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TIS, 1995, 7 (3), 321-344 Modéle de l’organisation, modéle de lutilisateur et mode de gestion des développements de systémes Carmen BERNIER Professeur adjointe a V’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal (Québec) Siinscrivant dans le cadre de la recherche, plus large, d’une meilleure compréhen- sion des modes de gestion appropriés pour le succés des projets de développement de systémes d'information, la présente étude s'intéresse aux modéles de U'organisation et de l'utilisateur véhiculés par les chefs de projets en relation avec leurs choix de ges- tion. L’analyse des liens entre les visions de organisation et de l'utilisateur et les caractéristiques du mode de gestion des projets nous apprend que la planification et le contréle dans le projet et la gestion des compétences de l’équipe de développement s‘apparentent davantage a un modeéle de l'organisation de type X et que plus la vision de V'organisation idéale s‘apparentera 4 la théorie Y, moins les chefs de projets privilé- gieront des activités structurantes dans leur gestion de projet. La responsabilisation des utilisateurs est liée & la vision plus ou moins favorable (de type Y) véhiculée par le chef de projet & propos de l'utilisateur qui se verra confier des responsabilités. Enfin, l'utilisation de méthodologies dans la gestion du projet s'est révélée liée au modéle de Vutilisateur. Cette constatation présente lV'intérét de rappeler que l'utilisation de méthodologies ne correspond pas uniquement a un besoin intrinséque du développeur, mais qu'elle s’inscrit dans un tissu de relations et de symboles professionnels et orga- nisationnels. Abstract in English at the end of the article. Resumen en Espanol al final del texto. INTRODUCTION La recherche en systémes d’information s’intéresse depuis plus de deux décen- nies aux conditions de succés des projets de développement de systémes. Plusieurs auteurs ont avancé que le succés d’un projet requiert des approches de développement et de gestion appropriées 4 ses caractéristiques (Zmud, 1980 ; McFarlan et McKenney, 1983 ; Beath, 1983 ; 1987 ; Jones et Kydd, 1988, Kydd, 1989). Des études récentes ont tenté de proposer et de valider des modéles pour la gestion de l’incertitude (Bernier et Rivard, 1990 et 1994) et du ISSN 0840-4836/95/01 /$ 4.00/ © DUNOD. 322 Carmen Bernier risque (Rivard et alii, 1990 ; Barki et alii, 1993a et 1994) dans les projets de développement de systémes. Ces modéles s’inspirent de l’approche de la contingence dans la théorie des organisations préconisant l’adoption d’un mode de gestion souple lorsque l’environnement de l’unité a gérer est incer- tain, risqué ou turbulent. Une telle souplesse permettrait de mieux répondre aux pressions de l'environnement et ménerait 4 une meilleure performance organisationnelle qu’un mode de gestion trop rigide (Burns et Stalker, 1961). Ainsi, les projets de développement de systémes caractérisés par un degré de risque et d’incertitude élevés devraient étre gérés de facon souple en privilé- giant la cohésion interne de l’équipe et l’intégration du projet avec son envi- ronnement — utilisateurs, direction, fournisseurs. Quant aux projets peu ris- qués, les outils de contréle et de planification formels caractéristiques d’une gestion plus rigide seraient indiqués, la cohésion interne et externe du projet étant moins critique (McFarlan, 1981 ; Beath, 1983 et 1987 ; Kydd, 1989). Les résultats des études récentes n’ont toutefois pas confirmé le modéle théorique ; ils ont au contraire suggéré que les responsables de projets adoptent un mode de gestion davantage rigide pour les projets ott le degré de risque et @incertitude sont élevés et l'environnement turbulent (Bernier et Rivard, 1990 ; Rivard et alii, 1990 ; Chala, 1989). Ultérieurement, une étude a montré que les responsables de projets gérent, selon un modéle différent, l’incertitude interne et l’incertitude externe au projet de développement (Bernier et Rivard, 1994). Barki ef alii (1994) ont pour leur part suggéré que les responsables de projets et les utilisateurs évoluaient dans deux mondes séparés. Liinterprétation de ces résultats parfois surprenants a mené A l’explora- tion de facteurs explicatifs allant au-dela des caractéristiques du projet et de son environnement pour se tourner vers le chef de projet. La littérature sug- Sere que le systéme de valeurs des professionnels pourrait influencer le succés ou l’échec du développement des systémes d'information (Gingras ef alii, 1987). Plusieurs études ont montré que les professionnels des systemes agis- sent selon un modéle de l’organisation et un modéle de l'utilisateur qu’ils se sont construits avec le temps et les expériences (Hedberg et Mumford, 1975 ; Bostrom et Heinen, 1977 ; Gingras et McLean, 1982 ; Dagwell et Weber, 1983, Gingras et alii, 1987 ; Green, 1989 ; Watson, 1990). Cette étude a été entreprise afin de mieux comprendre la relation entre les modéles de l’organisation et de l'utilisateur développés par les chefs de pro- jets et le mode de gestion qu’ils adoptent. Bien que des études antérieures aient montré que ces modéles influencaient la conception d'un systeme d'information, aucune évidence empirique n’est disponible sur leur influence de tels modéles dans la gestion d’un projet. Pareille compréhension est impor- tante parce qu’elle permettra d'inclure, dans nos modéles de contingence, une variable modératrice liée a la vision du chef de projet, plutot que d’émettre Vhypothése que ce dernier n’agit qu’en réponse A des conditions externes telles que l’incertitude ou le risque lié & un projet. TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modeéle de V'organisation, modéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 323 CADRE CONCEPTUEL Depuis longtemps, la difficulté de gérer adéquatement des projets de dévelop- pement de systémes d'information est reconnue et s’avére une préoccupation tant pour les chercheurs que pour les praticiens. La formulation de prescrip- tions permettant de mieux gérer un projet n’est pas une tache facile. Plusieurs années d’expérimentation et de réflexion ont permis de générer de nom- breuses idées, parfois contradictoires (Slevin, 1991). Ainsi, certaines approches de la gestion de projet reposent sur I'idée que les responsables les plus effi- caces sont ceux concernés 8 la fois par les taches et les employés, et capables de motiver les membres de l’équipe de projet (Boehm, 1989) : en leur fixant