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La Vie Murmureģe (Ex Fragile)
La Vie Murmureģe (Ex Fragile)
(titre provisoire)
un documentaire de
Marie-Francine Le Jalu et Gilles Sionnet
Le projet
Synopsis…..……………………………………………………….. p 4
Scénario……………………………………………………………. p 5
Note d’intention des réalisateurs………………………………… p 33
Iconographie……………………………………………………….. p 36
- Les personnages………………………………………….. p 37
- Osamu DAZAÏ..……………………………………………. p 41
- Tsugaru et le Japon d’aujourd’hui………………………. p 43
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Fragile
Le projet
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Fragile
Synopsis
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Fragile
Scénario
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Un intérieur luxueux, mêlant avec goût le style art déco et des meubles de l’ère
Meiji. Un vieil homme asiatique au visage émacié est assis dans un fauteuil, il est
très élégamment vêtu d’un costume trois pièces :
“ Le pire a été qu’ils ont complètement disparu. Les gens venaient sur les
berges du canal pour essayer de les repérer. La police faisait des
sondages pour les localiser. Rien, le temps passait. On les a retrouvés six
jours plus tard. Par une macabre coïncidence, c'était le 19 juin, le jour de
son anniversaire. Il aurait eu 39 ans. ”
“ Ils s’étaient attachés par un lien. Nous nous y sommes mis à trois pour
les retirer de l’eau. Ils étaient lourds, serrés l'un contre l'autre. Les chairs
étaient si gonflées qu’elles tendaient l’étoffe et la rendaient luisante. Le
corps de Osamu DAZAÏ était disloqué. Ses jambes s’étaient enfoncées
dans son abdomen. ”
Il poursuit :
Photo noir et blanc plein cadre : Osamu DAZAÏ. Off, voix masculine :
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Générique :
FRAGILE
“ C’est ma mère. ”
Pendant deux, trois ans, elle a vécu à droite à gauche, chez des amis, parfois
dans la rue. C’est alors qu’elle a découvert DAZAÏ. Elle a lu ses textes et tout ce
qui a pu être écrit sur lui. C’était une véritable boulimie. Ses mots étaient pour
elle, la concernaient elle personnellement : cette solitude, cette difficulté à
trouver sa place.
Une placette devant une gare de banlieue. KANAME passe devant un petit café
vieillot puis devant un étal de primeurs, comme au marché. Il s’assied au
comptoir d’une échoppe de bois en plein air. Derrière lui, un homme prépare
avec dextérité des yakitoris. Des hommes boivent en grignotant. KANAME boit
une rasade de bière et explique que ce petit bar à yakitoris est resté à peu près
identique depuis avant guerre. DAZAÏ y traînait avec ses amis écrivains, il en
parle dans ses nouvelles.
KANAME s’emballe :
“ Il est génial ce type ! Imaginez, on est dans les années 30, c’est un fils de
grand bourgeois, eh bien il tire du fric à sa famille, leur ment, devient
communiste, il boit, il se drogue, flirte avec des hôtesses de bar. La fille
avec laquelle il tente pour la deuxième fois de se suicider ? Il l’a rencontrée
quelques jours plus tôt. Il se rate encore et par provocation envers sa
famille, il épouse à 21 ans une jeune geisha de son pays. ”
“ Elles sont difficiles à trouver, mais ce sont celles que fumait DAZAÏ. ”
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La voix cède la place à un chant nazi. Indifférents, les gens vaquent à leurs
occupations et disparaissent dans les ruelles de ce quartier populaire.
KANAME poursuit :
“ DAZAÏ se sert d’une institution sociale, le mariage, pour aller contre les
conventions et sa famille. Il leur fout la honte. Ca, c’est du grand art ! ”
Sur l’écran de son téléphone portable, il montre une photo de DAZAÏ adolescent
qui prend la pose, l’air mauvais. Il prend la même expression et se marre.
Autour de lui, les clients dialoguent avec vivacité. Le serveur interpelle les
passants. Le feu des yakitoris illumine le fond de la boutique. La caméra s’élève
au dessus de l’échoppe. Derrière, un immeuble moderne contraste avec cette
atmosphère surannée.
Une minuscule librairie, saturée de livres et d’affiches, avec une baie vitrée
donnant sur une rue arborée. Une jeune fille de 18 ans est assise à une petite
table et fouille dans une boite contenant des CD. La libraire, une petite femme
sans âge, vêtue d’une robe à fleurs, range des livres dans les rayonnages.
Des photos sont punaisées sur une étagère, notamment l’image lumineuse d’une
très belle jeune femme en kimono clair qui sourit. Son visage est doux et velouté.
Off, la jeune fille commente :
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Une autre photo sur l’étagère : DAZAÏ l’air mélancolique, le visage penché
appuyé sur la main gauche. Voix off :
Sur un quai de métro à Tokyo, des gens attendent en file indienne, respectant
les signes tracés au sol. On peut lire notamment « women only ». Dans les haut-
parleurs une voix criarde annonce l’arrivée du train. La rame entre en gare dans
un fracas. Une foule de gens en descend. Parmi eux la fine AÏMI descend d’une
voiture remplie uniquement de femmes.
