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Maria Lluïsa Borras, Arthur Cravan, Une stratégie du scandale, Édition établie par Arlette

Albert-Birot, suivi de Maintenant, 1912 / 1915 Collection complète n°' 1 à 5 en fac similé
[Amazon Commentaire 1,0 sur 5 étoiles Indigne d'être publié (et lu)
Commenté en France le 22 février 2023
« Des éléments factuels en vrac, sans l'ébauche d'une réflexion. Le niveau zéro de la
biographie. Le seul intérêt du livre est dans la reproduction en fac simile de la revue de
Cravan (5 numéros). On en apprend davantage dans la fiche Wikipedia de Cravan -
personnage sans envergure (sauf ses 2 mètres de haut). Il y a même des pages imprimées en
double (p.323 et suiv) : l'éditeur est au niveau de l'auteur ! »]

p.59
Dans ses poèmes, Cravan évoque de façon romanesque ses courses d'un pays à l'autre, de
New York en Californie, de Berlin en Australie - comme homme de chauffe sur un cargo. Ce
n'est pas seulement pure fantaisie. Il se fonde sur des voyages réels, sans doute idéalisés.
[...]
Mais les voyages ne furent jamais aussi longs et spectaculaires que ses poèmes le laissent
entendre.
p.73
Son arrivée à Paris met fin aux errances du Fabian vagabond et le transforme vite en Arthur
Cravan le poète, qui tentera désespérément de se faire connaître. Il fréquentera bien
quelques soirées littéraires mais de façon marginale, et il usera de mille arguties - sans
renoncer à la provocation, ou au scandale - pour se faire un nom, non pas le sien, Fabian
Avenarius Lloyd, mais le pseudonyme qu'il s'inventera à l'automne 1910 Arthur
Cravan.
p.80
La finale des « 8e Championnats de Boxe pour Amateurs et Militaires » a lieu le 14 mars,
entre Pecqueriaux (74,3 kg) et Fabian Lloyd, donné favori à cause de sa haute taille. Il est
déclaré champion de France des milourds, son adversaire ne s'étant pas présenté.
p.81
Et ce fut tout. Il n'y eut plus de compétitions. En réalité, Fabian passa comme l'éclair
sur les rings français, l'aventure ne dura qu'un trimestre, de février à mai 1910
exactement. Cela suffit néanmoins pour tisser une espèce de légende de champion dont il
se prévaudra, selon les circonstances, pour faire de la boxe tantôt un mythe, tantôt une
profession, mais l'expérience le marqua pour le reste de ses jours.
p.100
La rubrique « Spectacles et Concerts » du Carnet du Petit Journal du 6 mars 1914 annonce la
troisième conférence comme « Soirée parisienne ». Le texte est sans doute de Cravan :
« Ce soir aux Noctambules, 7 rue Champollion, Arthur Cravan, neveu d'Oscar Wilde,
conférenciera, dansera, boxera. Oscar Wilde a laissé des oeuvres posthumes dont la plus
curieuse est son neveu, le seul, l'authentique neveu, le prince de la boxe, licencié ès
lettres, directeur de Maintenant, revue à gros tirage, enfin Arthur Cravan. Et Arthur
Cravan sur le fragile plateau des Noctambules dansera comme boxe la Zambelli, boxera
comme danse Joë Jeannette. Il initiera l'auditoire émerveillé aux plus délicieuses beautés des
lettres présentes. Sa conférence sera un sensationnel coup de poing dans la sympathique
figure du public. Mais ce coup de poing fera éclater un rire comme le Président de la
République lui-même n'en connut pas au dernier vernissage des Indépendants. Amateurs du
dernier tango où l'on cause, gens férus de polkas et autres danses du pape devant le
miroir, financiers qui placez dans le cubisme et dans l'orphisme vos plus sonores espérances,
dames du monde éprises du cours et des manchettes de Monsieur Bergson, jeunes filles qui
faites de Maintenant vos rêves de demain, soyez tous à cette soirée des Noctambules, où
Arthur Cravan élèvera la conférence à la hauteur d'une raison sociale d'utilité reconnue
publique. Arbitre d'honneur: Fernand Cuny. Prix d'entrée: 2F50. Il est prudent de louer ses
places. »
À en juger par la note du 15 mars 1914 du Journal de la Rive Gauche, cette conférence
n'eut pas lieu. Ce jour-là Fabian, au lieu d'aller faire la causerie si pompeusement
annoncée, sortit entre deux gendarmes du restaurant où il venait de faire le coup de
poing.
