
que l’étudiant fait de l’enseignant en termes de satisfaction ? Bien
entendu, le jeu de pouvoir entre les deux varie en fonction de la
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nature des lieux d’enseignement ou encore du statut de l’enseignant,


mais on comprend aisément que l’évaluation ne désigne nullement
la même réalité dans les deux cas. Ce constat est encore plus flagrant
en ce qui concerne les institutions de santé ou de justice.
En troisième lieu, étant donné le différentiel de pouvoir entre
individus, tous les acteurs, loin s’en faut, ne sont pas soumis à l’éva‑
luation. Ou plutôt, leur position permet à certains d’échapper aux
sanctions. Cette situation produit d’ailleurs de vrais émois dans l’opi‑
nion publique lorsqu’elle en prend conscience, par exemple, des
écarts entre les résultats d’exploitation d’une firme et les avantages
reçus par ses dirigeants –  leurs rémunérations étant parfois large‑
ment imperméables aux mauvais bilans (Rothkopf, 2008, chap. II).
En fait, schématiquement, on peut mentionner une tripartition de
salariés. Certains – placés « en bas » de l’échelle – sont soumis à une
évaluation‑contrôle quasi permanente. D’autres disposent d’une
importante autonomie, puisque leur évaluation est épisodique. Pour
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désigner ce type d’évaluation, Philippe Zarifian (2004) parle à juste
titre d’un contrôle à l’élastique : l’individu peut l’étirer pendant
longtemps, sans qu’à aucun moment il ne puisse cependant oublier
la contrainte (l’évaluation) qui pèse sur lui. Enfin, un troisième
groupe d’acteurs est pour l’essentiel, et durablement, à l’abri, et des
évaluations, et des sanctions de leurs mauvais résultats.
Résultat : l’introduction de l’évaluation dans le monde du travail
s’accompagne souvent de la perte de maîtrise par un corps pro‑
fessionnel de son autoévaluation. Le cas des enseignants du supé‑
rieur en France est un bon exemple de ce processus (Garcia, 2008).
À l’intérieur de la traditionnelle évaluation par les pairs effectuée par
des critères disciplinaires, sont venus s’introduire d’autres acteurs et
d’autres logiques (l’évaluation de l’administration sur les services ;
celle des étudiants sur la pédagogie ; celle de membres externes à
l’université dans les comités d’administration). La généralisation de
la philosophie de l’évaluation vient ici signaler un transfert de pou‑
voir et une déprofessionnalisation du corps enseignant qui perd,
au moins en partie, et comme tant d’autres salariés dans le passé, sa
capacité d’autoévaluation.
En bref : la philosophie de l’évaluation, de par sa nature même,
est un mécanisme profondément inégalitaire.

[3.] Troisième critique  : l’évaluation n’est pas de l’information,


mais du pouvoir
La philosophie de l’évaluation part d’une promesse : sa généralisation
permet de réduire l’exercice arbitraire du pouvoir. Dans un numéro spé‑
cial de la revue Cahiers de l’évaluation (2009), consacrée à cette pratique,
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il est ainsi possible de lire en exergue une définition de ce type : l’éva‑


luation est « un jugement de valeur (basé) sur une démarche cognitive ».
Bref, elle repose sur la circulation transparente du savoir.
Est‑ce bien le cas ? Revenons aux indicateurs et reconnaissons
qu’ils sont bien autre chose qu’une simple affaire technique. Tout
indicateur est un choix politique par omission : il déplace la décision
politique dans le moment de la construction en amont des indica‑
teurs, mais il n’augmente pas forcément la transparence. La confec‑
tion d’indicateurs escamote le moment politique derrière un débat
en apparence technique – le gouvernement des hommes devient un
gouvernement des choses. Or, même lorsque les indicateurs rete‑
nus sont limités, on assiste souvent à un écart important entre les
résultats (par exemple, au niveau scolaire, entre la satisfaction décla‑
rée des élèves et leurs résultats scolaires) (Meuret, 1997), mais aussi
entre les indicateurs mesurables –  eux‑mêmes souvent chiffrables
et experts – et les savoirs d’expérience (Callon, Lascoumes, Barthe,
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2001 ; Barrère, 2010).
En fait, si l’objectif est la transparence du pouvoir, il serait néces‑
saire, ce qui n’est pratiquement jamais le cas, qu’une discussion
ouverte ait lieu, devant l’opinion publique, à propos des indicateurs
retenus. La « technicité » requise est souvent avancée comme un
écueil insurmontable. Du coup, la principale solution est de mul‑
tiplier les indicateurs, voire les agents évaluateurs, afin de créer des
contre‑expertises – comme cela est désormais bien visible à propos
des indicateurs mesurant la richesse d’un pays (Gadrey, Jany‑Catrice,
2005). Pourtant, à ce jeu, un indicateur devient souvent hégémonique.
Donnons‑en un exemple banal : ceux qui ont fini par s’imposer dans
le domaine économique – les indices boursiers, le taux de change,
le pib – définissent la « santé » d’une économie, en faisant largement
omission de l’évolution des salaires, des accidents ou des maladies au
travail, imposant ainsi l’idée que seuls comptent les besoins du capital
(Salama, 2006, p. 134).
L’évaluation, supposée introduire de la transparence, et être sur‑
tout un critère consensuel de jugement dans les débats politiques,
grâce justement au rôle des indicateurs, est en réalité un nouveau
domaine de conflictualité sociale. Certes, les experts de l’évaluation,
une fois construits leurs indicateurs (et assis leur pouvoir techni‑
que…), rappellent parfois à l’opinion publique que l’évaluation ne
veut pas dire décision, soulignant par là même les limites auxquelles
est soumis tout travail d’évaluation (Duru‑Bellat, 2002). Cette
posture intellectuelle, certainement honnête individuellement, cache
cependant une insuffisance critique.
En effet, la raison des difficultés n’est pas de nature technique,
mais proprement sociale. Quels que soient les indicateurs choisis,
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l’évaluation est indissociable d’un jeu de pouvoir. En effet, le recours


