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Réanimation 2001 ; 10 : 265-6

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S116467560100113X/EDI
ÉDITORIAL

L’antibiothérapie des infections à cocci à Gram positif :


un exercice de plus en plus difficile ?

M. Wolff*, J.F. Timsit


Service de réanimation des maladies infectieuses, hôpital Bichat-Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris
cedex 18, France

(Reçu le 19 janvier 2001 ; accepté le 23 janvier 2001)

Jusqu’à ces dernières années, les modalités de l’antibio- mas plus complexes, prenant en compte le site de
thérapie des infections dites « communautaires » à cocci l’infection et les facteurs de risque de résistance. Au
à Gram positif reposaient sur des schémas simples : cours des méningites à S. pneumoniae, l’augmentation
pénicilline G ou amoxicilline en cas d’infection à pneu- de la prévalence des souches de sensibilité diminuée ou
mocoques ou à streptocoques, oxacilline s’il s’agissait résistantes à la pénicilline G (plus de 50 % chez l’enfant
d’un staphylocoque. Au cours des infections nosoco- et de 30 % chez l’adulte), a légitimé l’utilisation en
miales à staphylocoques résistants à la méticilline première intention d’une céphalosporine de troisième
(SARM), les glycopeptides n’étaient jamais pris en génération associée à la vancomycine ou à la rifampi-
défaut. Finalement, le réanimateur avait à sa disposition cine. Ce schéma « maximaliste », qui sera d’ailleurs
des molécules parfaitement actives, si bien que les échecs souvent simplifié au deuxième jour, n’est cependant pas
étaient généralement liés non à l’antibiothérapie, mais à justifié pour le traitement des pneumonies à pneumo-
la virulence des micro-organismes, aux comorbidités, à coques. En effet, une monothérapie par l’amoxicilline
la présence d’un matériel étranger. (4 g/j) ou une céphalosporine de troisième génération
L’utilisation extensive et souvent abusive des antibio- restent efficaces, compte tenu des concentrations obte-
tiques explique l’évolution vers la résistance récemment nues dans le sang et le poumon.
observée chez des bactéries impliquées dans des infec- Pourtant, en matière de résistance le pire n’est sans
tions communautaires. Alors que les streptocoques A, doute pas inéluctable, et de bonnes surprises sont pos-
C, G conservent une très grande sensibilité aux sibles. Ainsi, une stabilisation, voire une diminution de
β-lactamines les streptocoques viridans, parfois impli- l’incidence des souches invasives de S. pneumoniae résis-
qués dans des infections graves, notamment chez les tantes ou de sensibilité réduite à la pénicilline G ont-
patients neutropéniques, ont acquis des mécanismes de elles été récemment observées en Ontario [2].
résistance à la pénicilline [1]. Cependant, l’exemple le Plusieurs publications, venant principalement des
plus frappant est constitué par le pneumocoque. Il est États-Unis, laissent craindre une incidence accrue de
admis que la résistance à la pénicilline G est liée à la SARM d’origine communautaire. Des adultes et des
constitution, par recombinaisons avec des gènes de enfants ont ainsi été admis à l’hôpital pour une infec-
protéines de liaison aux pénicillines (PLP) provenant de tion, souvent des parties molles, due à un SARM alors
streptocoques commensaux du rhinopharynx, de PLP qu’aucun des facteurs de risques habituellement
mosaïques. Cette évolution a nécessité une réévaluation reconnu pour ce germe n’avait été identifié [3]. Il est
des recommandations thérapeutiques au profit de sché- cependant fort probable que ces malades aient été en

*Correspondance et tirés à part.