des buts valorisants ; ¢ en leur fournissant des indications claires quant & la fagon de les atteindre ; * en favorisant:les approches de gestion participantes afin d'augmenter Vimplication. D’autres approches de gestion de projets se basent sur une utilisation stricte de mécanismes de planification et de contréle, dans le respect des budgets et échéances. Boehm (1989) rappelle que l’intégration de la technologie — maté- riel et logiciel -, de l’économique et des relations humaines n’est pas facile. De plus, toujours selon Boehm, le principal probléme du chef de projet consiste- rait a satisfaire une variété de constituantes : l’utilisateur, le client-payeur, léquipe de développement et la direction. Une vaste littérature a montré que de nombreux problémes en dévelop- pement de systémes sont associés aux différences entre les développeurs de systémes et les utilisateurs. Plusieurs auteurs ont relié I’échec d’un développe- ment 4 des capacités cognitives ou béhavioristes du développeur insuffisantes et trop différentes de celles des utilisateurs (Newman et Noble, 1990 ; Green, 1989 ; Vitalari, 1985 ; Kumar et Welke, 1984 ; Vitalari et Dickson, 1983 ; Gingras et McLean, 1982 ; Kling, 1980 ; Lucas, 1978 ; Hedberg et Mumford, 1975 ; Huysmans, 1970). Récemment encore, on attribuait a cette différence entre concepteurs et utilisateurs des difficultés importantes dans le développe- ment des technologies de l'information : L'utilisateur moyen d’un systéme informatique comprend la technologie diffé- remment de la personne qui !’a congue, rendant problématiques, pour le cadre, les relations avec les membres du service technique (Appleton, 1994, p. 45, tra- duction de I’éditeur). Dans une analyse approfondie de la littérature sur les échecs de systemes d'information parue en 1987, Lyytinen et Hirschheim affirment que le dévelop- peur de systéme peut lui-méme contribuer a I’échec du systéme qu’il développe : La profession [de développeur] de systémes comporte une série de normes et de réalités, auxquelles adherent les individus qui travaillent dans ce domaine, qui TIS, vol. 7, n°3, 1995, 324 Carmen Bernier empéchent la réussite du développement des systémes d’information (p. 292, tra- duction de I’éditeur). Ces normes favorisent les préoccupations techniques et éloignent géné- ralement le concepteur de systeme des aspects humains et organisationnels. Lyytinen et Hirschheim montrent également l’importance, pour le succés ou Véchec d’un projet, du modéle de l’organisation et du modéle de l'utilisateur que s’est forgé le concepteur de systéme. Peu d’attention semble accordée au modeéle de l’organisation, alors que le modéle de !’utilisateur dominant chez les concepteurs est mécaniste, ignorant la capacité d’apprentissage et l’évolu- tion cognitive de l'utilisateur (Hedberg et Mumford, 1975 ; Jarvinen, 1986). De plus, le concepteur semble s’adresser a un utilisateur moyen ou idéal, sans égard aux variations de capacités cognitives et émotionnelles ou aux habiletés dans la population. Modéle de l’organisation, modéle de l’utilisateur L'idée que les caractéristiques du concepteur de systéme — et les modéles de Yorganisation et de l'utilisateur qui en découlent — influencent le type de sys- téme qui sera développé a été explorée dans plusieurs travaux en systémes d'information. Ainsi, dés 1973, Mason et Mitroff ont émis !"hypothése que les systémes d’information étaient développés par le concepteur en fonction d’une vision de l’usager et de ses besoins qui résultait de ses propres expériences et de ses valeurs. Par la suite, Hedberg et Mumford (1975) ont montré que le sys- téme de valeurs des concepteurs les menait 4 mettre I’accent sur les gains de productivité et 4 négliger les valeurs humaines. Pour sa part, Kling (1980) a avancé que les caractéristiques des concepteurs influengaient le caractére des systémes qu’ils développaient. Dans le contexte spécifique du développement de systémes, le modéle de Yorganisation correspond 4 la vision que développe un concepteur de l’organi- sation dans laquelle il aimerait généralement développer des systémes d’infor- mation. Ce modéle représente le fonctionnement de l’organisation idéale et découle des expériences et des intuitions plutét que d’analyses théoriques. Le modele de l'utilisateur correspond a la vision — développée par le concepteur — de l'utilisateur typique, de son comportement et de ses besoins dans I’organi- sation. Ces modéles de l’organisation et de !’utilisateur sont influencés par le systéme de valeurs personnel d’un individu, par l’organisation dans laquelle il ceuvre et par le groupe professionnel auquel i! appartient (Gingras ef alii, 1987 ; Hedberg et Mumford, 1975). Les études antérieures en systémes d’information qui ont utilisé les concepts de modéles de !’organisation et de l’utilisateur ont caractérisé ces modéles en termes de théorie X-Y (Hedberg et Mumford, 1975 ; Dagwell et Weber, 1983 ; Gingras et alii, 1987). Le professionnel de systéme révélera une perspective technique privilégiant les gains de productivité — théorie X -, ou TIS, vol. 7, n°3, 1995, Modele de l'organisation, modele de l'utilisateur et mode de gestion ... 325 une perspective davantage humaniste privilégiant la qualité de vie au travail — théorie Y. Par exemple, un développeur de systéme qui concoit l’organisation idéale comme étant destinée faciliter la circulation de l’information, et qui laisse la définition des responsabilités et des méthodes de travail aux groupes réalisant le travail tout en privilégiant la flexibilité des taches aura développé un modéle de l’organisation de type Y. Au contraire, une perception de l’organisation idéale qui correspond a une définition de taches stables et structurées, a |’éla- boration de méthodes de travail et d’objectifs centralisée et réalisée par des spécialistes ou par la direction et une circulation de l’information restreinte relévent de la théorie X. Un modéle de l'utilisateur basé sur la théorie X privilégie les aspects techniques du travail et les gains de productivité. Dans une telle vision de l'utilisateur, le développeur est convaincu que I’utilisateur pour lequel il met au point des systémes n’est capable de traiter qu’un éventail limité de taches dans son emploi, qu’il travaille mieux si le rythme lui est imposé, qu’il préfére un emploi bien défini, qu’il exige de connaitre ce qui devra étre fait et com- ment, qu’il est incapable de prendre des initiatives et d’assumer des responsa- bilités et qu’il