aux indicateurs s’appuie sur une conception incroyablement peu
réaliste de l’exercice du pouvoir dans nos sociétés. L’évaluation
exige de la transparence là où, par définition, le pouvoir opère au
travers de zones d’incertitude (Crozier, Friedberg, 1977). Impossible
de minimiser ce point. L’importance de zones d’incertitude dans
l’exercice effectif du pouvoir interdit en tout cas de réduire les indi‑
cateurs à de simples supports techniques. Dans ce sens, demander
aux acteurs de transmettre l’information nécessaire à leur évaluation
suppose qu’ils se dessaisissent volontairement de ce qui est un des
ressorts principaux de leur pouvoir, à savoir la capacité à garder un
contrôle sur les événements par détournement ou invisibilisation de
certaines données.
L’« oubli » de cette règle est pour beaucoup à l’origine de biens
des scandales suscités directement ou indirectement par l’évaluation
ces dernières années. L’opinion publique prend d’ailleurs conscience
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de ce problème mais seulement sous la forme d’« affaires » à conno‑
tation morale. Qu’il s’agisse du détournement des contrôles dans
l’affaire Enron, des affaires d’escroquerie ou de dysfonctionnements
graves au niveau des opérations financières (l’affaire Madoff, l’affaire
Kerviel et la Société Générale, l’affaire Leeson et la banque anglaise
Barings…) ou de la volatilité surprenante des évaluations établies par
les « meilleures » agences de notation face à la crise débutée en 2008,
ce dont il est vraiment en question ce n’est pas de savoir s’il y a trop
ou pas assez de contrôles, mais le fait que l’information est un méca‑
nisme de pouvoir soumis au jeu stratégique. Insistons : ce n’est ni un
problème moral ni un problème technique. C’est une autre réalité :
les acteurs sociaux, de par leur différentiel de pouvoir, utilisent et
fabriquent l’information en fonction de leurs intérêts.
Dans ce sens, il y a plus de ressemblance qu’on ne le croit entre
les « triches » effectuées par certains principaux et proviseurs au
xixe siècle en France qui, évalués sur les effectifs, ont eu tendance
à les augmenter (Prost, 2009, p. 161) et celles réalisées par les ensei‑
gnants il y a quelques années aux États‑Unis avec les tests de niveaux
de leurs élèves, afin de mettre en valeur leur propre excellence aca‑
démique (Levitt, Dubner, 2005). Mais aussi entre les détournements
plus ou moins systématiques d’information à l’œuvre dans l’ancienne
économie soviétique, comme ce directeur d’usine qui, afin d’aug‑
menter sa consommation annuelle d’acier, avait fini par fabriquer
des chaises de plus en plus lourdes (Perret, Roustang, 1993) et le
« toilettage » des comptes publics par certains pays de la zone euro
afin de respecter des critères communs de bonne gestion économi‑
que. Dans tous ces cas, puisque les évaluations entraînaient des sanc‑
tions possibles pour les enseignants, les directeurs d’entreprise ou les
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États‑nations, la triche s’est développée (une pratique qui exige, à


son tour, d’être elle‑même mise sous contrôle…). Autrement dit, le
recours à l’évaluation ne rend pas le pouvoir plus transparent ; il ne
fait qu’ouvrir un nouvel espace stratégique. Et au vu des exemples
disponibles, et qui se multiplient, ce jeu est loin, mais vraiment loin,
de gagner en transparence…
On est ici au cœur d’un des plus durables talons d’Achille de la
philosophie de l’évaluation. À savoir qu’elle ne peut pas se défaire
complètement de la participation des évalués – souvent d’ailleurs ce
sont ces derniers qui sont « invités » à produire les normes à partir
desquelles ils seront évalués. Or, dans ce sens, et quoi qu’en disent
certaines perspectives par trop critiques, il n’y a pas seulement un
nouveau mode de disciplinarisation des acteurs, il y a aussi création,
et recréation permanente, d’un espace de jeu, en fait, d’un domaine
stratégique (et non seulement tactique comme dit Certeau, 1980),
frôlant systématiquement le risque structurel de la tricherie.
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[4.]  Quatrième critique  : l’évaluation a un coût
La philosophie de l’évaluation est censée faciliter une allocation
optimale des ressources, en permettant d’éviter les gaspillages. Pour
bien comprendre ce principe, il est nécessaire de prendre conscience
de l’analogie qu’il suppose : de la même manière que le marché, par
le système de prix, évalue les différents produits et services, il serait
possible d’évaluer, à partir d’autres critères et indicateurs, toute acti‑
vité sociale. L’ombre des activités proprement marchandes – et leur
mode de régulation par le prix – est l’analogie implicite contenue
dans cette conception optimale des bienfaits de l’évaluation.
Cependant, l’analogie cognitive entre le marché et l’évaluation
s’avère limitée. Le marché est un mécanisme de distribution de
l’information via le système de prix. Sa force et sa séduction depuis le
xviiie siècle procèdent d’ailleurs de l’économie de coûts qu’il permet
de réaliser à ce niveau (Rosanvallon, 1989). Polémiques mises à part,
il est un formidable mécanisme de distribution a‑centrique de
l’information, dont le coût s’est en tout cas avéré moindre que celui
de la planification. Or, malgré l’analogie implicite avec le marché,
l’évaluation a en réalité un coût considérable. Alors que, au moins en
principe, le marché opère par une agrégation anonyme de conduites,
l’évaluation fonctionne après expertise, exigeant une allocation de
temps spécifique – et donc un surcoût.
D’ailleurs, à ce sujet, le contraste est saisissant entre le nombre
d’études effectuées depuis des années par les partisans de l’école du
Public Choice afin de montrer les effets pervers et les coûts cachés
des programmes sociaux, et, pour l’instant, la relative discrétion qui
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36 Danilo Martuccelli