Vêtue d’une robe rose légère, un grand sac à l’épaule, elle enfile un casque de
walkman et active son lecteur. La voix off commence tandis qu’on la suit qui
circule au milieu de la foule. Les visages des gens qu’elle croise : la modeste
vieille femme à laquelle elle achète un sandwich dans un kiosque, les gens en
costumes dans les escaliers, deux jeunes filles vêtues de manière voyante de
robes en dentelles couleur bonbon, l’homme qui salue mécaniquement à la sortie
de la station… :
“ Il y a des gens qu’on appelle des réprouvés, des oiseaux de nuit. Ces
mots semblent indiquer parmi les humains des êtres pitoyables, des
vaincus, des vicieux. Cependant, depuis que je suis né, je me suis senti
porté vers ces êtres ; quand j’en ai rencontré un que le monde montrait du
doigt comme tel, je me suis toujours senti de la compassion pour lui... ”
La voix off se poursuit tandis qu’AÏMI, venant vers nous, marche dans un quartier
très vivant de petits immeubles, boutiques et cafés :
On retrouve AÏMI assise à la même place. La salle de cours s’est vidée. Elle
explique qu’elle prépare un diplôme d’assistante médicale, elle voudrait
s’occuper des autres. Elle raconte qu’elle a découvert DAZAÏ à l’école, comme
tout le monde, avec Cours Mélos.
Elle est allée à l’école protestante pendant six ans, et avec DAZAÏ son point de
vue sur la Bible a changé. Il décrit Judas comme quelqu’un de très humain avec
ses doutes et ses faiblesses. DAZAÏ est comme Judas.
Elle est très sérieuse, réfléchit calmement avant de parler :
“ Le courage de DAZAÏ, c’est de faire des choses que les autres n’osent
pas faire, tout en se demandant tout le temps s’il a raison. Pour moi, il est
vraiment remarquable, car il vit en admettant sa fragilité. C’est pour cela
qu’il nous aide. Quand on le lit, on découvre que l’on n’est pas seul, que
chacun est fragile et sale et malheureux, et qu’il faut savoir vivre avec cela.
”
Toujours sérieuse :
” Mais il est puni pour cela. Il ne peut pas s’aimer lui-même, donc il ne peut
que mourir. Il a essayé de se suicider cinq fois. ”
Sur un écran d’ordinateur des photos de chats, des images naïves. Puis des
photos de poignets sanguinolents, de sang dans un lavabo… pour finir sur la
photo d’un visage de femme en très gros plan : les yeux hagards, la bouche
entrouverte.
La même femme est assise chez elle devant un ordinateur dans l'angle d'une
pièce en désordre. Ses traits sont épais, ses cheveux trop longs lui tombent dans
les yeux ; sa voix est rocailleuse, presque masculine :
Elle explique qu'elle cherche du boulot, dans les relations humaines, mais
personne ne veut d’elle ; alors elle passe ses journées enfermée chez elle à
surfer sur le net.
Titre sur fond noir : Yumiko ANDO.
Penchée sur sa table, elle continue à mettre à jour son blog, ajoutant quelques
lignes à son journal :
Elle est à la fois habile dans sa rapidité, et brusque, les gestes lourds. Elle se
lève subitement et disparaît dans le couloir.
Dans la pièce à côté, agenouillée, elle cherche un sac plastique qu'elle trouve
sous une pile d'autres sacs et sort une quantité de livres de DAZAÏ.
Elle lève les yeux vers nous et reste là en silence, le regard perdu. Le temps est
suspendu. Voix off :
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YUMIKO se lève et disparaît subitement. On reste sur la pièce vide.
YUMIKO est de nouveau assise devant son ordinateur. Les pages défilent,
découvrant des photographies de tee-shirt et blouses maladroitement
confectionnés.
Un certificat de psychiatre est encadré sur un mur. Dans un cabinet médical, une
jeune femme élégante, vêtue d’une blouse blanche sur un pull pastel, est assise
derrière un bureau parfaitement ordonné.
“ … DAZAÏ, dans Pays Natal, égrène la liste de tous ces écrivains qui se
sont suicidés avant lui. Le ton qu’il adopte est sérieux. En réponse on lui
assène un « on souffre ? » particulièrement dérisoire ! ”
“ Ces écrivains ont tous connu cette difficulté à vivre, cette impossibilité à
comprendre le monde. Entre nihilisme et romantisme, ils décident d’en
finir. ”
Sur ses mots, un extrait du film de Yukio MISHIMA, “ Yukoku ” (“ Rites d’amour
et de mort ”) : MISHIMA mime lentement les gestes du “ seppuku ”, ce suicide
rituel au sabre qu’il accomplira quelques temps plus tard.
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Pendant qu’elle parle, on aperçoit en contrebas par la fenêtre, des patients qui
déambulent dans le jardin accompagnés par des gardes-malades en uniformes
impeccables. Elle explique off que les suicides ont une fonction sociale de
catharsis : contrairement à ce qu’on croit, il n’y a pas plus de suicides au Japon
qu’ailleurs dans le monde. Cette mort volontaire concerne souvent des artistes
célèbres.
Pendant qu’elle parle, la caméra la quitte pour s’attarder sur quelques détails : le
bureau de verre, les papiers bien rangés, la photo des deux enfants dans un
cadre.
“ J'ai été internée six mois dans cet hôpital. Des draps blancs. Des murs
blancs. Des cris. ”
“ J’avais 20 ans. Je n’étais pas folle. J’ai toujours envié les gens qui sont
réellement fous, au moins ils sont arrivés quelque part. ”
Elle raconte qu’elle avait trouvé un petit boulot, mais il y a eu un gros problème,
une rivalité. Elle était seule, personne dans sa vie. Elle a craqué. Elle s’est
tailladée les veines.
MISAKI s’avance vers l’entrée et s’arrête à la limite. Elle fait face au poste de
garde où un vigile se tient immobile dans sa cahute. Il regarde droit devant lui et
ne rend pas son regard à MISAKI.
Elle explique qu'ils ne voulaient plus la laisser sortir. Alors elle s’est évadée. Elle
a écrit aux autorités pour dénoncer ce qui s’y passait : plutôt que de les soigner,
ils devenaient des animaux. Personne ne lui a jamais répondu. Elle a alors écrit
à des fanzines qui l’ont publiée.
