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Scott Hahn

Travail ordinaire
grâce extraordinaire
Mon itinéraire spirituel dans l’Opus Dei

Scotthahn.indb 1 08/06/2010 10:30:15


Titre original : Ordinary Work, Extraordinary Grace.
My Spiritual Journey in Opus Dei

© 2006 by Scott Hahn

@ Le Laurier sarl pour l’édition française, 2009.


ISBN 978 2 86495 304 3

19, passage Jean-Nicot 75007 Paris


tél 01 45 51 55 08 - fax 01 45 51 81 83
e-mail : editions@lelaurier.fr — www.lelaurier.fr

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Table des matières

I. Prélude personnel........................................................... 7
Un terrain commun....................................................... 9
Pour le dire en peu de mots......................................... 12
Âme sacerdotale, mentalité laïque.............................. 15
Quelques données....................................................... 16
Extra-Ordinaire........................................................... 18
Le terrain de la vocation............................................. 19
II. Le secret de l’Opus Dei............................................... 21
Clarification de termes................................................ 23
Aventure divine dans un tramway............................... 26
Tel Père, tel fils............................................................ 28
La vérité évangélique.................................................. 29
Une doctrine oubliée ?................................................ 32
III. L’Éthique catholique du travail.................................. 35
Modalités et conditions............................................... 37
Le Verbe au Travail..................................................... 40
Sur la terre comme au ciel.......................................... 42
Béni par le succès ?..................................................... 44
IV. L’Œuvre et l’Église.................................................... 48
Qu’y a-t-il de spécial ?................................................ 49
Une « petite partie » qui a du chemin à parcourir....... 51

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Les erreurs cléricales................................................... 53
Une affaire de famille................................................. 57
Rome Sweet Home..................................................... 58
V. Travail et oraison : le plan de vie................................. 61
La résistance au repos................................................. 62
La « travaillite ».......................................................... 65
Faire de tous les jours un petit dimanche.................... 66
Un rite à la racine de tout............................................ 70
VI. Viser haut................................................................... 74
Amour et sacrifice....................................................... 75
Lutte pour la sainteté................................................... 77
Pour le seul regard de Dieu......................................... 80
Au travail !.................................................................. 82
Un corps d’élite pour tous........................................... 84
Du lever au coucher du soleil...................................... 87
VII. Amitié et confidence................................................. 89
L’âme du monde.......................................................... 91
Mission : Impossible................................................... 94
Buts apostoliques........................................................ 96
VIII. Sécularité et sécularisme......................................... 99
Dans le temps et dans le monde................................ 100
Un chemin dans le monde......................................... 103
Surnaturellement naturel........................................... 106
Le côté brillant.......................................................... 107

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IX. Sexe et sacrifice....................................................... 111
Moments difficiles ................................................... 112
Une pièce d’or........................................................... 114
Le lit, autel des mariés.............................................. 116
Penser avec Notre Mère............................................ 120
X. L’atelier de Nazareth : l’unité de vie......................... 122
La maison du Verbe................................................... 123
La maison est là où bat le cœur................................. 129

XI. Une mère au travail.................................................. 130

XII. Parle-lui d’amour.................................................... 134


Aimer comme Jacob................................................. 138
Annexe. L’utilisation de l’Écriture
dans les écrits de saint Josémaria................................... 141
Aimer passionnément la parole de Dieu .................. 141
Les Écritures comme référence................................. 143
La méthode................................................................ 145
Pouvoir se transformer.............................................. 146
Filiation divine et Parole révélée.............................. 147
Sens littéral et spirituel.............................................. 149
Texte et contexte....................................................... 152
La place de la Bible................................................... 154
L’interprète vertueux................................................. 156

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I. Prélude personnel

Comme j’aimerais que ton comportement et


ta conversation fussent tels que l’on puisse dire
en te voyant ou en t’écoutant : voilà quelqu’un
qui lit la vie du Christ !
Chemin, 2

Je n’étais pas encore un futur catholique; J’étais effrayé à


cette idée.
J’étais pasteur presbytérien, et j’avais pris un long congé
sabbatique car j’avais besoin de temps pour étudier, pour prier
et pour faire le point. Depuis plusieurs années — et en pleine
contradiction avec ma formation profondément calviniste
et évangélique – mes lectures m’amenaient vers un mode
de pensée catholique. Plus j’étudiais l’Écriture Sainte, la
théologie et l’histoire – et plus j’intensifiais ma prière – plus
mon esprit tendait vers le catholicisme.
Ceci étant, l’essentiel de mon expérience de la foi
catholique me venait des livres. J’avais passé mes années
de jeunesse dans un environnement éminemment protestant,
avec un fort engagement, d’abord dans un petit collège privé,
puis dans un séminaire évangélique de renom, et finalement
comme pasteur et professeur dans différentes petites paroisses

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et écoles. Partout, je m’étais fait de vrais amis, tout en exerçant
une influence dans un climat de ferveur.
D’un autre côté, mes contacts avec des catholiques avaient
été tout sauf édifiants. Ils venaient surtout de mes années
d’adolescence, avec des gamins qui étaient aussi délinquants
que je pouvais l’être avant que je ne reconnaisse Jésus-Christ
comme mon Seigneur et Sauveur.
Maintenant, j’étais un adulte et j’affrontais une crise
d’adulte. J’étais un protestant convaincu et un ministre
ordonné qui trouvait les arguments catholiques mieux que
convaincants : je les trouvais irrésistibles. Je me débattais
ainsi face au choix entre tout ce que j’aimais de mon passé
protestant et tout ce que je venais à comprendre de la foi
catholique. Chez les évangélistes, j’avais trouvé une profonde
dévotion pour Jésus-Christ, une aisance teintée d’humilité
dans les voies de la prière, une étonnante éthique du travail,
un véritable zèle à christianiser la culture et enfin, un intérêt
passionné pour les Écritures. Ce dernier point était d’une
suprême importance pour le prêcheur de la parole de Dieu
que j’étais et pour un jeune théologien de la Bible. Dans la
doctrine catholique, malgré tout, je trouvais une cohérence
renversante, en même temps que l’authenticité et la puissance
de la pensée.
La Bible m’avait mené jusqu’à cette crise. Dans un premier
temps, j’avais voulu comprendre la théologie de l’Alliance des
premiers réformateurs protestants. Mes recherches m’avaient
conduit au constat qu’ils étaient, surtout Jean Calvin et Martin
Luther, beaucoup plus « catholiques » dans leur doctrine que

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ne l’étaient leurs descendants modernes. Calvin et Luther me
firent découvrir le sens de certains passages des Écritures
concernant les sacrements, la hiérarchie et l’autorité dans
l’Église, et même la doctrine mariale ; et plus encore, ils me
conduisirent vers les Pères de l’Église, ces commentateurs
les plus anciens de l’Écriture Sainte. Et ce fut là, dans les
écrits de ces premiers auteurs, que je me heurtais à une église
que j’étais forcé de reconnaître catholique. C’était liturgique,
hiérarchique, sacramentel. C’était catholique et cependant
cela contenait tout ce que j’aimais aussi dans la tradition de
la Réforme : une profonde dévotion pour Jésus, une vie de
prière spontanée, un amour brûlant pour l’Écriture.
Cependant, cette Église n’était réelle pour moi que dans les
livres poussiéreux que je lisais. Je voulais savoir où se cachaient
les fidèles catholiques qui vivaient de cette manière.
Apparemment, ils m’attendaient à Milwaukee.

Un terrain commun

J’arrivais à l’Université de Marquette pour préparer


un doctorat en théologie avec de grands espoirs mais sans
beaucoup d’illusions. Cependant, rapidement, je commençais
à recevoir grâces après grâces. Je fis la connaissance d’un
prêtre sympathique et brillant qui parlait volontiers théologie
avec moi, parfois jusqu’à l’aube.
Il me parla de l’éducation qu’il avait reçue dans une famille
américano-polonaise dont les membres avaient coutume de
se saluer avec des paroles tirées des Écritures. Mais je ne le

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considérais pas comme un catholique véritablement ordinaire. Il
avait fait un doctorat de théologie dans une université romaine ;
il avait travaillé au Vatican et tout le monde commentait – et la
chose se vérifia – qu’il était en passe de devenir évêque.
C’est alors que je commençai à fréquenter deux autres
catholiques – un professeur de philosophie politique et un
dentiste – qui faisaient preuve des mêmes qualités. La chose
qui m’impressionnait le plus était qu’ils portaient tous les deux
une petite Bible dans leur poche. Quand un moment libre se
présentait dans la journée, on pouvait les trouver assis dans
une église, en train de lire les Écritures. Si je leur demandais
de m’aider à comprendre un point de doctrine, ils sortaient
leur petit livre pour y trouver l’explication. Je pensais en moi-
même : ce sont des gens qui lisent la vie de Jésus-Christ et qui
la prennent au sérieux.
Je racontai à mon ami prêtre que j’avais trouvé deux types
qui avaient toujours le Nouveau Testament avec eux et qui
semblaient vraiment le connaître. Il me répondit : « Oh, ils
doivent être de l’Opus Dei ».
Je connaissais assez de latin pour savoir que ça signifiait
« l’œuvre de Dieu » ou bien «  le travail de Dieu ». Presque
immédiatement, après avoir entendu les mots du mon ami,
Opus Dei devint pour moi comme une torche, un phare
qui promettait d’être le terme de mon long voyage, vers un
pays que je n’avais trouvé jusqu’alors que dans les livres.
Ce n’est pas que ce pays était trop petit pour être visible ;
l’Opus Dei n’épuisait pas non plus la terre à découvrir, car
l’Église catholique est bien plus vaste que tout ce à quoi mon

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expérience confessionnelle avait pu me préparer ; et il y avait
à l’époque (comme aujourd’hui) beaucoup d’autres grandes
institutions ou mouvements dans l’Église. Cependant, pour
beaucoup de raisons, l’Opus Dei allait devenir l’endroit où je
pourrais commencer à me sentir chez moi.
Quelles étaient ces raisons ?
● La première et principale à mes yeux était l’apparente
dévotion de ses membres pour la Bible.
● La seconde était la chaleur de son œcuménisme. L’Opus
Dei avait été la première institution catholique à accueillir
des non-catholiques pour coopérer à ses activités
apostoliques.
● La troisième était la droiture de vie de ses membres.
● La quatrième, c’était le côté tellement ordinaire de leur
vie. Ils n’étaient pas théologiens – ils étaient dentistes,
ingénieurs, journalistes – mais ils parlaient et vivaient une
théologie que je trouvais attrayante.
● La cinquième : ils cultivaient une ambition sainte associée
à une éthique vraiment chrétienne du travail.
● La sixième : ils étaient accueillants et prêtaient une
attention bienveillante à mes nombreuses questions.
● Et la septième : ils priaient. Ils consacraient tous les jours
du temps à une prière intime – une vraie conversation
avec Dieu, ce qui leur donnait une sérénité que j’avais
rarement rencontrée.
Alors que mon amitié avec ces gens de l’Opus Dei
grandissait, j’en venais à apprécier la richesse théologique et

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biblique et la théologie spirituelle qui se trouvait au cœur de
leur vocation. Je fis miennes ces approches, bien avant que
Dieu ne me donne la même vocation, avant même que Dieu
ne me conduise aux sacrements de l’Église catholique. Je
compris très vite qu’ils détenaient un formidable pouvoir pour
renouveler ma vie, mais aussi la vie de l’Église du Christ et la
vie du monde. Ce livre traite donc de la théologie biblique de
l’Opus Dei et de sa spiritualité biblique.

Pour le dire en peu de mots

Ma définition préférée de l’Opus Dei est celle que j’ai


trouvée au milieu des années 80, dans une prière adressée à
son fondateur : l’Opus Dei comme « chemin de sanctification
dans le travail professionnel et l’accomplissement des devoirs
ordinaires du chrétien ». Ce n’est pas une simple méthode
de prière, ou une institution dans l’Église, ou une école de
théologie. C’est un « chemin », et ce chemin est assez large
pour s’adapter à toute personne dont les journées sont remplies
de travail – à la maison avec les enfants, dans une usine ou un
bureau, à la mine, à la ferme ou à la caserne. Le chemin est
également assez large pour intégrer différentes expressions
de prière et des styles ou des approches théologiques variées.
Dieu en appelle certains à engager leur vie dans ce chemin en
tant que fidèles de l’Opus Dei, tandis que beaucoup d’autres
trouvent une orientation spirituelle dans l’Opus Dei ou à partir
des livres de son fondateur, mais sans en faire partie.
En bref : l’Opus Dei a été fondé en 1928 par un jeune

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prêtre espagnol, saint Josémaria Escriva de Balaguer. Pendant
des années, il avait eu des pressentiments, reçu des inspirations
dans la prière, lui montrant que Dieu voulait quelque chose de
lui, mais il n’avait pas d’idée claire de ce que ce pouvait être.
C’est alors que, de manière inattendue, tandis qu’il relisait des
notes personnelles, il vit  : Dieu montra à saint Josémaria ce
qu’il voulait qu’il fasse.
Le fondateur parlait rarement de ce qu’il « vit » à ce
moment-là, mais il utilisa toujours le verbe « voir » et il ne
laissa pas de doute quant au fait qu’il vit l’Opus Dei dans sa
totalité, tel qu’il se développerait au fil des années. Comme un
document du Vatican l’atteste : « il ne s’agit pas d’un projet
pastoral qui prend corps peu à peu, mais bien plutôt d’un appel
qui fait irruption subitement dans l’âme du jeune prêtre.1 »
Que vit-il ? Peut-être ses brèves notes personnelles peuvent-
elles nous en donner un aperçu : « Des simples chrétiens. Pâte
en fermentation. Notre domaine, ce sont les choses ordinaires,
avec naturel. Moyen : le travail professionnel. Tous saints ! 
Don de soi silencieux.2 »
Trois jeunes gens seulement vinrent à son premier cercle
de formation ; il célébra ensuite pour eux un Salut au Saint-
Sacrement : « Alors que je les bénissais avec le Saint-Sacrement,
j’en voyais trois cents, trois cent mille, trente millions, trois

1
Missel pour la béatification de Josémaria Escriva et Joséphine Bakhita,
Tipografia Vaticana, 1992, p. 26.
2
Notes intimes, 35. Cité dans L’Opus Dei dans l’église, Pedro Rodriguez,
Fernando Ocariz, José Luis Illanes, Éditions Nauwelaerts, 1996, Bruxelles,
p. 166.

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milliards… des blancs, des noirs, des jaunes, de toutes les
couleurs, tous les mélanges que l’amour humain peut créer.3 »
Saint Josémaria vit que Jésus voulait que tout le monde
fût saint – tous sans exception. Notre-Seigneur parlait à la
foule, pas seulement à son cercle intime, quand Il disait, lors
du Sermon sur la montagne : « Soyez parfaits, comme mon
Père céleste est parfait. » (Mt 5, 48). C’est l’Évangile sans
compromis, la Bonne Nouvelle que les Apôtres prêchèrent
aux nations. Saint Paul annonçait que Dieu « nous avait
choisis en Lui, dès avant la création du monde, pour être
saints et immaculés en sa présence » (Ep 1, 4). De surcroît,
Dieu nous a fait connaître son « plan » pour nous, « le
mystère de sa volonté ». Dans la plénitude du temps – qui
est arrivée, aujourd’hui – nous devons « restaurer toutes
les choses dans le Christ » (Ep 1, 10).
Saint Josémaria enseignait que toute activité humaine – la
vie politique, la vie familiale et sociale, le travail et les loisirs
– devait être restaurée dans le Christ, offerte à Dieu comme
un sacrifice agréable, unie au sacrifice de la Croix, unie au
sacrifice de la Messe. Il rêvait du jour où, « il y aurait partout
dans le monde, des chrétiens engagés, personnellement et en
toute liberté, qui soient d’autres Christ4 ».
Saint Josémaria vit la Création comme une grande liturgie
cosmique, offerte au Père par ces « autres Christs » en union
avec le Christ, grand Prêtre éternel.

3
Vazquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei, Vol. I p. 482.
4
Ibid. p. 378.

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Âme sacerdotale, mentalité laïque

Nous pouvons faire cette offrande car nous sommes « un


peuple saint, un sacerdoce royal » (1 P 2, 9). Nous avons part
au sacerdoce du Christ et à sa royauté parce que, grâce au
Baptême, nous avons part à sa nature (2 P 1, 4). Saint Josémaria
engageait les Chrétiens à avoir « une âme véritablement
sacerdotale et une mentalité pleinement laïque5 ». Ce n’est
pas une contradiction. Car, en tant que prêtres et rois, nous
avons une vocation qui est en même temps sacrée et séculière.
Nous partageons la royauté du Christ ; nous partageons son
sacerdoce. Ainsi, nous sanctifions l’ordre temporel et nous
l’offrons à Dieu. Nous le restaurons, pas à pas, en commençant
par la parcelle que nous avons à cultiver. Notre domaine
professionnel, l’espace dans lequel nous vivons, tels sont les
lieux où nous exerçons notre souveraineté et notre sacerdoce.
Notre autel, c’est notre bureau ou notre poste de travail, le
sillon que nous cultivons, les ordures que nous balayons, les
langes que nous changeons, le lit que l’on partage avec son
conjoint. Tout cela est sanctifié par l’offrande de nos mains
qui sont celles du Christ Lui-même.
Cette doctrine prend une dimension particulière dans
l’Opus Dei, mais c’est la doctrine de toute l’Église. La royauté
et le sacerdoce, les droits et les devoirs, n’appartiennent
pas seulement à quelques privilégiés, pas seulement au

5
Lettre, 28 mars 1955, n. 3. Cités dans L’itinéraire juridique de l’Opus Dei ,
A. de Fuenmayor, V. Gomez-Iglesias, J. L. Illanes, p. 355, Desclée, Paris,
1992.

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clergé ordonné, mais à tous les baptisés croyants. Notre
dignité particulière réside dans le fait que, dans le baptême,
nous sommes devenus « enfants de Dieu » (1 Jn 3, 2) – nous
avons rejoint « l’assemblée des premiers-nés » (He 12, 23).
Et si nous sommes enfants de Dieu, alors nous sommes les
héritiers (Ga 4, 7), les cohéritiers de la royauté et du sacerdoce
du Christ : de ce qui est séculier (que nous sanctifions) et de
ce qui est sacré. « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et
le Christ est à Dieu. » (1 Co 3, 22-23).
Nous sommes enfants de Dieu. Le terme théologique qui
exprime cette réalité est celui de « filiation divine » — et c’est
le fondement de l’esprit de l’Opus Dei. C’est la source de la
liberté, de la confiance, de l’élan, de l’ardeur et de la joie dans
la vie et dans le travail de tout chrétien. C’est le « secret à
crier sur les toits » qui permet à des hommes et des femmes du
monde entier de vivre leur vocation : de sanctifier leur travail,
de se sanctifier dans leur travail et de sanctifier les autres par
leur travail.
Je sais que ce n’est pas rien. Aussi, nous consacrerons la
suite de ce livre à examiner ces doctrines plus en détail.

Quelques données

Saint Josémaria passa le reste de sa vie à prêcher ce que


Dieu lui avait révélé. Au début, il ne lui donna même pas de
nom. C’est son directeur spirituel qui le lui suggéra un jour,
plutôt par accident, en lui demandant : « Comment va cette
œuvre de Dieu ? ».

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PUF.
Petit à petit, les détails de l’organisation se clarifièrent pour
saint Josémaria, bien que le droit de l’Église ne permît pas
alors d’intégrer l’institution telle que Dieu lui avait révélée.
Saint Josémaria conduisit le développement de l’œuvre avec
prudence, en évitant qu’elle ne tombe durablement dans une
forme institutionnelle inappropriée, même si elle eut à passer
par une série de solutions temporaires inadéquates. En 1965,
le Concile Vatican II introduisit une nouvelle figure juridique,
la « prélature personnelle », une institution regroupant des
prêtres et des laïcs pour mener à bien des tâches apostoliques
spécifiques. Le mot personnel signifie que le responsable
de cette institution, son prélat, a autorité non pas sur un
territoire (comme c’est le cas pour un évêque diocésain) mais
sur un groupe ou une catégorie de personnes, où qu’elles
puissent être. Dans le cas de l’Opus Dei, ce sont les fidèles
de la Prélature – ceux qui sont appelés à se dédier de manière
personnelle et permanente à ce « chemin de sanctification »
spécifique. Qu’ils soient mariés ou célibataires, ils prennent
un engagement, sous la forme d’un contrat, lorsqu’ils font leur
« oblation », et ils renouvellent cet engagement chaque année.
Après un certain temps, ils peuvent donner une reconnaissance
plus solennelle à la permanence de leur vocation en faisant la
« fidélité », donnant ainsi validité pour le reste de leurs jours
à leur contrat.
Saint Josémaria reconnut dans la prélature personnelle
la figure juridique idéale pour l’Opus Dei, mais il ne lui fut
cependant pas permis de la voir de son vivant. Il mourut en
1975. Ce fut en 1982 que Jean-Paul II érigea l’Opus Dei

17

PUF.
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comme première prélature personnelle dans l’Église. Au jour
où j’écris ces lignes, il y a environ 85 000 membres – l’Église
préfère le terme de fidèles – dans la Prélature de l’Opus Dei.
La grande majorité est composée de laïcs ; les prêtres ne sont
qu’en petit nombre.

Extra-Ordinaire

Le récit de la fondation de l’Opus Dei pourrait donner une


impression fausse, et peut-être est-ce la raison pour laquelle
saint Josémaria en parlait rarement. La fondation de l’Opus
Dei fut accompagnée de quelques miracles documentés et
de révélations extraordinaires. Cependant, l’Opus Dei met
l’accent sur la vie ordinaire, le travail ordinaire et l’expérience
religieuse ordinaire.
Les miracles étaient sans doute nécessaires en raison de la
nature vraiment radicale du plan de Dieu pour saint Josémaria.
C’était un plan qui paraissait incompatible avec son temps en ce
début du XXe siècle, alors que la dignité du sacerdoce était mise
en avant au point d’oublier celle du simple croyant baptisé. En
Europe, comme aux États-Unis, l’appel universel, baptismal à
la sainteté n’était pas une opinion théologique admise. Saint
Josémaria eut donc à faire face à des accusations d’hérésie.
Mais Dieu utilisa ces grâces initiales extraordinaires
– visions, miracles et révélations privées – pour ouvrir un
chemin nouveau de sainteté dans la vie ordinaire. On a parfois
besoin d’explosifs pour percer une autoroute, mais rarement
pour l’entretenir.

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Aussi, maintenant, nous concentrerons-nous sur la vie
ordinaire. Dieu a donné à ses enfants la domination sur le
monde (Gn 1, 26) et Il les invite à profiter des biens de l’univers
qu’Il a créé et racheté. Mieux encore, Il nous accorde le don
remarquable de participer à cette création et à la rédemption.
Donnons un exemple de l’approche ordinaire dans l’action :
les membres de l’Opus Dei prennent au sérieux l’appel de
l’Église à l’apostolat. Mais vous ne les trouverez pas souvent
au coin des rues à brandir la Bible ou à frapper à la porte
d’inconnus pour donner leur témoignage sur Jésus. Saint
Josémaria a plutôt enseigné un apostolat discret « d’amitié
et de confidence » – traduit en réalités quotidiennes – dans
lequel les membres cherchent la manière de servir les autres.
Cela peut se traduire par une invitation à déjeuner plutôt que
par un moment de prière, ou par un match de tennis au lieu
d’un débat doctrinal.
Tout est complètement ordinaire. Et cependant, cette
doctrine elle-même a le pouvoir de remuer les gens. Le monde
moderne – et même certaines personnes dans l’Église – est
à tel point en quête de sensationnel que le fait de s’attacher
à l’ordinaire est pour eux quelque chose de vraiment
extraordinaire !

Le terrain de la vocation

À ce stade, il est sans doute superflu de dire que le calviniste


devint catholique et que mes premiers contacts avec l’Opus
Dei furent des étapes importantes dans mon chemin vers

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l’Église catholique. Peut-être aurez-vous aussi deviné que je
reçus aussi la vocation à l’Opus Dei.
En osant écrire ce livre, je ne veux pas me poser en modèle
ni en parangon de l’Opus Dei. Ce livre n’est pas non plus, en
aucune manière, une présentation officielle de l’Œuvre (c’est
ainsi qu’on l’appelle souvent), de sa finalité et de ses principes.
C’est encore moins une analyse critique de la structure
organisationnelle de l’Opus Dei ou de son statut canonique.
Tous ces livres ont déjà été écrits et très bien écrits.6
Ce livre est plutôt une réflexion personnelle sur la vocation
que je partage avec beaucoup d’autres hommes et femmes
qui me dépassent de loin en sagesse et en vertus, et sur leur
manière quotidienne de vivre l’esprit de l’Opus Dei. C’est
aussi une expression publique de gratitude envers Dieu pour
une grâce que je ne mérite pas, une grâce que j’espère voir
partagée par beaucoup de gens, par tous ceux à qui Dieu
voudra l’accorder.
Puisque, par ma formation autant que par ma profession,
je suis théologien biblique, ce livre applique les outils de ma
spécialité au noyau de l’esprit de l’Opus Dei.

6
Cf . par exemple, L’itinéraire juridique de l’Opus Dei, L’Opus Dei dans
l’Église, J.-L. Illanes et autres, L’Opus Dei de Dominique Le Tourneau,

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II. Le secret de l’Opus Dei

Qu’il est bon d’être enfant ! Quand un homme


sollicite une faveur, il fait valoir ses mérites à
l’appui de sa demande. C’est nécessaire. Quand
c’est un enfant qui demande – les enfants n’ont pas
de mérites – il suffit qu’il déclare : je suis fils d’Un
tel. Seigneur ! – Dis-le Lui de toute ton âme – moi,
je suis… fils de Dieu !
Chemin, 892

Parfois, les jeunes prédicateurs se laissent emporter par


leur enthousiasme. Ils sont tellement immergés dans l’étude
de leur sujet, quel qu’il soit, qu’il leur paraît être la clé
d’interprétation, la base et la substantifique moelle de toute
autre question.
C’est sans doute ce qui arriva à un jeune prêtre de l’Opus
Dei qui avait été récemment ordonné et résidait à Rome, dans
l’entourage de Monseigneur Escriva qui vivait et suivait de
très près la vie quotidienne de l’Œuvre. Quelle ne fut pas la
joie de ce jeune prêtre quand on lui demanda de prêcher une
méditation dans le centre de l’Œuvre où vivait le Fondateur.
Le sujet choisi était l’humilité.
Les prêtres de l’Opus Dei, comme tous les membres,
sont encouragés à faire leur travail avec le meilleur niveau

21

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d’exigence professionnelle, puisqu’ils offrent leur travail à
Dieu. Aussi un prédicateur doit-il préparer ses homélies avec
le plus grand soin, en recherchant ce que les saints et les
théologiens ont dit sur le sujet. Un membre d’une institution
de l’Église consultera également les ouvrages écrits par leur
fondateur. Pas de problème ici : Josémaria Escriva avait
beaucoup écrit sur l’humilité.
Par conséquent, notre jeune prêtre s’était sûrement très
bien préparé pour parler de l’humilité. Sans doute s’était-il
même humilié devant l’immensité du sujet ; et dans sa tête
comme dans sa prédication, il se projetait bien au-delà de la
pénombre de l’oratoire.
Arrivé à ce point de la méditation, il affirma avec une
grande conviction : « Le fondement spirituel de l’Opus Dei
est l’humilité ». Peut-être fit-il alors une pause pour bien
enfoncer le clou. Dans cet espace de temps, vint alors une
voix du fond de l’oratoire, ferme et paternelle à la fois : « Non,
mon fils ! ».
Se levant alors, saint Josémaria s’avança vers le jeune
prêtre qui prêchait et prit sa place. Nous ne devons pas
nous méprendre sur cette intervention car il attachait la
plus grande importance à la bonne éducation et il n’était
pas homme à interrompre les gens pour n’importe quelle
imprécision. Mais il ne considérait pas non plus discourtois
le fait de redresser à temps une erreur de cap. Et le fait
d’altérer l’esprit de l’Opus Dei – même si c’était à mettre
sur le compte de l’exubérance juvénile – justifiait une telle
mesure d’urgence.

