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Le double dans le double de Dostoïevski et

Mon frère fantôme de Mahi Benbine

Premiè re partie : le cadre thé orique de


la notion du double
Pour saisir le sens du double, il est question de parcourir les différentes
disciplines qui ont participé à approcher ce terme qui est né dans la mythologie,
repensé en philosophie et se renouvelle inconstamment dans la littérature.

Chapitre premier : le passage de la notion du double du


mythos au logos
1. L’origine mythologique du double
a) Le mythe de l’androgyne

Le thème du double remonte au mythe de l’androgyne d’Aristophane rapporté


par Platon dans Le Banquet ; un mythe qui explique la fusion originaire en Un :
Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est à présent, elle était bien différente. D’abord il
y avait trois espèces d’hommes, et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, la femelle
et, outre ces deux- là, une troisième composée des deux autres  ; le nom seul en reste
aujourd’hui, l’espèce a disparu. C’était l’espèce androgyne qui avait la forme et le nom
des deux autres, mâle et femelle, dont elle était formée ; aujourd’hui elle n’existe plus,
ce n’est plus qu’un nom décrié. De plus chaque homme était dans son ensemble, de
forme ronde, avec un dos et des flancs arrondis, quatre mains, autant de jambes, deux
visages tout à fait pareils sur un cou rond, et sur ces deux visages opposés une seule
tête, quatre oreilles, deux organes de la génération et tout le reste à l’avenant. Il
marchait droit, comme à présent, dans le sens qu’il voulait, et, quand il se mettait à
courir vite, il faisait comme les saltimbanques qui tournent en cercle en lançant leurs
jambes en l’air  ; s’appuyant sur leurs membres qui étaient au nombre de huit, ils
tournaient rapidement sur eux-mêmes. Et ces trois espèces étaient ainsi conformées parce
que le mâle tirait son origine du soleil, la femelle de la terre, l’espèce mixte de la lune, qui
participe de l’un et de l’autre. Ils étaient sphériques et leur démarche aussi, parce
qu’ils ressemblaient à leurs parents ; ils étaient aussi d’une force et d’une vigueur
extraordinaires, et comme ils avaient de grands courages, ils attaquèrent les dieux, et
ce qu’Homère dit d’Éphialte et d’Otos, on le dit d’eux, à savoir qu’ils tentèrent
d’escalader le ciel pour combattre les dieux. 1

1
(Platon, 2015). (p.34)
Il suppose deux êtres pourvus de quatre membres, ronds comme des sphères et
partagent le même corps, ce qui annule la dualité et renforce l’unité, sources de
force et de supériorité. Pour les punir de leur insolence et les affaiblir, Zeus a
divisé ces êtres en deux parties.
Enfin Jupiter, ayant trouvé, non sans peine, un expédient, prit la parole : « Je crois,
dit-il, tenir le moyen de conserver les hommes tout en mettant un terme à leur licence :
c’est de les rendre plus faibles. Je vais immédiatement les couper en deux l’un après
l’autre ; nous obtiendrons ainsi le double résultat de les affaiblir et de tirer d’eux
davantage, puisqu’ils seront plus nombreux. Ils marcheront droit sur deux jambes.
S’ils continuent à se montrer insolents et ne veulent pas se tenir en repos, je les
couperai encore une fois en deux, et les réduirai à marcher sur une jambe à cloche-pied.
« Ayant ainsi parlé, il coupa les hommes en deux, comme on coupe des alizés pour les
sécher ou comme on coupe un œuf avec un cheveu ».2
A l’aide d’Apollon, ces êtres sont raffinés et ajustés mais, ils apportaient
toujours des plis dans le ventre et au nombril comme trace de ce châtiment .Dès
lors, le sentiment de l’incomplétude et la recherche de l’autre partie perdue sont
devenues une recherche haletante pour ces êtres.
Or quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et,
s’embrassant et s’enlaçant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble, les
hommes mouraient de faim de d’inaction, parce qu’ils ne voulaient rien faire les uns sans
les autres  ; et quand une moitié était morte et que l’autre survivait, celle-ci en cherchait
une autre et s’enlaçait à elle, soit que ce fût une moitié de femme entière, (ce qu’on
appelle une femme aujourd’hui), soit que ce fût une moitié d’homme, et la race
s’éteignait.3
Alors Zeus, touché de pitié, imagine un autre expédient : Il plaça donc les
organes sur le devant et par là fit que les hommes engendrèrent les uns dans les
autres, c’est-à-dire le mâle dans la femelle. Cette disposition était à deux fins : si
l’étreinte avait lieu entre un homme et une femme, ils enfanteraient pour
perpétuer la race et, si elle avait lieu entre un mâle et un mâle, la satiété les
séparerait pour un temps, ils se mettraient au travail et pourvoiraient à tous
les besoins de l’existence. Et c’est par là que va naitre l’amour entre les
hommes. Cette recherche de l’autre moitié a pris donc trois dimensions : Tous
les hommes qui sont une moitié de ce composé des deux sexes que l’on
appelait alors androgyne aiment les femmes, et c’est de là que viennent la
plupart des hommes adultères ; de même toutes les femmes qui aiment les
hommes et pratiquent l’adultère appartiennent aussi à cette espèce. Mais toutes
celles qui sont une moitié de femme ne prêtent aucune attention aux
hommes, elles préfèrent s’adresser aux femmes et c’est de cette espèce que
viennent les tribades. Ceux qui sont une moitié de mâle s’attachent aux mâles.
Cette autre moitié n’est peut être pas un double parfait, mais elle réfère aux
limites corporelles, à la question de la complétude, la culpabilité relative à la