entoure les coûts réels de l’évaluation (en termes de temps, d’éner‑


gie et bien sûr d’argent) (Power, 2005). Or, la « bureaucratie de
l’évaluation », bien visible dans le domaine scolaire et universitaire,
pour n’évoquer que cet exemple, entraîne un coût en termes de
fonctionnement de nouvelles instances d’évaluation, de temps bien
entendu – nombre d’heures et charge mentale consacrés à ces acti‑
vités – mais aussi, par conséquent, d’argent (pour une mise au point
critique, This, 2009).
L’évaluation des biens publics mérite ici une attention toute par‑
ticulière. Bien des transformations qu’a connues le secteur public
ces dernières années ont eu pour but d’introduire un principe
d’évaluation qui puisse faire pendant au couperet que le marché
est censé constituer pour le secteur privé. Avant d’analyser ce point,
soyons sensibles au changement idéologique qu’il comporte. Pour
Max Weber, l’administration publique était le modèle du maximum
de rationalisation possible dans la vie sociale. Aujourd’hui, exacte‑
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ment à l’inverse, elle est jugée inefficace par rapport au surcroît de
réactivité des marchés et des entreprises privées. Cette conviction est
le fondement du New Public Management.
En fait, derrière l’expansion de la philosophie de l’évaluation,
se trouve une transformation de l’équilibre entre pouvoirs publics
et grandes entreprises privées, accélérée par la globalisation et les
endettements publics. Une discipline fiscale et monétaire d’un nou‑
veau type s’est instaurée, obligeant les gouvernements à faire des
économies. Cependant, cette obligation ne s’est pas traduite partout
par une pure diminution de la dépense publique ou des prestations
sociales. En revanche, c’est la manière dont les services sont octroyés
qui a vraiment changé : ils sont de moins en moins effectués par des
fonctionnaires (dans le cadre des services publics) et de plus en plus
par des entreprises privées (Gross Stein, 2002). Il s’est ainsi créé un
marché pour des biens publics. Dans l’ue, c’est la libéralisation des
services publics – la fin des monopoles publics et leur ouverture à la
concurrence – qui résume ce processus.
L’idée est simple : l’État passe des contrats avec des entreprises
privées qui, sous la houlette de la concurrence marchande, seront
plus efficients pour distribuer les biens publics. Or, c’est bel et bien
le rôle de l’État qui se transforme. Certes, il continue à financer
et réguler la distribution des biens publics, mais il « délègue » la
prestation des services. C’est un « nouvel » État qui se crée : il se
caractérise par la définition de standards d’excellence et d’objectifs
publics à atteindre (en termes d’éducation, santé, sécurité…) et par
la délégation du travail effectif à des médiateurs privés. L’important
étant l’efficience, il est indispensable d’obtenir la meilleure allocation
des ressources financières limitées dont on dispose. C’est dans ce
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Philosophie de l’évaluation 37

contexte que l’évaluation fait métastase : elle devient un mécanisme


indispensable pour s’assurer que la qualité et les objectifs fixés ont été
atteints (Gross Stein, 2002, p. 157). Nous vivons le passage d’un État
prestataire direct des services publics (parfois sous forme de mono‑
pole) à un État qui les délègue à des entreprises privées ou, comme
c’est plutôt le cas en France, à des organisations publiques mises en
concurrence entre elles.
Dans cette nouvelle philosophie, afin de piloter l’allocation opti‑
male de biens publics, les États ont besoin de plus en plus d’infor‑
mation (et en ce qui concerne la santé et l’éducation de plus en plus
d’informations privées). Au nom de l’intérêt général (c’est « notre
argent »), les contrôles, sous forme d’évaluations périodiques, aug‑
mentent. Autrement dit, pour assurer cette nouvelle forme de distri‑
bution de biens publics, l’État devient un consommateur omnivore
d’information. Ce qui entraîne, bien entendu, des coûts spécifiques.
Les problèmes engendrés ne reçoivent pas toujours l’attention
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qu’ils méritent. Pourtant, les exemples de difficultés entraînées par
cette évolution ne manquent pas. Pensons aux polémiques sur la
performance de système de santé : faut‑il choisir un système d’assu‑
rance privée ou une sécurité sociale publique ? Derrière les positions
partisanes, un consensus comptable se dégage. Dans ce domaine,
le système public apparaît souvent moins onéreux pour trois rai‑
sons : (a) il ne sélectionne pas les patients ; (b) il n’a pas de frais de
publicité ; (c) la plupart de la population étant assurée, les individus
n’attendent pas d’être gravement malades pour aller voir un méde‑
cin (Amiech,Vaury, 2004). Certes, ce dernier point est plus litigieux,
certains soulignant les aléas moraux qu’un système public de santé
entraîne, d’autres pointant les différentiels de prévision qu’il permet.
Il ne s’agit pas ici de trancher cette controverse, mais de souligner un
point consensuel entre experts, par ailleurs fort opposés entre eux.
Dans tous les cas, l’évaluation des malades entraîne un coût — les
assurances privées visant à éviter, à l’aide d’une batterie d’examens,
les personnes à risques ou susceptibles d’être des gouffres en soins
coûteux. Ce qui est valable dans ce secteur l’est bien évidemment
dans bien d’autres. C’est même un thème récurrent dans les dénon‑
ciations des salariés : qui met en place les évaluations pour évaluer le
temps consacré à travailler pour évaluer ce qu’on fait ?
Une fois encore, derrière cette technique de gestion, c’est une
philosophie de gouvernement qui se dessine. Nous sommes devant
un véritable projet politique. Un projet selon lequel les États‑nations
doivent accepter une privatisation partielle de leurs fonctions
régaliennes et surtout une délégation dans la prestation des servi‑
ces publics. Une transformation qui prend souvent la forme d’un
transfert de gestion sans délégation de souveraineté, grâce justement
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38 Danilo Martuccelli

(au moins en apparence), aux bienfaits de l’évaluation. Les services


publics, divisés en agences plus ou moins indépendantes, ont des
objectifs spécifiques, sont mis en concurrence entre eux, mais aussi
avec des agences privées, et soumis à une évaluation périodique à
la fois de la part de leur administration de tutelle et de la part des
consommateurs. Le tryptique objectif‑évaluation‑sanction règne
alors en maître, instituant de facto la responsabilisation des acteurs et
des organisations comme un principe central de ce nouveau gou‑
vernement des hommes. Une philosophie d’ensemble qui fait faci‑
lement « oublier » à quel point, dans bien des domaines, les coûts
d’évaluation excèdent ses avantages supposés.

[5.] Cinquième critique  : l’évaluation est un pouvoir performatif


d’un nouveau genre
La fortune contemporaine de la philosophie de l’évaluation est
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inséparable de la consolidation de tout un système d’organismes
internationaux, responsables d’évaluations transnationales de par le
monde. Cette philosophie renouvelle au fond la vision de la one best
way taylorienne, en supposant qu’il est possible d’une part de repé‑
rer les best practices et d’autre part, et surtout, qu’il est possible de les
appliquer, avec des aménagements à la marge, dans n’importe quel
contexte social. Or, ce type de postulat donne lieu à des évaluations
qui, ne tenant pas compte des contextes sociaux d’action, conduisent
à des résultats pouvant être légitimement contestés par les acteurs
(Courpasson, Thoenig, 2008, p. 56‑62).
En fait, nous assistons à un mouvement international vers la bonne
gouvernance. L’idée est généreuse dans son intention : il faut que
chaque pays s’inspire des best practices ayant fait leurs preuves ailleurs.
Cependant, cette philosophie performative n’est parfois rien d’autre
que le prolongement par d’autres moyens d’une attitude naguère
dénoncée comme « impérialiste ». Certes, tout le monde est censé
apprendre de tout le monde, mais dans la pratique, l’apprentissage
des best practices suit un fil conducteur évident – celui justement de
l’asymétrie du pouvoir entre acteurs et pays. Les normes de qualité
du type iso en sont une bonne illustration, d’autant plus que, comme
bien des études le montrent, le transfert des « critères » est loin d’être
uniforme entre les régions du monde, inaugurant ainsi une nouvelle
ère de colonisation, d’invention et de métissage (Metzger, 2009).
Or, dans ce processus, l’évaluation des institutions à partir de cer‑
tains indicateurs finit par confondre le but avec les moyens (Rodrik,
2003). Une fois établis, les indicateurs ont en effet tendance à se
réifier (Ropé, Tanguy, 2000), mais surtout ils transforment l’action
d’une organisation : c’est au vu de l’évaluation – mesurée à partir
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Philosophie de l’évaluation 39