22

Scotthahn.indb 22 08/06/2010 10:30:17


Saint Josémaria termina donc la méditation en rappelant
aux auditeurs, soudain devenus plus attentifs, le vrai fondement
spirituel de l’Opus Dei : « c’est, dit-il, la filiation divine. »

Clarification de termes

Filiation divine. Que veut-on dire avec ce curieux concept


tout droit sorti des manuels de théologie latine ? Si l’on en
croit saint Josémaria, nous devrions en faire le centre de nos
vies.
La signification est simple et biblique : maintenant, nous
sommes enfants de Dieu (1 Jn 3, 2). C’est simple et cela nous
est familier, mais peut-être trop familier. La paternité de Dieu
et la fraternité entre les hommes sont devenues, de nos jours,
un lieu commun, un cliché culturel – même pour beaucoup
de non-chrétiens. Cette doctrine, qui fut au centre de la
prédication de l’Évangile, a peut-être été trop bien assimilée.
Elle a perdu de cette valeur-choc qui remuait la première
génération chrétienne. Lorsque saint Jean parlait de la filiation
divine, même après plusieurs décennies de prédication, il ne
pouvait pas cacher son étonnement : « Voyez de quel grand
amour nous a aimés le Père, au point que nous pouvons être
appelés fils de Dieu ; et nous le sommes ! » (1 Jn 3, 1).
Et nous le sommes ! Quand on s’arrête à penser un moment
à la merveille que représente la conception et la naissance
– les films réalisés par nanographie nous l’ont montrée – ,
en considérant tous les obstacles naturels, on s’étonne qu’un
spermatozoïde puisse jamais fertiliser un gamète, qu’un ovule

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Scotthahn.indb 23 08/06/2010 10:30:17


puisse réussir à se fixer, qu’un embryon puisse se transformer
en fœtus, et qu’un enfant puisse survivre enfermé dans le
ventre de sa mère avant de naître. Même les rationalistes les
plus endurcis restent ébahis quand ils considèrent la simple
filiation humaine. La série télévisée Nova produite aux États-
Unis par le Public Broadcasting Service a été intitulée : le
miracle de la naissance.
La filiation humaine est déjà, en soi, une merveille.
Cependant elle pâlit, en comparaison avec la naissance
surnaturelle – la filiation divine – que le chrétien reçoit dans
le baptême. Là, nous sommes identifiés, incorporés au Christ,
rendus capable de vivre Sa vie, élevés pour prendre part à
la vie du Fils éternel de Dieu dans la Sainte Trinité. Par le
baptême, nous devenons donc, comme Jésus, enfants du Dieu
Éternel et Tout Puissant – enfants d’un Père qui peut nous
donner tout ce dont nous avons besoin, un Père qui est parfait,
qui connaît tout et qui est omniprésent, un Père qui tient toutes
ses promesses et qui ne commet pas d’erreur.
La filiation divine est la raison d’être de notre baptême.
C’est la substance même du Ciel. C’est ce que le Nouveau
Testament veut signifier lorsqu’il parle de salut, de
sanctification, de justification. Saint Josémaria l’exprime
de manière plus forte encore en parlant d’un processus
de divinisation, de déification : de simples êtres humains
deviennent participants de la nature divine ; ils deviennent
semblables à Dieu. Ils vivent comme des enfants de Dieu dans
la famille divine éternelle, dans la Trinité.
À travers le baptême, nous devenons enfants de Dieu car

24

Scotthahn.indb 24 08/06/2010 10:30:17


nous vivons dans le Christ. Nous sommes, selon la formule
chère à de nombreux Pères de l’Église, « fils dans le Fils ».
Tout au long du discours d’adieux de l’Évangile de saint
Jean, Jésus décrit sa propre communion avec le Père et sa
communion simultanée avec les croyants : « Je suis dans le
Père et vous êtes en Moi et Moi en vous » (Jean 14, 20). Le
Christ est le seul Fils bien-aimé du Père. Aussi, notre filiation
n’est-elle pas la même que la sienne, mais elle est une
participation à la sienne. Nous ne sommes pas Dieu. Mais
Jésus Lui-même décrit notre filiation en disant : « Vous êtes
des dieux » (Jn 10, 34 ; voir aussi Ps 82, 6). Sa filiation est
incréée et éternelle. La nôtre est une grâce ; elle est créée ;
elle est adoptive. Mais elle est réelle. Par le baptême, nous
sommes plus véritablement ses enfants que nous ne sommes
enfants de nos parents de la terre. À travers le baptême, nous
sommes plus chez nous dans le Ciel que là où nous avons
grandi. Saint Maxime le Confesseur en parle ainsi : « nous
devenons semblables à Dieu, excepté dans l’ordre de l’Être »,
et nous recevons pour nous « le tout de Dieu Lui-même »,
dans toute son infinité et dans toute son éternité. Comme saint
Jean de Damas l’a bien résumé : nous devenons par la grâce
ce que Dieu est par nature.
Cela semble paradoxal : le fini contient l’infini. Mais c’est
Dieu Lui-même qui rend cela possible en assumant notre chair
humaine en Jésus-Christ. Par là, l’humanité est divinisée et
tout ce qui remplit la vie de l’homme acquiert une dimension
nouvelle : l’amitié, la famille, les repas, les voyages, l’étude
et le travail.

25

Scotthahn.indb 25 08/06/2010 10:30:17


Aventure divine dans un tramway

Je ne veux pas rester sur une impression théorique dans


laquelle tout ne serait exprimable que par des mots abstraits.
Je suis théologien et professeur et nous avons tendance à parler
des choses de cette manière. Saint Josémaria avait lui-même
enseigné et il avait deux doctorats, mais il ne découvrit pas
la filiation divine au terme d’un syllogisme, et il en parlait
rarement en termes académiques. Pour lui, cela commença
d’une manière beaucoup plus immédiate, à travers une
expérience très directe.
C’était en 1931, trois ans après la vision fondatrice, alors
qu’il n’avait pas grand chose à montrer en récompense de
sa prière et de ses efforts. Il souffrait aussi des troubles de la
société espagnole qui conduiraient à une sanglante guerre civile.
La pauvreté était très répandue et ne l’épargnait pas, la morale
s’effondrait et la violence anti-catholique ne cessait de croître.
Le centre de la tourmente était bien sûr la capitale, Madrid, où
il résidait. Le matin du 16 octobre, après avoir célébré la Messe,
il tentait de prier, « dans la quiétude de mon église », mais il n’y
arrivait pas. Il sortit et acheta un journal avant de monter dans
un tramway. Une fois assis, il commença à lire les nouvelles du
jour quand soudain, de manière très intense, il « sentit l’action
du Seigneur ». Il expliqua plus tard que « Dieu faisait naître
dans mon cœur et sur mes lèvres, avec la force de quelque
chose d’impérieux et nécessaire, cette tendre invocation : Abba !
Pater !1 »
1
Vazquez de Prada, Vol. I p. 387.

26

Scotthahn.indb 26 08/06/2010 10:30:17


Alors qu’il avait été incapable de prier dans le calme
du sanctuaire, soudain, dans le bruit de la rue et dans d’un
tramway bondé, il était plongé dans la prière. Et sa prière
était simplement « Père ! ». Ou, plus précisément, Papa ! En
araméen, la langue parlée par Jésus, Abba est le mot intime
et familier par lequel les enfants s’adressent à leur père. Jésus
l’employait dans sa prière, et saint Paul également.
Mais il ne s’agissait pas seulement de mots. Le jour même,
dans Notes intimes, saint Josémaria recueillait cette expérience
comme « une prière de sentiments, abondante et ardente ». La
prière jaillissait aussi de ses lèvres de manière irrépressible.
Il descendit du tramway et commença à vagabonder dans les
rues de Madrid « en contemplant cette merveilleuse réalité :
Dieu est mon Père ! Je suppose qu’on me prit pour un fou.2 »
Il ne sut pas non plus en déterminer la durée : « une heure,
deux peut-être, je ne saurais le dire, je n’ai pas senti le temps
passer ». Il n’avait pas vécu jusqu’à cette matinée, jusqu’à ce
trajet en tramway, sans reconnaître la paternité de Dieu, dans
sa vie, dans le monde, à l’égard de l’œuvre qui était en train
de naître. Mais des années après, il parlait de cette expérience
comme de « sa première prière de fils de Dieu ». Il comprit
alors, immédiatement, l’importance de cet événement pour la
spiritualité de l’Opus Dei.
Dieu ne lui permit pas de prier dans la quiétude de son église,
mais il lui accorda cette prière incomparable au milieu de la rue,
dans un contexte ordinaire. Depuis ce moment, il eut une ferme

2
Ibidem.

27

Scotthahn.indb 27 08/06/2010 10:30:18


conviction : « La filiation divine est le fondement de l’esprit de
l’Opus Dei3 », et il le redirait en d’innombrables occasions.
Quelles en étaient les conséquences ? « Je compris
alors que la filiation divine devait être une caractéristique
fondamentale de notre spiritualité. Abba ! Pater !Et que, en
vivant la filiation divine, mes enfants seraient remplis de joie
et de paix, à l’abri d’un mur inexpugnable ; qu’ils sauraient
être les apôtres de cette joie, et qu’ils sauraient communiquer
leur paix, y compris dans leurs souffrances personnelles
ou celles d’autrui. Précisément pour cela : parce que nous
sommes persuadés que Dieu est notre Père4 ».

Tel Père, tel fils

Connaître Dieu comme un Père c’est connaître le Dieu des


chrétiens, le Dieu de Jésus-Christ. Parce que la paternité de
Dieu est seulement une idée chrétienne. Seuls les chrétiens
donnent le nom de « Père » comme spécifique de Dieu.
D’autres religions disent que Dieu est comme un père,
en raison du lien qu’elles établissent entre la création et la
procréation, ou bien parce que la Providence est, dans une
certaine mesure, semblable aux soins des parents pour leurs
enfants. Mais dans les religions non chrétiennes, la paternité
est, en dernier ressort, métaphorique. Pour elles, Dieu agit
d’une manière paternelle quand Il établit une relation avec
d’autres êtres : le monde, l’espèce humaine ou un peuple choisi.
3
Quand le Christ passe, 64.
4
Vazquez de Prada, Vol I p. 388.

28

Scotthahn.indb 28 08/06/2010 10:30:18


Dieu est paternel à partir du moment où Il a créé quelque chose
ou quelqu’un dont Il doit s’occuper. Ainsi, la paternité divine,
dans son acception non chrétienne, est dépendante d’autres
êtres. Elle est liée à l’action de Dieu dans le temps, mais elle
ne relève pas de son essence.
Pour les musulmans, parler de Dieu comme d’un « père »
est simplement blasphématoire ; c’est une violation de la
transcendance et de la simplicité de Dieu. Pour les juifs,
Dieu agit comme un père à l’égard de son Peuple élu, mais sa
paternité ne précède pas leur création ni leur élection.
Seuls les chrétiens osent dire que Dieu est « Père » de
toute éternité – avant le temps et avant la création. Il est
« Père » en lui-même, car Il engendre éternellement le Fils
au sein de la Trinité.
Aussi, pour les chrétiens, la paternité divine relève-t-
elle de son essence. « Père », c’est ce qu’Il est. La paternité
divine n’est donc pas métaphorique ; elle est métaphysique. Et
il serait plus approprié de dire que c’est la paternité humaine
qui est métaphorique, figure temporelle d’une réalité éternelle.
La paternité de Dieu est la vraie paternité, au sens plénier du
terme.
Dieu est le Père éternel de Jésus-Christ. Et Dieu est le
Père de ceux qui vivent en Jésus-Christ par le baptême.

La vérité évangélique

Ceci n’est en rien une nouveauté. C’est, au contraire, la


reprise de quelque chose de classique dans le Christianisme.

29

Scotthahn.indb 29 08/06/2010 10:30:18


Saint Josémaria disait que c’était « aussi vieux que l’Évangile
mais, comme l’Évangile, toujours nouveau ».
Dans l’Ancien Testament, les références à la paternité
de Dieu sont rares et, en elles-mêmes, ambiguës. Les quatre
premiers chapitres du Nouveau Testament ne mentionnent
pas non plus la paternité de Dieu. Puis, soudain, quand Jésus
entame sa prédication et qu’Il prononce le Sermon sur la
Montagne, où Il nous livre comme un programme solennel,
c’est l’idée dominante. Dans ce Sermon, Dieu est appelé
Père dix-sept fois, soit beaucoup plus que dans tout l’Ancien
Testament. Et, point culminant du Sermon, Jésus enseigne à
la foule à prier Dieu en l’appelant « Notre Père », une manière
de prier tout à fait étonnante et révolutionnaire.
Notre filiation divine est l’élément central de l’Évangile
que Jésus a prêché. C’est la véritable signification du
salut qu’Il nous a gagné. Car Il ne nous a pas seulement
sauvés de nos péchés ; Il nous a aussi sauvés pour notre
filiation. Le Catéchisme de l’Église Catholique l’affirme
succinctement : « Par sa mort, le Christ nous libère du
péché ; par sa Résurrection, Il nous ouvre l’accès à une
nouvelle vie. Celle-ci est d’abord la justification qui nous
remet dans la grâce de Dieu “afin que, comme le Christ est
ressuscité des morts, nous vivions nous aussi dans une vie
nouvelle. (Rm 6, 4)” Elle consiste en la victoire sur la mort
du péché et dans la nouvelle participation à la grâce. Elle
accomplit l’adoption filiale car les hommes deviennent
frères du Christ. »5
5
CCE, 654.

30

Scotthahn.indb 30 08/06/2010 10:30:18


La filiation divine était le don que Dieu projetait pour Adam
et Ève au commencement de la création. Dieu fit le premier
couple « à sa propre image » et à sa « ressemblance » (Gn 1,
26-27 et aussi Gn 5, 1). La seule autre fois où la Bible utilise
ce mot, c’est pour décrire la paternité humaine, quand Adam
engendre Seth (Gn 5, 3). Bien sûr, au moment de la création
de l’homme, « Dieu souffla dans ses narines le souffle de vie,
et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 7). Il ne s’agissait
pas seulement de la vie biologique, ni non plus de la simple
respiration animale, mais de la vie divine. Dieu souffla son
haleine de vie – son ruah, son Esprit6 – en Adam, et en aucun
autre animal. Au début, Dieu donna à l’homme et à la femme
de partager sa vie, de vivre dans l’intimité avec Lui. Adam
et Ève, cependant, choisirent « d’être comme Dieu » (Gn 3,
5), non pas selon le plan de Dieu mais par eux-mêmes. Leur
péché originel était alors un rejet de la filiation divine. Et Dieu
respecta leur choix.
Le salut de Jésus consistait à restaurer la dignité originelle
de l’humanité, en accomplissant l’intention originelle de Dieu
pour la Création. « Bien aimés, maintenant nous sommes
enfants de Dieu. » Rien n’était plus important pour les
premiers chrétiens, ni pour cet homme dans le tramway en
1931. Saint Paul disait aux Galates : « Et parce que vous êtes
fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs pour
crier :‘Abba ! Père’ » (Ga 4,6).

6
En hébreu, comme en grec et en d’autres langues anciennes, le même mot
signifie « esprit », « élan » et « vent ».

31

Scotthahn.indb 31 08/06/2010 10:30:18


Une doctrine oubliée ?

Tout cela est classique dans le christianisme. Et pourtant,


aucun historien chrétien ne peut nier que, dans les siècles
récents, la filiation divine a été reléguée au second plan. Parler
de « divinisation » ou de « déification » – ce qui était monnaie
courante chez les Pères de l’Église – est tombé dans une telle
désuétude que le Cardinal Schönborn écrivit un essai en 1988
pour prendre la défense de cette doctrine7. Il y énumérait les
nombreux motifs historiques qui avaient amené les chrétiens
à oublier leur filiation. Je voudrais en ajouter un à la liste, fruit
d’une constatation que je fis lors de mes premiers contacts
avec l’Église catholique.
Je crois que la référence à la filiation divine a été oubliée
du fait de la place occupée par les débats qui suivirent
la Réforme, sur les relations entre la foi, les œuvres et la
justification. Pendant quatre siècles, les théologiens, aussi
bien catholiques que protestants, se sont tellement focalisés
sur ces controverses qu’ils en ont perdu de vue l’élément
central de la vie chrétienne. Les réformateurs contestaient
certains dogmes de l’Église et, pour répondre, l’Église
concentra son attention sur ces dogmes contestés. Les auteurs
catholiques de la Contre-Réforme se sentirent en effet obligés
d’insister particulièrement sur les points que les protestants
reniaient. C’était nécessaire pour remédier à la crise. Mais
la conséquence fut de produire une théologie légèrement
décentrée, voire déformée.
7
Christoph Schönborn, La vie éternelle, Mame, 1992.

32

Scotthahn.indb 32 08/06/2010 10:30:18


Ce qui me plaisait le plus dans la Réforme protestante,
c’était la place donnée à l’Alliance, une réalité dominante
à travers toute la Bible qui est elle-même divisée entre
l’Ancienne « Alliance » et la Nouvelle « Alliance ».
Jean Calvin en particulier vit en l’Alliance la clé pour
comprendre notre justification, notre sanctification et notre
salut. Pour Calvin, cependant, le mot « alliance » avait un
peu le sens d’un contrat et, par conséquent, ses héritiers
spirituels eurent tendance à parler de la religion chrétienne
en termes juridiques – de droits et de devoirs – et en termes
d’échange.
En revanche, la recherche moderne sur l’Alliance me fit
voir quelque chose de complètement différent. Une alliance,
dans l’Antiquité, était plus qu’un contrat. C’était le moyen
par lequel deux parties non liées nouaient un lien familial.
Le mariage était une alliance ; l’adoption était une alliance.
Aussi, par son Alliance, Dieu ne posait pas seulement une
loi, Il fondait une famille. La conséquence inévitable de cette
Alliance était la filiation divine. Imaginez ma joie lorsque,
étant encore protestant, je découvris les enseignements
de saint Josémaria. Il y avait une homme qui parlait de
rédemption en termes essentiellement familiaux, et familiers
en même temps : de Dieu comme d’un père, de l’Église
comme d’une famille, de Marie comme de la mère de tous
les croyants, de la race humaine comme d’un ensemble de
frères et de sœurs, et de tous les baptisés, bien sûr, comme
autant d’enfants de Dieu. « L’œuvre de notre Rédemption
s’est accomplie. Nous sommes de nouveau enfants de Dieu,

33

Scotthahn.indb 33 08/06/2010 10:30:18


car Jésus est mort pour nous et sa mort nous a rachetés.
Empti enim pretio magno ! (1 Co, 6, 20), toi et moi avons
été rachetés à grand prix !8 »
Pour moi, l’Opus Dei représenta une réintégration de
l’expérience chrétienne, une récupération de l’ancienne unité
qui avait, en quelque sorte, été perdue au milieu des bruyants
combats de l’histoire récente. Je n’avais connu personne dans
le monde protestant qui parlât avec la fraîcheur évangélique
que je rencontrais chez les membres, laïcs ou prêtres, de
l’Opus Dei.
Lorsque je lis les écrits de saint Josémaria, j’ai l’impression
qu’il s’adresse à moi. «  N’as-tu pas compris qu’il te fallait
être une âme de prière, grâce à un dialogue avec Dieu qui
finit par t’assimiler à Lui ? Voilà la foi chrétienne telle que
les âmes de prière l’ont toujours comprise: Telle est la foi
chrétienne qui a toujours été comprise ainsi par les âmes de
prière. » Et comme pour prouver le « toujours », il cite saint
Clément d’Alexandrie qui écrivit en l’an 203 : « Devient
Dieu, celui qui veut les mêmes choses que Dieu9. »

8
Chemin de Croix, XIVe station.
9
Quand le Christ passe, 8. Clément d’Alexandrie, Paedagogus, 3115 (PG
8, 556).

34

Scotthahn.indb 34 08/06/2010 10:30:18


III. L’Éthique catholique du travail

Continue à remplir exactement tes obligations


présentes. – Ce travail, humble, monotone,
minime, est une prière condensée en actions et
te dispose à la grâce de l’autre tâche, grande,
large et profonde dont tu rêves.
Chemin, 825

Quelquefois les annonces publicitaires nous donnent un


aperçu très précis – et très affligeant– de la religion populaire.
J’ai vu une fois dans un magazine une publicité qui disait :
« Si le péché originel était la paresse, nous serions toujours
au paradis. »
Son auteur voulait faire un trait d’humour, bien entendu.
Mais il touchait là une corde sensible : la notion commune selon
laquelle la vie idéale nous donnerait des loisirs ininterrompus
et que le travail est aux vacances ce que cette vie est au ciel.
Comme dans les paroles d’une chanson populaire : « Tout le
monde travaille pour le week-end. »
L’autre facette de cette idée reçue est plus insidieuse, c’est
l’erreur partagée par beaucoup de gens : croire que le travail est
le châtiment du péché. Les tenants de cette théorie invoquent
la condamnation d’Adam par Dieu après son péché : « Maudit
soit le sol à cause de toi ! à force de peine tu en tireras ta

35

Scotthahn.indb 35 08/06/2010 10:30:18


subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines
et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. à la sueur de
ton visage tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes au
sol. » (Gn 3, 17-19)
Ce passage, à première vue, propose une sombre perspective
de la condition de l’homme au travail. Il présente le travail
comme le châtiment du péché. Cependant, le châtiment n’est
pas le travail lui-même mais le caractère pénible du travail qui
peut-être le rend ennuyeux, frustrant ou difficile.
Le travail était, à l’origine, l’un des bienfaits de Dieu.
Saint Josémaria aimait faire remarquer que « dès le début
de la Création, l’homme a dû travailler. […] Avant même
que le péché ne fasse son apparition dans l’humanité et, en
conséquence de cette offense, la mort, les souffrances et les
misères (cf. Rm 5, 12) , on peut y lire que Dieu fit Adam avec
la glaise du sol et créa, pour lui et pour sa descendance, ce
monde si beau ut operaretur et custodiret illum (Gn 2, 15),
pour qu’il le travaillât et en fût le gardien.1 »
Dieu a fait Adam parce qu’« il n’y avait pas d’homme
pour cultiver le sol » (Gn 2, 5). C’était une proposition
d’emploi, une description de poste, un travail à faire. Dieu
Lui-même créa le candidat parfait pour le poste. Souvenez
vous en, cela se passa à une époque où le monde ignorait le
péché et la tristesse. Dieu créa l’homme et la femme pour
qu’ils travaillent ; sinon, pour eux comme pour nous, nos vies
ne pourraient se réaliser complètement.
Plus encore : Dieu créa l’homme et la femme pour l’amour
1
Amis de Dieu, 57.

36

Scotthahn.indb 36 08/06/2010 10:30:18


du travail, et le travail pour l’amour de l’homme et de la femme
car seul le travail leur permet vraiment de devenir image de
Dieu. Ce n’est pas par la force de leurs œuvres qu’ils acquièrent
la grâce de la divinisation – la grâce est un don que l’on ne
peut pas mériter – mais parce que le travail est un don qui rend
l’homme et la femme toujours plus semblables à Dieu.
En effet, la Genèse décrit Dieu Lui-même au travail quand
Il créa le monde : « Au septième jour Dieu avait terminé tout
l’ouvrage qu’Il avait fait et… Il se reposa, après tout l’ouvrage
qu’Il avait fait » (Gn 2, 2). Ainsi, le travail a en lui un caractère
divin : Dieu Lui-même le pratique. C’est donc une activité
noble et même divine pour ceux qui sont créés à l’image et
à la ressemblance de Dieu. Quand les hommes travaillent, ils
imitent leur créateur ; ils partagent sa vie. Car Il a fait la terre
à partir du néant, mais Il a voulu qu’une créature la cultive et
la garde. Il a voulu que ses enfants de la terre entretiennent
le domaine familial pour grandir et vivre plus parfaitement à
l’image de leur Père du ciel. Il a voulu que le travail lui-même
soit un acte de coopération à la création, une co-création, par
le Père et ses héritiers.

Modalités et conditions

Dieu donna le travail à l’humanité quand Il donna la vie


à Adam, dans un état de pure innocence. La Genèse raconte
l’histoire avec la plus grande concision, chaque mot compte.
Nous devrions prendre un moment pour examiner les
modalités du travail que Dieu nous a donné.

37

Scotthahn.indb 37 08/06/2010 10:30:18


L’ordre de Dieu à Adam « de cultiver (le jardin) et de le
garder » emploie deux verbes hébreux, ‘aboda’  et  ‘shama’.
Deux mots riches, tous deux porteurs d’un double sens. Ils
apparaissent ailleurs dans la Bible ; dans chaque cas pour
décrire les devoirs ministériels des Lévites, la tribu des
prêtres de l’ancien Israël (cf. Nb 3, 7-8 ; 8, 26 ; 18, 5-6). Le
verbe ’aboda’, souvent traduit par « servir », a en hébreu
deux significations : le travail manuel ou bien le ministère
sacerdotal, il peut encore suggérer les deux à la fois. Le
verbe  ‘shamar’  se traduit par « protéger » ou par « garder » et
décrit la protection par les Lévites du lieu saint, le tabernacle,
qu’ils gardent et protègent de la profanation.
Pour beaucoup de spécialistes de l’Écriture, l’auteur du
Livre de la Genèse entendait suggérer tout cela dans le récit
de la création d’Adam. Dieu créa Adam pour qu’il travaille
et Il l’institua prêtre dans le temple cosmique. Ce n’étaient
pas des activités séparées. Au commencement Adam a joui de
l’unité de vie ; son travail était ordonné à l’adoration, il était
en lui-même un acte d’adoration. à elle seule, la division du
temps reflétait ce principe d’ordre. Dieu Lui-même travailla
six jours afin de sanctifier le septième en le rendant saint. Dieu
instaura le rythme du sabbat dans la structure de la création.
Par notre travail, nous pourrions ainsi adorer avec plus de
perfection : adorer en travaillant. Quand les premiers chrétiens
cherchèrent un mot pour décrire leur manière d’adorer, ils
choisirent leitourgia, mot qui, comme l’hébreu aboda, pouvait
désigner aussi bien l’adoration rituelle qu’un  «service
public », comme balayer les rues ou allumer les réverbères

38

Scotthahn.indb 38 08/06/2010 10:30:18


le soir. Cette signification est évidente pour qui connait les
langues bibliques, que la tradition liturgique catholique lui
soit familière ou pas. Ainsi, C. F. D. Moule, un protestant
britannique spécialiste de la Bible écrit:
« Mais la manière surprenante avec laquelle on emploie
un terme – qu’on pourrait qualifier de courant – comme
leitourgein (rendre un service public) pour le « service divin »,
est un rappel salutaire, à toute personne vraiment religieuse,
de la finalité primordiale du travail. Si l’adoration et le travail
sont distincts, c’est uniquement en raison de la faiblesse de la
nature humaine qui ne peut faire qu’une seule chose à la fois.
La nécessaire alternance entre le fait de lever saintement les
mains dans la prière et celui de manier la hache à la force de
mains dédiées à la gloire de Dieu, est la manière humaine de
mener une seule et même vie divine dans laquelle le travail est
adoration et l’adoration est le sommet de l’activité. Le seul mot
« liturgie » dans le Nouveau Testament, ou aboda, « travail »
ou « service » dans l’Ancien, réunit ces deux réalités.2 »
Une fois encore, nous voyons que le travail est l’image en
ce monde de l’activité de Dieu et qu’ainsi, le travailleur est
image (et ressemblance) de Dieu. Comme Dieu est éternel,
son activité est simple et unifiée. Comme nous vivons dans
le temps, notre activité est différenciée et, trop souvent,
diffuse. Mais, en partageant la vie de Dieu, nos propres vies
commencent à acquérir la simplicité, à unir le travail et la
prière.
2
C. F. D. Moule, The Birth of the New testament. Harper&Row. San
Francisco, 1981, 43.

39

Scotthahn.indb 39 08/06/2010 10:30:18


Pourtant cette simplicité échappe souvent aux chrétiens
modernes : ils tendent à mettre le travail et la prière dans des
compartiments hermétiquement séparés. Saint Josémaria a
souvent prévenu ses auditeurs contre « la tentation […] de
mener une espèce de double vie : d’un côté la vie intérieure,
la vie de relation avec Dieu; de l’autre, une vie distincte et
à part, la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de
petites réalités terrestres. » Contre cette attitude il avait des
mots forts : « Non, mes enfants ! non, il ne peut y avoir de
double vie, nous ne pouvons être pareils aux schizophrènes
si nous voulons être chrétiens ; il n’y a qu’une seule vie, faite
de chair et d’esprit et c’est cette vie-là qui doit être — corps
et âme — sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous
le découvrons dans les choses les plus visibles et les plus
matérielles.3 »
Saint Josémaria allait jusqu’à présenter cette vie unifiée
comme la restauration des premiers temps de la Genèse :
« Voilà pourquoi je puis vous dire que notre époque a besoin
qu’on restitue, à la matière et aux situations qui semblent les
plus banales, leur sens noble et originel, qu’on les mette au
service du Royaume de Dieu.4 »

Le Verbe au Travail

Dans ce travail de restauration, Jésus-Christ fut, bien


entendu, le premier au travail. Il travailla, très simplement.

3
Entretiens avec Mgr Escriva, 114.
4
Ibidem.

40

Scotthahn.indb 40 08/06/2010 10:30:19


Ses contemporains le tenaient pour un ouvrier habile, en grec
un tekton, un charpentier. La Tradition rapporte qu’Il était
charpentier de métier. Les voisins de Jésus s’émerveillaient
qu’un simple ouvrier puisse étudier l’Écriture, devenir sage et
enseigner avec autorité comme Il le faisait. « N’est-il pas le
charpentier ? » disaient-ils (Mc 6, 3). Ailleurs on disait aussi
qu’Il était le fils d’un artisan (Mt 13, 55).
Mais c’est de son Père du ciel qu’Il a dit : « Mon Père agit
toujours, et moi aussi j’agis » (Jn 5, 17). Jésus était toujours
au travail, et son travail ne faisait qu’un avec sa vie divine,
son adoration divine. Il était toujours en train de créer, de
racheter, de sanctifier le monde ; toujours, Il était uni au Père
dans l’amour du Saint-Esprit. Toutes les actions terrestres de
sa vie, même les plus discrètes, étaient des manifestations de
cette vie une, simple, éternelle, de cette activité céleste sereine
mais dynamique. Par conséquent, tout ce qu’Il fit participa à la
Rédemption, et non seulement ses souffrances et sa mort sur
la croix. Ses heures passées dans l’atelier de Joseph ont valeur
de rédemption et d’expiation. Il offrit son travail à Dieu et
tous ses travaux contribuèrent au salut du monde.
En tant que charpentier et chef de famille, Jésus a vécu
le sacerdoce commun institué par Dieu pour Adam, comme
pour chacun de nous. En cela, comme dans tout, Il est
notre modèle ; et plus encore. Dans le baptême et la sainte
Communion, Jésus s’unit à nous. Ainsi, non seulement nous
l’imitons mais nous participons de sa vie. Il travaille en nous
et nous travaillons en Lui. Nous offrons notre travail en une
offrande sacerdotale, un sacrifice rédempteur, pour l’amour de

41

Scotthahn.indb 41 08/06/2010 10:30:19


notre famille, de nos voisins, de nos collègues, de nos amis.
Ainsi avec le Christ nous créons le monde nouveau par nos
travaux et nos prières.
Cela n’a rien de chimérique : c’est le travail offert à Dieu
par la mère de famille qui prépare son gâteau, ou le courtier
en bourse qui présente son graphique, ou le professeur de
géométrie qui met la dernière main à la leçon pour ses élèves.
Tout ce qui est bien fait, et offert à Dieu, fait avancer
la cause de la Création divine et gagne la rédemption du
monde.