p.102
Le carton annonçant la quatrième conférence, la plus connue, disait VENEZ VOIR - Salle
des Sociétés savantes- 8 rue Danton - Le Poète - ARTHUR CRAVAN - (neveu d'Oscar
Wilde) - champion de boxe, poids 125 kg, taille 2 m. - LE CRITIQUE BRUTAL -
PARLERA - BOXERA - DANSERA - la nouvelle « Boxing Dance » - LA VERY BOXE -
avec le concours du sculpteur MAC ADAMS - autres numéros excentriques - NÈGRE.
BOXEUR. DANSEUR. - dimanche 5 juillet 9 h. du soir - prix des places : 5fr., 3fr. ou 2 fr.
Le 6 juillet 1914, Paris Midi publiait en première page
LE NEVEU D'OSCAR WILDE (...) Cet Arthur Cravan qui ne manque jamais de faire
suivre son nom de ces mots « neveu d'Oscar Wilde » s'est donné hier soir aux Sociétés
Savantes en spectacle à quelques centaines d'Anglais, d'Américains et d'Allemands, parmi
lesquels deux ou trois Français s'étaient fourvoyés. Cet Arthur Cravan est un grand jeune
homme blond, imberbe, qui, vêtu d'une chemise de flanelle largement échancrée, d'une
ceinture rouge, d'un pantalon noir et de légers escarpins, a parlé, dansé, boxé. Avant de
parler, il a tiré quelques coups de pistolet puis a débité, tantôt riant, tantôt sérieux, les
plus énormes insanités contre l'art et la vie. Il a fait l'éloge des gens du sport, supérieurs
aux artistes, des homosexuels, des voleurs du Louvre, des fous, etc. Il lisait debout en se
dandinant, et de temps à autre lançait à la salle d'énergiques injures. Dans la salle, on
paraissait goûter cette façon saugrenue de conférencer. Les choses, cependant, ont failli se
gâter quand cet Arthur Cravan a éprouvé le besoin d'envoyer à toute volée sur le
premier rang des spectateurs, un carton à dessin qui, par hasard, n'atteignit personne.
Quelques amis du danseur, boxeur et conférencier, ont achevé de donner à cette soirée
son caractère particulier de grosse plaisanterie anglo-américaine en dansant, boxant et
conférenciant à leur tour.
p.104
En mars 1914, Nellie s'abandonne enfin :
... ce malheureux Fabian. Quand nous avons lu sa revue, nous en avions la nausée (...) Moi,
j'éprouve une honte et un dégoût d'être la mère d'un tel goujat. Tu vois sa lâcheté qu'il
s'attaque à des femmes sans défense ou fait des plates excuses devant ceux qui peuvent se
défendre ou par l'épée ou par le revolver !
Je le compare à des apaches genre Bonnot. Peut-être ne pourra plus vivre à Paris si le procès a
lieu. Quel homme supporterait ce langage envers une femme comme Marie Laurencin ?
p.105
Le 22 mai elle se plaint une nouvelle fois
Le jugement de huit jours de prison sans sursis avec 1 Fr d'amende sans oublier les frais
du tribunal que j'ai lu hier soir dans le journal incidemment, inutile de te dire que je n'en ai pas
dormi de la nuit (...) Si je pouvais avoir la consolation de penser que cela lui servira de
leçon... Je me demande si d'autres plaintes vont suivre. Celles des poètes et de Marie
Laurencin ? peut-être ? C'est la fête de Fabian aujourd'hui. Il la passe en prison.