poss¢de un niveau peu élevé de connaissances et d’habiletés. A inverse, le développeur de systéme qui a une vision de l’utilisateur basée sur la théorie Y considérera que ce dernier est capable de prendre en charge une variété de téches dans son travail, qu’il peut avoir le plein contréle de son rythme, organiser sa séquence de travail et choisir les méthodes appropriées, qu’il aime travailler et travaille bien, méme si toutes les taches n’ont pas été parfaitement définies, qu’il est capable d’assumer des responsabilités, de prendre des décisions et qu’il posséde des habiletés et des compétences. L’utilisation des fondements de la théorie X-théorie Y pour qualifier les modeéles de l’organisation et de l’utilisateur peut soulever certaines questions, puisqu’ils sont moins utilisés aujourd’hui en comportement organisationnel, méme si quelques études récentes s’y référent encore (Zilbert, 1991 ; Balfour et Marini, 1991 ; Gordon, 1991 ; Groves, 1990). Toutefois, les travaux de McGregor (1960) sur la théorie X-théorie Y ont fourni un matériel qui s’est avéré fort pertinent dans le contexte du développement des systémes d’infor- mation. A l’instar des chercheurs qui nous ont précédés — et dans un souci de travailler en continuité afin de pouvoir comparer nos résultats avec ceux obte- nus dans les études antérieures sur cette question —, nous avons repris les élé- ments de ces théories (Gordon, 1991). Mode de gestion des projets de développement de systtmes Pour gérer une activité aussi complexe que le développement d'un systéme d'information, la «meilleure méthode» n’existe pas. On parlera plutét du mode de gestion d’un projet selon plusieurs dimensions. Par exemple, McFarlan TIS, vol. 7, n°3, 1995, 326 Carmen Bernier (1981) a proposé de caractériser le mode de gestion d’un développement de systéme selon 4 aspects : © les moyens utilisés pour unir l’équipe de développement — intégration interne ; © les moyens utilisés pour assurer un fonctionnement cohérent dans l'ensemble du projet et avec tous les intervenants — intégration externe ; © les moyens mis en ceuvre pour prévoir et ordonnancer les activités de déve- loppement a l’avance — planification ; © les moyens mis en ceuvre pour s’assurer de l’avancement du projet — contréle. Pour notre part, nous avons avancé que le mode de gestion d’un projet pouvait étre caractérisé par le degré de souplesse de sa forme structurelle, la nature de la coordination de ses activités et l’intensité de l’échange d'information (Bernier, 1989). Réalisant une synthése exhaustive des éléments caractéristiques de la gestion des projets de développement de systémes, Rivard et alii (1992) ont montré que de tels éléments appartenaient a5 grandes dimensions : © l'intégration ; la planification et le contréle ; © lutilisation de méthodologies ; © la gestion des compétences de l’Equipe ; * la responsabilisation des utilisateurs dans le projet. La dimension intégration se référe aux moyens utilisés pour maintenir un lien fort dans l’équipe de projet, par exemple des réunions fréquentes de l’équipe — des utilisateurs actifs et qui participent & |’élaboration des spécifica- tions - ou une grande latitude pour le chef de projet. La dimension planifica- tion et contréle s’intéresse au suivi rigoureux du projet, au respect des échéances, a la préparation systématique d’estimations de temps et d’argent. La dimension méthodologique s’intéresse a l’existence et a l’utilisation struc- turée de méthodologies dans le projet. La dimension gestion des compétences de l’équipe s’intéresse aux mécanismes de constitution, de formation et d’éva- luation de ’équipe de développement. Enfin, la dimension responsabilisation des utilisateurs fait référence au degré de responsabilité confié aux utilisateurs en termes d’échéancier et de budget dans le projet. Influence du modéle de l’organisation, du modéle de l'utilisateur sur le développement des systémes L’idée selon laquelle les modéles de l’organisation et de l’utilisateur véhiculés par le concepteur de systéme influencent le type de systéme d’information qui TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modele de Vorganisation, modéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 327 sera développé a été explorée dans plusieurs travaux. Entre autres, Hedberg et Mumford (1975), dans une vaste étude des concepteurs de systemes au Royaume-Uni et en Suéde, ont constaté que ceux-ci avaient un modéle de Lutilisateur différent de celui des utilisateurs eux-mémes. Cette différence de représentation méne, de facon ultime, au développement d’un systéme d’infor- mation ayant des caractéristiques différentes de celles attendues par les utilisa- teurs. Reprenant avec des concepteurs australiens |’étude de Hedberg et Mumford, Dagwell et Weber (1983) ont montré que, bien que les concepteurs n’aient pas développé de modéles erronés des utilisateurs, leurs méthodes semblaient naives et qu’ils sous-estimaient leur impact en tant qu’agent de changement. Gingras et McLean (1982) ont montré que trés souvent, les visions de l'utilisateur et du concepteur dans un projet de développement de systéme ne coincidaient pas. Plus tard, Gingras et alii (1987) ont repris l’idée de Hedberg et Mumford et montré, dans une étude comparative menée au Québec, qu’il existait des différences significatives entre les modéles de I’usa- ger utilisés par les concepteurs internes et les conseillers externes. Toutefois, peu de choses sont connues sur l’influence des caractéris- tiques du chef de projet sur le mode de gestion des projets de développement, et les résultats des études antérieures nous aménent & nous interroger quant a Yinfluence du chef-développeur sur le mode de gestion d’un projet. Lyytinen et Hirschheim (1987) affirment que des études sont nécessaires afin de mieux comprendre l’influence du modéle de l’organisation et de l'utilisateur dans les échecs de développement de systémes. Selon Glass (1989) : Au cours des premiers jours du développement d’une application, lorsque les Programmeurs sont supposés compétents et responsables, le management leur confie volontiers la responsabilité d’une poursuite de la qualité. Cependant, tant du point de vue du management que de celui de la recherche, le sentiment per- sistant est qu’un travail de bien meilleure qualité pourrait étre accompli en matiére de production d’applications. Selon la théorie X - celle du contréle par le management -, la discipline est devenue le mot-clé en matiére de gestion de pro- jets, les normes sont apparues comme la voie royale pour définir la qualité et Tassurance qualité est devenue l’approche opérationnelle pour la réalisation de pareils objectifs [...]