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16 octobre 2022
Comprendre la mythologie japonaise en quatre clés
Le Monde (site web) ... Peu connue, la mythologie japonaise regorge de divinités, de personnages hauts en 3
couleurs et de récits épiques, à l’honneur au mois d’octobre lors du Kamiarizuki, le
« mois de la présence ...

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Nom de la source Dimanche 16 octobre 2022

Le Monde (site web)
Le Monde (site web) • 1934
Type de source mots
Presse • Presse Web
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news·20221016·LMF·6146006_6038514
Provenance
France

Comprendre la mythologie japonaise en quatre clés

Fabien Trécourt

Peu connue, la mythologie japonaise regorge de divinités, de personnages hauts en couleurs et de récits
épiques, à l’honneur au mois d’octobre lors du Kamiarizuki, le « mois de la présence des kamis ». Voici un
condensé de l’essentiel.

imaginaire collectif. » Ponctuellement, La seconde compilation, le Nihon shoki,

D
es mangas aux jeux vidéo, en
passant par les animations
des studios Ghibli ou les arts
martiaux, la culture nippone a largement
infusé à l’intérieur de nos sociétés occi-
dentales. Les grands mythes japonais,
qui en constituent la matrice, restent
pourtant largement méconnus. Et pour
cause : « Il n’existe pas à ce jour de
bonne traduction française des corpus de
textes qui les rassemblent », souligne
Alain Rocher, spécialiste des religions et
traditions populaires du Japon, qui en
offre un panorama exceptionnel dans
« Les 100 Légendes de la mythologie
japonaise » (« Que sais-je ? », PUF,
128 pages, 9 euros).
Plus étonnant, la plupart de ces légendes
sont ignorées des Japonais eux-mêmes.
« Leur histoire et leur influence ne sont
pas comparables à celles de la mytholo-
gie gréco-romaine et de la Bible en Eu-
rope. Ils n’ont pas été aussi étudiés, en-
seignés ou réinterprétés en tant que tels
dans des œuvres de fiction, et n’ont donc
pas autant servi de matrice à tout un
des groupes politiques ou religieux ont
valorisé certains mythes pour forger les
contours d’une identité culturelle. Mais
ces tentatives ont généralement échoué à
fonder l’équivalent d’un roman national.
Les récits de mythologie japonaise par-
venus jusqu’à nous se fondent sur deux
grandes compilations de textes, consti-
tuées à la demande du pouvoir impérial
au début du VIIIe siècle – époque de
forte centralisation politique et adminis-
trative.
Le Kojiki, ou « Mémorial des faits an-
ciens », est présenté à la Cour en 712
et fixe un récit univoque de l’origine
du monde, de la fondation du pays, de
l’installation des divinités sur Terre et
de l’histoire des premières dynasties lé-
gendaires. Il s’achève sur la mort – his-
toriquement réelle – de l’impératrice
Suiko en 628.
Ces légendes racontent comment sont
apparus la Terre, l’humanité et, bien sûr,
le Japon
ou Annales du Japon, est présentée en
720. Beaucoup plus volumineuse que le
Kojiki, elle a notamment pour original-
ité de présenter, à côté de la version
principale d’un mythe, toute une palette
de variantes anciennes. Ces récits ont
ainsi vocation à expliquer l’histoire du
pays tout en légitimant « l’enracinement
géographique et les prérogatives des
grands clans (uji) par les gestes fonda-
teurs de leurs divins ancêtres, écrit Alain
Rocher. Le discours de l’empire nais-
sant, loin d’effacer ces traditions, ne fait
que les absorber pour les “mettre au
pas” et les recycler à son profit : la
famille impériale devient ainsi le clan
des clans, ses traditions propres s’im-
posent comme la légende des légen-
des ».
Au Moyen Age, le Japon puise d’autres
thèmes et figures divines dans le boud-
dhisme chinois, ainsi que dans la culture
tantrique de l’Inde, dans l’hindouisme et
dans des variantes régionales du boud-
dhisme. Cet imaginaire connaît un nou-
vel élan durant l’époque d’Edo, entre le

