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HLABU02D / TRADUCTION 2 : Savoirs fondamentaux 4 : pratique de la traduction,

thème.

Mme Greaves 2021

Texte no. 1

J’allais passer mon chemin quand, précédée d’une brusque secousse des branches, la
femme apparut, hocha la tête dans un salut indécis, rajusta rapidement sa robe retroussée au-
dessus de ses genoux. Je la saluai aussi, gauchement, sans pouvoir trop distinguer son visage
sur lequel alternaient les rais du couchant et des zébrures d’ombre. A ses pieds, tassé comme le
corps d’un noyé, s’enroulait un gros filet de pêche qu’elle venait de retirer.

Durant quelques instants, nous restâmes figés, unis par une complicité ambiguë,
semblable à celle d’un acte charnel hâtif dans un endroit peu sûr ou à celle d’un crime. Je
regardais ses pieds nus, rougis par l’argile, et la masse du filet qui remuait par saccades : les
corps verdâtres de quelques brochets se débattaient pesamment et au-dessus, emmêlé parmi les
flotteurs, se tendait la courbe longue, presque noire, de ce que j’avais pris d’abord pour un
serpent (une anguille ou un jeune silure, sans doute). Cet amas de fils et de poissons s’égouttait
lentement, l’eau mêlée à la vase rousse fluait vers le lac, telle une mince coulée de sang. Il
faisait lourd, comme avant l’orage. L’air immobile nous emprisonnait dans une posture fixe,
une inertie de mauvais songe. Et il y avait la compréhension partagée, irréfléchie et tacite, que
tout était possible entre cet homme et cette femme, dans cette chute du jour rouge et violente.
Absolument tout. Et qu’il n’y avait rien ni personne pour l’empêcher. Leurs corps pouvaient
s’allonger près de l’écheveau du filet, se donner, vivre le plaisir à mesure qu’agonisaient les
vies prises dans les mailles…

Je partis vite, avec l’impression d’avoir esquivé, par couardise, le moment où le destin
s’incarne dans un lieu, dans un visage. Le moment où le hasard nous laisse entrevoir son obscur
tissage de causes et de conséquences.

Andreï Makine, La femme qui attendait, 2004.

Texte no. 2

Précisons d’abord : nous étions seulement deux frères, sans sœur aux mœurs légères comme
ton héros l’a suggéré dans son livre. Moussa était mon aîné, sa tête heurtait les nuages. Il était
de grande taille, oui, il avait un corps maigre et noueux à cause de la faim et de la force que
donne la colère. Il avait un visage anguleux, de grandes mains qui me défendaient et des yeux
durs à cause de la terre perdue des ancêtres. Mais quand j’y pense, je crois qu’il nous aimait
déjà comme le font les morts, c’est-à-dire avec un regard venant de l’au-delà et sans paroles
inutiles. J’ai peu d’images de lui, mais je tiens à te les décrire soigneusement. Comme ce jour
où il rentra tôt du marché de notre quartier, ou du port ; il y travaillait comme portefaix et
homme à tout faire, portant, traînant, soulevant, suant. Ce jour-là, il me croisa en train de jouer
avec un vieux pneu, alors il me prit sur ses épaules et me demanda de le tenir par les oreilles
comme si sa tête avait été un volant. Je me rappelle cette joie qui me faisait toucher le ciel,
tandis qu’il faisait rouler le pneu en imitant le bruit d’un moteur. Me revient son odeur. Une
odeur tenace de légumes pourris et de sueur, muscles et souffle mêlés. Une autre image, celle
du jour de l’Aïd. La veille, il m’avait donné une raclée pour une bêtise et nous étions maintenant
gênés tous les deux. C’était jour de pardon, il était censé m’embrasser, mais moi, je ne voulais
pas qu’il perde de sa fierté ou s’abaisse à me demander des excuses, même au nom de Dieu. Je
me souviens aussi de son don d’immobilité sur le seuil de notre maison, face au mur des voisins,
avec une cigarette et une tasse de café noir servie par ma mère.[...]