2
(Platon, 2015). (p.38)
3
(Platon, 2015). (p.40)
transgression et au châtiment qui lui était infligé et au retour nostalgique à
l’amour et l’attachement affective auxquels réfère la figure du double.
b) Les divinités jumelles

Cependant, la question du double peut être étudiée selon d’autres thématiques


que celle de l’androgyne ; à savoir les divinités jumelles, incarnant la fraternité
exemplaire, Castor et Pollux sont les plus illustres. La perfection de leur amour
fraternel leur fait gagner le ciel et ils méritent les titres de Sauveurs et de
Bienfaiteurs. Au contraire, leurs sœurs, causes de tous les maux, chargées de
tous les crimes, sont impardonnables. Plus novices l’une que l’autre,
Clytemnestre et Hélène. Selon (Frotisi Ducroux, 2007) ,cette notion qui combine
entre gémellité et dualité chez les grecs n’a rien de monstrueux, c’est un signe
de fécondité et d’abondance et non relatif à l’excès. Une autre particularité c’est
le fait que les dieux et les titans correspondent de manière très proche, à savoir
que Cronos représente un autre Zeus, que Rhéa représente une autre Héra,
qu’Hypérion correspond à Apollon, que Théa correspond à Artémis, que Japet
correspond à Arès, qu’Océanos correspond à Poséidon, et qu’enfin Prométhée,
fils de Japet, correspond dans les grands traits à Héphaïstos, comme lui dieu du
feu. Nous avons ainsi Pan et Hermès, Arès et Héraclès, Eos et Aphrodite (ou
Athéna), Gaia et Déméter, Héphaïstos et Prométhée, Hêlios et Apollon, et enfin
Selênê et Artémis.
Etre double alors peut se faire à travers une existence gémellaire ou d’une
incarnation. Dans les deux situations le terme passe pour un Autre monde, qui
reflet notre image ou son inverse. selon la situation, l’homme se trouve dominé
et contrôlé dans sa dualité, dans la mesure où tout ce qui n’appartient pas au
monde des réalités tangibles ou connues dépend de cet autre lieu, de cette
construction idéale, mirifique, ou au contraire effrayante, issue de notre
imaginaire, susceptible d’appeler à l’exploration, de révéler d’autres formes
d’existence, de proposer une autre vie soit par une expérience initiatique de type
chamanique, soit après la mort, soit enfin par métempsychose ou transmigration
de l’âme, à la suite d’une succession de métamorphoses.
Selon la mythologie grecque, notre nature était donc un tout complet ; la
poursuite de ce tout prendra de ce qu’on appelait amour. Incarné par Eros, il faut
donc se mettre à ses instructions pour ne pas se mettre en guerre avec lui et
s’exposer aux maux que les hommes avaient éprouvés.
2. La question du double en philosophie
c) La dualité, théorie ancienne dans la philosophie