Nellie n'a certainement pas lu l'article du Journal de la Rive Gauche du 5 juin qui prenait la
défense de Fabian :
Nous nous joignons à tous nos confrères de la presse indépendante pour demander
l'acquittement en appel du critique d'art et boxeur Arthur Cravan, condamné en
correctionnelle à huit jours de prison sans sursis, pour avoir critiqué en termes violents
les ordures ménagères, tableaux vaselinés, statues en fer blanc, gravelures en taille
d'ours, que de pseudo peintres et ou sculpteurs métèques exposaient il y a quelques mois
dans une immense poubelle baptisée pour la circonstance le Salon des Indépendants.
p.107
Nellie confie à son aîné : « J'ai reçu une lettre bien sombre du pauvre Fabian. Il paraît
extrêmement affecté et énervé à la perspective du service militaire obligatoire qui de
jour en jour trouve plus de partisans ; Fabian m'écrit que s'il est obligé d'y aller, il
deviendra fou. »
p.109
Dans Maintenant Cravan ne publia que quatre poèmes (trois poésies, « Des paroles », « Sifflet
», « Hie ! », et le prosopoème « Poète et Boxeur »), trois textes sur Oscar Wilde, la
virulente critique d'art qui le conduisit devant les tribunaux, et diverses notes et
annonces. Cravan fut pratiquement l'unique artisan de Maintenant. Il vendait la revue
dans une petite voiture des quatre saisons, à la sortie de l'hippodrome Gaumont, place
Clichy et dans toutes les rues de Paris. Mais de plus, il écrivait à peu près tous les textes,
les autres noms qui figurent aux sommaires n'étant que des hétéronymes. Exception
faite pour Ernest La Jeunesse, que Wilde rencontrait dans les cafés de Paris.
p.110
L'ensemble des textes de Maintenant constitue une autobiographie déchirée, une des plus
subversives et maudites que nous ait légué cette génération. Une autobiographie qui oscille
entre le lyrisme et le sarcasme le plus grossier, situant Cravan de plein droit parmi les
précurseurs essentiels de l'aventure dada.
p.111
En mars 1912, Cravan visite le Salon des Indépendants - l'année suivante, il en fera une
critique féroce -, et il écrit à sa mère : « J'y suis resté 10 minutes, le temps de traverser et
m'asseoir au buffet pour regarder la tête de tous les ratés et ratées en robes et costumes
tapageurs. Dieu, heureusement que je ne suis pas peintre ! Je crois que j'y aurais foutu
le feu ! ».
pp.112-113
Après les étonnantes révélations de Nellie à son cousin Vyvyan, l'intérêt de Cravan pour
Wilde n'a fait que croître. À Paris il eut l'occasion de rencontrer plusieurs hommes de lettres
qui avaient connu son oncle et parlaient de lui avec enthousiasme. Il recherchait dans les
bibliothèques et les librairies tout ce qui avait trait à Wilde ou à son oeuvre. Il ne faut pas
s'étonner s'il demande à sa mère qui l'avait rencontré dans sa jeunesse, de lui raconter tout ce
qu'elle sait sur son beau-frère. Nellie y consent avec complaisance :
Il gardait toujours une pose de phlegme et divine indifférence pour son entourage - qu'il s'agisse des
choses ou des personnes - exemple : un soir que nous dînions chez lui, le feu prit à l'abat-jour de la
lampe. Sa femme et les amis présents s'affolent - lui se lève avec grande dignité sort de la chambre
majestueusement en disant : « Du calme. C'est absurde de s'exciter pour si peu de chose. » Et il
rentrait quand tout fut éteint. Partis pour Paris en voyage de noces, il s'assied dans un coin du
compartiment réservé pour eux en n’adressant pas la parole à sa femme : il lisait. Arrivés à l'hôtel il fit sa
toilette, il sortait pour ne plus rentrer de toute la nuit, laissant sa jeune femme seule à ses réflexions.
Il fumait 60 cigarettes Égyptiennes par jour. Le lendemain matin de leur arrivée à Paris, leur présence
étant signalée, l'hôtel était envahi par les reporters avides de connaître le costume, intentions etc des
nouveaux marié. C'est Mrs W. ahurie qui a dû les recevoir toute seule. À peine de retour du voyage de
noces, les soucis d'argent commencèrent.