Moussa était donc un dieu sobre et peu bavard, rendu géant par une barbe fournie et des
bras capables de tordre le cou au soldat de n’importe quel pharaon antique. C’est te dire que le
jour où on a appris sa mort et les circonstances de celle-ci, je n’ai ressenti ni douleur ni colère,
mais d’abord la déception, et l’offense, comme si on m’avait insulté. Mon frère Moussa était
capable d’ouvrir la mer en deux et il est mort dans l’insignifiance, tel un vulgaire figurant, sur
une plage aujourd’hui disparue, tout près de flots qui auraient dû le rendre célèbre pour toujours.

Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, 2013.

Texte no. 3

Je suis d’une lignée de femmes à la fenêtre, j’appartiens à la troisième génération. Mon


arrière-grand-mère est un peu à part : elle ne s’y tenait jamais sans rien faire, elle cousait – près
d’une vitre, certes, pour avoir le jour, mais sans presque lever les yeux –, les bas bleus étaient
dans sa main, éternellement repris et reprisés, pas le temps de vaguer. Mais les autres… Ma
grand-mère s’asseyait les après-midis dans son fauteuil préféré, où elle pouvait allonger ses
jambes, et elle regardait par la fenêtre. Elle avait un tricot en cours sur les genoux, un livre sur
l’accoudoir, mais longtemps elle restait là sans bouger, sans ciller. Les dernières années, peut-
être espérait-elle en effet son chevalier fidèle, ce Prince Pudique De l’Audiovisuel qui devait,
quelques heures plus tard, entrer par la lucarne comme font toujours et partout les Roméos du
monde. Mais je crois aussi que, à sa mesure, elle réfléchissait – à sa vie, à l’amour, à nous –,
elle refaisait l’histoire.

Puis j’ai vu ma mère attendre André ou le guetter derrière le rideau comme princesse en
sa tourelle, elle n’y restait pas très longtemps, […] il arrivait, franchissant tous les obstacles
comme le fils du roi se fraie un chemin parmi les ronces de la forêt enchantée, elle quittait la
fenêtre pour l’accueillir en haut des marches, il n’y avait plus de vitre, alors, plus d’écran, plus
rien. Or, écrit Balzac pour expliquer l’amour qu’inspira André à ma mère, « dans la nature
comme dans le monde des fées, la femme doit toujours appartenir à celui qui sait arriver jusqu’à
elle et la délivrer de la situation où elle languit ». Le prince charmant, dès lors, n’est plus ce
personnage inventé par les contes pour des péronnelles endormies, ce père Noël d’opérette dont
se moquent ceux qui n’y croient pas, mais un homme qui, pour nous retrouver là où nous
sommes, « le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin », n’hésitera pas à briser la
fenêtre ni à enjamber la balustrade, et qu’on peut donc attendre sans honte comme Thérèse
d’Avila espère Dieu, non parce qu’il va venir, ni même parce qu’il existe, mais simplement
parce que l’attendre est notre seule chance qu’il existe et qu’il vienne.

Quant à moi… Moi, je me damnerais pour un bout de carreau. Ah ! qu’on me donne un


coin de fenêtre, ah ! qu’on me laisse, debout le nez à la vitre comme un enfant qui attend sa
mère, qu’on me donne ce temps ! – Qu’est-ce que tu fabriques ? demandait mon père lorsqu’il
me trouvait ainsi désœuvrée (sans doute pensait-il au prince charmant, lui aussi, mais sans lui
prêter aucun charme – un jeune crétin qui allait et venait sur sa mobylette autour de la statue de
Bossuet). Qu’est-ce que tu fais là, à la fenêtre ? – Rien, répondais-je en m’éloignant, rien.

Camille Laurens, L’Amour, roman, 2003.

Texte no. 4

Depuis toujours je laisse le hasard tirer les cartes de mon infime destinée ; c’est la recette d’une
apesanteur qui sied à ma nature. Je ne poursuis pas un dessein, encore moins une carrière ; je
tisse ma liberté entre les mailles d’une époque que je n’ai pas choisie.

Le hasard m’a lâché sur ce globe à la clôture d’un millénaire, mais comme tout écrivain
j’habite un monde particulier : le mien. Celui des autres m’inspire une curiosité passionnée,
encore que sujette à la distraction. Une brume invisible m’en sépare, dont je ne tire ni orgueil
ni amertume. Les certitudes du siècle me sont étrangères ; de même ses lubies et ses hantises.
Ecrire, c’est peindre les êtres et leurs décors avec le regard d’un étranger, éventuellement d’un
exilé.