266 M. Wolff, J.F. Timsit

contact à un moment ou un autre avec des porteurs de à d’autres molécules, dont certaines sont en cours de
SARM. Une étude menée récemment en France par développement (voire la mise au point de C. Gibert
l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résis- dans ce numéro, Réanimation 2001 ; 10 : 329–35),
tance bactérienne aux antibiotiques (ONERBA) a per- sera nécessaire si des souches avec une CMI de vanco-
mis de confirmer que des patients de ville peuvent être mycine atteignant ou dépassant 8 mg/L sont isolées.
porteurs de SARM sans que soit établie l’origine hospi- La prise en charge des infections graves à cocci à
talière de ce portage. Ce phénomène semble heureuse- Gram positif est donc aujourd’hui moins simple. Elle
ment très marginal [4] et ne doit pas remettre en cause justifie plus que jamais une bonne coopération avec le
l’utilisation en première intention de l’oxacilline lors laboratoire de microbiologie.
d’une présomption d’infection grave à S. aureus.
Cependant, la dissémination du SARM en dehors de
l’hôpital plaide en faveur d’un accroissement de la lutte RÉFÉRENCES
contre la transmission croisée de cette bactérie. L’inter-
1 Alcaide F, Linares J, Pallares R, Carratala J, Benitez MA,
ruption de la transmission croisée, conditionnée par la Gudiol F, et al. In vitro activities of 22 ß-lactam antibiotics
compliance au lavage des mains, pourrait être améliorée against penicillin-resistant and penicillin-susceptible viridans
par l’introduction des solutions hydro-alcoliques dans group streptococci isolated from blood. Antimicrob Agents
Chemother 1995 ; 39 : 2243-7.
les services de réanimation [5]. Ce meilleur contrôle 2 Hoban DJ, Karlowsky JA, Nichol K, Palatnick LP, Low DE,
devrait permettre une diminution des consommations Zhanel GG. Decreasing incidence of penicillin-resistant and
de glycopeptides et pourrait prévenir l’apparition multi-drug resistant Streptococcus pneumoniae in Canada : results
of an ongoing national surveillance study : 1977–2000. 40th
d’entérocoques résistants à la vancomycine déjà pré- Interscience Conference on Antimicrobial Agents an Chemo-
sents dans d’autres pays [6] et l’élévation des CMI des therapy, Toronto, USA ; 17–20 September 2000.
SARM aux glycopeptides. 3 Gorak EJ, Yamada SM, Brown JD. Community-acquired
methicillin-resistant Staphylococcus aureus in hospitalized adults
L’existence de souches de SARM de sensibilité réduite and children without known risk factors. Clin Infect Dis 1999 ;
aux glycopeptides (GISA ou VISA) peut-elle expliquer 29 : 797-800.
certains échecs ou réponses tardives à ces derniers ? Il est 4 Bellon O, Cavallo JD, Roussel-Delvallez M, Péan Y, Weber P.
Un aperçu de la résistance bactérienne hors de l’hôpital. La
difficile de l’affirmer dans la mesure ou la détection de Lettre de l’Infectiologue 2000 ; 4 : 158-64.
ces souches nécessite des techniques particulières [7, 8]. 5 Pittet D, Mourouga P, Perneger TV. Compliance with hand
Les situations d’échec, apparentes ou réelles, sous gly- washing in a teaching hospital. Members of the infection control
copeptide doivent faire d’abord rechercher les causes program. Ann Intern Med 1999 ; 130 : 126-30.
6 Bonten MJM, Slaughter S, Ambergen AW, Hayden MK, Voo-
classiques telles que collection mal drainée, présence rhis JV, Nathan C. The role of colonization pressure in the
d’un matériel étranger gênant l’éradication, concentra- spread of vancomycin-resistant enterococci. An important infec-
tions résiduelles de glycopeptides insuffisantes. L’impli- tion control variable. Ancu Interv Med 1998 ; 158 : 1127-32.
7 Weinstein RA. Vancomycin-intermediate and-resistant Staphy-
cation d’un GISA devrait être évoquée devant un échec lococcus aureus : what the infectious disease specialist needs to
microbiologique, tout particulièrement en cas d’expo- know. Clin Infect Dis 2001 ; 32 : 108-15.
sition préalable prolongée aux glycopeptides. L’antibio- 8 Groupe de Travail. Le point sur la situation épidémiologique
actuelle de Staphylococcus aureus de sensibilité diminuée aux
thérapie d’une infection grave à GISA n’est pas codifiée. glycopeptides (vancomycine et teicoplanine) en France. Bulle-
Elle requiert sans doute des posologies élevées de van- tin Épidémiologique Hebdomadaire 2000 ; 23 : 97-9.
comycine amenant des concentrations résiduelles d’au 9 Burnie J, Matthews R, Jiman-Fatami A, Gottardello P, Hod-
getts S, D’Arcy S. Analysis of 42 cases of septicemia caused by an
moins 20 mg/L et, lorsque cela est possible, une asso- epidemic strain of methicillin-resistant Staphylococcus aureus.
ciation avec la rifampicine [9]. Dans l’avenir, le recours Clin Infect Dis 2000 ; 31 : 684-9.

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