Il est évident que la philosophie est née du passage du mythos au logos, cela
veut dire que dès lors la pensée mythique fut remplacée par la pensée
rationnelle. L’esprit humain se placerait dans une conception abstraite, tout
comme le passage de l’enfance à l’âge adulte. Etudier le double et le
dédoublement d’un angle philosophique c’est s’interroger sur l’identité, la
personnalité et repenser le sujet. Cette dualité qu’on peut déduire du double
trouve ses origines philosophiques dans la doctrine du dualisme est fondatrice
dans l’ancienne philosophie, elle remonte à Socrate et revient aux débats
philosophiques modernes. Elle signifie tout simplement le fait évident de
connaitre par opposition ; le bien ainsi se définit par opposition au mal, le
bonheur au malheur ou d’autres exemples de couples opposés. L’existence de
l’un des couples opposés n’est admissible que par l’existence de son contraire.
Les objets et les concepts n’existent qu’à travers les relations qu’ils
maintiennent avec les autres sinon ils seront vides de sens. Cette doctrine qui
admet deux principes ou réalités irréductibles et indépendants ne signifie pas
qu’ils sont mis cote à cote. Le lien qui les unit est indestructible. Leur originalité
qu’ils sont à la fois complémentaires, indissociables mais aussi en conflit
permanent. Les couples d’opposés ne peuvent se passer l’un de l’autre tout en
cherchant à se détruire réciproquement, sans jamais parvenir à le faire vraiment.
Si l’un d’entre eux pouvait être isolé, il serait sans vie ne tirant sa substance que
de la possibilité de tisser des liens avec ce qui, paradoxalement veut sa mort. . Il
n’y a pas de divorce possible entre eux. Ce n’est pas non plus le ménage à trois.
Ils s’auto-suffisent sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir une troisième
entité qui les réunirait. En réalité, on ne distingue généralement que l’un ou c’est
l’autre, celui qui se présente devant nous, ou celui qui est absent et continue
d’être son opposé. 
Pour nous qui n’avons que le pouvoir de distinguer, c’est l’un OU c’est l’autre. En fait
c’est aussi l’un ET l’autre, à la fois, simultanément. Là, nous sommes bloqués par notre
raisonnement discursif. Pour ne pouvoir enregistrer les évènements que successivement,
on ne peut admettre qu’un objet soit à la fois noir et blanc. La doctrine chinoise du Tao4
avait cependant bien compris que le Yin et le Yang pouvaient être séparés mais aussi
confondus. Le global existe au même titre que l’individuel.5
Le dualisme est souvent considéré comme une faiblesse dans un système
philosophique, parce qu’il semble prouver l’incapacité de penser la relation
entre les deux termes opposés. Mais cette difficulté peut être aussi comprise
comme l’humble aveu de la finitude des limites de la connaissance humaine.
Ainsi le problème du dualisme de l’âme et du corps chez Descartes a été l’objet
de nombreuses critiques sans pour autant trouver de solution satisfaisante
comme en témoigne les débats qui se déroulent encore au cours du siècle
précédent. Il est bien conçu qu’en philosophie de l'esprit, le dualisme est l'idée
que l'esprit et la matière (ou le corps) sont deux réalités complètement
différentes : l'esprit n'est pas une réalité matérielle, ou n'est pas une propriété
4
PHILOS. Dans la Chine ancienne, principe transcendant et immanent d'où procède toute vie, qui est à l'origine
de plusieurs religions, entre autres du taoïsme et du confucianisme. Il s'agit de vivre « naturellement » à un
double point de vue: il faut adapter sa vie aux saisons, mais aussi suivre le tao, c'est-à-dire le droit chemin, en
accord avec la loi divine de la nature. https://www.cnrtl.fr/definition/TAO
5
(PÉTREMENT, s. d.)
simplement physique de la matière, ou ne peut être décrit comme une réalité
matérielle. La question qui se pose alors cette réalité qui n’est pas simplement
physique ou matérielle est-elle l’origine de l’unité d’un sujet ou l’origine de sa
duplication ?
d) Identité, personnalité et sujet dans la philosophie
 L’identité