En France, la province est une sorte d’exil. Paris émet ses ondes, elles se propagent plus
vite qu’avant, mais en Corrèze on les reçoit à peine. Car j’habite la Corrèze. C’est un
département où l’Histoire ne fait pas souvent le détour. Des villages gris perdus dans la nature
et saturés de mélancolie s’y profilent sous des ciels incertains. Le mien est juché sur un plateau
qui surplombe une gorge. Des buses planent autour, des bois le cernent de partout et des
montagnes bleues se profilent dans le lointain. C’est un paradis dans son genre, mais dont
l’accès exige le concours d’une carte Michelin. Deux cents mortels d’âge canonique s’y
récapitulent autour d’un clocher qui a vu passer des siècles en sonnant les heures avec une
obstination monotone. On sonne aussi l’angélus, et le glas quand un villageois trépasse. On a
cessé de sonner la messe, faute de curé pour la dire et de paroissiens pour l’entendre. C’est
sûrement la première fois depuis les Mérovingiens que les dimanches ne sont plus carillonnés.

Denis Tillinac, Dernier Verre au Danton, 1996.

Texte no. 5

Ma mère a été belle. On me dit qu’elle avait autrefois cette prestance très particulière que
conférait aux femmes espagnoles le port du cántaro sur la tête et qu’on ne voit aujourd’hui
qu’aux danseuses de ballet. On me dit qu’elle avançait comme un bateau, très droite et souple
comme une voile. On me dit qu’elle avait un corps de cinéma et portait dans ses yeux la bonté
de son cœur. Aujourd’hui elle est vieille, le visage ridé, le corps décrépit, la démarche égarée,
vacillante, mais une jeunesse dans le regard que l’évocation de l’Espagne de 36 ravive d’une
lumière que je ne lui avais jamais vue. Elle souffre de troubles de la mémoire, et tous les
événements qu’elle a vécus entre la guerre et aujourd’hui, elle en a oublié à tout jamais la trace.
Mais elle garde absolument intacts les souvenirs de cet été 36 où eut lieu l’inimaginable, cet été
36 pendant lequel, dit-elle, elle découvrit la vie, et qui fut sans aucun doute l’unique aventure
de son existence. Est-ce à dire que ce que ma mère a tenu pour la réalité pendant les soixante-
quinze années qui ont suivi n’a pas eu pour elle de réelle existence ? Il m’arrive de le penser.
Ce soir, je l’écoute encore remuer les cendres de sa jeunesse perdue et je vois son visage
s’animer, comme si toute sa joie de vivre s’était ramassée en ces quelques jours de l’été 36 dans
la grande ville espagnole, et comme si, pour elle, le cours du temps s’était arrêté calle San
Martín, le 13 août 1936 à 8 heures du matin. Je l’écoute me dire ses souvenirs que la lecture
parallèle que je fais des Grands Cimetières sous la lune de Bernanos assombrit et complète. Et
j’essaie de déchiffrer les raisons du trouble que ces deux récits lèvent en moi, un trouble dont
je crains qu’il ne m’entraîne là où je n’avais nullement l’intention d’aller. Pour être plus précise,
je sens, à leur évocation, se glisser en moi par des écluses ignorées des sentiments
contradictoires et pour tout dire assez confus. Tandis que le récit de ma mère sur l’expérience
libertaire de 36 lève en mon cœur je ne sais quel émerveillement, je ne sais quelle joie enfantine,
le récit des atrocités décrites par Bernanos, confronté à la nuit des hommes, à leurs haines et à
leurs fureurs, vient raviver mon appréhension de voir quelques salauds renouer aujourd’hui
avec ces idées infectes que je pensais, depuis longtemps, dormantes.

Lydie Salvayre, Pas Pleurer, 2014.