Voix off :
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Pendant qu'on la suit qui s'éloigne dans les rues à vélo, la voix poursuit :
Panoramique depuis le 40è étage d’une tour sur une vaste banlieue jusqu’à la
baie vitrée d’un appartement moderne. On aperçoit derrière la vitre une jeune
femme assise à un bureau, visiblement occupée.
Voix off féminine :
Elle prend sur l’étagère à côté d’elle une revue de petit format. Tandis qu’elle
feuillette, on découvre un dessin de lignes claires, des infirmières de type
occidental vêtues de blouses. Plus loin une scène érotique.
“ Le soir après dîner, nous allions au cinéma ; au retour nous entrions dans
une maison de thé ou bien nous achetions une plante fleurie. J’avais plaisir
à regarder les mouvements de cette jeune épousée. Est-ce que, par
hasard, je ne pourrais pas devenir peu à peu un homme comme les autres
?”
MISAKI, son piercing à l’oreille, assiste au mariage d’une amie. Le décor est de
stuc aux couleurs guimauve. MISAKI est élégante dans une robe bleue. Elle
nous dit que le rêve de bonheur ordinaire de DAZAÏ avec MICHIKO n’a pas
vraiment fonctionné, qu’il a rapidement pris des maîtresses, et enfin TOMIE celle
avec qui il va réussir à se suicider.
Tout autour de MISAKI, la fête bat son plein, les gens dansent et rient.
Elle revient vers la salle de réception où c’est le moment des discours des jeunes
mariés. Chacun se lève à son tour pour prendre la parole au micro.
MISAKI sourit. Pour elle, TOMIE est à la fois la femme traditionnelle et la femme
moderne, la femme aimante et la femme fatale. Plein cadre, la photo en noir et
blanc d’une jeune femme étonnamment actuelle, simplement élégante, portant
des lunettes rondes cerclées de métal, une robe serrée à la taille. MISAKI
réapparaît en fondu enchaîné (la ressemblance entre elle et TOMIE est patente).
“ J’aurais voulu être TOMIE. Il est malade, elle le soigne. Il est célèbre
mais toujours aussi torturé. Il n’y a qu’elle qui sait l'écouter et le
comprendre. Elle va avec lui jusqu’au bout. C'est l'amour absolu ! ”
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MISAKI s’amuse et danse maintenant au milieu des convives.
“ La lutte commence.
Je ne pourrais rester indéfiniment plongée dans mon chagrin. Il est une
chose pour laquelle j’ai absolument besoin de lutter. Une nouvelle éthique.
Non. Le seul usage de ce mot est hypocrisie. L’amour. Cela et rien
d’autre. ”
KANAME est sorti du trottoir roulant. Debout, son imper et son chapeau sur la
tête, il regarde le haut de l’immeuble. Off, il raconte que son bureau était au
trente septième étage. Il y passait les trois quarts de sa vie. Les 35 heures
légales, il ne les a jamais vues. Comment avoir une vie dans ces conditions ?
“ J’ai tout quitté il y a deux ans à 36 ans. C’est à ce moment là que j’ai
redécouvert l’oeuvre de DAZAÏ. Quand j’ai relu Mes dernières années, j’ai
senti que pour la première fois cette littérature avait traversé mon corps,
chose qui ne s’était pas produite quand j’étais plus jeune. ”
Le vaste hall d’immeuble aux vitres fumées, un comptoir d’accueil avec deux
hôtesses, un flot d’employés sort des ascenseurs. Un vigile se tient debout à la
porte dans un uniforme quasi militaire. Le regard haut, le menton autoritaire, les
yeux cachés par une visière descendue trop bas, il répète
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inlassablement, réellement tel un automate : “ Au revoir et à demain ”, qui
résonne dans le hall.
Des tours de bureaux émergent derrière les arbres. Un vaste parc boisé en plein
centre de Tokyo. Le Japon éternel : des fleurs aux teintes délicates ornent un
vaste étang recouvert de lotus.
La caméra s’enfonce sous les arbres pour découvrir des abris en toile plastique
bleue. Il s’agit de clochards qui se sont regroupés dans ce parc. Un homme pas
rasé, les cheveux longs, est en train de faire cuire quelque chose sur un brasero
de fortune. Un autre homme se joint à lui en silence. L’un des abris est entouré
de panneaux verticaux couverts de textes en japonais qu’on imagine très
vindicatifs. Les gestes sont ralentis, le temps est aboli.
« C’est trop compliqué pour un manga… Ce qu’il nous faut c’est un DAZAÏ
farceur, débonnaire, ridicule si vous voulez... pas cette sensiblerie. DAZAÏ
était un séducteur, pourquoi ne pas aller dans cette direction ? »
Une pièce saturée d’armoires et débordant de dossiers. HIROMI est assise sur le
bord d’un des deux fauteuils face au bureau, penchée vers la table. Elle écoute,
le visage légèrement bougon. L’homme explique qu’il ne s’agit pas de faire une
biographie mais de faire plaisir au lecteur. Il faut adopter un point de vue.
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HIROMI réagit à cette idée et explique qu’elle essaie de la révéler à sa façon…
La conversation est âpre, on sent que HIROMI doit se soumettre à la vision de
l’éditeur. Elle l’écoute sérieusement en essayant d’aller dans son sens.