de certains indicateurs  – que se réorganise l’activité. Autrement


dit, si toute évaluation a un caractère normatif (bien résumé dans
les indicateurs retenus) elle a aussi une dimension performative
puisqu’elle finit par définir le type d’activité à effectuer. L’évaluation
cesse d’être un moyen et devient la fin elle‑même –  l’indicateur
devient l’objectif central de l’organisation. On en trouve un bon
exemple dans le projet de réforme de certaines institutions dont
le but affiché peut être, par exemple, d’améliorer la performance
d’une organisation au vu d’indicateurs internationaux –  comme
c’est en partie le cas avec le classement de Shanghai et la réforme
en cours des universités en France.
Or, la logique des best practices cache un présupposé. À l’ombre
du triomphe de l’économie néoclassique (« standard ») sur toutes les
autres formes de pensée économique, s’est répandue l’idée, reprise
par les organismes internationaux, que les injonctions économiques
pouvaient largement ignorer les effets spécifiques liés aux contextes.
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Williamson, l’inventeur du consensus de Washington, pouvait ainsi
écrire que les points qu’il avait retenus étaient « le centre commun
de sagesse adopté par tous les économistes sérieux ». Le « cercle de
la raison » se définit toujours indépendamment de tout contexte.
Or, comment négliger à quel point l’histoire économique est le
fruit d’un grand nombre de différents arrangements institutionnels
qui ont inventé leur propre voie en fonction de traditions et de
contraintes nationales ? (Bairoch, 1999). Derrière les best practices, on
voit pointer, non pas une problématique cognitive, mais un enjeu
de domination.
Le point est suffisamment important pour que l’on s’y arrête et
qu’on l’illustre à partir d’un aspect particulier – la modification des
règles du jeu internationales dans l’accès au crédit. Afin d’avoir accès
aux prêts dont ils avaient absolument besoin (pour payer les intérêts
accumulés de leurs dettes et pour pouvoir mettre en route leurs éco‑
nomies –  fort dépendantes des importations pour leur production
locale), les gouvernements de bien des pays du Sud ont dû se plier,
ces dernières décennies, aux injonctions programmatiques imposées
par le fmi et la Banque mondiale (« prêts basés sur des politiques »).
D’ailleurs, c’est dans cette période et à l’aide d’une nouvelle gouver‑
nance appuyée sur l’évaluation, que le rôle de ces deux organismes
internationaux s’est modifié dans un sens plus contraignant. Pour
avoir accès à de nouveaux prêts, il faut désormais que les pays res‑
pectent les mesures économiques contenues dans le consensus de
Washington (1990).
Mais comment savoir si un pays s’est vraiment plié à ces injonc‑
tions ? C’est afin de permettre une activité financière largement
assurée par des organisations privées (banques commerciales, fonds
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40 Danilo Martuccelli

de pension, investisseurs institutionnels), que sont apparues quelques


agences de notation qui classent les pays en fonction de la clause dite
« risque pays ». Cette clause est un excellent exemple à la fois du rôle
performatif de l’évaluation et de sa place dans un système de domi‑
nation. Cette clause définit une estimation de la capacité de paiement
d’une économie, dont on trouve une évaluation parallèle du côté
de la bourse et du taux de change. Or, effectuée à partir de quel‑
ques indicateurs, elle a une forte capacité performative puisqu’elle
s’accompagne de mécanismes actifs de sanction. Si un pays, par exem‑
ple, ne se plie pas aux consignes (libéralisation de l’économie, privati‑
sation, lutte prioritaire contre l’inflation…), il sera contraint de payer
plus cher le crédit et il aura moins facilement accès au capital frais.
Bien entendu, le processus est loin d’être purement machiavélique. La
défense de grands équilibres macroéconomiques, parfois imposés de
l’extérieur par les marchés financiers, peut être un élément important
d’une croissance durable. Mais cela ne va pas sans conséquences et
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sans risques. Un pays comme le Brésil, par exemple, sous le gouver‑
nement de Lula, a dû préserver un excédent primaire important en
pourcentage du pib, afin de refouler la menace inflationniste, et donc,
de renforcer la crédibilité du Brésil vis‑à‑vis des marchés externes
(Salama, 2006, p. 82‑83). Et on pourra trouver, pour bien d’autres rai‑
sons et sous d’autres modalités, ce même souci à l’œuvre dans l’admi‑
nistration Clinton (Stiglitz, 2003).
L’évaluation est devenue un mécanisme de domination performa‑
tif d’un nouveau genre. Lorsque, dans les années 1980, le fmi interve‑
nait dans la gestion de la crise de la dette des pays du Sud, sa visibilité
en a fait la cible de bien des mouvements de contestation. Or, depuis
quinze ans, en dépit de la forte croissante des marchés financiers, cet
ensemble hétérogène d’opérateurs induit moins de refus. Pourtant,
lorsqu’une crise se déclenche, une des préoccupations majeures des
gouvernements est de préserver les équilibres macroéconomiques
(fiscalité, monnaie, balance de paiements) afin de ne pas augmen‑
ter son « risque pays ». Pire encore, toute « erreur » dans ce sens est
rapidement sanctionnée par les « marchés ». Du coup, la situation
d’un pays dépend de l’action de milliers d’opérateurs économiques
distants et surtout de leur façon de se plier à la vision performative
qui sous‑tend l’évaluation. Ce mécanisme de domination n’est pas
exempt d’abus : parfois, comme lors de la crise asiatique de la fin
de l’année  1997, les « sanctions financières » peuvent toucher des
pays dont les comptes sont fragiles, mais elles peuvent aussi finir par
concerner des pays qui avaient, jusque‑là, pourtant des comptes en
bon état (comme ce fut le cas avec la Corée du Sud ou même avec
certains pays de l’Amérique latine (Tokman, 2004)).
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Philosophie de l’évaluation 41

Les prescriptions évaluatives mesurent donc les gages de confiance


que les pays doivent donner à la communauté financière interna‑
tionale. La prescription est devenue performative et la soumission
volontaire. Or, les « thérapies de choc » des dernières décennies et
leur rhétorique technique ont bel et bien servi une politique délibé‑
rée de transformation des économies nationales (Stiglitz, 2002). On
voit bien alors à quel point la philosophie de l’évaluation organise
moins une opposition entre le marché et l’État qu’une « construction
politique d’une finance globale régie par le principe de la concur‑
rence généralisée » (Dardot, Laval, 2009, p. 286).