Texte no. 6

Tâtant du doigt sa gencive endolorie Stépanoff suivit du regard son fils qui enjambait le bambin
accroupi dans le caniveau. Yvonne posa sa main sur celle de son compagnon pour le retenir de
s’emporter contre les façons un rien cavalières que Youra affectait depuis peu à leur endroit.
Quelquefois au soir d’une journée de courses, de vains piétinements, il leur arrivait d’échanger
à voix assourdie une remarque sur telle attitude, telle réplique de l’adolescent. Mais Stépanoff
évitait d’en parler. Tout en sollicitant son intérêt d’observateur attentif les insolences de Youra
ne laissaient pas de l’irriter. Couchés côte à côte doucement engourdis par les rumeurs de la
ville sous-alimentée lui et Yvonne échangaient des mots simples et brefs qui les maintenaient
à la surface d’une lucidité précaire. Il semblait dans ces instants que le souffle de l’Europe
éventrée des Russies en sang affluait chez eux par vagues successives. Yvonne en avait parfois
une perception si intense qu’elle pensait en mourir. Yeux clos, le souffle lent, elle captait le
bourdonnement de la vie, de la mort et c’était comme si son cœur allait par la seule vertu d’une
réverbération anonyme. Elle remuait un doigt, un autre doigt, frôlait la cuisse d’Ivan. "Vous
sentez ? Vous entendez ?" susurrait-elle. Il sentait, il entendait encore que pas tout à fait comme
elle. La mort, lui, il en avait une longue expérience. Qu’il ait encore des yeux, des reins, des
poumons, pensait-elle, et cette vigueur de chêne qu’on lui devine… Pour la nième fois elle
récapitulait la vie d’Ivan en termes de tête de chapitre, de coups de gong – deux ans de forteresse
Pierre et Paul, la guerre impérialiste, la guerre civile, les Soviets, famines, typhoïde au siège de
Rostov-sur-le-Don, thermidor stalinien, grève de la faim à Oranienbourg, scorbut à Irkutsk,
déportation dans l’extrême Nord, isolateurs dans l’extrême inhumain, cent grammes de matières
grasses par semaine à Marseille… Qu’il ait vécu cela, survécu à cela, gardant ce torse de
tambour, cette carrure de portefaix, voilà qui pour elle tenait du prodige. En cinquante-trois ans,
pensait-elle, en cinquante-trois ans d’existence a-t-il seulement connu six mois de bien-être
véritable ? Elle se le demandait, et c’était une des rares choses concernant Stépanoff dont elle
ne fût pas tout à fait certaine.

Jean Malaquais, Planète sans visa, 1999 (1ère édition 1947).

Texte no. 7

Ma grand-mère, qui s’est mariée en 1910, était encore fille. Elle s’attacha à l’enfant, qu’elle
entoura assurément de cette fine gentillesse que je lui ai connue, et dont elle tempéra la
bonhomie brutale des hommes qu’il accompagnait aux champs. Il ne connaissait ni ne connut
jamais l’école. Elle lui apprit à lire, à écrire. (J’imagine un soir d’hiver ; une paysanne jeunette
en robe noire fait grincer la porte du buffet, en sort un petit cahier perché tout en haut, « le
cahier d’André », s’assied près de l’enfant qui s’est lavé les mains. Parmi les palabres patoises,
une voix s’anoblit, se pose un ton plus haut, s’efforce en des sonorités plus riches d’épouser la
langue aux plus riches mots. L’enfant écoute, répète craintivement d’abord, puis avec
complaisance. Il ne sait pas encore qu’à ceux de sa classe ou de son espèce, nés plus près de la
terre et plus prompts à y basculer derechef, la Belle Langue ne donne pas la grandeur, mais la
nostalgie et le désir de la grandeur. Il cesse d’appartenir à l’instant, le sel des heures se dilue, et
dans l’agonie du passé qui toujours commence, l’avenir se lève et aussitôt se met à courir. Le
vent bat la fenêtre d’un rameau décharné de glycine ; le regard effrayé de l’enfant erre sur une
carte de géographie.) Il n’était pas dépourvu d’intelligence, sans doute disait-on qu’il
« apprenait vite » ; et, avec le bon sens lucide et intimidé des paysans de jadis qui rapportaient
les hiérarchies intellectuelles aux hiérarchies sociales, mes aïeux, sur de vagues indices,
élaborèrent pour rendre compte de ces qualités incongrues chez un enfant de sa condition une
fiction plus conforme à e qu’ils tenaient pour le vrai : Dufourneau devint le fils naturel d’un
hobereau local, et tout rentra dans l’ordre.
Nul ne sait plus s’il fut instruit de cette ascendance fantasmatique, issue de
l’imperturbable réalisme social des humbles. Il importe peu : s’il le fut, il en conçut de l’orgueil
et se promit de reconquérir ce dont, sans qu’il l’eût jamais eu, la bâtardise l’avait spolié ; s’il ne
le fut pas, une vanité prit possession de ce paysan orphelin élevé dans un vague respect peut-
être, des égards inusité assurément, qui lui parurent d’autant plus mérités qu’il en ignorait la
cause.