“ C’est devenu vraiment compliqué pour moi... D’un côté, je tiens à faire ce
manga sur DAZAÏ. Et puis d’un autre côté, je suis obligée de tenir compte
de ce que me demande mon éditeur… ”
Flashes successifs : L’image archétypale du mont Fuji sur fond de ciel bleu dans
une lumière printanière. Il s’agit d’une carte postale qui sert de modèle à
HIROMI. Sa main est en train de dessiner une petite fleur sur une longue et fine
tige apparaît progressivement au premier plan, derrière elle se dresse le mont
Fuji. Puis la planche de manga dans son entier en train de se colorer en
accéléré. Off :
“ … Cette fleur d’onagre, frêle et intrépide… c’est un peu moi face à mon
éditeur… ”
Elle s’éloigne sur le trottoir, son dossier sous le bras tandis que sa voix adopte
un ton plus affirmé bien que plaintif :
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Un petit bar sombre en sous-sol. La décoration date des années 30. Au mur,
plusieurs photographies encadrées. L’une d’elle est la célèbre photographie de
DAZAÏ sur un tabouret de bar. Nous sommes au « Lupin ».
Derrière le comptoir, deux serveurs, un homme et une femme d’une soixantaine
d’années, portent gilet de costume et nœud papillon sur leurs chemises
blanches. Quelques personnes sont accoudées au comptoir devant un verre.
D’autres sont installées dans quelques boxes mi-clos avec banquettes. KANAME
est en grande conversation avec des amis, notamment le jeune M. AGATA,
passionné lui aussi de DAZAÏ.
Ils parlent avec animation de l’écrivain et de son passage au Parti Communiste,
de son goût pour la clandestinité, de son individualisme et de son amour des
gens simples.
Dans une ruelle, l’enseigne « Le Lupin » surplombe une petite porte. KANAME et
ses amis en sortent éméchés. Ils se séparent bruyamment devant la porte.
KANAME s’éloigne dans la ruelle et rejoint une large avenue. C’est le quartier de
Ginza, avec ses boutiques de luxes et ses vitrines chic éclairées toute la nuit. Le
son d’un haut-parleur se fait pressant, une voiture de police traverse le carrefour
à tout allure, exigeant le passage à tue tête. Il n’y a pourtant aucune circulation.
Plus loin, KANAME croise une jeune fille à vélo qui s’arrête devant une épicerie
de quartier. A l’intérieur, deux jeunes gens en uniforme de vendeur tiennent la
boutique. KANAME s’éponge le front. Il s’éloigne d’un pas volontaire et parfois
titubant.
Les néons éclairent un magasin de CD/DVD. Une employée fait le tour des
rayons répétant de façon mécanique, presque chantée, la fermeture imminente.
Derrière le comptoir, MISAKI (la jeune gothique) est fatiguée. Sur ses vêtements
noirs, l’uniforme de la chaîne de magasins : une blouse blanche sans manche.
L’horloge indique deux heures. Elle regarde sortir les derniers clients pendant
que sa collègue plus âgée ferme les portes.
Dans le vestiaire, les deux femmes échangent quelques mots tandis qu’elles
ôtent leur blouse et se préparent à partir. Elles sont marquées par la fatigue. Off,
MISAKI raconte que cela fait déjà un moment qu’elle survit avec ce travail à
horaires variables. Sans aucune qualification, elle n’a pas le choix. Mais c’est
seulement un « petit boulot », sans aucune couverture sociale : ni assurance
maladie, ni chômage.
Elle est comme beaucoup de japonais depuis la fin de la bulle économique. Elle
espère sortir de cette impasse. Elle apprend l’anglais toute seule pour trouver
d’autres possibilités… Pour MISAKI, c’est toujours un combat.
Dans la rue, MISAKI achète un plateau repas au kiosque du coin, et le cale dans
le panier de son vélo. Voix off :
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“ Je trouve étrange, extraordinaire, que pas une seule fois elle n’ait dit :
« Je me sens seule sur terre ». Ces mots auraient certainement éveillé en
moi de la compassion, mieux qu’un déluge de lamentations sur la destinée
des femmes…”
Une table recouverte d’une nappe sur laquelle sont exposés de nombreux livres
de DAZAÏ. Nous sommes dans un vaste hall, tapisseries et moquette rouge. Par
une porte à doubles battants, nous pénétrons dans une immense salle de
réception. Une foule de gens est réunie, un verre à la main. Presque uniquement
des hommes, vêtus de costumes noirs. Un travelling parcourt l’enfilade des
tables où trônent croques en bouche, petits fours colorés et autres victuailles,
tandis que, off, une femme discourt :
Une jeune femme se tient debout sur l'estrade surmontée d’un grand portrait de
DAZAÏ. Elle s’incline devant Sonoko TSUSHIMA (la fille aînée de l’écrivain), en
tailleur gris, qui lui remet une gerbe de fleurs.
Les gens applaudissent avant de se diriger vers le buffet. D’accortes serveuses
en uniforme circulent des plateaux à la main. De l’autre côté de la baie vitrée, on
aperçoit en contre bas la verdure du parc tout autour du palais impérial. Voix off :
“ …D’autre part, en ce qui concerne les gens du peuple, je suis pour eux
un homme affecté qui les considère comme inférieurs. Jamais ils ne
cesseront de s’incliner devant moi, jamais ils ne seront vraiment à leur aise
avec moi. ”
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fermé. Quelques hommes aux visages burinés par le soleil sont accroupis sur le
port. Un fichu sur la tête, les manches de chemise retroussées, ils remaillent un
immense filet rouge.
« Je suis le fils de Take. L’enfant d’une servante ? Eh bien, oui. Et alors ? Je puis
le dire bien haut. Je suis le fils de Take. »
L’intérieur d’une habitation modeste : l'entrée / cuisine ouvre sur une unique
pièce. Une seule fenêtre qui donne sur un mur. Des étagères remplies de livres,
de disques et de magazines. KANAME est agenouillé, en jean et chemise, les
cheveux en bataille, comme mal réveillé. Sur la table basse devant lui des
feuilles de papier griffonnées et un crayon.