Sur la terre comme au ciel

C’est une question légitime : Si Jésus a restauré le dessein


originel du travail, pourquoi aujourd’hui encore nos travaux
portent-ils la marque du péché d’Adam ? Pourquoi doivent-ils
nous causer tant de sueur, de frustration, d’ennui, d’échecs ?
Pourquoi dois-je avoir mal au dos après chaque journée de
travail, quand retentit la sirène de l’usine ?
Remarquons que Jésus n’a pas exempté sa propre
vie terrestre de la souffrance. Ses travaux étaient aussi
pénibles que peuvent l’être les nôtres. De plus, Il a souffert
incompréhension, fausse accusation, jalousie des autres
maîtres de son temps puis, au calvaire, l’échec apparent.
Il est vrai de dire, comme le font les protestants
évangéliques, que le Christ a payé une dette qu’Il ne devait
pas, parce que nous avions une dette que nous ne pouvions
pas payer. Mais le Christ ne s’est pas simplement substitué à

42

Scotthahn.indb 42 08/06/2010 10:30:19


nous. Si cela avait été le cas, nous serions en droit de demander
pourquoi nous avons toujours à supporter le châtiment du
péché d’Adam, pourquoi notre travail doit être aussi dur ?
S’Il nous avait remplacé, le Christ n’aurait-il pas éliminé la
nécessité de notre souffrance ?
Et bien, non. Le Christ n’était pas notre substitut mais
notre représentant, et sa passion salvifique ne nous épargne
pas la souffrance mais l’enrichit par la puissance divine, lui
donnant une valeur rédemptrice. Saint Paul disait : « je trouve
la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce
qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis
dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église. » (Col
1, 24). Que peut-il manquer à la perfection des souffrances
du Christ ? Il ne manque que ce qu’il veut qu’il manque pour
pouvoir nous associer à la Rédemption et nous rendre ainsi
co-rédempteurs avec Lui.
Jésus n’a pas éradiqué la souffrance, mais nous a rendus
capables de souffrir comme Lui. Il a donné à notre souffrance
une puissance divine et une valeur rédemptrice. Voilà
pourquoi saint Paul pouvait « se réjouir » dans ses souffrances,
pour l’amour du Christ. La source profonde de l’esprit de
mortification joyeuse de saint Josémaria, qui fut souvent si
mal compris, se trouve bien dans l’Écriture : « Bénie soit la
douleur, écrivit-il. Aimée soit la douleur. Sanctifiée soit la
douleur….. glorifiée soit la douleur »5 ; et il ne dit pas là une
ineptie comme « la souffrance est bonne », mais à travers
la souffrance, nous pouvons accomplir un grand bien dans
5
Chemin, 208.

43

Scotthahn.indb 43 08/06/2010 10:30:19


nos vies que Dieu peut alors faire croître en sainteté. Par la
souffrance nous pouvons nous conformer davantage au Christ
souffrant.
Oui, dur est notre travail, mais inégalables sont ses
bienfaits, car c’est Dieu tout puissant qui les dispense. Nous
pouvons les offrir non seulement pour nos proches mais aussi
pour tous ceux que nous rencontrons, pour le monde entier,
les vivants et les morts, pour le repos éternel de nos aïeux et la
persévérance dans la foi chrétienne de nos descendants. Nous
pouvons vivre aussi dans la joyeuse espérance qu’à leur tour ils
prieront et offriront leur travail pour nous. Quel programme!
Le Credo l’appelle « la communion des saints ».

Béni par le succès ?

Quand j’étais pasteur presbytérien, j’étais fier de ce que


les sociologues appelaient « l’éthique protestante du travail ».
Le sociologue Max Weber trouva cette expression pour
décrire une attitude qu’il avait remarquée chez les calvinistes :
ils travaillaient dur et recherchaient toujours l’excellence
professionnelle, sans penser pour autant gagner ainsi un ticket
pour le Ciel. Ils croyaient plutôt à la prédestination au ciel ou
à l’enfer de chacun sur la terre, et que la réussite en cette vie
pouvait être un signe providentiel de la faveur de Dieu, de
l’élection, d’un destin au ciel. Pour Weber, en partie avec raison,
cette éthique était le moteur de la dynamique capitaliste.
Pourtant l’éthique protestante du travail n’était pas un
dogme chrétien mais un phénomène sociologique, d’une

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Scotthahn.indb 44 08/06/2010 10:30:19


portée certes majeure. Ce que nous avons lu dans le Livre de
la Genèse surpasse toute tendance culturelle et n’est pas une
éthique du travail. C’est plutôt une véritable « théologie du
travail », une métaphysique du travail. Ce n’est pas juste une
attitude de foi commune à quelques croyants mais une vérité
tissée dans l’étoffe de la Création.
En outre, elle ne dépend pas du succès temporel. Comme
le disait souvent la bienheureuse Mère Teresa : « Dieu ne nous
demande pas la réussite, juste la fidélité. »
La fidélité, c’est de toujours tenter de faire de notre mieux.
Cela ne nous garantit pas une augmentation, une promotion,
ou une élection. Nous pourrons toujours être renvoyés,
dégradés, ou avoir un accident du travail. Pourtant la théologie
du travail a une puissance de motivation bien plus grande
qu’une simple éthique du travail, en affirmant avec audace
que notre travail peut nous emmener au Ciel – et aussi sauver
beaucoup d’autres âmes – parce que ce n’est pas notre travail
mais celui de Dieu : opus Dei. Qu’il soit, pour le monde, un
succès ou un échec est secondaire ; glorifier Dieu est le seul
succès que nous voulons. L’important, c’est de travailler avec
les mains de Dieu et l’esprit du Christ (1 Co 2, 16). Sainte
Thérèse d’Avila parlait de l’admirable dignité que le Christ
nous a donnée en faisant de nous ses collaborateurs : « Jésus-
Christ n’a maintenant plus d’autre corps que les vôtres,
plus d’autres mains, plus d’autres pieds sur la terre que les
vôtres. C’est à travers vos yeux qu’Il considère avec compassion
ce monde, c’est avec vos pieds, qu’Il marche pour faire le bien,
c’est avec vos mains, qu’Il bénit le monde entier. »

45

Scotthahn.indb 45 08/06/2010 10:30:19


Jésus fut fidèle jusqu’à la fin, c’est cela précisément qui
constitue sa réussite. Il a accompli la volonté de son Père
et sauvé le monde avec son sang, signe de « sa défaite ». Il
continue à réaliser les merveilles de la Rédemption à travers
ses frères et sœurs, dans nos succès et dans nos échecs, dans
tout le travail que nous offrons avec Lui à Dieu notre Père.
Cela va sans dire : nous devons toujours donner le meilleur
de nous-mêmes, car rien d’autre n’est digne d’être offert à
Dieu sur l’autel. Lisez les prophètes de l’Ancien Testament et
apprenez ce qui arriva quand les prêtres du Temple devinrent
paresseux ou avides et se mirent à offrir à Dieu des animaux
estropiés ou sans beauté. Ils voulurent garder les meilleurs
pour eux. Nous pouvons faire de même, avec notre temps,
notre attention, nos efforts. Un tel égoïsme amena Israël au
désastre ; il peut en aller de même pour nous. Si notre travail
est acte d’adoration, il faut qu’il soit bon.
Un dernier mot : Jésus nous a appris, par la parole et par
l’exemple, à travailler dur, mais non pas à idolâtrer le travail,
ni l’argent que nous pouvons gagner ainsi. Quand Dieu créa
le monde, Il divisa le temps pour que nous n’oubliions jamais
la raison de notre travail. Il travailla six jours pour sanctifier
le septième. Nous devons, nous aussi, garder saint le jour du
Seigneur. Nos six jours de travail sont contrebalancés par un
jour d’adoration plus pure.
Dieu nous a faits pour ce repos du sabbat ; nos corps et
notre travail manifestent son dessein intelligent. Il est humain
d’aspirer au repos du sabbat. Il est humain d’avoir besoin du
sabbat. L’armée américaine en fit l’expérience dans les années

46

Scotthahn.indb 46 08/06/2010 10:30:19


1940. Pour atteindre des quotas de production ambitieux, le
gouvernement demanda aux usines de munitions de passer
la semaine de travail à sept jours, vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. La plupart d’entre elles s’y conformèrent, mais
quelques-unes refusèrent. On constata avec intérêt que les
seules usines qui réalisèrent leurs quotas furent celles qui
fermaient le dimanche. Leurs ouvriers étaient plus reposés,
donc plus productifs et il y avait moins d’accidents du travail.
Comme Jésus le fit remarquer, le sabbat a été institué pour
l’homme (Mc 2, 27) et répond à un besoin du corps, de l’esprit
et de l’âme. Dans ce sens l’homme a aussi été fait pour le
sabbat.
Quelques années après être devenu catholique, et quelques
années après avoir rejoint l’Opus Dei, j’ai eu la joie de
participer à la Messe de béatification de Josémaria Escriva.
J’ai tressailli en entendant la première lecture choisie par
l’Église pour cette Messe. Elle était tirée du Livre de la
Genèse : «  Le Seigneur Dieu prit l’homme et le mit dans le
jardin d’Éden pour qu’il le cultive et le garde » (Gn 2, 15).

47

Scotthahn.indb 47 08/06/2010 10:30:19


IV. L’Œuvre et l’Église

Quelle joie de pouvoir dire du tréfonds de


mon âme : j’aime ma mère, la sainte Église.
Chemin, 518

Lorsque les réalisateurs de films ou les éditeurs de journaux


veulent représenter l’Église, ils utilisent une image aisément
identifiable par chacun : des vitraux réfractant les rayons du
soleil dans une explosion de couleurs… les flèches d’une
église gothique ou le dôme d’une basilique… un évêque revêtu
d’ornements, coiffé d’une mitre et tenant une crosse à la main.
Pour des millions de personnes ces images représentent la
mission, le but et la personnalité de l’Église.
Mais, à travers ses écrits les plus classiques, l’Église se
présente elle-même de façon très différente : une barque, une
vigne, un filet de pêcheur, le sol où battre le blé, les transactions
commerciales – et le plus souvent un foyer familial.
Mis à part le côté populaire de ces identifications, elles
en constituent les symboles les plus exacts. Le royaume de
Dieu s’étend à toute la création et sur terre nous appelons
ce royaume, l’Église. Cependant, de même qu’un royaume
terrestre ne se limite pas à ses palais, le royaume de Dieu ne
se limite pas aux sanctuaires de l’Église.

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Scotthahn.indb 48 08/06/2010 10:30:19


« C’est une vérité, dit saint Josémaria, aussi ancienne que
l’évangile et pourtant toujours nouvelle. » L’Évangile nous
dit que l’Église est le royaume de Dieu. L’Évangile nous
dit que l’Église est le Corps du Christ, composé de tous ses
membres. Et cela ne nous permet pas de réduire l’Église à ses
cérémonies et ses édifices particuliers.
La plupart des membres de l’Église passent l’essentiel de
leur temps non pas à l’église mais au travail ou à la maison.
C’est là qu’ils expriment leur foi, qu’ils offrent leur témoignage
de chrétiens, c’est là qu’ils vivent leur vie de chrétiens. Ce
n’est pas avec une heure de présence à l’église par semaine,
voire sept heures, que nous forgeons notre identité de chrétien.
Et de même notre « compétence religieuse » ne se limite pas
au temps que nous passons en dévotion. Notre identification
au Christ est permanente ; notre communion avec le Christ est
aussi constante que l’état de grâce de nos âmes. Vous et moi
sommes l’Église ; c’est notre identité et nous sommes l’Église
non seulement lorsque nous sommes à l’église, mais toujours
et partout.

Qu’y a-t-il de spécial ?

Si cette idée est tout simplement le fondement de


l’Évangile, d’un christianisme classique, alors il est logique
de se demander pourquoi elle est si importante pour notre
discussion sur la particularité de l’esprit de l’Opus Dei. La
réponse est, en partie, dans le fait que « le travail ordinaire » a
une place primordiale dans l’Opus Dei. Faisons une analogie

49

Scotthahn.indb 49 08/06/2010 10:30:19


avec d’autres spiritualités. Tout chrétien est appelé à cultiver
l’esprit de pauvreté, mais Dieu n’en appelle qu’un petit
nombre à renoncer à toute possession. De la même façon,
Dieu nous veut tous chastes et purs, réservant l’acte sexuel
comme sainte expression de l’amour dans le mariage. Mais
Il en appelle quelques-uns à vivre dans le célibat, renonçant
ainsi à l’amour dans le mariage pour la gloire du royaume.
Et quant à la sainteté dans le travail ordinaire, un théologien
affirme : « on comprend, dit-il, qu’il puisse y avoir des
personnes qui en donnent l’exemple et se consacrent à cette
mission1».
En reprenant les propos de saint Josémaria, l’Opus Dei
porte témoignage que « là où il y a un chrétien qui s’efforce
de vivre au nom du Christ, là est présente l’Église2 ». Le
fondateur n’était pas d’accord avec les chrétiens qui disaient
que l’Église devait pénétrer les milieux professionnels.
Cette pénétration n’est pas nécessaire car l’Église est déjà
présente, à travers les catholiques qui travaillent là où ils se
trouvent. Il déclara dans une interview : « J’espère qu’un
jour viendra où la formule : les catholiques pénètrent dans
les milieux sociaux, cessera d’avoir cours et que tout le
monde s’apercevra que c’est là une expression cléricale. En
tout cas, elle ne s’applique en rien à l’apostolat de l’Opus
Dei. Les membres de l’Œuvre n’ont nul besoin de pénétrer
dans les structures temporelles, pour la simple raison qu’ils
y sont déjà.3 »
1.
L’Opus Dei dans l’Eglise, p. 25.
2
Entretiens, 112.
3
Entretiens, 66

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Scotthahn.indb 50 08/06/2010 10:30:19


En paraphrasant la bande dessinée Pogo4 : « où que vous
alliez, vous y êtes » – on peut dire que c’est cela l’Église
catholique. Aucun catholique n’a besoin d’ordre de mission
du Vatican pour accomplir son travail quotidien. L’humanité
a reçu sa mission, avec ses caractéristiques génétiques, au
moment de la Création et son mandat a été renouvelé : prendre
le modèle de vie du Messie travailleur et de ses apôtres. Saint
Paul avait conscience que son propre travail de fabricant
de tentes venait à l’appui de sa prédication et renforçait sa
crédibilité de chrétien ; il pressait ses auditeurs d’en tenir
compte et d’exercer eux aussi un travail honnête.

Une ‘petite partie’ qui a du chemin à parcourir

Ainsi, l’Opus Dei n’invente rien de nouveau mais met


plutôt en valeur certains éléments du patrimoine commun de
l’Église et des chrétiens : par exemple, le travail ordinaire et
un amour passionné du monde.
Lorsqu’on lui demanda en 1958 — des années avant que
l’Opus Dei ait reçu sa forme institutionnelle — de décrire
l’Opus Dei, saint Josémaria répondit simplement : « Une
petite partie de l’Église.»
Plusieurs aspects pourraient laisser penser que l’Opus
Dei ressemble à une église particulière. à première vue,
on pourrait effectivement le croire. Il y a des prêtres, des
membres laïcs et un prélat qui oriente la formation spirituelle.

4
NdE. Pogo est le héros d’une bande dessinée publiée quotidiennement
dans la presse américaine entre 1948 et 1975. Satire sociale.

51

Scotthahn.indb 51 08/06/2010 10:30:19


Mais l’Œuvre n’est pas une église dans l’Église, car ses
membres doivent obéir à leur évêque et au pape, exactement
comme tout autre fidèle catholique doit le faire. L’autorité
de l’Opus Dei ne s’applique qu’à la formation spirituelle de
ses membres.
Mais cette similitude est instructive. Le théologien Pedro
Rodriguez affirme que la structure de l’Opus Dei est le reflet
de la constitution initiale, originelle de l’Église : « La raison
de la structure de l’Église, telle qu’elle naît de la Révélation
divine est la suivante : en s’adonnant à leur ministère, les
titulaires du sacerdoce ministériel servent leurs frères, les
fidèles, pour que ceux-ci, mettant leur sacerdoce existentiel
en œuvre, puissent servir Dieu et le monde 5 ».
Cette vision hiérarchique nous renvoie au temps des Pères
de l’Église. Aux alentours du Ve siècle, Denys l’Aréopagite
inventa le terme hierarchia, un mot composé signifiant
« règle sacrée ». En utilisant ce mot, de même que les Pères
de l’église après lui, il fait référence non à une relation de
type supérieurs - subordonnés, mais à un ordre dans lequel le
haut est au service du bas. C’est vrai au ciel comme sur terre.
Parmi les anges, le chœur le plus élevé porte la responsabilité
de servir ceux d’un ordre inférieur. Sur terre, les évêques
doivent se mettre au service du clergé et le clergé, à son
tour, doit servir les fidèles. Au sommet de cette pyramide du
service, le pape se présente lui-même comme « le serviteur
des serviteurs de Dieu ».
Ainsi, le fondateur de l’Opus Dei, bien que prêtre, n’a jamais
5
L’Opus Dei dans l’église, p. 52.

52

Scotthahn.indb 52 08/06/2010 10:30:19


cherché à rassembler le pouvoir dans les mains du clergé. En
fait, il voulait que les laïcs catholiques prennent conscience de
leur propre dignité et assument les responsabilités découlant
de leur baptême. En 1932, il écrivait : « Il faut repousser
le préjugé suivant lequel les fidèles ordinaires ne peuvent
rien faire d’autre qu’aider le clergé, dans des apostolats
ecclésiastiques. Il n’y a aucune raison pour que l’apostolat
des laïcs soit toujours une simple participation à l’apostolat
hiérarchique : le devoir leur incombe de faire, eux aussi, de
l’apostolat. Et cela, non en vertu d’une mission canonique
reçue, mais parce qu’ils font partie de l’Église ; cette
mission … ils la remplissent dans leur profession, leur métier,
leur famille, parmi leurs collègues, leurs amis6. »

Les erreurs cléricales

Avec humour, saint Josémaria décrivait son approche


comme « un saint anticléricalisme » qui n’avait rien à
voir avec le mauvais anticléricalisme qui régnait dans son
Espagne natale des années 30 et qui conduisit à la persécution
des prêtres. Dans l’Opus Dei, il encourageait une étroite
coopération entre prêtres et laïcs, fidèles d’une seule Église,
avec des rôles distincts mais complémentaires au sein du
Peuple de Dieu7.
6
Entretiens avec Mgr Escriva, 21.
7
La distinction entre le sacerdoce ministériel et celui de tous les fidèles
laïcs n’est pas seulement fonctionnel, mais il traduit une manière différente
de participer au sacerdoce de Jésus-Christ. Ce n’est pas seulement une
question de degré mais d’essence. (cf. Lumen gentium, 10).

53

Scotthahn.indb 53 08/06/2010 10:30:19


Cette idée semblait révolutionnaire à une époque où
le clergé était perçu comme l’aristocratie de l’Église et la
classe dirigeante, mais en fait ce n’était pourtant pas une
idée nouvelle. C’était plutôt la redécouverte d’une réalité très
ancienne dans la Chrétienté. Le journaliste John L. Allen a
noté : «  Le fait que des prêtres et des laïcs, des hommes et
des femmes, tous membres d’une même structure organique,
partagent la même vocation et conduisent les mêmes tâches
apostoliques, ne fait pas partie de la tradition catholique, du
moins pas après les premiers siècles.8 »
Allen a raison. Il nous faut remonter aux tout premiers
siècles. La décision de l’empereur Constantin, en 313 après
JC, de « tolérer » le christianisme, mit fin à des siècles de
persécutions plus ou moins sévères et accorda de nombreux
avantages à l’Église. En 380, l’empereur Théodose fit un
pas de plus en imposant la pratique du christianisme dans
tout l’empire. Le clergé, auparavant honni et persécuté, était
dorénavant respecté, voire vénéré. Cette attitude toute nouvelle
fut, bien sûr, bien accueillie par le clergé et considérée comme
justifiée à l’égard de prêtres de Jésus-Christ.
Mais cette exaltation cléricale avait aussi un inconvénient.
En fait, l’empire vénérait tellement le clergé que, par
contraste, l’état laïc semblait insignifiant. Les historiens
parlent d’un fossé grandissant, à la fin du IVe siècle, entre
un corps d’élite de célibataires (le clergé et les moines) et
les assemblées passives de fidèles laïcs mariés. Même une
figure aussi insigne de l’Église que saint Jérôme ironise en
8
John Allen, L’Opus Dei, Stanké, 2006, Québec.

54

Scotthahn.indb 54 08/06/2010 10:30:20


déclarant qu’il approuvait le mariage, mais surtout parce que
c’était le terreau nécessaire pour avoir de futurs célibataires.
Ainsi il n’est pas surprenant que les chrétiens ordinaires
commencèrent à perdre de vue le caractère sacramentel
du mariage et leur vocation à sanctifier la vie de famille et
le travail ordinaire. Cette spiritualité à deux vitesses créa
une séparation artificielle entre le clergé et les laïcs et ainsi
entre l’Église et le monde. Et l’écart entre les deux ne fit que
grandir au fil des siècles.
En effet, à l’époque de la fondation de l’Opus Dei, le droit
canon de l’Église ne prévoyait pas de forme institutionnelle
qui permette une coopération étroite entre le clergé et les
laïcs. Les associations de prêtres étaient pour les prêtres
et les mouvements laïcs étaient pour les laïcs, et avant le
Concile Vatican II les deux ne pouvaient jamais se rencontrer
canoniquement.
C’est pourquoi saint Josémaria accepta un certain nombre
de formes juridiques temporaires, sûr qu’un jour, Dieu
ouvrirait une voie à l’Opus Dei dans l’Église, une voie qui
serait conforme aux inspirations (ou charismes) fondatrices
qu’il avait reçues. Il disait souvent qu’il avait dû « concéder
sans céder ». Plus tard, en 1944, il écrivit : « Il est évident que,
par notre vocation, par notre façon spécifique de nous sanctifier
et de réaliser notre travail apostolique, nous sommes un
phénomène pastoral nouveau dans la vie de l’Église, même si,
en même temps, nous sommes vieux comme l’Évangile.9 »
Pour paraphraser le poète Robert Frost, l’Opus Dei a trouvé
9
Cité par L’Opus Dei dans l’église, p. 16, note n. 3.

55

Scotthahn.indb 55 08/06/2010 10:30:20


« une méthode pour faire du neuf avec du vieux ». Il fallut
cependant attendre le Concile Vatican II pour trouver comment
incarner dans le droit le charisme de fondation de saint
Josémaria. En 1965, dans le décret du Concile sur le ministère
et la vie des prêtres (Presbyterorum ordinis, 10), l’Église
proposa une forme institutionnelle nouvelle, appelée ‘prélature
personnelle’. Ce cadre pourrait permettre à des clercs et des
laïcs de coopérer à des tâches apostoliques spécifiques. Le
terme « personnelle » est ce qui distingue une telle institution
des églises particulières. Une prélature personnelle exerce sa
juridiction, non pas sur un territoire géographique mais sur
certaines personnes, où qu’elles soient.
En 1982, Jean-Paul II érigea l’Opus Dei comme la première
prélature personnelle. (Aujourd’hui, elle est toujours la seule.)
Dans la constitution apostolique Ut Sit, le Pape Jean-Paul II
décrit l’Opus Dei comme « un corps apostolique composé
de prêtres et de laïcs, hommes et femmes, en même temps
organique et unitaire — unité d’esprit, de but, de gouvernement
et de formation spirituelle ».
Le théologien Rodriguez a écrit : « La richesse de l’Église,
en tant que lieu de la liberté dans le Christ, connaît de multiples
formes d’association et de communauté, des chemins divers
pour permettre à des chrétiens d’être en rapport les uns avec
les autres ». Et c’est tout à fait vrai. Une prélature personnelle
est complètement différente d’un ordre religieux, ou d’une
église particulière ou d’une association de laïcs. Mais toutes
ces formes juridiques reçoivent leur raison d’être de Dieu et
ont leur place spécifique dans l’Église.

56

Scotthahn.indb 56 08/06/2010 10:30:20


Une affaire de famille

Je suis théologien de formation, ce qui fait que je porte


un certain intérêt académique aux questions de forme
institutionnelle et de charisme fondateur. Mais je dois
reconnaître que j’ai rencontré peu de membres de l’Opus Dei
qui partageaient cet attrait. Pour la plupart de ses membres, la
vie dans l’Œuvre c’est la vie de famille. Et tout comme vous
n’avez pas besoin d’un diplôme en droit familial pour rendre
votre maison joyeuse, vous n’avez pas besoin d’être expert en
droit canon pour vivre votre vocation dans l’Église.
Rodriguez dépeint l’Opus Dei comme « une famille dans
la grande familia Dei de l’Église10 ». En fait, c’est comme cela
que j’ai perçu l’Opus Dei lors de mon premier contact. J’ai été
frappé, par exemple, que des membres célibataires – qu’on
appelle numéraires – vivent ensemble dans des centres où
l’on retrouve tout à fait une atmosphère familiale. Quand
ils s’adressent à leur prélat ils ne disent pas ‘Monseigneur’
mais ‘Père’, parce que c’est effectivement ce qu’il est dans
cette famille. Saint Josémaria faisait souvent référence à
l’Œuvre comme à la fois « une famille et une armée » et
cela m’a toujours rappelé l’Ancien Testament dans lequel le
Peuple de Dieu, le peuple d’Israël est à la fois une famille à
l’échelon national et une force militaire. Ce qui les unifiait
était l’Alliance, le décret divin qui établissait la parenté des
Israélites les uns avec les autres et avec Dieu.
Au fur et à mesure que je grandissais dans ma foi, je

10
Ibidem, p. 79.

57

Scotthahn.indb 57 08/06/2010 10:30:20


grandissais aussi dans la perception de mon appartenance à
am’Yahweh, à la famille de Dieu. Pourtant la nation ancienne
d’Israël se composait de nombreuses tribus et dans l’Église
d’aujourd’hui il y a toujours beaucoup de « tribus » – une
riche diversité de formes de vie chrétienne. Dans l’Israël
ancien, chaque tribu avait un rôle différent à jouer au sein
de la nation et du royaume. La vie de l’Église aujourd’hui
est quelque peu différente. à mes débuts dans la religion
catholique, je demandais souvent au Seigneur : « Quelle
est ma tribu ? »  Et sûrement comme réponse à ma prière,
Il m’a conduit non seulement vers l’Église catholique mais
vers l’Opus Dei. Il en conduit d’autres vers d’autres familles
dans la famille, d’autres tribus dans la nation, vers les places
qu’Il veut.

Rome Sweet Home

Lorsque nous nous efforçons de vivre notre foi, lorsque


nous nous efforçons de rendre notre travail saint, Dieu est
à nos côtés. Il est toujours là, jusqu’à la fin de nos jours et
jusqu’à la fin des temps. Nous servons mieux l’Église en
recherchant la perfection humaine dans notre travail et en
l’offrant à Dieu comme un saint sacrifice. Rappelez-vous
cela quand vous observez des photographies de tombes
des premiers chrétiens. Elles ne sont pas décorées avec
une croix mais avec une charrue, une vigne, une hache,
un bateau, un repas sur une table, bref, des choses de la
vie ordinaire. Ce ne sont pas les signes d’un quelconque

58

Scotthahn.indb 58 08/06/2010 10:30:20


sécularisme mais simplement de la vie dans le siècle.
Ces symboles indiquent au monde entier que le royaume
est arrivé, que les outils de toute activité accomplissent
l’œuvre de Dieu et donc aussi l’œuvre de l’Église.
Saint Josémaria a vécu au service de l’Église. Le soir
de son arrivée à Rome, en 1946, il passa toute la nuit en
prière, regardant au loin l’appartement du pape. Il ne pouvait
supporter la pensée de poser des actes contraires à la mission
de l’Église. « La seule ambition, le seul désir de l’Opus Dei
et de ses filles et de ses fils, affirma-t-il à de nombreuses
reprises, est de servir l’Église comme elle veut être servie,
dans le cadre de notre vocation spécifique ». Il allait même
jusqu’à supplier Dieu : « Seigneur, si l’Opus Dei n’est pas ici
pour servir l’Église, détruis-le ».
Tous les papes depuis Pie XII ont reconnu dans l’Opus
Dei son esprit de fidélité et de service de l’Église. Les
papes Jean XXIII et Paul VI ont confié des responsabilités
importantes à saint Josémaria et à des fidèles de la prélature.
Juste avant son élection, le Pape Jean-Paul Ier rédigea un
hommage chaleureux et affectueux au fondateur de l’Œuvre,
un texte qui décrit sa place dans l’histoire comme peut être
aucun autre ne l’a fait avant lui. Le Pape Jean-Paul II a érigé
l’Opus Dei comme première prélature personnelle. Enfin
Benoît XVI, très tôt dans son pontificat, a ajouté une statue
de saint Josémaria à celles des grands saints sous les arcades
de la Basilique Saint-Pierre.
Josémaria aimait et servait l’Église et celle-ci le lui rendait
bien. Lorsqu’il mourut en 1975, plus du tiers des évêques du

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Scotthahn.indb 59 08/06/2010 10:30:20


monde entier demandèrent au Vatican d’ouvrir son procès de
canonisation.
Les membres de l’Œuvre s’efforcent, à l’image de saint
Josémaria, d’être de bons enfants de leur Mère, l’Église. Et
l’Opus Dei sert le mieux l’Église en respectant fidèlement son
charisme fondateur, en recherchant et promouvant la sainteté
dans les circonstances les plus ordinaires de la vie quotidienne,
éclairant les chemins de la terre par la foi et l’amour.
C’est une vocation spécifique dans l’Église, mais dans le
sillage de Vatican II elle concerne tout le peuple des fidèles
laïcs du Christ. Servir l’Église et servir le monde ce sont des
objectifs à peine contradictoires ; plus encore, il est difficile
de les séparer. Le premier prélat de l’Œuvre, Monseigneur
Alvaro del Portillo, a écrit : « Dans l’esprit du fondateur
de l’Opus Dei, l’amour pour le monde et pour l’Église ne
constituent pas deux choses distinctes ».
Et aujourd’hui, cela ne devrait être contradictoire dans le
cœur d’aucun catholique.