p.186
En ce mois d'avril [1917] les événements se succédèrent à un rythme vertigineux. Le 19, on
inaugurait au Grand Central Palace (intégré à un édifice remarquable, tout à la fois noeud
ferroviaire souterrain et centre commercial), le Salon des Indépendants présidé par le peintre
William Glackens avec Walter Pach comme trésorier, John Covert comme secrétaire, Arens-
berg comme administrateur... et pas moins de vingt-et-un directeurs dont Duchamp, Man Ray,
Joseph Stella et Morton Schamberg. Picabia proposa d'inviter Cravan à donner une
conférence le soir même de l'inauguration. Le thème: « Les artistes indépendants de
France et d'Amérique » ; le programme précisait que l'entrée à l'exposition donnait le
droit d'assister à la causerie, ce qui fit un public nombreux. Le lendemain, The Sun rend
compte avec humour. Il est sûrement plus fiable que n'importe lequel des multiples récits
fantaisistes que firent plus tard d'authentiques ou de prétendus témoins :
p.187
Hier après-midi, une attraction imprévue est venue égayer l'exposition (...) Arthur Cravan (...) renonça à
la conférence prévue pour donner un spectacle inattendu aux centaines d'hommes et de femmes massés à
l'entresol.
À trois heures (...) M. Cravan entra, escorté de fidèles enthousiastes qui l'accompagnèrent jusqu'à
la tribune de l'orateur. (...) Tout le monde retenait son souffle. M. Cravan promenait sur cette foule
un regard joyeux (...) Sa pose - ah ! - était magnifique. Il pouvait, sans perdre tout à fait son
équilibre, prendre de telles libertés avec la verticale (...) soudain quelque chose n'allait pas. M. Cravan
avait exagéré son balancement, et voilà qu'il venait de porter à l'art un coup terrible en frappant la surface
dure de la tribune avec une indépendance d'expression qui se répercuta dans tout Lexington Avenue.
Cela ne dura qu'un instant, car M. Cravan retrouva aussitôt son sourire. Washington Square et Greenwich
Village respirèrent de nouveau artistiquement et attendirent. M. Cravan commença à se dépouiller de
son veston. L'art eut un sourire indulgent: on était au premier jour du printemps (...) Le Monsieur
ôta son gilet. Greenwich Village haussa les épaules (...) Puis un léger murmure d'étonnement courut
dans l'entresol: Monsieur avait ôté son faux-col, noué un mouchoir autour du cou et (...) avait laissé
retomber sur ses hanches ses bretelles de soie. (...)
Le conférencier, qui n'avait pas encore laissé échapper de sa bouche le plus léger soupir (...), regardait
fixement le mur. Les membres de la foule pensante se dévissèrent le cou (...) C'était un tableau
représentant une très belle dame qui aurait pu utilement conseiller Ève sur la meilleure manière de
s'habiller vers la mi juillet. M. Cravan regardait, rayonnant, puis poussa un hululement qui couvrit le
fracas et le grincement des trains de New York Central. L'art, touché de plein fouet, se débanda en hurlant
à travers les escaliers.
Des hommes encerclèrent M. Cravan, qui avait vu ses amis se regrouper autour de lui. Le son de voix
furieuses (...) domina un temps le tumulte jusqu'à l'arrivée au galop du personnel de sécurité de
l'exposition, vêtu de ravissantes tenues prune (...), agitant des menottes brillantes (...) M. Cravan mit en
pratique sa science du noble art avec une vigueur de nature propre à causer quelque dommage à la vêture
du personnel de sécurité.
La conférence du jeudi était ; pour ce jour, terminée. On évita de déranger la police municipale -
l'Association refusant toute vaine publicité.
Les argosors mirent encore en péril leur bel uniforme en conduisant M. Cravan et ses amis jusqu'à la
sortie donnant sur la 46e rue (...) Il put prendre place dans une voiture qui démarra en trombe.
Le 25 mai, Mina et Cravan vont au bal de présentation du Blind Man au Webster Hall, 11e
rue, près de la Troisième Avenue, haut lieu des noces et bals costumés des habitués de
Greenwich Village, annoncé comme « ultra bohème, préhistorique et post-alcoolique »
où Cravan recommença à se dévêtir pendant que, selon le récit de Henri-Pierre Roché,
Mina passa une sorte de nuit de ménage à cinq dans le lit de Duchamp.