Il explique qu’il est un“ freeter ” (1); comme d’autres, il veut être indépendant. Il a
épuisé ses six mois de chômage. Il est conscient des risques qu’il prend, mais
même s’il accumule les dettes, au moins il se bat pour autre chose.
“ Depuis une quinzaine d’années, on voit des gens se suicider parce qu’ils
n’ont plus de boulot, en ce qui me concerne c’est plutôt une renaissance ! ”
Il va chercher dans ses étagères et en sort une épaisse revue “ The Sun,
monthly deluxe ”. La couverture qui montre DAZAÏ avec sa cape noire est un
détail de la photo sur la passerelle de Mitaka (où KANAME imitait l’écrivain).
KANAME parle de DAZAÏ qui a vécu dans la misère pour avoir le temps de se
consacrer à l’écriture. Il parle de la honte de l’homme mais aussi de son espoir
de devenir un jour un grand écrivain. Et quand il l’est devenu, qu’est-ce que ça a
changé ? Il s’est suicidé à peine deux ans après…
(1) « Freeters ” : “ Free-arbeiters ”, ces diplômés qui refusent d’entamer une carrière,
préférant des petits boulot qui leur laissent du temps libre.
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KANAME, lui aussi, veut affirmer ses choix. Il commence tout juste à écrire, des
critiques littéraires. Il sort d’autres magazines et montre les articles qu’il a
rédigés. Mais il n’est pas encore payé pour cela. Pour survivre, il est obligé de
donner des cours supplémentaires dans une école de bachotage.
“ … C’est pour cela qu’il séduit la jeunesse révoltée de toutes les époques.
Il est devenu un modèle pour ces jeunes. A tel point qu’on a parlé de
DAZAÏ quand on a retrouvé quatre ados suicidés dans une voiture au petit
jour…”
FUMIO enlève sa blouse, sort de son bureau et ferme la porte à clé. On suit
dans les couloirs de l’hôpital cette femme élégante que les infirmières saluent
respectueusement. Pendant ce temps, elle explique off que la littérature de
DAZAÏ est facile à lire. Chaque lecteur y trouve ce qu’il a envie d’y trouver au
moment où il le lit. Il y a quelques années, lors d’un colloque universitaire
consacré à DAZAÏ, un écrivain s’est écrié que même les collégiens incultes
pouvaient le lire.
FUMIO monte dans sa voiture et démarre. Les rues de Tokyo défilent dans le
rétroviseur tandis qu’elle poursuit :
“ Son style est très fluide. Proche d’une écriture parlée ! En fait, cet
écrivain critique était surtout envieux d’une littérature qui touche les gens
les plus simples. ”
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YUMIKO (la jeune femme au blog Internet) est assise sur le sol, les jambes
repliées sous elle, le regard rivé sur un téléviseur dont on ne voit pas l’écran. Le
visage de YUMIKO est immobile, seuls ses yeux semblent vivants.
Sur l’écran du téléviseur, un téléfilm : Un jeune homme et une jeune femme en
kimonos s’asseyent sur un rocher. En gros plan, une main verse des comprimés
dans une autre. Ils avalent tour à tour en buvant directement à une bouteille. Ils
sont maintenant allongés sur le rocher au pied d’une falaise.
Puis, elle s’assied dans le canapé, jambes croisées. A la fois affirmée et mal à
l’aise :
“ J’ai lu tout DAZAÏ alors que j’étais adolescente. Je voulais l’absorber tout
entier. ”
Elle explique qu’il était présent dans le manuel scolaire. Son professeur lui a
demandé de faire un exposé. Elle a travaillé sur Les cent vues du mont
Fuji. Mais après avoir tout préparé, elle a demandé à ne pas le présenter. Elle
voulait le garder pour elle, c’était trop personnel.
Tandis qu’elle parle, elle se penche en avant, les mains jointes sur un genou.
Elle rit d’elle-même :
Après un instant, elle raconte avec une certaine sécheresse qu’elle considère
maintenant DAZAÏ comme un irresponsable, un être faible qui affiche avec
complaisance ses faiblesses pour mieux s’en délecter. Elle reprend à son
compte la célèbre phrase du prix Nobel de littérature Yasunari
KAWABATA : “Votre vie de scandale nuit à votre génie !”.
Pour toutes ces raisons, il est honteux de dire qu’on aime DAZAÏ. Les jeunes ne
l’affirment que par provocation. Adulte, on doit prendre ses responsabilités. On
ne peut que s’en éloigner.
“ Néanmoins, je dois reconnaître que c’est grâce à lui que j’ai décidé de
devenir psychiatre. Je voulais comprendre la nature humaine. ”
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Par la baie vitrée, on découvre la ville à l’extérieur, en contrebas de l’immeuble
moderne. Voix off :
“ Chaque fois qu’une question me vient, je relis son œuvre, et encore lors
d’une autre question... Je vais ainsi un peu plus loin à chaque fois dans la
complexité de son personnage… En faisant ces recherches, le profil
complet de DAZAÏ se dessine peu à peu en moi. Des images s’imposent…
DAZAÏ n’était pas seulement un génie, mais aussi un gros travailleur, avec
des exigences énormes… Cela devient de plus en plus difficile d’en faire le
personnage dérisoire et pathétique que reproduisent indéfiniment les
média… ”
HIROMI est maintenant arrêtée sur un petit pont qui surplombe le canal. Elle
regarde au-dessous d’elle l’eau qui s’écoule silencieusement. Elle explique
qu’elle a passé son enfance à Mitaka. Tous les 19 juin, les chaînes télévisées
venaient filmer le canal, lieu du suicide de DAZAÏ. Parfois ils demandaient à
filmer du toit de chez elle. Elle avait l’impression que DAZAÏ était toujours proche
d’elle.