. Un abandon progressif de la gestion selon la théorie X se produira nécessairement a l'avenir (p. 19, traduction de l’éditeur). Récemment encore, Ewusi-Mensha (1991) rappelait importance d’une gestion de projet capable de prendre en considération les différentes perspec- tives dans le projet. HYPOTHESES La littérature sur les difficultés découlant des différences entre les concepteurs et les utilisateurs exige qu’on s’interroge sur l’influence du modéle de l’organi- sation et de l’utilisateur véhiculé par le chef de projet sur le choix de ses modes de gestion dans un projet de développement de systéme. Plus spécifi- TIS, vol. 7, n°3, 1995, 328 Carmen Bernier quement, en regardant les énoncés caractérisant les 5 dimensions de mode de gestion des projets et la définition du modéle de l’organisation, il est raison- nable de penser que le chef de projet ayant un modéle de l’organisation de type Y privilégiera, dans sa gestion, ’intégration afin de favoriser le plus possible la circulation de l’information. Par contre, on peut s’attendre a ce qu’il délaisse les activités structurantes, telles que la planification et le contréle ou la ges- tion stricte des compétences de l’équipe de développement, afin de favoriser une plus grande responsabilisation et flexibilité dans la définition de ses taches et méthodes de travail. © H1: plus le chef de projet aura un modéle de l’organisation se rapprochant de la théorie Y et plus il favorisera l'intégration dans sa gestion de projet ; ¢ H2: plus le chef de projet aura un modéle de l’organisation se rapprochant de la théorie Y et moins il favorisera la planification et le contréle dans sa gestion de projet ; © H3: plus le chef de projet aura un modéle de l’organisation se rapprochant de la théorie Y et moins il favorisera une gestion stricte des compétences de Péquipe dans sa gestion de projet. Le modéle de l'utilisateur, qui est une représentation des besoins et du comportement de l'utilisateur typique, influencera la responsabilisation de ce dernier. Ainsi, il est raisonnable de croire que plus le chef de projet considére l'utilisateur capable d’assumer avec compétence une variété de taches plus ou moins bien définies, de contréler son rythme de travail et d’assumer des res- ponsabilités, plus il sera enclin responsabiliser l’utilisateur dans un projet. De plus, un modeéle de l’utilisateur de type Y pourrait encourager le recours & des méthodologies dans le projet, puisque celles-ci s’avéreront un outil d’échange important entre le développeur et l'utilisateur. De tels outils devien- nent essentiels lorsque les utilisateurs sont trés impliqués dans les activités de développement, d’une part, comme normes de communication et, d’autre part, pour renforcer l'image de professionnalisme de I'équipe de développe- ment. ¢ H4: plus le chef de projet aura un modéle de l'utilisateur se rapprochant de la théorie Y et plus il favorisera la responsabilisation de l’utilisateur dans sa gestion du projet ; ¢ H5: plus le chef de projet aura un modéle de l'utilisateur se rapprochant de la théorie Y et plus il favorisera l'utilisation de méthodologies dans sa ges- tion du projet. La section suivante présente la méthodologie adoptée et les instruments de mesure. TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modele de Vorganisation, modéle de Uutilisateur et mode de gestion ... 329 METHODOLOGIE L’étude sur le terrain des liens entre le modéle de I’organisation, le modéle de l'utilisateur et le mode de gestion des projets de développement de systémes a donné lieu a I’analyse de 40 projets dans 19 institutions financiéres au Québec — banques, compagnies d’assurances, fiduciaires. Les données ont été recueillies dans le cadre d’entrevues avec les participants a l'étude, en l’occur- rence le responsable de chaque projet de développement de systéme. Tous les outils utilisés pour mesurer les variables de recherche ont été retenus pour leur pertinence — ils avaient été utilisés dans des études antérieures similaires —et pour leur capacité 4 mesurer les concepts qu’ils prétendent mesurer. Echantillon L’unité d’analyse choisie pour cette étude a été un projet de développement de systéme. Les projets de ce type qualifiables pour I’étude ont été sélectionnés selon un ensemble de critéres incluant des critéres déja proposés par d’autres chercheurs en systémes d’information (Zmud, 1980 ; McKeen, 1983 ; Bernier, 1993). Les projets de développement de systémes d’information qualifiés pour cette étude répondaient aux critéres suivants : © étre représentatif des applications typiques de systemes d'information nécessaires au support des activités de l’entreprise et étre développé pour supporter les activités d’une fonction de l’entreprise ; © étre réalisé par une équipe de développement composée majoritairement de personnel interne a l’entreprise ; © étre géré par un chef de projet issu de l’Equipe de développement personnel interne de l’entreprise ; © étre terminé et implanté depuis moins de 12 mois au moment de I’étude. Dans le cadre de cette étude, il était de premiére importance que les pro- jets étudiés soient terminés et implantés depuis moins de 12 mois, principale- ment pour deux raisons. Tout d’abord, nous avons voulu que |’étude porte sur des projet menés a terme plutét que sur des cas d’échec ou d’abandon. N’ayant pas intégré dans cette premiere étude exploratoire une variable dépendante «succés», nous avons toutefois opté pour un échantillon de projets pouvant étre qualifiés de succés relatifs, puisque menés a terme. De plus, tous ces pro- jets terminés et implantés fournissent au chercheur des projets ayant un degré d’avancement comparable. Dans la méme perspective, les chefs de projets devaient étre des développeurs internes plutét que des conseillers externes, afin d’obtenir une unité d’observation stable (Gingras ef alii, 1987). Pour chaque projet répondant aux critéres de qualification, le respon- sable ou le chef de projet — défini comme le décideur principal, et responsable TIS, vol. 7, n°3, 1995 330 Carmen Bernier de la gestion de l'ensemble des activités liées au projet de développement du systéme — a été choisi comme répondant (Duncan, 1972 ; McKeen, 1983). Le chef de chaque projet a été rencontré dans le cadre d’une bréve entrevue lui décrivant le contexte de l'étude. II a ensuite