Le 9 juillet, Nellie se plaint de ne pas avoir de nouvelles fréquentes de Fabian : « Ah que je
voudrais pour lui qu'il s'assagit, qu'il trouve une riche Américaine qui s'en amourache, et
l'épouse ; alors adieu le passé ! Il a tout pour cela au lieu de se coller avec des faméliques et
compagnie. Je ne comprends pas qu'un jeune homme de bonne famille ne cherche pas sa
femme dans une situation sociale supérieure. Quelle aberration ! ». Et
p.192
il écrit le 9 septembre que le Canada est merveilleux, qu'il veut y revenir avec elle ( « Je ne
me sens vraiment bien qu'en voyage ; lorsque je reste longtemps dans le même endroit,
la bêtise me gagne. »)

Maintenant
p.241
Différentes Choses
Nous sommes heureux d'apprendre la mort du peintre Jules Lefebvre.
p.247
[Avec Gide] Nous parlâmes donc littérature, et comme il allait me poser cette question qui
devait lui être particulièrement chère « Qu'avez-vous lu de moi ? » j'articulais sans sourciller,
en logeant le plus de fidélité possible dans mon regard : « J'ai peur de vous lire. »
p.248
Sur le point de me retirer, d'un ton très fatigué et très vieux, je priais : Monsieur Gide,
où en sommes-nous avec le temps ? Apprenant qu'il était six heures moins un quart, je
me levais, serrais affectueusement la main de l'artiste et partais en emportant dans ma tête le
portrait d'un de nos plus notoires contemporains, portrait que je vais resquisser ici, si mes
chers lecteurs veulent bien m'accorder encore, un instant, leur bienveillante attention.
M. Gide n'a pas l'air d'un enfant d'amour, ni d'un éléphant, ni de plusieurs hommes : il
a l'air d'un artiste ; et je lui ferai ce seul compliment, au reste désagréable, que sa petite
pluralité provient de ce fait qu'il pourrait très aisément être pris pour un cabotin. Son
ossature n'a rien de remarquable ; ses mains sont celles d'un fainéant, très blanches, ma foi !
Dans l'ensemble, c'est une toute petite nature. - M. Gide doit peser dans les 55 kilogs et
mesurer 1m65 environ. - Sa marche trahit un prosateur qui ne pourra jamais faire un
vers. Avec, ça, l'artiste montre un visage maladif, d'où se détachent. vers les tempes, de
petites feuilles de peau plus grandes que des pellicules. inconvénient dont le peuple
donne une explication en disant vulgairement de quelqu'un : « il pèle ».

p.257
DOCUMENTS INÉDITS SUR OSCAR WILDE
Le rire chez W... était plein et semblait sourdre d'une source profonde et abondante. Ce
rire se destinait particulièrement aux propres plaisanteries de W... ; quand une de celles-
ci avait porté, on ne savait trop, en effet, si W... riait de l'effet produit ou de sa cause, ou
de tous deux : il jouissait de ses tours et de son esprit et semblait en faire pour en jouir.
Vous auriez vu W... entrer dans un salon que, subjugué par la grandeur et l'aisance des
ses manières, vous eussiez dit. qu'il incarnait celles du siècle de Louis-le-Grand ou de
celui de Louis le Bien-Aimé. Avec lui entraient la domination, le prestige, tout autant
que l'élégante nonchalance, se jouant du grave au riant : il apportait « la manière », il
apportait « la nuance ».
Au dehors, on connut le W... ce qu'on appelle en France « l'esprit » ; c'est ainsi que lorsqu'il
vint à Paris il y eut de l'esprit en ce qu'il a de plus prisé, il l'avait divers, étincelant, «
suggestif » ; un de ces traits semblait se répercuter, continuer à rouler et à briller comme une
boule lumineuse. Son tour d'ironie, son paradoxe était une surprise, pareille à quelque
oeuf de Pâques qui, éclatant, laisse sortir mille amours et mille diables. A l'envolée de
p.258
son trait n'était jamais appuyé, grossi, jamais surtout développé, le « grand causeur »
n'était pas un « raisonneur », le plus amoureux des joueurs, le moins pédant des
discoureurs. [...]
cet humour qu'il avait si communicatif, entraînant, qui semblait être le repos sensuel de
l'esprit même, s'étirant, se remuant et donnant la course aux choses dans la chaleur
forte du tempérament.