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HIROMI est assise dans l’herbe au bord du canal en train de lire. Elle redresse la
tête et explique que ce livre a été écrit par un ami de DAZAÏ, un livre sur lui. Elle
voudrait nous faire partager cette réflexion qu’elle trouve à la fois profonde et
complexe:
“ L’accomplissement de la littérature… ”
Elle détourne la tête, pudique, avant de nous regarder droit dans les yeux :
KANAME sort de l’immeuble et s’éloigne entre les maisons. Il tient à la main une
petite bassine en plastique rose qui contient une serviette éponge et du savon.
KANAME est assis de dos sur un petit tabouret de bois en train de se laver dans
une pièce tapissée de mosaïque. L’atmosphère est humide, vaporeuse. Autour
de lui d’autres hommes. Il se lève et entre dans le bassin que surplombe une
mosaïque représentant le mont Fuji. KANAME est sérieux.
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Photo de DAZAÏ debout dans un bain.
DAZAÏ attablé, la mèche en bataille, se servant à boire.
DAZAÏ fatigué, assis près d’un canal, le front ridé. Sur ces images :
AÏMI, l’étudiante, vêtue d’un strict tailleur jupe noir et d’un chemisier blanc
impeccable boutonné jusqu’en haut, salue très bas à plusieurs reprises tout en
reculant vers une large porte vitrée.
On retrouve AÏMI dans un train, assise sur une banquette de velours rouge. Il y a
peu de monde à cette heure tardive. Plusieurs personnes sont assoupies,
certains travaillent, d’autres jouent dans leur coin avec leur téléphone portable,
quelques uns feuillettent des mangas.
AÏMI est assise les jambes jointes sur son siège. Elle explique qu’elle avait un
entretien d’embauche en fin de journée : ses études touchent à leur fin, elle
commence à chercher du travail. Il s’agissait d’une clinique privée qui a besoin
d’une secrétaire médicale. Elle a rencontré le directeur administratif et l’infirmière
en chef, elle était très impressionnée.
AÏMI, très raisonnable, poursuit :
“ Ca s’est bien passé, mais je suis très jeune, et c’est autre chose qu’un
petit boulot. J’espère que je serai à la hauteur. ”
MISAKI marche maintenant sur l’avenue. Elle dépasse trois hommes titubants,
l’un soutenant l’autre. Ils portent des costumes sombres et ont défait leur
cravate. Ils sont silencieux, la scène est étrangement calme. Elle croise deux
filles, habillées telles des poupées Barbie aux formes généreuses débordant de
leurs robes en dentelle colorée. La nuit est percée de leurs rires bruyants. Au
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coin de la rue, un policier monte la garde devant le “ Koban ”, traditionnel poste
de police de quartier.
MISAKI bifurque dans une rue sombre, percée de néons aux couleurs vives. Elle
avance entre les salles de jeux, les sex-shops, les “ love hôtels ”.
Elle passe à côté d’une roulotte en plein air où un chinois prépare des plats à
emporter. Il lui fait un petit signe amical tandis qu’il sert des clients. Deux jeunes
femmes en kimono accostent des passants… MISAKI les salue discrètement.
Une adolescente en uniforme d’écolière fait les cent pas tout en téléphonant, elle
a remonté sa jupe plissée qui lui couvre juste le haut des cuisses. Un ballet
incessant de taxis déverse des hommes seuls, en groupe, que des jeunes
femmes attirent dans les clubs. MISAKI s’éloigne dans la rue.
Silence. Une fleur d’onagre dans un pot se balance doucement au gré du vent
dans la lumière envahissante de cette image d’archives vieillie.
28
Oto-ki, commémoration de la mort de DAZAÏ. Un grand cimetière, champ de
pierres verticales clairsemé d’arbres. On aperçoit au loin une foule entre les
tombes. D’autres personnes arrivent et se faufilent dans les sentiers pour
rejoindre le groupe. Des jeunes gens seuls ou à plusieurs, classiques, grunge ou
rock. Un vieillard dans une chaise roulante poussée par une dame âgée. Tous
les genres et les générations se mêlent.
Tout le monde est tourné vers une tombe. Sur deux stèles sont gravés en
japonais les noms de Shûji TSUSHIMA (Osamu DAZAÏ) et de son épouse
Michiko TSUSHIMA. Les gens sont silencieux. Quelques-uns prennent des
photos. Une jeune femme s’approche, un bouquet à la main. Elle prend une
louche de bois, la remplit d’eau dans un baquet et en verse sur les deux stèles.
L’émotion est palpable. Elle s’agenouille et dépose le bouquet, puis baisse la tête
et ferme les yeux un instant dans une attitude de recueillement. Elle s’écarte,
laissant la place à quelqu’un d’autre. Dans la foule, on aperçoit quelques visages
connus : MISAKI, AÏMI, KANAME... Discrètement assise sur une tombe en face,
HIROMI est en train de croquer la scène.
Plus loin, devant la tombe, KANAME ouvre une bouteille de whisky et se prend
en photo tandis qu’il en verse le contenu sur la tombe. Il dépose la bouteille
vide ; au pied de la tombe, des bouquets de fleurs, des cerises, des bouteilles,
de l’encens qui brûle, des cigarettes plus ou moins allumées… KANAME allume
une cigarette qu’il dépose aussitôt à côté des autres objets.