complété un questionnaire per- mettant d’évaluer des caractéristiques plus spécifiques du mode de gestion adopté pour mener a bien le projet et cerner sa vision de l’organisation idéale et de l'utilisateur typique. Enfin, tous les projets étudiés se situaient dans des institutions finan- cires au Québec. Ce choix d’un méme environnement externe voulait faciliter la comparaison des résultats en limitant I’influence de facteurs exogénes liés a des environnements externes différents — organisation gouvernementale, entreprise. Une liste de ces institutions présentes au Québec a été constituée a partir du Guide of Canadian Financial Services Industry. Parmi les 41 institu- tions financiéres qui avaient accepté de participer a l’étude, 19 avaient des pro- jets de développement de systémes qualifiables pour I’étude. Les critéres de qualification ont été expliqués au directeur «syst8me informatique» qui s'est chargé d'identifier un ou plusieurs projets dans son entreprise. Dans le cadre d'une discussion avec le chercheur, chaque directeur a proposé un ou des pro- jets 4 la qualification et une grille de qualification a été remplie pour chaque projet qualifié. Sur recommandation du directeur «systéme informatique», le responsable ou chef de projet d’un projet qualifié a, par la suite, été contacté par téléphone pour fixer la date de l’entrevue de récolte des données. Questionnaire Le modéle de l’organisation et le modéle de l'utilisateur ont été évalués a l’aide du questionnaire développé par Hedberg et Mumford (1975). Cet outil a été retenu parce qu’il a été largement utilisé. La version francaise de l’outil (voir annexe A) a été empruntée a Gingras ef alii (1987). Le responsable de chacun des 40 projets étudiés a rempli un questionnaire composé de deux parties. Le modeéle de l’organisation était évalué & l’aide de huit questions et I’évaluation du modéle de l'utilisateur en comportait neuf. Dans chaque question, deux propositions étaient soumises au responsable de projet. Celui-ci devait indi- quer sur une échelle différentielle sémantique en 7 points — 4 étant le point neutre — laquelle de ces deux propositions correspondait le mieux a sa vision de organisation idéale ou de l'utilisateur typique. Une vision fondée sur la théorie X est présentée par les énoncés de gauche du questionnaire et corres- pond, sur I’échelle, 4 une évaluation de 3 ou moins. Inversement, une vision davantage orientée vers une théorie Y est présentée par les énoncés de droite dans le questionnaire et correspond a une évaluation de plus de 5 sur I’échelle. Les caractéristiques du mode de gestion des projets de développement de systéme ont été évaluées a I’aide de l'instrument développé par Rivard ef alii (1990 et 1992) et reposant sur les travaux axés spécifiquement sur la gestion TIS, vol. 7, n°3, 1995, Modéle de l'organisation, modeéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 331 des développements de systéme de McFarlan (1973), Zmud (1980), Davis (1982), Beath (1983 et 1987) et Kydd (1989). Cet instrument composé de 24 items se répartissant en cing facteurs s'intéresse aux aspects liés a la planifica- tion et au contrdle, a l’intégration des divers intervenants dans le projet, & Putilisation de méthodologies, a la responsabilisation des utilisateurs et a la gestion des compétences de l’équipe (voir annexe B). Selon Barki ef alii (1993a), «les valeurs obtenues pour les a de Cronbach indiquent que la consistance inter- ne de chacun des cing facteurs est acceptable» (p. 130). La section suivante présente les résultats obtenus pour les 40 projets de développement de systémes étudiés. RESULTATS Plusieurs auteurs ont avancé que les développeurs de syst¢mes d'information avaient mis au point des modéles de l’organisation et de l'utilisateur parfois inadéquats, privilégiant une perspective technique au détriment des dimen- sions organisationnelles et humaines. Sans aller jusqu’a affirmer de fagon sim- pliste qu’un modéle Y de l’organisation et de l’utilisateur s’avére meilleur qu’un modéle X, il est toutefois intéressant de connaitre le type de modéle véhiculé par les chefs de projets au Québec pour ensuite explorer l’influence de ces orientations davantage X ou Y sur le choix des modes de gestion des projets de développement de systémes. Cette section dressera d’abord un portrait comparatif des modéles de Vorganisation et de l'utilisateur des 40 responsables de projets québécois ayant participé a l’étude, puis présentera les résultats des tests d’hypothéses. Préalablement, les résultats de l’analyse de fiabilité des outils de mesure utili- sés seront présentés. Analyse de fiabilité Les analyses statistiques réalisées — corrélations inter-items, calcul du coeffi- cient alpha de Cronbach - ont permis d’améliorer de fagon significative la fia- bilité de l’outil proposé par Hedberg et Mumford (1975) pour évaluer le modé- le de l’organisation et le modéle de l'utilisateur. Un niveau de fiabilité accep- table (Kerlinger, 1964 ; Nunnally, 1978) a été atteint pour le modéle de l’orga- nisation et le modéle de l'utilisateur avec des coefficients a de respective- ment.69 et.68. Suite aux analyses, les modéles de l’organisation et de l’utilisa- teur utilisés pour le calcul des résultats comportent respectivement 4 et 6 items (voir tableaux 1 et 2). L’instrument de Barki e¢ alii (1993a et b) utilisé pour mesurer les caractéristiques du mode de gestion des projets étudiés a montré une fiabilité acceptable avec des indicateurs a de.67 pour la dimension planification et contréle,.78 pour l’intégration,.77 pour l'utilisation de métho- TIS, vol. 7, n°3, 1995, 332 Carmen Bernier dologies et.68 pour la gestion des compétences de l’équipe. Toutefois, le coeffi- cient a obtenu pour la dimension responsabilisation des utilisateurs — 2 items — s’avére faible (.40). Modeles de l’organisation et de l'utilisateur L’analyse du tableau 1 montre que les responsables de projets de développe- ment de systémes ont une vision de l’organisation idéale qui correspond a une orientation modérément Y, avec un score total de 4.20, légerement au-dessus du point d’indifférence de 4. Dans leur étude des concepteurs québécois, TABLEAU 1 Modéle de l’organisation ENONCE ENONCE chefs de | concepteurs | concepteurs| THEORIE X THEORIE Y projets | internes | externes (1= plus orienté X)_| (7= plus orienté Y) internes (Gingras) (Gingras) A. Les taches A. Les taches 3.90 452 4.21 devraient étre devraient étre clairement flexibles et permettre définies, la