[6.] Sixième critique  : l’évaluation n’est pas isomorphe


entre les organisations et les individus
La philosophie de l’évaluation repose sur un autre grand principe
– elle aurait des effets positifs, tant au niveau des organisations que
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des individus. C’est un nouveau et pernicieux amalgame. Lorsque
l’évaluation glisse des organisations vers les individus, se met en place
une logique inédite de domination. En parlant de l’expérience des
bénéficiaires du rmi en France, Isabelle Astier (2007) parle avec raison
d’un renversement de la dette : on est passé de la dette de la société
envers les individus (le droit accordé à l’origine par le rmi), à celle
des individus envers la société (avec la généralisation de l’idée qu’il
ne peut pas y avoir d’aide sans contrepartie). Bien entendu, ce n’est
pas la même chose. Au point qu’Alain  Supiot (2001) a raison de
souligner à quel point l’idée de contrat se dénature lorsqu’on passe
d’un contrat entre individus égaux à un contrat établi entre individus
et institutions, une variante qui risque de recréer une nouvelle allé‑
geance des premiers envers les secondes.
Ce qui est vrai de ces populations l’est encore davantage pour
les salariés. Demander des comptes à une organisation en tant que
consommateur ou pourvoyeur de fonds est une chose, évaluer l’acti‑
vité individuelle d’un salarié par le biais des usagers en est une autre.
Ici aussi le mécanisme est subtil. On sait, au moins depuis les études
de Wright Mills sur les cols blancs (1970, p. 204‑205), que l’usager –
le client – peut être un puissant facteur de transformation du conflit
social, puisque la vendeuse considère « le client comme son ennemi
psychologique au lieu de considérer le magasin comme son
ennemi économique ». La phrase est peut‑être excessive, elle n’en a
pas moins le mérite de souligner à quel point le transfert de l’éva‑
luation des salariés aux consommateurs transforme l’expérience de
la conflictualité sociale dans les organisations – un changement bien
reflété au niveau des opinions des salariés (cfdt, 2001). L’évaluation
devient alors aussi massive que diffuse.
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42 Danilo Martuccelli

L’évaluation n’est pas alors seulement une augmentation des


mécanismes de contrôle ; c’est une autre manière de faire accepter
les contraintes du travail par le salarié par le biais de la responsabili‑
sation. Elle cherche à ce que l’individu se sente toujours et partout
responsable, non seulement de tout ce qu’il fait (notion de responsa‑
bilité), mais de tout ce qui lui arrive (principe de responsabilisation)
(Martuccelli, 2004). La responsabilisation se situe ainsi à la racine
d’une exigence généralisée d’implication contrainte des individus
(Durand, 2004) et à la base d’une philosophie les obligeant à intério‑
riser, sous forme de faute personnelle, leur situation d’exclusion ou
d’échec. Dans le cadre de la philosophie de l’évaluation, les inégalités
de résultats deviennent une affaire d’échec personnel.
Le processus est renforcé par les transformations productives
actuelles qui remettent en partie en question les anciens savoirs quali‑
fiés au profit de nouvelles compétences, moins rigides, plus aléatoires,
s’appuyant davantage sur des connaissances générales, des capacités
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avant tout relationnelles et fort hétérogènes, allant des « compéten‑
ces » (le fameux savoir‑faire) à des « qualités » souvent phénotypiques
(le mal défini savoir‑être) (Martuccelli, 2005 a). À terme, chacune de
ces capacités devient une qualité personnelle sui generis. Quelle que
soit la nature de l’emploi occupé, au moins tendanciellement, tous
les emplois se personnalisent de plus en plus (Foucauld, Piveteau,
2000, p. 28). Conséquence immédiate : le travail devient une mise à
l’épreuve particulière de soi.
Dans ce contexte de transformation générale du travail, cer‑
tains méfaits de l’évaluation sont inquiétants. Dans un monde où
l’essentiel du travail se réalisait – et était pensé – à partir de l’activité
industrielle, le problème cardinal était l’identification du salarié avec
son produit. Aujourd’hui, alors que l’essentiel du travail s’effectue
dans le continent nébuleux des services, le problème cardinal est
moins la dissociation travailleur‑produit que leur trop grande fusion
et la gestion réussie de la distanciation entre la personne et l’activité.
Une distance que l’évaluation compromet sérieusement en faisant
de l’évaluation du travail une évaluation de la personne du salarié.
L’évaluation des activités devient de facto un jugement sur les person‑
nes, pouvant avoir dès lors un fort impact négatif sur elles (Balazs,
Faguer, 2005).
En bref, si l’évaluation assure un renouveau de la domination
dans les organisations, elle peut prendre des formes destructrices
lorsqu’elle porte sur les individus. Il est indispensable de recon‑
naître que l’évaluation des organisations (une école, un hôpital…)
n’a nullement la même signification que l’évaluation d’un indi‑
vidu – y compris en termes d’ambiance et de cohésion des équipes
de travail.
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Philosophie de l’évaluation 43