Selon un article de (Juskenaite et al., 2016), l’identité du point de vue


philosophique : « peut être envisagée comme un ensemble de caractéristiques
permettant d’identifier une entité. L’identification d’une entité est possible à
partir des caractéristiques qui lui sont propres, ou à partir de celles qu’elle
partage avec d’autres entités »6. L’identité alors regroupe tous les éléments
matériels et non matériels qui permettent de caractériser une entité dans le temps
et dans l’espace. Si l’on s’intéresse aux caractéristiques qualitatives seulement,
on parlera alors  « d’identité sortale ». Il serait alors moins compliqué
d’appliquer cette généralisation sur ce qu’on appelait les choses ou « identités
inanimées ». Cependant l’identité chez l’être humain est multiple par définition ;
l’identité physique, l’identité sociale, l’identité psychique, l’identité territoriale
et d’autres. Les caractéristiques numériques de l’être humain est ses
caractéristiques qualitatives constituent l’identité personnelle d’un individu. A la
différence des entités inanimées, l’identité personnelle des êtres humains
englobe de plus des caractéristiques psychiques. Bien entendu, qu’il s’agisse des
caractéristiques physiques ou psychiques, un grand nombre d’entre elles peut
correspondre à plusieurs personnes. La psychologie cependant parle de
l’individu lorsqu’il s’agissait de l’identité personnelle, pour désigner l’ensemble
des caractéristiques propres à une personne donnée et qui la distingue des autres
sur le plan individuel. Ainsi l’identité se forme à travers l’interaction entre
l’intérieur et l’extérieur de la personne. Non seulement qu’elle regroupe un
ensemble de caractéristiques de ressemblance et de différences avec les autres,
mais aussi un sentiment pour la personne elle-même, qui reste difficile à traduire
à travers les mots. Donc l’identité est perçue de l’extérieur par le groupe social
et vécue de l’intérieur par la personne. Mais elle conditionne la continuité de ce
sentiment dans le temps. Cela alors est relatif à des mécanismes qui assurent
cette continuité. Selon le même article cité auparavant :
Il est possible d’envisager qu’il résulte d’une réitération permanente des états perceptifs
minimaux. Ces derniers accompagneraient toute action motrice, perceptive ou réflexive
d’une personne et se traduiraient par sa sensation d’être à l’origine de l’exécution d’une
action (sense of agency) et par la sensation de posséder son propre corps, ses émotions, ses
pensées (sense of ownership). Ces sensations correspondent à ce que les philosophes

6
Chebili, S. (2008). La personnalité : Un abord philosophique. L’information psychiatrique, 84(3),
213-218. Cairn.info.
appellent le « je », autrement dit le soi-sujet, ou encore le soi minimal ( minimal self) ou le
soi ontologique (onthological self).7
Il est évident donc que l’identité personnelle se constitue à travers deux
mécanismes ; un postulat de comportements de l’individu dans un
environnement donné et une stabilité de ces comportements dans le temps. Le
cas échéant il est question de parler des altérations et des troubles dans la
personnalité. Mais avant d’entamer ce point, il serait nécessaire d’exposer
quelques réflexions sur la personnalité.