Pierre Michon, Vies minuscules, 1984.

Texte no. 8

La vase liquide sur laquelle dansaient des nuages de moustiques était parcourue de
remous visqueux lorsqu’un marcassin dont seul émergeait le groin moucheté venait se coller au
flanc maternel. Plusieurs hardes de pécaris avaient établi leur souille dans les marécages de la
côte orientale de l’île et y demeuraient enfouies pendant les heures les plus chaudes de la
journée. Mais tandis que la laie assoupie se confondait tout à fait avec la boue dans son
immobilité végétale, sa portée s’agitait et se disputait sans cesse avec des grognements aigus.
Comme les rayons du soleil commençaient à devenir obliques, la laie secoua soudain sa torpeur
et, d’un effort puissant, elle hissa sa masse ruisselante sur une langue de terre sèche, tandis que
les petits tricotaient furieusement des pattes avec des cris stridents pour échapper à la succion
de la bourbe. Puis toute la harde s’en fut en file indienne dans un grand bruit de broussailles
foulées et de bois cassé.

C’est alors qu’une statue de limon s’anima à son tour et glissa au milieu des joncs.
Robinson ne savait plus depuis combien de temps il avait abandonné son dernier haillon aux
épines d’un buisson. D’ailleurs il ne craignait plus l’ardeur du soleil, car une croûte
d’excréments séchés couvrait son dos, ses flancs et ses cuisses. Sa barbe et ses cheveux se
mêlaient, et son visage disparaissait dans cette masse hirsute. Ses mains devenues des moignons
crochus ne lui servaient plus qu’à marcher, car il était pris de vertige dès qu’il tentait de se
mettre debout. Sa faiblesse, la douceur des sables et des vases de l’île, mais surtout la rupture
de quelque petit ressort de son âme faisaient qu’il ne se déplaçait plus qu’en se traînant sur le
ventre. Il savait maintenant que l’homme est semblable à ces blessés au cours d’un tumulte ou
d’une émeute qui demeurent debout aussi longtemps que la foule les soutient en les pressant,
mais qui glissent à terre dès qu’elle se disperse. La foule de ses frères, qui l’avait entretenu dans
l’humain sans qu’il s’en rendît compte, s’était brusquement écartée de lui, et il éprouvait qu’il
n’avait pas la force de tenir seul sur ses jambes.

Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1969.


Barème de correction :

NS : non-sens, sur un mot, ou plus fréquemment une structure. De – 6 au maximum de PF pour


le syntagme.

CS : Contre-sens. Peut relever d’une mauvaise lecture du texte-source ou d’une mauvaise


appréciation de la langue-cible. De – 6 au maximum pour le syntagme.

V irr : Verbe irrégulier: – 6.

Vi / Vtr : Verbe transitif ou intransitif mal employé. – 6.

GV : groupe verbal : erreur sur l’ensemble du groupe : - 6.

T/ A : erreur de temps et /ou d’aspect : – 6 (sauf cas plus délicats). Là aussi les erreurs sont
cumulables. En revanche, si un choix malavisé entraîne plusieurs occurrences de la même erreur
(par exemple, traduire au prétérite un texte écrit au présent), un « tarif global » de – 20 sera
appliqué: dès lors ne seront pénalisées que d’autres erreurs du GV (T / A / Virr) qui viennent se
greffer sur la méprise de départ.

VM : verbe modal. – 6.

CT : faute de construction. – 6.

Str : Structure erronée, maladroite : – 6.

Syn : syntaxe. Erreurs et maladresses dans la construction syntaxique de la phrase : ordre des
mots, place des subordonnées, coordination, insertion de relatives ou d’appositions etc. Sont
incluses dans ce chapitre les juxtapositions malavisées. 4– 6.

GN : groupe nominal. GN composé ou génitif – 6 ; détermination – 4.

Bb : mot inexistant, inventé sans logique grammaticale de dérivation : – 6.


FS : faux sens ; le mot est impropre dans le contexte : – 4.