[7.] Septième critique  : l’évaluation alimente un type particulier de crise


de légitimité
La distinction des méfaits de l’évaluation selon qu’ils concernent
les organisations ou les individus se retrouve également au niveau de
la légitimité. Or, un des objectifs majeurs de la philosophie de l’éva‑
luation, dans les sociétés contemporaines, est précisément de l’affer‑
mir. Il s’agirait d’une nouvelle gestion de l’autorité moins basée, en
principe, sur des rapports hiérarchiques, et davantage assis sur des
principes techniques.
Cependant, pour y parvenir, cette philosophie transforme le
sens même de la légitimité publique. L’État tend en effet, au moins
tendanciellement, à se légitimer de plus en plus en fonction de la
qualité des prestations publiques qu’elle assure vis‑à‑vis des citoyens
transformés de facto en usagers (Rosanvallon, 2008). En mettant en
place des évaluations permanentes sur la qualité des services publics,
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l’État engendre une marchandisation de la citoyenneté (Crouch,
2003). Dans ce contexte, une de ses fonctions premières devient
d’éclairer le choix des citoyens‑consommateurs. Sournoisement, ce
mécanisme, seulement technique en apparence, généralise l’idée que
les services publics (et demain peut‑être la gouvernance politique
elle‑même) doivent être jugés à l’aune d’une logique d’usager. C’est
un choix possible et même, pourquoi pas, après discussion, un but
légitime pour une collectivité. Mais le recours aux indicateurs et la
généralisation du mécanisme d’évaluation imposent cette vision de
facto et en dehors de toute discussion politique. C’est la satisfaction
de l’usager qui devient le principe de mesure des organisations et
des biens publics. Or, si les marchés, malgré leur complexité institu‑
tionnelle, fonctionnent à travers la quête du profit, et donc peuvent
être évalués essentiellement à partir de la satisfaction des usagers,
les biens publics (santé, éducation, sécurité, justice…) exigent des
critères divers et politiquement contradictoires. La philosophie de l’éva‑
luation, en passant par pertes et profits les tensions multiples existant
entre une logique de service public et des critères plus ouvertement
marchands, abolit la nécessaire distinction entre sphères de justice et
ordres de grandeurs (Walzer, 1997 ; Boltanski, Thévenot, 1991). S’en
suit une crise de légitimité d’un nouveau genre.
Mais ce qui est repérable du côté des organisations l’est encore
davantage du côté des acteurs, où, en fait, la crise de légitimité
que l’évaluation engendre est encore plus manifeste. La raison en
est bien connue. Malgré l’importance de salariés toujours soumis
au taylorisme, la rhétorique managériale ne cesse d’affirmer qu’afin
de répondre à l’intensification de la concurrence économique, il est
indispensable que le salarié s’implique fortement dans l’entreprise, ce
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44 Danilo Martuccelli

qui demande, à son tour, des mécanismes de récompense personnali‑


sés fondés sur l’évaluation. Bien entendu, cet appel à l’initiative per‑
sonnelle n’en reste pas moins sous surveillance. Mais il ne passe plus
par des règles déterminées une fois pour toutes, mais plutôt par un
renouveau constant des principes de l’engagement – ce qui demande
une forte légitimité organisationnelle.
Or, les dénonciations des méfaits et des injustices de l’évaluation
sont massives parmi les salariés (Martuccelli, 2006). Il s’agit d’une
conséquence presque inévitable du processus d’évaluation. En effet,
les diverses injonctions à l’implication ne peuvent déboucher, au vu
de l’étroitesse structurelle des récompenses, que sur des frustrations.
Les individus ne peuvent qu’avoir le sentiment que leur engagement,
augmentant en intensité, est insuffisamment récompensé (un senti‑
ment que la modération salariale des dernières années et les licencie‑
ments accentuent, bien entendu, par ailleurs).
Du coup, les organisations, sans que cela soit une nouveauté radi‑
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cale, voient se suraccentuer conjointement l’arbitraire et la flatterie.
Il faut se faire bien voir et donc savoir se montrer. Pour décrire ce
nouvel univers courtisan, les mots de délation ou de lèche‑bottes
sont souvent de mise parmi les salariés en France, notamment de la
part de ceux qui travaillent dans des grands groupes. Mais le constat
de ces flagorneries et de l’arbitraire des chefs se prolonge dans une
critique bien plus décisive – la dénonciation d’un système de recon‑
naissance du mérite qui serait bel et bien en panne. Ce n’est pas,
notons‑le, ni la hiérarchie en tant que telle qui est rejetée ni la légi‑
timité de l’aspiration à une promotion qui est remise en question.
De ce point de vue, les individus adhèrent, pour l’essentiel, aux prin‑
cipes de l’organisation productive. En revanche, ils se considèrent
systématiquement comme mal jugés et lésés dans l’évaluation portée sur
eux. La contestation de l’autorité prend même une nouvelle forme :
« qui est‑il pour m’évaluer ? Qu’a‑t‑il fait ? Pourquoi ne reconnaît‑il
pas mes efforts ? »
L’évaluation qui est censée introduire un critère objectif et
transparent, afin de motiver les salariés, multiplie les frustrations
et les sentiments d’injustice. Du coup, la mise en place du système
d’évaluation engendre des investissements chronodégradables en
fonction des déceptions éprouvées. Souvent, les salariés « croient »
à l’évaluation pendant un certain laps de temps, s’impliquent au
vu d’une récompense visée, avant de faire l’expérience de la
non‑reconnaissance de leur engagement. C’est un aspect structu‑
rel spécifique de la philosophie de l’évaluation. L’effort personnel
– jugé par soi‑même – se doit d’être récompensé – par le biais
d’une évaluation organisationnelle. Au‑delà d’une borne que le
salarié se fixe à lui‑même ou qui lui a été implicitement fixée
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Philosophie de l’évaluation 45

par l’organisation (quelques mois, quelques années), il éprouve


un sentiment d’irréparable injustice. D’ailleurs, ce sentiment
s’accroît, tant le capitalisme, avec l’urgence qu’il distille dans la
vie sociale, pousse les individus à demander vite, chaque fois plus
vite, les récompenses qu’il leur a fait miroiter.
En répandant l’idée que l’évaluation est un mécanisme objec‑
tif et juste de reconnaissance du mérite et de l’effort personnel,
cette philosophie porte en elle un paradoxe supplémentaire : elle
est une machine à dégoûter les meilleurs. Ce sont en effet les sala‑
riés manifestant le plus grand zèle professionnel, voire un intérêt
sincère pour leurs organisations, qui tiennent les propos les plus
amers (Martuccelli, 2006). En tout cas, s’il n’est pas toujours légitime
d’énoncer ses ambitions, il l’est toujours, en revanche, de se dire vic‑
time d’une injustice et de non‑reconnaissance.
Résultat : face au pouvoir discrétionnaire des chefs, se répand
parmi les salariés un sentiment inévitable de déception face à une
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récompense qu’ils ne reçoivent pas, ce qui alimente un profond sen‑
timent de méfiance vis‑à‑vis des organisations. Les discours prônant
et demandant de l’implication et de l’engagement, laissant entendre
que cet effort sera reconnu grâce à l’évaluation, s’inversent alors en
leur contraire, engendrant le sentiment d’évoluer dans un monde
« bidon ».
Les objectifs, la rationalité des résultats et la chasse à la rentabi‑
lité à tout prix ? L’impératif du profit, s’il est une exigence centrale,
une fois prôné et exalté connaît, comme figure idéale, des démen‑
tis trop flagrants et de gaspillages trop grossiers pour ne pas être
contestés (Kederllant, 2000). Si les salariés baignent dans le langage
de la surefficacité généralisée et de la quête éperdue du profit, leur
réalité quotidienne, hormis pour quelques moments précis, ou pour
quelques acteurs stratégiques, se déroule dans une ambiance bien
plus molle. Comment pourraient‑ils oublier les marges d’action qui
restent entre leurs mains et la prolifération de niches d’oisiveté au
cœur des entreprises, dont Corinne Maier (2004) a donné en France
un aperçu humoristique ? Y compris chez les cadres supérieurs, ou
les commerciaux, voire même dans la sacro‑sainte figure du trader,
on a pu repérer, à l’encontre du mythe de la nécessaire réactivité en
temps réel, la présence d’importantes routines, lenteurs et activités
contre‑productives (Godechot, 2001, p. 168).
L’entretien annuel ? Bien d’études soulignent, ici aussi, le carac‑
tère « bidon » du processus de fixation des objectifs. Bien sûr, c’est
un moment « tendu », mais il ne faut pas exagérer : bien des intéres‑
sés reconnaissent, y compris les commerciaux, qu’ils parviennent à
imposer, par la négociation, des objectifs suffisamment faibles pour
pouvoir être atteints (Cousin, 2004).
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46 Danilo Martuccelli