 La personnalité

En effet, les philosophes se sont de tout temps intéressés à la personnalité, la


dénommant de différents termes : l’âme, la nature et même la personnalité.
L’abord philosophique de cette notion en effet, a contribué même à
l’épanouissement de la psychiatrie vu leur proximité et leur complémentarité.
Selon un article de (Chebili, 2008) intitulé La personnalité : un abord
philosophique, l’écrivain s’est arrêté à certaines étapes au cours desquelles la
notion de personnalité a été systématisée, au point de constituer une doctrine
achevée. Il distingue alors trois grandes étapes ; La personnalité chez Plotin,
Locke et Hume : la question de l’identité personnelle et Bergson et sa théorie de
la personnalité. Pour Plotin :
Chez Plotin, l’Univers est conçu selon une hiérarchie comportant trois stades nommés
hypostases : l’Un, l’Intellect et l’A me. La succession des hypostases suit un ordre
chronologique d’exposition, par ordre temporel. Le système comprend un mouvement
d’expansion et de contraction. La première distingue les êtres de l’Un (procession), et la
seconde ramène les êtres vers l’Un (contemplation).8
L’Un donc est le premier principe à souligner chez Plotin. C’est l’être
transcendant, un reflet de Dieu auquel on ne peut toucher que par l’Ame.
Cependant, il reste difficile à saisir le sens de cet Un, il est différent de la figure
de Dieu chez les chrétiens, il est hors le champ de le penser et de le saisir. Il
n’est possible de l’approcher que d’une manière métaphorique, parce qu’il est
aussi hors le champ de l’intelligence. Il se présente comme une unité parfaite
alors qu’il produit son semblable : L’Intellect ; il incarne la connaissance de soi
et du monde intelligible. Ce dernier est une société d’intelligences, d’esprits,
dont chacun, en se pensant, pense tous les autres qui forment ainsi une
intelligence et un esprit unique. Comme l’Un produit l’Intelligence,
l’Intelligence produit l’âme. Qui constitue un pont entre le monde intelligible et
7
Juskenaite, A., Becquet, C., Eustache, F., & Quinette, P. (2016). L’identité : Une représentation de soi qui
accommode la réalité. Revue de neuropsychologie, 8(4), 261-268. Cairn.info.
8
Plotin a vécu au troisième siècle après Jésus-Christ. Les 54 traités plotiniens ont été regroupés en 9 ennéades
dans l’édition posthume de Porphyre. Plotin accordait une importance essentielle à ses traités. P. Hadot a bien
montré la double nature des traités, didactique et ascétique : « Les traités sont des exercices spirituels dans
lesquels l’âme se sculpte d’elle-même, c’est-à-dire se purifie, se simplifie, s’élève au plan de la pensée pure
avant de se transcender dans l’extase ». Cité dans (Chebili, 2008). La personnalité : Un abord
philosophique. L’information psychiatrique, 84(3), 213-218. Cairn.info.
le monde sensible. L’originalité chez Plotin est que la multiplicité de cette âme
n’est qu’apparente ; il s’agit d’une seule âme qui se manifeste de manières
différentes. D’une autre façon plus simple, l’âme est unique mais les corps sont
multiples. Plotin alors tend vers une interprétation religieuse, l’âme est une
émanation de l’Un.
Pour Locke et Hume, Locke disait «  l’identité personnelle. Celle-ci se formule
simplement : c’est ce qui, chez un être humain, demeure permanent et invariable
à travers le temps. Elle permet d’affirmer que, malgré les variations entre deux
moments, nous avons affaire à la même personne ».9
L’identité personnelle relève de la conscience alors. Locke a réfuté la théorie
cartésienne sur l’innéisme pour démonter sa propre théorie. D’une autre manière
l’homme ne peut pas penser sans qu’il le sache. Locke différencie l’identité de
conscience de l’identité de substance. C’est la conscience qui offre la continuité
dans le temps. Le raisonnement de Hume : Nous ne « pouvons concevoir aucune
sorte d’existence hormis les perceptions qui sont apparues en ces étroites limites.
C’est l’univers de l’imagination et nous n’avons d’autres idées que celles qui y
sont produites »10. Hume a introduit le concept de l’imagination et de la durée
tout en réfutant catégoriquement la dualité cartésienne.
Pour Bergson, il tend vers une explication psychologique de la personnalité et en
fait d’elle le centre de préoccupation de la philosophie : « Et dans son effort
pour la saisir, la conscience n’a devant elle qu’une infinité d’états psychiques –