résolution de structurées et problémes en stables. Sroupe. B. Les méthodes de | B. Le dévelop- 4.05 4.00 3.71 travail devraient pement des @tre définies par le | méthodes de travail département devrait étre laissé d’organisation et aux groupes ou méthodes, le individus réalisant le service du travail. personnel ou la direction et elles devraient étre suivies. C. Les objectifs C. La définition et la 3.10 3.39 2.96 devraient étre responsabilité des établis par la objectifs devraient direction et sous sa_| étre laissées aux responsabilité. groupes d’employés. D. Les groupes et | D. Chacun devrait 5.73 5.51 5.03 individus devraient | avoir acces a toute disposer de Tinformation qu’il Vinformation dont _ | considére pertinente ils ont besoin pour | pour son travail. leur travail, sans plus. MOYENNE 4.20 4.37 3.98 TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modéle de Vorganisation, modéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 333 Gingras ef alii (1987) avaient constaté que les concepteurs internes avaient une vision de l’organisation davantage orientée Y — avec un score de 4.37 — que les concepteurs externes — score 3.98. Ils avaient alors conclu que les concepteurs externes [...] semblent posséder un modéle de l’organisation qui conduit a des systemes plus contraignants pour les usagers que celui des employés de ces mémes organi- sations qui ceuvrent dans le domaine des systémes d'information (p. 29). Dans notre échantillon, nous avons étudié des chefs de projets internes et avons constaté que leur profil s’apparente 4 l’orientation Y des concepteurs internes étudiés par Gingras et alii (1987). L’analyse des moyennes des réponses obtenues pour chaque énoncé constituant le modéle de l’organisation montre que les responsables de projets sont davantage orientés vers la théorie X pour |’énoncé touchant a l’établisse- ment des objectifs (point C du tableau). Ce résultat correspond 4 celui obtenu par Gingras et alii (1987) et permet d’avancer que les professionnels de systémes accordent un réle important a la direction dans l’élaboration des objectifs. L’analyse du tableau 2 montre que les chefs de projets de développement de systémes étudiés ont un modéle de l'utilisateur typique qui correspond, tout comme le modéle de l’organisation, 4 une orientation modérément Y, avec un score total de 4.39 légérement au-dessus du point d’indifférence de 4. Dans leur étude des concepteurs québécois, Gingras et alii (1987) avaient constaté que les concepteurs internes avaient une vision de l'utilisateur légé- rement plus orientée Y — avec un score de 4.90 — que les concepteurs externes — score 4.57. Ils avaient alors conclu que les concepteurs internes avaient une vision «plus participante des usagers que les conseillers» (p. 30). Dans notre échantillon, nous avons étudié des chefs de projets internes et nous constatons que leur vision de l'utilisateur présente une orientation Y moins grande que celle des concepteurs internes (4.90) et externes (4.57) étudiés par Gingras. L’analyse des moyennes des réponses obtenues pour chaque énoncé constituant le modéle de |’utilisateur montre que les responsables de projets sont davantage orientés vers la théorie X pour les énoncés touchant a l’organi- sation du travail de l'utilisateur (point C du tableau) et aux méthodes (D). Ce résultat suggére que les chefs de projets étudiés, tout comme c’était le cas pour |’élaboration des objectifs organisationnels, privilégient un environne- ment structuré. Les résultats de Gingras ef alii (1987) montrent que les concepteurs externes ne sont pas clairement orientés Y sur ces deux énoncés (4.03) et se démarquent ainsi des concepteurs internes. Test des hypothéses Le tableau 3 présente les résultats de I’analyse des liens existant entre les modeéles de l’organisation, de l'utilisateur et les dimensions caractéristiques du TIS, vol. 7, n°3, 1995, 334 Carmen Bernier TABLEAU 2 Modéle de l'utilisateur ENONCE ENONCE chefs de | concepteurs | concepteurs| THEORIE X THEORIE Y projets | internes | externes (1= plus orienté X) | (7= plus orienté Y) internes (Gingras) (Gingras) A. Est capable de A. Est capable de 4.90 5.17 4.84 traiter un éventail _ | faire un travail impli- limité de taches quant une variété de dans son emploi. taches différentes. B. Travaille mieux _| B. Peut avoir le plein 427 5.08 4.78 si le rythme de contréle sur son travail est hors de —_| rythme de travail. sa responsabilité, C. A besoin ou veut | C. Travaille bien et 3.13 4.19 4.03 un emploi bien aime travailler dans défini auquel il un emploi qui n’est s’en tient la pas clairement plupart dutemps. _| défini. D. Exige de D. Peut organiser la 3.53 459 4.03 connaitre ce qui séquence de son devra étre fait et travail et peut comment le faire. | choisir les meilleures méthodes. E. Est incapable E. Est capable 5.20 5.44 4.89 dassumer la d’assumer la responsabilité de responsabilité de décisions et de décisions et de prendre des prendre des initiatives. initiatives. F. Posséde un bas _ | F. Posséde un haut 5.28 5.12 4.86 niveau d’habileté niveau d’habileté et/ou de et/ou de connaissances connaissances. MOYENNE 439 4.90 457 mode de gestion. Cette analyse a été réalisée en calculant les coefficients de corrélation de Pearson. La littérature et les résultats d’études antérieures nous avaient menées a penser que plus le chef de projet aurait un modéle de l’organisation Y, plus il privilégierait l’intégration et moins il favoriserait la planification, le contréle et une gestion stricte des compétences de l’équipe dans sa gestion du projet. Les résultats obtenus montrent que la vision de l’organisation s’est révélée en TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modéle de l'organisation, modeéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 335, relation négative avec la planification et le contréle dans le projet, la responsa- bilisation des utilisateurs et la gestion des compétences de |’équipe de dévelop- pement. Ces résultats supportent l’idée que plus le chef de projet percoit Vorganisation idéale selon une vision Y, moins il aura tendance & mettre Yaccent sur la planification et le contréle (H2) et moins il s’attardera 4 une gestion stricte des compétences de I’équipe (H3). Une telle attitude est cohé- rente avec la vision de la théorie Y privilégiant la qualité de vie au travail plu- tot que les seuls gains de productivité (Hedberg et Mumford, 1975). Ainsi, pour favoriser cette qualité de vie et les aspects organisationnels et