Le visage fin et régulier d’une femme aux longs cheveux noirs est immobile sur
fond de ciel. La voix poursuit off :
La lumière du jour naissant est douce, rasante. Une vaste crique enserrée entre
deux falaises, plantés sur le sable, plus loin, quelques abris de pêcheurs en tôle
ondulée. Sur ces images, off :
Vue du haut de la falaise, MIRI, nue, émerge des eaux. Off, sa voix raconte que
SHIMEKO est morte ici dans sa tentative de suicide avec DAZAÏ en 1930. Lui, a
survécu.
Dans une petite pièce traditionnelle, MIRI est penchée sur une table de travail.
Elle écrit. Sur son bureau, des feuilles manuscrites dans tous les sens. Autour
d’elle, la pièce est vide, dépouillée. On l’observe qui poursuit son travail. La main
reste parfois longtemps en suspend, puis reprend brusquement. Sur ces images,
off :
“ Tout s’est brouillé devant moi. Dieu m’a fait mourir et, quand Il m’eut
transformée en une personne entièrement différente de celle que j’étais, Il
m’a rappelée à la vie. ”
30
“ Il ne proposait pas de solution, il posait juste des questions. ”
Une fille se tient parfois devant des bars ne pouvant accueillir plus de 4 ou 5
personnes; certaines sont visiblement étrangères. MIRI sourit à un vieil homme
qui la salue en se courbant profondément tandis que sa voix poursuit off : parfois
les gens détestent DAZAÏ à cause de sa vie chaotique.
Elle débouche de l’autre côté près de la gare et montre le pachinko où son père
travaillait. Gamine, elle venait souvent traîner par ici. C’est dans ce quartier
qu’elle a situé son roman “Gold Rush ”.
“ Je crois que Osamu DAZAÏ a été lui aussi pris au piège de ses lecteurs,
de l’image qu’il avait lui-même créée. ”
Elle explique qu'il venait d’écrire en l’espace d’un an deux chefs d’œuvre, Soleil
couchant et La déchéance d’un homme, il avait atteint la reconnaissance, il était
en pleine possession de ses moyens. D’une certaine façon, il n’avait plus rien à
faire, il avait tout essayé. Quand il s’est suicidé, il était en train d’écrire un livre au
titre prémonitoire : Goodbye !
Son visage s’est altéré, elle affirme :
“ Je vais bientôt avoir 39 ans, l’âge auquel il s’est suicidé, et je crois que je
veux vivre. ”
Face à la caméra, on découvre le comédien qui lisait Off les textes de DAZAÏ.
Les traits réguliers, les cheveux mi-longs, il émane de lui un charme évident. Il
s’agit du comédien Kôji YAKUSHO. Il poursuit à l’image, en s’adressant à nous :
“ …que les cerveaux vieux et sages ont, par mépris, écrasés sur nous les raisins
acides du mensonge. Voici ce que je veux croire implicitement : l’homme est né
pour l’amour et la révolution. ”
32
Fragile
Note d’intention
Peu connu en Europe, DAZAÏ est au Japon un écrivain culte avec des rééditions à des
millions d’exemplaires. Au fur et à mesure que nous tentons de l’approcher et que nous
rencontrons ses admirateurs, nous ressentons les failles de la société japonaise
contemporaine, des fêlures qui nous rappellent la nôtre : celles d’une société riche en
radicale transformation, que pointait déjà DAZAÏ au milieu du XXè siècle.
DAZAÏ est pour nous celui qui « murmure à l’oreille » de tous ceux qui se demandent
comment vivre en étant soi-même dans cette société en crise.
Au-delà des clichés sur le Japon et de l’icône qu’est devenu Osamu DAZAÏ, ce film est
un regard sur l’humanité de gens simples. Pour eux, son œuvre est d’une acuité vivante
et consolatrice.
INTENTIONS ARTISTIQUES
Nous construirons avec eux la dramaturgie du film. Nous les suivrons dans leurs
tensions, leurs fragilités et leurs combats, collerons à leur existence présente,
susciterons leurs confidences, allant avec eux jusqu’à quelques dénouements.
Le spectateur va ainsi pouvoir entrer en empathie, les connaître et se sentir proches
d’eux.
Chacun d’eux est aussi un peu DAZAÏ, ce qui nous permet d’entrer directement dans
l’univers de l’écrivain. Par exemple, faute d’être armée pour la compétition au travail,
l’un de nos jeunes personnages a partagé la “ déchéance ” de DAZAÏ dans son
expérience psychiatrique. Elle se rêve comme la femme possible de l’écrivain, qui serait
morte avec lui. Les mots de DAZAÏ l’accompagnent en retour (dans sa vie comme dans
le film) dans ses interrogations et ses espoirs.
33
DAZAÏ aimait à se mettre en scène dans ses œuvres comme dans sa vie (de
nombreuses photographies en témoignent). Par sa force de dérision, KANAME, le
jeune « freeter » (1), joue à l’imiter jusque dans ses attitudes et ses costumes. Il tente
ainsi de fuir la vie uniforme des « salary men ». Comme l’écrivain, il va contre la morale
sociale et choisit ce qui fait sens pour lui, allant jusqu’à mettre en péril sa survie dans
cette société.
Plus encore que de son vivant, DAZAÏ continue à susciter les passions de la société
japonaise. FUMIO, la psychiatre, est un concentré de conventions. Ancienne
admiratrice (amoureuse romantique ?), aujourd’hui détractrice de DAZAÏ, elle porte un
regard critique, volontairement froid, sur l’auteur comme sur la culture du suicide au
Japon.