60

Scotthahn.indb 60 08/06/2010 10:30:20


V. Travail et oraison : le plan de vie

Quand tu auras de l’ordre, ton temps se


multipliera : tu pourras ainsi rendre davantage
gloire à Dieu, en travaillant plus à son service.
Chemin, 80

Il y a quelques années, alors que des chercheurs travaillaient


fiévreusement à établir la séquence du génome humain, un des
chefs du projet accepta d’interrompre brièvement son travail
pour répondre à une interview. Il avait obtenu le Prix Nobel dans
sa jeunesse et son temps était considéré comme très précieux,
non seulement par ses collègues mais aussi par son pays. Depuis
la découverte de la structure génétique de base de l’homme, les
nations développées étaient entrées en compétition pour être
la première à en déchiffrer le code. Les médias faisaient du
battage autour des possibles retombées d’une telle découverte :
éradication de nombreuses maladies mortelles, clonage de
souris et d’hommes, création de nouveaux types de récoltes
ou de nouvelles races de bétail, fabrication de nouveaux
membres ou organes, et la promesse la plus grande, mais la
plus insaisissable de toutes ces heures de labeur : l’immortalité.
Il est difficile d’imaginer des objectifs plus élevés que ceux-ci,
quand on les évalue à l’aune de standards purement terrestres.
Le Prix Nobel était tout excité, on peut le comprendre,

61

Scotthahn.indb 61 08/06/2010 10:30:20


en parlant avec le journaliste, du travail de son équipe de
chercheurs. « Tout arrive si vite, disait-il, que nous sommes en
permanence sous une pression telle que nous avons à peine le
temps de réfléchir. »
Mais à la réflexion cela fait froid dans le dos. Voilà une
équipe d’esprits brillants, consacrant toute leur vie à un
travail aux conséquences énormes et pleines d’ambiguïtés, et
ils n’ont pas le temps d’y réfléchir profondément.
Quel que soit notre travail, nos actes ont des conséquences et
le monde tourne en fonction de celles-ci. Lorsque j’étais en classe
de physique au lycée, j’ai appris la troisième loi de Newton, celle
qui dit que chaque force engendre une réaction équivalente de
sens opposé. Cette loi action-réaction est tout ce qu’il y a de
plus sérieux. Et aujourd’hui les physiciens nous affirment qu’un
changement dans le plan de vol des papillons au Honduras peut
avoir des conséquences sur la météo à New York ! Ainsi, nos
actes, même les plus naturels peuvent avoir des conséquences
démesurées. Même si vous et moi avons des activités beaucoup
plus modestes que ceux qui travaillent sur le génome humain,
nous devons réfléchir à ce que nous faisons. Même très concentrés
sur notre travail nous devons prendre le temps de nous arrêter et
de réfléchir. Nous devons faire l’effort d’être contemplatifs.

La résistance au repos

Aujourd’hui toute discussion sur l’éthique du travail doit


aborder le problème des « drogués du travail »1. Et Dieu sait

1
Workaholism en anglais.

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Scotthahn.indb 62 08/06/2010 10:30:20


que c’est un problème. Dès le début de la création, Il a posé
des garde-fous contre la tendance humaine à l’hyperactivité.
Lui-même s’est reposé le septième jour. Dans le Décalogue, Il
ordonne : « On travaillera six jours; mais le septième jour est le
sabbat, le jour du repos, consacré à l’Éternel. » (Ex 31,15) En
instituant le sabbat, le septième jour, Il s’assurait que l’adoration
serait l’aboutissement du travail et également que le travail
découlerait de cette adoration. L’éternité devenait un point fixe
de contemplation à l’aune duquel l’humanité pourrait mesurer
son travail accompli et ses projets futurs. Dieu nous ordonna de
toujours prendre le temps de nous arrêter et de méditer.
Mais nous sommes restés bloqués au sixième jour de
la création, incapables de prendre du recul sur notre vie,
incapables de prendre un repos correct. Nous avons succombé
au matérialisme de la bête marquée du signe répété du sixième
jour – 666 – revenant constamment au monde de la semaine
de travail, comme le personnage joué par l’acteur Bill Murray
dans le film Groundhog Day2.
Chaque année nous saluons l’invention de dizaines de
nouveaux appareils qui facilitent le travail. Pourtant ces
appareils – téléphone mobile, téléconférence, ordinateur
portable – peuvent avoir pour effet de prolonger la journée de
travail bien au-delà du temps normal, dans notre voiture, à la
maison, nous empêchant de nous consacrer pleinement à notre
famille, de voir le paysage ou de nous concentrer sur la route
devant nous.
2
Film américain qui a conservé son titre dans la version française.
Groundhog Day (Le jour de la marmotte) est une fête aux États-Unis et
Canada (2 février).

63

Scotthahn.indb 63 08/06/2010 10:30:20


Si nous ne respectons pas le commandement d’honorer le
jour du Seigneur – si nous ne prenons pas le temps de nous
arrêter et de réfléchir – nous perdons notre capacité à sentir la
présence de Dieu et ainsi nous somme incapables de L’adorer.
Mais l’homme est configuré pour l’adoration et nous devons
adorer quelque chose. Alors nous adorons notre travail et nous
considérons la véritable adoration comme la pire sorte de
travail : une pure corvée.
Mes amis européens sont parfois rapides à pointer du doigt
la barbarie de la société américaine, avec son nombre réduit
de jours de vacances. Mais les Européens sont à peine mieux
lotis : bien qu’ils bénéficient de congés pour les grandes fêtes,
ils remplissent à peine leurs églises. Ils en sont arrivés à vénérer
les loisirs autant que les Américains vénèrent le travail. C’est
un peu comme si on aimait une cérémonie de mariage pour le
temps ensoleillé et le bon repas.
Je répète que si on ne respecte pas le rythme que Dieu a mis
en place dans la création – l’ordre cosmique du travail suivi de
l’adoration – on se retrouve à mener une vie défigurée qui n’est
pas la vraie vie. L’attitude qui consiste à travailler dans l’attente
du week-end, dont je viens de parler, est maintenant devenue
l’objectif de toute une vie. Des conseillers en investissement
m’ont parlé d’un phénomène qu’ils rencontrent fréquemment :
des hommes qui travaillent comme des fous pour épargner
en vue d’une retraite confortable, tombent raides morts dès
qu’ils arrêtent de travailler. Pendant les longs après-midis des
dimanches, ils sont perdus et se sentent comme des poissons
hors du bocal.

64

Scotthahn.indb 64 08/06/2010 10:30:20


Le travail doit avoir une fin droite. Par le mot « fin » je ne veux
pas parler seulement de l’arrêt, bien que cela soit nécessaire. Je
veux surtout parler de la finalité qui doit être moralement juste,
une fin qui vaille que nous y mettions des moyens héroïques.
Mais cela, Dieu seul peut nous le procurer. Aussi sûr que nous
avons été créés pour travailler, nous avons, en fin de compte,
d’abord été créés pour adorer. Dans le Livre de la Genèse ce sont
les deux piliers sur lesquels s’appuie la création de l’homme.
Le travail doit conduire à l’oraison. Le travail doit découler de
l’oraison. Et le travail doit être imprégné par l’oraison.

La « travaillite »

Saint Josémaria qualifiait cette tendance à trop travailler


de maladie de l’esprit. C’était avant que l’expression
« drogué du travail» soit inventée. Saint Josémaria parlait,
lui de « travaillite » suggérant par-là la corruption d’une
chose bonne. Tout comme la crise d’appendicite est une
infection de l’appendice, la « travaillite » est la dégradation
du professionnalisme. Il conseillait : « mets tes activités
professionnelles à leur place : elles ne constituent que des
moyens pour parvenir à ta fin ; on ne peut jamais les considérer,
tant s’en faut, comme l’essentiel. Combien de « travaillites »
empêchent l’union à Dieu !3 ».
Sans prière, le travail est désordonné. Oraison et travail sont
tous deux nécessaires à l’homme et doivent être entretenus à
leurs justes proportions.
3
Sillon, 502.

65

Scotthahn.indb 65 08/06/2010 10:30:20


Évidemment, le risque est dans la surcompensation. Les
« drogués du travail », après un dur travail, pour se reposer,
souvent ne veulent plus rien faire du tout. Mais les loisirs,
lorsqu’ils sont vécus dans un esprit de prière et de contemplation,
ne sont certainement pas ne rien faire. Les loisirs sont une
activité en eux-mêmes, c’est faire quelque chose.
Saint Josémaria a écrit : « J’ai toujours compris le repos
comme un éloignement des contingences quotidiennes, jamais
comme des journées d’oisiveté. Se reposer c’est faire le plein :
amasser des forces, faire provision d’idéaux, de projets... En peu
de mots : changer d’occupation, pour revenir ensuite, avec un
nouvel entrain, aux occupations habituelles.4 »
La célébration active du Jour du Seigneur est ce qui fait
que le travail de tous les jours en vaut la peine. Le jour du
Seigneur fait rentrer l’épanouissement professionnel dans le
champ des possibilités.

Faire de tous les jours un petit dimanche

Les membres de l’Opus Dei suivent ce rythme


hebdomadaire dont nous venons de parler. Mais ils essaient
aussi de le construire dans leur vie de tous les jours. Saint
Josémaria conseillait de donner un sens de Jour du Seigneur
à chaque journée de la semaine. Il répétait souvent qu’il
voulait des laïcs « contemplatifs au milieu du monde ».
Pour y parvenir, il prônait de tirer profit d’une des structures
classiques de la spiritualité catholique : le plan de vie.

4
Sillon, 514.

66

Scotthahn.indb 66 08/06/2010 10:30:20


L’esprit de l’Opus Dei trouve sa force dans un
programme de prières classiques adapté pour chacun en
fonction de ses circonstances de sa vie. Chaque jour, un
laïc ordinaire peut consacrer des moments précis à la prière
sous des formes variées : conversation silencieuse avec
Dieu (oraison mentale), sainte Messe (prière liturgique),
et offrande d’œuvres, chapelet, Angelus, et autres prières
vocales. Pour les membres de l’Œuvre, qu’ils soient mariés
ou célibataires, elles constituent les « normes » qui sont les
jalons d’une journée ordinaire. Le plan de vie initial, établi
par saint Josémaria, n’a subi que peu d’ajustements depuis
son instauration :
● offrande d’œuvres du matin,
● oraison mentale,
● sainte Messe,
● Angélus,
● chapelet,
● lecture de l’Évangile et d’un ouvrage de spiritualité,
● petites mortifications,
● visite au Saint-Sacrement,
● Preces (prières quotidiennes propres à l’Opus Dei),
● examen de conscience,
● trois ‘Je vous salue Marie’ avant de se coucher,
● faire le signe de Croix avec de l’eau bénite.

Il y a quelques autres normes hebdomadaires, mensuelles


ou annuelles : par exemple, la confession hebdomadaire, une
récollection mensuelle et une retraite annuelle.

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Scotthahn.indb 67 08/06/2010 10:30:21


Quand je me suis converti au catholicisme, je n’étais pas
habitué à réciter des prières. Comme évangéliste, j’étais plus
accoutumé à la prière mentale silencieuse ou parlée. Aussi je
me suis rapidement habitué à la pratique de l’oraison mentale.
Mais les autres me semblaient intimidantes. Et lorsque je pris
connaissance du plan de vie d’un membre de l’Opus Dei, j’ai
pensé que je ne pourrais jamais accomplir tant de nouvelles
tâches dans ma journée.
Mais j’avais un directeur spirituel et confesseur avisé, un
prêtre qui me mit à l’aise dans la pratique des normes, l’une
après l’autre. Lorsque je fus habitué à la récitation des Preces,
ce ne fut plus une tâche contraignante. C’était comme manger
ou lire, activités pour lesquelles je n’ai jamais eu à lutter pour les
accomplir ! J’ai même eu le sentiment que lorsque j’étais fidèle à
mon programme, Dieu « multipliait mon temps » (pour reprendre
une expression de saint Josémaria) : j’arrivais à aller au-delà de
mes attentes, ou parfois j’obtenais un délai inattendu.
Au fur et à mesure que mon plan de vie se mettait en
place, j’observais une plus grande paix dans mes journées.
D’abord, c’était particulièrement vrai pendant mes temps
de prière, mais petit à petit le calme s’infiltrait aussi bien
dans mon temps de travail, que durant mes conversations
avec mon épouse et mes enfants. J’avais de plus en plus le
sentiment de la présence permanente de Dieu à mes côtés et
que je pouvais me reposer sur Lui. Saint Augustin a défini
la paix intérieure comme « la tranquillité dans l’ordre ».
Tout compte fait, le plan de vie est ce qui impose un ordre
spirituel dans ma vie ordinaire. Et cet ordre est la condition

68

Scotthahn.indb 68 08/06/2010 10:30:21


initiale requise pour trouver la paix. Au moins mon travail était
ordonné à l’oraison, et non seulement dans mes intentions les
plus spontanées mais aussi dans mes pensées les plus réfléchies.
C’était il y a près de vingt ans. Même après toutes ces années,
cela reste parfois une lutte de tout « caser » dans une journée.
Mais au fil des ans, j’ai noté que, lorsque je suis fidèle à mon
engagement de prier, je suis en paix. Lorsque je me relâche dans
l’accomplissement des normes, je suis inquiet, hésitant et confus.
Je compte beaucoup trop sur moi-même et j’oublie que Dieu est
ma force.
Le respect d’un plan requiert des efforts dans sa mise en
place mais par la suite il rend la vie plus facile. Maintenant je
n’imagine pas ma vie, comme mari, père ou professeur, sans
les repères journaliers de mon plan de vie. C’est comme pour
le tennis : il est possible de jouer au tennis sur n’importe quelle
surface, douce ou dure. Mais c’est plus agréable quand le terrain
est bien marqué et qu’il y a un filet.
La clé est dans la fidélité aux rendez-vous quotidiens. Saint
Josémaria disait : « …Défends, par-dessus tout, les moments que
tu réserves chaque jour à la prière : une prière intime, généreuse,
prolongée ; veille à ce que ces moments n’arrivent pas à l’improviste,
mais qu’ils aient une heure fixe, autant que faire se peut. Et ne cède
pas là-dessus. Fais-toi l’esclave de ce culte quotidien à Dieu et, je
te l’assure, tu te sentiras toujours plein de joie5. »
Certains de mes amis contestent cette approche. Ils
pensent que la prière, comme l’amour, doit être spontanée.
Ils rejettent un plan de vie qu’ils considèrent comme « une
5
Sillon, 994.

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Scotthahn.indb 69 08/06/2010 10:30:21


check-list spirituelle ». Je suis d’accord sur le fait que prier
de façon spontanée est magnifique, mais il faut admettre que
faire qu’un sentiment d’amour dure toute une vie demande
que certains rites soient respectés. Mon épouse Kimberley
ne se fatigue jamais de m’entendre lui dire « Je t’aime » ou
« Tu es belle », même si je lui répète ces phrases plusieurs
fois par semaine. Elle ne me reprochera jamais de célébrer
l’anniversaire de notre mariage à la bonne date. Tout comme
elle ne s’est jamais plainte quand, il y a plusieurs années, nous
nous fixions des rendez-vous pour nous rencontrer certains
soirs. En amour comme en poésie, le respect de certaines
règles facilite d’autant plus la spontanéité et la rend d’autant
plus émouvante.
Dans des matières plus prosaïques nous respectons aussi
des plans et sans eux la vie serait insupportable. Chaque
matin j’effectue les mêmes gestes pour ma toilette et depuis
que j’ai 10 ans je ne les considère pas comme un fardeau (à
l’époque, comme la plupart des petits garçons, je trouvais
que les règles d’hygiène étaient trop strictes et manquaient de
spontanéité). Les règles d’hygiène que je respecte, sans même
y faire attention, me permettent de rester en assez bonne santé
et rendent ma présence plus supportable pour mes collègues
de travail et ma famille.

Un rite à la racine de tout

Le point le plus important du plan de vie dans l’Opus Dei


est la sainte Messe. Saint Josémaria ne parlait pas de « la

70

Scotthahn.indb 70 08/06/2010 10:30:21


Messe » mais de « la sainte Messe ». Et on peut facilement
comprendre pourquoi. Il décrivait la liturgie eucharistique
comme « l’acte le plus sacré et le plus transcendant que
nous les hommes puissions par l’effet de la grâce de Dieu
accomplir en cette vie ».6 Il ressentait la Messe comme le
paradis sur terre : « Communier au Corps et au Sang du
Seigneur équivaut, d’une certaine manière, à nous délier
de nos attaches avec la terre et avec le temps pour nous
trouver déjà en présence de Dieu dans le ciel. »7
Les membres de l’Opus Dei s’efforcent d’aller à
la Messe tous les jours. La Messe est comme le soleil
autour duquel gravite tout le reste de notre journée. Saint
Josémaria ne pensait pas que le reste n’avait pas de valeur,
mais que le reste tirait son importance de la Messe.
Le second prélat de l’Œuvre, Monseigneur Javier
Echevarria l’exprime ainsi : «  La présence eucharistique
dans la vie chrétienne ne se limite pas au moment sublime
de la Messe. Nous pouvons déposer au pied de l’autel nos
actions quotidiennes, nos tâches ordinaires pour autant
que, tout au long de la journée, nous nous efforcions de
les rendre dignes d’être offertes à Dieu dans l’Eucharistie.
Tout travail honorable constitue un moyen de nous unir
spirituellement au sacrifice du Christ dans la sainte
Messe. 8 »
Voilà ce qui est important : notre travail conditionne
6
Entretiens, 113.
7
Ibidem.
8
Javier Echevarria, Déposer son travail ordinaire au pied de l’autel. Article publié
dans Avvenire, 28 octobre 2005. On peut le trouver dans www.opusdei.org.

71

Scotthahn.indb 71 08/06/2010 10:30:21


notre dévotion, notre travail s’élève comme une adoration
sacrificielle, notre adoration donne une nouvelle vie à notre
travail. Saint Josémaria l’exprime ainsi : « Un objectif pour ta
lutte: que le saint Sacrifice de l’Autel devienne le centre et la
racine de ta vie intérieure ; et toute ta journée rendra un culte à
Dieu (prolongation de la Messe que tu as entendue, préparation
de la suivante) ; et un culte qui se manifestera par des oraisons
jaculatoires, par des visites au Saint-Sacrement, par l’offrande
de ton travail professionnel et de ta vie de famille.9 »
C’est de cette façon que les laïcs peuvent participer à
la prêtrise de Jésus Christ. Jésus préside la grande liturgie
cosmique et nous sommes ses concélébrants. Il regarde le
monde comme Il regarde celui qui va Le recevoir lorsque le
prêtre prononce les paroles : « Ceci est mon Corps ». Nous
offrons le monde au Père et au Christ Roi et le monde est
transformé. C’est la réponse à notre constante prière : « Que
Ton règne vienne ». Et le royaume arrive comme s’il était
l’œuvre de nos mains.
La Messe donne un sens profond à tout notre travail lorsque
nous le déposons (par une prière intérieure) sur l’autel du sacrifice.
Ce fut le cœur et l’âme de la vision qu’eut saint Josémaria en 1928.
En 1964, le Concile Vatican II en fit le point fort de l’enseignement
de l’Église sur le sacerdoce commun des laïcs. Parlant des chrétiens
ordinaires, les Pères conciliaires écrivirent :
« En effet, toutes leurs actions, leurs prières, leurs initiatives
apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leur travail
journalier, leurs loisirs et leurs divertissements, s’ils sont vécus
9
Forge, 69.

72

Scotthahn.indb 72 08/06/2010 10:30:21


dans l’Esprit, et même les épreuves de la vie supportées avec
patience deviennent “des sacrifices spirituels agréables à Dieu
par Jésus-Christ” (1 P 2, 5) ; et ces sacrifices sont pieusement
offerts au Père dans la célébration eucharistique avec l’oblation
du Corps du Seigneur. De cette manière, les laïcs, en une sainte et
universelle adoration, consacrent à Dieu le monde même.10 »
Ainsi notre Messe ne s’achève pas quand le prêtre dit « Ite
Missa est ». Nous vivons la transformation, le miracle, la
communion dans tous nos actes de la journée.
Le Grand Rabbin Abraham Joshua Heschel disait que le
Sabbat est au temps ce que le Temple est à l’espace. Le plan
de vie insère le Jour du Seigneur dans tous les jours de la
semaine. Il apporte un esprit de contemplation, nous faisant
« contemplatifs au milieu du monde ». Comme notre Sabbat
est permanent, notre Temple est partout, parce qu’il est au
Ciel et parce que nos cœurs sont déjà au Ciel.
C’est précisément pour cela que nous sommes des
contemplatifs. Étymologiquement, un contemplatif est une
personne qui se consacre aux activités du Temple (« con-
temple-ative »). Et que fait-on au temple ? On prie et on offre
des sacrifices. Dans les temps anciens, les sanctuaires étaient
réservés à la simple dévotion et les temples au sacrifice.
Aujourd’hui c’est ce à quoi nos vies doivent être
consacrées : prière et sacrifice. Cela ressemble vraiment à un
plan.

10
Lumen gentium, 34.

73

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VI. Viser Haut

Aspiration : que je sois bon, et tous les autres


meilleurs que moi.
Chemin, 284

Nous devrions tenir en grande estime la dignité que Dieu


a conférée à nos amours et nos activités quotidiennes. Il nous
a donné la capacité de pouvoir les offrir comme de saints
sacrifices. Il nous a ordonnés prêtres pour célébrer le sacrifice
de chaque jour – que nous soyons assis à notre bureau, debout
à une chaîne de montage ou penché sur une table à langer.
Nous sommes une nation de prêtres qui « habite dans la
maison de Yahvé», le temple saint, « tous les jours » de notre
vie (voir Psaume 27, 4).
Ainsi toutes les recommandations, les commandements
et les méditations contenues dans la Bible et concernant le
sacrifice devraient prendre à nos yeux un sens nouveau et
profond. Car, dès les premières pages de la Genèse, nous
voyons que Dieu a reçu les fruits du travail humain comme un
sacrifice, et Il a porté une grande attention à la façon dont ses
prêtres font leurs offrandes. Pensez, par exemple, à l’histoire
de Caïn et Abel. Pourquoi le sacrifice d’Abel plut-il à Dieu
et pas celui de Caïn ? Pensez également aux lois contenues
dans les livres de l’Exode, du Lévitique et du Deutéronome.

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Nous avons tendance à réduire « La Loi » d’Israël aux Dix
Commandements, mais le Décalogue représente moins d’un
chapitre, alors que les prescriptions pour le sacrifice occupent
la plus grande partie de la « partie juridique » de la Bible.
Il est juste de nous demander pourquoi Dieu porte autant
d’attention aux offrandes d’Israël. Après tout, Il montre Lui-
même, qu’Il n’en a pas besoin.

Amour et sacrifice

Dieu a institué le sacrifice non dans son propre intérêt mais


pour le nôtre. La loi du sacrifice est un moyen de rendre gloire
à Dieu : elle discipline son peuple, l’aidant à se concentrer
sur l’adoration, la douleur du péché, le besoin de pureté et
la nécessité de renoncer à tout ce qui s’oppose à Dieu. Le
sacrifice est une expression de l’amour et une condition
préalable à l’amour. C’est aussi vrai pour l’amour humain :
même aujourd’hui, lorsqu’un homme et une femme se marient,
ils se promettent un amour exclusif et ils renoncent à toute
possibilité de rencontre amoureuse avec d’autres hommes ou
d’autres femmes. Ils échangent un anneau de métal précieux
ou parfois un bijou. Par cet échange symbolique du métal tenu
pour le plus précieux, ils s’offrent tout ce qu’ils ont, tout ce
qu’ils sont.
La loi de Dieu permet à chacun d’établir et de maintenir
une relation d’amour avec son créateur et son rédempteur.
La loi rituelle ancienne requérait que le peuple apporte en
sacrifice les premiers produits de ses champs et vergers, le

75

Scotthahn.indb 75 08/06/2010 10:30:21


premier-né de ses troupeaux de brebis et autre bétail, et le
meilleur vin tiré de sa vigne. Il lui était interdit de choisir
ce qui était de qualité inférieure, par exemple des moutons,
chèvres ou taureaux qui étaient souillés ou boiteux1.
Encore une fois, nous devons garder en mémoire que
Dieu a fait ces lois par amour pour nous et non pour Lui. S’Il
exige le meilleur bétail, c’est par amour pour Israël, non pour
l’amour de Lui-même. Parce que l’humanité, chaque famille
humaine, chaque être humain avait besoin, et a besoin d’offrir
à Dieu ce qu’il y a de mieux. Il ne se satisfait pas d’un second
choix – et encore une fois, ce n’est pas parce qu’Il a besoin de
nos offrandes et qu’Il se réjouit de voir ses enfants se priver de
bonnes choses. C’est parce qu’Il désire recevoir notre amour,
donné librement et totalement.
Cet enseignement est tiré non seulement de la Loi mais
aussi des prophètes. Le prophète Malachie s’insurgeait
contre les prêtres de son temps qui offraient les restes de leur
commerce douteux en gardant le meilleur pour eux. Dieu les
punit de penser que « la table de Yahvé est méprisable » (Mal
1, 7). C’est un langage fort, mais il sonne juste.
Dieu demande aux prêtres du Temple de Jérusalem :
« Quand vous offrez en sacrifice une bête aveugle, n’est-ce
pas mal ? Quand vous en offrez une boiteuse ou infirme, n’est-
ce pas mal ? Offre-la donc à ton gouverneur ! Te recevra-t-il
bien, te fera-t-il bon accueil ? » (Ml 1,8).
Malachie souligne par là qu’ils offrent à Dieu des
cadeaux qu’ils n’oseraient jamais offrir au gouverneur de
1
Voir par exemple Lévitique 22, 20-24

76

Scotthahn.indb 76 08/06/2010 10:30:21


Perse. Pourtant Dieu voit tout, sait tout et est tout-puissant ;
au contraire du gouverneur de Perse, on ne peut le tromper.
L’attitude des prêtres d’Israël en dit long sur leur foi, leur
respect et leur crainte du Seigneur.
Ce que l’homme offre à Dieu est symbolique mais ce ne
peut être un simple jeton. Le choix des symboles est important ;
le choix des cadeaux à offrir l’est également. Certes, c’est
l’intention qui compte, mais le cadeau doit être le reflet de
l’intention qui doit être aussi claire et pure que possible. Si un
prêtre offre à Dieu une victime qui ne serait pas la meilleure,
il mériterait amplement de recevoir toutes les invectives que
profère Malachie.
Les implications pour nous-mêmes sont évidentes. Nous
sommes des prêtres qui offrons quotidiennement notre travail
à Dieu. Nous devrions lui offrir seulement ce que nous avons
de meilleur. Nous devrions chercher à lui offrir des cadeaux
toujours plus grands, plus purs et toujours le meilleur. Ce doit
être l’objectif de toutes nos activités.

Lutte pour la sainteté

Cette lutte est le moteur de ce que saint Josémaria appelait


« la sainte ambition ». Et il est facile de faire la distinction
entre cette sorte d’ambition et celle qui recèle des sentiments
moins nobles. Animés par une sainte ambition, nous sommes
au service de Dieu et des autres. Avec une ambition mesquine,
nous ne servons que nous-mêmes. Saint Josémaria exprime
très bien cette opposition : « Les ambitieux, gens aux petites,

77

Scotthahn.indb 77 08/06/2010 10:30:21


aux misérables ambitions personnelles, ne comprennent pas
que les amis de Dieu, quand ils cherchent « quelque chose »,
le font par esprit de service et non par ambition.2 »
Nous ne devons pas confondre l’humilité et la modestie
chrétiennes avec le manque d’ambition. Jésus nous a
recommandé de ne pas mettre nos lumières sous le boisseau,
car nous sommes une ville sur le sommet de la colline. Certes,
nous avons d’abord à gravir la colline, par nos efforts dans un
travail honnête et avec l’aide de la grâce de Dieu.
L’Église se fait l’écho des propos du Seigneur quand le
concile Vatican II exhorte les catholiques à « se perfectionner 
par ces réalisations humaines3 ». Car si nous améliorons notre
propre situation, nous serons en mesure d’aider de plus en plus
nos concitoyens. Les laïcs doivent « améliorer les conditions
sociales et celles de la création tout entière ; et mieux encore, par
une charité active, par une joyeuse espérance, par l’entraide dans
les épreuves, imiter le Christ, Lui dont les mains s’exercèrent
aux travaux manuels et qui travaille continuellement avec le
Père au salut de tous les hommes. Enfin, par leur travail de
chaque jour, ils doivent s’élever à une plus haute sainteté qui
fera d’eux aussi des apôtres. »4 C’est une grave obligation pour
les catholiques d’être professionnellement très compétents. Et
c’est une claire indication que le chemin du succès professionnel
et la vocation à la sainteté sont des voies complémentaires, ou
au moins peuvent l’être.

2
Sillon, 625
3
Lumen Gentium, 41
4
Ibidem.

78

Scotthahn.indb 78 08/06/2010 10:30:21


Dans un autre document, le concile Vatican II rend cette
interdépendance encore plus étroite.
« Pour les croyants, une chose est certaine : considérée
en elle-même, l’activité humaine, individuelle et collective,
ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long
des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie,
correspond au dessein de Dieu. L’homme, créé à l’image de
Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre la terre et tout
ce qu’elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et
justice et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes
choses, de ramener à Lui son être ainsi que l’univers : en sorte
que, tout étant soumis à l’homme, le nom même de Dieu soit
glorifié par toute la terre. 
« Cet enseignement vaut aussi pour les activités les plus
quotidiennes. Car ces hommes et ces femmes qui, tout en
gagnant leur vie et celle de leur famille, mènent leurs activités
de manière à bien servir la société, sont fondés à voir dans leur
travail un prolongement de l’œuvre du Créateur, un service de
leurs frères, un apport à la réalisation du plan providentiel
dans l’histoire. 
« Loin d’opposer les conquêtes du génie et du courage de
l’homme à la puissance de Dieu et de considérer la créature
raisonnable comme une sorte de rivale du Créateur, les
chrétiens sont au contraire bien persuadés que les victoires
du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une
conséquence de son dessein ineffable. Mais plus grandit
le pouvoir de l’homme, plus s’élargit le champ de ses
responsabilités, personnelles et communautaires. On voit par

79

Scotthahn.indb 79 08/06/2010 10:30:21


là que le message chrétien ne détourne pas les hommes de la
construction du monde et ne les incite pas à se désintéresser
du sort de leurs semblables : il leur en fait au contraire un
devoir plus pressant. 5»
Application, talent, énergie, responsabilité, triomphe :
c’est le langage de l’ambition et du succès. C’est un langage
que les enfants de Dieu doivent parler couramment et leurs
discussions de tous les jours doivent refléter cet état d’esprit.