une multiplicité. Il semble donc que l’unité de la personne existe tant qu’elle
n’est pas perçue ». 11Il fait le constat alors que l’unité de la personnalité échappe
même au moment qu’on croit la saisir. Pour ce fait, la conscience doit la
décomposer, on comprend la personnalité par l’intuition et dans la durée,
autrement dit, saisir le sens de la personnalité c’est saisir le sens de son histoire.
Ces entités conceptuelles sont pour but pour définir le sujet, elles constituent le
noyau de son existence et permettent de saisir son sens.
 Le sujet
Sans revenir aux anciens débats, en philosophie, le sujet a deux sens précis.
Dans la philosophie moderne, il désigne plus précisément ce qui s'oppose à
l'objet. Le sujet suppose l'existence d'une âme ou d'une subjectivité. C'est pour
cette raison que l'on distingue le sujet de l'objet, mais aussi de l'animale. Selon le
colloque international à Paris intitulé (PHILOSOPHIE ET ESTHÉTIQUE DU
DÉDOUBLEMENT, Samedi 7 mars de 18 h à 22 h), Samuel Tronçon a présenté
une conférence sous le titre Les limites du sujet, il pense que :
9
Chebili, S. (2008). La personnalité : Un abord philosophique. L’information psychiatrique, 84(3), 213-218.
Cairn.info.
10
Chebili, S. (2008). La personnalité : Un abord philosophique. L’information psychiatrique, 84(3), 213-218.
Cairn.info
11
Cité dans (Chebili, 2008). La personnalité : Un abord philosophique. L’information psychiatrique, 84(3),
213-218. Cairn.info.
 Nous avons l’habitude de voir le sujet comme une entité propre, définie par ses
caractéristiques et son histoire. Cela suppose d’être capable d’en délimiter les contours, ce
qui nous plonge dans un paradoxe : tout ce qu’un sujet expérimente fait partie de lui, et
tout ce qu’il conçoit est projeté sur son environnement. En somme, si nous concevons la
limite, nous perdons le sujet, alors que si nous souhaitons conserver le sujet, nous perdons
sa limite. De nombreux éléments, tirés notamment de l’analyse de la communication,
nous amènent à proposer une autre conception, qui passe par la considération du sujet
comme le produit abstrait d’interactions concrètes, sa limite n’étant qu’une bordure
localement définie par l’échange.12 
Cette réflexion démontre que le sujet n’admet pas la conception dualiste ; qui le
divise en matière et objet ou corps et âme. Le sujet est comme une notion
abstraite qui se construit par l’interaction avec d’autres sujets. Ses limites
temporelles ou corporelles ne sont définies que par la situation d’interaction.
 Dédoublement et double en philosophie
Descartes a placé la notion de la conscience au centre de sa réflexion en parlant
de sujet. La pensée s’identifie donc à la conscience du sujet et suppose aussi une
substance pensante. Le sujet reste un et identique à lui-même en pensant et à
travers les changements. Mais cette réflexion de Descartes et même avec Kant, a
conduit à souligner les traits du dédoublement et briser le cogito cartésien et
l’unité de sujet.
La conscience ne se porte pas seulement sur des objets extérieurs situés dans le monde,
mais se rapporte avant tout à sa propre intériorité, à elle-même. Elle se considère, se
regarde, s’examine elle-même, dans un mouvement qui n’est autre que celui de la
réflexion. En réfléchissant sur sa propre pensée, le sujet se met à distance de ses
représentations, peut s’en abstraire pour les évaluer ou les juger.13
La conscience alors n’est pas spontanée et immédiate, elle est réflexive et
redoublée, le sujet en pensant il est conscient à la fois de ses représentations et
ses actes de penser. Paul Ricœur cependant, inspiré de la théorie freudienne sur
la partie inconsciente du psychisme, réfute la réflexion de Descartes et Kant sur
la conscience du psychisme.
Pour mieux comprendre cette question de dédoublement, Hannah Arendt pense
que «  L’activité de penser se comprend par conséquent comme un « deux-en-
un », une division interne du sujet, qui se donne à voir comme une relation de
soi avec soi-même, dont le dialogue silencieux et l’entretien intérieur constituent
le vecteur herméneutique ».14 Pour elle la conscience constitue la différence
originaire du soi et son unité comme sujet. En pensant cette unité se double,
parce que l’acte de penser, ce n’est pas seulement un dialogue silencieux avec
soi mais c’est de parler à soi même.