humains du projet, le chef de projet formalisera-t-il moins les activités de développe- ment, diminuant ainsi les contraintes et pressions pour les participants qui se verraient imposer par leur chef des taches trés définies, des temps de réalisa- tion stricts. De plus, on peut penser qu'une attention moins grande portée par le chef de projet a la gestion des compétences de l’équipe se traduira, dans les faits, par une autonomie et une marge de mancewvre plus grandes de l’équipe et de ses membres. Contrairement 4 ce qui était attendu, les résultats ne montrent pas de relation significative entre une vision Y de organisation et un mode de ges- tion accordant beaucoup d’importance 4 des activités d’intégration. I] serait toutefois prématuré d’abandonner une telle relation (H1) sur la seule base des résultats de cette étude a I’échantillonnage limité. TABLEAU 3 Corrélations significatives entre le modéle de l’organisation, le modéle de Lutilisateur et le mode de gestion VARIABLES DU MODE COEFFICIENT DE GESTION CORRELATION Modle de - intégration - Av Porganisation - planification et contréle - A2* - utilisation des méthodologies - 16 - responsabilisation des utilisateurs. - 32** ~ gestion des compétences de |’équipe - .35* Modeéle de - intégration 08 lutilisateur - planification et contrdle 05, - utilisation des méthodologies .21*** - responsabilisation des utilisateurs .25** - gestion des compétences de l’équipe 13 * significatif 4.01; ** significatif 4.05; *** significatif 4.10 Les résultats révélent l’existence d'une relation inattendue. Que penser du fait que le chef de projet ayant une vision de l’organisation Y aura tendance 4 moins donner de responsabilités aux utilisateurs ? Les études antérieures nous avaient menées a penser que le chef de pro- jet ayant un modeéle de l'utilisateur Y favoriserait la responsabilisation de I’uti- TIS, vol. 7, n°3, 1995, 336 Carmen Bernier lisateur et l'utilisation de méthodologies dans le projet. Les résultats montrent qu’il existe une relation positive entre la vision de l'utilisateur typique et le degré de responsabilisation des utilisateurs dans un projet de développement de systéme. Ce résultat correspond a l’hypothése formulée (H4), qui présuppo- sait que la responsabilisation de l’utilisateur serait influencée par le modéle de l'utilisateur plutét que par le modéle de l’organisation. Ainsi, dans notre étude, plus les chefs de projets pergoivent l'utilisateur typique selon un modéle de type Y et plus ils confient aux utilisateurs des responsabilités dans les projets de développement. Supportant l’hypothése 5, les résultats suggérent que la vision de l'utilisateur — plutét que celle de l’organisation — influence l’utili- sation de méthodologies par le responsable de projet. Dans notre étude, plus les chefs de projets percoivent l'utilisateur typique selon la théorie Y et plus ils mettent I’accent sur l'utilisation de méthodologies dans la gestion du projet de développement de systéme. Ce résultat intéressant permet de penser que les responsables de développement auraient tendance 4 adopter une approche trés professionnelle dans un contexte ow ils considérent les futurs utilisateurs comme des gens ayant un bon niveau de connaissances, capables de prendre des décisions et d’assumer des responsabilités, recherchant les défis au travail et aptes 4 ceuvrer dans un champ d'action élargi. L’interprétation de la rela- tion négative entre le modéle de l’organisation et la responsabilisation de l’uti- lisateur demeure toutefois difficile 4 expliquer. Elle nous semble ici limitée par le faible coefficient de fiabilité de la mesure de la caractéristique de «responsa- bilisation des utilisateurs». CONCLUSION S’inscrivant dans le cadre de la recherche plus large d’une meilleure compré- hension des modes de gestion appropriés pour le succés des projets de déve- loppement de systémes d’information, cette étude s’est intéressée aux modéles de l’organisation et de l'utilisateur véhiculés par les chefs de projets en rela- tion avec leurs choix de gestion. Bien que les modéles de l’organisation et de lutilisateur aient été caractérisés, dans le respect de travaux antérieurs et pour fin de comparaison, selon une orientation relativement simpliste X et Y, les résultats s’avérent intéressants. Ils montrent que les chefs de projets de déve- loppement de systémes internes ayant participé a l’étude ont un modéle de lorganisation et de l'utilisateur qui correspond modérément a une orientation de type théorie Y. Toutefois, on remarque une orientation davantage de type X chez les chefs de projets pour les questions relatives a la définition des taches des utilisateurs, a l’établissement des objectifs, a la définition du champ daction d’un emploi et a la connaissance exacte du contenu et des attentes face a une tache donnée. L’analyse des liens entre les visions de l’organisation et de l'utilisateur et les caractéristiques du mode de gestion nous apprend que la planification et le contréle dans le projet et la gestion des compétences de I’équipe de développe- TIS, vol. 7, n°3, 1995 Modele de Vorganisation, modéle de Uutilisateur et mode de gestion ... 337 ment s’apparentent davantage 4 un modéle de l’organisation de type X et que plus la vision de l’organisation idéale s’apparentera a la théorie Y, moins les chefs de projets privilégieront des activités structurantes dans leur gestion de projet. La responsabilisation des utilisateurs est liée a la vision que s’est consti- tuée le chef de projet 4 propos de l’utilisateurtypique : ce dernier se verra confier des responsabilités dans la mesure oi le chef de projet aura développé de lui une vision favorable (de type Y). Enfin, l'utilisation de méthodologies dans la gestion du projet s’est révélée liée au modéle de l'utilisateur. Une telle constatation a l'intérét de nous rappeler que l'utilisation de méthodologies ne correspond pas uniquement a un besoin intrinséque du développeur, mais qu'elle s’inscrit dans un tissu de relations et de symboles professionnels et organisationnels. Le réle des modéles de organisation et de l'utilisateur dans les choix de gestion des projets de développement de systemes demeure encore mal connu. Cette étude constitue un premier effort pour mettre en évidence I’influence des visions véhiculées par un responsable de projet de l’organisation idéale et de l'utilisateur typique sur la gestion de ses projets de développement de sys- témes. Il faut retenir qu’une vision de type X ou Y, développée