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début du XVIIe siècle et la fin du XIXe
siècle. A l’instar de la Renaissance en
Europe, les œuvres anciennes sont abon-
damment redécouvertes et copiées, « en
intégrant des éléments de confucianisme
populaire et une démonologie beaucoup
plus riche ».
Les yokai notamment, sortes de créa-
tures extraordinaires, à l’image de dia-
blotins et d’esprits frappeurs, sont mis
en scène dans leurs interactions avec les
humains – dont ils perturbent le plus
souvent le quotidien –, aux côtés de fan-
tômes ou encore de héros épiques.
« Cette imagerie est diffusée sur le terri-
toire via des estampes, notamment. »
La peinture japonaise connaît à cette
époque un âge d’or, qui culmine avec
des artistes comme Hokusai, Hiroshige
ou encore Yoshitoshi. Ajouté aux pro-
grès de l’imprimerie, ce développement
sans précédent alimente un imaginaire
commun autour du bestiaire foisonnant
des yokai, sans toutefois faire parfaite-
ment connaître les récits représentés.
« Au XXe siècle, le ministère de l’éd-
ucation impose parfois des versions
choisies voire censurées dans les
manuels pour les écoliers », complète
Alain Rocher. L’influence de ce mou-
vement nationaliste reste cependant lim-
itée. « La plupart des Japonais ne retien-
dront vaguement que quelques légendes
parmi les plus connues. »
Quatre grands thèmes marquent les es-
prits du fait de leur importance dans les
textes : les origines du monde, l’histoire
de la famille impériale, les héros trag-
iques et les épouses surnaturelles.
Comme dans tous les corpus
mythologiques, ces légendes racontent
abondamment comment sont apparus la
Terre, l’humanité et, bien sûr, le Japon.
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C’est plus précisément « une synthèse
complexe de récits cosmogoniques ap-
partenant à des horizons culturels dif-
férents (monde chinois, hinterland
sibérien, aire austronésienne, etc.) »,
précise le chercheur.
Le Nihon shoki emprunte par exemple
au taoïsme l’idée d’un processus physi-
co-chimique : des éléments légers
s’élèvent naturellement et forment le
ciel, des choses lourdes tombent au con-
traire pour former la Terre, etc. D’autres
récits utilisent une métaphore germina-
tive, évoquant la croissance de plantes
ou même plus précisément la riziculture.
D’une matière chaotique, décrite
comme liquide, émerge une chose sim-
ilaire à une pousse de roseau, donnant
naissance à un premier kami (« di-
vinité »).
De manière générale, les kamis sont
décrits comment s’engendrant les uns
les autres, et sont toujours plus ou moins
directement situés à l’origine du monde.
Beaucoup sont même identifiés à des
parties de la réalité elle-même – le kami
du ciel désignera le ciel lui-même, par
exemple.
Les dieux Izanagi et Izanami sont de-
scendus « consolider et réparer » la
Terre encore flottante
Dans la version principale du Nihon
shoki, cependant, les parents du monde
sont clairement identifiés comme étant
les dieux Izanagi et Izanami. Précédés
d’entités diaphanes, nées avant la for-
mation de l’Univers, ils sont descendus
ici-bas pour « consolider et réparer » la
Terre encore flottante. « Ils produisent
la première île, y prennent pied et ac-
complissent un rituel de mariage avant
d’enfanter une double série de divinités,
les kamis des îles et les kamis de la
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nature, raconte Alain Rocher. Frère et
sœur, les deux dieux accomplissent un
inceste pour peupler l’archipel. »
Dans la mythologie, ce couple marque
ainsi une rupture entre, d’un côté, des
entités capables de génération spon-
tanée, dont ils sont le dernier exemple,
et de l’autre, le monde vivant, bi-
ologique, recourant à la procréation et à
l’enfantement.
Les péripéties d’Izanagi et Izanami ont
inspiré de nombreuses légendes et
épopées, mais le couple – ou Izanagi
seul, selon les versions – est surtout con-
nu pour être à l’origine des plus célèbres
divinités du panthéon shinto : le dieu de
la Lune Tsukuyomi, l’impétueux Su-
sanowo, associé aux tempêtes notam-
ment, et, surtout, Amaterasu. « Sa dou-
ble fonction de déesse du Soleil et d’an-
cêtre de la lignée impériale fait d’Am-
aterasu Ohomikami (“grande déesse il-
luminant le ciel”) la figure la plus il-
lustre du panthéon shintō, écrit Alain
Rocher. Elle jouit d’une longévité sans
équivalent dans le système idéologique
traditionnel. »
Amaterasu est notamment connue – y
compris du très grand public japonais
– pour être une ancêtre directe du fon-
dateur mythique du Japon, l’empereur
Jinmu. « Au seuil de l’époque moderne,
note le chercheur, les idéologues du
shintō d’Etat ont fixé la date anniver-
saire de son accession au trône (660 av.
J.-C.) et en ont fait une fête nationale
(kigen setsu). Non seulement cette date
est fictive, mais aucun élément factuel
ne permet de considérer cet “empereur”