12
PHILOSOPHIE ET ESTHÉTIQUE DU DÉDOUBLEMENT. (Samedi 7 mars de 18 h à 22 h). Maison
populaire.
13
Lamy, julien. (2021). L’expérience de la pensée et le dédoublement de soi. 88/89, 19-23.
14
Lamy, julien. (2021). L’expérience de la pensée et le dédoublement de soi. 88/89, 19-23.
Cette réflexion pousse à aller plus loin, parler à soi même n’admet pas
seulement la fusion de « deux en un », mais plutôt d’une bipolarisation du sujet.
Admettons que le dialogue avec soi annule la solitude, donc le fait de penser est
une manière de multiplication de soi. Cela explique que dans la même unité du
soi, le sujet peut devenir autre, un double.
A ce propos du double, la pesée de Nietzche s’articule autour cette question.
« Ce Même qui est l’Autre, cet Autre qui est le Même ».15Pour élucider cette
pensée, il a utilisé son propre double Zarathoustra16 à travers duquel il explique
cette hallucination du soi qui se multiplie. A l’instar de Nietzche, Gaston
Bachelard a élaboré sa réflexion sur « l’être double » en deux principaux
ouvrages17. Bachelard renoue avec l’idée de la pensée comme dialogue avec soi,
mais son originalité c’est qu’il s’agit d’un dialogue entre « un homme et une
femme parlent dans la solitude de notre être »18 ou « plus on descend dans les
profondeurs de l’être parlant, plus simplement l’altérité essentielle de tout être se
désigne comme l’altérité du masculin et du féminin »19. Selon la réflexion
bachelardienne un dialogue entre masculin et féminin s’établit dans le
psychisme de chaque sujet que se soit homme ou femme, cela l’expliquait par la
nature double de l’homme. Une idée qui remonte à l’explication mythologique
de la nature humaine. Il pense alors que chaque être humain est altéré par cette
double présence de féminin et de masculin en lui, surtout au moment de solitude
ou de rêverie. Il précise aussi que « Tout psychisme se caractérise par une
dialectique interne, une division intime, à partir d’un dédoublement de soi en
être réel et en être idéalisant – que nous révèle le langage sans censure que
constitue la parole poétique. » 20 Bachelard relie la réflexion consciente au
langage poétique, pour souligner « une transformation de soi » par laquelle le
sujet pensant accède à un monde idéalisé. En d’autres termes, le langage
poétique de la rêverie fait accéder le rêveur à un autre monde alors, il se double
alors, un qui est ce monde de réel et l’autre qui a accédé au monde de
l’imaginaire, de la rêverie.

15
Monique Broc-, L. (s. d.). Nietzsche et la pensée du Double. Université Pierre Mendès France Grenoble
16
Ainsi parlait Zarathoustra, Frédéric Nietzche,(1883-1885).
17
Bachelard G., chapitre II : « Rêveries sur la rêverie. Animus – Anima », in La poétique de la rêverie, PUF,
Paris, 1960, 5e édition « Quadrige ».
Bachelard G., Le rationalisme appliqué, PUF, Paris, 1949, 3e édition « Quadrige », 1998
18
Bachelard G., La poétique de la rêverie. Cité dans Lamy, julien. (2021). L’expérience de la pensée et le
dédoublement de soi. 88/89, 19-23.
19
Bachelard G., La poétique de la rêverie Cité dans Lamy, julien. (2021). L’expérience de la pensée et le
dédoublement de soi. 88/89, 19-23.
20
Lamy, julien. (2021). L’expérience de la pensée et le dédoublement de soi. 88/89, 19-23.

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