par le profes- sionnel de systéme, n’est pas bonne ou mauvaise en soi mais influencera ses choix de gestion des projets de développement différemment. D’autres études devront poursuivre cette recherche afin d’enrichir nos modéles de contingen- ce de gestion des développements de systémes. En ce sens, les fondements théoriques supportant les modéles de l’organisation et de l’utilisateur devront étre complétés pour y inclure des visions plus récentes développées en mana- gement (théories Z, W) et des outils montrant une validité plus grande devront étre mis au point ou adaptés au contexte du développement de sys- témes d'information. Enfin, tant pour le chercheur ou l’enseignant que pour le praticien, nous pensons qu'il est important qu’un responsable de projet de développement de systémes connaisse sa perception de l’organisation idéale, de I’utilisateur typique et l'influence de ces perceptions sur son action de gestion. Il semble également important d’aborder une telle question selon une approche de contingence et de continuer, dans des travaux ultérieurs, 4 chercher impact et les conditions de succés des visions X et Y pour la gestion des développe- ments de systémes d’information. TIS, vol. 7, n°3, 1995 338 Carmen Bernier ANNEXE A D'une fagon générale: Les taches devraient étre clairement définies, structurées et stables Il devrait y avoir une hiérarchie d’autorité avec une personne a la téte qui assume la responsabilité finale pour tous les aspects du travail Les motivateurs les plus importants devraient étre d'ordre financier (salaires élevés, bonis) Les méthodes de travail devraient étre définies par le département d’organisation et méthodes, le service du personnel ou la direction et elles devraient étre suivies Les objectifs devraient étre établis par la direction et sous sa responsabilité Les groupes et individus devraient disposer de l'information dont ils ont besoin pour leur travail, sans plus Les décisions concernant ce qui doit étre réalisé, et comment, devraient relever entigrement de la direction Il devrait y avoir une supervision étroite, des contréles serrés et une discipline ferme Modéle de l’organisation Veuillez utiliser I’échelle suivante pour indiquer ce qui vous semblerait la meilleure forme d’organisation pour le département d’un usager typique pour lequel vous développez généralement des systémes informatisés. Les taches devraient étre flexibles et permettre la résolution de problémes. en groupe Il devrait y avoir une délégation de l'autorité vers ceux qui effectuent le travail, sans égard au titre ou statut officiel Les motivateurs les plus importants devraient étre dordre non financier (défi au travail, opportu- nité de travail en équipe) Le développement des méthodes de travail devrait étre laissé aux groupes ou individus réalisant le travail La définition et la res- ponsabilité des objectifs devraient étre laissées au groupes d’employés Chacun devrait avoir accés & toute l’informa- tion qu'il considére per- tinente pour son travail Les décisions devraient étre prises a l'aide de dis- cussions de groupe impli- quant tous les employés Il devrait y avoir une supervision souple, peu de contrdles et une confiance dans l’autodis- cipline des employés TIS, vol. 7, n°3, 1995, Modéle de Vorganisation, modéle de l'utilisateur et mode de gestion ... 339 Laisse les autres prendre la plupart des décisions sur les choses qui I’affectent dans son travail Est capable de traiter un éventail limité de taches dans son emploi Nest pas intéressé a entretenir des contacts sociaux au travail Peut supporter un travail ennuyant Travaille mieux si le rythme de travail est hors de sa responsabilité A besoin ou veut un emploi bien défini auquel il se tient la plupart du temps Exige de connaitre ce qui devra étre fait et comment le faire Est incapable d’assumer la responsabilité de décisions et de prendre des initiatives Posséde un bas niveau @habileté et/ou de connaissance Modéle de l'utilisateur (suite) Veuillez utiliser l’échelle suivante pour décrire !’utilisateur typique pour lequel vous développez généralement des syst?mes informatisés. D’une fagon générale, l'utilisateur ca Protestera s'il n’est pas consulté pour tout ce quia trait & son travail Est capable de faire un tra- vail impliquant une variété de taches différentes Considére les opportunités de contacts sociaux au tra- vail comme importantes Exige un travail intéres- sant Peut avoir le plein contré- le sur son rythme de tra- vail Travaille bien et aime tra- vailler dans un emploi qui nest pas clairement défini Peut organiser la séquence de son travail et peut choi- sir les meilleures méthodes Est capable d’assumer Ja responsabilité de décisions et de prendre des initia- tives Posséde un haut niveau Whabileté et/ou de connaissance TIS, vol. 7, n°3, 1995, 340 Carmen Bernier ANNEXE B INTEGRATION _ Les membre de Péquipe sont tenus informés L’équipe se réunit fréquemment Les membres de l’équipe participent a l’établissement des objectifs Les utilisateurs sont des membres actifs de l’équipe Les utilisateurs participent a l’élaboration des spécifications Le chef du projet dispose d’une grande latitude PLANIFICATION/CONTROLE — La formation est sous la responsabilité des utilisateurs Un suivi rigoureux est effectué au moyen d’outils de type PERT Le respect des échéances est le principal critére d’évaluation Une attention particuliére a été apportée aux aspects planification Des ressources ont été consacrées aux estimés de temps et de budget Tl existe un comité de projet qui se réunit fréquemment ‘METHODOLOGIE _ Une documentation complete du projet Des moyens sont en place pour maintenir a jour la documentation Une méthodologie de développement est rigoureusement suivie Une attention particuliére est apportée a I’élaboration des spécifica ications GESTION DES COMPETENCES DE LEQUIPE Un effort a été fait pour pour que l’équipe soit formée de gens ayant travaillé ensemble Le terme prototypage décrit l’approche de développement Un effort a été fait pour subdiviser le projet en sous-projets Les membres de I’équipe ont recu une formation spéciale Un effort a été fait pour obtenir des évaluations de performance Des efforts ont été faits pour minimiser le taux de rotation __RESPONSABILITES DES UTILISATEURS Les utilisateurs sont respot responsable de l’échéancier Les utilisateurs sont responsables du budget REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES APPLETON, E. 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