L’écoute des salariés, les groupes de travail et la responsabilité


partagée ? Comment négliger que dans une importante enquête
effectuée par la cfdt (2001), un nombre considérable de salariés
n’avaient tout simplement aucun « souvenir » des conséquences de la
mise en place d’un management participatif dans leur entreprise ? Et
que bien d’autres sont contraints de participer à de véritables mises
en scènes orchestrées en direction des évaluateurs externes lors, par
exemple, de visites de normes de qualité ? (Muller, 2008).
Ces constats ne sont pas anecdotiques. Bien entendu, ils ne sont
nullement univoques, et ils alternent avec des affirmations bien plus
positives. Pourtant, ils cernent bien une nouvelle forme de méfiance.
Le taylorisme avait donné lieu à un discours contestataire et à des pra‑
tiques de résistance soulignant, par le biais d’une conscience de classe,
le savoir‑faire et l’apport subjectif sans lesquels il ne pouvait pas y
avoir de travail. Le management contemporain donne surtout lieu à
un sentiment contestataire mettant notamment en avant le caractère
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« bidon » des procédures d’évaluation, et derrière elle, toute l’hypo‑
crisie présente dans l’entreprise. Dans un seul et même mouvement,
la philosophie de l’évaluation renouvelle les bases du consentement
à l’organisation et porte en elle une nouvelle famille de méfiances
et de déceptions. Pourtant, en individualisant sous forme d’échec
personnel la sanction de la récompense, elle produit, pour l’instant,
derrière la délégitimation organisationnelle, davantage de frustration
individuelle que de résistance collective.

[8.]  Huitième critique  : l’évaluation est une croyance collective


À la fin de ce parcours, une question s’impose d’elle‑même :
comment un mécanisme comme l’évaluation, avec autant de limites
et de méfaits, peut‑il être en train de devenir le cœur de nos modèles
de gestion ? Pourquoi nos sociétés y croient‑elles ?
Pour comprendre l’origine de cet enthousiasme, il faut en venir,
en plus de tous les éléments jusqu’ici évoqués, au changement prin‑
cipal que la philosophie de l’évaluation apporte au projet moderne
de rationalisation. Désormais, il ne s’agirait plus d’ancrer l’imagerie
de la puissance sur une planification initiale de la totalité des événe‑
ments (comme c’était le cas dans l’« ancienne » rationalisation), mais
d’affirmer une maîtrise possible grâce à une réactivité constante des
organisations.
L’évaluation offre ainsi une autre clé de voûte au pouvoir
contemporain. Comme jadis la rationalisation l’avait fait pour l’usine
taylorienne, elle trouve dans les entreprises et dans la nouvelle orga‑
nisation du travail son image d’Épinal. L’idée de la réactivité uni‑
verselle et immédiate se substitue à l’ancienne imagerie du contrôle
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Philosophie de l’évaluation 47

absolu (Martuccelli, 2005 b). Face aux échecs répétés pour maîtriser


en amont les déviances au travail ou les imprévus organisationnels,
se met en place un dispositif censé les neutraliser grâce à une réacti‑
vité en temps réel. Un nombre important d’éléments fondamentaux
du monde de la production y renvoient aujourd’hui : stock zéro,
juste‑à‑temps, compétitivité structurelle, adaptation immédiate aux
aléas du marché et au goût des consommateurs… L’imagerie, dans
ses excès et sa toute‑puissance, se renouvelle autour de performances
censées être illimitées, non plus par une maîtrise en amont – comme
c’était le cas avec l’ancienne rationalisation –, mais en aval, grâce à
nos capacités à réagir promptement aux contingences du monde. En
termes de production, c’est le toyotisme qui exemplifie sans doute le
mieux ce principe général du renversement de la chaîne de produc‑
tion. À la différence du système taylorien, où le centre planifiait en
amont rigoureusement la production et la division des tâches, l’orga‑
nisation par l’aval rend la maîtrise du système plus souple et moins
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onéreuse (Coriat, 1991 ; Womack, Jones, Roos, 1992).
L’essentiel, après les limites des modèles tayloristes et l’échec des
régimes totalitaires du xxe siècle, ce n’est donc plus d’organiser une
planification aussi vaste qu’impossible, mais de parvenir à mettre en
place les modèles les plus performants de réactivité dans tous les
domaines. En témoignent toutes les métaphores du réseau (socié‑
tés ou entreprises), où l’important est la rapidité de la réaction, où
l’objectif est toujours d’éliminer les temps morts et les pesanteurs
structurelles, au profit d’organisations dotées d’un « système ner‑
veux » ultraperformant. En témoigne encore le discours managérial
qui fait de la réactivité la vertu majeure des cadres. Cette imagerie
du pouvoir se répand aussi ailleurs que dans le travail, comme en
attestent la transformation progressive de la logique des interventions
militaires (« guerres préventives ») ou l’imagerie de la tolérance zéro,
mais aussi la volonté de dépistage précoce et rapide de publics à
risque, ou encore la volonté de corriger le plus rapidement possible
les phénomènes de difficultés scolaires ou psychologiques dont il faut
détecter les premiers signes avant‑coureurs, à l’aide de diagnostics
dits proactifs… Il s’agit là d’une grande inflexion. La puissance serait
moins dans le contrôle en amont – dans le quadrillage des condui‑
tes – que dans la réactivité en aval – dans la correction en temps réel.
L’évaluation étant le dispositif central de ce nouveau mode de gou‑
vernement et de gestion, elle jouit d’une adhésion compréhensible
et raisonnable. Et pourtant…
Reconnaissons que l’enthousiasme (peu critique !) qui entoure
aujourd’hui l’évaluation n’est pas une nouveauté. Hier, le taylo‑
risme et ses grands principes, notamment l’idée d’une one best way,
ont exercé une séduction similaire en dépit de limites tout aussi
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évidentes. Faut‑il le rappeler ? Face au taylorisme, Chaplin a été un