Pour le seul regard de Dieu

De façon étonnante, saint Josémaria parle de cette ambition


en ne pensant pas tant à des choses de grande envergure
qu’à des petites choses, lorsqu’il dit : « Repousse l’ambition
d’atteindre les honneurs ; en revanche, aie de la considération
pour les instruments, les devoirs, l’efficacité. — Ainsi, tu ne
brigueras pas les charges ; et si elles t’arrivent, tu les estimeras
à leur juste mesure : des charges au service des âmes. »6
Ainsi nous ne devrions pas être obnubilés par des objectifs
à long terme qui nous amèneraient à négliger l’apparente
routine et les tâches insignifiantes qui requièrent notre
attention quotidienne. Nous trouvons la volonté de Dieu
dans les petites tâches sur lesquelles les autres comptent.
Nous trouvons même la volonté de Dieu – et peut-être plus
particulièrement – dans les petites choses que personne ne
relève. Puisqu’elles ne sont « que pour le regard de Dieu »,

5
Gaudium et Spes, 34
6
Sillon, 976

80

Scotthahn.indb 80 08/06/2010 10:30:21


elles peuvent être élevées comme de purs sacrifices, si elles
sont bien faites, à temps, et offertes à Dieu.
On peut également en tirer profit dans l’ordre naturel.
Car si nous accomplissons ces petites choses rapidement
et soigneusement, sans les remettre à plus tard et avec
toute notre attention, nous verrons que nous progressons
professionnellement, tout en respectant nos obligations de
charité et de justice. En effet, il est absurde de penser que
nous pouvons accomplir de grandes choses si nous n’avons
pas le souci du détail. Saint Josémaria écrivit à un de ses
correspondants : « Tu me dis : quand l’occasion se présentera
de faire quelque chose de grand... alors ! — Alors ? Tu
voudrais me faire croire, et croire toi-même sérieusement,
que tu pourras vaincre aux Jeux Olympiques surnaturels sans
préparation quotidienne, sans entraînement ?7 »
L’attention portée aux petites choses est une vertu humaine
si élémentaire qu’il semble qu’elle vaille à peine que l’on en
parle. Est-ce qu’aujourd’hui on peut faire mieux que dans
le conte moral de Benjamin Franklin ? « Faute d’un clou, le
fer du cheval se perd ; faute d’un fer, on perd le cheval, le
cavalier est perdu, parce que son ennemi l’atteint et le tue :
le tout, faute d’attention au clou d’un fer à cheval. »8 Nous
savons tous que le manque d’attention aux petites choses peut
avoir des conséquences imprévisibles et désastreuses.
Mais une vision catholique apporte quelque chose de plus,
car elle fait la différence entre une activité humaine et une
7
Chemin, 822.
8
L’almanach du pauvre Richard, de Benjamin Franklin

81

Scotthahn.indb 81 08/06/2010 10:30:22


œuvre de Dieu. Cela ne diminue en rien les réflexions très
naturelles de Benjamin Franklin, mais elle leur confère une
dimension surnaturelle. C’est un lieu commun en théologie
de dire que la grâce de Dieu n’abolit pas ce qu’Il a créé en soi,
mais Il construit dessus, Il le complète et l’élève. Ainsi le fidèle
ordinaire doit accepter les événements les plus ordinaires,
comme le dépassement d’une voiture sur l’autoroute ou
l’épluchage d’un épi de maïs ou la réponse à un courrier,
et les accomplir correctement selon les standards humains
et leur donner une dimension surnaturelle en les offrant au
Seigneur qui les parachèvera selon Sa volonté. Comme dit
saint Josémaria : « Tels le roi Midas, qui changeait en or tout
ce qu’il touchait, vous pouvez rendre divin tout ce qui est
humain. »9

Au travail !

Les petites choses que nous accomplissons sont les briques


pour la construction des grands édifices que Dieu a planifiés,
dans nos vies, dans nos histoires et dans le tourbillon du
cosmos.
En effet, les petites choses sont importantes pour nous car
elles sont importantes aux yeux de Dieu. C’est le véritable
sens de la parabole des talents (Mt 25, 14-30), une parabole
sur l’ambition. Deux fois dans cette parabole, Jésus fait dire au
maître (qui représente Dieu Lui-même) les paroles suivantes :
« Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de

9
Amis de Dieu, 221.

82

Scotthahn.indb 82 08/06/2010 10:30:22


choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton
maître. »
Les petites choses comptent beaucoup, même pour Dieu.
Car en en prenant soin, nous nous rapprochons un peu de la
perfection de Notre-Seigneur. Il est le maître de l’Univers, à
l’origine de la formation des montagnes de l’Himalaya mais
aussi des particules subatomiques. Et Il ne déplace pas les
montagnes sans déplacer dans le même temps une énorme
quantité d’électrons.
Ainsi, il y a une grandeur cachée dans les choses les
plus ordinaires. Saint Josémaria l’a bien compris et il était
agacé par ces rêveurs romantiques qui voulaient être saints
en considérant la vie ordinaire comme un obstacle à la vraie
grandeur. Il appelait cette attitude la « mystique du Ah ! si ».
Nous ne devons pas nous asseoir et geindre : « Ah ! si je n’étais
pas marié, ah ! si je n’avais pas cette profession, ah ! si j’avais
une meilleure santé, ah ! si j’étais jeune, ah ! si j’étais vieux. »
Au contraire saint Josémaria invitait à s’en tenir « à la réalité
la plus matérielle et la plus immédiate » et au travail !10
Les tâches les plus insignifiantes peuvent prendre une
valeur infinie si on les offre à Dieu, si on les accomplit comme
des œuvres de Dieu. La sainte ambition recherche la grandeur,
même dans les petites choses, mais finalement les résultats
sur terre sont ceux que Dieu veut ou permet.
Ainsi nous pouvons vivre avec une ambition de sainteté
même si nos perspectives professionnelles sont limitées.
Animé d’une sainte ambition, il n’y a pas de place pour
10
Entretiens, 116.

83

Scotthahn.indb 83 08/06/2010 10:30:22


l’anxiété, la déception et l’insatisfaction qui peuvent envahir
les hommes et les femmes qui s’efforcent de gravir l’échelle
dans l’entreprise ou dans la société. Une sainte ambition fait
espérer de grandes choses, mais avant tout elle fait accepter la
volonté de Dieu. Saint Josémaria pressait les chrétiens: « Sans
rien perdre de ta sainte ambition de conduire le monde entier à
Dieu, lorsque tu éprouveras le besoin de prendre ces initiatives
personnelles (et, qui sait ? le désir de déserter), rappelle-toi
que, toi aussi, tu dois obéir et t’occuper de cette tâche obscure,
peu brillante, tant que le Seigneur ne te demandera pas autre
chose : Il a ses moments à Lui, et ses voies.11 »

Un corps d’élite pour tous

La sainte ambition est quelque chose que nous pouvons


pratiquer où que nous soyons et quoi que nous fassions. C’est
une idée qui m’a énormément attiré lorsque j’ai commencé
à fréquenter l’Opus Dei. à cette époque, certaines critiques
accusaient l’Opus Dei d’élitisme et d’esprit exclusif. Je
trouvais cela plutôt drôle car mes amis de l’Opus Dei
avaient toujours du temps à me consacrer, alors que j’étais
un ex-pasteur protestant avec un emploi précaire et sans idée
claire sur l’orientation de sa carrière. Je n’étais vraiment pas
quelqu’un que l’on pouvait considérer comme appartenant à
une élite. Un jour, je réfléchissais à la liste de mes projets
à long terme. Un de mes souhaits préférés était de pouvoir
enseigner un jour à une classe d’adultes dans une paroisse. Ce

11
Sillon, 701.

84

Scotthahn.indb 84 08/06/2010 10:30:22


n’est pas vraiment ce que les élites culturelles appelleraient une
ambition démesurée. Concernant le reproche d’exclusivisme
c’était encore plus comique : je n’étais même pas catholique.
à peu près à la même époque, un de mes bons amis, John
Haas, un ex-pasteur protestant travaillant dans un secteur
beaucoup plus élitiste, la banque internationale, voyageait à
travers le monde, ce qui l’amena à découvrir la sainte ambition
de l’Opus Dei dans le travail. Mais il la trouva dans un endroit
insolite. John se souvient avec émotion de sa rencontre avec
un chauffeur de taxi guatemaltèque nommé Gustavo qui
conduisait sa vieille voiture rapidement mais prudemment,
négociant courbes et virages avec une extrême précision,
déposant toujours ses passagers à temps, à n’importe quelle
destination, quel qu’en soit l’éloignement. John était admiratif
de la compétence et de l’esprit consciencieux de cet homme.
Il était tout aussi impressionné par l’amour de cet homme
pour sa femme et ses enfants, qu’il évoquait régulièrement
dans ses conversations. à un moment, John l’interroge sur
les sources spirituelles d’un tel amour. Gustavo « baisse alors
le pare-soleil de son vieux tacot déglingué et rouillé et sort
l’image et la prière à Josémaria Escriva12 ».
C’est une ambition qui demande du travail, mais c’est
aussi une sainte ambition dont les résultats vont au Seigneur.
« As-tu vu comment ils ont bâti cet imposant édifice? — Une
brique, puis une autre. Des milliers de briques. Mais une
par une. — Et des sacs de ciment, un par un. Et des pierres,
dont chacune représente peu de choses dans la masse de
12
Citation d’une correspondance privée avec l’auteur.

85

Scotthahn.indb 85 08/06/2010 10:30:22


l’ensemble. — Et des barres de fer. — Et des ouvriers qui ont
travaillé, jour après jour, un même nombre d’heures... As-tu
vu comment ils ont élevé cet important édifice ? — à force
de petites choses ! »13
Ce n’est pas de l’élitisme, quoique je sois sûr que les
personnes qui conduisent leur vie de cette façon parviennent
très loin dans leur profession. Les personnes qui travaillent
avec amour sont des travailleurs très motivés. Et lorsque
leur motivation ultime est l’amour de Dieu, la grandeur de
ce qu’elles accomplissent a une influence sur le cours des
événements du monde. Les manuels d’histoire en fourmillent
d’exemples. En outre, une spiritualité qui prend en compte
l’ambition humaine sera très attirante pour les chrétiens
ambitieux de nature. Elle donne un sens divin à la motivation
qui les pousse en avant, et elle les aide à canaliser cette
motivation dans une direction saine.
Comme tout ce que nous trouvons dans l’esprit de l’Opus
Dei, c’est simplement catholique, mais l’accent y est mis de
façon particulière par saint Josémaria. Le Compendium de
la Doctrine sociale de l’Église enseigne que « chacun usera
légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance
profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses
efforts. »14 Si nous en sommes convaincus, alors n’hésitons
pas à demander une augmentation ou une promotion quand
elle nous est due.
De plus, nous ne devons pas seulement considérer

13
Chemin, 823.
14
Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 336.

86

Scotthahn.indb 86 08/06/2010 10:30:22


nos augmentations ou nos promotions comme nos justes
récompenses, mais comme de justes récompenses pour Dieu.
Reprenons le Compendium de l’Église : « Grâce au travail,
l’homme gouverne le monde avec Dieu ; avec Lui il en est
seigneur, et il accomplit de bonnes choses pour lui-même
et pour les autres. »15 Et « l’homme », c’est vous et moi,
chaque chrétien, homme, femme, enfant. Nous gouvernons
« ensemble avec Dieu » là où nous nous trouvons, et pour
l’amour de Dieu, pour l’amour de son royaume, nous devrions
toujours chercher à nous améliorer.

Du lever au coucher du soleil

Dans l’esprit de l’Opus Dei, la sainte ambition n’est


pas de l’autopromotion ni un laissez-passer pour surdoués.
C’est une confirmation que nous serons jugés sur la façon
dont nous avons utilisé le temps et le talent que Dieu nous a
donnés. C’est une confirmation que notre travail, aussi petit
et si humble soit-il, est transformé quand nous le plaçons sur
l’autel du Seigneur.
Notre travail quotidien peut sembler n’être qu’une petite
chose après une autre, mais il en est ainsi du pain et du vin
que le prêtre consacre à chaque Messe. C’est l’offrande
– en grec, anaphora – qui les transforme en Corps, Sang,
Âme et Divinité de Jésus-Christ. De la même façon, nos
activités sont transformées en quelque chose de divin par
nos offrandes sacerdotales, par ce toucher du roi Midas.
15
Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 265.

87

Scotthahn.indb 87 08/06/2010 10:30:22


Repensons à ces paroles du prophète Malachie quand il
exhortait les prêtres de Jérusalem à purifier leurs offrandes.
Aujourd’hui ces paroles s’adressent à nous. Dieu veut que
nous Lui offrions nos meilleurs efforts au travail. Pourquoi
offririons-nous un travail imparfait ou boiteux, alors que Dieu
nous a donné les talents pour faire mieux ?
L’exhortation de Malachie n’est qu’un prélude à la
prophétie biblique que les Pères de l’Église appliquèrent à la
sainte Messe. « Car, du lever du soleil à son coucher, mon
nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on offre à mon
nom de l’encens et une oblation pure, car mon nom est grand
parmi les nations, dit Yahweh, Dieu des armées. » (Ml 1,11).
Aujourd’hui cette prophétie est reprise dans la troisième prière
eucharistique du rite latin : « ainsi, d’est en ouest, une offrande
parfaite sera accomplie, pour la gloire de Votre nom. »
Cette ligne sur la carte, d’est en ouest, de l’aube au
crépuscule, passe exactement par nos vies ordinaires, où que
nous soyons. Où que nous soyons, c’est la place exacte où
nous sommes appelés à faire une offrande pure, une offrande
parfaite. Car le sacrifice de notre vie de travail et de notre vie
de famille ne fait qu’un avec le sacrifice de la sainte Messe.
Le peuple dit de Jésus : « Il a bien fait toute chose » (Mc
7,37). Voilà mon espoir, ma prière, ma sainte ambition : que
l’on puisse dire un jour la même chose de moi, de vous, de tous
ceux d’entre nous qui portent le nom de Dieu par le baptême.
Puissions-nous rendre gloire à ce nom par nos vies.

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Scotthahn.indb 88 08/06/2010 10:30:22


VII. Amitié et Confidence

Oui : par cette conversation familière ou


cette confidence isolée, tu fais un meilleur travail
qu’en pérorant — spectacle, spectacle! — devant
des milliers de personnes.
Chemin, 846

Répandre l’amour de Jésus-Christ est un devoir pour


tous les chrétiens. Nous ne pouvons pas maintenir notre
foi sans la transmettre. Tous dans l’Eglise, nous partageons
cette responsabilité d’évangéliser. Pour utiliser les termes
techniques de l’enseignement de l’église : il y a un appel
universel à l’apostolat. Ainsi, le grand commandement de
Jésus à ses apôtres s’applique à tous les chrétiens et à chacun
d’entre nous : « Désormais allez et faites des disciples dans
toutes les nations, en les baptisant au nom du Père, du Fils et
du Saint Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je
vous ai commandé. » (Mt 28, 19-20)
Le laïc doit porter une grande partie du poids de ce
commandement du Christ. Parce que c’est nous que le
travail et les migrations portent aux quatre coins du monde.
Notre devoir spécifique est la sanctification du monde, un
devoir qui a été entrepris joyeusement et réalisé avec succès

89

Scotthahn.indb 89 08/06/2010 10:30:22


par les premières générations de chrétiens1. Ce fut auprès de
ces premiers chrétiens que saint Josémaria trouva exemple
et inspiration. Car ils vivaient au sein d’une culture hostile
et pervertie, à une époque de persécution intense contre les
chrétiens. L’église ne possédait pas de lieux de culte, et
n’avait aucune activité publique. Et pourtant les chrétiens
réussirent à convertir l’empire romain. En l’espace de
quelque trois siècles de persécutions, l’église connut, malgré
tous les obstacles, une croissance régulière de quarante pour
cent tous les dix ans.2
L’église catholique bénéficia pendant cette période de
nombreux papes héroïques et saints. Bon nombre d’entre eux
moururent martyrs, et la plupart sont des saints canonisés.
Nous ne devons pas sous-estimer la valeur de leur témoignage,
et les grâces qu’ils ont obtenues par leur sang versé. Mais
nous devons aussi réaliser que, compte tenu de l’état primitif
des moyens de communication dans le monde antique, une
grande partie des chrétiens pouvaient ne pas connaître le nom
de leur pape à un moment donné. Il fallait alors des mois
pour que les informations concernant la mort d’un pape et
l’élection de son successeur atteignent les villages les plus
reculés des provinces. Pendant ce temps, des chrétiens
ordinaires poursuivaient leur vie quotidienne, cultivaient leurs
champs, vendaient leur récolte et élevaient leurs enfants. Par
leurs activités, ils témoignaient de leur foi catholique, et la
transmettaient autour d’eux.
1
Voir par exemple, Chemin, 974 et Amis de Dieu, 255.
2
Pour une analyse sociologique détaillé de la croissance de l’Église à cette époque-
là, cf. Rodney Stark, The Rise of Christianity, HarperCollins, San Francisco, 1998.

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Scotthahn.indb 90 08/06/2010 10:30:22


Ils évangélisaient. Certes ils le faisaient d’une manière
bien différente de nos stéréotypes actuels de comportement
chrétien. Sans être des hérauts de la Bible, ils aimaient le
monde de Dieu. Ils ne forçaient pas leurs amis récalcitrants,
chaque fois qu’ils allaient aux célébrations liturgiques ; la
messe, en ce temps-là, était une affaire privée, dite chez des
particuliers, et ouverte à leurs seuls membres.

L’âme du monde

Les premiers chrétiens réussirent calmement à sanctifier


le monde de l’intérieur, comme le levain dans la pâte. La
lettre à Diognète du IIe siècle, le montre d’une manière très
belle : « Ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont
dans le monde. L’âme est répandue dans tous les membres du
corps, comme les chrétiens dans toutes les cités du monde.[...]
Invisible, l’âme est retenue prisonnière dans un corps visible ;
ainsi les chrétiens, on voit bien qu’ils sont dans le monde,
mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible.3 »
C’était le travail invisible de l’église. Car les chrétiens
menaient une vie toute ordinaire. Ils ne portaient pas
d’uniforme distinctif, ne se comportaient pas d’une manière
particulière sur les places publiques. Dans la lettre à Diognète
on relève aussi que : « les chrétiens ne se distinguent des autres
hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements.
Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se
servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de
3
épître à Diognète, 5-6.

91

Scotthahn.indb 91 08/06/2010 10:30:22


vie n’a rien de singulier… Mais habitants de villes grecques
aussi bien que barbares … et suivant les habitudes des citoyens
ordinaires, en matière d’habillement, de nourriture ou pour les
autres habitudes courantes, ils nous offrent la vision d’une
manière de vivre admirable. »
Nos ancêtres chrétiens eurent tant de succès que les
autorités païennes les accusèrent souvent d’utiliser la magie,
les secrets et un vaste réseau de conspiration pour atteindre
leurs buts. Leurs succès paraissaient trop grands pour être le
fait de moyens ordinaires.
L’écrivain africain chrétien Tertullien remarquait : « Nous
venons de commencer hier, et nous sommes déjà partout dans
le monde et dans toutes ses places : les capitales, les îles,
les villes, les municipalités, les conseils, même les camps
militaires, les tribunaux, les assemblées, le palais, le sénat et
le forum. Nous vous avons laissé vos temples !4 »
C’était ainsi. Ils convertissaient le monde en faisant leur
travail, et en faisant l’œuvre de Dieu, ce qui revient au même.
Ils conquéraient non par des moyens militaires ou des artifices
cachés, et surtout pas en prêchant. Selon les termes du second
Concile de Vatican, les chrétiens laïcs ordinaires font connaître
« le Christ d’abord par le témoignage d’une vie resplendissante
de foi, d’espérance et de charité.5 »
Saint Josémaria exhorte les chrétiens ordinaires à réaliser
de nos jours le même type d’apostolat tranquille et efficace. Il
appelait cela « l’apostolat d’amitié et de confidence. »

4
Tertullien Apologie, 37, 4.
5
Lumen Gentium, 31.

92

Scotthahn.indb 92 08/06/2010 10:30:22


L’amitié est, après tout, le lien social ordinaire entre les
gens. La confidence et la confiance sont le ciment des relations
professionnelles quotidiennes. C’est seulement sur la base de
l’amitié et de la confidence que les chrétiens peuvent à tout
moment porter un témoignage du christianisme vécu.
Notre apostolat ordinaire doit être personnel, individuel,
de personne à personne. En pratique c’est la seule manière
de répondre à l’appel universel de l’église à l’apostolat.
L’alternative serait de rêver d’une évangélisation des masses,
pour laquelle nous n’aurons ni l’occasion ni le temps. Un
dirigeant d’entreprise, en crise spirituelle, est allé à Calcutta,
pour demander conseil à Mère Teresa. Ils parlèrent un bon
moment et la religieuse lui dit de rentrer chez lui, dans le
Wisconsin, et d’être un bon dirigeant d’entreprise, pour que sa
compagnie prospère et puisse donner du travail à beaucoup de
monde. « Faites fleurir là où vous avez semé, lui dit-elle, pour
qu’à Milwaukee, les religieuses Missionnaires de la Charité ne
trouvent jamais les plus pauvres des pauvres.6 »
L’amitié et la confidence : c’est avec ces moyens que les
premiers chrétiens ont accompli leur apostolat, et cela a si
bien réussi qu’ils furent accusés de pouvoirs secrets et de
conspiration.
L’amitié et la confidence sont les marques distinctives de
l’apostolat de l’Opus Dei aujourd’hui. Pas de programmes
institutionnels, ou de démonstrations publiques, quoique celles-
ci aient tout à fait leur place. L’Opus Dei propose des activités

6
David Scott, A revolution of Love : The Meaning of Mother Térésa
(Chicago, Loyola, 2005) 61-62.

93

Scotthahn.indb 93 08/06/2010 10:30:22


régulières comme des retraites, des récollections, des cercles
d’études, des cours de doctrine chrétienne, mais d’habitude
sans communication ou publicité. La méthode préférée est le
bouche à oreille, l’amitié de personne à personne.
Cela revient simplement à des poignées de mains et du
cœur à cœur.

Mission : Impossible

Dans l’apostolat quotidien, il n’y a de place ni pour des


gloires personnelles ni pour des romans à l’eau de rose. Saint
Josémaria l’admettait : « Tu veux être martyr. — Je vais mettre
le martyre à portée de ta main: être apôtre et ne pas te dire
apôtre; être missionnaire — remplissant une mission — et
ne pas te dire missionnaire ; être homme de Dieu et paraître
homme du monde: passer inaperçu !7 »
Notre terrain de mission se trouve là où nous sommes. Dieu
nous a envoyés à tous ceux que nous rencontrons. « Sur cent
âmes, disait saint Josémaria, cent nous intéressent.8 » Cela
signifie tous les membres de notre famille, tous nos collègues
et tous nos voisins. Chacun sur terre a besoin de se rapprocher
de Dieu, et ce besoin sera en eux aussi longtemps qu’ils vivront
sur terre. Dieu nous a envoyés à la rencontre de beaucoup
d’âmes comme son instrument, sa voix, son bâton de berger.
Il nous envoie même aux chrétiens qui sont plus saints et plus
vertueux que nous. Eux aussi ont besoin de se rapprocher plus

7
Chemin, 848.
8
Sillon, 183.

94

Scotthahn.indb 94 08/06/2010 10:30:22


encore de Lui, tant qu’ils vivent sur terre. Notre indignité n’a
pas d’importance. En fait, c’est un don ! Nous ne méritons
pas d’être appelés par Dieu, et humainement parlant, nous ne
pouvons pas réaliser le travail qu’Il nous demande de faire.
Nous devons cependant comprendre que cet apostolat n’est pas
notre œuvre, mais l’œuvre de Dieu, littéralement Opus Dei. Et
« rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37). « Je peux tout en
Celui qui me rend fort » (Ph 4,13).
Ainsi, notre apostolat doit toujours commencer par la
prière. Nous devons chercher des occasions pour parler
de Dieu à nos amis. Mais nous devons d’abord utiliser
chaque occasion pour parler à Jésus-Christ de nos amis,
nous devons Lui demander de nous montrer ce dont ils ont
besoin, de sorte que nous puissions les aider et répondre
véritablement à leurs besoins. Le début de notre apostolat
peut être le cadeau du temps passé à préparer un repas, le
baby-sitting, un tour en ville… Lorsque nous nous montrons
aimables, nous manifestons l’amour du Christ, même
si nous ne révélons pas la motivation profonde de notre
comportement. Nous n’avons pas besoin de faire comme
dans les spots publicitaires à la télévision : « cette amabilité
vous est offerte par la grâce de Dieu. » Lorsque qu’ils nous
connaîtront mieux, ils découvriront eux-mêmes le pourquoi
de cette amabilité, et ils pourront apprécier la source divine
bien plus que l’amabilité elle-même.
La source doit toujours être notre rencontre avec le
Christ, et notre identification à Lui. Nous le prions, et nous
lui offrons notre vie, en nous sacrifiant, comme Il l’a fait Lui-

95

Scotthahn.indb 95 08/06/2010 10:30:22


même. C’est ce que saint Josémaria voulait dire lorsqu’il
parlait de « sanctifier les autres par le travail.9 » Nous offrons
notre travail comme un sacrifice, pour le bien d’autrui, et ainsi
dans nos combats quotidiens, nous leur gagnons des grâces
pour leurs combats.
Saint Josémaria dessinait un programme apostolique
simple : « D’abord, prière; ensuite, expiation ; en troisième
lieu, et bien en « troisième lieu », action.10 » La plus grande
partie de notre apostolat sera donc invisible. Nos amis pourront
parfois apercevoir le sommet de l’iceberg ; au ciel, un jour, ils
connaîtront la profondeur de notre amour.

Buts apostoliques

A quoi ressemble cet apostolat ? Pour moi, une des images


les plus vivantes vient de ces années violentes précédant
la Guerre Civile espagnole. Alors que le pouvoir politique
passait d’un parti à l’autre, les relations sociales explosèrent.
La confiance n’existait plus ; les dénonciations de personnes
devenaient monnaie courante. Les citoyens de tous bords, des
anarchistes aux royalistes, se retrouvaient ensemble, jetés dans
des prisons surpeuplées. Souvent, dans les cellules, jaillissait
une violence due à la haine des ennemis. Un jour, en 1932, saint
Josémaria visita quelques jeunes amis, prisonniers politiques. Il
les écouta alors qu’ils montraient leur fureur à l’idée de passer
leurs journées en compagnie de leurs ennemis. Son conseil

9
Voir par exemple Entretiens avec Monseigneur Escriva,10.
10
Chemin, 82.

96

Scotthahn.indb 96 08/06/2010 10:30:23


fut clair : devenir les amis de leurs ennemis. Ils écoutèrent et
organisèrent des équipes de football ; pas républicains contre
anarchistes, mais des équipes mixtes, chacune d’entre elles
incluant toutes les gammes d’orientations politiques. Cette
idée eut beaucoup de succès. L’un des anarchistes remarqua
qu’il n’avait jamais joué des matches de football aussi fair
play. Beaucoup de ces joueurs restèrent amis longtemps après
leur sortie de prison. Et quelque-uns revinrent à la pratique de
la foi catholique.
Saint Josémaria parla souvent avec éloquence des effets
de cette approche apostolique : « Semez la paix et la joie de
tous côtés. Ne dites jamais un mot de travers à quelqu’un.
Sachez comment marcher la main dans la main avec ceux qui
ne pensent pas comme vous. Ne traitez jamais mal personne.
Soyez frères de tous, semeurs de paix et de joie. » Cependant
comme l’un de ses successeurs, Mgr Xavier Echevarria, le
faisait remarquer, le fondateur « ne manqua jamais de dire
que coexistence ne signifie pas céder à l’erreur ou à une fausse
doctrine.11 »
La véritable amitié nous autorise la liberté de faire une
remarque pour corriger, ou même un reproche. Après avoir
prié, nous pouvons parler avec tact. La confiance peut déplacer
des montagnes, sans employer une rhétorique explosive.
L’apostolat d’amitié et de confidence a été efficace dans les
débuts de l’église. Ce qui impressionnait les anciens Romains

11
La citation et le commentaire apparaissent dans l’article Patrimoine pour
l’église entière, dans une interview de Mgr Echevarria, Paulina lo Celso
(Argentina), 6 Janvier 2003

97

Scotthahn.indb 97 08/06/2010 10:30:23


à propos du Christianisme, n’était pas tant ses arguments ou
son art, ou sa littérature, mais son amour. « Voyez comme ils
s’aiment »12 s’émerveillaient les païens. Tertullien remarquait
que la pureté de l’amour chrétien attirait l’attention du monde
romain, parce que l’amitié et la confiance n’étaient pas très
présentes dans leur monde. On se poignardait facilement dans
le dos. Les chrétiens étaient différents.
Ce qui a été efficace pour nos premiers frères dans la foi
devrait l’être pour nous aujourd’hui. L’apostolat, s’il veut
réussir, doit être bâti sur l’amour personnel et désintéressé.
L’amitié transforme les cœurs bien plus sûrement que les
meilleures techniques de vente et les meilleurs artifices
d’évangélistes que les églises peuvent produire.
En cela j’ai une grande expérience personnelle,… et une
confiance inébranlable.