Lex : lexique : absence de recherche lexicale, choix lexicaux plats. Connaissances trop limitées.
De – 4 à – 6. On essaie de distinguer entre une erreur de lexique dans le champ sémantique, ou
en dehors du champ sémantique.

STr / ST : sous-traduit ; évacuation d’un élément de signification important : – 4.

+ conn. / – conn. : positivement ou négativement connoté. Choix lexical malavisé, qui ne


respecte pas la focalisation ou qui change trop les connotations du texte-source : – 4.

SurTr : Sur-traduit : efforts lexicaux ou stylistiques excessifs, non justifiés par le contexte : – 4.

MD : Mal dit. Sans erreur de grammaire, la structure est bancale et maladroite : – 4.

TMD : Faute de construction ou d’agencement syntaxique importante : – 6.

Orth : orthographe – 2 à – 4 selon gravité, mais une faute d’orthographe qui résulte d’une
mauvaise construction grammaticale est pénalisée comme faute de grammaire. Ex : « the letter
was writen in English » est une erreur de conjugaison et non une faute d’orthographe. L’oubli
des majuscules des adjectifs de nationalité est compté à – 4 .

Aj : ajout. Etoffement non justifié : – 4.

Om : omission. Oubli —délibéré ou accidentel— d’un mot, d’une structure d’une phrase.
Sanctionnée par le maximum de points-fautes attribué pour ce mot / segment / phrase.

RF : refus de traduction. Restructuration totale de la phrase afin de contourner un aspect difficile,


laquelle change complètement la focalisation du segment. On parle également d’évasion
stratégique : – 6 à – 8 selon gravité.

PT : ponctuation. Sanction peut aller de – 2, pour une faute de ponctuation peu importante à – 6
si la ponctuation erronée a des conséquences grammaticale (par exemple dans une relative).
Reg : registre. Problème de niveau de langue : – 4.

La correction de la traduction peut porter sur des questions de narratologie. Dans ces cas, la
sanction dépendra beaucoup du style du passage :

foc : focalisation non respectée.

Voix N : voix narrative.

Le correcteur peut également souligner des moments où une autre approche à la traduction aurait
été souhaitable : c’est le domaine de la traductologie. Les procédés essentiels qui risquent d’être
soulignés ou conseillés, le cas échéant, sont les suivants :

Tr : Transposition

Mod : Modulation

Etof : Etoffement

Cq : calque

Eq : équivalence

Bibliographie :

Il vous faut peu d’outils pour progresser en traduction : rien ne vaut un entraînement régulier et
une auto-correction exigeante. Les livres indispensables sont les suivants :

1. Des dictionnaires. A ce niveau, vous devez avoir à votre disposition trois dictionnaires spécifiques :
un dictionnaire français (du genre Petit Robert ou Petit Larousse). Un dictionnaire monolingue
anglais, par exemple Collins Co-build, Oxford Advanced Learner’s Dictionary ou Longman’s
Advanced Learner’s dictionary. Tous les deux sont conçus précisément pour les étudiants étrangers.
Mais un bon dictionnaire classique est également une possibilité : le Webster’s, ou Chamber’s English
Dictionary sont sans doute les meilleurs. Et puis il vous faut un dictionnaire bi-lingue : Larousse,
Hachette / Oxford, Collins / Robert, Harrap’s...

2. Manuel de lexique (au choix) :

Patrick Refroidi, Nouveau manuel de l’angliciste, Ophrys, 1986.

Cambridge Word-Routes anglais – français, Cambridge University Press, 1994.

Jean Rey, C. Bouscaren, Le Mot et l’idée 2, Ophrys, 1991.

3. Un livre qui aborde la traduction comme exercice, qui explique les gestes, méthodes et stratégies du
traducteur :

François Gallix et Michael Walsh, La Traduction littéraire, Hachette, 1998.

Pour ceux qui s’intéressent plus spécifiquement à la traduction abordée du point de vue de la
linguistique et de la stylistique comparée, il y a aussi :

Hélène Chuquet et Michel Paillard, Approche linguistique des problèmes de traduction, Ophrys, 1987.

Ce volume s’est inspiré d’un livre fondateur pour la traductologie (l’enseignement et la philosophie
de la traduction) :

J-P. Vinay et J. Darbelnet : Stylistique comparée du français et de l’anglais, Didier 1977 (mais ré-
édité depuis).

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