On n'a pas connu ce W... Ià, si magnifiquement vivant, donnant liberté é sa nature, riche, belle
et grande.
p.259
Il avait besoin des soins et des caresses féminines. Il était un enfant gâté qui sourit, un
peu triste...
Du reste, dès 1890, comme tant de grands nerveux, redoutant ces trous de néant psychique, il
se soutint avec des stimulants, Il en vint même, en cette année, à subir une crise, très
probablement de delirium tremens.
p.268
Je veux aussi montrer les étrangetés de mon caractère, foyer de mes inconséquences ;
ma détestable nature, que je ne changerai pourtant contre aucune autre, bien qu'elle
m'ait toujours défendu d'avoir une ligne de conduite ; parce qu'elle me fait tantôt
honnête, tantôt fourbe, et vaniteux et modeste, grossier ou distingué. Je veux vous les
faire deviner afin que vous ne me détestiez point, comme, tout à l'heure, vous seriez
peut-être tenté de le faire en me lisant.
p.269
« Ah Paris, que je te porte de haine ! Que fais-tu dans cette ville ? Ah ! c'est du propre ! Sans
doute, penses-tu y réussir ! Mais il faut vingt ans pour le faire, mon pauvre, et si tu
atteins à la gloire tu seras alors laid comme un homme. Je ne comprendrai jamais
comment Victor Hugo a pu, quarante ans durant, faire son métier. Toute la littérature, c'est :
ta, ta, ta, ta, ta, ta. L'Art, l'Art, ce que je m'en fiche de l'Art ! Merde, nom de Dieu ! - Je
deviens terriblement grossier à ces moments-là.

pp.300-301
Il faut absolument vous fourrez dans la tête que l'art est aux bourgeois et j'entends par
bourgeois : un monsieur sans imagination. C'est entendu ; mais alors, me permettez-vous
de demander pourquoi, méprisant la peinture, vous vous donnez la peine d'en faire la
critique ? C'est bien simple : si j'écris c'est pour faire enrager mes confrères ; pour faire
parler de moi et tenter de me faire un nom. Avec un nom on réussit avec les femmes et
dans les affaires. Si j'avais la gloire de Paul Bourget je me montrerai tous les soirs en
cache-sexe dans une revue de music-hall et je vous garantis que je ferai recette. Ma
plume peut me donner encore l'avantage de passer pour un connaisseur, qui, aux yeux de la
foule, est quelqu'un d'enviable, car il est à peu près certain qu'il n'y aura pas plus deux
personnes intelligentes qui fréquenteront le Salon.
Avec des lecteurs aussi intellectuels que les miens, je suis obligé de m'expliquer une fois de
plus et de dire que je ne trouve un être intelligent seulement lorsque son intelligence a un tem-
pérament, étant donné qu'un homme vraiment intelligent ressemble à un million d'hommes
vraiment intelligents. Pour moi donc un homme fin ou subtil n'est presque toujours qu'un
idiot.
Le Salon, vu du dehors, me plaît, avec ses tentes, qui lui donnent un air de cirque monté
par quelque Barnum ; mais quelles sales gueules d'artistes vont le remplir : y en aura, y
en aura : des rapins aux longs cheveux, des littérateurs aux longs cheveux ; des rapins
aux cheveux courts, des littérateurs aux cheveux courts ; des rapins mal vêtus, des
littérateurs mal vêtus ; des rapins bien habillés, des littérateurs bien habillés ; des rapins
p.303
Je m'étonne qu'un escroc d'esprit n'ait pas eu l'idée d'ouvrir une académie de
littérature.
pp.303-304
si je vais citer une quantité de noms, c'est uniquement par roublardise et le seul moyen
de vendre mon numéro, car j'aurai beau dire que Tavernier, par exemple, est le dernier
des fruits secs, et citer ce petit con de Zac au milieu d'une interminable liste de nullités,
ils m'achèteront tous deux, avec les autres, pour le seul plaisir de voir leurs noms
imprimés. Du reste, si j'étais cité, je ferai comme eux.
p.307
Szobotha, Valmier sont des cubistes sans talent. Suzanne Valadon connaît bien les petites
recettes, mais simplifier ce n'est pas faire simple, vieille salope !