12
Tertullien, Apologie, 39.1

98

Scotthahn.indb 98 08/06/2010 10:30:23


VIII. Sécularité et Sécularisme

Soyez hommes et femmes de ce monde, mais


ne soyez pas mondains.
Chemin, 939

Il y a quelques années, lors d’une soirée, un comédien


américain fit éclater de rire son auditoire en imitant un télé-
évangéliste. A chaque fois qu’il employait le mot séculier, il le
sifflait comme s’il imitait le serpent démoniaque du jardin de
l’Eden. Cela sonnait aussi vrai qu’une satire. Le mot séculier,
pour un certain nombre de chrétiens représente l’origine et le
comble du mal dans le monde. Séculier pour ces chrétiens est
l’opposé même de sacré.
Il est facile de voir d’où proviennent ces idées. Les
mouvements révolutionnaires du dix-huitième et du dix
neuvième siècles opposèrent volontairement ces deux termes.
Les affaires séculières étaient l’objet de la chose publique. La
religion, le royaume du sacré, c’était une affaire privée qui ne
concernait que la conscience de chacun. Dans certains pays,
cette notion se présenta comme une séparation de l’église et
de l’état. D’autres pays allèrent au-delà de la séparation vers
la suppression, en déclarant que puisque la religion est une
affaire privée, elle devrait être limitée à la sphère privée, sans

99

Scotthahn.indb 99 08/06/2010 10:30:23


jamais influencer les débats politiques. Cela prit des formes
variées. Au Mexique par exemple, il fut interdit aux prêtres
de porter des vêtements ecclésiastiques en public. Plus tard
il leur fut totalement interdit d’exercer leur ministère. En
France, plus récemment, une loi interdisait aux jeunes filles
musulmanes de porter des foulards dans les écoles publiques.
Dans mon pays, les états-Unis, nous avons une situation
extrêmement bizarre : les villes n’ont pas le droit d’installer
des crèches dans les espaces publics pendant les fêtes de
Noël, mais des artistes reçoivent des subventions publiques
pour des œuvres qui ridiculisent les images religieuses.
Il y a peu de distance entre la séparation et la suppression, et
c’est ce mouvement historiquement inévitable qui transforme
la prononciation de séculier en sifflement dans la bouche du
comédien auquel je faisais allusion en début de chapitre.
Quand la religion est condamnée à rester enfermée chez
elle, le séculier devient une religion, appelée avec justesse
sécularisme ou dans d’autres pays laïcisme.

Dans le temps et dans le monde

Le sécularisme entraîne une fausse dichotomie entre société


et individus. Saint Josémaria l’explique bien : « On ne peut
séparer la religion de la vie, ni dans la pensée, ni dans la réalité
quotidienne. »1 Dans la pensée chrétienne sacré et séculier
indiquent deux ordres distincts mais pas séparés. Le mot séculier
vient du latin sæcula qui veut dire à la fois « le monde » et « le
1
Sillon, 308.

100

Scotthahn.indb 100 08/06/2010 10:30:23


temps », il embrasse tout l’environnement espace-temps, tout dans
la création. Ainsi les bénédictions et prières latines se terminent
souvent par la phrase « per omnia sæcula sæculorum », qui
signifie aussi bien « à travers le monde entier » que « à travers
toutes les époques dans le temps ». Une bénédiction ordinaire
consacre le monde et tout ce qu’il contient. C’est l’extension du
fameux passage de la Bible :  « Dieu a tant aimé le monde… qu’Il
envoya son Fils dans le monde, non pour condamner le monde,
mais pour que le monde soit sauvé par Lui » (Jn 3, 16-17).
L’église ne méprise pas le monde. Un laïc catholique ne
peut pas mépriser le monde. En fait, la vie des laïcs catholiques
est la réponse de Dieu à la prière traditionnelle de bénédiction
« per omnia sæcula sæculorum ».
Ici, cependant, il faut faire la distinction entre la vocation
laïque et la vocation religieuse. Celle-ci est par nature un
appel à quitter le monde. Les religieux, prêtres ou non,
les moines, les religieuses, et les frères suivent un chemin
de sainteté qui les mène à s’écarter des affaires terrestres.
Ils font vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Ils
adoptent, à un certain degré, une attitude de renoncement
au monde que la littérature spirituelle appelle contemptus
mundi. Comme l’a dit sainte Claire d’Assise, ils quittent les
choses du temps pour les choses de l’éternité. Ils s’écartent
du monde, tant pour travailler à leur propre salut, que pour
obtenir le salut du monde par leur intercession devant Dieu.
Moines et religieuses pratiquent un éloignement du monde et
portent remède de loin aux attaques des démons. Souvent les
habits du religieux les distinguent du reste de l’humanité.

101

Scotthahn.indb 101 08/06/2010 10:30:23


Le laïc chrétien, en revanche, est appelé à sanctifier le
monde de l’intérieur. La marque distinctive des laïcs, hommes
et femmes, est leur « caractère séculier », une orientation
appelée parfois « sécularité ».
Les laïcs catholiques ne doivent pas quitter les choses du
monde pour trouver les choses de l’éternité. « Sur la ligne de
l’horizon, mes enfants, le ciel et le terre semblent se rejoindre,
disait saint Josémaria, mais non, là où ils s’unissent, en
réalité, c’est dans vos coeurs, lorsque vous vivez saintement
la vie ordinaire.2 » L’ordre temporel est le domaine de Dieu,
et par conséquent il est aussi le domaine de ses enfants. Le
Catéchisme de l’église Catholique cite le Concile Vatican II :
« La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de
Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles
qu’ils ordonnent selon Dieu.3 » Le code de droit canonique
précise que la mission des laïcs est « d’imprégner d’esprit
évangélique et de parfaire l’ordre temporel, et de rendre ainsi
témoignage au Christ4 ».
Saint Josémaria a souligné le nécessaire contraste entre la
spiritualité séculière et la spiritualité religieuse et a précisé
que « la sécularité » est essentielle aussi pour les prêtres
de l’Opus Dei, puisqu’ils sont « prêtres séculiers » et non
membres d’un ordre religieux. Ils ne font pas de vœux. « Mes
enfants ne se distinguent en rien de leurs concitoyens. En
revanche, hormis la foi, ils n’ont rien de commun avec les
membres des congrégations religieuses. J’aime les religieux,
2
Entretiens, 116.
3
CEC 898, citant Lumen gentium, 31.
4
ICI, 225, 2.

102

Scotthahn.indb 102 08/06/2010 10:30:23


j’admire et vénère leurs clôtures, leurs apostolats, leur
détachement du monde — leur contemptus mundi — qui sont
d’autres signes de sainteté dans l’Église. Mais le Seigneur ne
m’a pas donné la vocation religieuse et ce serait un désordre
de ma part que de la désirer. Nulle autorité terrestre ne pourra
m’obliger à me faire religieux, non plus que nulle autorité ne
peut me contraindre au mariage. Je suis un prêtre séculier, un
prêtre de Jésus-Christ, qui aime le monde avec passion.5 »

Un chemin dans le monde

Le sécularisme ne provient pas de nulle part. Il émerge


parfois d’une sur-réaction face à un abus réel d’autorité
religieuse. L’abus peut être officiel, ou lorsqu’un état ou un
parti politique soutient que son approche est la seule approche
catholique valable. Au cours de l’histoire, il y a eu des exemples
désastreux de dirigeants qui ont invoqué l’approbation de Dieu
ou de l’église, quand ils manquaient d’arguments persuasifs,
de bonnes raisons ou du support populaire. L’histoire dit aussi
que certains prêtres et évêques ont utilisé leurs chaires ou
d’autres symboles de leur autorité ecclésiastique pour exercer
une influence indue sur les affaires financières ou politiques,
qui en fait étaient moralement neutres.
Cet abus s’appelle cléricalisme, et il paraît inévitable
qu’il provoque une vague d’anticléricalisme. Il y a peu
d’instincts humains aussi laids que la soif de pouvoir et il
est particulièrement malvenu chez des hommes ordonnés
5
Entretiens, 118.

103

Scotthahn.indb 103 08/06/2010 10:30:23


en vue du service. Le clergé possède une autorité dans les
domaines concernant la discipline de l’église. Mais exercer
cette autorité est délicat. Son ministère mérite le respect, mais
il ne devrait attendre de l’obéissance que dans les domaines
où il a une autorité légitime. Notre clergé peut nous dire
quand nous devons aller à la messe ou qui nous pouvons
légitimement épouser, mais il ne va pas se mêler de nos choix
de restaurants ou de partis politiques. (Cependant leur autorité
peut s’étendre aux choix politiques si les partis deviennent
ouvertement immoraux ou contraires à l’église. à plusieurs
époques, les évêques catholiques ont à juste titre interdit
d’être membres d’associations politiques affiliées au nazisme,
au communisme ou à la franc-maçonnerie.)
Les laïcs ne devraient pas non plus agir envers la
hiérarchie d’une manière obséquieuse ou excessivement
déférente. Les dirigeants d’entreprises n’ont pas à
consulter le curé sur leurs plans stratégiques. Quand un laïc
catholique adopte une attitude cléricale, cela se manifeste
habituellement par une extrême déférence vis-à-vis du
clergé, étendant l’autorité de l’église à des domaines qui
lui sont totalement étrangers. Le succès de nos efforts
séculiers doit être jugé par des critères séculiers. Nous ne
devons pas chercher le succès en utilisant un label officiel
« catholique » pour nos réalisations personnelles. De la
même manière, lorsque les laïcs organisent des activités
culturelles ou des programmes en faveur de défavorisés,
ils n’ont pas besoin de présenter ce service comme
officiellement catholique. Ils sont simplement au service

104

Scotthahn.indb 104 08/06/2010 10:30:23


de la société comme n’importe qui d’autre pourrait l’être,
catholique ou pas.
Saint Josémaria, dans sa vie et son ministère, a montré
qu’il était possible pour les catholiques d’avoir à la fois une
âme sacerdotale et une mentalité laïque. C’est vrai aussi bien
pour les prêtres que pour les laïcs. Il admirait le travail des
ordres religieux ; il avait de la dévotion envers des saints
comme saint Ignace de Loyola ou sainte Thérèse de Lisieux.
Pendant de nombreuses années, son directeur spirituel fut
un jésuite. Le fondateur conseilla très souvent aux premiers
membres de l’œuvre la lecture de L’Histoire d’une âme6 de
sainte Thérèse. Nous pouvons entendre des échos de la phrase
de saint Ignace « contemplatifs dans le monde » dans celle de
saint Josémaria, « contemplatifs au milieu du monde ». Nous
pouvons également entendre les échos de la « petite voie »
de sainte Thérèse dans son insistance à propos des « petites
choses ». Mais, par disposition divine, son chemin fut très
différent de leurs chemins.
En fait, son chemin fut aussi influencé par sa propre
éducation dans l’Espagne d’avant la guerre civile, au milieu
d’un peuple cruellement divisé entre factions cléricales et
anticléricales. Dans ce climat d’intolérance et de confusion,
Dieu lui montra le véritable chemin, qui n’était ni clérical, ni
anticlérical. Il était catholique, respectueux de la liberté et de
la dignité des uns et des autres, prêtres et laïcs. Le journaliste
John Allen a défini le chemin de saint Josémaria comme « le
glas du cléricalisme. »
6
Cf. André Vazquez de Prada, Le Fondateur de l’Opus dei, Vol. 2, p. 453.

105

Scotthahn.indb 105 08/06/2010 10:30:23


Surnaturellement naturel

Le « caractère séculier est propre… aux laïcs » selon les


termes du second Concile du Vatican, et ce caractère particulier
tend à produire un certain style de spiritualité.
L’amour du monde rend les laïcs capables de vivre et de
travailler avec « naturel » dans n’importe quelle circonstance,
sans habit ou comportement distinctif. Ce qui pourrait les
distinguer c’est leur droiture et leur charité. Si nous devons
être différents, ce doit être dans l’excellence du travail que
nous faisons, dans le service aux autres, comme offrande
à Dieu. Sécularité signifie se conduire d’une façon qui est
cohérente avec notre situation dans la vie, le lieu même où
Dieu nous a appelés.
Il ne serait pas naturel d’attirer l’attention par des
démonstrations publiques de piété, de la même façon
qu’il ne serait pas naturel, pour ma femme et pour moi,
d’attirer l’attention par d’excessives manifestations
publiques d’affection. Ma discrétion affective, qu’elle
soit dans la piété ou dans la tendresse, ne veut pas dire
que j’ai honte de mon statut de chrétien, ou d’homme
marié à Kimberley. Cela ne veut pas dire non plus que
je protège une sorte de secret. Il s’agit simplement de
la réserve propre au monde, ou au moins à la partie du
monde dans lequel je vis.
D’une manière similaire, nos maisons ne doivent pas être
décorées comme des églises médiévales dans le but de nous
sanctifier. Elle doivent être indubitablement chrétiennes,

106

Scotthahn.indb 106 08/06/2010 10:30:23


mais elles doivent être distinctement des maisons et non
des cathédrales.
Néanmoins, la sécularité, comme toute bonne chose, peut
être exagérée. Nous ne pouvons pas avoir un esprit si laïc que
nous en cacherions notre condition de chrétiens. Ce serait
aussi peu naturel que de porter un habit de moine par-dessus
nos vêtements de travail. Notre sécularité ne doit jamais
dériver vers le sécularisme.
« Sois naturel, dit saint Josémaria, comme ceux qui
t’entourent, tout en rendant surnaturel chaque instant de ta
journée.7 »

Le côté brillant

Lorsque je me suis rapproché de l’église catholique,


le sens de la sécularité de l’Opus Dei m’a particulièrement
frappé. Venant d’un passé calviniste, on m’avait appris à
regarder le monde et la race humaine déchue en termes de
« totale dépravation. » Avec un telle vision du monde, il peut
sembler naturel de siffler le mot « séculier », ainsi que des
comédiens le font quand ils imitent les télé-évangélistes, et
comme des télé-évangélistes le font quand ils ont peur que
même le mot les contamine.
Rien ne pourrait être plus éloigné de l’optimisme que
j’ai trouvé dans l’Œuvre. C’est un optimisme fondé sur la
sécularité et sur la notion biblique de souveraineté divine sur
la création. Saint Josémaria disait : «  Le Seigneur a voulu
7
Forge, 508.

107

Scotthahn.indb 107 08/06/2010 10:30:23


que nous qui sommes ses enfants et avons reçu le don de
la foi, nous manifestions notre vision optimiste et originale
de la création, cet « amour du monde » qui est au coeur du
christianisme.8 »
Cet optimisme s’étend même aux grands pécheurs, et à
ceux qui n’ont pas accepté Jésus-Christ. Car eux aussi ont été
créés par le Seigneur et sont autant capables de conversion
que nous. Contre la première Réforme protestante, le Concile
de Trente enseigna qu’il est possible pour l’homme de faire
des « actes bons » même sans être en état de grâce. Le Pape
saint Pie V condamna la notion protestante selon laquelle
« toutes les actions des non-croyants sont péchés, et les vertus
des philosophes (païens) de simples vices ». Sans le baptême,
nous sommes des êtres humains déchus, et nous avons besoin
d’un Rédempteur, mais nous portons toujours en nous l’image
de Dieu. Notre nature est blessée par le péché originel, mais
pas détruite.
Ainsi, en tant que catholiques, nous pouvons reconnaître
une vraie bonté dans les actions de nos voisins. Nous pouvons
apprécier la véritable qualité des vertus de nos collègues, même
si, dans d’autres domaines, ils semblent loin du Christ.
Ce n’est pas du simple naturalisme. Car seule la grâce
peut donner une valeur rédemptrice aux actions humaines.
Seule la grâce peut transformer nos travaux en Opus Dei.
Tout acte rédempteur vient du Saint-Esprit qui déverse sa
grâce dans le cœur de ses enfants adoptifs. Il est de notre
devoir d’attirer nos amis et nos collègues à être plus proches
8
Forge, 703.

108

Scotthahn.indb 108 08/06/2010 10:30:23


du Christ, car tous sont appelés à vivre la filiation divine.
Mais seul Dieu peut leur donner la capacité de vivre comme
ses enfants.
Saint Thomas d’Aquin l’a expliqué succinctement. à
la question  « Un homme peut-il, sans l’aide de la grâce,
désirer et accomplir ce qui est bon ? », il répond : « Parce
que le péché ne corrompt pas entièrement la nature humaine
et ne lui enlève pas tout son bien, il reste que l’homme, dans
cet état, peut, par sa vertu naturelle, réaliser quelque bien
particulier comme bâtir des maisons, planter des vignes, etc.
Mais il ne peut accomplir tout le bien qui lui est connaturel,
sans y manquer en rien. Ainsi un malade peut bien faire
quelques mouvements, mais il ne peut, sans le secours de
la médecine, se mouvoir comme un homme en parfaite
santé.9 »
Notre apostolat consiste à être des canaux de la grâce
pour les gens que nous rencontrons. Nous reconnaissons le
bien qu’il y a en eux, leurs vertus, et nous pouvons même
reconnaître qu’ils sont meilleurs que nous. Et cependant nous
pouvons les aider à s’améliorer encore. Nous pouvons les
aider à découvrir de nouveaux horizons, pour eux-mêmes,
pour leur vie de famille, pour leur travail. Par notre exemple
et notre amitié, nous pouvons les guider vers la foi, ce qui les
amènera à offrir leur travail comme co-rédempteurs avec le
Christ, en partageant son sacerdoce commun.
Il est possible que nous ne soyons pas nombreux. Mais
nos mains peuvent être le levier dont nos amis ont besoin
9
Somme Théologique, I-II, q 109, a.2.

109

Scotthahn.indb 109 08/06/2010 10:30:24


pour arriver à Jésus-Christ, car Il cherche toujours à les
atteindre. Divinisées par la grâce, leurs vertus passeront du
plan naturel au plan surnaturel. Il n’y a rien de mieux que
cela.
L’apôtre laïc est un apôtre joyeux, précisément en vertu
de sa riche sécularité. Nous sommes heureux de ne pas siffler
le mot, « sécularité », parce qu’un laïc ne peut s’empêcher
d’aimer le monde passionnément.10
« Le monde nous attend. Oui ! Nous aimons passionnément
ce monde parce que c’est ce que Dieu nous a appris: “sic Deus
dilexit mundum…” (c’est ainsi que Dieu a aimé le monde)
et parce que c’est le cadre de notre champ de bataille — une
merveilleuse guerre de charité — afin que nous parvenions
tous à cette paix que le Christ est venu instaurer.11 »

10
Titre de l’homélie la plus connue de saint Josémaria, publiée, entre autres, dans le
livre Entretiens avec Mgr Escriva.
11
Sillon, 290.

110

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IX. Sexe et Sacrifice

Tu ris parce que je te dis que tu as la « vocation


du mariage » Eh bien, tu l’as. Et c’est bien une
vocation.
Chemin, 27

Au cœur de l’Opus Dei se trouve l’expérience chrétienne


de la filiation divine. Dieu est notre Père. Nous sommes ses
enfants en Jésus Christ, le Fils éternel ; ainsi rassemblée
autour de sa table, l’église est la famille de Dieu sur terre,
comme la Trinité est la famille de Dieu au Ciel.
De ce mystère le Pape Jean Paul II écrivait : « Dieu dans
son très profond mystère n’est pas solitude, mais famille,
puisqu’Il a en Lui-même la paternité, la filiation et l’essence
de la famille qui est amour.1 » Remarquez que le Pape n’a pas
présenté la famille comme une métaphore pour la Trinité. Il
n’a pas dit que Dieu est comme une famille mais que Dieu
est famille2. Il serait plus véridique de dire que les familles
humaines sont comme une famille, que de dire que Dieu est
comme une famille.

1
Jean Paul II, Homélie à Puebla, 28-I-1979.
2
Sur la relation entre Dieu et « famille », il est important de noter qu’il
y a des distinctions importantes entre familles humaines et « la famille
Divine », par exemple Catéchisme de l’église Catholique, 239, 370.

111

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Toute les familles sur terre sont images de la divinité
et elle sont des églises domestiques. Il serait difficile de
surestimer leur importance dans la vie spirituelle. Cependant
nos familles sont si familières qu’il est facile de sous-estimer
leur importance.
Parce que les prêtres renoncent au mariage, les chrétiens
parlent parfois de la vie conjugale comme une vocation de
seconde classe, une source de distraction dans la prière, la
contemplation et l’apostolat. Mais ce n’est pas ainsi, ou au
moins ce ne doit pas être ainsi. On demandait un jour à saint
Josémaria :  « Père, comment peut-il être compatible de se
consacrer à notre famille et de se consacrer à Dieu ? » Saint
Josémaria répondit : « Mon fils, tu ne plairais pas à Dieu, si tu
n’étais pas consacré à ta famille ... Il n’y a pas de conflit entre
ces deux devoirs, comme les différents fils tissés ensemble
forment un cordage.3 »

Moments difficiles

Dans ses homélies et ses enseignements, le fondateur de


l’Opus Dei faisait constamment des analogies entre la vie
spirituelle et la vie de famille, entre la vie de l’institution
(l’église et l’Œuvre) et la vie à la maison.
« Je parle du sacrement de mariage avec émotion, car je
me souviens de l’amour de mes parents, raconta-t-il un jour.
Comme ils se conduisaient bien en toutes situations ! Il y eut
3
Transcription d’une réunion à Tajamar, Espagne, 28-10-1972. Grâce à
l’Institut historique saint Josémaria.

112

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des périodes très difficiles ; ils savaient comment s’encourager
l’un l’autre, nous élever d’une manière chrétienne, et accepter
la volonté de Dieu avec la piété que Dieu leur inspirait.4 »
Qu’il y eut des « périodes difficiles » est un euphémisme.
Josémaria était le second des six enfants de José et Dolores
Escriva. Trois seulement de ces enfants survécurent à l’enfance.
Josémaria lui-même mourut presque d’une fièvre, dans sa
petite enfance, et sa mère attribua sa guérison miraculeuse
à l’intervention de la Sainte Vierge Marie. José était un
commerçant, d’abord prospère, qui perdit tout, son affaire
et les économies familiales, à cause des pratiques douteuses
de l’un de ses associés. La famille Escriva fut réduite à une
relative pauvreté et à l’humiliation.
José supporta tout avec dignité et sans amertume. à partir
de ce moment, il dut travailler plus dur, pour gagner moins,
avec un statut social moins élevé, et il est probable que ces
tensions le conduisirent à une mort précoce. La maison des
Escriva resta cependant un havre de paix, et les parents
renforcèrent leur union dans leurs difficultés.
Méditant sur la vie d’amour et de sacrifice de ses parents,
saint Josémaria développa une estime profonde de la famille
en générale et de la sainte Famille de Nazareth en particulier.
Son prénom lui-même en est un reflet. Il avait été baptisé
José Maria, avec les prénoms séparés, mais jeune adulte, il
commença à utiliser les prénoms accolés : Josémaria, sans
espace entre eux, pour signifier l’union de Joseph et de Marie,
union souhaitée pour chaque famille humaine.
4
Script d’une réunion à Guadalaviar, Valence, Espagne,18-11-1972.

113

Scotthahn.indb 113 08/06/2010 10:30:24


Une pièce d’or

Il parlait souvent des joies du mariage. Néanmoins, il


insistait pour dire que « dans l’état de mariage, en considérant
les choses d’une manière descriptive, nous pourrions affirmer
qu’il y a un endroit et un envers. »
« D’une part le bonheur de se savoir aimé, la joie d’édifier
et de maintenir un foyer, l’amour conjugal, la consolation
de voir grandir ses enfants. De l’autre, des peines et des
contrariétés, le passage du temps qui consume les corps et
menace d’aigrir les caractères, l’apparente monotonie des
jours apparemment toujours semblables.
Celui qui estimerait qu’amour et bonheur sont réduits à
néant par ces difficultés aurait une piètre idée du mariage et
de l’amour humain. C’est précisément quand les sentiments
qui animaient les créatures révèlent leur véritable nature,
que le don de soi et la tendresse s’enracinent et apparaissent
comme une affection authentique et profonde, plus forte que
la mort.5 »
Il savait bien, par l’expérience de sa propre enfance, que la
souffrance est parfois inévitable. L’échec d’une entreprise, la
mort d’un être aimé … de tels évènements sont impossibles à
prévoir et à préparer. Mais la dure monotonie quotidienne d’un
homme au chômage ou travaillant en dessous de son niveau de
compétences, ou encore gagnant moins d’argent que ce dont
il a besoin... n’est pas moins lassante. Cependant ce sont les
contingences d’innombrables familles. La souffrance existe !
5
Quand le Christ passe, 24.

114

Scotthahn.indb 114 08/06/2010 10:30:24


Pourtant ce que nous faisons de la souffrance est ce qui fait de
nous des saints ou des malheureux. C’est notre choix, mais ce
n’est pas un problème pour nous seuls. Lorsque nous vivons en
famille, ou dans n’importe quel foyer, notre choix affecte tous
ceux qui nous entourent. Soit nous offrons notre souffrance pour
rendre heureux les autres, soit nous multiplions nos plaintes et
rendons triste l’atmosphère de la maison. Il y a des jours où
le plus grand sacrifice est de sourire quand nous n’en avons
aucune envie. « J’ai souvent dit, remarquait saint Josémaria,
que la mortification la plus dure peut être de sourire… Alors,
sourions !6 »
« Mes enfants, l’amour est sacrifice, disait-il. Un homme
marié doit aimer sa femme, et lui montrer qu’il l’aime » ; aux
épouses de leur côté, il disait : « Aimez beaucoup votre mari,
mais ne le considérez jamais comme conquis définitivement ;
soyez toujours bien mises, belles, attirantes. L’affection vient
naturellement chez un couple au moment des fiançailles,
mais à la longue, cela peut demander un effort, et même une
certaine préparation.7 »
Il encourageait les couples à se montrer affectueux l’un
envers l’autre tout au long des années de leur vie commune.
Il leur disait : « Vous devez être toujours un peu comme des
fiancés, sinon, cela ne va pas.8 » Il les incitait à faire des
efforts dans les petites choses : la manière de s’habiller, de
rentrer à la maison après une journée de travail, le soin dans
6
Transcription d’une réunion au club Xenon à Lisbonne, Portugal, le 3-
11-1972.
7
Ibidem.
8
Ibidem.

115

Scotthahn.indb 115 08/06/2010 10:30:24


la préparation d’un repas, l’accueil mutuel. « Le sourire est
important, disait le fondateur, les couples chrétiens doivent, se
sacrifier joyeusement, et discrètement.9 »

Le lit, autel des mariés

Il ne fuyait pas non plus la discussion sur la relation sexuelle


des couples mariés. Il en parlait à une époque où la plupart des
chrétiens évitaient ce sujet, d’autres n’en parlaient qu’en termes
de devoir, ou même d’une concession à la faiblesse. Lui au
contraire parlait du mariage comme d’un autel. En effet, ce qui
est placé sur l’autel est saint et offert à Dieu. Le sexe, comme tout
ce qui touche à la vie ordinaire, devrait faire partie du « sacrifice
vivant, saint et agréable à Dieu », dont parle saint Paul (Rm 12,1).
Notre sexualité vient de Dieu et retourne vers Lui par l’offrande
sacrificielle du couple chrétien, leur total don de soi, le don de
leur vie entière, donnée l’un à l’autre et à Dieu. Saint Josémaria
le disait sans détours : « Le sexe est quelque chose de saint et de
noble en tant que participation au pouvoir créateur de Dieu, et de
ce fait destiné au mariage.10 »
Saint Josémaria louait la pure expression sexuelle de
l’amour conjugal, et il insistait pour qu’une telle louange
soit justifiée, surtout comme commandement de la doctrine
catholique : « Le mariage est un sacrement qui fait de deux
corps une seule chair ; comme la théologie le souligne
avec force, les corps mêmes des conjoints en constituent la
9
Ibidem.
10
Amis de Dieu, 185.

116

Scotthahn.indb 116 08/06/2010 10:30:24


matière. Le Seigneur sanctifie et bénit l’amour du mari envers
sa femme et celui de la femme envers son mari : c’est Lui qui
a disposé non seulement la fusion de leurs âmes, mais aussi
celle de leurs corps. Aucun chrétien, qu’il soit ou non appelé
à la vie matrimoniale, ne peut la sous-estimer.11 »
L’expression sexuelle de l’amour conjugal est quelque
chose qui place les êtres humains au-dessus des animaux.
Véritablement le sexe humain scelle, renouvelle et renforce
l’unité entre un homme et une femme. Les deux deviennent
un, et cette unité est si réelle que, neuf mois plus tard, ils
peuvent avoir à lui donner un nom. L’amour humain se
réalise en engendrant à la vie d’autres êtres humains. L’église
catholique a toujours enseigné que les relations sexuelles
appartiennent seulement au mariage dans un engagement de
toute une vie, qui crée un foyer stable, où les enfants sont les
bienvenus. L’église a de plus enseigné que chaque acte sexuel
doit respecter les deux aspects du sexe : l’unité du couple et la
procréation des enfants.
Dieu a créé la vie de famille pour nous sortir graduellement
de nous-mêmes, de notre égoïsme, afin que nous apprenions
à faire des sacrifices plus grands , qui manifestent l’amour
mutuel. Au départ, chacun de nous vit seul, comme Adam,
mais il n’est pas bon que l’homme soit seul. Nous entrons donc
dans la vie avec une autre personne, à travers notre mariage.
Puis les enfants, et plus tard les petits-enfants, nous sortent de
notre monde fermé, pour imiter Dieu qui se donne Lui-même
entièrement et généreusement, pour le bien de ses enfants.
11
Quand le Christ passe, 24.