La mise en perspective
A travers détails et visions d’ensemble, scènes et gestes, les parcours de nos
personnages dans la ville seront l’occasion de porter un regard aigu sur le Japon
d’aujourd’hui : cet urbanisme échevelé et inventif, ce luxe, ces SDF « propres », ces
petits boulots à l’ancienne et systèmes D, ces hommes qui remplissent la même
fonction que l’automate à quelques mètres d’eux, etc. Ce sont des scènes ordinaires
qui révèlent le contraste entre une société fortement structurée et conservatrice, et nos
personnages qui y cherchent leur place.
La composition
Le film se compose comme un tissage dynamique entre ces existences, les images de
la société actuelle et le regard de l’écrivain. Les scènes avec les personnages
s’enchaînent et se répondent dans un parcours qui nous fait entrevoir l’écrivain, ses
tourments et ses ambivalences, en même temps qu’il nous fait découvrir le Japon
actuel, certains de ses symptômes ou de ses tensions. Elles nous mèneront jusqu’à un
moment fort de la vie de chacun des personnages.
INTENTIONS TECHNIQUES
Voir vivre nos personnages, en être proches, est notre priorité. Nous les
accompagnerons et découvrirons leur environnement, chez eux, à leur travail, dans les
lieux qu’ils fréquentent et qu’ils partagent parfois avec DAZAÏ, etc.
34
Parallèlement à cette proximité, nous souhaitons nous effacer devant la magie de la
relation qui s’établit entre l’écrivain et ses lecteurs, entre leurs vies, leurs interrogations,
et son regard, ses mots. C’est pourquoi nous souhaitons pour ce film une écriture à
deux caméras.
Plutôt que de renforcer la relation documentaire qui s’établit entre le personnage devant
la caméra, et le réalisateur, qui se tient derrière, le dispositif à deux caméras nous
permet de la relativiser. Nous laisserons ainsi la place à ce personnage fantomatique
qu’est Osamu DAZAÏ, cet ami, ce confident. La deuxième caméra permettra d’établir
une autre distance, parfois en symbiose avec ce qui est filmé, parfois au contraire plus
froide ou éloignée.
La palette des focales nous permettra de composer notre vision du Japon avec des
cadres larges (des lignes de force, des environnements) et des cadres plus serrés sur
des gestes, des détails et lorsque nos personnages se confient.
L’éloge de l’ombre de l’écrivain Junichirô TANIZAKI sera une inspiration utile en ce qui
concerne la lumière. Le jeu sur la pénombre est une des subtilités de l’architecture
japonaise. Autant les extérieurs pourront être lumineux, autant nous travaillerons sur la
pénombre en intérieur.
La présence de DAZAÏ s’affirmera au son : des fragments de ses oeuvres seront dits
(généralement off). En effet, le style même de son écriture est souvent très proche d’un
langage parlé. C’est une des raisons de sa popularité.
De la même façon que sa lecture est souvent perçue et décrite comme “ un murmure à
l’oreille ”, le travail sur la voix du comédien s’orientera vers une impression d’intimité, de
confidence.
Pour la version française, cette voix sera doublée en décalé, de façon à conserver la
musique du texte japonais tout en créant pour le spectateur les conditions d’une intimité
avec les mots de l’écrivain.
Les voix de nos personnages interviendront parfois off également. La confidence filmée
dans un endroit intime pourra se poursuivre alors qu’ils ont repris leurs activités, en une
espèce de discontinuité entre intériorité et extériorité. Tout le monde connaît le jeu sur
l’image de soi que construit chaque individu social. DAZAÏ l’a quant lui poussé à
l’extrême. De même qu’il a poussé à l’extrême la confession, jusqu’à de multiples
contradictions, dévoilant ainsi les faiblesses qu’un individu japonais (et pas seulement
japonais) ne doit jamais révéler. Comme lui, nos personnages feront le récit de leurs
propres doutes et interrogations.
Miri YU, Prix Akutagawa en 1997, est peut-être son héritière spirituelle. Avec cette
jeune femme forte et rayonnante, surnommée la « Salman Rushdie du Japon » suite
aux attaques de l’extrême droite, le dialogue entre DAZAÏ et ses lecteurs s’intensifie
jusqu’à une forme d’osmose.
Après avoir essayé de se suicider adolescente sur la même plage que lui, MIRI choisit
l’écriture comme un combat. Connue, comme DAZAÏ, pour une vie que la société
japonaise juge scandaleuse, elle utilise les mots pour stigmatiser l’ultra violence de ce
monde chaotique dans lequel elle nous emmène. Un combat difficile puisqu’elle avoue :
« J’aurai bientôt 39 ans, l’âge auquel DAZAÏ s’est suicidé, et je crois que je veux vivre. »
35
Fragile
Iconographie
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Misaki TAKANO
Née en 1980
TOMIE en 1947.
Kaname YANAÏ
Né en 1969
37
Fumio KOKAI
Née en 1972
Psychiatre, ancienne admiratrice de Osamu DAZAÏ
H
i
r
o
m
i
H
I
R
A
N
O
HIROMI, née en 1964, prépare un manga (41sur DAZAÏ. Sa quête : ne pas trahir l’écrivain
« œuvre artistique ». Publié dans une revue à
et être capable de tout sacrifier à sonans)
partir de 2007, son manga devrait paraître sous forme de livre en 2008, pour le 60è
anniversaire de la mort de l’écrivain.
Aïmi
NAKANO
Née en 1987
M. Kenichi NOHIRA
Né en 1922
Miri YU
Née en 1968
Filmographie (extrait)
41
Un des autoportraits peints par DAZAÏ.
42
Dans la province de Tsugaru, pays natal de DAZAÏ, dans le nord du Japon.
Cap Tappi,
village de pécheurs.
43
Quelques images du Japon d’aujourd’hui.
La gare de Shinjuku.
44
Quelques poupées Barbie à l’entrée du
métro de Harajuku à Tokyo.
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