comme un personnage historique. »
Dans les textes mythologiques, les
péripéties traversées par Jinmu repren-
nent une structure narrative typique d’un
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mythe de fondation : une expédition
contre des barbares, le sacrifice d’un
proche pour sauver la mission, la ren-
contre d’animaux maléfiques, plongeant
le héros dans une léthargie, et enfin
l’aide de dieux célestes pour résoudre la
situation.
Cet enchaînement se retrouve d’ailleurs
dans d’autres chroniques
mythologiques, comme le cycle des
aventures de Yamatotakeru, figure par
excellence du héros tragique, sans peur
et sans reproche. Yamatotakeru apparaît
« converti en pourfendeur de barbares
pour la plus grande gloire de l’empire en
construction », résume Alain Rocher.
A l’origine, il aurait été un souverain
écarté du pouvoir impérial en raison
d’un comportement trop anticon-
formiste. Sa bravoure et son héroïsme
iraient en effet de pair avec « un fond
de violence convulsive ». Il est envoyé
pacifier les barbares de l’ouest puis de
l’est du pays, bénéficiant d’une grande
puissance, d’un certain sens de la ruse et
parfois d’accessoires magiques. Il gagne
de nombreux combats mais est aussi
victime de son irrespect envers les tra-
ditions. Plongé dans l’égarement par un
dieu sanglier, devant lequel il a osé
élever la voix, il finit par mourir de cette
malédiction sur le chemin du retour.
Au XIXe et surtout au XXe siècle, des
militants nationalistes ont régulièrement
revalorisé la figure d’Amaterasu pour
justifier l’idée d’une supériorité du
Japon sur d’autres cultures. Le shinto
d’Etat, tentative d’établir une religion
officielle sous l’ère Meiji (1868-1912),
leur a ainsi fourni une théologie per-
mettant d’asseoir cette conception na-
tionaliste. Ce cadre institutionnel a été
aboli à la fin de la seconde guerre mon-
diale, avec le ningen sengen (Déclara-
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tion d’humanité, ou de non-divinité) de
l’empereur, en janvier 1946. Mais l’idée
reste opérante dans les esprits ; l’em-
pereur actuel du Japon est officiellement
considéré comme un descendant de Jin-
mu et donc d’Amaterasu.
« Le thème de la découverte de
l’étrangeté féminine occupe le centre du
système symbolique ancien »
Outre les tragédies héroïques, une autre
configuration narrative « revient avec
une régularité obsédante dans les textes
japonais anciens », évoque Alain
Rocher : l’époux d’une femme surna-
turelle, ignorant cette facette de sa com-
pagne, viole une interdiction de la voir
dans certaines circonstances et découvre
ainsi sa vraie nature. Celle-ci rompt
alors sa relation et prive le mari des
avantages miraculeux dont il bénéficiait,
souvent sans le savoir, comme la vie
éternelle ou une fécondité exception-
nelle par exemple. « C’est bien le thème
de la découverte de l’étrangeté féminine
qui occupe le centre du système symbol-
ique ancien », analyse le chercheur.
Les épouses sont assimilées à tout un
bestiaire réel ou fantastique : grues, re-
nardes, dragons ou encore palourdes,
anthropomorphes ou capables de chang-
er d’apparence physique. Parfois les
rôles sont inversés, et des hommes béné-
ficient de pouvoirs et rôles similaires.
Des contes populaires, et même plus
près des nous des mangas, développer-
ont abondamment cette idée.
De manière plus générale, le syn-
crétisme propre à la mythologie japon-
aise en fait un corpus foisonnant, source
de multiples inspirations littéraires et
artistiques, et qui n’a cessé de se renou-
veler jusqu’à aujourd’hui. Les mangas
ou jeux vidéo actuels mettent régulière-
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ment en scène, de façon volontairement
libre et infidèle aux récits originaux, des
kami et des yokai, des héros triomphant
de difficultés, échouant avec noblesse
ou sauvant l’univers à l’aide d’un pou-
voir divin, des renardes qui se transfor-
ment en femmes, ou encore des tanuki
prenant l’apparence d’êtres humains.
Certains rencontrent même des figures
mythologiques occidentales, comme les
dieux gréco-romains, les messies
bibliques ou encore des créatures des
enfers – le syncrétisme étant un outil
narratif extrêmement développé dans les
fictions japonaises. C’est l’une des prin-
cipales différences avec les mythologies
occidentales et judéo-chrétiennes : les
légendes japonaises n’ont pas été aussi
figées, et l’imaginaire qui leur est at-
taché n’a donc jamais cessé d’évoluer.
Les 100 Légendes de la mythologie
japonaise, Alain Rocher (PUF, « Que
sais-je ? », 128 p., 9 €).
Cet article est paru dans Le Monde
(site web)
https://www.lemonde.fr/le-monde-des-r
eligions/article/2022/10/16/comprendr
e-la-mythologie-japonaise-en-quatre-cl
es_6146006_6038514.html
Note(s) :
Mis à jour : 2022-10-16 09:00 UTC
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