117

Scotthahn.indb 117 08/06/2010 10:30:24


Les enfants nous sanctifient. Ils nous apportent de très
grandes joies, et ils demandent des privations certaines.
Ils doivent être nourris, habillés, éduqués, disciplinés et
surveillés. Tout cela peut être coûteux en termes humains et
financiers. Mais nous ne pouvons pas choisir les joies de la
paternité et en rejeter les privations. Nous ne pouvons pas
non plus maximiser l’un et minimiser l’autre. La vie ne se
déroule pas selon nos plans. Selon les mots d’une chanson
populaire « la vie est ce qui vous arrive, au moment où
vous êtes en train de faire d’autres plans ».
Saint Josémaria poussait les familles à être largement
ouvertes à la vie, et coopérer généreusement avec le
Seigneur. Il parlait toujours des enfants comme d’une
« bénédiction » pour un couple. « Peur d’avoir des enfants ?
Non ! Vous devez aimer beaucoup Dieu, et le remercier
profondément quand Il vous envoie des enfants. Chaque
enfant qui arrive dans votre famille est une preuve de la
confiance de Dieu en vous. Soyez heureux. D’où je viens,
on dit que chaque enfant vient avec une miche de pain sous
le bras.12 »
Il reconnaissait que cet esprit allait à l’encontre de la
culture actuelle, à une époque où les contraceptifs sont
distribués largement. Il encourageait les couples à résister
à cette tendance. « Ne tolérez pas cette propagande anti-
chrétienne infâme. Ils veulent vous traiter comme des
animaux ! C’est pourquoi je vous dis de vous rebeller, d’être
des rebelles. J’en suis un. Je ne veux pas vivre comme un
12
Transcription d’une réunion à Pozoalbero, Jerez de la Frontera, 12-11-1972.

118

Scotthahn.indb 118 08/06/2010 10:30:24


animal, je veux vivre en enfant de Dieu ; et je veux que vous
en fassiez autant.13 »
Toutes les unions conjugales ne seront pas bénies par
l’attente d’un enfant, et il y a certainement des cas où le
planning familial est légitime. Cependant, tous les actes
devraient être ouverts à la possibilité d’une nouvelle vie.
Tous les mariages ne seront pas bénis par des enfants.
Certains couples feront face à une stérilité tout au long de leur
vie. Saint Josémaria leur enseignait de s’aimer l’un l’autre
tendrement et de dépenser avec prodigalité leur amour auprès
de ceux qui les entourent, en consacrant plus de temps à des
activités apostoliques et de service envers leurs amis. C’est ce
qu’il appelait vivre dans la famille des enfants de Dieu. Ainsi
leur vie, comme la vie de leurs parents et de leurs amis, serait
féconde.
Dieu, dans sa Providence, a deux façons de bénir les
mariages : l’une en leur donnant des enfants, et l’autre parfois,
parce qu’Il les aime autant, en ne leur donnant pas d’enfants.
Je ne sais pas quelle est la meilleure bénédiction. Dans chaque
cas, que chacun accepte la sienne.
« à ces couples qui n’ont pas d’enfants, je leur dis de
s’aimer très fort, très fort. L’amour humain dans le mariage
est très agréable à Dieu. Aimez-vous l’un l’autre de toute
votre âme, selon la loi naturelle et la loi de Dieu.14 »
Un cadeau encore plus généreux de la sexualité humaine
est le célibat pour l’amour du Royaume de Dieu. Le célibat
13
Ibidem.
14
Ibidem.

119

Scotthahn.indb 119 08/06/2010 10:30:24


donne aux hommes et aux femmes une plus grande liberté
pour servir Dieu dans une grande variété de circonstances et
avec un maximum de mobilité. Une vie de célibat, qui plus est,
anticipe la réalisation glorieuse du Christ à la fin des temps.
« Car une fois ressuscités des morts, les hommes ne prennent
pas de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils sont comme
les anges dans le ciel. » (Mc 12, 25). Un bon nombre de
membres de l’Opus Dei ont accepté cet appel. Il vient de Dieu,
mais ils l’ont entendu de saint Josémaria : « Beaucoup vivent
comme des anges dans le monde … Pourquoi pas toi ?15 »

Penser avec Notre Mère

Comme je l’ai dit plus haut, saint Josémaria appliquait


le paradigme de la vie familiale dans l’Opus Dei, et aussi
dans la vie de l’église. C’est une autre qualité qui m’a rendu
l’Opus Dei si attirant, pour moi, nouveau catholique. Les
membres ne divisaient pas l’église en gauche et droite, en
libérale et conservatrice, en traditionaliste et progressiste
ou autres divisions du même genre. Ils voyaient l’église
comme une famille dont l’unité essentielle dépassait toutes
les différences d’opinions, de goûts et de préférences. Les
membres de l’Opus Dei me semblaient trouver facile de
« penser avec l’église », parce qu’ils pensaient l’église
comme une famille, plutôt qu’une institution et encore moins
une idéologie. Pour saint Josémaria, l’église catholique était
« Notre Mère la sainte église », qui nourrissait ses enfants
15
Chemin, 122.

120

Scotthahn.indb 120 08/06/2010 10:30:24


avec sa propre substance dans l’Eucharistie, et les préparait
à affronter la vie avec la bonne doctrine.
Ce que les fidèles de l’Opus Dei avaient, ils voulaient le
partager. C’était la vérité éternelle du Christianisme. Mais
c’est encore plus. C’est être membre d’une famille, la vie
d’enfant de Dieu, dans la maison de Dieu. Ainsi leur apostolat
avait toujours un contenu catéchétique et un style charitable,
respectant la véritable liberté des enfants de Dieu, mais
reprenant et corrigeant aimablement quand c’était nécessaire.
Quand j’ai rencontré ces personnes, j’étais déjà mari et
père. Dieu m’a tiré hors de moi-même, en me montrant de
nouveaux horizons.
Pour moi depuis le début, je me suis senti chez moi dans
l’Opus Dei.

121

Scotthahn.indb 121 08/06/2010 10:30:24


X. L’atelier de Nazareth : l’unité de vie

Quiétude. — Paix. — Vie intense mais au-


dedans de toi. Sans galoper, sans cette maladie
de changer de place, de l’endroit même qui
t’est assigné dans la vie tu seras pour beaucoup
source de lumière et d’énergie, comme une
puissante turbine spirituelle..., sans perdre toi-
même ta force et ta lumière.
Chemin, 837

Les membres de l’Opus Dei ont une profonde dévotion


envers saint Joseph, dévotion qu’ils ont apprise de saint
Josémaria. Chaque jour, en commençant son oraison mentale,
il demandait l’intercession du père nourricier de Jésus,
s’adressant à lui comme « son Père et Seigneur ». Tous les
ans, le 19 mars, en la fête de saint Joseph, les fidèles de
la Prélature, qui ont fait « l’oblation », renouvellent leur
engagement dans l’Œuvre.
La dévotion à saint Joseph est un phénomène étonnant
et récurrent dans l’histoire. Dans les Écritures, le vénérable
patriarche ne prononce pas une parole. Il se déplace en silence
dans les pages de deux évangiles, toujours à l’écoute des
messages des anges, toujours attentif à prendre soin de sa

122

Scotthahn.indb 122 08/06/2010 10:30:25


femme et de l’Enfant. Dans les deux autres évangiles, il n’est
évoqué que très brièvement, uniquement lorsque l’on parle du
« fils du charpentier ».
Il était certainement un homme fort et silencieux. Et il
a dû être fort, dans sa foi, physiquement, et dans son rôle
de père, pour emmener sa famille en Egypte et la ramener
ensuite à Nazareth alors que les forces d’Hérode et du diable
étaient liguées contre eux.
Si tout ce que saint Josémaria nous avait appris était la
dévotion à saint Joseph, il nous aurait déjà beaucoup appris.
Car nous trouvons, dans la vie de saint Joseph, l’essentiel
de l’Opus Dei. Nous y trouvons la paternité et la filiation.
Nous avons un aperçu de la vie de famille, joyeuse en dépit
des difficultés. Nous y voyons une vie de piété. Nous y
rencontrons un homme qui travaille dur et qui est renommé
pour son travail. Et tous ces éléments se trouvent réunis dans
sa vie. Saint Joseph a vécu une vie de paix parce qu’il ne s’est
jamais dispersé. Il a très bien vécu ce que saint Josémaria
appelait « l’unité de vie ».

La maison du Verbe

Il peut être instructif d’essayer d’imaginer la vie de Jésus,


Marie et Joseph, pas uniquement leur vie de famille mais
aussi leur environnement. Leur maison était certainement
une habitation typique de leur époque : une petite structure
de pierre et de bois, une pièce unique éclairée par une seule
lampe et aérée par une seule ouverture. Nous savons, en lisant

123

Scotthahn.indb 123 08/06/2010 10:30:25


l’évangile de Luc, que la Sainte Famille était pauvre ; lors
de la présentation de Jésus au Temple, ils offrent le sacrifice
réservé aux familles pauvres, « un couple de tourterelles, ou
deux jeunes colombes » (Luc 2, 24). Pourtant, on peut penser
que, Joseph étant artisan, leur maison était mieux construite
que la plupart, même si elle était de taille modeste.
L’unique pièce était probablement très peu meublée car
elle servait de salle à manger le jour et de chambre à coucher
la nuit. Elle pouvait certainement aussi servir d’atelier pour
la petite entreprise familiale. Dans ce genre de maison, le lit
familial devait être un tapis (ou des tapis) posé sur le sol, et
pendant les saisons froides, les familles qui élevaient du bétail
partageaient leur espace pour dormir avec les animaux.
En ces temps-là, il n’y avait pas de ligne de séparation bien
définie entre la famille de base et les voisins. Même dans le
nord du pays, en Galilée, terre des Gentils, les villages étaient
souvent des implantations tribales. Aussi, tout le monde,
dans l’entourage immédiat d’un paysan, avait le sentiment
d’appartenir à la même famille. De fait, dans le langage, il n’y
avait pas de mot distinct pour désigner un cousin ; tous les
parents par le sang étaient considérés comme des « frères et
sœurs » sans s’occuper du degré de parenté. De plus, les liens
familiaux d’un individu s’étendaient et débordaient vers les
membres des douze tribus d’Israël, ou du moins ce qu’il en
restait sur les terres de leurs ancêtres.
Dans une certaine mesure, pour la plupart, le village
représentait l’horizon du monde. Les longs voyages étaient
difficiles et parfois dangereux en raison des bandits et des

124

Scotthahn.indb 124 08/06/2010 10:30:25


animaux sauvages qui traînaient la nuit près des routes.
Lorsque les villageois entreprenaient un voyage vers Jérusalem,
comme ils le faisaient pour accomplir un pèlerinage lors des
grandes fêtes, ils voyageaient en caravane avec les membres
de leur tribu et pas avec des étrangers, comme cela se fait
souvent aujourd’hui. Et la caravane pouvait être très longue, si
longue, si sûre et si familiale qu’un enfant pouvait disparaître
une journée entière avant que ses parents ne commencent à
s’inquiéter (cf. Lc 2, 42-45).
Les pèlerinages étaient des temps forts du calendrier
religieux juif. Mais il est trompeur de parler de « calendrier
religieux » car pour le peuple élu de Dieu il n’y avait qu’un
seul calendrier confondu avec la loi et la liturgie de l’alliance.
La liturgie, ce n’était pas simplement les cérémonies célébrées
dans le Temple, ou les rites observés lors des assemblées
bi-hebdomadaires à la synagogue ; la liturgie était ce qui
imprégnait toute la vie. Selon la loi d’Israël, chaque jour
débutait par une invocation au Tout-Puissant et chaque repas
était un moment sacré précédé d’une bénédiction.
Telle était la vie de saint Joseph, un travailleur ordinaire
de la tribu de David dans une province d’un vaste empire. Par
bien des aspects, sa vie différait de la nôtre. Mais elle était
rythmée par la prière, le travail, les souffrances, et c’était une
vie parfaitement acceptée. Saint Josémaria tenait saint Joseph
pour un modèle « d’unité de vie » qu’il pouvait donner en
exemple à tous.
Ce modèle est un défi pour nos contemporains d’aujourd’hui
dans nos sociétés sécularisées. Notre culture nous conditionne

125

Scotthahn.indb 125 08/06/2010 10:30:25


pour donner du temps à la religion, mais ce temps doit être
mis bien à part. Nous pouvons reporter ces moments sur
notre agenda ou notre Blackberry1 pour que nos dimanches
matins soient préservés et sacrés. Mais où est Dieu le reste
de la semaine ? Où est Dieu lorsque nous travaillons, nous
jouons, nous nous reposons ou aidons nos enfants à faire leurs
exercices d’algèbre ?
Saint Josémaria a vu que la grande tentation moderne pour
les chrétiens était « de mener une espèce de double vie : d’un
côté la vie intérieure, la vie de relation avec Dieu ; de l’autre,
une vie distincte et à part, la vie familiale, professionnelle,
sociale, pleine de petites réalités terrestres ». Mais il insistait
pour que nous ne cédions pas à la tentation : « Il n’y a qu’une
seule vie, faite de chair et d’esprit et c’est cette vie-là qui doit
être — corps et âme — sainte et pleine de Dieu : ce Dieu
invisible, nous Le découvrons dans les choses les plus visibles
et les plus matérielles.2 »
La vie que préconise saint Josémaria est une vie sans
dichotomie, comme celle de saint Joseph, totalement séculière
mais également sainte, immergée dans la vie du village (que
ce soit en Galilée ou ailleurs), mais aussi toujours orientée
vers Dieu. C’est une vie qui unit le divin et l’humain, le
théorique et le pratique, le professionnel et le familial. C’est
une vie totalement orientée vers le Ciel, qui déjà commence
ici-bas, en un certain sens.
Une telle attitude fait que les jours sont heureux, même

1
NdT : Célèbre marque d’ordinateur de poche.
2
Entretiens, 114.

126

Scotthahn.indb 126 08/06/2010 10:30:25


au milieu des difficultés. Et elle explique la joie que j’ai
trouvée chez les premiers membres de l’Opus Dei que j’ai
rencontrés.
« Le Seigneur ne nous demande pas d’être malheureux
dans notre chemin sur terre, et de n’attendre notre consolation
que de l’au-delà. Dieu nous veut heureux ici-bas, mais dans
l’attente impatiente de l’accomplissement définitif de cet autre
bonheur que Lui seul peut nous donner entièrement. Sur cette
terre, la contemplation des réalités surnaturelles, l’action de
la grâce dans nos âmes, l’amour du prochain, fruit savoureux
de l’amour de Dieu, supposent déjà une anticipation du ciel,
le début de quelque chose qui doit croître de jour en jour.
Nous, chrétiens, nous n’admettons pas de double vie, nous
maintenons dans notre vie une unité simple et forte, dans
laquelle se fondent et se mêlent toutes nos actions.3 »
La filiation divine est le principe unificateur. Saint Joseph
a appris à être un fils de Dieu en observant le Fils de Dieu
grandir auprès de lui. Jésus était leur seul adorable petit enfant
et certainement son père nourricier L’adorait, apprenant de
l’Enfant comment faire confiance à son Père et s’abandonner
à sa volonté. Nous aussi nous pouvons apprendre des petits
enfants et même nous le devons. Jésus lui-même n’a-t-Il pas
dit : « En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez pas à l’état
des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux »
(Mt 18, 3).
Les petits enfants ne vivent pas plusieurs vies. Ils peuvent
jouer différents personnages dans leurs jeux, mais ils restent
3
Quand le Christ passe, 126.

127

Scotthahn.indb 127 08/06/2010 10:30:25


eux-mêmes, à l’aise dans la maison de leurs parents, à l’aise
dans le monde de leurs parents. Si nous savons apprendre
d’eux, ils nous montreront comment apporter l’unité dans
notre vie.
La vie spirituelle dans l’Opus Dei est riche en coutumes
de dévotion. J’ai entendu qualifier la spiritualité de l’Opus
Dei de trinitaire, d’eucharistique, de christocentrique, ou
de mariale. C’est tout cela à la fois, avec en plus une bonne
dose d’angéologie. Et tout cela à la fois précisément conduit
à la filiation divine, à l’enfance spirituelle. Comme dit le
fondateur : « Cette unité de vie dont l’axe est la présence
de Dieu, Notre Père, peut et doit être pour nous une réalité
quotidienne.4 »
La présence de Dieu est la clé. Dieu est toujours avec nous,
que nous en ayons conscience ou non. Il est toujours attentif,
avisé et prêt à nous aider pour peu que nous le lui demandions.
Ce sont cette prise de conscience et cet acte de demande qui
marquent la différence entre un travail qui est le nôtre et un
travail qui est celui de Dieu, entre opus noster et opus Dei.
Notre travail peut nous aider à passer le temps, mais celui de
Dieu amène son règne. Et il nous conduit à la plénitude de la
vie.
Le plan de vie que saint Josémaria a légué à l’église,
la spiritualité qui l’anime, sont emblématiques du rôle de
« semeur de paix et de joie ». Là où l’unité de vie est présente,
il n’y a pas de division, donc moins de conflit interne et plus de
sérénité intérieure. « Travailler ainsi, c’est prier. étudier ainsi,
4
Ibidem, 11.

128

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c’est prier. Faire ainsi de la recherche, c’est prier ; nous n’en
sortons jamais ; tout est prière, tout peut et doit nous mener à
Dieu, nourrir ce dialogue continuel avec Lui, du matin au soir.
Tout travail digne peut être prière ; et tout travail qui est prière
est apostolat. C’est ainsi que l’âme s’affermit, dans une unité
de vie simple et solide.5 »

La maison est là où bat le cœur

Nous sommes les enfants de Dieu par le Fils éternel de


Dieu qui est aussi le Fils de Marie. Nous sommes chez nous
dans la Trinité, chez nous à la Messe. Mais aussi chez nous à
l’atelier, tout comme saint Joseph était chez lui dans son atelier
de Nazareth. Et bien sûr, nous sommes chez nous quand nous
sommes à la maison. Il n’y a qu’une vie, qui ne fait qu’un
avec Dieu, un avec son église et un avec tous ses enfants.
« Jésus n’admet pas cette division : nul ne peut servir deux
maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera
à l’un et méprisera l’autre. Le choix exclusif de Dieu que fait
un chrétien en répondant pleinement à son appel, le pousse à
tout orienter vers le Seigneur et, en même temps, à donner à
son prochain ce qui lui revient en toute justice.6 »

5
Ibidem, 10.
6
Amis de Dieu, 165.

129

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XI. Une Mère au travail

Mais... as-tu vu les mères d’ici-bas, bras


tendus, suivre leurs petits quand ils s’aventurent
tout tremblants à faire leurs premiers pas sans
l’aide de quiconque ? — Tu n’es pas seul : Marie
est près de toi.
Chemin, 900

Un père construit une maison, mais une mère en fait un


chez soi.
Les prêtres de l’Opus Dei, suivant en cela l’exemple
de saint Josémaria, ont l’habitude de conclure leurs
méditations et leurs homélies en invoquant la Sainte
Vierge. Une guirlande mariale jalonne le plan de vie avec
le chapelet et l’Angelus quotidiens, une antienne chaque
semaine et un pèlerinage annuel. Tous les fidèles de la
prélature et bon nombre de ceux qui suivent ses activités
terminent leurs prières par l’invocation : « Sainte Marie,
Notre espérance, siège de la Sagesse, priez pour nous »
ou « Sainte Marie, Notre espérance, servante du Seigneur,
priez pour nous ».
En nous appelant ses enfants, Dieu nous a donné sa vie,
sans retenue. Tout ce qu’Il a donné à son Fils unique, Il le

130

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donne maintenant à « l’assemblée des premiers inscrits dans
les cieux » (He 12, 23).
En tant que membres de sa famille, nous sommes « héritiers
de Dieu et cohéritiers du Christ » (Rm 8, 17), et de ce fait
nous partageons tout ce qui est du Christ. Nous partageons sa
maison, l’église (cf. Ep 2, 19-20). Nous partageons son nom,
dans lequel nous avons été baptisés (cf. Mt 28, 18-20). Nous
prenons place à sa table (cf. 1 Co 10,21). Nous partageons sa
chair et son sang (cf. He 2,14).
Et nous partageons sa Mère. Marie est la Mère du Dieu
qui est venu sur terre pour être notre Frère. Elle est la Mère de
Dieu et notre mère également.
Dieu nous a introduits dans sa maison, dans sa famille
et une famille a normalement une mère. Toutes les familles
n’ont pas une mère, mais celles qui l’ont perdue en ressentent
l’absence.
Le « secret » de l’Opus Dei est qu’il n’y a pas de secret.
Il n’y rien d’obscur ou de mystérieux. Le « secret » c’est la
filiation divine. Nous sommes des enfants de Dieu, et parce
que nous sommes des enfants de Dieu nous sommes des
enfants de sa Mère, Marie.
Au sein de sa petite famille, l’Œuvre, saint Josémaria lui a
donné les honneurs qui lui sont dus. De la même façon qu’à
saint Joseph, et même encore plus car Dieu l’a préservée du
péché ; elle est une image, une icône de l’amour, du sacrifice
et de la communion de l’Opus Dei.
« Notre Mère est un modèle de réponse à la grâce et, si
nous contemplons sa vie, le Seigneur nous éclairera pour

131

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que nous sachions diviniser notre existence ordinaire.[…]
Commençons par imiter son amour. La charité ne s’arrête
pas aux sentiments ; elle doit se manifester en paroles et,
avant tout, en actes. La Vierge n’a pas seulement prononcé
un fiat, mais elle a accompli, à tout moment, sa ferme et
irrévocable décision. Nous devons agir de même : lorsque
l’amour de Dieu nous pousse et que nous découvrons ce
qu’Il veut, nous devons nous engager à être fidèles, loyaux,
et à l’être vraiment. Car ce n’est pas en me disant “Seigneur,
Seigneur”, qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais
c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les
cieux.
« Nous devons imiter l’élégance naturelle et surnaturelle
de Marie. C’est une créature privilégiée dans l’histoire du
salut : en elle, le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi
nous. Elle fut un témoin plein de délicatesse et qui passa
inaperçu ; elle ne voulut pas recevoir de louanges, car elle
n’ambitionnait pas la gloire pour elle-même. Marie est témoin
des mystères de l’enfance de son Fils, mystères normaux si
l’on peut s’exprimer ainsi : à l’heure des grandes miracles,
des acclamations des foules, elle s’efface. A Jérusalem,
lorsque le Christ — montant un petit âne — est acclamé
comme Roi, Marie n’est pas là. Mais on la retrouve près
de la Croix, lorsque tout le monde a fuit. Cette conduite a
la saveur naturelle de la grandeur, de la profondeur et de la
sainteté de son âme.
Efforçons-nous d’imiter son obéissance à la volonté de
Dieu, obéissance où se mêlent harmonieusement noblesse

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et soumission. Chez Marie, rien ne rappelle l’attitude
de ces vierges folles qui obéissent, il est vrai, mais sans
réfléchir. Notre Dame écoute avec attention ce que Dieu
veut d’elle ; elle médite ce qu’elle ne comprend pas ; elle
interroge sur ce qu’elle ne sait pas. Ensuite, elle s’applique
de tout son être à accomplir la volonté divine : je suis la
servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole!
Quelle merveille! Sainte Marie, notre exemple en toutes
choses, nous apprend maintenant que l’obéissance à Dieu
n’est pas servilité, qu’elle ne subjugue pas notre conscience.
Au contraire, elle nous incite intérieurement à découvrir la
liberté des fils de Dieu.1 »

1
Quand le Christ passe, 173.

133

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XII. parle lui d’amoUR

Si l’Amour, et même l’amour humain, donnent


ici-bas tant de consolations, qu’en sera-t-il de
l’Amour dans le ciel ?
Chemin, 428

Je me rappelle toujours le moment où j’ai vraiment


compris l’Opus Dei. Jusqu’alors j’appréciais beaucoup
sa fidélité à la doctrine chrétienne, son plan de vie et la
cordialité et l’intelligence de ses membres. Mais je ne
comprenais pas ce qui en faisait quelque chose d’à part.
En regardant en arrière, je vois que j’avais de bonnes
excuses de ne pas avoir compris tout de suite. D’abord
j’étais tout nouveau dans la foi catholique. Ensuite j’étais
aussi personnellement très déstabilisé, jusqu’à l’anxiété.
Ma foi toute neuve pesait sur mon couple ; beaucoup de
temps que j’aurais pu passer à comprendre l’esprit de
l’Opus Dei, je le passais plutôt à préparer les explications
à donner à mon épouse sur les croyances et pratiques
catholiques. Comme le dit saint Pierre, nous devons être
« toujours prêts à répondre à quiconque vous demande
raison de l’espérance qui est en vous » (1 P 3,15). Et je
pense que ça demande le double de temps si c’est votre
épouse qui vous le demande.

134

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Kimberley était (et est toujours) la fille d’un pasteur
presbytérien, à la personnalité très cohérente, très bien
éduquée, très pieuse et passionnée. Elle est titulaire d’une
maîtrise en théologie d’une des écoles évangéliques les
plus renommées en Amérique. Elle comprenait ce qu’elle
croyait et elle savait pourquoi. En tant que calviniste
intelligente et bien formée, elle savait pourquoi elle était
protestante. Le vrai fond de la Réforme protestante était
une protestation contre certaines doctrines et dévotions
traditionnelles chez les catholiques. Kimberley avait de
sérieux griefs contre le catholicisme, du moins dans ce
qu’elle en percevait. Elle redoutait qu’à travers mes actes
de dévotion mariale, je me détourne de Jésus-Christ. Elle
craignait que le recours aux sacrements ne comporte un
aspect de superstition et que mes invocations des saints
soient de l’idolâtrie.
Aussi je fis ce que tout être rationnel eût fait dans une
telle situation. Tous les jours, je passais des heures à faire
des recherches et à façonner des réponses à ses objections,
à préparer des arguments à partir de ces réponses et ensuite
à répéter mentalement la meilleure façon de lui présenter
ces arguments.
J’étais vraiment surpris, lorsque ma stratégie ne semblait
pas efficace. Kimberley et moi restions debout jusqu’à trois
heures du matin à débattre sur nos différends doctrinaux et
nous reprenions notre conversation au petit déjeuner. Pourtant,
plus mes arguments me semblaient irréfutables, plus il me
semblait l’éloigner non seulement de l’église catholique mais

135

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également de moi-même. Au bout de quelque temps, elle
refusa de lire les articles et les livres que je lui recommandais.
Elle refusait de lire même un paragraphe d’un article sur la
Vierge Marie. Je peux dire qu’elle commençait à redouter
nos discussions, par peur de ne pas savoir comment cela se
terminerait.
J’en étais à la fois frustré et navré. Je me tournais vers Gil,
un de mes amis, qui se trouvait être membre de l’Opus Dei.
Très peiné, je lui racontai en détail combien j’avais essayé
d’anticiper les craintes de Kimberley et avec quelle délicatesse
j’avais essayé de les aborder.
Je vis Gil tressaillir. « Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
lui demandai-je.
Il me regarda le plus amicalement possible et dit :
« Pourquoi ne laisses-tu pas tomber l’apologétique pour
aborder les sentiments ? »
Je fus d’abord sceptique. Mais je confiai mon problème
à mon confesseur, un prêtre de l’Opus Dei, qui de façon
surprenante me donna un conseil similaire. Le message était
on ne peut plus clair : « Scott, parle moins de théologie, parle
lui d’amour ».
Cela me semblait à peine croyable. Moi, un théologien,
recevoir le conseil d’abandonner la reine des sciences, la plus
noble des activités que je connaisse, tout ça pour quoi ? Un
dîner aux chandelles et de petites attentions?
Mais tous les deux m’avaient indiqué le même chemin à
suivre, et j’avais un profond respect pour leur jugement. Il
fallait que j’essaie.

136

Scotthahn.indb 136 08/06/2010 10:30:26


J’ai d’abord essayé de retrouver ce que nous avions en
commun et qui nous avait amenés à nous marier, pour me
focaliser sur ce qui nous rapprochait plutôt que ce qui nous
divisait. Par exemple, je pris conscience du fait que dans nos
conversations j’avais rarement abordé le sujet de nos enfants,
qui à cette époque étaient très jeunes. Nous recommençâmes à
rire ensemble et à apprécier les petites découvertes quotidiennes
que font les jeunes parents.
Finalement, nous nous mîmes à prier à nouveau ensemble,
sans nous quereller ni nous provoquer.
ça marchait ! Au lieu d’essayer d’élaborer le meilleur
argument possible, je m’efforçais d’être un meilleur mari, un
meilleur père et un meilleur fils pour mes parents et beaux-
parents.
L’effet sur notre mariage fut comme une décharge électrique.
Je vous épargnerai les détails et je soulignerai seulement
qu’arriva le jour où Kimberley commença à me questionner
sur la foi catholique. Et il ne fallut pas longtemps avant qu’elle
ne demande à son tour à être pleinement reçue dans l’église.
Le conseil « Parle lui d’amour » avait accompli ce que des
débats interminables n’avaient pu obtenir.
Et pour moi, l’Opus Dei c’est ça.
Une bonne part de l’esprit de l’Œuvre est contenue dans ce
simple conseil. Ce que m’avait dit Gil sous-entendait tout cela.
Il m’avait demandé de respecter la liberté de Kimberley (ça
c’est l’Opus Dei).
Il m’avait dit que la grâce construit sur la nature (ça c’est
l’Opus Dei).

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Il m’a persuadé d’avoir une vision laïque pour que je ne
tombe pas dans une approche cléricale et ennuyeuse pour
aborder les problèmes (ça c’est l’Opus Dei).
Et il a souligné l’importance de la vie de famille ordinaire,
y compris dans son aspect lié à la sexualité (ça c’est encore
l’Opus Dei).
Et tout cela est la conséquence de la vérité qui est au cœur
de l’Opus Dei : la filiation divine. Gil m’a amené à prendre
conscience que la création attend la révélation des enfants de
Dieu et leur liberté glorieuse (cf. Rm 8, 19-21), mais que c’est
Dieu qui sera le révélateur et à son heure. C’était à moi d’être
fidèle à mon engagement dans le mariage, dans des aspects que
j’avais trop souvent négligés jusque-là.
Si j’étais convaincu que la conversion de Kimberley est
l’œuvre de Dieu et non la mienne, mon amour pour Kimberley
n’en serait que plus sincère et elle pourrait s’en rendre compte.