p.309
juif Apollinaire - je n'ai aucun préjugé contre les juifs, préférant, la plupart du temps,
un juif à un protestant
pp.314-316
M. Delaunay, qui a une gueule de porc enflammé ou de cocher de grande maison
pouvait ambitionner avec une pareille hure de faire une peinture de brute. L'extérieur
était prometteur, l'intérieur valait peu de chose. J'exagère probablement en disant que
l'apparence phénoménale de Delaunay était quelque chose d'admirable. Au physique c'est un
fromage mou : il court avec peine et Robert a quelque peine à lancer un caillou à trente
mètres. Vous conviendrez que ce n'est pas fameux. Malgré tout, comme je le disais plus haut,
il avait sa gueule pour lui : cette figure d'une vulgarité tellement provocante quelle
donne l'impression d'un pet rouge. Par malheur pour lui - vous comprenez bien qu'il me soit
indifférent que tel ou tel ait du talent ou n'en ait pas - il épousa une Russe, oui, Vierge
Marie ! une Russe, mais une Russe qu'il n'ose pas tromper. Pour ma part, je préférerai
faire de mauvaises manières avec un professeur de philosophie au Collège de France -
Monsieur Bergson, par exemple, - que de coucher avec la plupart des femmes russes. Je
ne prétends pas que je ne forniquerai pas une fois Madame Delaunay, puisque, avec la grande
majorité des hommes, je suis né collectionneur et que, par conséquent, j'aurai une satisfaction
cruelle à mettre à mal une maîtresse d'école enfantine, d'autant plus, qu'au moment où je la
briserai, j'aurai l'impression de casser un verre de lunettes.
Avant de connaître sa femme, Robert était un âne ; il en avait peut-être toutes les
qualités : il était brailleur, il aimait les chardons, à se rouler dans l'herbe et il regardait
avec de grands yeux stupéfaits le monde qui est si beau sans songer s'il était moderne ou
ancien, prenant un poteau télégraphique pour un végétal et croyant qu'une fleur était une
invention. Depuis qu'il est avec sa Russe, il sait que la Tour Eiffel, le téléphone, les
automobiles, un aéroplane sont des choses modernes. Eh bien, ça lui a fait beaucoup de
tort à ce gros bêta d'en savoir aussi long, non pas que les connaissances puissent nuire à
un artiste, mais un âne est un âne et avoir du tempérament c'est s'imiter. Je vois donc un
manque de tempérament chez Delaunay. Quand on a la chance d'être une brute, il faut
savoir le rester.
p.317
Marie Laurencin (je n'ai pas vu son envoi). En voilà une qui aurait besoin qu'on lui
relève les jupes et qu'on lui mette une grosse... quelque part pour lui apprendre que l'art
n'est pas une petite pose devant le miroir. Oh ! chochotte ! (ta gueule !) La peinture c'est
marcher, courir, boire, manger, dormir et faire ses besoins. Vous aurez beau dire que je
suis un dégueulasse, c'est tout ça.
p.342
Arthur Cravan, chevalier d'industrie, marin sur le Pacifique, mûletier, cueilleur d'oranges en
Californie, charmeur de serpents, rât d'hôtel, neveu d'Oscar Wilde, bûcheron dans les forêts
géantes, ex-champion de France de boxe, petit-fils du chancelier de la reine, chauffeur
d'automobile à Berlin, cambrioleur, etc., etc., etc.
p.349
Je trouvais Madame Cravan seule et je lui dis ce qui m'était arrivé, tout en faisant mes malles,
car il s'agissait de faire vite. Je pliais, en deux temps, trois mouvements mes chaussettes de
soie à 12 frs. la paire qui m'égalaient à Raoul le Boucher et mes chemises où traînaient des
restes d'aurore. Le matin, je donnais ma gaule diaprée à ma femme légitime, je lui remis après
cinq fraîches abstractions de 100 francs chacune, puis j'allais faire mon pipi de cheval. Le
soir, je jouais quelques troumlalas sur mon violon ; je baisais la biseloquette de mon bébé, et
fis des câlin-câlin à mes beaux gosses. Puis, en attendant l'heure du départ, et tout en rêvant à
ma collection de timbres, je foulais le plancher de mes pas d'éléphant et je balançais mon
citron splendide en respirant le parfum si touchant et partout répandu des pets.

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