critique plus inspiré que Lénine. Aujourd’hui, l’évaluation, au travers
du grand amalgame qu’elle opère entre activités, secteurs, organisa‑
tions et individus, suscite, notamment chez les élites – responsables
politiques, patrons, syndicats – une séduction semblable.
Séduction : voilà le mot clé. L’évaluation alimente une croyance
collective d’efficacité grâce à la séduction multiforme qu’elle exerce.
Elle ne s’impose pas, contrairement à ce qu’elle laisse entendre, grâce
à ses vertus potentielles, mais malgré ses faiblesses et ses contradictions
évidentes. Et elle le fait, parce qu’elle promet à nos sociétés, même
a posteriori, un sentiment de maîtrise dans une période marquée par
une forte prise de conscience des limites de nos interventions dans
le monde et d’une transformation de notre conception de la moder‑
nité sous la double injonction du mouvement et de l’incertitude
(Balandier, 1988). Cette nouvelle imagerie de puissance repose en
fait sur trois croyances, et prend la forme d’une évidence, d’une aspi‑
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ration et d’une stratégie.
En tout premier lieu, la croyance dans l’évaluation s’enracine dans
une expérience ordinaire impossible à démentir. Qui n’a pas, grâce
à un retour réflexif sur sa propre action, modifié un jour ou l’autre
sa conduite ? C’est même une évidence indissociable d’une compé‑
tence cognitive humaine – l’introspection et la réflexivité. L’adhésion
aux vertus de l’évaluation trouve dans cette association une des rai‑
sons de sa force : c’est une expérience que tout le monde peut faci‑
lement comprendre et que tout le monde est prêt à partager. C’est
ici, à ce niveau, que la réactivité fait sens pour tout le monde. Or, ce
qui est partiellement vrai au niveau des expériences individuelles ne
l’est pas forcément – c’est le moins que l’on puisse dire ! – au niveau
des organisations.
En deuxième lieu, la croyance dans l’évaluation s’appuie moins
sur l’idée, en apparence démocratique, que tout le monde doit rendre
des comptes, que sur une aspiration personnelle et concurrentielle à
voir ses engagements reconnus. Dans ce sens, la croyance dans l’éva‑
luation repose – en la détournant – sur un des grands sentiments de
justice de nos contemporains, et sur l’aspiration de voir les mérites
reconnus à leur juste valeur. Bien entendu, personne n’en est dupe
au point d’ignorer la réalité des inégalités ou encore des injustices à
l’œuvre dans la vie sociale. Mais tout en les reconnaissant, chacun y
croit, parce qu’au fond, chacun aspire à ce que l’implication person‑
nelle soit différemment récompensée.
En troisième lieu, cette philosophie de l’évaluation, et la croyance
qui l’anime, est portée stratégiquement par un groupe particulier
d’acteurs et manifeste un renouveau de la technocratie. Les évalua‑
teurs, s’appuyant sur leurs compétences techniques, opèrent à la fois
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au nom du bien public (tel qu’ils le conçoivent) et pour leurs propres


intérêts (la défense de la « rationalité » des procédures évaluatives).
Cette technocratie d’un nouveau type est d’autant plus redoutable
qu’elle apparaît, à la différence des membres visibles de l’élite globali‑
sée, comme un groupe social à frontières floues, active autant dans le
secteur privé que dans le public, fondant ses compétences, et à terme
son pouvoir, sur sa capacité à maîtriser des outils d’évaluation, de
récoltes de données et de jugement. La philosophie de l’évaluation
est une arme de choix de la nouvelle technocratie, une stratégie de
gouvernement dont l’efficacité fonctionne non pas malgré, mais à
cause des amalgames. En tout cas, nous assistons à un nouveau pro‑
cessus actif d’uniformisation des croyances des élites (Abercrombie,
Hill, Turner, 1980), grâce à l’hégémonie de certaines orientations
managériales et économiques, autant dans les pays du Nord qu’au
Sud (Babb, 2001).
Dans ce sens, l’évaluation est d’autant plus redoutable qu’elle scelle
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une nouvelle alliance entre l’État et le marché, assurant une trans‑
formation de l’un et de l’autre par hybridation. D’un côté, comme
on l’a avancé, elle est sous nette inspiration marchande, tant ce sont
ses critères d’efficacité qui priment. De l’autre côté, cependant, et
à l’inverse du propre du projet libéral d’un marché autorégulateur,
elle renforce le rôle de la bureaucratie et facilite même l’affirmation
de procédures extrêmement centralisées, puisque souvent c’est l’État
central qui pilote le processus, non seulement en fixant des objectifs
mais aussi en les évaluant et en les sanctionnant au vu des résultats.
C’est cette alliance stratégique qui alimente la croyance partagée des
élites dans la philosophie de l’évaluation.

***

L’évaluation est devenue une philosophie. Et c’est sous cette


forme qu’elle se doit d’être la cible de la critique. Dans ce sens, et
c’est ce qui explique le raisonnement déployé dans cet article, il est
indispensable que la critique de l’évaluation ne se réduise pas à un cas
ou à un domaine particulier, mais qu’elle tienne compte de l’éven‑
tail large des processus et des principes par lequel elle opère. Il y va
justement de sa séduction d’ensemble : les limites repérées dans un
domaine sont en effet souvent annulées de façon imaginaire par des
bienfaits supposés, identifiables ailleurs. C’est cela qui demande un
travail indispensable de critique, puisque nos sociétés ne se déferont
pas de sitôt de ses méfaits. Le front des croyants et l’amalgame des
réalités que la philosophie de l’évaluation assure sont désormais trop
installés pour que l’on puisse s’attendre à une rapide sortie. Elle ne
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50 Danilo Martuccelli

cesse même de se répandre en métastase sur nos organisations et dans


l’ordinaire de nos vies. Cette hydre à plusieurs têtes sera, sans aucun
doute, dans les décennies qui viennent, un redoutable défi pour la
critique sociale.

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