Aimer comme Jacob

Ce succès inespéré à la maison a fait des vagues sur toute


ma vie. Je me suis mis à appliquer les principes de Gil dans
ma vie professionnelle et dans ma vie de prière. Non que j’ai
cherché à faire des rencontres romantiques dans mon travail,
mais plutôt à faire place à l’amour dans ma vie spirituelle en
général.
Faisons une comparaison biblique, à partir de l’histoire
de Jacob, dans le Livre de la Genèse (Gn 29). Un jour,
alors qu’il voyageait, le jeune homme rencontra une femme

138

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de « belle prestance et belle mine », nommée Rachel. Il
tomba si follement amoureux fou qu’il se mit à pleurer.
Rapidement, il prit contact avec Laban, le père de Rachel,
et lui demanda la faveur de l’épouser. Il l’aimait tellement
que pour la mériter, il promit de travailler sur les terres de
Laban pendant sept ans. « Jacob fut donc en service pour
Rachel, sept années durant, et ce fut à ses yeux comme un
jour, tellement il l’aimait. » (Gn 29, 20). En fait, Jacob allait
travailler encore sept autres années à cause de l’esprit de
duperie de Laban.
Il faut relever que Jacob a travaillé sans amertume. Il
ne s’est pas posé sérieusement de questions pour travailler
ailleurs plutôt que de faire paître les moutons de cet homme
douteux. Il travaillait dans la joie parce que son cœur était
fixé sur un objectif : l’amour de Rachel. Il gardait son esprit
de service parce qu’il était au service du seul homme qui
pouvait lui permettre d’atteindre cet objectif. Et même,
lorsque tout fut accompli et qu’il eut épousé Rachel, par
gratitude il travailla encore sept autres années !
Nous avons tous tant à apprendre. Et je ne parle plus ici
du bonheur en famille. Je veux parler de quelque chose de
beaucoup plus grand : gagner le ciel.
Pour atteindre ce but, combien de temps sommes-nous
prêts à travailler ? Sept ans ? Quatorze ? Vingt-et-un ?
Soixante-dix ? Toute la vie n’y suffirait pas.
Et quelle joie remplirait notre cœur si nous travaillions pour
l’amour de Dieu ? Combien d’amour et de loyauté apporterions-
nous à notre patron et nos collègues de travail ?

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Il n’y pas une once de mysticisme dans le comportement
de Jacob. Il ne passe pas ses journées à rêver aux délices d’une
retraite isolée. Pour l’amour de l’amour, il utilise de l’huile de
coude, heure après heure, et encore et encore jusqu’à ce que
sept années passent et qu’elles lui semblent comme quelques
jours.
L’Opus Dei m’a appris à rechercher l’amour comme
celui que Jacob a vécu, de garder l’esprit d’aventure dans le
mariage et dans la vie de tous les jours, de rester conscient
du grand intérêt des discussions ordinaires, de reconnaître les
conséquences durables des sourires, en particulier s’ils sont
dirigés vers le ciel.
Tout cela est vrai dans l’ordre de la grâce et de la nature.
L’Œuvre de Dieu consiste à travailler dans l’amour et la joie,
laissant une grande place à l’affection chaque jour de notre vie
ordinaire. Car Dieu attend notre amour où que nous soyons et
à chaque instant.
C’est à partir d’un tel principe que se construisent les
vraies foyers, dans l’église et dans le monde.

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Annexe

L’utilisation de l’Écriture dans les


écrits de saint Josémaria

Aimer passionnément la parole de Dieu*

Le monde connaît Josémaria Escriva (1902-1975) comme


fondateur de l’Opus Dei et de la Société sacerdotale de la
Sainte-Croix. Les fidèles de l’Église catholique le connaissent
surtout pour sa sainteté et sa puissante intercession. Le pape
Jean Paul II l’a canonisé le 6 octobre 2002 et déclaré, de ce
fait, qu’on pouvait le vénérer publiquement et l’imiter.
Dans un certain sens, nous ne pouvons comprendre
pleinement les mérites de saint Josémaria, les grâces qu’il a
reçues, que si nous analysons l’usage qu’il a fait des Écritures.
De fait, avec l’Opus Dei, il a développé une spiritualité
strictement biblique. Il notait lui-même que l’institution
qu’il avait fondée était fermement assise sur le fondement
des Écritures. Dans l’exposé le plus percutant de son esprit,
l’homélie « Aimer le monde passionnément », saint Josémaria
proclame à plusieurs reprises que la Bible est sa source
d’autorité principale : « Cette doctrine de la Sainte Écriture
[…] est, comme vous le savez, au centre même de l’esprit de
* Ce texte a été publié par Scott Hahn dans Romana, n. 35, VII-XII 2002,
pp. 376 et s.

141

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l’Opus Dei1 ». « Je n’ai cessé de l’enseigner en utilisant des
paroles de la sainte Écriture2 ».
J’irai jusqu’à dire que la Bible a toujours été pour saint
Josémaria le premier langage de référence. Il était familiarisé
avec les enseignements des Pères et des docteurs de l’Église, il
maîtrisait la théologie scolastique et était au courant des tendances
de la théologie contemporaine mais c’est aux Écritures qu’il en
revenait toujours dans sa prédication et dans ses écrits, c’est vers
elles qu’il orientait ses fils spirituels de l’Opus Dei.
Saint Josémaria avait une claire conscience de l’unité
entre les deux testaments, l’Ancien et le Nouveau. Pour
lui, les oracles de l’Ancien Testament n’ont rien perdu de
leur importance du fait de trouver leur achèvement dans le
Nouveau. Au contraire, ils brillent d’un éclat nouveau et plus
fort. De ce fait, il n’hésitait pas à prendre les enseignements
des prophètes et des patriarches d’Israël pour modèles
spirituels à proposer aux chrétiens d’aujourd’hui :
« Lorsque tu recevras le Seigneur dans l’Eucharistie,
remercie-Le de toute ton âme de la bonté qu’Il te prodigue
de rester avec toi. — N’as-tu jamais considéré que des siècles
et des siècles ont passé avant que ne vienne le Messie ? La
prière des patriarches et des prophètes, et de tout le peuple
d’Israël : la terre a soif, Seigneur, viens ! — Que telle soit ton
espérance en l’amour.3 »
Il citait aussi fréquemment les textes de l’Ancien que ceux
du Nouveau, mais il utilisait surtout les Évangiles à qui la
1
Entretiens, 116.
2
Ibidem. 114.
3
Forge, 991.

142

Scotthahn.indb 142 08/06/2010 10:30:26


Tradition a donné une place prééminente. (cf. Dei Verbum,
n. 18). Les phrases qu’il emploie le plus dans sa prédication
sont, sans doute, celles qui font appel au texte sacré : comme
nous le dit l’Évangile…, la Sainte Écriture nous dit…, les
Évangiles racontent…, pense à cette scène de l’Évangile….
Mgr Alvaro del Portillo, le fils le plus fidèle de saint
Josémaria, son confesseur et son successeur à la tête de l’Opus
Dei affirme : « J’étais étonné et plein d’admiration en voyant
la facilité avec laquelle il était à même de citer par cœur et
avec exactitude des phrases des saintes Écritures. Même
pendant des conversations familières, il tirait profit des textes
sacrés pour inciter les assistants à pratiquer une oraison plus
profonde.4 »

Les Écritures comme référence

La fondation de l’Opus Dei eut lieu le 2 octobre 1928.


saint Josémaria vit alors l’Œuvre de Dieu (encore dépourvue
de nom) comme un chemin de sanctification dans le travail
professionnel et dans l’accomplissement des devoirs ordinaires
du chrétien.
L’Opus Dei, à quoi ressemblait-il exactement à ce moment-
là ? Nous n’avons pas de détails, mais nous pouvons apercevoir
l’Œuvre incarnée dans les écrits successifs du fondateur. Il
parle des Écritures comme d’une référence sûre pour son style
de vie qui est « vieux comme l’Évangile et nouveau comme

4
A. del Portillo, Entretien sur le fondateur de l’Opus Dei, Le Laurier. Paris,
p. 147.

143

Scotthahn.indb 143 08/06/2010 10:30:26


l’Évangile 5». Au début de Chemin, son ouvrage fondamental,
il écrivit : « Comme j’aimerais que ton comportement et ta
conversation fussent tels que l’on pût dire en te voyant ou
en t’écoutant : voilà quelqu’un qui lit la vie du Christ !6 »En
revanche, lorsqu’il parle de ceux qui ne vivaient pas la charité
chrétienne, saint Josémaria dit : « On dirait qu’ils n’ont pas lu
l’Évangile.7 »
Sa lecture de l’Évangile, et des Écritures en général, était
éclairée par son charisme particulier de fondation qui le poussait
à développer des idées qu’on ne trouve pas dans la théologie
antérieure. Il dégage, avec une emphase renouvelée, des
concepts des Écritures tels que l’appel universel à la sainteté et
la sanctification de la vie ordinaire. La contemplation incessante
des Évangiles l’attirait et il faisait fréquemment allusion aux
trente années de vie cachée de Jésus. C’est dans ce silence
relatif qu’il trouvait un modèle pour la « vie cachée » des gens
courants qui vivent dans le monde.
L’étude des Écritures a donc été essentiel pour sa spiritualité
personnelle et pour le programme qu’il a développé pour les
membres de l’Opus Dei. Il affirmait que les Écritures non
seulement permettent aux lecteurs de connaître la vie de
Jésus, mais les encouragent à l’imiter. « Nous devons, en effet,
reproduire en nous le Christ vivant, en connaissant le Christ,
à force de lire la sainte Écriture et de la méditer, à force de
prier.8 »
5
Aimer l’Église, 26.
6
Chemin, 2.
7
Sillon, 26.
8
Quand le Christ passe, 14.

144

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La méthode

Saint Josémaria a pratiqué et a prêché une façon spéciale


d’aborder les Écritures dans l’oraison. Il s’agit d’une méthode
intensive, plutôt qu’exhaustive. Mgr del Portillo soulignait que
le fondateur de l’Opus Dei « prouva constamment son respect
extraordinaire à l’égard des saintes Écritures ; elles furent,
avec la Tradition de l’Église, la source à laquelle il puisa d’une
manière ininterrompue pour sa prière personnelle et pour sa
prédication. Chaque jour il lisait quelques pages, un chapitre,
des Écritures, en particulier du Nouveau Testament. 9 »
Il recommanda cette pratique de l’étude quotidienne du
Nouveau Testament — cinq minutes environ — à tous ceux
qu’il dirigeait. Il les encourageait à se plonger, par l’imagination,
dans la lecture de l’Évangile et à se mettre dans la peau de l’un
ou l’autre des personnages. « Ces minutes que tu consacres
chaque jour à la lecture du Nouveau Testament, selon le conseil
que je t’ai donné (essayer de bien entrer dans chaque scène,
et d’y participer, comme un personnage de plus) sont là pour
que tu incarnes, pour que “tu accomplisses” l’Évangile dans ta
vie…, et pour “le faire accomplir.”10 »
Il développe encore cette idée, par ailleurs, en préconisant
à nouveau l’utilisation de l’imagination dans une expérience
presque sensorielle :
« Habituez-vous à vous mêler aux personnages du
Nouveau Testament. Savourez ces scènes émouvantes où le

9
A. del Portillo, Entretien sur le fondateur de l’Opus Dei, p. 145.
10
Sillon, 672 ; cf. Amis de Dieu, 222.

145

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Maître procède avec des gestes divins et humains à la fois,
ou bien expose avec des tournures, elles aussi humaines
et divines, l’histoire sublime du pardon, qui est celle de
son Amour ininterrompu pour ses enfants. Ces échos du
Ciel se renouvellent aussi en ce moment dans la pérennité
actuelle de l’Évangile : on perçoit, on constate, on est en
droit d’affirmer que l’on touche du doigt la protection
divine.11 »

Pouvoir se transformer

Il n’employait que cinq minutes à lire l’Évangile, mais


on ne saurait confiner sa méditation des Écritures à ces
courts instants. Il priait aussi avec les textes de sa Messe
quotidienne et de la récitation de l’Office des heures.
Fréquemment, il se servait de commentaires bibliques des
Pères de l’Église pour sa lecture spirituelle. En effet, il
insistait sur ce que la méditation personnelle des Écritures
doit nourrir la prière mentale du chrétien à côté des autres
prières spontanées qui remplissent sa journée. « Car il nous
faut la connaître bien, l’avoir tout entière dans notre tête
et dans notre cœur, afin qu’à tout moment, sans qu’il soit
besoin d’aucun livre, en fermant les yeux, nous puissions
la voir comme dans un film ; afin qu’en toute circonstance
les paroles et les actes du Seigneur nous reviennent en
mémoire.12 »
11
Amis de Dieu, 216.
12
Quand le Christ passe, 107.

146

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C’est à travers la lecture des Écritures que nous atteindrons
la grâce de la transformation, de la conversion. Lire la Bible
n’est pas un acte passif, il comporte une recherche active et
une rencontre postérieure. « Si nous agissons de la sorte, si
nous n’y faisons pas obstacle, les paroles du Christ pénétreront
jusqu’au fond de nos âmes et nous transformeront. Vivante, en
effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun
glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de
division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des
moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur
(He 4, 12).13 »

Filiation divine et Parole révélée

Il y a une idée très simple au cœur de l’Opus Dei. Saint


Josémaria affirmait : « La filiation divine est le fondement
de l’esprit de l’Opus Dei. Tous les hommes sont enfants de
Dieu.14  » En 1931, saint Josémaria a personnellement ressenti
cette filiation de façon mystique, dans un tramway, à Madrid. Il
a compris, à ce moment-là, « la portée de l’étonnante réalité »
d’être fils de Dieu et il a quitté le tram en balbutiant « Abba,
Pater ! Abba, Pater ! (Cf. Ga 4, 6)15.
Beaucoup de Pères de l’Église, et saint Jean Chrysostome
en particulier, ont parlé de la révélation comme d’une accom-

13
Ibidem.
14
Ibidem, 64.
15
A. Vazquez de Prada, Le Fondateur de l’Opus Dei, Tome I : Seigneur, que
je voie ! p. 390.

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modation et d’une condescendance, interprétées comme des
actions paternelles. Pour se révéler, Dieu se plie à l’homme,
comme un père de la terre s’arrête à contempler son fils. De
même qu’un père se met parfois à parler bébé, comme son fils,
Dieu se veut fréquemment condescendant : Il parle comme
un humain, avec son langage, comme s’Il avait ses faiblesses
et ses passions. C’est pourquoi nous lisons dans les Écritures
que Dieu « se repent » de ses décisions, alors que Dieu, de
toute évidence, n’a jamais besoin de se repentir.
De plus, les parents non seulement se mettent au niveau de
leurs enfants, mais ils essayent aussi d’élever leurs enfants pour
qu’ils deviennent des adultes. De même, Dieu se communique
aussi par élévation : Il élève les enfants à un niveau divin, en
dotant les mots humains de sa puissance divine (c’est le cas
pour les prophètes).
Saint Josémaria croyait en l’Écriture comme il avait cru
ce que lui disait son père. Sa confiance filiale est un exemple
constant de la foi des chrétiens : pour eux « la totalité des
livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, avec toutes
leurs parties, sont saints et canoniques parce qu’ils ont Dieu
pour auteur et qu’ils ont été écrits sous l’inspiration du Saint-
Esprit. […] Étant donné que tout ce que les auteurs inspirés
ou hagiographes affirment doit être considéré comme affirmé
par le Saint-Esprit, il faut confesser que les livres de l’Écriture
enseignent fermement, avec fidélité et sans erreur, la vérité
que Dieu, pour notre salut, a voulu consigner dans les Livres
Sacrés.16 »
16
Dei Verbum, 11.

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Mgr del Portillo disait que saint Josémaria montrait sa foi en
l’origine divine de l’Écriture, non seulement dans sa prédication
et dans ses écrits, mais aussi dans sa conversation au quotidien.
« Comme preuve de sa vénération pour les Saintes Écritures,
il introduisait fréquemment ses citations de la façon suivante :
l’Esprit Saint dit… Ce n’était pas une façon de parler, mais
un acte de foi sincère, qui nous aidait à considérer la valeur
éternelle et la profonde vérité d’expressions auxquelles on peut
même finir par s’habituer.17 »

Sens littéral et spirituel

Saint Josémaria s’appliquait à développer son imagination


pour saisir tous les détails, même les plus petits, dans les
récits évangéliques. Pour lui, il n’y avait rien de superflu,
aucun détail n’était insignifiant : l’Esprit Saint ne dit jamais
un mot de trop.
Mais l’attention prêtée au sens littéral et historique
ne l’aveuglait pas à l’heure de capter le sens spirituel de
l’Écriture. L’Église a interprété traditionnellement les textes
bibliques comme étant tout à la fois littéralement véridiques
et signes spirituels du Christ, du ciel et des vérités morales18.
En effet, bien que saint Josémaria n’ait jamais utilisé les
termes exégèse littéraire ou exégèse spirituelle, il fut l’un
des plus grands exégètes de son temps. Je partage l’avis du
cardinal Parente lorsqu’il dit que les commentaires de saint
17
A. del Portillo, ibid., p. 147.
18
cf. Catéchisme de l’Église catholique, 115-117.

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Josémaria sur la sainte Écriture ont « une richesse spirituelle,
une profondeur et une vivacité souvent supérieurs aux œuvres
des saints Pères19 ».
On peut citer de très nombreux exemples. Prenons ce
point de Chemin : « Comme les bons fils de Noé, recouvre du
manteau de la charité les misères que tu vois en ton père, le
prêtre.20 » De l’ébriété honteuse de Noé (Gn 9, 20-23), saint
Josémaria tire un enseignement moral étonnant pour la vie
contemporaine de l’Église. Il s’agit d’une exégèse spirituelle,
concise et incisive. Avec une seule phrase, nous apprenons
de nos ancêtres, dans l’Ancien Testament, pourquoi il ne faut
jamais répandre un scandale touchant un prêtre, que nous
appelons « père » lorsque nous avons la foi.
Nous notons encore une merveilleuse exégèse spirituelle
lorsqu’il compare les péchés des chrétiens à la démarche
d’Esaü qui troque son droit d’aînesse contre un plat de
lentilles (Gn 25, 29-34). Pour un moment de plaisir, beaucoup
de chrétiens sont prêts à se brouiller avec Dieu et, ce faisant,
à renoncer à la vie éternelle21.
En définitive, saint Josémaria n’a pas hésité à actualiser
le texte biblique en l’appliquant à la vie contemporaine,
se plaçant ainsi dans la ligne des grands exégètes de saint
Augustin et saint Jean Chrysostome à saint Antoine de
Padoue et Bossuet. Les experts qualifient cette interprétation
extensive ‘d’accommodation du sens spirituel’.
19
A. del Portillo, ibid., p. 146.
20
Chemin, 75.
21
Saint Josémaria se sert de cet épisode à plusieurs reprises. Cf. par exemple,
Amis de Dieu, 13.

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Cependant, aucune de ces interprétations ne met en doute
la vérité historique et littéraire des textes bibliques, que saint
Josémaria vénérait. Saint Thomas d’Aquin dit : « Tous les sens
de la sainte Écriture trouvent leur appui dans le sens littéral.22 »
Pour avoir de solides connaissances, saint Josémaria fit des
recherches approfondies sur ce que disait la science biblique à
propos de la culture millénaire de l’ancien Israël et de l’empire
romain aux temps de Jésus. Si l’on considère la Passion du Christ,
l’on voit bien qu’il était familier des données historiques sur les
méthodes qu’employaient les Romains pour les crucifixions.
Ses homélies sur saint Joseph montrent l’intérêt profond qu’il
portait à la philologie et aux anciennes traditions des juifs dans
le domaine de la vie de famille et du travail.
Il lui arrivait d’avoir des illuminations divines
extraordinaires qui lui révélaient un sens particulier du texte
biblique. Il racontait, par exemple, ce qui lui était arrivé en
1931, le jour de la fête de la Transfiguration, en disant sa Messe :
« En élevant la sainte Hostie, j’entendis une autre voix, sans
bruit de paroles. Une voix comme toujours, parfaite, claire :
Et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum !
(Jn 12, 32) [Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes
à moi.] Et le concept précis, pas dans le sens dans lequel
l’Écriture le dit ; Je te le dis en ce sens que vous me mettiez
au sommet de toutes les activités humaines ; pour qu’il y ait
partout dans le monde, des chrétiens engagés personnellement
et en toute liberté, qui soient d’autres Christ.23 »

22
Saint Thomas d’Aquin, S. Th. 1, 1, 10 ad, 1; cf. CÉC, 116.
23
Lettre, 27 décembre 1947, citée dans Vazquez de Prada, p. 378.

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Cet éclairage soudain eut une influence profonde dans
le développement postérieur de l’Opus Dei. Dans ce cas,
comme dans d’autres, la grâce vient rejoindre la nature et la
perfectionner, car ce que saint Josémaria décrit est un exemple
clair de contemplation infuse, fermement étayée par une vie de
discipline et de constante méditation de l’Écriture.
On pourrait citer plusieurs anecdotes pour illustrer
parfaitement ce principe que résume la Commission biblique
pontificale dans le document L’interprétation de la Bible dans
l’Église publié en 1993 : « C’est surtout par la liturgie que
les chrétiens entrent en contact avec les écritures. […] En
principe, la liturgie, et spécialement la liturgie sacramentelle,
dont la célébration eucharistique constitue le sommet, réalise
l’actualisation la plus parfaite des textes bibliques. […] Le Christ
est alors “présent dans sa parole, puisque c’est Lui-même qui parle
lorsque les Saintes écritures sont lues à l’église” (Sacrosanctum
Concilium, 7). Le texte écrit redevient ainsi parole vivante.24 »

Texte et contexte

Saint Josémaria a profondément étudié l’Écriture. Il


savait que la Bible est un texte qui ne peut être ni compris
ni interprété de façon évidente et automatique. Et, même si
Dieu lui accordait souvent des lumières surnaturelles, il savait
que ces phénomènes extraordinaires n’étaient pas la façon
normale de saisir le sens d’un texte.
24
Commission Biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans
l’Église, IV, c. 1.

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S’il ne pouvait pas compter sur ses propres moyens, ni
dépendre exclusivement de phénomènes mystiques, comment
procédait-il pour étudier la Bible ? Il s’en remettait à l’Église,
à sa tradition vivante dont les Pères « sont des témoins toujours
actuels25 ». Un rapide aperçu sur ses volumes d’homélies montre
combien les œuvres de saint Jérôme, saint Basile, saint Augustin
ou de saint Thomas d’Aquin lui étaient familières.
Saint Josémaria a appuyé toutes ses réflexions sur
l’Écriture, même celles qu’il a reçues dans une inspiration
divine, sur le témoignage des Pères, du magistère des papes et
des conciles. Il connaissait bien les dangers d’un attachement
à une interprétation personnelle de l’Écriture. C’est dans
l’Écriture elle-même qu’il trouvait une mise en garde. Le
premier dimanche de carême de 1952, il décrit les façons
subtiles qu’emploie le diable pour tenter Jésus au désert :
« Il est intéressant d’observer la méthode qu’a suivie
Satan avec Notre-Seigneur Jésus-Christ : il tire ses arguments
de passages de Livres Saints, en forçant, en défigurant leur
sens d’une manière blasphématoire. Jésus ne se laisse pas
abuser : le Verbe fait chair connaît bien la Parole divine,
écrite pour le salut des hommes et non pour leur confusion
et leur condamnation. Celui qui est uni à Jésus-Christ par
l’Amour, pouvons-nous en conclure, ne se laissera jamais
tromper par une manipulation frauduleuse de la sainte
Écriture, car il sait que c’est une manœuvre caractéristique
du diable, que d’essayer d’abuser la conscience chrétienne
en argumentant insidieusement avec les mêmes termes
25
Catéchisme de l’Église catholique, 688.

153

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qu’emploie l’éternelle Sagesse, en essayant de changer la
lumière en ténèbres.26 »
Face à la Babel actuelle des interprétations bibliques
conflictuelles nous pouvons conclure que la méthode de Satan
n’a pas beaucoup changé au long des siècles. Au milieu d’une
telle confusion, saint Josémaria est pour nous un modèle
de foi aussi intelligente que soumise. Alors que tant
d’exégètes chrétiens du vingtième siècle ont sombré dans
l’agnosticisme et la superficialité, saint Josémaria trouvait
sa richesse dans une confiance totale en la Bible et dans
l’Église, son interprète infaillible.
Nous pouvons apprécier, toucher du doigt, et étudier son
héritage dans la Bible de Navarre, projet qu’il encouragea
vivement. Au début des années 70, à l’Université de
Navarre, en Espagne, la Bible de Navarre propose une très
belle traduction des Écritures, digne de foi, accompagnée
de nombreuses citations des conciles, des Pères et des
docteurs de l’Église. Cette entreprise a permis à ceux qui
ne sont ni théologiens ni ecclésiastiques de s’enrichir et de
profiter de la Bible, à la façon de saint Josémaria.

La place de la Bible

Saint Josémaria était profondément touché par la sainte


Écriture dans la liturgie, plus que dans ses lectures ou sa
prédication. Tout comme les Pères et le concile Vatican II, il
considérait la Messe comme la rencontre par excellence avec
26
Quand le Christ passe, 63.

154

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le Christ Jésus dans « le pain et la parole27 ». La sainte Messe,
où l’on trouve la liturgie de la parole est, pour saint Josémaria,
« le centre et la racine » de la vie intérieure.
Ses homélies, pleines de citations et d’allusions aux deux
Testaments, sont toujours centrées sur le temps liturgique, sur les
lectures du jour tout spécialement. En effet, la Messe était pour
lui le cadre surnaturel de ses homélies : « Vous venez d’entendre
la lecture solennelle des deux textes de la sainte Écriture, repris
dans la Messe du vingt et unième dimanche après la Pentecôte.
Cette Parole de Dieu vous situe déjà dans le cadre où vont se
déployer les paroles que je vous adresse maintenant : paroles
de prêtre, prononcées devant une grande famille d’enfants
de Dieu en son Église sainte. Paroles qui, par conséquent, se
veulent surnaturelles, messagères de la grandeur de Dieu et de
sa miséricorde envers les hommes ; paroles qui vous préparent à
l’émouvante Eucharistie que nous célébrons aujourd’hui.28 »
Comme les Pères de l’Église et ceux du concile Vatican
II, saint Josémaria trouvait en la sainte Messe un moment
de grâce spécial pour l’accueil de la Parole de Dieu. Les
inspirations reçues dans la liturgie de la Parole étaient
profondes et durables : « Nous écoutons maintenant la Parole
de l’Écriture, l’épître et l’évangile, lumières du Paraclet,
qui parle en langage humain pour que notre intelligence
comprenne et contemple, pour que notre volonté se fortifie et
que l’action s’accomplisse.29 »

27
Cf. par exemple, Quand le Christ passe, 116, 118, 122 ; Forge, 437.
28
Entretiens, 113.
29
Quand le Christ passe, 89.

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Scotthahn.indb 155 08/06/2010 10:30:27


L’interprète vertueux

L’Église, en canonisant saint Josémaria, le propose à notre


imitation. L’imiter doit supposer, sans aucun doute, s’attacher
comme lui à l’étude de l’Écriture, dans une lecture méditée
et dans une méditation approfondie. Son emploi du temps
quotidien est un exemple pour nous. Les « normes de piété »
qu’il suivait et qu’il prescrivit à tous ses enfants dans l’Opus
Dei, sont imprégnées de nuances bibliques.
Toutefois, ce qui est le plus important pour saint Josémaria
c’est la rencontre avec le Christ, devenir « ipse Christus »,
le Christ Lui-même. Ce but est à atteindre en passant par
certaines voies, parmi lesquelles il y a la lecture méditée de
l’Évangile. On ne peut comprendre ou vivre la vocation à
l’Opus Dei qu’en faisant de son mieux pour bien connaître
la Bible.
On peut dire que saint Josémaria a précédé le concile
Vatican II dans ses enseignements. Il a ainsi proclamé l’appel
universel à la sainteté et à l’apostolat, note spécifique de l’Opus
Dei depuis 1928. Je préfère cependant dire que saint Josémaria
fut toujours en accord avec la doctrine de l’Église sur la sainte
Écriture — sur sa vérité, son autorité, son inspiration et son
infaillibilité — qui trouve sa plus ferme expression dans la
Constitution Dogmatique sur la Révélation, Dei Verbum.
De même que beaucoup d’époux pensent trouver chez
leurs femmes les qualités décrites dans le livre des Proverbes,
31 (la femme parfaite), j’aime retrouver chez saint Josémaria,
mon père spirituel, l’accomplissement des enseignements

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Scotthahn.indb 156 08/06/2010 10:30:27


de Dei Verbum, 25. Les pères conciliaires y décrivent le
prêtre idéal. En guise de conclusion, je vais oser plaquer cet
enseignement sur saint Josémaria et sur beaucoup de prêtres
l’ayant suivi dans l’Opus Dei et dans la Société Sacerdotale
de la Sainte-Croix.
« Ils s’attachent aux Écritures par une lecture assidue et
une étude soigneuse. »
Ils veillent à ce que « nul d’entre eux ne devienne au-dehors
un vain prédicateur de la Parole de Dieu, s’il ne l’écoute pas
intérieurement30 ».
Ils font participer « spécialement dans la sainte liturgie,
aux inépuisables richesses de la parole divine, les fidèles qui
leur sont confiés ».
Ils acquièrent, « par la lecture fréquente des divines Écritures,
une science éminente de Jésus-Christ » (Ph 3, 8).
Ils s’approchent « de tout leur cœur le texte sacré lui-
même, soit par la sainte liturgie, qui est remplie des paroles
divines, soit par une pieuse lecture, soit par des cours faits
pour cela ou par d’autres méthodes ».
Et ils n’oublient pas « que la prière doit accompagner la
lecture de la sainte Écriture, pour que s’établisse un dialogue
entre Dieu et l’homme car « c’est à Lui que nous nous
adressons quand nous prions et c’est Lui que nous écoutons
quand nous lisons les oracles divins31 ».

30
Saint Augustin, Sermon, 179, 1.
31
Saint Ambroise, De officiis ministerium I, 20, 88.

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Scotthahn.indb 157 08/06/2010 10:30:27

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